(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 583) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Wouters donne lecture, du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Le conseil communal de Vosselaer demande le maintien des commissaires d'arrondissement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Cajot, ancien instituteur, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Vanderschoepen, président, et Devos, secrétaire de la société littéraire flamande Voor taal en recht, à Anvers, demandent que dans les provinces flamandes la langue flamande soit substituée à la langue française dans tous les degrés de l'enseignement et aux examens. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Vorsselaer demande que le vote pour les élections aux Chambres ait lieu à la commune ou du moins au chef-lieu du canton. »
- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.
« Les membres du conseil communal de Meire demandent le vote à la commune pour toutes les élections. »
- Même renvoi.
« Le sieur Guillaume-Herman-Hugo, baron Mertz de Mertzenfeld demeurant à Liège, né en Prusse, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« M. du Dorlodot demande un congé pour cause d'indisposition. »
- Accordé.
M. le président. - J'ai reçu la lettre suivante de M. de Vrints :
« Monsieur le président,
« Ne pouvant me rendre aujourd'hui à la séance de la Chambre des représentants par suite d'une indisposition, je vous écris, M. le président, pour vous demander de bien vouloir faire rectifier une erreur que je viens de remarquer dans les Annales parlementaires du 9 février. On me fait voter pour le crédit de 3,475,000 francs proposé par le gouvernement, tandis que j'ai voté contre.
« Veuillez agréer, etc. »
La Chambre a chargé le bureau de former une commission de sept membres pour examiner le projet de loi sur la pêche fluviale. Cette commission est composée de MM. Thonissen, Tesch, Tack, Guillery, Drion, de Rossius et Van Wambeke.
M. David (pour une motion d’ordre). - Messieurs, à l'occasion de la discussion du budget de l'intérieur, j'interpellerai M. le ministre de l'intérieur sur la nomination du commissaire de police de Stavelot, petite ville de mon arrondissement.
Je prierai M. le président de vouloir bien m'inscrire à la suite des orateurs qui ont déjà demandé la parole pour prendre part à la discussion du budget de l'intérieur.
M. Thonissen. - Messieurs, je voterai de grand cœur le million qu'on nous demande ; j'espère même qu'on viendra nous en demander plusieurs autres pour le même objet ; car, jusqu'ici, nous sommes encore loin du jour où chaque commune sera dotée d'une école convenable. Mais, tout en votant le crédit, j'ai une observation très sérieuse à faire à l'honorable ministre de l'intérieur.
Dans quelques provinces, on déploie dans la construction des bâtiments d'école un luxe complètement inutile, pour ne, pas dire, extravagant.
Qu'on construise des bâtiments solides, spacieux, bien aménagés, répondant à toutes les exigences de l'hygiène comme à tous les progrès de l'enseignement primaire, rien de mieux. Mais pourquoi construire des hôtels, de petits palais, avec tourelles, clochetons, arcades, ogives, avec ornements en sculpture, auxquels on ajoute parfois un jet d’eau dans une cour entourée d'une grille artistement travaillée ? Je connais une commune de onze cents âmes, à laquelle on a imposé un bâtiment d'école de 75,000 francs. J'en connais une autre, renfermant cinq cents habitants, à laquelle on a, malgré ses réclamations les plus énergiques, imposé un bâtiment d'école de 40,000 francs.
Ah ! si tous les besoins étaient satisfaits, si toutes les communes et toutes les sections de communes avaient des bâtiments d'école ne laissant rien à désirer, je comprendrais qu'on se permît des dépenses de simple embellissement. Mais je prétends qu'aussi longtemps qu'ils n'ont pas fait le nécessaire, l'Etat, les provinces et les communes n'ont pas le droit de consacrer l'argent des contribuables à de véritables superfluités.
Le luxe que je dénonce plaît à certains fonctionnaires, mais il plaît très peu aux communes, dont on épuise les ressources. Il ne plaît pas même en général aux instituteurs eux-mêmes. J'en connais un dont le modeste mobilier ne suffit pas à garnir le quart du vaste appartement qu'on lui a assigné.
(page 584) Je désire qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions. En matière d'enseignement public, j'approuve toutes les dépenses utiles. Les seules dépenses que je critique, ce sont les dépenses superflues qui jettent le désordre dans les finances communales et gaspillent des ressources qui pourraient être utilement employées ailleurs.
(page 596) M. Elias. - Messieurs, à l'occasion du crédit sollicité pour la construction d'écoles, je crois avoir le droit d'examiner les bases d'après lesquelles ce crédit sera distribué entre les communes.
Ces bases se trouvent dans la circulaire du 14 décembre 1870. Elles sont également indiquées pour la distribution des subsides ordinaires pour l'enseignement primaire. Je suis ainsi nécessairement forcé d'en dire quelques mots. Elles sont au nombre de trois.
Cette circulaire de M. Kervyn a, vous le savez, la prétention de résoudre la difficulté, née de l'interprétation de l'article 23 de la loi de 1842, qui fixe le moment où l'intervention de la province et de l'Etat devient obligatoire dans les dépenses de l'enseignement primaire.
Cet article dit que ce concours devient nécessaire lorsque deux centimes additionnels aux impôts directs ont été affectés à ces dépenses. Règle simple, mais qui pouvait pousser loin les obligations de l'Etat.
Dans l'application, cette règle a donné lieu à beaucoup de difficultés. Sous les différents ministères qui se sont succédé, on a toujours maintenu qu'il fallait tenir compte, outre les deux centimes additionnels, des ressources générales de la commune.
Mais il n'est pas moins vrai que certains membres de la droite et la députation permanente de Namur ont toujours soutenu que, dès que la commune dépensait deux centimes additionnels, elle avait rempli son devoir et avait droit aux secours de la province et de l'Etat.
Quoi qu'il en soit, l'honorable M. Kervyn y a ajouté deux bases nouvelles, il a dit que la commune était obligée d'employer à l'enseignement primaire, outre ces deux additionnels : 1° dix centimes additionnels à tout le revenu de leurs biens patrimoniaux ; 2° 10 p. c. de la part qu'elles reçoivent du fonds communal. Mais si la quotité pour cent est la même pour les deux sources de revenus, il surgit, dans l'application, une notable différence.
Le gouvernement autorise les communes à déduire des revenus patrimoniaux les dettes et intérêts des emprunts ; et pour la part du fonds communal il ne permet de défalquer que les dépenses du service de la bienfaisance. Or, si les dettes et emprunts qui grèvent les communes en Belgique s'élèvent à des sommes considérables, au contraire les dépenses que les communes effectuent pour le service de la bienfaisance sont excessivement faibles.
Il y a donc entre ces deux sources de revenus une différence de traitement très grande et qui amènera des conséquences extraordinaires. Un exemple va vous le faire comprendre.
Ainsi je suppose deux communes voisines ; une commune possédant par exemple 10,000 francs de revenus en biens-fonds et ayant 10,000 fr. pour sa part dans le fonds communal, et une autre commune n'ayant pas de revenus fonciers, ne possédant absolument que 20,000 francs (la même somme) pour sa part dans le fonds communal. Ces deux communes ont donc des ressources absolument identiques. Eh bien, le traitement qui sera fait à chacune d'elles sera tout à fait différent si on les suppose en même temps grevées de dettes.
Si la première commune a emprunté 100,000 francs pour construire, une école, cas ordinaire, elle pourra déduire de ces 20,000 francs 5,000 francs ; il lui restera donc 15,000 francs de revenus, et il suffira qu'elle applique 10 p. c. de ces 15,000 francs, soit 1,500 francs, au service ordinaire de l'enseignement pour que la province et l'Etat soient, s'il y a ensuite insuffisance de ressources, obligés d'intervenir, d'après la circulaire de M. Kervyn.
Je suppose que l'autre commune ait fait la même dépense, ait emprunté aussi 100,000 francs pour ses écoles.
Et ici je dois faire remarquer que je la place dans une situation plus favorable qu'elle ne le serait dans la réalité ordinaire, car les communes qui n'ont pas de biens-fonds sont presque toujours amenées à faire des emprunts plus considérables ; mais, enfin, je suppose qu'elle n'ait fait qu'un emprunt égal, c'est-à-dire 100,000 francs, il ne lui restera non plus que 15,000 francs de revenus, et cependant cette commune devra allouer 2,000 francs pour l'enseignement primaire avant de pouvoir réclamer le concours de la province et de l'Etat ; c'est-à-dire qu'elle devra y affecter 25 p. c. en plus. Différence injustifiable. L'une peut déduire l'intérêt de ses dettes ; l'autre pas.
Remarquez-le bien, messieurs, cette différence de traitement entre deux communes voisines amènera entre les communes des diverses provinces des inégalités de traitement remarquables. On pourrait à priori diviser en deux groupes les communes qui pourront déduire les intérêts de leurs dettes et celles qui ne le pourront pas. Il est évident que plus une commune a de revenus en biens-fonds, moins elle aura eu de besoins, moins elle aura emprunté ; plus, au contraire, cette commune aura une part élevée dans le produit du fonds communal, plus elle aura été amenée à emprunter. Dans la première commune, tous les services auront été assurés depuis longtemps ; dans la seconde, qui sera souvent une commune industrielle, une commune en progrès, ces services n'auront pu être satisfaits complètement que depuis la répartition du fonds communal, et la facilité apportée par elle aux emprunts aura permis de faire les dépenses exigées pour ces services et notamment pour les constructions d'écoles.
Cela peut vous faire comprendre qu'il est possible de diviser les communes en deux groupes selon les traitements infligés par l'application des règles tracées par M. Kervyn et ce sans connaître exactement les dettes qui grèvent chacune d'elles. Il suffit même pour cela de comparer globalement la situation des communes qui composent nos provinces. On peut s'en tenir à la comparaison des communes belges réunies dans chacune de nos neuf provinces.
Ainsi, hier j'avais divisé les neuf provinces de la Belgique en deux groupes distincts d'après les revenus des biens patrimoniaux, et d'après la part dans le fonds communal ; eh bien, j'étais arrivé à cette conséquence que les communes du premier groupe comprenant quatre provinces étaient presque certaines d'obtenir la déduction de leurs dettes, tandis que dans le second groupe, cette déduction ne pouvait être faite.
(page 597) Or, il s'est trouvé que ce matin, en vérifiant de quelles dettes les communes des diverses provinces étaient grevées, il s'est trouvé, dis-je, que mes deux groupes étaient bien fixés.
Dans le premier groupe figuraient les communes de la province de Luxembourg, de Limbourg, de Namur et de Hainaut.
Les biens patrimoniaux sont répartis entre les différentes communes de la Belgique de la façon la plus inégale. Aussi les distinctions sont-elles fortement tracées.
Ainsi, pour toute la Belgique, le revenu s'élève, si je ne me trompe, à 7,500,000 francs.
Le Luxembourg figure, dans ce chiffre, pour 1,549,000 francs. Il n'a que 235,000 francs dans le fonds communal. Ses dettes sont de 36,000 francs seulement.
N'est-il pas évident que ces 36,000 francs seront déduits des 1,549,000 francs de biens patrimoniaux que les communes de cette province possèdent.
La province de Namur est dans la même situation.
Nous trouvons 1,100,000 francs pour le revenu des biens patrimoniaux ; 594,000 francs pour sa part dans l'octroi. 168,000 francs seulement pour l'intérêt de dettes de toute nature grèvent les communes de cette province. Ces 168,000 francs seront vraisemblablement déduits du chiffre de 1,100,000 francs.
J'ai pris les chiffres dans le dernier volume des documents statistiques et pour l'année 1865.
Dans le Limbourg et le Hainaut on trouve à peu près la même situation.
La part des communes de ces provinces dans le produit du fonds communal n'est pas sensiblement supérieure au revenu de leurs biens patrimoniaux et, comme elles n'ont pu emprunter une somme égale à tout le revenu du fonds communal, il est possible qu'elles aient encore des chances d'obtenir la déduction de l'intérêt des dettes. Les communes de ces provinces possèdent, Hainaut et Limbourg respectivement, un revenu de 1,466,000 francs et 205,000 francs.
Leur part du fonds communal est de 1,985,000 de francs et de 33,100 francs.
Enfin l'intérêt des dettes ne monte qu'à 362,000 francs et 79,000 francs.
Mais il n'en est pas de même pour les communes des provinces d'Anvers, de Brabant, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale et de Liège.
Dans ces provinces, il est presque certain que les communes ne pourront déduire de leurs revenus que peu ou rien de l'intérêt de leurs dettes.
Vous remarquerez, en effet, messieurs, que pour que cette déduction se fasse, il ne suffit pas que les dettes soient égales ou inférieures aux revenus des biens patrimoniaux, il faut encore que ce soit la commune qui a les ressources en biens-fonds qui soit grevée des dettes, chose excessivement rare.
On peut donc dire que lorsque les ressources provenant des biens patrimoniaux ne sont pas équivalentes ou ne sont que peu supérieures aux dettes, il y aura peu ou point de chance que les dettes soient défalquées des produits de ces biens patrimoniaux.
Il en résulte donc que les communes qui appartiennent à ce groupe auront peu ou pas du tout de chances de voir s'opérer la diminution.
Dans la province d'Anvers, les revenus sont de 333,000 francs et les dettes de 611,000 francs environ.
Evidemment les communes de cette province ne verront que rarement s'opérer la déduction.
Dans le Brabant, la position est la même. 1,384,000 francs de revenus fonciers ne peuvent se comparer à 2,257,000 d'intérêt des dettes.
Dans les deux Flandres, cette chance disparaît presque tout à fait ; il en est de même pour la province de Liège,
Dans la Flandre occidentale, il n'y a que 134,000 francs de revenus patrimoniaux. Les dettes sont de 310,000 francs. Dans la Flandre orientale les revenus patrimoniaux sont de 168,000 francs, les dettes de 467,000 francs.
Dans la province de Liège, les revenus patrimoniaux s'élèvent à 693,000 francs ; les dettes à 1,014,000 francs.
Il est évident que, dans ces provinces, la déduction des dettes sera une chose extraordinairement rare. Je me dispense de citer les parts dans le fonds communal qui n'avaient servi qu'à m'aider à former les groupes par provinces.
Vous voyez donc à quelles conséquences vous allez aboutir.
Des communes qui n'ont pas de biens patrimoniaux, et ce sont certainement les plus pauvres, seront les moins bien traitées d'après le système de votre circulaire.
Jamais ou presque jamais elles ne pourront déduire l'intérêt de leurs emprunts du montant de leurs ressources ordinaires., Les communes riches au contraire, celles qui possèdent des biens et qui n'auront emprunté que pour conserver leurs propriétés foncières pourront opérer cette réduction.
Un système qui aboutit à des conséquences aussi déraisonnables ne peut pas être maintenu.
Et, remarquez-le bien, si ce système a des conséquences que je pourrais qualifier d'absurdes, lorsqu'on l'applique aux dépenses ordinaires de l'enseignement primaire, il a des conséquences plus absurdes encore quand vous l'appliquez à la construction de maisons d'école, ainsi que l'honorable M. Kervyn veut le faire.
Ici l'absurdité se double d'une nouvelle absurdité.
L'honorable M. Kervyn dit, en effet, qu'il faudra tenir compte, dans l'évaluation des ressources communales, des bases qu'il vient d'énumérer pour le service ordinaire de l'enseignement primaire ; et il ajoute qu'il est évident que la commune doit consacrer aux frais généraux de construction des bâtiments d'école une somme au moins égale à celle qu'elle doit affecter au service de l'instruction primaire.
Ainsi, une commune est obligée de consacrer aux écoles qu'elle veut établir dans la même année une somme égale aux dépenses de son enseignement primaire.
L'honorable M. Kervyn en posant cette base n'a pas remarqué qu'il est certaines communes en Belgique qui sont obligées de bâtir, chaque année, un certain nombre de nouvelles écoles, et ce à cause de l'accroissement normal de leur population.
Les communes, en Belgique, se divisent en deux groupes bien distincts le premier groupe comprend les communes pour lesquelles il est suffisamment pourvu aux besoins de l'instruction au moyen d'un ou de deux bâtiments d'école qui, une fois construits, sont amplement suffisants pour les besoins présents et futurs de la population de ces communes. Le second groupe se compose des grandes villes, Bruxelles, Liège, Anvers, surtout où l'accroissement de population est si considérable et si rapide ; et de plusieurs grandes communes industrielles, comme on en trouve beaucoup dans les arrondissements de Mons et de Charleroi et dans la province de Liège, comme Seraing, Dison.
Dans ces communes et ces villes, il faut chaque année, ou au moins après deux ou trois ans, augmenter d'une, de deux ou trois le nombre des écoles qui, on peut le dire, ne cessent d'être trop petites pour le nombre des élèves qui s'y présentent. Dans ces localités, messieurs, ce qui nt devrait être qu'une dépense extraordinaire devient une dépense normale et annuelle.
Ainsi donc, pour certaines communes la construction des bâtiments d'école reste une exception, une dépense extraordinaire ; pour d'autres, au contraire, toujours en progrès, elle devient une dépense vraiment ordinaire, une dépense presque annuelle.
Il me paraît donc de toute impossibilité de traiter de la même manière des villes et des communes qui se trouvent dans des situations si différentes.
L'honorable M. Kervyn a voulu appliquer aux communes la maxime qui sert ordinairement de règle de conduite aux particuliers : Montaigne, vous le savez, établit que le particulier qui dépense pour son logement 10 p. c. de son revenu se conduit sagement. L'honorable ministre, s'inspirant de ce précepte, mais changeant ce qui doit être changé quand on l'applique aux écoles, déclare que les communes doivent affecter aux bâtiments d'école une somme égale à celle qu'elles affectent annuellement à l'entretien de ces écoles.
Mais, messieurs, il n'y a pas de comparaison possible entre les deux situations.
- Un membre. - Et les écoles libres ?
M. Elias. - Il ne s'agit pas ici d'écoles libres ; la circulaire de l'honorable M. Kervyn ne s'en occupe pas.
Je conclus sur ce point et je dis qu'exiger que les villes et communes du second groupe, celles qui sont obligées de bâtir presque incessamment des écoles, doivent consacrer chaque fois une somme égale à leurs dépenses annuelles d'enseignement pour avoir droit au secours du gouvernement, c'est déclarer que ces villes et communes ne pourront jamais obtenir de subsides de l'Etat ni de la province.
Double injustice, puisque plus que toutes autres ces communes sont frappées d'impôts et que nulle part le besoin d'écoles ne se fait aussi vivement sentir.
La circulaire de l'honorable M. Kervyn contient un autre changement aux principes admis jusqu'ici.
(page 598) Jusqu'aujourd'hui, il avait été reçu que les subsides proposés par la députation permanente et par l'inspecteur pour la construction d'un bâtiment d'école dans une commune, pouvaient aller jusqu'aux cinq sixièmes de la dépense totale ; l'honorable M. Kervyn a réduit l'ensemble des subsides aux deux tiers.
Je m'explique.
D'après la circulaire de 1856, les communes très pauvres, lorsqu'il s'agissait de la construction d'une maison d'école, ne devaient contribuer que pour un sixième de la dépense totale ; l'honorable M. Kervyn établit comme règle qu'elles sont, dans tous les cas, obligées de s'imposer le tiers de la dépense totale. (Interruption.)
Je sais parfaitement que, à côté de ce principe, vous vous êtes réservé la plus grande latitude ; jamais ministre n'a tenu à conserver autant de pouvoirs que vous. Après avoir établi la règle, vous vous réservez, dans une autre partie de la même circulaire, la faculté d'allouer n'importe quelle somme. Mais, encore une fois, ce pouvoir est tout à fait arbitraire.
Ici je ne m'occupe que de la règle ordinaire, de la règle qui doit guider les inspecteurs et les députations.
M. le ministre de l'intérieur voudra bien nous faire connaître pourquoi il a introduit ce changement, quel vice a révélé l'application de la règle établie en 1856.
Je viens d'entretenir la Chambre de la partie financière de la circulaire, mais cette même circulaire contient, en outre, certaines règles administratives applicables aux communes et dont je veux également dire quelques mots.
Comme toujours, la circulaire semble accorder aux provinces et aux communes, en fait de construction de maisons d'école, une liberté d'action, une autonomie qu'elles n'avaient jamais connues jusque-là.
« Dorénavant, est-il dit dans la circulaire, lorsqu'un conseil communal aura arrêté un projet de construction de l'espèce, il l'adressera, par la voie ordinaire de la correspondance, au gouverneur qui, après avoir pris l'avis de l'inspecteur, le soumettra à la députation permanente. Toutes les fois que la députation permanente et l'inspecteur se trouveront d'accord avec vous, M. le gouverneur, pour l'adoption de ce projet, il sera inutile de me le communiquer ; je vous autorise à l'approuver. » Rien de mieux que cela ; quand il y a accord entre les autorités locales, elles deviennent maîtresses, indépendantes. M. le ministre ne se réserve que le jugement des conflits. Rien de plus beau que ces principes !
Mais voyons-en l'application. En réalité, M. le ministre de l'intérieur réduit à presque rien l'autonomie des communes. En effet, il a soin d'ajouter immédiatement après :
« Vous voudrez, M. le gouverneur, me soumettre les plans, en indiquant les motifs qui justifient l'élévation de la dépense, dans tous les cas où les frais de construction, valeur du terrain non comprise, dépassera la somme de 7,500 francs, soit pour l'habitation de l'instituteur, soit pour l'école elle-même si elle doit recevoir cent élèves au maximum. Pour les locaux plus vastes, il y aura lieu d'augmenter cette somme à raison de 50 francs par tête d'élève en plus. »
Or, savez vous à combien d'écoles construites depuis deux ans dans la province de Liège peut s'appliquer le principe nouveau établi par l'honorable M. Kervyn ? Depuis 1868, on a construit 46 écoles dans cette province ; or, sur ces 46 écoles, 5 seulement se trouvent dans les. conditions indiquées par l'honorable ministre :
Voilà donc à quel nombre de cas se réduit l'application de son principe de liberté et il ne peut pas en être autrement.
Il est impossible de construire des maisons d'école dans la province de Liège au taux qui vient d'être indiqué. Je ne sais ce qui se passe dans les autres provinces ; mais je puis dire que, dans la province de Liège, en se servant de matériaux qui sont sur place, mais en ne faisant que du bon ou du solide, il est généralement impossible de construire une maison d'école complète avec 15,000 francs.
M. le ministre de l'intérieur nous dira probablement qu'il a établi cette règle pour restreindre cette pompe dont parle la circulaire, ce luxe ridicule et sans limite dont vient de nous parler l'honorable M. Thonissen, que l'on a déployé jusqu'ici dans la construction des maisons d'instituteurs.
Messieurs, je suis au regret de devoir dire qu'il est pénible d'entendre parler de luxe et de pompe quand il s'agit de l'humble habitation de nos instituteurs. J'en ai vu beaucoup de ces maisons. J'en ai vu, sans doute, dont on pouvait blâmer l'ornementation peu convenable. Mais on rencontrait ce défaut précisément dans celles où l'on avait voulu masquer, par des planches découpées, par des ornements de mauvais goût, la grossièreté ou le peu de convenance des matériaux employés. Mais quant à du luxe réel, je n'en ai vu presque nulle part ; je n'en ai vu que dans quelques communes riches, où l'intervention gouvernementale avait été presque nulle, ou que dans certaines communes ayant des bourgmestres dévoués et aux sentiments patriotiques desquels il faudrait faire hommage, bourgmestres qui payaient de leurs deniers les accessoires qui devaient donner aux constructions un caractère plus monumental. Loin de blâmer, dans ce cas, les quelques dépenses accessoires, vous devriez les louer.
Mais, messieurs, en vérité, il suffit de lire la circulaire pour être fixé sur ce qu'est cette pompe que blâme M. le ministre.
Voici ce qu'il signale : la hauteur, l'élévation exagérée des salles qui servent à l'habitation de l'instituteur ; mais cela est exigé par l'hygiène. II n'y a là ni pompe, ni luxe.
Il blâme encore l'établissement de murailles qui sont destinées à entourer le préau qui précède l'école, préau qui, d'après lui, ne devrait pas exister.
Enfin, vous le dirais-je, il blâme aussi la petite étable et la grange qui se trouvent ordinairement à la campagne à côté de la demeure de l'instituteur ; il va jusqu'à critiquer le fournil, le fournil, cette appendance indispensable, sans lequel une ménagère ne peut faire le pain de la famille. M. le ministre croit-il que chaque instituteur peut faire prendre son pain à la ville voisine, voire même à Bruxelles ? Mais c'est assez longtemps vous entretenir de ces détails mesquins.
Je prie, pour ma part, l'honorable ministre de l'intérieur de revoir la circulaire qu'il a lancée peut-être un peu trop vite et de supprimer toutes les dispositions que la critique à laquelle elles vont être soumises lui fera reconnaître défectueuses.
(page 584) M. De Fré. - Messieurs, je dois déclarer que le système de M. le Ministre de l'intérieur en matière d'enseignement primaire décourage les administrations communales. Il méconnaît la loi et rompt avec les bonnes traditions qui avaient été suivies jusqu'à présent.
Et d'abord, pour commencer avec le projet de loi, que je voterai, je dois dire que M. le ministre semble donner un cadeau à l'enseignement primaire, mais que l'enseignement primaire n'en profitera pas.
Il fait là une œuvre stérile et je vais vous dire pourquoi : d'après l'article 23 de loi de 1842, lorsque les communes fournissent à concurrence de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, elles ne doivent fournir que cela, l'intervention de l'Etat est obligatoire. Quand une commune donne ce que la loi lui impose, l'Etat, conjointement avec la province, doit parfaire la différence.
Dans la discussion qui a eu lieu au sujet de la loi de 1842, M. J.-B. Nothomb, qui était l'auteur de la loi, a justifié cette obligation de l'intervention de l'Etat et de la province et la part que le projet de loi attribuait aux communes semblait alors tellement forte, que l'honorable M. Dumortier s'écriait à une séance du 19 août : « Vous allez ruiner les communes ! »
Depuis lors, messieurs, on a déterminé d'une manière précise quelle était, pour la construction des bâtiments d'école, la part d'intervention des communes, la part d'intervention de l'Etat et la part d'intervention de la province, et voici ce qui a été pratiqué depuis un grand nombre d'années : la commune paye le tiers de la dépense, et les deux tiers restants sont payés trois cinquièmes par l'Etat et deux cinquièmes par la province.
Aujourd'hui l'honorable ministre répartit son million de façon à faire peser sur les communes la plus grosse part. D'après la loi de 1842, on ne peut pas déterminer d'avance quelle sera la somme à payer par une commune : c'est le tiers, mais le tiers dépend de la valeur de la construction. L'honorable ministre déclare dans son exposé des motifs que la part de la commune sera de 45 1/2 p. c., de sorte que pour un bâtiment d'école, coûtant, je suppose, 100,000 francs, autrefois une commune payait 33,000 francs ; elle payera aujourd'hui 45,500 francs. Eh bien, je déclare, moi qui connais plusieurs communes, qu'il est impossible qu'elles fassent 45,500 francs pour la construction d'un bâtiment d'école.
Et remarquez que les communes arriérées, où il faut des écoles, sont précisément les communes les plus pauvres ; ce sont celles-là qui viennent en dernier lieu ; c'est là qu'il faut porter la lumière, mais il me semble que vous ne voulez pas y porter la lumière, puisque, en ayant l'air de vouloir favoriser l'enseignement, vous mettez les communes dans l'impossibilité de faire les constructions demandées.
Eh bien, je dis que cela est contraire à la loi et aux traditions administratives.
Messieurs, il existe au département de l'intérieur, depuis que l'honorable M. Kervyn y préside, une confusion extrêmement grande, et, je vous le prouverai par des pièces authentiques ; je vous déclare que cette confusion produit partout le découragement.
L'honorable ministre commence par déclarer, en entrant au pouvoir, que l'Etat n'est pas obligé d'intervenir dans l'enseignement primaire, et contrairement à la loi, le 29 septembre 1870, le gouverneur adresse aux administrations communales la dépêche suivante :
« Aux administrations communales.
« Messieurs,
« Je crois devoir vous faire connaître que M. le ministre, de l'intérieur a décidé de maintenir les subsides alloués sur les fonds de l'Etat, en vue du service ordinaire de l'instruction primaire en 1871 au chiffre accordé en 1869 et en 1870. En allouant ce subside, dit M. le ministre, le gouvernement va au delà de ses obligations. Il serait plus que suffisant, si le concours des communes était proportionné à leurs ressources, conformément à la loi.
« Ce haut fonctionnaire me charge en outre d'attirer votre attention sur ce point que l'Etat, pas plus que la province, n'est tenu de payer une part quelconque de la rétribution pour les enfants pauvres. C'est là une charge exclusivement locale et si des subsides facultatifs ont été accordés pour cet objet, M. le. ministre ne peut s'engager à les continuer indéfiniment.
Mais, messieurs, c'est pour l'instruction des enfants pauvres que la loi est faite, et que l'Etat doit intervenir, car les riches payent l'instituteur. Comment est-il possible de faire une pareille circulaire, en présence de la loi qui oblige le gouvernement à intervenir ?
Maintenant, messieurs, je prends la circulaire dont l'honorable M. Elias a fait une si juste critique et par laquelle M. le ministre impose aux communes, indépendamment des deux centimes additionnels, 10 p. c. de leur part dans le produit du fonds communal. (Interruption.)
Ce qui est exact, c'est qu'il n'y a pas de loi qui donne le droit au ministère de dire aux communes : Vous devez prélever 10 p. c. du fonds communal pour l'instruction des enfants pauvres.
Ce qui a présidé à la discussion de la loi de 1842, c'est que s'il est vrai que l'instruction des enfants pauvres est une charge communale, l'Etat doit provoquer cette instruction et en supporter la plus grosse part, parce que le législateur de 1842 a parfaitement compris qu'il fallait réveiller de leur sommeil beaucoup de communes qui ne voulaient rien faire pour l'instruction du peuple.
Maintenant, messieurs, je signalerai une autre contradiction. L'honorable ministre dépose un projet de loi le 24 novembre 1870 et dans l'exposé des motifs il impose aux communes, comme je viens de le dite, 45 et demi p. c. pour la construction d'écoles et dans sa dépêche du mois de décembre, il dit tout le contraire. Voici, messieurs, ce que porte cette circulaire :
« La part de la commune ne pourra, d'ailleurs, être inférieure à un tiers de la dépense, et lorsque, pour la province et l'Etat, il y aura lieu d'intervenir par des subsides, ceux-ci continueront à être fixés aux 2/5 et aux 3/5 du déficit. »
Ainsi le 24 novembre 1870, vous déclarez que pour la construction des maisons d'école, l'intervention de la commune est de 45 1/2 p. c. et au mois de décembre vous dites aux communes qu'elles ne doivent intervenir que pour un tiers dans la dépense.
Je demande, messieurs, en présence d'une contradiction si inexplicable, si les administrations communales savent encore à quoi s'en tenir.
Ou bien vous observerez la base de répartition indiquée dans le projet de loi et alors, remarquez-le bien, votre cadeau reste stérile. Les communes ne peuvent fournir 45 1/2 p. c. Cela est matériellement impossible. Il y a, dans cette Chambre, d'anciens bourgmestres et des bourgmestres en fonctions qui confirmeront ma déclaration.
C'est d'ailleurs contraire à la loi et aux traditions administratives.
Ou bien vous changerez aujourd'hui votre nouveau système et vous en reviendrez à votre circulaire de décembre ; mais qui nous dit que, dans un mois, vous n'aurez pas une nouvelle circulaire ?
Ainsi, après avoir débuté dans votre première circulaire par dire que les communes doivent supporter toute la dépense de l'instruction, dans le projet vous leur imposez 45 p. c. des frais et vous réduisez ensuite leur part de charges à un tiers !
Je voudrais que l'honorable ministre de l'intérieur nous déclarât qu'il suivra les traditions telles qu'elles ont été suivies jusqu'ici, conformément à la loi, par toutes les autorités publiques et qui ont produit de grands bienfaits.
L'honorable M. Vandenpeereboom était un père pour les communes ; il était heureux de faire tous les sacrifices possibles pour l'enseignement et puis il suivait des règles fixes.
Aujourd'hui, il n'y aura plus de règles.
J'engage l'honorable ministre de l'intérieur à bien se pénétrer du principe de la loi et des traditions administratives, afin que les communes puissent obtenir de l'Etat ce qu'elles ont eu jusqu'à présent et pour leur épargner de cruelles déceptions. Je demande une réponse satisfaisante.
M. Bergé. - Messieurs, en lisant le rapport fait, au nom de la section centrale, par l'honorable M. Kervyn de Volkaersbeke, on croirait véritablement que l'on déploie, dans la construction et dans l'ameublement de nos maisons d'école, un luxe extraordinaire. Renchérissant sur les paroles de l'honorable rapporteur qui déjà sont bien significatives, renchérissant aussi sur la circulaire de l'honorable ministre de l'intérieur, l'honorable M. Thonissen vient de qualifier de luxe ridicule, extravagant même ce que l'on fait dans nos maisons d'école.
J'avoue que le rapport de la section centrale m'a frappé et j'ai voulu me rendre compte de ce luxe étonnant que je ne connaissais pas.
J'avais vu pas mal de maisons d'école ; j'avais visité ces écoles, inspecté le mobilier et je n'avais pas rencontré de luxe. Je me suis donc dit que je devais m'être trompé, que je n'avais pas eu la main heureuse et que l'honorable rapporteur et les membres de la section centrale avaient dû (page 585) rencontrer, dans leurs pérégrinations, de ces monuments et de ces mobiliers magnifiques que je n'ai jamais vus.
En effet, en examinant les faits, on s'aperçoit qu’il doit y avoir eu un luxe extraordinaire !
Le dernier million a dû être dépensé d'une manière folle, car si je prends l'exposé des motifs, je vois que, sur ce million, 934,000 francs ont été dépensés et j'y trouve immédiatement les renseignements sur la façon dont ce million a été dépensé. On a fait 97 maisons d'école comprenant 139 classes ; on a agrandi 51 locaux, on a acheté 96 mobiliers classiques et on a construit deux maisons d'habitations pour des instituteurs. Or, tout cela a été fait avec la modique somme indiquée. cette somme de 934,000 francs partagée entre 208 communes, ce qui fait pour chaque commune la somme de 4,490 francs, réellement c'est là une dépense bien extraordinaire ! Lorsqu'on connaît la valeur de l'argent aujourd'hui, lorsqu'on voit ce que coûte la moindre chose, on ne comprend pas comment il a été possible de dépenser aussi peu pour ce que l'on a fait.
Par conséquent, loin d'avoir le luxe exagéré dont on parlait tout à l'heure, c'est une véritable pauvreté que l'on a. Et c'est sans doute l'expression que le rapport a voulu employer. (Interruption.)] C'est cette expression que vous auriez dû employer ; vous auriez dû faire valoir combien on dépensait peu pour la construction, l'entretien et l'ameublement de maisons d'école. Ce n'est pas du luxe que nous avons, c'est de la simplicité qui va véritablement trop loin. Que voyons-nous ? Les communes accordent aussi des subsides ; quand le gouvernement dépensait 934,000 francs, les communes accordaient 1,110,000, les provinces 588,000 francs, ce qui fait un total de 2,633,000 francs dépensés pour construction et ameublement de maisons d'école de 208 communes, ce qui fait une moyenne de 12,600 francs par commune.
Mais je me suis demandé, en voyant de quelle façon on avait employé ce dernier million, s'il n'y avait pas eu des abus dans l'emploi des millions qui avaient précédé. J'examine donc une période décennale et je trouve dans cette période une somme de 8,927,000 francs ; sur cette somme, je vois qu'il a été dépensé pour les écoles 464,000 francs annuellement par les communes ; c'est le chiffre moyen ; les provinces annuellement dépensent 164,000 francs et l'Etat 242,000 francs, ce qui fait 892,000 francs, en moyenne, dépensés annuellement pour construction et ameublement d'écoles et un total de 8,920,000 francs pour une période décennale. Et dans cette même période, je constate que le nombre de maisons d'école appartenant, aux communes s'est élevé de 324, ce qui fait encore une moyenne par maison d'école de 10,800 francs.
En présence de ces chiffres, je me demande où a pu se glisser ce luxe exagéré, où l'on a pu faire ces dépenses extravagantes dont on nous parlait tout à l'heure. Je connais beaucoup de maisons d'école et j'en connais beaucoup qui sont en mauvais état, trop petites, mal aérées, d'un aspect misérable et cela même dans des communes d'une grande importance ; je connais beaucoup de mobiliers trop simples, d'autres qui sont dans un état déplorable, je n'en connais pas qui soient luxueux ; c'est à peine si l'on rencontre dans nos maisons d'école en Belgique un musée des produits ; j'en ai vu un dans une école primaire de la ville de Bruxelles, c'est une exception ; mais, dans les différentes écoles pour lesquelles des subsides ont été réclamés, je n'ai jamais vu de musée semblable.
Cependant, en Prusse, en Suisse, aux Etats-Unis surtout, il y a très peu d'écoles qui ne possèdent pas un musée des produits. Ce musée des produits exige encore certains emplacements ; une salle y est destinée, il y a des mobiliers, il y a des produits eux-mêmes ; tout cela nécessite certaines dépenses. Eh bien, ces dépenses, qui ne sont pas de luxe, mais de nécessité, on ne peut pas les faire en Belgique parce que les ressources manquent. Et c'est dans ces conditions qu'on vient vous parler d'un luxe extraordinaire des bâtiments d'école !
Si quelqu'un est ennemi de luxe, de dépenses folles, c'est certainement moi.
J'aime le confortable ; je n'aime pas le luxe. Mais il s'agit de s'entendre sur la signification qu'on doit donner à ce mot.
A ce propos, je me rappelle avoir entendu dans cette enceinte un député d'une de nos premières villes artistiques, Anvers, venir se plaindre du luxe déployé dans la confection des cartes-correspondance. En entendant ce langage, j'ai éprouvé un singulier désir de voir ce chef-d'œuvre. Quand, enfin, il m'a été donné de le contempler, j'ai reconnu que ce n'était pas mal ; mais, franchement, je n'ai point trouvé que ce fût tellement exagéré comme luxe qu'il y eût lieu de se plaindre de ce qu'avait fait le ministère précédent et de déclarer que, pour une chose d'utilité publique comme la carte-correspondance, on ne devait pas faire œuvre d'art.
M. Jacobs, ministre des finances. - Le spécimen était plus beau.
M. Bergé. - Il n'y avait donc aucune raison de ne pas l'adopter.
Le luxe dont on parle n'existe pas. Si l'on veut encourager l'enseignement et faire preuve de bienveillance à l'égard des instituteurs, il faut incontestablement faire les dépenses qu'exigent les maisons d'école qui non seulement répondent aux besoins les plus urgents, mais qui aient un aspect agréable, des écoles qui ne soient pas des espèces de granges où l'on apprend à lire et à écrire.
Ce que je demande, ce sont des établissements qui attirent l'attention, des établissements qui, sans avoir un caractère monumental, aient cependant un aspect agréable. Voilà ce qu'il convient de faire ; et je dois protester contre les paroles de l'honorable M. Thonissen, qui qualifiait de luxe extravagant ce qui a été fait jusqu'à présent en fait de bâtiments d'école.
M. Kervyn de Volkaersbeke, rapporteur. - L'honorable M. Bergé, qui prétend avoir lu le rapport de la section centrale, me semble y avoir découvert une foule de choses qui ne s'y trouvent pas.
A l'entendre, la section centrale aurait condamné le luxe des écoles et le rapport constaterait que les écoles sont de véritables palais.
Qu'a fait la section centrale ? Elle s'est bornée purement et simplement à renseigner une observation qu'aurait faite la cinquième section. Voici ce qu'on lit dans le rapport :
« La cinquième section émet le vœu de voir éviter le luxe dans les bâtiments d'école et les habitations des instituteurs,. tout en répondant aux exigences de l'hygiène. »
Ce vœu étant émis, la section centrale l'a transmis à M. le ministre de l'intérieur, qui nous a envoyé, à titre de réponse, une circulaire où nous lisons quoi ? Non pas qu'il existe un luxe effréné dans la construction des bâtiments d'école et des maisons d'instituteurs, mais qu'il importe de se borner à donner à l'école un caractère simple, sévère et digne.
La circulaire ajoute :
« On ne saurait jamais perdre de vue les règles de l'hygiène et de la salubrité ; mais au delà de ces conditions, tout ce qui appartient à une ornementation plus ou moins somptueuse doit rentrer dans l'ordre de ces dépenses facultatives qu'il appartient aux villes et aux communes riches de créer dans un but d'embellissement, mais à l'aide de leurs propres ressources et sans que le gouvernement ait jamais à intervenir dans l'augmentation de frais qui pourrait en résulter. »
Messieurs, je ne vois absolument rien dans cette phrase qui soit de nature à justifier l'accusation que l'honorable M. Bergé vient de lancer à la section centrale.
Il s'agit ici de constructions dont l'utilité n'est contestée par personne, pas plus à droite qu'à gauche. Nous voulons, tous, l'instruction populaire ; car, nous à droite, aussi bien que vous à gauche, nous savons que l'instruction est l'un des principaux leviers de notre civilisation. Vous ne rencontrerez jamais, sur les bancs de la droite, une opposition systématique à l'enseignement à donner surtout aux classes laborieuses et privées des ressources nécessaires pour se le procurer.
- Une voix. - L'instruction à donner par l'Etat ?
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Par l'Etat, oui ; je vais plus loin : je suis prêt, pour ma part, à voter tous les crédits qui nous seront demandés pour l'instruction populaire, à la condition de la soumettre au régime de la loi de 1842.
- Un membre (à gauche). - D'après votre interprétation de la loi.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Nous sommes francs, croyez-le. L'honorable M. Bergéine veut pas d'un luxe somptueux ; il. nous a djt même qu'il suffit du confortable pour les habitations d'instituteurs.
Eh bien, on va quelquefois au delà ; dans certaines localités, surtout dans les grandes villes, on adopte des plans qui méritent cette qualification.
M. Bergé. - Où sont donc ces écoles luxueuses ?
M. Kervyn de Volkaersbeke. - A Gand et encore ailleurs.
M. Bergé. - A Gand ! mais c'est précisément à Gand qu'on trouve des écoles d'une simplicité très grande ; on les a comparées à des granges. La ville a dû pourvoir à l'enseignement d'une grande population ouvrière ; elle a pris les locaux qu'elle a pu. Si c'est là qu'existe le luxe des écoles, il faut convenir qu'il n'est pas grand. L'honorable M. Kervyn de Volkaersbeke a mal choisi son exemple.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - L'honorable M. Thonissen a parlé tout à l'heure de constructions faites avec un certain luxe, eh bien, je puis citer diverses écoles qui se trouvent parfaitement dans cette catégorie. Veuillez remarquer, messieurs, que je ne blâme pas les villes de donner un caractère plus ou moins monumental aux locaux qui servent à (page 586) l'enseignement, mais je dis qu'elles doivent supporter les frais qui en résultent, car les fonds que nous votons ici, et c'est ainsi que le gouvernement l'entend, sont destinés, avant tout, à venir en aide aux communes pauvres.
Les subsides seront plus utilement employés dans ces localités, en donnant, du reste, ce que l'honorable M. Bergé appelle le confortable, soit aux maisons d'école, soit aux habitations d'instituteurs.
Je crois donc devoir protester, au nom de la section centrale, contre les accusations que l'honorable député de Bruxelles a formulées contre elle.
M. Vleminckx. - J'appuie les observations qui ont été présentées par mes honorables amis, MM. Elias et Bergé, au sujet des reproches qu'on adresse, dans le rapport, au luxe qu'on déploie dans la construction de nos établissements d'enseignement, ainsi qu'à ces vastes appartements qu'on donne, dit-on, à nos instituteurs.
Je dois dire que, de toutes les observations que j'ai entendues, c'est la dernière surtout qui m'a le plus ému. Que sont donc nos instituteurs ?M ais ce sont les fonctionnaires les plus utiles du pays, ce sont des fonctionnaires que, à juste titre, on a appelés les pionniers de la civilisation. Et dans quelle situation se trouvent-ils, ces hommes si utiles ? Ils sont toute la journée enfermés dans une école plus ou moins salubre, et le soir ils doivent se retirer dans leur modeste appartement, dont ils ne sortent plus pendant le reste du temps.
On ne veut pas même, messieurs, que ces appartements soient, je ne dirai pas confortables, mais construits d'une manière hygiénique. (Interruption.) L'honorable ministre de l'intérieur ne veut-il pas même en diminuer la salubrité ? (Interruption.) Vous vous plaignez, M. le ministre, de ce que les appartements des instituteurs soient trop élevés, mais pourquoi donc leur a-t-on donné une pareille élévation ? Evidemment pour donner à ceux qui les habitent de l'air pur en abondance.
Suivant moi, l'honorable ministre a commis une faute en faisant siennes ces observations, car elles ne viennent pas de lui, mais d'autres, qui les lui ont suggérées. Il faut donner à vos instituteurs primaires une habitation, je ne dirai pas assez confortable, mais complètement salubre, dans l'intérêt même de l'enseignement dont ils sont chargés.
L'honorable M. Thonissen vient de dire qu'il serait possible, avec les 60,000 francs que coûtent certaines écoles, d'en construire trois, quatre ou cinq.
Eh bien Je mets M. Thonissen au défi de réaliser çe projet, à la condition, bien entendu, de les construire comme elles doivent l'être ; non pas comme il se l'imagine, mais comme le veulent les règles qui doivent présider à l'ensemble de ces bâtiments. Il ne s'agit pas seulement, je le répète, de vastes locaux pour les élèves' ; il faut, en outre, une bonne habitation pour l'instituteur ; il faut ensuite un jardin, des préaux et des accessoires^
Messieurs, j'ai quelques observations à présenter aussi sur l'ameublement des écoles ; il n'est pas question d'un ameublement confortable ; il s'agit d'un ameublement hygiénique, qui doit venir en aide à la disposition hygiénique dans l'intérêt de l'établissement, de la santé de l'instituteur et des élèves. Je comptais vous présenter d'assez longues observations sur ce point, mais comme mon honorable ami, M. Delcour, s'en est chargé, de son côté, j'ai jugé convenable de lui abandonner exclusivement ce soin. C'est une affaire très importante pour la santé des élèves, non seulement que les classes soient bien disposées, mais que l'ameublement soit conçu et exécuté dans de bonnes conditions.
Ne l'oubliez pas, messieurs, les statistiques prouvent que plus d'un enfant perd sa santé dans les écoles. Cela est reconnu et constaté par des hommes d'une grande valeur et je l'attribue, moi, en grande partie, aux mauvaises dispositions et des écoles et de leur matériel.
Enfin, messieurs, n'oubliez pas non plus que l'école doit avoir un gymnase. Je doute fort que tout cela puisse s'obtenir pour une quinzaine de mille francs.
Et à propos de gymnase, je saisis cette occasion pour faire remarquer à l'honorable ministre de l'intérieur que, d'après tous les renseignements que j'ai recueillis, ce qu'il y a de moins enseigné dans nos écolesnormales, c'est la gymnastique.
Je le sais, on enseigne dans ces écoles une gymnastique quelconque, mais non pas la vraie gymnastique, la gymnastique rationnelle, cette gymnastique rationnelle dont la Suède, la Norvège, le Danemark et l'Allemagne nous donnent de si magnifiques exemples et qui contribue considérablement à augmenter la force et la vigueur des populations.
A l'école primaire, il ne faut pas seulement songer au développement de l'intelligence, il faut aussi venir en aide au développement physique, et c'est pour cela qu'il faut que les jeunes élèves soient exercés non à une gymnastique quelconque, mais une gymnastique rationnelle. Or, comment voulez-vous que cela ait lieu ? Qui l'a enseignée, cette gymnastique, à nos instituteurs ? Personne ; il n'y a pas un seul d'entre eux qui la connaisse convenablement, scientifiquement, rationnellement, et je vais vous en dire la raison : c'est que la gymnastique est une science et que cette science doit s'apprendre comme toutes les autres.
Pour qu'il y ait partout une application convenable des principes de la gymnastique, il faudrait que nous eussions, en Belgique, ce que nous n'avons pas, à savoir : une école normale de gymnastique, un de ces établissements tels qu'il en existe, je viens de le dire, en Allemagne, en Suède, en Norvège, en Danemark, en Saxe. Aussi longtemps, que vous n'aurez pas un établissement dans lequel se formeront vos instituteurs à cette science, il est impossible que la gymnastique soit convenablement appliquée dans vos établissements d'instruction. J'ai vu dans un rapport sur l'enseignement publié, il y a quatre ou, cinq ans, que dans certaines de nos écoles moyennes ou de nos athénées, la gymnastique, était abandonnée à qui ? A un sous-officier de l'armée. Un sous-officier peut faire faire exécuter aux enfants, des mouvements, plus ou moins bons, plus, ou moins convenables, mais ce n'est pas là ce que l'on doit appeler de la gymnastique.
La gymnastique a pour objet le développement harmonieux de toutes les parties du corps. Or, il est impossible qu'on arrive à ce résultat, sans avoir approfondi la science, sans connaître de quelle manière il faut remédier à tel défaut ou à tel autre, suivant les circonstances et suivant les individus.
Je recommande donc à l'honorable ministre de l'intérieur d'examiner cette grave question.
Messieurs, la population belge n'est pas telle qu'on ne doive pas employer tous ses efforts pour lui donner plus de vigueur et de force. Croyez-moi, elle en a besoin, et cette vigueur et cette force sont acquises, en définitive, au profit du pays ; car elles servent à augmenter la richesse publique, et je puis dire plus, à augmenter sa vigueur morale. Plus les peuples sont forts, plus ils sont vigoureux, plus ils ont aussi de valeur morale, toujours d'après l'ancien axiome : mens sana in corpore sano.
M. Thonissen. - L'honorable M. Bergé proteste contre les paroles que j'ai prononcées.
Je n'accepte pas ces protestations ; bien au contraire, je proteste à mon tour contre l'opinion étrange et ridicule qu'il m'a attribuée. A l'entendre, je voudrais des espèces de granges, où l'on apprendrait à lire et à écrire. J'en appelle à tous les honorables collègues qui m'entourent ! J'ai dit que je voulais des bâtiments spacieux, bien construits, répondant à toutes les exigences de l'hygiène, comme à tous les progrès de.l'enseignement primaire. Est-ce là demander des granges ? Quand on veut faire des protestations, le premier devoir à remplir, c'est de ne pas dénaturer le. langage de ses adversaires.
J'arrive, messieurs, aux faits que j'ai cités : je maintiens tout ce que j'ai affirmé. Je vais même citer le nom de la commune, qui a été moralement obligée de construire une école de 75,000 francs. C'est la commune de Roclenge, de l'arrondissement de Tongres. Or, cette commune n'avait à sa disposition qu'une somme de 15,000 francs. L'honorable M. Julliot, qui représente l'arrondissement de Tongres dans cette enceinte, ne me démentira pas.
Fallait-il, pour une population de 1,100 âmes, un bâtiment d'école de 75,000 francs ?
Quelles sont, messieurs, les conséquences, de cette manière de procéder ? C'est que beaucoup de communes négligent de reconstruire des écoles insuffisantes, parce qu'elles craignent d'être entraînées dans des frais dépassant leurs ressources financières.
Qu'on ne dénature donc pas mes opinions. J'ai dit, je le répète, que je veux des écoles qui ne laissent rien à désirer, qui. répondent à toutes, les exigences, à tous les progrès de l'instruction primaire.
Et pourquoi, messieurs, ai-je fait ma motion ? Est-ce par indifférence pour l'enseignement ? est-ce par crainte du progrès ? Mais j'en appelle ici aux membres de la gauche eux-mêmes ! Ai-je jamais refusé mon vote à des dépenses quelconques réclamées pour la diffusion de l'enseignement ? N'ai-je pas, au contraire, constamment pris la parole pour appuyer ces dépenses ?
Que l'honorable député de Bruxelles en soit bien convaincu : quoique nos opinions politiques soient bien différentes, j'aime autant que lui la diffusion des lumières. Seulement, je ne crois pas que le moyen d'atteindre ce but consiste à faire des dépenses inutiles.
Les conséquence du système que je repousse sont faciles à saisir, Quand nous votons un million pour construction d'écoles, nous désirons évidemment qu'on en construise un nombre aussi grand que possible.
(page 587) Or, ce nombre est nécessairement réduit par les dépenses inutiles. Les dépenses de luxe vont donc directement à l’encontre du but que nous voulons tous atteindre.
L'honorable M, Vleminckx s'est trompé à son tour en supposant que je voulais éviter les dépenses utiles à l'hygiène des locaux. L'honorable membre n'a pas saisi exactement ma pensée. J'ai dit précisément que je rangeais les dépenses de cette nature parmi les dépenses nécessaires.
J'affirme de nouveau, en terminant, que mes observations ont été faites dans l'intérêt même de l'enseignement primaire et afin que nous puissions multiplier les écoles dans la plus large mesure.
M. Bergé. - Je crois que l'honorable M. Thonissen n'était pas ici quand j'ai parlé, de telle sorte qu'il s'est rendu un compte assez peu exact de la portée de mes paroles. Je n'ai pas dit, en effet, qu'il désirait des écoles qui fussent de véritables granges ; je ne lui ai pas prêté ce propos étrange et ridicule, comme il vient de me le reprocher.
Je me suis élevé tout simplement contre les paroles qu'il avait prononcées au début de cette séance lorsqu'il qualifiait de luxe ridicule, extravagant même, ce que l'on avait fait dans certaines communes pour la construction et l'ameublement d'écoles.
J'ai transcrit ses paroles au moment où il les a prononcées.
M. Thonissen. - J'ai dit dans certaines communes ; je n'ai pas parlé en général.
M. Bergé. - Bien entendu et j'y ai répondu ; mais il est inutile que je répète ce que j'ai dit ; j'ai affirmé que ce luxe ridicule et extravagant n'existe pas.
Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. Thonissen sur ce point qu'il est nécessaire d'avoir le plus d'écoles possible ne laissant rien à désirer ; mais ce sont là des lieux communs, car nous pouvons différer, l'honorable M. Thonissen et moi, sur ce qui constitue une situation ne laissant rien à désirer, et il se peut que ce qui serait pour moi simple et confortable serait pour lui un luxe ridicule et extravagant.
M. Thonissen. - Qu'en savez-vous ?
M. Bergé. - Ce que j'ai dit, c'est que tous les millions qui ont été dépensés l'ont été d'une façon très convenable et que, si par hasard un exemple cité pouvait prouver qu'on a fait exceptionnellement du luxe quelque part, relativement à l'importance de la commune, il ne peut s'agir que de peu de chose en raison de ce que devrait être l'organisation de toutes les écoles du pays.
Je viens d'entendre, de la part de l'honorable M. Thonissen, le raisonnement de l'homme qui veut qu'avant tout, on soit soucieux des deniers publics et qu'on évite surtout toute espèce de dépense qui pourrait être qualifiée de superflue.
Je ne suis pas tout à fait de cet avis. Je crois qu'il est utile qu'après le confortable, on donne aux écoles un aspect agréable et surtout la solidité nécessaire ; qu'on fasse entrer des pierres dans la construction de ces bâtiments pour y donner plus de durée.
On dira que ces pierres, qu'une plus grande épaisseur des murs, qu'un plus grand cube d'air pour le logis de l'instituteur, constituent des dépenses de luxe. Mais ce n'est là que la stricte observation des lois de l'hygiène et du confortable.
Du reste, quand il s'agit de la construction d'églises, l'honorable M. Thonissen ne raisonne pas de la même manière. Il sera d'avis qu'il convient de donner aux édifices du culte catholique un aspect architectural. Il ne viendra pas chiffrer ce que peut représenter en rente belge 4 1/2 p. c. le capital d'une église comme Sainte-Gudule.
Qu'il laisse donc faire en faveur des écoles un peu de dépenses, alors que l'on fait tant en faveur des édifices du culte depuis si longtemps !
M. Delcour. - Je veux ramener ce débat sur son véritable terrain.
Il se présente une série de propositions sur lesquelles nous sommes tous d'accord ; la droite et la gauche veulent des maisons d'école ; nous demandons que les écoles soient convenables, assez spacieuses, bien aérées et qu'elles répondent à tous les besoins d'une bonne organisation de l'instruction primaire.
S'il n'y a qu'une voix parmi nous sous ce rapport, nous sommes cependant obligés de reconnaître qu'on a donné aux bâtiments d'école, dans certaines communes, des proportions exagérées.
Il est incontestable que dans plusieurs localités on y a apporté un luxe déplacé.
C'est ce que je blâme, surtout en présence des sommes limitées qui sont mises à la disposition du gouvernement pour satisfaire à de grands besoins constatés.
Laissons de côté les lieux communs, et recherchons si les communes n'ont pas exagéré quelquefois les dépenses pour construire leurs bâtiments d’écoles.
Pour moi, je suis convaincu qu'elles l'ont fait souvent.
- Des membres à gauche. - Où ?
M. Delcour. - Ce luxe, messieurs, est relatif. Je n'entends pas parler de nos grandes villes, de Bruxelles, de Liège ou de Gand ; ces communes possèdent de grandes ressources et peuvent satisfaire à leur désir.
Mais nos communes rurales sont dans une situation bien différente ; elles s'obèrent lorsqu'on leur impose des dépenses que leur budget ne peut supporter.
La construction d'une école a été, pour bien des communes, une cause de ruine ; c'est ce qu'il faut éviter.
On peut construire de bonnes écoles, très confortables pour les instituteurs et pour les élèves, sans luxe et sans faire une trop forte dépense.
Plusieurs écoles ont été construites dans mon arrondissement ; j'ai sous les yeux le croquis de ces écoles. Je voudrais pouvoir vous le communiquer pour faire saisir du doigt certains inconvénients que ces constructions présentent.
On y a sacrifié, à mon avis, le principal à l'accessoire ; les instituteurs se plaignent de la mauvaise distribution de la lumière qui fatigue les élèves ; ils se plaignent de l'acoustique, qui laisse à désirer.
Dans le but de faire servir les salles de l'école aux bals ou aux concerts qui se donnent à la kermesse ou dans toute autre circonstance, on établit un grand nombre de portes entre les salles, et l'instituteur se trouve dans les plus mauvaises conditions pour donner la leçon. (Interruption.)
Oui, messieurs, les salles sont construites de manière à pouvoir servir de salles de danse, et je répète que cela ne convient pas.
L'instituteur, qui est obligé d'être tous les jours dans sa classe, a droit à des ménagements ; ce sont ces ménagements que je demande pour lui afin qu'il ne soit point épuisé lorsqu'il est encore dans la force de l'âge.
Je n'exagère rien ; les inconvénients que j'ai l'honneur de signaler à la Chambre m'ont été révélés par les instituteurs eux-mêmes. En présence d'un fait pareil, vous voyez que mes critiques ne sont pas sans fondement. Encore une fois, je supplie le gouvernement de faire tout ce qui est en son pouvoir.
Satisfaisons d'abord aux grandes nécessités ; donnons de bonnes écoles aux communes ; après, si nos ressources le permettent, nous pourrons les orner avec luxe.
M. Muller. - Le plan de l'école dont vous parliez tout à l'heure est-il adopté ?
M. Delcour. - Certainement, et des écoles ont été construites conformément à ce plan.
M. Bergé - Pourrais-je savoir quelle est la capacité de cette école ?
M. Delcour. - En voici le plan.
M. Bergé. - Eh bien, je constate qu'elle a 12 mètres de longueur sur 7 de largeur. J'en conclus qu'il ne doit pas y avoir beaucoup de danseurs dans cette commune.
M. Delcour. - La longueur des trois salles est de 24 mètres.
Je ne puis indiquer exactement la population de ces communes ; ce sont de simples communes rurales.
Nous voilà donc encore une fois d'accord ; les uns et les autres, nous engageons le gouvernement à veiller à ce que les écoles soient bien construites, avec de bons matériaux, mais sans faire de folles dépenses.
Le crédit demandé par le gouvernement est également destiné à pourvoir au mobilier des écoles.
Je ne puis trop recommander à l'attention de M. le ministre le système des bancs dits américains. Leur supériorité est aujourd'hui généralement reconnue. Nos instituteurs, les revues pédagogiques signalent les avantages qu'ils présentent sous tous les rapports.
Les enfants sont mieux assis et plus à l'aise ; la surveillance du maître s'exerce plus facilement, mais c'est surtout au point de vue hygiénique qu'il est important d'en parler.
J'ai été étonné, messieurs, et vous le serez avec moi, lorsque vous verrez les dangers que courent les enfants qui fréquentent les écoles primaires dans de mauvaises conditions.
J'appelle sur ce point l'attention du gouvernement et celle de l'honorable M. Vleminckx, qui prend un si vif intérêt aux mesures hygiéniques qui concernent nos populations. J'ai en mains une note de deux médecins éminents, qui présente à cet égard des renseignements bien graves.
Les docteurs Parow et Guillaume ont fait une statistique des maladies d'école ; je ne puis trop la recommander à votre attention.
(page 588) Afin de ne point fatiguer la Chambre, je lui demanderai de m'autoriser à insérer cette note aux Annales parlementaires.
- De toutes parts. - Oui ! oui !
M. Delcour. - Voici cette note :
« Ce système consiste en bancs à pupitres de 1 mètre de long ayant deux places et établis en gradins au nombre de 6, 7, 8, d'après les dimensions des classes. Cette file de bancs se trouve virée à deux lignes parallèles et inclinées. Les élèves, au lieu d'être serrés, ou plutôt entassés a sept ou huit sur un banc, ne sont plus groupés qu'à deux. Leurs mouvements sont et plus libres et plus naturels. Mais le grand bien gît surtout dans cette circonstance, qu'il ne faut pas omettre de citer tout d'abord : chaque banc du système américain est muni d'un dossier rempli et recourbé comme aux nouveaux waggons des cinq classes des lignes de l'Etat et celles d'Aix. Ce dossier sert forcément d'appui aux élèves.
« Comment calculer le bien qui en découle pour eux ! Comment nier la supériorité d'une position droite, bien verticale, naturelle, sur une position courbée, forcée, gênante et dangereuse à tous égards ! Il n'est aucun homme de l'art qui ne corroborera cet avis sans hésiter. Pour ne point citer d'autres exemples, nous nous permettrons d'appeler l'attention sur les récentes allégations des docteurs Parow, de Berlin, et Guillaume. Le témoignage du premier praticien, qui s'est signalé, pendant dix ans, comme chef médical de l'institut orthopédique de Bonn, ne pourra être suspect de partialité ou d'incompétence.
« M. Parow a constaté que sur 527 sujets atteints de différentes maladies dans les articulations, de paralysie, de déviation de l'épine dorsale, etc., 282 de ces malheureux enfants ne devaient attribuer cette infirmité à aucune cause constitutionnelle, mais uniquement aux mauvaises attitudes infligées à leurs corps sur les bancs de l'école. Parmi les inconvénients qui résultent de la position assise, privée d'appui, dit le docteur Guillaume, membre de la commission d'éducation de Neuchâtel, il faut avant tout citer la pression exercée par les fausses côtes sur les organes du ventre. Cette pression contribue pour sa part aux troubles de la digestion et au manque d'appétit, que l'on observe si souvent chez les enfants qui fréquentent les écoles. Les organes de la poitrine sont aussi comprimés par l'affaissement du corps, et il en résulte des troubles graves, des obstacles sérieux à la libre fonction de la respiration et de la circulation du sang. Ces troubles sont d'autant plus sérieux, qu'ils ne provoquent pas de suite des symptômes graves, mais qu'ils agissent lentement, minant en quelque sorte peu à peu la santé des enfants.
« Une affection qui est produite par la position assise libre, c'est celle qui, parmi les écoliers, est connue sous le nom de gros cou, et que je propose de nommer goître scolaire. Cette affection, qui est si fréquente chez les enfants, a passé jusqu'à présent inaperçue, et je ne connais pas d'auteur qui la mentionne d'une manière spéciale, tant on s'est encore peu occupé de l'hygiène d'école. Sur 731 élèves du collège municipal de Neuchâtel, dont 350 garçons et 381 filles, j'ai trouvé le goître scolaire développé sur 169 garçons et 245 filles, c'est-à-dire que plus de la moitié des élèves étaient atteints à des degrés plus ou moins légers. Simultanément avec le goître scolaire, oh observe des congestions cérébrales, qui déterminent des maux de tête (céphalalgie scolaire) dont se plaignent si souvent les enfants. Ces congestions provoquent souvent des hémorragies nasales, qui parfois sont abondantes et affaiblissent les enfants.
« Sur 751 élèves, il y en a 296 qui ont des maux de tête fréquents, et 155 qui saignent habituellement du nez, et ces chiffres-là sont confirmés par les instituteurs et les institutrices. Enfin une dernière affection beaucoup plus grande que celle que nous venons d'énumérer et qui est due aux dimensions irrationnelles des tables et aux bancs sans dossiers, est la déviation de la colonne vertébrale et le déplacement des épaules.
« Sur 350 garçons, dit le docteur Parow, j'ai rencontré 62 cas de déviation de la colonne vertébrale, et sur 381 jeunes filles 156 cas, à des degrés plus ou moins prononcés. Ainsi sur 731 élèves, il y en a 218 qui courent le plus grand danger d'avoir une grave difformité pendant toute leur vie. Je dois ajouter que les cas de scoliose rachitique ne sont pas comptés dans ces chiffres, mais on peut remarquer que ces influences qui déterminent chez les enfants non rachitiques une déviation de la colonne vertébrale aggraveront certainement la scoliose rachitique, et en tous cas, qu'elles ne contribueront pas à son amélioration. »
Vous remarquez, messieurs, que les investigations ont porté sur un chiffre de plus de 500 enfants et que plus de la moitié des élèves ont contracté dans les écoles des maladies graves et un affaiblissement de santé dont ils ont ressenti les tristes effets pendant toute leur vie.
J'ai soumis cette note à un médecin de mes amis. J'ai voulu m'assurer, en présence des tristes résultats constatés, si elle ne contenait pas d'exagération. On n'a pas pu me donner de réponse bien précise ; mais ce savant m'a engagé à en donner lecture à la Chambre, parce qu'il convient que le pays soit éclairé sur une question qui intéresse à un si haut point nos populations ouvrières.
L'honorable M. Vleminckx a appelé de nouveau l'attention du gouvernement sur la nécessité de veiller à ce que nos écoles offrent les meilleures conditions hygiéniques ; je me joins à lui, car la législature et le gouvernement ne sauraient porter trop d'intérêt à la santé et à la bonne constitution de nos classes ouvrières, c'est toute leur richesse.
Les quelques mots que je viens de prononcer justifient mon vote ; je voterai le crédit demandé, et si, demain, le gouvernement venait demander aux Chambres un nouveau million pour construire des maisons d'école, je le voterai encore.
Lorsque j'ai pris la parole la première fois dans cette enceinte, c'était pour défendre la loi de 1842. Je disais alors, en présence d'un ministère qui n'avait pas mes sympathies politiques, qu'il pouvait cependant compter sur mon appui chaque fois qu'il aurait besoin de mon concours pour assurer l'exécution de cette loi. Cet engagement, je le répète aujourd'hui en présence d'un ministère auquel j'accorde ma pleine confiance.
M. de Lexhy. - Il me semble, messieurs, que le mot « luxe » a jusqu'à présent fait tous les frais de la discussion. D'après les discours que viennent de prononcer les honorables MM. Delcour et Bergé, nous sommes d'accord, me semble-t-il, pour donner au mot « luxe » la définition suivante : tout ce qui excède le nécessaire ; tout ce qui constitue le superflu.
M. Thonissen nous a fait entendre des critiques plus ou moins amères contre le luxe qu'on met dans la construction des écoles. L'honorable membre aurait dû plus ou moins atténuer ses critiques.
En effet, nous ne devons pas, messieurs, critiquer trop fortement les communes dont les ressources sont considérables de tenir à avoir de belles écoles.
Ces communes qui, à cet effet, dépensent beaucoup d'argent, ont, pour complices de ces dépenses exagérées, les députations permanentes et jusqu'à l'administration de l'enseignement primaire, jusqu'à l'honorable ministre de l'intérieur lui-même qui approuve les plans en dernier ressort.
Pour que les critiques de M. Thonissen fussent fondées, il faudrait établir que l'intervention de l'Etat est exagérée. C'est là tout le nœud de la question : prouver que la dépense faite par l'Etat est exagérée eu égard aux sacrifices faits par les communes et par les provinces.
Eh bien, j'ai vu beaucoup d'écoles, surtout dans l'arrondissement que représente ici l'honorable M. Thonissen, et je dois dire une chose : c'est que j'ai eu beaucoup de peine à en rencontrer quelques-unes qui fussent organiser convenablement et parfaitement en harmonie avec les besoins actuels de l'enseignement. Je pourrais même citer à l'honorable membre l'antithèse des écoles luxueuses dont il a parlé.
Je pourrais vous citer une commune qui possède des biens considérables, la commune de...
M. Thonissen. - Elle n'appartient pas à mon arrondissement ; elle fait partie de l'arrondissement de Maeseyck.
M. de Lexhy.-Je croyais qu'elle appartenait à votre arrondissement, mais enfin, cette commune, qui a une population d'environ mille habitants, n'a pour école qu'une misérable grange ; c'est bien là, je crois, l'antithèse des écoles luxueuses signalées par l'honorable M. Thonissen.
Du reste, messieurs, les communes qui apportent un certain soin, un certain luxe même dans la construction de leurs écoles sont-elles si critiquables ?
Nullement, quand il s'agit de construire une église ou un édifice du culte, où va-t-on chercher l'argent ? Dans la caisse communale d'abord. Alors, messieurs, nous vous gardez bien de critiquer les communes de se livrer à des dépenses exagérées.
Où va-t-on, messieurs, lorsque les ressources de la commune sont insuffisantes ? On va frapper à la caisse provinciale et ensuite on arrive à la caisse de l'Etat.
Eh bien, vous qui critiquez aussi amèrement les dépenses d'un soi-disant luxe qu'on apporte dans la construction de maisons d'école, veuillez aussi critiquer et bien plus amèrement les dépenses exagérées, les dépenses folles qu'on fait souvent pour la construction des églises, des édifices du culte. Je pourrais vous citer certaine commune qui n'a pas d'école et qui s'exténue, qui se met dans la position la plus misérable pour arriver à satisfaire les caprices de nos curés et pour avoir une magnifique église.
(page 589) Je puis citer, dans mon arrondissement, l'église de Noville, dont la construction a coûté 30,000 francs. La commune n'a que 300 habitants ; elle doit payer 20,000 francs pour sa part dans la construction de l'église et elle n'a pas d'école. J'engage l'honorable M. Thonissen à critiquer les communes qui se ruinent pour construire des églises avant de critiquer celles qui se ruinent pour construire des écoles.
En tous cas, faut-il critiquer les communes qui font des sacrifices pour avoir de beaux bâtiments d'école ? Ne faut-il pas développer dans le peuple le sentiment du beau comme il faut développer en lui le sentiment du vrai ? Ces deux sentiments s'unissent et sont frères.
J'avais aussi l'intention de critiquer le système que M. le ministre de l'intérieur a développé dans ses circulaires. Mes honorables amis MM. Elias et De Fré se sont acquittés de ce devoir de façon à pouvoir renoncer à mes observations.
Dans le crédit actuel, il y a une portion réservée à l'ameublement des maisons d'école. Je voudrais savoir de l'honorable ministre si les écoles agréées ou adoptées pourront participer à cette portion de crédit. C'est une question à laquelle je le prie de me répondre.
En ce qui concerne l'ameublement, l'honorable M. Delcour vient de faire quelques recommandations que j'avais aussi l'intention de faire et que j'appuie de toutes mes forces. Puisqu'il s'agit d'un crédit extraordinaire, il faut surtout encourager les communes qui, s'inspirant des vrais intérêts de l'enseignement, font des sacrifices considérables pour avoir un ameublement convenable, un ameublement qui réponde à tous les besoins.
On a introduit dans certaines écoles le banc américain. J'ai constaté, dans plusieurs écoles bien tenues, l'excellence de ce banc et je le recommande tout spécialement à l'attention de M. le ministre de l'intérieur.
Il résulte de la démonstration qu'a faite mon honorable ami M. Elias, que le besoin de construction de maisons d'école devient un besoin ordinaire, auquel il faudrait faire face avec les ressources ordinaires.
Je crois, messieurs, que le cadre de la discussion actuelle ne comporte pas des observations plus étendues et je réserverai celles que je pourrais avoir encore à présenter pour la discussion du budget de l'intérieur.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il est, messieurs, une considération qui domine tout ce débat, qui justifie la présentation du projet de loi dont la Chambre est saisie, et qui, à coup sûr, lui assurera un vote approbatif ; c'est qu'il est reconnu aujourd'hui qu'en présence des grands besoins de l'instruction publique, un des obstacles les plus considérables se rencontre dans l'insuffisance, ou dans l'absence de bâtiments d'école. Dans certaines localités, ces bâtiments n'existent pas ; dans d'autres, ils sont insuffisants, et, comme le disait l'honorable M. de Lexhy, ce sont trop fréquemment de misérables granges.
Toutes les administrations, toutes les législatures ont été pénétrées du sentiment de ce devoir, et depuis un grand nombre d'années, des crédits successifs ont été votés. La part de l'Etat a notamment été de plus en plus généreuse. Dans les périodes quinquennales qui se sont succédé de 1845 à 1867, la part de l'Etat s'est élevée de trois millions à six millions, de sept millions à dix millions et enfin à près de vingt-deux millions, c'est-à-dire qu'elle a été plus que doublée dans ces deux dernières périodes.
Et cependant, messieurs, il faut bien le dire, nous sommes loin encore d'avoir atteint un résultat complet et définitif ; et je ne puis partager l'opinion de M. Bergé lorsqu'il disait tout à l'heure que l'emploi du huitième million qui a permis la construction de quatre-vingt-dix-sept maisons d'école, a présenté des résultait aussi satisfaisants qu'on pouvait le désirer.
A mon avis, messieurs, ce résultat n'est pas tel qu'on puisse s'en applaudir ; il n'est pas satisfaisant pour le passé, il l'est encore bien moins pour l'avenir, lorsque nous interrogeons la situation devant laquelle nous sommes placés.
Je me suis empressé, messieurs, de faire rechercher avec le plus grand soin, quels pouvaient être les besoins et les lacunes en matière de maisons d'école.
Un premier travail élevait la dépense à faire de ce chef à moins de 30 millions, mais, lorsque plus tard, j'ai demandé à MM. les inspecteurs provinciaux de me donner des détails plus complets sur cette question, il en est résulté que le premier chiffre devait être augmenté dans une proportion considérable. Ainsi, pour la province d'Anvers, la première évaluation était de 1,100,010 francs, et la deuxième atteignait près de deux millions.
Il1 ne faut donc pas se le dissimuler : nous aurons encore à consacrer à la création de bâtiments d'école, peut-être 40, 50 ou 60 millions et cette dépense est véritablement urgente, car c'est à cette dépense qu'est subordonnée, pour une large part, la diffusion de l’enseignement primaire.
Voilà, messieurs, ce qui justifie la préoccupation à laquelle le gouvernement a obéi lorsque, limité par les nécessités financières dans le chiffre des crédits qu'il est possible de demander à la législature, il a recherché les moyens de faire de ces crédits la répartition la plus utile.
Dés le mois d'octobre, messieurs, j'ai saisi de cette question la commission centrale des inspecteurs de l'enseignement primaire, hommes honorables qui ont acquis une longue expérience, dont plusieurs sont sortis des modestes fonctions d'instituteurs pour occuper aujourd'hui le rang d'inspecteurs provinciaux et qui, à ce double titre, connaissent mieux que personne les besoins de l'enseignement primaire.
Eh bien, messieurs, cette circulaire du 11 décembre, qui tout à l'heure a été vivement critiquée, n'est pas l'œuvre isolée du ministre qui en accepte la responsabilité, les bases de cette circulaire ont été adoptées par les inspecteurs provinciaux et à l'unanimité.
Il a été reconnu dans cette réunion que l'Etat avait, dans une large mesure, rempli ses devoirs, mais que les communes n'avaient pas toujours rempli les leurs dans la même proportion ni avec la même étendue. Le motif en a été indiqué par plusieurs membres, c'est que lorsque la dépense devient exagérée, les communes qui, certes, comprennent l'importance de l'instruction publique, mais qui ont encore d'autres besoins, craignent de se ruiner par des constructions trop dispendieuses.
Ces réserves faites, on ne peut perdre de vue que la part d'intervention des communes n'a pas suivi la progression rapide qui a marqué celle de l'Etat.
Voici, messieurs, en quels termes s'exprimaient MM. les inspecteurs de l'enseignement :
« Les membres de la commission sont unanimes à reconnaître qu'e l'Etat s'est imposé des sacrifices considérables pour améliorer ce service important ; et ils regrettent de devoir constater que certaines provinces, et surtout un grand nombre de communes, n'ont pas marché aussi résolument dans la voie du progrès.
« En effet, les relevés statistiques établissent que, pour le service annuel ordinaire, pendant une période de vingt-cinq ans, de 1845 à 1867, les subsides de l'Etat ont décuplé ;
« De 208,301 fr. 20 c. en 1843, ils ont été portés, en 1867, à 2,855,371 fr. 60 c. ;
« Tandis que les mêmes subsides, pour les provinces, ont seulement quadruplé ;
« De 67,763 fr. 82 c. en 1843, ils s'élevaient à 261,406 fr. 45 c. en 1867 ;
« Et que les allocations communales correspondantes ne représentent, en 1867, que le triple des sommes votées en 1843 ; 2,639,833 fr. 54 c. contre 785,579 fr. 84 c.
« Ces chiffres ont leur éloquence. Ils prouvent que les communes, quoique directement intéressées à la marche progressive de l'enseignement primaire, se montrent, en général, peu disposées à augmenter leurs charges annuelles ; dans le Brabant, elles sont même encouragées par l'interprétation que donne à l'article 23 la députation permanente, à s'en tenir aux deux centimes additionnels que la loi pose comme minimum de l'intervention communale et comme condition à l'obtention des subsides de la province et de l'Etat.
« Et cependant on se trouve en présence de besoins sans cesse croissants : dédoublement des classes trop nombreuses, création d'écoles de filles, amélioration de la position des instituteurs, etc.
« Par ces motifs, les membres de l'assemblée ont été unanimement d'avis qu'il est nécessaire de mettre un terme à l'état de choses actuel ; et ils ont cru de leur devoir de rechercher quelles seraient les bases à adopter pour répartir l'ensemble des charges annuelles, d'une manière équitable, entre les communes, les provinces et l'Etat. »
Je disais tout à l'heure, messieurs, que cette situation résultait en grande partie des sacrifices exagérés imposés aux communes : des dénégations nombreuses se sont produites sur ce point.
Il est évident, messieurs, qu'il y a une distinction à faire. Il est hors de contestation que partout on doit chercher l'hygiène, la salubrité, les conditions les plus convenables de construction, mais d'accord avec un honorable préopinant, je pense que lorsqu'il s'agit non pas de communes riches qui peuvent élever des monuments, mais de communes ayant peu de ressources et se trouvant, par cela même, dans la nécessité de recourir au concours de la province et de l'Etat, tout ce qui est inutile, superflu, ne peut figurer dans le compte de l'intervention pécuniaire de l'Etat et de la province.
Malheureusement, messieurs, il en a été fréquemment autrement et je pourrais mettre sous les yeux de la Chambre l'énumération assez longue (page 590) des communes ayant une population restreinte, et où les dépenses se sont élevées à 40,000, 50,000 et même 00,000 francs.
Je me souviens d'avoir reçu moi-même, un jour, un bourgmestre d’une commune des Ardennes dont la population n'est pas de 300 âmes, qui n'a pas de revenus patrimoniaux et où l'on a dépensé, pour la construction de la maison d'école, 45,000 francs.
Pour couvrir cette dépense, la commune a dû contracter un emprunt et elle se trouve ruinée pour une longue suite d'années.
M. David. - C'était probablement pour la maison communale et l'école réunies.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il y avait à rechercher ce que devaient coûter, dans des conditions normales, les maisons d'école dans les communes où les ressources ne sont pas abondantes et où le concours de la province et de l'Etat est réclamé.
Cette question a fait l'objet d'une enquête étendue, minutieuse, et je demande à la Chambre la permission de lui indiquer, en quelques mots, quels en ont été les résultats.
Pour la province de Drabant, le rapport qui m'a été communiqué présente les conclusions suivantes :
« Un bâtiment d'école, destiné à un seul instituteur, peut se construire dans les environs de Bruxelles au prix de 13,000 francs, soit 8,000 francs pour l'habitation de l'instituteur et 5,000 francs pour la salle d'école avec ses dépendances.
« Une pareille construction comprendrait : 1° une salle d'école pour 100 élèves avec deux entrées et vestiaires, cours et latrines séparées pour les deux sexes ; 2° une habitation composée d'une cuisine-salle à manger, d'un petit lavoir et d'un cabinet au rez-de-chaussée, de trois chambres à l'étage, d'un grenier et de deux caves. Il y aurait, en outre, une petite étable ou un refuge au jardin. »
M. Bouvier. - Quel est le cube de ce bâtiment ? (Interruption.)
C'est l'élément essentiel de comparaison.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Les travaux qui ont été faits renferment les évaluations les plus complètes : pierres de taille, maçonnerie, toiture, tous les détails s'y trouvent.
(page 591) M. Muller. - Je demande que ces détails soient mis en note au Moniteur. [Une longue note de bas de page indique, à la page 590 du Moniteur, les devis, par province, des matériaux nécessaires à la construction des écoles. Cette note n’est pas reprise dans la présente version numérisée.]
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - On a jugé utile d'ajouter aux dépenses indiquées d'autres dépenses accessoires en les évaluant à 2,500 francs.
Je rencontre, pour les différentes provinces, des évaluations qui s'élèvent du chiffre de 12,700 francs au chiffre de 17,700 francs. Ce chiffre est détaillé en ce sens qu'on mentionne successivement la maçonnerie des fondations et de l'élévation, les pierres de taille, le pavement, la toiture, le plafonnage, la grosse et la petite menuiserie et c'est sur ces évaluations qu'a été établi le chiffre moyen de 15,000 francs.
M. De Fré. - Et le terrain ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je donnerai volontiers quelques explications à cet égard.
Il était de jurisprudence depuis plusieurs années au département de l'intérieur que c'était la commune qui payait les frais du terrain. Quel était le point de départ de cette jurisprudence ? Je l'ignore et je crois que mes honorables prédécesseurs ne peuvent pas plus que moi l'indiquer exactement. Cette jurisprudence n'a pas commencé à la même date dans toutes les provinces, et lorsqu'on en recherchait le principe il était difficile de savoir si, en présence de réclamations anciennes, il y avait déjà des droits acquis aux communes par suite d'une jurisprudence antérieure.
Cet état de choses constituait une situation mauvaise ; en effet, s'agissait-il d'une commune qui n'avait pas beaucoup de ressources, on choisissait un terrain écarté, peu convenable pour la construction de maisons d'école et l'on se trouvait devant cette contradiction qu'on élevait une maison d'école souvent trop élégante, parfois surchargée d'ornements inutiles, mais dans un terrain détestable où l'accès de l'école était même rendu difficile aux enfants qui devaient la fréquenter. D'un autre côté, lorsqu'il s’agissait de l'acquisition d'un terrain dans des localités plus importantes, par exemple, dans une ville ou dans les faubourgs de Bruxelles, ce terrain coûtait fort cher, et les communes se trouvaient, dès lors, dans un grand état de gêne.
Dans le système que j'indique, on ne pesait pas assez l'importance du prix du terrain comparé au prix de l'édifice lui même.
Cette situation, j'ai cru devoir la faire cesser et j'ai décidé qu'à l'avenir le gouvernement interviendrait dans les frais d'achat du terrain aussi bien que dans les frais de construction de l'école. (Interruption.) Cela se trouve pour la première fois dans la circulaire du 11 décembre.
M. De Fré. - Cela se faisait déjà en pratique.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je déclare que cela ne se faisait pas, que depuis bien des années les communes devaient supporter exclusivement les frais d'achat de terrains. (Interruption.) Cela ne peut pas être contesté.
Veuillez-le remarquer, messieurs, si je demande aux communes d'intervenir d'une manière sérieuse dans les frais de construction de maisons d'école, je leur offre cette compensation importante qu'à l'avenir l'Etat interviendra aussi dans les frais d'achat du terrain. Et si, d'autre part, l'Etat n'impose pas aux communes d'une manière directe ou indirecte des dépenses exagérées quand leurs ressources sont bornées, il y aura là aussi un second bienfait, dont les communes auront à se louer.
Du reste, comme les honorables préopinants l'ont déjà remarqué, le but que nous devons atteindre est bien simple.
Il y a devant nous des besoins impérieux et nous devons, dans le délai le plus rapproché, pourvoir à ces besoins.
Il ne faut pas qu'il y ait quelques localités privilégiées où l'on élève de véritables palais à l'instruction, tandis que d'autres sont encore privées des locaux les plus indispensables. Il faut que, dans un temps peu éloigné, il y ait, jusque dans le dernier de nos villages, une habitation convenable pour l'instituteur et à côté une école réunissant toutes les conditions d'hygiène et de salubrité.
J'ai maintenant, messieurs, à donner quelques explications relativement à cette circulaire du 11 décembre qui a été discutée par plusieurs orateurs de la gauche.
J'ai déjà fait remarquer que cette circulaire était moins l'œuvre du ministre que celle de la commission centrale de l'instruction primaire. J'ai, en effet, dans cette circulaire même, inséré les propositions qu'elle m'a soumises, propositions adoptées à l'unanimité de ses membres et qui avait pour but précisément d'arriver, dans le délai le plus rapproché, à multiplier ces constructions de maisons d'école, déclarées urgentes et indispensables.
Quels sont, messieurs, les principes de celle circulaire ?
Le gouvernement ne pouvait évidemment pas admettre les bases indiquées tout à l'heure par l'honorable M. De Fré et borner à deux centimes additionnels au principal de leurs contributions directes, la part d'intervention des communes, quelles que soient leurs ressources, quelles que soient leurs richesses. Ce système, messieurs, n'a été admis par aucun cabinet et presque jamais il n'a trouvé de défenseurs dans cette enceinte.
Dans tous les temps, on a considéré l'instruction primaire comme constituant un devoir communal. Ces deux centimes additionnels peuvent constituer un minimum ; ils ne sauraient être un maximum.
Lorsque la commune est riche, son premier devoir est de pourvoir à l'instruction primaire ; elle ne saurait, pour s'y soustraire, se retrancher derrière une interprétation erronée de la loi de 1842. Si l'honorable M. De Fré avait quelque doute à cet égard, je l'engagerais à relire, dans les Annales parlementaires, la discussion du mois de juin 1864 dans laquelle l'honorable M. Vandenpeereboom a mis ce principe hors de toute contestation.
M. Elias. - M. Wasseige, votre collègue, le contestait et il n'était pas le seul.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - J'ai contesté certains principes et je les conteste encore.
M. Jacobs, ministre des finances. - Renvoyé au dossier Wasseige !
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je prie les honorables membres de ne pas m'interrompre et de me permettre de répondre à leurs objections.
L'honorable M. De Fré a été plus loin : il a prétendu qu'il y avait contradiction entre ma circulaire et l'exposé des motifs. Il a affirmé, si je l'ai bien compris, que, dans ma circulaire, j'avais été relativement modéré ; mais que, dans l'exposé du projet de loi, j'avais notablement exagéré les charges imposées aux communes, en les portant à 43 1/2 p. c.
Je pense qu'ici il y a une simple erreur de la part de l'honorable membre.
Il est fait mention, en effet, de 43 1/2 p. c. dans l'exposé des motifs ; mais cela ne se rapporte pas le moins du inonde au système que le gouvernement se propose de suivre en 1871 ; cela se rapporte à l'emploi du huitième million, qui a été fait en 1870.
Il ne s'agit donc pas, dans l'exposé des motifs, d'une règle à suivre, mais simplement de la constatation d'un fait accompli.
Voici, en effet, ce qu'il porte :
« La somme de 354,000 francs, dépensée sur le huitième million, a été répartie entre deux cent huit communes, pour être appliquée aux objets ci-après indiqués :
« 1° Construction de 97 maisons d'école, comprenant 139 classes ;
« 2° Agrandissement et amélioration de 51 locaux ;
« 3° Achat de 96 mobiliers classiques ;
« 4° Construction de deux habitations d'instituteur.
« La dépense totale afférente à ces divers articles atteindra le chiffre de 2,633,450 francs. Les provinces se sont engagées à y contribuer pour 588,665 francs, eu un peu plus que 23 p. c,. et le contingent des communes a été fixé à 1,110,152 francs, soit 43 1/2 p. c. »
Il s'agit donc bien positivement du dernier million qui a été voté. S'il est un principe qui me paraît incontestable, c'est qu'il y a lieu de demander aux communes une part d'intervention en rapport avec les ressources dont elles disposent. C'était pour le gouvernement un devoir impérieux de chercher à obtenir ce résultat.
Dans cette discussion de juin 1864, à laquelle nous faisions allusion tout à l'heure, l'honorable M. Vandenpeereboom déclarait qu'il n'y avait pas de question plus grave, plus importante que celle-là ; et il reconnaissait qu'il y avait urgence à déterminer les bases de l'intervention des communes.
C'est cette solution que, d'accord avec la commission centrale de l'instruction primaire, j'ai cru devoir faire figurer dans la circulaire adressée à MM. les gouverneurs à la date du 11 décembre 1870, afin qu'à l'avenir il n'y eût plus pour le gouvernement une faculté arbitraire, mais qu'il existât une règle fixe, déterminant les bases dans lesquelles on se renfermerait dorénavant.
Quelles étaient ces bases ?
Evidemment, il fallait tenir compte des revenus patrimoniaux. Pour les communes comme pour les individus, la possession d'un patrimoine constitue un élément essentiel de leurs ressources. Eh bien, j'ai demandé à la commune 10 p. c. de ses revenus patrimoniaux pour ce grand intérêt, en autorisant la commune à déduire de ses revenus patrimoniaux les (page 592) intérêts de ses dettes et de ses emprunts, et je me suis arrêté à ce point que si les dettes étaient aussi élevées ou plus élevées que les revenus patrimoniaux, il ne serait pas tenu compte de ces revenus.
Mais à côté des revenus patrimoniaux, il y a d'autres ressources considérables qui s'élèvent chaque année ; je veux parler du fonds communal créé depuis l'abolition des octrois. Eh bien, j'ai également demandé une part pécuniaire au fonds communal : et ici j'espère que je ne rencontrerai aucun contradicteur ; car, dans l'exposé des motifs qui a accompagné le projet de loi ayant pour objet d'abolir les octrois, et dans le cours de la discussion, il a été entendu par tout le monde, par le gouvernement comme par les orateurs, qu'une part considérable du fonds communal devait servir au développement de l'instruction publique.
J'ai été étonné d'entendre un honorable préopinant reprocher au gouvernement de se faire une part trop grande d'intervention. Je croyais, au contraire, que le gouvernement n'aurait recueilli que des éloges, lorsque dans cette circulaire il insérait ce principe nouveau, que du moment que l'inspecteur provincial, la députation permanente et le gouverneur se trouvaient complètement d'accord sur le projet de construction d'une école dans une commune, alors que la dépense présenterait le caractère normal, il n'y aurait plus lieu de recouvrir au gouvernement.
L'introduction de ce principe nouveau n'avait pas seulement pour résultat une simplification administrative ; elle permettait de plus dans une foule de cas d'aborder, dans un délai moins éloigné, les travaux reconnus urgents.
Mais, objectait l'honorable préopinant, si les règles existent,, il y a tout à côté l'exception et le gouvernement se réserve en certains cas son approbation. Le motif en est bien simple ; il s'agit de dépenses faites dans des conditions tout à fait exceptionnelles ; il s'agit de communes qui n'ont pas les ressources suffisantes pour payer leur quote-part et dans ce cas, comme les deniers de l'Etat se trouvent engagés, il est juste que l'Etat connaisse les motifs pour lesquels on lui propose de déroger aux règles ordinaires en faveur de ces communes.
M. Elias. - Je demande la parole.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Cela se trouve indiqué de la manière la plus formelle dans la circulaire du 11 décembre 1870.
« Il arrivera, disais-je, dans certains cas particuliers qu'une commune se trouvera dans l'impossibilité de supporter même le tiers de la dépense. Vous voudrez bien présenter, M. le gouverneur, s'il en est ainsi, un rapport motivé qu'accompagnera l'état des ressources locales et la part d'intervention de la commune pourra être exceptionnellement réduite au-dessous du tiers. »
Il a été tenu compte de la position plus intéressante de certaines communes qui n'auront pas de ressources et si l'Etat dans cette situation déroge aux règles ordinaires, c'est assurément parce qu'il aura pu, par le tableau des ressources locales et par les rapports qui lui seront présentés, apprécier si cette exception est justifiée. Je ne veux pas, messieurs, prolonger cette séance, il y a cependant un grand nombre de questions qui me sont adressées et sur lesquelles je désire revenir en quelques mots.
- Voix nombreuses. - mardi !
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Pardon, je désire beaucoup que la discussion de mon budget soit abordée dès mardi.
M. de Macar. - Il y a encore trois orateurs inscrits.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je ne demande que cinq minutes.
L'honorable M. Elias, si je ne me trompe, a fait remarquer qu'une part trop favorable était faite aux communes qui possèdent des biens patrimoniaux ; je crois du moins avoir compris ainsi son observation. Il voudra bien remarquer que les communes qui possèdent des biens patrimoniaux ne sont pas toujours les plus riches.
Dans les pays où des biens patrimoniaux appartiennent aux communes, ce sont presque toujours des terrains incultes et de peu de valeur.
M. Elias. - Je n'ai parlé que des revenus.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il y a souvent des déductions considérables à faire sur les revenus en raison des nécessités d'améliorations, de reboisements, etc. D'un autre côté, M. Elias a parlé de certaines communes où la construction d'écoles se représentait à des époques très rapprochées. Je crois même que l'honorable membre est allé jusqu'à dire qu'il existait des communes où chaque année on construisait des écoles ; je ne pense pas, messieurs, que jusqu'ici cet exemple se soit offert.
Assurément, dans certaines communes, cela peut se renouveler à des époques plus rapprochées qu'ailleurs, mais s'il est vrai qu'il est des communes où l'accroissement de la population s'élève de 2,000 ou 3,000 habitants chaque année, c'est évidemment que dans ces communes il y a un grand mouvement de prospérité et c'est surtout là que les ressources de la commune seront suffisantes pour subvenir à ses besoins.
Messieurs, il me reste à répondre à deux questions qui m'ont été adressées.
D'une part, un honorable préopinant a demandé si le crédit sollicité par le gouvernement s'appliquait à d'autres établissements qu'aux écoles primaires communales.
Je répondrai que le crédit sollicité ne sera appliqué qu'aux écoles primaires communales, sans y comprendre les écoles adoptées.
Il est un autre point sur lequel j'ai été interpellé par un honorable représentant de Bruxelles. Il m'a demandé s'il était vrai que le gouvernement considérât les dépenses de l'instruction gratuite accordée aux enfants des pauvres comme une charge exclusivement communale et dans laquelle l'Etat n'avait pas à intervenir.
Je tranquilliserai l'honorable représentant de Bruxelles. Je croyais, messieurs, que c'était en quelque sorte inutile aujourd'hui. Il n'y a pas bien longtemps que j'adressai à M. le gouverneur du Brabant une lettre qui n'est pas très longue, qui forme l'expression complète de mes sentiments à cet égard et que je demanderai à la Chambre la permission de lui lire en terminant ce discours :
« L'instruction primaire des enfants pauvres constitue pour la commune, à défaut du bureau de bienfaisance, mieux qu'une charge : elle représente un devoir. Le devoir de la province et celui de l'Etat ne peuvent pas davantage être révoqués en doute. Lorsque la commune a loyalement rempli toutes ses obligations, celles de la province et de l'Etat commencent.
« En ce qui touche le gouvernement, il n'oubliera point qu'un grand intérêt social lui fait une loi de moraliser et d'éclairer par l'enseignement les générations nouvelles des classes laborieuses, afin de les associer dans la plus large mesure au développement intellectuel et matériel du pays. »
Je termine, messieurs.
Je ne doute point que la Chambre ne vote à l'unanimité le crédit que je sollicite.
Le gouvernement, aussi bien que la Chambre, voue toute sa sollicitude au développement de l'instruction primaire.
Aujourd'hui, nous nous occupons et de la maison de l'instituteur et de la salle où il réunira ses élèves. Je suis convaincu que la Chambre, avec la même unanimité, votera bientôt un projet de loi destiné à améliorer la situation de nos instituteurs, de nos bons et honnêtes instituteurs dans les dernières années de leur carrière ; j'espère aussi que, dans un temps qui n'est pas éloigné, nous pourrons faire quelque chose de plus en améliorant leur position pendant le cours des utiles et laborieux travaux auxquels ils se consacrent tous les jours.
- La clôture est demandée.
M. Elias (contre la clôture). - Il me semble que la Chambre ne peut pas me refuser de répondre quelques mots à l'honorable ministre de l'intérieur.
M. de Theux. - Combien y a-t-il encore d'orateurs inscrits ?
M. le président. - Deux, M. Julliot et M. Elias.
M. De Fré. - J'avais aussi quelques observations à présenter à l'honorable ministre de l'intérieur. Mais, comme l'heure est très avancée, je renonce aujourd'hui à la parole pour lui répondre, lors de la discussion de l'article du budget relatif à l'instruction primaire.
M. David. - Je voulais dire quelques mots des circulaires de l'honorable ministre de l'intérieur. Je n'approuve pas ces circulaires et malgré cela, je voterai le projet de loi. J'aurais voulu entrer dans quelques développement ; mais puisque la Chambre désire la clôture, je renonce à la parole.
M. Muller. - Du moment qu'il est entendu qu'on pourra reprendre cette discussion à l'occasion du chapitre du budget relatif à l'instruction, je crois que nous pouvons clore.
- La clôture est prononcée.
u Art 1er. Un neuvième crédit extraordinaire d'un million de francs (fr. 1,000,000) est ouvert au département de l'intérieur, pour aider les communes à subvenir aux frais de construction et d'ameublement de maisons d'école. »
- Adopté.
« Art. 2. Ce crédit sera couvert soit par des bons du trésor, soit par l'émission d'obligations de la dette 4 1/2 p. c. (6ème série). »
(page 593) M. le président. - Je croîs que M. le ministre des finances a un changement à faire à cet article.
M. Jacobs, ministre des finances. - Oui, M. le président, comme pour les lois précédentes.
M. le président. - En ce cas, l'article 2 est ainsi conçu :
« Ce crédit sera couvert par des bons du trésor. »
- L'article 2 ainsi rédigé est adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 70 membres présents.
Ce sont :
MM. Allard, Bara, Bergé, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Cornesse, Dansaert, David, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, de Haerne, Delcour, de Lexhy, de Liedekerke, de Macar, Demeur, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smet, de Theux, Dethuin, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hayez, Jacobs, Jamar, Jottrand, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Liénart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Orts, Rembry, Sainctelette, Simonis, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters et Vilain XIIII.
- La séance est levée à 5 heures.