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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 26 janvier 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 452) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Borchgrave donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Le conseil communal d'Olmen demande le maintien des commissaires d'arrondissement. »

« Même demande des conseils communaux de Ramsel, Gierle, Houtvenne. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Splinders et Brinck, président et secrétaire de la société flamande Vlaanderen den Leeuw, prient la Chambre de déclarer la langue flamande la langue officielle de la Belgique. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Genck demandent que le vote pour les électeurs aux Chambres ait lieu à la commune ou du moins au chef-lieu du canton. »

- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.


« Des habitants de Londerzeel demandent le vote à la commune pour toutes les élections. »

- Même renvoi.


« Les bourgmestres du canton d'Assenede proposent des modifications à la loi sur le domicile de secours. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.


M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 128 exemplaires du bulletin du conseil supérieur d'agriculture.

- Distribution aux membres et dépôt a la bibliothèque.


MM. Puissant et Julliot, retenus par une indisposition, demandent un congé de quelques jours.

- Accordé.

Ordre des travaux de la Chambre

M. le président. - Je prie la Chambre de fixer dès maintenant son ordre du jour pour la séance de demain. Entend-elle s'occuper demain des rapports de pétitions ?

M. Bouvier. - C'est demain vendredi, jour fixé pour la discussion des rapports, surtout des prompts rapports sur les pétitions. Je crois cependant que la discussion actuelle est trop importante pour pouvoir être scindée. Je propose, en conséquence, à la Chambre de décider que la discussion des prompts rapports viendra immédiatement après la discussion du projet de loi relatif à la convention conclue avec les Bassins houillers.

M. le président. - Si la Chambre ne s'y oppose pas, il en sera ainsi.

Projet de loi approuvant la convention conclue avec la société anonyme des chemins de fer des Bassins houillers du Hainaut pour la reprise du matériel

Discussion générale

M. le président. - La parole est continuée à M. Le Hardy de Beaulieu.

M. Le Hardy de Beaulieu. - J'ai établi hier, dans la première partie de mon discours, que la convention du 25 avril a été amenée par la politique de l'administration des chemins de 1er de l'Etat, politique qui consiste, comme je l'ai dit, non seulement à rendre la construction des chemins de fer particuliers beaucoup plus coûteuse, mais aussi à en rendre l'exploitation plus coûteuse et plus difficile.

Quel but, messieurs, poursuivait cette administration en suivant cette politique ? Ce but est évident.

Il tend à obtenir le monopole des transports des personnes et des choses dans notre pays.

Le monopole, messieurs, et cela dans un pays qui se vante de ses libertés et de ses progrès !

Le monopole, cette hydre aux cent têtes que l'esprit d'investigation du XVIIIème siècle et la science économique du XIXème paraissaient avoir terrassée pour toujours !

Et par quels arguments, par quelles raisons cherche-t-on à obtenir cé monopole de l'assentiment du pays ?

Il suffit, messieurs, de lire l'exposé des motifs pour se convaincre que les raisons qu'on donne sont contraires à toutes les théories économiques qui ont combattu l'esprit du monopole dans l'industrie de quelque nature qu'elle soit. Mais le monopole dans les transports est plus dangereux que dans toute autre industrie ; cela a été démontré à satiété et ceux qui, en Angleterre, réclamaient le rachat des chemins de fer par le gouvernement motivaient leur opinion, sur laquelle l'exposé des motifs s'est fortement appuyé et que j'ai démontrée être fausse dans mon discours de l'année dernière, précisément sur la nécessité de détruire les monopoles de transport aux grandes compagnies.

Ils disaient : Que l'Etat rachète les chemins de fer et alors l'industrie privée, de petits capitaux, de nombreuses entreprises pourront en prendre l'exploitation et l'on verra se produire dans cette industrie, comme dans toutes les autres, l'esprit d'entreprise et d'amélioration, qui fait complètement défaut dans les grandes compagnies, dirigées ordinairement par des hommes appartenant, la plupart, à de grandes institutions financières ou à la tête de grandes affaires et ne pouvant donner à ces grandes entreprises toute leur attention et tout leur temps.

Voilà sur quels motifs Rowland-Hill, le chef de ceux qui préconisaient le rachat des chemins de fer par l'Etat en Angleterre, appuyait son opinion.

Ici, c'est tout le contraire : les chemins de fer, en fait et en droit, sont la propriété de l'Etat. L'exploitation seule en est concédée pour un terme limité. Ce n'est pas le cas en Angleterre, où les chemins de fer sont des propriétés perpétuelles au même titre que la propriété foncière. Ici donc, c'est à obtenir le monopole de l'exploitation, le monopole des transports que tend toute la politique de l'administration des chemins de fer.

Messieurs, voyons à quelles conséquences de diverses natures cela va nous conduire ; et c'est précisément parce que la convention du 25 avril n'est qu'un premier pas dans l'acquisition du monopole que je signale, c'est parce qu'il y a encore d'autres chemins de fer dont l'exploitation devra être abandonnée à l'Etat, si l'on persiste dans cette politique, que je crois utile d'examiner où cela va nous conduire.

Plusieurs conséquences se produiront nécessairement aussitôt que l'administration des chemins de fer sera en possession de toutes les voies ferrées.

Les conséquences financières vous ont été signalées ou plutôt ont été signalées, lors de la première convention, au gouvernement sans que celui-ci ait cru devoir les soumettre à la Chambre. Cette administration, dans la note qu'elle a donnée après que cette convention eut été soumise au gouvernement, a signalé les pertes inévitables qui seront la conséquence pour le trésor public de la reprise de l'exploitation des chemins de fer par l'Etat. Les raisons qu'elle a données sont des raisons de fait tirées de la pratique même des choses. Elles n'ont pas été réfutées jusqu'ici. Je crois (page 453) inutile d'entrer d'ans le détail de ces raisons avant qu'on en ait au moins tenté là réfutation.

Messieurs, à côté de cette première raison qui intéressé au plus haut degré ceux dont je prends la défense aujourd'hui, c'est-à-dire les contribuables, se trouve une autre raison, une raison d'une importance majeure, je veux parler de l'influence politique, purement politique que le gouvernement, auquel appartiendra l'administration de tous les chemins de fer, cherchera à exercer sur plusieurs arrondissements.

Vous donnez au gouvernement qui se trouvera au pouvoir à des moments donnés, par la multitude d'agents, par la multitude de correspondants, par la multitude d'intéressés directs ou indirects qui se trouveront dans toutes les parties du payé, vous donnez au gouvernement une influence considérable sur les élections, et vous verrez, dans beaucoup d'arrondissements, les élections se faire tantôt au point de vue des tarifs de transport, tantôt au point de vue des chemins nouveaux à construire, et vous verrez des arrondissements nommer des députés uniquement pour obtenir des transports à bon marché ou de nouveaux chemins de fer ; et comme ce ne sont là que des questions tout à fait étrangères a la politique, vous verrez celle-ci soumise à l'influence de questions exclusivement matérielles, vous verrez alors le pays réagissant vigoureusement contre cette influence se soulever l'impulsion politique qui sortira de ces élections.

Le pays ne supportera pas longtemps un régime qui le conduirait bientôt à la corruption la plus caractérisée.

Messieurs, c'est pour cette raison et ce motif que les Constitutions américaines dont j'ai déjà parlé dans une discussion précédente, défendent de la manière la plus complète l'immixtion de l'Etat dans les affaires de transport.

M. Sainctelette. - Et les canaux de New-York

M. Le Hardy de Beaulieu. - Il y a une différence complète entre les canaux et les chemins de fer : les canaux sont exploités par tout le monde, il ne peut s’y établir de monopole et par conséquence l’intervention de l’Etat dans les canaux ne présente pas les mêmes inconvénients que l’intervention de l’Ett dans l’exploitation des chemins de fer.

Je n'attaque pas, messieurs, là propriété des chemins de fer à l'Etat. D'après notre législation, ils appartiennent tous en hué' propriété à l'Etat ; ce que j'attaque, c'est l'intervention journalière de l'Etat dans la vie commerciale et industrielle du pays. C'est là le danger que je signale.

Messieurs, à côté de cette influence politique que je trouvé dangereuse, que je trouve éminemment corruptrice, il s'en trouve une autre : l'Etat exploitant les chemins de fer peut, à certains moments, par des moyens qui ne sont pas toujours découverts le jour même, qui ne se découvriront peut-être qu'à la longue, nuire considérablement à certaines localités. Il peut être entraîné dans cette voie par la passion politique.

Si j'avais le temps de vous dire les raisons qui sont contenues dans l'enquête qui a été faite par le gouvernement anglais sur la question des transports, vous verriez par des faits très nombreux que certaines compagnies par leurs agissements ont ruiné d'une façon presque immédiate certains districts en Angleterre, lesquels, pour se soustraire à cette ruine, ont été obligés de demander au parlement l'autorisation de construire des voies de communication spéciales desservant leurs intérêts.

Eh bien, ne craignez vous pas que de pareils faits puissent se produire dans le pays si l'administration des chemins de fer tombait en mauvaises mains ? Or, cela peut parfaitement arriver, car vous n'avez aucune garantie à cet égard. Si tous les chemins de fer sont la propriété de l'Etat, ne craignez-vous pas que certaines parties du pays puissent être soumises à l'influence nuisible de mauvais règlements qu'il sera difficile au public de découvrir au premier abord ?

C'est quand la ruine sera commencée ou presque complète qu'on s'en apercevra ; alors on s'adressera à la Chambre, mais celle-ci se décidera probablement toujours en faveur du gouvernement, auteur des méfaits dont on se plaindra.

Il en est tout autrement quand une industrie de cette importance se trouve disséminée en plusieurs mains ; dans ce cas, ce que l'un fait de mal est corrigé par ce que l'autre fait de bien ; la concurrence, qui est l'âme de l'industrie moderne, s'en mêle et alors les mauvais résultats, que la liberté produit quelquefois, sont compensés par les bons résultats qu'elle produit toujours.

Voilà la véritable théorie, voilà le véritable principe qui devrait dominer la question des transports dans notre pays et je regrette que, par des considérations dont je n'ai pas encore la clef, le gouvernement ait cru pouvoir s'en départir.

Un des grands arguments qu'on a fait valoir pour amener la Chambre à voter la convention du 25 avril, argument qui vient d'être reproduit dans une interruption, est celui-ci : L'exploitation par l'Etat va amener à la fois l'uniformité des tarifs et l'abaissement des tarifs...

M. Bouvier. - C'est cela.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je ne crains pas de répondre à ceux qui disent : C'est cela, qu'ils se font une grande illusion. J'espère être en mesure de le démontrer.

L'uniformité des tarifs ! Sans doute, rien n'est plus facile que de la décréter : c'est l’a b c, de l'administration. Mais je ne sais pas si l'industrie du pays s'en accommodera ; je ne sais pas si l'uniformité des tarifs ne fera pas la ruine de telle industrie en même temps que la fortune de telle. autre ; je ne sais pas, par exemple, si l'uniformité, qui ferait la fortune du bassin de Charleroi, ne ferait pas la ruine du bassin de Mons. Que feriez-vous alors ? Force vous serait bien d'abandonner bien vite le principe et de courir au plus pressé, c'est-à-dire de renoncer à l'uniformité.

L'unification de l'administration ! Ceci encore est très joli en théorie ; mais en pratique que va-t-il arriver ? Comment se recrute l'administration des chemins de fer, comme toutes les administrations publiques en général ? Il est connu de tous le monde qu'à l'origine ce sont des intelligences supérieures, des esprits remarquables qui ont présidé à l'organisation des chemins de fer de l'Etat ; personne ne le conteste. Mais la nature même des choses, jointe à l'avancement des uns, à la mort des autres, fera que, peu à peu, les esprits d'élite seront remplacés par des esprits routiniers et que la routine finira par présider seule à l'administration des chemins de fer de l'Etat.

Pensez-vous que l'industrie du pays, qui a à lutter contre les industries du monde entier, sur tous les marchés, pourra se contenter d'une pareille situation ? Mais des faits récents indiqueront clairement ce qui va arriver.

Rappelez-vous, messieurs, l'encombrement qui s'est produit récemment à la station d'Anvers par suite des événements extérieurs. Qu'a fait l'administration des chemins de fer ? Comment a-t-elle répondu aux négociants anversois et aux fabricants du pays qui réclamaient instamment l'expédition de marchandises ? Elle n'a rien trouvé de mieux que de les mettre à l'amende.

M. Bouvier. - On vient demander un crédit de plusieurs millions, pour augmenter le matériel.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Cela n'est pas très difficile ni même ingénieux. Mais croyez-vous que l'esprit d'entreprise privée n'aurait pas trouvé d'autres solutions ? Croyez-vous qu'il n'aurait pas trouvé autre chose que de mettre les victimes à l'amende en même temps que de raccourcir le temps accordé pour l'enlèvement des marchandises ?

Je pourrais apporter d'autres preuves encore à l'appui de ma thèse ; mais c'en est assez, je pense ; et je crois avoir suffisamment prouvé que la discussion actuelle ne se prolonge autant que parce qu'elle n'a pas eu lieu en temps opportun.

Il est dès plus probable que, dans peu de temps, d'autres conventions du genre de celle du 25 avril seront discutées avec le gouvernement pour la reprise d'autres lignes ou d'autres réseaux.

J'aborde maintenant la discussion du projet de loi actuel, c'est-à-dire le payement au comptant ou en partie du matériel de la société des Bassins houillers. Je répéterais ce que d'autres ont exprimé, si je disais que ce matériel doit être et rester la garantie de ceux qui ont donné des capitaux pour le construire. Aussi n'est-ce pas sur ce point que porteront mes observations. Je remarque d'abord qu'il s'agit de payer ce matériel non seulement au comptant ou en partie au comptant, mais de le payer en obligations 4 1/2 p. c, qui paraissent devenir une monnaie courante.

J'appelle sur ce point toute votre attention, messieurs ; le matériel des chemins de fer, matériel routant, fixe et voire même les constructions, sont des objets périssables, qui s'usent dans un temps moyen que connaissent tous ceux qui ont l'expérience et la pratique des chemins de fer.

Or, il y a deux ans, nous avons supprimé l'amortissement des obligations 41/2 p. c. lorsqu'elles sont au-dessous du pair ; nous allons donc payer des objets périssables par une dette impérissable ou à peu près, de telle façon qu'un waggon étant usé et réformé, nous en devrons payer le prix, plus l'intérêt et, si nous payons son successeur de la même manière, nous aurons bien encore un waggon en plus, mais nous en devrons deux, plus l'intérêt, et ainsi de suite pour le troisième, le quatrième, etc. (Interruption.)

Ah ! je comprends très bien l'objection que vous pourriez me faire, et je l'admettrais moi-même, si vous mettiez dans les comptes des chemins de fer un amortissement égal à l'usure, de telle façon que lorsque les waggons ayant été achetés par des obligations 4 1/2, vous pourrez aussi racheter ces obligations.

(page 454) Mais cela ne se fait pas, et c'est ainsi que l'on voit que l'administration des chemins de fer signaler au pays de grands bénéfices, produire des comptes qui donnent 4, 5, 5 1/2 ou 6 1/2 p. c. sur les produits ; mais si nous prenons le compte d'établissement de nos chemins de fer, nous voyons chaque année leur coût kilométrique s'augmenter de telle façon que le kilomètre des chemins exploités par l'Etat revient aujourd'hui à 500,000 fr., alors que le point de départ a été 240,000 ou 250,000.

Voilà comme l'administration des chemins de fer parvient à faire croire au pays qu'il fait une excellente affaire.

Messieurs, elle ferait une meilleure affaire encore, si le principe est bon, en l'appliquant également au payement de ses charbons, de ses cokes, de ses huiles, etc. ; les bénéfices seraient bien plus considérables, car, tout cela passerait dans les caisses de la dette publique qui ne regarde plus l'administration des chemins de fer, mais ce seraient les contribuables qui payeraient au lieu et place des recettes de la caisse des chemins, de fer.

M. Bouvier. - Il y a une contre-valeur.

M. Le Hardy de Beaulieu. - En waggons usés et locomotives démontées. Cela ne fait pas doute.

Messieurs, j'ai fini dans quelques instants. Cependant, avant de me rasseoir, je dois vous dire que j'ai annoncé, dans la section dont je faisais partie pour l'examen du budget des travaux publics, que je voterais désormais contre le budget des travaux si l'on ne séparait complètement les finances des chemins de fer de celles de l'Etat, comme j'ai toujours voté contre le budget de la guerre.

Je pense, messieurs, surtout maintenant que nous sommes lancés dans la voie que je vous ai signalée, qu'il est impossible que l'administration des chemin de fer continue à rester, comme aujourd'hui, une administration enchevêtrée dans l'administration de l'Etat.

Je crois qu'il est urgent, qu'il est indispensable d'opérer une séparation complète, radicale, le plus tôt possible. Il faut que l'administration des chemins de fer soit chargée à la fois de sa dette, et de son passif en regard de son actif ; il faut qu'il n'y ait aucun mélange possible entre les finances de l'Etat et celles de l'administration des chemins de fer ; il faut que lorsqu'elle présente son bilan, le pays y puisse se rendre un compte exact et fidèle de la situation de cette entreprise. Je suis d'avis que si, pour les dépenses comme celle dont je viens de parler, elle doit faire des emprunts ou recourir au crédit, procéder directement elle-même à l'émission de ses obligations avec un amortissement correspondant à leur nature de telle façon que les comptes de la dette publique ne soient pas constamment surchargés de l'excédant des dépenses des chemins de fer. Il faut que le pays sache d'une façon claire, nette, positive, quels sont les résultats de l'exploitation. Je suis convaincu qu'après quelques années de cette expérience le pays pourra, d'une façon plus éclairée qu'aujourd'hui, prendre, à l'égard de la question de l'exploitation des chemins de fer, des dispositions qui seront à la fois dans l'intérêt général, dans l'intérêt des contribuables, dans l'intérêt de l'industrie, du commerce et de l'agriculture.

(page 457) M. Sainctelette. - Messieurs, avant d'entrer en matière, je demande à rectifier une énonciation de M. le ministre des finances. M. le ministre, parlant, hier, de la fondation delà société des Bassins houillers, a dit que le personnel s'en composait d'un sénateur libéral de l'arrondissement de Bruxelles, de deux représentants de l'arrondissement de Charleroi, de deux représentants de l'arrondissement de Mons et de deux représentants de l'arrondissement de Thuin.

Je n'avais pas l'honneur de représenter l'arrondissement de Mons à la Chambre quand je suis entré, au mois de février 1866, dans la société des Bassins houillers ; et quand je suis entré dans la Chambre, au mois de décembre 1869, il y avait quelque temps déjà que je m'étais démis de mes fonctions de commissaire de la société des Bassins houillers, que j'avais vendu mes actions et que j'avais cessé d'avoir avec cette société aucune relation, aucun intérêt commun, direct ou indirect, éloigné ou prochain.

Ceci dit, j'entre en matière. Je n'ai nul goût ni pour les longueurs ni pour les hors-d'œuvre. C'est donc à regret que je me vois forcé de prolonger cette discussion et d'y intervenir pour parler d'autre chose que de la vraie question. Mais la convention du 25 avril 1870 qui, à mon avis, n'avait rien à faire ici, a été trop vivement attaquée pour qu'il soit possible à ceux qui l'on votée de garder le silence. J'ai eu l'honneur d'être le rapporteur de la section centrale qui a examiné la convention du 25 avril 1870, et je tiens à défendre et mes amis présents, et surtout mes amis absents, du reproche qui nous a été fait d'avoir voté cette convention du 25 avril avec trop de précipitation.

L'honorable, M. Brasseur a été très bienveillant pour moi personnellement ; mais sous ses compliments on pourrait voir une épigramme. Je me suis proposé, en faisant le rapport de la section centrale sur la convention du 25 avril, un tout autre but que celui d'écrire un morceau de littérature économique. J'ai voulu étudier de mon mieux une des questions les plus graves qui puissent se présenter de nos jours dans tous les pays.

La convention du 25 avril 1870 a été très vivement attaquée par plusieurs membres de la droite, par l'honorable M. Liénart d'abord, qui l'a représentée comme une œuvre de parti, et qui, reprenant de sang-froid et de propos délibéré, un mot échappé à la fougue improvisatrice de l'honorable M. Dumortier, a accusé l'ancienne majorité libérale d'avoir, dans un intérêt politique électoral, escamoté un acte important.

L'honorable M. Liénart a perdu de vue que la convention du 25 avril 1870 a été votée, non seulement par la Chambre, mais par le Sénat ; et que, au Sénat, elle a été votée à l'unanimité, aussi bien par la droite que par la gauche. La droite, cependant, n'est pas sans compter au Sénat des hommes parfaitement entendus en affaires, parfaitement instruits des questions financières, devant à une longue expérience des connaissances toutes spéciales en matière de chemins de fer.

La droite du Sénat a étudié la convention et de si près, à moins que mes souvenirs ne me trompent grandement, qu'un de ses membres les plus distingués fit faire un carte spéciale pour mieux se rendre compte de la portée de la convention et pour mettre mieux en lumière l'état de choses nouveau qui allait en résulter.

On nous accuse d'avoir voté cet acte important à la veille de la clôture de la session et dans un but électoral. Mais si la droite du Sénat avait trouvé matière à critique dans cette convention, si elle y avait trouvé des dispositions, imprévoyantes, ou dangereuses, croyez-vous qu'elle eût manqué de la renvoyer à la Chambre, de prolonger notre session, d'user contre nous de cette arme nouvelle dans la campagne électorale qui se préparait contre nous ?

Non. Si la droite du Sénat a voté la convention du 25 avril 1870 sans aucune modification, si elle n'a tenté de la critiquer en aucune façon, c'est qu'à ses yeux, j'en ai l'assurance, cet acte n'était pas critiquable.

L'honorable M. Brasseur est allé plus loin que l'honorable M. Liénart. Il nous a reproché, non pas seulement la convention du 25 avril 1870, mais encore la situation à laquelle cette convention a mis fin.

Ou je l'ai mal compris ou il a voulu faire peser sur l'ancienne majorité exclusivement la responsabilité même des concessions accordées jusqu'ici. Nous sommes responsables, non pas seulement de la convention du 25 avril, acte mauvais en soi, mais encore et surtout de la situation qui a amené cet acte. Nous avons fait le mal et nous avons inhabilement essayé de le réparer.

Messieurs, il y a longtemps qu'on a dit qu'il faut juger les personnages historiques à leurs dates. De même il faut juger les actes en tenant compte des situations au sein desquelles ils ont été posés.

Quand on est entré dans le système des concessions, il y avait pour le faire de très grandes et de très bonnes raisons.

D'abord, on ne pouvait pas résister, on n'avait pas le droit de résister aux vœux des populations.

Le premier intérêt d'un pays essentiellement industriel comme la Belgique est d'avoir un outillage complet. Or, je ne connais pas d'outil industriel plus nécessaire et plus important qu'un bon instrument de transports.

Il le fallait à la Belgique le plus tôt possible. Il le lui fallait le plus complet possible.

L'Etat en avait créé une partie, mais il ne pouvait ni ne voulait créer le tout.

Les Chambres n'avaient donc pas le droit de dire aux populations qui recommandaient un concessionnaire : Nous vous refusons ce chemin de fer que vous nous demandez et nous vous le refusons uniquement dans un intérêt fiscal et pour éviter une diminution momentanée des revenus de l'Etat.

D'ailleurs, messieurs, quand on a accordé le plus grand nombre de concessions, connaissait-on, connaît-on même aujourd'hui d'une manière exacte et complète les lois qui régissent le trafic des chemins de fer ? Ne se trompe-t-on pas, tous les jours encore, dans les prévisions que l'on forme sur le trafic intérieur des chemins de fer ? A plus forte raison est-on excusable de n'avoir pas toujours justement apprécié la nature et la portée de l'influence des chemins de fer nouveaux sur les réseaux préexistants.

Je pourrais vous citer, messieurs, des embranchements concédés comme n'ayant que peu ou point d'importance et qui se sont trouvés constituer, pour le réseau de l'Etat, des affluents extrêmement utiles. Je pourrais citer des chemins de fer concédés primitivement comme chemins industriels que le vœu des populations a fait transformer en chemins à toutes fins, et qui sont aujourd'hui le noyau central, le cœur de grands réseaux.

Il était impossible quand on a accordé la plupart des concessions, de calculer toutes les conséquences de l'action et de la réaction de ces concessions entre elles et avec le réseau de l'Etat. Il était surtout impossible de prévoir l'influence qu'elles pouvaient exercer les unes à l'aide des autres, par l'amalgame, par la fusion. Songez, messieurs, qu'il y a en Belgique, jusqu'à 79 concessions, et pensez, je vous prie, au nombre de combinaisons possibles entre ces concessions.

Les membres nouveaux de la Chambre, et je suis de cette catégorie, se mettraient donc par trop à l'aise s'ils reprochaient aux membres anciens les actes que ceux-ci ont posés, sans tenir compte des situations au sein desquelles ces actes se sont produits.

D'ailleurs, il n'y a aucune justice à faire porter à un seul parti la responsabilité du système des concessions.

Sous ce rapport, messieurs, la gauche n'a pas de reproche à recevoir de la droite.

Quand vous étiez au pouvoir, vous avez accordé des concessions ; quand vous étiez dans l'opposition, vous les avez votées. Si la gauche en a proposé et voté plus que vous, c'est qu'elle avait la majorité dans le pays.

Je laisse là, messieurs, la revue rétrospective de l'honorable M. Brasseur et j'arrive à l'examen de la convention du 25 avril 1870.

Je vais l'examiner à trois points de vue différents : au point de vue de l'intérêt public, de l'intérêt de l'Etat, enfin de l'intérêt des obligataires.

Je me placerai d'abord au point de vue public, parce que les chemins de fer sont faits en vue des intérêts généraux de la nation, plutôt qu'en vue des intérêts financiers de l'Etat ; qu'ils doivent être une cause de prospérité pour la nation, avant d'être une source de revenu pour le trésor.

De ce point de vue, la convention du 25 avril 1870 a eu ces deux résultats : 1° de porter à deux mille kilomètres l'étendue du réseau soumis à un régime uniforme ; d'ajouter au réseau de l'Etat, qui ne se composait alors que de 863 kilomètres, 1,100 kilomètres de lignes nouvelles ; 2° d'assurer à toutes les populations desservies par les 600 kilomètres de chemins de fer existants et par les 550 kilomètres de chemins de fer à construire, le bienfait des bas tarifs.

Je reprends ces deux points :

Que l'unité de régime soit toujours un bienfait, cela ne me paraît pas contestable. Qu'il s'agisse de transports, d'impôts ou de législation, on a toujours considéré l'empire d'une seule et même règle comme un grand progrès.

Les tarifs de transports agissent de la même manière que les tarifs de (page 458) douane, mais dans une mesure peut-être plus considérable encore qu'eux-mêmes. Ils peuvent être simplement rémunérateurs ; ils peuvent être protecteurs ; ils peuvent même être prohibitifs. Ils peuvent, à leur gré, encourager les industries, les entraver ; créer des industries factices. Mal conçus, ils changent d'une manière artificielle les conditions de la production et font naître des industries qui ne sont pas réelles. Bien conçus, ils aident au développement des vraies industries du pays.

La diversité des tarifs de transport, leur nombre, leur complication sont certainement de bien grands obstacles à la facilité des relations commerciales. J'ose dire qu'il n'est pas un seul consommateur de transports, voyageur, expéditeur, destinataire, qui ne soit de cet avis.

Il fut un moment où l'on ne pouvait pas trouver, même dans les bureaux de stations importantes de l'Etat, un seul employé capable de renseigner exactement le public sur les prix de transport dans de certaines directions à l'intérieur même du pays.

Il y avait alors un grand nombre de concessions exploitées isolément pour la plupart, et soumises à des tarifs souvent conçus dans des ordres d'idées toutes différentes.

Je ne puis comparer l'état de la Belgique sous le régime du morcellement des exploitations qu'à l'état de la France sous le régime des douanes intérieures.

A ce régime du morcellement des exploitations on a substitué le régime de la pluralité des exploitations. Ce n'est qu'un progrès, non encore une solution définitive.

Au 25 avril 1870 il y avait encore dans le pays douze exploitations distinctes. La convention a amené la réunion des deux plus importantes, celle de l'Etat 863 et celle des Bassins houillers environ 1,151 kil. Elle constitue donc de ce point de vue un grand progrès, et c'est avec ce caractère et à ce titre qu'elle a été si favorablement accueillie par les populations.

Reportez-vous au moment où elle fut présentée, vous ne trouverez nulle part la moindre trace de critique.

Les populations ont été unanimes à la considérer comme un bienfait. Elles souhaitent que l'on persévère dans ce système et aujourd'hui encore les chambres de commerce de tout le pays demandent l'unification complète de l'exploitation des chemins de fer belge.

Je dis, en deuxième lieu, que la convention du 25 avril 1870 a rendu aux populations desservies par les chemins de fer exploités par les Bassins houillers ou à construire par eux, le grand service de leur procurer et de leur assurer des tarifs plus bas que ceux subis jusqu'à présent.

Je me trouve ici en opposition complète avec M. Le Hardy de Beaulieu. L'honorable membre applique aux chemins de fer la loi de la concurrence, mais il ne prend pas garde qu'en matière de chemins de fer comme en toute autre matière la loi de la concurrence ne produit son effet que dans la mesure de son action.

Or, en matière de chemin de fer, qu'il s'agisse de deux lignes ou de deux réseaux, il n'y a de concurrence effective qu'entre les points communs, qu'entre les directions parallèles. Les plus grands réseaux ne peuvent se faire de concurrence que quant aux points de provenance ou quant aux points de destination et dans certaines directions seulement.

Le trafic local, le trafic intermédiaire, le trafic de gare en gare échappe toujours à l'action de la concurrence.

Aussi qu'arrive-t-il ? C'est que les compagnies contraintes par l'action de la concurrence de subir des sacrifices dans la rédaction des tarifs en service mixte ou en service international, surchargent leurs tarifs intérieurs. C'est ce qui se fait presque toujours dans notre pays. C'est ce qui se faisait dans l'occurrence, C'est ce que la convention du 25 avril empêchera de faire désormais, car dans son article 42, elle a stipulé que « dorénavant les tarifs à appliquer seront ceux actuellement en vigueur ou tous autres que l'Etat jugerait à propos de décréter pourvu qu'ils aient un caractère général, c'est-à-dire qu'ils soient applicables à toutes les lignes formant le réseau exploité par l'Etat. »

Je vais examiner maintenant la convention du 25 avril au point de vue de l'intérêt de l'Etat.

L'honorable M, Brasseur en la critiquant à ce point de vue a perdu de vue qu'il fallait avant tout se rendre compte de la situation qui était créée.

Il ne suffit pas de savoir ce que l'Etat a donné pour acquérir le droit d'exploiter les chemins de fer des Bassins houillers ; il faut aussi examiner quelle était la situation que le gouvernement a voulu faire disparaître et quels étaient les dangers possibles de cette situation pour l'avenir.

Voyons donc ce qu'était le réseau des Bassins houillers comparativement au réseau de l'Etat.

Le premier coup d'œil jeté sur la carte vous fait constater que le réseau des Bassins houillers avait des issues propres vers la mer et vers la France, des points de contact nombreux avec les réseaux des compagnies du Nord et de l'Est, mais surtout que ce réseau, au lieu d'être juxtaposé au réseau de l'Etat, comme le sont le réseau du Luxembourg, le réseau de la Flandre occidentale, le réseau même du Grand Central, était superposé au réseau de l'Etat, en sorte qu'il y avait un entre-croisement continuel et que les points de contact étaient non pas seulement aux frontières, mais même au cœur des réseaux concurrents.

Un second coup d'œil vous fera remarquer que le réseau exploité par les Bassins houillers avait ce caractère spécial de mettre en communication directe, et par les lignes les plus courtes, tous les centres producteurs de matières pondéreuses telles que houilles, fontes, pierres de taille, chaux, avec les marchés de consommation.

En voilà plus qu'il ne faut pour comprendre combien la concurrence était vive et comment elle pouvait devenir très dommageable.

J'ai cherché à rendre compte à la Chambre, au mois de mai dernier, de la portée de cette concurrence par quelques chiffres qui ont été cités dans le rapport de la section centrale. Depuis, j'ai pu compléter ces chiffres par l'examen de documents publiés dans le courant de l'année 1870 et voici, messieurs, le résultat auquel je suis arrivé.

J'ai pris pour objet de l'étude à faire l'élément le plus important du trafic, la marchandise à petite vitesse.

Je constate d'après le compte rendu du chemin de fer de l'Etat que, de 1865 à 1866, la progression de ce trafic a été d'année en année d'environ 650,000 à 700,000 tonnes, savoir :

1864 sur 1863, 777,666

1865 sur 1864, 642,341

1866 sur 1865, 634,392

Soit 2,054,399

Tandis que, de 1867 sur 1866, il y a un manquant de 3,729, et que de 1868 sur 1867 et de 1869 sur 1868, l'excédant est singulièrement réduit.

1867 sur 1866, - 3,729

1868 sur 1867, 115,970

1869 sur 1868, 456,271

Soit 568,512

Ainsi, dans la première triennale, le progrès a été de 2,054,399 ; dans la seconde, de 568,512 seulement. Il y a, entre les deux époques, et malgré la progression toujours de plus en plus marquée de la richesse publique, un écart de plus de 1,500,000 tonnes.

Voici la contre partie. En 1868, le trafic de la Société générale d'exploitation était de 5,570,595 tonnes. En 1869, il s'élève à 7,040,601 tonnes, dont 3,153,300 en service intérieur, et 3,904,700 en service mixte.

J'extrais ces chiffres, messieurs, des rapports publiés par la compagnie, et élaborés par un homme qui a été vingt ans au service de l'Etat, par M. Félix Gendebien, ancien inspecteur général de l'exploitation.

Ainsi, dans l'année même où le trafic de la compagnie s'accroissait de 1,470,000 francs, le trafic de l'Etat n'augmentait que de 450,000.

Ainsi encore, ce que l'Etat n'a point gagné dans la triennale, l'exploitation le gagne en une seule année.

Je sais bien et je me hâte d'ajouter que le produit de la tonne embarquée par l'Etat est tout autre que celui de la tonne embarquée par la Société générale d'exploitation ; d'un côté, c'est 3 francs et plus, de l'autre, c'est 1 fr. 40 c. Mais n'oubliez pas, je vous prie, que les chemins de fer à construire devaient, en prolongeant les lignes des Bassins houillers, en leur donnant par conséquent de grands parcours, leur fournir précisément le facteur de produits que l'Etat possédait et qui jusqu'alors faisait défaut à la société.

Voilà la situation. Certes personne ne contestera qu'elle fût dommageable pour l'Etat.

Eh bien, la convention du 25 avril y a porté remède dans la mesure du possible.

L'honorable M. Brasseur nous a dit : Vous avez livré avant la bataille ce que vous n'auriez dû livrer qu'après. D'abord, je vous avoue, messieurs, qu'en thèse générale, je suis peu partisan de ces batailles qui se livrent aux frais et au détriment d'un tiers. Or, la guerre entre l'Etat et la Société générale d'exploitation, c'est-à-dire la rupture des relations mixtes eût été faite aux frais et au détriment du public.

Il fallait autant que possible l'éviter.

Mais, messieurs, pouvait-on contester à la société des Bassins houillers les faits accomplis, l'état de choses acquis ? Evidemment non ?

On n'a pas pu démolir les chemins de fer construits et qui constituaient, au bénéfice de la société, des voies de raccourcissement.

Tout ce que l'on pouvait faire, et on l'a fait, c'était d'empêcher une pareille situation de s'aggraver.

Aussi, voyez-vous la convention stipuler, dans son article 17, que, dans les six mois qui suivront la promulgation, l'Etat fera une réunion des (page 459) lignes et qu'il est autorisé à modifier tout ou partie de ces lignes afin d'éviter les doubles emplois.

Vous rendrez à la section centrale la justice de reconnaître qu'elle s'est beaucoup occupée de cette question de la suppression des doubles emplois. Vous relirez avec intérêt les explications fournies par l'honorable ministre d'alors, et vous constaterez que, dans la mesure du possible, on a empêché le développement de la situation dommageable que j'ai signalée tout à l'heure.

Une seconde précaution a été prise. La société ne pouvait pas abandonner à l'Etat le soin de la direction des transports, parce que c'eût été se mettre à sa merci. Elle a donc stipulé que les transports se feraient d'après certains itinéraires déterminés par la convention de service mixte de 1868. Mais l'Etat s'est de son côté réservé la faculté de faire ces transports suivant la direction qui serait la plus avantageuse au point de vue du prix de revient. (Interruption.) Voici ce que dit l'article 52 :

« Il sera loisible à l'Etat de diriger les transports par la voie qui lui paraîtra la plus avantageuse au service d'exploitation, à la condition d'attribuer le produit de ces transports aux itinéraires déterminés comme si ces itinéraires étaient réellement suivis. »

Ainsi étant donné un transport déterminé attribué à la société des Bassins houillers, d'après les règles de la convention de 1868, si l'Etat croit qu'il y a économie à faire l'expédition par ses propres lignes, il pourra, en tenant compte de ce transport à la société des Bassins houillers comme recette brute, faire le transport par ses lignes et gagner l'écart entre les frais d'exploitation.

Voilà donc encore une clause qui améliore la situation. Elle n'agit pas sur la recette ; elle agit sur la dépense.

Voyons, maintenant, messieurs, de quel prix il fallait payer et de quel prix on a réellement payé les modifications apportées à la situation que je signalais tout à l'heure.

Lorsqu'on apprécie une convention dont la durée, remarquez-le bien, est de soixante et dix ans, il n'y a aucune justice à ne considérer que le présent ; il faut aussi et surtout considérer l'avenir. Il faut voir la situation que la convention fait dans l'avenir tout autant et plus encore que celle qu'elle crée dans le présent.

Or, pour l'avenir, la convention a stipulé que, quoi qu'il arrive, le revenu de la société des Bassins houillers ne dépassera jamais 15,000 francs par kilomètre. Quelle que soit l'importance du trafic, quelle que soit l'importance de la recette brute, y eût-il plus de 34,000 francs de recette brute, la société ne peut pas obtenir plus de 15,000 francs.

Très vraisemblablement, avant une période de vingt ans, ce chiffre de 34,000 francs sera dépassé et tout l'excédant appartiendra exclusivement à l'Etat.

Pour vous donner une juste idée, messieurs, de l'importance de cette clause, permettez-moi de vous rappeler que la ligne de Tournai à Jurbise n'est guère exploitée que depuis une vingtaine d'années et que le tantième du revenu du concessionnaire, à raison de 50 p. c. de la recette brute, représente maintenant déjà plus de 19,000 francs par kilomètre.

La ligne a donc mis vingt ans ou environ à atteindre le chiffre de 38,000 francs.

Or, la moyenne des produits des chemins de fer exploités par la société des Bassins houillers était garantie par elle devoir atteindre, pendant les trois premières années, le chiffre de 22,000 francs.

L'écart n'est donc plus déjà que de 22,000 à 34,000 francs.

Y a-t-il de la témérité à supposer que cet écart sera assez rapidement franchi ? Je ne le pense pas.

Consultez les décennales en matière de chemin de fer et vous verrez combien le trafic en grandit rapidement, comment il s'est doublé dans certaines périodes et notamment de 1860 à 1870.

Vous vous convaincrez, je pense, qu'il ne faudra pas vingt ans pour que le chiffre de 34,000 francs soit atteint et qu'une nouvelle source de revenus s'ouvre au profit de l'Etat.

Je demande pardon à la Chambre d'avoir à introduire dans cette discussion autant de chiffres, mais ils sont un élément nécessaire d'appréciation.

Dans les traités les plus récents d'exploitation consentis par l'Etat, on n'avait jusqu'à présent stipulé au profit de l'exploitation que 50 p. c. de la recette.

Il en a été ainsi pour le chemin de fer de Tournai à Jurbise et encore pour le chemin de fer de Bruxelles à Calais, concédé plus récemment.

Ici, messieurs, le gouvernement a stipulé une somme qui s'élève, en thèse générale, à 11,000 francs par kilomètre, et même pour les trois premières années à 15,000 francs, de sorte qu'il y a entre le traité actuel et les traités plus anciens une double différence : que d'une part le tantième du concessionnaire est limité à 15,000 francs, et que d'autre part le tantième réservé à l'exploitation est élevé de 50 p. c. à 61 p. c.

Il est à remarquer encore que l'Etat ne garantit rien à la société des Bassins houillers ; il se borne à lui laisser faire un prélèvement. Je sais bien qu'en fait, ce prélèvement ou cette redevance atteindra le chiffre de 7,000 francs, mais, en droit, elle n'est pas fixée, elle n'est pas garantie.

L'honorable M. Brasseur nous a dit que ce n'était point là un abri bien sûr ; que rien ne donnait la garantie à l'Etat qu'il rentrerait dans ses frais d'exploitation ; que là cependant était le point important ; qu'il y a des chemins de fer qu'il serait mauvais d'accepter même gratuitement, parce que les frais d'exploitation peuvent ne pas être couverts parla recette brute.

Messieurs, cela est parfaitement exact, mais je ne puis en conscience laisser à M. Brasseur tout le mérite de cette découverte.

Les négociateurs, c'est-à-dire quatre chefs de service aussi recommandables par leur zèle éclairé et leurs connaissances spéciales que par leur honorabilité, MM. Vander Sweep, Mongenast, Dédier et Belpaire, ne me paraissent pas incapables d'avoir entrevu ce fait que la recette brute peut, en certaines circonstances, ne pas dépasser de 7,000 francs la dépense d'exploitation, et je soupçonne MM. les ministres d'alors de n'être pas sans l'avoir quelque peu deviné.

Voici comment on a constaté qu'il était possible de laisser prélever 7,000 francs à la société des Bassins houillers sans compromettre le recouvrement du pair d'exploitation avancé par l'Etat.

On a vérifié les écritures de la Société générale d'exploitation et de la société des Bassins houillers.

Vous trouverez dans le rapport de ces sociétés :

Que le produit brut des chemins de fer de l'exploitation a été en 1867 de 15,200 fr., en 1868 de 15,136 fr. et en 1869 de 15,305 ;

Que la dépense d'exploitation a été en 1867 de 7,500 fr., en 1868 de 7,720 fr. et en 1869 de 7,978 fr.

Qu'on a exploité, en 1867, à 49 p. c. ; en 1868, à 51 p. c. et en 1869, à 52 p. c.

Mais il faut remarquer que dans ces réseaux se trouvent les chemins de fer de la Flandre occidentale et du nord de la Flandre orientale, chemins de fer de bas produit qui ont été éliminés par la convention puisqu'ils sont mis à part et forment des réseaux qui restent dans les mains de la Société d'exploitation.

La moyenne nette des chemins de fer repris est donc certainement supérieure à la moyenne nette qui résulte des chiffres que je viens de citer.

Nous avons voulu savoir en section centrale d'après quels chiffres, d'après quels renseignements on avait cru pouvoir affirmer que le trafic continuerait à produire 18,000 francs et même 22,000 francs.

L'honorable M. Jamar nous a déclaré qu'on avait constaté depuis plusieurs années, en matière de chemins de fer, que la recette brute du mois d'octobre donnait une idée à peu près exacte de la recette des mois de l'année suivante, et que la recette du mois d'octobre 1869, vérifiée et examinée avec le plus grand soin, avait été trouvée telle, qu'on pouvait s'en promettre pour 1870, et à plus forte raison pour 1871 et 1872, la recette annoncée et garantie.

L'honorable M. Brasseur a fait encore, contre la convention du 25 avril, deux objections que je tiens à relever. Il a parlé de la solidarité établie entre les deux réseaux : le réseau construit et le réseau à construire, et il a blâmé, je crois, cette solidarité.

Messieurs, l'objection est fondée si l'on se place au point de vue des obligataires ; mais j'avoue que je ne la comprends même pas, si l'on se place au point de vue de l'Etat.

L'Etat avait évidemment intérêt à faire porter ce chiffre de 7,000 francs et toutes ses stipulations sur l'ensemble du réseau ; or, la Chambre et le gouvernement devraient se préoccuper de l'intérêt de l'Etat avant de s'occuper de l'intérêt des obligataires. La Chambre et le gouvernement sont les protecteurs, les tuteurs obligés de l'Etat et non des obligataires.

Messieurs, il faut vous rendre bien compte de l'injustice des reproches adressés par M. Brasseur à la convention du 25 avril. Demandez-vous, comme je me le suis demandé à moi-même, à cette époque, si l'intervention des Bassins houillers était une intervention heureuse pour l'Etat, si l'Etat n'aurait pas trouvé un certain avantage à traiter directement avec les lignes et à les reprendre en quelque sorte isolément une à une, si l'intervention (page 460) des Bassins houillers n'était pas, si je puis m'exprimer ainsi, une entremise parasite.

Réfléchissez et vous vous convaincrez que non. Vous vous convaincrez que, si au lieu de reprendre d'un seul et même coup 1,100 kilomètres de chemins de fer concédés, l'Etat avait voulu reprendre les réseaux un à un, il n'aurait jamais obtenu le même résultat au même prix. Les bonnes lignes ne se seraient pas affermées moyennant un simple prélèvement, ni même pour une rente garantie de 7,000 francs, et quant aux mauvaises lignes elles ne se seraient pas résignées à leur sort, elles auraient attendu, et, dernières venues, elles auraient été en position de se faire payer beaucoup plus cher qu'on ne fait aujourd'hui.

Je n'entrerai pas, messieurs, dans l'examen des critiques de détail qui ont été adressées à la convention du 25 avril 1870 par l'honorable M. Brasseur, par l'honorable M. Boucquéau et par l'honorable M. Balisaux, par la raison que cette convention a été préparée par des hommes techniques. Je puis invoquer ici l'argument qu'invoquait hier M. le ministre des finances. M. le ministre des finances vous disait qu'il se défie de sa propre opinion sur certaines questions et qu'il préfère s'en rapporter à l'avis des hommes techniques de son département. Même en matière de droit, il incline en faveur de l'avis des avocats du département et le préfère à son sentiment personnel. Eh bien, je vous le demande, est-ce qu'une section centrale pouvait entrer dans l'examen de questions relatives aux rails, aux billes, aux excentriques, etc., etc. ? N'étaient-ce pas là des questions purement, exclusivement du ressort de l'administration ? La section centrale ne comptait qu'un ingénieur parmi ses membres.

Quant au gouvernement il avait en main des renseignements recueillis par ses fonctionnaires ; mon honorable collègue, M. Jamar, est parfaitement en mesure, j'en suis convaincu, de répondre à toute cette partie de l'argumentation de l'honorable M. Brasseur et de ces collègues de la droite.

Je passe maintenant à l'examen de la convention du 25 avril 1870, au point de vue des obligataires..

Je constate d'abord que la préoccupation des intérêts des obligataires est nouvelle chez le législateur. Je ne la blâme pas ; mais je constate le fait. Jamais, jusqu'à présent, on ne s'est enquis du sort des capitaux immobilisés par l'industrie privée dans la construction des chemins de fer et dans leur exploitation. Jamais on n'a eu souci, quand on a concédé un chemin de fer, des intérêts des actionnaires et des obligataires. Jamais on ne s'est enquis si ces actionnaires et ces obligataires recevraient les intérêts et l'amortissement de leur capital. Je ne dis pas qu'on ait bien fait, je constate.

J'ajoute que souvent la Chambre a voté des concessions qui, par voie de concurrence ou de raccourcissement, devaient détruire, en quelque sorte, tout le mérite de concessions antérieures. Plus d'un vote de la Chambre a influé d'une façon défavorable sur le sort d'une compagnie de chemins de fer en lui créant, à l’improviste, une concurrence désastreuse.

Autre chose. Aujourd'hui que les obligataires ont parlé, ont pétitionné, ont écrit, il est facile de dire qu'on aurait dû se préoccuper des intérêts des obligataires ; mais s'il est naturel de s'en préoccuper aujourd'hui, il n'en était pas de même au mois de mai 1870, alors que les obligataires ne donnaient pas signe de vie. La convention du 25 avril a été déposée au commencement du mois de mai. Il a fallu un certain temps pour l'examiner, faire le rapport et la discuter à la Chambre et au Sénat. Je n'ai pas souvenir qu'un obligataire ait adressé une réclamation ou envoyé une pétition à la Chambre. Je n'ai pas souvenir même d'un article de journal sur cette question.

- Un membre. - La caisse des annuités n'existait pas.

M. Sainctelette. - Evidemment, la caisse des annuités n'existait pas. Je ne blâme pas l'intervention actuelle des obligataires, je constate qu'ils ne sont pas intervenus en mai 1870. On nous reproche de ne nous être pas préoccupés des intérêts des obligataires ; à cela je réponds : Les obligataires eux-mêmes n'étaient pas inquiets.

M. Brasseur. - Le public ne connaissait pas la convention ; elle n'a pas été publiée.

M. Sainctelette. - Je vous demande pardon ; la voici : c'est bien un document parlementaire. Si elle n'a pas été publiée ailleurs, ce n'est pas là un fait imputable à la section centrale.

On m'affirme que la convention a été publiée dans les documents parlementaires.

M. Brasseur. - Elle n'y est pas.

M. Sainctelette. - Dans tous les cas, la section centrale n'en est pas responsable.

La convention, messieurs, offrait, du reste, aux actionnaires, aux obligataires, à tous les intéressés, un moyen de sauvegarder leurs intérêts.

La convention, dans son article 63, exige la ratification des différentes sociétés concessionnaires. Il est ainsi conçu :

« La société des Bassins houillers promet, pour autant que de besoin, la ratification de la présente convention par les différentes sociétés concessionnaires des lignes qui en font l'objet et en apportera la justification avant le 1er août prochain. »

Exiger la ratification des concessionnaires, n'était-ce pas donner à ces sociétés, à leurs actionnaires et à leurs obligataires, le droit de subordonner leur ratification à des conditions de nature à sauvegarder leurs intérêts légitimes ? Est-ce que plusieurs sociétés n'ont pas usé de cette faculté et notifié à l'Etat qu'elles ne ratifieraient la convention qu'à certaines conditions ?

L'Etat n'a pas manqué de prendre garde à leurs protestations.

Cette faculté était accordée aux obligataires aussi bien qu'aux actionnaires. Pourquoi les premiers n'en auraient-ils pas usé aussi bien que les seconds ? Croyez-vous que si les obligataires avaient notifié aux conseils d'administration des sociétés concessionnaires qu'ils leur faisaient défense de ratifier la convention autrement qu'à la condition d'une délégation de la redevance ou à toute autre condition propre à atteindre le même but, on aurait passé outre ? Où donc aurait-on trouvé des administrateurs assez hardis pour le faire ?

Voilà donc, messieurs, dans le contrat de 1870 une stipulation qui sauvegardait véritablement les intérêts des tiers, qui suffisait à les garantir complètement.

L'honorable M. Brasseur ne s'est pas contenté de reprocher à l'ancienne majorité de n'avoir pas sauvegardé les intérêts des obligataires. Il a indiqué les mesures propres à sauvegarder complètement ces intérêts.

Je crois qu'il s'est aventuré un peu trop rapidement sur un terrain dangereux.

J'ai beaucoup réfléchi aux propositions qu'il a formulées, je ne les trouve pas praticables, je n'y trouve pas le moins du monde une satisfaction pour les obligataires.

Il a parlé d'abord d'un droit hypothécaire. Il a même déclaré, en finissant son discours, que rien ne serait plus simple que d'affecter hypothécairement le chemin de fer, immeuble et matériel, aux porteurs d'obligations.

Il suffit de réfléchir à la nature du contrat de concession pour se convaincre que cette idée n'est pas juste en droit.

Le contrat de concession est un contrat d'entreprise par lequel on s'engage à construire un ouvrage quelconque, pont, route, canal, chemin de fer, et par lequel on reçoit en prix un droit à des péages à percevoir sur le public. L'ouvrage construit entre immédiatement dans le domaine public aussi bien que s'il avait été construit par l'Etat directement. Il est inaliénable et imprescriptible.

Or, la notion du domaine public répugne à toute idée d'un droit privatif. Il répugne surtout à l'idée d'une hypothèque qui ne peut s'exercer que par la mise dans le commerce.

Le droit d'hypothèque a pour objet de suivre un immeuble en quelques mains privées qu'il se trouve et de le faire vendre pour se payer sur le prix. L'hypothèque implique nécessairement la commercialité de l'immeuble sur lequel elle est inscrite. Comment donc les immeubles hors du commerce pourraient-ils en être susceptibles ?

Ainsi, la parole de l'honorable M. Brasseur a mal servi sa pensée quand il a dit : Il aurait suffi, pour sauvegarder les intérêts des obligataires, d'une légère modification au régime hypothécaire.

Non, ce n'est pas le régime hypothécaire qu'il eût fallu modifier. C'était toute la législation sur le domaine public dont il eût fallu bouleverser l'économie et changer les principes.

En second lieu, messieurs, y a-t-il même une cause de préférence à invoquer en faveur des obligataires ?

J'ai de grandes sympathies pour les obligataires. Je suis le premier à reconnaître qu'ils doivent passer avant les actionnaires. Mais d'autres créanciers sont tout aussi intéressants.

Ceux qui ont fourni aux compagnies de chemins de fer des terrains, des rails, des billes, du matériel de toute nature sont aussi intéressants que ceux qui ont fourni de l'argent pour des terrassements ou des ouvrages d'art.

Je ne conçois pas de raison de distinguer entre les diverses catégories de créanciers. Je conçois la distinction entre l'intérêt des obligataires et celui des actionnaires. cette distinction est de droit comme de sens commun puisque l'un est le débiteur de l'autre.

(page 461) Il n'est donc pas, je crois, possible de modifier au profit des obligataires la législation qui nous régit. Je dis, de la modifier dans le sens indiqué par l'honorable M. Brasseur.

L'honorable membre a annoncé une proposition. Il a invité M. le ministre de la justice à en déposer une. J'attends, je l'avoue, avec une certaine curiosité, la formule de cette proposition.

L'honorable M. Brasseur a indiqué une seconde précaution qu'il eût fallu prendre.

Il eût fallu, a-t-il dit, sortir' du droit commun et déclarer les annuités incessibles. C'est bien cela, je pense ?

M. Brasseur. - Parfaitement.

M. Sainctelette. - Il y a deux réponses à faire à cela.

La première, c'est qu'il est toujours dangereux de sortir du droit commun, parce qu'on ne sait pas où l'on va.

Le droit commun n'est pas aussi pauvre de ressources que l'imagine l'honorable M. Brasseur.

Si j'ai bien compris l'honorable M. Brasseur, il a dit qu'il fallait défendre la cession des annuités par les Bassins houlliers, parce que ceux-ci pouvaient en faire un mauvais usage.

Mais,, messieurs, où en serions-nous, si nous n'avions d'autre moyen d'assurer à un créancier le payement de sa créance que de déclarer incessible le patrimoine du débiteur ?

Le droit commun, il faut le dire à son honneur, a plus de prévoyance et plus d'énergie que ne le suppose l'honorable M. Brasseur.

Quand le débiteur fait passer dans des mains autres que celles de son créancier le patrimoine qui est le gage de son créancier, le droit commun a des ressources très sérieuses, des armes très efficaces.

Mais, messieurs, fallait-il interdire même la cession des annuités ?

Est-ce qu'un usage très loyal ne pourrait être fait de la faculté de cessibilité ? Est-ce que la société des Bassins houillers, si elle a eu le tort incontestable de s'appliquer une partie des titres de la caisse des annuités avant d'avoir désintéressé tous les obligataires, de convertir une partie de son portefeuille en titres de la caisse des annuités, est-ce que la société des Bassins houillers, dis-je, n'a pas fait un usage très correct de la cessibilité en déléguant à certaines sociétés jusqu'à due concurrence des redevances qui lui sont dues par l'Etat ? Est-ce qu'il fallait ne permettre la cession qu'au profit des obligataires ? Mais, messieurs, il y a des lignes qui n'ont pas d'obligataires, qui n'ont que des actionnaires. Je citerai les chemins du Flénu et de Saint-Ghislain. Il fallait donc que la délégation fût possible au profit des actionnaires. Et, encore une fois, quelle raison pouvait-il y avoir de distinguer' entre les obligataires et les autres créanciers ?

Il y a plus : le droit de déléguer, le droit de céder ne pouvait-il pas s'exercer très correctement et ne devait-il pas, selon l'intention des parties, être exercé quant à une partie de la rémunération ? C'est ce que je pense, et je vais essayer de vous le démontrer après avoir toutefois dit quelques mots de l'article 59.

Cet article est venu à la section centrale sans que rien dans l'exposé des motifs lui attribuât quelque importance. Je ne veux pas entrer dans les discussions qui ont eu lieu sur la genèse de cet article. La section centrale n'a rien su des douleurs de cet enfantement. Les différentes éditions de cet article ne nous ont pas été communiquées. Le travail des négociateurs ne nous a pas été soumis. Nous n'avons eu à juger de cette clause que par le texte. Eh bien, que dit ce texte ?

« Les transferts qui auraient pour objet les annuités à payer par l'Etat et les titres en nom ou au porteur qui, en représentation des valeurs transférées, seraient émis pour toucher ces annuités, seront exempts des droits de timbre et d'enregistrement. »

Je ne veux pas amoindrir la discussion, mais je crois pouvoir ajouter que, pour tout homme non prévenu, ce texte réserve plutôt qu'il ne résout une question. Il y a là une distinction qui ressort manifestement de l'emploi du conditionnel d'une part et du futur de l'autre.

Si la question des titres avait été décidée, évidemment, le texte aurait dit :

« Les transferts qui auront pour objet... et les titres en nom ou au porteur qui... seront, etc., absolument comme on disait : ils seront exempts du droit de timbre... »

Que veut dire ici le conditionnel ? Il signifie qu'on avait prévu une éventualité, une hypothèse et qu'à cette occasion on avait levé l'obstacle fiscal. Mais de ce que l'on a levé l'obstacle fiscal, s'ensuit-il qu'on fût d'accord sur toutes les conditions, sur tous les détails de l'éventualité qui pouvait se présenter ou ne pas se présenter ?

Il m'a paru et, à ne considérer que le texte, il me paraît encore qu'il s'agissait là d'une de ces difficultés d'exécution au sujet desquelles les parties et les juges eux-mêmes réservent leur appréciation.

Nous savons tous que lorsqu'on fait un contrat et même lorsqu'on prononce un jugement, il y a certaines questions de principes qui sont décidées par l'accord des parties ou par les juges, et d'autres questions qui, ne devant se présenter que dans un ordre éventuel, sont réservées pour faire l'objet d'un examen ultérieur.

Pourquoi trancher d'ores et déjà une difficulté d'exécution qui pouvait se présenter ou ne pas se présenter ?

Mais il y avait là, nous dit-on, deux mots qui, cependant, devaient appeler l'attention. C'étaient les mots « titres au porteur. »

Eh bien, messieurs, je crois que la création d'une société anonyme, que la création de titres au porteur rentraient dans l'exécution parfaitement correcte et régulière de la convention du 25 avril 1870 et qu'il n'y avait, dès lors, aucune raison de proscrire les mots « au porteur ».

La société des Bassins houillers, ne l'oubliez pas, s'est placée, par cette convention du 25 avril 1870, dans la situation que voici :

Elle doit environ 10,000 francs de redevance par kilomètre. (Interruption.) C'est le chiffre indiqué au mois de mai dernier par l'honorable M. Dumortier à qui nous devons rendre cette justice que, de tous les membres de la Chambre, c'est lui qui, à cette époque, a touché le plus près à la question.

Je crois qu'il a cité ce chiffre de 10,000 francs ; du reste, peu importé le chiffre à la démonstration.

La société des Bassins houillers a commencé par chercher à obtenir le chiffre de 10,000 francs. Elle n'y a pas réussi. L'Etat n'a voulu ni du principe d'une rente ni du chiffre de 10,000 francs. Elle a traité alors moyennant : 1° un prélèvement de 7,000 francs et une éventualité ; 2° une participation de moitié dans l'excédant possible entre 18,000, 22,000 et 34,000 francs. Elle a, de ce chef, acquis un droit certain dans son existence, car il est certain qu'on arrivera au chiffre de 34,000 francs de recette brute ; mais incertain dans sa date et dans sa quotité.

Nul ne peut dire à quel moment arrivera exactement le mouvement ascensionnel de la rente ni à quel degré il parviendra d'année en année. Nul ne peut dire si c'est dans deux ans, dans trois ans, dans six ans que la société des Bassins houillers aura droit de recevoir 7,000 francs ; nul ne peut dire non plus si ce chiffre deviendra 8,000, 9,000 francs et dans quel terme il arrivera à 15,000 francs.

Il y a donc, dans la rémunération reçue par la société des Bassins houillers, deux éléments : l'un fixe, l'autre variable. Je dis fixe en fait et non pas fixe en droit, mais j'oppose cet élément fixe en fait à l'élément essentiellement variable de la participation.

Que comportait l'exécution régulière de la convention ? Mais c'était de laisser intacte la partie fixe de la redevance due par l'Etat et de négocier la partie variable, puisqu'on devait payer 10,000 francs par kilomètre, qu'on ne s'était assuré que 7,000 francs, qu'il manquait 3,000 francs mais que pour ces 3,000 francs on avait une part éventuelle de 8,000 fr. Cela étant, le bon sens dit que l'une des parties a voulu certainement que la part de 7,000 francs ne fût pas aliénée et que l'autre a dû vouloir que la part éventuelle pût être aliénée et négociée.

On comprend donc que l'idée d'une société anonyme ayant pour objet la conversion de l'éventualité, de la participation, de l'alea en un revenu plus assuré, destiné à permettre à la société des Bassins houillers de se procurer par là les fonds nécessaires pour payer les obligations, on comprend parfaitement que cette idée-là soit venue à l'esprit du négociateur ; car elle était parfaitement légitime et régulière et elle ne devait pas être repoussée. Mais encore une fois, c'était là une question à réserver pour l'avenir, une question sur laquelle il était impossible de s'expliquer d'ores et déjà, lorsqu'on a arrêté la clause principale de la convention du 25 avril.

C'était à la suite qu'il fallait prendre garde. C'était en statuant sur l'anonymat qu'il fallait examiner et résoudre la question.

Si j'ai bien compris mes amis de la gauche et si je me rends un compte exact de la situation, ce que l'on reproche surtout à M. le ministre des finances, ce n'est pas tant d'avoir donné l'autorisation de négocier que de n'avoir pas restreint cette autorisation à la négociation de la part éventuelle. Vous pouviez définir et restreindre l'objet de la nouvelle société. Vous pouviez interdire la négociation de la part fixe en permettant la négociation de la part éventuelle. Vous n'avez pas fait une distinction que tout indiquait et justifiait. Voilà où est la faute.

Il est évident que l'exécution régulière de la convention comportait d'une part l'obligation, pour la société des Bassins houillers, de laisser intacte la redevance qui est dès à présent fixe et qu'il suffisait de découper, en (page 462) quelque sorte, entre tous les obligataires, et qu'au contraire, pour la part variable et éventuelle, on pouvait lui accorder le droit de la négocier pour la convertir en valeurs actuelles et certaines.

Je crois donc, messieurs, que la section centrale n'a encouru aucun reproche en laissant passer l'article 59 de la convention sans observation.

La commission du Sénat compte dans son sein des hommes considérables, doués d'une profonde expérience de toutes les combinaisons financières. Pas plus que la section centrale de la Chambre, elle ne s'est spécialement occupée de cet article 59 qui, à ses yeux aussi, n'a eu d'autre stipulation en vue que des éventualités possibles.

Je vais maintenant, pour compléter ma tâche de défenseur de la convention du 25 avril 1870, répondre à une observation de l'honorable M. Balisaux qui, si elle était fondée, constituerait une critique sérieuse.

L'honorable M. Balisaux nous a dit avant-hier que le matériel roulant cédé à l'Etat n'appartenait pas à la société des Bassins houillers, mais à la Société générale d'exploitation.

Votre section centrale, messieurs, avait prévu cette objection : elle avait remarqué ce qu'il y avait d'anomal dans cette situation de la société des Bassins houillers stipulant, non seulement pour le matériel, mais encore pour les lignes, alors que le fermier de ces lignes et le propriétaire de ce mobilier était la Société générale d'exploitation.

Mais la Société d'exploitation n'a été fondée que par trois partenaires : la société anonyme d'exploitation elle-même, pour quatre ou cinq mille actions, la Banque de Belgique, pour un nombre plus restreint d'actions et enfin la société des Bassins houillers, pour la plus grande partie des actions.

Il était donc facile à la société des Bassins houillers de désintéresser tes deux coassociés et c'est ce qui a dû nécessairement précéder la ratification de la convention du 25 avril 1870.

Il va sans dire, messieurs, que je ne parle que du matériel créé par l'une ou l'autre de ces deux sociétés et non du matériel ancien affecté par les sociétés concessionnaires au service de leurs lignes.

La société des Bassins houillers a dû s'entendre avec la Société générale d'exploitation pour obtenir d'elle l'autorisation de céder aussi bien les lignes que le matériel.

Votre section centrale l'avait prévu.

Je lis ceci dans son rapport :

« Les négociations ont été engagées entre l'Etat, la société anonyme des Bassins houillers et la Société générale d'exploitation. Celle-ci n'y a pris part que pour déclarer qu'elle acquiesçait, en ce qui la concernait, à la reprise par l'Etat de l'exploitation des lignes dont il s'est agi, ainsi qu'à la cession du matériel roulant et des objets mobiliers et d'approvisionnement. »

En présence de cette déclaration, il n'y a pas lieu de se préoccuper du sort des conventions d'exploitation dont la plupart des chemins repris avaient été l'objet entre les deux sociétés. Ce n'est plus qu'une affaire à régler entre elles.

Je n'ai plus maintenant, messieurs, qu'à vous faire connaître en quelques mots, car je ne me propose pas d'entrer plus avant dans le débat, mon sentiment sur la convention mise à l'ordre du jour. Mais, avant de le faire, il faut que je complète la réfutation des objections qui ont, été faites à la section centrale, et ici j'ai peine à m'expliquer comment M. Brasseur et d'autres membres de la droite peuvent en même temps reprocher à la gauche de n'avoir pas pris garde à l'intérêt des obligataires au mois de mai 1870, et donner à la droite le conseil de ne pas se préoccuper aujourd'hui des intérêts des obligataires.

De deux choses l'une, ou il faut renoncer aux reproches dirigés contre nous et reconnaître que nous n'avions pas, au mois de mai 1870, le devoir de nous préoccuper de l'intérêt des obligataires ; ou bien, si vous nous reprochez de n'avoir pas pris garde à cet intérêt alors silencieux, alors inaperçu de tous, comment conseillez-vous à la droite de s'abstenir aujourd'hui que, de toutes parts, l'attention de la Chambre est éveillée à ce sujet ?

M. Brasseur. - Je veux que les 15 francs d'intérêt soient garantis et qu'ils se trouvent dans la convention. Je ne me contente pas de 9 fr. 40 c., je veux donc mieux défendre les intérêts des obligataires que le gouvernement. Voilà pourquoi je repousse le projet de loi.

M. Sainctelette. - Trois intérêts sont en jeu dans cette question, l'intérêt de l'Etat, l'intérêt des obligataires et l'intérêt des populations auxquelles des chemins de fer ont été promis.

Devons-nous nous préoccuper de l'intérêt des obligataires ? Je pense que oui. Je pense que si, avertis par leurs réclamations, par la polémique des journaux, par les discussions qui ont eu lieu dans cette Chambre, nous ne prenons pas garde à l'intérêt des obligataires, nous commettons aujourd'hui une faute bien plus grande que celle qu'on reproche à l'ancienne section centrale, à l'ancienne majorité, à l'ancienne administration d'avoir commise en mai dernier.

Du reste, les faits sont là pour prouver que l'intervention des pouvoirs publics n'est pas sans efficacité, sans résultat. A cet égard, je ne puis laisser à M. le ministre des finances seul l'honneur de l'amélioration de la situation des obligataires ; je ne puis pas considérer cette amélioration comme étant son ouvrage à lui seul.

M. Tack. - M. le ministre des finances n'a pas dit cela ; il a dit le contraire.

M. Sainctelette. - Je n'ai pas retrouvé le discours de l'honorable ministre des finances aux Annales parlementaires. Je croyais qu'il s'était exprimé dans ce sens, mais, s'il a dit le contraire, je n'insiste pas.

Mais, messieurs, que faut-il faire dans l'intérêt des obligataires ? Il faut, autant que possible, ramener la convention du 25 avril 1870 à ce qu'elle eût dû être.

Et d'abord, il faudrait reconstituer au profit des obligataires la partie fixe de la redevance. Ici, j'ai une observation principale à faire ; je regrette de ne pas avoir trouvé, dans le discours de M. le ministre des finances, l'explication ou la réfutation du fait suivant :

La société des Bassins houillers s'est-elle appliqué à elle-même, en échange d'une partie des obligations qu'elle avait en portefeuille, des titres de la caisse d'annuités ?

Si elle l'a fait, elle a perdu de vue qu'un débiteur ne peut s'appliquer quelque chose qu'après avoir satisfait son créancier. Si cela a été fait, cela ne peut-il être réparé ?

La société des Bassins houillers, la Société générale d'exploitation el la caisse d'annuités ont entre elles des rapports extrêmement intimes, des points de contact absolus ; il doit donc être possible ou de revenir sur cette opération, ou de donner l'équivalent sur le matériel roulant.

Cela fait, les obligataires réintégrés en quelque sorte en possession des 4,200,000 francs d'annuités, il faut autoriser, et même faciliter à la société des Bassins houillers la négociation de la part éventuelle de la redevance, de la participation dans le produit entre 18,000 et 34,000 francs.

Les Bassins houillers offrent aujourd'hui à leurs obligataires un chiffre fixe qui, si j'ai bien compris les explications de M. le ministre, est de 10 fr. 10 c, et un chiffre variable qui se borne à parfaire la somme de 15 francs. Eh bien, il me semble tout naturel de donner non pas 4 fr. 90 c. de revenu éventuel, mais davantage, car 4 fr. 90 c. de revenu éventuel ne sont pas l'équivalent de 4 fr. 90 c. de revenu certain.

Il y a là une négociation à faire soit avec les obligataires eux-mêmes, soit avec des tiers étrangers, et, cela fait, je trouverais assez naturel de notre part d'exécuter la convention du 25 avril 1870 comme elle le serait alors de la part des Bassins houillers. Si les obligataires avaient par devers eux la garantie que la part fixe de la redevance leur est appliquée, s'ils avaient par devers eux une délégation de la quotité de l'élément éventuel de la recette qui correspond exactement à ce qu'ils ont encore le droit de recevoir, la convention serait complètement exécutée à leur égard.

Il resterait à voir si nous ne devons pas, autant que possible, faciliter à la compagnie la construction des lignes nouvelles. Reste enfin la question de droit, sur laquelle je réserve mon opinion.

Cette question de droit résolue affirmativement, la position des obligataires reconstituée et garantie, on pourrait payer à la compagnie des Bassins houillers le prix du matériel roulant acquis et construit par elle et ne provenant pas des lignes reprises par elle. Car il importe, dans l'intérêt de l'Etat aussi bien que dans celui des populations, de ne pas reculer davantage la construction de chemins très utiles et depuis longtemps impatiemment attendus.

(page 454) - M. de Naeyer remplace M. Vilain XIIII au fauteuil de la présidence.

M. Boulenger- Messieurs, je me suis jusqu'à présent tenu éloigné de ces débats par un sentiment que vous apprécierez. En ma qualité d'administrateur de la société des Bassins houillers, je ne pouvais prendre part à une discussion qui l'intéresse ; mais des accusations graves se sont produites, les mots d'honneur et de loyauté ont été prononcés, c'en est assez pour m'obliger à sortir de la réserve que je m'étais imposée. Je viens donc réclamer l'attention de la Chambre : la dignité d'un député intéresse tout le corps auquel il a l'honneur d'appartenir.

En faisant l'historique de la compagnie des Bassins houillers et de la Société générale d'exploitation, divers orateurs les ont dépeintes comme ayant, dès leur origine, aventureusement spéculé sur les concessions de chemin de fer, comme n'ayant reculé devant aucun moyen de concurrence déloyale pour enlever à l'Etat les trafics qui lui étaient acquis, comme ayant prémédité dès le premier jour la cession de leur réseau à l'Etat pour éviter une débâcle inévitable, comme ayant uni l'astuce et la fourberie au mensonge pour faire réussir des combinaisons qu'on a qualifiées de scandaleuses.

Toutes ces incriminations revêtent un caractère exceptionnel de gravité en passant par la bouche de l'honorable M. Frère-Orban, qui n'a pas hésité à qualifier de maltôtiers les administrateurs de la société des Bassins houillers.

Cette expression n’a-t-elle pas dépassé sa pensée ? N’atteint-elle pas en pleine poitrine d’autres personnes que le député de Liége entoure de son estime ?

La compagnie des Bassins houillers n'a-t-elle pas compté au nombre de ses administrateurs et de ses commissaires, jusqu'en 1867, l'honorable M. Eudore Pirmez ? Jusqu'en 1868, les honorables MM. Fortamps, Sabatier, Sainctelette, Warocqué, T'Serstevens ?

Ces fusions d'exploitations qui, au dire de M. Jamar reposaient sur une altération coupable du caractère de certaines concessions, n'ont-elles pas été conçues et réalisées par les conseils dont faisaient partie les noms honorables que je viens de citer, avec l'approbation et les encouragements de l'honorable M. Vanderstichelen ?

Ces contrats où M. Frère-Orban relève aujourd'hui l'existence de clauses qui lui paraissent exorbitantes, monstrueuses, immorales, n'ont-ils pas été approuvés par ses amis politiques dont je viens de rappeler les noms n'ont-ils pas même été revêtus de leur signature ? Et qu'ont fait les administrateurs actuels de société des Bassins houillers, leurs anciens collègues, ont-ils donc fait autre chose si ce n'est poursuivre résolument l'œuvre commencée ?

Que MM. Pirmez et Sainctelette, qui sont assis sur les bancs de cette Chambre, nous disent s'ils ont perdu pour leurs successeurs l'estime dont il leur ont donné tant de preuves.

J'aborde les divers griefs blessants pour notre honorabilité et dont vous auriez le droit de me demander raison, je vous promets d'opposer au langage que vous avez entendu la parole calme et modérée que m'inspire ma conscience tranquille.

Les faits qui ont été relevés contre la compagnie et ceux qui la dirigent sont de trois ordres : les faits antérieurs à la convention du 25 avril, les faits concomitants et les faits postérieurs.

En ce qui concerne les premiers, je m'étonne que ceux qui ont stipulé au nom de l'Etat les aient formulés. En effet, avant que le gouvernement eût signé cette convention, tous nos traités, tous, sans exception ni réserve, leur ont été communiqués. Les hommes qui étaient alors au pouvoir ont pu fouiller tous nos agissements ; la loyauté d'un industriel se révèle dans ses contrats et dans sa comptabilité ; nous les avons mis à l'entière disposition du gouvernement ; les ministres, au 25 avril, ont donc pu apprécier, discuter et scruter tous nos actes.

Qu'est-il résulté de cet examen ? Que nous étions des maltôtiers ? Mais un ministre qui se respecte et qui respecte l'Etat, à qui est remise la défense de la morale et de l'honnêteté publique, ne traite pas avec des maltôtiers !

Cependant M. Jamar, vous vous êtes abouché avec eux, vous avez conduit avec eux des négociations importantes, vous avez échangé avec eux votre signature, sur un contrat qui est, par la faveur de ses clauses, la plus éclatante marque de confiance qu'un homme puisse recevoir d'un ministre !

Vous saviez que ces maltôtiers étaient nantis d'un certain nombre de chemins de fer grevés d'obligations ! Si vos dires d'aujourd'hui sont vrais, vous avez livré ces obligataires à leur discrétion. Vous avez su que ces maltôtiers avaient l'intention de transférer les annuités dues par l'Etat et de les capitaliser en titres spéciaux ; si vos dires d'aujourd'hui sont vrais, vous avez mis dans leurs mains une arme dont ils pouvaient abuser ! Vous saviez qu'une partie du matériel que ces maltôtiers avaient sur leurs lignes provenait des compagnies primordiales. Vous dites aujourd'hui que ce matériel n'a pas cessé d'appartenir à ces compagnies et vous achetez ce matériel en vous engageant à le payer, soit au comptant, soit en une rente dont vous ne contestez pas le caractère essentiellement cessible !

La convention du 25 avril est certainement la réponse la plus péremptoire que je puisse opposer à tout cela, et le fait de son existence suffit à lui seul, messieurs, pour vous prouver que ces gros mots ne se sont produits que sous l'empire d'une profonde erreur que peuvent produire les passions trop vivement surexcitées.

On se croit bien habile, en venant aujourd'hui, comme l'a fait l'honorable M. Jamar, parler de l'intérêt et de la sollicitude, qu'on a toujours eus pour les obligataires ; on s'en constitue les seuls, les vaillants défenseurs ! Nous, en revanche, nous ne cherchons qu'à consommer leur ruine, à les spolier : c'est l'expression qui paraît consacrée !

Je m'interdis d'entrer dans le fond du débat, je m'abstiens de tonte discussion juridique sur l'interprétation des actes ; je ne veux ici que vous montrer la témérité de ce langage.

On vous a dit en résumé : « Vos combinaisons n'ont que le but odieux de sacrifier les droits des tiers - nous en avons toujours été les protecteurs, »

Mais il ne suffit pas d'affirmer, il faut prouver ; voyons nos positions respectives :

La reprise des lignes était admise en principe, contre le payement d'une (page 455) annuité kilométrique que vous saviez, comme moi, insuffisante pour couvrir les charges dont les avaient grevées les concessionnaires primitifs ; deux moyens seulement se présentaient à l'esprit pour garantir les annuités correspondantes à leurs lignes : c'était d'en interdire la cession à tout autre qu'aux obligataires, ou bien d'en séquestrer les titres qui en représenteraient la propriété, pour ne les mettre dans la circulation que contre anéantissement d'un nombre correspondant d'obligations, afin qu'il ne se trouvât jamais sur le marché deux titres pour un seul revenu. C'étaient les deux seules mesures propres à détruire les objections et les craintes que vous croyez devoir signaler aujourd'hui.

Ah ! si vous me prouviez que, dans le cours des négociations, vous nous avez demandé l'une ou l'autre mesure, si vous arriviez ici avec une rédaction dans un autre esprit, en d'autres termes que celles du 25 avril, vous auriez le droit de vanter la sollicitude que vous avez mise à défendre contre nous les intérêts des tiers !

C'est précisément le contraire qui est vrai !

Faut-il encore une fois rappeler le langage que l'honorable M. Jamar tenait dans cette enceinte lors de la discussion du 25 avril : Les tiers auront à sauvegarder leurs droits comme ils l'entendront.

Etait-ce la conduite que tenait la société des Bassins houillers ?

Depuis le jour où la discussion s'est engagée sur la reprise de nos exploitations jusqu'au moment où fut constituée la caisse d'annuités, sons l'ancien comme sous le nouveau cabinet, qui donc n'a cessé de solliciter l'intervention du gouvernement pour faire aux obligations anciennes le sort le plus favorable, sans préjudice pour le trésor ?

Qui donc, dans des temps plus rapprochés, alors que l'opération était consommée, qui donc a présenté au gouvernement une formule qui consacrât un système de garanties dont les obligataires se déclarent satisfaits, et que, par une singulière contradiction, tant d'orateurs combattent si vivement, tout en la considérant comme un résultat inappréciable ?

Qui donc, si ce n'est la société des Bassins houillers ?

La preuve n'en est ni longue à faire, ni difficile à donner.

Le discours de l'honorable M. Frère m'en fournit le premier élément. Il rattache la convention du 25 avril aux ouvertures qui lui furent faites le 19 décembre 1869.

Nous lisons, en effet, dans la note remise au ministre des finances d'alors, par l'honorable député de Gand, auquel il a été fait allusion :

« La Société, en traitant avec l'Etat pour l'exploitation et éventuellement pour la cession de son réseau, doit nécessairement fixer sa position vis-à-vis des tiers, c'est-à-dire qu'elle doit régler le service des obligations et rentes dont elle s'est chargée, pour la plupart de ces lignes, envers les concessionnaires primitifs ou leurs ayants cause, ou qui résultent de la construction, par la société elle-même, de ses autres lignes. Le montant en représente aujourd'hui 11,000 francs par kilomètre, qui ne sera plus dépassé et au payement duquel la société affecte, en premier ordre, les 50 p. c. de recettes brutes qui lui appartiennent.

« L'Etat, contre due quittance, accepterait cette affectation. En conséquence, il ferait, à valoir sur les 50 p. c. de la recette à elle attribuée, le service de l'intérêt et de l'amortissement dont la société s'est chargée et des rentes dues par elle, le tout à concurrence de 11,000 francs. »

Telle est la note que M. Frère vous a fait connaître, messieurs, et qui se résume en deux mots : incessibilité absolue des annuités dues par l'Etat pour l'ancien réseau. M. Frère ajoute que cette proposition émane de la compagnie ; eh bien, je vous le demande, messieurs, y a-t-il, pour la compagnie, un monument plus solide, plus indiscutable, pour attester sa parfaite loyauté ?

Cette combinaison, vous le savez, fut repoussée.

Quand les négociations s'ouvrent au sujet de la convention du 25 avril, la discussion s'engage sur l'article, qui est devenu l'article 59. J'aurai occasion de vous montrer plus loin comment alors la société appelle l'attention de l'Etat sur les droits des tiers et manifesta formellement de quelle manière elle entendait traiter et sauvegarder leurs intérêts !

Nous arrivons au moment où furent homologués les statuts de la caisse d'annuités. Une série de combinaisons fut présentée par la compagnie. Le rapport de l'honorable M. Hennequin, le conseil du département des travaux publics, en qui, évidemment, M. Frère, comme M. Jamar, ont pleine et entière confiance, puisqu'ils s'inspirent de ses avis, ce rapport témoigne surabondamment des intentions honnêtes, loyales et justes de la compagnie à l'endroit des obligataires :

M. Hennequin, parlant des conditions garantissantes à stipuler au profit des obligataires, s'exprime ainsi :

« Pourquoi donc ne pas le faire, alors que M. Philippart demande des mesures de cette nature ? »

Et plus loin l'honorable avocat rappelle les termes des propositions formulées par la compagnie qui sont, à peu de chose près, celles que l'Etat nous a demandées récemment et auxquelles nous avons adhéré.

Vous le voyez, à chaque pas que nous faisons en avant, la compagnie présente au gouvernement des mesures dans l'intérêt des tiers - que la Chambre juge quelle distance nous sépare de ceux qui disent : Les tiers sauvegarderont leurs droits comme ils l'entendront !,..

Abordons, maintenant, l'examen de l'esprit, l'historique de ce fameux article 59, qui nous a valu des reproches de mensonge et de fourberie !

Vous avez entendu nos adversaires, messieurs, dire qu'il était faux que le gouvernement eût jamais admis le principe contenu dans notre rédaction primitive ; qu'il l'a au contraire toujours repoussé, et que ce n'est qu'en désespoir de cause que nous avons accepté le texte définitif de l'article 59 tel qu'il nous était imposé par le gouvernement. A l'appui de ce soutènement, ils produisent deux documents photographiés.

L'un c'est la rédaction proposée par la compagnie, écrite de la main d'un de ses administrateurs, l'autre c'est l'avant-projet qui reproduit cette rédaction, mais avec la mention marginale suivante : éRédaction proposée en dernier lieu par les Bassins houillers à soumettre à l'examen du département des finances. Ils concluent de cette double rédaction que le gouvernement n'a reproduit le texte des Bassins houillers que sous réserve d'examen et que cet examen lui a été défavorable.

Je ne puis croire que la production de ces photographies ne serait qu'un subterfuge. Je conserve l'espoir qu'elle résulte d'une erreur, qui a conduit son auteur aux plus déplorables appréciations.

Sans doute, si, dans l'avant-projet remis par le gouvernement à la compagnie, la rédaction qu'elle avait proposée n'était reproduite textuellement qu'avec cette annotation marginale, l'accusation aurait une apparence de fondement.

Mais le fait est faux !

Je tiens en mains et je livre à votre examen non pas la photographie, mais l'original de l'avant-projet, écrit par les agents des travaux publics et qui nous fut adressé, par le gouvernement le 22 avril.

Voici cet article.

Y trouvé-je en marge une annotation quelconque ? Nullement.

Y trouvé-je la reproduction exacte et fidèle de la rédaction que nous avions proposée ? Nullement.

J'ai fait autographier les textes en regard l'un de l'autre, pour vous permettre d'apprécier le fait matériel que je vous signale. [Reproduit en note de bas de page et non repris dans la présente version numérisée.]

(page 456) Sous le n°1, se trouve la rédaction qui est notre œuvre ;

Sous le n° 2, la rédaction insérée dans l'avant-projet du gouvernement.

Et vous verrez que le gouvernement a amendé notre rédaction en trois points :

Il a substitué le mot « agréé » aux mots « à agréer », et il a supprimé les paragraphes 3 et 4 de notre rédaction portant que « les titres seront visés par la trésorerie qui veillera à la stricte exécution de la clause qui précède. La possession de ces titres conférera un droit exclusif à la propriété de la portion de rente qui y sera inscrite. »

Etrange manière, n'est-il pas vrai, de repousser une rédaction, que de l'amender, d'en supprimer une partie et de la présenter ainsi mutilée à ses cocontractants dans un avant-projet qu'on leur propose !...

Dira-t-on que ce projet n'engageait pas le gouvernement, qu'il avait le droit de revenir sur les principes et sur le texte des dispositions qu'il formulait ?

Je dois l'admettre ; mais un autre document officiel y répond. L'avant-projet nous est remis, la discussion s'ouvre, on arrive à l'article en question. Le gouvernement va sans doute déclarer qu'il ne l'accepte pas ? Nullement. Il se borne à proposer un nouvel amendement qui respecte foncièrement la pensée de la première rédaction.

Les annuités étaient qualifiées de « rentes » dans le premier projet, on y substitue le terme « premier prélèvement ». Ce n'est certes pas nous qui avions intérêt à cette substitution. Cet amendement est cependant accepté par la compagnie. L'accord est complet et l'on fait imprimer la convention pour les Documents parlementaires. Et vous pouvez lire dans l'épreuve qui est au dossier de la Chambre l'article 59 ainsi rédigé. Y a-t-il la moindre annotation marginale ? Nullement. Y trouvez-vous la rédaction primitive des Bassins houillers, ou la rédaction modifiée de l'avant-projet ? Nullement. Elle est reproduite dans l'autographie que vous avez sous les yeux au n° 3 et l’article y est reproduit sans aucune réserve avec toute la série des amendements proposés par le gouvernement.

Mais qu'est-ce alors que le document invoqué par M. Frère-Orban ? Qu'est cet avant-projet sur lequel se lisent des annotations marginales ? C'est là, messieurs, que gît l'abus étrange qui a servi de base à l'accusation grave à laquelle je réponds. C'est l'avant-projet qui est resté dans tes mains du ministre des travaux publics, sur lequel il inscrivait les annotations qu'il jugeait convenables, mais qui naturellement nous restaient ignorées ; et il est étrange que, pour justifier une attaque aussi vive, on s'arme contre nous de réserves qu'on ne nous a jamais fait connaître.

Vous me pardonnerez, messieurs, d'entrer dans ces détails et d'y insister aussi fortement ; mais ils ont été le point de départ de ces appellations flétrissantes au sujet desquelles je veux inspirer des regrets à ceux qui les ont produites, en leur prouvant et en vous démontrant à vous, de la maniéré la plus lumineuse que ces accusations n'ont pas l'ombre de la vérité.

Permettez-moi, sur ce point, deux mots encore pour créer l'évidence de mes affirmations.

La rédaction photographiée par M. Frère est reproduite sous le n°1 du document que vous avez sous les yeux ; elle fut transmise au département des finances le 18 avril. Cette date est acquise par l'annotation qui se trouve sur une copie faite par M. Van der Rest, le secrétaire de M. Frère.

Elle fut, il est vrai, textuellement reproduite sur l'exemplaire de l'avant-projet du ministre des travaux publics ; mais comme elle rentrait dans la compétence du ministre des finances, on la lui adresse et l'on met en marge de l'article, sur l'exemplaire ministériel, qu'elle est transmise pour examen au département des finances.

Celui-ci l'examine et le 19, la trésorerie fait son rapport. Ce rapport est au dossier de la Chambre, il ne repousse pas le principe, mais il propose de n'accorder le visa de la trésorerie que contre des compensations.

En conséquence, le gouvernement exige la suppression pure et simple de deux paragraphes et au département des travaux publics on bâtonne les deux paragraphes. On fait copier l'avant-projet ainsi modifié et on nous le transmet le 22 avril, - la minute de la lettre d'envoi est au dossier de la Chambre. - On nous le transmet sans reproduire, naturellement, l'annotation marginale à laquelle il a été satisfait par l'examen du département des finances à la date du 19 avril !

Mais comment se fait-il que cette rédaction ainsi modifiée ne se retrouve pas dans la convention définitive, et y soit remplacée par l'article 59 tel qu'il est rédigé ?

Le 28 avril, M. Jamar prévint mes collègues du conseil d'administration que M. Frère-Orban désirait nous soumettre une autre rédaction de l'article 59, sans cependant modifier les principes admis. Le 29, de très bonne heure, M. Jamar remit cette rédaction, qu'il dit être de M. Frère et qui était certainement écrite par son secrétaire. Elle se trouve au dossier de la Chambre, elle est reproduite sous le n°4 de mon autographie.

Elle est ainsi conçue :

« Les transferts qui auraient pour objet l'annuité à payer par l'Etat et les titres qui seraient créés pour toucher cette annuité seront exempts des droits de timbre et d'enregistrement. »

Cette rédaction fut repoussée par la compagnie ; il y manquait cz qu'elle exigeait, la reconnaissance du droit de créer des titres en nom ou au porteur en représentation des valeurs transférées, c'est-à-dire du droit de capitaliser les annuités.

M. Jamar déclara que l'intention du ministère n'était pas de modifier le principe admis ; il nous engageait donc à accepter la rédaction proposée, qui respectait l'esprit de ce qui avait été convenu. M. Hennequin fut alors interpellé et cet honorable avocat ne put s'empêcher de reconnaître que cette rédaction était moins explicite que la précédente. M. Jamar insistant, l'un des administrateurs sortit du cabinet de M. le ministre pour en référer aux conseils judiciaires de la compagnie, qui avaient été constamment consultés sur ces rédactions. Ni M aître Orts, ni Maître Dequesne, ni Maître Picard ne furent rencontrés chez eux, mais Maître Beernaert fut trouvé au palais de justice et il rédigea lui-même un amendement qu'il jugeait indispensable pour rester dans l'esprit des contractants et rendre fidèlement leur volonté.

M. Jamar admit l'amendement, et l'article fut rédigé tel qu'il est aujourd'hui. Vous pouvez voir, au dossier de la Chambre, cet amendement, de la main même de M. Beernaert, prévoyant expressément là création de titres en nom ou au porteur, pour représenter les annuités, c'est-à-dire la reconnaissance formelle de les capitaliser.

Vous le voyez, messieurs, pas un fait, pas une allégation n'est produite, sans que je vous en rapporte la preuve matérielle et palpable.

Tout cela est-il suffisamment concluant ?

Si le moindre doute restait dans vos esprits, j'invoquerais encore le témoignage de l'honorable M. Hennequin, le conseil des négociateurs pour l'Etat, le témoin impartial de nos faits et gestes.

Voici ce qu'il écrit dans son rapport du 25 juillet :

« Il est une troisième question qui domine les deux autres, c'est de savoir si la convention du 25 avril né confient pas déjà, de la part de l'Etat, l'autorisation implicite de déléguer ces annuités ou tout au moins l'autorisation d'en opérer le transfert.

« M. Philippart n'a cessé de déclarer, pendant tout le cours des négociations, que le droit de déléguer à un établissement financier les annuités qui seraient dues par l'Etat était la condition sine qua non de la cession.

« L'Etat n'a donc pas ignoré que le transfert était la condition du contrat et il l'a facilité en l'exemptant de timbre et d'enregistrement. »

Peut-on trouver une interprétation plus nette et une preuve plus irréfragable des prétentions de la société des Bassins houillers relativement à l'article 59 de la convention ?

Quant à la note de M. Frère-Orban, laissée par lui, dans le dossier sous la date du 19 juin, c'est-à-dire au moment où il quittait le ministère et deux mois après la convention, il est incontestable qu'on ne peut pas l'invoquer comme élément de discussion, et elle ne pourrait, en tous cas, prouver qu'une chose, c'est que peut-être il ne lui aurait pas été rendu un compte exact des négociations pendant qu'elles se poursuivaient ; c'est que peut-être on ne lui aura pas fait connaître exactement et les pièces du dossier et les conversations que l'on tenait ; et qu'il n'a pas été consulté sur la portée de l'amendement qui a été introduit le 29 dans la rédaction qu'il faisait proposer.

La convention n'en a pas moins été conclue et signée par le représentant de l'Etat, avec le sens que nous lui donnons et dans les conditions que je viens de faire connaître.

J'ai terminé sur ce point et la Chambre pourra apprécier s'il ressort de cet exposé et des faits actuellement connus qu'on puisse le moins du monde accuser la loyauté des membres du conseil d'administration de la société des Bassins houillers.

- Des membres. -A demain !

M. Boulenger. - Je suis à la disposition de la Chambre. J'en ai encore pour une demi-heure.

- La séance est levée à cinq heures.