(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 441) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart,
M. de Vrints donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des instituteurs de Neder-Swalm-Hermelghem demandent que M. le ministre de l'intérieur soit autorisé à modifier les statuts de la caisse des pensions pour assurer à cette caisse le concours de l'Etat, de la province et de la commune dans la même proportion qu'à la caisse des secrétaires communaux. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi qui institue une caisse centrale de prévoyance des instituteurs primaires.
« Des instituteurs primaires ruraux dans l'arrondissement de Bruges-Ostende demandent d'être assimilés, pour la pension, aux instituteurs urbains. »
- Même renvoi.
« Des instituteurs à Sysscele proposent des mesures pour améliorer la position des instituteurs primaires.
« Même pétition des instituteurs communaux du canton de Tirlemont. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Lennick-Saint-Marlin demandent, pour toutes les élections, le vote à la commune. »
« Même demande des membres de l'administration communale et d'habitants de Wambeek. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la réforme électorale.
« Le conseil communal de Chapon-Seraing demande qu'il soit pris des mesures pour assurer l'exécution de la loi du 4 mars 1866, relativement à l'intervention des exploitations industrielles dans l'entretien des chemins vicinaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame Decloedt, ouvrière à Oostcamp, demande que son mari, soldat au 2ème régiment d'artillerie, milicien de la levée de 1866, qui vient d'être rappelé sous les armes, soit renvoyé en congé illimité. »
- Même renvoi.
« Le comte Alfred de la Guéronnière fait hommage à la Chambre de son ouvrage intitulé : l'Age de fer ou l'Age de sang. »
- Dépôt à la bibliothèque.
La discussion générale continue.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, je ne puis que me féliciter du progrès rapide qu'ont fait en peu de mois les discussions de ce qu'on est convenu d'appeler les questions d'affaires : au mois de mai dernier, en moins de deux séances, on votait une convention qui doublait le réseau des chemins de fer exploités par l'Etat. Maintenant de quoi s'agit-il ? Il ne s'agit pas de savoir si nous doublerons notre réseau, ni même si nous reprendrons le matériel qui garnit les lignes cédées. Il s'agit exclusivement de l'exécution d'un seul article de cette convention du 25 avril, qui en a 64. Il s'agit exclusivement de savoir comment nous payerons le matériel qui, depuis le 1er janvier dernier, nous appartient. Et voilà que, après un premier ajournement, après le dépôt de nombreux dossiers, après l'impression d'un volume de pièces, nous nous livrons à une discussion de huit jours ; la Chambre est à même, sans plus de retards, de prendre, en connaissance de cause, une décision sans qu'on puisse l'accuser de légèreté.
Ce qui me frappe dans cette discussion, ce qui a dû frapper chacun d'entre vous, c'est combien peu l'on discute le projet de loi, combien l'on discute tout autre chose.
Nous assistons à des charges à fond contre les Bassins houillers. Ce qu'on discute, c'est cette société ; c'est la convention du 25 avril.
Quant aux Bassins houillers, pas plus que l'honorable M. Balisaux, je n'ai à m'en constituer le défenseur. Cette société trouvera peut-être quelques défenseurs naturels dans cette enceinte, car, quoiqu'on ait déclaré écarter de ce débat tout espèce d'opposition politique, je ne dois pas moins constater que, si jamais une société a eu, par son personnel, apparence politique, en sens opposé au gouvernement actuel, c'est la société des Bassins houillers dans les conseils de laquelle nous trouvons deux députés libéraux de Charleroi, deux députés libéraux de Mons, deux députés libéraux de Thuin, sous la présidence d'un sénateur libéral de Bruxelles.
Cette observation n'est faite que pour vous démontrer dès à présent que l'on va à l’encontre du bon sens quand on accuse le gouvernement d'accabler cette société de ses faveurs. Que le gouvernement précédent fût en butte à un pareil soupçon et s'en défendît, je me l'explique. Quant au gouvernement actuel, il n'a pas besoin de s'en défendre.
La société des Bassins houillers est-elle ce qu'on a dit ? N'a-t-elle jamais rien fait d'utile ? N'a-t-elle cherché qu'à enlever à l'Etat et aux compagnies ses concurrentes le trafic qui leur revenait ? A-t-elle usé de procédés déplacés, blâmables ? Est-ce une société avec laquelle on ne doit traiter que lorsqu'on y est condamné ?
Tout cela n'a rien à voir au débat. Cependant, pour rendre hommage à la vérité, je tiens à déclarer que, dans les rapports que j'ai eus avec l'administration de cette société, dans les nombreuses conférences qui ont (page 442) produit l'arrangement en faveur des obligataires dont d'autres s'attribuent aujourd'hui le mérite, je n'ai pas rencontré les procédés indélicats qu'on a blâmés. Je ne pense pas davantage que l'honorable M. Jamar, lorsque pendant deux mois il négociait avec les Bassins houillers, ait eu à se plaindre de leurs procédés. Sinon, évidemment, il eût rompu sur l'heure.
Je n'ai pas à discuter davantage la convention du 25 avril. Cette convention est un fait accompli. Bonne ou mauvaise, il n'y a plus à revenir sur elle. Ceux qui en sont les auteurs en auront l'honneur ou la responsabilité, suivant que l'avenir démontrera qu'elle est bonne ou mauvaise ; il ne dépend plus de nous de la corriger.
Il est, messieurs, deux articles de cette convention qui, à bon droit, ont été longuement discutés dans cette enceinte, l'article 59 et l'article 10 ; je ne puis m'empêcher, avant d'aborder l'objet même du projet de loi, de dire quelques mots de ces deux articles.
L'article 59, d'après un grand nombre d'avis, est la cause du mal dont se plaignent les obligataires. En autorisant les transferts, en ne les prohibant pas au moins, en les facilitant, on a créé la situation à laquelle nous cherchons à remédier aujourd'hui.
J'ai découvert l'origine de cet article 59, ou plutôt l'embryon d'où il est sorti.
Vous aurez lu, dans les documents imprimés, un grand nombre de conventions en date du 13 février 1867, dans lesquelles les Bassins houillers cèdent à la Société générale d'exploitation l'exploitation de chacune de leurs lignes. Il y a autant de contrats identiques que de lignes. Vous y avez vu deux stipulations qui méritent d'attirer l'attention : l'une relative aux obligataires, l'autre relative à la création de titres de rente qu'on voulait, dès lors, mettre sur le marché. La première est ainsi conçue :
« La société des Bassins houillers fait, pour autant que de besoin, la réserve des droits des porteurs d'obligations de la compagnie (primitive), tels qu'ils sont mentionnés aux statuts de cette compagnie et que la Société générale d'exploitation s'oblige à respecter. »
Cette réserve, sans grande portée pratique, était néanmoins une marque de déférence donnée aux obligataires. Une pareille réserve ne se trouve pas même dans la convention du 25 avril.
La deuxième clause à laquelle je fais allusion est ainsi conçue :
« En représentation des rentes stipulées, la Société générale d'exploitation délivrera à la société des Bassins houillers des titres de rente avec coupons semestriels de la forme du spécimen annexé au traité. »
Voila, messieurs, l'origine, voilà l'embryon, le germe de la combinaison que la société des Bassins houillers a cherché à réaliser depuis.
Ces tentatives indiquaient déjà au gouvernement quel était le but que cette société cherchait à atteindre. Nous verrons que l'article 59 n'a été que l'épanouissement, le développement de la clause stéréotypée de ces nombreux contrats du 15 février 1867.
Lorsqu'on examine de près la convention du 25 avril, on reconnaît que, de la part des Bassins houillers, c'eût été une folie de la signer, à moins d'avoir le droit de transférer les annuités.
L'Etat y sacrifie l'avenir au présent ; les Bassins houillers, par contre, sacrifient le présent à l'avenir.
Les premières années doivent leur laisser un déficit qui se chiffrera par millions ; c'est seulement au bout de quatre ou cinq années, après des sacrifices que l'honorable M. Jamar a chiffrés à 15 ou 20 millions, qu'ils commenceront à recueillir les bénéfices de la convention du 25 avril. Eh bien, il suffit de se rendre compte de la situation des Bassins houillers pour se convaincre qu'il ne leur est pas possible de trouver dans leurs propres ressources les 15 ou 20 millions nécessaires pour attendre les bénéfices qui se produiront ultérieurement. Aussi cette société déclarait-elle au gouvernement qu'elle comptait sur le concours d'autres établissements, d'établissements français, pour faire la conversion des obligations ; mais évidemment ces établissements, français ou autres, n'auraient pas fait cette conversion des obligations à découvert ; ils ne l'auraient entreprise que pour autant qu'ils eussent obtenu des garanties de leurs avances, pour autant que les Bassins houillers pussent leur transférer la seule chose qu'ils retirent de la convention du 25 avril, en retour de leurs sacrifices, les annuités.
Cette convention en elle-même, on le voit, eût été une folie, à moins que les Bassins houillers ne trouvassent dans le transfert des annuités le moyen de se créer des ressources pour attendre l'heure éloignée des bénéfices.
Mais je puis me dispenser de raisonner au point de vue du sens commun. Je n'ai pas besoin de me demander si les Bassins houillers ont fait une folie ou non. Il me suffit de prendre les témoignages que je rencontre au dossier (il n'y en a que deux) et qui constatent la véritable signification de l'article 39.
Je laisse de côté les rédactions successives. Je m'en réfère à la note posthume d'un ministre démissionnaire, où, le 20 juin, M. Frère réfute l'interprétation de la trésorerie et à la consultation de M. Hennequin, l'avocat-négociateur, en date du 25 juillet.
Il faut chercher à concilier ces deux documents, qui révèlent : l'un, ce qui s'est passé en conseil des ministres ; l'autre, ce qui s'est passé dans le cabinet de M. Jamar entre négociateurs.
Le conseil des ministres a écarté systématiquement tout ce qui pouvait être considéré comme une autorisation du gouvernement. Il devait écarter toute autorisation comme absolument inutile.
Une autorisation du gouvernement ne pouvait changer les droits respectifs.
Si l'on ne pouvait transférer, le gouvernement ne pouvait autoriser le transfert. Il n'eût pu que prohiber un transfert qui était licite jusque-là ; s'il ne l'était pas, il ne dépendait pas du gouvernement de mettre dans le commerce ce qui n'y était pas.
A tous les points de vue donc, cette autorisation inutile devait être biffée de la convention.
Mais, si l'on a écarté tout ce qui revêtait la forme d'une autorisation de transférer, n'a-t-on pas reconnu, de part et d'autre, le droit de transférer les annuités ?
Cela résulte clairement, suivant moi, du rapport de M. Hennequin : M. Philippart, y est-il dit, n'a cessé de déclarer, dans tout le cours des négociations, que le droit de déléguer à un établissement financier les annuités qui seraient dues par l'Etat était la condition sine qua non de la cession des chemins de fer, le seul moyen de la rendre possible.» Il ajoute : « L'Etat n'a donc point ignoré que le transfert était la condition du contrat et il l'a facilité en l'exemptant du timbre et de l'enregistrement. »
Le langage de M. Philippart a donc toujours été le même. Il ne s'est jamais départi de sa condition et l'Etat ne l'a pas ignoré.
Est-il admissible que l'on traite en présence d'une équivoque qui porte sur le point capital du contrat, sur le point qui, pour l'une des parties, est la condition sine qua non du contrat ?
L'Etat devait exiger de M. Philippart qu'il retirât cette condition. Il devait l'exiger ou refuser de traiter.
S'il traitait en présence de cette condition, il l'acceptait ; il reconnaissait que, pour lui comme pour les Bassins houillers, le transfert des annuités était de droit commun ; ce droit était admis de commun accord, non comme résultat d'une autorisation gouvernementale, mais comme consacré par le droit commun.
Il fallait que le gouvernement fût d'accord sur ce point pour accepter la condition sine qua non et pour traiter.
M. Hennequin ajoute :
« Mais l'Etat s'est refusé à prendre aucun autre engagement et a entendu pour tout le reste laisser les choses sous l'empire du droit commun. »
Ainsi donc, le droit commun est le terrain sur lequel s'est tenu le gouvernement ; il ne s'est pas expliqué sur ce qu'était ce droit commun pour les autres points ; mais, quant à ce point spécial des transferts, il a reconnu ce qu'était le droit commun, il a reconnu que le droit commun lui permettait d'accepter une convention dont la condition sine qua non était le droit de transférer. (Interruption.) Je déclare que si le gouvernement, en présence d'une condition maintenue jusqu'au dernier moment par ses cocontractants n'avait pas accepté cette condition, il ne devait pas traiter sur une équivoque ; cela n'était digne pour personne.
Pour traiter de bonne foi, il importe qu'on soit d'accord en réalité et pas seulement en apparence ; l'entente ne doit pas seulement s'établir sur les termes d'un contrat, elle doit être parfaite sur le fond, la substance, les conditions essentielles.
Du témoignage du négociateur Hennequin que faut-il conclure ? Faut-il supposer que les intentions du conseil des ministres n'ont pas été fidèlement suivies dans les négociations qui se poursuivaient au ministère des travaux publics ? Que la pensée du conseil n'a pas été bien comprise ou bien traduite par le chef du département des travaux publics ? cela est possible ; mais il n'en est pas moins vrai que le négociateur de l'Etat atteste, comme les négociateurs de la compagnie des Bassins houillers, que ce droit de transférer a été la condition sine qua non du contrat.
En présence de ces témoignages concordants, pouvons-nous hésiter à reconnaître que telle était la véritable intention de ceux qui ont conclu la convention qui renferme l'article 59 ?
Ah ! je sais qu'il est toujours possible de discuter, mais les avocats auxquels nous avons soumis ces questions, les avocats des départements des travaux publics et des finances n'ont pas hésité à reconnaître, les uns (page 445) et les autres, que le droit de transférer existait pour la société des Bassins houillers.
En ces matières je récuse les honorables MM. Frère et Bara comme je me récuse un peu moi-même ; des hommes politiques sont portés naturellement à se disculper ou à s'accuser. Mais quand des avocats désintéressés, qui ne sont pas hommes politiques, sont d'accord sur le sens d'une stipulation, on peut invoquer leur avis sans grande crainte de se tromper.
M. Bara. - Ils ont dit le contraire de ce que vous dites.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'avis de M. Lejeune est le seul qui ait été lu par M. Liénart ; je les tiens tous à la disposition de l'honorable membre qui sait, paraît-il, ce que les avocats ont dit sans avoir lu leurs consultations. Il se convaincra, en les lisant, qu'ils sont unanimes et qu'ils vont même au delà de ce que j'avance ; en effet ils déclarent qu'en vertu du droit commun les Bassins houillers ont le droit de transférer leurs annuités et ils ajoutent qu'en outre cette société a le droit contractuel de créer des titres représentatifs au porteur pour toucher ces annuités. (Interruption.)
Voilà ce qui n'existe pas d'après le droit commun.
Les avocats du département des finances sont d'avis que l'article 59 de la convention du 25 avril a non seulement reconnu le droit de transfert, mais a conféré aux Bassins houillers le droit de créer des titres au porteur, représentatifs des annuités, dont les porteurs pourront toucher directement les annuités aux caisses de l'Etat.
M. Bara. - Mais ils ne sont pas payables aux caisses de l'Etat.
M. Jacobs, ministre des finances - Des titres payables aux caisses de l'Etat.
M. Bara. - Pas du tout ; lisez l'article.
M. Jacobs, ministre des finances. - Voici l'article ; on verra qui de nous ne l'a pas lu :
« Les transferts qui auraient pour objet les annuités à payer par l'Etat et les titres en nom ou au porteur qui, en représentation des valeurs transférées, seraient émis pour toucher ces annuités seront exempts des droits de timbre et d'enregistrement. »
M. Frère-Orban. - Transférées !
M. Jacobs, ministre des finances. - Y eût-il dix transferts successifs, la chose que l'on transfère est une dette sur l'Etat ; la chose que l'on transfère est une annuité due par l'Etat ; et, je le répète, y eût-il dix transferts successifs, la créance ne deviendra jamais une créance du cessionnaire sur le cédant ; elle restera une créance sur l'Etat, cédée, rétrocédée, rétrocédée encore.
M. Frère-Orban. - Mais ce sont des titres en représentation des valeurs transférées.
M. Bara. - De plus, c'était une société anonyme ; il fallait donc une autorisation pour émettre des titres.
M. Jacobs, ministre des finances. - Un peu de patience, s'il vous plaît ; je répondrai tout à l'heure à vos interruptions.
Pour déterminer le sens de cet article 59, puisqu'on y attache une grande importance, je reviendrai sur un des arguments qu'a fait valoir l'honorable M. Brasseur.
L'honorable membre s'est aperçu, en consultant le dossier, que les négociations qui ont modifié le texte de cet article, qui en ont fait disparaître l'autorisation du gouvernement, s'intercalent surtout entre le 25 et le 29 avril, entre le jour où le Roi, avant son départ pour Ardenne, a signé la convention, et le jour où la convention a été soumise à la Chambre.
N'est-il pas évident, messieurs, que, dans cet intervalle de quatre jours on n'a plus pu décider que des questions de forme, que de simples questions de détail. Il n'est pas admissible que dans cet intervalle la convention ait pu être transformée en quelque sorte.
Du reste, le témoignage de M. Hennequin est positif : le droit de transférer n'a jamais cessé d'être une condition sine qua non, non pas seulement jusqu'au 25 avril, mais jusqu'au 29 avril, jour où la convention a été soumise à la législature, mais toujours.
Ce que je ne m'explique pas, messieurs, c'est que l'on conteste le droit de transférer en présence des mots « titres au porteur » qui se trouvent dans l'article 59. Comment ! on vise des titres au porteur ; on les reconnaît comme une chose possible au moins ; on vise des titres au porteur représentatifs des annuités, et l'on ne pourrait pas transférer ! Mais le titre au porteur est, de sa nature, transférable ; le titre au porteur se transfère par la simple tradition ; la création de titres au porteur implique, le droit de transférer.
M. Frère-Orban. - De Défaire certains transferts.
M. Jacobs, ministre des finances. - Certains transferts ! Mais il n'y a pas de distinction dans l'article. Si l'on a le droit de transférer, on l'a pour tout, et si l'on n'en a pas le droit, on ne l'a pour rien ; on ne peut pas
distinguer.
Il s'agit de déterminer le sens de l'article 59 : si cet article ne reconnaît pas le droit de transférer d'une manière absolue, il ne le reconnaît pas du tout.
Ce qui produit la confusion dans l'esprit de quelques membres, c'est qu'on ne se rend pas bien compte de ce que les Bassins houillers pouvaient transférer. On ne peut transférer que ce qu'on possède.
Ils ne peuvent transférer qu'une chose, les annuités que l'Etat leur doit ; les annuités avec leurs vices, avec leurs défauts, avec leurs conditions résolutoires, s'il y en a ; en un mot, avec tous leurs accessoires, bons et mauvais ; de même qu'on vend une maison avec ses servitudes actives et passives ; de même d'après le droit commun, on peut vendre des annuités comme on peut vendre tout objet qui est dans le commerce, mais on les vend avec leurs vices, avec leurs défauts, avec leurs conditions résolutoires, si elles en sont affectées.
Et ici j'arrive à la grande consultation du 30 mai, dont il a été parlé.
S'agissait-il, le 30 mai, de savoir si l'on avait le droit, oui ou non, de transférer les annuités ? Non, il s'agissait à cette époque de purger en quelque sorte les annuités de tous les défauts, de tous les vices dont elles pouvaient êtres entachées, et l'on conseille, pour mettre les porteurs, les titulaires de ces annuités, à l'abri de toute revendication, de faire ratifier la convention du 25 avril par toutes les sociétés primitives et de les faire renoncer à toute action résolutoire en tant qu'elle pourrait atteindre l'Etat aussi longtemps que celui-ci exécute toutes les obligations que la convention du 25 avril lui impose.
Tel est le but de cette consultation : purger, si je puis m'exprimer ainsi, les annuités de tous les vices éventuels dont elles auraient pu être entachées.
Le sens de l'article 59 n'est pas infirmé par cette consultation. Il est confirmé. Il a été convenu que ces annuités, quels qu'en soient la valeur ou les vices, pourraient être transférées, non pas comme quittes et libres de toute espèce de revendications quelconques, mais pour ce qu'elles sont.
Voilà ce qui se trouve dans l'article 59. Voilà ce qui, pour moi comme pour les avocats du département, est indiscutable.
Il n'y a qu'une chose qui ne soit pas dans cet article 59 et qui en a été biffée : c'est la promesse d'autoriser la création d'une société anonyme, chargée de l'émission des titres.
Cela n'y est pas, mais j'ajoute que cela est parfaitement inutile à la société des Bassins houillers du Hainaut.
M. Frère-Orban a prétendu que cela lui était indispensable pour deux motifs :
Le premier c'est que, d'après l'article 59, il faut, avant de pouvoir créer des titres au porteur, un premier transfert.
De sorte que tout le monde, n'importe quelle société, n'importe que individu, Belge ou étranger, qui se serait rendu acquéreur de ces annuités, a eu le droit de créer des titres au porteur. Une seule personne n'a pas ce droit, c'est la société des Bassins houillers. Cette société peut céder ses annuités à n'importe qui et cet acquéreur, n'importe lequel, a le droit de créer des titres au porteur, mais la société elle-même n'a pas ce droit !
Une interprétation littérale aussi étrange peut-elle être admise un seul instant ?
Remarquez, en outre, que les titres au porteur se transfèrent par la simple tradition ; leur seule création implique un transfert au possesseur du titre, quel qu'il soit.
Mais supposons le sens de l'article 59 tel que tout le monde puisse créer des titres au porteur sauf la société des Bassins houillers. Cette société ne serait pas embarrassée du tout. Vous savez que les Bassins houillers font partie d'un groupe de sociétés qui ont des rapports de famille assez étroits ; ne pouvait-elle s'adresser à la Société générale d'exploitation, par exemple, pour l'émission des titres au porteur ? Assurément les Bassins houillers n'auraient pas été embarrassés de trouver, moyennant de lui laisser un bénéfice, une société de n'importe quelle forme qui aurait consenti, ce que tout le monde pourrait faire, la société des Bassins houillers exceptée, à acheter les annuités et à créer des titres au porteur.
- Un membre. - Cela n'eut pas été sérieux.
M. Jacobs, ministre des finances. - Cela aurait pu être parfaitement sérieux. Depuis quand, en effet, la société des Bassins houillers ne peut-elle plus rien transférer à la Société générale d'exploitation ? (Interruption.) L'argument est celui-ci : Vous ne pouviez pas, vous, Bassins houillers, (page 444) créer des titres au porteur ; un autre, tout autre, le pouvait ; eh bien, cet autre qui pouvait le faire très légalement, très loyalement, cet autre était tout trouvé ; il était à côté de la société des Bassins houillers.
Mais, messieurs, il est impossible d'admettre qu'on ait inséré une stipulation aussi absurde dans le contrat : Comme quoi tout le monde pouvait créer des titres au porteur, représentatifs des annuités, sauf celui qui traitait avec l'Etat le 25 avril, sauf les Bassins houillers !
Le second motif pour lequel, nous dit-on, l'anonymat était nécessaire est celui-ci : « Le public n'aurait pas eu confiance dans des titres dont le revenu n'est pas absolument certain. Or, si les titres avaient été véritablement représentatifs des annuités, comme elles ne sont qu'un prélèvement qui, dans certaines circonstances exceptionnelles, peut n'être pas atteint, le public n'aurait pas voulu de ces titres ; il fallait une société anonyme, ayant un capital de garantie, devenant propriétaire des annuités et émettant, non pas des titres représentatifs de ces annuités, mais des obligations sur elle-même en proportion du nombre des annuités dont elle restait propriétaire. Le payement de l'intérêt de ces obligations eût été assuré par les annuités qu'elle a à recevoir, plus un capital destiné à pourvoir aux éventualités indiquées. »
Je crois, messieurs, que le public préférerait une annuité due par l’Etat, payable aux caisses de l'Etat, telle que celle qu'indique la convention du 25 avril, ne fût-elle même qu'un prélèvement incertain, dans quelques circonstances exceptionnelles ; je crois qu'il les préférerait à des obligations d'une société telle que la caisse d'annuités. Et ce qui le démontre, c'est qu'aujourd'hui ce sont ces titres représentatifs que nous allons créer, payables aux caisses de l'Etat, les véritables titres dont parle l'article 59, et que les obligataires les acceptent avec satisfaction, quoiqu'ils ne soient que la représentation d'un prélèvement incertain.
Mais, messieurs, si des titres, d'un revenu parfois incertain, n'inspirent pas la confiance, comment une société qui n'a pas autre chose dans son patrimoine inspirerait-elle confiance ? Comment la caisse des annuités, si elle n'a pas d'autre avoir qu'un prélèvement incertain, verrait-elle ses titres plus prisés que ne le seraient des annuités mêmes ? Son petit capital n'expliquerait pas ce phénomène.
Je puis cependant donner à la Chambre un renseignement à cet égard : les titres de cette caisse d'annuités sont appréciés par des établissements financiers considérables. Les mêmes établissements et le public ne feraient probablement pas plus de difficultés pour prendre des titres directs sur l'Etat que des titres sur la caisse des annuités.
M. Bara. - Quels sont ces établissements ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Quels établissements ? Puisqu'on me le demande, je citerai ceux qui sont en rapport direct depuis longtemps avec la société des Bassins houillers du Hainaut, entre autres la Banque de Belgique, le Comptoir général qui sont, je pense, assez bien notés.
M. Frère-Orban. - Des créanciers !
M. Jacobs, ministre des finances. - Des créanciers, soit. Mais des créanciers n'acceptent généralement pas en garantie ou en payement de leurs créances des valeurs qui n'en sont pas.
M. Bara. - Ce sont des intéressés !
M. Jacobs, ministre des finances. - Soit, c'est pour cela, sans doute, que les obligataires, qui sont intéressés eux aussi, acceptent avec empressement la garantie de ces mêmes titres représentatifs que je compte séquestrer à leur profit.
L'exemple prouve que les obligataires, qui sont le public en fin de compte, acceptent volontiers ces titres, ce qui démontre de la façon la plus évidente qu'il n'était nullement nécessaire aux Bassins houillers, pour tirer parti de leurs annuités, de créer une société, caisse d'annuités ou autre, qui, possesseur des annuités, émît des obligations sur elle-même.
Si le gouvernement a créé la caisse des annuités, ce n'est pas pour venir en aide à la société des Bassins houillers. Nous avons cru qu'en le faisant, même sans condition, nous faisions chose utile aux obligataires. Nous suivions en ceci l'avis du conseil du département des travaux publics, M. Hennequin. Celui-ci nous disait : Même sans condition, même sans garanties spéciales, l'anonymat vaut mieux que toute autre forme de société. La cession à une société anonyme vaut mieux que la cession a un particulier ; l'avoir sera mieux géré, il ne sera pas à la merci d'un seul homme, les conditions de solvabilité et de publicité s'y rencontrent davantage.
La consultation est là, on peut la lire ; c'est à cet avis que nous avons déféré, n'ayant pu à ce moment aboutir à autre chose,
Il fallait, nous dit-on, exiger dès lors ce que vous avez obtenu aujourd'hui. On vous offrait le séquestre annal en échange du visa. En principe, c'est ce à quoi vous venez d'aboutir. Il fallait négocier pour obtenir que ce séquestre se prolongeât, d'un an, ce qu'on vous accordait, à toujours, ce que vous avez obtenu depuis.
Nous n'avons pas manqué, messieurs, de négocier. Nous avons cherché à obtenir alors ce que nous avons obtenu aujourd'hui et nous avons échoué. On nous offrait la même chose, en principe ; mais, en réalité, on ne nous offrait rien du tout. Le séquestre annal était complètement illusoire.
« Il fallait exiger le séquestre à toujours. » Exiger, c'est vite dit, mais quand on est deux à négocier, il ne suffit pas d'exiger pour obtenir. Nous n'avons donc pas réussi à cette époque, malgré nos efforts et nous avons dû nous demander s'il valait mieux accorder l'anonymat sans condition ou le refuser.
Notre conclusion, d'accord avec M. l'avocat Hennequin, a été qu'il était encore préférable, non pour les Bassins houillers, mais dans l'intérêt des obligataires, pour que les annuités ne fussent pas réalisées à vil prix, pour qu'elles ne fussent pas mises en mauvaises mains, d'avoir l'anonymat sans conditions que pas d'anonymat du tout.
Après nous avoir reproché d'avoir donné cet anonymat, on nous a fait le reproche de ne pas l'avoir retiré le jour où l'on a offert à des actionnaires des titres de cette caisse d'annuités en échange de leurs actions. C'était, dit-on, distraire ce qui appartenait aux créanciers pour le donner aux débiteurs. Devant un pareil scandale il fallait, sur l'heure, retirer l'anonymat.
Ceci démontre que l'on parle de choses que l'on ignore. Car on aurait, en agissant ainsi, puni l'innocent pour le coupable.
Qu'avait fait la caisse d'annuités ? Elle avait acheté des annuités aux Bassins houillers et leur avait donné en payement des obligations sur elle-même. Ces obligations, les Bassins houillers en étaient les seuls détenteurs.
Ils les ont offertes aux obligataires et ensuite aux actionnaires de quelques compagnies.
Si, en raison d'un pareil acte, vous retiriez l'anonymat à la caisse des annuités, vous auriez laissé la vie au coupable et frappé l'innocent. (Interruption.) Il vous plaît de dire que les deux société n'en font qu'une ; ce sont deux personnes morales absolument distinctes, dont l'une ne peut être punie des fautes de l'autre.
Mais vous-mêmes avez-vous donc été de si vigilants gardiens de la moralité financière ?
La société anonyme d'exploitation a, de votre temps, échangé toutes les actions de la compagnie Hainaut-Flandre contre des obligations nouvelles de la même compagnie.
Elle a fait absolument ce qui a été fait par les Bassins houillers.
Avez-vous retiré l'anonymat soit à la compagnie de Hainaut-Flandre, soit à la société anonyme d'exploitation ?
M. Bara. - Il n'y a pas eu de plaintes.
M. Jacobs, ministre des finances. - Qu'importe ! suffit-il qu'il n'y ait pas de plaintes pour que le gouvernement ferme les yeux ? (Interruption.)
Vous avez laissé augmenter le nombre des créanciers et, par conséquent, dans le cas de faillite, vous avez laissé diminuer la part qui reviendra à chacun des créanciers véritables.
Vous avez fermé les yeux. Nous ne l'avons pas fait ; mais nous n'avons pas pris cette mesure exorbitante que vous nous conseillez.
Nous avons fait des réserves et des protestations immédiates contre cet acte. Nous avons dit aux Bassins houillers, non pas que les titres de la caisse d'annuités ne pouvaient être remis qu'aux obligataires, c'eût été méconnaître l'article 59 de la convention du 25 avril, mais nous avons exprimé l'avis qu'il était contraire aux convenances, contraire à la nature même des choses de désintéresser les débiteurs alors que les créanciers ne sont pas désintéressés ; c'est là ce qui a motivé de notre part une protestation contre ce fait.
On prétend, messieurs, qu'au lieu d'user de rigueur, nous avons accumulé sur la tête des Bassins houillers toutes les faveurs imaginables ; nous avons accordé un nouveau délai d'option à la compagnie du Luxembourg pour la concession Forcade dans le seul but de retarder le versement d'un million que les Bassins houillers eussent dû verser, à titre de cautionnement, en cas de non-option. Nous avons admis des annuités en cautionnement. Enfin nous proposons le payement au comptant du matériel.
Je vais répondre à chacun de ces griefs.
(page 445) Quant au cautionnement du réseau Forcade, l'honorable M. Frère est très mal renseigné.
La question qui s'est présentée est celle-ci : On prétendait que, dès qu'il existait un nouveau concessionnaire, il fallait restituer le cautionnement primitif sans attendre que le cautionnement nouveau fût complété à raison d'un million. (Interruption.) On le prétendait.
M. Frère-Orban. - Qui ? Pas moi.
M. Jacobs, ministre des finances. - Les intéressés ont prétendu qu'il fallait restituer le cautionnement primitif d'un million, alors que le concessionnaire provisoire nouveau n'avait déposé qu'un premier cautionnement de 100,000 francs.
Un des avocats consultés par le département des travaux publics partageait cet avis.
Mon collègue des travaux publics en donna communication à M. le ministre des affaires étrangères, à qui l'ambassadeur d'Autriche en avait parlé officieusement. On a donc cru un moment que le cautionnement d'un million de la compagnie Forcade serait restitué avant que le million qui devait le remplacer fût versé soit par la compagnie du Luxembourg, soit par les Bassins houillers.
Le lendemain, le conseil des ministres, saisi de l'objet, reconnut qu'on ne pouvait restituer le cautionnement avant qu'un autre fût venu le remplacer. L'annonce de la veille fut aussitôt rectifiée.
Le conseil des ministres n'a pas eu à s'occuper de la sommation faite à la société du Grand-Luxembourg.
Le département des travaux publics s'en est seul occupé.. Il n'a pas reconnu qu'il fallait la faire par huissier, comme l'a dit l'honorable M. Frère, mais il a reconnu que la première sommation, telle qu'elle avait été faite, avant que la loi fût votée, en termes vagues, était insuffisante et, pour se mettre en règle, de l'avis de ses conseils, il a fait une seconde sommation non par huissier, mais par lettre, comme l'autorise le cahier des charges de la compagnie.
Si, au lieu de faire une seconde sommation à la compagnie du Luxembourg, on avait déclaré M. Philippart concessionnaire, l'honorable M. Frère eût peut-être été satisfait, mais d'autres membres de cette Chambre se seraient levés, dans l'intérêt du Luxembourg, pour protester contre cette manière cavalière de donner des concessions sans tenir compte des droits des tiers.
On n'a fait qu'user de prudence en cette circonstance.
Les cautionnements en annuités, admis par nous, ont provoqué une demande d'explications : Que feriez-vous en cas de faillite des Bassins houillers ? Auriez-vous le cœur de conserver ces annuités au détriment des obligataires ?
Le cas, messieurs, serait identiquement le même, si nous avions un cautionnement en rente belge.
Je suppose la faillite des Bassins houillers. Les créanciers, tout aussi intéressants que les obligataires, viendraient dire à l'Etat :
Les Bassins houillers ne vous ont fait aucun tort ; vous ne vous trouvez pas devant un entrepreneur de travaux publics qui, par des malfaçons, vous a causé un préjudice ; vous qui n'avez pâti en rien, allez-vous retenir ce million en fonds publics, au détriment de la masse créancière ?
Si la question de cœur domine lorsqu'il y a des annuités, elle dominera également en présence de fonds belges ; et, si le cœur doit se taire dans le second cas, il se taira aussi dans le premier.
Enfin, la dernière faveur faite aux Bassins houillers, c'est le payement au comptant du matériel.
Je vais démontrer à la Chambre que c'en est moins une pour les Bassins houillers que pour les porteurs d'obligations et pour les populations qui attendent la construction de chemins de fer, pour tous ceux qui sont intéressés à ce que la société poursuive le cours de ses opérations et de ses travaux.
Mais, messieurs, jamais personne n'a prodigué autant de faveurs à cette société que nos honorables prédécesseurs.
L'honorable M. Frère-Orban en faisait lui-même son mea culpa et se demandait s'il n'aurait pas été de son devoir, en présence des retards de la société, de prononcer contre elle des déchéances de concessions.
Au lieu de cela, que fait-on ?
On lui donne 600 kilomètres nouveaux à construire ; en un mot, on la traite mieux que les meilleures sociétés du pays.
Si la société des Bassins houillers s'est vu prodiguer ces faveurs, ce n'est pas par nous.
Nous avons procédé avec bienveillance quand il a fallu le faire en équité, et nous avons été sévères quand il a fallu l'être.
Nous avons repoussé les lots à prime : nous avons protesté contre l'échange d'actions contre des titres de la caisse d'annuités. Nous avons refusé l'anonymat à la société pour la construction de chemins de fer que la société des Bassins houillers devait faire de commun accord avec la Société générale.
J'ai dit l'autre jour que j'ignorais quelle avait été la raison exacte qui avait amené la rupture de ce contrat. Mais je puis supposer que ce refus d'anonymat que nous avons opposé à la société des Bassins houillers a été, pour quelque chose, dans la rupture du contrat.
M. Tesch. - Il n'y a été absolument pour rien...
M. Jacobs, ministre des finances. - On comptait créer une société anonyme ; on nous demandait l'anonymat ; on ne le demandait sans doute pas inutilement.
M. Tesch. - Il n'y a été pour rien...
M. Jacobs, ministre des finances. - Il n'y a été pour rien du côté de la Société générale, mais du côté de son cocontractant qui venait nous le demander, en est-il de même ? Le refus d'anonymat a pu faire échouer la combinaison, au moins de son côté.
M. Tesch. - D'aucun côté.
M. Jacobs, ministre des finances. - Voilà trois faits qui démontrent qu'en cas de besoin nous avons su être sévères comme nous avons aussi su être équitables.
J'arrive maintenant au projet de loi en lui-même ; j'ai traité assez longuement de l'article 39 et des procédés du gouvernement à l'égard de la société des Bassins houillers.
Le matériel a été presque en totalité régulièrement et contradictoirement expertisé ; cependant on insinue qu'en présence d'un chiffre de 26,000,000 de matériel sur les lignes cédées par la convention du 25 avril, mis en regard d'un matériel de 5,000,000 sur les lignes de la Flandre occidentale qui restent à la Société générale d'exploitation, il se pourrait qu'on eût fait passer, des secondes lignes sur les premières, une certaine quantité de matériel. On se garde bien de rien affirmer, mais on laisse entrevoir un soupçon.
Je tiens à donner à la Chambre une indication qui lui montrera avec quelle minutie cet inventaire a été fait par les ingénieurs de l'Etat. La compagnie des Bassins houillers avait commandé deux séries de 50 waggons ; la première avait le type des waggons de l'Etat et était destinée à la Flandre occidentale ; la seconde avait le type des waggons d'Orléans et était destinée aux lignes que l'Etat a reprises en vertu de la convention du 25 avril. Il semblait naturel aux Bassins houillers d'intervertir ces deux séries de waggons dont quelques-uns étaient déjà livrés.
Il ne pouvait y avoir dans cette interversion aucun préjudice pour l'Etat. Néanmoins nos ingénieurs ont tenu à ce que, même en l'absence d'un intérêt quelconque, aucune partie du matériel de la Flandre occidentale ne fût cédée à l'Etat et par contre qu'aucune partie du matériel cédé à l'Etat ne restât à la Flandre occidentale.
Vous voyez, messieurs, avec quelle minutie on a procédé !
M. Balisaux a soulevé hier une autre question relative au matériel, question qui était à la fois une critique du projet actuel et une critique de la convention du 25 avril. Examinez les bilans, disait-il, et vous verrez que le matériel appartient non pas à la société des Bassins houillers, mais à la Société générale d'exploitation. C'est elle qui a créé ce matériel, c'est elle qui l'indique à ses bilans, c'est donc à elle qu'il faudrait le payer.
Un mot, messieurs, dissipera cette équivoque et vous démontrera qu'au 25 avril comme aujourd'hui l'Etat a eu raison de traiter avec la société des Bassins houillers.
Quand on lit les conventions du 15 février 1867 par lesquelles l'exploitation de différents chemins de fer a été transférée, par les Bassins houillers, à la Société générale, on remarque qu'il y est prévu qu'en cas de non-paiement des rentes stipulées comme loyer, le contrat sera résolu et le matériel restitué avec les lignes par la Société générale d'exploitation à la société des Bassins houillers.
Or, messieurs, tel était le cas à la date du 25 avril 1870. De commun accord, depuis plusieurs années, les rentes n'étaient pas payées ; on consacrait tout l'avoir, tout le produit des lignes à l'augmentation du matériel. C'est là ce qui explique qu'en quelques années un matériel de vingt raillions a été créé. On se trouvait dans le cas de rupture du contrat, puisque les recettes avaient été employées non à dédommager la société des Bassins houillers, mais à créer du matériel. De commun accord, on a déclaré le contrat résolu ; la société des Bassins houillers a repris ses lignes (page 446) et leur matériel ; c'est ce qui lui a permis, le 25 avril, de traiter avec l'Etat pour la reprise des lignes et pour la reprise du matériel.
A ce propos, l'honorable M. Balisaux a rappelé que, dans les bilans de la Société générale d'exploitation, se trouvait un poste énorme de dix-huit millions de créditeurs, et il s'est dit : Mais si ce matériel de la Société générale d'exploitation disparaît, quel sera le gage de ces créanciers ?
Dans ces 18 millions, messieurs, se trouvent, pour 10 millions, la société des Bassins houillers et la Société anonyme d'exploitation, les deux sociétés qui ont créé la Société générale d'exploitation et qui n'avaient jamais reçu d'elle le payement des rentes qui leur étaient dues. Ce chiffre établit les sacrifices qu'ont fait ces deux sociétés pour se pourvoir d'un matériel convenable.
L'honorable M. Jamar, se fiant à des souvenirs un peu lointains, nous a dit que les fonctionnaires des travaux publics proposaient le payement du matériel au comptant et que c'est le gouvernement qui, d'une part, dans l'intérêt des obligataires, d'autre part, pour se mettre à l'abri des revendications, a substitué, à ce payement au comptant, le payement par annuités.
Les souvenirs de l'honorable membre lui ont ici fait défaut. Il est très vrai que les fonctionnaires des travaux publics préconisaient le payement du matériel au comptant ; mais si cela n'a pas été admis, c'est parce que cela était repoussé par la société des Bassins houillers. Voici, en effet, ce qui se trouve dans le rapport de la commission : « Selon nous, il serait même préférable que l'Etat payât en capital la propriété mobilière à reprendre ; mais cette proposition ne paraît pas devoir rencontrer l'assentiment de la société des Bassins houillers. »
M. Jamar. - Nous étions d'accord à ce moment-là.
M. Jacobs, ministre des finances. - On négociait et c'est parce que l'article 59 permettait le transfert des annuités, que la Société n'avait aucun intérêt à demander le payement comptant.
En parcourant les rédactions successives qui se trouvent au dossier, on voit que la société des Bassins houillers a toujours proposé le payement par annuités. Si la convention du 25 avril a accordé au gouvernement un droit d'option entre deux modes : le payement par annuités et le payement comptant, c'est dans un but exclusivement financier et à la demande de l'Etat.
Voici, en effet, messieurs, un extrait d'une pièce du dossier ; c'est une note du directeur général de la trésorerie, à la date du 15 avril :
« Quant au mode de payement (du matériel), j'hésite à accepter celui que la commission indique, et qui consisterait en une rente calculée à 5 p. c. payable pendant 60 ans. Mieux vaudrait réserver au gouvernement l'option de choisir ce mode ou de rembourser immédiatement ce prix ; ce sera à lui d'apprécier, selon les circonstances, le mode qui doit être préféré. C'est ce que nous avons fait pour le rachat des embranchements du canal de Charleroi et pour l'acquisition du Jardin Botanique. »
Vous voyez que l'on a été uniquement préoccupé du côté financier de la question et c'est M. Mercier, directeur de la trésorerie, qui est l'auteur de la rédaction finale de l'article 10, dont le but est exclusivement de donner au gouvernement, d'après les circonstances, le moyen de faire ce qui a été fait pour le rachat des embranchements du canal de Charleroi et l'acquisition du Jardin Botanique, de choisir le mode financier le plus avantageux, soit le payement au comptant, soit le payement par annuités.
C'est donc au point de vue purement financier qu'on a modifié la rédaction proposée par la société des Bassins houillers, qui stipulait le payement en annuités, et qu'on a introduit la clause de l'article 10.
Si les souvenirs de M. Jamar étaient fidèles et s'il avait résolu le payement en annuités pour sauvegarder les obligataires et se mettre à l'abri de toute espèce de revendication, je ne comprendrais pas qu'une option eût été insérée dans le contrat.
A quoi bon l'option, si le gouvernement était décidé d'avance, dans l'intérêt des obligataires, et de crainte de revendications, à payer en annuités ?
Mais, messieurs, si pour le payement du matériel le gouvernement n'a jamais songé ni aux revendications ni aux obligataires, quelqu'un y a songé.
Une interpellation fut adressée au gouvernement, dans la séance de la Chambre du 14 mai, par l'honorable M. Dumortier :
« Je désire, disait-il, savoir comment s'effectuera le payement du matériel : si l'Etat émettra des titres négociables ou s'il versera annuellement entre les mains de la société la somme qu'il s'engage à payer. Remarquez-le, ajoutait-il, le matériel est le gage des créanciers de la société et si le gouvernement émettait des obligations négociables, les actionnaires seraient fondés à nous prendre à partie. »
Voilà donc M. Dumortier qui demande au gouvernement s'il émettra des titres représentatifs au porteur, des titres négociables ou bien si, rendant ces annuités incessibles, il se bornera à les payer à la société des Bassins houillers.
Le gouvernement ne répond pas, il ne dit rien, il garde un silence prudent, car selon qu'il eût répondu affirmativement ou négativement, il aurait pu soulever des protestations ou de la société des Bassins houillers ou des obligataires.
On a jugé prudent de garder le silence comme si l'on s'était dit : une fois le fait accompli, chacun n'aura qu'à faire valoir ses droits devant les tribunaux.
On mettait le gouvernement en demeure de se prononcer, et il n'a rien dit.
Aujourd'hui seulement on s'aperçoit qu'il y a des obligataires et qu'il pourrait y avoir des revendications, et l'on nous dit qu'il serait dangereux, au point de vue des obligataires et de l'Etat, de payer le matériel au comptant.
Les droits des obligataires sont sauvegardés par l'arrangement sur lequel j'aurai l'occasion de revenir tout à l'heure.
Il y a aujourd'hui un intérêt immense pour les obligataires à ce que la société obtienne par la loi la libre disposition d'une partie de son matériel, car, il ne faut pas se le dissimuler, le vote du projet de loi est connexe à l'arrangement des obligataires. Les Bassins houillers ne sont liés qu'en tant que le projet de loi soit voté, et cela se comprend ; la société a besoin de ressources ; elle a besoin de faire argent de son avoir. Si elle n'obtient pas le payement comptant de son matériel, elle sera tentée de faire argent de ses annuités. Elle n'est liée que dans l'hypothèse où elle obtiendrait les 12 ou 13 millions que la loi lui procure et qui lui sont nécessaires pour parfaire le déficit provisoire de 15 à 20 millions, dont l'honorable M. Jamar a parlé.
Les obligataires ont donc un immense intérêt à ce que le projet de. loi soit approuvé.
Sans doute on ne sait pas d'une façon exacte jusqu'où l'on peut s'avancer sans rompre une négociation ; sans doute, il m'est impossible de déclarer que même le projet étant modifié, étant amendé, je ne parviendrais pas à obtenir de la société des Bassins houillers à nouveau ce que j'ai obtenu présent. On ne sait jamais où est l'extrême limite des concessions, quand les négociateurs sont en présence. Mais je dois déclarer à la Chambre, pour qu'elle soit au courant de la vérité des faits, que jusqu'à présent la société des Bassins houillers n'est liée par l'arrangement fait en faveur des obligataires que pour autant que le matériel lui soit payé comptant sous déduction des 13,600,000 francs.
C'est aux membres de la Chambre qui paraissent s'intéresser aux obligataires à savoir s'ils veulent compromettre ce résultat et s'ils veulent faire en sorte que l'arrangement puisse être rompu par la compagnie des Bassins houillers ; elle est liée pour le moment ; je crois qu'il est prudent de ne pas la délier ; j'engage vivement les honorables membres à ne pas, en ce moment, lâcher la proie pour l'ombre. (Interruption.)
M. Bara. - Ils auront mieux.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je sais que, en effet, les obligataires vous ont pour avocat. Mais je crois que s'ils peuvent être sauvegardés sans avocat et sans procès, cela vaudra mieux encore. (Interruption.)
Ainsi, messieurs, au. point de vue des obligataires, payer une partie du matériel au comptant n'est pas dangereux ; au contraire, cela est éminemment utile à leurs intérêts.
II est un autre point de vue, messieurs, auquel nous devons surtout nous placer, car, malgré tout notre bon vouloir pour les obligataires, nous ne pouvons déserter le terrain des intérêts de l'Etat.
Il s'agit de démontrer à la Chambre que le projet de loi sur le matériel, réduit comme il l'est par l'amendement du gouvernement, n'expose pas l'Etat au danger de payer deux fois.
- Un membre à droite. - C'est la question !
M. Jacobs, ministre des finances. - Eh bien, cette démonstration messieurs, il ne me sera pas difficile de la faire.
D'abord, dans quelle hypothèse peut exister ce danger ?
Dans une seule, dans le cas où la convention du 25 avril viendrait à être anéantie tout entière ; si les ratifications des compagnies valent, si nous restons perpétuellement en possession du réseau, il n'y a pas le moindre danger. Il n'y en aura que dans le cas où l'on viendrait établir que, cette (page 447) convention ayant été faite en fraude des droits des créanciers, et l'Etat ayant participé à la fraude, il y a lieu de la détruire tout entière, de remettre toutes les parties dans leur état primitif et de restituer à chacun sa ligne et son matériel ; c'est là le seul danger, et, avant d'examiner si je fais la part des revendications assez grande dans le matériel que je ne paye pas au comptant, je dois démontrer à la Chambre que ce danger n'est pas très sérieux.
Je suppose que la convention soit dénouée complètement, que toutes ses compagnies isolées soient rendues à elles-mêmes, qu'elles soient de nouveau livrées à leurs propres ressources et à leurs propres forces. Il se produirait immédiatement une coalition entre elles pour venir supplier l'Etat de reprendre la convention du 25 avril, ou même une convention moins favorable et de reprendre on mains toutes ces exploitations qui, restées isolées, seraient condamnées à végéter et à mourir.
M. Bara. - C'est la condamnation de ce que vous faites.
M. Jacobs, ministre des finances. - Erreur complète. Le danger n'est donc pas bien grand.
Mais supposons un moment que toutes ces sociétés croient que leur intérêt est de reprendre l'exploitation de leurs lignes, qu'elles l'essayent, qu'elles le tentent et qu'elles demandent à l'Etat la restitution de ce à quoi chacune a droit. Quelle fraction de matériel pourraient-elles revendiquer ? On a fait le calcul du matériel construit par les compagnies primitives et, d'autre part, du matériel construit par la société des Bassins houillers du Hainaut et par la Société générale d'exploitation au moyen de leurs deniers. Voici ces chiffres :
Le Centre avait 4,110,000 francs de matériel. Le Centre, d'un autre côté, a donné 10,000 obligations à forfait pour un double objet, pour la réfection de la voie et pour l'augmentation du matériel. Le matériel y entre pour l'immense majorité, on a consacré une somme de 3,670,000 francs à l'augmenter. Cela fait donc pour le chemin de fer du Centre 7,780,000 francs de matériel.
Le matériel de Hainaut-Flandre représentait 2,145,000 francs.
Le matériel du Flénu et de la Jonction de l'Est, 99,000 francs et 1,590,000 francs.
Nous arrivons à un total de 11,614,000 francs.
Voilà le total complet, absolu du matériel, tel qu'il a été inventorié, lorsque ces compagnies ont livré leur exploitation aux Bassins houillers.
Nous arrivons au chiffre de 11,614,000 francs. Nous avons une marge de 2 millions avant d'arriver au chiffre de 12,600,000 francs indiqué par la convention. Mais j'ajoute qu'il ne faut pas admettre même le chiffre de 11,614,000 francs, parce que nous serons toujours libres de maintenir partiellement le contrat vis-à-vis de quelques compagnies.
Il y a des compagnies qui avaient cédé leur exploitation à la société des Bassins houillers pour une rente fixe et auxquelles on délègue une quantité fixe égale sur les annuités à payer par l'Etat. Parmi ces compagnies se trouvent le Flénu et la Jonction de l'Est. Il dépendra complètement de l'Etat, et il y aura évidemment intérêt, de maintenir, même isolément, avec ces deux compagnies les accords qui ont été faits avec la compagnie des Bassins houillers, et alors il se trouve que le maximum des revendications possibles ne peut pas même atteindre 10 millions : il est de 9 millions 925 mille francs.
En dehors de cela, il n'y a que deux questions qu'on peut soulever au point de vue juridique ; l'une concerne la compagnie de Tamines à Landen, l'autre la compagnie de l'Ouest.
Voici là situation de Tamines à Landen :
Tamines à Landen a exigé primitivement qu'il y eut toujours sur sa ligne un matériel d'une valeur de deux millions en garantie de tous les engagements que la Société d'exploitation prenait vis-à-vis d'elle en se chargeant de l'exploitation de sa ligne.
Ce n'est pas là un gage, attendu que le matériel est dans la possession, non de Tamines à Landen, mais du propriétaire, la société anonyme d'exploitation. Il n'y a pas de gage. Qu'y a-t-il ? Il y a une stipulation conventionnelle qui permettait à la compagnie de Tamines à Landen de demander, le jour où cette convention ne serait plus exécutée, la résiliation du contrat. Or, la compagnie de Tamines à Landen, non seulement ne demande pas la résiliation du contrat, mais elle ratifie la convention du 25 avril, dans laquelle se trouve une stipulation pour le matériel, qui met fin d'une façon absolue à cette garantie de 2 millions, qui, en réalité, n'était qu'une véritable garantie de bonne exploitation. Voici ce que dit l'article 41 :
« La fourniture... du matériel mobile... est, aussi bien que celui du matériel de traction et de transport, à charge de l'Etat. »
L’Etat assume, dans ces articles, toutes les obligations d'exploitation aux lieu et place des obligations différentes que pouvaient avoir les compagnies primitives.
La compagnie de Tamines-Landen a renoncé, en vue de l'exploitation par l'Etat, à sa garantie de deux millions de matériel ; ces deux millions qui n'ont jamais été un gage, qui n'ont été qu'une garantie d'exploitation, ne peuvent jamais faire l'objet d'une revendication.
N'en parlons donc pas.
Parlerons-nous du matériel de l'Ouest ? Le matériel de l'Ouest n'a jamais existé. Si l'on voulait supposer un matériel à l'Ouest, il faudrait se demander quel serait le matériel nécessaire pour exploiter une pareille ligne et l'on trouverait qu'un million serait une somme plus que suffisante.
Or, nous avons une marge de 2 millions.
Mais l'Ouest n'a jamais eu de matériel roulant ; l'Ouest a un matériel fixe et lorsqu'il a promis la garantie de son matériel, il n'a pas pu indiquer autre chose que le matériel lui appartenant, c'est-à-dire le matériel fixe.
Cependant, messieurs, la question pourrait paraître plus délicate si la compagnie d'exploitation avait affecté à l'Ouest un matériel spécial. Il n'en est rien.
L'Ouest appartenait à un groupe dont faisaient partie Hainaut-Flandre et d'autres chemins de fer.
Ce groupe a eu un matériel jusqu'à un certain point distinct de celui des autres groupes de la Société d'exploitation ; mais quant à la fraction du groupe qui constituait l'Ouest, elle n'a jamais eu le moindre matériel à part.
Voyez-vous donc les obligataires de l'Ouest venant dire à l'Etat :
On nous a promis la garantie d'un matériel ; il est vrai que notre compagnie n'en a jamais eu. Mais néanmoins nous vous demandons de déterminer ex œquo et bono quel serait le matériel nécessaire à la bonne exploitation de la ligne et de nous remettre un matériel de pareille importance. Notre débiteur n'en a jamais eu, mais nous, créanciers, nous y avons droit quand même !
Nous avons donc une grande marge : 2 millions ; en admettant même qu'il faille tenir compte de l'Ouest, il resterait encore un million.
Ainsi, en supposant toutes les prétentions admises, nous conserverions dans nos caisses beaucoup plus qu'il n'est nécessaire pour satisfaire à toutes les revendications imaginables.
- M. de Naeyer remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.
M. Jacobs, ministre des finances, continuant. - Si la marge est considérable et si l'arrangement avec les obligataires écarte toute crainte, s'il n'y a de danger ni vis-à-vis des obligataires, ni vis-à-vis de l'Etat, n'y a-t-il pas équité à payer aux Bassins houillers le matériel qu'ils ont créé de leurs deniers ?
Remarquez que ces sociétés en grande partie y ont consacré leur capital, leurs bénéfices, leur crédit ; c'est grâce à tout cela qu'elles sont parvenues à créer ce matériel, dont la valeur atteint la somme énorme de vingt millions.
Je ne rembourse aux Bassins houillers que 12 millions environ.
Les fournisseurs de ce matériel pourraient peut-être seuls se plaindre et mettre saisie-arrêt sur ce prix ; eux seuls pourraient avoir intérêt à ce que l'Etat ne se dessaisît pas de ce matériel.
J'ai vu de ces créanciers, la compagnie Evrart notamment. Elle demande pour toute sécurité que la société des Bassins houillers garantisse les promesses que la Société générale d'exploitation lui avait données, et moyennant cette garantie, qui était de droit, puisque l'une avait été substituée à l'autre dans la propriété du matériel, elle s'est déclarée satisfaite. Cette garantie a été donnée de suite.
Il est équitable de payer aux Bassins houillers le matériel qu'ils ont créé ; on sait qu'ils ont besoin de leurs ressources, qu'ils doivent supporter des sacrifices à concurrence de 15 à 20 millions pendant les premières années. On sait que cette société ne peut trouver complètement ces ressources en elle-même,- quelle société les trouverait ?- on sait qu'elle a un matériel dans lequel elle a enfoui une partie de son capital et de ses bénéfices, et l'on irait lui refuser de faire argent de ce qui forme une bonne partie de son avoir ?
C'est dans ce matériel, entre autres, que la société doit trouver les moyens de soutenir le poids de sa situation actuelle et de faire les premières avances nécessaires pour la construction des nouveaux kilomètres de chemin de fer.
M. Bara. - Voulez-vous nous donner une explication sur les 15 millions ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Quant aux 15 ou 20 millions (page 448) dont on me demande l'explication, je m'en rapporte à ce qu'a déclaré l'honorable M. Jamar, qui a examiné la question de plus près que moi.
L'honorable M. Frère a été jusqu'à dire que, lors de la convention du 25 avril, la société était aux abois.
L'honorable M. Jamar a ajouté que la société devait pouvoir faire des avanies à concurrence de 15 à 20 millions avant de pouvoir faire des bénéfices.
Cela se conçoit.
Elle a 6 à 7 millions à payer par an aux obligataires, alors qu'elle ne touche que 4,200,000 francs d'annuités, à raison de 7,000 francs pour chacun des 600 kilomètres livrés. Il y a là une différence de 2 à 3 millions.
Elle a des charges considérables envers l'Etat, d'après la convention.
Dans le courant de cette année, même en dehors des trois millions de réfection de la voie, elle doit payer 2 à 3 millions à l'Etat de divers chefs. Y compris les 3 millions de réfection, elle a, dans le courant de cette année, à payer à l'Etat une somme plus considérable que celle qu'elle a à recevoir en annuités. Elle doit donc trouver en elle-même tout ce qu'elle aura à payer aux obligataires. Elle doit en outre certaines échéances pour le matériel.
Vous le voyez donc : rien que pour payer l'intérêt et l'amortissement des obligations, rien que pour payer à l'Etat les sommes qui lui sont dues d'après la convention du 25 avril, la société doit se mettre en avance de sommes énormes et qui, dans l'intervalle de quatre ans, peuvent se chiffrer par 15 à 20 millions.
Eh bien, il ne serait pas équitable de lui refuser les moyens naturels d'attendre le moment où il y aura des bénéfices.
Au lieu de nous approuver de lui venir en aide par la vente du matériel, au lieu de l'aider ainsi à faire face à ses charges et à se créer un fonds de roulement, on nous conseille de lui faire des avances sur les kilomètres à construire.
Des avances, messieurs ! Le gouvernement en a fait quelquefois ; il s'en est généralement mal trouve. Depuis le million Merlin sous le royaume des Pays-Bas, depuis les avances de 1815, de 1848 et de 1849 dont la cour des comptes a rendu compte dans un de ses derniers cahiers d'observations, nous savons ce qu'il en coûte à l'Etat de faire des avances.
M. Frère-Orban. - Ce ne sont pas des prêts, c'est le payement de travaux exécutés.
M. Jacobs, ministre des finances. - Il faut bien lui donner un fonds de roulement. Vous parlez d'avances : s'il ne s'agissait que du payement de travaux faits, il n'y aurait pas d'avances. Mais si nous nous étions mis en avance, c'est alors qu'on aurait crié au scandale, au favoritisme !
M. Frère-Orban. - J'ai parlé d'avances sur les kilomètres à construire, de racheter vos propres annuités.
M. Jacobs, ministre des finances. - Mais il faut, préalablement aux travaux, que la société ait un fonds de roulement pour commencer.
On nous reproche de prendre des annuités à titre de cautionnement parce qu'elles sont un prélèvement incertain et l'on nous conseille, de les prendre en garantie d'avances...
M. Frère-Orban. - Ce sont des annuités libres...
M. Jacobs, ministre des finances. - Oui, mais vous avez insisté sur ce qu'elles sont un prélèvement incertain. Eh bien, ce prélèvement, que nous aurions eu tort de prendre à titre de cautionnement pour des concessions qui ne nous coûtent rien, nous aurions raison de le prendre à titre de garanties d'avances ! C'est pour le coup qu'on nous accuserait de multiplier les faveurs et qu'on crierait au scandale.
Il me paraît certain qu'il y a équité, justice, avantage à payer à la société des Bassins houillers en argent une partie de son matériel.
L'honorable M. Balisaux, hier, a rendu hommage à cette situation vraie, quand il a proposé un amendement dont le but serait de ne faire le payement que par mois, et en même temps de rendre provisoirement ces annuités incessibles et insaisissables.
L'honorable membre, dans la forme de son amendement, a oublié qu'il s'agissait d'une convention et qu'il faut nécessairement l'accord des deux parties avant d'aboutir. Ce consentement de la part de la société des Bassins houillers est chose absolument impossible, car une société qui accepterait un arrangement de ce genre se donnerait un brevet d'insolvabilité ; ce serait une injure et une humiliation à laquelle aucune société ne se résignerait. Je suis certain que la société des Bassins houillers, plutôt que de s'avouer dans une situation qui justifie pareil arrangement, aimerait mieux renoncer au payement comptant, reprendre sa liberté et vendre ses annuités comme bon lui semble à ses risques et périls.
Mais s'il y a là une humiliation qu'aucune société ne pourrait accepter et qu'on ne pourrait lui imposer, il n'y a aucune garantie.
Vous voulez donner aux obligataires les moyens de faire valoir leurs droits. Mais, messieurs, ce n'est pas en quelques mois qu'ils sauront faire valoir leurs droits. Il y aura, pour arriver à ce résultat, des procès d'une complication extrême, à poursuivre et à faire vider. Il faudra d'abord faire un procès aux compagnies primitives ; celles-ci devront appeler en garantie la société des Bassins houillers, et celle-ci, à son tour, l'Etat lui-même.
Ces procès devront passer par toutes les juridictions et il est absolument impossible qu'à l'époque où ces procès seraient vidés il reste encore quelque chose en caisse, dans le système de l'honorable M. Balisaux.
M. Bara. - C'est très vrai.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, vous vous rappelez que, d'après la convention, l'Etat a à recevoir des payements considérables de la société. Eh bien, n'est-il pas équitable de mettre la société en mesure de retirer de son matériel de quoi payer ce qu'elle doit à l'Etat ?
Peut-on exiger qu'après les charges considérables qu'elle a assumées, ne trouvant pas dans les annuités de quoi payer ses obligataires, elle aille encore, créancière de l'Etat pour un matériel considérable, demander au crédit ce qu'il lui faut pour payer à l'Etat un nombre considérable de millions qu'elle lui doit à d'autres titres ?
Si l'on demandait à la société des Bassins houillers certaine compensation entre ce qu'elle doit à l'Ettl et ce que l'Etat lui doit, ce serait une proposition à laquelle elle ne se refuserait certainement pas.
Mais, messieurs, lui refuser de tirer parti de son matériel, tandis qu'elle doit une somme considérable à l'Etat, c'est là une exigence qui n'est certainement pas dans l'esprit des contrats. On sait qu'il lui faudra faire 15 à 20 millions d'avances ; qu'elle comptait sur le concours d'établissements financiers français, concours que les événements de guerre lui enlèvent ; et l'on voudrait l'empêcher de disposer de son matériel pour en faire de l'argent !
Certains membres de cette Chambre sont d'avis, je le sais, que si la société des Bassins houillers pouvait disparaître par une faillite, ce serait un grand bien. L'honorable M. Boucquéau a semblé aller jusque-là. L'élément impur aurait alors disparu et les obligataires resteraient seuls pour recueillir la succession.
M. Boucquéau. - Ce qu'on propose n'est-il pas l'équivalent des conséquences d'une faillite ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Je vais vous prouver le contraire.
On n'a généralement pas compris, - quelques personnes au moins, et l'honorable M. Boucquéau est de ce nombre, faute sans doute d'explications suffisamment claires de ma part, - on n'a pas compris l'arrangement auquel nous adhérons.
Il semble véritablement que les Bassins houillers veuillent tiercer leurs créances et qu'ils leur disent : Au lieu de 15 francs, vous aurez 9 fr. 40 c.
M. Boucquéau. - Je n'ai pas fait allusion à votre arrangement.
M. Jacobs, ministre des finances. - Il me semble que c'est de lui cependant qu'il faudrait s'occuper. Or, si la société des Bassins houillers venait à suspendre ses payements et offrait la cession partielle de ses biens à ses créanciers. Si elle leur disait : Je vous offre le prélèvement fixe de 7,000 francs par kilomètre sur l'ancien réseau et la part variable du réseau entier ; voilà tout.
Si elle tenait ce langage, vous seriez en droit de dire que ce n'est pas un acte honnête et que, lorsqu'on dépose son bilan, on doit abandonner son avoir entier à ses créanciers.
Mais il ne s'agit pas d'un débiteur qui fait cession de biens, d'un débiteur en faillite, c'est un débiteur qui est debout et qui, je l'espère, le restera.
Ce débiteur vient dire à ses créanciers : Mon avoir est disponible, je puis en disposer comme il me convient, mais je vais faire une concession à quelques-uns de mes créanciers à terme, je vais rendre indisponible une partie de mon avoir, les 7,000 francs par kilomètre ancien et la part variable du réseau entier. Voilà ce que je rends indisponible pour satisfaire à vos réclamations ; je ne déclare pas que vous n'aurez que cela et que je vous réduirai à la portion congrue, mais je déclare que, vous devant 13 francs à terme, je vais vous donner dès à présent la garantie que je ne disposerai pas, sur mon avoir, d'annuités fixes à concurrence de 9 fr. 40 c. de revenu et d'annuités variables à concurrence du surplus.
Il n'y a donc pas de réduction propose aux obligataires ; on leur dit : Gardez vos titres et, si vous les vendez, ne les vendez qu'à des taux qui vous conviennent.
(page 449) Nous verrons, messieurs, les obligataires se faire rembourser à des taux supérieurs à ceux auxquels ils ont payé leurs obligations.
On leur dit donc : Vous pourrez vendre vos titres aux termes qui vous conviendront, vous en aurez 240, 250, 260 francs, selon le prix qu'il vous conviendra d'exiger et, en attendant, l'Etat séquestrera à votre profit toutes les sommes à la disponibilité desquelles les Bassins houillers auront renoncé.
Si la société des Bassins houillers ne trouve aucun obligataire qui consente à lui vendre des titres au taux qu'il lui plaira d'offrir, la situation restera ce qu'elle est aujourd'hui, à une différence près, c'est que l'article 59 sera interprété, comme tout le monde voudrait qu'il le fût, en ce sens que la société des Bassins houillers ne peut pas disposer des annuités relatives aux kilomètres anciens ni même à la partie variable du réseau tout entier et l'Etat sera là pour contrôler les titres par son visa.
On prend donc deux mesures en faveur des porteurs d'obligations : on interprète l'article 59 comme tout le monde voudrait qu'il fût rédigé et on ajoute que l'Etat contrôlera les titres.
On leur dit : Vous aurez un avoir indisponible en garantie de vos droits. L'arrangement à leur point de vue n'est pas une réduction des dettes, c'est une simple garantie de leurs droits.
Ce que j'ai fait, le voici en deux mots : j'ai profité du projet de loi sur le matériel pour réviser l'article 59 de la convention. Ce que l'on eût pu faire, et ce que l'on n'a pas fait le 25 avril, c'est ce que j'ai tenté de faire sans y réussir lors de la constitution de la caisse d'annuités, je l'ai tenté de nouveau et j'y ai réussi maintenant.
M. Bouvier. - Grâce à la pression de l'opinion publique.
M. Jacobs, ministre des finances. - Grâce à la pression de l'opinion publique et à l'appui que les obligataires ont trouvé de différents côtés, soit, je veux rendre justice à tout le monde, mais je puis me féliciter d'avoir abouti.
Il n'en est pas moins vrai que l'arrangement que j'ai pris n'est pas du tout ce que M. Boucquéau a cru.
M. Boucquéau. - Je n'ai jamais parlé de votre convention.
M. Jacobs, ministre des finances. - Si, l'honorable M. Boucquéau a parlé de la première tentative que la société des Bassins houillers a faite, cette tentative ayant échoué, ayant disparu, n'étant plus que de l'histoire ancienne, je crois qu'il eût mieux valu ne pas la mêler à la discussion autrement que comme revue rétrospective.
C'est de mon arrangement qu'il y a lieu de parler, parce que lui est l'actualité et qu'il est connexe au projet de loi.
Il n'y a pas, nous dit-on, dans cette combinaison un véritable gage pour les obligataires : en cas de faillite, les valeurs séquestrées, entre les mains de l'Etat seraient revendiquées par les curateurs au profit de tous les créanciers. Cela est évident, les droits se fixent au moment de la faillite et ceux qui n'auront pas fait l'échange n'auront qu'à s'en prendre à eux-mêmes si pareil événement arrive. Mais ceux qui n'auront pas fait l'échange n'auront pas use plaindre, car tous leurs droits seront saufs.
Ils prétendent aujourd'hui avoir des revendications à faire ; ils prétendent avoir un droit direct sur la recette ; ils prétendent qu'on ne peut disposer, sans leur consentement, des annuités.
Eh bien, ceux qui ne seront pas venus à l'échange verront la situation maintenue intacte à leur profit. On n'aura pas disposé des annuités correspondantes à leurs titres et si ce sont les obligataires et non pas les porteurs d'annuités qui ont un droit direct sur la recette, il s'ensuivra que le. curateur aura un chiffon de papier dans sa caisse, tandis que le porteur d'obligations sera resté entier dans ses droits.
Ainsi pour eux, rien, absolument rien n'est compromis.
M. Boucquéau. - Et les 15 millions ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Le matériel qu'on paye n'a pas été fourni par eux.
On nous dit encore : Les mauvaises obligations viendront seules à l'échange, les bonnes n'y viendront pas.
Il est possible, en effet, que la société des Bassins houillers, désirant acheter le plus grand nombre d'obligations, achète d'abord celles qui seront le meilleur marché ; mais, si l'on veut examiner les cotes de la bourse, on verra que, sur les 353,000 obligations, je pense, qui seront admises à l'échange, il y en a environ 300,000 qui sont à peu près de même valeur : il y en a environ 300,000 qui sont cotées de 230 à 240 francs. L'écart n'étant entre ces obligations que de quelques francs seulement, il n'y a pas lieu d'en tenir compte.
Mais si je dois admettre dans mes caisses à titre égal toutes les obligations que les Bassins houillers présenteront à l'échange, ceux-ci n'ont pas à donner le même prix pour les différentes catégories d'obligations ; ils donneront à chacun ce que vaut son obligation et, d'après l'arrangement mène que nous faisons, on devra maintenir la situation spéciale faite à certaines obligations qui ont un droit spécial, les obligations de Baume à Marchienne, par exemple, dont a parlé l'honorable M. Balisaux.
La plupart des autres obligations sont des obligations de même valeur et il n'y a aucun inconvénient à ce que, pour ce simple travail d'échange de titres nouveaux contre des titres anciens qui se fait à notre caisse, on ne fasse pas de distinction.
Oui, si j'avais voulu faire la ventilation de ces obligations, il est évident que nous aurions eu des complications inextricables. Mais c'est précisément pour éviter ces complications que nous mettons toutes les obligations sur la même ligne, non pas pour le rachat, mais pour l'échange.
En cas de faillite, nous dit-on, vous pourriez cependant être dans le cas de mettre sur le marché deux titres pour une même valeur. Si la société des Bassins houillers ne s'exécute pas vis-à-vis du gouvernement, si celui-ci est obligé de réaliser le gage, voilà de nouveau deux titres en circulation pour la même valeur.
Messieurs, en cas de faillite, quel est le but du gage et que cherchons-nous ?
Il y aurait un moment difficile à passer, les sociétés primitives ne sachant au juste quelle est la position la plus avantageuse : le maintien de la convention du 25 avril ou la rupture de cette convention.
Eh bien, si nous avons en caisse des créances considérables à charge de ces différentes compagnies, notre position sera évidemment meilleure pour maintenir le lien entre ces différents chemins de fer, pour maintenir une convention générale. Il ne sera pas même nécessaire de réaliser le gage, de remettre les obligations sur le marché. Nous aurons une arme puissante entre nos mains pour maintenir la réunion des différents chemins de fer sous la gestion de l'Etat.
Mais supposons, messieurs, qu'on remette ces obligations en circulation ; il n'y aurait à cela aucun inconvénient. L'obligation qui, après avoir été échangée contre un titre d'annuité (et l'échange sera constaté) sera remise en circulation, n'aura plus évidemment aucun droit direct sur la recette des lignes. Elle ne sera plus qu'une seule chose : une créance à charge de la compagnie qui l'a émise. A ce titre, elle sera maintenue, et à ce titre précisément elle sera entre nos mains une arme pour obtenir l'accession des compagnies à une convention nouvelle, si l'ancienne peut être rompue.
Enfin, l'honorable M. Balisaux opposait à l'arrangement qu'il serait inexécutable, parce qu'il ne serait pas possible de faire rentrer dans la caisse d'annuités tous les titres qu'elle a émis, qu'elle a placés en échange d'obligations et en échange d'actions.
Il est, en effet, possible que nous ne parvenions pas à les faire rentrer tous, il est possible qu'un certain nombre reste en circulation. Nous avons prévu ce cas et voici comment il a été résolu : La société des Bassins houillers du Hainaut nous rapportera, tout au moins, les trois quarts de ses titres. La marge sera, j'espère, bien inférieure au quatrième quart, soit à 1,100,000 francs, mais elle pourrait arriver jusque-là sans que l'arrangement fût nécessairement rompu de ce chef.
Le manquant serait reconstitué de la manière suivante. Sur chaque kilomètre nouveau qui sera construit par la société des Bassins houillers, 2,000 francs d'annuités rentreront dans les caisses de l'Etat au profit des obligataires ; 3,000 francs seulement seront remis à la société pour payer la construction. De cette façon et au moyen de cette retenue, nous reconstituons l'avoir, s'il n'est pas complet et la société, pour satisfaire à son accord avec ses obligataires, remet entre nos mains tout ce qui, dans l'hypothèse la plus favorable, peut être considéré comme bénéfice de construction des lignes futures.
- Un membre. - Est-ce un nouvel amendement ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Non, ce n'est pas un amendement et je suis charmé que l'interruption me permette de répondre à une observation de l'honorable M. Balisaux.
L'honorable M. Balisaux pense que l'arrangement avec les obligataires doit être soumis à la sanction des Chambres. Je ne le pense pas.
Evidemment, l'Etat ne peut assumer aucune espèce d'engagements, aucune espèce d'obligations sans la participation de la législature. Mais tout ce qui est pur détail d'exécution, ce qui n'engage l'Etat en rien, est du domaine du pouvoir exécutif ; s'il s'agit de donner un visa, d'exercer un contrôle, quand il n'en résulte aucune charge, il n'est pas nécessaire de saisir les Chambres d'un pareil arrangement.
Certes les Chambres sont toujours là pour donner au gouvernement leurs conseils, pour lui faire voir les inconvénients et les avantages d'une mesure. Mais il est certain que le gouvernement, faisant au profit de tiers (page 450) une convention qui ne l'engage à rien, n'a pas a saisir la législature d’un projet de loi. C'est ce qui fait que la législature n'a reçu ni projet de loi ni amendement à cet égard. Elle n'est saisie que d'un projet de lui sur le matériel, et à propos de ce projet, en finissant, je dois répondre à une tendance qui s'est manifestée.
On a dit : Ne vous pressez pas, il sera toujours temps de conclure cet arrangement. De nouvelles combinaisons peuvent être étudiées. L'honorable M. Pirmez en a autrefois formulé une. Donnez-vous le temps ; examinez à nouveau. La société des Bassins houillers elle-même ne se déclare pas opposée à toute combinaison nouvelle. Encore une fois, examinez, ajournez, prenez le temps.
Eh bien, messieurs, moi je dis : Pressez-vous. Car si jamais un cataclysme devait survenir, ou si, pour l'éviter, les Bassins houillers devaient réaliser leur avoir à bas prix, ce jour-là ceux qui par leurs retards en auraient été cause auraient assumé une grave responsabilité.
Lors de la convention du 25 avril, l'honorable M. Jamar nous disait, en parlant de la prompte exécution des nouveaux chemins de fer :
« C'est sous ce rapport surtout que la convention produira des effets vraiment providentiels pour les arrondissements de Thuin et de Charleroi, en assurant la construction de chemins de fer concédés depuis tant d'années et que la société des Bassins houillers va pouvoir construire grâce aux ressources nouvelles qu'elle trouve dans le concours du gouvernement pour la construction des lignes nouvelles.
« C'est là un point que je trouve capital... Les populations qui attendent depuis 1866 l'exécution de lignes qui doivent leur apporter de nouveaux éléments de prospérité et de richesse seront sans doute de mon avis. »
Eh bien, messieurs, pour maintenir l'arrangement avec les obligataires, pour que la construction des lignes nouvelles se réalise promptement, il est indispensable que les Bassins houillers trouvent les ressources qui leur sont nécessaires.
Supposez le cas de faillite, supposez qu'ils ne trouvent pas les 15 ou 20 millions nécessaires pour pouvoir attendre le moment où se produiront les bénéfices à résulter de la convention, qu'arrivera-t-il ? Sera-ce le curateur de la faillite qui exécutera les chemins de fer concédés ? Il devra les céder à d'autres. Quand les trouvera-t-il et à quel prix ? Il devra leur abandonner une grande partie des 25 millions qu'on attribue aux Bassins houillers comme bénéfice de construction et cet abandon est une perte sèche pour les créanciers, les obligataires.
M. Boucquéau. - Les chemins seront construits cinq ans plus tôt.
M. Jacobs, ministre des finances. - Que ceux qui sont convaincus que la faillite des Bassins houillers ferait exécuter cinq années plus tôt les chemins de fer à construire, que ceux-là retardent la solution de la question ; qu'ils fassent tout ce qui dépendra d'eux pour arriver à ce but, mais que ceux qui ont une conviction contraire et qui se placent au point de vue des populations que ces chemins de fer doivent desservir, des obligataires qui réclament des garanties, que ceux-là, au contraire, volent le projet de loi.
Quant à moi, messieurs, je crois avoir servi et l'intérêt de ces populations et l'intérêt des obligataires, dans le projet de loi et dans l'arrangement que j'ai fait avec les Bassins houillers.
Je termine mon discours en répétant simplement ce que M. Jamar disait, le 14 mai, à propos de la convention du 25 avril ;
« La Chambre appréciera si, après les efforts qu'a faits le gouvernement pour aboutir à un résultat aussi utile, elle veut prendre la responsabilité du rejet. »
M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, depuis huit jours la discussion qui nous occupe a eu principalement pour sujet les intérêts particuliers qui sont engagés dans les entreprises qui font l'objet de la convention du 25 avril dernier.
Il s'est surtout agi de savoir quels sont les droits des obligataires d'une part, quels sont les droits et les devoirs de l'Etat et de la société des Bassins houillers d'autre part.
Quant à moi, je me propose d'entrer dans un tout autre ordre d'idées. Je me propose d'examiner les intérêts de ces actionnaires nombreux, forcés, involontaires que l'administration des chemins de fer de l'Etat veut engager dans les spéculations que lui suggère sa vaste ambition, je veux parler des contribuables.
Pour que la discussion suive son cours régulier, il vaudrait mieux, je pense, que la première question qui a été soulevée, c'est-à-dire les intérêts des obligataires, intérêts très respectables que la Chambre sauvegardera, je l'espère ; il vaudrait mieux que cette question fut vidée avant que j'introduise la question principale que je veux traiter,
Je pourrais alors introduire ce nouveau point qu'il est si important d'examiner à fond, intérêt qui est autrement grand et respectable que le premier.
Je pourrais donc ajourner mon discours après celui qui nous est annoncé par l'honorable M. Bara.
- Plusieurs voix. - Non, non, continuez.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Je suis à la disposition de la Chambre.
Messieurs, l'orateur qui vient de se rasseoir témoignait en quelque sorte son étonnement de ce qu'un débat aussi long ait pu surgir à propos d'une convention passée à l'état de fait accompli.
Je pense, messieurs, que la responsabilité de la longueur de ces débats doit retomber tout entière sur cette Chambre. En écourtant, au mois de mai dernier, le débat que cette question devait soulever, elle a rendu indispensable la discussion actuelle, car tôt ou tard, il faut toujours que les responsabilités se définissent.
En effet, messieurs, les questions soulevées par la convention du 25 avril dernier étaient si considérables et si compliquées, qu'il était matériellement impossible de les examiner dans le court espace de temps dont disposait la Chambre.
Vous savez, messieurs, ce qui s'est passé.
Le jour où l'affaire a été mise en discussion, j'ai demandé l'ajournement et j'ai même proposé une session spéciale pour son examen.
L'ajournement a été repoussé et, dans ces conditions, je me suis refusé à voter.
Je n'ai pu admettre que je pusse faire une chose utile au pays en donnant mon vote, même négatif, dans une question enlevée de cette façon. La protestation seule convenait à la circonstance.
J'ai craint un instant, le 235 décembre dernier, que le projet de loi actuellement en discussion ne fût enlevé de la même manière et il l'aurait été certainement, ç'a du moins été mon impression, sans l'intervention loyale et honnête de notre digne président.
A ce propos, j'ai recherché pourquoi les choses peuvent se passer ainsi dans une assemblée libre. Mon avis, conforme à celui que M. Balisaux a exprimé dans son discours d'hier, est que nous n'avons pas fait, dans notre parlement, une séparation bien nette et bien précise entre les matières de pure administration et les matières politiques.
A tout propos, on transforme en questions politiques de pures affaires financières ou administratives. La faute en est presque toujours à l'opposition, de quelque côté qu'elle siège, qui saisit toutes les occasions d'être désagréable au gouvernement ou de lui nuire et, ensuite, à la majorité, qui sait rarement prendre sur elle de remettre les questions soulevées dans la position légitime où elles doivent être, et qui croit faire preuve de force en faisant œuvre de majorité.
Ce n'est pas ainsi que procèdent les parlements qui ont une plus longue existence que le nôtre. En Angleterre, les questions purement politiques sont très rares, et l'on sait toujours d'avance quand elles doivent être soulevées, tandis que lorsqu'il s'agit d'affaires de simple administration, gouvernement et opposition cherchent toujours à trouver la meilleure solution possible dans l'intérêt public.
Je désirerais que la même division du travail fût établie dans notre parlement.
Comme conséquence de la situation que je vous signalé, il s'est établi, chez nous, un autre abus que je crois devoir signaler également ; c'est que dans l'examen des questions le même esprit politique conduit presque toujours à l'exclusion des avis contraires, d'où résulte souvent un examen superficiel et partial par des partisans ou adversaires convaincus à l'avance.
Qu'arrive-t-il, même dans nos sections, quand une question est posée soit par la majorité, soit par l'opposition ? Les membres des commissions nommées appartiennent presque toujours à une seule opinion.
Nous en avons eu de nombreux exemples, notamment dans la commission nommée par le gouvernement pour étudier notre organisation militaire.
Je l'ai fait remarquer à cette époque. C'est là un vice qui se révèle par le défaut de profondeur des délibérations préparatoires, par la longueur des discussions qui se produisent ensuite dans celle enceinte ; tandis qu'en Angleterre, où toutes les opinions sont toujours représentées dans les commissions et également bien informées quant aux faits et aux actes, une discussion sur une question comme celle-ci n'occuperait certainement pas plus d'une séance.
Les honorables MM. Jamar et Frère-Orban se sont particulièrement attachés à démontrer, au commencement de ce débat, ce qui n'était, du (page 451) reste, pas très difficile, que la société des Bassins houillers avait pris seule l'initiative des démarches, des textes des stipulations, en un mot de tous les préliminaires de la convention qui nous est soumise.
Le fait paraît incontestable pour quiconque a parcouru le dossier. Et cependant, malgré l'évidence, cela n'est pas exact.
En effet, toute la conduite de l'administration des chemins de fer, depuis l'exécution des premiers chemins de fer concédés, a tendu constamment à arriver à la solution que consacre la convention du 25 avril. Dès l'origine, les sociétés concessionnaires ont rencontré de sa part une hostilité flagrante qui s'est manifestée dans toutes les circonstances.
Permettez-moi, messieurs, de faire un court historique des faits, pour vous prouver la réalité de mon assertion.
Quand l'Etat a construit le premier chemin de fer, et pendant les premières années, il s'est trouvé en perte ; le trésor public a dû suppléer aux déficits, et à l'heure qu'il est l'administration des chemins de fer n'est pas encore quitte envers le trésor public de ses avances. (Interruption.)
Il suffit pour s'en convaincre de lire les comptes rendus du mouvement du chemin de fer, publiés chaque année et celui de l'année dernière... En présence de cette situation, l'Etat s'est arrêté, comme cela était naturel, dans la voie où il était entré.
Mais la nécessité pour l'industrie d'ouvrir de nouveaux débouchés devint bientôt de plus en plus pressante ; il s'est donc présenté des constructeurs et des entrepreneurs, qui ont offert au gouvernement de construire, moyennant péages, les chemins de fer qui étaient nécessaires.
Ce mouvement a commencé vers 1845, et le gouvernement comme les populations et l'industrie ont été très heureux de voir les capitaux particuliers leur venir en aide pour l'ouverture des chemins de fer qui étaient nécessaires.
Ces lignes concédées étant ouvertes, elles devaient avoir nécessairement des rapports journaliers avec les lignes de l'Etat dont elles étaient les affluents, et immédiatement elles ont rencontré des difficultés, des exigences souvent désastreuses pour elles, de la part de l'administration des chemins de fer de l'Etat.
Celle-ci ne se considérant pas comme un entrepreneur ordinaire de transports, mais comme participant à la majesté naturelle du gouvernement de l'Etat, a toujours imposé ou prétendu imposer sa volonté suprême aux sociétés particulières de chemins de fer.
Naturellement les sociétés n'étaient pas dans les mêmes conditions que l'Etat, elles ne disposaient pas, comme celui-ci, de capitaux considérables garantis par les impôts publics, c'est-à-dire par les contribuables et dont il n'avait pas la responsabilité.
Qu'importe, en effet, à l'administration des chemins de fer de l'Etat de perdre 10, 20 millions en un an ou en dix ans, sur l'exploitation des chemins de fer : est-ce que les contribuables ne sont pas là pour suppléer la différence ?
Les sociétés sont dans une tout autre situation. Elles ont des capitaux provenant de l'épargne des familles ou des établissements financiers qui les patronnent ; elles sont responsables des capitaux qui leur sont confiés et auxquels elles doivent servir un intérêt plus ou moins fort ; elles doivent donc rechercher des combinaisons de toute nature pour résister aux exigences de l'administration des chemins de fer de l'Etat.
C'est de cette situation difficile faite aux entreprises de chemins de fer que sont sorties les combinaisons diverses dont la société des Bassins houillers, la Société générale d'exploitation et autres se sont faites les intermédiaires pour tâcher de tirer le meilleur parti possible des concessions qui leur avaient été accordées.
Mais l'Etat ne s'est pas trouvé toujours le plus fort, ou plutôt le plus habile dans ses luttes avec l'intérêt privé ; cela était naturel, cela s'est vu de tout temps.
L'intérêt particulier a des ressources que ne trouve pas l'indifférence des employés des administrations publiques. De là il est résulté ce qui nous a été si bien expliqué par l'honorable M. Brasseur, que les compagnies ont cherché et trouvé des combinaisons pour pouvoir entrer en concurrence avec l'Etat.
Pour sortir de ces difficultés, qu'a fait le gouvernement ? Il a d'abord commencé par abaisser ses tarifs sur les marchandises ; il l'a fait non pas uniquement dans le but de favoriser l'industrie ; tout le monde l'a compris dès le premier jour ; il' l'a fait pour forcer les compagnies particulières à passer par ses exigences.
Après cette première réduction, il a adopté le fameux tarif des voyageurs dont la discussion nous est promise depuis si longtemps et qui n'arrive jamais, toujours avec le même objectif de s'emparer, à bon marché et dans les meilleures conditions possibles, des concessions particulières. Tout cela cependant ne l'a pas encore conduit au but qu'il voulait atteindre.
Qu'a-t-il fait alors ? II a saisi le prétexte, car ce n'était rien autre chose, il a saisi le prétexte de la convention d'exploitation de la compagnie du chemin de fer du Luxembourg avec la compagnie de l'Est français et à cette occasion, dans une seule séance, aussi presque sans discussion, le gouvernement a enlevé à la Chambre un vote qui lui donnait, cette fois, les moyens directs de forcer les compagnies de chemins de fer de se plier à ses exigences et de passer dans ses mains.
Par cette loi, que M. Balisaux a parfaitement qualifiée hier, il s'est donné le droit de s'emparer de toutes les concessions, malgré la décision contraire des tribunaux, moyennant une indemnité à déterminer par des experts. C'est ainsi que la compagnie des Bassins houillers et ses associées ont été obligées, au bout d'un an, de venir se mettre aux pieds de l'administration des chemins de fer de l'Etat.
- Voix nombreuses. - A demain !
M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, je suis à la disposition de la Chambre.
Du reste, l'heure ordinaire de la levée de la séance est arrivée ; la plupart des bancs sont dégarnis, et, si la Chambre le permet, je reprendrai demain la suite de mon discours.
- La séance est levée à 5 heures.