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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 novembre 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 201) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Max Goebel, directeur-gérant de la société anonyme des charbonnages de la Chartreuse et Violette, à Grivegnée-lez-Liège, né à Zanckerode (Saxe), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Par dépêche en date du 26 novembre, M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Plein. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Des habitants d'Andenne réclament contre la suppression d'un chemin sentier. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


a Des détenus pour dettes à la prison de Charleroi demandent l'abolition de la contrainte par corps en matière de commerce. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Dolhain-Baelen prient la Chambre de statuer sur leur demande tendante à obtenir leur réunion à la commune de Limbourg. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Carlsbourg prient la Chambre d'accorder au sieur Brassine la concession d'un chemin de fer d'Athus à Givet. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« Les sieurs Bredael et Cie demandent une loi accordant aux brasseurs qui en feraient la demande, la faculté de payer l'impôt sur la quantité de farine ou de malt qu'ils emploient. »

« Même demande du sieur Demeulemeester-Verstraete. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Cherscamp prient la Chambre de faire donner suite à leur demande ayant pour objet une enquête sur les actes du bourgmestre de cette commune et se plaignent que plusieurs enfants se trouvent privés de l'instruction primaire. »

M. Van Cromphaut. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Les secrétaires communaux de Lombeek, Goyck, Pamel, Lennick-Saint-Quentin et Lennick-Saint-Martin demandent que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré, que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale.

« Même demande des secrétaires communaux de Montigny-sur-Sambre, Oordegem, Niel-Saint-Trond, Fresin et Corthys. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les bourgmestre, échevins, conseillers communaux et des habitants de Dampicourt demandent que M. le ministre des travaux publics examine d'urgence les propositions de la compagnie du chemin de fer de Virton, et qu'en attendant, il n'oblige pas celle-ci à exécuter le tracé de l'administration des ponts et chaussées. »

« Même demande des bourgmestre, échevins, conseillers communaux et d'habitants de Rulles, Ternes, Musson, Saint-Léger, Bellefontaine, Tintigny, Robelmont, Jamoigne, Ruette, Rachecourt, Les Bulles, Châtillon, Villers-sur-Semois, Chassepierre, Lacuisine, Chiny, Sainte-Cécile et Muno. »

- Même renvoi.


« Le sieur Guesnet adresse à la Chambre un exemplaire d'une brochure intitulée : « Le Catéchisme politique du peuple belge ou les principes du libéralisme. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Le sieur Armand Dauby fait hommage à la Chambre d'un ouvrage intitulé : « Les Bienfaits de l'instruction. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Le collège des bourgmestre et échevins de Tournai adresse à la Chambre deux exemplaires de son rapport sur l'administration des affaires de la ville au 1er octobre 1870.»

- Dépôt à la bibliothèque.


M. Ansiau, retenu par l'état de sa santé, et M. Landeloos, retenu par un deuil de famille, demandent un congé de quelques jours.

- Accordé.


M. Reynaert, retenu par une affaire urgente, demande un congé d'un jour.

- Accordé.

Motion d’ordre relative à la crise ouvrière dans les centres industriels

M. Drion (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je dois adresser une nouvelle interpellation au gouvernement relativement à la crise ouvrière qui sévit dans nos centres industriels.

Au mois de septembre dernier, je disais que si la guerre continuait encore pendant quelque temps, les 80,000 ouvriers du bassin de Charleroi se trouveraient sans travail et je signalais le danger d'une pareille situation.

Or, depuis cette époque, la situation s'est singulièrement aggravée.

Cependant tous nos industriels, je me plais à le reconnaître, font les efforts les plus louables pour continuer à donner du travail à leurs nombreux ouvriers.

C'est ainsi que, dans la plupart de nos usines et notamment dans les charbonnages, on travaille 3 et même 4 jours par semaine.

Mais cet état de choses ne peut plus même continuer et l'on peut prévoir le moment où le chômage deviendra général.

Cette question, messieurs, n'est pas locale. Je ne demande pas que le gouvernement accorde des travaux à exécuter à l'arrondissement de Charleroi au détriment des autres parties du pays.

C'est une question d'intérêt général. Tout le pays a un éminent intérêt à voir l'ordre et la tranquillité régner partout et à ne plus voir se renouveler ces grèves qui ont ensanglanté, il y a quelques années, nos centres industriels.

J'ai vu, il y a quelques jours, dans les journaux que le gouvernement avait demandé aux gouverneurs et aux commissaires d'arrondissement quels sont les travaux d'utilité publique auxquels on pourrait mettre immédiatement la main.

Je suppose que c'est par suite des rapports de ces fonctionnaires que le gouvernement a déposé, samedi dernier, un projet de loi ayant pour objet une demande de crédit de deux millions pour la voirie vicinale.

(page 202) Je demanderai que les sections s'occupent dès demain de cet important projet au sujet duquel je félicite le gouvernement.

Si cette loi était adoptée immédiatement, elle porterait un remède efficace au mal que j'ai signalé, puisque les travaux pour la voirie pourraient occuper un grand nombre de bras.

En terminant, j'appelle de nouveau l'attention du gouvernement sur la crise ouvrière.

En signalant le danger, j'ai rempli un devoir. C'est maintenant au gouvernement à faire le sien.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, il y a, dans les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Drion, deux choses : une motion d'ordre et une interpellation.

Quant à la motion d'ordre, je me joins à lui pour demander que la Chambre s'occupe, le plus tôt possible, du projet de loi allouant un crédit de deux millions pour la voirie.

Mais, je le déclare, le gouvernement ne se borne pas à ce seul point pour venir en aide à la classe ouvrière, dont la situation est loin d'être aussi mauvaise qu'on veut bien le dire. La situation industrielle du pays va même en s'améliorant.

Nous avons recours à tous les moyens pour donner du travail aux populations.

C'est ainsi que le nivellement des fortifications de Charleroi va se poursuivre, nonobstant que nous ne soyons pas encore d'accord avec la ville au sujet d'un arrangement pour la reprise des terrains.

Nous négocions dans le même but la cession des fortifications de Nieuport.

Le gouvernement fait tout ce qui dépend de lui pour activer l'exécution de la convention conclue le 25 avril dernier avec la Société des bassins houillers.

D'ici à quelques jours, nous serons d'accord sur tous les points avec cette société et nous pourrons nous entendre avec elle pour lui permettre d'activer les travaux autant que possible.

Je puis donc donner à la Chambre et à l'honorable membre la garantie que le gouvernement ne négligera rien pour venir en aide à la classe ouvrière pendant la mauvaise saison.

M. le président. - Des ordres sont déjà donnés pour que les sections s'occupent demain du projet de crédit pour la voirie vicinale.

Ordre des travaux de la Chambre

M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - L'ancien ministère avait déposé un projet de loi sur la pêche. Ce projet avait été renvoyé à une commission spéciale et M. de Rossius a fait son rapport. Je demande que M. le ministre des finances veuille bien mettre la Chambre à même de s'occuper de cet objet important en présentant de nouveau le projet.

Projets de loi de naturalisation ordinaire

La Chambre adopte successivement par assis et levé les projets de lois suivants :

« Léopold II, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, salut.

« Vu la demande du sieur Woyciech-Antoine Kobylski, sous-officier à la première compagnie sédentaire, né à Wegrce (Pologne), le 16 avril 1814, tendante à obtenir la naturalisation ordinaire ;

« Attendu que les formalités prescrites par les articles 7 et 8 de la loi du 27 septembre 1835 ont été observées ;

« Attendu que le pétitionnaire a justifié des conditions d'âge et de résidence exigées par l'article 5 de ladite loi ;

« Les Chambres ont adopté et nous sanctionnons ce qui suit :

a Article unique. La naturalisation ordinaire est accordée audit sieur Woyciech-Antoine Kobylski. »

La formule qui précède est applicable à chacune des demandes des sieurs :

Rock Campana, premier maître de manœuvres à bord des bateaux à vapeur faisant le service entre Ostende et Douvres, né à Termini (Sicile), le 19 novembre 1813.

Joseph Goehler, cultivateur et cabaretier, à Nobressart, province de Luxembourg, né à Holzem, commune de Marner (grand-duché de Luxembourg), le 25 février 1834.

Jean-Léonard Luchtmans, marchand ambulant, à Tongres, né à Maasniel (partie cédée de Limbourg), le 31 août 1833.

Augustin Lutgen, cultivateur, à Vaux lez-Cherain, province de Luxembourg, né à Winseler (grand-duché de Luxembourg), le 9 janvier 1835.

Michel Zimmer, cultivateur, à Hondelange, province de Luxembourg, né à Havelange (grand-duché de Luxembourg), le 8 décembre 1822.

Barbe Hachenburg, veuve Hecht, rentière, à Bruxelles, née à Mannheim (grand-duché de Bade), le 6 novembre 1817.

Vincent Dondelinger, négociant, à Arlon, né à Ettelbruck (grand-duché de Luxembourg), le 1er juin 1831.

Henri-Sulpice Viot, propriétaire et voiturier, né à Bourseigne-Neuve, province de Namur, le 5 août 1835.

Jean-Pierre-Joseph-Théodore Deloos, sergent-fourrier au 1er régiment de ligne, né à Mersch (grand-duché de Luxembourg), le 20 décembre 1845.

Eugène Drissen, soldat au régiment des grenadiers, né à Liège, le 5 septembre 1846.

Edouard-Henri-Guillaume-Alexandre Rau, rentier, à Bruxelles, né à Varsovie, le 19 janvier 1843.

Joseph White, commis à l’administration du chemin de fer de l'Etat, à Saint-Josse-ten-Noode, lez Bruxelles, né à Bruxelles, le 28 octobre 1846.

Emile-Alexis Thorbecke, maréchal des logis au 4ème régiment de lanciers, né à Moscou, le 16 janvier 1848.

Jean-Philippe Molitor, sergent-major au 6ème régiment de ligne, né à Luxembourg, le 15 septembre 1845.

Mathieu-Joseph-Hubert Hennen, professeur de musique, à Anvers, né à Heerlen (Pays-Bas), le 24 février 1828.

Guillaume-Antoine-Adrien Van Aken, négociant, à Anvers, né à Gorcum (Pays-Bas), le 24 novembre 1830.

Mathias Hermann, commerçant et propriétaire, à Arlon, né à Vianden (grand-duché de Luxembourg), le 28 mai 1817.

Théodore Douay, marchand-liquoriste, à Bruxelles, né à La Villette (France), le 18 juillet 1834.

Michel-Prosper Schmit, sergent au 3ème régiment de ligne, né à Ettelbruck (grand-duché de Luxembourg), le 25 février 1848.

François-Xavier Druart, agent commercial, à Farciennes, province de Hainaut, né à Farciennes, le 1er août 1831.

Auguste-Joseph Picard, pharmacien à Gand, né à Flessingue (Pays-Bas),à le 2 juin 1834.

- Il est procédé à l'appel nominal.

75 membres y prennent part.

Tous répondent oui.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Ont pris part au vote :

MM. Coremans, Cornesse, Cruyt, Dansaert, David, de Baets, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, Defuisseaux, Delcour, De Le Haye, Demeur, 'de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Houtart, Jacobs, Jamar, Jottrand, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lescart, Liénart, Muller, Pirmez, Rogier, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Wouters, Allard, Bara, Beeckman, Berge, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Bouvier, Braconier, Brasseur et Vilain XIIII.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens pour l'exercice 1871

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

M. Lelièvre. - La discussion du budget des voies et moyens me donne l'occasion d'appeler l'attention de M. le ministre des finances sur certaines réformes que je recommande à sa sollicitude.

Depuis très longtemps, on a reconnu la nécessité de réviser la loi de 1822 sur la contribution personnelle. Elle a déjà fait l'objet d'un projet de loi auquel il n'a pas été donné suite.

Cependant, il est certain que les bases sur lesquelles est établie la contribution actuelle doivent subir des modifications. Je prie donc le gouvernement de faire étudier cette importante question, et je suis convaincu qu'il nous proposera des changements qui sont reconnus indispensables en celle matière.

Il serait également important, en ce qui concerne les aliénations par actes entre-vifs, d'introduire un mode d'évaluation analogue à celui qui est admis en matière de succession en ligne directe.

Ce mode d'évaluation, auquel les contribuables pourraient se conformer, les mettrait à l'abri de toute recherche du chef du prix de l'aliénation.

(page 203) Il importe de donner aux particuliers le moyen d'éviter des demandes d'expertise qui souvent peuvent être vexatoires, surtout quand il s'agit de propriétés de peu d'importance.

Il devrait y avoir une règle qui pût servir de point de départ aux contribuables, et ce mode de procéder concilierait tous les intérêts, ceux du trésor non moins que ceux des citoyens.

Enfin, à mon avis, le moment est venu de réviser la loi du 22 frimaire an VII, qui présente un grand nombre de dispositions exorbitantes en ce qui concerne la hauteur des droits d'enregistrement qui atteignent certains actes. II y a des actes judiciaires qui sont frappés d'un impôt dépassant toutes les exigences légitimes. C'est ainsi que, sur des jugements rendus sur des obligations non enregistrées, on exige le droit proportionnel sur la minute du jugement et un autre droit proportionnel sur l'expédition.

Il y a 71 ans que la loi de l'an VII a vu le jour et l'expérience a démontré qu'il existait dans cette disposition législative des défectuosités qu'il convient de corriger.

Nous avons facilité les moyens d'interjeter appel ou de se pourvoir en cassation en supprimant les amendes.

Eh bien, les actes d'appel et de pourvoi en cassation sont encore tarifés à des taux très élevés. Un semblable état de choses est contraire aux principes, qui veulent qu'on donne aux justiciables toutes les facilités pour faire valoir leurs droits. Il faut nécessairement changer ce régime comme conséquence des lois que nous avons votées. Je prie donc M. le ministre de vouloir mettre à l'étude la révision dont il s'agit, et je suis persuadé que l'examen qui sera ordonné démontrera la nécessité d'une réforme sur laquelle j'appelle toute son attention.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Ceux des membres de cette assemblée qui ont fait partie de la dernière législature se rappelleront, sans doute, que je n'ai accordé mon vote approbatif à l'augmentation de l'accise sur les eaux-de-vie qu'en annonçant que je proposerais un amendement ayant pour objet une réduction considérable sur les droits qui frappent la bière.

C'est cet amendement que je demande la permission de développer dans la discussion générale du budget des voies et moyens, parce que je devrai, dans ces développements, toucher quelques questions d'un caractère général et que, d'un autre côté, dans le cas de son adoption éventuelle, il y aura probablement lieu de modifier plusieurs articles de ce budget.

Vous vous rappellerez, messieurs, ce projet soumis par le gouvernement dans la dernière session et qui avait pour objet de supprimer l'impôt sur le sel, de réduire la taxe postale et, par compensation, d'augmenter es droits sur les eaux-de-vie indigènes ;

L'effet de cette loi devait être de supprimer d'abord un impôt inique et qu'on a justement qualifié de barbare, l'impôt sur le sel, c'est-à-dire sur une substance indispensable à l'alimentation humaine.

A ce point de vue spécial, il est évident que toutes les classes de la société ont profité de cette suppression ; mais, disons-le de suite, pas toutes dans la même mesure : si tout le monde consomme dans ses aliments à peu près une quantité égale de sel, il est, d'un autre côté, certain aussi que cette matière entre dans plusieurs fabrications importantes comme élément indispensable ; et la suppression des nombreuses formalités auxquelles était subordonnée l'exemption de droit sur le sel employé par l'agriculture, aura pour effet de rendre l'abolition du droit sur le sel beaucoup plus profitable aux propriétaires agricoles qu'aux simples consommateurs.

La diminution de la taxe de 20 à 10 centimes pour toutes les distances du port des lettres a évidemment profité dans une mesure presque exclusive aux classes les plus aisées de la société. Où a-t-on, d'autre part, demandé la compensation ? On l'a prise tout entière sur les eaux-de-vie indigènes, c'est-à-dire à la boisson presque exclusivement consommée par les classes populaires. Mais tandis qu'on abaissait immédiatement le droit postal, la suppression de l'impôt sur le sel n'est pas encore réalisée au moment où nous sommes ; et les sauniers ont eu sept mois devant eux pour exploiter le monopole momentané qui leur a été concédé par cette loi, monopole dont ils ont abusé aux dépens de la population tout entière, ce que chacun sait dans le pays.

Tous ceux qui avaient quelque peu étudié la question ont prédit ce résultat. En présence de ces prévisions, j'ai dit qu'il fallait fournir une compensation aux consommateurs et que cette compensation ne pouvait se trouver d'une façon plus juste et plus équitable que dans la diminution de l'accise sur la bière qui est une des boissons les plus salutaires, d'une part, et des plus nationales et populaires de l'autre.

S'il n'y avait que le fait particulier de la loi que nous avons votée dans la dernière session, les raisons que je donne me sembleraient déjà suffisantes pour motiver l'amendement que je vais proposer. Mais ce n'est pas là tout ce que j'ai à dire.

Le système de cette loi, ce système, qui consiste à reporter sur les impôts indirects, c'est-à-dire sur ceux qui frappent la consommation et, par conséquent, la masse de la population ; ce système prend une extension toujours plus grande dans notre pays, à tel point que tandis que les impôts directs qui frappent la propriété, ceux qui forment le cens électoral, ne se sont accrus depuis 1850 que de 30 millions à 34 millions, les impôts indirects, c'est-à-dire ceux qui frappent la masse de la population, se sont accrus de 40 millions à 120 millions ; ils ont triplé, au lieu que les autres sont restés à peu près stationnaires.

Eh bien, je vois dans ce fait un grave danger ; je vois là un mauvais système, un système injuste à tous les points de vue, parce que tous ceux qui contribuent à alimenter les budgets ne participent pas à leurs avantages dans une même mesure, ni même en proportion de leur contribution. Certaines classes de la population sont favorisées, tandis que les autres sont surchargées.

En effet, je prends le budget des dépenses, dont nous avons le tableau résumé dans la note préliminaire du budget ; voyons comment, à qui ce budget profite plus particulièrement : « Art. 1er. Dette publique, 43 millions. » Cela retourne-t-il chez l'ouvrier, chez ces classes nombreuses exclues du droit électoral, mais qui payent largement 85 p. c. des charges publiques ? Pas du tout ; ce budget qu'il comprenne soit les intérêts payés par la dette publique, soit les pensions, soit les rémunérations, retourne dans sa presque totalité aux classes aisées, c'est à-dire à la classe électorale.

Quant au budget des dotations, je n’ai pas besoin d'explications pour démontrer qu'il n'en retourne rien à ceux qui le payent.

Certainement cet article du budget a son utilité générale, mais si l'on n'examine que les services rendus, les grosses rémunérations ne vont pas à la classe qui contribue à former la grande partie du budget. J'en dirai tout autant et même davantage du budget des affaires étrangères.

Quant au budget de l'intérieur, une partie est destinée à l'instruction de la population et retourne, par ce moyen, à la masse des contribuables ; je regrette que cette partie ne soit pas plus considérable et nous tâcherons autant que possible de l'augmenter, car ces quelques millions qui retournent véritablement à leur source ne sont pour ainsi dire qu'une goutte d'eau dans ce vaste océan de notre budget.

Quant aux travaux publics, on peut en considérer une partie comme payée par le prix des services rendus à la généralité ; cependant je dois faire cette observation que si tous les citoyens profitent, à titre personnel, à peu près d'une façon égale des travaux exécutés aux frais des contribuables, la propriété foncière et la propriété personnelle profitent surtout des plus-values et des avantages de toute nature que l'exécution de ces travaux produit. Par conséquent si la propriété foncière a depuis 40 ou 50 ans quadruplé ou quintuplé de valeur tant à la ville qu'à la campagne, c'est, en grande partie aux dépenses faites au moyen des impôts payés par la généralité qu'elle le doit.

Vient maintenant le budget des finances et cet objet me ramène à comparer les impôts directs avec les impôts indirects. Ce budget, messieurs, s'élève à plus de 15 millions. Et pourquoi ? Parce que la plus grosse partie de nos recettes se compose d'impôts indirects, lesquels coûtent énormément à percevoir.

Plusieurs de ces impôts coûtent jusqu'à 25 p. c. de frais de recette et d'administration, tandis que les impôts directs, au contraire, ne coûtent généralement que 3 ou 4 p. c.

Vous le voyez, messieurs, si nous examinons les budgets au point de vue de la destination des ressources qui sont demandées au pays, la plus grosse part s'en va non pas chez ceux qui les payent, mais passe au-dessus d'eux, tandis que l'on trouve les moyens de pourvoir à ces dépenses en augmentant sans cesse les prélèvements sur la consommation, c'est-à-dire sur le salaire des classes les plus nombreuses de la société.

Prenant en considération cet examen des faits, je me dis qu'il est temps de pousser l'administration, de pousser le gouvernement dans une voie différente, c'est-à-dire qu'il est temps que les impôts directs redeviennent la base des finances de l'Etat. Sous ce rapport nous aurons, si la Chambre persiste dans les sentiments qu'elle a manifestés il y a quelques jours, nous aurons au moins une certaine compensation dans l'augmentation du nombre des électeurs et il est probable que, si le nombre des électeurs augmentait assez pour que les familles nombreuses (j'en ai fait le dénombrement il y a déjà quelques années) qui dominent la majorité électorale, puisqu'elle forme toujours la majorité de la majorité, il est probable, (page 204) dis-je, que l'influence de ceux qui payent les budgets reprendrait son ascendant nécessaire sur ceux qui en profitent.

Messieurs, ces considérations vous montrent qu'en proposant la réduction à moitié de l'accise sur les bières, je ne fais qu'offrir aux consommateurs, aux classes qui sont surtout appelées à payer l'impôt sur les boissons distillées, une faible compensation contre l'aggravation d'impôts qu'on leur impose.

En effet, l'accise sur les bières produit en faveur de l'Etat une somme de 9,100,000 francs. En supposant que la réduction de l'accise à moitié réduise de moitié la perception (ce qui n'est pas exact, car une diminution aussi notable de l'impôt produirait une augmentation sensible de la production), il est évident que l'Etat demandera des compensations.

Si j'avais à régler seul ces choses, je demanderais ces compensations exclusivement aux budgets de dépenses et je me ferais fort de l'y trouver très facilement. Mais je ne pense pas que le gouvernement nouveau soit déjà entré dans cette voie, et je doute fort que la Chambre actuelle soit déjà disposée à l'y pousser.

Dans cette situation, je me demande comment on trouvera la compensation à la réduction de 4 millions et demi de recettes, qu'amènera approximativement l'amendement que je vais proposer.

Il me semble qu'en vue des avantages considérables que la propriété foncière, notamment, a obtenus des dépenses qui ont été faites avec l'argent de tous, il me semble, dis-je, qu'on pourrait très justement demander à l'impôt foncier une augmentation notable, une augmentation qui serait très juste et qui ne serait pas exorbitante, c'est-à-dire 10 p. c. sur l'impôt actuel. On pourrait demander la même chose à l'impôt personnel et à l'impôt des patentes. Ces trois augmentations réunies donneraient environ 3,500,000 francs.

Il ne resterait plus à trouver qu'une très faible différence que l'on pourrait prendre sans grandes difficultés sur l'augmentation du produit effectif des impôts, évaluée dans l'exposé des motifs de 8 à 12 millions.

Ainsi, messieurs, en suivant ce système, nous aurions un avantage immédiat, ce serait d'augmenter dans une certaine proportion le nombre des électeurs. Je sais que, pour certains membres de cette Chambre, cette augmentation ne serait pas vue avec beaucoup de plaisir, mais la majorité du pays la considérerait, je pense, comme un avantage évident et désirable.

Un autre avantage qui sera peut-être moins apprécié immédiatement, ce serait d'augmenter la partie fixe, la partie en quelque sorte certaine, des revenus de l'Etat, c'est-à-dire les impôts directs.

Les dépenses sont peu variables, surtout elles ne changent guère en moins ; il y aurait donc avantage, pour nos finances en général, a augmenter la partie certaine des revenus, la partie dont le recouvrement est assuré d'avance.

Messieurs, je crois que les quelques développements dans lesquels je viens d'entrer suffiront pour justifier complètement l'amendement que j'ai annoncé et que je présenterai au moment où nous en serons à l’article concernant les accises. Si vous étiez dans l'intention de l'adopter, je vous demanderais d'attendre, pour le voter, les explications que le gouvernement voudra bien donner, je l'espère, soit pour appuyer mon amendement, soit pour en justifier le rejet.

Il y aurait lieu, dans ce cas, de ne voter l'impôt foncier, personnel et des patentes, qu'après avoir pris une décision sur le droit d'accise sur les bières.

M. le président. - Je prie l'honorable membre de me faire parvenir son amendement. Cette proposition pourra faire alors partie de la discussion.

M. Thonissen. - Messieurs, il y a deux ans, j'ai signalé au gouvernement un abus passablement étrange.

L'abus persistant, il faut que je renouvelle mes plaintes.

La loi exige que les marchandises expédiées par chemin de fer soient accompagnées d'une lettre de voiture timbrée.

Or, l'Etat, par une circulaire, a déclaré, il y a quelques années, que ses agents ne demanderaient plus la production d'une lettre de voiture timbrée pour les marchandises transportées sur ses propres voies ferrées.

Il y a une chose plus bizarre encore. Quand on transporte des marchandises par un chemin de fer concédé, mais que le convoi roule sur une voie de l'Etat, ne fût-ce que dans l'espace d'un kilomètre, il ne faut pas non plus de lettre de voiture timbrée.

Il en résulte que la lettre de voiture timbrée n'est plus requise par le gouvernement que de la part de ceux qui, pour l'expédition de leurs marchandises, sont obligés de recourir à des chemins de fer concédés.

Evidemment cela n'est pas légal, et, en même temps, cela n'est pas juste. C'est un véritable privilège en matière d'impôt accordé à une seule catégorie de contribuables.

Dans le Limbourg, par exemple, nous n'avons que des chemins de fer concédés et, sur ces voies, le tarif des transports pour les marchandises est plus élevé que sur le chemin de fer de l'Etat ; d'où il résulte que, non seulement nous payons plus cher, mais que nous devons produire, en outre, une lettre de voiture timbrée.

Le droit, il est vrai, n'est pas très élevé, mais les agents du fisc se montrent excessivement sévères. Ils se tiennent dans les stations. Ils font produire les lettres de voiture, et quand le timbre ne s'y trouve pas, ils verbalisent, et le procès-verbal est toujours suivi de poursuites et d'amendes.

Je voudrais savoir si ce régime doit encore durer longtemps.

Quand, il y a deux ans, je l'ai signalé à l'attention du gouvernement, j'ai été appuyé par plusieurs de mes honorables collègues, notamment par M. Jonet, de Charleroi.

Cet honorable membre disait que l'on devait appliquer les mêmes règles à toutes les parties du pays et à tous les négociants du pays.

Je demande que l'on suive une règle uniforme. Si l'on exige une lettre de voiture timbrée pour les transports par chemin de fer concédé, qu'on l'exige aussi pour les transports par chemin de fer de l'Etat.

Mais il vaudrait mieux encore supprimer ce timbre, qui ne rapporte au trésor qu'une somme réellement insignifiante.

M. Dumortier. - L'observation que vient de faire l'honorable M. Thonissen est parfaitement juste et fondée.

Aussi, je l'engage vivement a présenter au budget des voies et moyens un amendement pour faire cesser cet abus.

Il est assez simple de dire : La lettre de voiture timbrée cesse d'être exigible pour les marchandises transportées par chemin de fer.

- Une voix. - Et par bateau ?

M. Dumortier. - Je le veux bien. t Qu'a-t-on voulu ?

On a voulu gagner un timbre de 10 centimes et l'on n'a pas remarqué qu'en gagnant ce timbre on perd très souvent tout le bénéfice d'un transport de marchandises.

Les particuliers n'ont pas souvent des formules timbrées chez eux.

Quand ils ont un paquet à expédier, comme il faut presque toujours aller vite, au lieu de confier l'expédition à l'administration du chemin de fer, ils le portent aux messageries où on ne leur demande pas de timbre et alors vous perdez un franc. Quant à moi, je crois qu'il faut porter remède à cette situation.

Nous devons en toutes choses rendre l'usage du chemin de fer le plus commode et rien n'empêcherait de faire disparaître cette vieille formalité du timbre qui date de la république.

Selon moi, il faut supprimer tout ce qui porte entrave à la facilité de l'accès au chemin de fer ; c'est déjà beaucoup que d'avoir permis des stations éloignées.

Je trouve donc l'observation de M. Thonissen fort juste et j'engage mon honorable ami à déposer un amendement à cet égard.

M. le président. - Voici l'amendement déposé par M. Le Hardy de Beaulieu :

« L'accise sur la bière est diminuée de 50 p. c, »

- Cet amendement est appuyé et fait partie de la discussion.

M. Bouvier. - J'ai l'honneur de poser deux questions à M. le ministre des finances.

Je lui demanderai s'il est décidé, d'accord avec son collègue de la guerre, à présenter, dans le cours de la session actuelle, un projet de loi concernant la démolition des fronts intérieurs de la citadelle du Nord à Anvers ; je demanderai, en second lieu, s'il se propose de saisir la Chambre d'un projet de loi ouvrant des crédits pour satisfaire ses amis politiques d'Anvers, tendant à allouer des indemnités du chef des servitudes militaires.,

Ces deux points préoccupaient vivement autrefois un représentant d'Anvers qui, aujourd'hui ministre, n'a qu'à vouloir pour pouvoir.

M. Jacobs, ministre des finances. - Je commencerai par répondre aux deux questions que vient de me poser M. Bouvier.

En effet, le gouvernement compte présenter incessamment aux Chambres un projet de loi accordant des indemnités aux propriétaires d'immeubles grevés de servitudes militaires...

M. Bouvier. - Le chiffre ?

M. Jacobs, ministre des finances. - Quand le projet sera déposé, vous en verrez les détails.

(page 205) Le gouvernement n'a pas à proposer de loi pour régler les détails des fortifications ; c'est au pouvoir exécutif à déterminer ce qu'il importe de faire pour concilier les besoins de la défense et les intérêts anversois. Je ne doute pas que nous n'arrivions à cette solution conciliatrice.

M. Bouvier. - Il ne le sait pas encore !

M. Jacobs, ministre des finances. - Ces deux déclarations étant faites pour satisfaire l'honorable membre, je reviens à la discussion du budget des voies et moyens.

M. Thonissen, appuyé en cela par M. Dumortier, a soulevé la question du timbre des lettres de voiture.

La loi du 28 décembre 1818 a réduit de 45 à 10 centimes le timbre des lettres de voiture. Il n'a été fait dans le texte de la loi, ni alors ni à aucune époque, une distinction entre les transports sur le chemin de fer de l'Etat et les autres transports. Mais dans la discussion il a été déclaré par le ministre des finances d'alors qu'au chemin de fer de l'Etat il ne fallait pas de lettre de voiture, attendu que le contrat se règle entre l'entrepreneur de transports et les expéditeurs, en vertu d'un règlement d'administration.

On a invoqué aussi, - c'est la seconde considération, - que l'Etat, s'il exigeait une lettre de voiture timbrée, devrait diminuer d'autant le prix du transport et qu'ainsi il perdrait d'un côté ce qu'il gagnerait d'un autre.

Ces considérations, qui ne sont pas puisées dans la loi, mais qui, en vertu de circulaires, ont été appliquées au chemin de fer de l'Etat, ont été étendues à tout transport en service mixte, c'est-à-dire empruntant à la fois un chemin de fer concédé et le chemin de fer de l'Etat. Le railway de l'Etat est en service mixte avec tous les chemins de fer, sauf deux, si je ne me trompe, le chemin de fer de Bruges à Blankenberghe et celui du Pays de Waes. Chaque fois que le chemin de fer de l'Etat est emprunté, la lettre de voiture n'est pas exigée ou du moins elle ne doit pas être timbrée.

Au contraire, quand un transport emprunte sur tout son parcours un chemin de fer concédé ou quand il se fait par charroi, la lettre de voiture timbrée continue à être exigée.

J'avoue qu'après avoir examiné cette question, qu'avait soulevée déjà l'honorable député de Hasselt, je n'ai pas trouvé de raison décisive de maintenir cette anomalie d'un traitement pour les chemins de fer de l'Etat et leurs accessoires et d'un autre traitement pour les transports par charroi et par chemins de fer concédés.

S'il est vrai que, d'un côté, quand il s'agit du chemin de fer de l'Etat, c'est en vertu d'un règlement d'administration publique que se forme le contrat entre parties, il est vrai aussi que la lettre de voiture peut constituer un élément de preuve entre l'expéditeur et le destinataire, et qu'elle tombe ainsi sous les termes de la loi de frimaire an VII qui assujettit au timbre les documents ayant une valeur probante.

D'un autre côté, cette considération que l'absence du timbre permet à l'Etat d'élever ses prix de transport ne me touche nullement.

L'Etat doit faire comme les compagnies particulières ; si le timbre est de nature à faire réduire le prix de transport, il est tout naturel que ce prix soit réduit dans la minime proportion de dix centimes.

Quand je me suis enquis des résultats que produit cet impôt, j'ai constaté qu'ils sont infiniment minimes. En 1849, le produit était de 52,500 francs ; en 1850, il était déjà réduit à 30,000 francs, et, aujourd'hui, il est inférieur à 20,000 francs.

Nous n'avons donc qu'un produit de 20,000 francs à sacrifier ; l'Etat peut consentir à ce sacrifice. Je le crois d'autant plus, que l'avenir semble appartenir à l'exploitation de la plus grande partie des chemins de fer concédés par l'Etat.

Dans cette situation, il est certain qu'il faut fusionner ces deux droits : la lettre de voiture et les frais de transport. Il n'y a pas de raison de maintenir deux droits distincts ; il faut les fusionner. Cette fusion ne sera pas de nature à élever les prix des transports, attendu que 20,000 francs ajoutés aux revenus du chemin de fer sont une goutte d'eau dans l'Océan.

Je crois donc pouvoir faire droit à la réclamation des honorables membres et, s'il leur convient de présenter un amendement, le gouvernement s'y associera.

L'honorable M. Lelièvre a soulevé différentes questions. Il a parlé, d'abord, de la révision de la loi sur la contribution personnelle.

Déjà le gouvernement, dans ses réponses à la section centrale, a annoncé qu'il se préoccupait de cette révision et qu'il espérait, dans le cours de la présente session, pouvoir déposer ce projet sur le bureau de la Chambre.

On a critiqué différentes bases existantes aujourd'hui. Il en est une qui a paru assez universellement condamnée ; ce sont les foyers. Les autres ont leurs défenseurs. Cependant, certains membres de cette Chambre ont préconisé, comme simplification, le revenu cadastral comme base unique, élevé, par exemple, de 4 p. c. à 12 p. c.

J'examinerai ces différentes questions. Il est certain que multiplier les bases c'est diminuer les chances d'erreur et, qu'à moins de trouver une seule base excellente, il faudra persévérer dans la multiplicité actuelle.

Je puis promettre à la Chambre que je ferai de cette révision un examen sérieux et aussi rapide que possible.

Le second point traité par l'honorable député de Namur concerne l'évaluation des propriétés. Il y a deux modes en vigueur en matière des droits de succession ; on peut se passer de l'expertise, on peut se référer au multiplicateur officiel...

M. Bouvier. - En ligne directe ?

M. Jacobs, ministre des finances. - Oui.

Dans tous les autres cas, on doit recourir à l'expertise, lorsqu'il y a contestation entre les agents du fisc et l'intéressé.

C'est à cause du caractère exceptionnel du droit de succession en ligne directe que, pour rendre l'établissement de cet impôt moins vexatoire, pour susciter moins de réclamations, l'on a admis ce tempérament, excluant l'expertise ; c'est une concession faite aux propriétaires vis-à-vis d'un impôt nouveau. Mais ce multiplicateur donne un résultat infiniment moins favorable au fisc que l'expertise ; vouloir l'étendre à tous les cas, ce serait courir le risque de faire une brèche assez large au trésor public.

J'examinerai l'idée émise par l'honorable membre, mais je ne lui dissimulerai pas, dès à présent, qu'elle me paraît difficilement praticable.

Une troisième idée développée par l'honorable membre, c'est la révision de la loi du 22 frimaire an VII qui règle les droits d'enregistrement. On a reconnu unanimement que cette loi est un monument, respectable encore aujourd'hui. Peu de lois, datant de si loin, ont conservé le même prestige. Jusqu'ici on a hésité à y porter la main. Je ne prétends pas que cette loi soit parfaite, qu'on ne puisse pas la modifier ; on y a déjà touché ; on y touchera probablement encore ; mais, avant de le faire, je demanderai à l'honorable membre le temps de la réflexion.

L'honorable M. Le Hardy annonce un amendement dans le but de réduire de moitié l'accise sur la bière. A ce propos, l'honorable membre est revenu sur les modifications importantes qui ont été introduites, à la dernière session, dans notre système d'impôts. D'après lui, ces modifications ont eu lieu au profit des classes aisées, et au détriment des classes laborieuses.

Je crois que l'honorable membre n'est pas juste dans l'appréciation qu'il fait de cette loi.

Sans doute, l'augmentation du droit sur les eaux-de-vie a frappé en grande partie les classes laborieuses ; sans doute, la réforme postale a favorisé surtout les classes aisées.

Mais il est un autre élément, élément capital, qui a été favorable, avant tout, aux classes nécessiteuses. L'impôt du sel n'était pas seulement payé par les industriels, par les propriétaires et les éleveurs de bétail, il l'était encore et surtout par les classes inférieures. Le sel est un condiment indispensable de l'alimentation populaire ; il l'est au même degré que le pain. Et s'il est une modification d'impôt qui a été unanimement approuvée dans cette Chambre, c'est l'abolition de l'impôt sur le sel.

On a donc fait quelque chose, à cette époque, en faveur des classes nécessiteuses. On leur a donné le sel à bon marché en même temps que l'alcool renchéri.

J'ajoute que la consommation d'une boisson se ressent nécessairement du prix des autres boissons. Quand on élève le droit sur les eaux-de-vie, on diminue, sans y toucher, les charges de la bière ; on établit un écart plus considérable entre l'une et l'autre des deux boissons ; sous ce rapport-là, l'équilibre qui existait entre les eaux-de-vie et la bière a été rompu à l'avantage de la bière.

Je sais, messieurs, qu'on ne la paye pas moins cher pour cela ; je sais qu'on n'a pas réduit l'accise sur la bière. Mais, en élevant le droit sur les eaux-de-vie, on a poussé à la consommation de la bière ; en poussant à la consommation, on a poussé par cela même à la fabrication, et je crois que plus un liquide entre dans l'alimentation populaire, plus cet objet de consommation générale tend à baisser de prix.

N'y a-t-il rien à faire pour la bière ? L'honorable M. Le Hardy présente un amendement radical. C'est un revenu de 4 millions et demi d'après lui, et davantage d'après moi, qu'il s'agit d'enlever au trésor de l'Etat. Dans les circonstances actuelles, alors que nous avons à faire face à des dépenses extraordinaires de plus d'un genre, alors que l'on nous pousse à (page 206) activer les travaux publics pour venir en aide aux classes laborieuses, il ne peut, à aucun degré, s'agir de diminuer les ressources du trésor sans établir des compensations. L'honorable membre, du reste, l'a si bien compris qu'il s'est chargé d'indiquer certaines compensations.

Après nous avoir ainsi dépeint les charges populaires dans le budget des voies et moyens, il a passé en revue tous les autres budgets, les budgets des dépenses. Ces dépenses, faites au moyen de l'argent prélevé en majeure partie sur le peuple, sont, d'après lui, faites, la plupart du temps, en faveur des classes aisées de la société.

Il serait difficile, messieurs, dans la discussion du budget des voies et moyens, de discuter tous les budgets et de déterminer quelles sont les classes favorisées par les budgets et dans quelle mesure ces différentes classes en profitent.

Mais, pour faire toucher du doigt ce que l'argumentation de l'honorable membre a d'exagéré, il suffit de faire observer qu'il n'a pas craint d'énumérer également, parmi les budgets dont les classes riches profitent, le budget de la dette publique.

Oui, sans doute, les classes riches profitent du budget de la dette publique, mais elles en profitent parce que l'Etat est leur débiteur. L'Etat serait débiteur de capitalistes étrangers au lieu de l'être de capitalistes nationaux, que le peuple belge devrait toujours payer ce qu'il doit comme il paye les dépenses du chemin de fer de l'Etat, comme il paye toutes les dépenses que fait l'Etat. Il s'agit ici non pas d'un budget, mais d'une dette, et si les riches en profitent, c'est tout simplement parce qu'ils achètent de la rente sur l'Etat.

L'honorable membre nous a proposé d'augmenter le chiffre des impôts directs et de diminuer les impôts indirects.

Je n'oppose pas une fin de non-recevoir absolue à la proposition de honorable membre, mais je dois cependant lui faire observer qu'il n'a pas établi la proportion réelle entre la catégorie des impôts directs et la catégorie des impôts indirects, au moins dans le sens dans lequel nous prenons ces termes dans cette discussion. L'impôt direct, d'après lui, n'est que de 35 millions ; voilà les charges des riches, des propriétaires, de ceux qui occupent des maisons.

L'impôt indirect, nous a dit l'honorable membre, est de 120 millions. Erreur ! L'honorable membre comprend dans ce chiffre le produit des chemins de fer, il comprend tous les revenus des capitaux de l'Etat et les remboursements de toute espèce.

Il n'y a en réalité que 35 millions d'impôts indirects ; il y en a 75 millions, si l'on prend les chiffres du budget, mais dans ces 75 millions qualifiés impôts indirects se trouvent les droits de timbre, les droits d'hypothèque, les droits de succession, une foule d'impôts de ce genre qui sont payés presque exclusivement par les classes riches, de sorte qu'en réalité, si vous faites le bilan des deux classes dans lesquelles vous divisez le pays, au lieu d'avoir un tiers du côté des riches et deux tiers du côté des pauvres, c'est deux tiers du côté des riches qu'il faut mettre et un tiers, non pas même du côté des pauvres, mais du coté de tout le monde.

Je ne prétends pas, messieurs, qu'il faille maintenir d'une façon absolue cette proportion et dans les réponses que j'ai faites à la section centrale chargée de l'examen du budget, j'ai indiqué que, dans un avenir très rapproché, on parviendrait à augmenter, dans le budget de l'Etat, la catégorie des impôts directs, des véritables impôts directs.

Mais y a-t-il lieu aujourd'hui de supprimer la moitié de l'accise sur la bière et de compenser les cinq millions qu'on perdrait de cette façon par les 3,400,000 francs que produiraient 10 p. c. additionnels sur le foncier, sur les patentes et le personnel ?

En cette matière, messieurs, il faut procéder lentement ; il ne faut pas aller avec la rapidité de l'honorable membre. On voit à son allure qu'il n'a pas de responsabilité.

Si nous commençons par cette petite réforme d'introduire l'année prochaine 5 centimes additionnels en place du droit de débit de boissons qui frappe en réalité aussi, comme les droits sur les eaux-de-vie, la classe ouvrière, nous aurons déjà fait quelque chose.

Je crois que nous irons plus loin. Je crois qu'avec le temps l'idée de l'honorable M. Le Hardy se réalisera en tout ou en partie. Je crois que l'avenir est à l'impôt direct. Pourquoi ? Il n'est personne qui se soit occupé d'impôt, sans avoir rêvé la suppression des douanes et par là même de l'accise.

Quand sera venu cet avenir que chacun prévoit, mais que nul n'envisage comme l'œuvre de demain ou après-demain, il est certain que ce sera surtout à l'impôt direct que l'Etat s'adressera, et alors se produira cette multiplication des électeurs que l'honorable membre a à cœur.

En attendant que nous arrivions à l'abolition des douanes et des accises, il est prudent d'aller doucement, de maintenir le statu quo, et de ne le modifier que peu à peu. A chaque jour suffit sa peine ; c'est le seul moyen d'aboutir à quelque chose de bon en matière d'impôts.

M. Thonissen. - L'honorable ministre des finances m'a engagé a formuler ma motion en amendement.

La formule de cet amendement m'a quelque peu embarrassé. A la suite du budget, je vois un tableau indiquant différents chiffres. Or, amender un tableau me semble assez difficile.

Je crois que le meilleur mode de procéder consiste à ajouter un article spécial au projet de loi de budget, sauf à réduire le chiffre du tableau du montant du produit qu'il s'agit de supprimer.

Voici donc mon amendement. Je propose d'ajouter au projet de loi un article 3 ainsi conçu : « Le timbre des lettres de voiture est supprimé. »

Il sera ainsi supprimé pour les transports par chemin de fer, par bateau, par voiture, en un mot, par tous les transports indistinctement ; et comme le produit n'est que de 20,000 francs, je crois que la Chambre peut consentir à la suppression sans le moindre inconvénient.

M. Houtart. - Messieurs, je vois dans le rapport de la section centrale que M. le ministre des finances a promis la réduction des droits sur les embranchements du canal de Charleroi. Je remercie M. le ministre des finances de cette déclaration. Mais comme il y a déjà fort longtemps que l'exagération du droit pèse sur le mouvement, je viens prier M. le ministre des finances de nous dire à quelle époque il pourra appliquer la réduction qu'il a promise à la section centrale. Beaucoup d'intéressés désirent connaître cette époque et je prierai M. le ministre de la fixer le plus approximativement qu'il lui sera possible.

M. Delcour. - Messieurs, je voudrais, à mon tour, revenir sur deux points qui ont été soulevés dans cette discussion.

L'honorable M. Lelièvre a appelé l'attention du gouvernement sur l'utilité qu'il y aurait d'établir, pour la détermination du droit de succession, un multiplicateur conforme à celui qui est admis pour les déclarations de succession en ligne directe ; je pense, avec M. Lelièvre, qu'il y aurait un grand avantage à établir ce multiplicateur pour les successions en ligne collatérale.

Cette question a été indiquée souvent à la Chambre, mais l'honorable M. Frère a refusé constamment de la prendre en considération. Les motifs qu'il a fait valoir étaient les mêmes que ceux que vient de rappeler l'honorable ministre actuel.

On dit qu'il est très difficile, sans porter préjudice au trésor, d'établir un calcul qui sauvegarde tous les intérêts.

Je ne suis pas en mesure de produire des chiffres, parce que je ne m'attendais pas à la discussion pour la séance de ce jour.

Mais je puis affirmer qu'un fonctionnaire de l'enregistrement, qui a fait une étude complète de la matière, m'a prouvé par des chiffres qu'il serait très facile de donner à la question une solution des plus satisfaisantes, et qui sauvegarderait les droits du trésor en même temps que les intérêts des contribuables.

Vous connaissez, messieurs, les embarras que les contribuables rencontrent.

Si l'évaluation qu'ils ont faite n'est point acceptée par le receveur des droits de succession, on est exposé à des expertises coûteuses et à des procès ruineux. Je suis persuadé que l'administration obvierait à toutes ces difficultés par le moyen proposé par l'honorable M. Lelièvre.

Je convie le gouvernement à ne pas perdre de vue ce point important. Il n'est pas impossible de trouver un multiplicateur applicable aux diverses espèces de déclarations. Le fonctionnaire dont j'ai parlé tout à l'heure a relevé une foule de déclarations de succession et a trouvé la base d'un multiplicateur qui ne léserait en rien les droits du trésor.

Permettez-moi, messieurs, d'ajouter un mot relativement à l'accise sur les bières.

En ma qualité de député de Louvain, j'ai déjà entretenu la Chambre de ce point important. J'ai demandé, avec un grand nombre de pétitionnaires, la réduction du droit qui, vous ne l'ignorez pas, a été porté par la loi sur l'abolition des octrois, de 2 fr. 5 c. à 4 francs par hectolitre. Je voudrais me joindre, dans ce moment, à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, mais je regrette de ne pouvoir le faire pour des motifs que la Chambre appréciera.

L'honorable membre propose une réduction de 50 p. c ; une réduction aussi forte est-elle bien en rapport avec la situation du trésor ? Je ne le pense pas. Nous devons, dans les circonstances présentes, songer avant tout à conserver une bonne situation financière.

Il y aurait peut-être un autre moyen de satisfaire les intérêts de la (page 207) brasserie nationale, c'est celui qui nous a été indiqué dans de nombreuses pétitions adressées à la Chambre : il faudrait changer la base de la perception du droit d'accise sur la bière.

D'après la législation existante, le droit est perçu sur la cuve matière. Ce mode de perception engage les brasseurs à remplir la cuve de la plus grande quantité de farine possible, afin d'obtenir la plus grande quantité de bière.

Mais la production se fait au préjudice de la qualité de la bière. Aussi, messieurs, nos bières belges, qui jouissaient d'une grande réputation sur les marchés de l'Europe, l'ont-elles perdue au point que j'ai lu dans une brochure que vient de publier un homme très compétent, que les bières belges étaient considérées comme les plus mauvaises. Il y a dans cette allégation une grande exagération, mais il suffit que le grief soit articulé pour mériter l'attention du pays.

S'il est vrai, messieurs, que la base de l'impôt conduit à un tel résultat, je dis qu'il y a quelque chose à faire, et j'engage le gouvernement à soumettre ce point a une étude approfondie.

La production des grandes brasseries de Louvain, de Diest, de Hougaerde n'est plus aussi forte qu'avant la loi de 1860. La cause en est, pour beaucoup de monde, d'abord dans l'augmentation du droit d'accise, puis dans le mode vicieux de la perception de ce droit.

Je recommande l'étude de cette question à toute la sollicitude de mon honorable ami, M. le ministre des finances, à l'activité et aux bonnes intentions duquel je me plais à rendre hommage.

M. Boucquéau. - La section centrale, chargée de l'examen du budget des voies et moyens, a posé la question suivante au gouvernement : Pourquoi les péages des embranchements du canal de Charleroi à Bruxelles ne sont-ils pas ramenés au taux des péages perçus sur les autres voies navigables ?

C'est là, en effet, messieurs, ce dont on est en droit de s'étonner en présence de la loi du 1er juillet 1865. L'article premier de cette loi porte :

« Le gouvernement est autorisé à régler les péages des voies navigables administrées par l'Etat de manière que le maximum de ces péages, ramené à la tonne kilométrique, n'excède pas, pour cette unité de transport, 1 centime pour les canaux, 3/4 de centime pour les rivières canalisées, 2/10 de centime pour les rivières. »

Or, messieurs, bien que les embranchements soient repris et administrés par l'Etat depuis plus d'un an, les péages y sont encore de 65 centimes pour un parcours de 11 kilomètres, soit de 6 centimes par kilomètre ou six fois autant que sur les autres canaux et 50 p. c. de plus que sur le chemin de fer dont le péage pour les charbons est de 4 centimes, bien que le chemin de fer fournisse non seulement la voie, mais le véhicule et la traction.

Peut-on dire, pour expliquer ce péage exceptionnel, que la loi stipulant que le gouvernement est autorisé à ramener les péages au taux maximum d'un centime, il y a là une simple faculté et non une obligation, et que le gouvernement pouvait maintenir sur certains canaux des péages plus élevés, qu'il pouvait y laisser subsister les péages anciens, tandis que, sur d'autres, il pouvait les ramener au taux d'un centime ou même à un taux moindre encore, puisque le taux d'un centime est inscrit dans la loi comme un maximum ?

Que signifierait donc la stipulation de ce maximum, si, pouvant fixer moins, le gouvernement pouvait aussi maintenir un chiffre plus élevé ? N'en résulterait-il pas que la loi n'a fait que lui conférer un blanc seing ?

A la vérité, l'exposé des motifs de la loi du 30 juin 1869 qui a décidé le rachat des embranchements du canal de Charleroi, contient le passage suivant :

« Nous ne nous dissimulons pas que le gouvernement, en reprenant l'administration des embranchements du canal de Charleroi, sera obligé, dés que les circonstances le permettront, d'en réduire les péages au taux de ceux qui sont maintenant perçus sur ce canal. »

La réserve contenue dans ces mots : « dès que les circonstances le permettront », a été inspirée, ainsi que l'a dit M. le ministre des finances à la section centrale, par l'intention d'attendre, en vue de ménager les intérêts du bassin de Charleroi, le moment où le chemin de fer qui doit relier directement ce bassin à Bruxelles soit livré à la circulation. C'est là une intention, nous croyons pouvoir le dire, que rien ne justifiait et, pour qui connaît l'historique du canal de Charleroi et de ses embranchements, il est évident que les intérêts du bassin du Centre ont toujours été sacrifiés et ses transports surtaxés, en vue de favoriser, selon des idées économiques mesquines et surannées, d'autres intérêts plus ardemment défendus.

Que s'est-il passé, en effet, lors de la concession du canal de Charleroi ? Non seulement les péages ont été combinés de telle sorte que les charbons du Centre qui, en destination de Bruxelles, ne parcouraient le canal que sur une étendue de 8 lieues, soit un peu plus de la moitié, étaient frappés des mêmes droits que les charbons de Charleroi qui le parcouraient en entier, soit sur 14 lieues ; mais en n'exécutant pas les embranchements en même temps que le canal principal, on se réservait, pour satisfaire des sentiments de rivalité étroits et injustes, d'exécuter les embranchements après coup en les grevant de droits particuliers.

Et ce n'étaient pas les intérêts du Centre seulement qui furent ainsi sacrifiés, ce furent aussi ceux de l'Etat, qui, sans nul doute, eût obtenu l'exécution des embranchements en même temps que celle du canal principal, sans aucune aggravation de charges, par la raison bien simple qu'il s'agissait d'une dépense relativement minime et qui devait être des plus productives. Beaucoup d'entre vous sans doute, messieurs, ont entendu donner pour raison de ce péage égal appliqué sur le canal principal à des parcours d'une différence considérable, que ce canal avait été allongé pour se rapprocher du bassin du Centre ; mais cette raison n'était qu'un mauvais prétexte pour chercher à motiver une iniquité flagrante, car toutes les études qui en ont été faites, même déjà au XVIIIème siècle, ont indiqué comme le meilleur tracé et le seul praticable le tracé qui a été exécuté, tracé qui traverse la crête de partage entre la vallée de la Sambre et celle de la Senne, précisément au point qu'avait marqué sur la carte en 1803 M. le directeur-général des ponts et chaussées de la République française. Le tracé par Nivelles n'était pas plus court, bien qu'on l’ait prétendu, mais il était impraticable, à ce point que, pour chercher à le faire prévaloir en en surmontant les difficultés, un industriel du bassin de Charleroi proposa d'y faire descendre et remonter les bateaux au moyen de rouleaux de cordes et de contre-poids. Qu'on juge après cela si le canal de Charleroi a pu être allongé pour se rapprocher du bassin du Centre.

Toujours est-il que payant le droit entier de 3 fr. 7 c. sur le canal, payant en outre le droit d'un franc sur les embranchements, les charbons du Centre, pour un parcours de dix lieues, étaient frappés de 4 fr. 7 c. par tonne, alors que ceux de Charleroi, pour un parcours de 14 lieues, payaient 3 fr. 7 c. ; péage déjà énorme sans doute, mais qui ne fait que mieux ressortir l'énormité de celui qu'acquittait le Centre, qui pour rester dans la proportion de celui du bassin de Charleroi n'aurait dû être que de 2 fr. 20 c, soit 1 fr. 87 c. de moins qu'il n'était réellement.

Or, messieurs, si nous multiplions cette surtaxe de 87 c. par les quatre cent mille tonnes environ qu'expédiait ou recevait le Centre, nous arrivons à une surtaxe annuelle de 750,000 francs qui lui a été imposée pendant de longues années.

Peut-on, en tenant compte de ces faits que nous affirmons de la manière la plus formelle, vouloir prolonger encore l'injustice dont nous avons si longtemps souffert et nous exclure seuls du bénéfice de la loi de 1865 ? Prétendra-t-on qu'un arrondissement ne peut rien obtenir, pas même ce qui est de la plus stricte justice sans qu'un autre avantage soit accordé à l'arrondissement voisin ?

Mais ce système nous conviendrait parfaitement et nous prierions le gouvernement de commencer à nous octroyer ces nombreuses voies navigables et ferrées que possède l'arrondissement de Charleroi, voies dont nous ne voudrions pas le voir privé, dont je voterai même le développement si l'occasion s'en présente sans nuire à l'intérêt général, mais que le Centre serait heureux de posséder également. Car, tandis que nous en sommes réduits, en fait de voies ferrées, à deux lignes secondaires, à la ligne du Centre et à celle de Manage à Mons, que nous devons à l'industrie privée et non au gouvernement, et en fait de voies navigables, aux embranchements dont nous venons de parler, embranchements établis à petite section, ne transportant que des bateaux de soixante et dix tonneaux, mais grevés d'un péage exorbitant, le bassin de Charleroi possède non seulement le canal de Charleroi, mais la Sambre, canalisée par le gouvernement, transportant des bateaux de 150 à 200 tonneaux, n'acquittant que le péage d'un centime ; il possède, en fait de voies ferrées, une des grandes lignes établies par l'Etat, de plus la grande ligne de Cologne à Paris ; celles de Charleroi à Louvain, de Charleroi à Vireux, de Châtelineau à Givet et d'autres dont l'énumération vous fatiguerait et dont l'ensemble me fait espérer de voir un jour se réaliser l'idée émise il y a environ dix ans d'établir à Charleroi un marché industriel, mensuel, bimensuel ou même hebdomadaire qui deviendrait bientôt l'un des premiers du monde.

On n'a point, sans doute, tenu compte de toutes ces voies dont nous sommes heureux de voir doté le bassin de Charleroi, lorsqu'on a cru que, (page 208) pour ménager ses intérêts, on ne pourrait réduire les péages sur les embranchements conformément au droit commun, avant que le chemin direct de Charleroi à Bruxelles soit mis en exploitation.

Les détails dans lesquels j'ai cru devoir entrer pour justifier ma réclamation, vous auront sans doute déjà paru bien longs ; ils ne sont rien cependant auprès de l'exposé des autres griefs dont nous avons eu à souffrir. Aussi, j'ose espérer que le gouvernement et la Chambre, qui ne peuvent contester le bien-fondé de nos plaintes, trouveront que ce n'est point seulement en principe, comme l'a dit M. le ministre des finances en section centrale, que notre réclamation doit être admise ; que ce n'est pas dans un mois, dans quinze jours, mais immédiatement qu'on doit supprimer une surtaxe odieuse ; que l'honneur du gouvernement lui-même est engagé à abolir une injustice criante en mettant les péages des embranchements en harmonie avec ceux des autres canaux administrés par l'Etat.

M. Tack. - Messieurs, je demande à motiver mon vote sur l'amendement qu'a présenté l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.

Je me suis toujours déclaré partisan de la réduction de l'accise sur les bières ; mais il me semble impossible de déterminer aujourd'hui la Chambre à adopter l'amendement en question ;

Le moment est mal choisi pour proposer des réductions d'impôts ; je crois que l'honorable membre, s'il veut faire triompher un jour la cause qu'il défend, ferait bien d'ajourner sa proposition.

En effet, nous ne savons pas, au point de vue des recettes inscrites au budget des voies et moyens, quels seront les résultats de l'année 1871. Nos revenus peuvent diminuer pour cet exercice.

Nous avons aboli les droits sur le sel ; nous avons, d'autre part, réduit la taxe postale au taux uniforme de 10 centimes et augmenté le droit sur les distilleries. Par suite, les recettes de 1871 sont douteuses.

Dans cette situation, il serait, selon moi, imprudent d'aller toucher à un revenu aussi important que celui du droit d'accise sur les bières.

L'honorable ministre des finances vient de le faire remarquer du reste, nous nous trouvons devant des dépenses extraordinaires à provenir des travaux publics que le gouvernement sera obligé de faire entreprendre pour venir en aide à la classe ouvrière.

D'un autre côté, nous ignorons quelles seront pour nous les conséquences de l'état de guerre qui subsiste toujours entre nos deux puissants voisins.

Nous avons déjà été entraînés à des dépenses considérables pour faire face aux nécessités du budget de la guerre.

Ce n'est pas dans des circonstances pareilles que l'on peut espérer que la Chambre réserve un accueil favorable à la proposition de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.

L'honorable membre vous a dit que la réduction de moitié de l'accise sur la bière occasionnerait un découvert de trois à quatre millions. C'est sept millions qu'il aurait dû dire.

Les prévisions pour 1871 sont de quatorze millions.

Il est vrai que la diminution de sept millions ne retomberait pas directement sur le trésor public,

Le fonds communal supporterait une partie du dégrèvement, mais il faudrait bien, à l'aide des ressources du trésor public, combler le déficit éprouvé par le fonds communal.

C'est donc, en dernière analyse, une diminution de sept millions dans nos recettes.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu propose de remplacer ce revenu par des ressources à fournir par les contributions directes, par les contributions foncière et personnelle et par la patente.

Il faut remarquer une chose, c'est que les communes en général ont notablement augmenté les centimes additionnels sur les contributions directes.

Depuis l'abolition des octrois communaux, les communes ont été forcées de recourir à l'impôt direct.

Elles ont commencé par établir, comme je viens de le dire, des centimes additionnels sur la contribution foncière, sur la contribution personnelle et sur le droit de patente. Celles qui ne l'ont pas fait jusqu'à présent forment l'exception. Ce n'est donc qu'avec une extrême réserve que l'Etat peut toucher aux contributions directes.

L'honorable M. Delcour a engagé M. le ministre des finances à modifier les bases de l'accise sur la bière ; je crois que M. le ministre des finances fera bien de mettre également en cela beaucoup de prudence. Si des modifications ont été demandées aux bases de l'accise par quelques industriels, le grand nombre demande que l'impôt actuel soit maintenu.

L'industrie de la brasserie a dégénéré, affirme l'honorable membre ; cela peut être vrai pour certaines contrées, la qualité de la bière dans certaines parties du pays a perdu, mais dans d'autres elle est restée ce qu'elle a toujours été ; cela est vrai notamment pour les Flandres.

D'où vient la situation dont on se plaint ? A mon sens, l'exagération de l'impôt est l'une des causes de la diminution de la qualité de la bière. En général toutes les charges que supporte la brasserie, y compris l'impôt, sont augmentées et cependant le prix de la bière est resté presque partout le même ; le producteur a donc dû trouver une compensation, il l'a cherchée en modifiant la qualité du produit.

Si je ne me trompe, l'honorable ministre des finances serait disposé à changer les bases de l'impôt, en ce sens qu'il accorderait facultativement aux industriels qui en feraient la demande, l'autorisation de payer l'impôt non plus sur la contenance de la cuve-matière, mais sur la quantité de farine mise en macération ; je ne vois pas de mal à ce que cette faculté soit accordée, mais il sera assez difficile de fixer le rapport entre le montant actuel de l'impôt et la perception à faire d'après le poids de la farine employée à la fabrication ; je ferai remarquer en outre que si ce système devait être généralisé, il en pourrait résulter de graves inconvénients ; je ne sais pas si le gouvernement serait en mesure de pouvoir exercer une surveillance efficace sur la fabrication ; dans tous les cas, pour arriver à exercer cette surveillance, il faudrait non pas doubler, mais peut être tripler le nombre des employés.

Ma conclusion est que le gouvernement ne peut toucher qu'avec la plus grande circonspection aux bases de l'impôt.

Je l'engage par conséquent à ne rien concéder, si ce n'est après s'être entouré de toutes les lumières possibles, et moyennant force précautions pour ne pas créer une situation inégale entre les imposables.

M. Delcour. - La Chambre aura remarque que je n'émettais aucune opinion définitive. J'ai engagé le gouvernement à étudier la question, et elle le mérite à tous égards.

Le système contre lequel mon honorable ami M. Tack vient de s'élever n'est pas nouveau ; il est mis en pratique dans plusieurs Etats de l'Europe, notamment en Hollande, dans le grand-duché de Luxembourg et dans plusieurs Etats de l'Allemagne. Eh bien, je dis qu'un système pratiqué dans des pays où l'industrie de la bière est arrivée à un haut degré de prospérité mérite d'être pris en sérieuse considération. Les embarras de la perception et les frais qu'elle nécessite ne peuvent être aussi considérables que mon honorable ami vient de le dire ; je ne comprendrais pas, en effet, qu'une législation conservât un système aussi préjudiciable aux intérêts du trésor public, des contribuables et de l'industrie.

Cet exemple des nations voisines mérite, me paraît-il, d'être sérieusement examiné ; avant de le condamner immédiatement, il convient d'en faire l'expérience. C'est ce que je demande.

Lorsque j'ai dit, messieurs, que les bières belges avaient dégénéré, je n'ai point voulu parler de l'une ou de l'autre brasserie déterminée : non, j'ai fait une observation générale sans vouloir l'appliquer aux brasseurs des Flandres ; j'ai entendu parler de la situation générale des brasseries du pays.

Quant à moi, messieurs, je suis profondément convaincu que nos brasseries ne sont plus aussi prospères que je les ai connues. Et quant à la qualité de leurs produits, je dis qu'un grand nombre de brasseries laissent à désirer.

Il ne peut pas en être autrement avec le mode de perception actuel du droit d'accise.

Là se sont bornées mes observations ; elles m'ont été présentées par un homme des plus compétents, et j'ai pensé qu'il pouvait être utile de les reproduire à la Chambre dans l'intérêt d'une grande industrie du pays. Je désire que les bières belges reconquièrent leur ancienne réputation.

M. Pirmez. - Les discours prononcés par l'honorable M. Boucquéau m'ont rappelé les premières années que j'ai passées dans cette Chambre et où nous avons eu souvent des discussions entre les bassins du Centre et de Charleroi.

L'honorable M. Boucqueau a rappelé à nouveau une querelle vidée depuis longtemps et dans laquelle je me garderai bien de m'engager avec lui. Il a traité ensuite une question spéciale sur laquelle j'ai à faire remarquer que lorsque les embranchements du canal de Charleroi ont été rachetés, il a été entendu qu'on attendrait, pour abaisser les péages, que le chemin de fer de Bruxelles à Luttre fût achevé.

M. Boucquéau. - Entre qui cela a-t-il été entendu ; et pour quelles raisons ?

M. Pirmez. - Cela a été déclaré par le gouvernement à la section centrale et parfaitement accepté par la Chambre. Tous les députés, et ceux-là mêmes qui ont accepté la situation que je signale, ont voté le rachat des embranchements moyennant cette déclaration.

(page 209) M. Boucquéau. - Ils ont voté le rachat, mais ils n'ont pas accepté les conditions dont vous parlez.

M. Pirmez. - Permettez, quand le gouvernement fait une déclaration qui est acceptée sans contestation, il faut bien y avoir égard pour apprécier le caractère de ce qui est voté.

M. Boucquéau. - Rien ne prouve qu'elle ait été acceptée. D'ailleurs, en supposant qu'on ait commis alors une injustice, est-ce une raison pour la maintenir ?

M. le président. - N'interrompez pas.

M. Pirmez. - J'indique une position acceptée par la législature. (Interruption.) Je ne dis rien de désobligeant pour l'honorable membre, je pense.

J'indique donc une situation déterminée par la loi, acceptée par la législature. Si le gouvernement veut modifier cette situation, je ne m'y oppose pas, mais dans ce cas, je demande une compensation pour Charleroi.

Si l'on veut accorder immédiatement la réduction des péages sur les canaux du Centre, je demande qu'on mette, par un abaissement de tarifs, le bassin de Charleroi dans la même situation que si le chemin de fer de Luttre était livré à l'exploitation ; on se trouvera alors dans la situation prévue lors du vote du rachat des embranchements.

Voilà, messieurs, la seule observation que j'avais à faire ; je crois qu'elle doit satisfaire l'honorable M. Boucquéau et que si le gouvernement s'y rallie, nous pourrons, l'un et l'autre nous déclarer satisfaits.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Je m'applaudis vivement d'avoir présenté mon amendement et d'avoir ainsi obtenu du gouvernement des déclarations dont je prends acte.

Le gouvernement, par l'organe de M. le ministre des finances, a promis d'étudier sérieusement l'impôt direct et l'impôt indirect ; il nous a fait connaître ses préférences en faveur de l'impôt direct. A cet égard-là, je ne puis que l'encourager et lui promettre de l'aider de tous mes efforts. En présence des déclarations du gouvernement, en présence de l'appui que mon amendement a reçu sur les bancs de cette Chambre, je retire l'amendement que j'ai proposé, et je demande qu'il soit mis sérieusement à l'étude afin que, dans le budget des voies et moyens de 1871, nous puissions faire un pas décisif dans cette voie.

M. le président. - L'amendement de M. Le Hardy de Beaulieu est retiré.

Il est parvenu au bureau un autre amendement ainsi conçu :

« Art. 4. Les impôts sur le débit des boissons alcooliques, perçus au profit de l'Etat, sont abolis à partir du 1er janvier 1872.

« A partir de la prochaine révision des listes électorales, ces impôts ne seront plus comptés pour la formation des listes.

« De Le Haye, Alb. Liénart, de Theux, C. Delcour, F. Moncheur, L. Lefebvre. »

L'amendement étant signé par plus de cinq membres n'a pas besoin d'être appuyé et il fait partie de la discussion.

M. Liénart - Je demande la parole.

M. le président. - Il n'est pas question de discuter maintenant l'amendement ; il sera discuté lorsqu'on arrivera à l'article du budget auquel il se rattache.

M. Liénart. - M- le président, je renonce pour le moment à la parole ; je présenterai mes observations lorsque la Chambre arrivera à l'article que la chose concerne.

M. Rogier. - J'ai une simple observation à présenter à l'honorable M. Thonissen, au sujet de sa proposition qui consiste à supprimer un impôt établi par une loi spéciale. La question n'a pas, en fait, une grande importance, puisque M. le ministre des finances nous a déclaré que l'intérêt du trésor n'y était que très faiblement engagé ; mais en principe il me semble qu'il n'est pas sans inconvénient de modifier une loi fiscale par une simple mention introduite dans le budget des voies et moyens qui est un budget annuel. Pour que cette stipulation ne cesse pas d'opérer, ne faudra-t-il pas la reproduire au budget de chaque année ? Ne serait-il pas plus prudent et plus pratique d'introduire la modification par une loi spéciale ? Telle est l'observation que je me permets de soumettre à l'auteur de l'amendement et à M. le ministre des finances.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, je répondrai d'abord deux mots à l'honorable M. Rogier.

Assurément, il serait peut-être plus régulier de présenter un projet de loi spécial ; mais je ne pense pas que la disposition, si elle était adoptée, et si elle faisait partie de la loi du budget des voles et moyens, n'aurait d'existence que pendant une année ; je crois que le contraire est vrai ; et je vais citer à l'honorable membre un exemple qui date de 1831. A cette époque, on a introduit dans le budget des voies et moyens une disposition qui est encore exécutée aujourd'hui. D'après cette disposition, le contribuable, sujet à la contribution personnelle, peut se référer, l'année suivante, à la déclaration qu'il a faite l'année précédente, sans que son impôt puisse être majoré, et ainsi d'année en année pourvu qu'il continue à occuper la même maison.

Je le répète, c'est au moyen d'une disposition du budget des voies et moyens que cette règle a été introduite ; et, bien que le budget soit voté annuellement, la disposition dont il s'agit ne cesse pas d'être en vigueur. Cela se comprend : il y a deux choses dans la loi du budget des voies et moyens ; nous avons d'abord le droit de percevoir ; évidemment les perceptions d'impôts ne sont votées que pour une année ; vous pouvez avoir, en outre, des dispositions qui, par leur nature, n'ont pas un caractère annuel ; celles là ont une valeur permanente.

M. Frère-Orban. - C'est une erreur ! Voyez l'article 111 de la Constitution !

- Un membre. - Les impôts sont votés pour un an.

M. Jacobs, ministre des finances. - Parfaitement. Mais les lois qui suppriment les impôts valent pour toujours.

M. Frère-Orban. - Tant qu'elles ne sont pas retirées.

M. Jacobs, ministre des finances. - Il est clair qu'il suffirait de présenter l'année prochaine une disposition nouvelle faisant revivre l'impôt supprimé. Mais, tant qu'une disposition de ce genre ne sera pas votée par la Chambre, il est certain que la disposition d'aujourd'hui annihilera pour toujours l'impôt auquel elle se rapporte. La disposition nouvelle, fût-elle introduite l'an prochain au budget des voies et moyens ou dans toute autre loi, créerait un impôt nouveau.

Quelques observations maintenant relativement à la question qui divise le bassin du Centre et le bassin de Charleroi.

Si, messieurs, j'avais découvert dans un document législatif un engagement formel d'attendre l'ouverture du chemin de fer de Châtelineau à Luttre pour abaisser les péages sur les embranchements du canal de Charleroi, j'aurais pu me croire lié. Mais, je le déclare à la Chambre, je n'ai trouvé nulle part une déclaration ainsi conçue. Cependant, quand je suis arrivé au département des finances, j'ai trouvé que la chose était ainsi entendue par l'administration ; je n'ai pas voulu aller à l’encontre de ce qui paraissait admis dans les sphères administratives et j'ai même signé une dépêche dans ce sens.

Lorsque la question a été soulevée par la section centrale, je l'ai examinée à fond et j'ai trouvé que jamais il n'y avait eu d'engagement de ce genre, que jamais on n'avait établi, publiquement au moins, de façon qu'il y eût engagement, la connexité de ces deux ordres d'idées. Je me suis donc cru parfaitement libre, et en présence de cette liberté, j'ai pensé qu'il n'y avait pas de raison de retarder, jusqu'à l'ouverture du chemin de fer de Châtelineau à Luttre, l'abaissement des péages sur les embranchements du canal de Charleroi. Mais on me demande de dire, au moins approximativement, à quelle date cette réduction sera établie.

Messieurs, s'il n'y avait que des canaux, je ne ferais aucune difficulté de déclarer : le plus tôt possible ; au 1er janvier. Mais il y a autre chose que des canaux : il y a, au moins pour certains embranchements, des voies ferrées appartenant au réseau d'embranchements repris par l'Etat.

Il y a évidemment là une difficulté ; on ne peut admettre que la loi fixant les péages sur les voies navigables doive s'appliquer complètement aux voies ferrées, aux voies terrestres.

Pour lever la difficulté, le gouvernement a résolu de s'adresser aux sociétés charbonnières intéressées et de leur proposer de reprendre elles-mêmes ces tronçons de chemins de fer. Il dépendra des sociétés intéressées de se mettre d'accord avec le gouvernement pour que ces chemins de fer, qui sont de véritables chemins de fer industriels et qui ne sont pas à leur place dans le domaine de l'Etat, fassent retour à ces sociétés. Dès lors, il n'y aura plus que des canaux et l'application du tarif sera immédiate.

Si nous ne parvenions pas à traiter pour la reprise de ces chemins de fer, il y aurait, je le répète, une étude à faire qui certainement nous prendrait plus que le mois qui s'écoulera d'ici au 1er janvier ; il est impossible de spécifier dans cette hypothèse d'une manière certaine l'époque à laquelle la réduction pourra être établie.

J'arrive à la bière. Je tiendrai compte des observations présentées par MM. Tack et Delcour.

Dans les réponses que j'ai faites aux questions de la section centrale, je me suis borné à déclarer que, si les intéressés réclamaient le nouveau mode préconisé par M. Delcour, j'examinerai s'il y a lieu de l'introduire comme (page 210) faculté. Je dois ajouter que le gouvernement n'en est pas partisan, parce que ce système sera beaucoup plus coûteux pour l'Etat, il nécessitera incontestablement un plus grand nombre d'employés.

Cependant, d'un autre côté, ce mode est évidemment de nature à favoriser la production de la bonne bière, parce qu'il donne toute liberté aux brasseurs de tirer de la farine la meilleure bière possible ; aujourd'hui, au contraire, l'impôt sur la cuve-matière où l'on introduit de l'eau successivement au fur et à mesure que le liquide s'en est déjà écoulé dans la chaudière, le brasseur a intérêt à fabriquer, non pas la meilleure bière, mais la plus grande quantité de bière possible.

Je déclare donc, à cet égard, que si les intéressés s'adressent au gouvernement, s'ils lui demandent, dans l'intérêt de la qualité de la bière, d'essayer le système facultatif existant en Hollande, je suis disposé à examiner si cet essai peut se faire sans inconvénient.

Lorsqu'il aura été fait, on pourra m'eux juger si les intérêts des brasseurs et ceux du trésor permettent de prolonger cette faculté ou commandent de l'abandonner immédiatement.

M. Pirmez. - M. le ministre des finances n'a pas répondu à la demande que j'ai eu l'honneur de lui faire.

M. Jacobs, ministre des finances. - Cela concerne le département des travaux publics.

M. Pirmez. - Je répéterai alors ma demande pour M. le ministre des travaux publics.

J'ai dit qu'il avait été entendu, et M. le ministre des finances vient de le rappeler, que l'on n'abaisserait les péages des embranchements du canal de Charleroi vers le Centre, que lorsque le chemin de fer de Luttre à Bruxelles serait fait. En effet, si l'on accordait une faveur au bassin du Centre, il était juste que l'on accordât une faveur identique au bassin de Charleroi.

Il est reconnu que cela a été entendu ainsi sous l'ancien ministère, lors du vote du rachat. M. le ministre des finances actuel vous a dit qu'il avait écrit une dépêche dans le même sens.

Je demande qu'on maintienne ce qui a été entendu, que l'on conserve une égalité d'avantages, à moins qu'on ne veuille recourir à une autre issue de la situation, qui améliore également les positions du Centre et de Charleroi.

Voici cette autre issue, que j'ai indiquée et sur laquelle j'ai demandé une explication.

Si le gouvernement veut, ainsi que vient de le déclarer M. le ministre des finances, abaisser les péages des embranchements du Centre sans attendre l'achèvement du chemin de Luttre, je ne m'y oppose pas, mais je demande qu'on mette le bassin de Charleroi dans la situation qui lui a été promise ; qu'on lui donne, pour le transport des matières pondéreuses vers Bruxelles, l'équivalent de ce que sera le tarif, lorsque le chemin de fer de Luttre à Bruxelles sera fait.

Il ne faut pas oublier que le chemin de fer de Luttre à Bruxelles comme le rachat des embranchements sont des mesures compensatoires du non-élargissement des écluses du canal de Charleroi.,

L'abaissement des droits et la construction du chemin de fer ont donc un rapport direct avec le coût des transports sur le canal de Charleroi. La construction du chemin ne sera achevée que d'ici à un ou deux ans. Mais rien n'empêche de mettre immédiatement le bassin de Charleroi dans la même situation que si le chemin de fer existait déjà, par une réduction de tarifs égale à celle que produirait l'exploitation du chemin de fer de Luttre.

Si l'on accorde au bassin du Centre l'abaissement des péages, on doit accorder au bassin de Charleroi cette réduction.

Je demande à M. le ministre des travaux publics, si dans le cas où, conformément à la déclaration de son collègue des finances, on abaisserait de suite les péages sur les embranchements du canal de Charleroi, il est disposé à prendre une mesure qui maintienne les deux bassins dans la même situation. Si l'on s'y refusait, on romprait une situation acceptée par la législature, le gouvernement et les représentants de ces centres industriels, on la romprait sans compensation au profit du Centre contre Charleroi.

M. Houtart. - Je n'ai qu'une simple observation à faire à l'honorable député de Charleroi. Ce n'est pas pour balancer les avantages des deux bassins qu'on a réclamé de M. le ministre des finances l'abaissement des péages sur les embranchements du canal de Charleroi ; c'était pour faire disparaître une injustice qui pesait sur le Centre depuis longtemps. C'est là ce qui a dicté notre demande à M. le ministre des finances, d'abord dans la première section et ensuite en section centrale. Nous ne comprenions pas pourquoi l'on traitait un bassin industriel de la Belgique avec moins de faveur qu'un autre bassin.

M. Frère-Orban. - Dans la dernière session, une réclamation a été adressée à la Chambre et envoyée au gouvernement de la part des bateliers, qui se plaignaient de payer une patente trop élevée.

Le gouvernement, à cette époque, a pris l'engagement de faire examiner cette affaire et, ultérieurement, il a déclaré également à la Chambre qu'il résultait de l'examen qu'il avait fait, qu'en effet la patente des bateliers était trop élevée et qu'elle devait être réduite. Il a donc pris l'engagement de déposer un projet de loi pour obtenir cette réduction.

Le projet de loi, comme je l'ai dit à la Chambre à cette époque, était préparé ; il était même revêtu de la signature du roi. Mais la session était trop avancée pour qu'il pût être déposé utilement, il l'aurait été dans la session actuelle.

Je demande au gouvernement si son intention est de donner suite à la proposition que j'avais annoncée. Dans le cas où le gouvernement ne jugerait pas à propos de dégager ma parole, je me réserverais de déposer une proposition de loi spéciale.

M. Jacobs, ministre des finances. - J'ai trouvé, en effet, à mon arrivée au département des finances, non pas un projet de loi signé par le roi, mais un projet élaboré et prêt à être soumis à mon examen.

M. Frère-Orban. - Il a été signé par le roi.

M. Jacobs, ministre des finances. - Soit ; mais le département ne possédait pas l'expédition signée par le roi. J'ai examiné ce projet.

En thèse générale, il est certain qu'il y a lieu de modifier la patente des bateliers ; la patente des bateliers est un véritable droit de tonnage à l'intérieur ; or le droit de tonnage à l'extérieur, le droit de tonnage maritime ayant été aboli, il y a lieu de supprimer également le droit de tonnage intérieur.

Les bateliers doivent payer une véritable patente et non un droit de tonnage déguisé sous ce nom.

Le gouvernement dégagera donc la parole de l'honorable député de Liège ; dans le courant de la session, et d'ici à peu de temps, je l'espère, je serai à même de présenter un projet de loi dans ce sens.

L'armateur au long cours et le batelier de nos canaux et rivières doivent être mis sur la même ligne autant que possible ; il y a une différence cependant résultant de ce que l'armateur exploite toujours pour son compte, tandis que le batelier n'est souvent que le locataire du bateau. J'ai soumis le projet à un nouvel examen qui aboutira, je l'espère, prochainement.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - II m'est impossible de répondre affirmativement à l'interpellation de l'honorable député de Charleroi.

Je ne puis consentir d'une manière exceptionnelle à une réduction de péages sur certains chemins de fer. Tout ce que je puis faire, c'est d'accélérer la construction de la ligne directe vers Charleroi et j'espère qu'il ne se passera pas un an avant qu'elle soit livrée à la circulation. En attendant j'engage l'honorable M. Pirmez à prendre patience.

Projet de loi établissant une caisse générale de prévoyance en faveur des instituteurs primaires

Dépôt

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur présente un projet de loi ayant pour objet l'établissement d'une caisse générale de prévoyance en faveur des instituteurs primaires.

Projet de loi autorisant à aliéner des terrains côtiers

Dépôt

Projet de loi approuvant la convention conclue avec la société des Bassins houillers

Dépôt

MfJ présente :

1° Un projet de loi portant autorisation d'aliéner les terrains des dunes jugés inutiles à la défense des côtes contre les envahissements de la mer ;

2° Une convention avec la société des Bassins houillers.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces divers documents et les renvoie à l'examen des sections.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.