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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 3 avril 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 999) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuin, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Tarlier, Tempels et autres membres du conseil général de la ligue de l'enseignement proposent des modifications pour l'enseignement moyen dans les athénées royaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Nil-Saint-Vincent-Saint-Martin prient la Chambre d'apporter à la loi du 28 mars 1848 des modifications qui les dispensent d'assister aux élections dans la garde civique ou qui lui donnent un complément sérieux. »

- Même renvoi.


« La dame Léonie Vande Casteele demande un congé de quelques mois pour son mari Edmond Ameye, milicien de la classe de 1866, soldat au régiment des grenadiers à Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Saint-Josse-ten-Noode demandent la révision de la loi du 23 septembre 1842. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le conseil communal de Brecht présente des observations concernant un projet de loi sur les cours d'eau qui ne sont ni navigables ni flottables. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« 1° Qui fixe le contingent de l'armée pour 1869 ;

« 2° Divisant le contingent de milice en contingent actif et en contingent de réserve ;

« 3° Qui fixe la durée du service militaire ;

« 4° Relatif à l'organisation de l'armée. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre des affaires étrangères adresse à la Chambre deux exemplaires de la carte générale des bancs de Flandres, compris entre Gravelines et l'embouchure de l'Escaut, sondée d'après les instructions de son département par le lieutenant de vaisseau de première classe Stessels. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Van Humbeeck, retenu par une affaire importante et des plus urgentes, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.

Communication relative aux Annales parlementaires

M. Allard, questeur. - Les Annales parlementaires n'ont pas inséré le compte rendu des séances des 27 et 28 mars ni de celles des 1er et 2 avril, le lendemain du jour où elles ont eu lieu. La séance d'hier n'a pas encore paru aujourd'hui.

Je crois, messieurs, qu'il est de mon devoir, en ma qualité de questeur chargé de la surveillance du service de la sténographie et de l'imprimerie du Moniteur, de déclarer que ces retards ne proviennent ni de MM. les sténographes, ni de l'imprimerie du Moniteur. J'ai ici toutes les pièces qui le prouvent.

M. Dumortier. - Il est toujours très difficile de faire paraître le lendemain la séance du jour, quand les deux Chambres sont réunies et qu'elles tiennent chacune des séances de plusieurs heures. Il faudrait pour cela un double personnel au Moniteur.

M. Allard. - Je demande la parole.

M. Dumortier. - Mais je crois que M. Allard a tort de venir, dans cette circonstance, incriminer ses collègues ; lorsqu'il dit que le retard ne provient, ni des sténographes, ni du Moniteur, cela ne peut signifier qu'une chose : c'est qu'il provient des membres de la Chambre.

- Une voix. - On constate un fait.

M. Dumortier. - Je le répète, messieurs, il ne convient pas de venir ici incriminer des collègues. Hier j'ai prononcé quelques mots à la fin de la séance, j'étais loin de m'attendre à leur voir provoquer un incident ; un incident a eu lieu cependant et j'ai été amené à prendre encore la parole.

On a envoyé le soir chez moi la copie de mon discours. Je n'avais pas demandé d'épreuve de mon discours et ce n'est que le matin que je les ai trouvées.

Du reste, comme ce discours a été prononcé à la fin de la séance, rien n'empêchait qu'on donnât le compte rendu jusqu'à l'incident.

Messieurs, si les Annales ne paraissent pas régulièrement, cela peut être dû parfois aux membres de la Chambre, mais 9 fois sur 10 ce n'est pas eux qui en sont cause, et il est donc inutile de venir porter une accusation contre des collègues.

M. le président. - Ne donnons pas à cet incident plus d'importance qu'il n'en a.

M. Allard, questeur. - Je n'ai porté aucune accusation contre mes honorables collègues quoi qu'en dise l'honorable M. Dumortier.

Depuis trois jours plusieurs membres de la Chambre me demandent pourquoi les Annales ne paraissent pas avec le compte rendu des séances de la veille.

Il était de mon devoir de faire connaître à la Chambre que cela n'a dépendu, ni de la sténographie, ni de l'imprimerie, ni de M. le directeur du Moniteur.

M. Dumortier a fait remarquer que les deux Chambres sont réunies et que c'est peut-être pour cela que les Annales ne paraissent pas à temps.

Mais, messieurs, disons les choses telles qu'elles sont. N'est-il pas vrai que, chaque fois que nous avons un comité secret on accuse toujours l'imprimerie du Moniteur, les sténographes, et les questeurs, au sujet des Annales parlementaires, qui ne reproduisent pas les séances le lendemain du jour ou elles ont eu lieu.

J'avais pris pendant quelque temps la résolution de faire afficher dans la salle de lecture la lettre du directeur du Moniteur, qui faisait connaître le motif pour lequel la séance n'avait pas paru ; j'ai dû faire cesser ce mode d'informer mes honorables collègues des raisons pour lesquelles les Annales n'avaient pas paru le lendemain de certaines séances, parce qu'on m'a dit que je faisais ainsi connaître les orateurs qui n'avaient pas remis leurs discours, soit qu'ils les avaient retenus pendant un ou deux jours en poche, soit par oubli, soit pour certains motifs.

Voilà trois jours que la séance ne paraît pas le lendemain. Il était de mon devoir, je le répète, de disculper, et MM. les sténographes et l'imprimeur du Moniteur.

J'ai communiqué du reste chaque jour, à M. le président, la lettre du directeur du Moniteur, et notre honorable président m'a engagé lui-même à faire connaître la vérité à la Chambre.

Nomination du greffier de la cour des comptes

M. le président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu la nomination du greffier dû la cour des comptes.

(page 1000) Le scrutin donne le résultat suivant :

Nombre des votants, 97.

Majorité absolue, 49.

M. Casier obtient 55 voix.

M. Gister 14 voix.

M. Sleepens, 17 voix.

En conséquence, M. Casier est proclamé greffier de la cour des comptes.

Ordre des travaux de la chambre

M. Allard. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de s'ajourner, après la séance de demain, jusqu'à mardi 21 avril courant.

M. le président. - Je suppose que la proposition de M. Allard est faite avec ce sous-entendu que la discussion générale du budget de l'intérieur soit préalablement terminée.

- De toutes parts. - Non ! non ! de toute façon.

M. le président. - Il paraît que la Chambre désire que la question soit posée purement et simplement. (Oui ! oui !)

- La Chambre, consultée, décide qu'après la séance de demain, 4 avril, elle s'ajourne jusqu'au 21 du même mois.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l’exercice 1869

Rapport de la section centrale

M. Descampsµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale, qui a examiné le budget de la dette publique pour l'exercice 1869.

- Impression et distribution.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

(page 1013) M. Schollaert. - Messieurs, ce n'est pas comme catholique que je viens traiter la grave question qui s'agite devant la Chambre, mais en homme politique et en partant constamment du principe de la Constitution, qui proclame l’égalité des cultes, non devant la vérité, mais devant la loi.

Un honorable membre, si ma mémoire est fidèle, c'est M. Funck, disait, au début de cette discussion, que la loi de 1842 a été une surprise pour le parti libéral. Je crois, messieurs, que cet honorable membre se trompe.

Depuis son avènement à l'indépendance, je le dis en son honneur, le peuple belge a considéré la question de l'enseignement comme la question la plus élevée et la plus grave qu'il avait à résoudre. Le Congrès s'est attaché à peu de matières avec autant de soin et avec autant d'application.

Il y a, sous ce rapport, dans notre pacte fondamental, tout un système que le législateur ultérieur n'a eu qu'à organiser.

La Constitution a proclamé, d'une part, dans les termes les plus absolus, la liberté complète de l'enseignement.

Elle a déclaré, d'autre part, que l'enseignement de l'Etat serait réglé par la loi.

Par cette disposition, les Chambres législatives sont chargées, sous certaines réserves toutefois, de faire, pour l'Etat, ce que le particulier fait pour sa fondation privée, c'est-à-dire de rechercher et d'organiser l'enseignement le meilleur, le plus convenable, le mieux adapté aux besoins de l'éducation publique.

La loi avait à décider en outre dans quelle mesure l'Etat devrait user de la faculté constitutionnelle, en d'autres termes, quelles proportions il convenait de donner à l'enseignement public.

Ce fut sur ce dernier terrain que les parties se livrèrent, depuis 1830 jusqu'à 1840, aux discussions les plus vives.

Fallait-il tout ou presque tout laisser à la liberté, ou organiser à côté d'elle un puissant enseignement public ? Dans quelle mesure et sur quelles bases cet enseignement devait-il être établi ?

Pendant la même période, les catholiques, fidèles à leur histoire et à leurs traditions, s'étaient appliqués à élever partout des établissements d'instruction. Création des évêques, communautés religieuses, écoles fondées par l'initiative des particuliers sortirent du sol, doublement fécondé par la religion et la liberté.

Je viens de le dire, deux systèmes étaient en présence. Les uns prétendaient que la liberté, à peu de chose près, aurait répondu à tous les besoins. Les autres prévoyaient, au contraire, que malgré la généreuse énergie des catholiques, il aurait fallu un jour associer l'Etat, pour une part considérable, dans l'œuvre sacrée de l'éducation publique.

Le projet que présenta en 1834 l'honorable comte de Theux montrait une très grande confiance dans la liberté. Je n'ai ni l'intention, ni le désir de l'examiner ; mais je félicite l'honorable chef de la droite d'être entré à cette époque dans les vues libérales du Congrès, et d'avoir prouvé ainsi quelle était sa confiance....

MiPµ. - C'est M. Rogier qui a présenté ce projet.

M. Schollaert. - L'honorable ministre de l'intérieur me fait l'honneur de me dire que le projet de 1834 a été présenté par M. Rogier ; je croyais que ce projet avait été présenté par l'honorable M. de Theux. (Interruption.) Mais quelle que soit la personne dont le projet émane, je n'ai pas à retirer l'expression louangeuse dont je me suis servi et je ne le ferai certes pas à l'égard de l'honorable M. Rogier, avec lequel on peut différer d'opinion, mais auquel on ne saurait contester l'honneur d'avoir attaché, à toutes nos grandes institutions nationales, pendant que la Belgique était en formation, l'un des noms les plus nobles et les plus respectés du pays.

- De toutes parts. - Très bien ! très bien !

M. Schollaert. - En 1840, messieurs, une idée que j'appellerai grande et profonde fut tout d'un coup lancée dans le pays par un homme dont, pour ma part, je vénère pieusement la mémoire, par feu Mgr Van Bommel, évêque de Liège.

Avec le coup d'œil administratif qui le caractérisait si éminemment, Mgr Van Bommel aperçut que pour livrer une guerre sérieuse à l'ignorance, la plus mauvaise de toutes les institutrices, ce n'était pas trop de l'alliance et du concours de toutes les forces sociales, religieuses et politiques du pays. Mgr Van Bommel, dans un livre demeuré célèbre, proposa une ligue de l'enseignement entre la commune, la province, l'Etat, la liberté, les associations religieuses et charitables, le clergé des différents cultes, en un mot, toutes les puissances de notre jeune nationalité pour livrer à l'ignorance des masses un combat suprême et décisif.

Cette pensée d'un grand évêque était une pensée libérale, car il faut bien le dire, dans notre pays, jusqu'en 1834 et 1835 l'enseignement primaire était déplorablement insuffisant.

Un autre homme, également admirable, M. J.-B. Nothomb, qui se trouvait alors à la tête des affaires, il était je pense ministre de l'intérieur, cet homme comprit la grande pensée du prélat et voulut y prêter la main.

Elle fut longuement examinée, longuement étudiée, longuement discutée, mais enfin, tout le monde en comprit la grandeur et l'utilité. En 1842, la Chambre où j'ai l'honneur de parler vota, à l'unanimité moins trois voix, la loi qui en est l'expression et la consécration ; au Sénat, elle obtint l'unanimité complète.

Aujourd'hui, messieurs, après vingt-cinq années d'existence et je puis le dire en me fondant sur les données fournies par l'honorable M. Alp. Vandenpeereboom, nous nous demandons et nous sommes naturellement venus à nous demander si cette loi importante qui règle l'un des plus grands services sociaux est bonne. Je dois déclarer que, pour ma part, je la considère comme un des monuments les plus précieux de notre législation.

Mais, je l'avoue, des hommes considérables sont d'un autre avis et lui font des reproches qui, s'ils étaient justifiés, me feraient immédiatement changer d'avis.

On affirme d'une part que la loi de 1842 est inconstitutionnelle. Or, messieurs, je ne considère pas la Constitution belge comme un simple contrat politique. Elle est notre véritable titre de famille, la cause efficiente de notre unité et j'ajouterai, sans rencontrer de contradicteurs dans cette enceinte, la clef de voûte de notre nationalité. Si la loi de 1842 violait ce pacte sacré et suprême, il faudrait, quelles que puissent être d'ailleurs son utilité et son importance, la faire disparaître de nos codes ou la mettre d'accord avec la loi des lois.

On fait un second reproche à la loi de 1842, à raison du principe d'enseignement confessionnel qui s'y trouve déposé.

A entendre certaines ligues qui s'occupent (et s'occupent légitimement sur le domaine de la liberté) des moyens d'instruire et de moraliser les masses, la loi de 1842, précisément à raison de ses tendances religieuses, serait une cause permanente d'abrutissement (le mot a été écrit) et de réaction. Encore une fois si un tel reproche était fondé, il faudrait non seulement supprimer la loi de 1842, mais la balayer de notre Pasinomie.

Cette loi, au point de vue social, au point de vue théorique, est une loi réelle.

Je me propose d'étudier, devant vous, ces deux griefs. Je veux voir si réellement la loi de 1842 est inconstitutionnelle dans son principe et funeste dans ses effets.

Le principe de l'enseignement confessionnel qui se trouve déposé dans cette loi doit être abrogé et ne peut pas être appliqué par la raison et par la conscience.

Parlons d'abord de la constitutionnalité. Le Congrès, messieurs, était inspiré par une idée que j'appellerai grande, le respect absolu des consciences.

La volonté du législateur constituant était que jamais, en Belgique, un. homme ne pût être inquiété ou souffrir pour ses opinions. Il comprenait clairement que la force n'a aucune action sur les opérations de l'intelligence et qu'il est aussi impossible d'imposer une idée par la contrainte que d'allumer un flambeau avec la pointe d'une épée.

Mû par cette conviction, il décréta, non seulement la liberté absolue des consciences, mais il proclama l'égalité des cultes, non devant la vérité, ce qui eût été de sa part une contradiction et un excès de compétence, mais devant la loi.

Il voulut que 5 millions de catholiques ne pussent prétendre à plus de droits, ni à une situation plus favorisée que les 10,000 dissidents qui forment avec eux la population totale de la Belgique.

En matière d'enseignement comme en toute autre matière, les Belges sont égaux et libres ; les cultes libres et égaux. Chaque citoyen, chaque secte, chaque église peuvent fonder des écoles. Aucun enseignement obligatoire n'est imposé. Nul n'est tenu de fréquenter une école quelconque. Chacun est autorisé à sortir de l'école où il est volontairement entré, lorsqu'une doctrine religieuse, qu'il répudie, vient à s'y produire et à alarmer sa conscience. Egalité, liberté, voilà le droit. Ita lex esto.

Mais en résulte-t-il que l'Etat doit rendre les écoles dont l'organisation (page 1014) lui est confiée accessibles à tout le monde, dans ce sens qu'il y a obligation pour lui de s'abstenir de tout enseignement moral et religieux ? Mille fois non !

L'Etat peut et doit, dans la plénitude du mandat qui lui est confié, organiser l'enseignement le plus propre à instruire et à moraliser la nation.

Or, messieurs, c'est précisément cette mission constitutionnelle qui justifie la loi de 1842. Convaincu que la morale religieuse est le suprême et indispensable élément de toute éducation primaire, le législateur de 1842 a compris qu'à moins d'admettre dans les écoles l'élément constitutionnel et dogmatique, il ne pourrait jamais être efficacement satisfait à ce suprême et indispensable besoin de l'éducation populaire ! Il n'a pas voulu que l'école fût simplement littéraire, ni que l'on se bornât à y enseigner une religion vague, arbitraire et éclectique. Il a préféré un système, adopté par les plus grandes nations de l'Europe ; et il a invité les ministres de tous les cultes à lui prêter leur compétence et leur concours !

C'était son droit, c'était son devoir, c'était l'accomplissement consciencieux du mandat qu'il avait reçu, de la mission qui lui avait été confiée par la Constitution.

En décrétant que la religion de la majorité des élèves fréquentant l'école y serait enseignée, le législateur de 1842 a établi une règle qui ne saurait violer l'égalité, puisqu'elle est applicable à tous les cultes. En décrétant que les enfants qui n'appartiennent pas à la communion religieuse en majorité dans l'école, seront dispensés d'assister à cet enseignement, elle a désintéressé et affranchi toutes les consciences !

Prétendra-t-on que constitutionnellement chargé d'organiser l'enseignement public, le législateur de 1842 pouvait y faire entrer la lecture, l'écriture, le calcul, mais qu'il lui était défendu d'y faire entrer la religion et la morale ?

Mais où est le texte qui impose à la loi cette restriction monstrueuse ?

Et comment la concilier avec l'esprit si religieux et si honnête du Congrès ?

Non, messieurs ! la loi de 1842 est l'application de la lettre et de l'esprit de notre pacte fondamental.

Il y a une chose, messieurs, sur laquelle on se trompe communément ; j'ai lu parfois, j'ai souvent ouï dire que la Constitution belge est une Constitution athée. Rien n'est plus erroné ! Lorsqu'on l'examine de près, on aperçoit que la Constitution, loin d'être hostile à tous les cultes, leur est favorable et sympathique. Elle semble d'accord avec M. Thiers, qui, parlant naguère, au corps législatif, de ceux qui propagent dans la société les vérités « morales et nécessaires,», prononçait ces remarquables paroles :

« Que ce soit le philosophe au nom de la raison humaine, le prêtre catholique au nom de l'unité de la foi, le ministre protestant au nom du libre examen, l'israélite au nom de Moïse, tous sont les bienfaiteurs de la société et le législateur doit les regarder comme ses coopérateurs les plus utiles. »

La Constitution n'est pas athée puisque par l'article 127 elle charge la loi de régler la formule du serment, un acte essentiellement religieux. Elle n'est pas athée puisque, dans un autre article, elle tient compte de la bénédiction religieuse du mariage.

Elle n'est ni athée, ni hostile aux cultes établis, puisque son article 117 met à la charge de l'Etat les traitements et les pensions de leurs ministres ! Tous les ans les Chambres votent, sur la proposition des ministres, des sommes considérables pour la construction, la réparation, l'élargissement des églises, des temples, des synagogues ; pourquoi ?

Parce que les cultes sont considérés comme des institutions sociales et que la Constitution n'est point athée ! On ne salarie pas le néant, on n'abrite pas ce qu'on condamne !

Il est donc impossible de raisonner du soi-disant athéisme de la Constitution pour en inférer que l'enseignement doit être indifférent ou que la Constitution condamne la loi de 1842.

La vraie raison des attaques dont la loi de 1842 ne cesse d'être l'objet dans cette enceinte et hors de cette enceinte, la voici :

La loi de 1842 a eu pour résultat de donner à l'enseignement du clergé catholique une prépondérance de fait que je ne songerai pas à contester. Mais, messieurs, cette prépondérance où prend-elle sa source ? Evidemment, si elle était due à un privilège, elle serait inconstitutionnelle, mais puisque la loi de 1842 place tous les cultes exactement sur la même ligne, il ne saurait être question de privilège ici.

Le prêtre catholique exerce dans l'enseignement une plus grande influence, uniquement parce que la religion catholique est celle, je ne dirai pas du plus grand nombre des Belges, mais des quatre-vingt-dix neuvièmes de la nation. Que demain les israélites soient placés dans la même condition et la prépondérance leur sera acquise, dans des proportions identiques, sans qu'il soit besoin pour cela de changer une lettre de la loi.

Or, comme l'observait un jour très spirituellement M. Thiers... (Interruption) Je répète que la prépondérance de l'enseignement catholique résulte non d'une disposition de la loi de 1842, mais d'un fait que, pour moi, je considère comme très heureux et très salutaire, et que des hommes considérables du parti libéral considèrent comme très heureux et très salutaire ; je veux parler du nombre des catholiques...

Je sais que le nombre n'ajoute rien au droit ; niais comme M. Thiers le faisait remarquer naguère, il doit être permis de dire qu'il ne lui ôte rien non plus !

On a prétendu que dans un pays où les cultes sont libres et les citoyens égaux, l'école doit être organisée de manière que les dissidents puissent s'y rencontrer avec les catholiques sans être froissés dans leurs consciences ou dans leurs opinions, quelle que soit, d'ailleurs, la majorité de l'école et quel que soit aussi le nombre des dissidents.

Cela est-il sérieux, messieurs ?

Comment ! l'enseignement religieux, l'enseignement même philosophique, de ces quelques « grandes vérités nécessaires » dont on a tant parlé dans le cours de cette discussion, ne pourrait être constitutionnellement donné dans nos écoles, parce qu'une poignée de libres penseurs s'aviserait d'en avoir la conscience froissée ? Il faudrait mettre hors de l'école Dieu, la morale, les religions positives et même la religion naturelle, parce qu'on aurait cinq ou dix mormons, un ou deux athées en Belgique. (Interruption.)

- Des membres. - Personne ne prétend cela.

M. Schollaert. - Mais vous allez voir qu'on le prétend et que la prétention n'est pas soutenable.

Si l'enseignement public ne peut être confessionnel, parce qu'il doit être à tout instant accessible aux citoyens de toutes les opinions et de toutes les sectes, il en résulte logiquement que chaque conscience est en droit de faire éliminer de l'enseignement toute idée qui pourrait la blesser dans ses convictions intimes ! Je le sais bien, chacun repousse dans cette enceinte ces conséquences monstrueuses, mais elles sont au fond du principe que je combats.

Si ce principe était vrai, il suffirait d'un petit nombre d'athées ou de mormons pour nous empêcher d'enseigner dans nos écoles la doctrine catholique, la doctrine protestante, la doctrine juive, la religion naturelle, et même, que sais-je ? la monogamie !

Non, messieurs ; ce que la Constitution a voulu, c'est d'abord que tous les cultes, tous les systèmes, toutes les doctrines eussent la liberté de se propager sans entraves, d'organiser leur enseignement, d'avoir leurs universités, leurs collèges, leurs écoles. Ce qu'elle a voulu ensuite, c'est que l'enseignement de l'Etat fût organisé non pas par la libre pensée, mais par la loi, dans le but de procurer aux masses, d'une part, l'instruction littéraire dont elles ont besoin, et de l'autre, cette élévation morale qui est en définitive le dernier mot de l'éducation primaire et sa mission suprême.

Il n'est pas défendu au législateur d'accepter le concours des cultes qu'il salarie dans la poursuite de ce grand intérêt social : l'enseignement du peuple ; il peut introduire le prêtre dans l'école à la condition toutefois que tous les cultes soient traités par lui sur un pied d'égalité et d'après des principes communs. C'est ce qu'a fait la loi de 1842. On ne saurait donc soutenir sérieusement que cette loi est inconstitutionnelle.

Je n'en dirai pas plus, messieurs, sur ce premier point. J'aborde le second grief allégué contre la loi de 1842.

On traite cette loi de funeste et de réactionnaire, parce que le principe de l'enseignement confessionnel s'y trouve déposé.

Permettez-moi de sortir ici du domaine légal et politique et d'étudier cette grande question au point de vue social.

Pour mettre de l'ordre dans mon raisonnement, je vais démontrer successivement trois vérités : La première, c'est que, pour être efficace, l'enseignement primaire doit concourir avec la famille pour former la conscience publique ; la seconde, c'est que la morale dite indépendante est et a toujours été impuissante pour cette mission ; la troisième enfin, c'est que, ni les théories abstraites que M. Jules Simon appelle la religion naturelle, ni le panchristisme proposé naguère, au parlement anglais par lord John Russell n'ont guère plus d'efficacité pratique, (page 1015) d'où je conclurai, avec les autorités les plus considérables, que l'éducation morale a pour base indispensable la religion, non pas, encore une fois, une religion abstraite ou philosophique, mais la religion dogmatique, c'est-à-dire une foi à laquelle la conscience adhère et qu'elle considère comme obligatoire.

Je le répète, messieurs, ce que je vais dire sur ce grave sujet s'applique à tous les pays et à tous les cultes.

C'est donc au point de vue gouvernemental et nullement au point de vue de mes propres croyances religieuses que je raisonne. Les cultes sont égaux devant la loi. Ils ne sont pas égaux devant la vérité. Ceci entendu et réservé, j'entre en matière. Que se propose l'Etat, lorsqu'il s'occupe de l'éducation du peuple ? Il se propose un double but ; un but de police et un but de civilisation.

L'Etat, qui a pour mission essentielle de veiller à l'ordre public, c'est-à-dire au respect des propriétés et des personnes, se propose, par l'éducation primaire, de prévenir les désordres, les crimes et les calamités que l'ignorance traîne à sa suite.

Il se propose, d'autre part, de développer l'homme lui-même, c'est-à-dire de l'élever, le rendant plus éclairé, plus sage, plus heureux et plus fort.

L'enseignement primaire entre les mains de l'Etat est une arme contre la barbarie et un instrument de civilisation !

Or, je le demande, une école où l'on apprendrait seulement à lire, à écrire, à calculer, à correspondre plus ou moins, peut-elle atteindre ce double but, qui doit être celui de l'Etat et pour lequel nous faisons tant et de si légitimes sacrifices ? Je ne nie pas l'importance de l'écriture et de la lecture, messieurs ; elles sont devenues en quelque sorte des sens indispensables et supplémentaires de l'homme.

Mais l'écriture, la lecture, le calcul ne sont en définitive que des instruments que l'homme peut employer pour le bien et pour le mal, pour ses bons comme pour ses mauvais instincts ; qui sont d'un prix estimable, mais qui n'ont par eux-mêmes rien de moral, pas plus que la vue, l'ouïe ou la sensibilité !

Permettez-moi, messieurs, de dire ici ma pensée tout entière.

Moi aussi, et c'est très sincère et très sérieux de ma part, j'appelle l'élévation des classes laborieuses, surtout de celles qui se trouvent au dernier rang. Je voudrais les guérir, non seulement de l'ignorance qui les abrutit, mais encore de la misère qui les dégrade trop souvent.

L'amélioration physique et morale des masses populaires est la grande préoccupation, et j'ajouterai, la grande question de ce siècle !

Chacun sait que nous devons tuer l'ignorance et combattre la misère, sous peine d'en être dévorés !

Mais comment élever les âmes ?

Comment faire cesser ce dangereux état d'abjection où une trop grande partie de l'humanité croupit encore ?

Les conseils ne manquent pas. On fait au peuple toute espèce de fallacieuses promesses. On lui promet le pouvoir politique ; on l'arme d'un bulletin électoral pour lui donner le moyen de s'en saisir. On lui fait entrevoir, sous prétexte de partage, je ne sais quel butin chimérique.

On le convie sans cesse à des révolutions dont il est toujours la première victime.

Pour moi, messieurs, je n'attends l'élévation des classes laborieuses de rien de tout cela. Je suis de l'avis de Channing et de Laboulaye. Pour l'homme qui veut grandir, il n'est qu'un secret, le même pour tous, le seul qui mène à la véritable égalité, c'est l'élévation morale.

Sans l'élévation morale, sans une connaissance réfléchie de sa dignité et de ses devoirs, sans ces grands principes spiritualistes qui apprennent à aimer Dieu et les hommes, ne vous attendez pas à voir s'améliorer la condition du peuple.

Un peuple sans morale peut devenir, entre les mains de quelques meneurs révolutionnaires, un instrument de dévastation ; il peut briser la machine qui le fait vivre ; il peut se jeter sur la société comme sur une proie et la dévorer ; mais il ne s'élèvera pas ; et s'il parvient à s'affranchir pour un jour, il ne tardera pas à se donner un maître !

Il faut élever les âmes. Mais comment ?

Sera-ce par la morale indépendante ? Des hommes considérables ont pu le penser ; mais il m'a toujours semblé que ces hommes se font illusion.

Une théorie qui s'adresse non pas aux riches seulement, mais au peuple, mais à la masse, n'a pas grand succès à se promettre si, en affirmant que la morale est une loi obligatoire, elle doit se taire sur le législateur qui l'a faite, et sur la sanction qui y est attachée !

La morale indépendante » a été pratiquée et enseignée dans tous les siècles ; mais elle n'a eu, à aucune époque, les honneurs de l'histoire. Elle n'a été le plus souvent qu'un grand mot, servant de masque à ceux qui niaient toute morale quelconque.

Gorgias, Protagoras et la légion de sophistes qui leur faisaient cortège, étaient des apôtres de la morale indépendante. Comme leurs émules modernes, ils attaquaient la raison autant pour le moins que la conscience.

Ils soutenaient en logique l'identité des contradictoires ou dans l'ordre réel l'identité de tous les êtres ; un homme, un mur, une galère et un dieu étaient même chose pour eux. Ils brisaient la raison humaine en morceaux, comme le disait, il y a quelques jours, M. Vitet à l'Académie française ! Mais Protagoras et Gorgias que sont-ils devant l'histoire ?

Moins que rien : des sophistes !

L'histoire n'a de respect que pour Aristote, Platon, Socrate, qui les combattaient en prouvant l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et la nécessité des idées religieuses !

Et à Rome quels étaient les partisans de la morale indépendante ? Lisez Villemain sur ce grave sujet. Au moment où la république commençait à pencher vers l'abîme, la morale religieuse que je défends ici, après dix-neuf siècles d'intervalle, avait pour défenseurs au sénat Caton et Cicéron, ces deux plus grands citoyens de leur temps.

Elle était combattue au sénat par Jules César, qui ne croyait qu'à son génie, et qui n'hésita pas, sans doute, pour prouver la complète indépendance de sa morale, à briser, dans Arminium, les portes du temple de Saturne et à enlever le trésor de la république, confié à la garde du plus ancien des dieux !

Au XVIIIème siècle, la morale indépendante eut aussi ses défenseurs, et parmi eux quelques hommes considérables, comme Bayle, Helvétius et Condorcet, mais elle avait pour adversaire Montesquieu, un de ces rares génies qui précèdent l'humanité, comme des colonnes lumineuses, et lui montrent la voie à suivre ; Montesquieu qui élève, dans son immortel Esprit des lois, le principe chrétien infiniment au-dessus du faux honneur des monarchies et des vertus humaines des républiques...

M. Bouvierµ. - Nous voilà au congrès de Malines.

M. Schollaert. - Oui, la plupart des vérités dont je ne suis, moi, qu'un très modeste écho, ont été un jour défendues au congrès de Malines par M. le comte de Montalembert, dans un discours que personne n'a oublié ; mais elles seront encore des vérités bonnes à dire lorsque le congrès de Malines et même cette Chambre auront été oubliés.

M. Wasseige. - Et M. Bouvier aussi, je suppose.

M. Schollaert. - Messieurs, il y a eu un moment, à la fin du XVIIIème siècle... (Interruption.)

Je dis qu'à la fin du XVIIIème siècle, il y eut quelques courts moments où la morale indépendante parut remporter la victoire. Chaumette avait fait déclarer « que la mort était le sommeil éternel. » Mais aussitôt il éclata sur la France un tel orage, accompagné d'une si terrible averse de sang, qu'on entendait, suivant l'expression d'un grand écrivain, chanceler et craquer la société sur sa base. Ce craquement éveilla Robespierre, qui s'empressa de faire proclamer par la Convention l'existence d'un Etre suprême et le dogme de l'immortalité !

On a souvent ri de Robespierre pontife ; je n'ai jamais eu ce courage. Robespierre dans l'histoire est un des plus terribles et le plus tragique témoin de Dieu.

Mais le culte vague d'un Etre suprême ne suffit pas à la conscience publique.

Bonaparte, qui avait autant d'esprit que Voltaire et plus de génie que Jules César, comprit à son retour d'Italie que pour réparer le désordre moral et apaiser les âmes en France, il y avait autre chose à faire ; et bravant les sarcasmes de Laplace et les railleries de ses généraux, il fit le concordat.

Deux vérités avaient frappé son esprit pratique : la nécessité des croyances religieuses et l'impossibilité morale d'inventer ou d'établir une nouvelle religion.

L'ancienne religion nationale qui, pour me servir des expressions de M. Thiers, « avait tenu la France dans ses bras, pendant douze siècles, inspiré ses arts, soutenu ses soldats, conduit son drapeau », devait être relevée !

Elle était la vérité (peut-être moins pour Bonaparte que pour moi), ses dogmes respiraient le plus pur spiritualisme, sa morale avait été (page 1016) éprouvé par le temps ; elle présentait enfin cet avantage considérable, au point de vue politique, que l'immense majorité du peuple français s'agenouillait devant ses autels antiques et vénérés.

Aujourd'hui l'insuffisance de la morale indépendante est proclamée, non seulement par toute religion positive, mais par toute philosophie spiritualité ! J'étudie beaucoup, par respect pour la Chambre, les sujets que j'ai l'honneur de traiter devait elle. Eh bien, je n'ai pas trouvé un homme véritablement marquant, ni un livre véritablement et fortement célèbre, en France, en Prusse ou en Angleterre, où l'éducation morale, sans religion, et j'ajoute sans religion positive, soit considérée comme possible ou acceptable.

Royer-Collard, Cousin, Thiers, Guizot, Villemain, Leplay, de Tocqueville, d'autres hommes aussi éminents, car j'en oublie et des meilleurs, sont du même avis.

Et ce qui se dit ou s'écrit en France se répète en Prusse et en Angleterre, peut être avec un accent plus religieux encore et plus chrétien. En Angleterre, les torys, comme lord Northcote, lord Derby, Disraeli, les whigs comme Wilberforce et Gladstone, et tous les grands hommes d'Etat, tous les grands publicistes ont mis leur nom sous cette vérité, et lui ont donné la garantie de leur génie et de leur gloire !

Mais il y a plus ! Les honorables orateurs entendus hier ont voulu en vain le nier ; ce ne sont pas seulement les grands génies, les grands penseurs qui ont proclamé la nécessité des religions positives en matière d'éducation primaire.

Les trois nations les plus puissantes de l'Europe et les plus civilisées du monde ont été unanimes pour appliquer le principe. Ce que pense M. Thiers, la France le pense ; ce que pensent M. Disraeli et M. Gladstone, l'Angleterre le pense ; ce que pensent les illustres pédagogues dont mon honorable ami M. de Haerne vous citait hier les noms, la Prusse et l'Allemagne le pensent.

J'appelle l'attention de la Chambre là-dessus. Il y a ici un très grand nombre d'hommes intelligents et l'autorité de la Chambre est sans doute très considérable, mais je ne blesserai personne en disant qu'elle n'est pas l'autorité suprême.

Mais lorsque la France, la Prusse, l'Angleterre tombent d'accord et restent d'accord sur une question sociale, pendant plus d'un demi-siècle, il me semble difficile d'imaginer, dans ce monde, une autorité plus puissante et plus haute !

Ce que trois puissances de cet ordre décident unanimement et sans concert préalable est une décision de la raison humaine !

Or, messieurs, en France, depuis 1806, l'idée que l'enseignement primaire doit avoir pour base une religion positive n'a pas été un instant abandonnée.

Toutes les fois qu'il s'est agi de l'enseignement public, la loi française a placé au premier rang l'instruction morale et religieuse. C'est ce qu'elle a fait en 1806, en 1833, en 1850, en 1865.

En 1833, le rapporteur de la loi sur l'enseignement primaire disait :

« C'est l'éducation morale qui seule peut faire des hommes et des citoyens, et il n'y a pas d'éducation morale sans religion. Cette maxime de l'expérience, écrite en quelque sorte en tête de la loi, lui conciliera le respect des gens de bien, le concours de tous les pères de famille, et en fera, aux yeux de l'Europe, une loi digne d'une grande nation civilisée. »

C'est ce qu'a répété, presque dans les mêmes termes, l'honorable rapporteur de la loi de 1865.

« Jamais la loi française n'a séparé l'instruction morale de l'instruction religieuse.

« La morale peut exister sans Dieu, comme la branche peut exister sans le tronc dont elle a été détachée, mais à l'état de branche morte. »

La lettre de M. Cousin à M. le comte de Montalivet, dont mon honorable ami, M. Delcour, vous a lu des passages, respire le même esprit. Seulement, M. Cousin va plus loin : il veut que l'instruction religieuse et une instruction religieuse très sérieuse soit donnée dans les lycées.

M. Cousin, philosophe avancé dans l'opinion libérale, mais occupé, comme M. Guizot, à chercher un remède au mal qui ronge la société, s'exprime en ces termes.

« En ce moment où il s'agit d'écoles d'adultes, ces paroles sont très dignes d'attention. »

s Ce serait précisément aux classes supérieures que conviendrait l'enseignement tel qu'il devrait être. Ce serait aux lecteurs d'Homère qu'il faudrait commenter la Bible ; c'est à Démosthène qu'il faudrait ajouter Bossuet. »

Et un peu plus loin l'illustre écrivain ajoute :

« Je demande ou qu'il ne soit plus question de religion dans nos collèges qu'on retranche toutes les cérémonies chrétiennes et qu'on les renvoie à l'église (et on sait, par l'exemple des collèges ou lycées de la république, du directoire, de l'empire, de la restauration, ce qu'alors devient la jeunesse), ou qu'on ajoute un enseignement qui les explique. Je demande comme une mesure à la fois sociale et littéraire l'établissement dans chaque collège d'un enseignement religieux confia à un aumônier professeur qui ait le rang et le traitement d'un professeur de première classe... »

La Prusse, à l'aube des grandes destinées qu'elle accomplit aujourd'hui dans le monde, eut la fortune d'être gouvernée par un grand homme. Frédéric II avait le coup d'œil de Napoléon. Il imprima à son enseignement un caractère religieux qui est resté celui de la législation prussienne.

A ceux qui lui conseillaient les abstentions de la morale indépendante Frédéric écrivait :

« On voudrait tenir ce malheureux royaume dans un état de barbarie, moi je veux le civiliser et l'élever, mais si je ne fais pas des chrétiens, tout le reste ne profitera guère. »

Lorsqu'il s'agit d'organiser l'enseignement en Prusse, Frédéric demanda deux choses pour son peuple : l'éducation et la religion ; et il voulut que la religion eût la première place.

La Prusse n'a jamais été infidèle à ces recommandations et solutions.

Elle doit à cette fidélité sa grandeur actuelle.

L'honorable M. Funck, dans un langage d'ailleurs très convenable, a vivement critiqué un règlement dont il attribue la rédaction à nos vénérables évêques ; mais que dirait en honorable membre s'il avait à apprécier dans le même esprit la loi prussienne de 1849, encore en vigueur aujourd'hui ? Quel ministre oserait insérer dans nos lois les paroles chrétiennes que je vais vous lire ? Quel prélat serait assez téméraire pour en réclamer l'insertion ?

« La principale mission de toute école est d'élever la jeunesse de manière à faire naître en elle, avec la connaissance des rapports de l'homme avec Dieu, la force et le désir de régler sa vie selon l'esprit et les principes du christianisme. De bonne heure, l'école formera les enfants à la piété et pour cela elle cherchera à seconder et à compléter les premières instructions de la famille. Ainsi, partout les travaux de la journée commenceront et finiront par une courte prière et de pieuses réflexions.

« ... Les maîtres veilleront à ce que les enfants assistent exactement au service de l'église les dimanches et fêtes.

« ... Enfin, l'époque de la première communion devra être, pour les élèves comme pour les maîtres, une occasion de resserrer les liens qui doivent les unir et d'ouvrir leur âme aux sentiments les plus généreux et les plus élevés de la religion. »

Et qu'on n'essaye pas d'énerver la puissance du ces faits, en insinuant, comme on a tenté hier de le faire, qu'on ne saurait légitimement comparer un pays où existe une religion d'Etat, avec la Belgique qui jouit de la liberté des cultes.

La religion d'Etat n'a rien à voir dans la question. Il s'agit de l'enseignement public, réglé par la loi, et d'une loi dont les termes s'appliquent, dans leur généralité, aux écoles de toutes les confessions chrétiennes ! En Prusse il n'y a pas d'écoles mixtes ; chaque culte a les siennes, où les ministres des diverses religions exercent avec la plus parfaite indépendance l'inspection et la direction religieuses !

Mais partout, à l'école catholique comme à l'école luthérienne et comme à l'école israélite, domine cet esprit de religion, qui est le sel où les mœurs d'un peuple se conservent.

C'est là et seulement là qu'il faut chercher la source de cette virilité, de cette énergie, de cette puissance intime qui ont porté la petite Prusse de Frédéric II (elle n'était pas plus grande que notre Belgique actuelle) aux proportions qu'elle a acquises aujourd'hui ! Reste l'Angleterre.

Et d'abord, messieurs, je veux en détacher l'Irlande. On a prétendu que les écoles mixtes doivent être bonnes, parce que le pape Grégoire XVI en avait autorisé la fréquentation en Irlande, comme s'il suffisait de déclarer une chose permise pour affirmer sa bonté et son excellence.

Mais qui ne sait que l'Eglise, presque constamment persécutée dans son passage à travers les siècles, ne cesse de faire des concessions de cette nature ?

Lorsqu'on lui refusait, dans les premiers temps, des temples au soleil, elle se contentait des catacombes. Quand, aujourd'hui, on lui refuse des cimetières répondant au vœu de ses plus anciens canons, forcée, contrainte, elle se résigne, messieurs, à bénir en silence les fosses de ses enfants !

(page 1017) Grégoire XVI a pu approuver ou tolérer les écoles mixtes d'Irlande pour éviter un plus grand mal.

Eh, messieurs, qui ne connaît l'histoire de l'Irlande ? Qui ignore que pendant deux siècles la religion catholique a été ouvertement persécutée dans ce malheureux pays ?

L’Angleterre commence à sentir qu'elle doit de très grandes réparations à l'Irlande ! Mais que se pratiquait-il en Irlande il y a moins d'un demi-siècle ? On donnait aux enfants catholiques des instituteurs protestants ; au lieu de leur enseigner la foi de leurs pères, on leur imposait la foi de leurs vainqueurs.

Un jour pourtant de grands hommes d'Etat, comme lord Macaulay et sir Robert Peel, s'aperçurent qu'il était dangereux et surtout impolitique de faire durer aussi longtemps la vengeance sur une race qu'on essayait en vain d'écraser et en vain de séduire !

A ce peuple irrité, l'Etat promit des « écoles mixtes », des écoles où sa foi ne serait plus attaquée. Et que fit le pape ? Il préféra ces écoles où l'on gardait le silence à celles où l'on avait enseigné l'erreur.

Mais n'inférez pas de là que le pape a déclaré que les écoles mixtes sont d'excellentes institutions.

Pour savoir ce qu'on pense de ces écoles en Irlande aujourd'hui, il suffit de suivre les discussions qui ont lieu au parlement anglais en ce moment même.

L'école mixte est insupportable en Irlande ; l'Angleterre se prépare à la faire disparaître. Tout présage que les catholiques d'Irlande auront bientôt, non seulement leurs écoles, mais même leur université, tant les réclamations sont formidables et les griefs manifestes. Et je dirai, à ce propos, en terminant : Nous voulons bien être traités chez nous comme des Anglais, mais nous ne voulons pas être les Irlandais de l'intérieur.

Je passe à l'Angleterre. Là les affaires sont tout autrement organisées.

L'Angleterre c'est la terre de la liberté. Je ne saurais exprimer l'estime que je lui porte.

Il n'y a qu'un pays au monde que j'aime plus que tous les autres, c'est le mien. Mais il y en a un que j'admire plus que les autres, c'est l'Angleterre (bien entendu chez elle, pas en Irlande).

Quel est donc au juste, en matière d'éducation, le système anglais ?

En Angleterre, l'Etat, à proprement parler, n'enseigne pas. C'est la liberté qui fonde les écoles, mais, lorsqu'une école est fondée, l'Etat intervient par de grands subsides, et ordinairement il double la somme qui a été obtenue par la contribution volontaire.

Toutes les écoles ou presque toutes ont une origine religieuse. Toutes ou presque toutes ont conservé l'esprit religieux de leurs fondateurs.

Eh bien, messieurs, l'Angleterre, ce pays éminemment intelligent et libéral, considère cet état de choses comme excellent.

La raison pour laquelle le gouvernement n'a pas voulu toucher jusqu'ici à l'organisation actuelle, c'est la crainte (cela vous étonnera peut-être) de diminuer l'ardeur de cet esprit religieux.

Mon autorité, en cette matière, est nulle, mais celle que je vais invoquer tranche la question.

Eu 1848, M. Guizot, expulsé de France par la révolution, était réfugié en Angleterre. On s'y occupait en ce moment de la question de savoir s'il n'aurait pas été bon et convenable de fonder un ministère de l'instruction publique et de placer l'enseignement entre les mains du pouvoir civil et central.

M. Guizot raconte dans ses mémoires qu'il eut à cette occasion des entretiens nombreux avec des personnes très considérables appartenant aux ordres les plus divers, au parlement, à l'Eglise et même à la libre pensée.

La plupart de ces personnes lui déclaraient que l'Angleterre ferait mal en cette matière d'altérer son passé et de menacer le régime de la liberté en introduisant dans l'Etat de véritables écoles gouvernementales.

« Nous attachons, de plus, disaient-elles, un prix immense aux influences et aux habitudes religieuses qui prévalent aujourd'hui dans la plupart de nos établissements d'instruction publique : influences et habitudes qui disparaîtraient, qui seraient du moins fort affaiblies, si ces établissements formaient un vaste ensemble soumis à l'action directe et partout présente du gouvernement de l'Etat. Nous ne voudrions nullement confier à l'Eglise le gouvernement général de l'instruction publique ; mais nous ne voulons pas non plus remettre l'instruction publique tout entière aux mains d'un pouvoir central laïque qui, peut-être en le voulant, et quand même il ne le voudrait pas, y ferait bientôt perdre aux pouvoirs religieux l'influence qu'ils y doivent exercer.

« On invoque un principe : l'instruction civile et l'instruction religieuse doivent, dit-on, être complètement séparées ; en laissant au clergé seul l'instruction religieuse, et en lui assurant les moyens comme la liberté de la donner, il faut placer sous la seule autorité laïque l'instruction civile tout entière. Nous tenons ce principe pour faux et funeste, du moins dans le sens et l'étendue qu'on voudrait lui donner. En matière de hautes sciences, et pour les hommes ou pour les jeunes gens qui touchent à l'âge d'homme, l'instruction civile et l'instruction religieuse peuvent être complètement séparées ; la nature de ces études le comporte, et la liberté de l'esprit humain l'exige. Mais l'enseignement supérieur n'est que l'un des degrés de tout système général d'instruction publique. De quoi s'agit-il dans la plupart des établissements, dans les écoles élémentaires, dans les écoles classiques et pour le plus grand nombre des enfants qui y vivent et des années qu'ils y passent ? II s'agit essentiellement d'éducation, de discipline morale. Bonne en elle-même et par les richesses qu'elle ajoute aux facultés naturelles de l'homme, c'est surtout par son intime rapport avec le développement moral que l'instruction intellectuelle est excellente. Or, on peut diviser l'enseignement, on ne divise pas l'éducation. On peut limiter à certaines heures les leçons qui s'adressent à l’intelligence seule ; on ne mesure pas, on ne cantonne pas ainsi les influences qui s'exercent sur toute l'âme, notamment les influences religieuses.

« Pour atteindre leur but, pour produire leur effet, il faut que ces influences soient partout présentes et habituellement senties. L'instruction purement civile peut former l'esprit et le caractère, elle ne nourrit et ne règle point l'âme. Dieu et les parents ont seuls ce pouvoir. Il n'y a de véritable éducation morale que par la famille et par la religion. Et là où n'est pas la famille, c'est-à-dire dans les écoles publiques, l'influence de la religion est d'autant plus nécessaire. C'est l'honneur et le bonheur de notre pays que, dans nos établissements d'instruction publique, cette influence soit en général puissante. Nous ne voyons pas qu'elle ait nui chez nous à l'activité, ni au libre développement de l'esprit humain, et en même temps il est évident qu'elle a grandement servi l'ordre public et la moralité individuelle. »

C'est dans le même sens que M. Thiers s'écriait naguère, que ceux qui croient que la religion de Leibnitz et de Bossuet empêche l'homme de penser, ne sont véritablement pas nés penseurs.

En 1856, je réponds à un fait allégué hier par l'honorable M. Elias, lord John Russell, un de ces hommes éminents dont on ne peut, même en le combattant, parler qu'avec le plus profond respect, tenant compte du grand nombre d'Eglises qui existent en Angleterre et surtout en Ecosse, proposa au parlement d'adopter pour les écoles un enseignement religieux fondé sur la Bible, mais qui fît abstraction des doctrines qui divisent dogmatiquement les diverses confessions religieuses. Ce n'était pas l'enseignement mixte, c'était l'enseignement fusionné et émondé.

Cette proposition, messieurs, fut rejetée en 1856 par 260 voix contre 153. Lord John Russell la renouvela en 1866 et elle eut un sort analogue, elle fut écartée une seconde fois.

En suivant quels furent, à propos de cette proposition (proposition relativement modérée, je le répète), les principes qui émergèrent de la grave discussion qui eut lieu au parlement anglais, on arrive à constater les principes suivants : Il fut universellement reconnu que la religion est la source la plus large, la plus indispensable des éléments constitutifs de la civilisation. On reconnut, en second lieu, que la religion agit efficacement sur des éléments sociaux qu'aucune autre action civilisatrice ne saurait toucher ni affecter ; on reconnut enfin qu'elle ne pourrait être sacrifiée qu'aux dépens de la civilisation nationale.

Mais on ne se borna pas à cela ; on voulut définir ce qu'il faut entendre par religion, et une grande majorité tomba d'accord que la religion, dans le sens où elle doit être entendue par le législateur, lorsqu'il s'agit d'enseignement public, n'est pas un dogme abstrait, n'est pas un sentiment général, mais est nécessairement l'adhésion obligatoire de la conscience à une loi et à une foi.

En effet, qu'est-ce au fond que la religiosité sinon la négation de toute religion, comme l'éclectisme est la négation de toute philosophie ?

Mais ce qui est plus étrange, messieurs, ce qui prouve que le libéralisme n'est pas précisément compris partout de la même manière, c'est qu'une revue favorable aux whigs et bien dévouée à leur chef, M. Gladstone, osa accuser lord John Russell d'avoir manqué de libéralisme.

En voici un extrait :

« Le progrès politique a depuis longtemps dépassé (outgrown) ces formules imparfaites de libéralisme qui voulaient ou livrer toutes les écoles (page 1018) à une religion sans doctrine ou soustraire l'éducation a toute influence religieuse. On reconnût aujourd'hui que la conscience a des droits sur lesquels l'Etat, quand il intervient en matière d'éducation, ne pont exercer aucune violence soit négative, soit positive.... Le système de lord John Russell ne saurait être mis en pratique sans faire une violence positive à tous ceux qui professent une religion dogmatique. »

Est-ce clair ?

En Belgique, la nation est composée presque entièrement de catholiques ; disons avec la missive de M. H. de Brouckere, produite par l'honorable M. Rogier, que les 99/100 de la population sont catholiques. Serait-il juste, serait-il libéral et raisonnable d'alarmer ou même de blesser toutes ces consciences, eu les privant de l'enseignement de leur religion ? Et, d'autre part, la conscience des dissidents n'est-elle pas suffisamment respectée si on leur permet, dans les écoles où ils ne forment pas la majorité, de s'absenter pendant l'instruction religieuse ?

Or, serait-ce à celui qui a le moins de croyance de déterminer le régime de l'école ? Est-ce au point de vue de l'athéisme que l'on voudrait organiser l'enseignement nouveau ? Point de religion à l'école ! Comprend-on bien la portée d'un tel principe ? Ne voit-on pas que, sous le prétexte de respecter la conscience négative de quelques-uns, on blesse et désespère la conscience positive de tous ceux qui professent un culte, du catholique, du protestant, de l'israélite, en un mot, de toute la nation ? C'est pour ces motifs que la loi de 1842 est plus constitutionnelle que les innovations inconsidérées par lesquelles on voudrait la remplacer.

Messieurs, je crois avoir démontré et rigoureusement démontré que les plus hautes autorités de ce monde ont approuvé et consacrent le principe de la loi de 1842.

J'ai prouvé, en outre, que ce principe est conforme à la Constitution ; à l'esprit et à la lettre de la Constitution ; mais alors qu'y a-t-il à faire ?

Si l'Etat n'a aucune compétence dogmatique, si l'Etat ne peut déclarer une religion vraie et les autres fausses, s'il ne peut choisir entre les religions, faire une fusion des religions ; si, d'un autre côté, on se met en contradiction avec la conscience et la raison européenne en bannissant des écoles primaires l'enseignement de la morale religieuse, que faut-il faire, messieurs ? Il faut faire ce qu'a fait la loi de 1842 ; il faut introduire le prêtre dans l'école.

Mais à quel titre le prêtre y entrera-t-il ? Sera-ce à titre d'autorité ? Oui, parce que seul il a autorité pour enseigner la religion et pour diriger l'éducation religieuse.

Non ! puisque, comme le disait M. Rogier, l'Etat reste naturellement maître de l'école, qui appartient à l'Etat.

Sachons dédaigner les subtilités !

M'objectera-t-on qu'il ne suffit pas de citer des autorités pour prouver une thèse, mais qu'il faut pour l'établir des preuves directes ?

Messieurs, de ces preuves j'en ai les mains pleines, mais, avec votre permission je n'en citerai qu'une seule.

Je l'emprunte à M. Alexis de Tocqueville, un libéral que toutes les écoles citent avec respect. L'argument se trouve développé dans les études que cet éminent écrivain a publiées « sur la démocratie en Amérique. »

Il est pris dans le fond de la nature humaine et me paraît péremptoire.

L'école primaire continue la famille. Si elle détruisait l'œuvre de la famille, elle deviendrait pernicieuse. En matière religieuse, elle doit respecter le culte que l'enfant a reçu dans la famille. Elle ne peut y substituer une doctrine nouvelle, ni arrêter le développement moral de l'enfant en lui laissant oublier l'œuvre de la famille, c'est-à-dire en le livrant à l'irréligion ou à l'indifférence.

Toujours est-il que si l'éducation primaire de l'enfant doit s'appuyer sur une religion, cette religion ne peut être que la religion positive, dont il a reçu dans la famille les premières notions.

Voyons si le besoin existe.

Lorsqu'on parle d'enseignement primaire, on parle de l'enseignement du peuple et c'est aux masses qu'il faut penser, à ceux qui n'ont ni un esprit assez développé, ni des loisirs assez grands pour pénétrer les mystères de la vie morale par leur propre initiative.

Lorsqu'on se place sur ce terrain, le premier fait que découvre l'observateur un peu attentif, c'est que la plupart de nos actions, quelque particulières qu'on les suppose, prennent naissance dans les idées que nous nous formons de Dieu, de la justice, de la responsabilité humaine, de nos devoirs envers la société, envers nous-mêmes et envers nos semblables.

Cela est incontestable. Selon que les hommes ont sur toutes ces choses des idées justes, bonnes, morales, leur conduite est bonne, morale et juste. Peu d'actes, comme l'observe M. de Tocqueville, échappent à cette influence intime.

Il y a donc un immense intérêt social à ce que les citoyens, mémo les plus humbles, aient sur toutes ces choses des notions claires, des notions exactes, des notions durables.

Le premier but de l'éducation doit être de donner à toutes les consciences ces notions primordiales et de les développer. Le doute sur ces premiers points aurait pour conséquence fatale de laisser l'homme sans boussole, de livrer ses actions au hasard et de le précipiter dans le désordre, à son préjudice et au préjudice de la société.

Mais une difficulté se présente. Il n'y a que les esprits très pénétrants et très déliés qui, à l'aide de grands loisirs et de fortes études, puissent acquérir ces notions indispensables. Encore voyons-nous ces grands esprits avançant à tâtons et environnés d'incertitudes.

L'ouvrier, l'homme du peuple, celui qui travaille depuis le matin jusqu'au soir ne saurait y atteindre. Il n'en aurait ni le temps ni la force.

Comment donc ces vérités, qui sont à la fois indispensables à tout homme et inaccessibles au plus grand nombre, seront-elles apportées au peuple ? Par les religions apprises dans la famille d'abord, et plus tard à l'école.

Elles seules peuvent fournir, sur chacune des questions qui intéressent la conduite morale, une solution nette, précise et très durable.

Il n'y a pas d'autre moyen de faire saisir fermement, par le peuple, les vérités dont il a besoin.

Et c'est à cause de cela que les vrais penseurs et les grandes nations ont constamment reconnu que l'éducation primaire ne saurait se passer d'une base religieuse.

Une religion, même fausse, peut, avec les fragments de vérité qu'elle possède, exercer sur les âmes un salutaire empire et être au moins dans ce monde et au point de vue social, une source de grandeur et de félicité

Je conclus.

A moins de se mettre en désaccord avec la raison européenne, à moins de provoquer dans le pays de fâcheuses concurrences,, de périlleuses rivalités, de diviser ce qui est réuni et de jeter un nouveau germe de discorde dans la nation, nous devons conserver la loi de 1842, cette loi qui, ainsi que deux hommes éminents du parti libéral viennent de le prouver, n'a produit jusqu'ici que de bons et salutaires effets.

Je ne dirai, messieurs, que quelques mots sur l'arrêté du 1er septembre 1866.

Je regrette vivement que l'honorable M. Alp. Vandenpeereboom n'ait point été suivi dans l'interprétation qu'il avait donnée à la loi de 1842.

En combinant l'article 26 de cette loi avec l'article 14 de la Constitution, il est difficile de ne pas trouver illégal tout système qui tendrait à soustraire les écoles d'adultes à la loi de 1842.

Je ne veux pas insister sur cette question, qui a été très complètement résolue et sur laquelle l'honorable M. Rogier surtout a jeté la plus vive lumière.

Je ne saurais comprendre, d'autre part, pourquoi l'instruction religieuse serait moins nécessaire à quelqu'un, aux hommes d'un âge mûr qui fréquentent les écoles d'adultes qu'aux enfants qui fréquentent les écoles primaires.

La religion n'est-elle pas un besoin permanent ? ne doit-elle pas être écoutée et pratiquée jusqu'à la fin ? nous guider jusqu'au bout dans le chemin de la vie ?

L'enfant à dix ans veut jouer ; une voix lui dit : Non, mon enfant, travaillez.

Le jeune homme, emporté par la passion, veut jouir ; il va peut être dissiper en folles amours ce qu'il a de meilleur dans l'âme. Une voix lui dit : Non, mon fils ! sois pur !

L'homme, arrivé à 40 ans, n'a cessé de travailler ; il a toujours été honnête ; mais il est resté pauvre.

Maintenant il se sent fatigué, il se trouble, il s'insurge, mais une voix lui dit : Prends patience !

Le vieillard aussi a besoin de conseils ; aigri par les déceptions et les infirmités, il se désole, il voudrait quitter la vie avant l'heure fixée ; mais la voix lui dit : « Espère ! »

Quelle est, se demande Mgr Dupanloup, auquel j'emprunte ces pensées, quelle est la voix qui parle à tous les âges ? Messieurs, c'est la voix de la religion !

Ne lui imposons pas silence ! Jamais le monde n'en a eu plus besoin ! Elle ne peut donner que d'utiles conseils aux jeunes ouvriers qui (page 1019) fréquenteront nos écoles d'adultes et qui sont pour la plupart dans l'âge où la passion a le plus d'empire, et où les entraînements sont le plus à craindre. Elle leur apprendra la modération, la tempérance.

En leur parlant souvent du prix de leurs âmes, elle leur donnera cette vertu que l'Angleterre appelle le self-respect, mais que j'aime mieux nommer la dignité chrétienne I

Ce serait assez pour l'admettre, mais nous avons plus encore à attendre d'elle.

Tous les jours la démocratie victorieuse étend ses domaines. II y a dans les masses un mouvement ascensionnel qui aura bientôt tout atteint et tout recouvert. Le peuple touche à la majorité ; il se dispose à sortir de tutelle. Tout semble l'y convier, les lois, les livres, les mœurs. Demain peut-être, il gouvernera la société.

Ne nous effrayons pas ; si le peuple reste chrétien, la société n'a rien à craindre ! C'est pour cela que notre premier devoir comme notre premier intérêt est de répandre par tous les moyens l'éducation religieuse.

Dans la position nouvelle et menaçante où se trouve la société, il faut à tout prix que Dieu, non le dieu de marbre des philosophes, mais, le Dieu vivant des chrétiens, reprenne son empire sur les âmes !

Une démocratie païenne replongerait le monde dans le chaos.

Si le monde doit être sauvé, il le sera par l'Evangile qui apprend au pauvre à aimer le riche, et au riche à servir le pauvre, qui apaise, qui unit, qui élève et qui éclaire !

Oh ! que je voudrais voir les peuples s'abreuver largement à cette source de vie et de civilisation !

Messieurs, pour écarter le prêtre de la section supérieure de nos écoles d'adultes, on a prétendu qu'il serait ridicule de faire balbutier le catéchisme par des hommes de vingt à quarante ans !

Je crois, pour ma part, que le catéchisme n'est ridicule entre les mains de personne. Ce petit livre est le résumé de la doctrine chrétienne, et il ne faudrait pas de grands efforts pour en faire jaillir des lumières qu'il serait difficile de trouver ailleurs.

Le catéchisme est pour la religion ce que les aphorismes d'Hippocrate étaient autrefois pour la médecine : il est la théologie entière mise à la portée de tous !

Rien n'a plus contribué à répandre la civilisation que cette pauvre brochure dédaignée !

Prenez un planisphère et avec la pointe d'un pinceau tracez-y les frontières de la civilisation moderne. Vous aurez, sans y penser, tracé les frontières du christianisme.

Christianisme et civilisation, civilisation et christianisme ; partout où le catéchisme a été appris et accepté, la lumière s'est faite, et l'homme agrandi.

Là où il n'a été ni accepté ni appris, l'homme est resté dans la barbarie et les ténèbres, ou dans une léthargie abjecte qui n'est certes pas la civilisation.

Retranchez du monde l'Europe chrétienne, l'Afrique et l'Amérique chrétiennes : que reste-t-il ?

D'ailleurs, messieurs, la religion sait proportionner son enseignement à tous les âges et à toutes les intelligences. Sa doctrine, qui entre les mains de l'enfant remplit à peine quelques pages, embrasse pour le jeune homme les œuvres des Ravignan et des Lacordaire.

Mais savez-vous ce qu'elle devient entre les mains de Bossuet et de Leibnitz ? Elle devient cette grande théologie dont M. Thiers a écrit dans son Histoire du Consulat : « Qu'elle a discuté, pendant dix-huit siècles, sous le titre d'hérésies, tous les systèmes de philosophie et adopté sur chacun des grands problèmes de la destinée humaine, les opinions les plus plausibles et les plus sociales. »

Tel est le catéchisme arrivé à son dernier terme de développement !

Je sais que le christianisme n'a pas pour tous mes honorables collègues l'importance que je lui attribue.

On l'a fort rudement attaqué ; on a même prophétisé son prochain remplacement. Un honorable membre de cette Chambre, dont je respecte les loyales intentions, nous a annoncé que le vieux culte dépérissait et que bientôt une nouvelle religion de justice, de liberté et d'amour prendrait sa place sur la terre et dans le cœur des hommes.

Et cet honorable membre ajoutait : Si vous voulez donner une bonne éducation aux adultes, racontez-leur l'histoire de leur patrie ; apprenez-leur à aimer la liberté.

D'abord, que la religion dépérisse, cela est fort contestable. Moi, je pense au contraire, avec M. Guizot et avec beaucoup d'autres, que le réveil de l'esprit chrétien est manifeste en Europe.

L'honorable M. Dethuin a lu, dans son discours, un passage de M. Emile de Girardin, auquel j'applaudis des deux mains et que je suis tout prêt à souscrire. Je lui demande la permission de lire à mon tour un article fort court, émané du même publiciste, auquel on ne songerait pas, mais qui l'étonnera peut-être :

« II se passe en ce moment à Paris un fait que les petits Voltaires de l'époque peuvent vérifier eux-mêmes ; l'esprit religieux se relève en France. A supposer qu'il fût bon de le combattre, ceux qui voudraient le faire l'essayeraient en vain.

« Nous ne sommes ni des dévots ni des jésuites ; si nous l'étions, nous ne le cacherions pas, mais nous aimons les idées religieuses, d'abord pour elles-mêmes, ensuite parce que ce sont des idées d'ordre, de conservation et de liberté tout à la fois. C'est l'Eglise qui a créé le gouvernement représentatif ; c'est l'Eglise qui a décrété les deux tiers des lois civiles dont nous nous servons ; c'est l'Eglise qui a créé les hôpitaux ; c'est l'Eglise qui fait passer l'habitude d'interroger les prévenus sous trois jours et de donner des aliments aux prisonniers. L'Eglise avait même défendu de mettre les femmes en prison pour dettes ; en un mot, nous devons à l'Eglise catholique les deux tiers des institutions dont nous sommes fiers, misérables gens que nous sommes.

« Si le catholicisme a fait tant de choses pour nous, ne nous montrons pas ingrats à son égard ; il vient de plus loin que nous, et il durera plus que nos gouvernements.

• D'ailleurs ne présentons pas ce spectacle bizarre de gens qui médisent d'une chose dont ils profilent. . En dernière analyse, les esprits retournent aux idées religieuses, c'est là un fait qu'il faut bien accepter. »

Quant à la religion nouvelle, dont le lever nous est annoncé par l'honorable M. Dethuin, je déclare que, pour ma part, je n'y crois guère et que je ne l'attends pas ; j'ai la pleine conviction que l'avenir, comme le passé, appartient au christianisme et que si un jour les hommes doivent s'embrasser dans l'unité d'une même foi, la réconciliation aura lieu au pied de la Croix et par l'Evangile !

Quoi qu'il en soit, en attendant que la nouvelle religion se lève, la société, qui ne peut exister sans croyances, fera bien de garder l'ancienne et de suivre ce sage précepte de M. Jules Simon :

« Il ne faut jamais supprimer que ce qu'on remplace. »

La liberté surtout fera bien d'en profiter.

Nous l'aimons tous ici de toute notre âme. La Constitution, qui en est la glorieuse formule, nous trouvera toujours unanimes et fidèles : prêts à l'acclamer, prêts à la défendre !

Mais pour garder la liberté, il faut la mériter. Elle échappe aux peuples qui ne savent ni se guider ni se contenir.

C'est pour cela que les peuples libres ont bien plus besoin de la religion que les nations despotiquement gouvernées.

Dans les Etats despotiques, le frein extérieur suffit parfois pour gouverner les hommes.

Chez les peuples libres, il faut que le frein intérieur se resserre à mesure que le frein extérieur se relâche. Qu'arriverait-il si tous les deux venaient à se rompre !

Ce que la force publique cesse de garder, doit être gardé par la conscience.

Et qui gardera les consciences en Belgique, sinon le Dieu des chrétiens, que M. Guizot appelle le Dieu vivant ?

C'est au nom de la liberté que je vous conjure de ne pas affaiblir l'éducation religieuse du peuple, de ne pas toucher à la loi de 1842, de ne pas mettre le prêtre hors de l'école.

Notre religion fait notre force. Elle vous apprend ce respect de tous les droits qui est la liberté même.

En 1842 pendant la discussion de la loi qui fait l'objet de ces débats, un homme se leva dans cette enceinte et prononça ces graves paroles :

« Si je puis expliquer toute ma pensée, je dirai qu'à mes yeux la Belgique est foncièrement catholique ; que c'est le catholicisme qui la distingue nationalement, et que ce caractère, il est heureux qu'elle l'ait, parce que, à l'intérieur, il forme pour elle un lien, une des plus grandes forces de cohésion de la société, un modérateur qui prévient ce que pourraient avoir de dangereux nos principes et nos libertés politiques, si un esprit de religion et un profond sentiment du devoir n'animaient toute la nation et ne retenaient la société dans des limites hors desquelles elle cesse d'être ; parce que pour l'extérieur elle est un gage d'ordre et de stabilité qui étouffera peu à peu les préventions que notre révolution a pu inspirer. Ce caractère, nous devons le conserver précieusement. Nous ne pourrions le perdre tant nous perdre avec lui. »

(page 1020) Et celui, messieurs, qui prononçait ces paroles incontestablement vraies, autant en ce qui concerne la politique extérieure qu'en ce qui concerne la politique intérieure du pays, ne siégeait pas sur les bancs de la droite ; c'était un libéral, vénéré par tous les partis, et un des plus savants jurisconsultes de l'Europe.

Les paroles que je viens de citer sont du procureur général à la cour de cassation, le vénérable M. Leclercq ...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est pour cela qu'on n'en a pas voulu à Rome.

M. Schollaert. - En prononçant ces paroles véridiques, historiques et, je le crains bien, à un certain point prophétiques, M. Leclercq n'avait fait que développer, en l'appliquant à son pays, cette sentence célèbre qu'Alexis de Tocqueville venait d'adresser à la jeune Amérique.

« Plus l'homme s'accorde de liberté sur la terre, plus il doit s'enchaîner du côté du Ciel. S'il n'a pas de foi, il faut qu'il serve, et s'il est libre, qu'il croie. »

Pensée profonde que M. Guizot exprime en quatre mots, par lesquels je finis parce que je voudrais les graver dans vos mémoires : « La liberté a besoin de vertu. »

Projet de loi dérogeant provisoirement aux dispositions sur l’avancement des grades dans l’armée

Dépôt

MgRµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi qui a pour objet une dérogation à la loi de 1836 sur l'avancement. Il s'agit de permettre aux sous-lieutenants d'infanterie et de cavalerie d'entrer dans l'arme de l'artillerie ; il s'agit en second lieu d'établir, pour les besoins du recrutement de cette arme, un corps d'aspirants. La loi ne serait que temporaire ; elle aurait une durée de deux ans.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution du projet et le renvoie à l'examen des sections.

La séance est levée à 5 heures.