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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 février 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 616) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Hulshout demande le maintien des commissaires d'arrondissement. »

« Même demande du conseil communal de Baelen. »

- Renvoi à, la commission des pétitions.


« Le sieur Delvaux demande que la taxe d'affranchissement des affiches manuscrites soit égale à celle des affiches imprimées. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Bovenistier demande la construction d'un chemin de Bovenistier à Remicourt, le long de la voie ferrée. »

- Même renvoi.

« Le sieur Wirard demande la révision des pensions des instituteurs. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Willems, président, et Piffer, secrétaire de la société dite : Met Tijd en Vlijt, à Louvain, demandent que, dans les provinces flamandes, la langue flamande soit substituée, à la langue française dans tous les degrés de l'enseignement et aux examens. »

- Même renvoi.


« Le sieur Veryvins, ancien capitaine, demande la révision de. sa pension. »

- Même renvoi.


(erratum, page 675) « Le sieur Van Ruysevelt demande à qui incombe la dépense de l'entretien des orphelins qui, n'ayant plus la jouissance de leur pension, sont hors d'état de pourvoir à leur subsistance par le travail. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Pont demande s'il appartient au département de l'intérieur d'échanger ou de troquer des tableaux acquis par le gouvernement pour orner les musées de l'Etat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion, du budget de l'intérieur.


« Des habitants dans l'arrondissement de Bruxelles demandent le vote à la commune pour toutes les élections et le fractionnement du collège électoral en circonscriptions de 80,000 âmes. »

- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces à l'appui, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Duployez (Christian-Ludovic). »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par message du 15 février 1871, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté, dans sa séance du même jour, le projet de loi approuvant la convention conclue, le 12 décembre 1870, pour le déplacement de l'établissement de la Monnaie. »

- Pris pour notification.


« M. de Rossius, rappelé chez lui, demande un congé. »


M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport du comité

de législation dont la communication a été demandée hier par l'honorable M. Vandenpeereboom.

M. De Lehaye. - Messieurs, ce rapport est très important. Il se rattache à une question que la Chambre examinera, à l'occasion du budget de l'intérieur, je veux parler de l'organisation des écoles de filles. Je demanderai que ce rapport soit imprimé et distribué.

- Cette proposition est adoptée.


M. Pery de Thozée (pour une motion d’ordre). - Les conseils communaux de Hulshout et de Baelen demandent le maintien des commissaires d'arrondissement. Contrairement à la décision que vient de prendre la Chambre, en renvoyant ces requêtes à la commission des pétitions, j'ai l'honneur, messieurs, de proposer le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi modifiant l'article 132 de la loi provinciale. Je demande, en outre, que les autres pétitions préconisant le maintien ou la suppression des commissaires d'arrondissement, qui ont été adressées à la Chambre ces jours passés, soient renvoyées à la même section centrale.

M. Lelièvre. - Il me semble qu'il suffirait d'ordonner le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.

- Des membres. - Oui ! oui !

- Le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur est ordonné.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1871

Discussion générale

M. Julliot. - Messieurs, dans notre pays d'ordre et de liberté, où l'on peut tout dire et tout écrire, sans en demander la permission à qui que ce soit, où le peuple achète journellement des milliers de journaux à bas prix dans les rues, la politique doit nécessairement s'introniser à tous les étages de la société, depuis le grand salon jusqu'au cabaret et même à la cuisine.

Or, d'après la statistique, 30 sur 100 de tous ces politiques n'en comprennent pas le premier mot, et les 70 qui restent cherchent à mener dans leur direction respective les braves gens que vous savez et dont une partie flotte en l'air, et alors il devient difficile de gouverner pour les uns comme pour les autres.

Je me suis souvent demandé et me demande encore s'il est utile d'attirer les masses sur le terrain politique et j'avise négativement, parce que je n'ai pas foi dans la haute raison du flot populaire.

D'ailleurs, je n'estime pas plus les flatteurs du peuple que les flatteurs des rois, car les uns comme les autres trompent leur idole pour mieux l'exploiter.

Je ne sais si je dois le dire, et j'en demande pardon d'avance aux démocrates de toutes les couleurs, mais je regrette que le Congrès n'ait pas admis l'élection à deux degrés, cela eût épargné beaucoup de temps et d'argent et évité de nombreuses et honteuses corruptions, destructives de la moralité du peuple.

Dans ce système, le degré des droits répond au degré des devoirs, mais ceci est hors de cause.

On se propose d'élargir les droits du peuple dans les élections et cela est logique, si en proportion on augmente sa responsabilité et ses devoirs. Mais non, on a fait depuis longtemps le contraire.

L'Etat prend le monopole de l'exploitation des chemins de fer ; il a repris les canaux, des rivières non navigables, des routes provinciales et on lui propose de reprendre des routes vicinales.

(page 617) Messieurs, les Liégeois transforment leur école normale en école de l'Etat quoique la négociation y relative laisse des doutes à cet égard, ce que nous discuterons à l'occasion.

Il y a plus, l'honorable M. de Rossius, avec une ténacité rare, reproche pendant deux jours des contradictions à l'honorable M. Kervyn, et s'escrime avec aigreur contre les évoques et l'abbé Habets ; il oublie que le plus beau fleuron historique de sa ville natale est d'être le berceau du créateur du pouvoir temporel des papes, dont ils admirent avec complaisance la statue au milieu d'eux ; encore une contradiction et pas petite celle-là.

Messieurs, quand un peuple charge son gouvernement de tous les services sociaux, ce peuple ne connaît plus que ses droits sans supporter ses devoirs, il est bien près de son déclin, il perd toute son énergie, il met en péril sa liberté et sa nationalité, car, dans cette situation, l'Etat, sur qui tout repose, n'est qu'une fiction qui disparaît comme une ombre à la plus légère convulsion sociale.

Regardons, messieurs, autour de nous et reconnaissons que si la France avait eu ses communes comme les nôtres d'autrefois, rien de ce qui est arrivé n'eût été possible.

Quoi qu'il en soit, le système que nous pratiquons amène tour à tour les partis au pouvoir.

Et comme Belge, je constate avec orgueil qu'en Belgique de tout temps, : aujourd'hui comme toujours, les ministres renversés et de retour à leur maison, au lieu de s'irriter et de sacrifier leur passé au dépit, au lieu d'emprunter le rôle de tribuns aux abois et de déroger à leur blason gouvernemental, acceptent, au contraire, philosophiquement le jeu régulier de nos institutions, s'inclinent devant la voix du pays et respectent, comme toujours, le principe d'autorité en tous ceux qui sont constitutionnellement associés pour gouverner le pays, en abandonnant les colères et les intempérances de langage aux natures les plus robustes du parti et à la presse de commande, payée d'après le diapason où. elle parvient à élever ses invectives et ses injures à l'adresse des ministres.

Cette conduite digne et prudente des anciens ministres de toutes les époques est de bonne école.

C'est l'homme d'Etat qui possède sa philosophie politique et se dit qu'il n'est pas interné à vie, que, d'aventure, le pays peut encore un jour vouloir en revenir à la politique délabrée qui a sombré, ne fût-ce que sous la forme d'une éclipse.

Du reste, qui vivra verra.

Mais ne nous faisons pas illusion, les grands événements qui se passent vont créer un horizon nouveau que nous ne connaissons pas.

Il est donc évident, messieurs, que l'opinion publique est toujours en éveil, que de nouvelles aspirations se font jour, les unes vers la vérité et la justice, les autres vers le tohu bohu révolutionnaire, or quand l'opinion publique est dans le vrai, le gouvernement doit la suivre.

Quand au contraire elle fait fausse route, c'est au gouvernement et à nous tous à l'éclairer.

Messieurs, je ne crois pas satisfaire à ma tâche en venant m'asseoir sur ce banc pour répondre à l'appel de mon nom ; non, cela ne suffit pas.

J'ai toujours pensé qu'honneur oblige, et qu'il est de notre devoir, avant d'agir, d'étudier et d'interroger la sociologie, en terme familier la science sociale, dont les principes seuls peuvent maintenir la société dans la justice et la vérité.

Nous devons donc préconiser les voies qui conduisent nos populations à la moralisation, au travail, à la vie réglée qui crée l'épargne et soutenir leur courage par l'espérance. Voilà ce que je crois de mon devoir.

Nous ne devons pas perdre de vue comment les richesses et l'aisance se forment, comment elles se perdent et quelles sont les règles qui doivent présider à la meilleure distribution logique et naturelle du bien-être général, en respectant la propriété à l'égal de la liberté.

Telle est, selon moi, l'étude à laquelle tous nous devons nous consacrer sans relâche.

Messieurs, aujourd'hui le vent est à la liberté, et je suis de ceux qui pensent que la liberté en toute chose, tant qu'elle ne nuit pas à la liberté d'autrui, est seule capable d'organiser nos affaires d'ici-bas avec justice.

Marchons donc dans cette direction sans courir des aventures, mais avançons quand l'opinion publique est disposée à nous accepter.

Messieurs, nous avons aboli la protection à la frontière, mais nous la conservons à l'intérieur. Nous protégeons encore l'agriculture, le commerce et l'industrie, mais j'espère que personne de nous ne croit à cette mystification, cela coûte 1,215,500 francs.

Nous protégeons contre qui et comment ? Contre qui, je n'en sais rien,

ni vous non plus ; comment, je vous le dirai : en prenant de l'argent à tous pour le donner à quelques-uns, c'est-ù-dire qu'on donne des subsides à quelques-uns, après avoir spolié tout le monde.

Eh bien, les fonds consacrés à ce chapitre ne protègent que la fabrication du papier, les nombreuses impressions que cette plaisanterie occasionne et les employés qui en vivent.

Or, ce département de l'intérieur comptait naguère 102 employés, je ne sais quel en est le nombre actuel.

Si nous voulons regarder autour de nous, nous verrons qu'en France, c'est la multiplicité des places qui a créé le socialisme moderne ; les bacheliers, avortons sans place, s'étant aperçus que les inscrits aux budgets s'en trouvaient bien, se sont dit : Tâchons d'y entrer aussi ; si ce n'est par la porte, ce sera par la fenêtre ; et Saint-Simon, Fourier et autres se sont mis à la besogne.

Je n'ai jamais vu tomber un ministère pour ne pas avoir fait assez ; ils sont toujours décavés pour en avoir trop fait, et toutes les victimes ici présentes me donneront raison ; le ministère qui saurait se défaire honnêtement d'un quart des paperasses et des paperassiers qui s'en occupent, en diminuant les impôts en proportion, serait inexpugnable.

Cette manie de faire intervenir l'Etat en tout ce qui se fait dans les communes est absurde ; l'Etat n'a d'autres fonds que ceux qu'il prend dans les communes et par son intervention il rend à chaque commune ce qu'il lui a pris, en laissant 15 p. c. entre les doigts de ses agents, ou bien il spolie l'une commune au profit de l'autre. Je défie qu'on sorte de ce dilemme.

M. Bouvier. - On n'a rien compris.

M. Coomans. - Non, vous certainement pas.

M. Julliot. - Nous recevons le bulletin du conseil supérieur de l'agriculture, je ne sais si vous lisez cet énorme in-folio.

Je suis agriculteur et il ne m'a jamais rien appris ; il est vrai que plus d'une fois il m'a calmé à l'heure du sommeil et sous ce rapport je lui dois quelque chose, mais le remède coûte trop cher, et il serait utile de supprimer ce crédit et l'in-folio.

Messieurs, nous aurons la question de l'enseignement à tous les degrés à discuter et, selon moi, la question la plus importante en cette matière est celle de la liberté des études et des professions libérales. C'est, je pense, le terrain où l'on pourra le mieux juger des aspirations vraiment libérales des uns et des autres, et reconnaître la ligne de démarcation entre le libéralisme vrai et le libéralisme de contrebande.

Déjà ce principe est patronné par la Revue des Deux Mondes, par des professeurs distingués, par l'Indépendance, l'Echo du Parlement, la Discussion et autres.

Dans la Constitution est inscrite la liberté d'enseignement, mais cela ne prouve rien. Pour le haut enseignement, vous devez apprendre ce que le gouvernement vous prescrit, et quand vous l'avez appris, vous ne pouvez l'appliquer que quand il vous le permet par personnes interposées qui forment les jurys.

Il s'ensuit que vous ne pouvez plaider des procès ni guérir des malades que sous la garantie du gouvernement.

Or, si MM. les ministres de l'intérieur et de la justice prennent ce rôle au sérieux, ils doivent en passer de mauvaises nuits, à moins qu'ils n'aient recours à la lecture de quelque rapport soporifique de l'une ou l'autre de leurs nombreuses commissions.

Messieurs, il est clair comme le jour que la liberté d'enseignement a pour corollaire la liberté des études, qui entraîne logiquement la liberté des professions libérales et autres.

Quand, sous le régime de la liberté, on place une barrière à l'entrée des carrières libérales, on nie la liberté, car c'est l'accouplement de la liberté et du privilège.

Il est une vérité trop souvent constatée et qui n'est plus discutable, à savoir que, malgré toutes les modifications introduites dans la formation des jurys, l'abaissement de l'enseignement supérieur est constant ; on a reconnu que le programme dans lequel on renferme l'élève l'éloigné du but le plus noble de l'institution universitaire pour l'emprisonner dans un enseignement inflexible, exclusif et routinier ; on n'étudie plus pour acquérir la science, mais on applique toute son aptitude à la mémoire pour pouvoir le plus tôt possible passer son examen et attraper une place du gouvernement. Aussi quand je découvre sur les bancs de l'université un élève à profil de perroquet, je me dis qu'il a chance de devenir primus, c'est un lauréat en herbe, et je ne me suis pas trompé ; car je connais de ces profils très haut perchés.

Malheur donc au jeune homme qui a trop d'initiative pour se renfermer stoïquement dans ce cercle de fer, car il est perdu !

(page 618) La liberté, selon le Congrès, veut que chacun choisisse son état et demande un diplôme facultatif à délivrer par les universités si cela lui convient.

Toute autre combinaison n'est plus la liberté, c'est le monopole.

Donc la liberté d'enseignement sans la liberté des études et des professions est un mot vide de sens, telle est toute ma pensée.

Mais il ne faut pas montrer, dit-on, l’épouvantail de trop près, afin de ne pas effrayer les intelligences timides, confites dans la routine ; je déclare donc que je me contenterai de la conciliation en demandant au gouvernement de présenter, comme transition, un projet de loi décrétant la liberté des études, avec un seul examen professionnel obligatoire, devant un jury central.

Et si quelqu'un pouvait douter de ce que j'avance, qu'il lise quelques discours de la réouverture des cours universitaires et il trouvera ces mêmes critiques partout.

Depuis vingt-cinq ans, on tâtonne en vain pour produire quelque chose de satisfaisant et on n'aboutit pas.

Et pourquoi ? Parce que, d'une part, vous avez la liberté d'enseigner à d'autres ce que vous voulez et comme vous le voulez et que, d'autre part, l'Etat a le monopole du programme et celui de vous permettre ou de vous défendre d'appliquer ce que vous avez appris ; or, ces deux principes sont obstatifs l'un à l'autre jet l'un des deux est un mensonge.

Mais, me dit-on, on a institué une grande commission de savants qui vont élaborer un projet de loi parfait sur la matière.

Or, je ne me fie pas aux commissions, et c'est l'institution de cette commission qui a semé mon discours.

Messieurs, il me semble utile que cette commission connaisse à l'avance les tendances de la Chambre, à savoir : si le pays veut qu'on renforce encore l'élément officiel de l'enseignement aux dépens de la liberté ou si l'on entend se rapprocher graduellement de la liberté des études ; et si la Chambre se mettait d'accord pour condamner mes aspirations, j'enregistrerais le fait comme un phénomène, car la concurrence effrénée que l'on fait par l'Etat avec les écus de tous à la liberté de l'enseignement à tous les degrés, est entrée sournoisement par la porte de l’enseignement supérieur, et le reste a suivi.

Cette commission, messieurs, est composée d'hommes éminents, de professeurs distingués, la plupart membres des jurys, pénétrés à bon droit de leur haute mission civilisatrice et quelque peu juges et parties.

Or, sans blesser qui que ce soit et en reconnaissant que cette confiance anticipée dans leur œuvre honore ces honorables savants, d'autant plus qu'ils vont se trouver devant deux principes irréconciliables, à savoir : la liberté d'enseignement pour une moitié et le monopole de l'Etat pour l'autre, je me permettrai de penser que l'homme, en général, éprouve peu d'attraction à amoindrir son rôle dans ce bas monde et, pour ma part, je crains que cette savante commission ne nous éloigne encore un peu plus de la Constitution en centralisant davantage cette matière.

D'ailleurs, je sais que beaucoup d'honorables professeurs sont vexés de devoir quitter leurs cours une partie de l'année pour aller pérégriner dans l'une ou l'autre ville pour de nombreux examens. Il est temps que cela cesse et qu'on ne dise plus qu'en Belgique on est examinateur ou examiné comme, dans la Prusse militaire, on commande ou on est commandé ; on ne sort pas de là.

C'est donc pour faire pressentir par la commission les tendances de la Chambre que je fais mon discours.

Je pense que tous ceux qui professent le vrai culte de la liberté doivent avoir les mêmes aspirations, quelle que soit la qualification qu'on leur donne.

Il est entendu, messieurs, que ceux qui parleront dans le même sens se déclarent disposés à se contenter d'un seul examen professionnel obligatoire, et que ceux qui parleront en sens inverse se déclarent partisans du statu quo ou d'un renforcement dans l'intervention de l'Etat.

Qu'on veuille donc réfléchir et examiner de près le principe que je préconise et on fera bien.

M. le président. - La parole est à M. David.

M. David. - Messieurs, par mon interpellation, j'ai à signaler à la Chambre et au pays des faits graves ; je suis prêt à parler ; voici mon dossier ; mais je pense qu'il est dans l'intérêt des travaux de la Chambre de vider d'abord l'incident relatif aux écoles normales et à l'instruction publique.

Je cède donc mon tour à l'honorable M. d'Andrimont, en me réservant toutefois d'être inscrit pour parler dès que cet incident sera terminé.

M. le président. - Non, M. David, vous devez prendre la place de M. d'Andrimont.

M. David. - La discussion sera de nouveau interrompue ; il faut donc que l'incident soit vidé.

M. le président. - Pardon, vous prenez la place de M. d'Andrimont, et quand son tour viendra, je vous accorderai la parole.

M. David. - Bien, M. le président.

M. le président. - La parole est à M. d'Andrimont.

M. d'Andrimont. - Messieurs, je regrette de devoir encore prendre la parole à propos de l'incident Habels ; mais M. le ministre de l'intérieur m'a fait une position que je ne puis accepter. Avant d'entrer dans le fond du débat, je tiens à répondre au reproche que m'a adressé M. le ministre de l'intérieur et qui n'est nullement justifié : c'est celui de ne l'avoir pas prévenu de mon interpellation du 19 janvier.

Au mois de décembre, lors de ma première interpellation, M. le ministre de l'intérieur a été informé publiquement, et il était disposé à me répondre immédiatement. La droite était heureuse, radieuse de voir son ministre prêt à répondre immédiatement à une interpellation.

Il est vrai, messieurs, que les temps ont changé. On ne dit plus aujourd'hui : « M. le ministre de l'intérieur, parlez ! parlez ! » On lui dit au contraire : « Ne répondez pas. »

M. Bouvier. - C'est plus commode.

M. d'Andrimont. - Et M. le ministre de l'intérieur, subissant les injonctions de la droite, incline la tête et se tait. Mais revenons à notre sujet.

Arrivent les vacances de Noël ; quelques jours avant la rentrée, nous apprenons par le Moniteur, à notre grande surprise, à la surprise générale, car cette affaire a fait du bruit dans le monde politique, que M. le ministre de l'intérieur agrée l'école normale du chanoine Habets, alors qu'il avait annoncé pompeusement à la Chambre qu'il n'avait reçu aucune proposition dudit chanoine.

La presse, messieurs, s'émut du manquement aux promesses faites à la Chambre et je fus mis en demeure de m'expliquer à ce sujet.

Et M. le ministre de l'intérieur trouve étrange, lui qui ne devait pas ignorer l'émotion qu'a produite dans le pays l'arrêté agréant l'école normale de M. Habets, il trouve étonnant, dis-je, que le jour de la rentrée, après l'avoir prévenu au début de la séance, je l'interpelle sur la conduite inqualifiable qu'il a tenue à mon égard en m'exposant aux risées de la droite et en me faisant passer dans le pays pour un propagateur de fausses nouvelles !

Mais, messieurs, si je m'étais tu le 19 janvier, si j'avais retardé d'un jour mon interpellation, j'aurais manqué à mes devoirs.

Mon honneur était engagé et je ne transige pas avec lui !

L'honorable ministre de l'intérieur, dans l'affaire du chanoine Habets, a commis deux fautes graves qui jamais ne lui seront pardonnées par les gens impartiaux, par les gens que n'aveuglent point les passions politiques.

La première faute est d'avoir manqué de sincérité - j'emploie le mot sincérité pour rester dans les bornes de la politesse parlementaire, - en affirmant que le 15 décembre il n'avait pas reçu de propositions du chanoine Habets et que s'il en recevait, ces propositions ne seraient pas accueillies, alors que le 5 octobre, de l'aveu même du ministre de l'intérieur, aveu qu'il a fait à la séance d'avant-hier, il avait chargé M. Kleyer, inspecteur provincial, de faire un rapport sur l'état des locaux du chanoine Habets et sur le personnel enseignant.

Dans son discours du 12 février, M. le ministre de l'intérieur, après avoir dénaturé le sens de mes paroles, en tronquant mon discours, a découpé dans les journaux les articulets qui avaient trait aux écoles normales, et les cousant les uns aux autres, il en a fait un habit dont il m'a affublé !

Me prêtant généreusement les idées de tout le monde, il les a combattues sur mon dos. Il suffit, messieurs, de dévoiler cette façon de procéder pour qu'elle soit jugée.

Quand j'ai cru devoir faire mon interpellation, je ne me suis abrité ni derrière les personnes, ni derrière les journaux.

Je n'ai pas, comme M. le ministre de l'intérieur, été rechercher dans les journaux, dans les feuilles publiques, des arguments qui y traînaient depuis plus d'un mois. C'est justement ému de voir des couvents agréés coup sur coup par l'Etat comme écoles normales et craignant de voir par ce fait la construction des écoles normales de l'Etat compromise, retardée, que j'ai jeté le cri d'alarme, signalant au pays les tendances réactionnaires du cabinet et dévoilant ce que j'appelle encore les sourdes menées de M. le ministre de l'intérieur.

(page 619) Mais jamais il n'est entré dans mon esprit que le gouvernement voulait, en violation de la loi de 1866, mettre à la tète de l'école normale de l'Etat un ecclésiastique, soit M. le chanoine Habets, soit un ecclésiastique ejusdem generis.

Ma demande était claire, précise ; elle réclamait non pas une réponse évasive, non pas une réponse ambiguë, mais une réponse aussi nette et aussi catégorique que ma demande.

Eh bien, messieurs, laissez-moi vous relire le paragraphe qui suit la déclaration qu'a faite M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il a déclaré ne pas avoir reçu de proposition de M. Habets. Voici ces mots : « J'espère que l'honorable M.. d'Andrimont considérera cette réponse comme assez catégorique, quoique tout à l'heure il m'ait accusé de cacher des mystères entre les lignes de mes dépêches, reproche auquel je me réserve de répondre. »

Ainsi, Voilà un homme, M. le ministre de l'intérieur, qui se plaint en termes amers de ce que je l'ai accusé à tort de cacher des mystères entre les lignes de ses dépêches, alors que, avec un imperturbable aplomb, il introduit, en ce moment-là même, des restrictions mentales entre les phrases du discours qu'il prononçait.

Et cette phrase, que voulait-elle dire encore ? Elle voulait dire que M. le ministre venait de répondre d'une façon péremptoire à la première partie de mon interpellation relativement à l'agréation de l'école normale de M. Habets et qu'il se réservait de répondre ultérieurement à l'interprétation de la dépêche, second objet de mon interpellation, c'est-à-dire, au sujet du retard apporté à la construction de l'école normale des filles.

N'est-ce pas là, messieurs, l'application la plus frappante de cet art de déguiser sa pensée, enseigné par les jésuites ? (Interruption.)

Messieurs, quand on rencontre, dans la vie privée, un homme qui agit de la sorte, qui emploie de semblables subterfuges, on ne lui ménage pas des expressions... peu aimables.

M. Bouvier. - On dit : C'est un jésuite !

M. d'Andrimont. - La seconde faute qu'a commise M. le ministre de l'intérieur, et cette faute n'est pas plus excusable que la première, c'est celle de n'avoir pas, quoi qu'il en dise, observé les prescriptions de la loi de 1861 et d'avoir, en tous cas, apporté la perturbation dans le service administratif en s'écartant sans motifs des usages établis.

Qu'ai-je dit à M. le ministre de l'intérieur, le 19 janvier ? « J'affirme, M. le ministre, j'affirme, entendez-vous, que vous n'avez pas consulté la députation permanente de Liège et qu'elle n'a pas été appelée à statuer sur l'adoption de l'école du chanoine Habets, Hors-Château. »

Et M. le ministre de l'intérieur, pour sa défense, invoque un avis de 1864, avis caduc, puisque cette affaire a reçu une solution complète, négative, bien motivée, au temps où M. Vandenpeereboom était ministre de l'intérieur. Cette affaire, du reste, ne comportait ni refus, ni acceptation ; il suffisait de constater qu'il n'y avait pas d'école normale établie.

N'est-il pas, en effet, de toute évidence que l'Etat ne peut pas plus adopter une école qui n'existe pas, que M. Kervyn, tout ministre qu'il est adopter un enfant qui est encore à naître ?

Au surplus, messieurs, je trouve la preuve de mon assertion, c'est- à-dire de l'obligation qu'il y avait de demander un nouvel avis à la députation permanente dans l'arrêté ministériel lui-même. N'y voyons-nous pas en effet ceci :

« Vu la demande du chanoine Habets, tendante à obtenir l'adoption de l'école normale qu'il a établie, à Liège. » Ecole établie, entendez-vous, messieurs ?

Or l'avis de la députation permanente portait non sur une école établie, mais sur une école à établir. C'était la raison principale de l'opposition.

N'avais-je donc pas raison de dire qu'on n'avait pas consulté la députation permanente ? Mais si M. le ministre de l'intérieur avait eu connaissance des traditions administratives, il aurait, ne fût-ce que par égard, et M. le ministre de l'intérieur doit être le premier à en donner l'exemple, communiqué la nouvelle demande de M. Habets au gouverneur de la province et aux membres de la députation permanente, pour réclamer une nouvelle instruction d'une demande qui, depuis 1870 seulement, avait un caractère sérieux ?

En 1864, l'affaire Habets a été traitée selon les règles administratives hiérarchiques ; c'est le gouverneur qui a réclamé un avis de l'inspecteur provincial Ghinijonet, et c'est après avoir pris connaissance de cet avis que la députation permanente a statué.

Pourquoi M. le ministre a-t-il cru devoir s'affranchir des règles administratives, froissant ainsi et la dignité du gouverneur et la dignité de la députation permanente ? Pourquoi ne leur a-t-il pas communiqué la nouvelle demande du chanoine Habets en les invitant à donner leur avis non sur une proposition, comme autrefois en l'air, mais sur une proposition sérieuse et réelle ? Pourquoi s'est-il adressé directement à l'inspecteur provincial, passant au-dessus de la tête du gouverneur et de la députation permanente, pour obtenir un rapport sur l'état des locaux et du personnel enseignant ?

Mais, messieurs, cette conduite de M. le ministre de l'intérieur envers la députation permanente, cette conduite est blâmable. On ne met pas en suspicion, on ne met pas à l'index un corps électif.

Le devoir du gouvernement est de respecter ces autorités à cause de leur caractère même, et notre mission comme représentants du peuple est de lui rappeler ce devoir quand il y manque.

En ne se conformant pas aux règles administratives, en agissant selon son bon plaisir, M. le ministre de l'intérieur donne le plus fâcheux, le plus déplorable exemple ; il introduit l'anarchie dans le département de l'intérieur.

Enfin, messieurs, pour se justifier du reproche qu'on lui avait fait d'adopter une école qui n'était pas établie, M. le ministre, après avoir longtemps hésité, balbutié même, - car c'est seulement dans les Annales que j'ai pu découvrir ce qu'il avait voulu dire dans la séance du 12 janvier,- nous a cité une lettre de l'honorable M. Vandenpeereboom, ainsi conçue :

« 8 août 1867.

« Au gouverneur du Luxembourg.

« Monsieur le gouverneur,

« Comme suite à votre rapport du 16 novembre dernier, n° 2186-62, j'ai l'honneur de vous informer que je consens à adopter, dès qu'elle aura été complètement organisée, conformément à l'arrêté royal du 25 octobre 1861, l'école normale d'institutrices en projet dans la ville d'Arlon.

« Vandenpeereboom. »

Mais je vous ferai remarquer, messieurs, qu'il y a une grande différence entre la lettre du 8 août 1867 de l'honorable M. Vandenpeereboom et celle qu'il adressa, le 9 janvier 1865, à l'évêque de Liège.

Dans l'une, il fait observer que le chanoine Habets a réclamé l'adoption d'une école qui n'est pas établie et que pour ce motif elle ne peut être agréée, tandis que dans la lettre de 1867, il dit qu'il adoptera l'école normale d'Arlon, quand l'école aura été complètement organisée, ce qui veut dire qu'il y avait à cette époque déjà un commencement d'organisation.

En tout cas, messieurs, je dois vous le déclarer, pour apprécier la valeur de ces lettres il faut avoir connaissance de toutes les pièces du dossier, et M. le ministre de l'intérieur ne nous a donné que cette seule lettre de l'honorable M. Vandenpeereboom au gouverneur de la province de Luxembourg.

Il est à supposer, messieurs, que dans ces dossiers comme dans les autres, il y a des pièces mystérieuses dont la gauche pourrait tirer parti contre le cabinet et que ce dernier cache pour se mettre à l'abri de nos attaques.

Les lettres de 1865 et de 1867 sont signées par l'honorable M. Vandenpeereboom et comme j'ai confiance dans la rectitude de son jugement, j'ai de la peine à admettre qu'il ait dit en 1865 : Je ne puis adopter l'école normale de M. Habets, parce qu'elle n'est pas établie, et qu'en 1867, il ait complètement changé de système et écrit au gouverneur d'Arlon : Je veux bien adopter votre école, bien qu'elle ne soit pas établie.

L'honorable M. Vandenpeereboom, s'il a souvenance de ce qui s'est passé au département de l'intérieur lorsqu'il le dirigeait, voudra bien, je pense, nous donner des éclaircissements à ce sujet et je suis certain qu'après ces explications, l'échafaudage qu'a si péniblement élevé l'honorable ministre de l'intérieur pour se défendre s'écroulera tout entier.

Messieurs, la tactique de l'honorable ministre de l'intérieur dans l'affaire des écoles normales n'est du reste pas bien difficile à comprendre. Il faut deux ou trois ans pour construire une école normale de l'Etat ; il faut trois ans pour former une institutrice, total six ans ; c'est plus de temps qu'il ne vous en faut, du train dont vous y allez, pou embéguiner et encapuciner toutes les écoles primaires. Voilà le but que vous voulez atteindre.

Ce n'est pas du reste avec des phrases redondantes et des périodes académiques que vous prouverez au pays que le gouvernement est soucieux des grands intérêts de l'instruction donnée par l'Etat.

En fait, vous battez en brèche ce que vous exaltez et votre secret dessein est de toujours protéger les congrégations religieuses au détriment de l'enseignement de l'Etat.

L'enseignement qui se donne dans les couvents nous offre-t-il des garanties ?

(page 620) Nous ne le connaissons que trop bien. Il ne nous donne aucune garantie. Vous ne vous préoccupez guère des mérites, des connaissances spéciales des gens que vous mettez à la tête de vos écoles normales ou plutôt que vous trouvez installés à la tête de celles que vous adoptez.

M. le chanoine Habets, entre autres, possède-t-il bien toutes les qualités requises, toutes les aptitudes nécessaires pour diriger une école normale ? Offre-t-il toutes les garanties qu'on est en droit d'attendre de lui ? Est-il à la hauteur de sa mission ? Il ne suffit pas, messieurs, d'avoir pendant vingt ans dirigé un établissement de filles repenties, essayé par tous les moyens, bons ou mauvais, de ramener dans le chemin de la vertu des filles égarées, pour être de but en blanc à même de diriger une école normale.

Nous avons été pendant trois ans à la tête d'une grande administration, et nous savons par expérience qu'un établissement d'instruction publique ne peut prospérer que s'il a à sa tête des personnes capables, intelligentes et dévouées, et je ne vous cache, pas que faire un bon choix c'est une des choses les plus difficiles et les plus délicates que j'ai rencontrées pendant mon administration.

Je n'ignore pas que, pour le gouvernement actuel, il suffit de porter un froc, une soutane ou une robe pour être doué de toutes les vertus, de toutes les connaissances, pour avoir en un mot la science infuse. Je sais aussi que la recommandation d'un évêque vaut mille fois mieux que le plus beau diplôme et j'imagine que M. Kervyn de Lettenhove, en bon croyant, pense que la grâce peut, à un moment déterminé, illuminer les intelligences les plus obscures... (Interruption.) Mais dans le siècle où nous vivons, cela ne suffit pas ; on a encore présents à la mémoire les déplorables effets qu'ont produits les professeurs du bas clergé et à quel degré de décrépitude morale ils ont entraîné les masses.

Avec un enseignement exclusivement religieux et fanatique comme celui que j'entends préconiser ici, le pays ne tardera pas à perdre le rang élevé qu'il occupe dans le monde au point de vue politique, moral et matériel ; au lieu de marcher en avant, nous retournerons en arrière et nous tomberons dans un état d'abaissement intellectuel qui n'aura d'égal que celui qui existait, il y a peu de temps encore, dans les royaumes de Naples et d'Espagne ; et quand le parti libéral reviendra au pouvoir, ce qui ne tardera pas si vous continuez à suivre cette voie souverainement antipathique à la population si vous persistez à appliquer ce système qui engendre la multiplicité_ des couvents et la mainmorte, lors donc que le parti libéral reviendra au pouvoir, il aura à modifier vos œuvres malfaisantes et, instruit par l'expérience, il marchera d'un pas plus résolu vers l'organisation complète de l'enseignement public.

(page 630) M. Vandenpeereboom. - Dans la séance de mardi dernier, l'honorable ministre, répondant à des députés de Liège et plus encore à des articles de journaux, a bien voulu, avec une complaisance extrême, m'accabler de compliments ; il a tressé pour moi des couronnes que je n'ai jamais méritées et a répandu sur ma modeste personne une véritable pluie de fleurs.

Je pourrais dire : Trop de fleurs ! et demander si l'honorable ministre dans le bouquet qu'il m'offrait n'a pas malicieusement caché quelque épine qui aurait pu me blesser à l'improviste.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Pas le moins du monde.

M. Vandenpeereboom. - Je pourrais demander encore si on ne pourrait pas appliquer à l'honorable ministre, un peu renard peut-être, le vers du bon Lafontaine :

« Tout flatteur »

« Vit aux dépens de celui qui l'écoute. »

Mais, messieurs, je ne veux pas avoir de pareilles pensées ; j'admets donc, jusqu'à preuve du contraire, la sincérité de l'honorable ministre et d'ailleurs nous sommes de vieilles connaissances, et si nous sommes profondément divisés sur des questions politiques, M. Kervyn n'en a pas moins mon estime personnelle. J'ai trop appris à estimer un des historiens les plus distingués du pays pour ne pas avoir, personnellement, pour M. le ministre de l'intérieur, les meilleurs sentiments.

Je désirerais même que l'honorable M. Kervyn fût un jour ministre aussi considéré qu'il a été historien remarquable ! Mais à voir ce qui se passe, j'en doute, et le pays aussi. Je crois même que le ministre fera oublier l'historien, et je le regrette.

Messieurs, je ne demande pas mieux que de renvoyer à l'honorable ministre de l'intérieur des compliments semblables à ceux qu'il m'a adressés ; ainsi l'exigeraient les règles les plus élémentaires de la politesse.

Mais je désire d'abord, et c'est le but de mon discours, examiner si, comme l'a déclaré l'honorable ministre, le système qu'il a suivi et suivra dans l'application de la loi de 1842 est le même que celui adopté par mes prédécesseurs et par moi-même.

Si l'honorable ministre qui, dans l'opposition, a constamment combattu cette jurisprudence, l'admet aujourd'hui qu'il est au pouvoir et donne même des éloges à ses anciens adversaires, on peut conclure de ce revirement que nous étions dans le vrai et nous ne pouvons qu'être flattés et fiers d'avoir fait une pareille conversion.

Avant de discuter le point spécial, j'aurais quelques observations générales à présenter.

Je m'étais proposé d'examiner dans leur ensemble quelques questions se rattachant au budget de l'intérieur.

Je voulais montrer à la Chambre et à l'honorable ministre les dangers qu'il peut y avoir à mêler la politique, dans une dose trop forte, à l'administration proprement dite. Je désirais lui prouver qu'il est peu courageux, dangereux et peu constitutionnel de s'abriter d'une manière systématique derrière les fonctionnaires même les plus honorables et les plus distingués de son département ; j'aurais voulu aussi, en citant des exemples, montrer à quelles déceptions et erreurs on s'expose lorsqu'on fait de l'administration et des nominations sans consulter les fonctionnaires en province, qui seuls peuvent bien renseigner le ministre parce qu'ils sont responsables des renseignements qu'ils donnent à leur chef ; et il ne me serait pas difficile de prouver que le système inauguré par le cabinet, et par M. Kervyn surtout, fera revivre le système de funeste mémoire qui livra à un « pouvoir occulte » le véritable gouvernement du pays ! système absurde, dangereux et que le pays ne supportera pas longtemps.

J'aurais aussi voulu parler à la Chambre de la circulaire du 11 décembre et démontrer que cette circulaire consacre les plus grandes injustices au détriment des villes, qu'elle est illégale et inconstitutionnelle...

Mais l'examen de tous ces points m'entraînerait trop loin de la question spéciale de l'enseignement primaire et de l'enseignement normal qui fait l'objet de ce débat.

Je me borne donc à faire quelques courtes observations générales.

J'ai dit que la circulaire du 11 décembre est illégale. En effet, M. le ministre, de son autorité privée, au détriment du pouvoir royal, s'est permis de modifier un arrêté royal par une circulaire ministérielle ; c'est une illégalité, une violation flagrante de nos lois. Un arrêté royal seul peut modifier un arrêté pris par le Roi et contresigné par un ministre.

Or, l'honorable ministre, par sa circulaire du 11 décembre, a modifié l'article 12 de l'arrêté royal du 10 janvier 1863, et il n'en avait certes pas le droit. La circulaire porte : « L'intervention de la province reste fixée à deux centimes additionnels. » C'est parfait, car c'est la loi ; mais M. le ministre ajoute :'« Il est bien entendu que la moitié au moins de ces deux centimes additionnels doit être consacrée au service de l'enseignement primaire. »

Cette prescription modifie l'arrêté royal du 10 janvier 1863. L'article 12 de cet arrêté dit tout le contraire ; en effet, on y lit :

« L'intervention de l'Erat n'est obligatoire que lorsque la province a affecté à ce service (service ordinaire) une somme au moins égale aux trois cinquièmes de l'excédant du crédit voté à son budget, en exécution de l'article 23, paragraphe 3 de la loi, déduction faite des dépenses de l'inspection cantonale, de la tenue des conférences et des concours. »

Il y a contradiction entre les deux textes, entre les deux dispositions.

Ainsi, voilà une disposition formelle d'un arrêté royal que l'honorable M. Kervyn change par voie de circulaire ; dans le temps, on prétendait, à tort, il est vrai, que l'arrêté royal du.12 janvier était inconstitutionnel ; on va plus loin aujourd'hui, le ministre fait, par circulaire, ce que l'on déniait jadis de faire par arrêté royal et on déroge par disposition ministérielle à une disposition royale.- C'est roide !

Mais passons pour le moment, nous aurons probablement l'occasion de revenir sur cette affaire.

(page 631) Autre observation générale.

Quanti les doctrinaires siégeaient au banc ministériel, les membres de l'opposition, lors de la discussion de chaque budget de l'intérieur, signalaient, en la critiquant, l'augmentation successive du chiffre de ce budget ; les journaux de l'opposition répétaient à l'unisson ce grief contre le budget de l'intérieur.

Un autre parti est arrivé au pouvoir ; ce ne sont plus les doctrinaires qui siègent au banc ministériel, c'est l'opposition ; et voilà qu'au lieu de tenir compte des griefs anciens, le nouveau ministre verse dans les mêmes erreurs que « les doctrinaires » ; il dépose son budget et le budget présente sur celui de 1870 une augmentation de dépense de 202,000 francs. Je ne critique pas ces augmentations, messieurs, je signale un fait.

Parmi les dépenses nouvelles qu'on sollicite, il en est que j'approuve, il en est d'autres que je voterai sans enthousiasme, il en est aussi qui sont mauvaises et que je repousserai.

Si je fais cette observation, c'est pour faire comprendre à la majorité d'aujourd'hui qu'il est imprudent d'articuler constamment contre le gouvernement des griefs que l'opposition arrivée au pouvoir ne peut redresser.

L'augmentation proposée par M. Kervyn prouve combien étaient injustes et mal fondées les accusations lancées autrefois contre les ministres libéraux !

Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, quoi qu'en dise mon honorable voisin, M. Julliot, on aura beau faire : les dépenses de l'Etat croîtront toujours infailliblement.

Il en est dans l'Etat comme dans la famille, les besoins augmentent sans cesse, la valeur de l'argent diminue.

De nouvelles nécessités ne cessent de se révéler, et tôt ou tard on est forcé d'augmenter les crédits.

Je ne fais donc cette observation que pour démontrer combien peu étaient fondées les critiques qu'on dirigeait autrefois contre nos honorables amis.

Messieurs, je m'étais proposé d'examiner ici en détail la jurisprudence que l'honorable M. Kervyn semble vouloir faire prévaloir en matière d'enseignement primaire, principalement en ce qui concerne les écoles adoptées, les écoles communales et les écoles normales. Mais l'honorable M. de Theux a fait connaître hier qu'il ferait à cet égard une déclaration à la Chambre.

J'attendrai donc, pour discuter ces questions, que l'honorable chef de la droite, à ce autorisé sans doute, nous ait fait connaître le programme adopté par la droite d'accord, je pense, avec l'épiscopat. Je me borne à prier l'honorable M. de Theux d'être prudent, comme il l'est souvent, du reste, et de ne pas perdre de vue que si la loi de 1842 n'a pas été abrogée, c'est parce qu'un dissentiment a existé, sur ce point, entre des membres de la gauche.

J'étais du nombre des dissidents, je le déclare volontiers et franchement, mais aujourd'hui, je ne le cache pas, si, à la suite des déclarations de M. de Theux, M. le ministre de l'intérieur admettait une jurisprudence contraire à celle que M. De Decker a fait inaugurer, que l'honorable M. Rogier a si bien confirmée et que le ministre qui lui a succédé s'est chargé de préciser, si M. Kervyn modifiait, dis-je, cette jurisprudence admise, je crois ne pas me tromper en déclarant qu'on ne trouverait plus à gauche un seul défenseur de la loi de 1842.

Le bandeau nous tomberait des yeux, nous verrions clair et nous serions obligés de combattre la loi de 1842. Au contraire, si vous continuez à appliquer la loi comme elle l'a été par le ministère précédent, je suis disposé à la maintenir jusqu'à ce qu'on ait trouvé quelque chose de mieux, à tous les points de vue, pour la remplacer.

Voilà mon opinion ! j'ai cru devoir appeler l'attention de M. de Theux, sur ce point, parce que je ne désire pas qu'il soit, en quelque sorte par une imprudence quelconque, cause de l'abrogation de la loi de 1842.

Vous êtes aujourd'hui majorité, vous êtes puissants, mais les flots sont changeants et les majorités aussi, et il peut arriver un jour que si vous détachez de la loi de 1842 la fraction du parti libéral qui jusqu'ici l'a maintenue, il peut arriver, dis-je, que cette loi tombera affaissée tout d'un coup.

M. Coomans. - Soit.

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, chacun a sur la loi de 1842 une opinion consciencieuse. Beaucoup de membres de la gauche désirent son abrogation immédiate ; d'autres pensent qu'une abrogation immédiate donnerait lieu à des inconvénients, que cela froisserait les convictions. dans la droite, il y a aussi, me semble-t-il, des membres qui ne sont pas grands partisans de la loi de 1842.

Je crois, du reste, messieurs, que M. Kervyn, pour faire plaisir à M. Coomans, viendra proposer l'abrogation de la loi de 1842.

M. Coomans. - Je suis partisan de la loi de 1842 en tant qu'elle ne soit pas dénaturée.

M. Vandenpeereboom. - Nous sommes absolument dans le même cas.

Messieurs, j'arrive maintenant, un peu tard peut-être, à la question spéciale des écoles normales.

On a beaucoup parlé déjà de l'école Habets, etc. L'honorable M. d'Andrimont vient encore d'exposer ses idées et M. Kervyn, qui n'est pas prodigue de réponse, a cependant répondu très longuement, de sorte que cette question est à peu près vidée. Je dirai seulement que, d'après moi, il y a eu dans tout cela des malentendus et des équivoques, et des équivoques peut-être un peu préméditées.

II me semble, en effet, tout à fait impossible qu'il entre dans la tête, je ne dirai pas d'un ministre, d'un administrateur, mais dans une tête quelque peu bien organisée, dans la tête d'un homme qui a lu la loi de 1866 sur l'organisation des écoles normales, il me semble impossible, dis-je, qu'il entre dans cette tête la possibilité de croire sérieusement qu'à des écoles à créer, à diriger par l'Etat, on ait pu songer à substituer des écoles privées. Une telle supposition est absurde, la loi est formelle. C'est là une équivoque que je ne comprends pas et c'est cependant sur cette équivoque qu'a roulé à peu près tout le débat.

Messieurs, qu'est-ce qui, dans la question des écoles normales, sépare l'opposition du ministre ? Qu'est-ce qu'on reproche au ministre ? Précisons bien les faits.

On reproche à M. le ministre de l'intérieur de vouloir donner une part trop grande, pour l'instruction normale des filles, aux congrégations religieuses. L'honorable ministre répond, pour se disculper : J'ai fait ce que faisaient mes prédécesseurs et notamment M. Vandenpeereboom. Et là-dessus fleurs, bouquets et éloges...

Eh bien, messieurs, si l'honorable M. Kervyn avait scruté avec autant de soin les dossiers des ministères, qu'il a examiné autrefois nos anciennes archives, s'il avait apprécié aussi bien ce qui se trouvait dans ces dossiers, qu'il a pu apprécier ce qui se trouvait dans ces vieilles chartes, je crois, si je le comprends bien, qu'il aurait eu une autre opinion.

Quant à moi, je serais très étonné de pouvoir être accusé d'avoir favorisé outre mesure l'enseignement congréganiste au détriment de l'enseignement normal donné par l'Etat ; et quant aux écoles dont on a parlé et que l'honorable M. Kervyn croit en tout semblables à celles qu'il a adoptées lui-même, je déclare que dans ces écoles, tout au moins dans deux, il y en a une qui est dans une position spéciale, Il ne s'agit pas, en règle générale, de former des institutrices laïques. Ces écoles ne devaient avoir aucune influence sur le personnel enseignant laïque des écoles de filles.

Voici, messieurs, ce qui s'est passé ;

Pendant le six années que j'ai été au ministère, de 1861 à 1868, il a été adopté trois écoles normales congréganistes, une à Brugelette, une à Champion et une à Wavre-Notre-Dame.

L'école de Brugelette est dans une position toute spéciale ; c'est on orphelinat. On m'avait exposé qu'il serait avantageux d'y instituer un cours normal ; avantageux, d'un côté, pour les pauvres orphelines qui, pouvant ainsi se procurer un diplôme, trouveraient une carrière honorable dans l'enseignement ; de l'autre, qu'en règle générale, il est reconnu que les orphelinats sont d'excellentes écoles normales.

En effet, les enfants y entrent jeunes ; on peut voir si elles ont des aptitudes, si leur condition physique leur permet de se livrer à l'enseignement,

Sur ce point, j'avais un exemple et Je vous demande la permission de faire ici une petite digression.

Depuis vingt à vingt-deux ans, j'ai l'honneur d'être membre et président de la commission administrative de l'institut royal de Messine, qui est un orphelinat ; il y a quelques années, on a annexé à cette institution un cours normal.

Cette école normale est excellente ; elle produit les meilleurs résultats. Cet exemple, outre les motifs indiqués, m'a déterminé à adopter l'orphelinat de Brugelette, et à y créer, dans l'intérêt de ces pauvres enfants comme dans l'intérêt de l'enseignement, des cours normaux.

Il s'agit donc là d'une école spéciale. A Messines, il n'y a que des élèves prises parmi les orphelines dans l'établissement de Brugelette ; d'autres élèves peuvent être admises, il est vrai, mais la majeure partie des (page 632) élèves normalistes de Brugelette doivent aussi être des orphelines qui y ont été élevées.

Je désire, messieurs, adresser ici une question à l'honorable ministre de la justice et à l'honorable ministre de l'intérieur concernant l'école normale de Messines.

L'institution de Messines a été longtemps un véritable établissement de charité et de bienfaisance ; l'instruction y était chose secondaire, on y enseignait surtout les ouvrages manuels, on y formait des servantes et celles qui en sortaient avaient même une certaine renommée.

Plus tard on a cru, avec raison, que l'on pourrait faire quelque chose de mieux pour ces orphelines de militaires. L'institution devint une véritable maison d'éducation, d'établissement de charité qu'il était ; sur la proposition de M. Ducpetiaux, il fut créé a Messines une école normale. Cette école, comme je l'ai dit, fonctionne très bien et l'on crut qu'il serait possible de donner plus de développement à cette excellente institution.

L'honorable M. Bara avait conçu un projet qui, d'après moi, ne doit pas être abandonné. Le gouvernement a dans ses caisses des sommes assez considérables provenant des jeux de Spa ; l'honorable M. Bara avait conçu cette-bonne idée de purifier en quelque sorte cet argent provenant d'une source peu limpide. (Interruption.)

Je sais bien que les anciens disaient : « L'argent n'a pas d'odeur », mais il faut reconnaître que le capital produit par les jeux de hasard provient d'une source peu morale. L'honorable ministre de la justice de cette époque avait donc eu l'idée de purifier, pour ainsi dire, cet argent en lui donnant une destination morale, utile, excellente.

Il voulait attribuer à l'institution de Messines tout ou partie de ce capital, à. la condition d'agrandir l'école normale.

On n'admet jusqu'ici, à Messines, que des orphelines de militaires tués sur les champs de bataille... (Interruption.) des orphelines de militaires tués sur les champ de bataille, d'abord ; à défaut de celles-ci, des filles de militaires réformés pour infirmités, contractées au service ou réformés pour toute autre cause.

Or, comme, grâce à notre neutralité, la première catégorie d'orphelines n'existe pas, l'école de Messines ne reçoit que des filles de militaires réformés.

Cependant il est une autre catégorie de fonctionnaires très intéressants, je veux parler des instituteurs, et l'une des conditions à imposer à l'institution de Messines en lui donnant une part des bénéfices provenant des jeux de Spa, aurait été celle d'admettre des orphelines d'instituteurs morts dans l'exercice de leurs fonctions ou des. filles d'instituteurs pensionnés. (Interruption.) L'idée était excellente, d'après moi y l'école normale de Messines, aurait ainsi fourni un nombre plus considérable d'institutrices.

L'établissement se prête admirablement à' cette destination ; il est bien doté, il ne coûte rien à l'Etat, il eût suffi d'augmenter un peu le personnel enseignant, qui est parfaitement composé, et d'agrandir quelque peu les locaux qui sont déjà vastes. Un capital de 600,000 ou 700,000 francs eût pu suffire, je pense, pour couvrir toutes les augmentations de dépenses extraordinaires et ordinaires.

Je demande à MM. les ministres de la justice et de l'intérieur de vouloir bien me dire, si cela ne les dérange pas, en temps opportun, après y avoir réfléchi et après avoir revu leurs dossiers, s'ils persévèrent dans cette idée si sage et si utile de mon honorable ami, M. Bara.

J'ai la conviction qu'un grand nombre de membres de la Chambre, qui ont une si vive sollicitude pour nos instituteurs, considèrent cette idée de M. Bara comme bonne et parfaite.

Mais je reviens, messieurs, à nos écoles normales. J'ai dit dans quelles conditions L'orphelinat de Brugelette avait été adopté. Il l'avait été, je le reconnais, contrairement à l'avis de la députation permanente. M. le ministre de l'intérieur a rappelé ce fait pour en conclure qu'il avait le droit d'autoriser des écoles normales contrairement à l'avis de ces collèges.

Sur ce point je suis d'accord avec l'honorable ministre. Seulement, il faut des motifs pour user de ce droit. C'est une affaire d'appréciation.

Si j'ai adopté l'établissement, de Brugelette, contrairement à l'avis de la députation permanente, c'est parce que l'opposition qu'on y faisait me semblait prendre naissance dans une espèce de rivalité locale. On craignait à tort la concurrence pour une autre école normale de la province.

J'ai donc cru qu'il y avait lieu de passer outre.

Quant aux écoles de Wavre-Notre-Dame et de Champion, ces deux écoles ont été adoptées de l'avis conforme des députations permanentes.

La députation permanente de Namur à émis un avis favorable pour l'école de Champion et la députation permanente du Brabant pour celle de Wavre.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Pour Wavre, c'est la députation d'Anvers. *

M. Vandenpeereboom. - En effet, je me trompe. C'est un lapsus linguae.

Voici dans quelles circonstances et à quelles conditions ces deux écoles pour religieuses ont été adoptées. Je dirai ensuite quel était le contrepoids, pour me servir de l'expression de l'inspecteur provincial, que le gouvernement avait trouvé pour contrebalancer largement certaines influences.

Messieurs, je n'ai pas besoin de le rappeler à la Chambre, tous les citoyens et toutes les citoyennes belges sont égaux devant la loi.

Les religieux et les religieuses peuvent, comme les laïques, enseigner dans les écoles communales ou diriger des écoles adoptées.

Il arrive parfois, très rarement, que des communes témoignent l'intention de nommer des sœurs institutrices communales et d'adopter des écoles dirigées par des congrégations.

Quant à moi, je l'ai prouvé à cette Chambre, je ne suis pas partisan des écoles adoptées ; en général, je préfère infiniment les écoles communales ; j'ai cherche, en me basant sur la loi, à faire prévaloir ce principe que l'école communale est la règle ; l'école adoptée, l'exception. Mais l'école adoptée existe d'après la loi, il faut bien le reconnaître, et on doit exécuter la loi jusqu'à ce qu'elle soit révisée.

J'avais parfois d'assez grandes difficultés a causé des écoles adoptées. Pour adopter une école il faut qu'elle réunisse certaines conditions qu'on appelle « conditions légales de l'adoption ; » de ces conditions la première, la plus essentielle est celle de savoir si les institutrices des écoles adoptées ou les institutrices non diplômées qu'on désire nommer institutrices communales sont capables de bien enseigner.

Quand les institutrices ont un diplôme de capacité, sont élèves normales, il n'y a aucune difficulté ; quand au contraire elles n'en ont pas, il faut les soumettre à un examen particulier et on arrive souvent alors à des résultats peu favorables pour les récipiendaires. Beaucoup de religieuses qui se présentaient devant |e jury d'examen faisaient preuve de connaissances, je le veux bien mais presque, aucune ne connaissait l'art d'enseigner, et par suite le gouvernement était obligé de refuser ou d'ajourner l'agréation de l'école adoptée. De là des difficultés, des conflits, des luttes à n'en pas finir.

Pour prévenir ces difficultés, on fit la proposition suivante : On me dit : Les institutrices religieuses n'ont pas de méthode, c'est vrai ; mais, comment voulez-vous qu'elfes en aient une ? Elles ne peuvent pas fréquenter les écoles normales publiques ; une novice, une religieuse qui est enfermée dans son couvent peut-elle aller s'asseoir sur les bancs d'une école normale publique en compagnie de demoiselles du monde ? Pourquoi n'autoriserait-on pas la formation d'un certain nombre d'écoles normales spéciales pour religieuses.

Celte proposition paraissait d'abord hardie, mais après examen, je reconnus qu'elle était juste et même libérale. Car enfin, que devons-nous vouloir ? Nous devons vouloir l'égalité pour tous les citoyens, que tous puissent, par exemple, avoir accès aux fonctions publiques, les personnes ecclésiastiques comme les personnes civiles, les militaires comme les civiles. Et si, dans, certaines circonstances on peut développer l'enseignement primaire en donnant certaines facilités, je ne vois pas pourquoi on les refuserait.

Aujourd'hui le plus grand nombre d'établissements privés d'enseignement pour filles sont entre les mains des corporations religieuses ; si les institutrices placées à la tête de ces établissements sont normalistes, l'enseignement en général ne pourra qu'y gagner.

D'un autre côté, l'organisation des écoles normales religieuses a été, d'après moi, un acte de justice ; il n'y avait pas plus à dire en principe contre l'adoption de ces écoles que contre l'adoption, par exemple, d'une autre école spéciale dont la proposition a été faite alors, proposition à laquelle il n'a pas été donné suite pour d'autres motifs.

On avait, en effet, manifesté l'intention d'annexer à l'école des enfants de troupes d'Alost un cours normal ; on désira pouvoir former des instituteurs capables, pour les écoles régimentaires.

Je n'avais aucune objection à faire contre cette annexion, pas plus que contre l'établissement de quelques cours normaux spécialement pour les religieuses, je dis spécialement, car le gouvernement s'est réservé le droit d'envoyer à ces écoles des élèves laïques ; mais cette réserve avait pour but unique de sauvegarder toutes les prérogatives de l'Etat, et de consacrer l'égalité du régime dans toutes les écoles normales de filles.

Une seule fois il a été fait usage, jusqu'en 1868, de ce droit. Une école, celle de Louvain avait été supprimée, les élèves de cet établissement, (page 633) pour finir leurs éludes, ont été envoyées, la place manquant ailleurs, à Wavre-Notre-Dame et en partie, je pense, à Thielt.

Mais, messieurs, en accordant ces autorisations spéciales, il fallait nécessairement y mettre certaines conditions.

Ces conditions sont de deux espèces, les unes générales, les autres spéciales.

Les conditions générales sont les mêmes que pour les autres établissements normaux d'instruction ; les écoles religieuses sont, comme les autres soumises, à l'inspection civile ; les inspecteurs doivent y avoir accès quand ils le jugent convenable.

Les règlements, les lois, le programme, les examens d'admission, les examens de sortie sont les mêmes que pour les établissements laïques et les examens de sortie doivent être passés devant le jury d'examen constitué pour les autres écoles normales de filles.

Le personnel enseignant, les institutrices ne sont pas connues sous leur nom de religion, mais sous leur nom de famille.

Il y avait donc égalité parfaite dans les charges que l'on imposait à toutes les directrices des écoles normales religieuses et autres, mais il n'y avait pas égalité dans les avantages, il fut entendu et stipulé que l'Etat n'accorderait aux écoles de Wavre et de Champion ni subsides, ni bourses, rien en un mot.

Je prierai l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir bien dire s'il a imposé les mêmes conditions, financières surtout, c'est-à-dire, s'il a été décidé que les écoles spéciales récemment adoptées n'auraient droit à aucun subside, à aucune intervention de l'Etat ni directe ni indirecte, ni subsides, hl bourses, etc.

Et cette non-intervention, messieurs, se justifiait parfaitement, car si l'on subsidie les écoles normales laïques, si l'on accorde des bourses, c'est parce que les directrices ont des frais à faire et que les pensionnaires doivent y être entretenues par l'établissement, tandis que ce cas n'était ni pour les établissements religieux qui, en général, possèdent de vastes bâtiments, ni pour les sœurs, pourvues, en général, d'une dot lors de leur admission au couvent.

Quoi qu'il en soit, ces conditions furent acceptées par les deux établissements normaux avec reconnaissance. Les inspecteurs, jusqu'en 1867, ont déclaré que les écoles fonctionnaient régulièrement.

Et qu'on ne croie pas, messieurs, que le nombre des élèves des écoles religieuses soit excessif, et que les institutrices laïques puissent avoir à se plaindre de la concurrence de ces établissements.

De 1864 à 1866, en trois ans, il a été admis, à l'école de Wavre, 15 élèves, et à Champion, 18, - le dernier rapport triennal indique ces chiffres. J'ignore quel a été le nombre de ces élèves en 1867 et années suivantes ; le rapport sur cette période n'est pas encore déposé. A la fin de 1866, les deux écoles religieuses avaient en tout 33 élèves dont le cours normal était de trois ans. L'école des religieuses de Champion a fourni 6 institutrices et celle de Wavre, 5 ; total 11.

Si l'on considère qu'une partie des élèves normalistes ne persévère pas dans cette vocation, il faudra reconnaître que ces chiffres doivent encore être réduits et que les institutrices laïques n'ont pas à craindre une concurrence bien redoutable.

Pour que ces explications soient complètes, je dois ajouter que j'étais disposé, comme on l'a dit, à autoriser encore l'adoption de deux ou trois autres écoles normales de religieuses, j'ai même déclaré formellement à la Chambre qu'une de ces écoles pourrait être adoptée dans chaque diocèse et cette déclaration n'a donné lieu à aucune critique.

Un incident parlementaire provoqué par M. Wasseige, dont je ne veux du reste pas grossir le dossier, détermina l'administration à ajourner l'adoption de nouvelles écoles normales de religieuses.

Je regrette que l'honorable ministre des travaux publics ne soit pas présent ; il pourra, du reste, lire mes paroles aux Annales et rectifier les faits si je me trompe, car c'est bien lui qui a été la cause de cet ajournement.

Lorsque en 1866 le gouvernement présenta le projet de loi qui l'autorisa à avoir quatre écoles normales de l'Etat, cette loi fut votée à peu près sans opposition ; mais un membre, l'honorable M. Wasseige, fit des réserves ; il déclara que quand le gouvernement demanderait les crédits nécessaires pour établir ces écoles, il prouverait que ces crédits ne devaient pas être très considérables ; il ajouta qu'il y avait assez d'institutrices dans le pays.

Quelques jours après, dans une réunion de la commission centrale de l'instruction primaire, la même opinion fut émise et développée par un inspecteur ecclésiastique.

J'ai déclaré alors à la commission centrale, comme je l'avais déclaré à plusieurs membres de la Chambra, que tant que des crédits convenables pour créer les écoles normales de l'Etat ne seraient pas votés, le gouvernement n'agréerait plus aucun établissement privé d'enseignement normal, car il voulait, avant tout, assurer l'organisation complète de cet enseignement par l'Etal.

Voilà, messieurs, quelle a été la cause de ce retard et voilà pourquoi quand on me disait : Adoptez mon école, je répondais : Quant à présent, non ! Je ne sais, messieurs, si l'honorable ministre a compris ainsi le « quant à présent » qui a fait le pivot de son argumentation en réponse aux députés de Liège. Mais cette réserve de ma part n'avait ni autre motif ni autre sens.

Maintenant, messieurs, quelles sont les écoles que le gouvernement put adopter plus tard ? Est-ce l'école du chanoine Habets ?

Il me serait difficile de le dire, toutefois j'hésite à le croire, car j'aurais hésite à établir à Liège deux écoles normales pour filles : l'école de l'Etat et l'école Habets ; j'aurais encore hésité à cause de l'opposition de la députation permanente. Il est probable que j'aurais choisi une autre localité du diocèse de Liège.

Quoi qu'il en soit, en même temps que l'administration ajournait l'organisation de nouvelles écoles de religieuses, il se préoccupait vivement à donner une espèce de contre-poids à l'enseignement congréganiste et même aux écoles normales agréées, c'est-à-dire plus ou moins privées, et c’est dans ce but que fut présentée la loi de 1866 décrétant l'organisation de quatre écoles normales de l'Etat.

Cette loi parut nécessaire, surtout parce que, malgré tous les efforts du gouvernement, il n'était pas parvenu encore à former, dans les établissements d'enseignement normal de l'Etat, un nombre d'instituteurs qui fût en proportion satisfaisante avec le nombre dés instituteurs sortis des établissements épiscopaux.

Comme l'a rappelé hier l'honorable M. de Rossius, il avait été entendu, lors de la discussion de la loi de 1842, que les deux tiers des instituteurs sortiraient des écoles de l'Etat et un tiers des écoles de l'épiscopat. Or, en 1860, les écoles de l'Etat avaient seulement 205 élèves et les cours normaux annexés aux écoles moyennes 32.

Les écoles de l'Etat n'avaient donc que 237 élèves normalistes, tandis que les écoles épiscopales en avaient 413.

Ainsi, loin de fournir les deux tiers des instituteurs, les écoles normales de l'Etat ne donnaient que la moitié de ce qui était fourni par les écoles épiscopales.

On avait cherché à améliorer cette position, on a réussi jusqu'à un certain point. En 1866, le nombre des élèves normalistes dans les écoles de l'Etat avait été porté de 237 à 586, tandis que celui des écoles épiscopales n'augmentait que de 413 à 457. Mais la proportion, messieurs, n'était pas encore ce qu'elle devait être, elle n'était pas suffisante ; comme je viens d'avoir l'honneur de le dire, l'Etat devait fournir les deux tiers des instituteurs.

Pour atteindre ce résultat, le nombre des établissements de l'Etat était lui-même insuffisant, et si deux écoles normales nouvelles pour les élèves instituteurs ont été votées, c'est dans le but de porter le nombre des instituteurs normalistes fournis par l'Etat au chiffre qui avait été, non pas inscrit dans la loi de 1842, mais indiqué dans la discussion de cette loi.

Quant aux établissements normaux pour les élèves institutrices, le gouvernement a pensé qu'il était plus que temps de faire aussi quelque chose de plus que ce qui existait.

Jusqu'en 1866, il n'y avait pas eu d'écoles normales dirigées par l'Etat pour filles, il n'y avait que des écoles agréées ; il n'y avait pas d'enseignement direct dirigé par l'Etat.

M. Rogier. - Il y avait des écoles normales pour les filles subsidiées par l'Etat ; il y en avait cinq ou six laïques.

M. Vandenpeereboom. - Il y avait douze ou treize écoles laïques, ou dirigées par des congrégations religieuses, comme Champion, par exemple, recevant des subsides de l'Etat ; elles avaient été instituées ou subsidiées par l'honorable M. Rogier qui, avant de quitter, en 1861, le ministère de l'intérieur, avait eu l'honneur de contresigner l'arrêté qui organise définitivement ces écoles agréées.

Mais je dis qu'il n'y avait pas d'écoles normales de l'Etat pour filles proprement dites, c'était une lacune ; le gouvernement voulut la combler par la création de deux établissements et je vous demande si, après avoir présenté la loi de 1866, après avoir voulu augmenter ainsi les écoles de l'Etat, il est possible d'accuser le cabinet d'alors d'avoir consenti à étendre les établissements congréganistes outre mesure et au grand détriment de l’enseignement de l'Etat.

(page 634) Messieurs, les quatre écoles normales de l'Etat à créer par la loi de 1866 devaient être établies dans des proportions très larges. Elles devaient contenir - et j'appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur ce point - chacune 150 élèves, plus 30 jeunes filles destinées à former des institutrices pour l'enseignement moyen du second degré, écoles moyennes ou écoles primaires supérieures.

Les écoles de garçons devaient avoir la même importance.

Quant aux bâtiments, ils devaient, dans mon opinion, être construits dans des conditions presque de luxe. Je m'étais, en effet, demandé vingt fois pourquoi, dans notre pays où l'on dépense des sommes considérables pour construire des prisons magnifiques et des maisons d'aliénés monumentales, pourquoi lorsqu'on dépense des millions pour de telles constructions, on hésiterait à voter des sommes moins considérables pour construire des écoles : et dans mon opinion, la Chambre trouvera peut-être que c'est exagéré, chacune de ces écoles devait, terrain compris, coûter un million. Je crois que ce n'était pas trop, quand on compare cette dépense à ce que coûtent d'autres constructions d'utilité publique.

M. Bouvier. - Vous êtes dans le vrai.

M. Vandenpeereboom. - Ainsi, messieurs, j'insiste sur ce point, je désire que la Chambre soit bien convaincue et le pays aussi, que le gouvernement voulait avant tout, et je crois que c'est un des grands motifs de l'opposition qu'on lui a faite, développer l'enseignement laïque au moyen des écoles de l'Etat, et de l'organisation nouvelle de sections normales annexées aux écoles moyennes, et je puis terminer en disant qu'il a atteint en partie ce but, puisqu'il était parvenu en 1866, au bout de quatre années, à augmenter le nombre des instituteurs sortant des écoles de l'Etat, de 149 p. c. sur le chiffre constaté en 1860.

Quant aux institutrices, il y avait, en 1861, 236 élèves dans toutes les écoles normales agréées par l'honorable M. Rogier et par son successeur.

Messieurs, voilà les explications que j'avais à donner à la Chambre. Le point important de ce débat est celui-ci : Il s'agit de savoir si l'honorable M. Kervyn a autorisé l'adoption d'écoles normales nouvelles dans le même but et dans les mêmes conditions que je l'avais fait moi-même. Dans ce cas, je n'aurais aucune observation à lui faire ; je lui ferai même de sincères compliments à l'occasion de sa conversion. Avant tout, je demande des réponses formelles aux questions suivantes.

J'ai l'honneur de prier M, le ministre de vouloir nous dire :

1° Si la jurisprudence admise par lui pour les écoles agréées et les écoles normales est celle qui avait été adoptée par l'honorable M. de Decker et par ses successeurs et si cette jurisprudence sera maintenue. Cette question a déjà été posée par M. de Rossius.

2° Si les écoles normales que l'honorable ministre vient d'adopter sont exclusivement destinées à former en règle générale des institutrices religieuses ou bien si l'on y formera aussi régulièrement des institutrices laïques ?

3° Si les écoles normales congréganistes seront subsidiées et si les élèves obtiendront des bourses ?

L'arrêté d'adoption ne fait aucune réserve à cet égard ; on peut peut-être le modifier.

4° Quel sera le nombre des nouvelles écoles religieuses à adopter et leur nombre sera-t-il, comme c'était le projet, limité à une au maximum par diocèse ?

5° Enfin je désire savoir si les quatre écoles normales de l'Etat seront organisées conformément au programme adopté par les ministres libéraux et notamment si, dans chacune de ces quatre écoles, il y aura place pour 150 élèves normalistes ordinaires et en outre pour 30 élèves instituteurs ou institutrices de l'enseignement moyen, du degré inférieur, et d'enseignement primaire supérieur ?

Subsidiairement je demanderai à M. le ministre, si, dans le cas où il aurait à subsidier de nouvelles écoles normales, il ne croirait pas nécessaire de solliciter des augmentations de crédits à son budget ?

J'attendrai le programme de M, de Theux et les réponses de l'honorable ministre avant de me prononcer sur la marche que le cabinet se propose d'imprimer au service si important de l'enseignement primaire dirigé par l'Etat.

Quant à moi, messieurs, je crois que dans un pays libre comme la Belgique, tous les citoyens doivent avoir accès aux fonctions d'instituteurs ou d'institutrices, que tous doivent, sans charges pour l'Etat, en certains cas, pouvoir obtenir un diplôme s'ils sont capables d'enseigner.

Je crois, d'un autre côté, que dans une société comme la nôtre, l'enseignement de l'Etat doit être organisé sur de larges bases, qu'on doit répandre l'instruction à profusion et que l'Etat doit faire en sorte que ses établissements soient autant que possible et sous réserve des droits des communes, dirigés par des instituteurs et des institutrices qu'il aura eu soin de former lui-même.

(page) M. Dethuin. - Messieurs, je demande à la Chambre la permission de lui présenter quelques observations au sujet de l'organisation de notre enseignement moyen et particulièrement du dernier règlement organique des athénées royaux du 17 juillet 1869.

D'abord, messieurs, le vice capital est maintenu avec une persistance digne d'un meilleur système. Je veux parler de l'étrange classement des athénées en catégories.

Bruxelles a l'honneur exclusif de la première classe, désignée par la lettre A ; Anvers, Gand et Liège sont à la deuxième, B ; Bruges, Mons, Namur et Tournai à la troisième, C ; Enfin Arlon et Hasselt à la quatrième, D.

Eh bien, messieurs, il faut être possédé d'un amour bien violent pour la complication et avoir la simplicité administrative en horreur pour établir de semblables distinctions ! Pourquoi ces catégories ? Est-ce à dire que l'enseignement en Belgique doit être réputé « excellent, bon, ou médiocre selon l'importance des localités ? »

Cela ne suffit pas encore. Je lis au chapitre IV, lettre C, troisième catégorie, etc., etc., que les athénées de Mons, Bruges, Tournai, Namur, Arlon et Hasselt sont privés d'un professeur de poésie.

Le professeur de troisième latine, dit le règlement, « est chargé, avec le professeur de rhétorique, de l'enseignement à donner en seconde latine. »

Mais, messieurs, un professeur de troisième latine peut être excellent pour sa classe et détestable pour la seconde ; le même raisonnement s'applique au professeur de rhétorique ; quelles matières du cours de poésie enseignera le professeur de troisième, quelle partie du programme incombera au professeur de rhétorique ? Silence, mystère et complication !!!

Et, dira-t-on, l'article 10, vous oubliez l'article 10 ! Voyons-le donc : « Art. 10. A la demande des administrations communales, il pourra être nommé un professeur spécial pour la seconde latine dans les athénées de Bruges, de Mons, de Tournai, de Namur, d'Arlon et de Hasselt. La dépense qui résultera de cette nomination sera supportée par la caisse communale. »

Voici donc son raisonnement :

Les villes de Bruges, Mons, Tournai, Namur, Arlon et Hasselt ont des ressources bien moins considérables que les villes de Bruxelles, Anvers, Gand et Liège, qui possèdent de nombreux établissements privés ; les premières n'ont que leur athénée, la commune doit supporter tous les frais, l'initiative privée fait défaut, donc, conclut-on, laissons à la charge de ces villes moins riches, moins privilégiées que les secondes, le traitement du professeur de poésie ! On ne peut être plus logique en vérité !!

A Dieu ne plaise, messieurs, que je veuille jeter un blâme à l'honorable M. Pirmez, signataire de ce règlement. A la tête d'un département exceptionnellement important, tous les honorables ministres passés, présents ou futurs ont dû, doivent et devront laisser le soin de ces rédactions purement mécaniques à des subalternes qui me paraissent, en cette circonstance, avoir par trop abusé de la permission.

En effet, messieurs, comme conséquence du raisonnement précédent, ils déclarent que plus la ville est importante, plus elle recevra un subside élevé. Mais c'est la proportion contraire qui doit équitablement et logiquement exister ! C'est surtout en faveur des villes moyennes que les plus grands sacrifices doivent être faits par l'Etat.

Il ne suffit pas, messieurs, d'entretenir dans les grandes cités de vastes foyers intellectuels, il faut que la lumière qu'ils dégagent rayonne partout au dehors ; plus les localités sont éloignées, petites, pauvres, plus il faut y répandre l'instruction, seule base sérieuse de tout progrès et de civilisation. Mais le chapitre VIII du règlement ne pense pas ainsi.

L'athénée de Bruxelles reçoit « 10,000 francs de plus » que les athénées d'Arlon et de Hasselt, « 6,000 francs de plus » que les athénées de Bruges, Mons, Tournai et Namur, enfin, « 2,000 francs de plus » que les athénées d'Anvers, Gand et Liège. Un professeur de rhétorique à Mons ou à Tournai reçoit 400 francs de moins, « traitement maximum, » que son collègue de Bruxelles.

Messieurs, veuillez juger vous-mêmes : Voici un professeur qui n'a que 2,900 francs de traitement parce qu'il est à Mons ou à Bruges où il « peut avoir double besogne, » puisqu'il peut être appelé « à donner avec le professeur de troisième le cours de seconde latine ; son collègue de Bruxelles habite la capitale, a moins de travail, 400 francs de plus et souvent la même capacité.

Jusqu'aux professeurs de religion, qui sont soumis au régime des catégories. Le professeur de religion a 2,000 francs à Bruxelles, Anvers, Gand et Liège ; 1,500 francs à Bruges, Mons, Namur et Tournai ; 1,000 francs à Arlon et Hasselt ; je vous le demande, messieurs, lorsqu'il s'agit de choses sérieuses, est-il permis d'être aussi amusant ? Voilà donc un enseignement religieux de première, deuxième et troisième classe, comme pour les mariages et les enterrements ! Mais pourquoi toutes ces complications puériles, lorsque tant de choses utiles restent en souffrance ?

Ce règlement n'est-il pas une tentative dans le but de généraliser l'application du règlement du 5 avril 1854 ? Je le croirais, messieurs, si je ne trouvais, au bas du règlement, la signature de l'honorable M. Pirmez. Mais il m'est bien permis de dire que je ne suis pas partisan de nos lois organiques. Loin de moi la pensée d'attaquer aujourd'hui ces lois et d'en demander la révision ; lorsque nos honorables adversaires sont au pouvoir, une tentative de ce genre serait aussi dangereuse que maladroite, et loin de favoriser un progrès, peut-être serions-nous les naïfs complices de la réaction.

Mais je regrette que nos honorables amis, lorsqu'ils étaient au pouvoir, n'aient pas réalisé ce progrès, n'aient pas révisé ces lois et soient restés sourds aux réclamations, aux prières d'amis véritablement sincères et dévoués. Peut-être aurions-nous mis obstacle à la politique que l'honorable M. Kervyn s'efforce d'inaugurer. (Interruption de M. Rogier.)

Je veux parler de la révision de la loi de 1842.

M. Rogier. - Et la loi de 1850 ?

M. Dethuin. - Elle est aussi mauvaise, à mon sens, car elle admet le prêtre ou l'invite à titre d'autorité.

M. Julliot. - C'est une appréciation.

M. Dethuin. - Sans doute, je comprends parfaitement que l'honorable M. Julliot ne partage pas ma manière de voir sur ce point, mais j'aurais désiré que la loi de 1842 ainsi que la loi de 1850 fussent révisées, parce que toutes deux elles font intervenir le prêtre à titre d'autorité.

M. Frère-Orban. - Pas du tout, vous n'avez pas lu la loi. (Interruption.)

M. Dethuin. - Et la convention d'Anvers ?

(page 621) M. Pirmez. - Vous n'en connaissez pas le premier mot. Je demande la parole. (Interruption.)

M. Dethuin. - Je dis que l'on aurait dû réviser la loi.

J'ai soutenu cette opinion dans d'autres circonstances, lorsque nos honorables amis étaient au pouvoir, avec la même conviction qu'aujourd'hui.

M. Pirmez. - Vous n'avez pas le droit de faire des suppositions.

M. Dethuin. - Quelles suppositions ? En disant ou plutôt en demandant si ce règlement n'était pas une tentative dans le but d'appliquer la loi de 1854...

M. Frère-Orban. - Il n'y a pas de loi de 1854.

M. Dethuin. - Je le sais, je veux dire le règlement de 1854, dit convention d'Anvers. Vous chicanez sur les mots.

Messieurs, lorsque l'on considère « le tableau A, section des humanités, indiquant par semaine, le nombre d'heures assignées, dans chacune des sept classes à chaque matière d'enseignement, » on ne peut être accusé d'une sévérité bien grande en disant que ces heures ont été réglées avec une extrême légèreté.

Ainsi, depuis la sixième jusqu'à la rhétorique, c'est-à-dire, pendant le cours entier de leurs études, les élèves de nos athénées n'étudient l'histoire et la géographie que deux heures par semaine. On ignore donc que la connaissance parfaite de la géographie est devenue de toute première nécessité ; on ne sait pas que nos élèves sont d'une grande faiblesse en histoire... Enfin, deux heures par semaine.

Trois heures seulement depuis la quatrième jusqu'à la rhétorique pour les mathématiques... C'est bien peu !!! Mais voici qui dépasse toutes les bornes : « Trois heures » (sic) seulement « par semaine » depuis « la quatrième jusqu'à la rhétorique » sont consacrées à l'étude de la langue française !!! Mais, messieurs, « six heures » par semaine suffiraient à peine !

Je me suis demandé en lisant cette énormité si l'on sait bien, dans les bureaux du ministère de l'intérieur, en quoi consiste l'étude de la langue française !

Un voyage à l'étranger l'apprendrait cependant à un inspecteur ou à un directeur désireux de s'instruire ; il saurait à l'instant en visitant quelques collèges, quelques lycées de France que l'enseignement de la langue française ne consiste pas seulement à écrire, mais à parler correctement le français, à rendre sa pensée clairement et surtout très simplement.

La méthode est simple et facile : Le professeur choisit un auteur de style irréprochable et désigne un chapitre que les élèves doivent, non pas apprendre par cœur, mais étudier chez eux. A la leçon suivante, le professeur choisit quelques élèves qui debout, sans livre, tournés vers leurs condisciples, font connaître les impressions causées par la lecture, analysent le chapitre et s'habituent ainsi à faire ce que l'on nomme « une causerie. » Cet exercice se répéterait deux fois par semaine et deux heures chaque fois, car si la classe est nombreuse, les élèves ne peuvent être interrogés tous le même jour et chacun d'eux doit l'être au moins une fois par semaine pour que cet exercice soit profitable.

Il est bien entendu que ces leçons n'empêcheraient pas de faire faire aux élèves des discours français écrits, des exercices de style et de mémoire.

Dès la troisième, ce système s'appliquerait à l'étude de l'histoire et de la géographie ; pour l'histoire en faisant de vive voix des résumés des faits historiques ; pour la géographie, en indiquant au tableau, sur une carte tracée de mémoire, les cours des fleuves, les pays qu'ils arrosent, le commerce, l'industrie, les mœurs sociales et politiques de ces différents pays.

En Angleterre, ce système est employé principalement pour l'éducation des fils des familles les plus distinguées qui est souvent privée jusqu'à l'université. Je dirai que ces études sont presque indispensables dans les pays parlementaires.

Nous voilà bien loin du programme et des trois heures consacrées au français depuis la troisième jusqu'à la rhétorique. C'est ici que se manifeste, messieurs, la sagesse du rapport au roi qui précède le règlement. Il déclare que les heures consacrées aux matières de l'enseignement dans les deux sections cessent d'être déterminées par arrêté royal. Ce détail très variable de sa nature peut sans le moindre inconvénient être abandonné à la décision du ministre de l'intérieur.

L'article 8 lui donne les pouvoirs à cet effet.

J'engage donc l'honorable ministre de l'intérieur à user largement de la faculté que lui accorde l'article 8 du chapitre III. Qu'il donne à l'étude de la langue française, de l'histoire, de la géographie, des mathématiques et des langues modernes la place que ces sciences devraient occuper depuis longtemps dans l'éducation de la jeunesse belge ; qu'il maintienne l'étude des langues anciennes, mais dans une mesure qui ne blesse pas le sens commun et que l'on ne donne pas par semaine à des écoliers, ainsi que l'ordonne le règlement, 14 heures de latin et 4 heures de grec, depuis la sixième et la cinquième jusqu'à la rhétorique, lorsque les élèves ne reçoivent que 3 heures de français dont on a besoin toute la vie, tandis que, à quelques exceptions près, on s'empresse d'oublier les langues mortes en sortant du collège.

Messieurs, si l'on ne donne que trois heures de français par semaine, chaque élève reçoit depuis la sixième jusqu'à la rhétorique « deux heures de religion » ! Mais quel enseignement religieux, pour parler plus correctement ! Il n'y a pas dans nos athénées que des catholiques ! Il y a des juifs, des protestants ; quel enseignement religieux recevront-ils ? Que feront, dans les athénées qui ont accepté la convention d'Anvers, les infortunés préfets des études qui, d'après l'article 4 de ce règlement, « doivent s'entendre avec les délégués des chefs des cultes et veiller avec eux à ce que les élèves accomplissent en temps opportun leurs devoirs religieux. » Cela veut-il dire que, selon la volonté ou les exigences de MM. les délégués, les préfets devront conduire les élèves catholiques, rhétoriciens compris, jusqu'au confessionnal, les protestants au prêche et les juifs à la synagogue ? Aura-t-on la même sollicitude pour les âmes juives et protestantes que pour les âmes catholiques, apostoliques et romaines ? ? Ténèbres, obscurité !!! La clarté eût cependant été complète si, au lieu du mot « religion », on eût écrit le mot « morale ».

En effet, messieurs, la morale est universelle, elle est la même pour tous tandis qu'il y a beaucoup de religions et le règlement même, avec une impiété qui m'étonne, ose dire qu'il y en a de toute catégorie, à des prix différents. Veuillez remarquer, messieurs, que rien n'est plus aisé que l'établissement d'un cours de morale ; les éléments ne manquent pas et plusieurs professeurs ont publié leurs cours, imprimé des recueils. La définition de l'enseignement de la morale est connue.

Voici ce que disait et écrivait M. Duruy, ancien ministre de l'instruction publique en France :

« Le cours de morale privée et sociale a pour objet de donner aux élèves la connaissance raisonnée des devoirs que nous avons tous à remplir.

« L'apprentissage de ces devoirs commence pour l'homme dès que les premières lueurs de raison apparaissent en lui et se prolongent pendant toute l'éducation ; il n'est pas de maître ayant le sentiment de sa mission véritable qui ne consacre ses soins à développer dans l'âme le sens moral et l'amour du bien. »

Turgot avait proposé à Louis XVI de « séculariser la morale dans l’enseignement public, d'instruire le peuple de l'intérêt du lien social, des droits, des devoirs qui l'attachent à la patrie et de lui faire acquérir les connaissances nécessaires pour vivre en bon fils, en bon administrateur dans la famille, en bon citoyen dans l'Etat. »

Voilà, messieurs, la morale bien définie qui devrait être enseignée dans toutes les classes de la société. Et que l'on ne m'accuse pas de faire de la théorie et de rêver l'idéal ! On m'obligerait à prier mes honorables adversaires de vouloir bien se mettre encore en voyage, de se rendre en Allemagne où ils se convaincront de ce que sont l'enseignement de la morale civile et l'éducation nationale dans les pays désireux de former des citoyens intelligents et d'acquérir la grandeur.

Messieurs, j'ai critiqué le système qui consiste à payer les professeurs, à doter les athénées en raison directe de l'importance des localités ; je demande la permission à la Chambre d'en dire un mot encore, ayant oublié un point assez important.

Voici ce qui se passe dans l'enseignement moyen :

Aussitôt qu'un jeune professeur sort de l'école normale, il est nommé soit à Arlon, soit à Hasselt, athénées de quatrième classe. A peine installé, il cherche à se créer des relations utiles et influentes, de nature à faciliter son passage dans une classe supérieure ; d'où, messieurs, dans le personnel de l'enseignement moyen, une course au clocher effrénée, dont Bruxelles est le but.

Enfin, grâce aux démarches, aux circonstances du moment, le jeune professeur avance d'une classe et, à peine connaît-il l'heureuse nouvelle, qu'il cherche déjà comment il fera pour arriver à une classe supérieure. La logique la plus élémentaire doit faire conclure que les athénées de quatrième, troisième et même de deuxième classe ne sont que des écoles préparatoires destinées à fournir des professeurs excellents et pleins d'expérience à l'athénée de Bruxelles.

Messieurs, si la mesure administrative est détestable, elle est plus inique encore ; elle ouvre la porte à toutes les inégalités et fait, au détriment des athénées de province, de la réclame, avec la garantie du gouvernement, en faveur de l'athénée de Bruxelles.

(page 622) En effet ; on fait concourir les athénées, écoles préparatoires, avec les athénées privilégiés. Eh bien, messieurs, je n'hésite pas à le dire ; c'est un combat déloyal, inégal dont le gouvernement ne peut être ni le témoin complaisant ni le coupable complice. Il est évident qu'à de rares exceptions près, les athénées, grand modèle, l'emportent sur les autres ; leur faiblesse et l'incapacité de leurs élèves devraient être immenses pour qu'il en fût autrement. Leurs professeurs sont des vétérans de l'enseignement, préparés, choisis, pour l'honneur d'élever la jeunesse bruxelloise. Ces élèves, bien dressés pour les concours, doivent cueillir de faciles lauriers en luttant contre des camarades de province confiés à de jeunes normalistes et dérangés dans leurs études par de continuels changements de méthodes.

Lorsque la bataille est terminée, on imprime dans tous les journaux les succès des athénées et les parents, qui ne voient que les résultats, séduits par la réclame, placent leurs enfants dans les athénées des grandes villes, qui prospèrent au détriment des autres. Voilà le mal, il est grand, évident, palpable. Depuis longtemps les administrations communales se plaignent de cet injuste système ; la ville de Mons a protesté énergiquement et plusieurs fois ; à peine a-t-on daigné lui répondre. Il ne m'appartient pas de donner des conseils à ces administrations. Je n'ai pas cette autorité, mais je leur dirai cependant : Rétablissez vos collèges communaux, surveillez-les soigneusement, nommez de bons professeurs et passez-vous de la protection débilitante de l'Etat... Tout ira mieux.

Toute protection est mauvaise, mais ici elle est détestable, car elle a pour base l'injustice et la faveur.

Voici comment s'exprimait à ce sujet M. Prévost-Paradol dans un banquet que lui offraient les directeurs de l'Institut philosophique d'Edimbourg :

« Nous avons, en France, plusieurs universités dans les provinces, mais elles ne sont pas du tout ce que sont les universités d'Angleterre et d'Ecosse.

« En France, aussitôt qu'un professeur se distingue un peu dans la province, il dit au ministre : « Je suis bien connu, je suis devenu un homme d'importance, pourquoi ne m'appelez-vous pas tout de suite à Paris ? » Voilà la manière dont les choses se passent en France. Ici, au contraire, les universités sont depuis longtemps prospères ; les hommes qui en font partie trouvent, « sans sortir de chez eux, des situations et des conditions rémunératrices de leurs talents qui les dispensent d'aller à la capitale. »

« Il vaut beaucoup mieux avoir votre vie intellectuelle répandue dans tout le pays que de l'avoir concentrée dans une capitale. »

N'est-ce pas la condamnation de notre système de catégories par un homme dont l'autorité en matière d'enseignement et l'intelligence élevée sont connues ?

Ce que je voudrais, messieurs, dans l'intérêt même de l'enseignement et pour la dignité du corps enseignant, c'est que les capacités fussent toujours exclusivement récompensées ; que l'on jugeât l'homme, son caractère, ses mérites, sans s'enquérir des opinions qu'il professe et parfois des influences dont il dispose. Il y aurait dans cette manière de faire une certaine grandeur, un sentiment de dignité honnête dont chacun retirerait sa part d'honneur et de considération.

Je ne veux pas, messieurs, présenter un programme complet, mais voici qui me paraît juste, bon et pratique.

Non pas même ce que réclament des esprits pratiques et éclairés ; un traitement uniforme, égal dans tous les athénées du pays, pour les professeurs de rhétorique comme pour les professeurs de sixième ; je veux être moins radical, dans l'intérêt même de la cause que je défends. Je désirerais seulement que les traitements fussent mieux réglés ; qu'un professeur de sixième à Arlon ou à Hasselt fût autant payé qu'un professeur de sixième à Bruxelles ; que désormais l'avancement se fît par athénée. Le zèle et le talent trouveraient leur récompense dans les traitements maxima et le classement en professeurs de première et de deuxième classe ; ainsi, bien que demeurant dans une ville peu populeuse, un professeur capable et intelligent pourrait obtenir le maximum de son traitement et la première classe sans être obligé d'intriguer pendant une grande partie de sa vie pour passer d'Arlon à Tournai, de Tournai à Liège et de Liège à Bruxelles. En évitant ces catégories inutiles, on créerait aux professeurs une augmentation de bien-être matériel considérable.

En effet, messieurs, ils pourraient s'établir dans une ville, y donner des leçons, des répétitions, être en relations directes avec les parents des élèves et faire régner ainsi dans l'enseignement local ce je ne sais quoi de patriarcal et de bon qui, joint à la continuité et à la conformité des méthodes, favoriserait sérieusement le progrès des études. Enfin, me basant sur ce système de justice distributive, je voudrais que les pensions fussent réparties d'une façon plus rationnelle et plus équitable.

Mais plus on examine ce règlement du 17 juillet, plus on se demande si l'on s’est donné la peine d'examiner l'importance de certains cours, de certaines études. Ainsi à Bruxelles, le professeur de « cinquième française, le professeur d'économie politique, d'histoire commerciale, droit commercial et statistique » ont chacun, traitement maximum, 2,000 francs ; c'est-à-dire autant que le professeur de religion, dont le traitement est « à lui seul supérieur aux traitements réunis des deux maîtres de dessin, dans le même athénée, supérieur de 200 francs à celui du professeur de quatrième latine à l'athénée d'Arlon et inférieur seulement de 500 francs au traitement du professeur de mathématiques supérieures aux athénées de Bruges, Mons, Tournai et Namur.

Est-il besoin d'en dire davantage ?

Messieurs, je terminerai par une très courte observation. Je veux parler des études en commun ; elles sont le complément indispensable des cours ; c'est donc une question d'administration très importante ; aussi le chapitre IX y consacre « trois lignes. » Il daigne dire que « ces études » sont tenues par des « maîtres d'études, » sous la haute direction du préfet des études et que, «en général, » elles se font dans des « salles spéciales. » Eh bien, messieurs, dans nos athénées et malgré la haute surveillance du préfet, ces études ne sont pas ce qu'elles devraient être, et dans presque tous les athénées, elles n'existent pas.

Voici ce qu'il faudrait établir :

Tous les élèves, les classes terminées, seraient tenus, le matin jusqu'à midi et l'après-midi jusqu'à cinq heures, dans des salles d'études « exclusivement » destinées aux externes ; dans le local même de l'athénée où des surveillants capables, instruits et convenablement rétribués leur feraient faire leurs devoirs et répéter leurs leçons.

De cette façon, les élèves rentreraient dans la famille, leur tâche terminée et deviendraient un agrément et non plus une charge pour les parents occupés. Disons-le franchement, car il faut toujours oser indiquer le mal et non s'efforcer de le cacher sous de futiles prétextes, voilà une des causes de la décadence de nos établissements moyens en province ; voilà pourquoi pendant qu'ils se meurent d'anémie, les établissements particuliers, les collèges des jésuites menacent de succomber à l'apoplexie et regorgent de biens et d'élèves. La raison, veut-on la connaître ? C'est que bien des parents poussés par instinct vers l'éducation laïque, partisans de l'enseignement de l'Etat, mais retenus par des occupations sérieuses, ne peuvent surveiller leurs enfants et les envoient dans ces établissements privés où les soins sont plus grands et la surveillance plus active.

Mais, dira-t-on, il y a des pensionnats annexés aux athénées. Sans doute, messieurs, mais ils ne sont pas à la portée de toutes les bourses et bien des parents ne peuvent s'imposer ce sacrifice.

On parle beaucoup, de nos jours, de la démocratie ; à chaque instant, dans de pompeux discours, on fait vibrer ce mot sonore, mais les actes ne suivent pas toujours les paroles. Eh bien, messieurs, c'est dans l'enseignement qu'il faire de la démocratie plus modeste, mais plus efficace en donnant à tous les citoyens, aux plus pauvres même, toutes les facilités de s'instruire.

Nos athénées reçoivent beaucoup de fils d'artisans qui s'imposent de lourds sacrifices pour donner à leurs enfants une bonne éducation moyenne. Leur demander de les placer dans ces pensionnats attachés aux athénées, c'est arriver insensiblement mais sûrement à la suppression de l'enseignement moyen pour une classe très nombreuse de citoyens. Les élèves pauvres ont droit aux mêmes soins, aux mêmes études, aux mêmes répétitions que les élèves riches... Ils ont droit à des encouragements en plus. Voilà pourquoi il faut créer des études d'externes dans le local même de l'athénée sans augmenter la rétribution scolaire.

Je le répète, notre enseignement moyen ne prospère pas, il laisse même beaucoup à désirer. Il est donc indispensable de prévenir sa complète décadence.

Les écoles moyennes ont aussi grand besoin d'améliorations et d'encouragements de la part de l'Etat. L'honorable M. Pirmez l'avait compris, et, animé d'intentions louables et éclairées, il avait demandé des crédits nouveaux. Il serait, messieurs, peu sérieux de demander à l'honorable M. Kervyn la réalisation de réformes progressives, mais on était en droit je pense, de réclamer de lui le maintien des mesures prises par son honorable prédécesseur.

Sans doute, ces mesures étaient de nature sinon à relever, au moins à soutenir quelque peu notre enseignement laïque, dont l'honorable M. Kervyn paraît juger trop longue l'agonie puisqu'il veut presser son fatal dénouement.

(page 623) L'honorable ministre aurait-il pour nos écoles, pour nos instituteurs et nos professeurs celle sainte et injuste horreur qui éclate dans la lettre convoquant un concile œcuménique ?

« On enlève, dit-elle, presque partout au clergé l'éducation de la malheureuse jeunesse, et ce qui est pire, dans bien des endroits, elle est confiée à des maîtres d'erreur et d'iniquité, »

Messieurs, que l'honorable M. Kervyn regrette, comme homme, que l'on enlève au clergé l'éducation de la malheureuse jeunesse, c'est son droit, personne ne peut le blâmer.

Mais je me demande si le ministre de. l'instruction publique est resté bien fidèle à ses devoirs en faisant tous ses efforts pour rendre au clergé, en l'enlevant à nos écoles, la malheureuse jeunesse confiée à ces « maîtres d'erreur et d'iniquité » dont l'honorable ministre est légalement et loyalement le protecteur naturel.

Il est évident que les aspirations de l'homme ont entraîné trop loin le ministre, et à cause même de ces ardeurs l'honorable M. Kervyn ne mérite pas le reproche que M. le prince de Talleyrand adressait à ceux qui par excès de zèle compromettent les situations.

Je ne me plains pas de cette politique, messieurs, elle me réjouit au plus haut point. Elle hâte en effet, de l'avis de tous, la marche d'événements prévus et l'expansion de ma joie, n'aurait aucune borne si cette preuve nouvelle d'encouragement donné à l'ignorance, si ces nouvelles entraves mises a l'émancipation intellectuelle des masses, ne venaient singulièrement la refroidir.

Il m'est impossible, messieurs, d'assister, sans protestation, à l'inauguration d'une politique qui a pour but de répandre partout les ténèbres, de confisquer la pensée et d'étouffer tout progrès. Je ne puis voir sans douleur détruire, au profit des écoles religieuses, nos écoles laïques, notre enseignement national. Aussi en attendant des jours meilleurs, je voterai contre le budget de l'intérieur.

M. le président. - La Chambre sera sans doute d'avis de. continuer demain la discussion du budget de l'intérieur, sans s'occuper des rapports de pétitions.

- De toutes parts. - Oui ! oui !

- La séance est levée à 5 heures.