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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 18 février 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 648) M. Wouters procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« L'administration communale de Merxem présente des observations contre la proposition de séparer du territoire de cette commune la partie comprenant le hameau de Dam. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi concernant une nouvelle délimitation des communes d'Anvers et de Merxem.


« Des habitants de Gammerages demandent le vote à la commune pour toutes les élections. »

« Même pétition d'habitants de l'arrondissement de Bruxelles, qui demandent, en outre, le fractionnement du collège électoral en circonscriptions de 80,000 âmes. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la réforme électorale.


« Des habitants d'Astene demandent que le vote pour les élections législatives ait lieu dans la commune ou du moins au chef-lieu de canton. »

« Même demande d'habitants de Peteghem, Gotthem, Grammene. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Geet-Betz prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Tirlemont a Diest par Oplinter, Neerlinter, Budingen, Geet-Betz, Rummen, Donck, Haelen et Webbecom. »

- Renvoi a la commission des pétitions.


« Des habitants de Looz demandent que cette commune soit reliée au réseau d'une voie ferrée du pays. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Hamme propose des modifications à la loi du 18 février 1845 sur le domicile de secours. »

- Même renvoi.


« La veuve du sieur Hamburger, ancien chef de musique de régiment, demande un secours annuel. »

(erratum, page) M. Pery de Thozée. - Messieurs, j'appuie la réclamation qui fait l'objet de cette requête et je demande à la Chambre d'ordonner le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

Adopté.


« Par messages, en date du 17 février, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté les projets de lois :

« Ouvrant au département de l'intérieur un crédit extraordinaire d'un million de francs pour construction et ameublement de maisons d'école ;

« Approuvant la convention consulaire, conclue le 12 décembre 1870 entre la Belgique et l'Italie ;

« Ouvrant au département des affairée étrangères un crédit spécial de 230,000 francs. »

- Pris pour notification.

Interpellation relative aux nominations des membres des commissions médicales

M. Bergé. - Je désirerais demander à l'honorable ministre de l'intérieur où en sont les nominations relatives aux commissions médicales. Nous traversons une époque où il y a des dangers sérieux pour la santé publique ; des épidémies sévissent et nous sommes menacés d'en avoir d'autres, par suite de la guerre qui a éclaté à nos frontières. On sait parfaitement que les cadavres des soldats ont été enterrés de telle façon que l'on a le droit d'avoir des craintes sérieuses au point de vue de la salubrité, et dans ce moment on a tout intérêt à consulter les hommes compétents et les commissions médicales qui ont été instituées par la loi de 1818.

Or, depuis leur institution jusqu'aujourd'hui, ces commissions ont toujours été nommées sans retard ; jamais il n'y a eu de retard dans ces nominations même à travers les moments de tourmente, même en 1831, même en 1848. Cette année seulement, elles restent en souffrance.

Il y a là un fait assez grave et je désirerais savoir de l'honorable ministre de l'intérieur où en sont ces nominations.

Hier, au sortir de la séance, l'honorable ministre a bien voulu me dire que ces nominations étaient à la signature du Roi.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Qu'elles étaient déjà signées.

M. Bergé. - Comme le Moniteur n'a encore rien publié, il n'y a rien d'officiel et le pays ne sait à quoi s'en tenir.

Il convient donc que l'honorable ministre nous donne, à cet égard, tous les éclaircissements, car il est étrange que nous soyons arrivés au mois de février sans que ces nominations aient paru.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Les nominations des membres des commissions médicales sont revêtues de la signature royale, mais par une erreur qui s'explique aisément, elles sont restées quelques jours dans les bureaux avant d'être transmises au secrétariat général qui les fait parvenir au Moniteur.

Immédiatement après la conversation que j'ai eue avec l'honorable préopinant à la fin de la séance d'hier, j'ai demandé d'où provenait ce retard et je puis assurer l'honorable M. Bergé que dès demain l'arrêté royal paraîtra au Moniteur.

(page 649) M. Vleminckx. - L'honorable M. Bergé vient de rappeler que les inhumations faites sur les champs de bataille voisins de nos frontières l'ont été dans des conditions telles, qu'il y a lieu de craindre les résultats qu'elles peuvent produire. Si j'ai demandé la parole, c'est pour prier la Chambre de m'autoriser à interpeller tout à l'heure M. le ministre des affaires étrangères lorsqu'il arrivera à son banc, sur le point de savoir s'il a obtenu les renseignements que je l'ai invité à prendre.

Vous avez pu lire aujourd'hui même dans les journaux qu'il s'était passé aux environs de Paris des faits semblables à ceux que l'on dit s'être passés à notre frontière du Midi et que la commission d'hygiène de Paris, d'accord avec l'autorité prussienne, avait cru devoir prendre des mesures pour prévenir des épidémies redoutables.

Je me réserve donc d'interpeller tout à l'heure, à cet égard, l'honorable ministre des affaires étrangères et si je ne le vois pas venir à la séance, je ferai mon interpellation à un des ministres présents.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je puis, dans certaine mesure, donner les explications que demande l'honorable préopinant.

J'ai écrit à M. le gouverneur du Luxembourg, à M. le commissaire d'arrondissement de Neufchâteau et à la commission médicale provinciale du Luxembourg pour obtenir des renseignements sur l'état sanitaire de la contrée voisine qui a été ensanglantée par la guerre. Ces renseignements ne me sont pas encore parvenus, mais l'honorable préopinant peut être assuré que le gouvernement n'a pas perdu de vue les recommandations qu'il a portées à cette tribune.

Interpellation relative au transport des marchandises vers l’Allemagne

M. Hagemans. - Je regrette que les honorables ministres des affaires étrangères et des travaux publics soient retenus au Sénat, mais l'interpellation que j'avais à leur adresser a un tel caractère d'urgence qu'il m'est impossible de l'ajourner, surtout à la veille des vacances.

J'espère donc que les ministres qui sont à leur banc en ce moment voudront bien me répondre au nom de leurs collègues. Il s'agit, messieurs, du transport des marchandises vers l'Allemagne.

Dans la séance du Sénat du 14 février dernier, l'honorable M. Casier de Hemptinne attirait l'attention de M. le ministre des travaux publics sur ce point. Il disait entre autres choses :

« Je n'ai aucun doute que M. le ministre, dans sa sollicitude pour les besoins du commerce et de l'industrie, n'ait déjà fait des démarches auprès du gouvernement de l'Allemagne du Nord à ce sujet, mais comme cette interruption continue d'exister, même malgré l'armistice, je crois que M. le ministre pourrait faire quelques nouvelles instances afin de mettre un terme à cette fâcheuse situation qui dure depuis plusieurs semaines. »

Et l'honorable sénateur ajoutait :

« Je confie donc à M. le ministre la mission de faire tout ce qui est possible par la voie diplomatique afin de faire cesser cet état de souffrance pour le commerce et l'industrie. »

L'honorable baron d'Anethan répondit en ces termes :

« Je suis loin de contester l'état fâcheux de nos communications vers l'Allemagne, état dont se plaint, à juste titre, l'honorable membre que vous venez d'entendre.

« Depuis le commencement de la guerre, nos relations avec l'Allemagne ont été très difficiles ; les transports ont été interrompus à diverses reprises, à la demande de l'administration rhénane. L'encombrement qui existait dans les stations allemandes en a été la cause.

« Dans ces derniers temps, à la suite de pourparlers qui se sont établis entre l’administration du chemin de fer belge et l'administration du chemin de fer rhénan, on avait obtenu de pouvoir envoyer, par jour, en Allemagne, 245 waggons, si je me rappelle bien le chiffre. Cet état de choses a duré quelque temps ; mais un nouvel encombrement s'étant produit, je crois qu'hier ou avant-hier l'administration du chemin de fer Rhénan nous a fait savoir qu'elle ne pouvait plus accepter que 45 waggons par jour. A la suite de l'annonce de cette nouvelle restriction que nous regrettons beaucoup, nous avons fait et nous faisons encore de nouvelles démarches pour tâcher d'obtenir que le chemin de fer rhénan accepte un plus grand nombre de waggons.

« Nous renouvellerons ces démarches et il sera ainsi satisfait à l'appel que vient de me faire l'honorable membre. Nous ferons tout ce qu'il nous sera possible pour rouvrir cette voie si importante de nos communications. Il n'a dépendu ni du gouvernement en général, ni de M. le ministre dés travaux publics en particulier, que les inconvénients signalés ne se fussent pas produits. »

Or, messieurs, un grand industriel de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, a reçu une lettre qui est en complété contradiction avec ce que disait M. le ministre des affaires étrangères et je voudrais avoir à ce sujet quelques explications.

Voici cette lettre, elle est datée de Cologne le 14 février 1871.

« En réponse à voire honorée lettre du 10 courant, nous avons l'honneur de vous faire part que sur toutes lignes en deçà de la frontière le transport des marchandises a recommencé à s'effectuer dès le 23 du mois de janvier dernier, de sorte que, de notre côté au moins, il n'y a absolument rien qui puisse empêcher l'expédition de vos marchandises.

« Dans voire intérêt, nous vous engageons à adresser directement une requête au ministre du commerce belge, afin d'obtenir l'annulation des empêchements dont vous nous parlez.

« Recevez, messieurs, nos civilités.

« La direction de la société du chemin de fer rhénan,

« (Signé) Joost. »

C'est sur ce point, messieurs, c'est sur la contradiction qui existe entre la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères et la lettre da M. le directeur de l'administration du chemin de fer rhénan que je désirerais avoir quelques explicitions.

M. Jacobs, ministre des finances. - L'honorable préopinant m'ayant communiqué l'objet de son interpellation, j'en ai conféré avec mon collègue des travaux publics, et il m'a autorisé à confirmer pleinement les déclarations que l'honorable baron d'Anethan a faites au Sénat. Il est vrai que le chemin de fer rhénan ne déclare pas, en principe, qu’il ne reçoit pas les waggons de marchandises en nombre illimité ; mais un jour il en accepté tel nombre, un autre jour tel autre nombre, si bien que l'encombrement se maintient et que nos waggons attendent, à la frontière, qu'ils puissent pénétrer en Allemagne.

Il en résulte une situation défavorable pour nos transports intérieurs, car les waggons qui attendent inutilement à la frontière font défaut au service intérieur.

J'admets parfaitement que la compagnie du chemin de fer rhénan annonce ce qui est dans ses intentions qu’elle veut effectuer tous les transports, mais ce qu'elle annonce n'a pu être réalisé complètement jusqu'à présent.

Interpellation relative aux conditions de transport des prisonniers et des vagabonds

M. Bouvier. - J'aurais désiré adresser une question à M. le ministre de la justice, mais je vois qu'il n'est pas à son banc.

Cette question, c'est un article que j'ai lu dans un journal et qui intéresse tout spécialement son département.

C'est sur une question d'humanité que je désire éveiller l'attention de M. le ministre de la justice.

Voici ce que je lis dans les notes communiquées à un petit journal très, répandu de celle ville :

« Permettez-moi de vous adresser quelques lignes concernant l'incurie, je dirai la cruauté avec laquelle s'opère le transfèrement des voleurs et vagabonds... » (Interruption.)

Ce sont nos semblables... (Nouvelle interruption.) Comment ! je suis fort étonné de voir les membres de la droite rire comme ils le font. Ces malheureux appartiennent à la race humaine, je pense, et on rit à droite !

- Un membre à droite. - On a ri aussi à gauche ; regardez derrière vous.

M. Bouvier. - Je n'ai pas besoin de regarder derrière moi, je trouve ces rires inconvenants.

M. le président. - Continuez, M. Bouvier.

M. Bouvier. - Je continue la lecture de la note :

« Pour vous en donner un exemple, qu'il vous suffise de savoir qu'aujourd'hui, par le train arrivant en gare du Midi, les prisonniers sortant des cellules de la voiture étalent presque totalement gelés ; c'était tout bonnement révoltant. Parmi eux, se trouvaient trois petits pifferas de six à huit ans à peine couverts et ne pouvant presque plus marcher, engourdis par le froid. Les gendarmes eux-mêmes en avaient pitié, cela suffit pour vous convaincre. »

j'appelle foute l'attention de M. le ministre de la justice sur ces faits de lèse-humanité signalés par ce journal, afin qu'ils ne se reproduisent plus à l'avenir.

Il m'aura suffi, j'espère, d'avoir appelé sa sollicitude sur un pareil oubli des devoirs de l'humanité pour mettre un terme à un spectacle révoltant, comme la note la qualifie.

Interpellation relative aux péages applicables aux embranchements du canal de Charleroi

M. Boucquéau. - Je désire interpeller MM. les ministres des finances et des travaux publics, au sujet des péages qui, contrairement à la loi du 1er juillet 1865, continuent à être appliqués aux embranchements du canal de Charleroi.

Vous le savez, messieurs, en vertu de cette loi, le péage sur tous les canaux administrés par le gouvernement a été réduit au taux maximum d'un centime par tonne-kilomètre, soit de 5 centimes par lieue. Or, messieurs, un péage de 30 centimes par lieue, six fois plus élevé que sur les autres canaux du pays, est maintenu sur les embranchements.

Lors de la discussion du budget des voies et moyens, il y a environ trois mois, M. le ministre des finances a bien voulu reconnaître la justice des réclamations que mon honorable collègue, M. Houtart, et moi, lui ayons adressées à cet égard ; il n'y faisait d'autre objection que le désir de régler du même coup les péages sur deux petits tronçons de chemins de fer qui se rattachent à deux branches de ces canaux : aux embranchements de Bellecour et de la Croyère.

Bien que cette raison ne fût pas très fondée, puisque rien ne doit empêcher la. voie navigable de jouir du droit commun, quel que soit le régime que l'on veuille appliquer aux chemins de fer qui s'y rattachent, nous l'avons admise, comptant bien que le règlement d'un pareil détail (il ne s'agissait, en effet, que de quelques kilomètres de petits chemins de fer industriels), comptant bien, dis-je, que ce règlement serait l'affaire de quelques jours.

Mais voilà trois mois de cela, messieurs, et il n'est pas admissible que le retard apporté au règlement de cette question de détail ait pour conséquence de maintenir sur la voie navigable un péage six fois plus élevé qu'il ne doit être d'après la loi commune ; je demande donc formellement à MM. les ministres que, sans plus tarder, ils appliquent le droit commun aux embranchements du canal sans se préoccuper des chemins de fer accessoires.

Rien ne presse d'ailleurs de régler l'autre question ; il suffit de la réserver expressément : il y avait peut-être là une expérience intéressante à faire sur le parti que l'on peut tirer de chemins de fer secondaires, en affermant leur exploitation moyennant des clauses et conditions déterminées. Il y aurait peut-être là pour les intérêts particuliers, pour l'industrie et le commerce comme pour l'Etat, une combinaison très pratique et féconde en résultats avantageux pour l'avenir.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, aujourd'hui il y a une taxe globale pour les voies par eau et pour les voies ferrées. Il est donc impossible, si l'on décompose cet ensemble, de ne pas régler les deux parties à la fois. Si l'on réglait les péages sur le canal et si l'on ne réglait pas en même temps les péages sur les voies ferrées, il se trouverait qu'il y aurait des chemins de fer sans tarif, Or, on ne peut pas rester dans une situation pareille. Il faut tout au moins que provisoirement on règle les tarifs des chemins de fer en même temps qu'on réglera les tarifs des embranchements du canal de Charleroi.

J'ai proposé, dans le courant du mois de janvier, à mon collègue des travaux publics de régler par arrêté royal cette question dans le sens suivant : on appliquerait une taxe générale d'un centime par kilomètre aux voies d'eau.

Quant aux voies ferrées, on appliquerait la taxe de 30 centimes par tonne, n'importe la distance. Mon collègue des travaux publics était saisi de cette proposition lorsque des intéressés sont venus le voir ; les uns s'en sont déclarés satisfaits ; d'autres ont réclamé. L'honorable ministre des travaux publics a alors envoyé, et il ne pouvait mieux faire, ma proposition à l'avis du comité mixte. C'est entre les mains de ce comité qu'elle est en ce moment ; j'espère qu'elle en sortira le plus tôt possible et que je pourrai réaliser les intentions que j'ai formulées dans le courant du mois dernier.

M. Pirmez. - L'honorable ministre des finances vient de faire une observation extrêmement juste ; il signale la connexité qu'il y a entre les tarifs des chemins de fer et les tarifs des voies navigables. Or, la réduction dès embranchements du Centre n'a été consentie sans opposition par beaucoup de membres de cette Chambre, qu'à la condition que l'abaissement dés tarifs n'aurait lieu que lorsque le chemin de fer de Charleroi à Bruxelles par la voie directe serait mis en activité. L'honorable ministre des finances lui-même a reconnu que cela était parfaitement connu de son département.

Je demande donc qu'on exécute la promesse qui a été faite de ne procéder à l'abaissement des tarifs des embranchements du Centre que lorsqu'on mettra en activité le chemin de fer de Charleroi à Bruxelles par la ligne directe, ou lorsqu'on prendra une mesure équivalente.

M. Boucquéau. - Pourquoi ?

M. Pirmez. - On me demande pourquoi !

Mais, messieurs, je ne puis rentrer dans la discussion de cette affaire ; je puis seulement dire à l'honorable M. Boucquéau, qui vient d'arriver dans cette enceinte, qu'il s'agit d'un fait qui s'est passé il y a trois ou quatre ans, que nous connaissons parfaitement et que M. le ministre des finances connaît aussi bien que moi.

M. Boucquéau. - Je le connais comme vous. (Interruption.)

M. Pirmez. - Mais laissez-moi donc parler ; vous êtes d'une ardeur désespérante.

M. le président. - Messieurs, nous ne pouvons pas entrer dans cette discussion. M. Boucquéau a fait une question et M. le ministre lui a répondu. Maintenant c'est le budget de l'intérieur qui est en discussion, ce n'est pas le budget des travaux publics.

M. Pirmez. - M. le président, je n'ai pas l'habitude de soulever des discussion incidentes. Mais quand on soulève des questions qui intéressent mon arrondissement de la manière la plus directe, j'ai le droit et le devoir d'introduire dans la discussion des éléments qui en font partie.

Il est incontestable que, lorsque pour faciliter les transports de charbon du Centre vers Bruxelles, on a racheté les embranchements du canal de Charleroi et qu'en même temps, pour favoriser les mêmes transports de Charleroi vers Bruxelles, on a décrété la construction d'un chemin de fer direct entre ces deux villes, il a été formellement convenu que ces deux mesures sortiraient en même temps leurs effets.

L'honorable M. Boucquéau veut qu'on applique immédiatement la mesure relative aux embranchements du canal de Charleroi. Je ne m'y oppose pas ; mais je demande qu'on mette immédiatement le bassin de Charleroi dans la situation où il devrait être si le chemin de fer direct était construit, en sorte que les mesures prises en faveur des deux bassins soient appliquées en même temps.

Le gouvernement peut ne pas admettre ma demande, mais ce sera par un délit de justice flagrant, par la violation d'un engagement pris envers le bassin de Charleroi.

Ma voix n'aura peut-être pas d'autorité sur le gouvernement, mais j'en appelle à mes collègues de Charleroi qui font partie de la majorité ; s'ils veulent approuver ce que fait le gouvernement en méconnaissant des droits acquis, je leur en laisse toute la responsabilité.

M. le président. - M. Houtart a demandé la parole ; mais je l'en gage à remettre ses observations à la discussion du budget des travaux publics..

M. Houtart. - Je n'ai demandé la parole que pour rappeler la promesse formelle qu'a faite le gouvernement lors de la discussion du budget des voies et moyens. Le gouvernement a fait alors une promesse formelle, d'abord à la section centrale et ensuite dans la discussion publique. Lorsque j'ai demandé à M. le ministre quand il comptait appliquer l'abaissement des tarifs sur les embranchements du canal de Charleroi, il m'a dit qu'il était très embarrassé de me répondre d'une manière positive, mais qu'il espérait pouvoir appliquer la mesure au 1er janvier.

Confiant dans cette promesse, notre bassin industriel s'est déclaré satisfait.

Je fais remarquer que toutes les combinaisons qui ont été prises autrefois, l'ont été au détriment du bassin du Centre, et, je le déclare, je n'ai jamais compris comment ce bassin, qui mérite à tous égards l'attention du pouvoir, était toujours resté bien au-dessous des faveurs que le gouvernement distribuait à pleines mains à Mons, à Charleroi, à Liège, par conséquent partout, excepté dans le Centre.

Je prierai donc M. le ministre de conserver à l'égard du Centre les bonnes dispositions qu'il a montrées, lorsqu'il a bien voulu me répondre, et je l'engage vivement à terminer cette affaire, qui intéresse éminemment les localités que nous avons l'honneur de représenter, les honorables MM. Boucquéau, Ansiau et moi.


M. de Borchgrave. - J'étais distrait lorsqu'on vous a fait l'analyse d'une pétition d'habitants de Looz, qui demandent une voie ferrée reliant cette localité à l'une ou l'autre voie ferrée. Cette pétition a été renvoyée à la commission des pétitions.

Je demande qu'elle soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1871

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Delcour. - Dans les séances précédentes, des paroles bien sévères ont été adressées par quelques membres à l'honorable ministre de l'intérieur. On l'a représenté comme un ennemi de l'instruction publique, comme un adversaire du progrès, comme un homme qui cherche à arrêter le développement des écoles primaires officielles dans l'intérêt des congrégations religieuses.

Je n'ai pas l'intention de relever de pareilles accusations. M. le ministre est placé trop haut dans l'estime du pays pour qu'il puisse en être atteint.

Lorsqu'on jouit dans le monde scientifique de la haute considération qui est attachée, au nom de M. Kervyn de Lettenhove, lorsqu'on a mérité le nom populaire d'historien des Flandres, lorsqu'on a l'honneur de faire partie de l'Institut de France, une des premières sociétés scientifiques du monde, lorsqu'on a été appelé par le choix libre de ses collègues à présider la classe des lettres de l'Académie royale de Belgique, on peut rire des accusations portées par des hommes bien peu connus encore dans le monde des lettres.

J'arrive maintenant aux questions d'instruction qui font l'objet de la discussion générale du budget de l'intérieur.

Je ne ferai aujourd'hui que quelques observations générales, me réservant de revenir sur les questions de détail lorsque la Chambre s'occupera des articles du budget.

Je me propose de parler d'abord des écoles normales, surtout des écoles normales privées, et spécialement des écoles normales pour les filles ; je dirai un mot des écoles adoptées et je tâcherai d'établir qu'il n'y a pas d'éducation possible sans l'enseignement de la religion.

La loi de 1842 sur l'enseignement primaire établit trois catégories d'écoles normales.

Ce sont d'abord les écoles normales de l'Etat. Elles sont au nombre de deux en vertu de la loi de 1842 ; mais quatre nouvelles écoles normales ont été créées par la loi du 29 mai 1866, deux pour les garçons et deux pour les filles. J'ai voté cette dernière loi, et j'engage M. le ministre de l'intérieur à en assurer l'exécution loyale et complète. C'est, du reste, l'intention que l'honorable ministre a manifestée dans cette enceinte, et sa déclaration m'inspire une confiance entière.

L'exposé des motifs de la loi de 1866 renfermait des chiffres que le temps ne m'a point permis alors de vérifier ; mais, depuis, j'ai pu me convaincre que de graves inexactitudes avaient été commises et qu'il y aurait sur le calcul de l'honorable M. Vandenpeereboom, auteur de cette loi, de sérieuses critiques à faire. Elles seraient sans utilité aujourd'hui que la loi existe et que le gouvernement est décidé à lui donner une complète exécution.

A côté des écoles normales de l'Etat, la loi a autorisé le gouvernement a adjoindre des cours normaux aux écoles primaires supérieures. C'est ce qui a eu lieu à Bruges, à Couvin, à Gand, à Huy et à Virton. Le gouvernement a pu, en vertu de ce pouvoir, procurer aux communes des instituteurs diplômés et satisfaire aux besoins de l'instruction primaire.

On a dit et répété souvent que la loi de 1842 est une loi transactionnelle.

Qui dit transaction, messieurs, laisse entendre que des concessions mutuelles ont été faites par chacune des deux grandes opinions politiques en présence. Nous rencontrons déjà dans l'adjonction des cours normaux aux écoles primaires supérieures un des effets de cette transaction.

Viennent, en troisième lieu, les écoles normales privées. Celles-ci existent en vertu de la liberté, mais elles n'acquièrent une existence légale qui les rende propres à former des instituteurs communaux et des institutrices communales, que lorsque, depuis deux ans au moins, elles ont accepté le régime d'inspection établi par la loi (article 10).

Quelques personnes ont pensé que cette seule condition suffisait ; le gouvernement ne l'a pas pensé, il a exigé que l'école normale privée fût agréée pour que les élèves pussent être admis aux examens.

Je ne critique pas l'utilité de l'agréation ; je reconnais volontiers qu'une école normale privée doit offrir des garanties au gouvernement pour être agréée.

Par application de l'arrêté royal du 25 octobre 1861, M. le ministre de l’intérieur a agréé cinq écoles normales pour filles, tenues par des congrégations religieuses. L'une de ces écoles a donné lieu à un débat qui a déjà occupé la Chambre pendant plusieurs séances. Quoique la question soit presque épuisée, je demande à la Chambre de me permettre de revenir un instant sur l'école normale des filles de la Croix, dont l'agréation a été prononcée à la demande de M. le chanoine Habets, fondateur de cette congrégation.

L’institution existe à Liège et, chose étrange, les honorables représentants de cette ville, qui ont critiqué avec une si vive amertume la conduite du ministre, semblent ignorer ce qui se passe même au sein de leur cité. J'ai été étonné surtout de l'assurance avec laquelle l'honorable M. d'Andrimont, ancien bourgmestre de Liège, a affirmé dans cette enceinte qu'il n'existait à Liège aucune école normale attachée à l'institut des filles de la Croix.

L'agréation de l'école normale des filles de la Croix à Liège soulève une question de droit et une question de fait, La question de droit a été débattue.

L'école agréée est soumise à toutes les prescriptions de la loi de 1842 et du règlement organique de 1861. Cependant je tiens à rappeler la déclaration faite hier par l'honorable M. de Theux, que l'école Habels ne jouira d'aucun subside.

Mais est-il vrai, comme on l'a répété souvent dans la discussion, qu'il n'y a pas d'école normale aux filles de la Croix et que, dès lors, l'agréation était impossible ?

Non, messieurs, cette allégation repose sur une erreur. L'école existe et son existence remonte à une époque déjà éloignée.

M. Delcour. -Je ne m'occupe pas de ce rapport. Il existe d'autres faits que je vais citer.

Lorsque la loi de 1842 fut promulguée, M. Habets, qui était, comme je l'ai dit, le fondateur de la congrégation des filles de la Croix à Liège, déclara soumettre son école au régime de la loi de 1842. L'école a été inspectée jusqu'en 1848, et à diverses reprises, par l'inspecteur provincial M. Pelletier, et par l'inspecteur cantonal M. Lemoine. Ces messieurs ont assisté aux leçons données par les religieuses. Tout cela est constaté, établi.

- Plusieurs voix à gauche. - Où cela est-il établi ?

M. d'Andrimont. - Dans quel dossier ?

M. Delcour. - Je n'ai pas vu de dossier.

M. d'Andrimont. - Ah !

M. Delcour. - Je suis vraiment étonné de cette exclamation ; je vous cite des faits et vous vous récriez. Eh bien, à mon tour, je demanda aux honorables députés de Liège de faire une enquête s'ils doutent de la vérité des faits que j'ai avancés, et je me soumets volontiers au résultat de cette enquête. Ils ne m'empêcheront, ni par leurs déclamations ni par leurs interruptions, de dire toute ma pensée.

M. de Rossius. - Priez le ministre de déposer le dossier sur le bureau.

M. Delcour. - J'ai déjà eu l'honneur de vous dire que M. le ministre de l'intérieur ne m'a pas remis le dossier ; je ne le lui ai pas demandé. (Interruption.)

M. Frère-Orban. - Ce sont les pièces du dossier du ministre qui disent que l'école n'était pas établie.

M. Delcour. - J'affirme qu'après la promulgation de la loi de 1842, l'école a existé, et qu'elle a été inspectée, jusqu'en 1848, par l'inspecteur provincial et par l'inspecteur cantonal.

M. Muller. - Comme école normale ?

- Voix à gauche. - C'est une erreur !

M. Delcour. - J'attends la démonstration de mon erreur ; jusque-là je suis en droit de dire que vous avez produit dans cette discussion des faits inexacts.

Je viens de dire que, jusqu'en 1848, l'école a été inspectée.

Cela s'est fait en vertu de l'article 10 de la loi de 1842, qui considère comme école normale l'école privée qui a accepté, depuis deux ans au moins, le régime, d'inspection.

Telle était l'interprétation que M. Habets donnait à l'article 10, mais elle n'a point prévalu. Le gouvernement exigea l'agréation ; mais M. le chanoine Habets considéra l'agréation comme inutile et maintint l'école comme école normale privée pour l'instruction des sœurs.

M. de Rossius. - C'est de la fable.

M. Delcour. - Ce sont des faits ; et je vous défie de les renverser.

M. d’Andrimont. - Les pièces du dossier démontrent le contraire.

M. de Rossius. - Prouvez ce que vous avancez.

M. le président. - Je vous prie, messieurs, de ne pas interrompre l'orateur.

(page 652) M. Delcour. -Vous me placez dans une étrange position ; vous niez l'existence d'un fait qui est patent.

M. de Rossius. - Mais. non.

M. Delcour. - Vous le niez.

M. de Rossius. - C'est le dossier qui le nie.

M. Delcour. - Je vous cite des faits ; si vous les contestez, je vous somme de prouver vos allégations ; renseignez-vous à Liège ; mais vous ne le ferez pas. Vous ne parviendrez pas a renverser les faits que j'ai affirmés.

Que M. Habels ait conservé l'école normale des filles de la Croix pour l'instruction des sœurs, il n'y a là rien qui doive vous étonner.

Cette congrégation dessert à Liège plusieurs écoles, pour le service desquelles elle emploie 44 maîtresses.

La méthode d'enseigner de ces religieuses a été chaque jour mieux appréciée par les communes, et, comme les diplômes étaient de plus en plus en vogue, les communes qui avaient adopté les écoles de la congrégation demandèrent des institutrices diplômées. Tel est le motif qui a engagé M. Habets a solliciter l'agréation de son école normale privée des filles de la Croix.

Grâce à la bonne direction imprimée à l'instruction des religieuses, la congrégation possède aujourd'hui de nombreuses succursales en Angleterre, en Prusse et aux Indes anglaises.

Elle compte, en Prusse, onze maisons importantes dans les localités suivantes : à Aspel, à Rees, à Xanten, à Wesel, à Emmerich, à Cologne, à Düsseldorf, à Pempelfort, à Malmedy, à Werden et à Rath, localités appartenant, les unes au diocèse de Munster, les autres au diocèse de Cologne. Ces maisons sont des écoles gardiennes, des écoles communales, des écoles supérieures ; et à Aspel et à Rath, la congrégation possède des écoles normales.

Ces faits établissent l'importance de cette congrégation qui, pour pourvoir aux nombreuses écoles qu'elle dirige, doit avoir à sa disposition un nombre considérable d'institutrices.

M. de Rossius. - C'est incroyable !

M. Delcour. - Je vous donne les noms des localités ; visitez-les et vous pourrez contrôler mes assertions.

M. Bouvier. - Il y en a aux Indes,

M. Delcour. - L'honorable M. d'Andrimont vous a représenté la congrégation des filles de la Croix avec un certain air de dérision, comme ayan£ exclusivement la direction d'une maison de refuge. Oui, messieurs, elles travaillent à ramener à la vertu ces jeunes filles qui sont trop souvent les victimes du dérèglement des mœurs de notre société moderne. Mais j'aurais voulu que l'honorable membre vous eût entretenus des autres établissements de charité auxquelles ces bonnes religieuses accordent leurs soins ; j'aurais voulu qu'il vous eût parlé de leurs orphelinats et de leurs hospices ; j'aurais désiré surtout qu'il n'oubliât pas les services qu'elles ont rendus dans un établissement de jeunes délinquantes et dans les prisons de femmes. Je suis assuré d'être l'interprète des sentiments d'une nombreuse partie de la population liégeoise en accordant à ces religieuses l'éloge qu'elles méritent.

Qu'un cours normal existe à l'établissement des filles de la Croix, c'est ce qui a été récemment constaté par l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire.

Après avoir été chargé par l’honorable ministre de l'intérieur actuel de prendre des informations sur la situation scientifique de l'établissement, M. l'inspecteur s'est rendu à l'improviste au couvent des filles de la Croix, ce pendant six heures, a fait donner toutes les leçons d'une école normale. Le rapport de M. l'inspecteur établit que cet honorable fonctionnaire a été satisfait, principalement des leçons de pédagogie qui avaient été données d'une manière distinguée. Il a fait une seule remarque sur l'enseignement des mathématiques, pour lequel il aurait désiré qu'on accordât plus d'importance à la théorie.

Après cet exposé des faits, succinct, mais vrai, je suis persuadé qu'on ne mettra plus en doute l'existence des cours normaux à l'institut des filles de la Croix. J'ai rapporté des faits qui m'ont été garantis par des personnes qui m'inspirent la plus grande confiance. Je les livre aux honorables représentants de Liège, afin qu'ils puissent les vérifier par eux-mêmes.

Les filles de la Croix, sans compter les autres établissements de charité qu'elles desservent, ont, à Liège même, sept établissements d'instruction (pensionnat, école normale, ouvroir, école du soir et classes gratuites), qui comptent 1,400 élèves et 44 maîtresses. Elles ont, en outre, en Belgique encore six autres maisons d'instruction fréquentées par 900 élèves et dans lesquelles se trouvent 35 maîtresses.

L'état général est celui-ci : pour la Belgique 2,300 élèves et 77 maîtresses, pour la Prusse 3,894 élèves et 78 maîtresses, pour l'Angleterre et les Indes 290 élèves et 20 maîtresses. En tout 6,484 élèves et 175 maîtresses.

L'incident vidé, je reviens aux principes de la loi de 1842.

Selon la jurisprudence établie, il faut, pour qu'une école normale privée soit admise à présenter des élèves aux examens et que celles-ci puissent obtenir le diplôme de normalistes, que l'école ait été agréée par le gouvernement. Je ne critique pas cette jurisprudence ; car il est manifeste que le principe de l'agréation a des avantages réels. Le gouvernement est mis à même de constater l'existence de l'école, de vérifier si les cours normaux y sont donnés par des maîtres capables, si l'enseignement est organisé selon les prescriptions de la loi et des règlements organiques.

Mais je demande que, dans l'application du principe, le gouvernement suive une interprétation large et constitutionnelle au lieu d'une interprétation restrictive et peu libérale.

Je prie la Chambre de ne pas oublier que l'article 17 de la Constitution proclame la liberté d'enseignement, et que, si le gouvernement veut rester fidèle aux traditions du Congrès national, la liberté doit être sa règle ; il ne peut rien sacrifier aux passions politiques.

Je ne m'oppose pas à ce que l'agréation soit soumise à certaines conditions, mais je ne saurais admettre que des conditions légales.

L'honorable M. Vandenpeereboom a rappelé la plupart de ces conditions. Il en est deux sur lesquelles je ne saurais être d'accord avec lui,

Mais d'abord, je le remercie de la franchise avec laquelle il a reconnu la nécessité d'agréer des écoles normales congréganistes, afin de placer les religieuses sur la même ligne que les laïques : il est entré loyalement dans cette voie, au nom de la liberté et de l'égalité de tous les Belges devant la loi.

C'est le vrai principe constitutionnel, selon moi ; je l'accepte, mais je demande à l'honorable M. Vandenpeereboom la permission de lui présenter deux observations.

Je m'explique que, comme ministre, et pour mettre sa responsabilité à couvert, l'honorable membre ail établi certaines conditions ; mais ces conditions sont-elles obligatoires pour ses successeurs ? Sont-elles prescrites par la loi ?

M. Vandenpeereboom. - Si on les a acceptées.

M. Delcour. - Un ministre n'est lié que par la loi ; un nouveau ministre peut avoir d'autres vues que son prédécesseur sur l'application de la loi, et s'il reste dans les conditions légales, aucun reproche ne peut lui être adressé.

M. Vandenpeereboom. - C'est un autre acte.

M. Delcour. - Ainsi, messieurs, pour traduire ma pensée dans un cas d'application, je dis que le ministre de l'intérieur actuel ne violerait pas la loi si, contrairement à la pensée exprimée par l'honorable M. Vandenpeereboom, il agréait plus d'une école normale de religieuses par diocèse.

Il n'y a pas là une condition légale, mais une simple condition de fait.

Il en est de même de la restriction qui défend aux écoles normales privées tenues par des congrégations religieuses d'accepter des élèves laïques.

Ce sont là des conditions que l'honorable M. Vandenpeereboom avait imposées ; mais, si j'avais l'honneur d'être ministre, je n'en tiendrais pas compte.

M. Bouvier. - C'est un nouveau système.

M. Delcour. - Un mot encore sur les écoles normales nouvelles. La Chambre n'a pas oublié la discussion soulevée dans cette enceinte relativement aux écoles normales de l'Etat à ériger à Mons et à Liège. L'honorable M. d'Andrimont est allé si loin qu'il a trouvé, dans ces observations, une tendance dangereuse pour le pays. Il a accusé M. le ministre de l'intérieur de vouloir favoriser l'enseignement congréganiste au préjudice de l'enseignement laïque.

L'honorable M. Sainctelette, en parlant de l'école normale à établir à Mons, a rappelé les contrats existants et en a demandé la scrupuleuse exécution.

Nous tenons, a-t-il dit, à ce que les bâtiments soient assez vastes pour répondre aux conditions du programme, sur la foi duquel nous avons traité. Et il ajouta cette remarque : Ne peut-on pas donner l’instruction normale à 100 élèves comme on la donne à 25 ?

Messieurs, si les honorables membres avaient fait une étude approfondie des besoins d'une école normale, ils n'auraient pas cédé à une idée générale, qui peut être vraie dans certains cas, mais qui ne se concilie pas avec les conditions spéciales d'un bon enseignement dans une école normale.

(page 653) C'est une vérité élémentaire en fait d'organisation de l'enseignement dans une école normale, que le nombre des élèves ne doit pas être trop considérable. Cette vérité est consignée dans les ouvrages qui ont été écrits sur cette partie importante de l'enseignement public ; elle a été rappelée, dans la discussion de la loi de 1842, par l'honorable M. Rogier.

L'honorable membre avait présenté un amendement ayant pour objet 1° d'établir trois écoles normales, au lieu de deux écoles qui étaient demandées par le gouvernement ; 2° d'autoriser le gouvernement à créer de nouvelles écoles normales si les besoins de l'enseignement l'exigeaient.

M. J.-B. Nothomb, auteur du projet de loi, soutenait que deux écoles normales de l'Etat répondraient largement aux nécessités de l'enseignement primaire ; il comptait, pour chaque école et annuellement, sur 70 à 80 élèves diplômés.

Les honorables MM.. Devaux et Rogier combattirent la proposition du ministre par une série de raisons, et tirent remarquer notamment que les écoles normales ne doivent pas avoir un trop grand nombre d'élèves, si l'on veut obtenir une instruction bonne et solide.

Voici les paroles mêmes de l'honorable M. Rogier :

« Il ne peut tomber dans l'idée d'un bon administrateur d'avoir des écoles normales renfermant un trop grand nombre d'élèves. Si vous voulez que ces écoles fournissent des instituteurs capables, moraux, dont l'éducation ait été surveillée tous les jours et à toute heure, il faut restreindre nécessairement le nombre des élèves. Ce ne sera pas dans la réunion de 200 à 300 jeunes gens que vous parviendrez à introduire toutes les qualités morales et intellectuelles que vous devez exiger des instituteurs. C'est lorsque la surveillance pourra s'exercer dans un petit cercle sur un nombre restreint d'élèves, qu'il vous sera permis d'espérer d'atteindre ce résultat. »

Vous l'entendez : l'honorable M. Rogier, homme d'une grande expérience, disait déjà en 1842 que les écoles normales ne peuvent pas comprendre un trop grand nombre d'élèves, si le gouvernement veut leur donner une organisation en rapport avec leur caractère et leur but.

Non, il n'est pas possible, si l'on veut rester dans les règles tracées par l'expérience, de faire donner dans une école normale, comme on le ferait dans une université, un cours pour 100 élèves comme on le donnerait pour 25.

M. Sainctelette. - J'ai dit 50.

M. Delcour. - Pour 50 comme pour 100. Le professeur d'université peut certainement s'adresser à 100 élèves, aussi bien qu'à un nombre plus restreint. Mais, dans des écoles normales, l'élève doit être constamment surveillé ; le professeur doit s'assurer du travail de toute la journée ; il doit l'exercer et l'habituer à enseigner.

Le professeur doit s'occuper de chaque élève en particulier, l'initier aux bonnes méthodes d'enseignement, le diriger dans cette tâche difficile. Voilà pourquoi l'administration doit suivre, pour la construction des écoles normales, des règles spéciales et en rapport avec le but qu'on désire obtenir.

Nous sommes bien loin, messieurs, de la tendance politique reprochée a M. le ministre de l'intérieur !

Il était dit, dans l'exposé des motifs de la loi de 1866, pour justifier l'établissement de deux écoles normales nouvelles pour les filles, qu'il existe quinze écoles normales privées dirigées par le clergé : le gouvernement exige-t-il trop, disait-on, en demandant à la législature de créer, pour les filles, deux écoles normales de l'Etat ?

Je l'ai dit tout à l'heure, la loi de 1866 est votée ; elle ne peut plus être discutée. Mais je tiens à faire connaître à la Chambre que, sur les quinze écoles normales privées agréées existant en 1866, six seulement sont dirigées par des congrégations religieuses, et que les neuf autres sont tenues par des laïques.

Le clergé inspecte les écoles congréganistes comme il inspecte les écoles laïques ; un prêtre y donne le cours de religion, et l'intervention du clergé se borne, pour les unes comme pour les autres, aux pouvoirs que lui confère la loi de 1842.

On a fait une autre objection, à laquelle je crois utile de répondre. Est-il vrai que le nombre des élèves diplômées, sorties des écoles normales privées dirigées par les congrégations religieuses, soit plus considérable que celui des élèves sorties des établissements laïques ? Peut-on craindre que les religieuses se substituent aux institutrices laïques ?

Pour répondre à ces appréhensions, j'ai cherché, messieurs, à m'éclairer par des chiffres exacts. Je me suis demandé quel est le nombre des diplômes qui ont été obtenus, pendant une période d'année» que j'ai fait remonter à 1858, aux élèves des établissements religieux et des établissements laïques. Or, le nombre des normalistes qui appartiennent aux écoles laïques, a été constamment. supérieur à celui des écoles dirigées par les religieuses.

[suit un tableau reprenant la répartition de ces deux catégories de normalistes, non repris dans la présente version numérisée. Quelques dates : 1858 : 21 issus des établissements religieux et 53 des établissements lâïques ; 1861 : 22 et 57 ; 1864 : 23 et 60 ; 1867 : 68 et 80 ; 1870 : 83 et 105]

Ces faits me dispensent de toute réflexion : ils démontrent avec quelle légèreté on se fait quelquefois, dans cette enceinte, l'écho d'accusations qui ne reposent que sur des chimères.

J'arrive aux écoles adoptées.

Permettez-moi de vous indiquer en quelques mots les principes de la loi de 1842 sur ce point important.

Il doit y avoir, dans chaque commune du royaume, au moins une école primaire (article premier.)

Lorsque, dans une localité, il est suffisamment pourvu aux besoins de l'enseignement primaire par les écoles privées, la commune peut être dispensée d'établir elle-même une école. (article 2.). Mais la commune est autorisée à adopter, dans la localité même, une ou plusieurs écoles privées réunissant les conditions légales pour tenir lieu de l'école communale. (article 3.)

L'adoption d'une école est entourée de formalités, de conditions qui empêchent tout abus sérieux.

La loi exige, en premier lieu, l'autorisation du gouvernement.

Si l'école ne se soumet pas aux prescriptions de la loi de 1842, si l'enseignement y est mal donné, le gouvernement, qui est informé de tous les faits par les inspecteurs de l'Etat, peut retirer l'adoption par arrêté royal.

L'article 3, relatif à l'adoption des écoles, est une des dispositions où le caractère transactionnel de la loi de 1842 se révèle d'une manière incontestable.

Quels étaient, messieurs, en 1842, les principes invoqués par les deux grandes opinions qui se partageaient le pays ?

L'opinion libérale ne voulait accorder les subsides de la commune ou de l'Etat qu'aux écoles communales proprement dites ; elle demandait que l'instruction primaire fût organisée par la loi dans chaque commune.

Les catholiques, s'appuyant sur le principe de la liberté d'enseignement écrits dans la Constitution, demandait qu'on s'en rapportât à la liberté, qui saurait pourvoir aux besoins de l'instruction primaire ; ils invoquaient la liberté des communes.

C'est sur ce terrain que la transaction s'est faite,

L'école primaire communale a été consacrée par la loi ; mais on a apporté à ce principe deux exceptions fondamentales.

La première de ces exceptions est écrite dans l'article 2 de la loi ; la seconde concerne les écoles adoptées.

Les communes ont le droit d'adopter une école libre pour tenir lieu de l'école communale ; l'article 3 de la loi est formel à cet égard. C'est à elles à juger, sous l'approbation du gouvernement, si l'école qui existe dans la commune peut remplacer l'école communale.

Oui, la loi de 1842 repose sur une double transaction. C'est une transaction au point de vue de la liberté communale ; elle est encore une transaction au point de vue des tendances des deux grandes opinions qui, en 1842, luttaient, comme elles luttent encore aujourd'hui, pour l'application de leurs principes. (Interruption.)

Je demande au gouvernement de rester fidèle à la transaction conclue en 1842, de maintenir les principes de la loi en matière d'adoption et de n'exiger, pour l'adoption des écoles communales, que les conditions écrites dans la loi.

Sans doute le gouvernement aura à apprécier la question d'opportunité ; mais il la résoudra conformément à l'esprit de la loi de 1842.

En insistant sur cette interprétation à donner à la loi, je demeure fidèle à son esprit et à sa lettre. L'exécution complète de la loi de 1842, ni plus ni moins, tel est mon programme.

Veuillez remarquer, messieurs, qu'en restant dans ces principes, j'appuie et je défends là liberté communale.

(page 654) Il est un autre point sur lequel la jurisprudence admise par le département de l'intérieur me paraît en opposition avec la liberté des communes.

L'article 10 accorde aux conseils communaux le pouvoir de choisir, avec l'autorisation du gouvernement, des instituteurs ou institutrices non diplômés. Pour qu'un conseil communal puisse user de ce droit ; il va sans dire que le candidat doit être capable et qu'il ait fourni la preuve de sa capacité.

Nous avons vu le ministère libéral refuser, dans plusieurs cas, l'autorisation qui lui était demandée, dans le seul but de confier, contre le gré du conseil communal, la direction de l'école, primaire à une institutrice laïque et d'écarter la religieuse demandée par la commune.

Eh bien, je viens convier l'honorable ministre de l'intérieur actuel de ne pas cédera un sentiment politique dans l'application de la loi sur l'enseignement primaire ; je l'engage a tenir compte du vœu des communes, chaque fois que le gouvernement pourra le faire sans nuire à la bonne organisation des écoles primaires.

Ce sont les principes que j'ai défendus à la Chambre au sujet de l'école communale d'Enghien. Je dis au gouvernement : Ayez confiance dans les mandataires de la commune qui, comme nous, tiennent leur mandat du peuple. (Interruption.)

Consultons encore, sur les écoles du pays, quelques chiffres importants.

Au 31 décembre 1868, il y avait en Belgique, pour 2,654 communes et une population générale de 4,984,351 habitants, 3,630 écoles primaires, dont voici la répartition :

Ecoles communales : Pour garçons 1,051 ; pour filles 621 ; pour les deux sexes 1,839. Total 3,511.

Ecoles adoptées : Pour garçons 36 ; pour filles 361 ; pour les deux sexes 167. Total : 564.

Ecoles privées inspectées : Pour garçons 13 ; pour filles 14 ; pour les deux sexes 7. Total : 67.

Ecoles libres : Pour garçons 348, pour filles : 680 ; pour les deux sexes 404. Total 1,432.

Il y avait donc par commune une moyenne de 2.2 écoles, et par groupe de 1,000 habitants une moyenne de 1.12 école.

Cette dernière moyenne est insuffisante : car un groupe de mille habitants donne 150 enfants arrivés à l'âge d'école, c'est-à-dire de 7 à 14 ans.

Malgré tous les efforts du gouvernement et des Chambres pour le développement de l'instruction primaire, vous voyez, messieurs, qu'il reste encore beaucoup de choses à faire.

Je me suis demandé : Comment répondre à ce besoin qui est généralement compris ?

Si vous aviez la même confiance que moi dans la liberté, je vous dirais : Comptez sur elle. La liberté d'enseignement, écrite dans notre Constitution, effraye trop de monde encore. Cependant, je ne connais pas de principe plus fécond dans ses effets, si je jette les yeux sur ce qui s'est fait en Belgique.

Lors de la discussion de la loi de 1842, M. J.-B. Nothomb a prononcé quelques paroles qui seront toujours vraies :

« L'Etat, disait-il, ne suffira jamais à tous les besoins de l'enseignement primaire ; les administrations publiques doivent aider au maintien et à la formation des institutions privées, qui prêtent un concours si efficace à la mission civilisatrice du gouvernement.

« Ce n'est pas trop de tous les efforts réunis et des administrations publiques et de la charité privée pour instruire la classe la plus malheureuse du peuple. »

Ces paroles prononcées en 1842 sont toujours vraies.

Il faut donc que la charité chrétienne et la liberté viennent au secours de l'Etat. C'est ce que les catholiques ont fait, en s'imposant les plus grands sacrifices.

Je prie la Chambre de vouloir tenir compte des faits suivants. A Bruxelles, en 1864, malgré les dépenses considérables que la ville s'impose pour l'enseignement primaire, les catholiques avaient 49 écoles gratuites dirigées par des associations religieuses et par le clergé. Ces écoles, qui ne coûtent pas un centime à l'Etat ni à la commune, étaient fréquentées par 9,847 élèves.

Les faubourgs de Bruxelles, à la même époque, comptaient 37 écoles gratuites dirigées également par des associations religieuses et fréquentées par 7,048 élèves.

Ainsi, pour Bruxelles et la banlieue, nous arrivons au chiffre considérable de 15,843 enfants et adultes redevables de l'instruction primaire à la charité catholique. (Voir la séance de la Chambre du 21 décembre 1864.)

En 1866 j'ai présenté à la Chambre le tableau des écoles dominicales existant dans la province de Brabant et dirigées par le clergé et les associations religieuses.

Ces écoles étaient au nombre de 134 et elles étaient fréquentées par 11,685 élèves. (Même séance.)

Un dernier mot sur les écoles d'adultes., La Chambre se rappelle que le règlement organique, émané de l'honorable M. A. Vandenpeereboom, avait placé ces écoles sous l'empire de la loi de 1842, en rendant obligatoire l'enseignement de la religion.

Ce règlement devint l'objet d'une grosse question politique qui amena une modification dans le ministère.

MM. Rogier et Vandenpeereboom se retirèrent du cabinet, et l'honorable M. Pirmez y entra pour faire prévaloir le principe que l'enseignement de la religion serait facultatif seulement dans les écoles d'adultes.

Eh bien, que sont devenues les écoles d'adultes établies en vertu de ce nouveau principe ?

Elles se trouvent, dans la plupart des communes, en un triste état. (Interruption.) Oui, je le répète, dans un triste état ; elles ne se soutiennent qu'avec peine et l'on m'a assuré qu'elles n'existaient même plus dans certaines localités.

M. Pirmez. - Vous ne voulez donc pas la liberté communale ?

M. Delcour. - Je veux la liberté communale ; mais je la veux pour les écoles d'adultes dans les termes de la loi de 1842. Si la politique des honorables MM. Rogier et Vandenpeereboom avait prévalu, elle aurait donné au pays un élément d'instruction et de moralisation que vous avez négligé.

Où, messieurs, les écoles d'adultes prospèrent-elles ? Elles prospèrent surtout là où elles comprennent l'enseignement de la religion.

J'ai recueilli, sur les écoles d'adultes catholiques, quelques détails intéressants pour la province de Brabant ; j'engage mes honorables collègues à en faire autant dans leurs provinces.

[Suit le tableau, par canton de cette province, du nombre des écoles privées pour adultes et du nombre des élèves. Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.]

Ce tableau ne tient pas compte d'un très grand nombre d'écoles d'adultes qui se trouvent dans Bruxelles et dans ses faubourgs

M. Frère-Orban. - Est-ce par communes ? Je voudrais avoir une. explication.

M. Delcour. - Le tableau dont je viens de donner lecture contient l'indication des écoles d'adultes par canton.

(page 655) Nos écoles catholiques se développent et prospèrent, grâce à l’enseignement de la religion, tandis que les écoles d'adultes des communes, soumises au régime établi par M. Pirmez, diminuent en nombre ; elles sont moins fréquentées et ont cessé d'exister dans certaines communes.

M. Muller. - C'est pour ce motif que M. le ministre de l'intérieur a supprimé le subside proposé pour les écoles d'adultes.

M. Delcour. - Nous nous occuperons plus tard de ce subside.

Il me reste à parler de l'enseignement de la religion et a établir que la religion doit être la base de l'éducation. Si ma démonstration devait résulter d'un fait, je la trouverais déjà dans les chiffres que j'ai eu l'honneur de citer. La prospérité des écoles catholiques est due à la confiance qu'elles inspirent aux familles de toutes les classes de la société.

Lorsque la loi de 1842 a placé l'enseignement de la religion en tête du programme des matières de l'enseignement primaire, le législateur a satisfait à une nécessité sociale. Aussi est-ce avec douleur que j'ai vu soustraire au régime de la loi de 1842 les écoles primaires supérieures pour les placer sous l'empire de la loi organique de l'enseignement moyen, et supprimer, pour ces écoles, l'obligation de l'enseignement religieux.

M. Rogier. - Pas du tout !

M. Delcour. - Pardonnez-moi ; en les plaçant, en 1850, sous l'empire de la loi nouvelle, on a voulu les soustraire à l'inspection du clergé.

Oui, c'est un fait consommé pour les écoles primaires supérieures ; je ne pense pas à le modifier, mais vous ne m'empêcherez pas de déplorer la politique qui a produit ce changement.

Que l'atmosphère de l'école doive être religieuse, c'est une vérité proclamée par les hommes d'Etat les plus éminents de tous les siècles ; j'ai cité leurs témoignages en 1836. L'heure est trop avancée pour les reproduire aujourd'hui, je n'ai que le temps d'insister sur quelques principes fondamentaux.

Le sentiment du devoir s'affaiblit chaque jour dans nos populations ; on prêche à nos classes ouvrières, sous mille formes diverses, les doctrines les plus dangereuses et les plus subversives de l'ordre social. Le seul remède à apporter au mal, c'est de développer dans les consciences les sentiments religieux et l'amour de Dieu.

Croyez-vous que vous rendez un service au pays en affaiblissant l'influence religieuse dans les masses ? C'est le plus grand danger que pourrait courir l'avenir de notre chère Belgique.

M. Bouvier. - Vous nous prêtez des opinions que nous n'avons pas.

M. Delcour. - Il y a surtout une catégorie de personnes pour lesquelles l'enseignement de la religion est une nécessité de premier ordre ; je veux parler de l'éducation de la femme. Sous le prétexte de ramener l'unité des principes entre l'homme et la femme, on veut élever la femme en libre-penseuse ; sous le prétexte de la soustraire à l'influence du prêtre, on lui enlève toutes les consolations de la religion.

Laissez-moi vous dire que vous renversez la base de la famille. Mais la Belgique, messieurs, à quoi doit-elle sa situation si prospère ? Elle la doit en grande partie aux vertus domestiques de ses enfants ; c'est que nous avons en Belgique des mères de famille chrétiennes, c'est que nous avons des femmes religieuses, des femmes qui comprennent leurs devoirs vis-à-vis de leurs maris et vis-à-vis de leurs enfants.

Eh bien, c'est là ce que je veux maintenir, et je combattrai toujours, et de toute l'énergie de mon âme, les principes qui doivent conduire à renverser la famille, le plus ferme soutien de la civilisation chrétienne.

M. Pirmez. - Messieurs, l'honorable M. Delcour a, dans son discours, signalé la modification qu'a subie, en 1868, le règlement des écoles d'adultes, comme ayant exercé une influence néfaste sur ces écoles.

Je désirerais que l'honorable M. Delcour voulût bien indiquer les écoles où l'application du nouveau règlement a exercé cette influence.

Comme ma question peut provoquer des recherches, j'ai pensé qu'il convenait de la faire avant nos vacances, pour que l'honorable membre puisse à loisir se procurer des renseignements.

Projet de loi sur la réforme électorale

Rapport de la section centrale

M. Royer de Behr. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur la réforme électorale.

M. Bouvier. - Sur l'ignorance électorale.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

M. Coomans. - M. le président, si j'ai bien compris, vous-venez de dire que ce rapport serait mis à la suite de l'ordre du jour.

M. le président. - Sans doute.

M. Coomans. - J'adhère complètement à cette décision et j'espère qu'elle sera maintenue.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1871

Discussion générale

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je me proposais de vous soumettre les quelques observations que je vais présenter, dans la discussion de la loi allouant un million pour construction d'écoles. Vous savez, messieurs, que cette discussion a été écourtée et qu'il a été entendu qu'elle pourrait être reprise à l'occasion de la discussion du budget de l'intérieur.

Comme j'ai aussi quelques observations à présenter à propos de la loi de 1842 dont on vient de faire un si grand éloge, je crois que ces observations trouveront mieux leur place dans la discussion générale que dans la discussion du chapitre spécial à l'instruction primaire.

Dans la séance du 13 janvier 1869, j'avais demandé à M. le ministre de l'intérieur, qui était alors l'honorable M. Pirmez, de bien vouloir nous donner aussi approximativement que possible, non la statistique des écoles primaires existantes, que nous pouvions trouver dans les documents distribués chaque année à la Chambre, mais, ce qui nous manque absolument, la statistique des écoles non existantes, c'est-à-dire le nom et le nombre des communes qui manquent encore d'écoles et de nous donner en même temps une évaluation, aussi approximative que possible, des dépenses à faire pour doter ces communes d'établissements scolaires convenables, afin que la Chambre fût en mesure de calculer avec précision les efforts qui restent à faire pour que la nation ait à sa disposition un matériel complet d'instruction primaire.

Il n'a pas été répondu jusqu'à présent d'une façon directe et précise à la question que j'ai adressée à l'honorable ministre de cette époque. Cependant, dans le discours d'introduction à la discussion actuelle l'honorable M. Kervyn de Lettenhove a indiqué, d'une façon générale, le chiffre de 50 à 60 millions comme étant la somme encore nécessaire pour la création d'écoles primaires.

Messieurs, j'ai été élevé à l'école de saint Thomas ; surtout quand il s'agit d'assertions ministérielles, je n'accepte pas toujours les affirmations des ministres, quels qu'ils soient, sans les soumettre à un contrôle rigoureux. C'est pourquoi j'ai voulu me rendre compte du fondement de l'assertion de l'honorable ministre, par l'examen des faits constatés par les rapports mêmes de son département. Car notez bien, messieurs, que nous n'avons pas d'autres moyens de contrôle que ceux qui nous sont fournis par les administrations mêmes dont nous voulons vérifier les dires et contrôler les actes.

Voici quel a été le résultat de mes investigations. Comme vient de nous le dire l'honorable préopinant, il existait en Belgique à la fin de 1866, 5,630 écoles primaires, dont 3,511 écoles communales ; les autres sont des écoles adoptées ou libres. Cela fait donc plus d'une école communale par commune et par conséquent, toutes les communes ou à peu près devaient, dès 1866, déjà être pourvues d'écoles primaires ; d'autre part l'honorable ministre affirmant (et il doit être en mesure mieux que personne de justifier son affirmation) qu'il fallait encore 50 à 60 millions pour pourvoir toutes les communes d'établissements scolaires, j'ai voulu me rendre compte de ce que produirait l'emploi de cette somme considérable.

J'ai trouvé dans le rapport triennal de 1864 à 1866, et, à ce propos, je dois faire remarquer qu'il est extrêmement étonnant que le rapport triennal de 1866 à 1869 ne soit pas encore déposé et que nous soyons obligés d'avoir recours à des documents aussi surannés que ceux de 1866 pour établir des raisonnements qui s'appliquent à l'année 1871. Je trouve donc dans ce rapport un état très détaillé sur la construction des écoles communales primaires pendant cette période triennale. J'y trouve qu'il a été construit, dans ces trois années, 664 écoles entièrement neuves, savoir [suit un tableau reprenant par provinces ces 664 élèves et leur coût, soit au total 13,263,785 francs), ce qui donne une moyenne de 221 écoles construites, par an, avec une dépense de 4,421,261 francs et, par école, 19,975 francs.

(page 656) Or, nous devons admettre que dans les quatre années écoulées, si l'on a continué à construire dans la proportion des trois années antérieures, c'est-à-dire à raison de 221 écoles par an, il a dû se dépenser une somme à peu près égale, c'est-à-dire treize à quinze millions et 880 écoles.

Je trouve, par cet examen, des chiffres que la somme de cinquante à soixante millions devrait donner la possibilité de construire de 2,400 à 3,000 écoles.

Eh bien, messieurs, je me demande où l'on pourrait placer 2,400 à 3,000 écoles nouvelles, alors que nos 2,554 communes sont déjà en possession, dès aujourd'hui, de 4,390 écoles communales, sans compter les 2,119 écoles adoptées ou libres qui existaient, en outre, en 1866.

Je me suis fait à moi-même cette question et j'en ai cherché la réponse. Je crois l'avoir trouvée dans le système tout nouveau adopté par l'administration de l'instruction publique au département de l'intérieur dans ces dernières années.

Jusqu'à présent les communes, - je parle principalement des communes rurales, ce sont celles où le manque d'écoles se fait le plus sentir - s'étaient efforcées à avoir au centre une bonne école. Elles faisaient des sacrifices, souvent au-dessus de leurs moyens ; elles s'obéraient d'emprunts considérables dans ce but et elles étaient encouragées dans cette voie par le département de l'intérieur.

Mais, tout à coup, il y a deux ou trois ans, un changement s'est produit dans les bureaux du ministère de l'intérieur. Une lumière nouvelle les a éclairés et ils ont cherché à pousser les communes rurales dans une nouvelle voie. Ce n'est plus une école qu'il faut dans une commune, c'est autant d'écoles qu'il y a de hameaux.

Dans plusieurs cas, des plans étaient approuvés par toutes les autorités compétentes, des terrains étaient déjà achetés même avec l'autorisation du département de l'intérieur, et tout à coup, sans préavis, celui-ci a déclaré qu'il fallait changer tout cela et faire deux, trois, quatre écoles, suivant le nombre des hameaux, dans des communes qui à grand-peine avaient, réuni les fonds pour une seule école.

Or, messieurs, il n'est pas du tout indifférent à la bonne administration de l'instruction publique que tel système soit adopté plutôt que tel autre. Celui que je viens d'indiquer est tout à fait contraire à cette bonne administration. D'abord beaucoup de communes sont dans l'impossibilité matérielle d'avoir une école dans chacun de leurs hameaux et là où l'on pourrait se soumettre à cette exigence, on aurait deux ou trois mauvaises écoles au lieu d'une bonne.

Je me suis demandé, par conséquent, si c'est par suite de ce nouveau système inventé dans les bureaux du ministère de l'intérieur, que la nécessité de dépenser 50 ou 60 millions s'était révélée.

Messieurs, je dois dire que, d'après moi, c'est une toute autre voie qu'il faudrait suivre.

D'après moi, pour avoir une bonne instruction primaire, il faut une bonne école au centre de la commune, l'école la meilleure possible au point de vue matériel et personnel et n'avoir dans les hameaux que des écoles secondaires, des écoles purement préparatoires où les jeunes enfants seuls seraient appelés. De cette façon, les enfants passant de 6 à 9 ans dans les écoles préparatoires, quand ils arriveraient à l'école centrale, seraient préparés à recevoir l'instruction et de 9 à 12 ans ils feraient des progrès qu'ils ne peuvent faire dans des écoles où ils sont constamment retardés et découragés par l'arrivée continuelle de commençants qui ne savent absolument rien.

Ces écoles préparatoires n'exigeraient pas des bâtiments neufs et spéciaux érigés à grands frais ; elles ne demanderaient pas même un personnel diplômé, il suffirait de simples gardiens sachant donner les premiers éléments de la lecture.

Voilà des considérations que je soumets à l'honorable ministre de l'intérieur afin qu'il examine de nouveau et très sérieusement la doctrine qui a été adoptée dans son département, pour la construction des écoles dans les communes rurales.

Messieurs, ce premier point passé, j'ai à examiner maintenant si la loi de 1842 mérite bien les éloges qu'elle a reçus à plusieurs reprises dans cette discussion tant par M. de Theux qui a déclaré que pour lui c'étaient les colonnes d'Hercule qu'il ne fallait pas franchir et par M. Delcour qui vient de lui accorder son approbation sans réserve.

Vous connaissez tous, messieurs, ce proverbe tiré de l'Evangile, que l'on doit juger de la valeur d'un arbre par ses fruits. C'est donc par les fruits de la loi de 1842 que nous pourrons juger si cette loi mérite tous les éloges qu'elle a reçus

Le volume de statistique que nous venons enfin de recevoir, après cinq ans d'attente, et dont les données remontent, par conséquent, à l'année 1866, nous donne à ce sujet des renseignements extrêmement curieux. Il en résulte que les hommes (je ne parle que de la partie masculine de la population) nés en 1830 ou avant, c'est-à-dire qui n'ont pu jouir des bienfaits, de la loi de 1842, fournissent une proportion d'illettrés de 45 p. c. La loi de 1842 survient ; cette loi était faite, a dû être faite du moins pour répandre l'instruction dans toutes les couches de la population. Or, si je prends la génération d'hommes qui ont pu jouir des bienfaits de cette loi, et je trouve que les hommes nés depuis 1840 ou qui, en 1842, avaient l'âge scolaire, fournissent une proportion d'illettrés de 40 à 41 p. c. Li différence n'est donc que de 4 p. c.

Or, voilà bientôt trente ans que cette loi existe et de nombreuses générations d'écoliers se sont succédé dans les écoles. Nous avons donc le droit de nous étonner que cette loi de 1842 ait produit des résultats aussi minces, pour ne pas dire aussi misérables.

Notre devoir, messieurs, est d'examiner quelles sont les causes de cette inefficacité et pourquoi, après trente années d'expérience, cette loi de 1842 a produit des résultats aussi peu marquants. Si cette loi avait atteint son but, il ne devrait plus aujourd'hui y avoir d'illettrés dans la population que ceux qui sont incapables de recevoir aucune instruction. Pourquoi cependant la proportion d'ignorants est-elle aussi considérable ? (Interruption.) Puisque l'on conteste le tableau fourni récemment par le ministère de l'intérieur, on ne contestera pas les tableaux fournis chaque année par les députations permanentes et aussi ceux dressés pour la conscription.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je demande la parole.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Ces derniers tableaux nous indiqueront encore qu'une partie considérable de la population reste sans instruction.

Je me suis efforcé de découvrir les causes de cette inefficacité et je dois dire que je les ai trouvées dans la loi elle-même.

Or, je dois dire, après l'étude du système établi par cette loi, que je ne partage en aucune façon l'opinion favorable exprimée par MM. Delcour et de Theux sur l'excellence de la loi de 1842. Cette loi est mauvaise, essentiellement mauvaise dans son principe comme dans ses dispositions, et je demande à la Chambre de pouvoir le lui démontrer.

Je trouve, dans la loi de 1842 même, les causes de son inefficacité.

Et en effet, à qui l'exécution de cette loi a-t-elle été remise ? Est-ce aux partisans sincères et convaincus de l'instruction du peuple ?

Eh bien, je n'hésite pas à le dire, car c'est la simple vérité : l'exécution de cette loi a été confiée exclusivement, sinon aux adversaires, je ne voudrais pas que l'on pût me taxer d'exagération, mais à coup sûr à ceux qui redoutent l'instruction répandue parmi le peuple ou qui lui sont totalement indifférents.

Je ne fais pas de distinction de partis. Il y a des adversaires de l'instruction du peuple partout ; parmi ceux qui se disent libéraux comme parmi ceux qui s'appellent conservateurs, partout il se trouve des personnes qui, au moins jusqu'à ces derniers temps, ont cru qu'il n'était pas bon de répandre trop l'instruction primaire.

Dans beaucoup de communes et même dans des communes urbaines, l'opinion n'était pas qu'il fallait pousser très vivement à l'instruction. Cette opinion s'est sans doute modifiée, surtout depuis que l'opinion libérale a pris la direction des affaires, et c'est là, je le dis avec satisfaction, un des grands motifs de la reconnaissance que le pays lui devra dans l'avenir.

L'opinion libérale, dès qu'elle est arrivée au pouvoir, a poussé à l'instruction ; elle y a poussé vigoureusement, et nous sommes, je l'espère, arrivés à quelques résultats.

Eh bien, messieurs, à en juger par la discussion qui a lieu depuis plusieurs jours, je ne sais pas si la majorité actuelle est disposée à revenir de ses anciens préjugés contre l'instruction primaire ; il me semble, d'après toutes les explications données et qui viennent d'être reproduites, que cette opinion ne s'est pas encore complètement modifiée en faveur de l'instruction du peuple. Elle continue à y voir un danger plutôt qu'une sécurité.

Les justifications qui ont été fournies de certaines mesures restrictives, l'éloge fait d'établissements qui ne sont pas précisément destinés à donner une instruction très approfondie aux enfants du peuple, tout cela m'inspire des craintes que je voudrais voir dissiper.

Je désirerais à cet égard des assurances plus formelles que celles que nous devons notamment aux honorables MM. de Theux et Delcour, que l'instruction qui s'adresse aux classes populaires sera poursuivie, non pas (page 657) au point de vue de l'influence politique, mais pour l'instruction elle-même, pour les résultats qu'on doit en attendre pour l'amélioration du peuple.

Je dois le dire encore, une autre cause du peu d'efficacité de la loi de 1842, c'est que cette loi a eu pour effet d'introduire la politique dans la question de l'instruction. Or, la politique gâte tout ce qu'elle touche. C'est en vue des avantages politiques à retirer de l'organisation de cette loi, des influences qu'on a espéré y trouver, que la loi de 1842 a été faite au point de vue exclusif d'une des opinions qui divisent le pays ; c'est surtout à ce point de vue que la lutte s'est établie entre l'élément civil et l'élément religieux, chargés de l'exécution de la loi. Or, il est visible que l'introduction de l'élément religieux n'a pas eu précisément pour effet d'avancer l'instruction, et contrairement à ce que vient de dire l'honorable M. Delcour, l'introduction de cet élément a eu pour résultat de la retarder.

N'est-il pas incontestable que, par l'organisation chargée de la mise à exécution de la loi, les professeurs, les instituteurs sont souvent placés dans une position extrêmement difficile. Ils se trouvent entre l'inspecteur ecclésiastique et l'inspecteur civil. Souvent ils doivent, en outre, complaire au bourgmestre ; c'est là une position qui n'est pas du tout favorable à l'indépendance et à la tranquillité d'esprit nécessaires à l'avancement de l'enseignement.

Aucune initiative n'est laissée à l'instituteur, aucune liberté même ne lui est laissée. Malheur à lui s'il osait les réclamer !

L'instituteur primaire dans l'organisation tant préconisée de 1842, je le considère comme plus enchaîné, moralement parlant, que le nègre dans les colonies.

Le nègre, au moins, après avoir fourni sa journée de travail, retrouve le soir dans sa cabane la liberté de conscience, la liberté d'esprit. Notre pauvre instituteur n'a pas même ces libertés de l'esclave. Il est obligé de se soumettre à des exigences inouïes, s'il ne veut pas perdre sa position, s'il ne veut pas exposer le pain de sa famille. Ne voyez-vous pas, messieurs, qu'il y a là un danger énorme pour la société ? Comment voulez-vous qu'un homme qui n'est pas libre puisse enseigner ce que je considère comme le but principal de l'enseignement : l'émancipation des jeunes générations.

Comment voulez-vous qu'un homme qui n'a pas sa liberté d'initiative puisse apprendre à ses élèves cet esprit d'initiative sans lequel il n'y a pas d'homme, et cet esprit d'indépendance sans lequel il n'y a pas de nations libres ?

Mais, messieurs, qu'est-ce qui fait la supériorité immense de l'enseignement primaire aux Etats-Unis comparé à l'enseignement primaire sur le continent ? Mais c'est précisément cet esprit d'initiative, d'indépendance et de liberté inculqué aux jeunes générations.

D'où vient que des écoles primaires, aux Etats-Unis, sont sorties et sortent tous les jours des hommes d'Etat, des financiers, des hommes capables dans toutes les branches de l'industrie humaine ? C'est précisément par l'esprit d'initiative qu'elles inculquent aux enfants.

Croyez-vous que la population des Etats-Unis laisserait trafiquer d'elle, comme des diplomates sans principes ont osé le proposer sur notre continent ?

Comment donc voulez-vous que notre institution primaire puisse prendre ce développement et donner à la nation cette vigueur morale, si nécessaire en ces moments difficiles, si l'instituteur primaire est, comme je l'ai dit tout à l'heure, placé par la loi et l'organisation actuelle, dans l'état d'esclavage moral et intellectuel que je viens de signaler ?

Messieurs, j'ai dû abréger considérablement mon discours, vu l'heure avancée, mais j'ai cru devoir appeler l'attention de la Chambre et du pays sur ces questions importantes ; j'ai cru devoir élever la voix contre ce satisfecit donné à la loi de l'instruction primaire, aussi bien sur les bancs de la gauche que sur les bancs de la droite.

Je ne veux pas m'associer à ces éloges et je demande que le pays examine très sérieusement cette loi au point de vue que j'ai signalé afin d'y porter le plus tôt possible la réforme qu'elle exige impérieusement, si l'on veut que l'instruction primaire fasse des progrès réels dans les populations et leur soit utile pour les guider dans toutes les circonstances de la vie.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il pourrait y avoir un inconvénient sérieux à ce que les paroles prononcées par l'honorable préopinant se répandissent dans le pays, si le gouvernement ne se hâtait de donner quelques explications.

Le degré d'ignorance qu'a signalé l'honorable M. Le Hardy, n'existe pas.

Je reconnais que les documents statistiques publiés récemment justifient ce que vient d'exposer l'honorable membre ; mais je suis heureux de dire qu'à côté de ces documents statistiques, qui paraissent avoir été recueillis avec peu d'exactitude, se place une enquête que j'ai fait faire dans toutes les provinces par les soins des inspecteurs provinciaux.

Les résultats en sont encore incomplets ; ils sont toutefois de nature à tranquilliser et la Chambre et le pays. Ils démontrent que si, pour certaines localités, le travail industriel forme un obstacle sérieux à la diffusion de l'enseignement primaire, si ailleurs on manque de maisons d'école, il n'en est pas moins vrai que dans la généralité du pays, on peut constater une situation satisfaisante et un progrès incontestable.

Je me féliciterai de mettre ces documents sous les yeux de la Chambre. Ils attestent que, dans un grand nombre de localités, il n'y a plus un seul enfant qui ne fréquente l'école primaire. Dans d'autres localités, la proportion de ceux qui la fréquentent, s'élève, non à 15 p. c, ce que l'on a toujours considéré comme le degré le plus satisfaisant, mais à 16 et même à 17 p. c.

Ce sont des renseignements très intéressants et que je me ferai un vrai plaisir, je le répète, de mettre sous les yeux de la Chambre.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Quand ?

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Si cela peut être agréable à l'honorable membre, je les ajouterai comme note aux paroles que je prononce en ce moment. [Ces données statistiques sont insérées aux pages 659 à 667 et ne sont pas reprises dans la présente version numérisée.]

- Des membres : Oui ! oui !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Quant à la question de la dépense des maisons d'école, je ne sais pas si j'ai été bien compris.

Lorsque j'ai parlé de 50 à 60 millions après une enquête qui me donnait la conviction que la première appréciation était trop vague, trop inférieure aux besoins réels, je n'ai pas voulu parler de la part d'intervention de l'Etat, mais du chiffre global qui représentait à la fois l'intervention de l'Etat, celle de la province et celle des communes.

Ensuite l'élévation des dépenses probables que je signalais résultait de chiffres admis en matière de construction, chiffres que je crois exagérés. Je prie la Chambre de ne pas le perdre de vue : lorsque, au mois de décembre, j'ai rédigé une circulaire dont l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu me sera reconnaissant lorsqu'il l'aura étudiée avec l'attention qu'elle mérite selon moi, c'était précisément afin que, dans les localités pauvres, on pût réduire considérablement la dépense, et afin que l'Etat, par une part d'intervention qui n'atteindrait plus 20 ou 30 millions, mais qui serait promptement réalisable, pût provoquer dans une large proportion la construction de ces maisons d'école indispensables, je l'ai déjà dit, aux progrès de l'enseignement.

Je puis le déclarer à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu : tous les ministres, toutes les opinions se font honneur, en Belgique, de développer l'enseignement populaire.

Lorsque, il y a quelques jours, nous demandions à la Chambre un crédit d'un million pour construction de maisons d'école, ce crédit était voté à l'unanimité : c'est qu'en effet l'enseignement, primaire n'est pas un intérêt politique, c'est pour chacun de nous un intérêt social.

- La séance est levée à quatre heures et demie.