(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 1175) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des officiers pensionnés prient la Chambre de s'occuper, avant la fin de la session, de leur demande ayant pour objet une augmentation de pension. »
M. Vleminckxµ. - Messieurs, la session est trop avancée, pour que je puisse solliciter un prompt rapport sur cette pétition ; mais je fais remarquer à la Chambre que nous recevons constamment des pétitions d'officiers pensionnés sur le sort desquels on ne décide rien. Des (page 1176) explications nous ont été promises par l'honorable ministre des finances ; je demande que ces explications nous soient données le plus tôt possible.
M. Lelièvreµ. - J'ai souvent demandé un prompt rapport sur des pétitions de la nature de celle dont il s'agit. Je ne puis donc qu'appuyer les observations de M. Vleminckx, et je désire qu'on statue enfin, sans retard, sur des réclamations que je considère comme parfaitement justes.
« Par dépêche du 5 mai, M. le ministre de la justice informe la Chambre que le nommé Schöner, Jean-Pierre, renonce à sa demande de naturalisation. »
M. Descampsµ dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant au département des travaux publics un crédit supplémentaire de 497,503 fr. 75 c.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
MiPµ, présente un projet de loi ayant pour objet la séparation du hameau La Louvière de la commune de Saint-Vaast et son érection en commune distincte.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à une commission qui sera nommée par le bureau.
M. Lelièvreµ (pour une motion d’ordre). - M. le ministre des finances a déposé récemment un projet de loi sur certains droits d'enregistrement. Ce projet renferme d'excellentes dispositions, et il serait très utile qu'il pût être voté pendant la présente session. J'émets donc le vœu que la section centrale s'en occupe sans retard, afin qu'il puisse être soumis à la Chambre la semaine prochaine.
« Art. 116. Subsides à déjeunes artistes pour les aider dans leurs études ; encouragements à de jeunes artistes qui ont déjà donné des preuves de mérite ; voyages dans le pays et à l'étranger pour les aider à développer leur talent ; missions dans l'intérêt des arts ; secours à des artistes qui se trouvent dans le besoin ou aux familles d'artistes décédés ; encouragements à la gravure en taille-douce, à la gravure en médailles, aux publications relatives aux beaux-arts ; subsides ; souscriptions ; acquisitions d'œuvres d'un intérêt artistique ou archéologique ; subsides aux sociétés musicales, aux écoles de musique, aux sociétés pour l'encouragement des beaux-arts, aux expositions locales, etc. ; subside pour l'organisation d'un grand festival annuel de musique classique à donner alternativement dans chacun des chefs-lieux de province avec le concours des villes et des provinces intéressées ; commandes et acquisitions d'œuvres d'artistes vivants ou dont le décès ne remonte pas à plus de dix ans ; subsides aux établissements publics pour aider à la commande ou à l'acquisition d'œuvres d'art ; encouragements à la peinture murale, avec le concours des communes et des établissements intéressés ; subsides à des fabriques d'église à titre d'encouragement, pour l'exécution d'objets mobiliers religieux offrant un caractère artistique reconnu ; académies et écoles des beaux-arts autres que l'Académie d'Anvers ; conseil de perfectionnement de l'enseignement des arts du dessin ; grand concours de composition musicale, de peinture, de sculpture, d'architecture et de gravure en taille-douce ; pensions des lauréats ; frais relatifs aux grands concours ; acquisition de publications et d'ouvrages pour le service spécial de l'administration des beaux-ans ; dépenses diverses : fr. 425,000. »
M. Hagemansµ. - Quand j'ai eu l'honneur hier de prendre la parole à la fin de la séance, un peu tard, si tard même que j'ai craint d'abuser de votre patience, messieurs, j'ai dit qu'en fait de beaux-arts j'étais partisan de la protection du gouvernement.
J'ai déjà défendu cette opinion dans cette Chambre ; elle a été attaquée au dehors, mais je la maintiens.
Cette protection est, selon moi, nécessaire, indispensable.
Florence, Rome, Venise ne posséderaient pas les chefs d'œuvre que nous connaissons, si les princes, les papes, la République n'avaient encouragé, n'avaient protégé les arts.
Michel-Ange, Raphaël, Véronèse et tant d'autres maîtres illustres n'auraient pas enrichi l'Italie, que je me bornerai à citer comme exemple, si de grands travaux ne leur avaient été commandés.
Et cependant à cette époque les artistes avaient des ressources que n'ont plus que rarement, très rarement, les artistes de nos jours : les grandes corporations religieuses et laïques n'existent plus, ou ne font plus d'importantes commandes ; les grands seigneurs sont devenus rares ; les fortunes se sont divisées ; les maisons relativement étroites ont remplacé les vastes palais.
Sans la protection du gouvernement, dans l'état actuel des choses, la grande peinture doit donc fatalement disparaître. Sans cette protection nous aurons de la peinture de chevalet, nous aurons des paysages, des tableaux de genre, des portraits, nous aurons en un mot des tableautins, mais nous n'aurons plus ces grandes pages qui ont illustré le siècle de Rubens.
Or, disais-je, l'école flamande mérite bien qu'on fasse quelque chose pour elle, ne fût-ce que par reconnaissance, et je rends cette justice au gouvernement qu'il fait à cet égard tout son possible.
II est cependant quelques critiques à formuler.
Quelques-uns disent, par exemple, que les commandes sont faites un peu au hasard, un peu à la légère. C'est fort possible, mais je tenais à exprimer une autre critique qui me paraît plus importante.
Vous envoyez à Rome de jeunes artistes qui ont à peine quitté les bancs de l'Académie. Non seulement vous leur donnez un subside insuffisant, vous les laissez végéter quelques années à Rome, mais tout cela pourquoi ? Pour leur rendre le plus mauvais service possible.
C'est aux dépens de leur originalité, puisqu'ils n'ont pas encore eu le temps d'apprendre à être eux-mêmes, qu'ils vont à l'étranger faire des pastiches et perdre leur individualité à la recherche d'un style en désaccord avec leurs mœurs, leurs aptitudes.
Au lieu de rester Belges, ils reviennent médiocres Italiens, Allemands ou Français.
Il est évident que le sol, le climat, la race exercent une immense influence sur la peinture ; or, c'est aux dépens de l'école flamande, de l'école belge qu'on soustrait ces jeunes gens à cette influence en les plaçant dans un autre milieu.
Que des hommes dont le talent a acquis son originalité aillent à l'étranger étudier les grands maîtres, rien de mieux. Cette étude devient presque indispensable quand on est arrivé à l'âge de l'expérience, à l'âge où l'on sait voir et profiter de ce que l'on voit.
On m'objectera : Mais qu'ont fait les anciens artistes belges ? Eux aussi n'allaient-ils pas en Italie ?
En effet. Mais prenons quelques noms au hasard parmi les plus célèbres.
Pour ne pas remonter aux frères Van Eyck, aux Hemling, citons d'abord Jean Mabuse : il ne partit pour l'Italie qu'après avoir peint depuis longtemps et avoir déjà acquis une grande réputation.
Van Orley avait 37 ans quand il partit pour la Péninsule ; Lambert Lombard en avait 32.
Rubens, dont les études commencèrent à 11 ans, avait fréquenté déjà plusieurs ateliers, était resté longtemps dans celui de son maître Otto Venius, avait déjà une immense réputation quand il alla en Italie.
Van Dyck passa les Alpes à 22 ans, il est vrai, mais un de ses contemporains dit que ses ouvrages étaient, avant ce départ, déjà presque aussi estimés que ceux de son maître Rubens. Déjà du reste en 1618, c'est-à-dire à l'âge de 19 ans, il avait été reçu membre de l'académie d'Anvers.
Jordaens, Rembrandt, Teniers et tant d'autres ne visitèrent jamais l'Italie.
Quant à ceux qui y allèrent faire un long séjour pour se perfectionner, leur talent était déjà fait, il avait acquis son originalité, son goût de terroir, si je puis m'exprimer ainsi.
N'envoyez donc pas trop tôt les jeunes gens à Rome, mais que les (page 1177) déjà formes y aillent pour se perfectionner et non pour s'y former.
Eu disant ceci, je ne veux pas approuver cependant certaines mesures qui ont été prises en certaine circonstance.
Le gouvernement qui protège beaucoup la peinture murale, peut-être même un peu trop, a fait un jour une grande commande à un artiste ; cet artiste a travaillé longtemps, a reçu des sommes importantes pour ses fresques, mais chose bizarre, c'est quand ses travaux ont été terminés, qu'on l'a envoyé en Italie avec de gros subsides pour y étudier la peinture murale. Il me semble que cette fois on s'y est pris à rebours.
Je critiquais hier aussi le choix de quelques tableaux destinés au Musée des maîtres anciens. Je citais, par exemple, l'acquisition d'un Teniers ; ce n'est pas une des plus belles œuvres de ce maître ; mais en admettant même que ce fût son chef-d'œuvre, le Musée de Bruxelles ne possédait-il pas déjà quatre Teniers, dont deux excellents, car c'est dans les petits tableaux que ce maître excelle, tandis que ce même Musée ne possède même pas de Titien, car le portrait attribué à ce maître n'est pas de lui : c'est un Tintoret.
Quant au Teniers acheté 125,000 francs, une observation m'a été faite hier : c'est que cette œuvre en vaut 200 mille. C'est possible. Mais quoi qu'il en soit, il me semble qu'un musée doit surtout être une école de peinture et ne pas faire de la spéculation.
En tous cas, mieux aurait valu consacrer cette somme importante de 125,000 francs à l'achat de certains maîtres qui ne sont pas représentés dans le Musée de l'Etat.
J'avais fait également quelques observations à propos d'une esquisse de Delacroix et d'un fusain de Descamps, achetés par le gouvernement. Je suis loin de critiquer ces achats, ce sont des œuvres très intéressantes, mais elles me paraissaient avoir été acquises à un prix trop élevé ; l'une d'elles, par exemple, m'avait-on assuré, devait avoir été payée quatre ou cinq fois la valeur qu'elle avait atteinte dans une vente publique à Paris.
J'ai été heureux d'apprendre, par une interruption de l'honorable M. Vandenpeereboom, que j'étais dans l'erreur à ce sujet.
Du reste, je l'ai déclaré et je le répète, je ne critiquais pas ce choix, mais je désirais savoir s'il était vrai que le prix de ces œuvres d'artistes modernes, destinées au Musée des tableaux anciens, avait été prélevé sur les fonds destinés à la peinture nationale.
Je terminais hier mon discours en demandant ce qu’il en était de certain projet de fusion entre la direction des beaux-arts et celle de l'agriculture et je disais que cet accouplement me paraissait tellement bizarre que je ne pouvais y ajouter foi. M. le ministre de l'intérieur nous donnera sans doute quelques explications à cet égard.
Mais si d'une part, ceci serait vouloir beaucoup fusionner, d'autre part il me semble qu'on veut trop diviser. Ainsi je vois qu'il est question de nommer un conservateur spécial pour le Musée Wiertz. Je ne comprends pas trop la nécessité de cette sinécure. Ce système pourrait conduire loin : autant d'artistes, autant de conservateurs.
Un dernier mot, et je termine. Ce qu'on appelait la baraque a disparu. Nul ne s'en plaindra, je crois, car il aurait été difficile de faire quelque chose de plus laid que cette construction en planches devant servir de palais des beaux-arts. Mais qu'aura-t-on pour l'exposition triennale de l'année prochaine ? Encore du provisoire nécessairement ! Or, le provisoire coûte cher et il n'en reste rien. Plusieurs projets de palais des beaux-arts existent cependant, j'en ai vu et de fort beaux. Qu'on en choisisse un, il est plus que temps, et qu'on se mette à l'œuvre. Ce sera, d'une part, donner du travail à l'ouvrier qui en a grand besoin, ce sera, de l'autre, rendre un juste hommage aux arts qui donnent à notre pays tant de gloire et, par la même occasion, tant d'argent, ce qui ne gâte rien.
J'ai dit.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je crois que l'honorable M. Hagemans a été mal renseigné. Si je l'ai bien compris, il nous a dit que le gouvernement avait envoyé à Rome de jeunes artistes qui savaient à peine dessiner ; cette allégation est des plus erronées. Les jeunes gens que le gouvernement a envoyés à Rome sont ceux qui ont obtenu le premier prix au grand concours, chacun a pu apprécier leur mérite, et les amis des arts y ont applaudi.
La meilleure preuve que plusieurs des grands prix de Rome ont fait des études sérieuses, c'est que, revenus dans leur pays, ils ont compté et comptent encore parmi les artistes les plus éminents ; ainsi Wiertz, Stallaert, Portaels, Van Maldeghem, Pauwels, etc., etc., sont des premiers prix de Rome et je crois qu'on ne pourra pas faire de reproche au gouvernement d'avoir favorisé ces artistes éminents qui font aujourd'hui l'honneur et la gloire de la Belgique.
Quant aux acquisitions dont l'honorable membre a parlé, je crois que l'administration des-beaux-arts est à l'abri de tout reproche. On a vingt fois conseillé au gouvernement dans cette Chambre de n'acheter que des œuvres de grand mérite ; on nous a dit : « Pourquoi acheter des tableaux de deuxième ou de troisième ordre ? Si vous avez de l'argent, achetez une belle œuvre qui reste dans le pays. » Eh bien, ces conseils que l'on a donnés et qui étaient conformes à mes idées personnelles, je les ai suivis. J'ai acquis un tableau de Teniers ; il a été payé très cher, mais il faut le dire, c'est un tableau dont la réputation est européenne. Cette œuvre allait échapper à la Belgique ; il était question de la vendre à l'étranger. J'ai cru que, dans cette circonstance, un sacrifice important était justifié afin de maintenir dans notre pays une œuvre aussi capitale.
M. Hagemansµ. - Il y en a déjà quatre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je crois qu'il n'y en a pas un qui soit aussi connu, aussi remarquable, aussi célèbre que le grand tableau de Teniers, acquis pour le Musée.
J'ai cru d'autant plus devoir faire cette acquisition, qu'elle pouvait avoir lieu sur les fonds ordinaires du budget et qu'on n’a pas été obligé de demander un crédit spécial à la Chambre pour cette dépense.
La commission directrice du Musée, qui administre cet établissement avec le plus grand soin et la plus louable économie, était parvenue, pendant plusieurs années, à ne pas dépenser tous les crédits mis à sa disposition ; elle a insisté pour pouvoir acheter ce chef-d'œuvre sur les économies qu'elle avait réalisées et j'ai cru devoir y consentir.
Quant à l'œuvre de M. Descamps, j'ai fait remarquer hier à l'honorable M. Hagemans, lorsqu'il disait que cette œuvre achetée par le gouvernement avait été vendue à Paris récemment pour 5,000 fr., qu'il n'en est rien.
Cette œuvre a été vendue, en dernier lieu, pour 26,000 francs et le gouvernement l'a achetée pour 29,000 francs. Voilà la vérité.
Les critiques assez amères dont i a été l'objet, en dehors de cette enceinte, l'acquisition d'un tableau de Delacroix, ne sont pas fondées non plus. On a prétendu que, présenté en vente à Paris, ce tableau a été vendu à vil prix ; il n'en est rien. Déjà cette assertion a été contredite et démentie pièces en mains. Cette esquisse n'a jamais été mise en vente. C'est un autre tableau qui a été offert aux enchères et qui a été cédé à un prix peu élevé.
L'honorable membre a demandé encore si ces acquisitions d'œuvres étrangères n'étaient pas faites au détriment de l'art national.
Pour les œuvres modernes, il y a, au budget, un crédit particulier de 20,000 fr. Le gouvernement, il y a quelques années, a démontré qu'il était utile de placer au Musée moderne quelques œuvres de peintres vivants étrangers
L'honorable membre nous a parlé encore de peinture murale.
Je reconnais que toutes les peintures murales qui ont été commandées ne sont pas encore exécutées. Je suis même tenté de croire que quelques-unes de ces œuvres ne répondront pas à l'attente, mais il faut prendre la chose dans son ensemble et il est évident, dès maintenant, que nous aurons quelques œuvres magistrales qui justifieront et au delà les sacrifices que le gouvernement a faits pour ce genre de peinture. Je place en première ligne l'œuvre de Leys à l'hôtel de ville d'Anvers et je suis certain que tous les connaisseurs, tous les amis de l'art qui verront cette œuvre ne regretteront pas les sacrifices que le gouvernement a faits pour cet objet.
J'ai encore une dernière observation à présenter. C'est que l'exécution de peintures murales ne nuit en rien à la peinture sur toile ou sur panneaux.
Ce sont des crédits distincts, et pendant les dernières années de ma présence au ministère de l'intérieur, indépendamment des dépenses faites pour la peinture murale, le gouvernement a acquis pour plus de 162,000 fr. de tableaux qui sont placés dans les musées, et des sommes très considérables ont été données à des communes pour leur permettre d'acquérir des œuvres d'art placées dans les hôtels de ville, etc.
Mais si je suis en dissentiment avec l'honorable M. Hagemans sur ces questions de fait et de détail ; je suis parfaitement d'accord avec lui sur ce point, que le gouvernement doit encourager les beaux-arts. En effet, nous n'avons plus aujourd'hui, comme autrefois des corporations (page 1178) puissantes, des sociétés, des chapitres qui achetaient aux grands artistes de grands tableaux historiques ou religieux.
Aujourd'hui le gouvernement doit remplir ce rôle et faire des dépenses sur le trésor pour doter nos monuments de décorations historiques et d'œuvres d'art qui y trouvent une place si légitime.
Je suis heureux d'être d'accord sur ce point avec M. Hagemans qui, archéologue distingué, comprendra que la plus belle décoration pour un monument c'est la décoration artistique et notamment la peinture murale.
M. Hymans, rapporteur. - L'honorable M. Hagemans, qui est un connaisseur distingué, doit reconnaître que parmi les attributions multiples du département de l'intérieur, il n'en est pas dont l'exercice soit plus difficile que le patronage en matière de beaux-arts.
Sans compter que le gouvernement est sollicité par des influences de tous genres, par des rivalités d'école, et même quelquefois par des intérêts politiques, le critérium, en ces matières, est fort difficile à discerner : De gustibus et coloribus non est disputandum, dit un vieil adage.
Un ministre peut faire des acquisitions excellentes, acheter des œuvres qui sont jugées médiocres dans le présent, qui seront jugées magnifiques par la postérité ; il peut, cédant à l'engouement du jour, payer très cher des œuvres qui passent pour très remarquables et qui seront cotées très bas par les générations futures. Il faut donc être indulgent pour le gouvernement en ces matières.
Cependant je crois devoir insister sur un point signalé par la section centrale dans le rapport et sur lequel elle a été unanime, c'est qu'il importe que le gouvernement se montre très sobre de commandes, et qu'il ne fasse en général que des acquisitions fussent-elles chères, à la condition qu'elles soient bonnes et qu'elles soient ratifiées à l'avance par le sentiment public.
M. Coomans. - C'est le point essentiel.
M. Hymans, rapporteur. - Oui, c'est un point essentiel et sur lequel j'insiste.
L'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom, il faut le reconnaître, est entré en partie dans cette voie ; la plupart des commandes qui ont été payées sous son administration dataient des administrations précédentes.
Ceci m'amène à dire un mot de la peinture murale.
Je me rallie de tous points, à cet égard, aux observations faites par M. Hagemans ; je n'ai jamais été partisan, en principe, de la peinture décorative dans notre pays, et la première fois qu'on nous a présenté un projet de crédit pour cet objet, je l'ai combattu ; un vote a été émis par la Chambre sur ce point et la minorité qui a voté contre ce crédit a été fort respectable.
M. Alphonse Vandenpeereboom vient de reconnaître lui-même tout à l'heure qu'une partie et je dirai, moi, une grande partie des travaux faits n'ont pas répondu aux espérances qu'on en avait conçues. Il n'y a là rien d'extraordinaire ; le tort qu'on avait eu, c'était de concevoir des espérances alors que l'on confiait des œuvres qui ne peuvent être exécutées d'une manière convenable que par des artistes de premier ordre à des artistes de deuxième et même de troisième ordre qui ne s'étaient fait connaître que par des œuvres médiocres.
Quoi qu'il en soit, et j'espère que l'honorable M. Pirmez, trouvant qu'il y a maintenant assez de peintures murales en Belgique, ne continuera pas à marcher dans la voie que lui ont tracée ses prédécesseurs ; quoi qu'il en soit, dis-je, j'appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'observation faite par la section centrale à la page 41 de son rapport.
« La peinture murale mérite assurément d'être encouragée, mais en répartissant les dépenses sur de trop nombreux exercices, on arrive naturellement à se montrer moins avare de l'emploi des deniers des contribuables, et les travaux coûtent parfois d'autant plus cher que leur exécution traîne plus en longueur. C'est là un écueil contre lequel la section centrale est d'avis que le gouvernement fera bien de se mettre en garde.
Il n'est, je crois, personne dans cette Chambre qui ne trouve cette observation fondée ; et si vous voulez bien consulter le tableau des crédits engagés, tableau publié à la page 84 des notes explicatives fournies à l'appui du budget, vous verrez que pour beaucoup de travaux qu'on avait commandés ces crédits ont été notablement dépassés.
Cet abus ne se produirait pas si l'on demandait un crédit fixe au budget pour certains travaux, et si l'on demandait aux artistes des cartons dont l'exécution définitive ne pourrait pas excéder en dépense les conditions convenues entre le gouvernement et l'artiste. Enfin, il importe de ne payer que ce qui a été fait.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est ce qu'on fait généralement.
M. Hymans. - Généralement, c'est possible, mais il faudrait que cela se fît toujours, et le tableau que j'ai invoqué tout à l'heure, me prouve que certaines prévisions ont été notablement dépassées ; et que l'on a payé à plus d'un artiste des œuvres qui ne sont pas exécutées.
Messieurs, je dois un mot d'explication à l'honorable M. Hagemans à propos de ce qu'il a dit de la place de conservateur qu'on veut créer pour le Musée Wiertz. Le gouvernement avait demandé une augmentation de crédit au chapitre des beaux-arts pour créer cette place. La section centrale a été d'avis, comme l'honorable M. Hagemans, que le Musée Wiertz ne comportait pas pour lui seul un conservateur, alors qu'il n'y a pas même de conservateur au Musée moderne. Nous avons proposé an gouvernement de modifier le libellé de l'article, et de créer une place de conservateur des Musées modernes.
Le Musée Wiertz serait compris dans cet article. Malgré l'adhésion du gouvernement à cette modification, la section centrale a persisté dans une certaine opposition à la demande de crédit ; mais elle s'est prononcée unanimement pour l'adopter lorsqu'elle a su qu'il s'agissait d'accorder cette place à un homme qui est une des gloires de la Belgique, un des plus illustres, pour ne pas dire le plus illustre de nos écrivains, je veux parler d'Henri Conscience.
Messieurs, un dernier mot. L'honorable M. Hagemans s'est élevé contre la fusion de la direction des beaux-arts et de celle de l'agriculture. Je dois dire qu'en apprenant la nouvelle de cette fusion j'ai été aussi surpris que l'honorable membre.
Cependant il y a deux considérations qui, toute réflexion faite, sont de nature à modifier cette impression première ; c'est d'abord la capacité hors ligne du fonctionnaire qui se trouvera placé à la tête de la nouvelle direction ; en second lieu, il n'est peut-être pas aussi extraordinaire que paraît le trouver l'honorable membre de mettre sous la direction d'un même fonctionnaire la culture des champs et la culture des subsides.
MiPµ. - L'honorable M. Hagemans a présenté quelques observations fort justes sur l'emploi des crédits du budget.
C'est ainsi qu'il nous a dit qu'il fallait ne pas faire des acquisitions une affaire de spéculation et qu'on devait encourager surtout l'art national.
M. Hymans, de son côté, avec non moins de raison, conseille de se mettre en garde contre les commandes et les payements anticipatifs.
Je suivrai cette double recommandation ; je crois ne pouvoir mieux y satisfaire, qu'en consacrant les crédits mis à la disposition du gouvernement à acquérir des tableaux de nos peintres, lorsque le mérite supérieur de ces tableaux sera reconnu. On ne doit en général faire exception à cette règle que pour la décoration des édifices.
Les autres points qu'a touchés l'honorable M. Hagemans concernent l'administration de mon prédécesseur ; l'honorable M. Vandenpeereboom a déjà répondu à la plupart des critiques énoncées à cet égard.
J'ai à vous entretenir d'un acte de mon administration dont à diverses reprises les journaux se sont préoccupés, d'une prétendue fusion de la direction générale de l'agriculture et de l'industrie et de la direction générale des beaux-arts, lettres et sciences.
Bien des plaisanteries ont été faites à ce sujet.
La peinture va-t-elle, m'a-t-on demandé, être confondue avec la question des engrais solides ou liquides ?
Les formes de la statuaire seront-elles jugées au même point de vue que celles des races porcines perfectionnées ?
Les poésies seront-elles examinées comme un règlement sur un concours de chevaux ou de taureaux ?
Enfin, j'ai lu dans un article du journal cette spirituelle boutade que la fusion indiquée aurait pour résultat d'encourager la peinture des paysages des contrées fertiles à l'exclusion des sites arides, d'engager à représenter de grasses prairies, couvertes de bétail de la meilleure race. Cette réunion, pour comble de malheur, vient d'être approuvée par M. Hymans à l'aide d'un argument assez compromettant
L'honorable membre la justifie en disant, veuillez me pardonner l'expression qui, selon moi, rend bien son idée, que toutes les carottes doivent être soumises à la même direction.
Selon M. Hagemans, il y a là, dans la réunion de ces services, un accouplement (page 1179) monstrueux ; si l'honorable membre veut partir de cette pensée et en tirer toutes les conséquences logiques, je suis disposé à être de son avis ; s'il faut déclarer qu'il est absolument impossible à une même personne de s'occuper des questions qui intéressent l'agriculture, l'industrie, les lettres, les sciences et les beaux-arts, je souscris des deux mains à cette déclaration, mais alors j'aurai à invoquer tout d'abord pour moi-même le bénéfice de cette impossibilité et à demander qu'on me décharge de toutes les choses qui ne seront pas compatibles avec celles qu'on me laissera.
Il y a, messieurs, bien d'autres choses que l'agriculture et l'industrie dans les attributions du ministre de l'intérieur ; il me faut chaque jour passer de la littérature à l'hygiène, de la milice à la peinture, des fêtes musicales aux cimetières. Tout cela, et bien d'autres choses forment les occupations variées qui incombent chaque jour au ministre de l'intérieur.
S'il n'y a rien de blessant à ce que le ministre s'occupe de toutes ces matières, est-il inadmissible qu'un fonctionnaire de ce département ait dans ses attributions des choses disparates ? S'il fallait séparer tout ce qui est distinct, il y aurait à multiplier outre mesure les chefs de service.
Je vais du reste vous citer un exemple de ce que les divisions les mieux faites peuvent cependant présenter de bizarre.
Un jour, il y a de cela quelques années, un savant distingué qui avait certains renseignements à donner au sujet de la culture des huîtres, se présente au ministère de l'intérieur et demande à qui il doit s'adresser. On examine, et on lui répond : Au directeur de la garde civique.
A la première vue, messieurs, vous ne saisissez pas, sans doute, les rapports qui peuvent exister entre la garde civique et les huîtres. M. Van Humbeeck qui connaît si bien la garde civique et M. Hymans qui a tant approfondi la question des huîtres seraient embarrassés d'indiquer les rapports de la garde civique avec les huîtres.
La réponse faite au savant dont je parle était cependant exacte.
A la garde civique, élément militaire du ministère de l'intérieur, on a joint la chasse ; à la chasse on a réuni, la pêche, et à la pêche se rattache l'ostréoculture. Voilà comme quoi la direction générale de la garde civique a dans ses attributions la culture des huîtres.
Fort heureusement je crois qu'il n'y a absolument rien de fait à cet égard ; car cela pourrait soulever des susceptibilités bien autrement graves que celles dont l'honorable M. Hagemans s'est fait l'écho, et la garde civique pourrait trouver mauvais qu'on préposât à son inspection le fonctionnaire chargé d'inspecter les parcs d'huîtres. (Interruption.)
- un membre. - Les bans de la garde civique et les bancs d'huîtres.
MiPµ. - Vous voyez donc, messieurs, qu'il peut toujours y avoir, dans les attributions des divers services, des choses assez diverses.
Maintenant en fait, que s'cst-il passé ? Je n'ai pas du tout réuni la direction des beaux arts et la direction de l'agriculture. Mais si je l'avais fait, je dois dire qu'il y aurait eu de sérieuses et de bonnes raisons pour justifier cette mesure, toute plaisanterie à part.
La direction des sciences, des lettres, et des beaux arts renferme des matières extrêmement différentes, et qui n'ont aucune espèce de rapport entre elles.
Ainsi il n'y a aucune espèce de rapport entre les sciences et les beaux-arts ; aucun.
Qu'y aurait-il de commun entre l'algèbre, la chimie, la physique et la sculpture et la peinture ?
Il y a au contraire de très intimes rapports entre la science et l'agriculture et l'industrie. Si l'on veut remarquer les progrès qui se sont réalisés pendant le siècle actuel dans l'agriculture et l'industrie, on reconnaîtra que presque tous ces progrès sont dus aux découvertes ou aux applications des sciences.
II en est de même quant au rapport des arts et de l'industrie.
Il y a deux manières d'envisager les arts, en eux-mêmes et dans leurs applications industrielles.
Les arts dans leur manière d'être la plus noble, poursuivent le beau par eux-mêmes.
C'est dégagées de tout autre élément que la sculpture et la peinture produisent des chefs-d'œuvre. Mais hélas ! l'action gouvernementale n'a qu'une faible influence sur l'éclosion des génies ; elle peut faciliter la voie aux talents naissants, encourager par quelques subsides, récompenser par des acquisitions, mais on ne crée guère de chef-d'œuvre par ordre.
Il y a une autre partie des arts qui mérite une très sérieuse attention, sur laquelle l'action du gouvernement peut exercer une plus grande influence et à laquelle il doit attacher tous ses efforts : c'est la partie des arts appliquée à l'industrie. Il est constaté que notre industrie pèche surtout par le défaut de qualités artistiques.
Je crois que par la réunion dans les mêmes mains de la direction des académies de dessin et de sculpture et de la direction des écoles professionnelles et industrielles, on pourra arrivera d'excellents résultats.
Vous voyez donc, messieurs, qu'il y a peut-être d'aussi bonnes raisons pour réunir les deux directions dont je viens de parler que pour mettre ensemble les sciences et les beaux-arts.
Il y en aurait d'autres encore. La direction des arts, des lettres, des sciences et la direction de l'agriculture et de l'industrie ont un caractère commun, c'est d'être en dehors de l'élément administratif. Il n'y a pas là d'administration proprement dite, comme en matière d'instruction publique et en matière d'institutions communales et provinciales ; ces directions sont chargées de la distribution des encouragements à toutes les parties de l'activité humaine ; réunis, elles formeraient un grand service : des progrès intellectuels et matériels.
Mais, malgré ces raisons, je n'ai pas fondu les deux directions générales.
Voici ce qui s'est passé :
Il y avait un directeur des sciences, des lettres et des arts qui depuis bien des années a quitté le ministère de l'intérieur, sans être remplacé !
Depuis le départ du directeur, le service était dirigé par un chef de division ayant sous lui deux chefs de bureau, tous deux employés très distingués.
Ce chef de division, déjà avancé en âge, désirait être déchargé d'un service actif, de sorte que ce service se trouvait privé des éléments hiérarchiques ordinaires.
Il est très bon, en administration, surtout lorsqu'il s'agit d'appréciation comme en matière d'art et d'encouragement, il est bon d'avoir plusieurs opinions se contrôlant.
C'est une garantie pour une bonne appréciation.
En laissant plus longtemps ce service sans chef, je m'exposais à me voir accuser de méconnaître son importance ; appeler une personne étrangère à l'administration était administrativement regrettable, c'était s'exposer à faire un mauvais choix dont on ne pourrait plus se défaire après expérience. D'autre part, je ne pouvais pas prendre l'un des deux fonctionnaires restants, car si j'avais subordonné l'autre, il y aurait eu des conflits.
Dans cette situation j'ai dû rechercher si je trouverais dans le personnel du ministère un fonctionnaire supérieur dont les aptitudes présentassent toute garantie.
Messieurs, j'ai réuni le secrétaire général et les directeurs généraux du ministère. Ils ont tous été unanimes pour me désigner l'employé chargé de cette direction comme étant parfaitement à même de la diriger de la manière la plus convenable. Parfaitement secondé par le chef de la division de l'agriculture, il pouvait consacrer un temps suffisant à la direction générale vacante.
Ce fonctionnaire, auquel l'honorable M. Hymans a d'ailleurs rendu hommage, a accepté cette charge qui n'est qu'un fardeau pour lui ; car elle ne lui procure aucune espèce d'avantages.
J'ai donc pu, sans froisser aucune susceptibilité administrative, rétablir à la tête de la division des lettres, des sciences et des arts, un fonctionnaire supérieur dont elle avait été longtemps privée. Bien loin d'y voir un amoindrissement pour ce service, il me paraît que c'est lui donner son importance.
J'ai par là trouvé moyen de faciliter des rapprochements pour les rapports de l'industrie avec les arts.
Vous voyez, au surplus, que je n'ai fait que réaliser en matière administrative ce qu'en politique on appelle l'union personnelle.
La même personne se trouvera à la tête de deux directions générales, et je ne comprends pas qu'il y ait là rien qui excite les susceptibilités.
Cette union sera le mariage de Cérès et d'Apollon ; je ne crois pas qu'il y ait là mésalliance.
Messieurs, l'honorable M. Hagemans m'a demandé ce qu'on ferait pour la prochaine exposition des beaux-arts.
C'est là une question que tous les matins je ne manque pas de me poser et à laquelle tous les soirs je réponds que je n'en sais rien. Je m'occupe toits les jours de cette question.
(page 180) J'ai examiné différents projets et j'espère sous peu arriver à une solution.
Deux systèmes se présentent :1e premier est de ne pas retarder l'exposition de l'année prochaine, en recourant encore à une installation provisoire ; le second est de retarder l'exposition d'une année, pour créer quelque chose de définitif.
Si cette dernière hypothèse se réalisait, j'aurais l'intention de provoquer une exposition d'un caractère plus général et d'appeler à l'inauguration de la nouvelle salle, toutes les œuvres qui ont marqué dans notre pays depuis 1830.
- La discussion est close.
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur propose, après les mots : « conseil de perfectionnement de l'encouragement des arts du dessin » d'ajouter : « exposition des travaux des académies et des écoles des beaux-arts du royaume » et de porter à la colonne des charges extraordinaires et temporaires un chiffre de 25,000 fr.
MiPµ. - Messieurs, je demande qu'il soit porté une somme de 25,000 fr. aux charges extraordinaires. Cette somme a pour but de couvrir les frais d'une exposition des académies et écoles des beaux-arts du royaume. Il s'agit de stimuler et de juger les travaux de ces académies et de favoriser ainsi, ce que j'indiquais tout à l'heure, l'introduction dans l'industrie des progrès artistiques.
- L'article est adopté avec l'amendement proposé par M. le ministre de l'intérieur.
« Art. 117. Académie royale d'Anvers, charge ordinaire : fr. 40,857 50.
« Charge extraordinaire : fr. 25,000. »
- Adopté.
« Art. 118. Conservatoire royal de musique de Bruxelles. Dotation de l'Etat destinée, avec les subsides de la province de Brabant et de la ville de Bruxelles, à couvrir les dépenses tant du personnel que du matériel : fr. 71,540. »
M. De Fréµ. - Je désire appeler l'attention du gouvernement ainsi que de la Chambre sur la dotation du Conservatoire de musique de Bruxelles.
Les traitements des professeurs de ce Conservatoire sont tout à fait dérisoires. Le traitement maximum est de 3,400 fr. ; il y a des traitements de 2,400 fr., de 2,000 fr. et même de 200.
S'il y a une institution qui a fait rayonner le nom belge à l'étranger, c'est certainement le Conservatoire de Bruxelles. Les élèves sortis de notre Conservatoire brillent sur tous les théâtres du monde ; et ce sont ces professeurs dotés aussi mesquinement qui ont produit d'aussi beaux résultats.
Il y a là de la part du gouvernement l'oubli d'un grand devoir. Dans l'intérêt national et à l'effet de maintenir au Conservatoire sa salutaire influence, il importe d'augmenter les traitements des professeurs ; sinon, nous en verrons qui quitteront la Belgique pour s'établir dans d'autres pays, et nous perdrons ainsi, les fruits de leurs talents.
Vous avez, dans la loi sur l'enseignement supérieur, un article qui permet au gouvernement d'appeler des étrangers de distinction pour donner des cours dans les universités de l'Etat, à l'effet de rendre cet enseignement plus fécond, et quand on a des professeurs distingués parmi les nationaux on ne les traite pas assez bien pour pouvoir les conserver.
Je crois qu'il est inutile d'insister sur ce point ; l'honorable ministre de l'intérieur est lui-même un musicien distingué et il appréciera parfaitement la situation que j'ai indiquée.
MiPµ. - J'ai la satisfaction d'informer l'honorable M. De Fré qu'il y a quelques jours plusieurs traitements de professeurs du Conservatoire ont été augmentés ; mais il y aura toujours certaines difficultés à conserver des artistes qui ont acquis un grand renom. Il y a quelques artistes qui à l'étranger peuvent acquérir une fortune qu'aucun traitement ne pourrait compenser. Que faire, par exemple, si un professeur peut réaliser à l'étranger une centaine de mille francs par an ?
- Adopté.
« Art. 119. Conservatoire royal de musique de Liège. Dotation de l'Etat, destinée, avec les subsides de la province et de la ville de Liège, à couvrir les dépenses tant du personnel que du matériel : fr. 40,240. »
- Adopté.
« Art. 120. Musée royal de peinture et de sculpture. Personnel : fr. 13,025. »
- Adopté.
« Art. 121. Musée royal de peinture et de sculpture. Matériel et acquisitions ; frais d'impression et de vente du catalogue : fr. 23,400. »
- Adopté.
« Art. 122. Musée Wiertz. Personnel, conservateur des musées modernes de peinture et de sculpture, matériel et frais d'entretien : fr. 9,500. »
- Adopté.
« Art. 123. Musée royal d'armures et d'antiquités. Personnel : fr. 8,700. »
- Adopté.
« Art. 124. Musée royal d'armures et d'antiquités. Matériel et acquisitions ; frais d'impression et de vente du catalogue ; frais de publication d'une édition illustrée de planches et de vignettes du catalogue des collections du musée ; création d'une section sigillographique, charge ordinaire : fr. 12,000.
« Charge extraordinaire : fr. 7,000. »
- Adopté.
« Art. 125. Monument de la place des Martyrs ; salaire des gardiens. Frais de surveillance de la colonne du Congrès. Traitement du concierge du palais de la rue Ducale. Frais d'entretien des locaux de ce palais et chauffage des locaux habités par le concierge ; frais de surveillance du Musée moderne établi audit palais ; frais de conservation, d'entretien, de chauffage et de mobilier, et frais divers imprévus de ce Musée : fr. 14,510. »
- Adopté.
« Art. 126. Monuments à élever aux hommes illustres de la Belgique ; subsides aux villes et aux provinces ; médailles à consacrer aux événements mémorables, charge ordinaire : fr. 10,000.
« Charge extraordinaire : fr. 80,000. »
- Adopté.
« Art. 127. Subsides aux provinces, aux villes et aux communes dont les ressources sont insuffisantes pour la restauration des monuments ; subsides pour la restauration et la conservation d'objets d'art et d'archéologie, appartenant aux administrations publiques, aux églises, etc. ; travaux d'entretien aux propriétés de l'Etat qui ont un intérêt exclusivement historique : fr. 56,000. »
- Adopté.
« Art. 128. Commission royale des arts et monuments. Personnel. Jetons de présence, frais de voyage des membres de la commission, du secrétaire et des dessinateurs ; bibliothèque, mobilier, chauffage, impressions, frais de bureau, achats d'instruments, compte rendu des séances générales, indemnités des sténographes et frais de publication : fr. 24,600. »
- Adopté.
« Art. 129. Rédaction et publication du bulletin de la commission d'art et d'archéologie : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 130. Frais de route et de séjour des trois commissaires de l'Académie royale de Belgique adjoints à la commission royale des arts et des monuments, et des membres correspondants de cette commission : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 131. Inspection des établissements dangereux, insalubres ou incommodes projetés ou en exploitation ; personnel ; frais de route et de séjour, dépenses diverses et travaux relatifs à cette inspection ; frais des commissions médicales provinciales ; service sanitaire des ports de mer et des côtes ; subsides en cas (page 1181) d'épidémies ; encouragements à la vaccine ; subsides aux sage-femmes pendant et après leurs études : 1° pour les aider à s'établir ; 2° pour les indemniser des soins de leur art qu'elles donnent aux femmes indigentes ; récompenses pour services rendus pendant les épidémies ; impressions, souscriptions et achat de livres ; dépenses diverses ; prix quinquennal des sciences médicales (arrêté du 25 novembre 1839). Charge ordinaire : fr. 106,000.
« Charge extraordinaire : fr. 5,000. »
M. Van Cromphautµ. - Messieurs, je trouve, dans le relevé des modifications au projet de budget, un crédit pétitionné de 5,000 francs.
En produisant le libellé de ce chiffre, il me semble qu'on donne un effet rétroactif à I'arrêté royal du 29 novembre 1859, et je pense que cette allocation n'a pas sa raison d'être. Ce serait, dans mon opinion, commettre une illégalité que de conserver cette allocation, d'autant plus qu'elle n'atteint pas le but de l'institution du concours dont il s'agit.
Voici, messieurs, ce que je trouve dans les Documents parlementaires, page 312, au sujet de l'article 131 :
< Le budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1866 contient, à son article 129, une allocation de 5,000 francs, destinée au payement du prix quinquennal institué par arrêté royal du 25 novembre 1859, en faveur des meilleurs ouvrages qui auront été publics par des auteurs belges, relativement aux sciences médicales.
« Aux termes du règlement arrêté pour le jugement des prix quinquennaux, ce jugement est confié a un jury composé de sept membres. Le jury décide si, parmi les ouvrages soumis à son examen, il en est un qui mérite le prix quinquennal à l'exclusion des autres, et lequel. La question est mise aux voix sans division. Elle ne peut être résolue affirmativement que par quatre voix, au moins.
« Des divers ouvrages qui ont été examinés par le jury institué pour le prix quinquennal des sciences médicales (période de 1861 à 1865), aucun n'a obtenu le nombre voulu de suffrages. Cependant, cinq membres sur sept ont été d'avis que le prix pouvait être décerné. Mais des deux ouvrages jugés les meilleurs, aucun n'a obtenu la majorité de quatre voix.
« En cet état de choses, le gouvernement, d'accord avec le jury, estime qu'il est équitable de partager la somme de 5,000 fr., formant le prix quinquennal des sciences médicales pour la période de 1861 à 1865, entre les auteurs des deux ouvrages en faveur desquels une fraction du jury s'est prononcée par deux et par trois voix.
« C'est dans ce but qu'est proposée l'allocation de 5,000 francs. »
Comme vous le voyez, messieurs, aucun des auteurs des ouvrages ne se trouve dans les conditions voulues de l'arrêté royal, puisque, aux termes du règlement arrêté pour le jugement des prix quinquennaux, ce jugement est confié à un jury composé de sept membres, et qu'aucun ouvrage n'a obtenu la majorité de quatre voix.
Le jury a reconnu cependant, par cinq voix contre deux, que le prix pouvait être décerné, mais des quatre ouvrages jugés les meilleurs, aucun n'a obtenu la majorité exigée de quatre voix.
Une fraction du jury se prononce en faveur des auteurs de deux de ces ouvrages reconnue les meilleurs, par deux et par trois voix, et, si je comprends bien le libellé, le gouvernement, d'accord avec le jury, demande une allocation de 5,000 francs pour chacun d'eux.
On répond : Non, non.
Je demande bien pardon, puisque au budget de 1866 on a déjà porté une somme de 5,000 francs qui est restée disponible.
Il me semble, messieurs, qu'il n'est pas possible que ces deux ouvrages aient absolument le même mérite. Il est évident que l'un ou l'autre est le meilleur ; il manque peut-être à l'un un point ou une virgule, ou à l'autre un accent, une apostrophe ou un point interrogatif, et dès lors, le jury peut et doit asseoir son appréciation en faveur de l'un ou de l'autre ouvrage.
D'ailleurs, je crois que les auteurs de ces deux ouvrages, tous deux très savants, sans doute, seront très peu flattés de recevoir une pareille indemnité en participation, puisqu'elle ne remplit pas le but de l'arrêté royal de 1859, et je demande à l'honorable ministre de l'intérieur s'il ne croit pas convenable de supprimer le libellé dont il s'agit.
MiPµ. - Messieurs, il faut bien comprendre de quoi il s'agit. L'honorable M, Van Cromphaut me paraît résoudre la question par la question.
Il y a un règlement pour le prix quinquennal des sciences médicales. Aux termes de ce règlement, il faut avoir 4 voix pour obtenir le prix. On est d’accord à cet égard ; mais il s'agit de savoir s'il ne faut pas s'écarter du règlement. Or ce n'est pas en citant le règlement qu'on peut résoudre cette question.
Lors du dernier concours, voici ce qui s'est passé. Le jury a décidé par 5 voix sur 7 qu'il y avait lieu de donner le prix. Mais quand il s'est agi de savoir qui aurait le prix, le jury n'a pu tomber d'accord et quatre voix n'ont pu être réunies sur un concurrent.
Ainsi, aux termes du règlement, on ne devait pas donner le prix.
Les explications qui accompagnent cette année le crédit demandé au budget ont pour but de parer à ce concours de circonstances. Doit-il résulter de ce que le jury n'a pu se décider entre deux ouvrages qui méritent tous deux le prix, que le prix ne doit pas être décerné ?
Le gouvernement s'est dit : Les concurrents ont travaillé et ils sont dignes de la récompense promise, puisque le jury a décidé qu'il y avait lieu de décerner le prix. Donc la solution naturelle, c'est le jugement de Salomon.
L'honorable M. Van Cromphaut dit : Les deux concurrents seront très peu flattés d'avoir le prix en partage. Je crois qu'ils ne les a pas consultés, et je crois qu'ils sont du contraire flattés de la distinction et qu'ils éprouvent en outre un sentiment agréable en recevant une somme de 2,500 francs. Je pense donc que quand il parle de leur susceptibilité, il n’est pas leur organe et qu’il serait au besoin désavoué par eux.
M. Vermeireµ. - Messieurs, mon honorable collègue M. Van Cromphaut a exposé exactement les conditions dans lesquelles le prix a été décernée.
Le règlement dit qu'aucun prix ne peut être accordé à un auteur que s'il a obtenu un nombre de voix déterminée, c'est-à-dire quatre voix.
Si le jury a d'abord décidé qu'il y avait lieu de décerner le prix, il n'en reste pas moins vrai que quand il s'est agi d'indiquer l'ouvrage auquel le prix devait être accordé, aucun n'a réuni le nombre de suffrages exigé par l'arrêté royal.
II est dont certain que le prix ne peut être décerné sans violation du règlement et je propose la suppression du crédit.
MiPµ. - Je ne sais pas en quoi cette question peut intéresser spécialement les députés de Termonde.
M. Van Cromphautµ. - L'intérêt général du pays.
MiPµ. - En voyant les députes de Termonde se lever....
M. Vermeireµ. - Ils peuvent bien dire leur opinion.
MiPµ. - Je ne dis rien de blessant pour l'honorable membre. (Interruption.)
Je me demandais seulement s'il y avait dans cette affaire un intérêt local en jeu pour Termonde en voyant deux députés de cette ville prendre la parole au sujet d'une question qui, à première vue, paraît leur être étrangère.
Messieurs, je ne prétends pas que le prix soit dû en exécution du règlement ; j'ai dit au contraire que d'après le règlement, le prix n'était pas dû.
Mais ce qu'il s'agit de savoir, c'est si la Chambre veut, par une mesure d'équité, déroger au règlement ; il n'y aurait à cela de préjudice pour personne ; le gouvernement, en un mot, doit-il tirer profit du conflit qui s'est produit, ou bien si l'on admet que le prix est réellement acquis en équité, ce prix doit-il être donné ?
M. Vermeireµ. - Il n'est pas acquis.
MiPµ. - Ainsi que je l'ai déjà constaté, d'après le jury, il est incontestable que le prix doit être décerné.
D'une autre part, messieurs, certains médecins ont consacré un temps très long au mémoire qu'ils ont envoyé au concours, et il a été reconnu que leur travail avait une certaine valeur. Est-il digne, dès lors, du gouvernement de profiter d'un incident pour se dispenser de remettre aux concurrents la récompense due à leur travail ? Je crois que la Chambre posera un acte d'équité en votant le crédit.
M. Coomans. - L'honorable ministre n'a pas réfuté les remarques, d'ailleurs irréfutables, de mon honorable ami, M. Van Cromphaut.
La preuve que l'honorable ministre n'a pas de bonnes raisons à donner, c'est qu'il nous en a donné une très mauvaise. II a exprimé sa surprise de voir deux députés de Termonde s'ingérer dans des questions de littérature, en Béotiens, sans doute. (Interruption.) C'est sa pensée.
MiPµ. - Du tout.
(page 1182) M. Coomans. - Alors, que signifie votre observation contre eux ?
Je déclare que je crois les représentants de Termonde tout aussi autorisés à se mêler de questions de médecine, bien qu'ils ne soient pas médecins, que tout autre membre de l'assemblée. Ils se placent surtout, comme moi, au point de vue du budget et des principes.
J'aime beaucoup à voir un adversaire alléguer une mauvaise raison, parce que c'est la preuve qu'il n'en a pas de bonne. Quand un homme d'esprit allègue une mauvaise raison, il justifie son adversaire. (Interruption.) Nous allons le voir.
Vous l'avez dit dans vos papiers officiels : il faut donner le prix non au meilleur ouvrage, mais à un bon ouvrage, à l'exclusion de tous les autres. Or, deux mauvais livres ou même deux livres médiocres ne sauraient pas en faire un bon.
Il y a eu majorité pour déclarer que des mémoires ne méritaient pas le prix.
MiPµ. - C'est exactement le contraire.
M. Coomans. - C'est la vérité, il y a eu majorité dans les jurés pour déclarer qu'aucun des ouvrages ne réunissait les conditions requises ; voilà le fait. (Interruption.) Je déclare qu'il y a cinq minutes, je ne connaissais pas un mot de cette affaire, que je ne connais ni les auteurs, ni les mémoires, ni la question, mais j'ai été frappé des observations présentées par mes honorables amis et j'ai été frappé encore de l'étrange réfutation qu'y a faite M. le ministre de l'intérieur.
Il y a donc eu majorité pour déclarer qu'aucun des ouvrages ne méritait le prix ; et il y a eu une majorité pour décider qu'il y avait lieu de décerner un prix... après examen probablement. Mais ce n'est point là, messieurs, la signification du règlement et ce n'est point là assurément la volonté de cette assemblée.
Le jury a déclaré qu'aucun ouvrage ne méritait le prix et cela me suffit pour repousser la proposition qui nous est faite.
Mais, dit M. le ministre, et vous allez voir que cette raison est encore plus mauvaise que l'autre, s'il est possible, nous avons, dit-il, appliqué Je jugement de Salomon, en coupant le prix en deux.
C'est une grave erreur : Salomon n'a pas du tout coupé l'enfant en deux ; c'est vous qui avez coupé le vôtre en deux... (Interruption.) Vous n'avez donc pas exécuté le jugement de Salomon ; vous l'avez violé.
Celte histoire de Salomon, peinte des milliers de fois aux frais, surtout aux frais des gouvernements, a été très mal interprétée par M. le ministre de l'intérieur.
Mais, messieurs, voici quelque chose de bien étrange encore. Si je suis bien informé, on vient de me le dire il y a trois minutes à peine, il y a un arrêté royal qui défend de partager le prix quinquennal pour l'histoire, pour la littérature flamande, pour la littérature française et pour les sciences morales et politiques.
Si cet arrêté existe, vous avez sans doute eu quelque raison de le prendre, et puisque vous l'avez pris pour les diverses branches que je viens d'énumérer, pourquoi ne pas l'appliquer aussi à la médecine ?
Du reste, adversaire en général de toute espèce de prix et d'encouragements officiels, j'ai bien le droit de l'être plus que jamais quand on abuse de ce mauvais principe.
Il me semble que M. le ministre vient de nier un fait que je considérais comme acquis au procès ; c'est qu'il n'y a pas eu de majorité pour déclarer qu'aucun des ouvrages ne méritait le prix. Or, s'il n'y a pas eu de majorité sur ce point, il y en a eu une pour s'opposer à la solution qu'on a donnée à cette difficulté.
Maintenant, on parle de la justice qu'il y a d'indemniser les concurrents qui se sont le plus distingués. Mais alors pourquoi ne pas indemniser également tous les autres ? Il me semble même qu'il faudrait, selon vous, indemniser tout spécialement ces derniers, puisqu'ils sont plus malheureux que ceux que vous couronnez. Si c'est le malheur que vous couronnez, il faut surtout indemniser ceux qui n'ont pas réussi. Ce système vous conduirait loin.
Mais, messieurs, il y a une chose bien simple à faire en pareille occurrence ; c'est de remettre la question au concours et de laisser dans les caisses du trésor les fonds qui on( été alloués pour la collation du prix quinquennal et qui n'auraient jamais dû en sortir.
M. Vermeireµ. - Je me lève de nouveau, pour faire remarquer que l’arrêté royal, réglementant les concours quinquennaux, attache certaines conditions à la collation des prix et que, dans le cas actuel, ces conditions n'ont pas été remplies.
Cet arrêté dit, en effet, que le prix ne peut-être donné qu'à l'ouvrage qui a réuni une majorité d'au moins quatre voix. Or, dans l'espèce, aucun des concurrents n'ayant ce nombre de voix, c'est à tort, selon moi, qu'on a décerné ce prix. Voilà, messieurs, la seule observation que j'avais à présenter.
M. Vleminckxµ. - Je crois pouvoir dire à la Chambre qu'il n'est jamais entré dans l'intention du ministre qui a institue les prix quinquennaux qu'ils pussent être divisés en aucun cas.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cela s'est fait.
M. Vleminckxµ. - C'est possible, mais je ne crois pas que cela soit conforme à la pensée de l'institution.
Les prix quinquennaux doivent être donnés intégralement, et si des ministres ont quelquefois procédé autrement, ils ont dû provoquer plus tard des dispositions pour revenir aux vrais principes.
Je ne m'oppose pas, du reste, à ce que les 5,000 francs dont il est question soient remis aux deux concurrents en discussion et qui sont tous les deux des hommes capables.
Mais je me permettrai de donner un conseil à l'honorable ministre de l'intérieur : celui de supprimer le prix quinquennal pour les sciences médicales, pour le seul motif qu'il n'est, pour ainsi dire, plus possibles de trouver des jurés qui consentent à les décerner.
Il n'y a pas eu jusqu'ici une constitution de jury qui n'ait dû être modifiée.
Moi-même j'ai fait partie naguère d'un semblable jury, et j'ai dû donner ma démission. Il est presque impossible d'y arriver à une conclusion.
J'engage M. le ministre de l'intérieur à réserver les 5,000 francs du prix quinquennal, pour augmenter la valeur des prix à décerner par l'Académie royale de médecine.
Le budget de l'Académie peut suffire dans les circonstances ordinaires ; mais si des circonstances exceptionnelles se présentent, ces 5,000 fr. pourraient y être ajoutés en partie ou en totalité et convenablement utilisés.
MiPµ. - Messieurs, M. Coomans use d'un moyen très simple pour avoir raison : ce moyen consiste à changer complètement les faits, à partir d'un point exactement contraire à ce qui est.
Ainsi, l'honorable membre nous dit que, selon la décision du jury, il n'y avait pas lieu de décerner le prix. Or, d'après, \a note qui se trouve aux annexes du budget et qui a été préparée par mon honorable prédécesseur (il y a quelques instants je ne connaissais pas plus la question que l'honorable M. Coomans), d'après celle note, dis-je, le jury a décidé à la majorité de 5 voix que le prix pouvait être décerné ; ce qui est précisément le contraire de ce qu'avance l'honorable membre.
M. Coomans. - Pas du tout.
MiPµ. - Vous avez affirmé constamment que selon le jury le prix ne pouvait pas être donné.
M. Delaetµ. - Vous n'avez pas compris.
MiPµ. - Cinq membres du jury étaient d'accord sur ce point que le prix serait décerné, mais lorsque celui-ci s'est trouvé en présence de la question de savoir à qui le prix devait être décerné, il n'a pu arriver à une solution.
Ainsi, le jury a décidé en principe qu'il y avait lieu de donner le prix ; c'est seulement dans l'application que s'est présentée la difficulté.
Dans ces circonstances, messieurs, quel inconvénient y a-t-il à diviser le prix ? Je ne le comprends pas.
Que cette division ne puisse avoir lieu que dans des cas exceptionnels, je l'admets parfaitement, mais il me semble que la situation toute spéciale qui s'est produite dans l'espèce, justifie parfaitement une dérogation aux règles ordinaires.
On invoque un arrêté royal. Mais quel argument peut-on tirer de là ? Nous demandons précisément de pouvoir déroger à cet arrêté royal avec l'assentiment de la Chambre, nous demandons de pouvoir diviser le prix par un nouvel arrêté royal.
L'honorable M. Vleminckx a fait une autre observation : il voudrait que l'on supprimât le prix quinquennal concernant les publications scientifiques d'intérêt médical.
En entendant, messieurs, un membre si éminent du corps médical demande la suppression de ce prix ; je suis porté à croire qu'il n'existe pas de considérations bien puissantes qui militent en faveur de son maintien.
Je suis donc tout disposé, à première vue, à me rallier à l'opinion de M. Vleminckx, sauf à examiner s'il n'existe pas des raisons particulières qui justifieraient, la conservation de l'état actuel des choses.
Messieurs, entrant dans une autre ordre d'idées, je crois devoir faire à la (page 1183) Chambre immédiatement une déclaration à propos du chiffre qui est demandé pour le service de santé. Dans ce chiffre est comprise une somme de 20,000 fr. destinée à l'encouragement de la vaccine. Cette somme a été jusqu'à présent distribuée en médailles. Or, il a été constaté à plusieurs reprises que ces médailles ne produisent aucun effet utile, et qu'elles sont, d'une autre part, la source de très graves abus. Ainsi telle année un médecin passait ses vaccinations à un confrère pour que ce dernier en eût un grand nombre, et acquit ainsi droit à la médaille.
L'année d’après c'était au tour d'un autre et ainsi de suite ; de telle sorte que bientôt tous les médecins du canton étaient médaillés.
On est à peu près d'accord aujourd'hui, messieurs, que ce système d'encouragement ne signifie absolument rien. Il faut donc le supprimer.
Mais il est un autre point, en matière de vaccine, que je dois vous signaler ; il est très difficile maintenant de se procurer du vaccin de bonne qualité.
Quant au point de savoir ce qui constitue la bonne qualité du vaccin, on n'est point d'accord ; deux systèmes sont en présence, il y a toujours plusieurs systèmes sur les questions de médecine.
Les uns prétendent que le vaccin, pour être bon, doit être régénéré par des procédés d'inoculation spéciaux et qu'on doit le prendre sur les génisses pour le transmettre aux enfants.
Les partisans d'un autre système, au contraire, prétendent que le vaccin est meilleur lorsqu'il se transmet de bras à bras.
Aujourd'hui, messieurs, il est très difficile dans certaines localités du pays, d'avoir toujours du vaccin de bonne qualité, régénéré ou non.
Déjà la ville de Bruxelles et plusieurs provinces ont accordé des subsides à un institut vaccinogène qui existe à Bruxelles. Mon prédécesseur, de son côté, s'est préoccupé de la question de savoir si cet institut ne devait pas devenir un établissement subsidié par l'Etat. Je suis parvenu à terminer cette affaire il y a peu de jours.
Avec la somme de 10,000 francs, qui a été consacrée jusqu'ici à des encouragements dérisoires, auxquels j'ai fait allusion tantôt, nous pouvons établir dans les meilleures conditions un institut qui donnera toujours et à la fois du vaccin régénéré et du vaccin transmis de bras à bras.
Il existe aujourd'hui, messieurs, un moyen très ingénieux et très sûr de transporter le vaccin. Il suffit, à cet effet, de l'introduire dans des tubes capillaires que l'on cacheté aux deux extrémités avec de la cire. Ainsi disposé, le vaccin peut se conserver dans les meilleures conditions pendant un temps très long.
L'institut vaccinogène sera établi au Jardin zoologique ; son entretien ne dépassera pas le chiffre de 10,000 fr. porté au budget et l'on pourra toujours transmettre dans toutes les localités du pays du vaccin convenable.
La décision dont je viens de vous entretenir, messieurs, je ne l'ai prise qu'après avoir consulté les différentes autorités provinciales, lesquelles ont presque toutes donné un avis favorable.
L'Académie de médecine s'est prononcée dans le même sens et a considéré comme d'un très grand intérêt cette amélioration apportée en matière de vaccine.
Bien qu'il n'y ait pas de changement dans le libellé du budget, j'ai pensé qu'il était du devoir du gouvernement d'informer la Chambre afin qu'elle ne vote le crédit qu'après avoir eu connaissance de sa destination.
M. Coomans. - J'avoue que je suis bien sensible, surtout de la part de l'honorable ministre, au reproche qu'il m'a adressé d'avoir dénaturé complètement les faits.
Or, il se trouve que je n'ai rien dénaturé du tout et que j'avais dit, avant M. le ministre, ce qu'il vient de répéter, à savoir qu'il n'y a pas eu de majorité dans le jury pour désigner le manuscrit réunissant les conditions requises, c'est-à-dire en d'autres termes que la majorité de la commission a décidé qu'il n'y avait pas lieu de décerner le prix. Cela est si vrai que la première résolution a été celle-ci : qu'il n'y avait pas lieu de décerner le prix.
En second lieu l'honorable ministre, en jouant non pas sur les moys mais sur les chiffres, nous dit : Mais il y a eu une majorité de 5 voix pour déclarer qu'il y avait lieu de décerner un prix.
Mais que signifie cela ?
La commission avait certainement l'intention de décerner un prix, c'était l'intention des auteurs de l'arrêté royal ; il ne pouvait pas y en avoir d'autre.
Mais lorsqu'on a examiné les manuscrits, on a trouvé qu'aucun ne méritait le prix.
J'ai dit cela ; pas autre chose, et j'espère que l'honorable ministre rétractera l'injuste reproche qu'il vient de m'adresser.
- Un membre. - Aux voix !
M. Coomans. - Aux voix, non, il y a une question de principe en jeu.
De quel droit ces cinq membres déclarent-ils que l'arrêté royal ne serait pas exécuté, qu'il serait méconnu ? Ils n'avaient pas le droit de décider que le prix serait décerné à deux auteurs, car aucun manuscrit ne répondait aux requisita officiels.
Il est très facile, c'est l'honorable ministre qui le prouve, de se donner une apparence de raison en glissant sur les faits ou en ne les présentant pas tels qu'ils se sont produits.
La vérité est qu'il n'y a pas eu de majorité pour le prix, donc il y a eu une majorité contre tous les manuscrits, contre l'allocation du prix.
Et puis, pourquoi M. le ministre ne répond-il pas à cet argument décisif, que pour la littérature française, pour la littérature flamande, pour l'histoire, pour les sciences morales et politiques, il y a un arrêté royal portant qu'il est défendu, absolument défendu, de diviser le prix ?
J'ai donc, c'était mon but, prouvé que j'ai très exactement allégué les faits et que c'est l'honorable ministre qui se trompe, et je conclus à la suppression du subside.
M. Rogierµ. - Si j'ai bien compris M. le ministre de l'intérieur, il n'attacherait pas grande importance à l'institution des prix quinquennaux, il se montrerait même disposé à les supprimer.
- Des membres. - Pour la médecine.
M. Rogierµ. - J'ai pensé que les observations de M. le ministre s'appliquaient à tous les prix quinquennaux.
MiPµ. - J'ai dit que puisque les médecins eux-mêmes demandaient la suppression du prix, je ne croyais pas qu'il y eût lieu de le maintenir.
M. Rogierµ. - J'engage l'honorable ministre à bien réfléchir avant de prendre un parti extrême. Je suis d'avis qu'en principe les prix quinquennaux sont une institution très bonne en tous pays et particulièrement en Belgique.
On s'est plaint souvent et avec raison que nos hommes de lettres, nos publicistes, ceux qui s'occupent d'autres intérêts que d'intérêts matériels, ne s'adressent qu'à un public peu nombreux et que pour leurs travaux les débouchés soient plus restreints que dans les pays plus étendus. Je crois que l'homme qui consacre sa vie à des études sérieuses, qui met toute son imagination, toute son intelligence, tout son cœur dans un ouvrage littéraire, scientifique, politique ou moral, mérite bien aussi quelque récompense. Lorsqu'on compare le sort des écrivains belges à celui des artistes, nous trouvons une inégalité des plus choquantes. Il suffira quelquefois à un artiste de talent de consacrer deux ou trois heures de sa journée à un concert ou à une représentation théâtrale pour gagner l'équivalent du prix quinquennal que le gouvernement décerne aux longues et laborieuses études d'un écrivain, Il y a là une inégalité choquante, et nous devons faire, je crois, tous nos efforts pour équilibrer autant que possible les positions.
Quant aux ouvrages de médecine, aux savants et sérieux ouvrages, je ne sais pourquoi on voudrait les frapper d'une exception.
Je sais que MM. les médecins ont dans leur pratique des ressources que n'ont pas d'autres écrivains et peut-être se trouvent-ils suffisamment rémunérés. Quant à moi je n'ai pas l'honneur d'être médecin mais j'engage M. le ministre de l'intérieur à bien vouloir y réfléchir avant de donner suite au vœu improvisé ici par mon honorable ami, le président de l'Académie de médecine. Et puisque je me permets de donner des conseils à M. le ministre de l'intérieur, je l'engage aussi à tâcher d'effacer un peu de son ancien programme ces idées qu'il a plusieurs fois manifestées : je l'engage, lui devenu ministre, et occupant une première place dans l'Etat, à ne pas pratiquer trop activement cette doctrine que, pour ma part, j'ai souvent combattue et qui consiste à repousser l'action de l'Etat en toute chose.
Je crois qu'il faut laisser à l'initiative personnelle une grande latitude, qu'il faut également abandonner aux communes la plus grande liberté possible, mais, je crois aussi, qu'il y a pour les représentants de l'Etat des devoirs à accomplir et que la critique de l'intervention de l'Etat, lorsque celle-ci est maintenue dans de justes limites, n'est pas tout à fait à sa place dans la bouche d'un ministre.
Quand à la suppression des prix quinquennaux, je la combattrai avec (page 1184) la plus grande énergie. Si l'on veut supprimer les prix quinquennaux pour la médecine, j'avoue que je les abandonnerai, non sans peine, si les médecins eux-mêmes les abandonnent. Mais quant aux prix quinquennaux en général, je suis d'avis qu'il faut les maintenir et qu'ils valent en tous cas beaucoup plus que ces médiocres encouragements de quelques cent francs distribués entre un grand nombre d'écrivains.
M. Vleminckxµ. - L'honorable M. Rogier croit que j'ai improvisé dans cette Chambre le vœu que l'on supprime le prix quinquennal pour les sciences médicales. Il se trompe, je dois lui déclarer que ce n'est pas une improvisation de ma part ; j'y ai longtemps réfléchi, surtout depuis que j'ai eu l'honneur de faire partie du jury qui a décerné le premier prix quinquennal et que j'ai vu tout ce qui s'y passait.
Je le répète, messieurs, je demande la suppression du prix quinquennal des sciences médicales, à cause de l'immense difficulté que l'on éprouve à composer un jury. (Interruption.)
L'honorable M. Rogier dit que ce n'est pas une raison ; mais pour décerner un prix, il faut bien un jury.
Les difficultés sont telles, que des jurys ont dû être renouvelés presque entièrement pendant la durée des opérations.
J'en appelle sur ce point à l'honorable M. Vandenpeereboom, à l'honorable M. Rogier lui-même : ils doivent se rappeler les remplacements qu'ils ont dû effectuer. (Interruption.)
Vous demandez pourquoi ? Pour plusieurs motifs, je ne les connais pas tous ; mais, entre autres, pour l'immense besogne qui leur est imposée et pour les désagréments qu'ils ont à subir, et les influences qu'on cherche à exercer sur eux. (Interruption.)
Je vous dis que c'est là l'exacte vérité. Je crois être véritablement l'organe du corps académique et des médecins en demandant la suppression du prix quinquennal pour les sciences médicales. Il y a mieux à faire que cela.
- L'article est adopté.
« Art. 132. Académie royale de médecine : fr. 27,140. »
- Adopté.
« Art. 133. Conseil supérieur d'hygiène publique ; jetons de présence et frais de bureau : fr. 4,200. »
- Adopté.
« Art. 134. Traitement du commissaire du gouvernement près la société concessionnaire des jeux de Spa : fr. 7,000. »
M. Hagemansµ. - Messieurs, plusieurs pétitions demandant la suppression des jeux de Spa ont été adressées à la Chambre : je vois que la section centrale, à qui ces pétitions ont été renvoyées, est d'avis que ces jeux doivent être supprimés, tout en sauvegardant certains intérêts : c'est, paraît-il, également l'avis du gouvernement ; j'avoue que ce n'est pas le mien, et que me plaçant au point de vue de la morale et de l'intérêt public, je...
MiPµ. - Si l'honorable M. Hagemans veut me le permettre, je donnerai une explication.
M. Hagemansµ. - Volontiers.
MiPµ. - Je compte déposer dans le courant de la semaine prochaine un projet de loi portant suppression des jeux de Spa. L'honorable membre aura donc une magnifique occasion pour plaider leur maintien.
M. le président. - Il est donc entendu que cette discussion est ajournée.
- L'article 134 est adopté.
« Art. 135. Traitements temporaires de disponibilité, charge extraordinaire : fr. 35,932. »
- Adopté.
« Art. 136. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 5,900. »
- Adopté.
M. le président. - La Chambre entend-elle procéder immédiatement au second vote.
- De toutes parts. - Oui ! oui !
- Il est procédé au second vote.
Tous les amendements adoptés au premier vote sont successivement mis aux voix et adoptés.
« Article unique. Le budget du ministère de l'intérieur est fixé, pour l'exercice 1868, à la somme de treize millions soixante-sept mille neuf cent quatre-vingt-onze francs soixante-neuf centimes (fr. 13,067,991-69). »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
98 membres y prennent part.
88 répondent oui.
7 répondent non.
3 s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Beeckman, Braconier, Bricoult, Broustin, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Brouckere, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delcour, De Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Muelenaere, de Rossius, de Smedt, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, Dewandre, de Woelmont, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Dupont, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange et Dolez.
Ont répondu non :
MM. Liénart, Coomans, Coremans, Eugène de Kerckhove, Delaet, Gerrits et Hayez.
Se sont abstenus :
MM. Verwilghen, de Naeyer et Hymans.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Verwilghenµ. - Je ne demanderais pas mieux que de pouvoir donner un vote approbatif au budget de l'intérieur ; je le voterais d'autant plus volontiers que l'honorable successeur de M. Alphonse Vandenpeereboom me paraît sérieusement décidé à appliquer à un certain nombre de matières le principe de non-intervention gouvernementale.
Mais il m'est impossible d'approuver la politique du gouvernement en matière d'instruction publique et de voter d'une manière implicite les crédits destinés à développer de plus en plus cette politique, que je considère comme déplorable et funeste pour le pays.
M. de Naeyerµ. - Je me suis abstenu, depuis un grand nombre d'années, de voter le budget de l'intérieur parce que, dans mon opinion, ce budget consacre un système exagéré d'intervention gouvernementale.
Comme la situation n'a jusqu'ici subi, sous ce rapport, aucun changement de quelque importance, mon attitude doit rester la même. Cependant j'ajouterai que j'espère que l'honorable ministre actuel ne tardera pas à faire dans son administration une large application des principes qu'il a professés dès son début dans la carrière politique. S'il en était ainsi, j'aurais probablement la consolation de pouvoir, dans mes vieux jours, voter le budget de l'intérieur.
M. Hymans. - La Chambre connaît les motifs de mon abstention, j'ai eu l'occasion de les produire déjà il y a deux ans. Je ne voterai pas le budget de l'intérieur, aussi longtemps que j'y verrai figurer le crédit en faveur des Bollandistes.
Je n'ai pas voulu demander la suppression de ce crédit cette année pour ne pas prolonger la discussion, mais si Dieu me prête vie politique, j'ai l'intention de la demander et l'espoir de l'obtenir l'année prochaine.
MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau : 1° un projet de loi ouvrant des crédits à concurrence de 5,900,655 fr. au département des travaux publics ; 2° un projet ouvrant au département des affaires étrangères un crédit supplémentaire de 275,740 fr. 96 c.
- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets qui seront imprimés et distribués et renvoyés à l'examen des sections.
MtpJµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi approuvant une convention ayant pour objet la concession d'un chemin de fer de Malines par Saint-Nicolas à la frontière des Pays-Bas.
- Il est donné acte à M. le ministre des travaux publics de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué et renvoyé à l'examen des sections.
M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le•rapport de la section centrale sur le crédit de 625,000 francs demandé pour la construction d'un steamer.
M. Mouton. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission des naturalisations sur une demande de naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande à la Chambre de vouloir bien s'occuper du projet de crédit pour le Moniteur. Ce projet est assez urgent, car le traité avec l'adjudicataire expire le 1er juillet de cette année, et il importe que la Chambre prenne une décision. Si le crédit n'était pas adopté, il faudrait procéder de suite à une réadjudication.
M. le président. - La Chambre entend-elle passer de suite à la discussion de ce projet ?
- De toutes parts. - Oui, oui.
M. le président. - La section centrale conclut à l'adoption du projet de loi.
M. Coomans. - Cette discussion nous prend à l'improviste ; je ne m'y suis point préparé et je serai très court. Je n'insisterai que sur les points qui ne font aucun doute dans mon esprit.
Dès la première annonce de ce projet de loi, j'ai émis l'opinion que cette innovation ne serait pas un progrès. J'ai eu déjà plusieurs fois l'occasion de déclarer sur ce point même que l'intervention directe du gouvernement ne donnerait pas des résultats meilleurs que l'impression par adjudication, quelque défaut que celle-ci puisse offrir.
J'ai la conviction profonde que l'augmentation de la dépense sera considérable, peut-être pas cette année, peut-être pas même l'année prochaine, mais dans un avenir peu éloigné nous allons user et abuser de notre imprimerie royale. Jamais l'œil du gouvernement ne vaut l'œil du maître intéressé.
Il y aura forcément des gaspillages ; il y aura de nouveaux fonctionnaires à rétribuer ; on imprimera davantage. Je suis bien convaincu que le travail ne sera pas amélioré.
Je suis très persuadé qu'il y avait moyen d'améliorer la situation présente ; en somme l'impression du Moniteur était assez satisfaisante, et les griefs que nous avons formulés n'étaient au fond que secondaires.
Notre principal reproche portait sur la longueur du Moniteur. Pour parer à de petits maux, on en créera un grand, qui est celui de la régie. (Interruption.)
Je remarque avec peine, messieurs, que cette question, qui est grosse de dépenses nouvelles, paraît déjà décidée par vous et que c'est la solution proposée par le gouvernement qui l'emportera.
Messieurs, la vérité est que, si vous examinez la chose de près, vous reconnaîtrez que l'innovation qu'on propose n'est pas bonne.
Que les intentions du gouvernement et des membres qui sont disposés à adopter le projet de loi soient bonnes, cela n'est point douteux. Vous voulez atteindre un double but : l'amélioration de l'impression et une diminution de dépense. Eh bien, vous n'atteindrez ni l'une ni l'autre. Mais, je crois m'apercevoir, messieurs, que vous êtes décidés à passer outre ; je n'en dirai donc pas davantage aujourd'hui.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Avec l'honorable M. Coomans, on joue toujours de malheur. Pendant de longues années, il a attaqué l'impression du Moniteur telle qu'elle se faisait ; il a déclaré qu'elle était trop coûteuse, qu'elle occasionnait des dépenses folles ; et pas un seul crédit n'a été sollicité de la Chambre sans que l'honorable membre ait pris la parole pour critiquer la publication du Moniteur.
Aujourd'hui, nous proposons quelque chose de nouveau et déjà l'honorable M. Coomans nous déclare que notre système ne vaut rien, avant même qu'il ait fonctionné.
Je demande à l'honorable membre ce qu'il faut faire. Si l'ancien système ne valait rien, si le nouveau est pire encore, selon lui, je demanderai à l'honorable membre quel remède il faut apporter à la situation.
Quant à moi, je ne vois que deux moyens d'imprimer le Moniteur : l'adjudication publique ou la régie. Si l'honorable membre eu a un autre, qu'il veuille bien l'indiquer ; nous l'examinerons. Je ne prétends pas du tout que nous allons imprimer le Moniteur dans des conditions qui ne donneront plus lieu à des abus ; mais je pense que les dépenses seront moins considérables qu'aujourd'hui et qu'on pourra introduire des modifications qui profiteront à la promptitude et à la régularité de l'impression du Moniteur.
Voilà les raisons qui ont déterminé le gouvernement à présenter le projet de loi ; je convie la Chambre à lui faire un accueil favorable.
M. Coomans. - L'honorable ministre de la justice n'a pu raisonnablement s'étonner de mon opposition au projet de loi ; je l'ai annoncée il y a déjà plusieurs années ; j'ai dit que je ne voulais pas de régie ; qu'il y avait déjà trop de choses en régie en Belgique. J'ai dit et prouvé, avec votre assentiment à tous, que l'impression du Moniteur et de nos Annales laissait beaucoup à désirer ; mais résulte-t-il que l'adjudication est mauvaise, parce qu'on l'a faite dans des conditions qui ne sont pas bonnes ?
D'ailleurs, M. le ministre, mes observations resteront debout, même après l'adoption de votre projet de loi. Ce que j'ai prouvé, c'est l'énorme extension que vous avez donnée aux colonnes du Moniteur ; c'est l'impression de pages tout à fait inutiles ou du moins ne valent pas la dépense qu'on fait pour elles.
Vous daignerez m'avouer qu'il est possible, par l'adjudication, de diminuer de moitié le Moniteur ; vous devrez m'avouer aussi que dans le système d'adjudication que j'ai toujours préconisé, il est facile d'imprimer proprement un journal.
Les critiques que j'ai émises avec l'approbation de la Chambre et de quelques ministres n'impliquaient pas du tout un changement de système. Je prie la Chambre de prendre note de ma prédiction, c'est que la dépense sera augmentée, même après l'adoption du système qu'on va substituer à l'adjudication.
Un dernier point. Les Annales parlementaires sont déjà très longues ; elles datent, Dieu merci, de 38 ans ; nous espérons tous que nos arrière-neveux pourront en avoir à leur tour ; mais à cause de cela même, les recherches dans les Annales sont très difficiles. A chaque instant, nous désirons retrouver certains précédents, certains discours, des questions tout entières ; nos recherches demeurent infructueuses ou elles durent si longtemps que nous nous décourageons ou que nous n'osons pas recommencer des recherches dans d'autres circonstances.
Moi qui consulte souvent les Annales, je puis assurer que les recherches sont très difficiles ; pourquoi ? Parce que, d'une part, les tables des matières sont très éparpillées et que, d'autre part, elles sont très incomplètes et pat fois très inexactes. J'ai constaté des centaines d'erreurs de pagination et d'autres indications fautives dans les tables des matières.
Je viens donc proposer à la Chambre, et je la prie de ne pas voir de contradiction dans mon langage, je viens proposer à la Chambre d'émettre le vœu qu'une table des matières de toutes nos Annales parlementaires soit rédigée.
Il faudra certainement quelque dépense, mais cette dépense sera au moins parfaitement appliquée.
- Un membre. - Et la question financière ?
M. Coomans. - Puisqu'on veut absolument conserver le prix quinquennal, qu'on donne le montant de ce prix à celui qui fera une bonne table des matières de nos Annales parlementaires.
Voilà, messieurs, la réponse à l'objection financière. Mais l'objection elle-même n'est pas forte. L'utilité de ce travail sera considérable, appréciée par nous tous.
Nous avons les éléments sous la main, nous avons par exemple à notre bibliothèque des hommes instruits et zélés qui sont familiarisés avec nos travaux qui ont souvent fait pour nous des recherches et qui certainement nous dresseraient une bonne table des matières de nos Annales.
(page 1186) J'espère, messieurs, lorsqu'on dépense tant d'argent pour des résultats douteux, qu'on n'en refusera pas un peu pour un travail, je ne dirai pas seulement utile, mais urgent, indispensable.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je n'ai jamais pris la parole au sujet de l'impression du Moniteur, et, à ce point de vue, je ne suis pas exposé aux reproches que M. le ministre de la justice adressait tout à l'heure à l'honorable député de Turnhout. Mais je crois devoir appeler l'attention sérieuse de la Chambre sur le crédit de 80,000 fr. qui lui est demandé.
Nous devons maintenir intacts les droits de la liberté de concurrence admise dans notre organisation administrative. Tout récemment encore, lorsque nous nous sommes occupés des lois de réorganisation militaire, la Chambre a manifesté expressément son intention de marcher de plus en plus dans cette voie, et le gouvernement, de son côté, a exprimé le dessein de l'y suivre, pourvu qu'on trouvât dans l'adjudication des garanties suffisantes.
Je voudrais pour ma part, en ce qui concerne le Moniteur, qu'on adopte le même système, qu’on procédât par adjudication, et par réadjudication ; et si l’on se trouve en présence d’une coalition, nous donnerons au gouvernement les moyens de la combattre.
Mais par ce seul fait que la dernière adjudication a été faite dans des conditions défavorables, faut-il abandonner le principe qui a été suivi dans la plupart des circonstances ?
Faut-il entrer dans un système de régie qui exige aujourd'hui un crédit de 80,000 fr. et qui plus tard entraînera à de nouvelles dépenses ?
En ce qui me touche, messieurs, il me sera impossible de donner un vote approbatif au projet qui nous est soumis.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable membre se trompe s'il croit que la proposition du gouvernement a pour but de contrarier le principe de la libre concurrence.
S'il en était ainsi, je serais le premier à le combattre.
Mais, messieurs, il n'en est rien.
Le gouvernement ne se dispose nullement à traiter avec un imprimeur. Le gouvernement imprimera pour son compte ; par conséquent il ne fera pas de traité particulier avec un imprimeur ; en un mot, le travail se fera en régie.
Par conséquent le gouvernement ne fera pas de tort à la libre concurrence en ce sens qu'il ne prendra pas un imprimeur plutôt qu'un autre.
On fera pour le Moniteur ce qui se fait pour beaucoup de journaux : l'éditeur, au lieu de traiter avec un entrepreneur, imprime son journal lui-même.
L'honorable membre dit : Pourquoi abandonner le principe de l'adjudication ?
Messieurs, mon intention n'est pas de révéler ici des faits secrets ; mais il suffit de lire les dossiers qui reposent au département de la justice pour avoir la conviction qu'il n'y a jamais eu dans les adjudications du Moniteur qu'un seul adjudicataire sérieux ; les concurrents qui ont pu se présenter parfois s'empressaient de se retirer pour faire place à l'entrepreneur ordinaire.
L'adjudication présente ce grand inconvénient de mettre l'intérêt de l'adjudicataire en opposition avec celui du gouvernement.
Ainsi, l'honorable M. Coomans disait tout à l’heure : Pourquoi une partie officielle aussi étendue ? pourquoi le Moniteur est-il si volumineux ? Cela se comprend. Avec le système d'adjudication ou paye l'impression à tant la feuille. Eh bien, vous aurez toujours de la part de l'imprimeur du Moniteur une tendance à exagérer la composition.
M. Coomans. - Vous êtes maître du rédacteur.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas le moins du monde. Je vais citer un cas particulier à l'honorable M. Coomans qui a l'expérience des choses de l'imprimerie. On a distribué dernièrement un grand nombre de récompenses à des ouvriers à l'occasion de l'Exposition de Paris.
Les arrêts ont paru au Moniteur, ils ont été composés de telle manière que les tableaux occupaient une large place. Pouvais-je continuer d'agir ainsi ? Non.
Tout ce que je pouvais faire en pareille occurrence, ce serait de m'adresser aux tribunaux. Eh bien, il y a de ce chef une exagération de dépenses qu'on peut évaluer à 700 fr.
Il y a plus, lorsque la Chambre et le Sénat sont réunis en même temps, on ne peut forcer l'adjudicataire à faire les sacrifices que le gouvernement s'imposera, qu'il tâchera de retrouver dans d'autres occasions, mais qu'il fera pour hâter la publication des Annales parlementaires.
Il y a d'autres réformes qu'il sera possible au gouvernement de réaliser avec la régie, et qu'il est impossible d'introduire avec le système actuel.
L'honorable M. Kervyn de Lettenhove a cru que le gouvernement avait l'intention de créer une imprimerie nationale. Il n'en est rien.
M. Delcourµ. - C'est le danger.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est le danger ? Il est évident que si l'expérience constatait que le gouvernement réalise de grands bénéfices, il n'y aurait qu'une voix dans la Chambre pour demander que les impressions du gouvernement se fassent en régie.
On dit que ce serait un danger. Je ne le vois pas, et en tous cas vous pourriez arrêter le gouvernement en n'accordant de crédits que pour le Moniteur et pour les Annales parlementaires. Mais, réduite à ses propositions actuelles, je crois que la proposition du gouvernement ne doit pas rencontrer d'opposition.
M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai entendu M. le ministre de la justice déclarer d'abord qu'il était partisan de la libre concurrence. Mais toutes ses paroles m'ont paru dirigées contre le système de l'adjudication. Sans entrer dans des détails secrets, il nous a fait entrevoir des fraudes : si ces fraudes ont existé, il me semble que c'était au gouvernement à les prévenir et à les rendre impossibles. Car ce n'est pas seulement dans l'adjudication du Moniteur, c'est dans une foule d'autres adjudications que les mêmes faits peuvent se présenter, et il est à désirer pour l'administration et dans l'intérêt du budget que ces fraudes soient évitées ou réprimées.
A en croire M. le ministre de la justice, il y aurait un avantage sérieux à ce que le gouvernement se substituât à l'industrie. Aujourd'hui il se ferait imprimeur, demain il se chargerait de tel autre travail, toujours dans l'intérêt des contribuables.
Eh bien, selon moi, c'est entrer dans une voie déplorable. Je suis convaincu que le gouvernement fait moins bien que l'industrie privée, et que lorsque le gouvernement fait une chose, elle coûte beaucoup plus cher que lorsqu'on s'adresse à la concurrence.
Ce que je blâme dans cette circonstance, c'est qu'en présence d'un fait accidentel, en présence d'une situation momentanée, on déserte les véritables principes, et le discours de M. le ministre de la justice me paraît un jalon malheureux, pour entrer de plus en plus dans le système de la régie.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je m'étonne des dernières paroles de l'honorable M. Kervyn. C'est un fait accidentel, dit-il. Mais depuis trente ans le même fait se reproduit. (Interruption.)
Les détails, vous les savez aussi bien que moi, vous savez quelles sont les personnes qui ont soumissionné pour l'impression du Moniteur. C'est toujours le même imprimeur, et cela se comprend. On ne trouve pas d'autres ateliers disposés qui se créent en vue d'un pareil travail. Ces. instruments d'industrie sont limités dans une localité, et il ne suffit pas de soumissionner pour pouvoir remplir les obligations de l'adjudication. Il en résulte que l'adjudication n'est pas sérieuse.
Mais l'adjudication dût-elle donner des chiffres moins considérables, je conseillerais encore, messieurs, le système de la régie, parce que je soutiens que l'impression du Moniteur et des Annales parlementaires constitue un travail tout spécial, qui sera mieux fait par le gouvernement que par un entrepreneur. Ce travail, par son irrégularité et par les soins tout particuliers qu'il exige, doit être fait par l'Etat.
M. Delaetµ. - Je ne sais s'il serait possible au gouvernement de prolonger de quelques mois le statu quo. Dans l'affirmative, je demanderais l'ajournement du projet à la session prochaine. Evidemment ce projet n'a pas été suffisamment mûri, la Chambre n'est pas suffisamment édifiée sur son caractère et sa portée. M. le ministre nous dit que pour l'impression du Moniteur, il n'y a toujours qu'un seul et même adjudicataire. Cela se comprend, sans qu'il soit besoin de supposer une coalition entre les imprimeurs. Le terme du contrat n'est que de 3 ans, le matériel coûte 80,000 francs. Il est impossible qu'un industriel quelconque, risque une mise de fonds de 80,000 francs pour une entreprise qui ne doit durer que 3 ans. La durée du contrat est donc là un point très important à examiner. D'autre part, la proposition qui nous est faite contient certainement en germe une imprimerie nationale et, que le gouvernement le veuille ou ne le veuille pas, il sera fatalement amené à transformer le Moniteur en imprimerie de ce genre. Il est, en effet, évident que dans les temps de session il faudra un (page 1187) nombre considérable d'ouvriers pour les Annales parlementaires. La session terminée, que ferez vous de ce personnel ? Le renverrez-vous tout entier ? La première année peut-être, la deuxième peut-être encore, mais plus tard vous éprouverez le désir de conserver la meilleure partie de votre personnel et à quoi l'emploierez-vous pendant les mois de l'année où les Chambres ne siègent pas ?
Vous aurez besoin de lui donner d'autres travaux et serez forcément amenés à faire faire au Moniteur les annales des différentes Académies, et, en général, tout ce que les corps dépendants de l'Etat peuvent avoir à faire imprimer ; alors l'œuf de l'imprimerie nationale sera parfaitement éclos et je vous assure que le poussin grandira.
En général, quand le gouvernement vient vous proposer la création d'une institution nouvelle, il la fait si modeste qu'il serait presque puéril de la discuter longuement. Mais une fois la création faite, on l'étend, on la développe et elle entraîne parfois à des dépenses monstrueuses. Je n'ai pas besoin de citer des faits, chaque membre de la Chambre les connaît aussi bien que moi.
J'appelle donc l'attention de la Chambre sur le point de savoir, non pas s'il faut rejeter la proposition du gouvernement hic et nunc, mais s'il ne conviendrait pas de l'ajourner à la session prochaine, afin qu'elle puisse être examinée sérieusement.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne puis croire que la proposition de l'honorable M. Delaet soit sérieuse. S'il avait réfléchi un instant, il verrait que cette proposition équivaut à un rejet, attendu que le gouvernement serait obligé de faire aujourd'hui une adjudication et qu'il serait impossible de faire une adjudication à court terme.
M, Delaetµ. - J'ai commencé par demander s'il n'était pas possible de prolonger l'adjudication actuelle pendant un an.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est complètement impossible. Ce serait contraire à la loi de comptabilité.
M. Delaetµ. - La Chambre pourrait vous y autoriser.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce ne serait pas régulier.
M. Delaetµ. - Ce serait tout aussi régulier que ce que vous voulez faire.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ajoute que votre observation désobligeante à l'adresse de vos collègues est toute gratuite. Le projet de loi a passé par les formalités tracées par le règlement. Il a été en sections et puis en section centrale et vous venez dire après cela que vos collègues n'ont pas étudié la matière sur laquelle ils ont fait a-apport.
M. Crombez. - Il n'y a pas eu d'observations dans les sections.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si nous en sommes arrivés à ce point qu'il va être permis aux membres de discuter la valeur du travail qui se fait lorsque tout s'est accompli régulièrement, il n'y aura plus de sécurité dans nos travaux.
L'honorable M. Delaet dit que le projet n'a pas été étudié. Mais est-ce une chose si difficile que de faire imprimer le Moniteur comme maintenant, avec cette seule différence que le travail se fera sous la direction du gouvernement, ou bien de le faire sous la direction d'un adjudicataire ? Faut-il un temps si long pour se prononcer sur une pareille question ?
Si nous échouons, si l'essai ne réussit pas, quelle difficulté y aura-t-il ? La Chambre décidera qu'on remettra en adjudication l'impression du Moniteur avec charge, pour celui qui aura l'entreprise, de reprendre le matériel. (Interruption.) Ce matériel aura une valeur absolument comme le matériel actuel de l'entrepreneur.
M. Delaetµ. - Je commencerai par faire remarquer à la Chambre que l'honorable ministre de la justice a grand soin de ne pas faire la moindre réponse aux parties les plus essentielles de mes observations.
Ainsi il n'a rien dit du danger qu'il y a à créer une imprimerie d'Etat ni de ce qu'il fera de son personnel hors du temps des sessions.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'y a pas de personnel.
M. Delaetµ. - Vous ne ferez pas, M. le ministre, permettez-moi de vous le dire, ce que fait l'industrie libre. Elle travaille avec des ouvriers, vous travaillerez avec des fonctionnaires ou des quasi-fonctionnaires. L'Etat n'a pas d'ouvriers, il n'a que des employés.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Delaet se trompe complètement. Le gouvernement ne peut procéder, en ce qui concerne les ouvriers, que d'après les règles admises à Bruxelles. Le chef d'atelier traitera avec les ouvriers.
M. Delaetµ. - Messieurs, cette circonstance, que dans les sections nulle observation m'a été faite, me relève complètement de l'accusation d'avoir calomnié mes honorables collègues lorsque j'ai dit que l'examen du projet de loi n'avait pas été fait d'une façon suffisamment sérieuse, suffisamment approfondie !
Nous savons tous ce que c'est que le travail en sections. On ne se rend guère en sections que lorsqu'il y a des projets de lois importants. (Interruption.)
Il m'est arrivé d'être président de section, d'y siéger dans une majestueuse solitude et de nommer à moi seul le rapporteur en section centrale. Qu'on ne vienne donc pas nous dire que le travail en sections équivaut à l'examen dans cette enceinte. Franchement, j'en aurais trop à dire.
L'honorable ministre vous dit : Mais si nous ne réussissons pas, si nous payons plus cher que l'industrie privée, nous vendrons le matériel et tout sera dit. Le matériel a une valeur !
Certes le matériel a une valeur ; mais quelle est cette valeur ? Elle n'équivaut pas à 40 p. c., pas même à 50 p. c. du prix d'acquisition.
Ceux qui ont eu un matériel d'imprimerie savent ce qu'il en coûte de s'en débarrasser. Un de mes amis a cessé d'être imprimeur depuis dix ans ; il cherche à vendre une presse très bonne encore, et il n'a pu jusqu'ici trouver un acheteur.
Voilà à quoi s'expose le gouvernement : pour faire une économie de quelques milliers de francs, économie très douteuse du reste, il s'exposa à perdre 40,000 ou 50,000 fr. sur son matériel.
Or, comme, le cas échéant, l'Etat ne voudra pas vous faire l'aveu qu'il a mal prévu ou mal géré, il n'aura qu'un moyen de masquer sa faute, c'est de l'étendre et de la perpétuer.
On aurait bien mieux fait d'étudier à fond la question d'une imprimerie nationale ; tout le monde s'en serait occupé en sections et nous aurions pu discuter autrement qu'au pied levé, à la fin d'une séance et sans interversion de l'ordre du jour.
M. Hymans. - Je ne viens pas ici défendre les sections ; elles ne sont guère atteintes par les attaques dont elles sont l'objet. Mais je voudrais dire un mot pour justifier le projet de loi.
On nous dit qu'il est question de poser les bases d'une imprimerie nationale.
M. le ministre de la justice soutient que cela n'est pas ; eh bien, le jour où il viendra vous demander des fonds pour cet objet, vous serez libres de les lui refuser et vous aurez raison de le faire dans votre thèse. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui ; il s'agit de faire droit aux réclamations qui ont été produites dans cette Chambre par vous-même, M. Coomans, ainsi que par moi contre le système actuel.
Qu'avons-nous fait il y a trois mois à peine ? Nous avons protesté ensemble contre les proportions exorbitantes que prenait la partie non-officielle du Moniteur et nous avons été d'avis ensemble, cela ne nous arrive pas souvent, que la partie non officielle du Moniteur prenait des proportions exorbitantes, uniquement parce que l'imprimeur étant payé à la feuille avait intérêt à imprimer le plus de feuilles possible.
M. le ministre de la justice dans son exposé des motifs (et il ne faut pas aller en sections pour lire les exposés des motifs) nous dit que c'est principalement afin de parer à cet abus qu'il nous a présenté son projet.
Le Moniteur ne contiendra plus à l'avenir que ce qui est indispensable.
Quant au prix de l'impression, il sera ce qu'il est aujourd'hui.
Le salaire des typographes sera le même, le nombre de journées sera le même ; il y aura peut-être cette différence que le papier sera meilleur.
Quant au personnel dont on a parlé, il n'y a pas lieu de s’en occuper ; il n'y a pas au Moniteur de personnel permanent, il n'y en aura pas plus sous le régime de la régie que sous celui de l'industrie privée. Lorsque la Chambre et le Sénat siégeront, il faudra un plus grand nombre de typographes, et si le Moniteur a été mal fait, c'est en partie parce qu'aux moments d'un surcroît de besogne, on était obligé de prendre des ouvriers peu habiles.
Eh bien, désormais, on prendra, comme on aurait toujours dû le faire, de bons ouvriers ; lorsqu'il en faudra davantage, on tâchera d'en trouver encore de bons que l'on congédiera lorsqu'on n'en aura plut besoin. En d'autres termes, il ne s'agit que d'une simple question d'économie, il ne s'agit que d'améliorer l'impression du Moniteur et d'en (page 1188) assurer la publication régulière. Si, plus tard, on vient demander de l'argent pour une imprimerie nationale, vous pourrez toujours le refuser.
- La discussion générale est close.
M. le président. - Avant de passer au vote sur les articles, nous avons à statuer sur la motion d'ajournement faite par M. Delaet, celle motion ayant la priorité.
M. Coomans. - On vient de répéter à plusieurs reprises une erreur qui est grave, parce qu'elle peut exercer une influence sur le vote de la Chambre. On accuse l'imprimeur du Moniteur d’être cause de la grande extension qu'ont prises les impressions du journal officiel. Or, messieurs, il n'en est rien, et il ne convient pas d'accuser injustement des hommes dont nous nous sommes plaints quelquefois. Pour ma part, je me suis plaint souvent de l'énorme extension qu'a prise le Moniteur ; mais je n'ai jamais dit que ce fût la faute de l'imprimeur.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Répondez à ce que j'ai dit au sujet de l'impression du tableau des récompenses.
M. Coomans. - Ma réponse sera bien simple : si votre cahier des charges permet à l'imprimeur d'imprimer tout ce qu'il veut, tant qu'il veut et comme il veut, vous avez fait un mauvais cahier des charges. Cependant je suis persuadé que ce cahier des charges porte que l'imprimeur ne livrera à l'impression que les matières que la rédaction lui aura fournies ; cela est élémentaire. Or, en fait de rédaction, il n'y a pas une ligne qui ne sorte des mains du gouvernement ou de ses délégués.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il s'agit d'impression et vous nous parlez de rédaction maintenant.
M. Coomans. - Laissez-moi donc achever mon argument auquel vous ne touchez pas. Je vois que vous ne connaissez rien à l'imprimerie.
Il est donc inexact de dire que l'imprimeur est la cause de l'extension du Moniteur ; l'imprimeur n'a pas le droit d'imprimer une ligne qui ne lui ait été donnée par la rédaction. Votre argument n'est donc pas bon.
Mais, dit M. le ministre, l'imprimeur blanchit, c'est le terme consacré, c'est-à-dire qu'il met trop de blancs dans les colonnes. Mais, c'est à vous d'empêcher cela, et cela est très facile à empêcher par un autre cahier des charges.
Vous voyez donc bien que vos raisons ne portent pas contre le principe de l'adjudication ; elles portent tout au plus contre le cahier des charges s'il est aussi défectueux que vous m'autorisez à le croire. Mais vous pouvez facilement empêcher l'extension des colonnes du Moniteur si vous voulez réellement réaliser des économies.
Autre objection. II y a beaucoup d'abus, nous dit M. le ministre ; il y a eu entente entre les soumissionnaires.
Mais, messieurs, c'est là une accusation très grave ; c'est tout bonnement attaquer le principe même des adjudications. J'ai entendu dire qu'il y avait eu des coalitions dans une foule d'autres adjudications où il s'agissait de millions, pour le chemin de fer par exemple ; mais je ne sache pas que le gouvernement ait supprimé les adjudications parce qu'il y avait eu coalition.
Mais, dit l'honorable M. Hymans, l'impression du Moniteur est mauvaise parce qu'on y emploie souvent le rebut des compositeurs. (Interruption.) Je ne sais pas si ce fait est vrai, mais j'en doute fort. J'ai corrigé en première (l'honorable M. Hymans me comprend) beaucoup de pages de nos annales, et, je dois le dire, j'y ai trouvé moins de fautes que dans beaucoup d'autres travaux de ce genre soi lis d'autres imprimeries.
Non, messieurs, le mal n'est pas là, le mal n'est pas dans le personnel du Moniteur : je le crois apte à remplir sa tâche. Le mal existe dans la mauvaise méthode suivie par le gouvernement en matière de rédaction.
Ainsi, messieurs, toute la base de l'argumentation que je combats tombe complètement, et je vous défie de citer un fait sérieux contre l'adjudication.
Encore une fois, la thèse de l'économie est mal posée, et M. le ministre de la justice ne me rassure aucunement, lorsqu'il dit qu'en cas d'échec on se tirera d'affaire en vendant le matériel ; un matériel d'imprimerie ne se revend jamais qu'à 50 ou 60 p. c. au-dessous du prix d'achat.
M. Hymans. - Je ne puis laisser passer le reproche que m'adresse l'honorable membre d'avoir prétendu que le Moniteur n'emploie que le rebut des typographes de la capitale. J'ai dit que dans les moments de presse, on était obligé de prendre de mauvais ouvriers, et voilà tout.
En ce qui concerne les autres observations de M. Coomans, il curieux de constater que l'honorable membre nous vante aujourd'hui la correction du Moniteur après avoir prétendu un jour qu'il avait trouvé une centaine de fautes d'impression dans un seul de ses discours.
M. Coomans. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Interruption.) Lorsqu'on attribue à un orateur le contraire de ce qu'il a dit, c'est bien là un fait personnel.
Je n'ai pas dit que le Moniteur fût parfaitement corrigé ; j'ai parlé, (et quiconque a été dans une imprimerie sait ce que c'est qu'une première, ce que c'est qu'une seconde), j'ai parlé de la première épreuve, qui donne la mesure de la force du compositeur, c'est-à-dire de celle à laquelle le correcteur n'avait pas encore mis la plume ; je disais cela pour prouver que les compagnons-typographes du Moniteur n'étaient pas mauvais.
M. le président. - La proposition de l'honorable M. Delaet consiste à ajourner le projet de loi à la prochaine session.
- Cette proposition est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
La Chambre passe aux articles du projet de loi.
« Art. 1er. Le budget des dépenses du ministère de la justice pour l'exercice 1868, fixé par la loi du 25 décembre 1867, est augmenté d'une somme de 80,000 francs, qui sera ajoutée à l'allocation, chapitre VI, article 19, impression du Recueil des lois, du Moniteur et des Annales parlementaires.
- Adopté.
« Art. 2. Cette allocation sera couverte au moyen des ressources ordinaires de l'exercice. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
86 membres sont présents.
64 membres répondent oui.
22 répondent non.
En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Tack, Thonissen, T'Serstevens, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Renynghe, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Anspach, Bara, Beeckman, Braconier, Bricoult, Broustin, Carlier, Crombez, David, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Delcour, De Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Muelenaere, de Rongé, de Rossius, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot et Dolez.
Ont répondu non :
MM. Liénart, Magherman, Notelteirs, Schollaert, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Wouters, Coomans, Coremans, Delaet, de Naeyer, de Smedt, de Woelmont, Gerrits, Hayez et Kervyn de Lettenhove.
M. le président. - Messieurs, il vous reste à fixer votre ordre du jour pour demain.
La Chambre entend-elle s'occuper, dans la séance de demain, des feuilletons de pétition.
- Plusieurs voix. - Oui ! oui ! Non ! non !
M. le président. - En présence de ces divergences d'opinion, je dois consulter la Chambre.
La Chambre me paraît d'accord pour entamer demain la discussion générale du budget des travaux publics. Quelqu'un s'y oppose-t-il ?
- La proposition est adoptée.
Voici, messieurs, comment est composée la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'érection du hameau de la Louvière en commune distincte : MM. de Naeyer, Warocqué, Elias, Nelis et de Macar.
- La séance est levée à 5 heures un quart.