(Annales parlementaires de Belgique, Chambre des représentants, session 1870 extraordinaire)
(Présidence de M. Vander Donckt, doyen d'âgeµ.)
(page 11) M. Defuisseauxµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Simonisµ fait lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Vleminckxµ. - J'ai demandé la parole pour constater que j'ai prêté serment hier et qu'il n'en a pas été fait mention dans les Annales parlementaires.
MpVanderDoncktµ. - L'observation figurera aux Annales et au procès-verbal.
- M. Crombez demande un congé.
- Accordé.
M. Vleminckxµ fait le rapport sur l'élection, par l'arrondissement de Nivelles, de MM. Le Hardy de Beaulieu, de Vrints, Snoy et Mascart et conclut à leur admission.
- Ces conclusions sont adoptées.
MM. Le Hardy de Beaulieu, de Vrints, Snoy, Tack et de Lhoneux prêtent serment et sont proclamés membres de la Chambre.
M. Van Hoordeµ. - Messieurs, M. de Dorlodot ayant justifié de ses conditions d'éligibilité, la quatrième commission vous propose de l'admettre comme membre de la Chambre des représentants.
- Ces conclusions sont adoptées.
MpVanderDoncktµ. - La discussion est ouverte sur le rapport relatif aux élections de l'arrondissement de Dixmude.
- Personne ne demandant la parole, les conclusions du rapport tendant à l'admission de M. Rembry comme membre de la Chambre, sont mises aux voix et adoptées,
MpVanderDoncktµ. - Nous abordons la discussion du rapport de la commission sur l'élection de M. de M. de Macar par le collège électoral de l'arrondissement de Huy.
M. Liénartµ. - Messieurs, je viens combattre les conclusions de votre commission.
Le résultat des élections de l'arrondissement de Huy a déjà été confirmé en partie par l'admission de M. de Lhoneux.
(page 12) II reste également acquis, dans toutes les hypothèses, que M. de Macar a figuré à bon droit sur la liste double pour le scrutin de ballottage.
La seule question que vous ayez à trancher est celle de savoir lequel des deux, de M. Preud'homme ou de M. de Liedekerke, aurait dû être ballotté avec M. de Macar ; en d'autres termes, lequel des deux a obtenu le plus grand nombre de suffrages.
Le bureau principal, messieurs, a fait procéder à un ballottage entre M. de Macar et M. Preud'homme ; or, je pense que c'est là une erreur ; le ballottage aurait dû se faire entre M. de Macar et M. de Liedekerke. S'il en est ainsi, comme j'espère avoir l'honneur de vous le démontrer, il y aura lieu pour la Chambre d'ordonner un nouveau ballottage, cette fois entre M. de Macar et M. de Liedekerke.
C'est à quoi, messieurs, j'ai l'honneur de conclure.
Le résultat proclamé par le bureau donne à M. Preud'homme 593 suffrages, et à M. de Liedekerke 592, soit une seule voix de minorité pour ce dernier.
Il suffit donc de retrancher, ne fût-ce que deux suffrages, à M. Preud'homme pour que ce dernier doive perdre sa place au ballottage et y être remplacé par M. de Liedekerke.
Or, messieurs, je relève jusqu'à 5 et même 6 bulletins qui ont été validés et comptés à M. Preud'homme et qui, selon moi, auraient dû être annulés.
J'ai hâte de dire qu'il ne s'agit ni du bulletin ligné ni des bulletins portant le prénom Ferdinand de Macar au lieu de Fernand ; je ne fais aucune difficulté d'admettre le bulletin ligné, je ne soulève pas davantage de discussion relativement aux bulletins avec le prénom Ferdinand.
Il s'agit, messieurs, de choses plus sérieuses.
Je tiens à la main d'abord trois bulletins dont la marque consiste dans l'adjonction, je ne dirai pas seulement de personnes non connues comme candidats, mais de personnes connues comme n'étant ni ne pouvant être candidats.
L'honorable rapporteur de la commission ne fait mention que de deux bulletins de cette espèce, mais c'est là une omission qui provient de ce que l'attention de l'honorable rapporteur s'est portée uniquement sur les bulletins qui font l'objet de la réclamation arrivée au bureau, tandis que j'ai vérifié indistinctement tous les bulletins annexés au procès-verbal, comme c'est notre droit et aussi notre devoir ; car si la loi ordonne de joindre aux procès-verbaux les bulletins contestés ou annulés, c'est apparemment pour réserver sur l'ensemble le jugement de la Chambre.
Le premier de ces bulletins porte :
Pour le Sénat. M. Tack, ministre des finances.
Le second porte :
Pour le Sénat. M. Pierret-Bidlot.
C'est-à-dire le nom d'une personne peu ou point connue et qui, d'après ce qu'on m'a assuré, ne serait pas même électeur.
Le troisième, bulletin libéral, veuillez-le remarquer, porte :
Pour le Sénat.Comte de Liedekerke.
C'est-à-dire le nom d'un adversaire politique, qui était notoirement connu comme ne se portant pas pour le Sénat ; mais, au contraire, pour la Chambre des représentants.
Si vous vous étonniez, messieurs, de ce que ce soit moi qui soulève la question de la nullité des bulletins sur lesquels l'électeur a écrit le nom de personnes non notoirement connues comme candidats, vous auriez tort.
Il est très vrai que, lors de la discussion sur la vérification des pouvoirs des élus de l'arrondissement d'Ypres en 1868, j'ai soutenu que le choix de l'électeur est absolu, illimité ; qu'il pouvait donner son vote à qui bon lui semblait ; que la loi ne contenait aucune prescription à cet égard et qu'elle ne lui interdisait pas de préférer aux candidats connus toute autre personne, fût-elle inconnue ; cela est vrai.
Mais celle interprétation que je donnais à la loi, vous l'avez combattue et repoussée par votre vote ; vous avez incliné à voir une marque dans l'adjonction du nom d'une personne non connue comme candidat et qui n'obtient qu'un suffrage isolé.
Il me souvient notamment de la réponse ferme, catégorique, convaincue de l'honorable M. Tesch. J'avais invoqué en 1868, comme je viens de vous le dire, la liberté électorale, le droit pour l'électeur de choisir qui bon lui semble, et voici, messieurs, en quels termes l'honorable M. Tesch répondit à mon argumentation de principe avec une teinte marquée d'ironie :
« Mais en quoi donc consiste cette liberté de mettre sur un bulletin le nom d'une personne qui n'est pas sur les rangs ? C'est la libellé de faire une chose parfaitement inutile, en votant pour une personne qui n'aura peut-être que cet unique suffrage dans tout l'arrondissement.
« Mais quelle est l'utilité pratique d'une telle liberté ? (Interruption.) Vous avez beau m'interrompre ; ce que je dis est parfaitement vrai et vos rumeurs n'empêcheront pas que, dans la pratique, la liberté que vous proclamez si haut, que vous réclamez avec tant d'insistance, ne soit parfaitement inutile. Mais j'ajoute que cette liberté d'ajouter des noms plus ou moins inconnus offre ce grave inconvénient de permettre de marquer des bulletins ou de faire de mauvaises plaisanteries à des électeurs ou à des personnes et de les livrer à la risée du corps électoral.
« Ainsi la liberté que vous réclamez avec tant d'ardeur et que vous allez jusqu'à élever à la hauteur d'un principe constitutionnel, n'aboutit, dans la réalité des choses, qu'à produire un résultat parfaitement inutile au point de vue électoral, mais très dangereux comme moyen de marquer les bulletins. » (Séance du 18 novembre 1868, p. 33.)
M. Tesch à cette époque n'était plus ministre ; mais il parlait avec une autorité égale à celle d'un ministre, comme étant l'auteur de la loi sur les fraudes électorales, et la majorité d'alors a donné raison à M. Tesch.
Voici maintenant mon raisonnement :
De deux chose l'une: ou bien en 1868, vous auriez commis une injustice, supposition que je me permets de faire seulement pour compléter mon dilemme.
Ou bien, en 1868, vous avez donné à la loi, alors nouvelle, une interprétation que vous jugiez conforme à son esprit, et dans ce cas, je vous demande de rester fidèles à cette interprétation.
Vous voyez que ma position est parfaitement dégagée dans cette question. Quand il s'agissait de faire une jurisprudence, j'ai émis l'avis que je viens de dire ; mais la majorité d'alors m'a donné tort, elle a donné à la loi une interprétation différente.
Vous avez fait une jurisprudence contraire à celle que j'eusse désiré voir consacrer ; maintenant que cette jurisprudence est établie, je vous demande d'être conséquents, logiques, impartiaux, je fais appel à cette jurisprudence acquise qui est votre fait, qui est votre œuvre.
Patere legem quam ipse fecisti
Est-ce là seulement de ma part un argument ad hominem ?
Non, messieurs, il y a dans mon argumentation un côté plus sérieux encore et plus élevé qui nous est indiqué par les principes qui doivent présider à l'application des lois.
Il faut de l'unité, de la constance dans l'application des lois, et la jurisprudence est surtout le complément indispensable des lois qui prêtent à l'arbitraire par leur nature.
La loi sur les fraudes électorales est au premier rang de ces lois, et l'arbitraire est d'autant plus dangereux dans la matière qui nous occupe que la vérification des pouvoirs est entre les mains de la majorité.
Le salut est dans une jurisprudence uniforme, constante, invariable ; là est la garantie des minorités.
Au lieu d'introduire dans la loi cette fixité, cette unité si désirable, l'on aboutirait à une jurisprudence équivoque, douteuse, flottante, j'ajoute embarrassante pour les électeurs dont nous jugeons les bulletins et également embarrassante pour notre conscience de juge, si la Chambre, à quelques années d'intervalle, allait sur la même question juger blanc et noir.
Vous ne le ferez pas, messieurs, et je constate avec plaisir par le rapport de la commission que déjà l'un des membres de cette ancienne majorité a voté dans le sein de la commission l'annulation de ces bulletins. C'est là, messieurs, une question d'honnêteté politique.
Messieurs, je pourrais m'arrêter ici et conclure, c'est-à-dire que les observations qui précèdent suffisent à elles seules, pour justifier ma conclusion.
Nous ne devions retrancher à M. Preud'homme que deux suffrages et il y a trois bulletins marqués qui portent son nom : le voilà donc déjà exclu du ballottage.
Eh bien ! messieurs, il en est de même des considérations par lesquelles je vais terminer. Elles suffisent aussi à elles seules, et abstraction faite des premières, pour faire exclure du ballottage M. Preud'homme.
De sorte, messieurs, qu'il suffira que vous donniez voire assentiment à la première partie de mon discours ou à la seconde pour que vous deviez en accepter la conclusion.
Il y a, en effet, messieurs, deux bulletins marqués et reconnus comme tels par la jurisprudence de la Chambre.
C'est d'abord un bulletin avec parafe ; il faut, en effet, messieurs, mettre le parafe sur la même ligne que la parenthèse dont l'honorable M. Pirmez a dit, lors de la discussion de l'élection d'Ypres :
(page 13) « Un autre bulletin met les mots « membres sortants » entre parenthèse. Ce bulletin peut être moins suspect, mais c'est encore un signe défendu et qui n'a pas, comme l'accolade que l'on admet généralement, un caractère d'utilité. »
J'ajoute que le parafe dont il s'agit dans l'espèce est singulièrement affecté et ressemble bien plutôt à un dessin à la plume qu'a un parafe fait par mégarde.
Donc nullité, de par M. Pirmez, alors ministre de l'intérieur.
Un bulletin que j'avais oublié tombe plus positivement encore sous le coup de cette condamnation prononcée par M. Pirmez ; c'est un bulletin également favorable à M. Preud'homme et sur lequel le mot « baron » ajouté au candidat pour le Sénat se trouve entre parenthèse. Vous avez annulé autrefois un bulletin de ce genre attribué à M. Van Renynghe ; j'espère, jusqu'à preuve contraire, que vous serez conséquents et que vous aurez la générosité d'annuler ce second bulletin.
Un troisième bulletin, messieurs, doit être annulé, par le motif qu'au lieu d'écrire : « représentant », l'électeur a écrit : « repré ».
Ici encore, je me sens bien à l'aise, puisque j'ai à invoquer la jurisprudence de la Chambre. La Chambre a jugé que les abréviations sont seulement permises lorsqu'elles sont conformes à l'usage.
Ainsi, l'honorable M. Pirmez et l'honorable M. Vandcnpeereboom on t fait annuler un bulletin au préjudice de notre honorable collègue, M. Van Renynghc, parce qu'au lieu d'écrire : M. ou monsieur, on avait écrit : nions.
Par la même raison, il faut annuler le bulletin portant : « repré ». ; le mot : « repré » au lieu de « représentant » est encore plus étrange que « mons » au lieu de « monsieur ».
Messieurs, je n'insisterai pas davantage. J'ai procédé à l'examen des dossiers avec une entière loyauté. J'ajouterai que les relations pleines de courtoisie que j'ai entretenues pendant plusieurs sessions avec l'honorable M. de Macar me font regretter la conclusion à laquelle je suis arrivé. Mais il ne s'agit pas ici d'une question de personne ; il s'agit d'une question de justice, d'une question de droit, d'une question du tien et du mien ; c'est le droit de chaque concurrent ; c'est, par-dessus tout, le droit de leurs partisans politiques respectifs qui est ici en jeu ; devant ce droit, doivent se taire toutes les considérations de personnes. Un accommodement quelconque, le plus léger qu'on puisse supposer, serait une injustice, et je me rassieds en disant : Amicus de Macar, sed magis arnica veritas.
M. Lelièvreµ. - A aucune époque, je n'ai considéré les questions soulevées par la vérification des pouvoirs comme des questions de parti ; j'ai toujours partagé l'avis qu'il s'agissait d'une question de justice qui doit être résolue d'après les principes de droit et les faits qui régissent la matière.
C'est sous l'influence de cette pensée que j'ai très souvent appuyé des élections que combattait la gauche parlementaire.
Ainsi, en 1868, lorsqu'il s'est agi de l'élection de M. Van Renynghe, j'ai pensé que le concurrent de cet honorable membre ne pouvait être admis et qu'il y avait lieu de procéder à un ballottage entre les deux compétiteurs.
La majorité de la Chambre n'a pas admis mon opinion, mais cette décision ne m'a pas convaincu, je l'ai toujours considérée comme erronée et c'est par les motifs que j'ai développés alors que, conséquent dans ma conduite, je viens appuyer les conclusions de la commission proposant l'admission de M. de Macar.
Il est évident qu'il ne peut s'élever une contestation sérieuse qu'à l'égard de deux bulletins, l'un donnant un suffrage de sénateur à M. Tack, ministre des finances, l'autre donnant aussi un semblable suffrage à M. Pieret-Budlot.
Or, ces suffrages me paraissent valables par le motif que rien ne prouve que ce soient là des billets marqués ; il n'est pas constant, en effet, que les énonciations en question aient été écrites dans le but de faire connaître le volant.
Aucune circonstance ne vient appuyer semblable supposition, qui ne résulte pas même du nombre de billets portant ces énonciations, puisque ces billets se trouvent réduits à deux.
Du reste, dans le doute, il faut valider les bulletins. La validité est la règle et il faut des circonstances exceptionnelles pour frapper le suffrage d'annulation.
Ne perdons pas de vue que la loi de 1867 contient des dispositions exorbitantes et, qu'en conséquence, il importe de réduire le plus possible les cas d'annulation. Lors de la discussion de cette loi, j'avais prévu les graves inconvénients qui devaient résulter des dispositions relatives à la désignation des candidats. C'est pour ce motif que je me suis abstenu et que je n'ai pas cru pouvoir émettre un vote affirmatif.
Eh bien, l'expérience est venue justifier mon opinion.
Les dispositions légales relatives à la désignation des candidats ont donné lieu à de funestes conséquences et créé de graves abus.
En pareille occurrence, la loi doit être interprétée de la manière la moins sévère, la plus équitable, et en sorte de ne prononcer les nullités que quand il est impossible de faire autrement.
Je ne m'arrête pas à la prétention d'annuler un bulletin parce qu'il s'y trouverait quelques traits de plume. Mais ici encore, rien ne prouve que les circonstances signalées aient eu pour but de faire connaître le votant. Il n'existe aucune présomption en faveur de semblable thèse. J'estime qu'il ne faut pas annuler sans des motifs sérieux des bulletins électoraux. Il n'est pas possible de porter une décision exorbitante sous des prétextes aussi frivoles que ceux qui sont allégués. Sait-on, du reste, où nous conduirait semblable système ? Mais toute majorité pourrait à son gré annuler les élections de la minorité. Il serait permis de quereller tout bulletin sous les motifs les plus dérisoires.
Quant à moi, je pense qu'il faut se tenir aux véritables principes de la matière. L'annulation suppose des circonstances graves, démontrant clairement que le votant a entendu se faire connaître, et comme je ne les rencontre pas dans les billets qu'on prétend annuler, je voterai pour l'admission de M. de Macar, fidèle aux principes que j'ai défendus en 1868 en faveur de M. Van Renynghe.
M. Elias, rapporteurµ. - Je tâcherai d'être aussi bref que possible.
Je commencerai par vous soumettre une considération : c'est que pendant les treize ans que l'opinion libérale a eu la majorité dans cette Chambre, trois fois seulement elle a demandé d'annuler des décisions de bureaux électoraux. Je suis étonné de voir la nouvelle majorité débuter par demander l'annulation d'une de ces décisions.
C'est qu'il y a un grand intérêt à ne pas y toucher à la légère ; dans l'appréciation des opérations électorales, l'opinion des bureaux a une importance considérable.
Ainsi, à côté des questions de droit que vient d'examiner l'honorable M. Liénart, il est des questions de fait, des considérations particulières qui peuvent militer en faveur de l'annulation ou de la validation d'un bulletin et que le bureau électoral, qui a présidé aux opérations, qui a examiné tous les bulletins, peut mieux apprécier que la Chambre elle-même.
Cela dit, je répondrai quelques mots à ce que j'appellerai les conclusions subsidiaires de l'honorable M. Liénart.
L'honorable membre vous a demandé l'annulation d'un bulletin, parce qu'il portait un parafe.
Messieurs, les signes ou marques ne causent pas une nullité de plein droit.
La loi dit en effet que les signes ou marques ne sont cause de nullité que lorsqu'ils sont de nature à violer le secret du vote. C'est là une question de fait que le bureau est mieux à même que nous de juger. Il a vu tous les billets.
M. Liénart invoque l'opinion de l'honorable M. Pirmez dans l'élection d'Ypres. Mais, messieurs, vous savez que dans cette élection il ne s'agissait pas d'annuler ou d'invalider la décision du bureau, il s'agissait au contraire de la valider.
Il n'en est pas de même ici. Il y a plus. Au nombre des bulletins joints au procès-verbal, il y en a plusieurs portant le nom de M. de Liedekerke et qui sont également suivis de parafes, lignes, traits, etc., et qui ont cependant été maintenus.
Nous les avons vérifiés en commission et je crois pouvoir vous dire qu'ils sont en quantité égale pour les deux candidats.
M. Liénartµ. - C'est une erreur, car il y en a tout au plus un seul sur lequel vous pourriez élever une discussion.
M. Elias, rapporteurµ. - N'y en eût-il qu'un seul, cela diminuerait déjà d'un les trois bulletins dont vous avez parlé tantôt, et comme vous avez renoncé de vous-même à produire le grief que vous invoquiez contre le troisième, il en résulterait que votre dilemme serait bien près d'être boiteux.
Quant à l'opinion de M. Pirmez invoquée par M. Liénart, je puis lui opposer différentes résolutions qu'il a prises lorsqu'il était dans des circonstances identiques.
Ainsi à Lierre, dans une élection communale, des bulletins avaient été contestés parce qu'ils portaient des signes, marques, etc., et un arrêté royal du 17 novembre 1869 a validé l'élection.
Il en a été de même à Poperinghe, où un arrête royal du 23 novembre (page 14) 1869 a décidé que les marques ou signes n'invalidaient pas nécessairement.
Il a demandé ensuite la nullité des bulletins portant, au lieu des mots « représentant » sortant, « repré. ». soit « représentant » en abrégé.
Je crois, messieurs, me rappeler que lorsque la Chambre a examiné l'élection de M. Van Renynghe, les bulletins de ce genre ont été validés, et les membres de la droite ont demandé la validité des bulletins portant non pas « représentant » mais « membre » sortant, et il a été déclaré dans la discussion que les mots « représentant sortant » n'étaient pas sacramentels et qu'on pouvait les remplacer par des expressions identiques.
Cela dit, permettez-moi, messieurs, de vous parler brièvement de la question principale soulevée par M. Liénart. Il a demandé l'annulation dçe bulletins qui portent le nom d'une personne qui n'est pas notoirement connue comme candidat.
Ces bulletins sont au nombre de trois. M. Liénart nous dit : Il y a, à cet égard, une jurisprudence établie par la majorité de la Chambre.
Je ne crois pas que cette allégation soit exacte ; la Chambre du reste est toujours complètement libre dans ses appréciations et si une jurisprudence de ce genre était établie, je protesterais de toutes mes forces contre elle. Voici les antécédents :
La question a été posée d'une façon formelle lors de l'élection de M. Van Renynghe. A cette occasion, M. Van Wambeke émettait en ces termes le principe suivant :
« En second lieu, nous croyons sérieusement qu'il est impossible qu'on soutienne sérieusement qu'un billet est marqué par cela seul qu'on y a ajouté un autre nom que ceux des candidats. »
Cela est bien formel, c'était l'opinion de la majorité actuelle de la Chambre. Il n'y a pas de nullité parce qu'il y a sur les bulletins un nom autre que celui des candidats.
Mais l'opinion de l'ancienne majorité était-elle aussi formelle que vient de le dire l'honorable M. Liénart ?
Voici ce que répondait à M. Van Wambeke l'honorable M. Pirmez :
« J'arrive maintenant, messieurs, aux bulletins qui contiennent des noms de personnes non connues comme candidats.
« C'est bien là la question.
« Mais, messieurs, quel est le système ?
« Messieurs, il est très simple, selon moi ; il n'y a pas dans la loi de proscription absolue de porter sur les bulletins des noms de personnes qui ne sont pas candidats.
« En fait, quand on veut aller au fond des choses, on doit bien reconnaître que ces votes en faveur de personnes qui n'ont qu'une ou deux voix sont extrêmement suspects.
« Je reconnais qu'on ne peut annuler ces bulletins par cela seul.
« Mais, par contre, on est bien en droit de rechercher s'il n'y a pas de signes qui viennent donner aux soupçons qu'on peut concevoir un caractère de certitude, et je pense qu'en allant au fond des choses, on trouve ici des preuves très convaincantes. »
Vous voyez donc que l'honorable M. Pirmez est loin d'être formel et voici la distinction qu'il a établie en principe :
« Je reconnais qu'on ne peut annuler ces bulletins par cela seul. »
Ainsi donc, messieurs, c'est une question de fait que vous avez à examiner. Vous avez à apprécier si sur les bulletins il y a quelques signes confirmant la présomption qu'il y a dessein de reconnaître le votant.
Ces bulletins, je puis les faire passer sous les yeux de la Chambre. Vous n'y verrez ni signes ni ratures.
Je crois donc, d'après l'opinion de l'honorable M. Pirmez lui-même, pouvoir conclure que ces bulletins devraient être validés ; mais il s'agit peu de l'opinion de l'honorable M. Pirmez actuellement.
Quoi qu'on en dise, la majorité est obligée de respecter les principes qu'elle a professés lorsqu'elle était minorité.
Je ne crois pas qu'il soit permis à un membre d'avoir des principes différents selon les circonstances. (Interruption.)
S'il faut de l'unité dans la jurisprudence de la Chambre, il en faut également dans l'opinion des membres.
Or, voici quelle a été l'opinion professée au Sénat par l'honorable M. d'Anethan, chef du cabinet, dans la séance du 26 mai 1868 :
« Mais on ne s'est pas arrêté là ; et allant de rigueur en rigueur, on est tombé dans une flagrante illégalité. Ainsi, dans un arrondissement où il y avait deux sénateurs à nommer, on trouve dans l'urne des bulletins portant le nom d'un candidat notoirement connu comme tel, puis le nom d'une autre personne, et le bureau électoral annule ce bulletin parce que le second nom qui y figure n'est pas celui d'un candidat généralement désigné par l'opinion publique, comme s'il y avait en Belgique des candidatures officielles. »
Vous voyez donc que, dans l'opinion de la majorité, l'addition du nom d'une personne étrangère ne pouvait avoir d'influence sur l'invalidation du bulletin.
J'espère qu'elle maintiendra cette manière de voir aujourd'hui.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix 1
M. Notelteirsµ. - Messieurs, je n'ai que deux mots à dire.
L'honorable membre a invoqué la décision du gouvernement sur les élections communales de Liège.
Je pense que cet arrêté n'est pas destiné à former jurisprudence. Il s'agissait là de trois bulletins contestés, nuls à mes yeux.
Le gouvernement a reconnu que deux étaient fautifs ; il n'a pas dit lequel des trois était valable ; il s'est borné à dire qu'il croyait trop sévère de les annuler tous les trois.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Coomansµ. - Je voudrais émettre quelques observations qui ne froisseront personne, parce qu'elles sont d'une utilité générale et pratique, si pas pour aujourd'hui, au moins pour demain. Ce débat et beaucoup d'autres démontrent que notre loi électorale, particulièrement en ce qui concerne la validité des bulletins, est mauvaise, injuste, absurde.
A mon sens, M. de Macar est bien élu par l'arrondissement de Huy ; c'est là mon opinion, fondée sur un examen de bonne foi de billets émis probablement de bonne foi.
Mais, messieurs, remarquez-le bien, si nous admettons l'honorable M. de Macar, ce sera pour deux raisons et pour ces deux raisons-là seulement : d'abord, à cause des circonstances qui ne se prêtent guère à de petits débats, et ensuite,, à cause de la position personnelle que l'honorable membre s'est acquise parmi nous. (Interruption.)
Cet aveu fait, la difficulté reste debout, car j'ai la conviction que si la gauche est logique et que si la droite est logique, l'honorable M. de Macar ne peut être admis ; il ne peut l'être d'après l'application jusqu'ici faite de nos lois électorales.
Qu'il y ait eu des billets marqués dans son élection comme dans presque toutes les autres, je n'en doute pas. Mais j'ai eu plusieurs fois l'occasion de vous faire remarquer qu'il est impossible de proscrire les billets marqués. Ne vous ai-je pas dit un jour, avec preuve à l'appui, que pour l'élection de Bruxelles, par exemple, je puis, le plus légalement du monde, marquer deux millions de billets.
Quand vous appliquez judaïquement votre détestable loi électorale, que faites-vous ? Vous annulez beaucoup de bulletins, mais vous annulez aussi la volonté expresse de la majorité.
Dans bien des cas, sous prétexte de respecter certaines formalités légales, on supprime la volonté de la majorité, c'est-à-dire que la forme l'emporte sur le fond. C'est, pour ma part, ce que je n'ai jamais voulu, c'est ce que je considère comme inconstitutionnel, comme inconciliable avec la justice et la raison. La difficulté est de savoir où la fraude commence et où la bonne foi doit être réputée.
Nous avons, depuis nombre d'années, annulé, sous prétexte de légalité, des billets qui étaient évidemment écrits de bonne foi.
Un seul exemple que je puis affirmer : dans mon arrondissement,, depuis nombre d'années, on a annulé beaucoup de billets portant ces mots : « Coomans, avocat. » On n'a peut-être pas eu tort ; il y a quatre ou cinq avocats Coomans en Belgique, mais mes amis n'ont pas réclamé (peut-être parce qu'il y avait des bulletins pour le garçon) et je déclare, avec mon honorable ami Liénart, que lorsque la majorité est douteuse, - c'est le cas pour M. de Macar, - il faut appliquer la loi le plus sévèrement possible à moins de sortir des limites de la justice où la bonne foi et l'honneur nous obligent de nous renfermer.
Il' est donc assez naturel que, dans le cas où la majorité n'est pas douteuse, on se montre large dans la vérification des bulletins ; mais quand elle est douteuse, quand le résultat lient à un ou deux suffrages, il faut absolument suivre une jurisprudence identique, il faut admettre une seule et même règle pour tout le monde. Eh bien, c'est ce qu'on paraît peu disposé à faire.
Je ne veux pas récriminer, mais j'ai la mémoire pleine d'arguments et de faits qu'on pourrait invoquer aujourd'hui contre M. de Macar.
Un exemple, un seul : n'a-t-on pas annulé des bulletins qui portaient le prénom « Petrus » au lieu de « Pierre » ? Or, le prénom « Petrus » est bien un prénom flamand et nous avons parfaitement le droit de voter en flamand.
Ma conclusion, messieurs, est celle-ci, et c'est la seule que je veuille présenter pour le moment, car c'est la seule sur l'excellence de laquelle je sois fixé ; c'est qu'il est urgent de réformer et d'abolir autant que possible notre loi électorale, surtout en ce qui concerne les bulletins. Il faut que la bonne foi l'emporte désormais sur les formalités ; vous avez voulu (page 15) par cette loi, je le sais bien, supprimer les fraudes électorales, notamment en ce qui concerne les marques apposées aux bulletins. Mais vous n'y êtes pas parvenus. Rien n'est plus facile que de marquer des bulletins.
Ainsi, pour Huy, par exemple, qui nomme deux ou trois membres, sénateur compris, il y a moyen de disposer et d'écrire les suffrages de plusieurs centaines de façons, de manière à rendre parfaitement reconnaissable chacun des volants. (Interruption.)
Il y a, d'abord, la disposition variée des noms ; puis on peut écrire certaines lettres plus haut ou plus bas que d'autres ; puis encore on peut abréger certains mots ; bref, il y a des centaines de manières de marquer le plus légalement du monde les billets.
Je vous en prie donc, qu'un de vos premiers soucis soit la réforme de cette loi prétendument faite contre les fraudes électorales et qui, en réalité, n'a fait que les favoriser et qui surtout a produit ce. détestable résultat de supprimer très souvent la volonté non équivoque de la majorité par respect pour certaines formalités qui ne devraient être l'objet que de préoccupations secondaires.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! Aux voix !
M. Liénartµ. - La vérification des pouvoirs est quelquefois l'occasion de discussions passionnées. Vous me rendrez cette justice, messieurs, que la passion n'est pas venue de mon côté et je désire que le débat ne s'égare pas.
D'abord, je ne sache pas que des considérations personnelles et d'amitié aient quelque chose à faire ici ; il n'y a ici qu'une question de justice.
Lorsqu'on résume la question dans ses termes clairs, simples, explicites, il est absolument impossible de ne pas déclarer que c'est l'honorable M. de Liedekerke qui devait arriver au ballottage.
Il suffit, en effet, que j'annule deux suffrages appartenant à M. Preud'homme pour qu'il doive disparaître du ballottage.
Or, messieurs, pour trouver ces deux bulletins, je n'ai que l'embarras du choix ; et, je dois le dire, je suis tombé de mon haut quand j'ai vu le sans-façon avec lequel M. le rapporteur est venu nous dire que ces bulletins portant, pour le Sénat dans l'arrondissement de Huy : « Tack, ministre des finances » n'était pas un bulletin marqué. Quant à moi, je ne sache pas qu'il soit possible de marquer un bulletin d'une manière plus éclatante.
Néanmoins ce bulletin a trouvé grâce devant la commission, qui n'a pas hésité à le valider.
Ce bulletin là, je le décompte à M. Preud'homme, et si des membres me contredisent ici, le pays tout entier dira avec moi : « Oui, c'était un billet marqué. »
Pour vous faire décider l'annulation du bulletin portant pour le Sénat « comte de Liedekerke, » je vais essayer d'un moyen nouveau.
Je laisserai la parole à M. Pirmez et c'est lui qui va vous donner les motifs d'annulation de ce bulletin.
M. Pirmez est l’argumentateur le plus subtil que je connaisse ; il ne s'engage jamais entièrement ; il se réserve toujours le moyen de couvrir une retraite. Cette fois cependant, cette fois toutes les issues me semblent fermées pour lui :
« En fait et quand on veut aller au fond des choses, on doit bien reconnaître que ces votes en faveur de personnes qui ne réunissent qu'une ou deux voix sont entièrement suspects.
« Je reconnais qu'on ne peut pas annuler ces bulletins par cela seul.
« Mais par contre, on a bien le droit de rechercher s'il n'y a pas de signes qui viennent donner aux soupçons qu'on peut concevoir un caractère de certitude, et je pense qu'en allant au fond des choses, on trouve ici des preuves très convaincantes.
« La seconde raison, continue M. Pirmez, qui, selon moi, rend ce billet suspect, c'est qu'il ne mentionne ces deux personnes que d'une manière vague et que la notoriété ne supplée pas à l'absence de désignation suffisante. »
C'est précisément le cas du billet portant pour le Sénat « comte de Liedekerke » sans aucune autre désignation, alors qu'il y a plusieurs personnes de ce nom et qu'aucune d'elles ne briguait une candidature pour le Sénat.
M. Pirmezµ. - Vous dénaturez la discussion.
M. Liénartµ. - Je vous attends à la preuve, mais prenez garde, car je vous déclare d'avance qu'avant de m'engager dans ce débat j'ai fait une étude spéciale de la discussion qui a abouti en 1868 à écarter M. Van Renynghe pour faire place à M. Van Merris.
Mais ce n'est pas tout. Il faut que je continue la parole à M. Pirmez et que vous appreniez de sa bouche les incroyables minuties qui lui servent à confirmer les soupçons qu'éveille le nom d'une personne non connue comme candidat :
« Je reconnais, messieurs, et je l'ai d'ailleurs déclaré au Sénat, que les bulletins portant le mot » « Monsieur » ne sont pas des bulletins annulables s'il n'y a rien de spécial qui puisse faire reconnaître les bulletins...
« Mais le tableau imprimé à la suite du rapport de la section centrale m’a révélé trois bulletins portant d'une manière anomale l'abréviation de « messieurs » ; ce sont deux « MM » avec chacun un petit « r » : « MrMr ».
« S'il est vrai que deux singuliers forment un pluriel, c'est une règle qui n'est pas appliquée, à ma connaissance, dans cette manière de dire : « MM ». On met quelquefois un « rs » après le second M, mais je ne vois jamais mettre un « r » à chacun des « M ». »
Or, sans me lancer, à la suite de l'honorable M. Pirmez, à la recherche des « r » imperceptibles, je remarque que sur le bulletin portant pour le Sénat « comte de Liedekerke » le nom de M. Preud'homme, qui est très connu et très répandu dans l'arrondissement, est remplacé par celui de « M. Peud'-homme » ; consonnance toute différente de la première et qui à fortiori des « r » découverts par M. Pirmez est bien de nature à confirmer le soupçon qui résulte déjà de l'inscription, en tête du bulletin libéral, du nom de M. de Liedekerke pour le Sénat.
Autre remarque. Il a été dit dans cette Chambre que le mode de marquer le bulletin en y inscrivant le nom d'une personne non connue comme candidat risquerait surtout d'être employé lorsque l'un ou l'autre parti pourrait disposer sans préjudice d'une place vacante sur ses bulletins.
C'était le cas pour le parti doctrinaire à Huy, en ce sens que le parti conservateur n'opposait personne à M. de Tornaco et que, partant, l'élection de ce dernier étant assurée, nos adversaires pouvaient, sans aucun risque, remplacer sur certains bulletins son nom par un autre qui servirait de marque.
Aussi, se sont-ils bien gardés de remplacer par un autre nom ceux des candidats qu'ils portaient pour la Chambre, parce qu'en agissant ainsi, ils auraient perdu une voix ; mais ils l'ont fait pour le Sénat, parce qu'ils pouvaient le faire impunément. (Interruption.)
Il existe une autre jurisprudence de la Chambre qui est bien positive et voici ce que disait à cet égard M. Pirmez :
« Un autre bulletin met les mots « membres sortants » entre parenthèse. Ce bulletin peut être moins suspect, mais c'est encore un signe défendu et qui n'a pas, comme l'accolade, que l'on admet généralement, un caractère d'utilité. » (Annales parlementaires, année 1868-1869, p. 23.)
Le cas identique se présente pour un des bulletins portant le nom de M. Preud'homme et sur lequel la qualité de baron de M. de Labbeville est mise entre parenthèse.
Je demande à M. Pirmez si, oui ou non, il votera l'annulation de ce bulletin-là.
Je vous demande encore, messieurs, si alors que vous avez annulé, en 1838, un bulletin portant « Mons », au lieu de « Monsieur », vous aurez aujourd'hui le courage de déclarer qu'un bulletin portant le mot « repré. » au lieu de « représentant » n'est pas un bulletin marqué.
Les citations que je viens de faire auront rafraîchi, dans la mémoire des membres de l'ancienne majorité, le souvenir des décisions qu'ils ont prises coram populo en 1868.
La majorité de 1868 se trouvera sans doute embarrassée ; à elle d'aviser à mettre ses votes d'aujourd'hui, qui seront également publics, en concordance avec ceux de 1868 - et au public impartial et sensé de juger.
La majorité actuelle ne ressent aucun embarras, car je ne puis compter comme tel la considération que l'on pourrait avoir pour un ancien collègue. Je le répète, c'est ici non une question de faveur, mais une question de justice, et dans ces questions les ménagements de ce genre seraient condamnables.
M. de Macarµ. - Messieurs, je n'ai pas besoin de constater devant vous combien ma position en ce moment est délicate. J'ai à parler d'une affaire qui me concerne, j'ai à juger des choses qui me touchent de très près ; à ce point de vue, mon témoignage peut paraître suspect ; il est reconnu qu'on n'est pas bon juge dans sa propre cause.
D'un autre côté, j'ai à défendre une élection contre une majorité dont je ne partage ni les principes ni les opinions et à laquelle je ne demande qu'une seule chose, rien de plus, une impartialité complète, et cette impartialité je la demande d'autant plus que je sais que, dans la vie politique, elle n'est pas toujours facile, alors même qu'on a le désir de l'avoir.
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a dit : N'est pas impartial qui veut.
Ceci dit, j'aborde le fond de la question, bien que ma tâche ait déjà été singulièrement simplifiée par les honorables orateurs que vous avez entendus.
Ce qui ressort du débat, messieurs, n'est-ce pas, en premier lieu, que l'élection du 2 août à Huy a été incontestablement une élection loyale . Scrutés minutieusement par mes adversaires, vous l'avez vu à l'inspection, (page 16) les bulletins contestés ont été admis, la plupart, à la presque unanimité par la commission. Il est manifeste que tout ce qui était possible a été fait pour invalider le scrutin qui est soumis à vos délibérations. On a cherché de toutes les façons à trouver toutes les fraudes, toutes les irrégularités qu'il était possible de signaler.
Lorsque, dans ces conditions, il ne reste que peu de bulletins contestés, on peut affirmer que le scrutin a été sincère.
Et, en effet, sur quels points attaque-t-on ? Trois bulletins surtout sont critiqués et semblent devoir amener la décision de quelques membres. L'un de ces bulletins porte le nom de « Tack, sénateur » ; l'autre porte les mots « repré. sortant » en abrégé ; le troisième Pierret, comme sénateur.
Mais, de bonne foi, messieurs, je vous le demande, si nous avions voulu marquer des bulletins, seraient-ce ces trois bulletins que vous auriez en litige ? Qu’est-ce que vous devez voir, lorsque vous examinez une élection ? Vous devez voir si cette élection a un caractère frauduleux. Mais vous ne pouvez restreindre la liberté des électeurs au point de les empêcher de voter pour une personne, cette personne ne fût-elle pas considérée comme candidat dans l'arrondissement.
Si l'électeur qui a écrit le nom de M. Tack sur son bulletin avait voulu le marquer, il aurait écrit un nom plus connu dans l'arrondissement et moins contestable, et le bulletin aurait été tout aussi bien marqué avec ce nom qu'avec celui de M. Tack.
Quant au bulletin portant comme sénateur M. Pierret-Bidlot, je dois répondre à M. Liénart que M. Pierret est bourgmestre d'une commune assez importante, banquier et propriétaire, électeur par conséquent et dix fois électeur. J'ignore s'il est éligible au Sénat ; mais il le serait bien probablement s'il habitait le Luxembourg. Est-il dès lors étonnant qu'un électeur ait inscrit ce nom sur son bulletin ?
Je ferai remarquer, en outre, que ce bulletin est tellement peu marqué, qu'il ne porte pas même mon nom. Il porte, pour la Chambre, mon collègue actuel, M. de Lhoneux, et mon ancien collègue, M. Preud'homme. II a, incontestablement, tous les caractères possibles de vérité. (Interruption.)
Vous me demandez pourquoi un bulletin portant le nom de M. Tack s'est trouvé dans l'urne. L'explication est bien simple. Vous savez ce qui s'est passé peu de temps après l'avènement du nouveau ministère. On a beaucoup parlé de l'honorable M. Tack. Un électeur se sera préoccupé de la conduite de ce ministre et l'aura inscrit sur son bulletin.
M. Ortsµ. - C'était une plaisanterie.
M. de Macarµ. - Evidemment, c'était même une mauvaise plaisanterie. Mais parce qu'un électeur a fait une plaisanterie, s'ensuit-il que son vote doive être vicié ?
M. Wasseigeµ. - Le bulletin n'était pas sérieux.
M. de Macarµ. - Il n'était pas sérieux pour le sénateur ; mais il était très sérieux pour les représentants. Je ne pense pas qu'on puisse arguer d'un pareil fait pour que le bulletin doive être annulé.
Messieurs, je crois que vous n'avez à voir dans cette affaire qu'une seule chose : c'est le caractère de sincérité ou de déloyauté de l'élection ; c'est là-dessus qu'il faut baser votre conviction.
L'honorable comte de Theux, vous engageant hier à ne pas exiger l'impression des rapports sur les élections contestées, vous disait avec beaucoup de vérité : « Allez-vous discuter minutieusement le pour et le contre ? Il me semble que dans les circonstances politiques où nous nous trouvons, il est de la dignité de la Chambre de ne pas ajourner à plusieurs jours sa réponse au discours du Trône et de ne pas perdre son temps à des discussions, que je dirai oiseuses, parce que les faits sont parfaitement appréciables. Je crois que le pays trouverait très mauvais cet ajournement à plusieurs jours des affaires dont nous aurons à nous occuper. Nous devons, aussitôt que possible, constituer notre bureau et voter les mesures que le gouvernement a à nous proposer. »
Il est évident que ce n'est pas le moment de discuter minutieusement toutes ces petites questions de détail ; il faut voir le caractère de l'élection. Eh bien, le caractère de celle que je défends est essentiellement honnête, l'honorable membre de la droite qui a pris la parole, n'a pu lui-même contester ce caractère général.
Il est venu vous parler de quelques petits faits particuliers auxquels il me serait facile de répondre, si je ne tenais, en présence de votre impatience, à abréger autant que possible le débat.
Ainsi il y a notamment ce bulletin écrit par un paysan ; je voudrais que la Chambre entière le vit ; il a un caractère de sincérité manifeste. Quant au parafe, il y a aussi un bulletin au dossier portant le nom de M. de Liedekerke et qui renferme un signe beaucoup plus apparent que celui-là.
Il ne reste, malgré toutes les raisons que l'on a fait valoir, que des motifs d'annulation vraiment futiles, et c'est en toute confiance que je m'en rapporte à l'impartialité de la Chambre.
- La discussion est close.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
M. Liénartµ. - La conclusion naturelle de mon discours est un amendement qui est rédigé dans les termes suivants :
« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner un scrutin de ballottage entre MM. de Macar et de Liedekerke. »
- Il est procédé à l'appel nominal sur cet amendement.
108 membres répondent à l'appel nominal.
42 membres répondent oui.
63 membres répondent non.
3 membres s'abstiennent.
En conséquence l'amendement est rejeté.
Ont voté pour : MM. Thibaut, Van Cromphaut, Vanden Steen, Van Hoorde, Van Outryve, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck, Coomans, Cornesse, Cruyt, de Baels, de Clercq, de Haerne, Delcour, De Le Haye, de Moerman d'Harlebeke, de Naeyer, de Smet, de Theux, Hayez, Hermant, Jacobs, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Pety de Thozée, Reynaert, Santkin, Schollaert et Vander Donckt.
Ont voté contre : MM. Tesch, Thienpont, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Léon Visart, Vleminckx, Warocqué, Allard, Ansiau, Anspach, Balisaux, Bara, Bergé, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Coremans, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Borchgrave, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, Demeur, de Muelenaere, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Janssens, Jottrand, Julliot, Lambert, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lescarts, Mouton, Muller, Nothomb, Orts, Pirmez, Puissant, Rogier, Royer de Behr, Simonis et Snoy.
Se sont abstenus : MM. Delaet, de Lhoneux et de Macar.
MpVanderDoncktµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Delaetµ. - Je me suis abstenu parce qu'après avoir écouté très attentivement la discussion, j'ai conservé un doute.
Je crois que lorsqu'il reste un doute dans l'esprit de celui qui vote, ce doute doit être interprété en faveur du candidat dont l'élection est contestée. Or, par l'abstention, sans approuver pleinement une élection plus ou moins irrégulière, j'ai entendu émettre un vote favorable au candidat.
M. de Lhoneuxµ - Je me suis abstenu parce que je suis directement intéressé dans la question.
M. de Macarµ. - Je crois que la Chambre comprendra le sentiment qui m'a porté à m'abstenir et que je n'ai pas besoin d'entrer dans des développements à cet égard.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. de Macar prête serment ; il est proclamé membre de la Chambre.
M. Liénardµ. - Messieurs, je ne ferai pas de proposition en ce qui concerne cette élection ; seulement, je dois déclarer que si le dossier devait être examiné séance tenante, je ne pourrais me prononcer en connaissance de cause.
Beaucoup d'autres membres sont dans le même cas.
Quand, hier, on a demandé la remise de la discussion à aujourd'hui, j'avais reçu l'assurance de l'honorable rapporteur que j'aurais pu, dès hier soir, consulter les bulletins contestés. Mon espoir a été déçu.
Je n'en fais aucun grief à l'honorable rapporteur.
La Chambre décidera si elle entend voter la remise à demain.
M. Dupontµ. - Il y a une décision de la Chambre.
M. Liénartµ. - Il n'y a pas moins de 30 à 35 bulletins contestés.
La commission a opéré un bouleversement complet dans ces bulletins ; elle a annulé des bulletins qui avaient été validés par le bureau et réciproquement.
Un simple coup d'œil ne peut suffire pour se rendre compte du résultat de cette élection.
(page 17) M. Eliasµ. - Messieurs, je dois constater que l'honorable M. Liénart a eu en main, avant-hier, les bulletins, pendant une demi-heure.
Aujourd'hui, à 11 heures, je les ai remis au greffe.
Tout le monde a donc pu en prendre connaissance. Quant au désordre, il n'existe pas ; tous les bulletins sont parfaitement dans l'ordre où ils doivent être. D'ailleurs, au lieu de 25 ou 30 bulletins contestés, il n'y en a que 10 et encore les réclamations ne portent que sur des points minimes.
Je crois donc que la Chambre est à même de juger en connaissance de cause.
MpVanderDoncktµ. - Il y a une proposition d'ajournement à demain. ; je dois la mettre aux voix.
- L'ajournement à demain est prononcé.
MpVanderDoncktµ. - Nous avons à nous occuper maintenant du rapport sur l'élection de Virton.
La commission conclut à l'admission de M. Bouvier comme membre de la Chambre des représentants.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Bouvier prête serment.
M. Eliasµ. - Dans l'élection de Philippeville, il y a un candidat dont la proclamation n'est pas contestée. Je demande que les conclusions de la commission soient accueillies en ce qui le concerne et que M. de Baillet-Latour soit, dès maintenant, proclamé membre de la Chambre.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Baillet-Latour prête serment.
Nombre de votants, 111
Bulletins blancs, 5
Reste suffrages valables, 108
Majorité absolue, 55.
M. Vilain XIIII obtient 73 suffrages.
M. Rogier, 55 suffrages.
En conséquence, M. Vilain XIIII est proclamé président de la Chambre.
Nombre de votants, 111
Bulletins blancs, 8
Reste bulletins valables, 103
Majorité absolue, 52.
M. de Naeyer obtient 69 suffrages.
M. Van Humbeeck, 28 suffrages.
M. Rogier, 1 suffrage.
M. Vandenpeereboom, 1 suffrage.
M. Tack, 1 suffrage.
M. Vander Donckt, 1 suffrage.
En conséquence, M. de Naeyer est proclamé premier vice-président de la Chambre.
Nombre de votants, 103
Bulletins blancs, 26
Reste suffrages valables, 77
Majorité absolue, 39.
M. Van Humbeeck obtient 39 suffrages.
M. Guillery, 36 suffrages.
M. AIp. Vandenpeereboom, 1 suffrage.
M. Dansaert, 1 suffrage.
En conséquence, M. Van Humbeeck est proclamé second vice-président.
Le scrutin donne le résultat suivant :
Nombre de votant, 102
Bulletins blancs, 2
Reste suffrages valables, 100
Majorité absolue : 51.
M. Reynaert obtient 64 suffrages.
M. Wouters, 61 suffrages.
M. de Borchgraeve, 60 suffrages.
M. de Vrints, 49 suffrages
M. Dethuin, 48 suffrages.
M. de Rossius, 37 suffrages.
En conséquence, MM. Reynaert, Wouters et de Borchgrave sont proclamés secrétaires.
Il y a lieu à ballottage entre MM. de Vrints et Dethuin.
- La séance est levée à cinq heures trois quarts.