Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 23 août 1870

(Annales parlementaires de Belgique, Chambre des représentants, session 1870 extraordinaire)

(Présidence de M. Vilain XIIIIµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 63) M. Reynaertµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Borchgraveµ donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse des pièces suivantes adressées à la Chambre.

« Le sieur Vanden Broeck demande une enquête à propos des conditions dans lesquelles travaillent les boulangeries militaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Huwart demande qu'il soit accordé au sieur Pierre Motquin, couvreur en ardoises à Buvrinnes, une médaille pour le récompenser du dévouement dont il a fait preuve pendant l'incendie qui a éclaté à Anderlues, dans la nuit du 29 au 30 septembre dernier. »

- Même renvoi.


« Le sieur Hanerse, soldat au 4ème régiment de ligne, demande sa libération du service militaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Blende prie la Chambre d'allouer d'urgence au gouvernement une somme suffisante pour venir en aide aux femmes et aux enfants des miliciens rappelés sous les drapeaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Colson présente des observations sur le service des vivres dans l'armée. »

- Même renvoi.


« Le sieur François-Guillaume Bodewin-Colson, aubergiste et cabaretier à Liège, né à Bocholtz (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire adressée par le sieur L. Moreau. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


MpXµ. - M. le ministre de la justice a transmis à la Chambre lès pièces de l'instruction judiciaire dirigée par le parquet de Verviers au sujet des faits de rébellion qui ont eu lieu en cette ville dans la nuit du 20 au 21 juillet dernier.

- Dépôt sur le bureau.

Interpellation relative au dépôt de poudre militaire à Dolhain

M. Davidµ. - Le but de mon interpellation est d'engager le département de la guerre à user de plus de ménagement envers les administrations communales et les habitants des petites communes du pays ; et notamment à faire disparaître le plus tôt possible le dépôt de poudre qui a été établi près des habitations de Dolhain et contre le chemin de fer.

En temps ordinaire, lorsqu'un particulier ou une société veut établir un magasin de poudre, on lui impose des formalités très rigoureuses. Ainsi, c'est la députation permanente qui doit autoriser ces dépôts, et à quelles conditions les autorise-t-elle ? Il faut d'abord qu'un caveau voûté soit construit, que ce caveau soit recouvert de terre et de gazon, qu'autour de ce caveau, fermé au moyen d'une porte très solide, il se trouve un talus en terre et gazon plus élevé que le caveau ; qu'en dehors et tout autour, il soit établi une forte palissade avec une porte fermée à clef, etc.

Ce sont là des précautions excessivement sévères, et de plus, ces dépôts ne peuvent se trouver qu'à une distance déterminée des habitations.

Or, messieurs, quand il s'est agi de miner une partie du railway du côté de Dolhain, le génie militaire s'est affranchi complètement de toutes ces précautions et il a commis, à mon sens, la plus grande imprudence.

C'est ainsi qu'une quantité d'environ 2,500 kilogrammes de poudre a été amenée sur les lieux ; on a construit un simple hangar en planches ; ce hangar est complètement disjoint et on s'est borné à le couvrir avec de vieilles bûches du chemin de fer.

De plus, ce petit hangar ne se trouve qu'à deux mètres de la voie ferrée et précisément à la naissance de la rampe assez forte existant entre Dolhain et Herbesthal ; c'est-à-dire à un endroit où les chauffeurs sont obligés d'attiser vivement le foyer des locomotives pour obtenir une plus grande force d'impulsion, à cause de la rampe dont je viens de parler ; et où, par conséquent, des cendres souvent incandescentes s'éparpillent sur la route et sur les accotements.

Ce qui prouve la réalité du danger permanent qui en résulte, c'est que deux fois déjà, ce printemps, nous avons eu des incendies précisément à l'endroit où est établi le petit magasin à poudre dont j'ai parlé tout à l'heure, et la haie qui se trouve à quatre mètres en arrière a été consumée par les flammes.

Si jusqu'à présent nous n'avons pas un grand malheur à déplorer, nous ne devons l'attribuer qu'à la température humide que nous avons depuis quelque temps.

Il est certain, en effet, que si une explosion avait eu lieu, tout le village de Dolhain qui compte environ 2,000 habitants, aurait infailliblement sauté ; car le dépôt n'est établi qu'à 120 mètres des premières habitations et vis-à-vis du gros de l'endroit.

Nous nous sommes adressés d'abord à l'officier commandant le détachement du génie ; les ordres reçus et les exigences du service, nous a-t-il dit, ne lui permettaient pas de déplacer ce magasin.

Nous avons eu beau lui demander de le transporter dans une prairie située à proximité et où il n'eût été exposé à aucun danger des flammèches sortant des locomotives, il s'est toujours retranché derrière les ordres qui lui avaient été donnés et les exigences du service.

Le bourgmestre de la commune s'est alors adressé au ministre de la guerre ; beaucoup d'habitants de la localité ont signé la pétition avec lui.

Je tiens ici la copie de cette pétition ; elle est datée du 17 juillet et, dès le 19, on répondait déjà qu'il n'y avait aucun danger à redouter et que, du reste, l'intérêt public devait primer l'intérêt privé.

Nous savons parfaitement que l'intérêt public doit primer l'intérêt privé et nous, qui sommes près de la frontière, nous sommes disposés à subir avec patriotisme toutes les conséquences de l'état à guerre qui, malheureusement, existe aujourd'hui ; mais nous demandons cependant que l'on ne nous expose pas à des dangers alors que ce n'est pas nécessaire, et je conteste qu'il y ait intérêt général à avoir un magasin à poudre à côté du railway alors qu'il ne s'agit que de pourvoir à la consommation de la poudre nécessaire aux travaux de mines destinés à former des excavations dans les montagnes à renverser sur la ligne ferrée pour l'obstruer.

Je demanderai donc à M. le ministre de la guerre de vouloir bien veiller à ce que, dans l'avenir, on n'expose plus ainsi les communes à des dangers qui alarment les populations, de faire éloigner des rails le dépôt de poudre établi vis-à-vis de Dolhain.

(page 64) MgGµ. - Au nombre des mesures qui ont été prises par le gouvernement, lorsque la crise que nous traversons a éclaté, se trouvent les préparatifs à faire pour la destruction éventuelle de certaines voies ferrées sur nos frontières.

Nous nous sommes trouvés dans la nécessité d'établir de petits dépôts de poudre à proximité des points où des mines devaient être faites.

On a dit que toutes les précautions n'avaient pas été prises. C'est une erreur. Les travaux n'ont pas été entrepris avec précipitation comme on pourrait le croire, en raison des circonstances ; ils ont été exécutés suivant des plans et des programmes arrêtés, longtemps avant la guerre, par une commission d'ingénieurs et d'officiers du génie. La meilleure preuve que toutes les mesures ont été bien prises, c'est qu'il n'est pas arrivé un seul accident. Mais, dit-on, les prescriptions réglementaires n'ont pas été complètement observées en ce qui concerne la distance des dépôts de poudre.

Certes, il eût été désirable que toutes les prescriptions eussent pu être observées ; mais ce qui est possible en temps de profonde paix ne l'est pas toujours en temps de crise ; il s'agissait d'une mesure de salut public dont la réussite devait être assurée par les moyens les plus rapides et les plus efficaces.

Quoi qu'il en soit, messieurs, les craintes qu'a pu inspirer l'établissement de quelques fourneaux de mines doivent disparaître.

Dès que le danger s'éloigne d'une frontière, le département de fa guerre s'empresse de faire enlever les poudres qui s'y trouvent disséminées. Sur certains points de la frontière de l'Est, à Dolhain-Limbourg notamment, les ordres d'évacuation sont déjà donnés depuis quelques jours, et ces poudres vont être réintégrées dans les magasins.

Je pense, messieurs, que ces explications donneront satisfaction à l'honorable M. David.

- L'incident est clos.

Projet de loi allouant un crédit au budget du ministère des finances, pour fabrication de monnaie de cuivre

Discussion des articles

Articles 1 à 3

La discussion générale est ouverte ; personne ne demandant la parole, la Chambre passé S la discussion des articles.


« Art. 1er. Un crédit de cent quatre-vingt mille francs (fr. 180,000) est accordé pour couvrir les frais de fabrication de monnaies de cuivre, en pièces d'un et de deux centimes. »

- Adopté.


« Art. 2. Cette dépense sera rattachée au budget du ministère des finances de l'exercice 1870. »

- Adopté.


« Art. 3. Il y sera pourvu au moyen des ressources ordinaires du trésor. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 93 membres présents. Il sera transmis au Sénat.

Ont pris part au vote :

MM. Liénart, Mascart, Mufle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Orts, Pety de Thorée, Pirmez, Rembry, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thienpont, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Idewalde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Anspach, Balisaux, Bara, Berge, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baets, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de. Smet, Dethuin, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Jamar, Janssens, Jottrand, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lescarts et Vilain XIIII.

Projet de loi réintégrant des déserteurs dans les rangs de l’armée

Discussion des articles

Articles premier

La discussion générale est ouverte.

MpXµ. - La section centrale a présenté un amendement au projet du gouvernement : M. le ministre s'y rallie-t-il ?

MjCµ. - Oui, M. le président.

MpXµ. - L'article premier est donc ainsi conçu :

« Art. 1er. Seront réintégrés dans les rangs de l'armée et exemptés de toute poursuite du chef de désertion ou de vente d'effets, les militaires qui ont déserté leur drapeau avant le 15 juillet 1870 et qui rentreront volontairement à leur corps dans le délai de trois mois à partir de la publication de la présente loi.

« Ces militaires reprendront le cours de leur temps de service au point où ils l'ont laissé en désertant. »

M. Muller, rapporteurµ. - Messieurs, depuis que la section centrale a examiné ce projet de loi, des observations ont été présentées à son rapporteur. N'ayant pas eu le temps de réunir la section centrale, j'ai soumis ces observations à M. le président et à MM. les ministres de la guerre et de la justice et nous sommes d'accord pour proposer une modification au texte de l'article premier.

Voici, messieurs, les motifs de cette modification :

Des craintes se sont manifestées sur le point de savoir si les expressions : « Dans le délai de trois mois », qui se trouvent à la fin de l'article premier, n'excluent pas du bénéfice de la loi les militaires qui se seraient déjà' constitués avant la promulgation dé la loi.

Ce n'est pas là évidemment la pensée du législateur. Au contraire, le gouvernement et la section centrale sont parfaitement d'accord pour appliquer la disposition à tous les déserteurs qui seront rentrés avant comme dans le délai déterminé.

Cependant, il est bon, je crois, dans les lois, de faire disparaître tous les doutes lorsqu'on peut le faire sans difficulté et sans inconvénient.

J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambre de remplacer les mots : «... qui rentreront volontairement à leur corps dans le délai de trois mois, à partir de la publication de la présente loi, » par ceux-ci : « . . qui seront rentrés volontairement dans leur corps avant l'expiration d'un délai de trois mois, à partir de la publication de la présenté loi. »

Ces termes comprendront aussi bien les déserteurs qui sont déjà rentrés que ceux qui rentreront dans un délai de trois mois.

M. Lelièvreµ. - Le projet décrète évidemment une amnistie. D'après cela, il me semble qu'il eût été préférable d'énoncer une disposition générale annulant non seulement les poursuites, mais même les condamnations antérieures.

Sans doute, le gouvernement peut user du droit de grâce, mais ce droit diffère de l'amnistie et ne produit pas les mêmes effets.

Si les poursuites du chef de faits commis antérieurement au 15 juillet 1870 sont arrêtées, il me semble logique de mettre à néant les condamnations.

Du reste, conformément à l'opinion de la section centrale, je pense qu'il ne peut être question d'une autorisation à donner au gouvernement ; la loi amnistie les faits dont il s'agit de plein droit et par suite lés condamnations devraient également être réputées non avenues, si l'on veut rester conséquent au principe qui a motivé le projet.

Si la Chambre juge convenable de ne rien changer au projet proposé par la section centrale avec les explications présentées par celle-ci, j'estime qu'il doit être bien entendu que le projet aura pour conséquence d'arrêter les poursuites même commencées.

En conséquence, si l'instruction est commencée, il n'y sera donné aucune suite en vertu du projet. De même, s'il est intervenu un jugement de condamnation n'ayant pas acquis la force de chose jugée, du moment de ta publication de la loi, ce jugement sera réputé non avenu, puisque tant qu’il n'est pas devenu définitif, il n'est considéré que comme acte de poursuite. Pour le surplus, je ne puis qu'applaudir à la pensée qui a dicté le projet de loi.

MjCµ. - Messieurs, l'observation qu'a présentée l'honorable M. Lelièvre ne me paraît pas tout à fait juste.

Le droit de grâce est intervenu à l'égard des condamnés. Mais à l'égard de ceux qui n'ont pas encore été poursuivis ou qui sont simplement poursuivis, le droit de grâce ne pouvait s'exercer. Il n'y avait d'autre moyen de leur permettre de rentrer sans déshonneur dans les rangs de l'armée, que d'accorder l'amnistie.

La distinction s'explique donc parfaitement. On a fait, à l'égard des condamnés, ce qu'on devait en leur accordant leur grâce ; il fallait nécessairement aller plus loin à l'égard de ceux qui n'étaient pas poursuivis.

Je répondrai à une seconde observation de l'honorable M. Lelièvre.

Il va de soi que les poursuites commencées tomberont en vertu de la loi d'amnistie que nous avons l'honneur de présenter.

(page 65) Lorsque les jugements ne seront pas passés en force de chose jugée, les individus atteints par ces jugements seront considérés comme simplement poursuivis et profiteront de la loi qui est soumise à vos délibérations.

J'espère que ces explications satisferont l'honorable M. Lelièvre, qui votera certainement la loi telle qu'elle est présentée.

M. Dumortierµ. - Je voterai certainement la loi qui vous est présentée, mais il est une chose qui n'a pas été prévue et qui ne pouvait guère l'être. Plusieurs personnes en Belgique n'ont pas tiré au sort pour la milice par des circonstances indépendantes de leur volonté, soit parce qu'elles se trouvaient à l'étranger, soit par d'autres motifs. J'ai eu occasion de voir, ces jours derniers, des personnes qui désiraient rentrer en Belgique et être exemptes de toute espèce d'embarras à l'avenir.

En plusieurs circonstances, j'ai vu le gouvernement accorder un tirage supplémentaire en pareil état de choses, et j'engagerai M. le ministre de l'intérieur que la chose concerne, à user de bienveillance et à ordonner, comme on le fait souvent, un tirage supplémentaire pour ce cas-là. Dès lors, il n'y aurait pas de disposition ultérieure à porter dans la loi.

M. Mullerµ. - Je dois faire remarquer que les tirages supplémentaires sont astreints à des conditions fixées par la loi, et qu'il ne peut appartenir au gouvernement de changer ces conditions, de prescrire ou de permettre des tirages supplémentaires qui portent naturellement atteinte à certaines classes de milice. Sous ce rapport, s'il y avait une mesure à prendre envers ceux que l'on désigne sous le nom de réfractaires, il faudrait la prendre par une loi spéciale, sans préjudice pour autrui, comme nous procédons actuellement.

M. Dumortierµ. - Je n'entends pas engager le gouvernement à enfreindre les dispositions de la loi, mais je suppose une personne qui était absente au moment du tirage au sort et qui est aujourd'hui âgée de 18 ans. Allez-vous la faire tirer au sort et lui faire faire dix années de service ? Cela ne me paraît pas possible. Il faut un tempérament quelconque. C'est la seule chose que j'ai voulu signaler à" l'assemblée. Je ne doute pas que le gouvernement usera de tous les moyens de modération possible pour rendre cette situation tolérable.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Muller est mis aux voix et adopté.

L'article, ainsi amendé, est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Second vote et vote sur l’ensemble

La Chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.

L'amendement de M. Muller est mis aux voix et définitivement adopté.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 96 membres présents.

Ont pris part au vote :

MM. Liénart, Mascart, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Orts, Pety de Thozée, Pirmez, Rembry, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thienpont, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Anspach. Balisaux, Bara, Beeckman, Bergé, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Braconier, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baels, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smet, Dethuin, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, JaCobs, Jamar, Janssens, Jottrand, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre Lescarts et Vilain XIIII.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de l’intérieur, pour amélioration de l’armement de la garde civique

Discussion générale

M. Eliasµ. - Messieurs, je désirerais adresser au gouvernement deux questions relativement au modèle de fusil adopté pour la garde civique. Le rapport de la section centrale dit qu'il a été adopté de concert avec le département de la guerre. Sera-t-il conforme au modèle adopté pour l'armée ?

Les munitions confectionnées pour le fusil actuel, l'albini, pourront-elles servir pour le nouveau modèle de fusil de la garde civique ?

M. Bergéµ. - Messieurs, je suis très disposé à voter le crédit qui est demandé ; mais cependant je dois présenter quelques observations.

En fait, je trouve ce crédit tout à fait insuffisant.

6,000 à 7,000 fusils pour armer la garde civique du royaume, soit un effectif de 29,000 à 30,000 hommes, c'est de beaucoup insuffisant.

Il est vrai que le gouvernement répond que le temps lui à fait défaut. Mais le gouvernement pouvait, s'il le voulait, prendre en temps utile les mesures nécessaires et commander, sous sa responsabilité, les fusils puisqu'il a pris des mesures, sous sa responsabilité, en ce qui concerne l'armée.

Le temps ne devait pas faire défaut pour la confection des fusils, car l'industrie liégeoise, à raison des événements politiques extérieurs, se trouve gênée.

L'exportation des armes de guerre ne pouvant se faire, c'était une excellente occasion d'occuper l'industrie liégeoise à la confection d'armes destinées à nos gardes civiques.

En thèse générale, je me permettrai encore une observation. C'est que notre garde civique ne présente pas l'effectif suffisant.

29,000 hommes d'effectif et encore 29,000 hommes sur le papier, ce n'est pas là la force que pourraient donner les villes où la garde civique est organisée.

Dans quelques villes, la garde civique fait complètement défaut ; elle n'y existe que sur les registres et l'on pourrait, en l'appelant à l'activité, obtenir quelque chose comme 200,000 hommes.

C'est ce qui a décidé différentes sections à demander que la garde civique soit organisée dans tout le pays et pourvue des armes les plus perfectionnées.

Je sais bien que le ministère a objecté qu'il n'est pas responsable de l'inactivité de ses prédécesseurs.

Mais je lui répondrai que les circonstances ont été tellement favorables à une transformation de la garde civique et de son armement que le gouvernement devait s'imposer comme un devoir de saisir immédiatement cette occasion.

Réorganiser une pareille institution peut être impopulaire dans certaines circonstances, alors que la garde civique ne sert qu'à maintenir l'ordre intérieur.

En présence des événements extérieurs, de notre frontière menacée, de notre indépendance en péril, le gouvernement devait s'occuper immédiatement de cette organisation.

Un exemple en a été donné en 1848. Le ministère d'alors se trouvait dans une position difficile. Qu'a-t-il fait ? Il s'est immédiatement, occupé de l'organisation, dans une certaine mesuré, de notre milice nationale, et la loi sur la garde civique, vous le savez tous, a été votée peu de temps après la révolution de février 1848.

Le gouvernement actuel devait profiter des circonstances pour faire preuve de virilité et organiser immédiatement cette branche importante de la défense nationale.

En terminant, je prierai l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir bien donner à la Chambre des explications sur l'arme adoptée pour l'armement de la garde civique ; s'il s'agit du fusil Comblain, du fusil en bronze phosphoreux, dont on a dit tant de bien dans ces derniers temps.

MiKdLµ. - J'ai, messieurs, à m'expliquer sur une question spéciale et sur une question générale : sur l’arme destinée à l'armement de la garde civique et sur la mesure elle-même.

Je répondrai d'abord quelques mots sur le premier point.

L'arme adoptée de concert avec le département de la guerre est la carabine Comblain, et ici je suis heureux de rendre hommage à un modeste ouvrier liégeois, qui s'est signalé par une invention importante.

A ce titre, nous nous félicitons d'avoir pu préférer cette arme à toutes les autres.

Quant à l'arme elle-même, elle permettra d'utiliser les munitions qui servent à l'armée.

Voici, messieurs, les principaux avantages qu'elle présente : L'appareil est aisé à entretenir ; il n'a pas de saillies qui donnent lieu à des accidents fréquents pendant la guerre ; la rapidité du tir est si grande qu'elle égale celle du revolver.

Cette arme peut servir en campagne sans que les chocs violents, l'humidité, la pluie en compromettent l'usage ; enfin, elle présente une grande facilité pour le démontage et le remontage.

Je crois que l'honorable M. Berge désire également savoir quel est le métal qui servira à la confection du mécanisme. Ce sera le bronze phosphoreux, ce qui permettra de fabriquer complètement l'arme en Belgique sans devoir recourir à des ateliers étrangers.

(page 66) Je crois avoir répondu à tout ce qu'on m'a demandé sur l'arme elle-même.

En ce qui concerne le chiffre restreint du crédit que nous demandons à la Chambre de consacrer à cet armement, je dois quelques nouvelles explications.

L'honorable M. Bergé se trompe s'il croit que la fabrication de cette arme peut se faire avec une excessive rapidité, même dans la situation où se trouve aujourd'hui l'industrie liégeoise. Les fabricants sont unanimes à déclarer qu'il faut trois mois pour présenter un certain nombre d'armes, et que ce n'est qu'au bout de cinq ou six mois qu'une quantité considérable pourrait être fournie par l'industrie liégeoise.

Cela tient, je pense, à certains travaux de préparation qu'il faut organiser pour une fabrication établie dans une large proportion.

Je reconnais volontiers qu'après de trop longs ajournements, des motifs sérieux nous prescrivent d'armer sur une large échelle la garde civique et de porter une loi organisatrice du premier ban. Mais il ne faut pas perdre de vue que nous avons pris l'engagement de ne soumettre en ce moment à la Chambre que des questions offrant un incontestable caractère d'urgence, et nous ne saurions oublier que la loi qui organisera le premier ban, loi intimement liée à la question de l'armement de la garde civique, exigera un examen sérieux, une délibération approfondie, qui semblent difficiles dans cette session.

Nous sommes, du reste, résolus, lorsque la session ordinaire s'ouvrira, à déposer sur le bureau de la Chambre un projet sur l'organisation du premier ban. C'est alors que nous pourrons connaître d'une manière exacte quel nombre d'armes sera nécessaire. En ce moment, nous nous trouvons en présence de corps spéciaux qui se composent d'environ 3,000 hommes, et la garde civique n'est organisée d'une manière sérieuse que dans un petit nombre de villes.

Les commandes déjà faites à l'industrie liégeoise, celles que nous ne tarderons pas à lui adresser, ont pour but d'armer les corps spéciaux et une partie des légions des grandes villes de la carabine Comblain ; et déjà, grâce au concours du département de la guerre, nous ayons pu remettre provisoirement aux corps spéciaux des fusils Albini.

J'ajouterai que si, par voie d'amendement, on croyait devoir élever le crédit sollicité par mon département, je n'y verrais point d'obstacle pourvu qu'on le fît dans une sage mesure.

Je persiste toutefois à faire remarquer que la loi d'organisation du premier ban peut exercer sur cette question une influence considérable, et il y a peut-être un motif de prudence à ne pas hâter l'armement.

Il est vrai que l'industrie liégeoise souffre actuellement et que toute mesure qui permettrait de lui donner du travail, serait une excellente mesure. Mais il ne faut pas oublier, d'un autre côté, que nous voyons sans cesse se produire de nouvelles inventions, de nouveaux perfectionnements, et il est peut-être sage de ne pas se décider aujourd'hui, dans des proportions trop considérables, à arrêter définitivement un modèle qui demain pourra être amélioré par des perfectionnements ultérieurs.

J'abandonne, du reste, à la Chambre la question du chiffre. Comme je le disais tout à l'heure, si la Chambre croyait devoir l'étendre dans une certaine limite, le gouvernement ne s'y opposerait pas ; mais il pense que, dans l'état actuel des choses, le crédit que. nous sollicitons permettra de pourvoir aux besoins les plus urgents et qu'il n'y a aucun inconvénient à attendre la session ordinaire pour saisir la législature de la demande d'un nouveau crédit.

M. Balisauxµ. - Il résulte des explications fournies par M. le ministre de l'intérieur à la section centrale, et qu'il vient de commenter à nouveau, que le crédit de 500,000 francs sollicité de la Législature pour compléter l'armement de la garde civique n'est qu'un premier crédit qui sera suivi d'autres demandes dont la Chambre sera ultérieurement saisie pour armer la garde civique dans des conditions aussi favorables que celles où se trouve l'armée.

Je ne puis qu'applaudir à cette demande et je crois que le pays tout entier y applaudira comme nous.

En effet si nous voulons avoir une garde civique sérieuse, armons-la sérieusement, de manière à lui permettre d'accomplir sa mission quand elle en sera requise.

Je suis convaincu que si la garde civique était appelée à remplir un devoir sérieux, si elle était mobilisée et appelée à défendre notre indépendance et notre nationalité, elle s'en acquitterait avec zèle, dévouement et courage. Mais je ne crois pas que ce soit là le principal but de son institution. Je crois que le but principal de la garde civique est, dans le cas où l'armée ont appelée à remplir un devoir plus impérieux ailleurs que dans les garnisons, de maintenir l'ordre intérieur et d'être prête à prévenir les désordres qui peuvent se produire.

Ce qui le prouve, messieurs, c'est que la garde civique a été organisée et armée dans les localités populeuses, dans les villes surtout, c'est-à-dire dans les centres de population où des troubles et du désordre sont plus susceptibles de se présenter.

Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, la ville de Charleroi, qui se trouve au milieu de grands centres industriels, a une garde civique et Charleroi compte sur le courage et le dévouement de sa garde civique en cas de troubles. Mais à côté de Charleroi se trouvent des localités très importantes, plus importantes qu'un grand nombre de villes.

Nous avons notamment les villages de Jumet, de Gilly, qui comptent 18,000 à 20,000 âmes ; ces villages contiennent une grande partie de la fortune industrielle, de la richesse de la Belgique et, dans les cas de troubles, dans les cas d'émeutes, ce sont surtout ces fortunes qui sont compromises et elles sont cependant indispensables, avant tout, à l'alimentation de la classe ouvrière. Or, ces villages de 18,000 à 20,000 âmes n'ont pas de garde civique organisée, armée.

Eh bien, messieurs, c'est là, pour moi, qu'est le danger : à chaque instant, nos propriétés industrielles peuvent être compromises et avec elles l'avenir d'une quantité considérable de familles qui en dépendent exclusivement.

Voici donc, messieurs, le motif pour lequel j'ai pris la parole. Je désire savoir de M. le ministre de l'intérieur s'il n'entrerait pas dans les dispositions du gouvernement, après avoir consulté, bien entendu, les administrations communales, d'organiser et d'armer la garde civique dans des localités de l'importance de celles que j'ai citées, localités qu'on ne qualifie pas du nom de villes uniquement à cause de leur position ; mais qui, en réalité, sont plus importantes qu'un grand nombre de localités dotées du nom de villes.

Je le répète, messieurs, c'est dans l'absence d'une garde civique dans ces localités qu'est le véritable danger.

Dernièrement, les troupes en garnison à Charleroi furent appelées ailleurs par ordre du département de la guerre. Eh bien, la ville de Charleroi trembla, non pas pour elle, mais pour les villages voisins, dépourvus de tous moyens de défense.

Or, je ne pense pas qu'il soit possible, ni surtout efficace de mobiliser la garde civique de Charleroi pour maintenir l'ordre dans les communes voisines.

J'appelle donc tout particulièrement l'attention du gouvernement et spécialement du ministre de l'intérieur sur cette question que je considère comme très sérieuse et très importante.

MiKdLµ. - Je prends bien volontiers l'engagement de tenir en très sérieuse considération les excellentes observations présentées par l'honorable M. Balisaux.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

Il est procédé à la discussion des articles.

« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit extraordinaire et spécial de cinq cent mille francs (fr. 500,000), pour améliorer l'armement de la garde civique. »

- Adopté.


« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen des ressources ordinaires. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

96 membres y prennent part.

Tous répondent oui.

Ont pris part au vote :

MM. Liénart, Mascart, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Orts, Pety de Thozée, Pirmez, Rembry, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Anspach, Balisaux, Bara, Beeckman, Berge, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Braconier, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baets, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Macar, Demeur, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux, Dethuin, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Jamar, Janssens, Jottrand, Kervyn de Lettenhove, (page 67) Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulleu, Lelièvre, Lescarts et Vilain XIIII.

En conséquence, le projet de loi est adopté à l'unanimité.

Il sera transmis au Sénat.

Projet de loi allouant un crédit extraordinaire de 15,220,000 francs au budget du ministère de la guerre

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je suis venu ici avec l'intention bien arrêtée de voter les mesures que le gouvernement a cru devoir adopter dans les circonstances difficiles où se trouve le pays eu égard aux événements extérieurs.

Si le gouvernement avait proposé la discussion de ces mesures avant d'en avoir pris lui-même l'initiative, j'aurais cru de mon devoir de les discuter, d'apporter mon faible contingent de lumières et d'y proposer les changements, les modifications ou les extensions qui m'auraient paru utiles.

Mais, dans la situation actuelle, alors que les mesures sont en voie d'exécution, il me semble qu'il serait puéril, en quelque sorte, de discuter ce qu'on ne peut pas changer et que nous viendrions, en agissant de la sorte, contrairement à notre intention, affaiblir le gouvernement dans un moment où il a besoin de toutes ses forces.

Ce que je veux apporter aujourd'hui, c'est le concours qui lui est nécessaire ; ce concours, qui puisse montrer à l'étranger que, lorsque le pays est en péril, l'opposition sait faire taire ses griefs, même les plus légitimes, et qu'elle sait marcher d'accord avec le gouvernement pour atteindre le but commun.

Et, à ce propos, je regrette, messieurs, que la nouvelle majorité, en s'asseyant sur ces bancs, ne nous ait pas donné tout d'abord l'exemple de cette modération, et qu'elle nous ait obligés, ou au moins quelques-uns de nos amis, de faire des réserves quant à leur liberté, à leur indépendance. Malgré cela, je persiste dans la résolution que j'ai indiquée en commençant, à la condition de conserver toute ma liberté d'opinion et surtout ma liberté de contrôle et d'appréciation quant à l'usage qui sera fait des moyens qui viennent d'être mis à la disposition du gouvernement, et sous ce rapport, je demande que lorsque les circonstances le permettront, lorsque les événements extérieurs seront dégagés, un rapport complet et détaillé nous soit présenté par le gouvernement sur toutes les mesures qu'il a déjà prises et sur celles qu'il devra prendre encore, en vertu des votes que nous allons émettre.

Mais, messieurs, si nous ne discutons pas les mesures qui nous sont proposées, il me sera permis, je l'espère, de présenter quelques observations pour sauvegarder au moins l'avenir.

J'ai combattu énergiquement la réorganisation de l'armée ; j'ai voté contre cette réorganisation ; je m'en félicite aujourd'hui et je m'en félicite hautement.

Les désastres imprévus qui ont atteint l'armée qui a servi de modèle à la réorganisation de la nôtre justifient les paroles que je viens d'émettre, et j'espère que dans les mesures que le gouvernement va être appelé à prendre en vertu des lois dont il nous demande le vote, il ne fera rien qui puisse nous empêcher d'arriver à une réorganisation nouvelle de notre armée, meilleure, plus économique en temps de paix et plus efficace en temps de guerre.

Je le dis par rapport au personnel ; je le dis également par rapport aux fortifications et au matériel.

Quant à la loi spéciale qui nous est soumise, et que nous sommes appelés à voter en ce moment, je présenterai une observation également d'avenir.

Les 15 à 20 millions qui nous sont demandés seront nécessairement produits et payés par le pays dans la proportion des impôts qu'il supporte. Chaque classe de la population y apportera son contingent et dans le système d'impôt auquel la Belgique est soumise, vous le savez, la grosse partie incombe aux classes laborieuses.

M. Frère-Orbanµ. - Mais non.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Quand le moment viendra, j'ai les chiffres administratifs et je ferai la part de chacun. Ce n'est pas le moment.

- Un membre. - Vous l'avez fait dix fois.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je le ferai une onzième fois, si c'est nécessaire.

Je dis donc au gouvernement ; S'il fait peser ces charges immédiatement sur le pays, il rencontrera de fraudes difficultés, Car nous sommes, par suite des circonstances, à la veille de voir les classes laborieuses sans travail.

Elles auront de grandes difficultés à vivre dans les mois qui vont suivre. L'industrie est arrêtée ; le commerce le sera bientôt. L'agriculture est chargée actuellement de logements militaires et les provisions s'en vont rapidement.

Je convie donc le gouvernement à être ménager, économe, parcimonieux même des deniers provenant en grande partie des classes laborieuses ; je le convie à arrêter les dépenses aussitôt et aussi vite que cela lui sera possible.

Messieurs, je pourrais m'arrêter ici. Je pourrais répéter les premiers mots de mon discours : je voterai les mesures qui nous sont proposées.

Cependant permettez-moi, puisque j'ai la parole, de former un vœu : c'est que la raison humaine, si fortement troublée dans les circonstances où nous nous trouvons, reprenne bientôt son empire, que nous voyions cesser ces boucheries humaines qui n'apportent aucun élément de solution aux questions qui sont posées. J'espère que l'opinion publique de l'Europe fera tous ses efforts pour arrêter l'effusion du sang. Si nous pouvons y contribuer, contribuons-y de toutes nos forces.

Je voterai donc les mesures qui nous sont proposées.

- M. de Naeyer remplace M. Vilain XIIII au fauteuil de la présidence.

M. Pirmezµ. - Messieurs, le gouvernement nous présente un projet de loi qui est surtout un bill d'indemnité. Je suis disposé à le lui accorder.

S'il faut respecter les formes de la légalité, quand le respect en est compatible avec l'intérêt du pays, il faut aussi reconnaître qu'il est des circonstances où, sous peine de compromettre même l'indépendance nationale, le gouvernement est obligé de prendre des mesures qui n'ont pas reçu la consécration préalable de la Législature.

Ce n'est pas la première fois qu'un pareil cas se présente. Il y a trois ans lorsqu'un incident relatif au Luxembourg nous a apporté de sérieuses menaces de guerre, le gouvernement d'alors dut prendre des mesures du genre de celles qu'on nous demande aujourd'hui d'approuver. Il y aurait inconséquence de notre part à ne pas accorder au gouvernement ce que nous demandions alors ; mais je dois faire remarquer que M. le ministre des finances, qui sollicite aujourd'hui un bill d'indemnité, refusait de l'accorder au ministère précédent pour un cas identique.

Je fais cette remarque pour constater la différence entre notre opposition et celle qui nous a été faite. Celle-ci ne s'est pas même abaissée devant les nécessités de la défense nationale, la nôtre s'inclinera toujours devant ce que réclamera le maintien de notre indépendance. (Interruption.)

- Un membre. - Quel est le nombre des membres qui ont refusé leur vote ?

M. Pirmezµ. - L'honorable M. de Theux pourrait consulter les Annales parlementaires.

Je me borne à faire observer que M. le ministre qui a contresigné le projet que nous discutons, refusait de voter un projet semblable sous le ministère précédent.

Le vote approbatif que nous demande le gouvernement ne nous coûte pas. Le projet en discussion est la consécration la plus éclatante de la politique suivie par le gouvernement libéral pendant tout le temps qu'il a été aux affaires. Nous pouvons aujourd'hui démontrer quelles sont les conséquences de cette politique.

Les forces que le pays peut déployer et que cette politique-là a conservées lui assurent aujourd'hui les bienfaits de la paix et de nouvelles garanties de son indépendance.

Il est certain que si l'on avait désarmé le pays comme le demandait une grande partie de l'ancienne opposition nous eussions couru les plus graves dangers de voir notre pays envahi par la tempête, de combats qui sévit à notre frontière.

Il est certain que nous n'aurions pas obtenu cette nouvelle consécration de notre indépendance qui nous a été donnée par les traités signés entre l'Angleterre d'une part et la France et la Prusse de l'autre.

Si l'Angleterre ne nous avait pas trouvés en état de sérieuse défense, si elle n'avait vu un noyau de forte résistance auquel ses forces pouvaient s'adjoindre, elle n'aurait pas pris l'engagement que nous avons été si heureux de voir contracter par cette ancienne et fidèle amie de la Belgique.

Voilà les fruits des mesures qui ont été tant et si souvent combattues ici voilà ce que nous n'aurions pas obtenus si nous avions cédé à ces entraînements qui étaient provoqués par une grande partie de la majorité d'aujourd'hui.

(page 68) Mais, messieurs, si nous donnons notre concours au gouvernement dans les circonstances actuelles, nous avons le droit et le devoir de lui demander de ne pas laisser subsister les déclarations que des membres du cabinet ont faites et qui sont de nature à affaiblir les mesures qu'il nous demande de voter.

Je dois le reconnaître : une partie de ces déclarations compromettantes a été retirée. Il y a des rétractations dont je n'ai qu'à prendre acte : mais il est des points sur lesquels il est de l'intérêt du pays de demander des rétractations qui ne se sont pas encore produites.

Vous vous rappelez, messieurs, la discussion qui s'est élevée sur la nature de la neutralité de la Belgique.

Lorsque, il y a deux ans, au commencement de l'année 1868, on discuta la nouvelle organisation militaire, l'honorable M. Kervyn prétendit que nous ne courions pas de risques à n'avoir pas notre neutralité armée ; il soutint que, jamais, nous ne pourrions être invités par les puissances voisines à défendre nous-mêmes notre neutralité.

Vous avez encore tous présents à la mémoire la discussion qui eut lieu alors entre l'honorable M. Thonissen et l'honorable M. Kervyn ; discussion historique, du reste, mais dont les conséquences étaient, selon l'un, qu'on pouvait nous demander de défendre notre neutralité, ainsi que cela avait eu lieu en 1840, et, selon l'autre, que nous ne pouvions avoir à écouter de pareilles demandes.

MiKdLµ. - Qui a dit cela ?

M. Pirmezµ. - Vous ne vous rappelez donc pas, M. Kervyn, que vous avez écrit à Paris pour avoir une lettre de M. Thiers, lettre que vous avez lue ?

MiKdLµ. - C'est du passé.

M. Pirmezµ. - Mais pourquoi invoquez-vous le passé dans une assemblée si ce n'est pour en tirer une leçon pour l'avenir ?

Quand vous remontiez à 1840, c'était pour indiquer la situation de notre neutralité et pour nous instruire sur nos devoirs et sur la position que nous devions prendre.

L'honorable M. Jacobs, ministre des finances, était bien plus positif. Il prétendait que nous n'avions pas de devoirs internationaux et il signalait comme une erreur dangereuse la pensée que nous pouvions avoir le devoir envers l'Europe de nous défendre.

« L'erreur que je combats, s'écriait-il dans la séance du 11 février 1868, l'erreur que je combats : ces prétendus devoirs de la Belgique envers l'Europe, cette erreur est des plus dangereuses. »

Et il terminait en disant :

« Je conclus que la Belgique n'a qu'un devoir envers l'Europe : celui de rester neutre ; et que si elle a le devoir d'armer, c'est envers elle-même, envers elle seule. »

Or, vous verrez qu'on nous a demandé si nous pouvions défendre notre indépendance et que cette question impossible pour l'honorable M. Kervyn nous à réellement été faite et vous apprécierez quel danger nous aurions couru si nous n'avions pu répondre à cette demande des puissances étrangères comme nous l'avons fait.

Vous verrez que ce que M. Jacobs signalait comme une erreur dangereuse, cette idée que nous avons des devoirs internationaux à remplir, est érigée en vérité fondamentale nécessaire au salut de l'Etat.

M. de Rossiusµ. - On adore ce que l'on a brûlé.

M. Pirmezµ. - Voici ce que porte la délibération mûrement réfléchie, prise en conseil par les cinq membres actifs du cabinet et par le membre de réserve ; elle qui nous a été lue au commencement de la session par M. le ministre des affaires étrangères :

« Peu après le début des événements qui ont amené la guerre, le ministre des affaires étrangères de France a demandé à notre représentant a Paris si nous avions la volonté et le pouvoir de défendre notre neutralité.

« Le ministre du Roi répondit que non seulement la Belgique garderait une stricte neutralité, mais qu'elle se trouvait en mesure de la protéger efficacement et qu'elle ne faillirait pas à son devoir. »

« Cette demande (remarquez ce point) et cette affirmation ont précédé les déclarations qui nous ont été données. »

Ainsi, avant de donner la déclaration de respect de notre neutralité, on nous a précisément demandé si nous pouvions la défendre.

« Que serait-il arrivé si nous avions dû répondre non ? »

Je continue la lecture de ce document ministériel :

« Si les autres gouvernements ne nous ont pas fait catégoriquement la même demande, ils ont hautement approuvé les mesures que nous avons prises, ils les ont considérées comme l’exécution loyale et nécessaire de nos obligations internationales. »

Où est cette erreur, combattue comme dangereuse, de l'existence des obligations internationales.

« Nous n'aurions pas été mis en demeure (nous avions donc été mis en demeure, comme le prévoyait M. Thonissen contre M. Kervyn), nous n'aurions pas été mis en demeure, que nous devions aux puissances garantes de notre indépendance et de notre neutralité de faire ce que nous avons fait. Comment réclamer d'elles, le cas échéant, l'exécution de cette garantie, si nous désertions nous-mêmes le soin de notre propre défense ?

« Les Pays-Bas, la Suisse, neutres par les traités ou par leur volonté, se sont promptement mis en garde contre toutes les éventualités. Pouvions-nous rester en arrière de tels exemples ?

« La Belgique, plus voisine du théâtre des hostilités, pouvait encourir de plus immédiates responsabilités. Nous avons donc sans hésitation, sans délai, et dans toute l'étendue que commandaient les circonstances, pris toutes les mesures qu'on pouvait attendre d'une nation attentive à ses obligations, déterminée à soutenir ses droits et soucieuse, par-dessus tout, de son honneur. Si nous avons engagé notre responsabilité, nous croyons l'avoir mise au service des intérêts les plus chers du pays. »

Ainsi, messieurs, toutes ces théories qu'on vous a si longuement exposées il y a deux ans n'existent plus ! Ceux qui les ont soutenues les ont condamnées, ils proclament qu'elles sont contraires aux plus chers intérêts du pays.

M. Coomansµ. - Pas du tout.

M. Pirmezµ. - Mais, messieurs, si nous avons sur ce point toute satisfaction et si nous n'avons pas à redouter de voir le gouvernement compromettre le pays en ressuscitant les idées qu'il a lui-même solennellement enterrées, il est d'autres points sur lesquels nous devons avoir la certitude que le gouvernement fera son devoir en répudiant tout ce que ses membres ont pu dire antérieurement.

Je veux parler de la situation de l'armée telle qu'elle existe aujourd'hui avec les mesures militaires qui ont été prises.

Tout le monde sait, je crois, que l'armée a été divisée en deux corps ; l'un qui est à Anvers, l'autre qui constitue l'armée de campagne et qui se trouve surtout dans les provinces méridionales du pays.

Nous avons donc une armée destinée à défendre la place d'Anvers et une armée de campagne ; voilà la mesure que le gouvernement a cru devoir prendre.

Cette mesure, je ne la discute point, c'est sans doute la meilleure que l'art militaire a pu conseiller. Mais comme je vois que votre armée de campagne compte au moins 50,000 hommes, je dois demander au gouvernement si tous ses membres sont d'accord que cette armée est utile et nécessaire.

Il ne faut pas qu'il y ait doute à cet égard.

Or, ce doute naît forcément de ce que M. le ministre des finances disait à l'égard de l'armée de campagne il y a deux ans.

« Aujourd'hui comme autrefois, disait-il, votre armée de campagne sera donc un mythe, pour ne pas dire une mystification, et si j'avais un nom à lui donner, je dirais que, née de ces préoccupations ridicules qui veulent toujours nous représenter comme prêts à défendre la frontière envers et contre tous, elle est l'armée du respect humain. »

Eh bien, je demande aujourd'hui si les sacrifices d'argent qu'on nous demande, si les sacrifices de services militaires qu'on s'impose sont destinés à une mystification, s'ils sont destinés à obéir à des préoccupations ridicules et à constituer une démonstration hypocrite ?

M. le ministre des finances nous disait aussi :

« Nous ne quitterons jamais Anvers que pour nous joindre à nos alliés. Nous conduisant ainsi, nous ne serions pas, comme le prétendait l'autre jour l'honorable M. de Brouckere, nous ne serions pas des lâches ; nous conduisant autrement, nous serions des fous. »

Je demande aux ministres s'ils se considèrent comme fous ? (Interruption.)

Je comprends qu'il y a un côté plaisant dans ces citations, mais ii y a aussi un côté profondément sérieux.

Nous sommes dans un moment solennel : l'indépendance du pays appelle notre attention. Je demande qu'il ne plane aucune incertitude sur ce que serait notre défense ; il faut que les membres du cabinet, qui se sont directement engagés par les opinions, viennent déclarer aujourd'hui qu'ils se sont trompés quand ils ont dit que l'armée de campagne né serait qu'une mystification ; que les préoccupations actuelles, qui se traduisent en demandes d'hommes et d'argent, sont, non pas ridicules, mais (page 69) sérieuses ; et qu'en prenant les mesures que le département de la guerre a conseillées, nous ne faisions pas acte de folie, mais acte de sagesse.

Il fait se résigner.

Pendant de nombreuses années, on a excité l'opinion publique contre le parti libéral parce qu'il maintenait l'armée. On signalait le recrutement militaire comme odieusement inutile : on montrait le gaspillage des fonds du trésor pour entretenir un esprit militaire exagéré ; on cherchait à persuader que notre armée pouvait plus nous nuire que nous servir. Aujourd’hui on représente ces mesures comme le salut du pays. Il faut que l'on nous dise si l'on était coupable alors ou si l'on est coupable aujourd’hui !

L'alternative est là, il n'y a pas de milieu ; j'ajoute que M. le ministre des finances, que j'interpelle. surtout ici, a le devoir d'être bien précis sur ce point, de nous donner des garanties, car il a singulièrement affaibli la valeur des déclarations qui concernent le département de la guerre.

Ecoutez, messieurs, comment il s'exprimait à l'égard de ce que dit le département de la guerre lorsqu'il demande un crédit :

« Présage d'avenir, disait-il ; on ne nous demande pas davantage aujourd'hui parce que le pays n'y consentirait pas !

« Qu'on me permette une comparaison un peu vulgaire : on imite les dentistes. Il n'y a d'abord qu'une dent à arracher ; mais quand la douleur est oubliée, il s'en trouve une autre à côté qui n'est guère moins gâtée et qu'il faut extirper à son tour.

« C'est Sans doute de cette manière de procéder qu'est dû l’adage peu flatteur pour les dentistes : Menteur comme un arracheur de dents. »

Ehi bien, l'honorable membre est occupé aujourd'hui à nous extirper une molaire ; il s'est fait dentiste et nous avons le droit de savoir quelle foi nous devons attacher à la déclaration qu'il fera en cette qualité. (Interruption.)

Il est une autre question, messieurs, plus grave encore, qui nous intéresse comme question internationale ; je la trouve encore dans le même discours de M. Jacobs. Il s'agit de savoir quelle serait votre attitude si une armée belligérante traversait notre territoire. Cette question est importante, car l'attitude contraire à celle que nous comprenons a été admise par l'honorable membre. Il importe donc, je pense, que nous ayons sur ce point une explication nette et catégorique.

« J'arrive, disait l'honorable M. Jacobs, au cas qu'on aime à citer... L'un des belligérants viole notre territoire, il s'en sert comme chemin, comme passage. Voici probablement le langage que ce belligérant nous tiendra :

« J'agis à mon grand regret ; je cède à des nécessites de convenance ; je succombe à d'irrésistibles tentations ; je passe par chez vous ; je n'y commettrai aucun dégât ; je n'y lèverai aucune contribution ; je n'y ferai aucune réquisition ; je ne vous traiterai pas en ennemis, si vous rester en repos ; mais si vous m'inquiétez, je vous déclare la guerre. »

« La lui déclarerons-nous ? Je n'en suis pas persuadé et il ne le sera pas davantage.

« J'en trouve la preuve dans la manière d'agir de la France en 1840, si le fait qu'on a cité est exact.


« La France devait à cette époque faire face aux quatre grandes autres puissances de l'Europe.

« Lâ France croyait-elle se faire ainsi un cinquième adversaire ?

« Elle n'eh croyait rien : le gouvernement belge y regardera à deux fois avant de répondre par une déclaration de guerre à la simple violation de son territoire ; il protestera énergiquement ; mais je le répète, avant d'exposer le pays à toutes les éventualités, à tous les désastres de la guerre, le gouvernement belge y réfléchira à deux fois. »

Eh bien, je demande au gouvernement si l'on peut laisser le doute sur la question de savoir si, dans le cas où l'un des belligérants traverserait notre territoire, nous marcherions contre lui avec l'Angleterre qui se trouverait dans le casus belli prévu par le traité qui vient d'être signé.

Je ne comprends pas et ne puis concevoir que l'on dise que la Belgique resterait immobile si notre territoire était envahi.

Je voudrais savoir à quoi pourrait servir notre armée si ce n'est à défendre notre territoire quand il serait menacé.

Tels sont les points sur lesquels je crois que des explications sont une impérieuse nécessité.

Je veux maintenant jeter un coup d'œil sur notre situation intérieure, précisément à l'égard de la question militaire soulevée par le projet de loi qui nous est soumis.

Je dois dire que si le temps pressait, s'il y avait urgence à agir, je me tairais ; je prêterais au gouvernement mon concours silencieux, complet et entier ; ce n'est pas dans un moment où il y aurait danger à prolonger les débats que je prendrais la parole ; mais, aujourd'hui, rien ne presse : nous avons le temps, et, puisque le gouvernement a cru pouvoir agiter le pays pendant trois semaines sans faire une dissolution, on ne pourra me faire un reproche de présenter quelques observations sur notre situation intérieure, en bornant, cependant, mes observations à la question militaire.

Je parlerai, sans avoir égard à cette déclaration de politique d'union, de conciliation, d'apaisement dont on nous a parlé.

J'avoue que je n'ai jamais vu, jamais conçu un mépris plus complet du bon sens public que ces déclarations qui nous ont été faites par le gouvernement de politique d'union, de conciliation et d'apaisement, au moment où il dissout non seulement la Chambre des représentants, ce qui pouvait être nécessaire, mais encore le Sénat, pour lequel une semblable mesure n'était pas commandée.

Vous parlez de cette politique d'union, de conciliation et d'apaisement et, pendant que vous en parlez, vous organisez, dans tous les arrondissements du pays, une lutte pour renverser vos adversaires parlementaires.

M. Delaetµ. - Vous conseillez une politique d'abdication.

M. Pirmezµ. - Non, M. Delaet.

M. Dumortierµ. - Ces messieurs veulent une politique de leurs satisfactions. (Interruption.)

M. Pirmezµ. - M. Delaet, vous n'avez pas compris ce que j'ai dit.

Je ne blâme pas la lutte entre les partis, je ne blâme pas la guerre que l'on fait à ses adversaires, ce que je blâme et que j'attaque, ce que j'appelle le mépris du bon sens public, c'est que quand on organise le combat le plus acharné, on se donne comme faisant de la politique d'union, de conciliation et d'apaisement.

Faites la guerre, mais ne l'appelez pas la paix ; soyez francs. Voilà ce que je demande.

La paix que vous poursuivez, c'est l'expulsion de tous vos adversaires ; vous l'auriez si vous pouviez avoir nos bancs déserts. Vous commettez le même abus de mots que ces guerriers dont Tacite disait : Obi solitudinem faciunt pacem appellant.

On a parfois étrangement abusé de ce mot de paix.

Quand un homme gênait, que faisait-on ? On l'emmurait, on le mettait dans un in-pace. (Interruption.) C'était un très beau nom pour une affreuse chose, mais c'était un moyen d'apaisement.

Les paroles doucereuses qui s'attachent à des actes de lutte ne font que l'envenimer.

M. Coomansµ. - C'est le corps électoral qui a été violent.

M. Pirmezµ. - Le corps électoral était excité par vous et par vos amis. (Interruption.) Voilà trente ans que vous attaquez vos adversaires.

M. Coomansµ. - Trente-sept ans.

M. Pirmezµ. - Au moins vous reconnaissez que vous luttez, c'est ce que je demande.

Mais ce que je ne saurais approuver, c'est que vos amis présentent leurs attaques comme des mesures d'union !

Vous parlez du corps électoral, mais vous oubliez donc que vous avez déclaré que le corps électoral était pourri ? (Interruption.)

M. Coomansµ. - C'est encore mon opinion ; d'ailleurs vous auriez été bien plus battus avec le suffrage universel.

M. Pirmezµ. - On me fait remarquer qu'en faisant un compliment à M. Coomans sur ce qu'il n'appelait pas la guerre la paix, je me suis trompé, car son journal s'appelle la Paix et c'est celui qui nous fait la guerre la plus vive !

J'aborde donc la discussion de notre position politique intérieure au point de vue de l'armée, sans égard à ces déclarations de paix qui ne résistent pas à un souffle.

Nos dernières sessions ont été en grande partie occupées par les questions qui touchent à notre situation militaire.

La question de la réduction du budget de la guerre et de la suppression de la conscription et toutes les questions qui se rattachent à l'armée ont occupé de très longues séances de la Chambre.

Sur ces questions et sur d'autres encore, il y a eu, dans la droite, une profonde division : la droite était divisée en deux camps.

Cette division, messieurs, me paraît assez analogue à celle qu'on signalait jadis dans l'Eglise d'Angleterre, où l'on reconnaissait la haute Eglise et la basse Eglise. Ici nous avons la haute droite et la basse droite.

(page 70) Dans la haute droite, nous comptons tous les vétérans du parti catholique.

Tous ont défendu notre établissement militaire. C'est ainsi que l'honorable M. de Theux a, sauf certaines concessions faites à la basse droite, et qui étaient commandées)un peu par sa position de chef de tout le corps, a toujours maintenu notre établissement militaire. L'honorable M. Dumortier l'a défendu avec une admirable éloquence et le dernier discours qu'il a prononcé à cet égard dans cette Chambre est certainement une des plus belles productions de son talent reconnu.

M. Wasseigeµ. - Timeo Dandos et dona ferentes, ami Dumorlier.

M. Pirmezµ. - Je ne fais aucune espèce de cadeau.

M. Van Overloop a défendu cet établissement militaire non seulement ici, mais devant ses électeurs et il a déployé, dans cette occasion, un véritable courage civique. Car, qu'on le remarque bien, il y a plus de défaillances devant l'urne électorale que devant le canon de l'ennemi, et le courage civil est plus rare que le courage militaire. L'honorable membre en a montré.

Il en est de même de M. Schollaert, de M. Thonissen, et de bien d'autres membres que je n'ai pas besoin de citer.

Quand est née l'autre fraction de la droite, que j'appelle la basse droite, en prenant le terme qui se trouve consacré en Angleterre pour distinguer les deux fractions de l'Eglise...

M. Coomansµ. - Nous sommes aussi la Chambre basse.

M. Pirmezµ. - Sans doute, il y a la Chambre haute et la Chambre basse. Je fais cette observation, pour qu'on sache qu'il n'y a rien de blessant dans mes paroles.

M. Coomansµ. - Absolument rien du tout ! (Interruption.)

M. Pirmezµ. - Je vous dirai comment est né ce nouveau parti ou plutôt cette fraction du parti qui a exercé une grande influence dans les élections dernières.

Je ne puis dire que l'honorable M. Coomans en soit le fondateur ; il en a été le précurseur, mais longtemps il a été seul ; pendant plusieurs années, sa voix n'a pas eu d'écho : Vox clamans in deserto.

Ce parti date de l'invasion anversoise. C'est le jour où l'ancienne députation d'Anvers a été renversée, que la basse droite a trouvé son existence. Son fondateur, son chef, c'est M. Delaet.

Il est arrivé dans cette Chambre avec plusieurs collègues qui partageaient ses idées, qui disaient ne pas appartenir au parti catholique, mais vouloir une série de réformes, comme la suppression plus ou moins complète de l'armée et l'extension du droit de suffrage.

M. Delaet a eu le bonheur de trouver, parmi les élus qu'il amenait, un homme de talent, M. Jacobs, qui, lui, appartenait au parti catholique et a été le trait d'union entre le groupe anversois et la majorité actuelle. M. Royer de Behr et d'autres membres se sont joints à ce parti et on a trouvé, pour en présider les assemblées, un ancien ministre, le seul qui se soit joint à eux, l'honorable M. Nothomb.

Voilà quelle a été la constitution du parti qui a recruté successivement un certain nombre de voix.

Je tenais à indiquer ces deux fractions, parce que nous verrons les rôles différents qu'elles ont joués dans la constitution de la majorité et surtout dans la lutte électorale qui a précédé et suivi sa constitution.

Lorsque le cabinet s'est formé, il s'est trouvé en présence de cette grande question : Demandera-t-on une grande réduction du budget de la guerre ? Donnera-t-on satisfaction aux aspirations de la basse droite ?

Je demanderai à l'honorable général Guillaume si, en arrivant au pouvoir, il a consenti à une réduction du budget de la guerre ?

L'honorable ministre me fait un signe négatif ; je le constate avec plaisir. Du reste, c'est une déclaration surabondante, car j'étais certain, en présence de ses antécédents que l'honorable général se garderait de démentir, qu'il ne consentirait pas à une réduction du budget de la guerre.

Aussi l'honorable général, sans faire une déclaration publique, a, d'après ce qui a été rapporté de tous côtés, écrit des lettres particulières où il annonçait la résolution de ne consentir à la réduction, ni d'un homme ni d'un cheval, ni d'un canon. Il n'a pas fait de déclaration publique, mais il a fait des déclarations privées qu'on se passait et qui équivalaient à des déclarations publiques. Il n'a pas écrit de lettre circulaire, mais il a écrit de lettres circulantes.

Le ministère s'est donc constitué sans qu'on admît aucune réduction du budget de la guerre.

Voilà la situation.

Certainement M. d'Anethan ou M. Malou n'était en rien gêné par cette situation ; mais M. Jacobs, qui s'était lié au programme anversois, et M. Cornesse, élu par la coalition verviétoise antimilitariste, devaient éprouver bien des difficultés.

Il paraît que le chemin du pouvoir voit des merveilles comparables à celles du chemin de Damas.

Le ministère se constitue donc sous cette idée que l'armée ne sera réduite ni d'un homme, ni d'un cheval, ni d'un canon. Mais que faire vis-à-vis de toute cette basse droite pour laquelle, je veux bien le reconnaître, M. Jacobs n'a jamais eu d'affection bien vive, mais qu'il fallait non seulement ménager, mais faire agir pour le ministère qui avait sacrifié d'avance ses aspirations ?

Si le ministère avait admis le maintien du budget de la guerre, il fallait que la basse droite, dont le dogme fondamental était la réduction du budget, pût aller exciter les électeurs : c'est elle qui devait dire :

« On nous surcharge d'impôts, c'est l'armée qui les dévore sans profit, vous payez en pure perte, il faut nommer des députés qui diminueront les charges militaires, qui opéreront la réduction des impôts. »

Voilà ce qu'on disait au pays entier depuis des années.

Pour l'élection du 14 juin, il n'y avait pas eu de difficultés : on était dans l'opposition ; mais après la constitution du ministère qui avait répudié ces aspirations, il fallait jouer un jeu double ; il fallait employer une tactique assez semblable à celle des Prussiens qui, agissant avec deux corps d'armée, concourent par des voies différentes au même but.

La haute droite avait pris le pouvoir ; M. Kervyn, qui s'était toujours tenu dans de majestueuses nébulosités, pouvait être aussi bien considéré comme appartenant à une fraction qu'à l'autre et MM. Cornesse et Jacobs avaient jeté par-dessus bord leur bagage antimilitariste, pour s'unir à M. d'Anethan et à M. Tack.

L'autre armée devait agir sur les électeurs.

On fit une grande assemblée, appelée assemblée conservatrice, présidée par M. Nothomb. Elle a fait un programme en trois articles. Qu'y voyons-nous ?

D'abord la réforme électorale. Nous ne savons pas encore ce qu'en pense le ministère.

M. Coomansµ. - Nous le savons.

M. Pirmezµ. - Vous le savez, mais cela n'est pas très important : vous êtes souvent obligé d'abandonner vos opinions. Ainsi vous vous rappelez cette question de l'exemption des ministres des cultes du service de la milice ; vous avez provoqué la suppression de cette exemption et vous en avez voté le maintien !

M. Coomansµ. - C'est vous qui avez voté contre.

M. Pirmezµ. - Il y a peu de jours, vous avez fait un discours en faveur de l'élection de M. de Macar ; il ne s'est pas écoulé une demi-heure entre votre discours et le vote et vous avez voté contre l'admission de M. de Macar. (Interruption.)

Vous voyez donc que vous changez facilement d'opinion et vous verrez que, dans la réforme électorale, vous voterez ce que le gouvernement vous présentera, s'il vous présente quelque chose.

M. Coomansµ. - Pas du tout. L'honorable M. Pirmez est si habitué à cela, qu'il suppose que je ferai comme ses amis.

M. Pirmezµ. - Je dis donc que le gouvernement ne sait pas ce qu'il fera en matière électorale.

Le gouvernement a déclaré dans son programme qu'il allait interroger le pays sur ce qu'il voulait. Or, il était sûr de n'avoir pas de réponse.

Les élections ont amené ici, par exemple, MM. Schollaert et Coomans, profondément divisés sur cette question.

Est-ce l'élection de M. Schollaert qui donne la réponse ? Ou bien est-ce celle de M. Coomans ?

On n'en sait rien, et on n'en saura jamais rien.

Le programme veut en deuxième lieu la diminution des impôts. Mais on ne dit pas quels impôts ! Promesse banale !

Enfin, comme troisième article du programme, on a indiqué la réduction de l'armée.

Le gouvernement a-t-il fait une déclaration pour mettre les populations en garde contre les erreurs qu'on leur a fait accepter dans ces réunions ? Non.

De sorte que l'assemblée conservatrice proclamant que l'on allait réduire l'armée, elle en faisait la base de la politique qu'elle soutenait ; on faisait les élections presque partout sur cette question, et le gouvernement le laisse croire ! (Interruption.)

Vous niez la chose. Je vais vous citer seulement trois collèges électoraux où l'on a évidemment agi avec la promesse de réduction de l'armée.

A Verviers, l'union s'est faite sur la question militaire.

(page 71) MjCµ. - Pas dans l'élection du 2 août.

M. Pirmezµ. - J'arriverai tantôt a votre fait, M. Cornesse.

L'honorable M. Drion a déclaré à Charleroi que cette question avait joué un rôle fondamental.

M. Drionµ. - Pas du tout ; j'ai dit que c'était la question du genièvre qui avait été cause de l'échec des libéraux.

M. Pirmezµ. - J'ai mes preuves ; voici ce que vous avez dit à l'assemblée conservatrice.

« Quant à la réforme électorale, dont on vient de parler, elle a pesé d'un poids assez minime dans nos élections. La question des impôts y a joué un rôle beaucoup plus important. Et quant aux charges militaires, il y a unanimité pour reconnaître qu'elles sont exagérées. »

M. Coomansµ. - Cela est très vrai.

M. Pirmezµ. - Je précise bien ce que j'ai dit.

Je dis que pendant que le gouvernement acceptait le pouvoir avec cette déclaration qu'on ne réduirait l'armée ni d'un homme, ni d'un cheval, ni d'un canon, on publiait un programme où l'on donnait comme une des bases de la politique de la majorité nouvelle la réduction de l'armée.

Je dis que, dans une pareille situation, il y a un manque de sincérité et de franchise.

M. Coomansµ. - Vous réduirez vous-mêmes l'armée.

M. Pirmezµ. - Je sais bien que l'honorable M. Cornesse a écrit une lettre. Je n'avais pas l'honneur de connaître M. Cornesse.

Mais je rends hommage à son habileté ; il a été chargé de jeter le pont par lequel on ferait la retraite ; c'est par cette lettre que le passage doit se faire.

MjCµ. - Lisez-la.

M. Pirmezµ. - Je m'en ferai un véritable plaisir.

L'honorable membre a jeté un pont de la rive de l'antimilitarisme sur la rive du militarisme.

Aujourd'hui que la guerre est à nos portes, dit-il, on ne peut plus toucher à l'armée.

Je demande si jamais un membre de cette Chambre a soutenu l'armée pour le temps de paix ? Peut-on se figurer que quand on vote le budget de la guerre, c'est pour le temps de paix ? Non, c'est pour le temps de guerre, de même que lorsqu'on entretient des pompas à incendie, c'est pour les cas où le feu éclate.

Comment trouveriez-vous un homme qui, après avoir voulu faire détruire les pompas alors qu'il n'y avait pas d'incendie, se croirait lavé du reproche d'imprudence en se servant, au jour du feu, de celles que l'on a conservées malgré lui ?

MjCµ. - Il y a pompe et pompe.

M. Pirmezµ. - J'arrive à la lettre. Mais je dois faire une observation préliminaire.

La lettre de. M. le ministre de la justice est du 20 juillet.

Or, le cabinet s'est constitué le 2 juillet. Lors de la constitution du cabinet, il n'y avait pas apparence de guerre et le cabinet se constituait avec la condition de ne pas réduire l'armée ; je demande comment il se fait que ce soient les événements de la mi-juillet qui ont pu déterminer le changement de décoration consommé dès le 2 juillet ?

Sans doute, on était à la fenêtre pour regarder s'il ne passerait rien qui expliquât le changement et quand les événements de guerre se sont produits, on s'est dit : Voilà notre affaire ; nous avons notre justification, et M. Cornesse a écrit sa lettre.

Voici cette lettre adressée à M. Simonis :

« Parlerai-je maintenant des dépenses militaires ?...J'ai mis comme condition de mon entrée dans le cabinet l'examen à nouveau de notre état militaire et de toutes les réductions dont il peut être susceptible. »

Mais le général Guillaume n'avait rien accepté du tout.

« Depuis, les événements ont marché. Aujourd'hui que le canon va gronder sur nos frontières, il ne peut être question pour la Belgique de songer à affaiblir les moyens de garantir efficacement sa neutralité et de défendre son indépendance. Le patriotisme belge jetterait l'anathème à celui qui oserait mettre en avant l'idée de porter la main sur notre établissement militaire. »

Si c'est le patriotisme, le patriotisme devait bien défendre d'y porter la main avant la déclaration de la guerre. M. Cornesse continue :

« Le bien, mon cher collègue, sortira peut-être de l'excès du mal ; la tourmente passée, j'espère que le désarmement général sera la conséquence de la terrible collision dont nous allons être témoins. Mais, jusque-là, il faut s'incliner devant l'impérieuse nécessité des événements. »

Ainsi, savez-vous, messieurs de la basse droite, jusqu'à quand vous êtes renvoyés ? Ecoutez bien M. Cornesse ; vous aurez votre état militaire jusqu'au désarmement général ; vous attachez une grande importance à la chose ; pesez bien cette phrase : « Jusque-là il faut s'incliner ! »

Mais le jour où tout le monde désarmera, moi aussi je serai d'avis de désarmer en Belgique et je crois que. tout le monde sera de cet avis ; ce sera alors le grand jour de la conciliation. Mais en attendant allez-vous abandonner et toute cette basse droite et ces malheureux progressistes qui vous ont donné leur concours ? Allez-vous les laisser ainsi déçus ? (Interruption.) Si vous tenez absolument à m'interrompre, faites-le de manière que je puisse vous comprendre et non pas dans une langue que je ne comprends pas.

M. de Baetsµ. - Il serait assez juste que MM. les membres wallons connussent le flamand puisque nous, Flamands, nous devons connaître le français.

MpdeNaeyerµ. - Pas d'interruptions, messieurs !

M. Pirmezµ. - Décrétez-le ! ce sera un nouvel exemple d'apaisement à l'égard des membres wallons.

Ainsi, messieurs, voyez la situation. Elle nous prouve que MM. de la basse droite : les progressistes, les antimilitaristes, ont un excellent billet. Ils sont sûrs, de par M. Cornesse, qu'il n'y aura pas de réduction de l'armée jusqu'au désarmement général. Or, comme je ne vois pas encore d'apparence de désarmement général, je crois qu'on attendra longtemps encore la réalisation des promesses faites à une autre époque.

Quoi qu'il en soit, je constate que le nouveau gouvernement s'est rallié aux idées de l'ancien et que ce n'est pas de lui qu'on doit attendre la réalisation des espérances qu'on avait fait entrevoir autrefois.

Il résulte de ce que je viens de dire, messieurs, un grand enseignement et c'est surtout ce que je veux mettre en relief.

Il y a deux manières de faire de la politique, deux manières de s'attirer les suffrages du corps électoral.

La première, c'est de s'adresser à ses sentiments les moins nobles, de lui offrir les choses qu'on apprécie le plus immédiatement, de n'appeler que de courtes vues sur la politique.

Ou parle de réduction d'impôts en cachant l'utilité des impôts. On s'élève contre les dépenses du budget de la guerre en laissant inaperçus les résultats de la défense du pays. On s'attache, en un mot, à tout ce qui peut être cru immédiatement par la foule et on laisse de côté les considérations plus éloignées qui doivent occuper tout homme politique. C'est ainsi qu'on s'adresse aux cabaretiers pour les exciter contre l'impôt sur le.genièvre ; c'est la dernière explication du succès de Charleroi par l'honorable M. Drion. Il obtint ainsi les nombreux suffrages de ceux qui se sentent lésés par quelque mesure dont ils n'apprécient pas la portée.

Mais il est une autre manière de faire de la politique. : c'est de savoir braver l'impopularité pour maintenir des impôts nécessaires à la prospérité de la nation, pour imposer au pays les sacrifices que réclame le maintien de son indépendance et de ses libertés.

Quand on fait la première de ces politiques, on peut avoir des succès, mais ils durent peu et le ministère actuel a déjà ressenti les conséquences des moyens sur lesquels il s'est appuyé.

Il n'avait pas de quinze jours le pouvoir qu'il devait rejeter les idées que certains de ses membres avaient proclamées comme la base de leur politique.

Quand on fait la seconde des deux politiques que j'ai signalées, on est quelquefois battu, mais l'heure de la réparation sonne tôt ou tard.

L'ancienne majorité voit aujourd'hui ses adversaires lui rendre l'hommage le plus signalé : ils répudient leurs idées pour prendre les siennes comme nécessaires au salut du pays.

Un de nos amis qui n'est plus ici rappelait, à propos de la question de l'organisation militaire, ce mot d'un homme, politique de l'antiquité :. « Athéniens, disait-il, je pouvais vous plaire ou vous servir ; j'ai préféré vous déplaire plutôt que de ne pas vous servir. » .

Voilà ce qui nous est arrivé : nous avons déplu, mais du moins nous avons servi notre pays en le dotant de la situation dont il Jouit.

Abritez-vous derrière les circonstances pour expliquer votre changement de front, j'y consens.

Dites même que c'est de votre part un acte de patriotisme ; je veux bien fermer les yeux sur les dates ; mais je vous dirai : Si c'est un acte de patriotisme, ce doit être en même temps un acte de contrition, et plus le (page 72) patriotisme rend votre conversion nécessaire, plus votre contrition doit être vive.

Mais vos regrets n'empêcheront pas que cette opposition à ce que vous proclamez aujourd'hui le salut du pays n'ait privé de leurs sièges parlementaires des hommes qui les eussent conservés si leurs commettants n'avaient été trompés ; les sièges que votre parti a ainsi obtenus doivent lui peser comme du bien mal acquis.

MjFµ. - Tout plaideur malheureux a vingt-quatre heures pour maudire ses juges, mais quand le jugement bouleverse toute sa situation, ce n'est pas trop que de lui accorder trois semaines.

Il y a trois semaines que le corps électoral a remanié du tout au tout la composition de cette Chambre ; M. Pirmez était au banc des ministres où je me trouve aujourd'hui, j'étais sur les bancs de l'opposition comme il y est maintenant ; il n'est pas étonnant que ce résultat extraordinaire ait tellement agi sur son système nerveux (interruption) qu'il ait produit le discours que vous venez d'entendre.

Je me demande si ce discours est bien de circonstance et si, en présence de la situation, certainement grave, sans que je veuille l'exagérer, cette petite page d'histoire contemporaine, très humoristique, très spirituelle peut-être, est opportune.

Pour ma part, je doute que la Chambre ait accueilli le fond du discours de l'honorable membre avec autant de satisfaction que les lazzis dont il l'a émaillé...

- Un membre : C'est vous qui faisiez des lazzis.

MfJµ. - Les miens datent d'une époque où les lazzis étaient de mise plus qu'aujourd'hui.

M. Frère-Orbanµ. - Il faudrait se taire.

MfJµ. - Vous feriez mieux de le faire.

M. Frère-Orbanµ. - Eh bien, je demande la parole.

MfJµ. - M. le ministre des finances parlera. (Interruption.)

Une longue habitude servira d'excuse à mon lapsus.

Dans le discours de l'honorable M. Pirmez, c'est ma personnalité qui a occupé la plus grande place ; c'est, d'après lui, l'invasion anversoise, personnifiée en moi au banc des ministres, c'est elle qui a introduit dans le parlement les idées de désordre et d'anarchie militaire qui n'y existaient pas auparavant ; de là l'évocation de mon passé dans ses moindres détails avec sommation de le renier.

Ce n'est pas seulement lorsque des bancs de l'opposition on passe sur les bancs des ministres qu'il est aisé d'invoquer certains antécédents pour créer aux ministres des situations que l'on croit embarrassantes ; les actes d'une même carrière ministérielle ne sont pas toujours conséquents d'un bout à l'autre ; tous les anciens membres de cette assemblée se rappellent que jadis le desideratum de nos prédécesseurs était un budget de la guerre de 25 millions, tandis qu'ils nous l'ont laissé au chiffre de 36 millions. (Interruption.)

L'honorable M. Pirmez, qui me reproche de ne plus être aujourd'hui, sur certaines questions, du même avis qu'avant mon avènement au ministère, se rappellera qu'il y a peu de mois, M. Pirmez, ministre, n'a pas été de l'avis de M. Pirmez, représentant, sur une bien petite question, alors qu'il eût été bien aisé de rester conséquent : il s'agissait de soustraire à la tutelle des commissaires d'arrondissement les communes de plus de 5,000 habitants. Simple membre de la majorité, il votait pour la proposition ; arrivé au banc des ministres, il votait contre.

M. Pirmezµ. - Du tout.

MfJµ. - C'est parfaitement exact.

M. Pirmezµ. - C'est complètement inexact.

MfJµ. - Mais comme M. Pirmez est rarement en défaut et qu'il est fort adroit, il disait : Je reconnais qu'il y a là quelque chose à faire ; ayant voté pour cette proposition, il y a deux ans, et ne pouvant l'admettre aujourd'hui, je demande le renvoi à la section centrale, afin qu'elle examine, non s'il faut l'adopter, mais s'il n'y a pas, en effet, quelque chose à faire.

S'il fallait continuer l’énumération, nous en aurions long à dire pour ceux-là surtout qui ont une longue carrière parlementaire. Si vous voulez rechercher les moindres actes de notre passé pour les mettre en regard de ce que nous faisons...

M. Baraµ. - C'est une question capitale

MfJµ. - Pour ma part je ne refuse pas de répondre à la plupart des questions que M. Pirmez a bien voulu me faire.

Il m'a demandé comment je puis admettre aujourd'hui que la Belgique ait des devoirs internationaux, alors qu'il y a quelques années, je ne l'admettais pas ; comment je puis admettre que nos armements soient l'accomplissement d'un devoir, alors que je soutenais, jadis, qu'ils n'étaient que l'exécution d'un droit pour la Belgique ?

Vous voyez, messieurs, combien la question est subtile,

M. Pirmez et moi nous étions parfaitement d'accord, nous l'avons toujours été sur ce point, que la Belgique doit défendre son indépendance et sa nationalité de toutes ses forces ; mais il s'agissait de savoir pourquoi elle devait le faire !

Tandis que M. Pirmez et d'autres membres disaient : La Belgique a des devoirs à remplir vis-à-vis des puissances étrangères, je disais, moi, et cela me suffisait pour voter une défense nationale sérieuse et efficace : La. Belgique a des devoirs envers elle.

M. Pirmezµ. - Et vous votiez contre les mesures proposées.

MfJµ. - Entendons-nous. Je vous disais : Il y a deux systèmes d'armement, il y a l'armement général de la nation et il y a l'armement restreint, tel qu'il existe en Belgique, en France et dans d'autres pays, où, par la conscription, on lève une partie de la nation seulement.

Eh bien, en présence de ces deux systèmes, je défendais le premier, celui qui me paraissait le plus patriotique, celui qui existe en Prusse et en Suisse, l'armement de la nation entière ; mais j'étais d'accord avec vous, avec tous, que la Belgique devait se défendre énergiquement.

Dans l'opposition comme au pouvoir, j'ai soutenu et je soutiendrai que la Belgique doit être à même de défendre les biens qu'elle possède ; je ne faillirai point à ce devoir.

On me dit ensuite : Mais vous avez soutenu, dans la même discussion, qu'il n'y a point, dans notre organisation actuelle, d'armée de campagne, et c'est précisément pour former une armée de campagne plus nombreuse que vous demandiez l'armement général de la nation.

Messieurs, à cette époque, j'ai pris les chiffres qui m'étaient indiqués par le département de la guerre, ou plutôt par le rapport de la grande commission militaire comme étant l'effectif nécessaire à la défense d'Anvers avec ses dépendances ; j'ai soustrait ce chiffre de l'effectif général de l'armée et, en tenant compte des non-valeurs, j'ai trouvé un reliquat qui ne m'a pas paru être une armée de nature à être opposée à l'un de nos puissants voisins.

Et aujourd'hui encore, messieurs, je crois qu'avec 100,000 hommes, si nous nous trouvions en présence d'une armée française ou prussienne, nous n'aurions pas une armée de campagne sérieuse à lui opposer.

M. Coomansµ. - C'est évident.

MfJµ. - Mais la situation est bien différente en ce moment ; nous ne sommes pas en guerre, nous sommes un pays neutre qui pratique la neutralité armée. (Interruption.)

Je parlais, il y a deux ans, du cas de guerre et je disais qu'en cas de guerre contre un des deux belligérants d'aujourd'hui, nous ne pourrions mettre en campagne une armée de nature à lui être opposée.

M. Baraµ. - C'est cependant ce que vous faites aujourd'hui.

MfJµ. - Nous ne sommes en guerre avec personne. Nous n'avons pas besoin d'avoir à Anvers une force aussi considérable que celle que prévoyait la grande commission pour le cas où nous nous trouverions engagés dans une guerre ; nous n'avons pas à envoyer à la frontière une armée aussi considérable que si nous avions à lutter contre une des grandes puissances qui nous avoisinent. Je puis me contenter de moins dans la situation qui nous est faite par les événements actuels. En ce moment et dans ces conjonctures, je crois que nous sommes à même de satisfaire à toutes les nécessités de la situation ; nous avons donné cette assurance aux puissances étrangères, nous pouvons la donner au pays également.

J'ai, dit-on, prévu un autre cas : celui où une armée violerait notre territoire par son passage sans nous déclarer la guerre et sans porter en aucune façon atteinte aux biens de nos nationaux,, et j'aurais dit que, si ce cas présentait, ce serait un point sur lequel le gouvernement aurait à délibérer que celui de savoir s'il devait immédiatement déclarer la guerre à celui qui aurait ainsi violé les traités qui assurent notre neutralité. On me demande : Maintiendrez-vous cette déclaration ?

Il est certain pour moi, messieurs, que le gouvernement doit délibérer si un fait pareil se présente et qu'il doit consulter son patriotisme... (Interruption.)

Il s'agit de peser les faits et les circonstances chaque fois qu'ils se présentent ; nous l'avons fait et, dans les circonstances actuelles, nous (page 73) sommes à même de satisfaire à toutes les nécessités de notre position, à tous nos devoirs.

Lorsque je m'exprimais ici en 1868, s'agissait-il du fait spécial d'aujourd'hui ? Il s'agissait de tous ceux qui peuvent se présenter et il n'était pas possible de donner une solution universelle ; ce que le gouvernement, d'après mes déclarations d'alors, devait faire, il l'a fait aujourd'hui ; il a pesé la situation, il l'a examinée et il s'est décidé en conséquence.

On veut mêler à cette petite guerre de taquineries personnelles l'apothéose de nos prédécesseurs. Faites un acte de contrition, nous dit M. Pirmez, et reconnaissez que ce qui a sauvé la Belgique, ce qui nous vaut notre indépendance, c'est le parti libéral, qui a conservé l'armée.

Messieurs, la question militaire, dans cette enceinte, n'a jamais été une question de parti.

La Chambre s'est divisée en deux fractions nouvelles à propos de notre organisation militaire ; la droite s'est subdivisée comme la gauche, et, quand vous citiez tout à l'heure ce membre de la majorité qui rappelait le mot d'Aristide, je vous demande par qui ce membre a été évincé ? Est-ce par un membre de la droite ou par un membre de la gauche ?

Ne cherchez donc pas à faire de la question militaire une question de parti. II y a toujours eu, puisque vous vous êtes servis de cette expression, une haute gauche et une basse gauche, comme une haute droite et une basse droite, et, si les ministères libéraux ont conservé l'armée lorsqu'ils étaient au pouvoir, c'est parce que les ministères catholiques qui les ont précédés leur avaient légué une armée à défendre.

On nous demande encore : Que va faire le gouvernement en matière militaire ? Et M. Pirmez de répondre : Rien, pas d'économie, le général Guillaume l'a dit : pas un homme, pas un cheval.

Puis il nous reproche d'avoir joué un double jeu pendant les élections, d'avoir tout fait espérer, double jeu dont les électeurs ont eu la naïveté de ne pas s'apercevoir. Il est grand dommage que M. Pirmez n'ait pas été partout pour les éclairer.

Messieurs, quand nous sommes arrivés au pouvoir brusquement, inopinément, il faut bien le dire, car on ne s'attendait pas à un résultat aussi complet que celui du 14 juin, nous avons eu à délibérer sur la situation. Il s'agissait d'accepter le pouvoir ou de le refuser. Il s'agissait de décider si l'opposition était à même de remplir le rôle qui incombe à toute opposition qui renverse le cabinet qui l'a précédé, ou si, se reconnaissant impuissante, elle devait abdiquer comme parti gouvernemental. Il n'y avait pas à hésiter. Mais il fallait se prononcer sur une foule de points. Qu'avons-nous fait ? Nous ayons déclaré pour la question de l'armée que nous nous réservions d'examiner cette grosse question à fond et à nouveau. Non, nous n'avons pas demandé à l'honorable général Guillaume le sacrifice d'un homme ni d'un cheval. Mais l'honorable général Guillaume ne nous a pas demandé davantage le sacrifice d'aucune de nos opinions.

Nous nous sommes dit loyalement, sincèrement : Nous examinerons ensemble. Et puis, au-dessus de nos opinions personnelles, il y avait l'appel au pays. C'est lui, disions-nous, qui décidera par ses représentants ; la Chambre ne subira pas la loi du gouvernement ; c'est à elle, c'est au pays à dicter la loi ; le ministère aura à voir, en présence de la majorité et de ses tendances, s'il lui convient de rester à son banc. Cette majorité décidera les questions relatives à l'armée (Interruption.)

M. Baraµ. - En voilà de l'abdication ?

M. Frère-Orbanµ. - C'est de l'aplatissement.

MfJµ. - Permettez, messieurs, le gouvernement ne laissera rien désorganiser. L'armée n'est en rien menacée par le gouvernement.

M. Frère-Orbanµ. - Et que fera-t-il ?

MfJµ. - Un peu moins d'impatience ; la gouvernement commence par accepter le statu quo ; le gouvernement ne songe pas, en un moment comme celui-ci, à toucher à l'organisation de l'armée, peut-être n'y touchera-t-il jamais. (Interruption.)

Si je ne consultais que mes aspirations, je serais encore d'avis que l'armement général de la nation est le meilleur système de défense, mais il s'agit de savoir si les populations l'accepteraient ; il s'agit surtout de savoir si l'on renverse du jour au lendemain une organisation péniblement établie. (Interruption.) Il s'agit de tirer des enseignements de la conflagration actuelle.

Nous ne subordonnerons nos convictions à qui que ce soit, mais, je la demande, est-ce une conviction que l'appréciation de l'organisation prussienne ou suisse comparée à l'organisation française ? II y a des opinions à cet égard, des sentiments, mais la conscience n'est pas engagée en pareille matière ; toutes les fois que la conscience, que les convictions sont engagées dans une question, vous pouvez être certains qu'entre elles et nos portefeuilles le choix ne sera pas long.

M. Pirmez s'enquiert enfin de ce que nous ferons, quant à la réforme électorale. En cette matière, comme en d'autres, nous nous en sommes référés au sentiment du pays et de la Chambre, son émanation directe ; si elle est en communauté d'opinions avec nous, nous resterons à notre banc ; sinon, que d'autres nous y remplacent.

Il importe, la Chambre le comprendra, que le gouvernement s'entende avec la couronne avant qu'un projet de réforme électorale prenne corps ; mais il a paru à l'honorable chef du cabinet et à ses collègues que la situation comporte une réforme électorale ; nous pouvons dès à présent donner à la Chambre et au pays l'assurance que nous resterons dans les limites de la Constitution ; que la réforme sera sérieuse et raisonnable.

Voilà ce sur quoi nous délibérerons d'ici au mois de novembre prochain, de façon à apporter à la Chambre, à l'ouverture de sa session ordinaire, le résultat de nos délibérations.

Quant aux autres attaques personnelles auxquelles j'ai été butte, je les livre à l'appréciation de la Chambre.

MpdeNaeyerµ. - La parole est à M. Vleminckx.

M. Vleminckxµ. - J'ai des interpellations à faire à M. le ministre de la guerre à l'occasion des crédits demandés, mais la discussion générale a pris un caractère très élevé ; je demande qu'elle continue ; je ferai mes interpellations quand elle sera close.

- La séance est levée à 5 heures.