Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 28 janvier 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 473) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres de l'administration communale et des habitants de Vieux-Ville demandent l'érection de la chapelle de la commune en succursale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal d'Erpion prient la Chambre d'accorder au sieur Closon la concession d'un chemin de fer de Bonne-Espérance-Beaumont à Romedenne et Givet. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Molenbeek-Wersbeek prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Tirlemont vers Diest, passant par leur commune. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Fize-Fontaine demande qu'il soit pris des mesures pour assurer l'exécution de la loi du 19 mars 1866, qui a pour objet de faire intervenir les exploitations industrielles dans l'entretien des chemins vicinaux, par des subventions spéciales proportionnées aux dégradations qu'elles occasionnent. »

M. Lelièvre. - Je demande que cette requête, ayant un caractère d'urgence, soit renvoyée à la commission des pétitions, qui sera priée de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Schreurs, batelier, ayant perdu son bateau au pont d'Ougrée, sur la Meuse, demande un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Baelen présente des observations sur le rapport du commissaire d'arrondissement dans l'affaire de la demande en séparation d'habitants de Dolhain pour être réunis à la commune de Limbourg. »

- Même renvoi.


« La veuve Pirlet demande un congé pour son fils, milicien de 1869, incorporé au 3ème régiment de chasseurs à pied. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Linkebeek demandent que le vote ait lieu a la commune pour toutes les élections. »

« Même demande d'habitants de Pamel et de Sempst. »

- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.


« Le conseil communal de Veerle demande le vote dans les élections au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Rebecq-Rognon prie la Chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire. »

M. de Vrints. - Vu l'intérêt que présente cette pétition, j'en demande le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Les instituteurs du canton de Beauraing proposent des mesures pour améliorer leur position. »

- Renvoi a. la section centrale chargée d'examiner le projet de loi établissant une caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires.

« Le sieur Briard prie la Chambre de garantir les droits et les intérêts des porteurs d'obligations des chemins de fer concédés dont l'exploitation est rétrocédée à l'Etat, par une disposition analogue à celle qui a été prise dans la convention approuvée par la loi du 8 juillet 1858, pour la garantie des porteurs d'obligations de la Société des chemins de fer de Namur à Liège et de Mons à Manage. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi approuvant la convention avec la société des Bassins houillers du Hainaut.


« M. Lescarts demande un congé pour la séance d'aujourd'hui. »

- Accordé.


M. le président. - J'ai reçu de notre honorable collègue, M. Warocqué, la lettre suivante :

« Monsieur le président,

« Retenu chez moi depuis trois jours, par une indisposition,, je viens seulement de lire dans les Annales parlementaires le discours prononcé par M. Boulenger, dans la séance du 26 de ce mois. Il est exact, ainsi que l'a dit mon honorable collègue, que j'ai été commissaire de la compagnie des Bassins houillers. J'avais accepté ces fonctions dans la croyance que ma présence dans le conseil de cette compagnie pourrait servir les intérêts de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter ; mais je tiens à faire connaître à la Chambre qu'en présence de la direction imprimée aux opérations de cette société, j'ai cru devoir renoncer, depuis longtemps déjà, à ces fonctions et ne conserver aucune des 25 actions que j'avais dû acquérir en ma qualité de commissaire.

« J'ajouterai que, bien qu'à cette époque, ces actions fissent prime, j'ai tenu à ne les céder à mon successeur qu'au prix que je les avais payées.

« Me trouvant dans l'impossibilité, par suite de mon indisposition, de faire cette déclaration à la Chambre, je me permets, M. le président, de vous prier de vouloir bien lui donner lecture de ma lettre dans la séance de ce jour et, en tout cas, avant le vote de la loi soumise en ce moment aux délibérations de la Chambre.

« Agréez, etc.

« Signé : Warocqué.

« Bruxelles, le 28 janvier 1871. »

Projet de loi relatif aux déplacement de l’établissement de la Monnaie

Rapport de la commission

M. Anspach. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif au déplacement de l'établissement de la Monnaie.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. Je vous propose, messieurs, de porter le projet de loi en fête de notre ordre du jour de mardi prochain.

Il y a quelques projets de loi prêts à être fournis aux délibérations de la Chambre et dont on attend le vote pour convoquer le Sénat.

M. De Lehaye. - Il vaudrait mieux, je pense, renvoyer ce projet après la discussion qui est maintenant engagée.

M. Anspach. - J'ai une observation à soumettre à la Chambre. Des conventions provisoires sont intervenues entre le gouvernement et le directeur de l'établissement de la Monnaie. Ces conventions fixent un délai fatal, après lequel elles seront nulles et non avenues si elles n'ont pas été (page 474) approuvées. Ce délai est fixé au 1er mars prochain. L'objet est donc urgent et je prie la Chambre de vouloir bien s'en occuper le plus tôt possible. Je ne pense pas qu'il soulève aucune discussion dans cette enceinte. On pourrait donc sans inconvénient s'en occuper au début de la séance de mardi.

M. Frère-Orban. - On ne peut pas interrompre une discussion comme celle qui occupe en ce moment la Chambre. Je demande qu'on mette le projet de loi relatif à la Monnaie à la suite de cette discussion.

M. Lelièvre.- Je pense qu'il ne faut examiner le projet dont il s'agit qu'après le voie de celui qui est maintenant en discussion.

M. Vander Donckt. - Je dois rappeler à la Chambre qu'elle a décidé, dans une précédente séance, qu'elle s'occuperait des prompts rapports immédiatement après la discussion actuelle. Il y a décision formelle de la Chambre.

M. le président. - Il y a, en effet, décision de la Chambre. Il a été décidé que les prompts rapports seraient faits et discutés après la discussion dont nous nous occupons.

M. Lelièvre. - Il est évident que le projet de loi sur la Monnaie a un caractère d'urgence plus prononcé que les prompts rapports dont parle l'honorable M. Vander Donckt.

Je pense donc qu'il est préférable d'accorder à ce projet la priorité après le vote sur la convention en discussion. Je propose, en conséquence, à la Chambre de statuer en ce sens.

M. le président. - M. Lelièvre demande que, nonobstant la décision de la Chambre, la discussion du projet de loi relatif à l'hôtel de la Monnaie vienne immédiatement après la discussion actuelle.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi approuvant la convention conclue avec la société anonyme de chemins de fer des Bassins houillers du Hainaut

Discussion générale

M. Liénart, rapporteur. - En terminant hier, je disais à la Chambre que l'ancien cabinet avait omis de s'informer des droits de son vendeur, et c'est à qui des ministres démissionnaires rejettera la faute sur son collègue.

L'honorable M. Frère-Orban a commencé par nous déclarer qu'il n'avait reçu qu'à deux reprises la visite de M. l'administrateur délégué. Le titulaire ancien du département des travaux publics, l'honorable M. Jamar, sur qui pèse la plus grande part de responsabilité, nous a représenté hier le cabinet de son collègue de l'intérieur comme le théâtre des principales négociations et l'honorable M. Pirmez comme le confident, j'ai noté le mot, des projets et des espérances de M. l'administrateur,- et l'honorable M. Pirmez a évidemment trop d'esprit pour ne pas chercher à se débarrasser de cette accointance compromettante, si les appréciations de M. Frère-Orban, relativement aux agissements de M. l'administrateur délégué, ont le moindre fondement. Si superficiel a été cet examen, que nul n'en réclame la responsabilité.

J'en reviens à l'action résolutoire.

La crainte d'une action résolutoire ne peut pas nous toucher, en ce qui concerne le projet, de la part des sociétés qui n'ont jamais eu de matériel : c'est le cas pour un très grand nombre ; elle ne peut nous toucher davantage de la part des sociétés dont le matériel n'est pas payé comptant ; enfin, elle ne saurait nous toucher davantage de la part des sociétés qui, dans la ratification donnée à la convention du 25 avril emportant aliénation, au profit de l'Etat, du matériel, ont renoncé à toute action résolutoire « en tant qu'elle pourrait avoir effet contre l'Etat ».

La rédaction de cette réserve a été formulée par les avocats consultants dont j'ai donné les noms hier ; je renvoie, pour abréger, à la consultation publiée dans le Moniteur des Intérêts matériels du 27 novembre, page 697, où l'adoption de cette formule, pour un cas analogue, la cession des annuités, se trouve motivée.

La société du Haut et Bas Flénu tombe seulement en dehors de toutes ces exceptions en ce sens que l'action résolutoire, à laquelle il n'a pas été renoncé ou à laquelle il n'a été renoncé qu'imparfaitement, pourrait atteindre au delà du matériel qui a été repris de cette ligne et qui a été soustrait à la capitalisation ; c'est, en effet, une question de savoir si l'action résolutoire s'appliquerait à tout le matériel spécial employé sur ses lignes à petite section ou à une quantité de matériel égale à celle inventoriée le 31 décembre 1865 et reçue le 25 juin 1866.

La Chambre a maintenant sous les yeux toutes les questions qui se rattachent à la reprise du matériel. Si j'ai abusé de son attention, le désir d'éclairer sa religion sera mon excuse.

Parmi ces questions, il en est qui sont sujettes à controverse et j'admets qu'elles puissent recevoir devant les tribunaux une solution que la section centrale n'aurait pas prévue.

Mais l'honorable ministre des finances a adhéré, sous la date du 16 janvier 1871, à un nouvel arrangement qui majore la part réservée à concurrence de 13,600,000 francs ; si je prouve que ce chiffre de 13,600,000 fr. est suffisant pour parer à toute éventualité fâcheuse, aurais-je raison de dire que tout motif de doute doit disparaître et que l'hésitation que pourraient encore concevoir certains membres de cette Chambre ne peut survivre à cette démonstration

En adhérant à cette nouvelle et dernière proposition, l'honorable ministre des finances a fait d'une pierre deux coups : il a ajouté aux garanties des obligataires, il a ajouté aux sûretés de l'Etat.

A supposer la résiliation de la convention :

La Société Hainaut-Flandres réclamera son matériel et l'Etat perdra son procès ; je porte de ce chef 2,145,000 fr.

La Compagnie de l'Ouest, qui n'a jamais eu de matériel, réclame une compensation et l'Etat perdra son procès ; je porte de ce chef une somme bien supérieure à celle qu'il faut pour le service de la ligne de Denderleeuw à Courtrai, soit 900,000 fr.

La Société du Centre revendiquera, elle aussi, non seulement son matériel ancien, mais le matériel acheté au moyen des 16,000 obligations et l'Etat perdra son procès sur les deux chefs ; je porte une somme de 4,110,000 fr. pour l'ancien matériel et une somme de 3,670,000 fr., valeur justifiée sur les 16,000 obligations en acquisition de matériel.

La Société de Tamines à Landen réclamera une garantie de 2 millions, parce qu'elle a stipulé, dans le principe, que les lignes devront être desservies par un matériel de cette valeur, et bien qu'elle ait consenti à la convention et renoncé à toute action résolutoire, l'Etat perdra son procès ; je porte encore 2,000,000 fr.

J'ajoute, en dernier lieu, un capital de 700,000 fr. représentant le matériel du prince de Chimay, et j'arrive à quelle conclusion ? Au chiffre de 13,525,000 francs, chiffre inférieur à celui de 13,600,000 francs qui est réservé par le projet.

Je n'ai pas parlé du matériel du Haut et Bas Flénu, ni du matériel de la Jonction de l'Est, parce que ces sociétés ont fait à l’action résolutoire une renonciation inattaquée et inattaquable, attendu que la renonciation n'a été faite que pour autant que le gouvernement leur paye directement les rentes qui leur sont dues par la Compagnie des Bassins houillers ; le gouvernement, de son côté, n'a pas intérêt à rompre le contrat, puisque les recettes brutes ont été, en 1869, de près de trois millions, soit une recette nette de 1,500,000 francs, tandis que la rente à payer de ces trois sociétés n'est que de 1,280,000 francs, ce qui donne un bénéfice pour l'Etat de 220,000 francs par an, sans compter l'accroissement de l'avenir. Donc, pas d'action résolutoire à craindre ni de part ni d'autre.

L'ensemble des observations qui précèdent donnera, je l'espère, à la Chambre l'assurance que l'adoption du projet ne fera courir aucune chance fâcheuse au trésor.

La majorité en le votant fera-t-elle un acte politique ? Non. J'en atteste le discours de l'honorable administrateur des Bassins houillers, notre collègue, qui a répondu à la main secourable que nous tendons aux Bassins houillers par une provocation qui me paraissait devoir aller à une autre adresse. Elle a en vue seulement de poser un acte éminemment équitable et intéressant à la fois la fortune publique et la fortune privée.

Le mot de faillite a été jeté dans le débat avec une inconcevable légèreté. On l'a prononcé presque le sourire sur les lèvres. Ceux-là ne savent pas tout ce que ce mot renferme de déceptions amères et d'incalculables désastres ; de déceptions amères pour les populations qui attendent impatiemment l'achèvement des lignes qui doivent mettre en leurs mains ce puissant levier de la production, dont l'honorable M. Sainctelette a fait hier ressortir toute l'importance ; d'incalculables désastres pour les nombreux porteurs d'obligations dont les intérêts sont engagés dans l'entreprise et condamnés à péricliter avec la société qui en est le support. Et si, ce qu'à Dieu ne plaise ! cette perspective devait s'accomplir dans sa sombre et navrante réalité, j'aimerais encore mieux me compter au nombre de ceux qui ont travaillé à conjurer le mal que parmi ceux qui l'ont envisagé avec une indifférence presque coupable.

(page 475) La vérité commence à se faire jour au travers et au-dessus de nos récriminations politiques ; les obligataires apprécient les bienfaits de lu solution amiable à laquelle l'honorable ministre des finances a bien voulu prêter son concours. Que dis-je ? nos adversaires eux-mêmes revendiquent en partie l'honneur d'avoir amené ce résultat, et la bourse n'attend que le vote du projet de loi pour le saluer par une hausse marquée.

J'ai dit et j'engage la Chambre à ne pas laisser dévier le débat.

(page 477) M. Bara. - Messieurs, j'ai pris part à la convention du 25 avril et je n'entends pas me soustraire a la responsabilité qui peut poser sur ses auteurs. C'est pourquoi je prends la parole.

Je me félicite, messieurs, de la discussion longue à laquelle donne lieu le projet qui nous est soumis ; elle était nécessaire à plus d'un titre.

Il est évident que le crédit des sociétés de chemins de fer était considérablement ébranlé, si l'on ne venait pas dans cette enceinte rassurer les porteurs d'obligations et démontrer qu’il y a des limites devant lesquelles les sociétés de chemins de fer doivent s'arrêter, lorsqu'il s'agit du droit des obligataires.

Ce n'est pas en vain que la société des Bassins houillers a fait de nombreux traités et a cherché à persuader au public que les obligataires n'avaient pas de droit. Il en est résulté une grande méfiance à l'égard des valeurs de chemins de fer et ce serait un grand malheur pour la Belgique si ces craintes ne disparaissaient pas, si les obligataires, si nombreux et si dignes d'intérêt, pouvaient se croire à la merci des actionnaires et des administrateurs. Cette absence de sécurité non seulement ferait abandonner par le public les obligations de nos lignes ferrées, mais elle rendrait impossible la construction de nouveaux chemins de fer. Le, débat actuel, tout en ne paraissant concerner que les Bassins houillers, a une portée bien plus étendue, et touche aux intérêts les plus considérables tant de l'Etat que de la fortune des particuliers.

Mais, messieurs, s'il est important de traiter la question qui vous est soumise à ce point de vue, il en est un autre qui nous touche personnellement de près.

Nous avons participé à la convention du 25 avril. Nous avons cru faire chose utile et honorable, et voici qu'on vient prétendre, aujourd’hui, que s'il y a une lésion pour les obligataires, s'il y a un dommage pour les tiers, c'est cette convention qui en est cause.

La convention a été déposée le 29 avril ; c'est le 19 mai seulement qu'elle a été votée par le Sénat ; c'est le 5 juin qu'elle a été publiée. Eh bien, trois mois après cette date, il ne se produisait pas la moindre attaque contre la convention. Personne ne faisait entendre de critique. Aujourd’hui, comme par enchantement, tout le monde parle. On proclame, que ce qu'on ne voyait pas alors est lumineux comme le soleil.

Toute cette presse qui fait avec tant d'assurance reproche à l'ancien ministère d'avoir sacrifié le droit des obligataires, où est sa vigilance, où est sa clairvoyance, où est sa sollicitude pour les droits des petits rentiers ? Elle, qui se dit si soucieuse des droits des obligataires, qu'a-t-elle fait pendant les trois ou quatre mois qui ont précédé la constitution de la caisse des annuités ? Dès le 3 juin, tout au moins, et du reste bien avant, elle avait la convention sous les yeux. Pourquoi s'est-elle tue, pourquoi a-t-elle loué au lieu de blâmer ?

Il n'y a pas un projet de n'importe quelle espèce, même en dehors de l'action législative, qu'elle n'examine et ne discute ; sur lequel elle ne fasse des articles élogieux ou blâmables, et d'une convention aussi importante, que celle du 25 avril, qui aurait lésé les porteurs de plus de cent millions d'obligations, elle n'aurait pas dit un mot ; elle n'aurait pas aperçu et signalé ces prétendus dangers pour les obligataires ?

Quand est venue la critique, messieurs ?

Quand la politique s'en est mêlée, alors, messieurs, qu'il fallait aider le gouvernement actuel et favoriser les projets des Bassins houillers contraires à l'interprétation loyale de la convention du 25 avril. On a trouvé que, dans l'intérêt du ministère et des Bassins bouille.rs, il serait très habile de laisser à l'ancien cabinet la responsabilité de tout ce qui arriverait, même par suite d'une exécution vicieuse de la convention du 25 avril. Comme l'ancien cabinet est, en ce moment ; accusé des plus grands méfaits, un grief de plus à sa charge ne ferait absolument rien. (Interruption.)

Quelque difficulté qu’il y ait, messieurs, à parler contre une compagnie puissante qui a l'oreille de presque toute la presse, quelque peu de chance qu'il y ait de faire adopter une opinion raisonnable et désintéressée, il faut encore servir la cause de la vérité parce que, dans un temps plus rapproché qu'on ne pense, on verra les conséquences du système que l'on veut introduire aujourd'hui.

La convention du 25 avril avait pour but l'intérêt public.

Je ne suis pas un homme technique, mais il est clair, après las discussions que vous avez entendue, d'après ce que tour homme de bon sens peut savoir, qu'il y avait la plus grande utilité à réunir dans les mains de l'Etat les chemins de fer qui se trouvaient dans la possession de la compagnie des Bassins houillers.

C'est ce qui a été fait. Les difficultés provenant de l'enchevêtrement des réseaux, des tarifs mixtes, de la dénonciation possible et probable de ces tarifs ; tout obligeait l'Etat à reprendre l'exploitation de ces lignes. Nous avons donc servi un intérêt public en signant la convention.

Mais, messieurs, il y avait deux autres intérêts en présence que nous n'avons pas négligés : celui des obligataires et celui des Bassins houillers.

Vis-à-vis des Bassins houillers que pouvions-nous faire ? Que sa situation alors eût été bonne ou mauvaise, nous ne pouvions lui dire qu'une chose : Nous vous donnons la valeur de vos lignes, rien de plus, mais aussi rien de moins. (Interruption.)

Oh ! vous voulez prétendre que si les Bassins houillers étaient à cette époque dans une mauvaise situation, nous aurions dû les sauver ! Mais de quel droit l'aurions-nous fait ? Nous ne pouvions donner que ce que valaient les lignes ; nous ne pouvions aller au delà.

Si la ruine des Bassins houillers était certaine, inévitable, nous n'avions pas à l'empêcher avec l'argent des contribuables. C'est pourquoi nous n'avons pas dit à la compagnie : Nous allons vous sauver, nous allons assurer votre avenir. Mais nous lui avons tenu ce langage : Nous allons vous faire la position la plus avantageuse que vous puissiez espérer de notre concours, nous allons vous donner de vos lignes tout ce que vous êtes légitimement en droit d'en demander, et si vous pouvez vous tirer de vos difficultés, personne moins que nous ne peut vous y aider. Mais il nous était interdit d'aller au delà.

Qui donc oserait prétendre que pour sauver une compagnie de chemins de fer, représentant l'intérêt privé, on puisse puiser dans la caisse du trésor et donner à cette compagnie de ses lignes plus qu'elles ne valent ? Personne. Si avec l'arrangement que nous avons soumis à la compagnie, celle-ci ne pouvait satisfaire à tous ses engagements, tant pis pour elle.

Maintenant quel devait être notre rôle, vis-à-vis des obligataires ?

Deux hypothèses pouvaient se présenter : ou la compagnie était solide, elle n'avait rien à craindre pour l'avenir et alors l'arrangement que nous faisions avec elle ne pouvait léser les obligataires ; ou bien elle était dans de mauvaises conditions, dans ce cas, en accordant 7,000 francs par kilomètre, en stipulant que le prélèvement s'augmenterait au fur et à mesure de l'accroissement des recettes, nous donnions aux obligataires tout ce que nous pouvions. Nous leur disions : Vous avez un exploitant meilleur que les Bassins houillers, vous avez un exploitant qui fera fructifier vos lignes le mieux possible et vous pouvez être certains que tout le revenu des lignes vous sera attribué.

Voilà le véritable esprit de la convention. Et qu'était-ce, en définitive, que cette convention ? C'était un sous-bail, rien qu'un sous-bail.

La compagnie des Bassins houillers avait pris à bail un grand nombre de chemins de fer ; l'Etat se mettait au lieu et place de cette société pour exploiter toutes ses lignes. Il n'y avait pas d'autre contrat qu'un contrat de sous-location, et je prie les honorable membres de la Chambre qui sont jurisconsultes de nous démontrer, s'ils le peuvent, que nous avons fait autre chose.

Je ne parle pas de la partie du contrat relative aux lignes à construire ; je m'occupe et je n'ai à m'occuper que des lignes existantes et exploitées par les Bassins houillers ; nous les avons reprises en sous-location, et nous étions soumis à l’action résolutoire absolument dans les mêmes conditions que la compagnie des Bassins houillers, c'est-à-dire que si les Bassins houillers ne payaient pas ce qu'ils devaient aux sociétés, nous étions tenus de restituer les lignes.

Mais, nous dit-on, pourquoi n'avez-vous pas fait plus ; pourquoi n'avez-vous pas stipulé dans le contrat l’incessibilité des annuités ?

A mon tour je demande pourquoi l'Etat devait refaire tout ce qui concernait les sociétés dont il reprenait les lignes. De quel droit aurions-nous proclamé l'incessibilité ? D'abord, nous ne le pouvions pas : pour proclamer l'incessibilité des créances, il fallait modifier les statuts des sociétés : il fallait donc, non seulement changer les statuts de la société des Bassins houillers, mais ceux de toutes les autres sociétés dont ils avaient loué les lignes, car la cession des créances est de droit commun.

Puis, messieurs, pour décréter cette incessibilité, il fallait évidemment faire une différence entre les obligations. Est-ce que nous aurions pu mettre sur la même ligne les obligations du Centre par exemple et celles de Tamines-Landen ? Est-ce que nous aurions pu dire à la compagnie des Bassins houillers : Nous vous donnons autant de mille francs par (page 478) kilomètre, mais vous allez stipuler l'incessibilité des annuités au profit des sociétés sans faire de distinction entre les lignes ? Cela eût-il été juste ; cela eût-il été moral ?

Il fallait donc convoquer les obligataires, et du jour ou nous l'aurions fait nous aurions fait grandir les exigences de ces intéressés. Il eût été de toute impossibilité d'obtenir une répartition juste entre les divers obligataires.

Ensuite, qu'est-ce que cette théorie qui consiste à prétendre que l'Etat par cela seul qu'il fait une opération comme exploitant de chemin de fer, est tenu de se mettre entre les créanciers et les débiteurs et doit refaire des contrats qui les lient les uns vis-à-vis des autres ?

M. Brasseur. - Mais non !

M. Bara. - Mais non, dites-vous ; c'est très facile à dire, mais veuillez-vous expliquer ; je vous permets de m'interrompre.

Je dis que l'Etat devait refaire les contrats s il voulait déclarer que les annuités étaient incessibles.

M. Brasseur. - On les tient à la disposition des créanciers.

M. Bara. - Joli système vraiment !

Vous savez un peu de droit civil, je suppose. Eh bien, comment tient-on une chose à la disposition d'un tiers ? Par le gage et le nantissement, n'est-ce pas ? Or, je vous le demande, où est ici le gage ou le nantissement ?

Il fallait prendre les annuités, les mettre en dépôt avec affectation spéciale au profit des obligataires. Comment aurait-on procédé ? Combien aurait-on mis de titres en gage ? Cela n'était possible qu'après une ventilation, qui aurait dû être acceptée par toutes les sociétés et par les obligataires, sinon vous deviez sortir de votre base uniforme de 7,000 francs par kilomètre. L'Etat devait donc intervenir, prendre chaque société une à une et fixer la part de chacune d'elles. Eh bien, dans ces conditions, le contrat était radicalement impossible.

Ce que je vous dis ici, messieurs, est élémentaire. Quand les Bassins houillers consultent leurs avocats, comment ceux-ci s'expriment-ils au sujet de la convention du 25 avril ?

Ecoulez, messieurs :

« Par le traité fait avec l'Etat, la société des Bassins houillers acquiert à charge de l'Etat une créance qui, comme telle, est parfaitement cessible. La société peut donc la vendre à un tiers tel, par exemple, qu'une institution dont les statuts autoriseraient pareil achat. Nous pensons que la validité de ce transfert n'est pas subordonnée à l'autorisation des porteurs d'obligations des différentes sociétés concessionnaires des lignes dont l'exploitation est reprise par l'Etat.

« Ces porteurs d'obligations ne sont, en effet, que de simples créanciers, qui n'ont qu'un droit tout personnel contre leurs débiteurs. Mais en est-il de même des sociétés concessionnaires ? La question paraît plus douteuse.

« On peut soutenir que la cession du droit d'exploiter un chemin de fer concédé doit être assimilée à un contrat de bail. Dans ce système, la société des Bassins houillers, en transférant à son tour à l'Etat son droit d'exploitation, ferait en réalité une sous-location. »

Voici l'appréciation de MM. les avocats : le contrat que vous avez passé avec l'Etat, disent-ils aux Bassins houillers, la convention du 25 avril est une sous-location ; rien de plus. Dans une autre partie de leur consultation, ils ajoutent : « Et l'on trouve dans les dispositions du code civil relatives à ce contrat une application du principe qui vient d'être rappelé : l'article 1717, qui reconnaît le droit de céder le bail ou de sous-louer à moins d'une défense expresse. »

MM. les avocats déclarent donc formellement que la convention du 25 avril n'est qu'un sous-bail, rien qu'un sous-bail.

Nous n'avons jamais voulu être que des sous-locataires.

Après le contrat, quelle était notre position ?

Si la compagnie des Bassins houillers ne payait pas les annuités aux porteurs d'obligations, le contrat était soumis à résiliation ; les sociétés reprenaient leur avoir, leurs chemins de fer.

Voilà la véritable situation.

Nous n'ayons pas acheté les lignes, nous les avions simplement sous-louées ; si nous avions exigé la renonciation des sociétés primitives à l'action résolutoire, nous eussions fait un acte malhonnête, nous aurions spolié les obligataires. Aussi ne l'avons-nous pas fait. L'article 03 de la convention ne réclame que la ratification du sous-bail et n'exige pas la renonciation à l'action résolutoire.

Mais, nous dit-on, c'est l'article 59 de la convention qui est cause de tout le mal ! Cet article 59 est un véritable Deus ex machina pour le gouvernement actuel ; il sert de prétexte aux critiques qu'il dirige contre l'ancien cabinet à propos de prétendues lésions infligées aux obligataires.

Voyons en quoi ce fameux article 59 a fait tant de mal. Lisons-le d'abord, ce ne sera pas inutile, car je suis convaincu qu'il y a bien des personnes qui en parlent sans en connaître les termes. Voici comment il est conçu :

« Les transferts qui auraient pour objet les annuités à payer par l'Etat et les titres, en nom ou au porteur qui, en représentation des valeurs transférées, seraient émis pour toucher ces annuités, seront exempts des droits de timbre et d'enregistrement. Ceux de ces actes qui seront présentés à l'enregistrement seront enregistrés au droit fixe de 2 fr. 20 c. »

Voilà donc la cause de tout le mal !

« Je vous en laisse tout l'honneur ou tout le déshonneur, » nous disait-on l'autre jour du banc ministériel.

Eh bien, messieurs, examinons en quoi le mal consiste.

S'agit-il du mal résultant de ce que le transfert et les titres sont exempts du droit de timbre et d'enregistrement ?

Le fisc seul pâtira de cette disposition, et je ne pense pas que ce point de vue vous préoccupe beaucoup.

Mais, dit-on, si vous avez exempté les transferts du droit de timbre et d'enregistrement, c'est que vous les autorisiez. Mais, sans doute, nous les autorisions ; il n'est jamais venu à notre pensée de les défendre ; nous sommes restés sur le terrain du droit commun et, d'après le droit commun, toute créance est cessible.

Mais, ce que vous oubliez d'ajouter, c'est que nous n'avons jamais autorisé la compagnie des Bassins houillers à faire des transferts et à émettre des titres en fraude des droits de ses créanciers. Or, pour que votre thèse fût fondée, pour que vos critiques fussent vraies, il faudrait que vous nous démontriez, qu'en vertu de la convention avec les Bassins houillers nous avons autorisé les transferts et l'émission des titres au porteur au préjudice des créanciers des Bassins houillers. Remarquez qu'une pareille stipulation serait radicalement nulle, comme contraire à l'ordre public, mais encore faudrait-il prouver que semblable disposition existe.

Relisons encore l'article 59 : « Les transferts qui auraient pour objet les annuités à payer par l'Etat et les titres en nom ou au porteur qui, en représentation des valeurs transférées, seraient émis pour toucher ces annuités, seront exempts des droits de timbre et d'enregistrement. Ceux de ces actes qui seront présentés à l'enregistrement seront enregistrés au droit fixe de 2 fr. 20 c. »

C'est d'un article ainsi rédigé que l'on infère que la compagnie des Bassins houillers a, de par le gouvernement, le droit de faire tout ce que bon lui semble, sans respecter les droits de ses créanciers !

Etrange système d'interprétation ! Et vraiment, les honorables membres qui l'ont trouvé feraient bien de ne pas se borner à de pures allégations.

Evidemment, messieurs, nous admettions les transferts, mais les transferts effectués conformément à la loi. Prétendez-vous que dans aucun cas la compagnie des Bassins houillers ne pouvait transférer les annuités conformément à la loi ? Mais je suppose qu'elle ait ouvert sa caisse et qu'elle ait offert aux porteurs d'obligations l'échange des titres moyennant écus ; je suppose encore qu'elle se soit mise d'accord avec les obligataires pour la conversion de leurs titres ? Est-ce que la compagnie des Bassins houillers ne pouvait, dans une situation donnée, rentrer en possession de ses titres d'obligations et quelle raison y eût-il eu alors de l'empêcher de constituer une caisse chargée de la gestion des annuités ?

C'était un mode de transfert parfaitement conforme à la loi et ne lésant personne.

La compagnie des Bassins houillers n'avait qu'à faire des propositions dans ce sens aux obligataires ; si les obligataires les acceptaient, le transfert devenait légal.

Et je demande, messieurs, aux honorables membres qui ont combattu l'article 59 parce qu'il n'établit pas l'incessibilité des annuités, pour quel motif ils auraient interdit l'opération que je viens d'indiquer. La société avait parfaitement le droit, si les obligataires acceptaient les propositions qu'elle faisait, de reprendre ses obligations et de faire de ses annuités ce qui lui convenait le mieux. Dès qu'elle n'avait plus de créanciers, pourquoi n'aurait-elle pas pu disposer de son avoir au mieux de ses intérêts ?

Eh bien, c'était pour cette hypothèse que l'article 59 devait recevoir son application et c'est pour cela qu'il se sert du conditionnel : « le transfert qui aurait pour objet... etc. » Ce qui veut dire, que pour le cas où la société s'entendrait avec ses créanciers, elle pourrait loyalement, légitimement transférer les titres et former une caisse d'annuités.

Voilà l'opération que la société pouvait faire. Au surplus, comment des jurisconsultes peuvent-ils soutenir devant la Chambre que nous avons pu, par l'article 59, déroger à des contrats, que nous avons pu modifier des dispositions qui existaient dans les statuts des anciennes sociétés, statuts dont pouvaient se prévaloir les obligataires, et que le vote par la législature de la convention du 25 avril emporte, pour les Bassins houillers, le droit (page 479) de disposer des annuités comme elle le veut ? Pareille prétention ne résiste pas à l'examen le plus superficiel.

Ainsi, messieurs, quand les Bassins houillers prennent l'avis de leurs avocats pour savoir s'ils ont le droit de céder leurs annuités, et je recommande ce point à l'honorable ministre des finances, est-ce qu'on invoque l'article 59 de la convention ?

On n'en dit pas un mot ; on invoque purement et simplement le droit commun et on dit qu'ils peuvent céder leurs annuités en vertu du droit commun. Ne venez donc pas dire que c'est en vertu de l'article 59 que les Bassins houillers prétendaient pouvoir céder, c'était en vertu du droit commun, mais ils ne pouvaient pas céder contrairement aux statuts des sociétés, contrairement à la loyauté et contrairement aux obligations qu'ils avaient contractées vis-à-vis de certains obligataires.

Aussitôt après la convention - c'est ici le point capital du débat, et il intéresse an plus haut degré les obligataires, parce qu'ils vont voir que leurs droits ne sont nullement menacés, - aussitôt après la convention, dis-je, les Bassins houillers veulent réaliser l'opération du transfert ; la société a le droit de céder ses annuités, elle peut en faire ce qu'elle veut ; ceux qui en achèteront peuvent être bien tranquilles, peuvent dormir sur les deux oreilles, les annuités seront bien leur propriété.

Si l'opération est si simple, si facile, la société n'hésitera pas, elle va la faire tout de suite ? Eh bien, non, elle n'est pas sûre de son droit, et avant de poser aucun acte, elle réunit un petit congrès d'avocats, afin de savoir si l'opération que l'on dit autorisée par l'article 59 est possible.

Cette chose, si simple, si légale, si honnête, cette chose qui était autorisée par le droit commun, qui avait été confirmée par la convention, que la législature avait sanctionnée, on n'ose pas la faire, et avant d'essayer la combinaison que vous savez, on prend l'avis de six avocats choisis parmi les plus habiles et les plus expérimentés de la capitale. Mais, messieurs, c'est absolument comme six médecins allaient se mettre à traiter un rhume de cerveau. Comment ! vous prétendez que vous pouvez, en vertu du droit commun, céder les annuités à qui vous voulez et comme vous voulez, et avant de faire votre opération, avant d'appeler à la conversion, vous mettez en réquisition tout ce que la capitale compte de science et de talent !

Eh bien, vous allez voir ce que ces avocats vous ont répondu. Ils vous ont répondu que vous ne pouviez pas faire cette opération ; qu'elle est radicalement impossible. Mais ils vous ont indiqué les moyens à l'aide desquels vous pourriez, peut-être, arriver à ce but ; nous verrons tout à l'heure la valeur de ces moyens. Mais lisons d'abord la consultation.

« La Société anonyme des Bassins houillers demande : « A... Si, pour la validité du traité conclu avec l'Etat, le 25 avril 1870, la société des Bassins houillers doit obtenir la ratification de ce traité des sociétés concessionnaires qui ne se sont pas réservé, expressément, le droit d'approuver ou d'improuver la cession que ferait la Société des Bassins houillers ?

« B. Si la société des Bassins houillers doit obtenir des sociétés concessionnaires une autorisation spéciale pour pouvoir transférer les sommes à payer annuellement par l'Etat ?

« C. Comment la délégation doit-elle être faite pour être parfaite ?

« Les avocats soussignés ont résolu comme suit les questions posées :

« A. La convention faite le 25 avril 1870 avec l'Etat porte, à l'article 63 : « La société des Bassins houillers promet, pour autant que de besoin, la ratification de la présente convention par les différentes sociétés concessionnaires des lignes qui en font l'objet et en apportera la justification avant le 1er août prochain.

« Il résulte de cette disposition que la société des Bassins houillers n'est pas obligée de rapporter nécessairement la ratification des sociétés concessionnaires.

« Elle ne l'est que pour autant que de besoin, c'est-à-dire en tant seulement que l'intervention de ces sociétés soit nécessaire pour que les Bassins houillers puissent valablement céder à l'Etat l'exploitation de leurs lignes.

« La question de savoir si cette intervention est nécessaire doit se résoudre pour chaque société d'après les conditions des contrats aux termes desquels elles ont elles-mêmes remis leurs exploitations à la compagnie des Bassins houillers.

« Le principe qui doit servir de règle à la solution, c'est que, dans l'espèce, le droit d'exploitation est essentiellement cessible, à moins d'une interdiction formelle dans l'acte qui transmet à la compagnie des Bassins houillers ce droit d'exploitation.

« Considéré au point de vue des contrats ordinaires dû droit civil, il se rapproche surtout du bail.

« Et l'on trouve dans les dispositions du code civil relatives à ce contrat une application du principe qui vient d'être rappelé, l'article 1717, qui reconnaît le droit de céder le bail ou de sous-louer à moins d'une défense expresse. Il résulte de ces considérations que la compagnie des Bassins houillers n'a pas à demander, pour la validité du contrat qu'elle a fait avec l'Etat, l'intervention des compagnies concessionnaires qui, en lui transférant le droit d'exploiter leurs lignes, ne lui ont pas interdit la cession de ce droit à des tiers.

« La société des Bassins houillers n'a d'autre autorisation à obtenir que celle des compagnies qui se sont expressément réservé d'approuver ou d'interdire les cessions que les Bassins houillers voudraient faire à leur tour de l'exploitation dont ils se chargeaient vis-à-vis d'elles. »

Vient la partie que j'ai citée tantôt, puis MM. les avocats ajoutent :

« Dans ce système, la société des Bassins houillers, on transférant à son tour à l'Etat son droit d'exploitation, ferait, en réalité, une sous-location.

« Et l'Etat, sous-locataire, se trouverait astreint, vis-à-vis du bailleur primitif, c'est-à-dire des sociétés concessionnaires, aux obligations résultant des articles 1753, etc., du code civil et 820 du Code de procédure civile.

« Nous estimons que, sans qu'il soit nécessaire de résoudre cette difficulté, la compagnie des Bassins houillers, dont l'opération ne sera efficace que si elle est à l'avance mise à l'abri de toute contestation, doit demander aux sociétés concessionnaires leur consentement au transfert de la rente due par l'Etat. »

Ils ajoutent :

« Nous pensons, en outre, que, pour obtenir une sécurité complète, la compagnie des Bassins houillers devrait demander aux sociétés concessionnaires de renoncer, en tant qu'elle pourrait atteindre l'Etat, à toute action en résolution du traité, au moins aussi longtemps que l'Etat payera les sommes qu'il s'est obligé à remettre à la compagnie des Bassins houillers par la convention da 23 avril 1S70. »

Donc vous n'avez pas de sécurité tant que vous n'avez pas obtenu la renonciation à l'action résolutoire. Or, beaucoup d'entre vous, messieurs, ne sont pas familiarisés avec la science du droit, le public ne se compose pas exclusivement de jurisconsultes ; permettez-moi de vous dire ce que c'est que l'action résolutoire.

Vous êtes propriétaire d'une maison ; vous la donnez en location ; le locataire est tenu de vous payer le loyer aux époques fixées par l'acte de bail. Je suppose qu'il refuse de payer le loyer ; Vous avez le droit de reprendre votre maison. Vous faites résilier le bail et vous rentrez en possession de vos droits. C'est par l'action résolutoire que vous obtenez ce résultat. L'action résolutoire constitue donc évidemment l'une des plus grandes garanties du propriétaire. Que diriez-vous d'un contrat où le propriétaire dirait : La maison continuera à rester en possession du locataire alors même que celui-ci ne payerait pas le loyer ? Vous trouveriez que le propriétaire soigne singulièrement ses intérêts. Mais que diriez-vous si le loyer était affecté au payement de certaines charges et que le propriétaire stipulât que le locataire restera en possession de l'immeuble en toute hypothèse, alors même que les charges ne seraient pas payées ? La renonciation à l'action résolutoire faite dans de pareilles circonstances vous paraîtrait-elle juste ? Or, c'est une pareille renonciation que les Bassins houillers ont demandée aux sociétés.

Eh bien, messieurs, je dis que cette renonciation est frauduleuse, qu'elle est illégale, et je le démontrerai plus loin.

Les conditions, messieurs, sont bien posées par la consultation des avocats ; vous ne pouvez pas céder vos annuités, vous ne pouvez le faire avec complète sécurité que si vous obtenez la renonciation à l'action résolutoire. Voilà ce que répondent les avocats. En présence de cet avis, on convoque les actionnaires en assemblée générale. Que se passe-t-il ? Six sociétés, Beaume à Marchienne, Saint-Ghislain, Flénu, Jonction de l'Est, Quenast, Manage-Wavre, refusent toute espèce de renonciation à l'action résolutoire et disent : « Soit par la prospérité de nos lignes, soit par des privilèges inscrits dans nos statuts, nous avons l'assurance que toutes nos charges doivent être payées. En conséquence nous n'acceptons pas vos propositions, vous aurez à nous déléguer des annuités pour nous désintéresser complètement. »

Et la compagnie des Bassins houillers dut se rendre aux exigences de ces sociétés.

Trois sociétés, Ouest de la Belgique, Hainaut-Flandre, et Braine-le-Comte à Courtrai, renoncèrent à l'action résolutoire, mais pour autant que cette renonciation ne portât pas préjudice au droit des obligataires, tel qu'il était fixe avant la convention du 25 avril. Une renonciation (page 480) conditionnelle de cette espèce était de nulle valeur pour les projets des Bassins houillers.

Cinq sociétés renoncèrent purement et simplement, ce sont Tamines-Landen, Frameries-Chimav, ceinture de Charleroi, Manage-Pieton et le Centre.

Mais il ne faut pas tenir compte :

1» De la société de Frameries à Chimai et Ceinture de Charleroi parce que la société des Bassins houillers possède 23,000 obligations sur 28,000 de cette ligne ;

2° De Tamines-Landen, dont la même compagnie possède le plus grand nombre d'obligations, soit 18,000 ;

3° De Manage-Piéton qui n'a que 10 kilomètres et qui est peu important.

Il ne restait donc que le Centre qui avait souscrit à la cession des annuités au préjudice des obligataires. Donc sur 601 kilomètres, 62 seulement avaient renoncé à l'action résolutoire, renonciation qui seule, d'après la consultation des avocats, pouvait donner de la sécurité aux acheteurs de titres d'annuités.

La compagnie des Bassins houillers avait complètement échoué dans son entreprise. Elle avait essayé de faire la cession de ses annuités ; elle avait tenté d'obtenir les conditions indispensables à cette cession, elle n'avait pas réussi. Aujourd'hui elle fait d'autres propositions.

Ne soyons pas trop orgueilleux, et n'attribuons ses concessions dont nous discuterons plus tard la valeur, ni au gouvernement, ni à l'opinion, ni à nous-mêmes. La vérité est que la compagnie des Bassins houillers, impuissante à réaliser la cession de ses annuités, doit songer, pour se tirer d'embarras, à satisfaire les obligataires qui sont suffisamment armés pour se défendre.

Je vais démontrer au surplus que cette renonciation à l'action résolutoire ne tient pas, qu'elle est frauduleuse, qu'elle ne saurait un instant soutenir les regards de la justice.

Hier, messieurs, l'honorable M. Boulenger, que je n'ai pas personnellement attaqué, est venu faire appel à la loyauté de la Chambre.

Je fais appel à sa propre loyauté, et je lui demande si la renonciation qui a été obtenue du Centre est loyale et honnête. Je lui demande si un commerçant peut se conduire comme la compagnie du Centre l'a fait en cette occasion.

Pourquoi, messieurs, ai-je parlé du Centre ? C'est parce que c'est la seule société exposée. Les autres n'ont pas renoncé à l'action résolutoire.

Il est à remarquer que quand MM. les avocats ont émis leur premier avis, ils n'avaient pas sous les yeux les statuts des sociétés dont il s'agit.

En voici la preuve dans une consultation qu'ils ont ultérieurement donnée :

« Additionnellement à la consultation délibérée par les avocats soussignés, sous la date du 30 mai dernier, la société anonyme des Bassins houillers demande :

« Si le transfert des annuités étant opéré, autorisé par les diverses assemblées générales et signifié au gouvernement, les porteurs d'obligations pourraient, avec quelque chance de succès, faire une saisie entre les mains de l'Etat, dans le cas où les Bassins houillers viendraient à manquer à leurs engagements.

« Dans la consultation prérappelée, les avocats soussignés ont émis l'avis qu'en principe la société des Bassins houillers pourrait céder sa créance à charge de l'Etat belge sans avoir aucune autorisation à demander aux porteurs d'obligations des diverses sociétés intéressées.

« Il s'ensuit nécessairement que, semblable cession étant régulièrement faite, les porteurs d'obligations, créanciers de la société des Bassins houillers, ne pourraient laisser entre les mains de 1'Etat des annuités qui seraient a jamais sorties du patrimoine de la société débitrice, et que, dès lors, ils ne sauraient agir par l'action subrogatoire de l'article l'I'CC du Code civil. »

Les honorables signataires de la consultation avaient donc émis un avis en droit pur, sans examiner les faits. Ils avaient dit qu'en théorie les créances étaient cessibles. Le code civil le dit, pas n'était besoin de l'avis de six avocats pour le savoir.

Mais quand on leur eut communiqué les statuts des sociétés, ces honorables avocats se réunissent de nouveau et ils font un erratum à leur première consultation.

Ils excluent la Société de Baume à Marchienne et celle de l'Ouest. Ils déclarent que, dans les statuts de ces sociétés, il y a des dispositions dont les obligataires peuvent se prévaloir, et qu'en présence de ces dispositions il est impossible de céder les annuités.

Ils feront encore d'autres errata ; si l'honorable ministre des finances veut bien les consulter, je lui indiquerai plusieurs points sur lesquels des explications et de nouvelles consultations sont tout à fait indispensables.

Les honorables signataires de la consultation déclarent en outre :

« Ils ne pourraient pas davantage agir en vertu de l'article 1167 du même Code, puisqu'ils devraient, pour s'en prévaloir, établir que les conventions qu'ils voudraient faire annuler auraient été conclues en fraude de leurs droits, ce qui n'a pas eu lieu. »

Je demanderai à ces honorables avocats s'ils avaient connaissance, lorsqu'ils émettaient leur avis, de ce qui s'était passé au Centre.

Voici ce qui a eu lieu :

Le Centre avait avec la société des Bassins houillers un contrat par lequel ceux-ci devaient payer une annuité s'élevant, après quatre ans, à 1,950,000 francs.

Il y avait dans le contrat une disposition disant qu'au cas où l'annuité ne serait pas payée, la société du Centre rentrerait, de plein droit, dans la possession de sa ligne et que la compagnie des Bassins houillers devrait lui restituer pour environ 8 millions de matériel.

La position du Centre était donc magnifique. Cette société avait sa rente annuelle de 1,900,000 francs, qui permettait de payer les obligations et de donner même un dividende aux actionnaires.

Que font les actionnaires ? Les actionnaires qui n'avaient plus rien à verser, et dont les titres sont pour les deux tiers entre les mains de la compagnie des Bassins houillers, renoncent à l'action résolutoire sans aucun profit, sans aucune compensation pour leur société ; ils viennent dire : Nous qui avions une annuité avec le droit de reprendre notre avoir si vous ne remplissez pas vos engagements, nous vous abandonnons gratuitement et à titre de donation le droit de reprendre notre avoir si notre annuité n'est pas payée.

Est-ce là du commerce honnête, du commerce loyal ? Est-ce là un acte qui pourra soutenir les regards de la justice ?

Cet acte est mal. D'abord les sociétés anonymes n'ont que des droits limités ; elles n'ont pas le pouvoir de faire des donations.

Les libéralités sont formellement interdites aux sociétés anonymes par leurs statuts ; or, c'était une pure libéralité sans compensation aucune que le Centre faisait au profit des Bassins houillers ; c'était une spoliation des obligataires que les actionnaires du Centre consommaient au profit des Bassins houillers.

Je demande comment des avocats honorables ont pu venir déclarer dans une consultation qu'il n'y avait pas de fraude à l'égard des tiers. Evidemment il faut, pour avoir émis un pareil avis, qu'ils n'aient pas eu les pièces sons les yeux ou qu'ils n'aient pas entendu que la renonciation à l'action résolutoire se ferait gratuitement.

Mais, au surplus, la renonciation à l'action résolutoire est encore nulle sous d'autres rapports. Tous les actes qui ont pour objet de faire passer l'avoir de la compagnie du Centre à la société des Bassins houillers peuvent être attaqués ; les administrateurs et actionnaires du Centre, en aliénant leur ligne, en violant les statuts qui les obligent à attribuer les recettes au payement des obligations, ont posé des actes qui doivent être annulés.

Nous voyons dans la consultation que l'on excepte les obligataires de Bauneà Marchienne parce qu'il est dit dans le contrat que la Compagnie ne pourra faire, en aucun cas, aucun contrat de location ou d'exploitation qui n'assurerait pas d'avance et en tout état de cause le service des intérêts et de l'amortissement des obligations ou que la compagnie affecte les revenus de sa ligne avant tout au service des obligations.

Une clause du même genre existe dans les statuts du Centre. L'article 61 porte :

« Les produits de l’entreprise serviront d'abord à acquitter les dépenses d'entretien et d'exploitation des chemins, les frais d'administration et généralement toutes les charges sociales, notamment le service des intérêts et l'amortissement des obligations créées par la société en conformité de l'article 6. »

Vous pouvez voir par toutes les autres dispositions qu'il est impossible à la société du Centre d'aliéner sa ligne, qu'elle ne peut que la donner à bail ou la fusionner de telle sorte que les obligations du Centre avaient les mêmes garanties statutaires que les obligataires de l'Ouest.

Enfin, l'article 1188 du code civil était encore violé.

Le contrat est la charte des sociétés anonymes ; il est à remarquer que la société anonyme n'est pas un être ordinaire, c'est un être dont l'activité est limitée par ses statuts ; elle ne peut, en dehors des statuts, rien faire qui puisse avoir de la valeur ; du moment que les droits des obligataires sont inscrits dans les statuts, il ne peut plus y être porté atteinte. Quand vous déclarez, dans le contrat, que vous allez appliquer le produit de la ligne à payer les obligataires, vous ne pouvez plus modifier cette disposition. Ce n'est qu'après avoir garanti les obligataires que vous pouvez disposer de votre avoir. Sans cela, vous tombez sous l'application de l'article 1188 du code civil, qui rend la dette exigible, lorsque, par son fait, le débiteur (page 481) diminue les sûretés qu'il avait données par le contrat à son créancier, et a cet égard je citerai un arrêt de la cour d'appel de Nimes, du 19 mai 1852, qui, dans un cas identique, a décidé que la société, qui avait ainsi diminué la garantie de son créancier, avait perdu le bénéfice du terme et devait payer ce qu'elle devait.

« Ce n'est pas d'ailleurs par les aliénations seulement, ainsi que le dit Dalloz (Oblig, n°1286), que le débiteur peut diminuer les suites données à son créancier, mais encore par des dégradations, des changements, par sa mauvaise administration, et dans ce dernier cas il serait, en vertu de l'article 1188, déchu du bénéfice du terme. »

Vous le voyez, messieurs, M. Dallez va bien plus loin que la thèse que je vous développe.

Enfin, messieurs, et j'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre des affaires étrangères, la société da Centre et toutes les autres sociétés qui ont pu renoncer à l'action résolutoire ont formellement contrevenu a l'arrêté qui les a autorisées. Que voyons-nous dans ces sociétés ?

Voici le texte de l'article premier des statuts de la société du Centre :

« Il est fondé par ces présentes, sauf l'approbation du gouvernement, une société anonyme qui existera entre tous les propriétaires des actions créées ci-après et qui a pour objet la construction et l'exploitation d'un chemin de fer traversant, etc.

« Toute opération, tout commerce qui ne se lieraient pas immédiatement à l'établissement et à l'exploitation de ce chemin de fer, ainsi que toute acquisition d'immeubles qui ne seraient pas nécessaires à l'entreprise, sont formellement interdits. Il en est de même de toute émission de banknotes, billets de caisse ou de tout autre papier au porteur de la même espèce. »

Ainsi, la société ne peut pas faire d'opération qui ne se lie pas intimement à son entreprise.

Or, savez-vous, messieurs, quelle opération on a faite ici ? C'est bien simple. Le Centre est autorisé à faire un chemin de fer et a l'exploiter. On émet des obligations ; on recueille des fonds ; l'argent doit servir, ^d'après les statuts, à la construction et à l'exploitation d'une ligne déterminée ; on ne peut l'appliquer a la construction et à l'exploitation d'autres lignes.

La vie sociale de la société anonyme du Centre est bien définie, bien limitée. Eh bien, que fait-on ? On crée une autre société ayant un tout autre objet et on lui passe le produit de l'exploitation du Centre. Puis on capitalise ce produit et on aliène l'avoir à une troisième société qui fera toutes les opérations qui lui conviendront.

Or, je vous le demande, messieurs, peut-on faire indirectement ce qu'il n'est point permis de faire directement ?

A quoi devait servir l'avoir de la société du Centre ? A la construction et à l'exploitation d'une ligne déterminée. Est-ce là, messieurs, ce que propose la société des Bassins houillers ? Evidemment non ! Elle veut, avec l'avoir de cette société, éteindre des dettes d'autres sociétés, faire d'autres entreprises, etc. ; par conséquent, elle va faire indirectement, avec des fonds provenant de. la société du Centre, ce que cette société n'aurait pas pu faire directement. En agissant ainsi, elle fait disparaître l'objet social, elle se dissout et elle est tenue, au remboursement des créances.

Les obligataires pouvaient donc être parfaitement rassurés, ils n'avaient rien à craindre, pas même la renonciation à l'action résolutoire.

Et si la Société des Bassins houillers n'a jamais réalisé la cession de ses annuités, c'est qu'elle ne l'a pas pu. Elle offre maintenant de nouvelles conditions ; nous les examinerons dans quelques instants.

M. le ministre des finances nous a dit : En vertu de l'article 59, les sociétés qui auraient été créées et auxquelles on aurait transféré les annuités pouvaient émettre des titres en nom ou au porteur et ces titres au porteur sont payables dans les caisses de l'Etat.

Ce point serait assez indifférent ; mais il importe d'en parler pour empêcher M. le ministre des finances de faire quelque chose qui pourrait être très préjudiciable à l'Etat et ui, de plus, serait illégal ; et je suis convaincu qu'il le reconnaîtra.

D'abord, les titres au porteur ne sont pas payables aux caisses de l'Etat. Ces titres, d'après l'article 59, sont payables à la caisse des annuités et nulle part ailleurs.

On avait dit à la société des Bassins houillers : Si vous constituez une 'société, cette société pourra émettre des titres au porteur. Et il était indispensable de le dire dans 1'ariicle 59, parce qu'une société anonyme ne peut, sans autorisation, émettre des titres au porteur. Mais ces titres constituaient une valeur sur la société et non pas sur l'Etat. Et ce qui nous le prouve, c'est que la société avait demandé, dans les pourparlers au sujet de la convention du 25 avril, le visa des titres et que le gouvernement le lui a refusé. Or, comment vous seriez-vous engagé, vous Etat, a faire dans vos mains le payement des coupons de ces titres au porteur, si vous n'aviez pas été préalablement assuré que ces titres seraient émis proportionnellement au nombre des annuités à payer ?

Le refus de donner le visa était la preuve la plus évidente que c'était une opération particulière de la société, et l'Etat ne devait pas s'en occuper.

Si l’Etat avait voulu payer à ses caisses, il aurait visé les titres de manière qu'il n'y eût pas eu plus de titres que d'annuités. De plus ce payement aux caisses de l'Etat était impossible parce que la rente n'était pas sûre ; elle ne devait devenir certaine qu'après trois ans, attendu que si, pendant trois années, les recettes n'atteignaient pas 21,000 francs, la société des Bassins houillers devait garantir le mandant.

L'honorable ministre prétend que les titres au porteur sont des cessions qui obligent l'Etat à payer.

Voyons, messieurs, ce que portent les statuts de la caisse d'annuités :

« Les caisses d'annuités dues par l'Etat a pour objet unique l'achat, la capitalisation et la revente d'annuités dues par l'Etat du chef de rachat de concessions ou d'exploitations de chemins de fer. Elle est autorisée a émettre des titres de rente en proportion des annuités qui lui sont transférées el dont elle reste propriétaire, sans toutefois que les sommes annuellement affectées à l'intérêt et à l'amortissement de ces titres puissent dépasser le montant des annuités qu'elle a à recevoir de l'Etat. »

Je voudrais bien savoir comment le détenteur d'un de ces titres a des droits vis-à-vis de l'Etat ?

L'Etat n'est pas un débiteur cédé, puisque le prétendu cédant conserve la propriété de la créance. Donc, le titre représentatif ne constitue pas une cession selon la loi, qui produit les effets de la cession légale : c'est simplement une obligation sur la caisse des annuités.

La compagnie des Bassins houillers a, du reste, exécuté ainsi l'article 59.

Les titres émis sont payables non aux caisses de l'Etat, mais à celles de la Société d'annuités, le 1er avril et le 1er octobre de chaque année, tandis que les payements de l'Etat doivent se faire chaque mois.

En conséquence, ne venez point soutenir que vous pouvez payer aux caisses de l'Etat, car vous ne le pouvez pas et vous ne devez pas perdre de vue que vous pouvez être exposé à payer deux fois ; demain il peut y avoir une catastrophe financière, une faillite, et vous pourriez alors vous trouver devant des créanciers qui vous diront. : Vous, gouvernement, vous n'avez pas respecté la loi, vous avez indûment payé.

Je dis donc que, pour que le payement puisse se faire dans les caisses de l'Etat, il faut modifier l'article 59 et les statuts de la caisse d'annuités. (Interruption.)

J'examine cette question avec la plus grande impartialité ; que l'on ne vienne pas dire que j'en fais une question de parti.

Je demande à M. le ministre des finances s'il croit que nous en faisons une question de parti ; cela ne peut nous être reproché, car ce n'est pas lui qui supportera, si notre avis est suivi, toute la responsabilité de la situation ; c'est nous, libéraux, qui en aurons la responsabilité. Si M. le ministre des finances a une objection à me faire, qu'il veuille bien la-présenter immédiatement afin de ne laisser subsister aucun doute.

M. Jacobs, ministre des finances. - Puisque l'on m'invite adonner une explication immédiate, je dirai que l'article 2 des statuts de la caisse d'annuités n'a pas été compris par l'honorable membre.

Cet article permet à cette caisse d'émettre des titres de deux natures : elle peut faire la revente des annuités et elle peut émettre des titres sur elle-même en proportion des annuités dont elle reste propriétaire.

Elle a donc le choix entre deux opérations. Ou bien elle fractionne les annuités et les revend, en émettant des titres véritablement représentatifs de ces annuités ; dans ce cas, il y a cession véritable, elle ne reste pas propriétaire des annuités. Ou bien elle reste propriétaire des annuités et elle émet des obligations sur elle-même payables à sa caisse.

C'est cette seconde opération qui a été faite jusqu'à présent par la caisse des annuités.

Dans la combinaison projetée, il y aura, au contraire, une véritable revente des annuités et les porteurs de titres seront propriétaires, non pas d'obligations sur la caisse, mais d'annuités sur l'Etat.

M. Bara. - L'honorable ministre se trompe complètement.

La revente permise à la caisse d'annuités, c'est une nouvelle cession en tout ou en partie, mais cette revente ne peut s'opérer par des titres au porteur, les statuts n'autorisent pas l'émission de titres dans ce but. Elle doit se faire conformément au ode civil.

Les statuts n'autorisent qu'une seule émission de titres au porteur (voir les articles 1er et 6), et ce sont des obligations sur la société.

(page 482) Voici donc ce que dit la première partie de l'article : La société peut racheter toutes les annuités et les revendre ; elle peut le faire par un transfert ; c'est la revente. Mais vous ne voyez nullement que cette revente peut s'opérer par un titre au porteur, Voilà ce qui vous trompe. Les titres au porteur ne sont possibles que sur la caisse des annuités. Mais la revente, d'après votre système, devrait se faire par un titre au porteur : cela n'est pas possible, parce que vous ne réglez pas dans vos statuts comment seront les titres pour la revente, tandis que vous réglez dans vos statuts comment seront les titres au porteur pour les annuités dont la caisse reste propriétaire.

Vous voyez donc que vous ne pouvez pas payer aux caisses de l'Etat : je vous l'assure et je vous prie, M. le ministre, de consulter de nouveau vos avocats. Vous ne leur avez probablement pas dit que l'Etat avait refusé le visa lorsqu'il s'est agi de l'article 59, car il est évident que s'ils avaient su que le visa avait été refusé, ils auraient dit : Il est impossible que, refusant le visa et ne sachant pas le nombre des titres que la caisse d'annuités peut créer, l'Etat s'engage à payer à ses caisses tous les coupons qui seront présentés. En effet, on paye des coupons sur tous les points du pays, des milliers de coupons peuvent être présentés et l'Etat n'aurait pris aucune précaution pour fixer le nombre des titres.

Cela est donc radicalement impossible, et je prie instamment M. Jacobs de consulter de nouveau ses avocats ; j'ai la conviction intime qu'ils lui diront que les titres au porteur ne peuvent pas être payés dans les caisses de l'Etat, qu'il devrait pour cela modifier complètement l'article 59 et rapporter l'arrêté relatif à la caisse d'annuités. (Interruption.)

.Notez-le bien, messieurs, dans cette question nous ne sommes animés d'aucune animosité contre les Bassins houillers. Pourquoi aurions-nous des sentiments hostiles ? Plusieurs administrateurs des Bassins houillers sont de notre parti, et comme nous ne sommes dans aucune opération concurrente, et que nous n'avons aucune espèce d'intérêt de chemin de fer, je ne sais pas pourquoi nous serions les ennemis des Bassins houillers. Si nous les combattons, c'est parce que les Bassins houillers ont prétendu que nous avons fait une convention qui permettait de frauder les créanciers et parce que le système que veut faire adopter le projet de loi nuit aux obligataires et n'est pas conforme aux saines règles d'économie politique.

Si les Bassins houillers avaient voulu faire des propositions convenables aux obligataires, j'ai la conviction qu'un arrangement serait intervenu ; aujourd'hui encore, je suis persuadé que si les Bassins houillers voulaient s'entendre avec. les obligataires, ils y réussiraient en leur faisant des propositions raisonnables ; mais ce que nous devons vouloir, ce que, pouvoir public, nous devons assurer, c'est qu'il n'y ait pas de fraude possible, c'est qu'il n'y ait ni d'illusions ni de déceptions, c'est que l'Etat ne soit pas plus trompé que les obligataires et les autres tiers intéressés.

Si vous suivez notre opinion, M. le ministre, et s'il y a des mécomptes, nous serons les premières victimes ; vous direz alors : Je n'ai pas fait la convention du 25 avril ; je n'ai fait que suivre les conseils de l'ancien cabinet. Si, au contraire vous suivez vos propres inspirations, si vous ne tenez aucun compte de notre opinion et de nos conseils, et s'il arrive des mécomptes, si plus tard les obligataires ne sont pas payés, nous aurons le droit de vous dire : C'est vous, M. le ministre, qui êtes le coupable.

Mais, nous dit-on, si vous ne voulez pas la cession, vous voulez donc la faillite des Bassins houillers ?

Non, messieurs, il faut distinguer ; quand nous avons fait la convention du 25 avril, nous ne nous sommes pas engagés à sauver à tout prix la compagnie des Bassins houillers si elle venait à faire de mauvaises affaires.

Du reste à cette époque la compagnie ne faisait pas, selon elle, de mauvaises affaires ; ses bilans, au contraire, accusaient une très brillante situation, puisqu'elle distribuait 65 francs à chaque action et que les administrateurs se partageaient des bénéfices.

Nous ne pouvions donc pas croire que la compagnie faisait de mauvaises affaires et l'eussions-nous cru, est-ce que nous pouvions sauver la compagnie des Bassins houillers à tout prix ? Evidemment non. Si l'honorable M. Jacobs et l'honorable M. Wasseige ont, dans l'avenir, à traiter une opération du genre de celle qui s'est présentée pour nous, ils ne pourront jamais donner pour les lignes qu'ils reprendront que la valeur qu'elles ont réellement et le propriétaire du chemin de fer aura beau dire : Si je n'en ai pas autant, je ne pourrai pas faire face à mes engagements, - les honorables ministres devront répondre : Je vous donne la valeur de la ligne et je ne puis vous donner plus.

Nous n'avons donc pas entendu garantir la compagnie des Bassins houillers contre toutes les éventualités. Mais nous lui avons dit : Nous vous donnons ce qui vous revient équitablement et nous sommes convaincus que vous ne trouverez pas de meilleur sous-locataire que nous.

Au surplus, les obligataires n'ont pas grand-chose à craindre d'une catastrophe. Notez que les créanciers personnels des Bassins houillers, ceux, par exemple, qui lui ont livré du matériel, savent très bien qu'ils ont traité avec une société qui avait pris des chemins de fer en location et que les sociétés bailleresses pouvaient reprendre leurs lignes en cas de non-paiement des intérêts des obligations.

Qu'arriverait-il si la compagnie des Bassins houillers, ce que je ne crois pas, faisait de mauvaises affaires ? La convention du 25 avril, comme l'a dit M. le ministre des finances, subsisterait. Les diverses sociétés concessionnaires auraient à prendre des engagements entre elles ; elles feraient une ventilation de leurs obligations selon leur valeur. Mais il n'y aurait pas d'interruption dans le service. Demain, par autorité de justice, la convention serait provisoirement maintenue et les curateurs demanderaient à l'Etat de reprendre et de continuer la convention.

C'est ce que l'honorable M. Jacobs a dit lui-même.

Mais je vais vous démontrer qu'en fait il ne peut pas y avoir d'inconvénients.

Il y a 600 kilomètres de ligne qui rapportent à la compagnie des Bassins houillers 4,200,000 francs. La compagnie accuse 26, 27, 28 ou 29 millions de matériel ; ce qui fait encore une renie de 1,400,000 francs, soit un total de 5,500,000 francs. Que doit-elle payer ? Elle doit payer 1,028,000 francs aux chemins de fer du Flénu, de Manage à Wavre, le Saint-Ghislain. Elle doit payer ensuite les intérêts de 350,000 obligations à 15 francs ce qui fait 5,250,000 francs.

Donc elle doit payer 6,278,000 francs et elle touche 5,500,000 francs. Différence 900,000 francs. (Interruption de M. Brasseur.)

M. Philippart, dans une lettre qu'il a fait paraître en réponse à des questions que j'avais posées, a dit qu'en dehors de 1,028,000 francs pour le Flénu, etc., les Bassins. houillers avaient à payer les intérêts de 350,000 obligations à 15 francs. Je ne connais pas autre chose. Au surplus, je fais la citation de bonne foi ; on me rectifiera, s'il y a lieu.

Je dis donc qu'il y a 900,000 francs de différence entre ce que les Bassins houillers doivent et ce qu'ils reçoivent. Or, comme la société des Bassins houillers a dans son portefeuille 56,000 obligations, ces 56,000 obligations rapportent précisément environ 900,000 francs.

Il est parfaitement juste que la société des Bassins houillers, qui est débitrice, ne touche pas les coupons d'intérêt des obligations qu'elle possède. Eh bien, si elle abandonne ses intérêts sur les 56,000 obligations qu'elle a, elle a de quoi payer les intérêts de toutes les obligations qui sont dans les mains du public. Au surplus la situation à résulter d'une légère différence ne pourrait pas être comparée à la situation qui serait faite aux obligataires au cas où tout leur avoir viendrait à disparaître et serait employé à payer autre chose que leurs titres.

J'ai fini ma démonstration en ce qui concerne la convention du 25 avril.

Je vous ai démontré que la convention du 25 avril n'avait en rien modifié les droits des obligataires, tel est également l'avis de M. Hennequin ; il déclare que l'Etat n'a changé en quoi que ce soit les droits des obligataires.

J'ai démontré en outre que ce qui avait mis en péril les droits des obligataires, c'est la demande de renonciation à l'action résolutoire.

Je ne comprends pas que M. le ministre ait consenti à la constitution de la caisse d'annuités alors qu'il connaissait les intentions des Bassins houillers et la manière dont ils entendaient procéder à la cession des annuités.

Je ne comprends pas même que vous nous fassiez un grief de la convention du 25 avril. Il vous était bien facile de répudier notre succession. A un moment donné, vous aviez en mains les moyens de résilier le contrat.

En effet, d'après l'article 65, la ratification de la convention par les différentes sociétés concessionnaires devait être apportée avant le 1er août. Les Bassins houillers n'ont pu en fournir la justification dans le délai stipulé.

Pourquoi, vous qui condamnez notre œuvre aujourd'hui, l'avez-vous acceptée ?

Différentes sommes devaient être versées dans les caisses de l'Etat avant une époque déterminée, elles ne l'ont pas été. De ce chef encore vous pouviez résilier la convention. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

Au lieu de faire tomber la convention, vous l'avez prise des deux mains et aujourd'hui vous l'exécutez dans un sens contraire à celui dans lequel elle a été acceptée.

Pour réaliser ses projets, la société devait obtenir la renonciation à l'action résolutoire ; elle a échoué dans ses tentatives. Là est la cause des nouvelles propositions qu'elle a soumises au gouvernement et que celui-ci a agréées.

(page 483) J'arrive au projet de loi.

On nous demande de l'argent. Pourquoi ? J'ai interpellé l'honorable M. Jacobs et il m'a répondu que c'était pour payer 14 à 15 millions que la compagnie des Bassins houillers doit payer d'ici à trois ans. Quand j'ai demandé des explications à l'honorable M. Jacobs, il m'a renvoyé au discours de M. Jamar. J'ai relu ce discours et j'y ai vu en trois lignes que les Bassins houillers devaient payer 14 à 15 millions en trois ans, mais je n'y ai pas vu le détail de cette somme.

M. Brasseur. - Neuf millions.

M. Bara. - Elle doit donc payer 9 millions en trois ans. Eh bien, les Bassins houillers ont 350,000 actions non émises, rapportant 65 francs : qu'elle les vende ! Veut-on qu'elle ne puisse en faire argent, elle a 56,000 obligations représentées par des annuités ; qu'elle vende ces obligations et elle trouvera 11 millions. Elle a donc les moyens de faire des fonds.

De plus, le gouvernement leur a restitué à peu près trois millions de cautionnement ; de sorte qu'ils ont 11 millions d'obligations en portefeuille, 3 millions de cautionnement et vous proposez de leur donner encore 13 à 14 millions, ce qui fait 27 millions. Et ils n'ont que 9 millions à payer.

Je vous demande comment vous pouvez justifier votre projet.

Je comprends que vous veniez en aide ù la compagnie des Bassins houillers dans les limites de ce qui pourrait lui être nécessaire.

Mais lorsque vous voyez surgir tant de contestations, lorsque tout le monde agit pour conserver ses droits, vous vous associez aux Bassins houillers pour leur mettre en main le plus d'argent possible, pour qu'ils puissent en faire ce qu'ils veulent.

Je trouve que cela n'est pas prudent.

Et vous-mêmes avez-vous une si grande confiance dans la compagnie des Bassins houillers ?

Vous en avez moins que nous, car écoutez ce que vous disiez.

L'honorable M. Jacobs, essayant d'un argument connu, nous tenait ce langage :

« On a dit : Ne vous pressez pas, il sera toujours temps de conclure cet arrangement. De nouvelles combinaisons peuvent être étudiées. L'honorable M. Pirmez en a autrefois formulé une. Donnez-nous le temps ; examinez à nouveau. La société des Bassins houillers elle-même ne se déclare pas opposée à toute combinaison nouvelle ; encore une fois examinez, ajournez, prenez le temps.

« Eh bien, messieurs, moi je dis : Pressez-nous. Car si jamais un cataclysme était survenu, ou si, pour l'éviter, les Bassins houillers devaient réaliser leur avoir à bas prix, ce jour-là, ceux qui, par leurs retards, en auraient été cause, auraient assumé une grande responsabilité. »

Eh bien, messieurs, n'est-ce pas dire : Je n'ai pas confiance ; si une débâcle arrive, si un cataclysme se produit, tout sera fini.

Comment pouvez-vous donc vous dégarnir de votre argent ? Vous dites : Je ne suis coupable de rien et je suis irresponsable pour l'avenir, car je conserve le matériel du Centre et de Hainaut-Flandres.

Vous n'y avez pas pensé !

Au Centre seul vous devriez restituer 8 millions.

En cas de cataclysme, si les 14 millions que vous aurez payés sont dépensés, rendrez-vous ces 8 millions au Centre ? Mais non, vous aurez une foule de créanciers des Bassins houillers et de la Société générale d'exploitation qui s'abattront sur le matériel du Centre pour partager avec les obligataires.

Vous n'avez pas créé un gage au profit du Centre puisque le matériel que vous conservez, vous ne proposez pas d'en faire un gage pour le Centre.

Vous n'avez pas parlé d'un pareil contrat et je crois que vous ne pourriez pas le faire. Par conséquent vous vous exposez. Vous aurez beau dire : Je n'ai pas participé à la fraude, on vous répondra : Des voix à la Chambre sont venues vous dire que la compagnie réalisait son avoir et qu'elle allait s'en servir pour payer d'autres créanciers. Malgré cela, vous avez favorisé la réalisation de cet avoir. C'est une participation à la fraude. Tout au moins, devriez-vous, en vertu de l'article 1382 du Code civil, payer des dommages-intérêts au cas où un préjudice serait causé aux créanciers.

Je désire, M. le ministre, que sur ce point vous consultiez vos avocats. J'ai l'intime conviction que lorsqu'ils auront examiné attentivement tous les faits, ils vous répondront : Ne vous lancez pas ; cette affaire est pleine de périls, de procès, de difficultés ; vous pouvez y faire sombrer la signature de l'Etat, car, qu'allez-vous faire ? Vous allez mettre la signature de l'Etat au bas de 104 millions d'obligations, et ici j'arrive aux conditions que la compagnie des Bassins houillers fait à M. le ministre des finances en faveur des obligataires.

Je crois avoir démontré que, ni au point de vue des Bassins houillers, ni au point de vue de la sécurité de l'Etat, vous n'avez pas le moindre intérêt à faire voter le projet de loi actuel ; que la prudence, qui est la mère de l'assurance, M. le ministre, devrait vous déterminer à ne pas faire l'opération que vous proposez.

Je vais examiner ce que vous proposez en échange du vote du projet de loi.

Je me constitue séquestre, dites-vous ; la société des Bassins houillers me remettra les titres représentatifs des annuités, je les viserai, je les garderai dans mes caisses et je ne m'en dessaisirai que contre des obligations en pareil nombre des sociétés bailleresses.

Il n'y pas de crainte pour les obligataires, dites-vous, M. le ministre ; ceux qui auront effectué la conversion seront toujours sûrs de 9 fr. 40 c. de rente. Et qui plus est, comme je ne me dessaisis des titres qu'au fur et à mesure, qu'on me rend les obligations, chaque obligataire conservera dans mes caisses son répondant en annuités. Eh bien, vous êtes dans l'erreur en droit et, quelque louables que soient vos intentions, vous ne pouvez réaliser ce rêve au profit des obligataires.

En effet, ou les annuités sont matière cessible ou elles ne le sont pas. Si elles sont matière cessible, alors, M. le ministre, vous ne pouvez donner un gage aux obligataires qu'à la condition d'observer les règles du code civil. Si les annuités sont matière cessible, vous ne pouvez donner une garantie aux obligataires qu'en leur donnant en gage des annuités, mais avec la formalité du gage, c'est-à-dire en constituant un gage au profit des sociétés du Centre, Hainaut et Flandre, etc.

Or, vous n'arriverez pas à cela. Pourquoi ? Parce que ces sociétés n'ont pas la même valeur.

Voici la société du Centre qui a peu de kilomètres, beaucoup de produits et beaucoup d'obligations. Comment pourrez-vous lui donner un gage suffisant en lui donnant un nombre de titres d'annuités calculé d'après la longueur kilométrique de la ligne ? Vous devrez faire une ventilation et vous échouerez. Mais si vous ne donnez à chaque société de gage que conformément à la longueur kilométrique, qu'arrivera-t-il ? C'est que, s'il survient une catastrophe, ces sociétés demanderont la résiliation du contrat de bail.

Vous rassurez les porteurs d'annuités. Vous avez tort. Je suppose que les sociétés concessionnaires parviennent à faire admettre l'action résolutoire et à reprendre leurs lignes ; les Bassins houillers, n'ayant plus d'exploitation, ne toucheront plus d'annuités et vous, qui aurez déclaré que les porteurs d'annuités seront sûrs de toucher 9 fr. 40 c, interviendrez-vous alors ? les payerez-vous ? Il faut le dire.

Vous avez parlé d'annuités purgées. Mais vos annuités ne sont pas purgées, elles sont malades et même tellement malades que personne n'en voudra. (Interruption.)

Quant à moi, je conseille beaucoup à tout le monde de ne pas en prendre, parce que si l'action résolutoire est admise plus tard, vous ne payerez pas. On pourra faire de nouveaux cas de responsabilité ministérielle ; on pourra vous mettre en accusation ; mais comme vous aurez été de bonne foi, il n'en résultera rien.

Quant aux obligataires, ils seront dupes. Ils auront cru avoir une espèce de rente sur l'Etat, ils n'auront rien. Ils diront : M. Jacobs nous a affirmé que nous pouvions être tranquilles, la majorité l'a appuyé de son vote ; nous croyions avoir de la rente belge et nous n'avons rien du tout ; nous n'avons qu'un chiffon de papier ; tandis que ceux qui auront conservé leurs titres pourront exercer l'action résolutoire et obtiendront et que vaudra leur ligne. Vous voyez donc bien qu'on aura le plus grand intérêt à ne pas prendre des titres de la caisse d'annuités.

Prenons une autre hypothèse. Vous demandez de pouvoir rendre aux Bassins houillers des titres d'annuités en proportion des obligations qu'elle vous remettra et vous déclarez que vous n'allez pas anéantir ces obligations.

Eh bien, je vous dis : Prenez garde ! Car ces titres sont cessibles, ils sont vendables ; c'est matière d'argent. Vous êtes séquestre, dites-vous, donc vous détenez pour qui de droit ; et si la société des Bassins houillers, après avoir retiré ces titres de la circulation et vous les avoir remis, les vend à un banquier, ces titres auront conservé leur valeur.

Il faut donc de toute nécessité anéantir les titres, car du moment qu'ils peuvent encore être touchés à l'amortissement, ils conservent leur valeur.

Mais, messieurs, j'ajouterai que l'Etat n'est pas séquestre. Que doit faire un séquestre ? Conserver la chose pour laquelle il est institué. Or, que faites-vous ? Vous allez remettre les titres aux Bassins houillers, sans l'intervention des intéressés, d'après des règles tout à fait arbitraires.

(page 484) Vous vous exposez donc encore de ce chef en participant à un acte qui est discutable ; vous vous exposez encore, en vertu de l'article 1382 du Code civil, à payer des dommages-intérêts.

le vous prie donc d'examiner sérieusement cette question.

Quant à moi, messieurs, je dis aux porteurs d'obligations : Ne prenez pas de titres de la caisse d'annuités ; si vous le faites et si un jour la société des Bassins houillers fait de mauvaises affaires, vous n'aurez entre les mains qu'un chiffon de papier sans valeur.

Si, au contraire, vous conservez vos obligations, vous conserverez aussi tous vos droits et vous aurez droit aux produits de la ligne, et vos obligations vous rapporteront bien près de vos 15 francs.

Par conséquent, votre séquestre, M. le ministre, ne nous offre aucune garantie ; tout reste en litige.

Je dois ajouter que l'Etat commet un acte inqualifiable en comparant des annuités pour tenir lieu des cautionnements restitués et comme garantie de l'accomplissement des obligations des Bassins houillers. L'Etat restitue les cautionnements et se les fait faire avec l'argent des obligataires. Cela est le comble de la fraude.

Je crois, messieurs, avoir suffisamment démontré qu'il y a pour l'Etat le plus grand danger à procéder ainsi ; que c'est s'exposer bénévolement, sans utilité aucune, à une foule de responsabilités. - Si j'avais prononcé le discours de M. le ministre des finances, je ne dormirais plus en repos. Si je savais qu'il peut y avoir un jour dans le public pour 104 millions d’obligations, visées par moi, si j'avais déclaré que les obligataires seraient toujours assurés de recevoir au moins 9-fr. 40 c... (Interruption.)

Voici ce que M. le ministre a déclaré dès le début de cette discussion :

Je parle du premier discours que M. le ministre des finances a prononcé dans la séance du 17 janvier :

« En échange de ce séquestre des titres entre nos mains dans l'intérêt des obligataires, disait-il, en échange du consentement qu'y donnent les Bassins houillers, nous pouvons revêtir ces titres de notre visa dans un but exclusif de contrôle.

« Les obligataires conserveront la position d'aujourd'hui ; ils auront leurs 15 francs de rente ; mais, en outre, ils auront, par ce dépôt et par ce séquestre, un gage. »

Eh bien, vous n'avez rien.

Si la société des Bassins houillers vient à faire faillite, vous n'avez rien, car ce que vous avez entre les mains est la propriété de tous les créanciers,, lesquels peuvent venir prendre ces annuités.

Ils n'ont donc point de. gage comme vous l'avez déclaré dans votre premier discours, et hier encore vous avez dit qu'ils toucheront 9 fr. 40 c. de rente.

Or, vous n'en n'êtes pas certain, et il pourrait se produire, certaines éventualités où vous pourriez être obligé vis-à-vis des obligataires, à payer pour avoir participé à un acte que vous ne deviez pas poser et par lequel vous aurez porté préjudice à autrui.

Je vous engage donc, messieurs, à bien réfléchir. Je ne comprendrais pas que la droite de la Chambre votât ce projet de loi, et je ne saurais trop le répéter : Laissez les obligataires s'entendre avec la compagnie des Bassins houillers ; ajournez votre projet de loi, attendez la fin des contestations ; des arrangements interviendront, les obligataires ne peuvent avoir intérêt à mettre la compagnie des Bassins houillers en faillite et par conséquent il faudra qu'elle vienne, comme elle l'a fait déjà, avec des propositions qui témoignent de la meilleure volonté de sa part, mais qui ne sont pas suffisantes. Alors seulement, vous pourrez donner de l'argent, mais vous ne pouvez en donner aujourd'hui.

Je dirai encore à M. le ministre des finances : Votre séquestre, comment allez-vous l'exécuter ? Etes-vous tout à fait garanti ? Est-ce que les membres qui composent aujourd'hui la compagnie des Bassins houillers ne peuvent pas disparaître demain ?

Vous me direz : Je ne payerai pas avant que tout soit parfaitement régulier ; je le veux bien. Mais pourrez-vous tout régulariser ? Comment le ferez-vous ? Tout cela me semble impossible en droit.

Avez-vous consulté vos honorables avocats sur la possibilité et la légalité du séquestre ? Voilà, M. le ministre, tous points sur lesquels vous devriez éclairer la Chambre, car, comme vous le disiez dans votre dernier discours, vous vous défiez de votre propre opinion et vous avez la plus grande confiance dans les avocats du gouvernement.

Il faudrait donc savoir comment ils entendent constituer ce séquestre et vous obligeriez la Chambre si vous lui apportiez des déclarations précises sur la légalité de ce séquestre que vous voulez établir. Mais en attendant, je prie la Chambre d'ajourner le projet de loi ; il peut arriver des catastrophes et on dirait alors avec raison : Vous nous avez donné 9 fr. 40 c. de rente, aujourd'hui on ne les paye plus, et l'Etat laisse protester son visa.

Le crédit public souffrirait de cette situation, messieurs, vous essuieriez des reproches mérités, vous seriez dans une affaire déplorable, et vous auriez compromis de nombreux intérêts.

Pour ma part, je ne veux pas prendre la responsabilité d'un vote approbatif, et le discours que j'ai prononcé a eu uniquement pour but de dégager ma responsabilité.

M. le président. - La parole est à M. Frère-Orban.

M. Frère-Orban. - Il est quatre heures et demie, M. le président ; je ne pourrais pas terminer aujourd'hui..

- Voix à droite. - La clôture !

- Voix à gauche. - A mardi !

M. le président. - Je dois consulter la Chambre.

M. Bara. - Je demande la parole. (Interruption.) Je voudrais encore dire un mot ; j'ai oublié une dernière question. (Interruption.)

Si j'avais terminé trois minutes plus tard, vous ne vous seriez pas plaints. Quand on parle pendant une heure et demie, il est bien permis d'oublier quelque chose.

M. le président. - Vous avez la parole, M. Bara.

M. Bara. - Je désire parler des obligations émises par la compagnie Hainaut et Flandre.

L'honorable ministre des finances a dit qu'il donnerait un gage aux obligations des sociétés en titres d'annuités.

Or, messieurs, il exclut de ce gage les 45,000 obligations de. la compagnie de Hainaut et Flandre créées récemment en conversion d'actions et ce que je ne comprends pas, c'est que M. le ministre des finances donne un gage, aux 56,000 obligations qui sont en possession de la caisse des Bassins houillers. Le débiteur va donc avoir un gage pour ces 56,000 obligations et le créancier n'en aura pas.

J'admets parfaitement bien que vous ne mettiez pas sur la même ligne que les anciens obligataires les propriétaires des 45,000 obligations nouvelles, mis vous ne pouvez pas faire passer les 56,000 obligations qui appartiennent à la société des Bassins houillers avant les 45,000.obligations qu'elle a émises ; c'est elle qui a fait la conversion ; c'est sous ses auspices que l'opération a été faite ; c'est donc elle qui doit en avoir la responsabilité. En donnant un gage aux 56,000 obligations des Bassins houillers, vous donneriez une garantie au débiteur alors que le créancier n'en aurait pas. Cela n'est pas possible, et sous ce rapport encore, vous devriez modifier l'arrangement intervenu.

Projet de loi allouant un crédit de 6.500,000 francs au budget du ministère des travaux public

Rapport de la section centrale

(page 475) M. d'Andrimont. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport, de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit spécial de 6,500,000 francs au département des travaux publics.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et l'objet qu'il concerne mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi créant un canton de justice de paix de Dison

Dépôt

M. Cornesse, ministre de la justice. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi portant création d'un nouveau canton de justice de paix ayant Dison pour chef-lieu.

- Il est donné acte à M. le ministre de la justice de la présentation de ce projet, qui sera imprimé et distribué et renvoyé à une commission spéciale.

M. Lelièvre. - Je propose que la commission spéciale soit nommée par le bureau.

M. le président. - Il en sera ainsi.

- Voix nombreuses : A mardi !

M. le président. - Je dois consulter la Chambre sur le point de savoir si elle entend continuer, mardi, la discussion qui nous occupe en ce moment.

- La Chambre, consultée, décide par assis et levé que la discussion sera continuée mardi.

La séance est levée à 4 heures et demie.