(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 769) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Geet-Beetz prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Tirlemont aü camp de Beverloo et passant par Oplinter, Neerlinter, Budingen, Geet-Betz, Haelen, Webbecom et Tessenderloo. »
M. Beeckman. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Des habitants de Muno demandent que les gouvernements intéressés prennent les mesures nécessaires pour prévenir les épidémies qui peuvent résulter des inhumations sur les champs de bataille. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Bongaerts, président, et Thoman, secrétaire de la société dite : de Hoop en Harmonie à Meerhout, demandent que, dans les provinces flamandes, la langue flamande remplacé la langue française à tous les degrés de l'enseignement et aux examens. »
- Même renvoi.
« Le sieur de Meulemeester, brasseur à Alost, prie la Chambre d'apporter à la loi du 2 août 1822 une modification ayant pour objet de permettre aux brasseurs qui en feraient la demande de payer l'impôt sur la quantité de malt ou matières farineuses qu'ils emploient. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
M. Delcour. - Plusieurs pétitions de ce genre ont été adressées à la Chambre et ont été renvoyées à la commission permanente d'industrie. Je désirerais savoir si cette commission s'en est déjà occupée et à quel point en est l'instruction de cette affaire.
M. De Lehaye. - La commission de l'industrie s'est longuement occupée de l'examen de ces pétitions. Mais l'étude de cette question exigeait la connaissance de la loi hollandaise. La commission de l'industrie a réclamé cette loi et on vient de lui en remettre une copie. Sans désemparer, nous nous occuperons de l'examen de ces pétitions.
« M. le ministre de la justice informe la Chambre que le sieur Legrand renonce à sa demande de naturalisation. »
- Pris pour notification.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur (pour une communication du gouvernement). - Conformément à l'engagement que j'ai eu l'honneur de prendre hier, je dépose sur le bureau les documents qui ont été réunis dans mon département sur la question du travail des femmes et des enfants dans les mines et les établissements industriels, ainsi que les rapports des chambres de commerce parvenus jusqu'à ce jour sur la même question.
- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ces pièces, qui seront déposées sur le bureau.
suite de la discussion des articles du budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1871.
« Art. 71. Traitements des vérificateurs : 53,800. »
- Adopté.
« Art. 72. Frais de bureau et de tournées et frais de la commission des poids et mesures : fr. 18,000. »
- Adopté.
« Art. 73. Matériel : fr. 5,000. »
- Adopté.
M. le président. - Je prierai les orateurs de bien vouloir resserrer leurs discours dans le cadre des chapitres. Il y a trois chapitres : un sur l'enseignement supérieur, un sur l'enseignement moyen et un sur l'enseignement primaire. Je désire donc qu'on se fasse inscrire par chapitre.
J'ouvre la discussion sur le chapitre de l’enseignement supérieur.
M. Sainctelette. - j'ai présenté, dans la discussion générale, les principales observations que j'avais à soumettre à la Chambre en matière d'enseignement supérieur. Je me bornerai donc ici à quelques observations de détail.
S'il est un point sur lequel il n'y ait pas de controverse possible, c'est la nécessité de restaurer, en Belgique, les études géographiques. On est également d'accord pour reconnaître que la première mesure à prendre dans cet ordre d'idées, c'est la création d'une chaire de géographie savante dans l'une ou l'autre des universités de l'Etat et peut-être même dans chacune d'elles. Le bon sens dit qu'avant de développer, en matière de géographie, l'enseignement moyen, il faut former des professeurs spéciaux. Or, si la géographie a conservé quelques amis fidèles en Belgique, le nombre en est, il faut le dire, très clairsemé.
La question présente une certaine, urgence. Indépendamment de toutes les considérations générales que l'on peut faire valoir ici comme dans toutes les circonstances où il est question de relever le niveau des études, j'appellerai l'attention de la Chambre sur les deux faits que voici.
Il est incontestable que, par suite des événements qui viennent de se passer, notre mouvement commercial en Europe sera notablement restreint. Car, d'une part, il est à craindre que la France ne rentre malheureusement dans la voie des tarifs exagérés et, d'un autre côté, la concurrence des pays allemands deviendra de plus en plus menaçante pour nous. L'Allemagne, débarrassée des préoccupations de la guerre, va consacrer toutes ses forces aux travaux de la paix et par conséquent au commerce et à l'industrie.
C'est au commerce avec les pays d'outre-mer que nous devons demander la compensation des débouchés qui vont nous manquer en Europe. Or, il est évident que si nous ne nous empressons de répandre la connaissance des pays lointains, nous rencontrerons de grands obstacles à l'extension de nos relations d'outre-mer.
Il y a une véritable urgence à créer une chaire de géographie savante dans les universités de l'Etat. Il me semble que la Chambre pourrait, dès à présent, autoriser le gouvernement à créer cette chaire, au moyen d'une augmentation du crédit de l'article 64.
Il est entendu qu'on ne préjugerait aucune des questions relatives à l'organisation de cette chaire. Les questions de programme, d'examen, de faculté seraient complètement réservées.
Voilà la première des observations que je désirais soumettre à la Chambre.
La deuxième a trait à la question des bourses. Je désirerais savoir si j'ai bien compris à cet égard les propositions de M. le ministre et de la section centrale ; si la division des bourses de mille francs est restreinte à l'exercice courant ou si c'est une mesure permanente que l'on nous propose.
Je ferai remarquer à la Chambre qu'une bourse de 1,000 francs pour (page 770) en séjour d’un an à l’étranger est une rémunération tout à fait insuffisante.
En effet, il ne faut pas oublier que les jeunes gens qui se rendent dans les universités étrangères ont d'abord à se familiariser avec la langue technique, soit de l’Allemagne, soit de l'Angleterre, car c'est là un travail qui exige au moins trois mois.
Il est facile de se convaincre des grandes difficultés qu'on éprouve à suivre un orateur lorsqu'il parle rapidement et facilement ; tous ceux qui connaissent une langue vivante savent combien l'on est facilement dérouté par les termes techniques.
Il ne. faut pas oublier non plus, messieurs, qu'en Allemagne particulièrement les cours se payent très cher.
La somme de mille francs est donc tout à fait insuffisante et je ne saurais trop protester contre la division des bourses, si c'est autre chose qu'une mesure restreinte à l'exercice courant ; et même pour cet exercice, je dois faire remarquer que c'est une fausse mesure puisqu'elle tend à priver d'honorables jeunes gens d'une récompense qu'ils ont longtemps poursuivie et laborieusement gagnée.
En troisième lieu, j'ai quelques mots à vous dire sur les missions scientifiques. J'ai fait remarquer, dans la discussion générale, combien le chiffre alloué pour les missions était dérisoire ; il est de 1,500 francs en moyenne pour l'université de Gand et de 1,600 francs pour l'université de Liège. C'est à peine la somme de dépenses d'un seul voyage et d'un voyage très restreint.
Je verrais avec grand plaisir M. le ministre de l'intérieur augmenter ce crédit, soit par voie d'augmentation de l'article 79, soit par une répartition mieux conçue entre les divers services auxquels doit pourvoir le crédit total de l'article 79.
A cette occasion, je demanderai que les rapports des personnes que M. le ministre charge de missions scientifiques en Allemagne, en Angleterre, en Italie, soient régulièrement publiés et publiés autrement que dans des recueils triennaux. C'a été une excellente mesure que de supprimer la partie non officielle du Moniteur ou du moins d'en retrancher tous les articles de presse ordinaire. Mais je crois qu'on pourrait avec beaucoup d'utilité insérer dans cette partie non officielle tout ce qui concerne l'administration, la politique et la littérature des peuples étrangers.
J'espère que la direction du Moniteur ne se bornera pas à reproduire dans la partie non officielle des articles de journaux français que nous pouvons tous lire dans les journaux français eux-mêmes, mais qu'elle nous donnera plus souvent des traductions d'articles de revues et de journaux scientifiques de l'Allemagne, de l'Angleterre et de l'Italie.
Il y a en Italie un mouvement intellectuel très considérable. Les universités italiennes, qui se sont réorganisées d'après les bases de l'organisation germanique, ont repris une grande activité. Il y a donc là un développement qu'il est très important de suivre attentivement et auquel on pourra faire plus d'un emprunt utile. J'engage donc M. le ministre à envoyer des missions scientifiques en Italie aussi bien qu'en Allemagne et en Angleterre et surtout à faire publier, dans la partie non officielle du Moniteur, les rapports qu'il ne manquera pas de se faire adresser.
(page 779) M. Brasseur. - Messieurs, je me proposais de traiter aujourd'hui dans cette enceinte la question de l'enseignement public à tous les degrés, enseignement primaire, enseignement moyen et enseignement universitaire. Je n'ai pas pu donner suite à ce projet, parce que j'attends de l'étranger des renseignements officiels qui me font complètement défaut aujourd'hui. Sous ce rapport, je crois devoir faire observer, et je suis convaincu que tous les membres de cette Chambre partageront ma manière de voir, que quand nous avons besoin d'un renseignement sur une grande question sociale, nous ne trouvons pas le moindre dossier aux ministères, en ce qui concerne la législation étrangère. Je me suis adressé à M. le ministre de l'intérieur pour avoir, non pas des rapports ou des ouvrages sur l'enseignement, mais le texte même des lois allemandes sur l'enseignement public.
J'ai constater, à mon grand regret, qu'il n'y a aucun document officiel au ministère de l'intérieur. Tout se borne à un ouvrage français sur l'instruction en Allemagne, de sorte que nous, qui sommes à quelques lieues de la Prusse, nous ne saurions dire quel est l'état de la législation en Allemagne sur l'instruction. Il nous faut recourir à un ouvrage écrit par un inspecteur français, ouvrage qui, pour le dire en passant, est très incomplet et en partie inexact.
Je recommande à MM. les ministres de faire venir, par voie diplomatique, les lois de chaque pays sur les grandes questions sociales dont nous pouvons être appelés à nous occuper.
Cette observation faite, je n'aborderai aujourd'hui qu'un seul point de l'enseignement universitaire, je veux parler des cours à certificat.
M. Thonissen. - Ils vont disparaître.
M. Brasseur. - Je serai heureux de pouvoir contribuer pour une faible part à leur abolition. Je tiens surtout à une abolition immédiate.
Ils n'ont pas encore disparu, mon devoir de membre de la Chambre est d'en parler. Il y a bien des abus dans nos lois, et ils existent encore !
M. Delcour. - C'est le sentiment général.
M. Brasseur. - Les cours à certificat - j'en parle en connaissance de cause ; j'ai eu, en effet, l'honneur d'appartenir pendant treize ans à l'enseignement supérieur - ont été introduits en 1857.
La législature a cru bien faire de diminuer les matières des examens, afin de renforcer l'étude des branches dites principales.
On a donc scindé les matières : quelques cours dits principaux sont restés matières à examen, le plus grand nombre des branches d'études sont devenues simplement des cours à certificat.
Pour celui qui était au courant de la question de l'enseignement, il n'y avait pas l'ombre d'un doute que l'expérience qu'on allait faire ne porterait pas des fruits heureux.
En effet, en introduisant les cours à certificat, le législateur a commis la grande faute de ne pas élargir les cours principaux et de n'en pas augmenter les exigences au point de vue des examens. Les cours dits principaux sont restés ce qu'ils étaient avant 1857, quant au nombre des leçons ; les explications du professeur sont donc restées les mêmes. Et comme ce professeur était membre du jury comme auparavant, il devait en résulter que le récipiendaire n'avait pas besoin de posséder plus de connaissances qu'antérieurement à la malheureuse loi de 1857.
On avait donc introduit le régime des certificats, sans renforcer les études des branches principales, contrairement au but qu'on s'était proposé d'atteindre.
Et voilà comment il se fait qu'aujourd'hui on devient avocat en Belgique, grâce à une pâle connaissance de trois matières : le code civil, le droit romain et le droit criminel.
Ah ! si les matières dont on voulait renforcer l'étude avaient reçu plus de développement, si, au lieu de 60 leçons, il y en avait eu 120 ou 140, si les exigences du jury avaient été plus grandes, j'aurais compris, au moins, la logique du nouveau système ; mais maintenir l'ancien état de choses pour les branches principales et abolir virtuellement l'étude des autres matières, c'était évidemment décréter l'affaiblissement des études et de l'esprit scientifique en Belgique.
Aussi, messieurs, il n'y a qu'une voix dans toute la Belgique pour dire que les cours à certificat sont complètement négligés. L'élève n'en sait pas le premier mot et cependant, parmi ces cours, il en est qui sont de la dernière importance. On s'était même trompé sur le choix qu'il y avait à faire entre les matières principales et les matières accessoires, et on devait se tromper à cet égard, car, au point de vue scientifique, toute distinction entre branches principales et branches accessoires est fausse.
Je n'entends pas adresser de reproche aux cabinets précédents ; on a voulu tenter une épreuve ; il a fallu pour cela laisser s'écouler un certain nombre d'années afin de se rendre un compte exact des résultats que produirait cette malheureuse innovation. Soit. Ne récriminons pas sur le passé. Mais aujourd'hui l'épreuve est complète, l'expérience a parlé ; nous pouvons porter un jugement sur les cours à certificat. Que dit l'expérience ?
Ecoutez le langage des autorités académiques.
Voici comment s'exprime la faculté de droit de l'université de Liège :
« La faculté s'est d'abord ralliée sans réserve à l'opinion de la commission en ce qui concerne l'abolition des certificats. A diverses reprises, elle a réclamé contre cette institution qu'elle considère comme une des plaies de l'enseignement. Elle ne peut donc qu'applaudir à leur suppression. »
Et un. peu plus loin :
« La faculté pense qu'il y a lieu de. revenir, du moins en thèse générale et sous certaines modifications qu'elle aura soin de préciser, au programme des matières établi, pour les examens de droit, par la loi du 15 juillet 1849. Elle le considère comme renfermant toutes les branches qui doivent faire partie des examens, comme assignant à chacune d'elles une mesure rationnelle, comme constituant enfin un moyen terme très sage entre le programme de la loi du 27 septembre 1835, surchargé jusqu'à la pléthore, et celui de la loi du 1er mai 1857, réduit jusqu'à l'anémie. Ce programme, d'ailleurs, n'est plus une pure combinaison théorique non encore entrée dans le domaine des faits, et sur les qualités de laquelle on puisse, par cela même, conserver quelque doute. Non, il a reçu la sanction de l'expérience ; il a été exécuté depuis 1849 jusqu'en 1857 sans aucune réclamation de la part des hommes compétents. Les plaintes qu'il a provoquées ne sont point parties des universités : elles sont venues de certains pères de famille qui, trompés sur les aptitudes ou sur le travail de leurs fils, ont cru trouver la cause de leurs insuccès devant les jurys dans un vice que la loi de cette époque ne contenait point, puisque la majorité des élèves subissait, sous l'empire de cette loi, de fructueux et souvent même de brillants examens. »
Ces considérations sont parfaitement justes : la loi de 1849 est évidemment supérieure à la loi de 1857.
Voulez-vous entendre le langage de la faculté de droit de l'université de Gand ?
« La commission, à l'unanimité, a déjà condamné le système des cours à certificat ; résolution qui doit avoir pour conséquence de faire subir devant un seul et même jury l'examen sur toutes les matières d'un même grade ; la faculté applaudit à cette mesure, dont l'université de Gand avait depuis longtemps réclamé l'adoption. »
La faculté de médecine de la même université s'exprime ainsi :
« La faculté voit avec satisfaction l'abandon du système des certificats ; elle est d'avis que les branches actuellement à certificat soient figurées aux examens publics conformément à leur importance. »
La faculté de philosophie de l'université de Gand n'est pas moins explicite à ce sujet.
« C'est pour couper court à cet inconvénient, dit le rapporteur de cette faculté, que le législateur de 1857 introduisit le régime des certificats. Aujourd'hui, ce système peut être considéré comme jugé : l'expérience a clairement démontré que les cours à certificat n'ont produit aucun fruit. Il y a donc lieu d'abolir ce système bâtard. »
La faculté de philosophie de l'université de Liège s'exprime d'une manière non moins catégorique :
« C'est en partant de ces prémisses que la faculté a passé à l'examen de la deuxième question. Avant de se prononcer sur les améliorations à introduire dans les trois groupes ci-dessus délimités, elle s'est prononcée, à l'unanimité, contre le maintien des certificats, qui n'ont pour effet que d'encourager la paresse d'esprit et de faire perdre de vue l'ensemble organique des études supérieures et la dépendance mutuelle des sciences. Abordant alors les moyens spéciaux, elle s'est attachée tour à tour aux programmes de la candidature et du doctorat. »
L'université de Louvain a tenu le même langage ; et, d'après une note que j'ai sous les yeux, le recteur de cette université a déclaré, se rallier au rapport fait par l'université de Liège, en ce qui concerne du moins le régime des certificats.
Voulez-vous connaître l'opinion de l'université de Bruxelles ? Voici comment s'exprime la faculté de philosophie et lettres :
(page 780) En abordant l'examen des matières de la candidature, la faculté ne peut se défendre d’exprimer l'opinion que les lois du 13 juillet 1849 et du 1er mai 1857, en organisant les jurys combinés, en établissant des certificats et en réduisant outre mesure les examens, ont porté un coup funeste à l’enseignement supérieur et à l'esprit scientifique de la jeunesse et qu'il n’existe qu'un seul moyen d'atténuer le mal et de le réparer progressivement, c'est de renforcer les études. Avant 1849, l'examen de la candidature comprenait quatorze branches ; depuis 1857, elle n'en comprend plus que quatre. Entre ces deux extrêmes, il y a une juste mesure à établir. L'examen, selon nous, devrait porter sur huit branches. »
Vous connaissez tous le remarquable discours qui a été prononcé, il y a quelque temps, par un homme dont la Belgique s'honore à juste titre et qui jouit d'une réputation universelle en Europe. Je veux parler de l'illustre professeur Gluge, de l'université de Bruxelles. Eh bien, voici l'opinion de ce professeur, qui connaît l'Allemagne, et qui sait à quelle hauteur l'enseignement universitaire s'y est élevé.
« J'arrive maintenant aux ombres du tableau, et j'ai besoin de toute votre indulgence pour pouvoir dire toute ma pensée ; eh bien, dans ma conviction intime, malgré le zèle et le grand talent des professeurs des quatre universités, les études sont en décadence ; les élèves qui sortent de nos universités sont moins forts qu'il y a vingt ans ; sans doute, le nombre de jeunes gens distingués que nos universités ont formés est encore assez considérable, mais la masse ne possède pas ces connaissances et cet esprit scientifique qu'on trouve en Allemagne et même en Hollande.
« On a prétendu que le pays était peu disposé aux sciences et plus porté vers l'art et l'industrie. Rien n'est moins exact. La Belgique moderne a produit un grand nombre de savants qui font honneur à leur patrie.
« La cause, il me semble, est ailleurs : d'abord dans le peu de respect dont on entoure le corps enseignant et les institutions scientifiques ; une seconde cause est la mauvaise organisation des examens. Pour permettre aux élèves d'approfondir les branches principales, les cours furent ensuite divisés (1857) en cours principaux et en cours à certificat. Quel a été le résultat de cette merveilleuse loi, prorogée tant de fois avec une négligence, qu'on ne trouve chez nous que dans les choses de l'enseignement supérieur ? La décadence des études universitaires.
« Dans les jurys combinés, deux universités, j'allais presque dire deux rivales, se trouvent ensemble et tâchent, c'est la nature humaine qui le veut ainsi, de faire prévaloir chacune ses élèves, c'est-à-dire d'en faire admettre le plus grand nombre et avec le grade le plus élevé. Quelquefois, les universités s'entendent, alors on accorde beaucoup de distinctions ; d'autres fois, surtout si les universités se recrutent dans les mêmes parties du pays, il y a des luttes et des scènes désagréables ; et que devient la science ? Les élèves savent moins qu'il y a treize ans dans les branches principales ; rien ou presque rien dans les cours à certificat. Ces cours sont souvent mal choisis, parce que les hommes politiques ne sont pas obligés d'être des savants, et que la Belgique n'a pas de ministère de l'instruction publique, peut-être aussi nécessaire pourtant que celui de la guerre. C'est ainsi que pour la faculté de médecine, l'anatomie pathologique, c'est-à-dire la science dont dépend la connaissance du siège des maladies, l'hygiène, l'art de les prévenir, sont des cours à certificat. Le but essentiel de nos universités devient de plus en plus le métier de remplir la mémoire des élèves d'un certain nombre de faits qu'ils peuvent étaler devant les examinateurs pour les oublier bientôt. Aussi, les universités ne possèdent pas les institutions fécondes annexées aux universités allemandes et que tend à se donner la France ; ces institutions sont destinées à guider les élèves dans leurs travaux et à développer leur jugement scientifique ; elles existent pour les lettres comme pour les sciences et permettent aux jeunes gens de prendre une part active aux recherches scientifiques. En Belgique, le professeur peut se borner à donner un résumé de la science qu'il est chargé d'enseigner ; ses autres qualités sont souvent sans influence sur la fréquentation des cours. Tandis que dans d'autres pays un professeur célèbre attire des centaines d'élèves, chez nous on ne voit rien de pareil. Permettez-moi, messieurs, de vous citer un seul exemple : en 1858, le gouvernement appela à une chaire de chimie d'une université de l'Etat un des chimistes les plus distingués de notre époque, qui avait puissamment contribué par ses travaux à la réforme des théories chimiques ; cette dernière circonstance seule aurait dû attirer un grand nombre d'élèves ; il n'en fut rien. Il avait trouvé la faculté des sciences en possession de vingt-trois élèves ; lorsque neuf ans plus tard il partit, il la laissa en possession de vingt et un, très heureux de retrouver dans sa patrie un auditoire plus empressé. Excepté pour les cours qui préparent aux examens et que les programmes indiquent avec une admirable complaisance, il n'y a plus place pour rien dans nos universités, aussi le nombre des personnes qui les fréquentent dans le seul but de cultiver leur esprit est fort restreint. Devant vous, messieurs, il suffit d'affirmer combien il est urgent de prévenir la décadence totale de nos études universitaires. »
Eh bien, messieurs, je pense qu'en présence de cette unanimité de toutes les autorités académiques, des universités de l'Etat comme des universités libres, il ne doit y avoir qu'une voix, dans cette enceinte, pour condamner les cours à certificat. Je demande, en conséquence, qu'on revienne immédiatement, hic et nunc, au régime de la loi de 1849. Nous n'avons pas de temps à perdre ; nous ne devons pas mêler cette affaire des matières à certificat avec la loi sur les jurys d'examen.
Cette dernière ne sera peut-être votée que dans un certain nombre d'années et nous aurions jusque-là le régime des cours à certificat.
Rien n'est plus facile que de consacrer immédiatement l'amélioration qui est réclamée de toutes parts. Qu'on prenne la loi de 1857, et qu'on déclare que les matières à certificat qui y sont mentionnées redeviennent des matières à examen, comme sous la loi de 1849, et tout sera dit.
Vous pouvez, messieurs, être convaincus que vous aurez rendu, par là, un service signalé à votre pays et à l'enseignement universitaire en particulier.
Savez-vous, messieurs, quelles sont les matières à certificat ? C'est à peine croyable. Dans la faculté de philosophie : l'histoire de la littérature française, l'histoire politique du moyen âge, l'histoire politique de la Belgique, la logique, la philosophie morale, c'est-à-dire un des cours les plus importants, parce qu'il nous enseigne, à nous tous, les devoirs que nous avons à remplir envers nous-mêmes, envers Dieu et envers nos semblables ! Oui, messieurs, le cours de morale est un cours à certificat !
En médecine : l'anatomie pathologique, c'est-à-dire la science dont dépend la connaissance du siège des maladies ; l'hygiène, c'est-à-dire l'art de prévenir les maladies ; ces deux cours, les plus importants, sont déclarés cours à certificat ! Sont encore cours à certificat : les éléments d'anatomie comparée, la pathologie générale et la médecine légale !
En droit, l'anomalie est plus grande encore ; comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, en Belgique on devient avocat par la connaissance de trois branches réparties en trois années d'études.
Sur douze matières, neuf cours sont des cours à certificat. Et savez-vous quelles sont ces matières appelées accessoires ? L'encyclopédie du droit, science excessivement importante, l'exposé des principes généraux du code civil, c'est-à-dire l'étude des principes du code civil. En Allemagne et partout ailleurs, un homme ne devient fort que quand il connaît les principes d'une science. Dès que l'élève connaît bien les principes, il' peut parfaitement se passer du maître et étudier seul tous les détails de cette science. Chez nous, l'étude des principes du code civil est déclarée matière à certificat !
Est encore matière à certificat, le droit public, c'est-à-dire l'étude de notre propre Constitution qui constitue la base de nos libertés publiques. L'économie politique, qui gagne tous les jours d'importance, est matière à certificat ; la procédure civile, matière à certificat.
Le droit commercial, un des cours les plus importants au point de vue de la pratique, surtout pour un pays commercial et industriel comme l'est la Belgique, est un cours à certificat !
Vous comprendrez aisément, messieurs, qu'en présence de pareilles aberrations, il convient de remédier immédiatement au mal. Je m'adresserai donc à M. le ministre de l'intérieur pour lui demander s'il a l'intention d'abolir le régime des certificats, non pas dans un délai plus ou moins rapproché, mais immédiatement, sans retard aucun. Je ne me contente pas de vagues promesses.
Je lui demanderai, en même temps, s'il est d'intention de réviser la loi sur le jury d'examen. L'épreuve aujourd'hui doit être complète, le gouvernement doit savoir à quoi s'en tenir sous ce rapport.
Toutefois, je reconnais que cette question est excessivement délicate ; elle présente de grandes difficultés ; on se trouve en présence de plusieurs systèmes. Que M. le ministre de l'intérieur étudie cette question, je le conçois parfaitement bien ; mais ce que je demande, messieurs, au nom des intérêts les plus chers du pays, c'est qu'on abolisse immédiatement les cours à certificat, sauf, s'il le faut, à maintenir encore pendant quelque temps le statu quo pour les jurys d'examen.
Il reste entendu que les élèves qui sont engagés actuellement dans les études doivent passer leurs examens sous le régime actuel : la nouvelle loi ne recevrait son application que l'année prochaine.
Si M, le ministre veut nous promettre, dans le cours de cette session, l'abolition des cours à certificat pour en faire des matières à examen, je me déclare, pour ma part, très satisfait, et je crois pouvoir lui garantir qu'il aura bien mérité de la science.
(page 770) M. Delcour. - J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu M. Brasseur s'élever avec beaucoup de raison contre les cours à certificat. Cette question est étudiée depuis longtemps ; je puis dire qu'elle est arrivée à un tel degré d'avancement qu'elle pourrait être résolue d'une heure à l'autre.
En 1861, l'honorable M. Rogier nomma une commission chargée de procéder à un travail de révision de la loi sur l'enseignement supérieur. J'ai eu l'honneur de faire partie de cette commission et déjà alors nous étions unanimes pour demander la suppression des cours à certificat.
Depuis lors la Chambre a voulu faire une nouvelle épreuve ; la législature a voté, en 1864, un projet de loi qui avait pour but d'assurer la fréquentation des cours à certificat ; les certificats doivent constater que les élèves ont suivi les cours avec fruit.
Eh bien, messieurs, ce but si louable n'a pas été atteint. Si les cours ont été un peu mieux fréquentés, le résultat des études n'a pas été meilleur ; les élèves ont fréquenté les cours, mais ils ne les ont point étudiés.
(erratum, page 803) Il n'y a qu'une voix à cet égard dans le corps enseignant. J'ai concouru à l'exécution de la loi depuis 1857 ; je l'ai vue fonctionner dans tous ses détails et je puis déclarer que, pendant ce grand nombre d'années, je n'ai pas rencontré un seul professeur qui n'ait point demandé la révision de la loi de 1857.
Pour moi, la question est jugée et je me joindrai à l'honorable M. Brasseur pour prier M. le ministre de l'intérieur de vouloir, dans le cours de cette session, présenter à la Chambre un projet de loi qui mette un terme à un vice incontestable.
Qu'espérait-on en retranchant de l'examen public certains cours ? On espérait engager les élèves à étudier avec plus de soin les matières dites principales. Or, ici encore l'expérience a démontré qu'on s'est fait une véritable illusion. Telle est la vérité, constatée par une pratique constante. J'entre dans l'ordre d'idées que l'honorable M. Sainctelette a développées dans une séance précédente, et je voudrais, avec, lui, rendre l'enseignement universitaire le plus scientifique possible. Sous ce rapport encore, les cours à certificat ont exercé une funeste influence.
Cependant, il faut être juste ; nous ne devons rien exagérer ; si l'établissement des cours à certificat a eu un résultat défavorable sur l’étude de certaines matières, il n'est pas exact de dire que les études universitaires se sont affaiblies en Belgique depuis la réorganisation de l'enseignement supérieur. Non, messieurs ; et je tiens à combattre un préjugé qui se répand trop dans le pays.
On attribue à notre enseignement supérieur des conséquences qu'il n'a pas produites. Il est certain pour moi que, depuis 1835, époque où l'on s'est occupé de la réorganisation de l'enseignement supérieur, il s'est produit, en Belgique, un mouvement scientifique des plus sérieux ; ce point n'est pas douteux.
Parcourons ensemble la situation du pays.
(erratum, page 803) Depuis 1837, les universités se sont recrutées de nouveaux professeurs, et nous pouvons le dire en toute sincérité, le nouveau personnel enseignant n'est pas inférieur au personnel ancien.
Si je passe à un autre ordre scientifique, si, par exemple, je considère nos tribunaux, j'y trouve un nombre considérable de jurisconsultes qui sont sortis de nos universités et qui, certainement, font l'honneur de la magistrature belge.
Messieurs, si vous jetez les yeux sur le corps médical, vous y trouverez les mêmes résultats. Je m'élève, avec toute la force d'une expérience longuement acquise, contre un bruit qui ne peut pas s'accréditer pour l'honneur du pays. Non, depuis 1857, depuis la réorganisation de notre enseignement supérieur, il n'y a pas eu affaiblissement dans les études en Belgique.
Mais, si je consulte l'état de notre littérature nationale, je constate un nouveau progrès, je rencontre des ouvrages considérables dans toutes les sciences, et que l'étranger admire.
L'honorable M. Julliot était dans une profonde erreur lorsqu'il disait à la Chambre, il y a quelques jours, que les études en Belgique s'étaient considérablement affaiblies par suite du mauvais système admis pour les examens universitaires.
J'ai siégé dans tous les jurys d'examen, j'ai suivi de près les résultats de l'enseignement, et j'affirme que les études ont gagné et que les examens universitaires ont étendu considérablement le cercle des études universitaires.
Permettez-moi de vous citer un fait.
Il y a quelque temps, j'assistais, à Paris, à un examen de droit. Le récipiendaire était interrogé sur le droit romain. Vous savez, messieurs, qu'en France le cadre de l'examen ost fixé par un programme connu de l'élève ; je vis ce programme, j'entendis l'interrogatoire ; je quittai, messieurs, avec la conviction que si un élève avait répondu, chez nous, comme l'avait fait le récipiendaire en question, il n'eût point été admis.
- Un membre. - A-t-il été reçu ?
M. Delcour. - Oui, il a été reçu.
Je suis loin de dire que notre organisation est parfaite, mais je ne veux pas qu'on lui impute des résultats qu'elle ne mérite pas.
Pour améliorer noire enseignement supérieur, commençons par rendre à l'examen les cours à certificat, et nous aurons déjà fait quelque chose.
L'honorable M. Sainctelette a émis une autre idée sur laquelle je me permets d'appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur. L'honorable membre s'est plaint que la rigueur de nos programmes universitaires s'oppose à ce que des jeunes gens ne puissent suivre à l'université certains cours spéciaux, sans pouvoir faire constater par un examen le succès de leurs études.
Il y a peut-être une lacune sous ce rapport ; la lacune, n'est cependant pas aussi considérable que l'a supposé l'honorable M. Sainctelette.
Un jeune homme peut venir aux universités suivre les cours qu'il juge convenable ; il peut s'y livrer à ses études de prédilection, à des études historiques, politiques, etc. ; il a, sous ce rapport, la plus grande liberté.
(page 771) Les universités libres accordent aux jeunes gens les plus grandes facilités sous ce rapport ; il suffirait, si les règlements des universités de l'Etat laissent à désirer sons ce rapport, de permettre aux professeurs de procéder à un examen et d'en constater le résultat dans un diplôme qui serait remis à l'élève.
J'espère que M. le ministre pourra faire droit à la demande de l'honorable membre et je l'engage à accorder toutes les facilités possibles aux jeunes gens qui désirent acquérir des connaissances spéciales.
Messieurs, je crois inutile, pour le moment, de discuter les autres questions qui se rattachent à l'enseignement supérieur.
L'honorable ministre nous présentera, j'espère, avant peu, un projet de loi pour supprimer les cours à certificat, et peut-être, pour introduire dans l'enseignement quelques autres modifications propres à réaliser de nouveaux progrès.
Nous aurons alors l'occasion de discuter les diverses questions générales. Il en est une cependant que je l'engage à ne pas soulever maintenant, c'est celle relative ù la composition des jurys d'examen.
Le système des jurys combinés, qui fonctionne depuis 1849, est loin de mériter tous les griefs qu'on élève contre lui.
Sans doute, il n'est point parfait : je connais ses vices ; il faut reconnaître cependant qu'il présente certains avantages.
Nous devons ce système à l'honorable M. Rogier. Il renferme un principe auquel nous devons tous tenir, c'est l'égalité entre l'enseignement libre et l'enseignement officiel, car, vous n'ignorez pas, messieurs, que les professeurs des établissements libres siègent dans les jurys en nombre égal avec les professeurs de l'enseignement officiel.
Il n'y a pas de question sur laquelle les opinions soient moins fixées.
Les uns veulent le jury central ; les autres veulent le jury professionnel ; parmi les partisans du jury professionnel, les uns veulent un jury professionnel proprement dit, tandis que d'autres voudraient y introduire des éléments scientifiques ; ce sont là des questions d'une gravité extrême, et je prie M. le ministre de ne pas compliquer une solution à laquelle nous tenons tous par des discussions qui ne pourraient pas aboutir actuellement.
En supprimant les cours à certificat et en augmentant la durée des études universitaires, M. le ministre rendra un grand service au pays et à l’enseignement public.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, je viens joindre ma voix à celle des honorables MM. Brasseur et Delcour pour engager l'honorable ministre de l'intérieur à proposer, sans retard, à la Chambre un projet de loi qui abolisse, d'une façon radicale, les cours à certificat.
Cette question pour moi n'est pas nouvelle.
Il y a dix ans déjà, j'ai eu l'honneur d'en entretenir la Chambre.
Dès cette époque, on pouvait considérer le système des cours à certificat comme condamné par l'opinion de tous les hommes compétents.
Dans la séance du 31 janvier 1861, j'ai cru un instant que la lutte assez longue que j'avais soutenue alors sur cette question allait aboutir à un résultat heureux.
J'avais, en effet, eu la chance de faire admettre, dans cette séance, comme disposition additionnelle au projet de loi établissant le titre de gradua en lettres, un article ainsi conçu :
« A partir de la première session de 1862 (il s'agit de la session du jury), les matières considérées comme matières à certificat dans la loi du 1er mai 1857 seront ajoutées aux matières d'examen énumérées dans la même loi, pour chacun des grades académiques, et feront l'objet tant de l'épreuve écrite que de l'épreuve orale. »
Cette disposition avait été adoptée par 43 voix contre 34 ; c'était la rédaction en style législatif des idées qui viennent d'être défendues par M. Brasseur. Mon succès malheureusement n'a pas été très durable. Au second vote on remplaçait la disposition que j'avais eu l'honneur de faire adopter d'abord, par un paragraphe additionnel à l'article premier de la loi qui était ainsi conçu :
' « Le système d'examen établi par la même loi (la loi de 1857) sera révisé avant la deuxième session de 1862. »
Mais l'honorable ministre de l'intérieur de cette époque, M. Rogier, en substituant cette disposition à celle que j'avais fait accueillir au premier vote, condamnait le système des cours à certificat, comme je l'avais fait moi-même et comme l'avaient fait plusieurs même des orateurs qui me combattaient.
Seulement, au lieu d'une solution qu'il trouvait trop radicale et qui, selon lui, avait le défaut de se présenter d'une manière incidente, il demandait un ajournement ; il voulait examiner s'il ne fallait pas, en supprimant les cours à certificat, modifier aussi la répartition des matières.
Nous sommes à plus de dix ans de là et la révision qui devait être faite dans la deuxième session de 1862 n'est pas encore réalisée.
Je rappelle ce souvenir à la Chambré pour qu'elle se convainque bien de l'inconvénient que présentent les ajournements en cette matière ; avec les ajournements nous ne savons pas où nous allons ; nous pensions, en 1861, que les cours à certificat n'en avaient plus que pour une année ; ils vivent encore.
Eh bien, qu'on se dépêche enfin de les abolir et de consacrer définitivement par une loi une amélioration jugée indispensable depuis 1861.
M. Vleminckx. - Je ne crois pas que le moment soit venu d'entrer dans l'examen des questions qui viennent d'être développées par les honorables MM. Brasseur, Delcour et Van Humbeeck. Bientôt, je l'espère, un projet sera soumis à la Chambre sur les matières des examens ; lorsque nous serons en présence de ce projet, les divers systèmes qui se sont déjà produits dans cette Chambre, pourront être discutés avec tout le soin qu'ils réclament. Je puis cependant dire dès maintenant, sans commettre une indiscrétion, je pense, que la commission nommée par l'honorable ministre de l'intérieur à l'effet de réviser le programme des examens universitaires, a décidé à l'unanimité que les cours à certificat doivent être supprimés.
Je viens à l'article du budget relatif aux bourses dont a parlé l'honorable M. Sainctelette ; je me rallie à la plupart des considérations qu'a fait valoir l'honorable membre, mais je suis plus radical que lui : je ne veux de demi-bourses à aucun prix ; je crois qu'elles ne serviraient à rien du tout, et qu'en les conférant d'ailleurs à ceux qui déjà depuis un an et plus longtemps peut-être se trouvent dans les conditions voulues pour obtenir des bourses entières, on commettrait une injustice.
Il y a des conditions déterminées pour obtenir des bourses de voyage ; ces conditions ont été remplies par un grand nombre d'étudiants ; ils ont donc en quelque sorte un droit acquis pour en jouir.
C'est déjà un premier motif qui me semble devoir faire repousser la proposition de la section centrale ; mais il y en a un autre plus important encore, c'est que les demi-bourses ne serviraient littéralement à rien, je viens de le dire. Les bourses ne sont pas accordées dans l'intérêt de ceux qui les reçoivent, mais dans l'intérêt du pays ; il faut que ceux qui les obtiennent, aillent recueillir dans des pays étrangers les connaissances qui peuvent leur manquer, les uns pour l'exercice de la profession d'avocat ou de médecin, les autres pour se vouer au professorat.
Que voulez-vous qu'ils fassent avec une demi-bourse en présence des nécessités si nombreuses auxquelles ils ont à pourvoir à l'étranger ?
J'aimerais mieux qu'on ne donnât pas de bourse du tout cette année, si l'on ne peut pas donner des bourses entières.
Le pays ne peut évidemment recueillir aucun fruit du système parcimonieux que l'on veut inaugurer. Les jeunes gens envoyés à l'étranger resteraient ce qu'ils étaient à leur départ et le pays dépenserait, en pure perte, les fonds qui seront employés de cette façon. Je voterai donc contre l'amendement de la section centrale et j'aime encore à croire que M. le ministre de l'intérieur ne s'y ralliera pas.
M. Muller. - C'est également le poste relatif aux bourses universitaires de voyage qui m'a fait demander la parole.
En section centrale, je n'ai pas voté pour la modification qui était proposée parce que je ne la trouvais nullement justifiée.
Il importe, messieurs, pour que la Chambre puisse apprécier dans quelles circonstances la proposition de M. le ministre de l'intérieur a été faite, de donner lecture de la lettre qu'il a adressée à la section centrale. La voici :
« Bruxelles, le 11 décembre 1870.
« Monsieur le président,.
« L'article 43 de la loi sur l'enseignement supérieur porte que les bourses destinées à faciliter la visité Rétablissements étrangers sont données pour deux ans.
« Mon département a été saisi de la question de savoir s'il n'y avait pas lieu, en présence des événements extérieurs, d'ajourner d'une année, aux termes de l'article 44, la collation de ces bourses.
« Je n'ai pas cru devoir me ranger à cette opinion parce qu'il pourrait arriver que les jeunes gens qui ont mérité cet encouragement en considérassent l'ajournement comme nuisible à leur carrière. Néanmoins les circonstances actuelles limitant le nombre des pays que les boursiers peuvent visiter, il serait à désirer qu'on pût diviser les bourses de deux ans en demi-bourses d'un an. Cela permettrait d'étendre cette faveur à un plus grand nombre de jeunes gens qui en sont dignes, et il est à remarquer que l'expérience a fait connaître que dans un grand nombre de cas les boursiers, après un an d'absence, désiraient rentrer dans leur pays.
(page 772) « L'un des jurys universitaires, saisi d'un vœu formulé en ce sens par deux jeunes gens réunissant les conditions prescrites par l'article 42, a cru devoir l'appuyer et je le recommande à l'attention de la section centrale. »
La première considération qui m'a décidé en section centrale à ne pas accepter cette innovation, c'est que les autorités académiques n'avaient pas été consultées. Un seul jury universitaire a adressé cette proposition à M. le ministre de l'intérieur ; et, comme vous l'aurez remarqué, c'est uniquement à raison de circonstances exceptionnelles qu'on a eu l'idée de convertir facultativement en deux bourses d'une année chaque bourse de deux années.
Or, il s'agit ici de bourses à conférer en 1871 ; et, la paix étant maintenant rétablie, aucun motif ne pourra empêcher les titulaires des bourses de se rendre en Allemagne ou en France.
Mais, à propos de cet article, je dois rappeler qu'il y a quelques années je me suis plaint, au sein de la Chambre, de l'insuffisance du nombre des bourses universitaires de voyage, fixé par l'article 35 de la loi du 13 juillet 1849.
Pour prétendre à ces bourses, il faut avoir obtenu le grade de docteur avec la plus grande distinction.
Or, messieurs, il est arrivé, non pas une année, mais plusieurs années de suite, qu'une foule de concurrents se présentaient après avoir reçu avec la plus grande distinction, non seulement le grade de docteur, mais celui de candidat. Un de ces docteurs s'étant plaint à moi de n'avoir pas obtenu la bourse de voyage, j'adressai une réclamation au ministre de l'intérieur d'alors, l'honorable M. Vandenpeereboom ; il me répondit en m'envoyant une liste de onze docteurs étant tous dans les conditions de la loi, et entre lesquels il avait dû choisir, en descendant successivement jusqu'au diplôme de gradué en lettres.
M. Vandenpeereboom. - Plusieurs de ces docteurs avaient obtenu la plus grande distinction dans tous leurs examens.
M. Muller. - L'article 35 de la loi de 1849 qui limite le nombre des bourses de voyage, les répartit de la manière suivante : deux pour les docteurs en droit et en philosophie et lettres, et quatre pour les docteurs en sciences et en médecine, c'est-à-dire six bourses en tout pour les quatre universités du pays.
Je dis qu'il y a là une parcimonie, une avarice qui n'est réellement digne ni du gouvernement, ni de la nation, parcimonie ou avarice qui, en définitive, occasionne un véritable leurre à une foule de jeunes gens qui croient avoir acquis le droit de jouir d'une bourse puisqu'ils se trouvent dans les conditions de la loi et à qui l'on répond : « Il faut vous en passer, les six bourses sont données à de plus méritants. »
Au lieu de diviser les bourses, on ferait mieux de les augmenter : c'est ce qui, à mes yeux, est indispensable.
En second lieu, une bourse de deux mille francs, avec la condition de deux années de voyage ou de séjour à l'étranger, ne constitue qu'une ressource insuffisante pour les jeunes gens appartenant à des familles peu aisées ; il est, en effet, impossible avec mille francs de passer un an en Allemagne ou à Paris, de payer des cours, s'il y a lieu. Car on n'obtient pas toujours facilement la fréquentation gratuite. Qu'en résulte-t-il ? C'est qu'il y a des jeunes gens très distingués n'ayant pas de fortune, et qui sont forcés de renoncer à une bourse qu'ils ont méritée, ou d'écourter le temps de leurs études à l'étranger.
En résumé, je pense qu'il y a lieu de renoncer à l'idée de diviser les bourses.
Mais ce que M. le ministre de l'intérieur pourrait faire, ce que je recommande à sa sollicitude et à celle de la Chambre, c'est de doubler le nombre des bourses de voyage et d'augmenter le nombre de ces bourses.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je reconnais bien volontiers, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Delcour, que les professeurs ont rempli leur tâche avec le plus grand zèle ; et personne n'oserait soutenir que chez la jeunesse le goût des études n'est pas aussi vif aujourd'hui qu'il l'était autrefois. Cependant tout le monde est d'accord pour constater une situation profondément regrettable.
L'honorable M. Brasseur, dans quelques lignes qu'il a reproduites, a fait remonter jusqu'au gouvernement et jusqu'à la législature la responsabilité de ce qu'on appelait, si j'ai bien compris, une négligence coupable.
L'honorable M. Van Humbeeck, d'autre part, a pu vous rappeler tout à l'heure que l'on constatait déjà, il y a dix ans, cette situation essentiellement mauvaise.
M. Brasseur. - J'ai lu un rapport.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai cité ce rapport.
L'honorable M. Van Humbeeck, disais-je, a rappelé tout à l'heure qu'il y a dix ans déjà, il s'était fait, dans cette enceinte, l'organe des mêmes réclamations, et cependant, messieurs, depuis lors cette situation s'est prolongée, sans qu'on y portât remède.
J'ai ici sous les yeux un rapport de l'honorable M. Vleminckx, déposé à la Chambre au mois de mai 1869, où l'on expose que le système des certificats n'a produit que des résultats négatifs et dont la conclusion toutefois n'est autre que la prolongation, pendant deux années de plus, du système d'examens établi par la loi du 1er mai 1857.
Messieurs, dans une de nos dernières séances, l'honorable M. Sainctelette m'a reproché de ne pas être entré au ministère de l'intérieur avec des idées préconçues, avec des formules arrêtées d'avance.
Ce. que je puis dire, c'est qu'ayant été plus ou moins le témoin de cet affaissement des études, ayant pu par moi-même, dans bien des circonstances, apprécier combien il était regrettable qu'on étendît sur le niveau intellectuel des générations un système d'examens qui, au lieu de les élever, en retardait ou en ralentissait les progrès, je n'ai point perdu de vue qu'il y avait quelque chose à faire, qu'il y avait pour le gouvernement, un devoir à remplir ; mais je n'ai pas cru qu'il m'appartint de régler seul dès ce moment quelles étaient les mesures à prendre, et, dût-on me reprocher encore d'avoir constitué une commission, je me félicite d'y avoir appelé les hommes les plus éminents du pays, des hommes qui, par une longue suite d'étludes, par une expérience qui est au-dessus de toute contestation, pouvaient mieux que personne juger ce qu'il y avait de mauvais dans la situation et apprécier quels étaient les remèdes qu'il convenait d'y apporter.
Rappellerai-je, messieurs, quels sont les membres de cette commission et ne reconnaîtrez-vous pas avec moi que lorsque le gouvernement s'appuie sur de telles autorités il est bien plus fort que s'il apportait ici de nouveaux projets fondés sur son initiative isolée ?
Dans cette commission, la philosophie est représentée par MM. Laforêt, Fuerison, Dequesne, Loomans, Veydt.
Le droit, par MM. Haus, Grandgagnage, Faider, Bastiné, de Laveleye et parmi de nos collègues, qui me permettra de rappeler son nom, par l'honorable M. Thonissen.
Pour les sciences, on y compte MM. Van Beneden, Dewalque, Schmidt et Valerius.
Enfin, la médecine y est représentée par notre honorable collègue M. Vleminckx et par MM. Gluge, Spring, Hairion et Dumoulin.
Non seulement ces messieurs se sont réunis à diverses reprises, mais toutes les universités du pays, par des délibérations dont j'ai ici le texte, se sont associées aux travaux de cette commission.
Comme l'honorable M. Vleminckx le rappelait tout à l'heure, le premier résultat de. cet examen a été qu'il fallait proscrire désormais le système des certificats.
Aussi, messieurs, je réponds bien volontiers aux interpellations qui m'ont été adressées, en déclarant que, dans la pensée du gouvernement, la Chambre ne sera plus saisie d'aucune demande de prolongation de la loi du 1er mai 1857. Nous lui demanderons d'appliquer à la session de 1872 les règles nouvelles qui nous seront proposées par la commission actuellement instituée, et nous espérons que, le système de certificats venant à disparaître, l'enseignement entrera dans une voie que tout le monde jugera plus utile et meilleure.
Messieurs, deux autres questions m'ont été adressées ; l'une, soulevée par l'honorable M. Sainctelette, concerne les études géographiques ; l'autre, relative aux bourses de voyage, a été traitée successivement par l'honorable M. Sainctelette et par l'honorable M. Muller.
En ce qui touche la première question, j'ai eu l'honneur de recevoir une députation à laquelle s'est joint l'honorable représentant de Mons, et plus récemment j'ai prêté la plus complète attention aux paroles qu'il a prononcées.
Je reconnais qu'aujourd'hui plus que jamais l'étude de la géographie est essentielle. Mais je me demande si c'est seulement dans les études supérieures qu'il faut s'en occuper. Je pense que non seulement dans les études supérieures, mais aussi dans les athénées, mais aussi dans les écoles normales et jusque dans les écoles primaires, il faut étendre davantage, parmi tous ceux qui étudient à différents degrés, la connaissance des hommes et des temps au milieu desquels ils sont appelés à vivre.
Quant à la chaire supérieure de géographie, je n'ai pas compris (page 773) exactement, je l'avoue, quelle était la formule adoptée par l'honorable M. Sainctelette.
Il m'a paru quelquefois qu'il étendait outre mesure l'enseignement de cette chaire. Il m'a paru parfois qu'il y attachait des idées si vastes, que ce serait en quelque sorte réserver à cette chaire l'introduction à la science universelle. On y exposerait non seulement les connaissances actuelles, mais on chercherait aussi à déterminer, dans l'ordre chronologique et dans l'ordre scientifique, tout ce qui prépare à l'étude de toutes les sciences.
J'ai peut-être mal compris l'honorable membre, mais je puis lui promettre que ses observations ne seront pas perdues de vue et qu'elles seront soumises à l'examen du conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur. Ce ne sera qu'à cette époque que je pourrai prendre vis-à-vis la Chambre l'engagement de donner suite au vœu émis par l'honorable membre.
En ce qui touche la dernière question, l'honorable M. Muller a rappelé que la lettre adressée à la section centrale avait été écrite dans des circonstances exceptionnelles. Néanmoins le jury qui avait soulevé cette question, ne s’était pas placé au point de vue de ces circonstances spéciales ; mais, il faut bien le dire, il s'était trouvé en présence de deux jeunes gens méritant toute sa sollicitude, et comme le jury prévoyait que par suite du petit nombre de bourses qu'on pouvait conférer, un seul de ces jeunes gens réussirait à en obtenir une, ce jury s'était laissé dominer par la pensée qu'en la partageant, on pourrait faire deux heureux.
C'était un peu aussi peut-être la pensée du gouvernement, quand il adressait à la section centrale la lettre dont l'honorable M. Muller vous a donné lecture. Car, il faut le reconnaître, il y a aujourd'hui un grand nombre de jeunes gens qui ont passé quatre ou cinq examens avec la plus grande distinction et à qui le gouvernement ne peut accorder de bourses.
M. Vleminckx. - Il faut en demander un plus grand nombre.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Si la Chambre était disposée à entrer dans cette voie, le gouvernement verrait avec gratitude augmenter l'allocation annuelle, afin de pouvoir conférer quelques bourses de plus. Je puis donner à la Chambre l'assurance que ce seraient des jeunes gens déjà signalés par des études sérieuses, qui profiteraient de ces bourses.
M. Vleminckx. - Des bourses entières.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - En cet état de choses, je ne persisterais pas à demander que les bourses fussent divisées. On obtiendrait certainement de meilleurs résultats au moyen de quelques bourses entières de plus à conférer.
Je pense donc répondre au désir de l'honorable membre en annonçant l'intention de saisir la Chambre d'une mesure législative qui serait conçue dans ce sens. Dès lors, il n'existe plus de motif de maintenir la modification que j'avais proposée.
M. Sainctelette. - Messieurs, l'objet d'un cours de géographie est parfaitement défini : c'est la description physique de la terre et aussi l'ethnographie. Des cours de géographie physique existent dans toutes les universités de la Prusse et dans la plupart des universités des autres pays allemands.
En France même, il y a une chaire de géographie au Collège de France et le dernier ministre de l'instruction publique, M. Duruy, avait fondé à Nancy une chaire de géographie, dont le cours n'a pu être inauguré.
Pour se faire une idée exacte des limites de la géographie, il suffit donc de consulter les cours allemands.
Quant aux observations que j'ai présentées pour montrer quelle peut être l'utilité des connaissances géographiques, elles n'ont pas le moins du monde la portée d'une définition scientifique. J'ai fait remarquer, au contraire, que je me bornais à demander la création d'une chaire, en réservant pour une discussion ultérieure les questions de savoir à quelle faculté et à quel examen on rattacherait le cours.
A plus forte raison, me suis-je abstenu sur la question du programme.
Je désirerais qu'on pût ouvrir ce cours dès le 1er octobre prochain. J'y insiste d'autant plus que je partage complètement l'opinion de M. le ministre sur la nécessité d'introduire ou de développer l'enseignement de la géographie dans les collèges et dans les écoles primaires ; mais encore une fois pour avoir des professeurs soit dans l'enseignement moyen, soit dans les écoles normales, il faut commencer par les former.
Ce n'est qu'après deux ou trois ans d'enseignement universitaire que vous aurez des professeurs d'enseignement moyen ou des instituteurs capables d'enseigner la géographie comme on l'enseigne en Allemagne.
Je demande donc à la Chambre de vouloir bien augmenter de 6,000 francs le crédit de l'article 75, afin de fournir à M. le ministre de l'intérieur le moyen de créer, dans les universités, les chaires de géographie dès le l'r octobre prochain.
M. Muller. - Je crois que la Chambre a donné une adhésion en quelque sorte unanime à l'intention manifestée par M. le ministre de l'intérieur d'accroître le nombre des bourses universitaires de voyage.
Je désire, qu'il réalise cette promesse dans le cours de la présente session, et j'attire son attention sur le point de savoir dans quelle proportion les bourses, accrues en nombre, devront ou pourront être réparties entre les diverses facultés. Actuellement, deux sont attribuées à des docteurs en droit et en philosophie et lettres, et quatre à des docteurs en sciences et en médecine.
Je suppose que M. le ministre de l'intérieur consultera sur ce point les autorités académiques.,
Je recommande particulièrement à son examen la question du taux trop peu élevé des bourses actuelles de voyage qui ne sont que de 1,000 francs pour une année.
Il arrive - cela a été dit en section centrale - que des élèves renoncent, après la première année, à un nouveau séjour ou voyage à l'étranger, uniquement parce qu'ils ne trouvent pas dans leur propre bourse de quoi suppléer à l'insuffisance de celles que leur octroie le gouvernement.
M. De Lehaye, rapporteur. - Messieurs, j'aurais voulu que, pour cette année, on pût diviser les bourses, mais, en présence de. la déclaration de M. le ministre de l'intérieur, je crois que la section centrale peut très bien renoncer à la proposition qu'elle avait faite.
Cependant, je ne puis concilier l'opinion émise par l'honorable M. Vleminckx avec la fin de son discours.
S'il y a des élèves qui ont des droits acquis, ils peuvent réclamer une bourse de deux ans. Mais je ne comprendrais pas alors l'ajournement.
Si, comme l'a dit l'honorable M. Muller, il y a des jeunes gens qui renoncent à la bourse dès la première année, ce n'est pas toujours parce que la bourse est trop légère, c'est surtout parce qu'un grand nombre de ces jeunes gens sentent le besoin de rentrer dans le pays après une année d'absence, pour s'y établir comme médecin ou avocat.
Certes, en portant la bourse à 1,500 francs ou 2,000 francs par an, on pourrait engager les boursiers à prolonger leur absence, mais le vrai motif de leur prompt retour est le besoin de revoir leurs pénates.
M. Brasseur. - L'honorable ministre de l'intérieur a bien voulu promettre d'augmenter le nombre des bourses universitaires.
Je crois que ce point est acquis ; il nous sera soumis sous peu un projet de loi sur cet objet. Mais M. le ministre a laissé un point dans l'ombre et, partageant la manière de voir de l'honorable M. Muller, j'insiste vivement pour que M. le ministre augmente également le taux des bourses, parce que les 1,000 francs qui ont été stipulés en faveur des récipiendaires l'ont été, si je ne me trompe, en 1835. Or, la valeur de l'argent ayant considérablement baissé depuis cette époque et le prix des vivres ayant augmenté dans la même proportion, 1,000 francs sont évidemment une somme insuffisante pour un voyage d'une année.
Cependant, il faut admettre qu'un jeune homme qui a fait de brillantes études et qui veut se perfectionner à l'étranger, surtout quand il se destine au professorat, veuille consacrer une année au moins à suivre les cours de professeurs célèbres des pays étrangers. Dès lors, il est évident que le taux des bourses doit être augmenté en même temps que le nombre des bourses elles-mêmes.
J'appuie donc la proposition de l'honorable M. Muller et j'insiste vivement pour que M. le ministre veuille prendre ces observations en sérieuse considération, d'autant plus que les boursiers en général sont des jeunes gens pauvres, l'obtention d'une bourse supposant de brillantes études qui se concilient rarement avec la possession d'une grande fortune.
M. Frère-Orban. - Les bourses ne sont pas instituées par la loi pour donner à des jeunes gens qui ont fait preuve de capacité dans leurs examens l'occasion de faire un voyage d'agrément ; elles sont instituées pour que ces jeunes gens puissent aller à l'étranger étendre les connaissances qu'ils ont acquises ici. On ne peut donc pas s'arrêter à l'idée émise par M. le rapporteur de la section centrale, que ces jeunes gens pourraient se contenter d'une demi-bourse, parce que leur désir est de rentrer chez eux pour s'établir aussitôt que possible ; on devrait au contraire leur imposer l'obligation de rester à l'étranger pendant un temps déterminé, d'y suivre les cours et de faire preuve qu'ils ont réellement complété leurs études scientifiques.
Je ne suis pas opposé à ce que le taux de ces bourses soit augmenté ; il est évident qu'une somme de 1,000 francs ne permet pas de séjourner à l'étranger pendant bien longtemps ; cela est incontestable.
(page 774) Ce motif m'aurait déterminé à combattre la proposition faite par M. le ministre de l'intérieur et admise par la section centrale ; mais il n'est plus question de cette proposition aujourd'hui. Je l'aurais combattue par un autre motif : les bourses étant instituées par la loi ne peuvent être modifiées par la loi du budget.
Je regrette que ce même motif m'oblige à ne pas me rallier à la proposition de l'honorable M. Sainctelette à laquelle je suis d'ailleurs sympathique.
Je voudrais qu'on pût développer comme il le demande l'enseignement de la géographie dans les divers degrés de l'enseignement et particulièrement dans l'enseignement supérieur, mais le programme de l’enseignement est également déterminé par la loi et ne peut être modifié par la loi du budget. J'engage donc l'honorable M. Sainctelette à ne pas insister et à attendre le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur annoncé par M. le ministre de l'intérieur pour formuler sa proposition, si déjà il n'y a pas été fait droit.
Quant à la proposition de M. le ministre de l'intérieur à laquelle la section centrale s'était ralliée et qui vient à disparaître, il reste bien entendu, je pense, que les droits acquis seront respectés ; les jeunes gens qui ont par leur examen obtenu les titres nécessaires pour avoir la bourse déterminée par la loi, sont maintenant assurés que leurs droits, compromis par la proposition, ne seront pas méconnus : les bourses ne seront pas divisées.
J'espère que M. le ministre de l'intérieur voudra bien déclarer que nous sommes d'accord.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Certainement.
M. De Lehaye, rapporteur. - L'observation que vient de faire M. Frère-Orban est fondée. Si le gouvernement avait demandé une augmentation, à titre permanent, je l'aurais combattue ; d'après moi, la loi du budget ne peut déroger à une loi organique et cette opinion a souvent été partagée par la Chambre.
Cependant, il y a un antécédent qu'on pourrait invoquer. Je me rappelle qu'il y a quelques années, une proposition avait été faite à l'occasion du budget et dont la conséquence devait être de modifier une loi organique ; un membre très influent de la Chambre avait émis cette idée qu'on ne pouvait pas, par le budget, modifier une loi organique, mais que, lorsque les allocations demandées n'avaient qu'un caractère provisoire, on pouvait les accueillir.
L'honorable M. Frère me fait un signe négatif ; je le comprends parce que cette opinion a été combattue, et la Chambre ne l'a pas admise. Mais d'ici à peu de temps nous aurons l'occasion d'invoquer ce principe.
Quand une loi organique a été portée, je reconnais qu'il ne peut pas y être dérogé par la loi du budget et si, dans l'espèce, la section centrale a accueilli la proposition de M. le ministre de l'intérieur, c'est parce que nous avons pensé que cette proposition n'avait qu'un caractère purement transitoire. Si elle avait eu un caractère permanent, la section centrale l'eût rejetée.
M. Frère-Orban. - L'honorable M. De Lehaye me paraît vouloir poser un jalon pour une discussion future. D'après ce qu'il vient de dire, il aura l'occasion d'invoquer ultérieurement ce principe. Mais je l'avertis que la question à laquelle, dans sa pensée, se rattacherait son objection, ne comporte pas cette objection : il n'existe pas de loi organique de l'enseignement moyen des filles.
M. De Lehaye, rapporteur. - On verra.
M. Frère-Orban. - Oui ; mais je vous avertis dès à présent que je ne partage pas du tout vos idées sous ce rapport. Je le répète, il n'existe pas de loi organique de l'enseignement moyen des filles et, par conséquent, on peut subsidier cet enseignement, qui est actuellement dans le domaine des communes.
Il n'y a pas la moindre contradiction entre cette opinion et celle qui consiste à soutenir qu'on ne peut pas modifier une loi organique par la loi du budget.
M. De Lehaye, rapporteur. - Je n'ai pas prétendu que l'honorable M. Frère-Orban fût en contradiction avec lui-même. Je ne suis borné à rappeler un principe. Nous verrons plus tard quelle application il est permis d'en faire. Quant à moi, la circonstance à laquelle je faisais allusion me permettra incontestablement d'invoquer ce principe.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il n'est peut-être pas inutile de mettre sous les yeux de la Chambre l'article de la loi du 1er mai 1857 qui a institué les bourses de voyage. L'article 42 de cette loi institue six bourses de mille francs qui sont décernées annuellement, sur la proposition du jury d'examen, à des Belges qui ont obtenu le grade de docteur avec la plus grande distinction, pour les aider à visiter les établissements étrangers.
Les honorables préopinants qui ont cru qu'il suffisait de passer l'examen de docteur avec la plus grande distinction pour obtenir une bourse, se sont mépris.
Il y a tous les ans un assez grand nombre de docteurs qui passent cet examen avec la plus grande distinction et qui ne peuvent obtenir de bourses de voyage parce qu'il n'y en a pas un nombre suffisant. Et j'ai pu constater moi-même que des jeunes gens qui avaient passé trois ou quatre examens avec la plus grande distinction, ne parvenaient encore qu'avec la plus grande difficulté à obtenir des bourses de voyage. C'est là une situation regrettable que nous cherchons à faire cesser.
L'honorable M. Muller a demandé quelle règle on suivrait pour la répartition des bourses de voyage.
M. Muller. - J'ai laissé cela à votre appréciation.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il me semble que l'honorable membre m'a demandé que le partage se fît entre les diverses facultés.
Il est évident que telle faculté compte un plus grand nombre d'élèves que telle autre. Il est évident encore que parmi ces élèves il y en à un plus grand nombre qui se distinguent par leurs études dans telle faculté que dans telle autre.
Il est donc impossible de décider d'avance à quelle faculté on attribuera les bourses. C'est évidemment d'après le résultat des examens qu'il faut se prononcer. Je veux bien qu'on fasse en sorte que toutes les facultés soient représentées le plus exactement possible ; mais il ne faut pas perdre de vue les titres respectifs des jeunes gens qui ont déjà donné des preuves de leur aptitude, aptitude qu'il faut développer en leur permettant d'acquérir de nouvelles connaissances à l'étranger. (Interruption.)
II est bien entendu que les bourses qu'on conférera seront des bourses entières.
J'ajouterai que, lorsque la Chambre discutera le projet de loi étendant le nombre des bourses, il y aura lieu de voir si l'on ne peut pas en faire jouir immédiatement, non seulement les élèves qui passeront leurs examens cette année, mais ceux qui, l'année dernière, se sont signalés par des examens très brillants et qui sont dans une position tout à fait digne d'intérêt.
M. Vleminckx. - J'ai à faire une seule observation au sujet de la répartition des bourses de voyage, quand le nombre en sera augmenté. Il y a telle faculté qui est bien plus fréquentée que telle autre. C'est une considération à laquelle il faut avoir égard dans la répartition. Plus les élèves d'une faculté sont nombreux, plus il y aura de chances d'en voir un plus grand nombre subir leurs examens avec la plus grande distinction et acquérir des titres à l'obtention de la récompense qu'ils ont recherchée. Il faut donc augmenter particulièrement le nombre des bourses attribuées à celle faculté.
Quant à la dernière observation que vient de faire l'honorable ministre de l'intérieur, je pense que rien ne s'opposera à ce que les jeunes gens, qui auront acquis les titres exigés par les règlements en 1870 et auparavant, soient appelés à jouir, comme ceux de 1871, des bourses nouvelles à créer.
M. Muller. - Je demande la parole pour donner une simple explication.
Je n'ai nullement demandé que M. le ministre de l'intérieur se prononçât dès à présent sur la répartition des bourses de voyage, après que le nombre en aura été augmenté. M. le ministre de l'intérieur a sans doute l'intention - et je l'approuve en cela - de consulter les autorités académiques sur la question de savoir si la répartition, telle qu'elle existe aujourd'hui entre les facultés, doit être maintenue.
- Personne ne demandant plus la parole dans la discussion générale du chapitre XV, elle est close.
« Art. 74. Dépenses du conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur : fr. 4,000. »
' - Adopté.
« Art. 75. Traitements des fonctionnaires et employés des deux universités de l'Etat : fr. 746,610. »
M. le président. - Ici vient l'amendement de M. Sainctelette.
M. Sainctelette. - Je le retire.
- L'article 75 est mis aux voix et adopté.
« Art. 76. Bourses. Matériel des universités : fr. 145,210.
« Charge extraordinaire : fr. 2,000. »
(page 776) M. le président. - L'amendement que la section centrale a proposé à cet article est retiré.
- L'article 76 est mis aux voix et adopté.
« Art, 77. Frais de route et de séjour, indemnités de séance des membres des jurys d'examen pour les grades académiques, pour le titre de gradué en lettres et pour le grade de professeur agrégé de l’enseignement moyen de l'un et de l'autre degré, pour le diplôme de capacité relatif à l'enseignement de la langue flamande, de la langue allemande et de la langue anglaise et pour le diplôme de capacité à délivrer aux élèves de la première commerciale, et industrielle des athénées ; salaire des huissiers des jurys et matériel : fr. 185,000. »
M. le président. - Le gouvernement avait proposé de terminer le libellé de l'article 77 par les mots : « Ce crédit n'est pas limitatif. » La section centrale n'adopte pas cet amendement.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - M. le président, je n'insiste pas sur cet amendement, mais j'en ai un autre à présenter.
1a commission chargée d'étudier la révision des programmes d'examen s'est réunie plusieurs fois, et ses travaux ne sont pas achevés. Il en résultera des dépenses auxquelles nous n'avons pu songer lors de la formation du budget.
Je demande à la Chambre d'introduire dans l'article 77 du budget la mention suivante :
« Frais relatifs à la commission instituée pour la révision des programmes et des systèmes des examens établis par la loi du 1er mai 1857, » et d'augmenter le chiffre de 15,000 francs...
M. Frère-Orban. - C'est là une dépense extraordinaire.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Qu'on pourrait porter à la colonne des charges extraordinaires et temporaires.
M. Frère-Orban. - Je ferai remarquer que la dépense n'est pas ordinaire et qu'on ne peut pas établir un crédit permanent pour indemniser une commission dont l'existence n'est que temporaire. Cela ne peut donc pas figurer aux charges ordinaires. Cela doit être porté aux charges extraordinaires. Mais il me semble que l'article du budget « dépenses imprévues » permet à M. le ministre de l'intérieur de prélever les dépenses nécessaires sur le chiffre qui est porté à cet article.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'article 133 du budget qui se rapporte aux dépenses imprévues, ne porte qu'un chiffre de 5,900 francs. Il serait évidemment insuffisant pour les dépenses qu'entraîne la réunion de la commission dont j'ai parlé. Il ne faut pas perdre de vue qu'elle compte un assez grand nombre de membres, que leurs séances ont été fréquentes et qu'il faudra indemniser les membres de leurs frais de déplacement et de séjour.
J'espère du reste que l'allocation de 15,000 francs ne sera pas absorbée. Mais il est bien évident que l'article 133, qui est consacré chaque année à certaines dépenses imprévues (le chiffre n'est que de 5,900 francs) serait tout à fait insuffisant s'il fallait également prélever sur cet article les dépenses qu'entraîneront les travaux de la commission des examens.
Si la Chambre le désire, on pourrait réduire le crédit à dix mille francs.
M. le président. - Et le porter aux charges extraordinaires ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Oui, monsieur le président.
M. le président. - Le chiffre total sera donc de 193,000 francs ; je mets ce chiffre aux voix.
- Le chiffre est adopté.
M. le président. - M. le ministre a proposé par amendement d'ajouter au libellé de l'article dont nous venons de voter le chiffre, ces mots : « Ce crédit n'est pas limitatif. » La section centrale ne s'est pas ralliée à cette proposition.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je retire cet amendement, M. le président.
- Le libellé de l'article 77 est adopté tel qu'il est porté au projet de budget.
« Art. 78. Dépenses du concours universitaire. Frais de publication et d'impression des annales des universités de Belgique : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 79. Subsides pour encourager la publication des travaux des membres du corps professoral universitaire et pour subvenir aux frais des missions ayant principalement pour objet l'intérêt de cet enseignement : fr. 12,000. »
- Adopté.
« Art. 79bis. Frais de rédaction du septième rapport triennal sur l’enseignement supérieur ; fourniture d'exemplaires de ce rapport pour le service de l'administration centrale (article 30 du titre premier de la loi du 13 juillet 1849, sur l'enseignement supérieur donné aux frais de l'Etat) ; charge extraordinaire : fr. 7,000.
- Adopté.
- M. Thibaut remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.
M. Gerrits. - J'ai vu avec plaisir que la section centrale engage le gouvernement à donner plus d'importance à l'enseignement de la langue flamande, surtout dans les athénées des provinces wallonnes.
Ma satisfaction a été d'autant plus grande, quand j'ai appris que l'initiative de cette recommandation a été prise par un honorable député de Liège.
Quoique cet honorable membre ait agi dans l'intérêt bien entendu de ses commettants, quoiqu'il ait fait preuve d'autant de perspicacité à leur profit que de bon vouloir à notre égard, je lui sais gré, et je pense ne pouvoir mieux lui témoigner ma gratitude qu'en venant appuyer sa demande.
A ceux qui ne voulaient voir dans la défense des intérêts de la langue flamande, lorsque cette défense était présentée par nous, qu'une manœuvre de parti, qu'un moyen de molester les ministres au pouvoir, je dois tout d'abord faire remarquer que nous reproduisons nos réclamations, aujourd'hui que nous faisons partie de la majorité.
Nous allons même préciser davantage ces réclamations, précisément parce que nous espérons que, pour nous, le temps de l'action est venu.
Je dois également faire remarquer, pour l'édification de tous ceux qui criaient à l'exagération, chaque fois que nous formulions une plainte, que l'honorable député de Liège du premier pas est allé plus loin que la plupart de ces flamingants qu'on se plaisait à dépeindre comme si terriblement exigeants.
En effet, je ne me rappelle pas avoir entendu une seule fois, depuis que j'ai l'honneur de faire partie de la Chambre, exiger dans cette enceinte que la langue flamande fût enseignée dans les écoles wallonnes.
Nous savions que la loi de 1850 sur l'enseignement moyen comprend la langue flamande, ou, pour mieux dire, la langue néerlandaise, dans le programme des études, même pour les parties du pays où cette langue n'est pas en usage.
Nous savions que sur ce point la volonté du législateur n'a pas été exécutée sérieusement ou n'a pas été exécutée du tout. Mais, si nous nous sommes abstenus de nous plaindre de cette transgression de la loi, c'est que nous avions, dans nos propres provinces, des abus bien autrement graves, en ce qui concerne l'emploi des langues ; des abus dont les inconvénients étaient ressentis par nous d'une manière beaucoup plus directe, et nous sommes allés au plus pressé. C'est aussi que nous voulions éviter, autant qu'il était en notre pouvoir, de blesser les susceptibilités de nos compatriotes wallons. Nous voulions leur laisser la liberté pleine et entière d'agir chez eux comme ils l'entendaient, pour qu'ils fussent d'autant mieux disposés à nous laisser, à notre tour, juges de ce qui convient chez nous.
Maintenant que la section centrale a touché la question flamande au point de vue wallon, maintenant qu'elle a envisagé cette question au point de vue général, nous ne pouvons refuser de la suivre sur le terrain choisi par elle. C'est ce que je vais faire.
A aucune époque peut-être les questions qui touchent aux sentiments de nationalité, aux droits respectifs des races, à l'emploi des langues, n'ont eu plus d'importance qu'aujourd'hui. Ce sont des questions de cette nature qui, partout, passionnent les esprits, qu'on évoque comme les causes déterminantes des plus grands événements de notre siècle.
Les deux races qui habitent la Belgique se trouvent malheureusement l'une vis-à-vis de l'autre dans une position anomale, par cela même préjudiciable et dangereuse.
La langue de l'une de ces deux races ayant été bannie du monde officiel, l'étude de cette langue ayant été systématiquement entravée, il en résulte que, non seulement la transmission des idées entre les hommes (page 776) d'un même pays est devenue extrêmement difficile, mais aussi que tous les Belges qui n'ont pas eu le temps ou le moyen d'apprendre la langue privilégiée, se trouvent blessés dans leur dignité nationale et lésés dans leurs intérêts personnels.
Messieurs, je pense qu'il n'est pas un homme impartial et sérieux qui ne reconnaisse qu'il vaudrait mieux pour la Belgique que cette inégalité, que cette injustice n'existât point.
Mais quand on songe aux moyens de faire disparaître cette anomalie, on s'arrête immédiatement devant un obstacle très grand, qui gît dans l'ignorance où se trouve, pour ce qui regarde la langue néerlandaise, une grande partie de la nation et où se trouvent la plupart des hommes mêmes qui devraient appliquer les mesures réparatrices.
Pour se convaincre de la puissance de cet obstacle, il suffit de se demander quels ont été nos adversaires chaque fois que nous avons élevé la voix en faveur de notre langue maternelle.
C'étaient des Wallons, fort honorables sans doute, mais qui auraient été singulièrement gênés si des modifications importantes avaient été apportées à l'état actuel des choses.
C'étaient des Flamands tout aussi respectables, mais qui avaient désappris la langue de leur peuple ou qui ne l'avaient jamais connue.
Combien de nos honorables adversaires oseraient déclarer en conscience qu'ils connaissent suffisamment la langue qu'ils veulent proscrire ?
Messieurs, je n'accuse personne d'égoïsme. Le règlement d'ailleurs le défend, mais je dis que l'on croit facilement ce qu'on aime à croire - et nos adversaires affirment que les populations flamandes n'ont pas de motifs pour se plaindre.
Cette illusion, messieurs, pourrait être fatal -à ceux qui la nourrissent et au pays tout entier. Nous devons donc tâcher de la détruire. Voilà pourquoi nous sommes obligés d'affirmer de nouveau, à chaque occasion, nos griefs.
Je vais les résumer en quelques mots, aussi brièvement et aussi nettement que possible. Une fois que les faits seront établis, il sera facile d'indiquer les conséquences qui en découlent au point de vue de l'enseignement.
Nos griefs sont principalement au nombre de six :
1° Les lois auxquelles les Flamands comme les Wallons doivent obéissance sont exclusivement rédigées en français ;
2° Le compte rendu officiel, seul complet, des travaux des mandataires de la nation est exclusivement publié dans une langue que les Flamands ne comprennent pas ;
3° Des citoyens flamands sont journellement jugés, condamnés dans leur propre pays, par leurs tribunaux, à la prison, au déshonneur, sans avoir compris un mot de l'accusation, de la défense et du jugement ;
4° Les administrations publiques qui relèvent de l'Etat, même dans les provinces flamandes, se servent de préférence de la langue que ne comprennent pas les administrés ;
5° Les soldats flamands sont commandés et peuvent être conduits à la guerre par des officiers qui ne parlent pas leur langue ;
6° Un Flamand ne peut s'instruire dans les écoles de l'Etat sans avoir appris la langue française.
Voilà, messieurs, des faits dont je défie qui que ce soit de contester l'exactitude.
Qu'on demande à toutes les nations du monde ce qu'elles pensent d'un pareil régime. Qu'on demande la réponse aux Wallons de bonne foi.
La réponse de ceux-ci ne saurait être douteuse.
L'abus de l'emploi des langues dont ils se plaignaient avant 1830 a été pour eux une des principales causes de la révolution. Ils se sont libérés de ces griefs, mais ils les ont rejetés sur nous, après les avoir considérablement aggravés.
L'avis de tout le monde sera que ce régime est hautement nuisible et qu'en certains points il est avilissant.
Eh bien, puisque telle sera l'opinion de tout le monde, pourquoi n'aurions-nous pas les mêmes sentiments, nous qui sommes victimes de ces abus, nous qui en souffrons tous les jours ?
A moins de supposer que les Flamands ont perdu toute virilité ou tout bon sens, on doit donc s'attendre à ce que la langue flamande reprenne la position à laquelle elle a droit. Tel événement peut tout à coup donner au mouvement flamand une force irrésistible.
Le jour où les populations flamandes décideront de rentrer dans leurs droits, il faudra bien faire droit à leurs réclamations, parce qu'après tout elles sont la majorité du peuple belge.
De quelles difficultés ne se trouveront pas entourés ce jour-là une foule de gens auxquels on a fait accroire qu'il est inutile de connaître la langue de la majorité de leurs compatriotes.
Ne serait-il pas sage de se préparer pour cet avenir, de suivre l'exemple de la Suisse, de l'Autriche, des pays où non seulement, les gouvernants, mais tous les hommes instruits, se font honneur de connaître tous les idiomes employés dans leurs pays ?
Peut-être se dit-on que ces difficultés ne se présenteront jamais, que dans les provinces flamandes, les classes supérieures ont adopté la langue française et que cette division parmi les Flamands assure à tout jamais leur impuissance.
Messieurs, ceux qui raisonnent ainsi se trompent ; ils ne voient pas ce qui se passe dans notre pays ; ils ne se rendent pas compte des symptômes qui chaque jour s'accentuent plus clairement.
Dans ces derniers temps, nous avons eu, sur différents points du pays flamand, des intérêts fort graves à défendre. Des hommes haut placés ont compris qu'il est des ces intérêts qui ne peuvent être sauvegardés qu'avec le concours de tous. Ils ont compris que se soustraire à la solidarité avec ses concitoyens, que s'isoler de ses voisins, c'est s'exposer soi-même à des dangers qui toujours menacent des pays divisés, affaiblis. Aussi s'est-on efforcé de rétablir les communications entre les différentes classes de la société. Comme ces communications ne pouvaient être réglées qu'au moyen de la langue populaire, des hommes influents par leur naissance, par leur position sociale, par leurs lumières, ont repris l'habitude de la langue maternelle dont ils croyaient avoir perdu l'usage.
Je le constate avec plaisir, plusieurs de ces hommes ont trouvé dans l'usage de la langue maternelle une force de parole admirable ; je le constate, non pas tant à la louange de ces hommes, que parce que ces faits prouvent que rien n'est encore perdu, parce que j'y vois le gage certain d'un avenir plus heureux.
Aussi, messieurs, regardez autour de vous et déjà vous pourrez constater des résultats très considérables produits par ce mouvement des esprits.
Plusieurs de nos honorables collègues ont accepté avec amour la mission de défendre les droits de la langue flamande.
Des administrations communales, et parmi celles-ci des plus importantes, ont pris la décision de se servir dorénavant de la langue de leur population.
Le gouvernement ne nous enverra plus des fonctionnaires qui ne sauraient nous comprendre.
Les Wallons qui ont des relations dans nos provinces vont donc savoir par expérience combien il est désagréable de se heurter à des administrations dont on ne comprend pas le langage. Les Wallons qui ne se sont pas donné la peine d'apprendre la langue néerlandaise vont par cela même se trouver exclus d'un grand nombre d'emplois publics.
On dira peut-être que c'est tout profit pour les Flamands.
Mais, messieurs, nous ne ferons pas la folie de vendre nos droits pour un plat de lentilles.
Nous savons que l'avantage recueilli par quelques solliciteurs d'emplois serait payé cent mille fois trop cher par la nation. Nous ne demandons pas mieux que d'accueillir fraternellement nos compatriotes wallons, nous les verrions sans déplaisir occuper parmi nous les meilleurs emplois. Mais a une condition : c'est qu'ils soient capables de remplir leurs devoirs et nous prétendons qu'on n'est pas capable de remplir ses devoirs, lorsqu'on ne connaît pas la langue du peuple qu'on est appelé à servir, qui vous paye, qui est votre maître.
M. Bouvier. - Il a raison.
M. Gerrits. - On ne reprochera pas aux Flamands de ne pas avoir fait assez depuis quarante ans qu'existe la nation belge pour se rapprocher des Wallons ; à leur tour de faire un effort.
Qu'ils suivent le conseil qui leur est donné par la section centrale sur la proposition d'un député wallon des plus autorisés et la nationalité en sera plus vivace, l'union entre les deux races plus intime. Ceux qui se seront donné la peine d'étudier la langue flamande seront amplement récompensés de leurs efforts par les avantages qui leur seront procurés par la connaissance de la langue de leurs compatriotes.
Mais, messieurs, quand on traite de la langue flamande et de l'instruction publique, ce n'est pas seulement des écoles wallonnes, mais encore et surtout des écoles flamandes qu'on doit s'occuper.
Si je parviens à démontrer que, dans les provinces flamandes, l'enseignement est donné d'une manière peu rationnelle, qu'il ne produit pas les fruits qu'on pourrait en attendre, qu'un temps précieux est en grande (page 777) partie gaspillé, on devra reconnaître que, là aussi, il y a des réformes à accomplir et que ces réformes sont urgentes.
Quel est, messieurs, le but de l'éducation ? C'est d'habituer l'élève à réfléchir et de fortifier sa raison par la science. Ce but est-il atteint quand on a appris une langue étrangère ? Evidemment non. L'homme dénué de jugement et de savoir a beau parler deux, même plusieurs langues, il ne sera pas moins un être sans valeur intellectuelle.
Eh bien, dans nos écoles de l'Etat, les seules dont j'aie à m'occuper ici, car ce sont les seules sur lesquelles nous ayons autorité, dans ces écoles qu'on devrait pouvoir citer comme exemples, la raison, la science, tout est sacrifié à une seule branche : l'enseignement de la langue française.
Il ne me sera pas difficile de fournir la preuve de cette triste vérité ; et je ne produirai comme preuves que des documents officiels, des pièces signées par des directeurs d'institutions publiques d'enseignement ou par des ministres.
Voici, messieurs, le programme des cours préparatoires annexés à l'école moyenne d'Anvers. Je dois dire tout d'abord qu'il s'agit d'une école primaire, car les enfants y sont admis dès l'âge de six ans, alors qu'ils ne savent ni lire ni écrire.
Ce programme montre que, dès les premiers cours, deux heures en moyenne sont consacrées par jour à l'étude de la langue française, tandis qu'on ne consacre qu'une heure à l'étude de la langue flamande.
Certes, messieurs, il doit paraître fort étrange que la moitié du temps passé à l'école par les enfants de 6 à 7 ans soit absorbée par l'étude d'une langue étrangère.
Mais voyons de plus près les conséquences qui doivent en résulter pour leur intelligence, pour leur avenir.
Dans toutes les écoles où l'on tient quelque peu compte des progrès pédagogiques, il y a cette règle fondamentale que le professeur ne procède que du connu à l'inconnu.
L'enfant doit être pénétré de tout ce qu'il apprend, il doit avoir la compréhension complète de tout ce qu'il a entendu, de tout ce qu'il a vu avant de lui permettre de faire un pas en avant.
Le simple bon sens indique que pour se conformer à cette règle si raisonnable, si salutaire, on doit avant tout enseigner à l'enfant la lecture de sa langue maternelle et qu'il doit comprendre cette lecture.
Cependant, dès les premiers jours, nos enfants sont soumis, pendant une heure et demie et quelquefois deux heures, à l'exercice abrutissant d'une langue qui ne leur dit absolument rien. (Interruption.) Deux heures par jour d'un travail purement mécanique, d'un véritable exercice de perroquet. Au lieu de leur apprendre à penser, on les fait travailler comme des automates, et le mauvais pli adopté à cet âge où l'esprit est le plus impressionnable, peut-être ne s'effacera jamais,
Naturellement, vous comprenez que forcément l'on doit avoir recours à la langue maternelle, ne fût-ce que pour apprendre à ces enfants la langue française. De là ce qu'on appelle des exercices français-flamands. Nous allons voir ce que c'est.
Le langage n'est que l'instrument de la pensée. Au lieu de se servir de l'instrument dont l'enfant a déjà appris l'usage dans sa famille, on lui impose brusquement un nouvel instrument avec lequel il ne saura se familiariser qu'après plusieurs années d'un labeur pénible.
Les objets dont ils connaissent déjà la forme, les idées que déjà ils ont pu concevoir reçoivent, dès leur entrée à l'école, un nom nouveau. Cette éducation si précieuse que l'enfant a reçue de sa mère va être bouleversée.
Dorénavant, tout aura, pour l'enfant, deux noms, deux signes représentatifs. C'est ainsi qu'on prétend produire la clarté dans des intelligences de sept ans, alors que clarté pour tout le monde est synonyme de simplicité, d'unité.
Il est vrai, comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, qu'il y a aussi une autre heure pour la lecture flamande ; mais quand un système est vicieux dans son ensemble, il se présente des inconvénients même dans les parties qui, prises isolément, seraient irréprochables.
Le matin, de 10 à 11 heures, on apprend à lire aux enfants selon la prononciation française ; l'après-midi, de 2 à 3 heures, cette prononciation ne vaut plus rien : il faut donner aux lettres, aux signes la valeur flamande qui est autre, puis, une demi-heure après, la prononciation flamande n'est plus bonne ; il faut reprendre la façon française.
Voilà trois changements successifs. Je vous le demande : cela ne suffit-il pas pour rebuter l'enfant de l'étude ?
Même le calcul mental est enseigné en français. On ne se sert de la traduction flamande que pour autant que cela est strictement inévitable. Les premiers traités élémentaires ainsi que les questionnaires sont exclusivement en français.
Messieurs, je me suis permis d'interroger à ce sujet le directeur d'un établissement d'instruction publique de l'Etat, et il m'a répondu qu'on se sert exclusivement de la langue française pour l'enseignement du calcul dès que cela est possible, c'est-à-dire dès que les enfants comprennent à peu près de quoi il s'agit. (Interruption.)
Je vous garantis que c'est ainsi.
On pourrait, messieurs, s'imaginer qu'après un certain temps, au moyen de ces procédés violents, les enfants savent assez le français pour pouvoir suivre les cours avec fruit. Il n'en est pas ainsi.
Je puise dans un autre document officiel un renseignement qui n'établit pas une preuve déterminante, mais qui établit au moins une présomption très forte en faveur de ma thèse.
Voici le programme de l'athénée royal d'Anvers :
Je prends la sixième professionnelle.
Ici les enfants ont à peu près douze ans, de manière qu'entre l'exemple que j'ai cité tout à l'heure et celui-ci il y a une distance d'environ six ans.
Je trouve dans ce programme que dans la sixième professionnelle on emploie à l'étude de la langue française onze heures par semaine contre trois heures données à l'étude de la langue flamande.
Chaque fois que nous nous sommes plaint ici et ailleurs de cette énorme disproportion, on nous a répondu qu'il était fort naturel de donner un plus grand nombre d'heures à la langue que l'enfant connaît le moins.
Messieurs, j'accepte le fait, je le reconnais, mais alors comment se fait-il que toutes les autres branches soient enseignées précisément dans la langue que les élèves connaissent le moins !
Comment se fait-il qu'en sixième professionnelle, comme d'ailleurs c'est le cas pour toutes les classes des écoles moyennes et des athénées, tous les cours soient donnés en français, dans une langue que les élèves connaissent quatre fois moins bien que leur langue maternelle, s'il faut admettre la proportion qui est établie dans le programme que je viens de citer. Dans les classes plus élevées, la disproportion n'est plus aussi grande, mais la plus large part est toujours accordée au français.
Avais-je raison de dire que les matières enseignées dans nos écoles ne sont que le point secondaire, que le dessein suprême est de nous imposer forcément et à n'importe quel prix la langue française.
L'étude de l'arithmétique, des mathématiques devrait servir à apprendre à raisonner, devrait développer chez l'élève le sentiment de la logique. J'ai toujours pensé que la première qualité, le premier devoir du professeur est de se rendre très intelligible. Dans nos écoles, pour donner à l'esprit des élèves la rectitude désirée, le professeur donnera les explications, fera les démonstrations, dans la langue qu'ils comprennent à demi, qu'ils comprennent mal.
De nos jours, on s'efforce partout de vulgariser la connaissance des sciences naturelles. On pourrait dire que la valeur des peuples aujourd'hui s'estime en raison de leurs connaissances en chimie, en physique. Messieurs, notre langue possède cette qualité précieuse de pouvoir former, au moyen de ses propres éléments, les termes scientifiques et cela d'une manière tellement claire que le plus souvent, pour les comprendre, il n'est pas nécessaire d'avoir jamais ouvert un traité de sciences ; tellement claire, qu'une fois qu'on les a entendus, jamais plus on ne les oublie.
On pourrait donc épargner aux élèves la moitié des difficultés ; on pourrait leur faire gagner la moitié du temps. Non ! il faut que tout cela soit enseigné en français pour pouvoir imposer des termes gréco-latins.
Remarquez bien qu'on n'impose pas seulement ces termes aux élèves de la section des humanités dont les études durent assez longtemps et qui, par conséquent, pourraient rattraper une partie du temps perdu ; mais on les impose également aux élèves de la section professionnelle qui quittent l'école de bonne heure et qui sont les plus nombreux. Pour les élèves de la section des humanités, je le comprendrais jusqu'à un certain point. Ceux-ci étudiant le grec, étudiant le latin, peuvent à peu près savoir ce que signifient les termes scientifiques, mais l'élève de la section professionnelle, qui ne connaît ni le latin, ni le grec, ne comprend absolument rien. Aussi ont-ils oublié tout ce qu'on leur enseigne de la chimie, de la physique aussitôt qu'ils ont quitté les bancs de l'école, et on peut affirmer que, sur vingt, il n'en est pas un seul qui, dans sa carrière active, profite des sciences qui figurent si pompeusement au programme de nos écoles.
Messieurs, les langues flamande, anglaise, allemande sont congénères.
L'analogie entre la langue allemande et la langue flamande est tellement (page 778) marquée que, pour quiconque sait voir et entendre, à n'y a le plus souvent qu'une différence de prononciation.
Presque toutes les racines sont les mêmes. Nos enfants pourraient apprendre l'allemand en quelques mois.
Eh bien, messieurs, on force les professeurs d'employer la langue française pour enseigner l'allemand. On ne permet, dans les écoles de l'Etat, que les livres classiques français. Messieurs, le cas s'est présenté ; un professeur d'allemand est venu se plaindre chez moi, parce que le directeur de l'établissement de l'Etat lui avait défendu de se servir du flamand pour démontrer l'analogie qu'il y a entre le flamand et l'allemand.
M. Bouvier. - Si cela est arrivé, c'est absurde.
M. Gerrits. - J'affirme que ces plaintes m'ont été adressées.
Messieurs, parvient-on, au moyen de ces violences, à atteindre le but que l'on se propose ? La langue française est-elle aussi répandue dans les Flandres qu'on le désire ? Vous allez en juger.
On nous a distribué, il y a quelques jours, le tableau du recensement général de la population au 31 décembre 1866. J'y trouve les renseignements que voici :
Habitants parlant le français, 2,041,784
Habitants parlant le flamand, 2,406,491
Habitants parlant le français et le flamand, 308,361
Ainsi, plus de la moitié de la population belge reste atteinte de cette espèce d'infirmité originelle qui la rend comme sourde et muette vis-à-vis du gouvernement et vis-à-vis des grandes administrations du pays ; sourde, puisqu'elle ne comprend pas ; muette, puisqu'elle ne peut se faire entendre.
Messieurs, puisque je parle de ce tableau du recensement, permettez-moi d'en tirer un autre enseignement qui a sa valeur.
Je vous ai dit combien il serait facile aux Flamands d'apprendre l'allemand.
Savez-vous combien il y a dans notre pays de personnes qui parlent le flamand et l'allemand ? Il y en a 1,626. Et remarquez-le bien, l'allemand est enseigné dans presque tous les établissements, dans les établissements privés comme dans les établissements publics.
M. Bouvier. - Comment sait-on cela ?
M. Gerrits. - Lorsqu'on a fait le recensement, on a demandé à chaque habitant quelles langues il connaissait. Les résultats sont indiqués dans les tableaux publiés par le gouvernement.
Je dois dire qu'il y a dans notre pays 4,966 habitants parlant les trois langues, mais il est à remarquer qu'il n'y en a que 1,869 dans les provinces d'Anvers, de la Flandre orientale, de la Flandre occidentale et du Limbourg, je ne parle pas du Brabant.
Messieurs, j'avoue que moi-même je n'ai pas grande foi dans ces statistiques.
Je crois que ces chiffres ne sont pas très exacts ; mais la différence fût-elle du double, du triple, ces chiffres n'indiquent-ils pas que les méthodes suivies pour l'enseignement de la langue allemande et de la langue anglaise ne valent absolument rien ?
Messieurs, à ce propos, j'ai encore à présenter une observation, dont l'importance n'échappera à aucun membre de cette assemblée.
Sans admettre la théorie que le genre humain soit divisé en races fatalement condamnées à s'entre-détruire, on doit reconnaître que les hommes sont doués d'aptitudes spéciales, selon leur origine. La civilisation présente des caractères distinctifs chez les différents peuples.
La Belgique, située entre les pays de race latine et les pays de race germanique, habitée par deux races différentes, possédant deux langues, l'une d'origine latine, l'autre d'origine germanique, est admirablement située pour recueillir, pour s'assimiler tout ce qu'on pense, tout ce que l'esprit humain produit de grand et d'utile.
Je voudrais pouvoir comparer notre petit pays à un foyer brillant, où viendraient se concentrer de tous côtés les rayons de lumière.
Nous avons profité de la resplendissante civilisation latine ; mais n'est-il pas regrettable que nous ayons exclu en grande partie las lumières de la savante Allemagne ?
Pour nous mettre en communion d'idées avec la grande Germanie ; pour faire affluer dans notre pays les trésors de science que possède l'Allemagne ; pour faire pénétrer dans la masse de nos populations les progrès réalisés par les Allemands, le meilleur moyen ne serait-il pas de remettre en honneur la langue de la moitié de notre peuple, la langue flamande, cette langue d'origine germaine ?
Qu'on ne se méprenne pas sur nos intentions ; nous ne voulons point bannir de nos écoles la langue française. Au contraire. Nous donnons aux Flamands le conseil que nous donnons aux Wallons ; nous disons aux uns : Apprenez le français, comme nous disons aux autres : Apprenez le flamand.
Ce que nous blâmons, ce sont les absurdités ; ce que nous blâmons, c'est qu'on enseigne aux enfants une langue étrangère, avant qu'ils sachent lire la langue maternelle ; c'est qu'on donne l'enseignement à nos enfants dans une langue qu'ils ne comprennent pas ou qu'ils ne connaissent pas suffisamment.
D'ailleurs, l'expérience a montré que ces absurdités violentes sont inutiles, même au point de vue de ceux qui mettent la connaissance de la langue française avant tout.
Les enfants auxquels on avait donné d'abord l'enseignement au moyen de leur langue maternelle, devenaient presque toujours les élèves les plus distingués, même dans le cours de français. Ceci est fort naturel : leur esprit n'avait pas été faussé, il avait été dirigé dans la bonne voie et il ne leur était pas difficile de devancer ceux qui avaient été soumis au régime débilitant dont nous nous plaignons.
Messieurs, la tâche que je me permets de recommander au gouvernement n'est pas si difficile qu'on pourrait se l'imaginer. On ne doit pas penser que, pour faire droit à nos justes réclamations, il soit nécessaire de bouleverser toutes les lois existantes. Au point de vue flamand seul, nous pourrions à la rigueur nous contenter des programmes généraux tels qu'ils se trouvent dans nos lois ; presque tout le mal a été fait par l'application de ces lois, par l'introduction de programmes détaillés, par l'indication des heures d'études.
Au mal causé par un ministre et par son autorité spéciale, il peut être porté remède par son successeur. Il ne faut, pour cela, que de la bonne volonté et un peu de force de caractère.
Dans d'autres circonstances, l'honorable M. Kervyn, le ministre actuel, s'est montré favorable à la cause flamande. Je suis donc certain de son bon vouloir et je compte sur son énergie.
- Plusieurs voix. - A demain !
M. Muller. - Messieurs, je demanderai à la Chambre, si elle est fatiguée, de me permettre de répondre demain quelques mots à l'honorable préopinant, dont je ne puis accepter les éloges d'une manière illimitée et sans réserve.
M. le président. - L'honorable M. Muller a fait parvenir au bureau plusieurs amendements. Ces amendements seront imprimés et distribués.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Je veux demander à l'honorable ministre des travaux publics si le rapport sur les opérations du chemin de fer en 1869 et en 1870, qu'il nous avait promis pour la discussion de son budget, sera bientôt distribué.
Nous n'avons pas encore reçu non plus le rapport de la section centrale, et comme le budget des travaux publics figure à l'ordre du jour après le budget de l'intérieur, je demanderai que l'impression et la distribution de ces documents soient faites promptement ou, si cela n'est pas possible, que l'on ajourne la discussion du budget des travaux publics après l'examen des différentes lois qui sont encore à notre ordre du jour.
M. Delcour. - Messieurs, le rapport sur le budget des travaux publics est à l'impression ; il sera distribué ce soir. L'impression a été un peu retardée à cause de quelques tableaux qu'il a fallu placer à la fin du rapport.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Mon honorable collègue des travaux publics vient de quitter à l'instant la séance, et je me chargerai de lui faire part du désir exprimé par l'honorable M Le Hardy de Beaulieu.
M. Brasseur. - J'ai posé hier la même question à l'honorable ministre des travaux publics, parce qu'il m'a semblé impossible de discuter avec fruit le budget sans avoir les documents.
L'honorable ministre m'a répondu que le compte rendu des opérations du chemin de fer pour 1869 est à l'impression et que nous aurons le tout dans quelques jours.
- La séance est levée à 5 heures.