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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 février 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 612) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Dankaerts, président, et d'autres membres de sociétés dramatiques à Bruxelles et à Lierre présentent des observations sur l'arrêté ministériel du 26 décembre 1870 relatifs aux encouragements à l'art dramatique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vanden Gheyn prie la Chambre de faire accorder un congé au fils de la veuve Pirlet, qui sert au 3ème régiment de chasseurs à pied. »

- Même renvoi.


« Le. sieur Paul Sigrand, employé de commerce à Saint-Ghislain, né à Villers-Ia-Montagne (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Jansen. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Landries appelle l'attention de la Chambre sur le projet de révision de la loi concernant l'instruction primaire, que des instituteurs lui ont adressé le 10 mai dernier. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition rappelée.

Interpellation relative au décès d’un pontonnier militaire à Anvers

M. Bergé. - Voici, messieurs, le sujet de mon interpellation. Vous avez tous vu, dans les journaux, que des pontonniers chargés de transporter des munitions aux forts Sainte-Marie ont éprouvé les plus grandes difficultés pour pouvoir retourner à Anvers, que tous ont été malades par suite des fatigues excessives qu'ils ont eu à supporter et que l'un de ces pontonniers même est mort. Je ne relaterai pas les faits en détail : ils ont été reproduits par tous les journaux. Je dirai simplement qu'il s'agit d'un détachement de pontonniers qui a été exposé au plus dures épreuves et dont l'un des hommes est mort. Il y a lieu de voir, messieurs, quelle est la cause de cet accident. Dans l'industrie, quand des malheurs semblables se produisent, on décide une enquête ; cette enquête se fait d'une manière très minutieuse et souvent on traduit le chef d'industrie devant les tribunaux du chef d'homicide involontaire.

Chacun sait avec quelle émotion on accueille les accidents qui se produisent : un puisatier enseveli sous terre, un ouvrier qui est victime de la rupture d'une chaîne de grue, tout cela préoccupe vivement l'opinion publique.

(page 613) Ici, il s'agit d'un soldat tombé victime dans l'accomplissement de son devoir et nous devons nous en préoccuper, d'autant plus que le travail que font les soldats n'est pas un travail volontaire comme celui de l'ouvrier, mais que c'est une consigne, consigne qu'ils sont obligés d'observer. Là où la passivité du subordonné est grande, la responsabilité du chef augmente d'autant plus.

Par conséquent, il faut de toute nécessité que des explications soient données sur les causes de l'accident, du malheur que nos déplorons ; il faut que tous ceux qui s'intéressent aux soldats sachent que le retour de semblables accidents ne se produira plus ou que l'accident a dû se produire dans des circonstances telles qu'il a été impossible à l'administration de les éviter. En un mot, il faut une explication.

Je n'ai nullement l'intention de rendre M. le ministre de la guerre responsable de l'accident ; mais si je m'adresse à lui, c'est parce que lui seul est à même de donner des explications et, le cas échéant, de donner des ordres pour que de pareils faits ne se reproduisent plus.

M. le général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, j'ai reçu aujourd'hui même l'enquête très minutieuse qui a été faite sur le déplorable accident dont vient de parler l'honorable M. Bergé.

En voici le résultat :

Vendredi dernier, dans la matinée, un sous-officier d'artillerie et cinq pontonniers furent chargés de conduire deux bateaux de munitions au fort Sainte-Marie ; ils partirent de bonne heure, et arrivèrent au fort à 11 heures et un quart.

Pendant qu'ils déchargeaient les bateaux, le temps se gâta ; un ouragan de neige s'éleva et lorsque le moment du retour fut venu, ils trouvèrent que le fleuve était trop mauvais pour se rembarquer. Après avoir amarré leurs bateaux, ils se décidèrent à revenir par la digue.

Après l'avoir suivie, quelque temps, ils entrèrent dans un cabaret pour se réchauffer ; malheureusement, le chef de l'établissement, croyant leur rendre service, leur a, paraît-il, conseillé de ne pas continuer leur voyage par la digue, mais de prendre la traverse par les polders ; ils ont eu la mauvaise inspiration de suivre ce conseil et se sont égarés dans la tourmente de neige.

Vous savez, messieurs, que pendant cette soirée de vendredi, la gelée a repris d'une manière très intense.

Les pontonniers transis de froid ont subi toutes les vicissitudes de leur malheureux voyage. Après avoir erré pendant trois heures, deux hommes sont tombés et ont déclaré ne pouvoir aller plus loin. Le maréchal des logis en a pris un sur son dos et l'a porté jusqu'à la première maison qu'il a rencontrée. Les trois autres hommes, chargés de veiller sur le second, ont tâché aussi de le sauver ; malheureusement ils n'y sont pas parvenus. Après avoir marché quelque temps, ce malheureux est tombé dans un trou rempli d'eau. On l'en a retiré ne donnant plus aucun signe de vie. Les trois autres hommes l'ont alors abandonné pour songer à leur propre salut. Arrivés à proximité de la maison où le sous-officier était entré avec le malheureux qu'il avait sauvé, l'un des trois est tombé également, mais on est parvenu à le sauver.

Voilà, messieurs, le résumé fidèle de ce qui est arrivé. C'est un accident extrêmement malheureux et que je déplore ; mais, après avoir examiné l'enquête, je crois qu'il n'y a de reproche à faire à personne.

J'espère que ces explications satisferont l'honorable M, Bergé.

M. Bergé. - Je me déclare satisfait.

M. Bouvier. - Je désire faire une simple question à l'honorable ministre de la guerre.

Je lui demanderai si, conformément à la promesse qu'il nous a faite tout récemment, il a renvoyé dans leurs foyers les dix mille hommes sur les douze mille rappelés sous les armes dans la première quinzaine de janvier dernier ?

M. le général Guillaume, ministre de la guerre - Conformément à la promesse que j'avais faite à la Chambre, des ordres ont été donnés pour que les dix mille hommes fussent renvoyés dans leurs foyers.

M. Bouvier. - Je me déclare satisfait. (Interruption.)

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1871

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue. La parole est à M. de Rossius.

M. de Rossius. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai rappelé les opinions émises par deux de nos honorables ministres sur la question de la neutralité armée. J'ai fait remarquer à la Chambre qu'à peine au pouvoir, au lendemain même de la constitution du cabinet, ils s'étaient empressés d'accepter ce qui avait été fait par le ministère précédent et de s'incliner devant les graves motifs qui avaient déterminé la majorité à voter notre loi sur l'organisation militaire.

La nécessité d'armer la neutralité belge, voilà la raison d'être de cette loi. L'honorable. M. Jacobs et l'honorable M. Kervyn ont opposé une dénégation à mes paroles.

J'ai pris vis-à-vis de la Chambre l'engagement de prouver la vérité de mes allégations.

Il m'est très difficile de présenter à la Chambre un résumé complet des discours prononcés par les honorables ministres. Mais ils ne contesteront pas que leur thème était celui-ci : en vertu des traités, il n'existe pour la Belgique aucune obligation d'armer sa neutralité.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je m'expliquerai.

M. de Rossius. - Mais les honorables MM. Kervyn et Jacobi reconnaissaient que la Belgique avait du moins le droit de se défendre. Si elle n'avait pas le devoir, elle avait le droit d'assurer sa neutralité.

Puis ils examinaient la question de l'opportunité d'une armée organisée en vue de la défense.

Ici je veux rappeler à la Chambre quelques passages de leurs discours.

Dans la séance du 11 février 1868, l'honorable M. Jacobs faisait une amère critique des dépenses militaires. Il disait qu'elles allaient augmentant sans cesse et que leur progression n'était pas près de s'arrêter. Il donnait à sa pensée un tour original et disait : « Qu'on me permette une. comparaison un peu vulgaire. On imite les dentistes. Il n'y a d'abord qu'une dent à arracher. Mais quand la douleur est oubliée, il s'en trouve une seconde à côté qui n'est guère moins gâtée et qu'il faut extirper à son tour. C'est, sans doute, de cette manière de procéder qu'est né l'adage peu flatteur pour les dentistes : Menteur comme un arracheur de dents. »

Mais que faisait donc l'honorable M. Jacobs quand il contresignait les projets de loi autorisant les dépenses militaires et, parmi eux, celui qui concerne les fortifications de Termonde ?

L'honorable M. Jacobs tombait dans la faute prétendue du cabinet précédent. Il reconnaissait l'indispensable nécessité d'armer la neutralité belge.

Mais en 1868, on avait des idées différentes ; on s'élevait avec force contre le maintien d'une armée de campagne. On affirmait que la seule armée qui convînt à la Belgique, c'était une armée de 25,000 hommes tout au plus qui s'empresserait de se retirer dans Anvers. Le reste du pays pouvait être occupé par l'ennemi.

Affirmant l'insuffisance de notre armée de campagne, l'honorable M. Jacobs prononçait ces paroles : « Aujourd'hui comme alors, notre armée de campagne sera un mythe, pour ne pas dire une mystification, et si j'avais un nom à lui donner, je dirais que, née de ces préoccupations ridicules qui veulent toujours nous représenter comme prêts à défendre la frontière envers et contre tous, elle est l'armée du respect humain. »

« L’armée du respect humain. » Et lorsque des bruits de guerre se répandent, on s'empresse de faire de grands préparatifs militaires ! Lorsque éclate le conflit, on se hâte de rappeler les classes de milice ; on se hâte d'envoyer à la frontière « l'armée du respect humain » ! On cède enfin à ces préoccupations ridicules qui assurent la défense de la neutralité belge !

Mais l'honorable M. Jacobs allait plus loin. L'armée n'était pas seulement ridicule. Elle n'était pas seulement l'armée du respect humain. Elle était un danger pour le pays.

« Il n'est, disait-il (Annales parlementaires, Chambre des représentants, page 622), il n'est qu'une hypothèse dans laquelle il (le gouvernement belge) se verra contraint de déclarer la guerre, c'est lorsque l'une des puissances belligérantes lui dira : Qui n'est pas pour moi est contre moi. Ce. jour-là il faudra opter.

« Mais quand se présentera-t-elle 1 Qu'est-ce donc qui déterminera les belligérants à nous poser cet ultimatum ? C'est, selon moi, le désir de s'annexer une petite armée permanente qui pourra utilement être ajoutée à la leur. Si nous n'avons pas une armée permanente considérable, de nature à exciter les appétits des belligérants, cet ultimatum ne nous sera pas posé. »

Voilà le langage de l'honorable M. Jacobs. Cette armée permanente, il fallait la supprimer parce qu'elle était un danger. On indiquait pour la remplacer je ne sais quelle armée de citoyens calquée sur je ne sais quel modèle. Je me rappelle que l'orateur citait le système suisse.

L'honorable M. Jacobs entre dans le cabinet ; sans doute cette armée permanente qui est un péril, demain elle disparaîtra ! Non pas. Le maintien en est décidé. On ne supprimera ni un homme, ni un canon.

(page 614) Qui donc pourra voir dans l'honorable M. Jacobs, simple membre de la Chambre, un partisan de la neutralité armée ?

Mais l'honorable représentant d'Anvers avait le don de prescience : l'opposition aux dépenses pour l'armée allait croissant sans cesse ; elle serait bientôt formidable et dicterait son irrésistible volonté au cabinet et à la majorité.

Il terminait son discours en comparant cette opposition aux minces filets d'eau qui descendent des montagnes : « Ce sont d'abord de petits ruisseaux ; ils se réunissent et forment une rivière. Elle reçoit des affluents à droite, à gauche ; la rivière devient fleuve. La main de l'homme essaye de le resserrer entre des digues ; rien n'y fait. Il les emporte et poursuit sa course plus impétueux que jamais. »

Messieurs, les projets de lois relatifs aux dépenses militaires déposés par l'honorable M. Jacobs nous ont édifiés sur la sûreté de son coup d'œil. Depuis 1868, l'opposition à l'organisation de nos forces nationales a grandi, comme on sait, au point de paralyser complètement le cabinet!, au milieu des terribles complications qui se sont produites à nos frontières.

En 1868 quelle thèse défendait l'honorable M. Kervyn ? Pour lui comme pour son collègue d'Anvers, la neutralité armée était un péril. C'est ce que prétendait démontrer un discours très long, très intéressant du reste et divisé en trois parties, comme il convient à tout beau discours : une partie politique, une partie historique et une partie, technique.

Pour l'honorable M. Kervyn, l'envoi de l'armée à la frontière exposerait le pays à un immense danger qu'attesteraient bientôt les réclamations des belligérants.

Rencontrant l'objection que la présence de notre armée de campagne à la frontière déplacerait le terrain séculaire de la lutte entre nos voisins, l'honorable M. Kervyn disait : « J'admets, si vous voulez, qu'on respecte ces armements et que l'on porte ailleurs le théâtre de la guerre ; mais lorsque les chances de la fortune auront créé un vainqueur, ne craignez-vous pas qu'il absorbe des forces dont l'organisation peut lui être utile ?

« Proclamer qu'il y aura nécessairement une armée de campagne, c'est éveiller aujourd'hui toutes les défiances, exciter demain toutes les convoitises. » (Annales parlementaires, session de 1867-68, page 559.)

Messieurs, nous sommes à la veille de la paix. Elle se fera demain, espérons-le. M. le ministre de l'intérieur, fidèle a ses convictions d'autrefois, s'empressera-t-il de réclamer la destruction de nos canons, le renvoi de nos soldats, la suppression de nos cadres d'officiers ? Voilà la question que je lui pose.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je répondrai.

M. Bouvier. - Dites oui ou non.

M. de Rossius. - Messieurs, les observations que m'ont suggérées les opinions défendues en 1868 par l'honorable M. Jacobs s'appliquent naturellement à l'honorable M. Kervyn. Je lui adresse les mêmes reproches.

Jamais il n'expliquera comment ses thèses de 1868 lui ont permis de nous réclamer tant de millions pour mettre notre armée sur le pied de guerre et la préposer à la garde de nos frontières au lieu de l'enfermer prudemment dans nos fortifications.

Mais l'honorable M. Kervyn tient aussi à dire son mot sur les prévisions qui déterminaient le cabinet et les hommes spéciaux à se prononcer en faveur de l'organisation proposée.

Il disait : « Mais dès aujourd'hui s'attacher à prévoir des événements que je crois improbables, des catastrophes que j'aimerais à déclarer impossibles, déterminer le rôle de telle armée, arrêter le choix de telle ou telle position à occuper, c'est permettre à l'Europe de contrôler, au point de vue d'une guerre à laquelle nous voulons et devons rester étrangers, des armements qui n'ont d'autre but que de nous garantir la neutralité et la paix. Il y a là un écueil à éviter. Il y a là un ordre d'idées que je crois dangereux. » (Annales parlementaires.)

Encore une fois ces paroles de 1868 sont inconciliables avec les mesures prises en 1870. Elles dictaient à l'honorable ministre des résolutions contraires aux mesures qui ont été prises.

Il fallait se garder de rappeler nos miliciens et de solliciter les subsides militaires qu'on a réclamés.

Je n'insisterai pas davantage ; je croîs l'incident vidé, sauf les explications annoncées par l'honorable M. Kervyn et que je suis impatient d'entendre.

Mais pardon, j'oubliais l'honorable M. Cornesse.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Vous me mettez en cinquième ou sixième ordre.

M. Bouvier. - Vous n'y perdrez rien.

M. de Rossius. - Vous avez hâte de vous expliquer. Je vais vous en fournir l’occasion.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Je l'ai déjà fait trois fois.

M. de Rossius. - L'honorable M. Cornesse a vaillamment lutté sur le terrain électoral. Il a réussi dans un arrondissement qui envoyait dans cette enceinte des représentants qui siégeaient de ce côté. Son succès est dû à une alliance quelque peu compromise aujourd’hui, car elle l’a contraint de faire une profession de foi très détaillée. Il n’t a pas de point de la politique que l’honorable ministre n’ai touché devant ses électeurs. Il y en avait de deux sortes à satisfaire : les catholiques et les avancés, qui s’étaient coalisés avec les premiers.

Que disait l'honorable M. Cornesse de notre organisation militaire ? Je trouve son discours dans un journal que l'honorable M. Cornesse connaît très bien et qu'il se gardera de désavouer : la Gazelle de Liège :

« Je passe à la question militaire.

« Sous ce rapport, messieurs, de grandes, d'énormes fautes ont été commises. Des millions ont été engloutis en pure perte dans les fortifications d'Anvers et l'on a exagéré outre mesure notre appareil militaire. L'augmentation du contingent et l'élévation énorme du budget de la guerre, que le libéralisme avait promis de réduire à 25,000,000 de francs, créent à l'armée une situation précaire, intolérable, antipathique, au sentiment public. Ce sont les excès, les abus, les exagérations qui tuent les meilleures institutions.

« Le moment semble venu d'alléger les charges militaires pour les familles et pour les contribuables. Jamais les circonstances ne furent plus favorables à un dégrèvement. Aucune puissance étrangère ne nous menace. Notre sécurité extérieure est complète. Le maintien du bon ordre à l'intérieur n'exige pas ce vaste déploiement de force militaire qui accable la nation et absorbe le plus clair des revenus publics. (Applaudissements.) »

Voilà les paroles de l'honorable M. Cornesse.

Comment se fait-il qu'entrent dans le cabinet du 2 juillet, prenant place à côté de l'honorable général Guillaume, l'honorable ministre de la justice ait consenti à accepter un programme comprenant l'engagement de ne réduire le budget de l'armée ni d'un homme, ni d'un cheval, ni d'un canon ? (Interruption.)

C'est le seul programme qui ait jamais été formulé ; c'est exact et cela honore le général Guillaume.

J'ajoute qu'il est regrettable que tout le cabinet n'ait pas compris qu'il avait aussi le devoir d'éclairer le pays sur ses vues politiques, sur ses intentions.

Messieurs, je passe à un autre point des nombreux discours de l'honorable M. Cornesse...

M. Cornesse, ministre de la justice. - Vous auriez dû lire ma lettre du 2 août aux électeurs.

M. de Rossius. - cette lettre a fait l'objet d'un débat dans cette Chambre ; je ne l'ai pas ici ; si l'honorable M. Cornesse le désire, j'en donnerai lecture nouvelle dans une séance ultérieure.

Hier, j'ai parlé des impôts et des réductions promises, de la diminution de l'accise sur la bière notamment. Un passage du discours à ses électeurs, prononcé par l'honorable ministre de la justice, ne manque pas d'intérêt à cet égard. Il disait :

« En matière d'impôts, je poursuivrai la suppression de ceux qui pèsent particulièrement sur les classes nécessiteuses, notamment de l'accise sur la bière, la boisson populaire par excellence, sur laquelle le trésor public prélève des droits exorbitants. »

Comment l'honorable M Cornesse a-t-il pu accepter la réponse adressée à la section des voies et moyens à propos de l'impôt sur cette boisson populaire, dont il parlait à Verviers ? (Interruption.)

Messieurs, cette réponse de l'honorable, ministre des finances a été insérée dans un document public, dans une missive insérée dans le rapport de l'honorable M. Vermeire.

M. Coomans. - Ce n'était pas la pensée de l'honorable M. Jacobs.

M. Bouvier. - C'est écrit. Vous connaissez donc mieux sa pensée que lui-même.

M. de Rossius. - Eh bien, l'honorable M. Cornesse s'engage-t-il à réduire l'impôt sur la bière le lendemain du jour heureux où la paix sera proclamée ? (Interruption.)

Messieurs, je n'ai qu'un désir, c'est de m'éclairer et de voir le pays éclairé sur vos projets. (Nouvelle interruption.)

J'affirme le désir de m'éclairer. On m'oppose que je n'ai pas le désir de m'éclairer. Que voulez-vous que je réponde à cela ?

(page 623) M. de Rossius. - Je reprends maintenant l'exposé de mes observations sur la véritable politique du cabinet. J'ai dit hier que le projet de loi de réforme électorale et les actes de l'honorable M. Kervyn dans le domaine de l'enseignement officiel impriment à cette politique son caractère réel.

Je laisse de côté la réforme électorale, cette question que la droite semblait devoir résoudre à la satisfaction de ses alliés du 14 juin et du 2 août. Le moment n'est pas venu de discuter le projet du gouvernement, ce projet qui n'accorde rien au principe de la capacité constatée par l'instruction. C'est de l'attitude du ministère à l'égard de l'enseignement public que je veux m'occuper.

Je le reconnais, ici du moins le cabinet fait œuvre originale. Aucune illusion n'est possible pour le pays. Le gouvernement cesse de marcher dans la voie tracée par les ministres précédents.

Je crois que cela importait à sa propre sécurité. La presse cléricale a condamné la politique étrangère de l'honorable baron d'Anethan, cette politique qui s'imposait a lui parce qu'elle est la seule qui soit autorisée par les traités et qu'il a affirmée dans les déclarations solennelles que nous avons entendues et dans des conversations diplomatiques.

La polémique de cette presse a été ardente, passionnée.

Elle n'a pas ménagé au chef du cabinet les récriminations amères, les reproches acerbes.

Elle a donné la mesure de la patience des évêques qui l'inspirent.

Le ministère aura senti la nécessité de les apaiser, de calmer l'irritation de ses alliés, je devrais dire de ces maîtres exigeants. (Interruption.)

L'enseignement officiel fera les frais de la réconciliation.

- Une voix à droite. - Tant mieux !

M. de Rossius. - Nous disons tant pis pour le pays.

M. Coomans. - Le pays vous a destitués.

M. Bouvier. - Au profit des évoques.

M. Frère-Orban. - Vous avez été destitués pendant vingt ans.

M. Coomans. - Vous croyez que le pays ne se compose que des évêques. Ce sont les électeurs qui vous ont renvoyés.

M. de Rossius. - Je dis que l'enseignement officiel sera la victime expiatoire qui détournera du cabinet le courroux de l'épiscopat.

Déjà les mutilations que l'honorable M. Kervyn avait fait subir au projet de budget déposé par l'honorable M. Pirmez avaient éclairé d'un jour assez sombre l'avenir que le cabinet réservait à l'enseignement officiel. Mais je n'avais pas perdu toute espérance.

Les événements qui se sont accomplis à nos portes renferment une leçon qui ne pouvait être perdue pour le pays.

S'il est une vérité qui apparaisse aujourd'hui incontestable, lumineuse, c'est que l'instruction double la vigueur, l'énergie, fait la force, la jeunesse et la moralité des peuples.

N'est-il pas évident qu'un grand courant d'opinion en faveur de la diffusion des lumières, courant tel qu'on n'en vit pas de semblable depuis 1830, pour le même objet, circule et règne dans le pays ?

Je me disais que ce courant d'opinion exercerait sur le cabinet une heureuse influence et qu'il lui inspirerait des résolutions inattendues, favorables à l'enseignement public.

Je pensais, messieurs, que le cabinet comprendrait que le moment est venu d'imposer au trésor de nouveaux sacrifices, des sacrifices considérables que peut-être le tempérament du pays n'eût pas supportés hier, que le pays semble offrir aujourd'hui.

Hélas ! j'oubliais le péché originel du cabinet, et la haine implacable que le clergé a vouée à l'enseignement officiel, le seul dont l'expansion puisse être assez puissante pour généraliser l'instruction, cette instruction qui élève le niveau intellectuel et la moralité de la nation. (Interruption.) Vous contestez ! Mais cela résulte des faits, de la situation de notre enseignement primaire. Depuis 1830 la liberté d'enseignement est décrétée ; que nous a-t-elle donné ? Le pays n'a pu être doté par elle d'un nombre suffisant d'écoles. (Interruption.)

Messieurs, la haine du clergé pour l'enseignement officiel paralysera le cabinet. (Interruption.) Celui-ci réagira contre les aspirations du pays. Il importe d'amoindrir l'enseignement officiel à défaut de pouvoir le détruire, et voilà pourquoi le ministère, obéissant à la loi de son origine, mais oublieux ou dédaigneux de promesses que la veille il nous a faites, s'empresse de conférer l'agréation à de nouvelles écoles congréganistes. SI l'on doit faire de l'enseignement, que du moins cet enseignement tourne au profit de la théocratie, qu'il soit confié à des mains tout à la dévotion de l'épiscopat.

Messieurs, l'arrêté du 11 janvier 1871 qui adopte des écoles monacales n'est pas seulement la violation d'un engagement pris vis-à-vis de l'opposition, il est encore la violation des prescriptions de l'arrêté royal du 25 octobre 1861.

L'article premier de cet arrêté est conçu en ces termes :

« Notre ministre de l'intérieur peut, sur l'avis de la députation permanente, adopter dans chaque province une ou plusieurs écoles de filles pour la formation d'institutrices primaires. L'adoption est révocable en tout temps. »

Messieurs, la première condition de l'adoption, c'est que l'école existe. Avant d'être adopté, il faut exister, comme le disait l'honorable M. Vandenpeereboom dans la discussion de son budget, en 1862, à propos de l'interprétation qu'il donnait à l'article 3 de la loi de 1842, à propos de l'adoption des écoles primaires par les communes.

Les avantages de l'agréation, en effet, ne sont pas conférés en vue des établissements eux-mêmes, pour le profit de ceux qui en sont les propriétaires ou les directeurs. C'est dans l'intérêt général, c'est à raison de l'intérêt public attaché à la formation d'un personnel enseignant que l'adoption est prononcée.

Aussi l'arrêté royal de 1861 formule-t-il des exigences très rigoureuses à l'égard des écoles normales adoptées. Ces écoles normales doivent réaliser certaines conditions d'organisation et quant aux études et quant au régime intérieur auquel sont soumis les élèves. De nombreux articles de l'arrêté fixent ces conditions. C'est pourquoi l'article premier, que j'ai lu à la Chambre, ne permet pas au ministre de conférer l'agréation sans qu'il ait eu d'abord l'avis de la députation permanente.

C'est ce corps électif qui procédera à l'instruction, qui éclairera l'autorité supérieure, qui lui apprendra si l'école qu'il s'agit d’établir réalise toutes les conditions de l'arrêté royal, qui dira si l'établissement renferme (page 624) un personnel sérieux, à la hauteur de sa tâche, apte à enseigner le cours d’étude qui (ainsi le veut l'article 15) se divise en trois années, auxquelles correspondent trois divisions d'élèves.

C'est la députation permanente qui constatera l'état et l'importance du matériel scolaire, l'état et l'importance des bâtiments ou se donneront les leçons et où les élèves institutrices seront soumises au régime d'internat complet de l'article 12. L'avis de la députation permanente dont parle l'article premier est nécessairement un avis sérieux. L'arrêté royal entend que la députation procède a une instruction sérieuse.

L'honorable M. Muller me fait remarquer qu'un membre de ce corps électif préside le jury constitué pour les examens, d'entrée et de sortie. L'arrêté royal a donc une grande confiance dans la députation.

Les conditions exigées font-elles défaut, l'enquête établit-elle qu'elles ne sont pas remplies ou qu'elles ne sont pas convenablement remplies, l'adoption n'est pas possible. On ne comprendrait pas que l'Etat et la province pussent accorder les bourses dont parle l'article 13 de l'arrêté pour faire des études dans un établissement qui n'aurait que l'apparence d'une école pédagogique.

Lorsque nous avons connu les différents arrêtés d'agréation de M. le ministre de l'intérieur, nous nous sommes demandé si toutes ces écoles normales existaient. La presse libérale, qui est vigilante, s'était émue de ces adoptions. Elle alla aux informations

Peut-être les renseignements recueillis par elle n'étaient-ils pas tous exacts. Il est difficile que la presse connaisse immédiatement la vérité toute entière. Mais celle-ci finit toujours par jaillir des investigations auxquelles elle se livré. Aussi peut-on dire que la liberté de la presse est la sauvegarde de toutes les autres libertés. Dans la séance d'hier, l'honorable ministre de l'intérieur m'a paru injuste pour elle. Je prends sa défense, ne voulant pas laisser passer sans réplique les paroles qu'il a prononcées.

La presse révéla donc des faits qui avaient un caractère de haute gravité ; à Pesches-lez-Couvin, notamment, le cours normal n'était pas établi.

Des doutes très grands planaient sur l'existence d'un enseignement pédagogique au couvent des filles de la Croix.

Ces allégations seraient inexactes, si nous devons en croire l'honorable ministre qui, dans la séance d'hier, s'est appuyé sur une série de documents extraits de ses dossiers.

Je ne puis apprécier la valeur de ces documents.

La Chambre comprend l'impossibilité où je me trouve de les discuter.

Ils n'ont point passé sous mes yeux.

Le discours de l'honorable M. Kervyn n'a pas été publié encore. Je ne formule, qu'on veuille le croire, aucun reproche. J'explique pourquoi je ne discute pas les pièces produites.

Mais je suppose que tout soit régulier dans ces affaires ; à qui l'honorable ministre pourrait-il s'en prendre, si ce n'est à lui-même, des défiances dont ses actes et ses intentions ont été l'objet ?

Pourquoi refusait-il la communication des dossiers tant réclamée ? Pourquoi laissait-il croire que ces dossiers renfermaient d'autres documents que de simples pièces administratives dont le dépôt sur le bureau est sans inconvénient ? L'examen eût promptement révélé l'innocence du ministre et le bruit qui s'est produit autour de ses arrêtés se fût bientôt dissipé.

Au lieu de tenir une conduite si sage, on persiste dans un incroyable refus de livrer et les demandes des congrégations, et les rapports des inspecteurs, et les avis des députations. Pourquoi s'étonner ? pourquoi se plaindre ? On autorisait toutes les suppositions.

On avait d'ailleurs la preuve qu'une grave illégalité avait été commise. La députation permanente n'avait pas donné son avis sur la requête de M. le chanoine Habets ; elle n'avait pas été consultée par le ministre de l'intérieur ; elle-même nous l'avait appris en adressant a la Chambre une protestation qui est déposée sur le bureau. Tout dès lors devenait suspect.

S'il faut en croire l'honorable M. Kervyn, son arrêté du 11 janvier 1871 serait inattaquable. J'estime cependant qu'il ne se lavera pas du reproche d'avoir violé la loi en ne réclamant pas l'avis de la députation de Liège sur la requête qu'il a accueillie.

L'arrêté royal de 1861 voulait que cette requête fût instruite. L'honorable ministre a supprimé l'instruction. Sans doute on craignait qu'elle ne révélât quelque insurmontable obstacle à une agréation exigée pas l'évoque de Liège. On s'est passé de l'avis du corps électif qui, lui, est indépendant et du ministre et de l'épiscopat.

On n'a donc pas consulté la députation, et l'adoption a été décidée.

L'honorable M, Kervyn, ministre du roi, qui doit à tous le salutaire exemple d'une rigoureuse obéissance aux lois, a donné l'exemple détestable du mépris d'une prescription légale.

Lorsque nous avons connu le texte de la décision ministérielle, lorsque nous avons appris qu'elle visait un avis qui n'avait pas été donné, qu'il affirmait l'existence d'un acte d'instruction qui n'avait pas été demandé, nous avons cru à une erreur commise par les bureaux, erreur toujours possible et que le pays eût admise.

Je pense que l'honorable ministre de l'intérieur eût été heureux de dégager ainsi sa sincérité, aujourd'hui fort compromise.

Mais l'honorable M. Jacobs a coupé toute retraite à son collègue ; il a pris soin de nous détromper dans cette séance où il lutta vainement contre l'intolérance incroyable de la majorité qui refusait d'entendre l'honorable M. d'Andrimont, à qui la parole avait été donnée par M. le président.

Il s'agissait de la protestation de la députation permanente de Liège, d'une pièce adressée à la Chambre, et sur laquelle une résolution devait être prise. Le bureau proposait, je pense, le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget.

L'honorable M. d'Andrimont avait demandé la parole. Il avait le droit de discuter la résolution proposée par le bureau. La pièce n'était pas une pétition dont le règlement exige le renvoi à la commission dite des pétitions et sur laquelle toute discussion eût été prématurée et antiréglementaire. La protestation de la députation pouvait faire l'objet de décisions diverses. La Chambre avait le droit, par exemple, d'en ordonner le dépôt au bureau des renseignements, de la renvoyer à une commission spéciale, de prononcer l'ordre du jour. Nous pouvions donc discuter. La droite ne l'a pas voulu. Elle est restée sourde à la prière de l'honorable M. Jacobs lui-même qui, cependant, disait : La discussion prouvera que l'avis existe, mais qu'il est vieux.

Ces paroles ont été prononcées ; elles n'ont pas 11té insérées aux Annales, mais tous, nous les avons entendues. Elles n'ont pas été officiellement publiées. J'en conclus qu'on eut d'abord la pensée d'expliquer par une erreur l'inexacte affirmation de l'arrêté du 11 janvier.

Mais les journaux avaient parlé. Le Journal de Bruxelles, avec un empressement fort imprudent, avait rapporté les paroles de l'honorable ministre des finances. On décida que l'on soutiendrait quand même la légalité de l'adoption du couvent des filles de la Croix.

On n'a donc pas commis d'erreur. On a visé un avis qui existe. On est sans reproche, on n'a pas violé la loi.

Cela est-il sérieux ? Examinons.

L'avis de la députation, elle-même nous l'apprend, date de 1864. A cette époque, une demande d'agréation fut adressée au gouvernement par le chanoine Habets. Une instruction fut ouverte. La députation devait être consultée ; elle le fut et émit un avis défavorable.

En conséquence, l'honorable M. Vandenpeereboom rejeta la demande.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Quant à présent.

M. de Rossius. - Remarquez donc bien, M. le ministre, la voie fausse dans laquelle vous entrez.

Je comprendrais que l'on s'emparât de ces mots de l'arrêté de l'honorable M. Vandenpeereboom, si l'adoption avait été refusée par un motif différent de celui qui fut invoqué. Mais pourquoi la requête a-t-elle été repoussée ? Parce que l'école normale n'existait pas.

On ne retarde pas l'agréation d'une école qui n'existe pas.

Voilà, M. le ministre, pourquoi votre cas reste très mauvais. La cause du refus ôte toute valeur d'argumentation à ces mots quant à présent dont on voudrait s'emparer.

Messieurs, l'avis visé dans l'arrêté du 11 janvier 1871 par l'honorable M. Kervyn était donc défavorable. Eh bien, je vais poser à l'honorable ministre une question à laquelle je le prie de vouloir bien répondre nettement.

Admet-il qu'il lui eût été possible de prononcer l'agréation sur le vu du dossier déposé dans son cabinet ?

- Un membre à droite. - Ne répondez pas.

M. Bouvier. - Mais c'est de l'esclavage ; répondez M. le ministre.

M. d'Andrimont. - II faut le temps de la réflexion.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur.- Je reconnais qu'un supplément d'instruction était nécessaire pour constater l'état actuel de l'établissement et j'ai demandé à M. l'inspecteur provincial un rapport à ce sujet.

M. de Rossius. - Donc l'instruction n'existait pas.

M. David. - C'est clair.

M. de Rossius. - Remarquez bien une chose : l'honorable ministre de l'intérieur vous dit : Une instruction était nécessaire.

(page 625) M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je dis, monsieur...

- Voix à droite. - Ne répondez pas...

M. de Rossius. - Mais, messieurs, vous croyez donc que l'administration de l'intérieur se trouve dans des mains débiles ? Laissez répondre l'honorable M. Kervyn.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je répondrai d'une manière plus complète que par des interruptions.

M. Bouvier. - Je constate que c'est la droite qui ne veut pas que vous répondiez.

M. de Rossius.- Vous avez compris, M. le ministre, que l'état du dossier que vous avez trouvé dans vos bureaux ne vous permettait pas de prononcer l'adoption. Pourquoi ne pouviez-vous accueillir la demande du chanoine Habets sur le vu des pièces ? Parce que ces pièces révélaient qu'en 1864 l'école normale des filles de la Croix n'existait pas, que l'agréation n'avait pu être alors conférée, faute d'une école à adopter. En réalité, en 1864, une instruction n'avait pas eu lieu, faute d'un objet sur lequel elle pût porter.

En 1870, vous êtes donc forcé d'ordonner celle instruction. Que faites-vous ? Vous réclamez l'avis de vos inspecteurs dont l'arrêté royal de 1861 ne s'occupe pas, et vous négligez de prendre l'avis du corps électif, c'est-à-dire de faire ce qui vous est imposé par l'article premier. En vain vous voulez vous en défendre, M. le ministre, vous avez violé la loi. Mais pourquoi avez-vous violé la loi ? C'est parce que vous ne vouliez pas que la députation reproduisît les observations qu'elle avait faites en 1864 sur la première demande du chanoine Habets.

Il ne fallait pas, disait-elle alors, augmenter le nombre des écoles adoptées de la province de Liège.

En effet, messieurs, la députation permanente partageait les vues de l'homme remarquable que la province a perdu. M. le ministre nous a lu un rapport de M. Ghinijonet où. sont consignées des observations d'une haute portée.

M. Ghinijonet se préoccupait de la situation de l'enseignement normal des institutrices, de la jurisprudence qui semblait prévaloir au ministère de l'intérieur. On voulait accueillir toutes les demandes d'adoption des écoles congréganistes.

M. Ghinijonet protestait. Il rappelait que l'Etat n'avait pas d'établissement pédagogique pour former des institutrices.

Toutes les congrégations enseignantes se transformeront en écoles normales, disait-il. Elles réclameront l'agréation et nous aurons bientôt un enseignement pédagogique monacal sans contre-poids.

L'honorable M. Vandenpeereboom comprit la valeur de l'objection, il y fit droit par son projet de loi de 1866.

Messieurs, en présentant aux Chambres ce projet de loi qui ordonnait la création de quatre écoles normales, dont deux pour instituteurs et deux pour institutrices, l'honorable M. Vandenpeereboom remplissait un devoir vis-à-vis de l'opinion à laquelle il appartient.

Il importait de faire sortir l'enseignement normal de l'Etat de la situation fâcheuse qui lui était faite.

La loi de 1842 est une loi transactionnelle qui ne fut pas accueillie avec enthousiasme par l'opinion libérale. Pour enlever le vote de la gauche, l'auteur de la loi dut faire des déclarations qui fussent de nature à la rassurer. Elle craignait l'excessive influence des prêtres dans l'enseignement primaire officiel.

A cause même de l'autorité que l'on donnait au ministre du culte, la question de la formation du personnel enseignant prenait une grande importance. M. J.-B. Nothomb déclara solennellement, ce qui fut accepté par la Chambre, qu'une part large devait être et serait faite à l'Etat dans la formation de ce personnel.

Il fut convenu qu'on demanderait aux établissements officiels les deux tiers du personnel enseignant, et un tiers seulement aux établissements privés.

Jamais les établissements de l'Etat n'ont été à même de fournir les deux tiers des instituteurs ; je ne parle pas des institutrices parce qu'il n'y a pas pour elles d'école normale officielle.

La loi de 1866 n'était que trop légitime.

Messieurs, si la loi de 1842 fut une transaction qui lie la gauche, comme l'affirme la droite à chacune des attaques que nous dirigeons contre son caractère d'intolérance et d'exclusivisme, qu'elle commence donc par l'accepter et l'exécuter dans l'esprit où elle a été votée.

Ce n'est qu'à ce prix que la droite pourra échapper au reproche d'avoir en1842 tendu un piège à l'opinion libérale. Ce juste reproche lui a été fait plusieurs fois ; en 1862, notamment, par l'honorable M. Orts, lorsque, provoqué par un discours imprudent de M. Ad. Dechamps, il fit l'histoire des déceptions qu'avait ménagées à l'opinion libérale l'exécution de la loi par les ministres catholiques ; antérieurement par M. Le Hon lorsque fut déposée sur le bureau de là Chambre, dans la session de 1847-1848, la correspondance édifiante échangée entré le ministre de l'intérieur et l'épiscopat dans les années qui suivirent la promulgation de la loi.

La Chambre ordonna la publication aux Annales de cette correspondance, comme pour prémunir à jamais l'opinion libérale contre des défaillances nouvelles, pour prévenir le retour de la faute qu'elle avait commise lorsque, cédant à un sentiment de conciliation dont elle fut là dupe, elle consentit à transiger avec ses principes sur la foi des promesses de ses adversaires politiques. Quelles leçons pour nous que ces lettres des évêques où s'étalent l'une après l'autre toutes leurs prétentions, toutes leurs injonctions ! Quelles craintes elles doivent nous inspirer pour l'avenir de l'enseignement officiel, aujourd'hui qu'un ministère du cléricalisme le plus pur préside, aux destinées du pays !

L'épiscopat traite de puissance à puissance. Le pouvoir civil voit se dresser en face de lui le pouvoir spirituel qui, fort des dispositions de la loi qui appellent son intervention, met à haut prix son concours. Dés conflits surgissent. Chacun d'eux est pour le pouvoir civil l'occasion d'une abdication nouvelle.

Au lendemain du vote de la loi, l'épiscopat réclame une illégale intervention dans les nominations des instituteurs.

Il arrache à la faiblesse du ministre deux circulaires qui autorisent - le mot est charmant -l'inspecteur civil à prendre l'avis de l'inspecteur ecclésiastique sur les choix qui seraient projetés.

Cela ne suffit pas. Le ministre autorise le gouverneur à consulter les évêques sur la formation du personnel des écoles primaires supérieures, qui étaient de véritables écoles moyennes. À mesure que le ministre cède, les exigences croissent. Les nominations mêmes des inspecteurs cantonaux ne sortent que du consentement de l'épiscopat.

S'agit-il de l'enseignement normal, le clergé s'empresse de réclamer et il obtient l'agréation de ses sept écoles normales congréganistes ; à cette condition, il consent à coopérer à l'organisation des deux écoles normales de l'Etat. Voyez la lettre de l'archevêque de Malines du 13 avril 1844 (Annales parlementaires 1847-1848, p. 524).

Mais le clergé redoute la concurrence. Il fait remarquer que les instituteurs formés par lui verront diminuer leurs chances de placement. Le ministre tient à dissiper ces craintes. Il donne aux établissements de Lierre et de Nivelles des proportions réduites, de telle sorte que chacun d'eux ne puisse recevoir que 75 élèves et qu'ils ne puissent ensemble mettre à la disposition de l'enseignement que 50 instituteurs par année, à supposer que tous les élèves achèvent leurs études et obtiennent leur diplôme.

Le croirait-on ? l'épiscopat ne fut pas encore satisfait. Sa part n'était pas assez grande. Le ministre fut mis en demeure de suspendre l'exécution de l'article 35 de la loi qui prévoit la création de cours normaux près de quelques-unes des écoles primaires supérieures. Le clergé menaça le gouvernement de retirer son concours si les cours normaux étaient organisés.

Le ministre de l'intérieur fit de vains efforts pour vaincre la résistance des évêques.

Dans une lettre qu'il adressa à l'archevêque de Malines, le 13 mai 1844, il rappela d'abord sa promesse faite dans la discussion à l'opinion libérale, de demander aux établissements de l'Etat les deux tiers du personnel enseignant, le tiers seulement aux établissements privés. Puis il dit à l'archevêque que cet engagement n'avait pas été tenu, que, dans l'application, la proportion des deux tiers contre un tiers avait été renversée et qu'il l'avait même forcée au profit du clergé. Il produisit des chiffres qui l'établissaient, même en tenant compte des cours normaux en projet.

Le clergé persista dans son opposition. Les cours normaux ne furent pas organisés.

Voilà comment, dans les années qui suivirent la promulgation de la loi de 1842, le pouvoir civil fut contraint de s'humilier devant l'épiscopat. Voilà comment le cabinet dut violer une promesse formelle acceptée par la Chambre.

Messieurs, nous reverrons cet abaissement du pouvoir civil. Comment en douter, en présence des actes qui s'accomplissent dans le domaine de l'enseignement normal ? D'une part les retards apportés à l'exécution de la loi de 1866 et l'intention que l'on a eue, mais dans laquelle on n'a pas osé persister, de réduire les proportions à donner aux quatre écoles qu'elle décrète ?

(page 626) D'autre part, la transformation de plusieurs couvents en pépinières d'institutrices façonnées par l'esprit clérical. D'autres faits achèvent de nous éclairer.

M. le ministre de l'intérieur nous vante toujours sa sollicitude pour l'instruction populaire, pour la diffusion des lumières, son dévouement à la cause des instituteurs.

Est-ce pour nous en donner des preuves convaincantes, qu'il supprime deux crédits inscrits au projet de budget pour l'exercice 1871, déposé par son prédécesseur : 15,000 francs pour les frais du concours des écoles d'adultes ; 20,000 francs pour suppléments de pensions aux instituteurs d'élite ? (Interruption.)

Je m'occupe actuellement de l'enseignement primaire. Or, je ne puis admettre la sollicitude dont se targue M. le ministre de l'intérieur, lorsque je vois que les 15,000 francs réclamés par l'honorable M. Pirmez sont supprimés.

Ces 15,000 francs pour frais de concours, sous le futile prétexte que l'organisation des écoles d'adultes n'est pas complète dans toutes les provinces, ne sont pas réclamés par l'honorable M. Kervyn, et la section centrale a rejeté la proposition de les réinscrire au budget. On a décidé que les concours, concours très salutaires, très efficaces, et qui doivent avoir lieu par province, ne seraient pas institués en 1871.

Messieurs, qu'était-ce que l'autre crédit, le crédit de 2,000 francs ? C'était l'exécution d'un arrêté royal de 1862, d'un arrêté contre-signé par l'honorable M. A. Vandenpeereboom. il devait servir à payer des suppléments de pension aux vieux instituteurs.

Vous savez que les caisses de retraite servent des pensions peu élevées. L'honorable M. Vandenpeereboom a voulu améliorer le sort des anciens instituteurs. Son arrêté de 1862 décide qu'ils auront droit à un supplément de pension si, dans le cours de leur carrière, ils ont obtenu trois gratifications. Cette condition est, remarquez-le, difficile à remplir. La première gratification n'est accordée qu'à celui qui compte au moins dix années de service dans la même commune. Ce n'est que trois ans après que la seconde peut être obtenue. II faut encore trois années pour conquérir la troisième.

Le droit au supplément de pension n'est donc acquis que par seize années de service au minimum. Enfin, l'administration est très avare dans la distribution de ces gratifications. Elle n'en alloue que quelques-unes par province.

L'instituteur hors ligne peut seul les espérer. Seul, l'instituteur d'élite jouira du supplément de pension de l'arrêté de 1862.

Non, il n'en jouira pas. L'honorable M. Kervyn supprime le crédit de 2,000 francs inscrit par l'honorable M. Pirmez au budget de 1871, en exécution de cet arrêté.

Etrange façon de prouver les sentiments de bienveillance dont on se dit animé !

La sollicitude de l'honorable ministre, s'il faut l'en croire, est grande. Que sert-il aux instituteurs ? Des mots et des phrases.

« Mais le moindre brin de mil »

« Ferait bien mieux leur affaire. »

Autre preuve de dévouement à la cause de l'enseignement populaire. L'honorable M. Pirmez a décidé la création, dans chacune des écoles normales officielles et privées, d'une bibliothèque sérieuse qui pût former le goût de l'élève instituteur et élargir l'horizon de sa pensée. Les frais devaient être à la charge du trésor public, même pour les écoles privées. C'était une mesure très libérale que prenait le ministre de l'intérieur. Un catalogue très considérable fut présenté aux directeurs des différents établissements. Chacun d'eux fut invité à désigner un tiers des ouvrages inscrits, à composer ainsi lui-même sa bibliothèque.

Que fait M. Kervyn ? II annule l'adjudication à laquelle il a été procédé pour la fourniture des livres.

Je trouve l'avis suivant au Moniteur du 13 septembre 1870 :

« Le ministre de l'intérieur a l'honneur de porter à la connaissance des intéressés que, faisant application de l'article 6 du cahier des charges en date du 13 juin 1870, il a décidé de ne pas donner suite à l'adjudication qui a eu lieu le 1er août pour une fourniture de livres aux bibliothèques des écoles normales et aux bibliothèques des conférences d'instituteurs. »

L'honorable ministre s'est-il procuré les livres en les achetant de la main à la main ? Je l'ignore. Mais en se bornant à insérer cet avis dans le Moniteur, il a ouvert la porte à toutes les suppositions ; il nous autorise à croire qu'il condamne la création de bibliothèques dans les écoles normales.

Comment croire à son extrême bienveillance pour les instituteurs ?

M. Bouvier. - C'est de l'amour platonique.

M. de Rossius. - Messieurs, tous les ministres libéraux ont tenu à honneur de contribuer au développement de l'enseignement primaire. Sous leur administration, les sacrifices du trésor public ont suivi une progression constante. Les communes durent s'engager dans la même voie. Beaucoup d'entre elles ont imposé à leurs finances des charges proportionnées aux subsides de l'Etat.

Mais voilà que, sous prétexte de fixer d'une manière stable la part d'intervention de l'Etat, des provinces et des communes dans les frais de l'instruction populaire, l'honorable ministre de l'intérieur annonce que les sacrifices du trésor public seront réduits.

Désormais, d'après la circulaire du 11 décembre 1870, le concours de l'Etat ne sera accordé aux communes qu'en cas d'insuffisance des ressources locales.

Je ne puis, dans ce discours, analyser cette circulaire. La Chambre en fera sans doute l'objet d'un sérieux débat. Je n'en parle que parce qu'elle caractérise les tendances du cabinet. Ces tendances sont celles de la droite entière qui nous ont été révélées par l'honorable comte de Theux dans la discussion de l'interpellation de l'honorable M. d'Andrimont.

C'était dans la séance du 16 décembre. L'honorable M. de Theux prononçait ces paroles :

« Lors de la discussion du budget de l'intérieur, je me réserve de prendre part à la discussion de cette grave question de l'enseignement primaire et d'autres parties de l'instruction, si cela est nécessaire. Les honorables membres qui siègent sur les mêmes bancs que moi ne manqueront pas d'y prendre aussi la part légitime que la Constitution leur donne, et ne manqueront pas de remplir les devoirs de la majorité, en demandant l'exécution pure et simple de la loi sur l'instruction primaire dans son texte et dans son esprit. »

M. de Theux. - C'est ce que je me propose de faire.

M. de Rossius. - C'est ce que l'honorable comte de Theux se propose de faire, bien !

Ainsi, on nous annonce un changement de système dans l'application de la loi de 1842.

M. de Theuxù. - J'expliquerai ma pensée.

M. de Rossius. - Vous expliquerez votre pensée ; mais vous me permettrez cependant, car je trouve que vos paroles manquent quelque peu de précision, de vous poser quelques questions. (Interruption.)

M. Van Wambeke. - Un nouvel interrogatoire sur faits et articles.

M. de Rossius. - C'est une forme oratoire ; je n'espère pas de réponse. Je ne me fais pas d'illusion, M. De Lehaye. Je connais le mot d'ordre : On ne répond pas.

Je me demande si ce changement dans l'interprétation de la loi de 1842 ne nous explique pas une mesure fort regrettable de l'honorable M. Kervyn, le déplacement du fonctionnaire qui dirigeait depuis longues années le service de l'enseignement primaire.

M. Jamart représentait la tradition, la bonne tradition, l'interprétation vraie de la loi de 1842, dont il était un partisan, l'interprétation conforme à l'esprit de la loi, conforme aux promesses faites, dans la discussion, à l'opinion libérale. On vit dans la loyauté administrative du fonctionnaire un obstacle insurmontable à l'exécution des projets qu'on méditait. On décida qu'il serait déplacé, sous prétexte de lui donner de l'avancement, on l'a mis à la tête du service de garde civique. Voilà M. Jamart transformé en directeur général de la garde civique. Peut-être ignore-t-il les dispositions de la loi sur la garde civique.

M. de Borchgrave. - C'est une farce.

M. de Rossius. - Qui a dit cela ?

M. de Borchgrave. - C'est moi.

M. de Rossius. - Je sais, M. de Borchgrave, que vous avez la plus belle voix de la Chambre, mais vous manquez. d'oreille et vous chantez souvent faux.

Le déplacement d'un fonctionnaire, sachez-le, n'est point chose qui puisse passer inaperçue, quant il révèle les tendances d'un ministre, les vues du gouvernement.

M. Pirmez. - C'est un homme d'une extrême modération.

M. de Rossius. - Qui ? M. de Borchgrave ? (Interruption.)

M. Pirmez. - M. Jamart.

M. de Rossius. - On feint aujourd'hui de regretter la nécessité où l'on se serait trouvé de se passer de ses services, comme si le grade de directeur général n'eût pas pu lui être donné à titre personnel, ainsi que cela s'est fait plusieurs fois. La vérité est qu'on ne voulait plus recouru à ses lumières, à son expérience, à sa connaissance des précédents.

(page 627) Je passe aux questions destinées à préciser ce que l'honorable chef de la droite entend par une exécution pure et simple de la loi sur l'enseignement primaire dans son texte et dans son esprit,

Obtiendrai-je des réponses précises ?

- Un membre. - De M. de Theux ?

M. de Rossius. - J'espère encore que la défense de répondre faite par la droite à M. le ministre de l'intérieur ne concerne pas l'honorable comte de Theux.

Voici mes questions :

L'administration libérale, à vue des textes des articles 1 et 3 de la loi, a posé le principe que l'école de l'article premier devait être une école communale, une école créée par la commune.

L'école communale, a-t-elle dit, doit être la règle, et l'école adoptée de l'article 3 doit être l'exception, une exception tolérée seulement dans des cas graves, au profit des communes très pauvres.

Le principe contraire prévaudra-t-il désormais ? L'école adoptée, d'exception qu'elle est, deviendra-t-elle la règle ; l'école communale sera-t-elle l'exception ?

L'administration dit encore : L'adoption n'étant tolérée qu'au profit des communes sans ressources, l'école adoptée ne recevra aucun subside de la commune, si ce n'est une subvention pour l'instruction des enfants pauvres. La commune ne mettra pas un local à la disposition de cette école, elle ne fournira pas le mobilier scolaire.

Cette double règle de l'administration a été vivement critiquée en 1862 par M. Ad. Dechamps, qui ne cachait pas qu'elle faisait aux corporations enseignantes une situation difficile. Les écoles qu'elles ouvrent sont nécessairement de grandes écoles. Les corporations ne peuvent s'établir que dans les cités riches, populeuses où les écoles adoptées ne sont pas tolérées. Les écoles des frères de la doctrine chrétienne et des sœurs de la Providence rencontrent dans ces villes la concurrence redoutable des écoles officielles, dont le nombre s'y accroît en quelque sorte chaque année.

L'honorable comte de Theux qui réclame l'exécution de la loi de 1842, dans son texte et dans son esprit, prétend-il que désormais les communes puissent adopter les écoles des frères de la doctrine chrétienne et des sœurs de la Providence et mettre à leur disposition locaux, matériel et subsides ?

Prétend-il enfin que les corporations enseignantes soient, à l'avenir, admises à puiser leurs moyens d'existence dans la caisse communale ?

M. Allard. - Vous êtes bien curieux !

M. de Rossius. - Messieurs, aux termes de l'article 6 de la loi de 1842, les enfants qui n'appartiennent pas au culte de la majorité sont dispensés d'assister à l'enseignement de la religion.

On assimile aujourd'hui aux dissidents les enfants de ceux qui le demandent. Le père de famille peut dire : Je désire que mon fils ne suive pas le cours de religion. Personne n'a le droit de rechercher à quelle confession religieuse il appartient. Pendant longtemps il n'en a pas été ainsi. Les parents ne pouvaient dispenser leurs enfants des leçons de catéchisme. L'administration disait : D'après nos investigations, votre culte est le culte catholique ; l'enseignement de la religion est obligatoire pour vos enfants. Elle violait le principe constitutionnel de la liberté de conscience.

Je demande si l'administration reviendra à sa première jurisprudence ; si, foulant aux pieds la liberté de conscience, elle imposera l'enseignement du catéchisme, malgré les parents, aux élèves qui auront reçu ou qui seront supposés avoir reçu le baptême catholique.

Messieurs, une dernière question qui concerne l'arrêté royal du 10 janvier 1863, contresigné par l'honorable M. Vandenpeereboom.

J'ai des craintes d'autant plus vives sur le sort réservé à cet arrêté, que son plus grand adversaire fut l'honorable M. Wasseige, ministre des travaux publics.

Cet arrêté de 1863 fut un grand bienfait. Il améliora la position de plus de 3,000 instituteurs.

Les communes les rétribuaient mal. L'honorable M. Vandenpeereboom intervint. Il détermina un maximum pour leur traitement fixe, un minimum pour leur traitement fixe et leur casuel réunis.

L'honorable M. Wasseige et l'honorable M. Thibaut s'élevèrent avec force contre le système de M. Vandenpeereboom. Ils le taxèrent même d'inconstitutionnel.

Je demande si les communes qui recevront des subsides de l'Etat pourront abaisser le traitement de leurs instituteurs au chiffre ancien, antérieur à l'arrêté de 1863, s'il leur sera permis de n'allouer même que le minimum de 200 francs de l'article 21 de la loi.

Le retrait de l'arrêté de 1863, ce serait le retour au régime aujourd'hui prohibé du cumul, où sombraient trop souvent la dignité et l'indépendance de l'instituteur.

La suppression du minimum le contraindrait à demander des moyens d'existence a des fonctions diverses. On le verrait, comme autrefois, supplier le curé de son village de lui confier les délicates fonctions de sacristain ou de bedeau de la paroisse. (Interruption.)

Alors apparaîtrait la nécessité de remettre en vigueur ces fameux règlements de M. le comte de Theux qui voulaient que l'élève instituteur des écoles de l'Etat devint un ouvrier habile dans l'art intéressant de la fabrication des cierges.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Cela prouverait, au moins, qu'il n'est pas l'ennemi des lumières.

M. Bouvier. - Est-ce que ce sont les cierges qui donnent la lumière ?

M. Bara. - Pour les enterrements.

M. d'Andrimont. - L'éteignoir est à côté.

M. de Rossius. - Je m'arrête dans cette revue des mesures que j'appréhende dans le domaine de l'enseignement primaire. Si ce n'est pas abuser des moments de la Chambre, je présenterai quelques observations relatives à l'enseignement moyen.

La même sollicitude inspire ici M. le ministre de l'intérieur ; nous avons encore en face de nous un ami véritable de la diffusion des lumières, de la généralisation de l'instruction.

Son prédécesseur demandait 20,000 francs de plus qu'en 1870 pour l'enseignement moyen provincial et communal des garçons ; 50,000 francs pour subsidier l'enseignement moyen communal des filles. C'était la première fois que l'Etat intervenait dans cet enseignement secondaire des filles.

Messieurs, les deux crédits ont disparu du budget de l'honorable M. Kervyn.

Occupons-nous d'abord des 20,000 francs sollicités pour les écoles communales des garçons.

Comment l'honorable M. Pirmez justifiait-il sa demande ? Il affirmait l'insuffisance du crédit de 1870 s'élevant à 190,000 francs. La création de nouvelles écoles moyennes communales imposait la nécessité de le porter à 210,000 francs.

Ainsi l'honorable M. Pirmez cédait à une nécessité. Que répond à cela l'honorable M. Kervyn ? Rien.

Dans son budget qui reproduit le chiffre de 1870, 190,000 francs, il ne nous fait pas connaître par quels motifs son département qui, avant les élections de juin, trouvait nécessaire l'augmentation de 20,000 francs, a jugé, après les élections, que l'ancien chiffre était suffisant.

Ne trouvant aucun éclaircissement dans le budget, je me disais que la section centrale m'apprendrait ce que l’honorable ministre avait jugé opportun de nous laisser ignorer.

J'ai donc eu recours à son rapport ; je savais que dans cette section centrale s'était perdu, égaré, un membre de la gauche, très zélé pour l'instruction ; j'étais convaincu que l'honorable M. Muller n'aurait pas permis à la section centrale de laisser à M. le ministre de l'intérieur le bénéfice du silence, si spontanément elle n'avait pas réclamé des explications.

Je ne me trompais pas. Le rapport m'apprend qu'un de ces membres a proposé de rétablir le chiffre de 210,000 francs en faisant connaître les motifs qui avaient déterminé l'honorable M. Pirmez.

La section centrale paraissait ainsi mise en demeure ou de voter le crédit ou tout au moins de solliciter des explications. J'allais donc être éclairé.

J'étais naïf. La section centrale rejette purement et simplement, hic et nunc, la proposition de M. Muller et déclare que réclamer des éclaircissements de M. le ministre de l'intérieur, ce n'est vraiment pas son affaire.

M. Pirmez. - Lisez la phrase.

M. de Rossius. - Voici :

« Un membre propose de rétablir le crédit de 20,000 francs qui se trouvait au projet de budget de 1871 présenté par M. Pirmez. Ce crédit était déclaré nécessaire en vue de la création, dans un certain nombre de localités, d'écoles moyennes communales de garçons dans les dépenses desquelles le gouvernement intervient pour une part, en vertu des articles 28 et 29 de la loi de 1850.

« La section centrale ne saurait partager cette opinion. Dans sa pensée, il appartient au ministre d'apprécier les besoins réels des communes et d'établir, d'après ces besoins, les crédits portés au budget. »

(page 628) Et l'on rejette la proposition. Confiance illimitée ! C'est devenu un devoir constitutionnel.

M. Bara. - Amen.

M. de Rossius. - A défaut d'autre programme, nous avons au moins celui-là : Confiance illimitée ! Il ne referme qu'un article qui est court, mais bon.

Pourquoi s'étonner ? Le ministère a dit au pays : Prononcez-vous ; c'est à vous de nous dire quels sont vos besoins et vos désirs ; nous ne demandons qu'une seule chose, c'est de conserver le pouvoir, et aujourd'hui MM. les élus du deux août, qui se piquent de civilité, répondent au gouvernement : MM. les ministres, nous n'en ferons rien. Nous avons en vous une confiance absolue, illimitée.

Je regrette de ne pas voir à sort banc un des députés de l'arrondissement de Charleroi, l'honorable M. Balisaux. (Interruption.)

Je sais que l'état de sa santé l'empêche d'assister à nos séances. Je n'hésite pas néanmoins à produire l'observation que je voulais faire et qui le concerne. Elle n'a rien de désobligeant pour lui.

J'ai prévenu l'honorable M. Balisaux. Il sait que je lui adresserai une demande de renseignements. La voici :

L'honorable membre nous a dit dans une précédente séance que l'offre d'un portefeuille lui avait été faite. Nous le savions officieusement par la presse, nous le savons maintenant officiellement par M. Balisaux lui-même. Il a ajouté qu'il l'avait repoussée par désintéressement. Il ne nous a pas fait d'autre confidence.

Cependant l'honorable M. Balisaux se dit de nos amis. Il me semble qu'on doit moins de réserve à ses amis. Je me plains du laconisme de sa déclaration. Quand on offre un portefeuille, on offre une politique, et j'aurais voulu savoir ce que renfermait la politique que l'honorable baron d'Anethan présentait à l'honorable député de Charleroi ; j'aurais voulu savoir ce qu'étaient ces présents d'Artaxerxès que l'honorable M. Balisaux ne repoussait que parce qu'il est dénué d'ambition personnelle. Mais je me plaignais à tort. Sans doute on traitait sur la base si simple de la confiance illimitée. Entre honnêtes gens, cela suffit.

Je crois pourtant que cela ne suffit pas. Je ne puis souscrire à cette théorie qui élève la confiance dans les dépositaires du pouvoir à la hauteur d'un dogme constitutionnel. Ce que veut la section centrale, c'est une abdication des droits de la Chambre, la plus complète qui jamais aurait été faite. Non seulement on ne se reconnaît pas le droit de voter un crédit, mais on nie même la légitimité, du contrôle.

La section centrale est bien punie d'ailleurs. Elle avait refusé l'augmentation de 20,000 francs et la majorité devait faire bonne garde à la Chambre. Mais voilà que M. le ministre de l'intérieur s'avise de réclamer lui-même une augmentation, non de 20,000 francs il est vrai, mais de 10,000 francs seulement. C'est un des amendements qu'il a déposés.

La section centrale doit regretter le témoignage de confiance qu'elle lui a donné, car les besoins réels des communes avaient été par lui assez mal appréciés. Il pouvait donc y avoir du bon dans la proposition de l'honorable M. Muller et si la section centrale n'avait pas été si prompte à se cabrer, il est probable, qu'interrogé par elle, le ministre eût sollicité les 10,000 francs ayant la fin de ses premiers travaux.

Aussi l'honorable M. De Lehaye fut-il bien embarrassé quand il dut faire un rapport supplémentaire sur l'amendement ministériel. Il s'efforça d'expliquer le rejet absolu de la proposition de l'honorable M. Muller par l’absence de renseignements positifs, quant aux besoins réels.

Mais il fallait demander ces renseignements ; on vous disait qu'il y avait nécessité de maintenir le crédit de 210,000 francs du budget de l'honorable M. Pirmez ; on invoquait la création de nouveaux établissements communaux. Pourquoi la section centrale ne s'informait-elle pas ? Elle a manqué de sagesse ; elle a péché par excès de confiance et aujourd'hui elle est obligée d'accorder ce qu'elle avait refusé d'abord en l'absence de renseignements qu'elle n'avait pas voulu demander.

Ces renseignements, je les réclame à mon tour.

Le ministre en effet, dans la note à l'appui de son amendement nous déclare que les 10,000 francs subviendront « à des besoins éventuels si le crédit de 10,000 francs n'est pas suffisant. » M. Pirmez affirmait au contraire l'insuffisance actuelle de ce crédit. La vérité je pense, est du côté de M. Pirmez. L'enseignement moyen n'est pas ce qu'il devrait être.

A ce propos, je rappellerai-à la Chambre que le dernier exposé triennal de l'enseignement moyen renferme un rapport de M. Dumont, qui nous apprend qu'il y avait en Belgique, il y a quelques années, 74 communes, d'une population supérieure à 5,000 habitants, qui n'avaient aucun établissement d'instruction secondaire. M. Dumont ajoute que ce nombre est aujourd'hui dépassé.

Messieurs, je pourrais discuter beaucoup sur l'allégation de la section centrale. A un autre point de vue, je pourrais faire remarquer qu'on ne s'est pas expliqué sur ce qu'on entend par les besoins réels des communes.

Je ne sais donc pas quel sens il faut donner à ces mots, mais je déclare que je protesterais contre une interprétation qui subordonnerait l'octroi des subsides de l'Etat à l'insuffisance des ressources de la commune. (Interruption.)

Je veux dire que je ne puis admettre que le département de l'intérieur puisse refuser un subside à une commune qui ouvre une école moyenne, sous prétexte que les ressources locales ne sont pas insuffisantes.

Si telle était l'interprétation donnée par l'honorable M. Kervyn aux articles 20 et 22 de la loi de 1850, je réclamerais la parole pour rétablir la signification et la portée de ces dispositions.

Je passe à l'enseignement secondaire des filles.

A M. Pirmez revient l'honneur d'avoir le premier sollicité des Chambres un crédit de 50,000 francs pour subsidier les écoles moyennes communales de filles.

Mais l'honorable M. Kervyn a cru devoir supprimer l'allocation.

M. Bouvier. - Toujours par amour pour l'enseignement.

M. de Rossius. - Ici la section centrale a réclamé des explications. Il lui eût été, il est vrai, assez difficile de ne pas les demander. Elle nous dit elle-même qu'elle cède au désir exprimé par plusieurs sections.

Voici l'argumentation ministérielle. Je la résume :

La loi de 1850, dit la note de l'honorable M. Kervyn, ne s'est occupée que des garçons. L'honorable M. Rogier l'a reconnu dans la discussion au Sénat. Donc les Chambres n'ont pas le droit, en l'absence de disposition législatives qui organisent l'enseignement des filles, de subsidier par la loi du budget, les écoles moyennes de filles que pourraient créer les communes.

Ce serait un obstacle légal qui paralyserait la bonne volonté de l'honorable ministre de l'intérieur. Il faudrait une loi nouvelle qui vînt étendre aux filles les dispositions de la loi de 1850, qui ne s'occupe que des garçons.

Messieurs, ou cette argumentation ne signifie rien, ou elle signifié que les communes ne trouvent pas en elles-mêmes, dans leurs lois organiques, dans les lois qui règlent, fixent, déterminent leurs attributions, le droit de s'occuper de l'instruction des jeunes filles. Car si ce droit existe pour elles, la législature a aussi celui d'intervenir, par voie de subside, comme elle le fait pour un grand nombre d'objets rentrant dans la compétence des communes, qui sont du domaine communal.

C'est donc ici la liberté communale que l'on supprime, par un accord qui tout naturellement s'établit entre M. le ministre de l'intérieur et là section centrale, car celle-ci se rallie entièrement à l'avis du ministre.

Pardon, quand je dis « entièrement », je me trompe ; la section centrale goûte très peu l'idée émise par l'honorable ministre de l'intérieur, d'étendre aux filles les dispositions de la loi de 1850. Mais elle accueille avec grande faveur une autre solution indiquée avec quelque timidité à la fin de là note ministérielle, et qui consisterait à appliquer aux écoles moyennes de filles la loi de 1842.

M. De Lehaye. - C'est la bonne.

M. de Rossius. - Voici ce qu'avait dit l'honorable M. Kervyn : « Rien ne s'oppose à ce que des subsides imputés sur le crédit ordinaire de l'enseignement primaire soient alloués actuellement aux établissements mentionnés plus haut, qui présenteraient le caractère d'une école primaire à programme développé. » Voilà les communes averties. Veulent-elles obtenir des subventions, qu'elles transforment leurs écoles moyennes en établissements d'instruction primaire à programme développé. Ce programme suffit pour les filles. Il faut se garder de trop les instruire. On accordera des subsides sur le crédit ordinaire de l'enseignement primaire et on obtiendra ainsi un double résultat : c'est d'abord de diminuer l'intervention de l'Etat dans l'enseignement primaire proprement dit. Il faut aussi se garder de trop encourager le zèle des communes pour cet enseignement ; c'est ensuite d'introduire le ministre du culte à titre d'autorité dans les écoles moyennes.

M. De Lehaye. - Conformément à la loi de 1842.

M. de Rossius. - L'honorable M. De Lehaye dit : Conformément à la loi de 1842. Naturellement. Je raisonne dans l'hypothèse où votre système prévaudrait. L'heureuse inspiration de l'honorable M. Kervyn ne pouvait manquer d'être comprise par la section centrale. Vite une loi qui place les établissements secondaires des filles, non pas sous l'empire de la loi de 1850 et de son détestable article 8 qui invite simplement le prêtre (page 629) à venir donner l’enseignement religieux, mais sous le régime de la loi de 1842, dont l'article 6 accorde au prêtre la suprématie sur le personnel, lui livre la direction de l'enseignement.

Telle est la théorie qu'on oppose aux communes qui réclament des subsides.

L'enseignement moyen officiel pour les filles ne peut exister en Belgique, faute d'une loi qui l'organise. Il n'appartient pas aux communes d'ouvrir pour elles des établissements d'enseignement secondaire et dès lors il n'y a pas lieu pour l'Etat d'intervenir.

Cette théorie, c'est bien la suppression de la liberté de la commune, qu'hier la droite exaltait, l'absorption par l'Etat de l'indépendance communale. La section centrale et le ministre de l'intérieur font de la centralisation à outrance.

Que nous sommes loin des idées défendues en 1850 et avec plus d'énergie encore en 1861, dans la discussion de la loi sur les fondations en faveur de l'enseignement public !

Quelle thèse la droite soutenait-elle en 1850 ? Elle disait au gouvernement : Votre projet méconnaît un des principes les plus essentiels de notre organisation politique, l'indépendance de la commune. Nos lois ont rangé l'instruction au nombre de ses attributions. Dans l'exercice de cette prérogative comme de toutes les autres, elle doit jouir d'une entière liberté.

On avait même voulu prétendre que cette prérogative était constitutionnelle, et qu'il n'appartenait pas au législateur de la limiter, de la restreindre ; mais comme on avait légiféré en 1842, il fallut renoncer à ce soutènement. On se bornait donc à soutenir qu'en matière d'enseignement, la commune avait reçu des lois des droits entiers et qu'il fallait les lui laisser.

On reprochait au gouvernement de placer sous le régime de son projet de loi les écoles moyenne des communes. On affirmait leur droit de les organiser en n'obéissant qu'à ses seules inspirations, on niait l'opportunité de l'intervention législative.

L'honorable M. Dumortier disait :« A la suite de la révolution, l'instruction moyenne a été spécialement accordée à la commune, et elle lui a été donnée d'une manière définitive par la loi communale ; à la commune appartient aujourd'hui la direction des établissements d'instruction moyenne. » Il ajoutait que quand les communes avaient organisé de toutes parts des collèges si remarquables, il n'était ni juste ni raisonnable de leur enlever ce droit. (Annales parlementaires, session de 1849-50, page 1094.)

Toute la droite partageait l'opinion de l'honorable M. Dumortier. Elle était unanime dans l'accusation dirigée contre le gouvernement de substituer, pour l'enseignement secondaire, l'action de l'Etat à celle des communes.

Et voilà qu'aujourd'hui qu'il n'y a pas de loi qui réglemente l'enseignement moyen des filles, la droite méconnaît le droit de la commune. Le législateur de 1850 reconnaissait la prérogative communale. Il intervenait seulement pour que, dans son exercice, l'intérêt général fût sauvegardé. Il intervenait pour réglementer. C'était trop pour la droite. Elle ne voulait pas qu'il réglementât.

En 1864, la même théorie reparaît.

En matière d'enseignement comme en toutes choses, la commune a des droits absolus. La liberté communale, c'était la liberté qu'avaient tous les citoyens, c'est-à-dire le droit de faire ce qui ne nuit pas au droit des tiers.

Cette définition de la liberté communale, on affirmait qu'elle était vraie, surtout dans la matière dont on s'occupait.

On disait que la commune était le représentant par essence de l'enseignement à tous les degrés.

On voulait bien reconnaître que la loi avait pu limiter cette liberté de la commune, mais on soutenait qu'en dehors de la sphère d'application des lois de 1842 et de 1850, la commune avait conservé toute la plénitude de sa prérogative. Elle restait libre de faire telles dépenses qu'il lui plairait, notamment pour les branches de l'enseignement dont ne s'occupaient pas ces lois.

C'est ce qu'on appelait la théorie des dépenses facultatives, théorie basée sur la liberté originaire, primordiale de la communale.

On la poussait si loin qu'on en tirait cette conséquence impossible que la commune pouvait recevoir des libéralités pour ces dépenses facultatives de l'enseignement à tous les degrés.

Un amendement des honorables MM. Nothomb et de Liedekerke consacrait ce droit prétendu de recevoir des fondations,

Eh bien, je m'empare de votre thèse des dépenses facultatives et je vous enferme dans un cercle que vous ne pourrez rompre avec les armes de la logique et de vos précédents, que vous ne briserez que par un coup de majorité. (Interruption.)

Vous avez soutenu en 1850 et en 1864 que le législateur commettait une faute quand il intervenait pour réglementer l'enseignement au nom de l'intérêt général. C'est pourquoi je vous dis : Si la loi n'a pas organisé en Belgique l'enseignement officiel des jeunes filles, cet enseignement est resté une prérogative exclusivement communale. Juge de son intérêt, la commune a le droit d'ouvrir des institutions pour elles, de les organiser à sa guise. Elle a conservé la liberté d'action qui lui est indispensable pour diriger les écoles moyennes de filles d'après les intentions et les vœux de ses administrés.

Messieurs, en réalité, quelle est aujourd'hui la situation légale de l'enseignement moyen des filles ? Elle est la même que celle de tout l'enseignement au lendemain de la révolution de 1830.

De 1830 à 1842, nous n'avions pas de loi sur l'enseignement primaire ; cependant la commune avait des écoles primaires.

De 1830 à 1850, nous n'avions pas de loi sur l'enseignement moyen, et cependant la commune avait des athénées et des collèges.

L'enseignement, s'il est d'intérêt général, ce qui légitime et appelle l'intervention du législateur, est aussi d'intérêt communal. Le législateur, au nom de l'intérêt général, a réglementé en 1842 et en 1850. C'est très bien. Mais quand le législateur ne réglemente pas au nom de l'intérêt général, la commune a le droit et le devoir d'agir au nom de l'intérêt communal. Aussi n'a-t-on jamais contesté la légalité des écoles et des collèges ouverts par les communes de 1830 à 1842, de 1830 à 1850. Aussi, tous les ministères qui se sont succédé depuis 1830 ont-ils proposé et obtenu des chambres des subsides en faveur des écoles primaires et des collèges ouverts par les communes. Jusqu'ici, le législateur n'ayant rien organisé pour les filles, les établissements ouverts pour elles par les communes sont tout aussi légaux que l'étaient leurs collèges avant 1850, leurs écoles primaires avant 1842.

Vous pouvez donc les subsidier et voter avec nous l'allocation de 50,000 francs qu'à tort la section centrale et le ministre de l'intérieur ont déclarée illégale.

Messieurs, pourquoi tant de sollicitude pour la liberté communale en 1850 ? Pourquoi tant de confiance dans la commune en 1850 ? Pourquoi tant de défiance aujourd'hui ?

Les mêmes préoccupations n'ont pas cessé d'inspirer la droite, mais elles lui dictent des résolutions différentes à raison de la différence des situations.

En 1850, il s'agissait de l'enseignement moyen des garçons.

Or, cet enseignement était tout entier dans les mains du clergé. Il y était d'abord par ses propres établissements. Le clergé avait mis le temps à profit depuis 1830.

Le clergé séculier et le clergé régulier avaient fait de communs efforts pour ouvrir des athénées et des collèges. Le clergé, rappelait l'honorable M. Rogier, était la seule influence qui usât en Belgique de la liberté d'enseignement et M. Rogier mettait la droite au défi de citer trois établissements moyens dont la direction fût exclusivement laïque.

L'enseignement moyen était encore dans les mains du clergé, parce que celui-ci avait affirmé l'incompétence des pouvoirs publics pour enseigner, l'incompétence de l'Etat, celle des communes. Il avait pu ainsi s'emparer de l'enseignement moyen officiel, au point de ne laisser de part à la commune, ni dans la direction de l'enseignement, ni dans la nomination du personnel. La commune n'avait qu'un devoir, fournir le matériel scolaire, les locaux et des subsides.

Sans doute, quelques grandes villes avaient résisté avec énergie, refusant d'abdiquer leur liberté. Des conflits avaient surgi, conflits très graves, à la suite desquels le clergé s'était retiré dans l'église. Et il n'est pas inopportun de rappeler que les collèges de ces villes ne perdirent pas la confiance des pères de famille. Mais en général, le clergé avait absorbé la liberté communale ; il avait substitué son action à celle de la commune, ne lui laissant que le soin unique de pourvoir à la dépense.

Voilà la situation en 1850 et voilà pourquoi, en 1850, c'était au nom de la liberté communale que l'on combattait le projet de loi. En réalité, revendiquer la liberté communale, c'était réclamer le maintien du monopole du clergé.

La loi de 1850 fut donc une charte d'affranchissement pour les communes ; elles ont recouvré leur liberté. Les établissements d'instruction fondés par elles échappent, en l'an de grâce 1871, à la domination (page 630) cléricale, domination que l'on tenta vainement de rétablir quelques années après quand on offrit à l'opinion ce leurre de la convention d'Anvers, convention qui fut acceptée de bonne foi par un grand nombre de libéraux qui ne tardèrent pas a pénétrer le but caché que poursuivait l'un des contractants. De là l'attitude actuelle de la droite.

La commune a cessé, en 1850, d'être sujette ; elle est traitée en ennemie. Aujourd'hui le clergé n'espère plus obtenir la suprématie qu'il exerçait autrefois sur le personnel enseignant. Il sait qu'il ferait de vains efforts pour se saisir de la direction de l'enseignement. La commune affranchie connaît le prix de la liberté. Dès lors, on nie son droit et l'on attend de la contrainte législative ce qu'on n'espère plus d'une concession volontaire.

Je me demande en terminant si l'enseignement supérieur au moins, sous le cabinet issu de la droite, continuera à se mouvoir dans cette atmosphère de tolérance et de liberté indispensable aux investigations scientifiques et à la dignité du professorat. Comment l'espérer de ceux qui, il y a quelques années, osaient dénoncer un membre du haut enseignement, pour avoir, dans son cours de droit naturel, proclamé cette vérité historique banale que la réforme du XVIème siècle fut le signal de l'affranchissement de l'esprit humain ?

Comment l'espérer d'un parti qui appelait la répression gouvernementale sur la tête d'un autre professeur qui, non dans son cours, mais dans un livre traitant de matières étrangères à ce cours, avait affirmé des thèses scientifiques que l'Eglise romaine condamnait ?

Si nous laissions votre œuvre s'accomplir, nous verrions en Belgique le règne de ce crétinisme intellectuel qu'un des vôtres, un ministre, vous accusait de préparer à son pays.

Mais, messieurs, le cabinet se ferait une étrange illusion s'il s'imaginait que, sur cette question de l'enseignement officiel, il trouvera la gauche divisée. Ici, j'en ai la conviction, une foi commune nous anime au contraire. Sur cette question, nous sommes et nous resterons tous unis ; et notre union sera cimentée par les encouragements de l'opinion publique qui doubleront notre énergie. Il faudra bien que le cabinet recule, qu'il renonce à ces projets détestables que nous révèlent et le budget de l'intérieur, et les circulaires de l'honorable M. Kervyn, et ses actes dans le domaine de l'enseignement normal, et les déclarations de l'honorable comte de Theux.

Forte de l'appui du pays... (Interruption.) Oui, quoique minorité, mais forte de l'appui du pays, la gauche sauvera l'enseignement officiel et avec lui, l'avenir même de la nation.

- Voix à gauche. - Très bien !

(page 615) M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je demande la parole pour quelques mots d'explication. L'honorable préopinant a cité un discours que j'ai prononcé dans cette enceinte, le 4 février 1868, sur l'organisation militaire ; je tiens à déclarer immédiatement que les citations qu'il en a faites sont ou incomplètes ou inexactes.

D'après l'honorable préopinant, j'aurais soutenu que j'entendais que la neutralité de la Belgique fût désarmée, et dans le même discours j'aurais fait entendre, d'une manière plus ou moins explicite, que je ne comprenais pas que le rôle de notre armée fût de défendre notre frontière.

Ces citations, je le répète, sont incomplètes ou inexactes.

Voici, messieurs, sur quel terrain je m'étais placé. Au moment où je parlais, des plans stratégiques différents étaient discutés par la presse et par l'opinion publique ; on se demandait quelles seraient les positions qu'occuperait notre armée dans telle ou telle éventualité, et je disais à la Chambre qu'il y avait danger à se lier dès lors par ces éventualités et à déterminer dès ce moment quelle serait la position de tel ou tel corps d'armée.

Je demande la permission de mettre sous les yeux de la Chambre les paroles que j'ai prononcées à cette occasion.

M. de Rossius. - Je les ai lues.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Pas complètement ni exactement.

Voici, messieurs, ce que je disais dans la séance du 4 février 1868 :

« Certes, messieurs, moins que personne j'accepterais l'idée d'abandonner nos frontières à toutes les agressions étrangères. Proclamer d'avance en dehors de tout péril, en dehors de toute nécessité, le délaissement d'une partie du. territoire national, c'est ce qu'il faut repousser... Tracer et fixer dès ce moment la mission qui incombera à notre armée, dire dès aujourd'hui que l'on en enverra une partie en observation sur les frontières de France, une autre sur les frontières de Prusse, c'est s'exposer à voir les puissances voisines s'attribuer le droit de contrôler ces dispositions militaires... Si les tristes éventualités auxquelles je fais allusion doivent se présenter, il appartiendra au gouvernement de juger ce qu'il y a lieu de faire. C'est son droit, ce sera sa responsabilité. »

- Voix à droite. - Voilà !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Ce droit, nous l'avons revendiqué ; cette responsabilité, nous l'acceptons après la crise que la Belgique a heureusement et honorablement traversée.

- Voix à droite. - Très bien !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - On m'a reproché d'avoir soutenu que notre neutralité devait être désarmée. Ici encore, il me suffira de citer à la Chambre quatre ou cinq lignes de ce même discours :

« Je considère la neutralité (la neutralité belge) comme un bouclier que nous devons chercher à fortifier d'abord par notre union, et ensuite par notre développement intérieur ; mais si ce ciel, que j'aime à me représenter serein, vient à s'assombrir, si ce bouclier tombe, je ne veux pas qu'il montre la Belgique impuissante et désarmée. »

M. de Rossius (pour un fait personnel). - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur joue ici sur les mots. Je ne lui ai pas prêté l'opinion qu'il ne faudrait pas défendre la Belgique si elle était attaquée. J'ai soutenu que M. le ministre de l'intérieur était hostile à la thèse de la neutralité armée. L'honorable M. Kervyn, d'accord avec son collègue des finances, plaidait la thèse que l'obligation ne nous était pas imposée par les traités d'organiser des forces militaires pour défendre la neutralité.

Puis il examinait s'il était opportun de créer ces forces militaires, car il reconnaissait que la Belgique avait le droit d'armer pour sa défense, bien qu'à cet égard elle fût sans devoir.

Or, messieurs, toutes les déclarations de l'honorable M. Kervyn avaient pour but de proscrire comme dangereuse cette organisation militaire qu'elle avait le droit d'établir.

C'est alors qu'il argumenta d'une lettre de l'illustre M. Thiers. Mais il nous fit connaître cette lettre comme il nous fait connaître ses dossiers ; il donna lecture d'un seul passage dont on pouvait induire, dans une certaine mesure, que l'opinion de l'honorable ministre de l'intérieur était partagée par M. Thiers, c'est-à-dire que nos armements étaient pour nous un péril.

Mais il arriva que la lettre tout entière fut connue et on s'aperçut que les passages passés sous silence fixaient le sens du passage lu à la Chambre, sens contraire à celui indiqué par l'honorable M. Kervyn. M. Thiers affirmait qu'il fallait armer la neutralité belge.

Sans doute, la bonne foi de l'honorable ministre de l'intérieur ne pouvait être soupçonnée. Heureux de découvrir quelques lignes de l'illustre homme d'Etat, en apparence favorables à son thème, il n'aura pas poussé plus loin sa lecture.

Mais l'opinion réelle de l'écrivain fut connue et il fut établi que M. Thiers était l'adversaire et non le partisan de cette Belgique désarmée que désirait l'honorable M. Kervyn.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. de Rossius vient de répéter que j'avais soutenu en 1868 que la Belgique n'avait ni le droit, ni le devoir de s'armer...

M. Bouvier. - Vous êtes encore une fois à côté de la question ; ce n'est pas cela du tout.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - ... qu'elle en avait le droit, mais pas le devoir. Cette fois encore, j'en appelle au jugement de la Chambre. Voici encore trois lignes empruntées à mon discours : « Il est évident que la Belgique a le droit de se défendre, mais je ne pense pas qu'il fût dans la pensée de l'Europe d'imposer à la Belgique des armements trop considérables pour que, dans un cas donné, elle eût un rôle à remplir dans un conflit de la politique européenne. » C'est-à-dire hors de ses frontières.

- Voix à gauche. - Oh ! oh !

M. Frère-Orban. - C'est le rôle que vous avez rempli.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Voici une dernière phrase sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre.

« L'organisation défensive était dans la pensée des cinq puissances-, elle se trouvait dans la logique des faits, c'était un devoir et la conséquence d'un droit. »

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, dans le rapport de la section centrale il est fait mention d'un rapport du comité de législation attaché au département de l'intérieur, mais une partie seulement de ce rapport est citée. Il s'agit ici de savoir si l'on peut ou si l'on ne peut pas organiser des écoles de filles ou les subsidier sans qu'une loi nouvelle soit votée.

Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur s'il verrait quelque inconvénient à communiquer à la Chambre le rapport du comité de législation dont il est parlé dans le rapport de la section centrale et tous les autres rapports qui ont pu être faits à ce sujet.

Je sais, messieurs, que la majorité a décidé que M. le ministre de l'intérieur ne déposerait pas les dossiers de son département ; je sais aussi qu'il est entendu que nous ne pouvons pas les examiner. Mais je demande seulement si l'on ne peut pas, même partiellement, recevoir communication de documents plein d'intérêt pour la Chambre...

M. Bara. - Et qu'on invoque.

M. Vandenpeereboom. - Et qu'on invoque. Je déclare très franchement à la Chambre que je ne me rappelle pas bien quelles sont les doctrines émises par le comité de législation ; la question a été traitée à fond et il peut être de l'intérêt de la Chambre d'examiner les opinions émises, sauf à les discuter.

J'espère, puisqu'on le cite dans une réponse faite à la section centrale, que la majorité sera assez bienveillante et assez tolérante pour permettre à M. le ministre de l'intérieur de nous communiquer le document que j'ai indiqué en commençant,

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'acquiesce volontiers à la demande qui vient de m'être faite par l'honorable préopinant.

Je ne sais pas s'il y a deux rapports du comité de législation, mars je prends l'engagement de mettre sous les yeux de la Chambre tous les rapports qui auraient été rédigés par le comité de législation relativement à la question qui a été indiquée.

- La séance est levée à 5 heures.