(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 151) M. Wouters procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.
M. de Borchgrave donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
Il présente ensuite l'analyse suivante des pétitions adressées à la Chambre.
« Des sauniers à Gand prient la Chambre de suspendre l'exercice de la loi portant abolition de l'impôt sur le sel et demandent que le sel raffiné soit soumis à un droit de 2 à 3 francs par 100 kilogrammes. »
- Renvoi à la commission permanente d'industrie.
« Des électeurs à Flobecq demandent que les élections législatives aient lieu au chef-lieu du canton et les élections provinciales à la commune. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur la réforme électorale.
« Le sieur Delstanche prie la Chambre de lui accorder la concession de la ligne grand stratégique franco-belge, de Quévy à Maestricht, ou une indemnité en récompense de services rendus au pays. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Vencimont prient la Chambre d'accorder au sieur Brasseur la concession d'un chemin de fer de Givet sur Athus. »
« Même demande du conseil communal de Bourseigne-Neuve. »
- Même renvoi.
« Le sieur Colson demande que le fils de la veuve Gaillard, qui est soldat au 7ème régiment de ligne en garnison à Namur, soit envoyé en congé. »
- Même renvoi.
« Les bourgmestre, échevins et des habitants de Gérouville demandent que M. le ministre des travaux publics examine d'urgence les propositions de la compagnie du chemin de fer de Virton et qu'en attendant il n'oblige pas celle-ci à exécuter le tracé de l'administration des ponts et chaussées.
« Même demande d'échevins, conseillers communaux et habitants de Lamorteau et de Saint-Léger. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vanderyt demande un congé illimité pour son fils Jean, milicien de la classe de 1866, incorporé au 2ème escadron des chasseurs à cheval. »
- Même renvoi.
« Les dames Verhagen prient la Chambre de leur faire rendre justice dans une réclamation devant les tribunaux. »
- Même renvoi.
« M. le capitaine Tackels fait hommage à la Chambre de deux exemplaires de son nouveau travail sur les armes à feu portatives, intitulé : Le nouvel armement de la cavalerie, etc. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Funck. - Messieurs, le développement de l'instruction primaire doit nécessairement occuper une large place dans les préoccupations des peuples libres. Les questions qui se rattachent à ce grand intérêt social sont d'un ordre trop élevé pour ne pas attirer constamment l'attention du législateur. A une époque où tout se transforme, où nous voyons proclamer dans presque toutes les constitutions de l'Europe cette grande maxime : « Tous les pouvoirs émanent de la nation », il est impossible de ne pas s'intéresser à la capacité de ceux qui exercent ou qui peuvent être appelés à exercer des droits politiques ; il est indispensable, dans tous les cas, de les mettre à même de comprendre et de remplir leurs devoirs de citoyen.
Et si cette vérité est saisissante au point de vue politique, combien ne l'est-elle pas davantage encore au point de vue social !
Dans notre état de civilisation, l'homme n'est rien sans instruction. Certes, il n'est pas indispensable que chaque individu soit un savant ; mais il est nécessaire que tout homme vivant en société sache communiquer sa pensée par l'écriture comme par la parole, de même qu'il doit pouvoir s'assimiler celle des autres par la lecture.
Voilà pourquoi s'impose l'enseignement primaire, et de cette nécessité absolue que personne ne conteste à l'obligation scolaire, il n'y a qu'un pas.
En effet, du moment qu'il est admis que l'homme sans instruction se rapproche de la brute et devient par conséquent un danger pour l'ordre public ; du moment qu'il est constaté à la dernière évidence que cet homme se trouve fatalement dans un état d'infériorité qui paralyse son développement physique et moral, dès ce moment il n'est pas seulement du droit de la société, mais il est de son devoir de préserver tous ses membres de cet état de dégradation et d'infériorité, en exigeant d'eux qu'ils possèdent l'ensemble des connaissances élémentaires qui constituent l'enseignement primaire. C'est dans l'accomplissement de ce devoir impérieux que le législateur puise même le droit de punir le père qui refuserait de donner à ses enfants cet ensemble de connaissances.
Il n'est pas plus permis de maltraiter moralement un enfant que de le maltraiter physiquement. Et de même que l'on frappe avec raison le père cruel qui mutile son enfant, qui le prive d'air, de nourriture ou de vêtements, de même aussi la société a le droit de sévir contre celui qui inflige à ses enfants cette mutilation morale qu'on appelle l'ignorance.
Il y a longtemps, du reste, qu'on examine dans notre pays cette question de l'enseignement primaire obligatoire. Partisans et adversaires de cette réforme ont livré leurs arguments à la discussion et nous sommes en droit de le dire aujourd'hui : si l'idée de l'obligation scolaire n'avait été qu'une utopie généreuse, n'ayant aucun côté pratique, comme quelques-uns l'ont prétendu, il y a longtemps qu'elle serait abandonnée et reléguée dans le domaine des impossibilités. Ce qui prouve au contraire sa vitalité, c'est que partout on la discute ; c'est que les peuples qui l'ont adoptée s'en félicitent chaque jour, et qu'aucun d'eux ne songe à la supprimer ; tandis que (page 152) ceux qui ont hésité le plus longtemps à l'appliquer se préparent à la faire entrer dans leur législation.
Ce n'est pas le moment de relever ici les objections des adversaires de l'enseignement obligatoire, objections dont il a été fait tant de fois justice : l'absence de nécessité, l'autorité du père de famille méconnue, la liberté de l'enseignement violée, les difficultés d'exécution, l'amende et la prison, etc., arguments qui n'ont jamais réussi a ébranler une conviction sérieuse !
J'aime mieux leur opposer l'incontestable nécessité sociale qui milite en faveur de la réforme réclamée, ainsi que les faits accomplis chez plusieurs de nos voisins, et ceux qui sont sur le point de s'accomplir dans la plupart des grandes nations de l'Europe.
Après avoir démontré que l'idée est juste, ce sera le meilleur moyen d'établir qu'elle est réalisable.
La Prusse est le berceau de l'enseignement primaire obligatoire tel que nous l'entendons aujourd'hui. Elle peut revendiquer à juste titre l'insigne honneur d'avoir introduit, la première, dans sa législation l'une des mesures les plus fécondes en résultats, et dont une nation puisse à plus juste titre s'enorgueillir.
Aussi ses hommes d'Etat apprécient-ils a leur juste valeur les conséquences de cette institution, et c'est avec fierté qu'ils en signalent les bienfaits.
Un écrivain distingué, qui s'est spécialement occupé depuis plusieurs années du développement de l'instruction primaire en France, M. Eugène Rendu, a publié, il y a quelque temps, dans le Constitutionnel, une étude intitulée : Pourquoi il y a lieu d'introduire dans la loi l’obligation de l’enseignement.
J'y lis le passage suivant :
« En 1833, nous remplissions une mission du ministre de l'instruction publique à Berlin.
« Le comte de Bismarck, comme tout homme d'Etat au delà du Rhin, prenait un vif intérêt aux questions d'enseignement. Dans l'entretien qu'il nous fit l'honneur de nous accorder, le futur chancelier de la Confédération du Nord nous dit : Voulez-vous savoir ce qui a fait la Prusse ? Deux choses : l'obligation du service militaire, l'obligation du service scolaire. La Prusse ne renoncera pas plus à la seconde qu'elle n'a la pensée de renoncer à la première.
« Nous comprimes la portée de ces paroles trois ans plus tard, après Sadowa. »
Faut-il ajouter à l'autorité de ces paroles l'autorité plus incontestable encore des faits qui se passent en ce moment sous nos yeux ? Faut-il rappeler cette immense supériorité des armées prussiennes, attribuée en grande partie à l'instruction dés soldats ; et cette instruction n'est-elle pas la conséquence de l'obligation scolaire ?
A côté de la Prusse, figurent le grand-duché de Bade, la Saxe, le Wurtemberg, la Bavière, une grande partie des provinces de l'empire d'Autriche, la Suède, la Norvège, le Danemark, presque tous les cantons suisses, et enfin plusieurs Etats de la grande Confédération américaine.
Tous ces pays ont adopté et inscrit dans leur législation l'obligation de l'enseignement primaire et pas une voix ne s'élève contre cette obligation.
Les populations éclairées sur leurs véritables intérêts la bénissent, et les gouvernements en comprennent tous les bienfaits.
L'Angleterre et la France ont reculé longtemps devant l'idée de rendre l'instruction primaire complètement obligatoire ; cependant il ne serait pas exact de dire que l'obligation scolaire n'existe pas, au moins en principe, dans ces pays. La loi de 1841, qui règle en France le travail des enfants dans les manufactures, rend l'instruction primaire obligatoire pour ceux qui travaillent dans les fabriques, mines et usines. Malheureusement cette législation est incomplète et inefficace, elle est tombée en désuétude et les meilleurs esprits sont d'accord pour en réclamer la révision.
Eu Angleterre, bien que le factory act et le factory act amendement act imposent l'obligation de l'enseignement primaire pour les enfants qui sont employés dans les manufactures, un mouvement considérable s'est opéré dans ces derniers temps en faveur de l'enseignement obligatoire.
Dans ce pays de liberté par excellence, où le pouvoir n'intervient qu'à son corps défendant dans les affaires concernant les individus, et où l'opinion abandonne volontiers à l'initiative privée toutes les institutions qui ne dépendent pas essentiellement du gouvernement ou de l'administration, on a considéré que l'état d'ignorance dans lequel végète une partie de la population était de nature à porter atteinte à la bonne réputation du peuple anglais.
C'est dans ces termes que cette situation avait été qualifiée à la tribune de la chambre des communes en 1867, et on avait invoqué comme remède l'enseignement obligatoire.
Le Parlement vivement ému par les faits signalés ordonna une enquête, et deux associations se constituèrent pour venir en aide au gouvernement et pour l'éclairer sur le véritable état des choses. Le résultat de l'enquête fut tel que le ministère se crut obligé de sortir de son rôle passif et d'intervenir d'une manière sérieuse dans cette grave question.
C'est à la suite de ces événements que le cabinet anglais chargea M. Forster, vice-président du conseil général de l'enseignement (committee of counçil on éducation) de présenter au Parlement un projet d'organisation de l'instruction primaire obligatoire sur les bases suivantes :
I. Création de bureaux scolaires (éducation board), chargés d'organiser et d'administrer les écoles dans chaque district, avec pouvoir de décider s'il y a lieu d'appliquer dans le district le principe de l'obligation de l'enseignement à proclamer par la loi. C'est ce qu'on appelle l'obligation facultative.
Le bill qui a pour objet d'introduire dans la législation anglaise cette immense amélioration, après avoir subi les lectures obligées, a été voté à une grande majorité, et les hommes les plus considérables de tous les partis prêtent en ce moment leur concours dévoué à l'exécution de cette nouvelle législation.
Comme on le voit, nous avons le droit de dire que l'enseignement primaire obligatoire existe dès aujourd'hui en Angleterre.
Les bureaux de district peuvent ne pas l'appliquer, s'ils estiment que dans certaines localités il n'est pas nécessaire de recourir à des pénalités pour obliger les parents à donner ou à laisser donner l'instruction primaire à leurs enfants, mais le principe est inscrit dans la loi, et les heureuses conséquences qui en résulteront ne tarderont pas à se faire sentir.
Nous voudrions pouvoir en dire autant de la France. Malheureusement la question est moins avancée dans ce pays, où l'enseignement obligatoire cependant a rencontré de tout temps des défenseurs énergiques et convaincus. Tout ce qui concerne l'enseignement primaire gratuit se résume, chez nos voisins du Midi, en une question d'argent qui n'est pas encore bien près d'être résolue.
Malgré cette situation fâcheuse, de vigoureux efforts se sont faits dans ces derniers temps en faveur de l'obligation scolaire.
Au commencement de cette année, M. de, Kératry a soumis au corps législatif une proposition ayant pour objet d'épurer et de fortifier le suffrage universel, en n'admettant à l'exercice des droits électoraux que ceux qui justifieraient d'une certaine capacité, celle de savoir lire et écrire.
Cette proposition contenait l'enseignement primaire obligatoire sous une de ses formes les plus séduisantes. M. de. Kératry disait avec raison : « Celui qui n'a pas les notions les plus élémentaires de l'instruction, celui qui ne sait ni lire ni écrire, ne doit pas être appelé aux comices parce qu'il est incapable d'exercer ses droits de citoyen. »
D'autre part, M. Jules Simon avait soumis à la même assemblée une proposition ayant pour objet la gratuité et l'obligation de l'enseignement primaire.
La proposition de M. de Kératry a été écartée parce qu'elle semblait à plusieurs membres, et notamment aux yeux du rapporteur, porter une atteinte grave au suffrage universel. On n'a pas statué sur celle de M. Simon, mais tout faisait présumer qu'elle eût été favorablement accueillie. Elle a été admise par la commission d'initiative parlementaire et renvoyée aux bureaux. Quoi qu'il en avienne, dans l'avenir, ce qu'il y a d'important dans ce fait, c'est que la question de l'obligation scolaire se pose à chaque instant en France comme une grande nécessité sociale ; c'est que les hommes éminents qui touchent de près ou de loin à l'instruction publique finissent tous par reconnaître cette nécessité.
Ainsi, c'est M. Bourbeau, ancien ministre de l'instruction publique, qui est chargé de faire le rapport sur la proposition de M. de Kératry, et M. Bourbeau se montre favorable à l'enseignement obligatoire.
Dans le cours de la discussion, M. de Kératry, en défendant sa proposition, invoque, à l'appui de son système, l'autorité d'un autre ministre de l'instruction publique, M, Duruy, qui s'exprimait ainsi dans une lettre récente adressée à la Ligue de l'enseignement :
« Je suis heureux de m'associer par ma souscription aux efforts que vous faites pour propager l'enseignement primaire obligatoire, et pour éclairer l'opinion publique sur la nécessité de cette réforme que l'Allemagne et la Suisse ont depuis longtemps acceptée, et que l'Angleterre réclame aujourd'hui.
« Le pays où la liberté individuelle et la famille sont le plus respectées commence à comprendre que le père qui prive son fils de l'école pour lui faire gagner quelques centimes commet la plus honteuse des spéculations ; (page 153) qu'au lieu d'user de son fils comme il le fait de son bœuf ou de son âne, il a le devoir, si bien formulé par nos lois, de l'élever, en lui donnant avec le pain du corps celui de l'esprit, afin que l'enfant arrivé à l'âge viril ne soit pas pour la famille une gêne ou une honte, pour la société une inutilité, pour lui-même un paria errant à travers un monde où bientôt il n'y aura plus de place pour l'illettré, si ce n'est dans la misère.
« En France, l'influence du droit romain, qui faisait du fils la chose (res) du père, a prise encore sur beaucoup d'esprits : le père ne peut plus, comme à Rome, vendre son fils à un marchand d'esclaves, mais il a le droit de le vouer à la plus dure des servitudes, celle de l'ignorance.
« Voilà ce qu'il faut empêcher, et, si nous n'y parvenons pas par la loi, essayons-le par les mœurs, c'est-à-dire, par la propagande morale.
« V. Duruy. »
Une pareille déclaration n'a pas besoin de commentaires. Quand on voit un homme aussi éminent, qui a eu l'occasion de constater de près la nécessité de répandre l'enseignement primaire et dont l'opinion pèse d'un si grand poids en matière d'instruction publique, quand on voit cet homme réclamer d'une manière aussi énergique l'application de l'obligation scolaire, on peut dire, sans crainte de se tromper, que le jour n'est pas éloigné où la théorie de l'instruction primaire obligatoire passera dans la législation française.
Il résulte de ces considérations ou plutôt de ces faits sommairement groupés que le principe de l'obligation scolaire est admis dans la plupart des contrées de l'Europe, et qu'il est sur le point d'être adopté même par les gouvernements qui s'y sont montrés le plus opposés.
La Belgique peut-elle rester étrangère à ce mouvement, à cette aspiration générale des esprits vers une réforme dont l'urgence se manifeste de toutes parts ? Je ne le pense pas, et personne ne pourrait le vouloir.
La Belgique a toujours réclamé l'honneur de figurer parmi les nations les plus avancées du continent. Grâce à ses institutions libérales, elle a réalisé chez elle des progrès, des améliorations dont elle a le droit d'être fière. Mais un peuple qui a conquis un rang aussi élevé parmi les nations ne peut ralentir sa marche, sous peine de déchoir.
La réforme que je viens vous proposer est d'une application facile ; l'exemple de ce qui se passe chez nos voisins le prouve. Pourquoi résisterions-nous plus longtemps au courant ?
Quant à moi, je ne voudrais pas, ne fût-ce que par amour-propre national, que l'on pût reprocher un jour à la Belgique d'avoir été la dernière, en Europe, à proclamer un principe destiné à relever le niveau moral de ses populations.
Et il ne s'agit pas seulement d'éviter ce reproche, il faut encore se rendre à l'évidence.
Tout en déplorant les tristes événements auxquels nous assistons, qu'ils nous servent au moins d'enseignement ! L'incontestable supériorité de la Prusse dans le terrible conflit qui désole en ce moment le monde civilisé, l'attitude si remarquable da son armée, la régularité et la rapidité de ses mouvements, la discipline rigoureuse qu'elle a su maintenir dans ses rangs, tout cela est dû autant à l'intelligence et aux connaissances des soldats qu'à la valeur des chefs. Il ne faut pas se le dissimuler : la Prusse est en ce moment une nation supérieure aux autres, non pas seulement à cause de son organisation militaire, mais aussi à cause de l'obligation scolaire, comme le disait le comte de Bismarck. C'est la force, basée sur l'instruction.
Bien coupables seraient les nations de l'Europe qui ne profiteraient pas de la grande leçon qui leur est offerte en ce moment.
L'article premier de la proposition que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre consacre le principe de l'enseignement obligatoire. Ce principe s'applique à tous les enfants qui habitent le pays, Belges ou étrangers. Et la raison en est fort simple. L'obligation scolaire a certainement pour objet l'intérêt de l'enfant, mais elle est basée principalement sur des motifs d'intérêt et d'ordre public. Dès ce moment, elle doit obliger tous ceux qui habitent le territoire. Cet article consacre en même temps la responsabilité des parents et des tuteurs.
L'article 2 détermine les obligations des administrations communales au point de vue de l'inscription des enfants. Ces obligations sont les suivantes : L'autorité communale forme, chaque année, la liste des enfants en âge de recevoir l'instruction primaire, et elle adresse à leurs parents ou à leurs tuteurs une première invitation de les envoyer à l'école.
Si cette invitation reste sans résultat, il leur sera envoyé, aux termes de l'article 7, un autre avertissement d'avoir à se conformer à la loi. Ce n'est qu'après avoir résisté à ces deux avertissements préalables que le père ou le tuteur peut encourir une peine de simple police.
Les articles 3, 4 et 5 règlent le mode de constater la capacité des enfants au point de vue de l'instruction primaire.
Cette constatation résultera, pour la plupart des cas, d'une présomption légale et, exceptionnellement d'un examen. La présomption légale existera :
1° pour tous les enfants qui auront fréquenté régulièrement et pendant six années consécutives une école publique ou soumise à l'inspection. Ce sera le plus grand nombre.
2° Pour tous ceux qui auront acquis l'instruction primaire à domicile ou dans une école privée et qui entreront dans un établissement d'enseignement moyen.
Seront seulement soumis à l'examen :
1° Les enfants qui auront reçu l'instruction primaire dans une école privée et qui n'entrent pas dans un établissement d'enseignement moyen ;
2° Ceux qui, fréquentant une école publique, voudraient la quitter avant l'âge de 13 ans accomplis.
L'examen sera facultatif de la part de l'administration pour les enfants qui reçoivent l'instruction à domicile.
J'ai pris, comme base des connaissances à exiger de tous les enfants, le programme contenu dans l'article 6 de la loi du 23 septembre 1842.
Je n'ai certes pas abandonné ma manière de voir sur la nécessité de modifier cette loi et spécialement l'article 6 en question. Mais j'ai pensé qu'en insistant aujourd'hui sur une réforme qui n'aurait bien certainement aucune chance d'aboutir en ce moment, je paralyserais le succès d'une innovation de la plus haute importance pour l'avenir du pays et que tous les partis peuvent accepter sans abandonner en rien leurs convictions politiques.
Toutefois, le programme contenu dans l'article 6 de la loi du 23 septembre 1842 ne renferme pas le dernier mot de l'enseignement primaire. Aux connaissances qu'il prescrit il peut être utile d'ajouter, comme on le fait, du reste, dans les écoles primaires bien organisées, quelques indications générales sur les attributions des pouvoirs, des notions de géographie, d'histoire de la Belgique, de musique, de dessin, de gymnastique et peut-être, dans l'avenir, des exercices militaires. J'ai voulu laisser au gouvernement le droit de les inscrire dans le programme.
L'article 6 détermine la composition de la commission d'examen chargée de constater la capacité des enfants dans les cas exceptionnels. Cette commission doit avoir un caractère communal, comme tout ce qui touche à l'instruction primaire, et c'est pour cela que, tout en spécifiant sa composition, nous en attribuons la nomination au conseil communal.
Les articles 8, 9, 12 et 15 contiennent l'énumération des diverses pénalités qui seront encourues par ceux qui contreviendraient à la loi. Ces peines, très légères, et qui restent même en dessous des peines de simple police pou .les pères et tuteurs qui essayeraient de se soustraire à la loi devaient être sévères pour les chefs d'école qui délivreraient de faux certificats.
D'un autre côté, il est impossible de rendre l'enseignement obligatoire sans faire défense à ceux qui emploient de jeunes ouvriers de se rendre les complices d'un père inintelligent. Tel est le but de l'article 16 du projet.
Toutefois voulant tenir compte de tous les besoins, et concilier autant que possible l'obligation scolaire avec les nécessités de l'industrie, l'article 17 autorise les administrations communales à organiser le système d'instruction appelé le « demi-temps », fort en usage en Angleterre et en Allemagne, et qui a produit les meilleurs résultats.
En résumé, la proposition de loi que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre contient le principe et l'application d'une réforme dont l'urgence est incontestable.
Je n'ai pas besoin de dire que j'accepterais avec reconnaissance toutes les observations et tous les amendements que la haute expérience de mes collègues pourrait leur suggérer.
- M. Thibaut remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.
- La proposition de loi de M. Funck est appuyée par plus de cinq membres.
Elle est prise en considération et renvoyée à l'examen des sections.
M. Delcour. - J'ai l'honneur de déposer, au nom de la commission des naturalisations, 22 projets de loi sur des demandes de naturalisation ordinaire prises en considération par la Chambre et par le Sénat.
Je prie la Chambre de vouloir porter ces projets de loi à la suite de son ordre du jour.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets de loi et les met à la suite de son ordre du jour.
(page 154) Il est procédé à cette nomination par scrutin secret.
Le scrutin donne le résultat suivant :
Nombre de votants, 87.
Bulletins blancs, 4.
Bulletins valables, 83.
Majorité absolue, 42.
M. Vermeire obtient 47 suffrages.
M. Sainctelette 26
M. Tack 4
M. Guillery 2
M. Boulenger 1
M. Demeur 1
M. Houtart 1
M. Dethuin 1
M. Vermeire, ayant obtenu la majorité absolue, est proclamé membre de la commission de surveillance.
M. le président. - Maintenant, messieurs, il s'agit de régler les travaux de la Chambre.
La Chambre a décidé, dans une séance précédente, qu'elle se réunira en sections demain pour l'examen du projet de loi sur la réforme électorale. Je dois ajouter que les sections se sont occupées aujourd'hui des budgets et qu'elles n'ont pas toutes terminé leurs travaux ; il est important cependant que tous les rapporteurs soient nommés afin que nous ayons de la besogne pour les séances publiques.
Les sections se réuniront donc demain pour achever l'examen des budgets et pour s'occuper ensuite du projet de loi sur la réforme électorale.
Quant à la séance publique, je proposerai de la remettre à mardi prochain. Nous aurons à l'ordre du jour, en premier lieu, les développements de la proposition de loi présentée par M. Demeur et autres membres, ensuite des projets de loi de naturalisation ordinaire. Enfin, je proposerai à la Chambre d'autoriser le bureau à faire imprimer les rapports des sections centrales qui seraient prêts : les budgets dont les rapports seraient imprimés figureraient en troisième lieu à l'ordre du jour.
M. Vleminckx. - Messieurs, s'il n'y a pas de séance publique demain, il est probable que peu de membres se rendront dans les sections. (Interruption.) J'en appelle à l'expérience de tous les membres de la Chambre.
- Un membre. - Il n'y a rien à l'ordre du jour.
M. Vleminckx. - Pourquoi n'y a-t-il rien à l'ordre du jour ? Pourquoi le gouvernement ne représente-t-il pas les projets de lois qui sont tombés par suite de la dissolution ?
M. le président. - Ceci est une question étrangère à la fixation de l'ordre du jour.
M. Jacobs, ministre des finances. - Le gouvernement ne tardera pas à déposer plusieurs projets de lois, notamment celui qui concerne la révision du code de commerce, mais il est évident que quand ces projets auraient été déposés depuis plusieurs jours, on ne pourrait pas s'en occuper demain en séance publique.
D'un autre côté, à différentes reprises, la Chambre a consacré l'après-midi en entier au travail en sections ; je ne citerai comme exemple que l'examen du projet de loi sur le temporel des cultes. Eh bien, le projet de loi sur la réforme électorale est assez important pour que les membres de la Chambre se rendent en grand nombre dans les sections demain, bien qu'il n'y ait pas séance publique ; je suis persuadé qu'ils n'y manqueront pas.
- La proposition de M. le président est adoptée.
M. de Baets. - Il me semble, messieurs, qu'on pourrait parfaitement tenir une séance demain pour statuer sur un grand nombre de rapports de pétitions qui sont prêts. C'est le vendredi que l'on s'occupe ordinairement de ces rapports ; on pourrait utiliser une ou deux heures de la séance de demain.
M. Vleminckx. - Il n'y a ni rapports, ni feuilletons.
M. de Baets. - Il y a une multitude de pétitions dont l'examen pourrait se faire en une demi-heure et sur lesquelles on pourrait faire rapport.
Nous venons à peine d'entrer en session et nous prendrions déjà des vacances.,
M. Vander Donckt. - Il y a des feuilletons imprimés et distribués sur lesquels on pourrait faire rapport.
M. Pirmez. - Je voudrais attirer l'attention de la Chambre sur la jurisprudence suivie jusqu'à présent et qui consiste à faire tomber par la dissolution des Chambres tous les projets présentés et même tous ceux sur lesquels des rapports sont faits.
Lors des dissolutions de 1857 et de 1861, on a procédé ainsi et l'on a agi encore naturellement de la même façon, à l'occasion de la dissolution qui vient d'avoir lieu.
Cette jurisprudence, qui ne repose sur aucune bonne raison et qui est extrêmement fâcheuse pour les travaux de la Chambre, nous vient, je pense, d'Angleterre.
En Angleterre, les parlements ne sont pas permanents comme la Chambre et le Sénat de Belgique.
Les parlements sont des assemblées distinctes qui se succèdent ; lorsqu'il y a dissolution ou expiration de terme d'un parlement, c'est un parlement tout nouveau qui arrive. Il n'y a là rien qui ressemble à ces renouvellements partiels qui établissent la continuité des assemblées.
Dans cette situation, les projets présentés à un parlement ne sont pas soumis au suivant qui n'en a pas été saisi.
En Belgique, les Chambres sont, comme les tribunaux, des corps qui se perpétuent ; aussi lorsqu'elles se renouvellent par moitié après deux ou quatre ans, même lorsque la moitié plus un des membres vient à sortir, on ne juge pas nécessaire de représenter le projet déjà déposé. Bien plus, il est des projets qui ont été soumis pendant plus de quatre ans à la Chambre et bien que la Chambre fût, depuis leur présentation, entièrement renouvelée, personne ne s'imagine de soutenir qu'ils soient tombés.
Lorsqu'un tribunal est saisi d'une affaire, il continue d'en connaître alors même que tous les juges sont remplacés. Je crois qu'il devrait en être de même pour les Chambres, et qu'il n'y a aucune raison sérieuse pour faire tomber, pas plus par suite de dissolution que par suite de renouvellement, tous les projets soumis antérieurement à la législature.
On doit reconnaître qu'il y aurait avantage à ne pas annuler ainsi une série de travaux.
Le gouvernement ne serait pas lié par ce que je propose ; il peut amender ou retirer les projets déjà en partie examinés ; il y en a dans le nombre qu'il reproduira sans y changer un mot. Pourquoi ne pas continuer à les étudier ?
Nous avons examiné le titre des Sociétés du code de commerce. Cette discussion a occupé la Chambre pendant six semaines. Eh bien, par suite d'un principe juridique, faux d'après moi, ne reposant sur aucune base sérieuse, on va déclarer que ce travail est nul !
On parle de simplification administrative. Je crois qu'il y aurait là une simplification législative à opérer.
Je voudrais que le gouvernement et le bureau de la Chambre examinassent cette question et qu'on nommât une commission pour voir s'il n'y aurait pas lieu de revenir sur une jurisprudence que rien ne justifie.
Les précédents sont parfois respectables, mais lorsqu'ils n'offrent que les désavantages, il est bon de les abandonner.
M. Jacobs, ministre des finances. - Il y a certainement quelque chose de fondé dans les observations que vient de présenter M. Pirmez.
Il serait plus simple de n'avoir pas à représenter les différents projets qui ont été soumis déjà à la Chambre, mais en cette matière, comme en beaucoup d'autres, les précédents ont une valeur et il est difficile de rompre en visière avec des usages acceptés.
Mais je ferai une autre observation : c'est qu'en cette matière la Chambre ne peut procéder que de commun accord avec le Sénat. Si la Chambre adoptait une jurisprudence d'après laquelle les projets, après une dissolution, sont en même état qu'avant la dissolution, et si le Sénat adoptait une jurisprudence contraire, il y aurait conflit entre les deux Chambres. (Interruption.)
Voici un cas ; le titre des Sociétés du code de commerce a été adopté par la Chambre et soumis au Sénat. Si l'opinion de M. Pirmez était adoptée, la Chambre n'aurait plus à s'occuper de ce projet, mais le Sénat pourrait ne pas s'en occuper non plus, comptant recevoir un projet nouveau.
(page 155) Si la question doit être examinée, il faut donc que le gouvernement et le bureau se mettent en rapport avec le Sénat, qui a aussi son mot a dire.
Quant à moi, je ne me refuse pas à l'examen, mais je crois devoir faire remarquer que le gouvernement n'a fait que suivre des précédents dont on ne s'est jamais départi.
M. le président. - La discussion sur l'ordre du jour est close.
Il est donc entendu qu'il n'y aura pas de séance publique avant mardi, mais que les sections se réuniront demain.
M. Vleminckx, - Mais on n'a pas voté sur ma proposition. Je demande formellement la remise de la séance publique à mardi et l'ajournement de l'examen en sections du projet sur la réforme électorale.
M. De Lehaye. - Je dois faire remarquer que la Chambre a décidé qu'elle se réunirait demain en sections pour s'occuper de l'examen du projet de réforme électorale. Cette décision doit être respectée.
M. Vleminckx. - M. De Lehaye sait bien qu'on change quelquefois d'avis ; lorsque l'examen en sections du projet sur la réforme électorale a été décidé, la Chambre ignorait qu'il n'y aurait pas de séance publique ce jour-là.
M. De Lehaye. - On ne change d'avis que pour des motifs réels, et ici il n'y en a aucun pour revenir sur la décision prise.
Je demande donc que la Chambre se réunisse demain en sections pour examiner le projet de réforme électorale.
M. Vleminckx. - Je demande que l'on vote sur l'ajournement à mardi.
- La séance est levée à 4 heures et demie.