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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 2 avril 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 985) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des membres du conseil communal de Sart-Custine se plaignent que le bourgmestre ait fait mettre en vente une coupe de taillis alors que le conseil communal en avait décidé le partage aux habitants. »

M. Wasseige. - Messieurs, en remplacement de mon honorable collègue M. Thibaut, qui a été rappelé chez lui par la mort de sa belle-mère, je suis chargé de recommander cette pétition à l'attention de la Chambre. Des membres du conseil communal de Sart-Custine se plaignent que le bourgmestre ait fait mettre en vente une coupe de taillis, alors que le conseil communal en avait décidé le partage aux habitants. Les pétitionnaires déclarent qu'il est impossible qu'une résolution contraire ait été prise par le collège échevinal, ou au moins qu'une preuve écrite en existe, par la raison que d'abord il n'y a pas de secrétaire communal à Sart-Custine et qu'en second lieu aucun membre du conseil échevinal ne sait lire ni écrire.

Cette allégation est assez singulière pour être vérifiée et je demande à la commission des pétitions de bien vouloir nous faire un prompt rapport.

- Le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport est adopté.


« Des habitants d'Oret, demandent que le gouvernement ordonne l'expertise parcellaire des propriétés non bâties. »

« Même demande des habitants de Roux et de Saint-Eustache. »

M. Wasseige. - Toujours au nom de mon honorable collègue M. Thibaut, à qui ces pétitions avaient été recommandées, je viens demander le renvoi de celles-ci à la commission des pétitions.

Les habitants de trois communes importantes demandent à la Chambre de compléter la péréquation cadastrale en ordonnant le plus tôt possible des expertises parcellaires générales.

En effet, messieurs, de la manière dont la révision cadastrale a été exécutée, on a plutôt déplace que fait cesser une injustice.

Dans la province de Namur surtout, le revenu attribué arbitrairement aux prairies et particulièrement aux bois, a créé une injustice révoltante.

Ces résultats ont été surtout constatés et appréciés depuis la distribution des avertissements pour les contributions de 1868, et ils ont vivement ému nos populations. C'est ce qui a provoqué les pétitions qui viennent d'être analysées. Soyez bien certains que vous en recevrez beaucoup d'autres.

Je crois que la demande de ces habitants est parfaitement justifiée, et j'appelle sur elle l'attention toute spéciale de la commission des pétitions.

- Le renvoi à la commission des pétitions est ordonné.


« Les sieurs de Geyter, Denis et autres membres du Libérale Vlaamsche Bond, d'Anvers, proposent des mesures pour que les langues néerlandaise et française soient traitées sur un pied d'égalité complète dans l'enseignement, l'administration et la justice. »

- Même renvoi.


« M. Orts, forcé de s'absenter, demande un congé de trois jours. »

- Ce congé est accordé.

Composition des bureaux des sections

Les bureaux des sections du mois d’avril sont composés comme suit :

Première section

Président : M. Nothomb

Vice-président : M. Reynaert

Secrétaire : M. Hayez

Rapporteur de pétitions : M. Delaet


Deuxième section

Président : M. Julliot

Vice-président : M. Bouvier-Evenepoel

Secrétaire : M. Hagemans

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Troisième section

Président : M. de Moor

Vice-président : M. Magherman

Secrétaire : M. Elias

Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe


Quatrième section

Président : M. Vleminckx

Vice-président : M. Van Iseghem

Secrétaire : M. Snoy

Rapporteur de pétitions : M. Lelièvre


Cinquième section

Président : M. Van Overloop

Vice-président : M. Descamps

Secrétaire : M. de Smedt

Rapporteur de pétitions : M. Le Hardy de Beaulieu


Sixième section

Président : M. Jonet

Vice-président : M. Jacquemyns

Secrétaire : M. Jacobs

Rapporteur de pétitions : M. T’Serstevens

Projets de loi portant le règlement des comptes des exercices 1862 et 1863

Rapports de la commission

M. Moreauµ. - J'ai l'honneur de déposer les rapports de la commission permanente des finances sur les règlements des comptes de 1862 et 1863.

- Ces rapports seront imprimés et distribués, et leur objet mis à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

M. de Haerneµ. - Je ne complais pas prendre une bien large part à cette discussion, messieurs, après les discours lumineux qui ont été prononcés des deux côtés de la Chambre sur la grande question de l'intervention religieuse dans les écoles d'adultes. Mais ayant eu le malheur d'interrompre, malgré moi, l'honorable ministre de l'intérieur au sujet de la loi hollandaise, j'ai été provoqué, hier, à justifier mon interruption, ce que je ne puis faire sans entrer dans d'assez longues considérations et sans traiter au point de vue de ces considérations, d'une manière générale, la question des écoles d'adultes.

Je m'étonne qu'on attache tant d'importance à la loi qui régit l'instruction primaire en Hollande au sujet de la question qui s'agite parmi nous, c'est-à-dire la question des écoles d'adultes.

Les honorables membres qui s'appuient sur le régime hollandais en matière d'enseignement élémentaire ignorent probablement que la loi de 1857, qui régit les écoles primaires en Hollande, y a été une cause de décadence pour les écoles d'adultes et de dimanche qui, toutes, étaient libres, et qui ont succombé en grand nombre ou qui ont langui en plus grand nombre encore, à raison d'une condition que la loi hollandaise prescrit pour tous ceux qui donnent un enseignement quelconque, à savoir la double mesure préventive du certificat de capacité et de moralité.

Messieurs, ce n'est pas une chose insignifiante que les examens qu'on fait subir aux instituteurs privés en Hollande.

J'ai ici une brochure hollandaise où l'on dit que ces examens sont tellement compliqués qu'on ne serait pas en peine de faire échouer tous les ministres en les soumettant à l'examen qu'on impose aux humbles institutrices des écoles gardiennes.

Certes, cette assertion exagérée ne s'appliquerait pas à nos ministres dont nous connaissons le talent, comme elle ne s'applique pas à leurs confrères de Hollande ; mais cette idée hyperbolique prouve le rigorisme des examens auxquels sont astreints les instituteurs libres.

Je le répète, je m'étonne qu'on ait tant insisté sur la loi hollandaise, à propos de la question des écoles d'adultes dans laquelle la Hollande a échoué, précisément à cause des conséquences de la loi sur laquelle on s'appuie.

(page 986) Messieurs, je regrette de devoir entrer dans des détails qui seront trop longs, d'après mon désir et probablement d'après le vôtre. (Non, non.)

Je compte sur votre indulgence. (Oui ! oui !) Si je m'égare un peu, vous aurez la bonté de me rappeler à la question ; car je ne veux pas prolonger inutilement ce débat.

Puisqu'il s'agit de la question des écoles d'adultes et que les autres questions soulevées dans ce débat relativement à l'enseignement primaire ne se rattachent à celle-là que d'une manière indirecte, permettez-moi de dire que, selon moi, le succès des écoles d'adultes, comme de toutes les autres écoles primaires, dépend du concours de toutes les influences, de toutes les forces sociales. Or, la religion est une grande force sociale, surtout en Belgique ; personne ne le contestera, son concours est donc nécessaire aux écoles.

Le principe religieux est gravement engagé dans ce débat ; nous n'en saurions douter, puisque c'est cette question qui a amené une crise ministérielle, une dislocation du cabinet.

Mais je dis que les écoles d'adultes ont plus besoin du concours de la religion que les autres écoles populaires, et en voici la raison.

D'abord il est bien certain, et cela est attesté surtout dans les contrées industrielles, comme en Angleterre par exemple, que les élèves de ccs écoles, qui appartiennent en général à la classe ouvrière, après le travail du jour, sont tellement fatigués qu'il est bien difficile de les amener à l'école ; et il n'y a pas de stimulant plus énergique pour les y conduire que le stimulant religieux.

En Angleterre, on se préoccupe surtout des instituteurs qui tiennent les écoles d'adultes et l'on dit : Les instituteurs primaires, après le travail de leurs classes, après leurs études, l'étude des méthodes, après les affaires qui ont rapport à l'école et leurs affaires personnelles, sont souvent si harassés le soir qu'ils sont insuffisants pour donner les cours le soir, et alors il faut bien recourir à d'autres personnes, qui puissent donner un enseignement convenable. Sans cela, il y aura peut-être beaucoup d'élèves inscrits, mais l'enseignement languira, les élèves ne fréquenteront pas régulièrement les cours ; souvent même ils ne seront élèves que de nom.

Voilà ce qui arrive, si vous n'avez pas cet enseignement bien nourri, bien soutenu. Or, dans cet état de choses, il faut recourir au dévouement des instituteurs ; il faut surtout recourir au sentiment religieux, qui inspire le dévouement.

Nous en avons la preuve dans nos écoles dominicales, Ce sont en général des écoles d'adultes ; dans tous les pays on met ces deux catégories d'écoles sur la même ligne. Depuis quelque temps, on veut les distinguer en Belgique, et, à cet égard, j'ai un mot à dire, en réponse à des assertions erronées.

On cite les rapports des gouverneurs contre les écoles dominicales et on ne comprend pas que l'on a institué dans bien des endroits des écoles dominicales parce que les écoles du soir ne réussissaient pas, qu'on ne les fréquentait pas, parce qu'on était trop fatigué le soir.

Voilà la véritable raison de l'institution des écoles dominicales. Mais enfin on cite les rapports des gouverneurs, d'après lesquels on serait porté à croire que les écoles dominicales ne sont que de simples écoles de catéchisme, et quand on a dit écoles de catéchisme, on croit avoir tout dit. Il n'y a plus rien à répliquer !

Mais, messieurs, quant aux rapports des gouverneurs, permettez-moi d'abord de vous dire qu'il y a une réponse bien simple à faire. Les gouverneurs, et je ne veux en critiquer aucun, sont inspirés à cet égard par des subalternes, par les inspecteurs des écoles. Or, comme presque toutes les écoles dominicales sont des écoles libres, les inspecteurs ne les visitent guère et dès lors ils sont incompétents pour déclarer ce qui s'y passe. Cela explique l'observation de MM. les gouverneurs, que je trouve erronée.

D'autre part, tous les gouverneurs ne parlent pas dans ce sens, que M. le ministre de l'intérieur me permette de le lui faire observer, et je crois devoir appeler son attention sur ce point.

Ainsi, je trouve dans le rapport du conseil provincial d'Anvers de 1856 une relation dans les termes suivants au sujet des écoles dominicales.

Il y est dit :

« Les écoles dominicales sont une institution nationale.

« Nous en trouvons la nature et le but dans le conseil provincial de Malines de l'an 1570 (De schola dominicali). Elles sont encore ce qu'elles étaient à cette époque.

« L'objet principal de ces écoles est l'instruction religieuse ; mais on y enseigne en même temps tout ce qui est essentiel dans le cadre de l'enseignement primaire.

« Ces institutions furent balayées par la révolution (pour être remplacées par des écoles sans Dieu, comme on les appelait et comme on les appelle encore en Irlande).

« L'empire français et le gouvernement hollandais ne permirent pas au clergé de rouvrir ces écoles.

« Cependant après le concordai de 1827, une école dominicale fut ouverte à Anvers le 24 janvier 1828, par les soins de Mgr Sterckx, qui devint plus tard l'éminent prélat que le pays n'oubliera jamais.

« Depuis notre émancipation politique, 80 écoles du dimanche, ont été érigées, dont 34 pour les jeunes ouvriers, 46 pour les filles. Elles avaient en 1855 11,626 élèves, dont 4,644 garçons. Deux seulement de ces écoles ont demandé un subside sur les fonds qu'alloue l'artice 25 de la loi de 1842. »

Voilà, messieurs, l'opinion émise par une autorité qui vaut bien celle que l'honorable ministre de l'intérieur a citée.

J'ose dire, messieurs, que ces écoles qui sont tant dépréciées sont organisées presque partout sur le même pied et notamment dans les Flandres.

S'il y en a où l'enseignement civil est peu avancé, il y en a aussi où il l'emporte de beaucoup sur l’enseignement religieux. Oui, je soutiens qu'il y a beaucoup d'écoles dominicales où l'enseignement civil l'emporte considérablement sur l'enseignement religieux. Permettez-moi de vous en citer un exemple, car il faut en venir aux faits pour dissiper les préventions et convaincre tout le monde.

Voici, messieurs, quelques détails sur une école dominicale de Bruxelles, qui est dirigée par les Sœurs de la Charité. Il y a environ 200 élèves et voici le programme de l'enseignement : Le flamand, en tête (c'est dans un quartier essentiellement flamand), le français, la lecture, l'écriture, les 4 règles de l'arithmétique, la composition de petites lettres, factures et mémoires. Voilà ce qu'on enseigne tous les dimanches, et savez-vous la place qu'occupe l’enseignement religieux ? Cette école dure à peu près deux heures, le dimanche après midi, et on y donne 7 ou 8 minutes de catéchisme et 12 ou 15 minutes d'instruction religieuse générale.

Donc le cinquième du temps est consacré à l'instruction religieuse, le reste à l'instruction proprement dite. Il y a 15 classes : donc, pour 200 élèves une institutrice pour 15 élèves.

L'école est montée sur un excellent pied sous le rapport du matériel ; les locaux sont très spacieux, bien aérés et confortables. Il est vrai qu'on y enseigne le catéchisme, mais on y enseigne aussi la grammaire.

Qu'est-ce que le catéchisme ?. C'est la grammaire de la religion, comme la grammaire proprement dite est le catéchisme de la langue, comme le code est le catéchisme du droit, de la jurisprudence.

On nous renvoie à Bossuet. Nous en faisons grand usage. Mais si Bossuet pouvait répondre à ceux qui veulent l'introduire dans les écoles d'adultes, il dirait : Qu'on enseigne mon catéchisme ! car lui aussi a fait un catéchisme, qui n'est, après tout, que le résumé du grand catéchisme romain émané de l'autorité du concile de Trente, sur lequel tous les autres sont calqués.

Le catéchisme est un abrégé, c'est l'écho de la doctrine chrétienne Ne vous effrayez donc pas de cet écho, pas plus que de l'écho de la plus admirable harmonie, car la doctrine chrétienne est une harmonie qui embrasse tout ce qui ennoblit les intelligences.

Dans l'école dont je vous parle, on y tient les élèves jusqu'à ce qu'elles acceptent un état.

On donne aussi des encouragements de diverses espèces ; deux fois par an, il y a une distribution d'objets d'habillement. Une fois il y a une distribution solennelle qui consiste surtout en livres. On y fait déclamer les enfants du peuple, on monte des pièces théâtrales pour attirer les élèves, pour les amuser, pour les instruire, pour contenter les parents.

Voilà ce que l'on fait. Et puis il y a du chant mêlé à tout cela. C'est une aveugle, ancienne élève attachée à l'établissement, qui compose la musique et qui tient le piano dans l'exécution.

Messieurs, si dans la sphère religieuse on donne quelquefois la préférence aux écoles dominicales sur les écoles d'adultes proprement dites, ce n'est pas, croyez-moi bien, qu'on ait un préjugé contre les écoles du soir, c'est parce que l'expérience a appris la grande difficulté de réunir assidûment un grand nombre d'élèves à cette heure du jour et de trouver, pour les instruire convenablement, un assez grand nombre d'instituteurs capables.

Malthus, qui certes n'était pas un grand clérical, a dit que les écoles dominicales étaient un véritable progrès, quoiqu'il ne parlât que des (page 987) écoles dominicales d'Angleterre et des Etats-Unis qui sont uniquement religieuses..

Un auteur américain, M. Bernard, qui a fait un excellent ouvrage sur l'instruction populaire en Europe, déclare que les écoles dominicales ont une importance qui ne saurait être trop appréciée.

On a compris l'utilité de ces écoles que je ne puis pas séparer des écoles du soir, on a compris la haute utilité de ces écoles aux Etats-Unis ; aussi parmi les écoles qu'on vient d'organiser en grand nombre dans les Etats du Sud, les écoles dominicales tiennent le premier rang pour le nombre des élèves.

D'après le rapport de 1867, je vois que le surintendant général M. Alvord dit qu'on comptait à cette époque 1,126 écoles dominicales dans les Etats du Sud et 180,687 élèves, tandis que les écoles du soir qui sont au nombre de 423, jointes aux écoles du jour, n'avaient que 111,442 élèves. 180,687 élèves d'un côté, 111,442 élèves de l'autre !

Et songez, messieurs, que c'est une administration constituée par le Congrès qui a organisé ces écoles. Quelle que soit donc l'opinion qu'on puisse avoir au sujet de ces institutions, on doit reconnaître qu'il y avait là une autorité supérieure à l'autorité qui avait constitué les autres écoles en Amérique précédemment, en ce que ces dernières écoles dépendaient seulement de la législation des divers Etats particuliers.

Ici nous avons l'autorité du pouvoir central.

Ce résultat obtenu aux Etats-Unis, et qui est admirable, est dû surtout, d'après M. Alvord au concours du clergé, des ministres des divers cultes auxquels' on a fait un appel respectueux et sans lesquels, dit-il, on n'aurait presque rien fait pour les écoles en général, primaires, dominicales et autres.

Ce concours existe aussi en Angleterre ; car là les écoles d'adultes sont des annexes aux écoles primaires. Vous connaissez, messieurs, l'organisation des écoles primaires en Angleterre, je n'ai pas besoin de m'étendre sur ce point ; vous savez qu'elles reposent sur une base religieuse, sur la base confessionnelle.

Après les raisonnements que je viens d'exposer et les autorités que je viens de citer, je crois pouvoir dire que pour le succès des écoles d'adultes il faut le concours de l'élément religieux, plus encore que pour le succès des écoles primaires proprement dites.

L'honorable ministre de l'intérieur, je dois le reconnaître, s'est placé au point de vue de la conciliation, je dois lui rendre hommage à cet égard.

Mais il a un élément qu'on perd souvent de vue, quand on parle de conciliation dans cette matière, c'est qu'après tout la loi de 1842 est une loi de transaction, et que le clergé a pris une large part à cette transaction. On oublie ce qui s'était passé en Belgique avant l'adoption de la loi de 1842, les écoles nombreuses qu'on avait érigées et qui dépendaient presque toutes du clergé et marchaient avec son concours. Lorsqu'on a fait appel au clergé pour s'assurer son intervention, il a renoncé en grande partie à ces écoles, il les a mises sous le régime de la loi ; c'est un sacrifice qu'il a fait en vue de la conciliation.

Permettez-moi de vous citer quelques chiffres pour vous faire comprendre quel a été ce sacrifice, si tant est que ce fût un sacrifice aux yeux du clergé, puisqu'il a agi en cela pour le bien général du pays ; mais puisqu'on se place ordinairement à un point de vue rétréci, et qu'on veut voir partout l'esprit de parti, je dis que c'était, à ce point de vue, un grand sacrifice que faisait le clergé et je vais vous le faire voir par des chiffres.

On s'imagine souvent qu'avant la loi de 1842, rien n'avait été fait quant aux écoles. C'est là une bien grande erreur. II est vrai que le régime du roi Guillaume, le régime hollandais, que nous combattions sous Van Maanen, tout en respectant les Hollandais qui étaient pour nous des frères, avait fait disparaître un grand nombre d'écoles, parce qu'on voulait aussi établir le principe de l'enseignement laïque, d'après le système de la société Tot nut van het algemeen, société qui existe encore en Hollande. Les écoles avaient été balayées en grande partie à cette époque, et celles qui existaient n'avaient que fort peu d'élèves.

Que s'cst-il produit alors ? Aussitôt que l'émancipation eût été reconnue une chose positive et sérieuse, des écoles se sont ouvertes partout, au point qu'en un an et demi, comme cela a été dit dans une discussion de la Chambre, le 23 janvier 1832, elles s'étaient accrues d'un tiers et que les élèves s'étaient augmentés des deux tiers. C'est ce que j'ai établi moi-même alors dans cette enceinte.

Après cela, je citerai des chiffres l’honorable M. Nothomb.

Si je compare le chiffre des élèves de 1839 et celui des élèves de 1840, je trouve une augmentation de 19,112 élèves. Le nombre n'a pas progressé dans cette proportion depuis lors.

De 1830 à 1840, le nombre des écoles a augmenté de 1843. On comptait, en 1840, 453,381 élèves primaires, dont 262,664 dans les écoles adoptées.

Ce résultat était dû à ce concours, à cet ensemble, à cette harmonie, à l'union de 1850. Et je ne saurais assez insister sur ce point. Si vous voulez faire prospérer vos écoles, sur tout les écoles d'adules, vous devez recourir à l'union ; je ne dis pas nécessairement à cette union telle qu'elle existait en 1830, les faits changent avec les circonstances, mais à une union semblable, qui s'inspire des mêmes principes.

Messieurs, il y a, dans cette question, un fait très essentiel que l'on perd souvent de vue et sur lequel je crois devoir appeler l'attention sérieuse de l'assemblée : c'est qu'après tout il s'agit ici de l'intérêt des familles. L'enseignement populaire est, avant tout, un enseignement qui s'appuie sur l'éducation, et sans religion pas d'éducation. Tous les éducateurs renommés sont d'accord sur ce point.

L'enseignement qui repose sur l'éducation commence dans la famille et il doit en conserver l'esprit, cet esprit qui est essentiellement religieux, surtout en Belgique.

Je n'aime pas trop les théories politiques que l'on débite quelquefois à ce sujet. Je préfère beaucoup l'autorité des hommes qui ont passé leur vie dans l'éducation ; des éducateurs connus, tels que les Fénelon, les Rollin, parmi les catholiques, les Pestalozzi, les Gutmann, les Kruse, parmi les protestants. Puisque je parle de Kruse, je dirai que j'ai ici un ouvrage de cet auteur, qui est professeur de l'institution des sourds-muets à Schleswig ; cet écrit est entièrement conçu dans mon sens.

Je n'ai qu'un mot à y changer ; je n'ai qu'à substituer le catéchisme romain au catéchisme de Luther ; après cela, nous sommes d'accord, et il est trop tolérant pour s'opposer à ce changement.

C'est un ouvrage très connu en Allemagne, et qui est considéré comme un des meilleurs en matière d'éducation ; or, selon lui, tout repose sur la base religieuse.

Selon Pestalozzi, que j'ai cité tout à l'heure et qui est une grande autorité connue dans le monde entier, la famille et l'école forment des cercles concentriques. Du foyer central, qui est le foyer domestique, le même esprit doit rayonner jusqu'aux extrémités des diverses circonférences, mais en s'affaiblissant par degrés, pour laisser circuler de plus en plus l'air libre de la science, qui s'éclaire au foyer religieux de la famille, dont elle conserve l'esprit.

Messieurs, que font ceux qui veulent séculariser l'école, comme on dit ? Ils brisent violemment les rapports qui existent outre l'école et la famille ; ils détruisent l'harmonie sociale fondée sur ces rapports ; ils amènent pour la jeunesse une situation contre nature et organiser un enseignement sans couleur et sans vie.

On l'appuie, dit-on, sur l'exemple de la Hollande ; et ici je reviens à l'interpellation dont j'avais l'honneur de vous entretenir en commençant et à laquelle je dois bien répondre. L'honorable M. Delcour a déjà répondu d'une manière très lumineuse à ce qui a été avancé sur ce point ; mais je crois devoir y ajouter quelques observations, surtout à cause des provocations qui m'ont été adressées à ce sujet, provocations dont je suis la cause, je l'avoue, et j'en demande pardon à M, le président ; j'ai involontairement violé le règlement ; mais me trouvant dans cette situation, je suis bien obligé de répondre, en tâchant d'être aussi bref que possible sur cette question.

On m'a dit : « Vous n'avez pas cité d'autorité. » C'est vrai ; mais pouvais-je le faire dans une interruption ? C'est alors que j'aurais été tout à fait dans mon tort et M. le président m'aurait arrêté avec raison. Moi j'avais parlé de cela précédemment à diverses reprises ; ce n'est pas la première fois qu'on met en avant le régime hollandais pour nous l'opposer et pour nous soutenir que nous sommes dans l'erreur.

Mais tout d'abord j'ai à présenter une observation à laquelle j'ai déjà fait allusion et qu'il est essentiel de mettre en lumière : c'est que lorsqu'on parle de la Hollande, on se place toujours à un faux point de vue ; on considère la Hollande comme un pays constitutionnel semblable au nôtre. Constitutionnel, je le veux bien ; l'ancien gouvernement des Pays-Bas était aussi un gouvernement constitutionnel ; mais nous avons trouvé qu'il ne l'était pas assez, nous l'avons renversé en 1830, et un des principaux griefs était l'enseignement.

Mais quelle est la différence essentielle entre le régime que nous (page 988) avons établi et le régime hollandais, tel qu'il existait et tel qu’il existe encore aujourd'hui en partie ?

Je vais vous le dire en deux mots : c'est que les grandes libertés que nous avons proclamées en 1830, qui font la gloire de la Belgique et dont nous sommes tous fiers, c'est que ces grandes libertés, dis-je, étaient calquées sur celles de l'Angleterre et sur celles des Etats-Unis, libertés non restreintes par des mesures préventives ; car nous avons supprimé tout le régime des mesures préventives en 1830 : c'est ce qui fait l'honneur de la Belgique.

Cet état de choses existe-t-il en Hollande ? Pas le moins du monde ; là vous trouvez, presque en toutes matières, des mesures préventives.

Faut-il s'étonner, après cela, qu'il y en ait en matière d'enseignement ? Pour être conséquents, les Hollandais ne pouvaient manquer d'appliquer ce système à l’enseignement, comme à toute autre chose.

Voilà ce qui différencie essentiellement la situation de la Hollande, à l'égard de la Belgique ; voilà le point de vue auquel nous devons nous placer lorsque nous voulons traiter la question du régime hollandais d'une manière rationnelle et sans passion.

Loin d'en vouloir aux hommes d'Etat hollandais qui ont fait la loi de 1857, je reconnais les difficultés au milieu desquelles ils se sont trouvés.

Dans une séance précédente, M. le ministre de l'intérieur nous disait qu'en Hollande il aurait suivi ce système ; je l'ai interrompu alors en déclarant que le système rencontrait en Hollande une forte opposition.

Je tiens, messieurs, à vous faire comprendre aujourd'hui, d'abord la réalité et ensuite la nature des causes de cette opposition.

L'opposition est réelle ; elle date de l'origine même de la loi de 1857 ; mais comme l'a très bien dit l'honorable M. Funck, il y a là un principe qui existait déjà en 1806 ; c'est ce que j'ai avancé bien des fois dans cette enceinte.

Que s'est-il passé en 1857 en Hollande ? Quand il s'y est agi de faire voter la nouvelle loi, on était en présence d'une nouvelle constitution, celle de 1848.

Et que faisait cette constitution ? Elle établissait le principe de la liberté à côté de l'enseignement appelé mixte, mais non pas si mixte, si neutre qu'on le prétend ; je me sers de l'expression dont l'honorable M. Thorbecke s'est servi lui-même : Een zoogenaamd onzijdig onderwijs, un soi-disant enseignement neutre.

Je dis donc qu'à côté de ce soi-disant enseignement neutre, la constitution de 1848 établissait le principe de liberté. C'est ce principe, mais non le système mixte, qu'avaient appelé de leurs vœux les catholiques et un grand nombre de personnes, appartenant à ce qu'on appelle en Hollande les protestants orthodoxes, qu'on a qualifiés ici, je crois, de fanatiques.

.le n'oserais pas me permettre, soit dit en passant, cette expression vis-à-vis des hommes distingués dont on a parlé et notamment de M. Groen van Prinsterer ; celui-ci a bec et ongles pour se défendre ; et si le discours de l'honorable M. Funck a un peu de retentissement en Hollande, je ne serais pas étonné qu'il reçût une réponse semblable à celle que fit, dans un de ses ouvrages, M. Groen van Prinsterer à M. Delaveleye, en disant que le système de celui-ci, en matière d'instruction, ne ressemblait pas peu à celui de Sparte, à celui du régime de la Terreur.

Je dis donc que cette opinion protestante que je respecte autant que l'autre, car je les crois toutes deux consciencieuses, (il faut surtout respecter les opinions de l'étranger, pour ne pas provoquer de désagréables représailles) je dis donc que cette opinion protestante s'est opposée dès le principe à la loi de 1857. Telle a été aussi l'attitude d'un grand nombre de catholiques.

Ce n'est pas à dire que tous les catholiques fussent d'accord à ce sujet ; la scission provenait précisément du principe nouveau, celui de la liberté, qui avait été introduit dans la Constitution et qu'on voulait réaliser dans la pratique.

Mais c'est sous ce rapport, surtout, qu'on a rencontré les plus grandes déceptions ; de là est née l'opposition actuelle, opposition formidable, comme l'a très bien dit l'honorable M. Delcour. Et comment la qualifie-t-on, non seulement dans les journaux, dans des brochures, mais aux états généraux et dans les discours des ministres ? On se sert d'une expression qui rappelle les événements d'Irlande ; on se sert du mot « agitation » ; on appelle cela schoolwetagitatie, tellement l'opposition est forte ; on a pris des mesures pour satisfaire aux réclamations ; mais ces mesures ont été inefficaces.

D'où vient donc cette grande opposition que la loi a rencontrée, dès 1857, parmi les catholiques comme parmi les protestants ? J'ai ici deux brochures hollandaises, l'une de 1857 et l'autre de 1867, et toutes deux, à dix ans de distance, soutiennent également la même thèse, en révélant les griefs de la loi.

II faut expliquer la cause de cette opposition qui s'est produite dès 1857, et qui s'est constamment fortifiée depuis cette époque.

Cette cause est dans l'histoire de la loi ; car il y a là-dessus toute une histoire. Un de mes excellents amis de la Hollande, que M. Funck a cité, feu M. Meylinck, ancien membre des états généraux et partisan autrefois de la loi, m'a expliqué tout cela. Il a voté pour la loi, mais il le regrettait en voyant ce qui se passait. Il a écrit l'histoire de la loi hollandaise de 1806, en deux volumes. L'histoire de cette loi nous révèle que les fameux mots alle christelijke deugden, toutes les vertus chrétiennes, ont été, comme je l'ai fait voir précédemment ici, la principale cause de tous les troubles suscités à propos de cette loi. Ces mots n'ont pas été introduits au hasard dans la loi ; ils ont fait, en 1857, l'objet, d'une discussion de trois jours à la deuxième chambre des états généraux, et cela se comprend, vu l'expérience du passé.

J'ai en main un écrit qui émane de la grande société catholique d'Amstersdam connue sous le titre de Regt voor allen. Il y est dit qu'il est impossible de parler vertus chrétiennes sans songer au dogme religieux, on ne peut isoler ces deux ordres d'idées.

Je vais vous citer des faits pour vous prouver qu'il en est ainsi dans la pratique. Ainsi la pénitence, le jeûne sont évidemment des vertus aux yeux des catholiques. Les protestants n'admettent pas cela comme une vertu ; ils disent le contraire, et, par conséquent, quand il s'agit d'expliquer les vertus chrétiennes, ils sont en opposition avec les catholiques.

La foi est incontestablement la première des vertus chrétiennes ; et pensez-vous que cela soit sans application ? M. le ministre des finances m'a dit, dans une autre circonstance, à propos de la même question : Vous faites un roman ; vous vous trompez. Ce n'était pas le moment de répliquer, puisqu'il s'agissait d'une interruption à mon adresse. Mais je saisis cette occasion pour faire voir que je n'ai pas fait un roman.

Précisément parce qu'il y a en Hollande l'enseignement qu'on appelle mixte, mais fondé sur toutes les vertus chrétiennes, qu'est-ce qui s'y passe ? On admet tous les instituteurs, quelles que soient leurs opinions, sans inspection ecclésiastique ; ce sont souvent des hommes qui suivent le protestantisme, qui sont chrétiens, qui, comme chrétiens, admettent la Bible tout simplement, et nient par exemple les miracles. Voici, messieurs, à ce sujet, un fait positif, qui s'est passé à Zeist. Un journal d'Amsterdam, De Tijd, que j'ai en main, cite un rapport qui s'occupe de cetle affaire. On dira peut être que le Tijd est un journal catholique, mais ce rapport se trouve aussi dans un volume qui m'a paru trop lourd pour le prendre avec moi. C'est un rapport de 1865-1866 sur les écoles et j'y vois que dans la commune de Zeist, en Hollande, l'instituteur communal appartenait à cette opinion qu'on appelle en Hollande l'opinion des latitudinaires, chez nous les indifférents. Il niait les miracles de la Bible.

II avait dans son école au delà de 400 élèves.

Les enfants furent effrayés des maximes du maître d'école ou du moins des opinions qu'ils croyaient découvrir dans ses leçons ; un grand nombre d'entre eux quittèrent l'école. J'ai ici les chiffres ; du 15 avril au 15 octobre, le nombre des élèves descendit de 423 à 265. Le maître d'école, il est vrai, prétendait qu'il respectait la liberté de conscience ; il n'en est pas moins certain que ses élèves allèrent à l'école privée, qui était très bonne. D'où cela résultait-il ? De ce que le maître d'école avait les opinions que je vous ai dites et que probablement, sans le vouloir, il répandait autour de lui ses sentiments. Les enfants ne s'occupaient pas de dogmes, mais ils allaient rapporter à leurs parents ce qu'ils avaient entendu ; de là l'abandon de l'école.

Voilà ce qui arriverait nécessairement en Belgique. Il est vrai que l'honorable M. Funck oppose à cela l'enseignement obligatoire.

L'enseignement obligatoire, que je regarde comme antibelge, n'est pas, selon moi, anticatholique ou contraire au dogme catholique, s'il est entendu, comme on l'entend en Allemagne, c'est-à dire s'il est basé sur la religion. Mais entendu comme l'entend l'honorable M. Funck, je devrais m'y opposer de toutes mes forces. Et savez-vous quel en serait le résultat ? C'est qu'il faudrait une prison à côté de l'école. Car les pauvres n'ont pas de quoi payer l'amende dont vous parlez. C'est l'école-prison que l'on établirait dans ce système.

L'enseignement obligatoire aurait un autre résultat : c'est que vous (page 989) diminueriez le travail, le revenu de la famille ; et nos ouvriers, on le sait, pour une petite diminution, s'en vont en France.

Vous augmenteriez donc d'une manière effrayante, chose désolante à dire, l'émigration de nos ouvriers en France. Déjà aujourd'hui, il y a 170,000 Belges dans le département du Nord ; on en compte 50,000 à Paris.

Je dis donc que le fait qui s'est passé en Hollande est très significatif, et que ce fait se reproduirait en Belgique, où cela s'est vu du reste dans une grande proportion sous le régime hollandais.

Il est une autre considération qui mérite toute votre attention. Ce qui, en 1857, a séduit quelques catholiques en Hollande, c'est l'appât de la liberté qu'on leur offrait. Mais cette liberté, comme j’ai déjà eu l'honneur de le dire, était présentée dans un système restrictif, préventif, sur lequel on cherchait à jeter un voile.

Il y avait deux mesures préventives : celle du certificat de capacité et celle du certificat de moralité, et puis une mesure répressive, la surveillance. C'était un traquenard, je ne veux pas dire dans l'intention des auteurs de la loi, mais dans le système de la loi et de certains hommes qui poussaient à l'adoption de ce système.

Il y avait donc là un élément nouveau, c'était l'élément de la liberté qui avait fait défaut en grande partie précédemment. On avait abusé des mots perfides ; toutes les vertus chrétiennes, comme je le disais tout à l'heure ; les abus provenant de l'explication des mots vertus chrétiennes allèrent si loin que le gouvernement hollandais dut porter en 1842 un arrêté pour les réprimer ; c'est une preuve irrésistible qu'on avait abusé de ces mots, c'est une preuve que cet enseignement prétendument neutre, n'était pas neutre du tout. Mais en 1857 on espérait que la liberté bien que restreinte, aurait fait contrepoids aux abus en tenant les écoles publiques en respect par l'influence des écoles privées.

Lorsqu'on discutait la loi de 1857, basée sur la Constitution de 1848, on crut que ces abus allaient disparaître, on le crut d'autant plus que les partisans de la loi avaient soin de dire qu'elle serait exécutée de manière que personne n'eût plus eu à se plaindre.

S'il y a en Hollande, messieurs, deux éléments, l'élément de l'enseignement dit neutre et l'élément de la liberté, cela se comprend jusqu'à un certain point.

En Hollande les opinions religieuses sont très divisées ; les catholiques ont les deux cinquièmes de la population ; les protestants orthodoxes, comme ils s'appellent, ont un cinquième ; les autres opinions protestantes font les deux autres cinquièmes à peu près.

Les orthodoxes unis aux catholiques font donc la majorité de la nation. Mais dans les chambres, ce sont les libéraux latitudinaires qui l'emportent. Ceux-ci cherchaient donc à faire croire et croyaient peut-être eux-mêmes que la liberté serait sincère et loyale, et s'est ainsi qu'on s'est laissé séduire, et on a dit : D'après le principe de la loi, les écoles publiques ne doivent pas être confessionnelles, mais on doit seulement enseigner le christianisme en général, l'esprit chrétien. Eh bien, les catholiques de 1867 de même que les orthodoxes dirent que c'était un pis-aller.

Ils allèrent plus loin, ils dirent (et c'est l'opinion qu'ils soutiennent encore aujourd'hui) que c'est un mal, un véritable mal, mais un mal auquel il faut se résigner. Een noodzakelijk kwaad.

On ne prétend pas qu'il faille renverser la loi du jour au lendemain, on comprend que c'est impossible. Mais la liberté (c'était le correctif du principe perfide introduit dans la loi au point de vue religieux), savez-vous ce qui est arrivé de cette liberté ?

J'ai eu l'honneur de vous dire que le régime est restrictif, préventif ; il exige des certificats de capacité délivrés après des examens très étendus et qu'on rend de plus en plus difficiles. Les examens d'admission sont très rigoureux, comme j'ai eu l'honneur de le dire en commençant mon discours, ils sont très rigoureux pour les instituteurs libres. Voici quel a été le résultat des admissions, d'après le rapport de 1865 à 1866.

En 1858 il y a eu 29 p. c. de candidats de l'instruction libre rejetés, en 1859 33, p. c., en 1860 34 p. c., en 1861 34 p. c., en 1862 39 p. c., en 1863 37 p. c. et en 1864 50 p. c.

Voilà, messieurs, ce qui résulte de la rigueur toujours croissante des examens.

Notez bien que la commission des examinateurs est exclusivement composée d'inspecteurs appartenant à l'enseignement public protestant et que par conséquent elle n'offre aucune garantie à la liberté. Il n'y a pas, comme en Belgique, des inspecteurs ecclésiastiques et l'on n'y connaît pas nos jurys combinés.

Voilà, messieurs, ce dont les catholiques et les orthodoxes se plaignent. C'est à tel point que si ce système continue à régner, au bout de quelques périodes décennales l'instruction libre sera entièrement étouffée, d'après un article que je lis dans le Tijd du 6 décembre dernier.

De là donc, messieurs, la vive opposition que rencontre cette loi et, comme on le voit, elle vient des parents mêmes, ce qu'on ne voit guère chez nous.

Hier, messieurs, M. Funck a dit : « Citez des autorités ! » Eh bien ; d abord je crois avoir déjà cité assez de faits, qui font comprendre qu'il y a des autorités réelles et imposantes qui se produisent.

L'opposition se présente de deux côtés, comme j'ai eu l'honneur de le dire, et pour ce qui regarde les catholiques, je pourrais citer, puisque l'honorable membre m'a provoqué à faire des citations, je pourrais citer des mandements d'évêques, de 1864 et 1865, qui, tous, sont dans le sens contraire à ce qu'il soutient, qui s'énoncent de la manière la plus claire, la plus catégorique, contre le régime de cette loi prise dans son ensemble. On est tolérant, on ne veut pas renverser tout ce qui existe, du jour au lendemain ; mais on proteste contre la loi. L'archevêque d'Utrecht se prononce dans ce sens, Mgr l'évêque de Ruremonde également.

Je craindrais d'abuser des moments de la Chambre, en traduisant de vive voix ces pièces ; mais je les tiens à la disposition des membres de la Chambre qui connaissent la langue hollandaise ; je n'ai pas eu le temps de faire une traduction par écrit.

J'ai déjà eu l'honneur de dire qu'on appelle cela l'agitation de la loi des écoles (schoolwetagitatie.)

Cela seul fait voir quelle est la force de l'opposition. On a voulu remédier au mal, mais sans succès ; les ministres qui cherchent de nouveaux remèdes, sont encore indécis. On a promis de modifier la loi d'une manière partielle ; mais les mesures prises jusqu'ici sont inefficaces, ce ne sont que des palliatifs.

On n'est pas décidé et savez-vous, messieurs, ce qu'on propose en dernier lieu dans la presse, pour tâcher d'amener la conciliation ? On propose d'établir quelque chose de semblable à ce qui existe en Angleterre, savoir : de rétribuer les écoles privées à côté des écoles publiques qui le sont déjà.

Voilà la mesure qui est appuyée par le journal catholique dont je parlais tout à l'heure, cependant il avait fait une réserve quant au principe, qu'il trouve mauvais et inacceptable au fond, mais auquel on doit se résigner, comme à un mal inévitable, een onvermijdelijk kwaad. »

Messieurs, la plupart des partisans de ce qu'on appelle la sécularisation vont évidemment beaucoup plus loin en Belgique qu'en Hollande, car là il s'agit toujours d'établir la conciliation entre les diverses communions chrétiennes sur la base de l'esprit chrétien.

Mais en Belgique il ne s'agit pas de cela. Que veulent nos adversaires ? Ils soutiennent d'abord que l'Etat doit l'enseignement à tous les enfants d'après la Constitution. S'il en est ainsi, il s'agit de toute espèce d'enseignement, puisque la Constitution ne distingue pas, et il faudrait placer sur la même ligne les établissements d'instruction moyenne et supérieure, en les mettant à la portée de toutes les familles, des campagnards comme des citadins, ce qui est impossible ; il faudrait aussi multiplier les écoles primaires, tandis que la loi dit qu'il n'en faut qu'une seule par commune.

Tout cela ne peut être envisagé comme une conséquence de la Constitution et l'on s'égare évidemment lorsqu'on se base sur la Constitution pour soutenir la thèse que l'Etat doit l'enseignement égal à tous.

La Constitution a voulu ce que veulent les auteurs les plus distingués que je viens de citer, à savoir que la liberté des familles doit dominer. L'Etat doit faire le reste, il doit combler les lacunes, créer des établissements modèles. Voilà, d'après les auteurs les plus renommés sur la matière, le rôle naturel de l'Etat. C'est pour cela que notre Constitution décrète avant tout la liberté de l'enseignement.

Mais, dit-on, vous froissez la liberté religieuse à cause de quelques individus appartenant à des communions ou des opinions dissidentes, qui pourraient se présenter à l'école où l'instruction religieuse est catholique.

On oublie toujours ce que mon honorable collègue M. de Theux a si bien fait remarquer, que les dissidents ont leurs écoles comme les catholiques ; et puis lorsqu'un dissident se présente à l'école catholique, c'est (page 990) comme si un catholique se présentait à l'école protestante, ce qui se voit, comme l'a dit le comte de Theux.

J'admets que vous ne voulez pas créer des écoles d'athées. Je crois que vous êtes très sincères en protestant contre une pareille intention, mais il y a des solidaires et des athées en Belgique ; ils ne se sont fait que trop connaître et lorsqu'un père de famille appartenant à ces opinions égarées viendra vous dire : Je ne veux pas qu'on parle de Dieu dans les écoles où je mettrai mes enfants ! pour être conséquents, vous devez respecter cette exigence et, comme il s'agit que de possibilités dans votre système et que vous voulez que l'instruction religieuse soit bannie à cause de la possibilité de la présence de dissidents, vous devez aussi rayer le nom de Dieu de votre enseignement, comme vous voulez faire disparaître de l'école les plus augustes emblèmes chrétiens.

Voilà les conséquences de votre système.

II n'y a pas plus d'inconséquence chez nous vis-à-vis des protestants que dans votre système vis-à-vis des solidaires et des athées. C'est ce qu'on comprend en Irlande, où les écoles mixtes s'appellent écoles sans Dieu, Godless schools.

Messieurs, c'est surtout dans les écoles d'adultes, et je m'appuie sur ce point, qu'on doit introduire le principe religieux si l'on ne veut aller au devant des plus grandes déceptions, si l'on veut avoir des écoles bien fréquentées. J'en trouve une preuve frappante en Allemagne, et permettez qu'ici j'entre dans le fond de la question : les écoles d'adultes.

On a émis constamment jusqu'ici des principes généraux et je me suis trouvé entraîné dans la discussion de ces principes, malgré moi, comme je l'ai dit en commençant.

Je crains, messieurs, d'abuser des moments de la Chambre.

- Plusieurs voix. - Non ! non ! Continuez !

M. de Haerneµ. - Tout en parlant d'écoles primaires, je n'ai cependant pas négligé de toucher à chaque instant aux écoles d'adultes ; il faut cependant arriver au fond du débat.

Je dis, messieurs, que c'est en Allemagne qu'il faut aller puiser les exemples en ce qui concerne les écoles d'adultes. C'est en Autriche que ces institutions ont pris naissance et de là elles se sont, depuis 1825, répandues en Allemagne et en Suisse.

C'est à leur exemple que nous devons former ces belles institutions qui sont appelées à produire un très grand bien en Belgique si elles sont bien organisées.

Eh bien, messieurs, partout en Allemagne, dans les institutions dont il s'agit, c'est la religion qui domine. Elle sont confessionnelles.

A Bade, en Wurtemberg, en Bavière, en Suisse, en Prusse, c'est le même esprit et le même système. Ce sont les écoles qu'on appelle werkschulen.

Permettez-moi, pour que vous ne croyiez pas que j'énonce ici des idées à la légère, de citer une autorité qui ne vous paraîtra pas suspecte ; c'est celle de M. Saint-Marc-Girardin. Voici ce qu'il dit à ce sujet dans son ouvrage sur l'instruction dans les Etats du Midi de l'Allemagne.

« Il nous faut, dit-il, former des agriculteurs, des artisans, des marchands. Mais ces mécaniciens sont hommes, et ont besoin d'éducation. Il faut que l'éducation aide à l'enseignement et que l'enseignement aide à l'éducation. Il faut emprunter à la religion et à l'esprit de famille le plus que nous pourrons pour l'éducation dans les écoles intermédiaires. Dans les écoles de filles, ajoute-t-il, tout le monde reconnaît que la religion et la famille doivent occuper une grande place. (C'est malheureusement ce qu'on commence à nier aujourd'hui.) Il en est de même dans les écoles intermédiaires.

« A Berne, dans l'école des artisans (handwerk schule), fondée en 1826, où les élèves entrent à neuf ans, la religion est placée en tête de l'enseignement.

« (...) Il en est ainsi, dit encore M. Saint-Marc-Girardin, dans toute l'Allemagne ... Soyez sûr, lui disaient unanimement les hommes les plus éminents de ce pays, que sans instruction religieuse, il n'y a pas de bon système d'éducation possible.

« En Allemagne, l'instruction religieuse circule comme un esprit de vie dans toutes les branches de l'enseignement.

« En France, dit le même écrivain, nous avons trop sécularisé les études ; et par là nous les avons rétrécies. (Ceci vient à l'appui de ma thèse qu'il faut l'instruction religieuse pour le succès des écoles d'adultes.)

« Dans le Wurtemberg, l'école des artisans où tout s'enseigne d'une manière pratique et non scientifique, est également fondée sur la religion. Elle se tient le dimanche pendant le jour et le soir dans la semaine.

« Ces écoles ont une salutaire influence sur les mœurs, » dit encore M. Saint-Marc-Girardin.

Ainsi, messieurs, voilà quel est l'esprit de l'Allemagne au sujet de ces écoles dont nous nous occupons, des écoles d'artisans, d'ouvriers, ou des écoles intermédiaires.

Pour les faire réussir, il faut les fonder sur les principes religieux. Ce qu'il faut aussi, c'est l'union, l'harmonie sociale qui est l'esprit de famille. L'esprit de famille, voilà l'essentiel, comme je l'ai fait voir tout à l'heure.

C'est là aussi ce qu'on a compris en Angleterre et ce qu'on y comprend de mieux en mieux. Mais en Angleterre l'Etat ne fait pas à beaucoup près autant de sacrifices qu'il eu fait chez nous pour l'instruction primaire. Je pourrais citer des chiffres, mais je crains d'être trop long.

Eh bien, l'enseignement en Angleterre est partout confessionnel. Lord Russell soutient même que la lecture de la Bible, qu'on admet dans toutes les écoles, les rend chrétiennes.

Comme j'ai eu l'honneur de le dire tout l'heure, les écoles d'adultes et les écoles du dimanche sont des annexes aux écoles primaires dans la Grande-Bretagne. Mais l'instruction y est insuffisante, surtout parce qu'on ne fait pas assez d'efforts pour la développer. Elle n'y est pas assez répandue, et c'est principalement à cette cause qu'on attribue les progrès effrayants de l'immoralité, de la criminalité et des doctrines les plus anarchiques qui dominent de plus en plus dans les classes ouvrières, et qui se traduisent en sociétés secrètes, en coalitions, eu grèves systématiques, organisées entre les divers métiers qui se soutiennent mutuellement. Oui, voilà à quoi on attribue ce mouvement subversif, antisocial qui se propage partout en Angleterre.

Ce danger, remarquez-le bien, messieurs, est beaucoup plus grand lorsqu'il n'y à pas de contrepoids religieux suffisant, il est beaucoup plus grand dans les pays libres comme l'Angleterre et la Belgique que dans d'autres pays, où l'on a plus de moyens matériels de compression. C'est pourquoi il faut y veiller d'autant plus chez nous. Ainsi les doctrines les plus pernicieuses se répandent de plus en plus en Angleterre et se débitent dans des meetings hebdomadaires qui se tiennent le soir particulièrement. Il y a à Londres de ces meetings qui prennent pour devise le sécularisme ou la libre pensée meetings meetings of secularists or free thought. Il y a 13 de ces sociétés à Londres. Quelques-unes réunissent en moyenne le dimanche jusqu'à 1,200 personnes de la classe ouvrière, hommes, femmes et enfants.

II n'y a pas moins de 30 meetings de ce genre en Angleterre et particulièrement dans la contrée si éminemment industrielle du Lancashire. Là aussi ces meetings sont fréquentés dans des proportions effrayantes. Je cite ici, messieurs, une revue anglaise La Dublin Review du mois de janvier dernier, qui dit que c'est chose désolante à voir le débordement de déisme, de panthéisme et d'athéisme dont ces réunions donnent l'effrayant spectacle, au milieu d'une foule passionnée, dégradée et ignorante. Elle fait voir que les trades unions, c'est-à-dire les coalitions, les grèves systématiques, dont je parlais tout à l'heure, et qui s'imposent aux ouvriers paisibles par de terribles menaces, souvent suivies d'effets, que ces sociétés, liées par des serments, s'appuient sur cette propagande antisociale, dont la source et l'aliment sont dans les meetings des sécularistes, c'est-à-dire de ceux qui veulent bannir la religion de toutes les institutions.

La Revue ajoute un mot qui est, à certains égards, flatteur pour nous, mais qui aussi présente de tristes perspectives pour notre pays, si nous ne savons pas éviter les dangers que court le Royaume-Uni.

Elle dit que la Belgique profite déjà, au point de vue industriel, du désordre social de l'Angleterre.

L'auteur de l'article en question cite à ce sujet un rapport fait à l'occasion de la dernière Exposition de Paris : Nous n'avons plus, y dit-on, la suprématie de l'industrie cotonnière, grâce surtout à ce système de coercition exercée sur la classe ouvrière par des menaces proférées contre les ouvriers qui ne veulent pas subir le joug des sociétés secrètes des trades unions.

Nos principales industries nous échappent, dit la Dublin Review, et passent entre les mains de la Belgique, de l'Allemagne, de la Suisse, de l'Autriche et même de la France. Telles sont les paroles d'un auteur des plus estimés, des plus savants de l’Angleterre.

(page 991) Plaise à Dieu, messieurs que nous n'ayons pas à déplorer un jour un son semblable pour notre chère patrie !

En Angleterre, les hommes prévoyants cherchent à opposer une digue à cette dissolution sociale en renforçant constamment, par tous les moyens, l'instruction basée sur la religion. Si nous voulons prévenir les coalitions organisées des classes ouvrières, les grèves périodiques et les conséquences qui s'ensuivent, savoir : la décadence de notre industrie et les désordres de toute espace, nous devons entrer dans la même voie. Nous devons aussi nous baser sur les mêmes principes, notamment, comme je crois l'avoir démontré, en ce qui concerne les écoles d'adultes.

M. Eliasµ. - Messieurs, il n'y a pas de loi qui ait donné lieu à plus de discussions que la loi de 1842. A chaque changement de ministre de l'intérieur, elle a donné lieu à une grande discussion de principe. Chaque année la Chambre est occupée, pendant une ou deux séances, à discuter des faits particuliers.

Et cependant jusqu'ici cette loi a eu cette chance réellement extraordinaire qu'elle a été mise en pratique par des hommes qui en étaient les partisans dévoués.

Son auteur, M. J.-B. Nothomb, a eu tout le temps nécessaire pour l'organiser complètement. Celle loi fut un des premiers actes de son ministère, qui dura quatre ans.

Les ministres catholiques qui lui succédèrent en étaient les coauteurs.

Ils aimaient d'un amour paternel assez même pour résister aux trop grands empiétements du clergé et des corporations enseignantes.

Le ministre libéral qui vint le premier après cela avait pris la plus large part à la discussion et à la confection de la loi.

Tous, enfin, jusqu'au ministre actuel ont déclaré ou déclarent vouloir l'exécuter loyalement.

Donc ce n'est pas la bonne volonté qui a manqué pour en obtenir une exécution satisfaisante. Il n'en a cependant pas été ainsi.

La cause en est dans la base fondamentale, dans le but même de cette loi, qui était de faire donner en même temps deux enseignements, intéressant deux êtres différents, l'Etat et l'Eglise.

Au lieu de se réunir pour concourir à un but commun, l'instruction de l'élève, les deux enseignements ont toujours lutté ; l'un a toujours tâché d'absorber l'autre.

Qu'en est-il résulté ? De là sont nées des attaques continuelles. Sous un ministère catholique, l'opposition libérale a toujours prétendu que le gouvernement laissait absorber l'enseignement scientifique et littéraire pas l'enseignement religieux, et sous un ministère libéral, l'opposition a toujours soutenu le contraire, témoin les discussions qui eurent lieu en 1862 et 1864 dans cette Chambre.

A cette époque, l'honorable M. Vandenpeereboom ne recevait guère d'éloges de nos collègues de la droite, et M. Delcour n'aurait pas annoncé l'intention de se présenter avec lui devant l'ennemi commun, nous, la main dans la main.

Mais les temps sont changés.

Cette loi donc que M. Pirmez déclare bonne, qu'il dit n'avoir jamais soulevé de difficultés dans son exécution, a été le cauchemar des ministres passés. Qu'en sera-t-il du présent ? Je veux espérer qu'il en sera de même, dans la conviction que par là, un jour ou l'autre, les discussions réitérées fatigueront la Chambre et amèneront la révision de la loi.

Messieurs je vous ai déjà déclaré que je suis partisan de la révision de la loi de 1842 et je n'aurais pas pris la parole si je n'avais cru devoir protester contre certains principes qui ont été énoncés par des orateurs qui m'ont précédé.

Et d'abord l'honorable ministre de l'intérieur et après lui différents membres de ce côté de la Chambre nous ont dit que nous devions nous montrer tolérants et permettre que l'on donne l'enseignement religieux à l'école. M. de Theux, complétant cette idée, nous disait, hier, que nous voulions prendre l'argent catholique pour donner un enseignement contraire aux croyances religieuses de la majorité des Belges.

Je ne sais par quel étrange renversement des positions, des idées généralement reçues, il est possible d'arriver à ces conséquences.

Voyez plutôt. Les partisans du système de séparation disent : Par respect pour les sentiments religieux, on ne doit enseigner aucun dogme particulier à l'école. Les Belges ne suivent pas tous le même culte, ils ont droit de les professer librement ; ils ont même le droit de n'en professer aucun.

L'école communale doit néanmoins être accessible à tous. Pour que cela soit, il faut que là on s'abstienne soigneusement de l'enseignement du dogme contraire. Les églises des diverses sectes y sont infiniment plus propres que les écoles primaires.

Erreur ! nous dit-on. Par cela seul que vous n'enseignez aucune religion, vous en enseignez une, l'athéisme, la religion des libres penseurs, des solidaires.

Mais, messieurs, l'athéisme ne se compose pas d'une simple abstention. Cette religion, si je puis m'exprimer ainsi, contient quelque chose de plus, Elle contient une ou plusieurs négations et elle fait plus, elle essaye, elle veut en faire la démonstration et tout cela constitue une espèce d'enseignement.

Est-ce un enseignement pareil qu'il s'agit d'établir ? Est-il quelqu'un qui le demande ? Pas une personne dans le pays, et à coup sûr pas un membre de cette Chambre.

Tous les partisans des écoles mixtes veulent non seulement que l’instituteur montre le plus grand respect pour tous les dogmes, pour tous les cultes, mais encore qu'il inculque dans l'esprit et le cœur des enfants les idées du juste et de l'injuste, de l'immortalité de l'âme, de la divinité, toutes ces grandes idées qui sont la base de toutes les religions, de presque tous les systèmes philosophiques et qui forment le patrimoine commun de l'humanité.

Et cela suffit pour rendre l'atmosphère de l'école religieuse ; et ainsi s'expliquent toutes les citations que l'on nous fait. Je crois même que cela suffirait pour remplir les vœux de M. Pirmez.

Tout le monde admet donc que si l'instituteur ne donne pas un cours de religion, il doit bien se garder de contrarier celui qui est donné à l'église.

Que devient après cela le reproche d'intolérance que l'on adresse aux partisans des écoles mixtes ? N'ont-ils pas, eux, bien plutôt le droit de dire que ce reproche est intéressé, et qu'il n'est fait que pour éloigner des partisans du système de l'union des deux enseignements semblable reproche qu'ils méritent si justement ?

M. de Theux va plus loin. Il prétend que les adversaires de la loi de 184-2 veulent faire enseigner leurs doctrines, que l'on a toujours soin de qualifier bien durement, avec l'argent des catholiques. Cela est moins sérieux encore. Nous ne voulons, nous, l'enseignement d'aucune doctrine religieuse pouvant blesser la conscience d'un seul élève.

Vous, au contraire, avec l'argent de tous, vous voulez faire enseigner non seulement la religion catholique, mais encore tous les principes, même contraires à la société moderne que vous voulez y comprendre, et cependant c'est vous qui nous taxez d'intolérance. Nous pouvons nous contenter de vous renvoyer ce reproche.

Il est une partie du discours de M. Rogier à laquelle je désirerais répondre quelques mots.

La haute position que cet honorable collègue occupe dans le parlement et dans le pays donne une importance toute spéciale à chacune de ses paroles.

Il nous a dit : Le principe de l'intervention du clergé dans l'enseignement consacré par la loi de 1842 a été confirmé par la loi de 1850.

Et cependant dans l'intervalle avait eu lieu cette assemblée de libéraux dans laquelle on avait déclaré que l'intervention du clergé dans l'enseignement à titre d'autorité, ne devait plus avoir lieu.

Il reconnaît, il est vrai, qu'il y a une différence entre ces deux lois. Mais ce n'est qu'une différence de formule. L'une impérative, celle de 1842 qui dit :

« Art. 4. L'enseignement de la religion est sous la surveillance du clergé.

« Art. 7. Les ministres des cultes auront en tout temps le droit d'inspecter l'école. »

Tandis que la loi de 1850 se contente de dire que le clergé sera invité.

L'honorable M. Rogier a la bonté de déclarer qu'il préfère le système de la loi de 1850 parce qu'enfin le clergé peut ne pas obéir à l'injonction de 1842.

Messieurs, je ne veux pas relever ici tous les articles de la loi de 1842 concernant l'intervention du prêtre dans l'école, articles qui ne se retrouvent plus dans la loi de 1850. Il me suffira de citer :

L'article 7, qui donne le droit aux ministres des cultes ou à leurs délégués, de visiter en tout temps l'école, d'assister à toutes les conférences d'instituteurs, d'inspecteurs cantonaux et provinciaux.

L'article 8, qui donne une sanction à cette surveillance.

L'article 9, qui leur donne un droit de censure sur presque tous les livres.

Les articles qui établissent une inspection religieuse, et mettent ainsi (page 992) en présence la pauvre influence d'un bourgmestre de village avec celle bien autrement forte du clergé tout entier.

L'article 30 enfin qui, laissant de côté l'hypocrisie de langage des articles précédents, me parle plus des délégués des cultes, mais bien du délégué du culte catholique seul, et établit ainsi une sorte de religion d'Etat.

Pour faire ressortir tout ce qui résulte de ces articles, je serais entraîné trop loin dans une discussion de principes.

Il sera plus simple de rappeler quelques précédents.

Messieurs, la différence qui existe entre la loi de 1842 et celle de 1850 sous le rapport de la proposition faite au clergé, ne peut être mieux définie que par l'honorable M. Rogier lui-même.

En 1834, il avait présenté un projet de loi sur l'instruction primaire qui avait bien plus de rapport avec la loi de 1850, que la loi de 1842.

L'article 2 de ce projet disait que l'enseignement comprenait l'instruction morale et religieuse. Que l’enseignement de la religion est donné sous la direction de ses ministres. Le vœu des pères de famille sera toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse. »

Vous voyez déjà la différence avec l'article 6 de la loi actuelle qui ne parle, lui, que des enfants appartenant à des « religions dissidentes ».

Au lieu de l'organisation d'une inspection religieuse complète, le curé faisait partie du comité local de surveillance de l'école, institué par l'article 6 de ce projet.

L'influence du clergé est ici un peu plus forte que dans la loi de 1850, où il est seulement invité à donner l'enseignement religieux.

Donc tout ce qui aura été dit de ce projet de 1834 pourra s'appliquer a fortiori à la loi de 1850.

L'honorable M. Rogier, dans la séance du 10 août 1842, caractérisait ainsi la différence qui existait entre la loi en discussion et le projet qu'il avait précédemment présenté au Roi.

Il établissait d'abord que le concours nécessaire du clergé, institué par la loi de 1842, pourrait ne pas être obtenu où du moins qu'avec des conditions telles, que l'autorité civile en serait compromise.

Que dans l'état de choses existant alors, c'est-à-dire dans la période de 1830 à 1842. l'autorité communale et le clergé avaient été libres dans leur action et que, presque partout, sans discussion ni froissement, ils avaient concouru à l'instruction primaire.

Puis il ajoutait :

« Mais la loi nouvelle pourra être une source perpétuelle de conflits, parce qu'elle sera une source perpétuelle d'énigmes. Aujourd'hui le prêtre se présente à l'école, en quelque sorte à titre officieux ; il sait fort bien qu'il n'en sera pas exclu, il sait fort bien que l'administration civile a tout intérêt à ce que l'école soit couverte par le prestige du prêtre, mais il sait fort bien aussi qu'il ne se présente pas en vertu d'un droit absolu. De là, il résulte que presque partout il y a intelligence entre l'autorité communale et le curé, en ce qui concerne l'instruction primaire ; mais quand le curé viendra inspecter l'école en vertu de la loi, il sera bien autrement exigeant. »

Vous le voyez donc, le caractère officiel obligatoire à titre d'autorité, de l'intervention du clergé dans la loi de 1842, est parfaitement déterminé. Ses conséquences logiques sont déduites. La différence de ce système avec le système de 1850 est parfaitement établie. Seulement, dans l'un le clergé a un titre légal officiel, dans l'autre officieux.

II me semble superflu de revenir sur les conséquences de ces deux systèmes, dont l'un, celui de 1842, me paraît en tous points contraire aux principes de la Constitution, et dont l'autre ne me paraît renfermer rien de semblable.

Messieurs, je n'ai pas l'intention de recommencer une démonstration de l'inconstitutionnalité de la loi. Je ne puis me rappeler sans une poignante émotion, et vous vous souvenez sans doute aussi que cette démonstration fut faite dans cette enceinte par mon ami si regretté Giroul, il y a déjà trois ans.

Vous vous rappelez aussi qu'il la fit avec une grande force de logique.

Hélas ! ils ne devaient pas être nombreux pour lui de pareils succès.

Nos adversaires eux-mêmes ont abandonné ces discussions de principe. Aujourd'hui, pour donner un semblant de force nouvelle à leur opinion, ils vont chercher des exemples dans les pays étrangers.

Mais avant de suivre MM. Delcour et de Haerne, avant de partir avec eux pour ce long voyage, permettez-moi une parenthèse assez longue pour réfuter une autre allégation de notre honorable collègue, M. Rogier.

Cela me permettra de dire quelques mots de l'objet réellement en discussion, des écoles d'adultes.

Cet honorable membre a dit que si M. Vandenpeereboom, « au lieu de faire du bruit autour de la question, avait tout simplement demandé une augmentation de subside pour les écoles d'adultes, personne n'eût songé à faire de la non-application de la loi de 1842, la condition de l'octroi de ces subsides, pas plus qu'on ne l'avait fait les années précédentes, lors du vote des crédits de 25,000 francs pour subsides aux écoles d'adultes. »

Messieurs, je reconnais que l'honorable M. Rogier a parfaitement raison. Personne n'eût certainement songé à demander que ces écoles ne fussent plus soumises à l'inspection religieuse.

Mais pour une bonne raison : c'est que jamais ces écoles n'avaient été soumises à cette inspection.

A Liège, depuis nombre d'années il existait de ces écoles pour garçons et filles, à Seraing, à Namur, et jamais on n'y avait donné d'instruction religieuse, jamais elles n'avaient été soumises à l'inspection religieuse, je dirai plus, jamais le clergé n'avait demandé à les inspecter.

A Liège, ces écoles ne recevaient pas de subsides du gouvernement, mais elles étaient dans un local de la ville et aux frais de celle-ci. Donc l'article 26 leur aurait été applicable, même sans subsides de l'Etat. A Seraing, du reste ces écoles recevaient des subsides et étaient dans la même position que celle de Liège.

Cela dit, permettez-moi de tâcher de rejoindre en Hollande l'honorable M. Delcour.

Il nous dit que là l'enseignement religieux n'est pas banni de l'école ; qu'on y enseigne l'histoire biblique, toutes les maximes de morale qui s'y rapportent et forment la base des religions chrétiennes. D'après lui, l'enseignement en Hollande se rapproche plus de la loi de 1842 que du système des écoles mixtes que nous voulons introduire en Belgique.

L'honorable M. Delcour semble ne pas reconnaître aujourd'hui qu'il ait donné la préférence à ce système des écoles mixtes. S'il en était ainsi, j'abandonnerais mon argumentation.

M. Delcour.µ. - Non, non ; continuez.

M. Eliasµ. - J'avoue, messieurs, que j'ai été quelque peu surpris d'entendre les affirmations de l'honorable membre. Il oublie que c'est précisément ce côté de la loi hollandaise, qui a été l'objet des attaques de ses amis, qui fut cause de l'opposition que souleva l'article 22 en 1857.

Et l'honorable M. de Haerne vient encore de le dire, c'est là aussi la cause de l'opposition actuelle, comme c'était la cause de l'opposition ancienne. Les catholiques craignaient que, sous prétexte de l'enseignement des maximes chrétiennes, on n'enseignât le protestantisme. J'ai ici différentes citations qui peuvent ce dire ; mais je crois inutile de les lire. Donc le système contraire, celui que nous préconisons et qui consiste à ne pas même enseigner les bases des sectes chrétiennes, est infiniment préférable. Du reste si l'honorable M. Delcour le contestait, je pourrais lui opposer une autorité qu'il ne révoquera certainement pas. C'est une lettre qui fut adressée au clergé d'Irlande en 1841. Permettez-moi de vous donner lecture de quelques passages de cette lettre.

D'abord on déclare ne pas vouloir se prononcer définitivement sur le système des écoles mixtes.

« Ce système d'enseignement, disait-on, devait être abandonné à la sagesse de chaque évêque, attendu que le succès dépend nécessairement de la vigilance des pasteurs, des différentes précautions à prendre, et qu'il faut laisser parler l'expérience pendant un assez long espace de temps. »

Vous voyez donc que le système des écoles mixtes n'était pas définitivement condamné.

Maintenant, loin de vouloir permettre qu'on enseignât dans ces écoles les bases des différentes sectes chrétiennes, voici ce qu'on disait :

« Qu'il est toujours plus sûr de faire simplement enseigner les lettres humaines dans les écoles mixtes, que d'y faire donner en même temps, d'une manière restreinte, ce qu'on appelle les articles fondamentaux et communs de la religion chrétienne, en réservant une instruction particulière et séparée à chaque secte. Une semblable manière d'agir avec les enfants paraît très dangereuse. »

Messieurs, je vous disais tantôt que l'autorité de cette lettre ne serait pas révoquée en doute. Cette lettre, en effet, a été écrite en 1841, par la commission de la propagande à Rome, au clergé d'Irlande ; elle a été formellement approuvée par le pape Grégoire XVI. Concluons donc et disons que, puisque contrairement à l'avis de M. Delcour, nous adoptons (page 993) la manière de voir du pape, on ne peut nous objecter l'opposition que rencontre la loi hollandaise, puisque nous donnons satisfaction à ses motifs.

L'honorable M. de Haerne a cité l'opinion d'un grand nombre d'hommes illustres qui professent une opinion contraire. Je me bornerai également à opposer l'autorité du pape Grégoire XVI aux citations qu'il vient de faire.

Mais, messieurs, puisque nous sommes en Irlande, permettez-moi de vous expliquer à quelle occasion la lettre que je viens de citer a été écrite.

Je vous montrerai par là un pays où le système des écoles mixtes est adopté, et où on ne s'en trouve pas trop mal.

Vous le savez, l'Irlande, dans le siècle dernier, était, sous le rapport de l'enseignement, soumise complètement à l'Eglise anglicane, la liberté d'enseignement n'existait pas. Le clergé anglican voulut imposer à l'Irlande l'enseignement de sa religion.

En 1781 cette intolérance protestante cessa. Les catholiques purent eux-mêmes donner l'instruction. Cependant la coexistence de ces deux enseignements ne produisit pas de bons résultats ; l'ignorance était profonde. Vers l'an 1811, pour y remédier, une société se fonda pour l'érection d'écoles mixtes et la première école de la société Kildare fut ouverte. Après quelques années de succès, cette nouvelle institution ne produisit pas non plus les meilleurs résultats. La commission directrice était composée en majorité de protestants. Les catholiques n'eurent pas confiance et établirent en Irlande des écoles de petits frères.

L'état de l'instruction primaire resta très mauvais.

En 1828, on fit une enquête pour chercher le remède à ce mal ; le remède fut trouvé et appliqué quelque temps après, en 1831, par lord Stanley, aujourd'hui lord Derby, et alors lord-lieutenant d'Irlande.

Lord Stanley formula dans une lettre les principes sur lesquels devait être basé l'enseignement pour obtenir des subsides du parlement. Ces principes étaient ceux des écoles sévèrement mixtes. Pour donner toute confiance aux catholiques, les membres du comité instituèrent un système efficace d'inspection. A partir de ce moment les enfants catholiques entrèrent dans les écoles mixtes, et cet enseignement prospéra.

C'est à la suite de l'entrée en masse des catholiques dans les écoles que le clergé d'Irlande s'alarma et qu'il écrivit au pape pour avoir son avis. Je vous ai donné connaissance d'une partie de sa réponse.

Les écoles mixtes en Irlande en prospérèrent davantage. En 1845, on éprouva le besoin de les réorganiser de nouveau ; une charte du 7 août approuva les lettres patentes qui contenaient cette réorganisation, réorganisation qui était basée sur le système de la séparation absolue.

A la tête de cet enseignement on plaça un comité qui comprenait au nombre de ses membres l'archevêque protestant de Dublin, primat d'Irlande, et l'archevêque catholique de Dublin, Daniel Murray.

Enfin la commission était composée d'hommes éminents de l'Irlande, à quelque opinion ou secte religieuse qu'ils appartinssent.

Le clergé catholique entra dans un comité qui donnait l'enseignement mixte.

Depuis cette époque, l'enseignement en Irlande a prospéré d'une façon vraiment remarquable.

En 1835, l'Irlande ne comptait que 780 écoles donnant l'instruction à 107,000 enfants ; en 1863, l'Irlande comptait 6,010 écoles donnant l'instruction à 811,913 élèves.

Aussi tout le monde reconnaissait-il l'influence des écoles mixtes, tout le monde les approuvait-il. Lord O'Hagan, catholique, membre du parlement pour l'Irlande, appréciait de la manière suivante le système des écoles mixtes :

« Le système actuel me paraît être celui qui convient à la fois le mieux à la religion et au bien-être du pays.

« L'harmonie sociale et une confiance réciproque entre tous les habitants de l'Irlande sont indispensables, et il n'y a pas de meilleur moyen pour atteindre ce résultat, que la mise en pratique de l'œuvre de l'enseignement national. »

Voilà donc encore une approbation de ces écoles, qui émane d'un homme dont le nom, me paraît-il, à cause de sa notoriété et de sa haute expérience, doit avoir une assez grande autorité.

Les écoles mixtes ont donc produit d'excellents résultats en Irlande, et ces résultats ont fait sensation jusqu'en Angleterre.

L'honorable M. Delcour vous a parlé de l'Angleterre, et il a apprécié l'état de l'instruction primaire en Angleterre, surtout, si je ne me trompe, d'après un rapport publié par M. Rendu vers 1840. Outre que ce rapport est déjà ancien, on peut lui objecter qu'il a été fait par un homme qui s'est toujours déclaré partisan de l’enseignement religieux dans l'école, qui peut ainsi avoir vu avec des yeux prévenus.

Mais depuis cette époque, l'Angleterre s'est aperçue que l'état de son instruction primaire était tout à fait mauvais ; en 1856, elle institua une grande commission d'enquête pour rechercher les moyens de remédier à ce mal qui pouvait devenir réellement compromettant pour sa prospérité.

Cette enquête révéla des choses réellement curieuses, notamment au sujet des écoles entretenues par des fondations particulières ; mais je ne parlerai pas actuellement de ces écoles, je préfère vous en présenter un tableau plus complet tantôt sous un autre rapport.

Elle établit donc que l'Angleterre possédait des écoles anglicanes, méthodistes, catholiques, israélites, enfin des écoles particulières pour toutes les sectes religieuses.

Tous les goûts, tous les vœux, sous le rapport religieux pouvaient donc être satisfaits. Tous les parents appartenant à n'importe quel culte pouvaient envoyer leurs enfants à une école où la religion qu'ils professaient serait seule enseignée. Cela n'a pas suffi. Le rapport a constaté que depuis longtemps on avait éprouvé le besoin d'avoir un enseignement mixte, et que les écoles de la société britannique étrangère étaient venues lui donner satisfaction.

Voici comment Reintgens, qui a publié un rapport sur l'enquête de 1860, expose ce enseignement :

« Toutes les sectes chrétiennes sont unies sur les bancs des nombreuses écoles de ces associations. L'enseignement religieux que l'on donne aux élèves se compose de la lecture de quelques textes de la Bible. Les enfants vont à leur église respective recevoir l'enseignement dogmatique. »

Vous voyez donc qu'on n'y enseigne les dogmes d'aucune religion positive.

L'honorable M. Delcour a affirma hier qu'il n'existait pas d'écoles mixtes dans ce pays, vous voyez qu'il a versé dans une erreur complète. Il existe des écoles où l'enseignement dogmatique n'est pas donné, où on n'enseigne les maximes d'aucune religion particulière.

Ainsi malgré le nombre d'écoles que les différentes sectes possédaient, cet enseignement religieux n'a pas suffi à l'Angleterre. Elle a voulu avoir des écoles où tous les enfants pussent en même temps recevoir l'enseignement scientifique.

On préconise encore quelquefois chez nous l'établissement d'écoles, au moyen de revenus, de fondations administrées par des particuliers. Ce système, on ne le produit pas à la Chambre, mais on l'indique souvent dans le pays comme un moyen de diminuer les dépenses de l'enseignement public.

Permettez-moi de vous citer quelques chiffres empruntés à l'Angleterre et qui vous montreront quels résultats on peut obtenir de ce système :

A Midhurst, un instituteur n'avait pas d'élèves, parce qu'il devait leur apprendre le grec et le latin. A Plymouth, il n'y a souvent qu'un élève pour une école qui dispose d'un revenu de 220 livres sterling. Dans un autre endroit, une école ayant un revenu de 556 livres sterling, n'a que 10 élèves. A Coventry enfin, 2,808 livres sterling sont dépensées pour 350 élèves.

Mais il y a à Londres une fondation très riche, sous les yeux de l'autorité, dans la ville où se trouve le pouvoir. Nous allons sans doute trouver qu'elle est mieux administrée. Il n'en est rien. On le nomme Christ-Hopital. En 1859, elle avait un revenu de 60,930 liv. sterl., 1,500,000 fr. environ, et elle donnait l'instruction à 1,200 élèves. C'est-à-dire que dans cette institution chaque élève coûte à peu près ce que nous dépensons pour en instruire 50.

Et les admissions à ces institutions ne sont même pas faites avec justice.

Ces fondations sont administrées par des particuliers. Eh bien, on voit admettre à Christ-Hospital, fondée pour les pauvres, des enfants dont les parents ont de 400 à 500 livres de revenu.

Voilà les abus qui résultent de l'excès des richesses, des revenus dans certaines fondations. Le manque de ressources en amène de non moins grands.

21,500 fondations ont un revenu inférieur à 20 livres sterl. c'est-à-dire un revenu avec lequel il est impossible d'entretenir un maître.

Ces abus faisaient dire à certains commissaires de l'enquête de 1860 « que beaucoup de ces legs n'ont pas une destination utile, et ne répondent plus aux exigences de notre civilisation, »

(page 994) Un d'entre eux ajoutait : « Les amis abondent et le plus grand bienfaiteur de Herefordshire serait l'homme qui aurait assez d'énergie pour supprimer toutes les dotations. »

Vous voyez donc que ce système qu'on préconise si souvent, ne serait nullement favorable à notre pays. Il n'aboutirait qu'au gaspillage de ses richesses.

Depuis que l'enquête anglaise a été faite, un grand mouvement s'est produit en Angleterre ; une société s'est constituée pour remédier à tous ces abus ; cette société veut que l'Etat intervienne dans l'enseignement primaire et que cet enseignement soit donné dans le sens de l'indépendance des sectes ; les plus grands noms de l'Angleterre se trouvent dans le comité de l'association.

Il me suffira de citer lord Brougham qui a fait à la chambre des lords la proposition de réviser des lois sur l'enseignement primaire en Angleterre.

Vous voyez donc que lorsqu'on nous cite comme exemple l'état de renseignement primaire en Angleterre, on commet une assez grave erreur, car les Anglais eux-mêmes en sont peu contents.

Mais, messieurs, l'honorable M. Delcour n'a pas parlé que de l'Angleterre ; il nous à parlé également de la France, de la Prusse.

Je crois que les exemples tirés de la France et de la Prusse ne peuvent pas s'appliquer à notre pays. En France, vous le savez, le clergé n'est pas dans la même position, vis-à-vis de l'Etat, que notre clergé catholique. En France, il est soumis à l'autorité du concordat. Le concordat lui est appliqué. Il ne peut correspondre librement avec Rome ; il n'a pas le droit de publier des mandements ; il n'est pas nommé sans l'intervention de l'Etat,

Ici au contraire, en vertu des articles 14, 15 et 16 de la Constitution, le clergé jouit de la liberté la plus absolue, l'Etat n'intervient ni dans ses nominations, ni dans sa correspondance. Le clergé n'ayant pas les mêmes obligations, ne peut jouir des mêmes privilèges, puisque l'Etat n'a pas sur lui la même action. Il ne lui présente pas les mêmes garanties.

En Prusse il en est à peu près de même.

L'honorable M. de Haerne nous a parlé de l'Autriche, de l'Amérique et de différents autres pays. Je ne puis le suivre dans ces pays lointains, je n'ai pas examiné assez bien les différents systèmes d'enseignement qui y existent.

M. de Haerneµ. - J'ai cité l'Autriche pour les écoles d'adultes seulement,

M. Eliasµ. - Vous avez aussi parlé de l'enseignement de l'Amérique. L'enseignement de l'Amérique présente beaucoup d'intérêt et mérite certainement qu'on s'en occupe, mais je ne le connais pas assez pour en parler.

Quoi qu'il en soit, deux systèmes sont en présence et sont pratiqués dans différents pays de l'Europe. D'un côté, le système de la séparation absolue est pratiqué eu Irlande, en Hollande, en Amérique ; d'un autre côté la Prusse, la France, l'Italie ont le système de l'enseignement en commun pour les sciences et la religion. Eh bien, voyons les résultats obtenus pour ces différents pays, par l'adoption de ces systèmes d'enseignement.

En Allemagne, un homme d'Etat dont je lisais les écrits il y a quelques jours, disait que le rationalisme le plus effrayant s'était développé dans la population à l'aide de cet enseignement religieux.

En France, le scepticisme existe.

En Italie, personne n'en disconviendra, l'enseignement religieux donné aux populations les a amenées à une indifférence réelle en matière religieuse.

En Hollande, au contraire, en Irlande et en Amérique, les croyances religieuses sont restées vives et fortes ; les populations ont gardé une foi complète.

De quel côté devons-nous nous tourner ? Devons-nous nous tourner vers le système qui amène le scepticisme et l'indifférence, ou vers le système qui donne plus de force aux convictions, aux croyances religieuses ?

Je crois que personne n'hésitera à choisir ce dernier système, c'est-à-dire celui de la séparation des deux enseignements.

Le moment n'est peut-être pas venu de réaliser cette réforme. Lorsqu'il sera arrivé, je prêterai volontiers mon concours à tous ceux qui voudront marcher avec moi pour atteindre ce grand résultat.

M. le président. - La parole est à M. de Maere.

M. de Maere. - M. le président, je compte m'occuper uniquement de l'article 23 de la loi sur l'instruction primaire. Je crois faire chose utile en remettant mes observations au moment où nous serons arrivés au chapitre de l'instruction. .

M. Vleminckxµ. - Je complais ne pas prendre la parole dans la discussion générale du budget ; je réservais, pour l'examen des articles, ce que j'avais à dire sur l'enseignement primaire et sur la loi de 1842 ; mais puisque cet enseignement et cette loi dominent tout le débat, je ne vois pas de motif pour ne pas produire immédiatement les quelques observations que je m'étais proposé de vous communiquer.

Je suis de ceux qui pensent que la loi de 1842 doit être réformée et qu'elle peut l'être sans blesser aucune conscience, sans enrayer en aucune manière les progrès de l'instruction.

Il est impossible que l'on soutienne sérieusement que cette loi respecte scrupuleusement les principes de notre organisation politique ; il est impossible de ne pas reconnaître qu'elle froisse un sentiment qui est profondément gravé dans le cœur des Belges, à savoir le sentiment de l'égalité. Voilà ce qui en commande la réforme, et voilà pourquoi cette réforme, quoi qu'on fasse pour l'arrêter, finira par être obtenue.

L'honorable M. Nothomb, répondant, dans une de nos dernières séances, à son honorable collègue de la droite, M. Dumortier, qui avait plus ou moins malmené les catholiques dits réformistes, lui disait : « Nous ne sommes que quelques-uns aujourd'hui, nous serons légion demain. » Je crains bien que l'honorable membre, dont je reconnais d'ailleurs toute la sagacité, ne se fasse illusion à cet égard ; je crains bien que cette prétendue légion ne reste longtemps encore à l'état de petite et misérable escouade.,

Mais nous qui voulons la réforme de la loi de 1842, nous qui la désirons tout au moins, nous sommes légion déjà ; nous sommes par conséquent en droit d'espérer que nos efforts ne seront pas éternellement frappés de stérilité.

Aussi bien, l'honorable ministre de l'intérieur nous a dit que la grande raison d'être de la loi de 1842, c'est son existence même ; dans sa péroraison comme dans son exorde, il a nettement déclaré que cette loi ne puisait sa force que dans son existence : on ne peut, d'après moi, en proclamer plus résolument la condamnation.

Ce que je voudrais, messieurs, ce qui est l'objet de tous mes vœux, c'est que cette réforme que nous demandons pût être faite de commun accord par nos honorables adversaires et nous.

Sommes-nous donc si loin de nous entendre ? Est-il absolument impossible de faire en Belgique une loi sur l'instruction primaire qui ne froisse personne ? Ce n'est pas mon avis.

Est-ce que, comme vous, messieurs de droite, nous ne voulons pas que l'on enseigne aux enfants la religion et la morale ? Y a-t-il quelqu'un de vous qui en doute ? Mais ce que nous demandons, et ce que vous ne voulez pas nous concéder, c'est que l'enseignement de la morale cesse d'être confondu avec celui de la religion, quelle qu'elle soit, c'est que ce double enseignement ne fasse pas un tout inséparable et indivisible.

L'honorable M. Delcour vous l'a dit l'autre jour ; pour lui comme pour Portalis, une morale sans culte, c'est une justice sans tribunaux ; pour lui, les écoles doivent être imprégnées d'une atmosphère religieuse, et, s'appuyant sur l'autorité de M Guizot, dont par parenthèse on proscrit néanmoins les livres, s'appuyant encore sur l'autorité de Cousin, il vous a rappelé entre autres l'exemple de l'Angleterre et de la Prusse, où l'enseignement primaire est organisé d'après les vues qu'il vous a si chaleureusement et si éloquemment exposées.

L'exemple me paraît être assez mal choisi. En Angleterre surtout, chaque secte a son école, et on comprend dès lors que l'enseignement de la religion et de la morale n'y fasse en quelque sorte qu'un tout indivisible et qu'il y ait là cette atmosphère religieuse dont on vous a parlé. Mais si l'honorable membre avait porté ses regards un peu plus loin, s'il ne les avait pas tenus fixés exclusivement sur une seule partie de la Grande-Bretagne, il n'eût pas tardé à reconnaître que, partout où les enfants appartenant à diverses sectes sont reçus dans une même école, l'enseignement de la morale est complètement séparé de celui de la religion. J'ai ici sous, la main la disposition fondamentale qui régit l'enseignement primaire dans la catholique Irlande, dont l'honorable M. Elias vient de vous parler ; permettez-moi de vous la faire connaître, elle est très instructive.

« 1. Le but de l'éducation nationale est de donner accès autant que possible dans une seule école aux enfants de tous les cultes, ainsi que le même enseignement moral et littéraire, tout en maintenant la séparation dans l'instruction religieuse. Le principe fondamental de cette organisation consiste à exiger que, sous aucun prétexte, aucune atteinte ne soit portée aux croyances particulières des enfants.

« 2. Le gouvernement de S. M. et les membres du comité font les vœux les plus vifs pour que le clergé et les laïques de tous les cultes (page 995) puissent s'entendre et coopérer en commun à la direction des écoles nationales. »

Voilà, messieurs, la base de l'organisation irlandaise. Est-ce assez clair, est-ce assez précis, et n'en résulte-t-il pas que l'enseignement de la morale y est complètement séparé de celui de la religion ?

Et qui donc a fait cette organisation, messieurs, qui préside à son exécution ? Les sommités catholiques et protestantes du pays, qui, toutes, la main dans la main, s'y sont réunies dans un même sentiment pour donner au monde ce grand exemple de tolérance et d'intelligente politique.

S'y plaint-on du moins, comme l'honorable chanoine de Haerne prétend qu'on se plaint en Hollande, de ce système d'enseignement ? Nullement, messieurs, nul ne retire sa main ; chacun s'applaudit de cet état de choses, tout le monde en veut le maintien, catholiques et protestants. Et pourquoi ? Parce qu'à tous les points de vue il produit des résultats admirables, parce qu'il généralise et vulgarise en quelque sorte la tolérance, cet indéniable besoin des sociétés modernes et qui en fait incontestablement la force et la grandeur.

Ce qu'on fait en Irlande, ce qu'on juge possible et licite dans cette catholique contrée, pourquoi donc ne se ferait-il pas dans notre catholique Belgique ? Est-ce qu'au point de vue de l'enseignement, la situation n'est pas la même ? Est-ce que, chez nous aussi, nos écoles chargées de donner non pas une éducation sectaire, mais une éducation nationale, ne sont pas, ne doivent pas être accessibles aux enfants de tous les cultes ? Pourquoi donc l'enseignement de la religion n'y serait-il pas complètement distinct de celui de la morale ? Et pourquoi, par une conséquence rigoureuse, l'enseignement de la religion ne serait-il pas donné au dehors ?

Il faut, dit-on, que nos écoles soient imprégnées d'une atmosphère religieuse. Qu'est-ce à dire ? Entendons-nous. Quoi ! une atmosphère de religion dans des écoles d'enfants de plusieurs cuites ! De quelle religion s'il vous plaît ? Expliquez-vous. Je l'ai demandé à l'honorable M. Delcour et il ne m'a pas répondu ; c'est qu'apparemment il a compris que cela devait le conduire tout droit à la plus flagrante des inconstitutionnalités, Atmosphère (erratum, page 1012) morale, oui, c'est indispensable ; mais atmosphère religieuse ; sous l'empire de nos institutions, je ne l'admettrai jamais. (Interruption.) Dites cela aux évêques irlandais. D'ailleurs l'honorable M. Elias nous a fait remarquer que le règlement a été approuvé par le pape lui-même.

M. de Haerneµ. - Le concile de Thurmes a protesté.

- Un membre. - De Turnhout !

M. Vleminckxµ. - Est-ce que le pape a protesté contre la conduite des évêques d'Irlande ?

M. de Haerneµ. - Voulez-vous me permettre une explication ? Dans un moment de détresse, on a accepté le système dont vous parlez pour échapper à un système exclusivement protestant.

M. Vleminckxµ. - C'est ce que vous avez dit tout à l'heure pour la Hollande ; or, le système existe depuis 25 ans en Irlande et il ne rencontre aucune opposition sérieuse.

A entendre certains de nos adversaires, nous serions des ennemis acharnés de la religion ; le prêtre à l'église, cela signifierait : plus de prêtre, plus d'enseignement de religion, plus d'enseignement de morale. C'est tout simplement absurde ; et vous m'en voudriez, messieurs, si j'insistais pour réfuter ces niaiseries-là.

Ce que nous voulons, ce que constitutionnellement nous avons le droit de vouloir et ce que vous ne voulez pas admettre, c'est que la morale et la religion soient enseignées à leur place ; l'une à l'école, l'autre hors de l'école ; ce que nous voulons, c'est que dans nos écoles, il y ait égalité pour tous les enfants, c'est qu'il n'y ait là de privilège pour aucun.

Il me reste à vous faire remarquer, messieurs, que le règlement irlandais ne porte pas de trace d'une inspection religieuse, qui, chez nous, est en quelque sorte l'étiquette de l'organisation. Et tout cela, remarquez-le bien, avec le plein et entier assentiment des autorités catholiques.

De pareils exemples sont bien faits, me semble-t-il, pour nous faire réfléchir, messieurs ; il n'est pas possible que ce qui, en Irlande, n'est pas considéré comme contraire aux droits du catholicisme, soit légitimement proscrit en Belgique ?

Je ne désespère donc pas de voir plusieurs de nos honorables collègues abandonner quelque jour leurs préventions et concourir avec nous à une réforme qui ne porterait atteinte à aucun principe et sauvegarderait au contraire tous les droits et tous les intérêts.

J'ai maintenant à soumettre à la Chambre quelques observations sur d'autres points de l'enseignement primaire : je demande la permission de les exposer, lorsque nous discuterons l'article du budget relatif a cet enseignement.


M. le président. - Messieurs, le premier objet à l'ordre du jour de demain est la nomination du greffier de la cour des comptes.

Je vous propose de ne pas nous occuper ensuite des pétitions et de reprendre immédiatement après la discussion du budget de l'intérieur.

- Cette proposition est adoptée.

Motion d’ordre

M. Dumortier. - Messieurs, j'ai une double motion d'ordre à adresser à M. le ministre de l'intérieur. Je demanderai d'abord quand on communiquera au pays les résultats du recensement qui a été fait il y a quinze mois.

Si les journaux sont bien informés, ce recensement pourrait avoir des résultats sérieux sur la composition du parlement. Il importe qu'il nous soit communiqué.

Voici ma seconde motion.

Lorsqu'on arrivera aux détails du budget de l'intérieur, je m'occuperai très sérieusement de la pension des décorés de la croix de Fer, pension qui dès 1860, c'est-à-dire il y a 8 ans, sur la proposition de l'honorable M. Rogier, aurai dû être majorée.

Je voudrais que M. le ministre de l'intérieur nous donnât le tableau de tous les décès qui ont eu lieu depuis 1860, parmi les pensionnés de la croix de Fer, des accroissements qui ont eu lieu d'un autre côté et enfin de tout ce qui s'est passé au sujet des blessés ou prétendus blessés qui viennent, paraît-il, aujourd'hui absorber la presque totalité du crédit.

Je demande que pendant les vacances M. le ministre veuille bien réunir ces renseignements.

MiPµ. - J'ai fait, il y a quelque temps, prendre, dans les bureaux de mon département, des renseignements sur l'état d'avancement de la statistique dont vient de parler l'honorable M. Dumortier. Il m'a été répondu que les travaux du recensement ne seraient terminés que vers la fin du mois de juin ou de juillet.

M. Van Wambekeµ. - C'est fait exprès pour les élections.

MiPµ. - Quant au second point, je ferai réunir, pendant les vacances, les renseignements demandés par l'honorable M. Dumortier.

M. Dumortier. - Nous voici d'accord sur la deuxième question, mais quant à la première j'entends dire que les renseignements ne pourront être fournis que le 14 juin, or c'est le 15 juin qu'ont lieu les élections, c'est-à-dire que les renseignements seront fournis le lendemain des élections.

Eh bien, messieurs, tous les journaux nous disent qu'en vertu du recensement, l'arrondissement de Bruxelles a un député de trop.

Il me semble qu'au bout de quinze mois on doit pouvoir nous donner les résultats généraux du recensement, c'est-à-dire des renseignements qui nous permettent d'apprécier le nombre de députés à attribuer à chaque arrondissement.

M. de Theuxµ. - Il est impossible que M. le ministre de l'intérieur n'obtienne pas de la commission de statistique l'état de la population, au moins district par district, province par province. Il est impossible que la commission de statistique ne soit pas à même de fournir, dès à présent, ce renseignement.

Nous avons fait une répartition électorale en l'air en l'absence d'une statistique que nous avions réclamée ; nous avons fait une répartition nouvelle d'une manière exceptionnelle en dehors de la loi de principes. Eh bien, nous demandons, au nom de la justice et de l'impartialité, une statistique globale, arrondissement par arrondissement et province par province.

Le gouvernement n'a qu'à demander ces renseignements à la commission de statistique et il est certain qu'il les aura avant la fin des vacances de Pâques.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne puis que répéter ce qu'a dit mon honorable collègue de l'intérieur. Si le renseignement n'existe pas, comment l'honorable M. de Theux veut-il l'obtenir ?

Mais l'honorable M. Dumortier a fait son interpellation uniquement pour faire enlever à Bruxelles un député. (Interruption.) C'est évident, (page 996) car l'honorable membre disait : « Qu'on nous donne au moins le résultat pour Bruxelles. »

Eh bien, le principe admis par la Chambre, c'est que jamais on n'a enlevé un dépuré à un arrondissement. Ainsi, les arrondissements d'Audenarde et de Turnhout, je pense, ont chacun un représentant de trop, et les honorables membres de la droite ont admis que cet état de choses serait maintenu. La motion de l'honorable M. Dumortier, appuyée par l'honorable M. de Theux, ne peut donc avoir aucun résultat.

Au surplus, si on admettait le principe de la révision, cette révision devrait être générale et il faudrait pour cela connaître la statistique de tout le pays.

M. Maghermanµ. - Il est constant, dès à présent, qu'il y a à Bruxelles un député de trop.

M. Hymans. - Comment constant ? Où avez vous vu cela ?

M. Maghermanµ. - Voici le résultat que l'on m'a communiqué au bureau du ministère de l'intérieur. Il manquait le relevé d'une ou deux communes de peu d'importance pour lesquelles on a probablement adopté la population antérieurement constatée, mais le relevé de ces communes ne peut rien changer à l'ensemble de la situation de l'arrondissement de Bruxelles.

Voici les chiffres :

L'arrondissement de Bruxelles a une population, d'après le dernier recensement, de 480,640 habitants Or, dans la dernière loi on a pris pour base une population de 523,333 habitants.

Il y a donc un déficit de 42,695 habitants et il ne peut y avoir qu'un député par 40,000 âmes. Il est donc constaté que Bruxelles a un député de trop.

On pourra peut-être objecter que par le résultat du recensement dans d'autres circonscriptions l'équilibre pourrait être rétabli ; que, par des augmentations équivalentes, le déficit de Bruxelles pourrait être neutralisé.

Remarquez, messieurs, qu'à Charleroi et dans toutes les localités où l'accroissement de la population est considérable, il y a eu également une augmentation de représentants et de sénateurs. Ce n'est donc pas de cette manière que la balance peut se rétablir.

Il est d'une très grande importance pour le pays que les résultats du recensement soient connus très prochainement, car si, comme je le crois, nous sommes dans une situation inconstitutionnelle, il importe d'en sortir le plus tôt possible.

Pour ce qui concerne l'arrondissement d'Audenarde, je répondrai à l'honorable ministre que jamais on n'a fixé le nombre des représentants d'après le chiffre strict de la population de tel ou tel arrondissement. On fait la distribution par province et la subdivision par districts électoraux, et l'on voit si la totalité des représentants n'excède pas le chiffre de la population du pays à raison d'un député par 40,000 habitants. Or, c'est par suite d'un système de compensation que le troisième député d'Audenaerde a été maintenu.

Il importe de savoir si le nombre des députés et des sénateurs est en rapport avec la masse de la population. Je soutiens que cette proportion n'existe pas.

MiPµ. - L'honorable membre a, comme un ancien Romain, voulu se jeter dans le gouffre pour sauver la patrie. Il doit reconnaître, avec moi, que le représentant d'Audenarde serait la première victime, à moins qu'il ne soutienne qu'on doit suivre pour Audenarde un système particulier.

Je ne sais quelle est la valeur des renseignements que l'honorable M. Magherman présente. Quant à moi, j'ai demandé, je le répète, il y a quelque temps, dans les bureaux, pour ma satisfaction personnelle, les résultats du recensement, et l'on m'a répondu qu'on ne pourrait les fournir que vers le milieu de l'été, et les autres renseignements statistiques que l'année prochaine.

Si j’avais été prévenu de l'interpellation, j'aurais pu me munir de renseignements précis.

Ce n’est pas l'arrondissement d'Audenarde seul, messieurs, qui serait atteint. A Soignies, on a également maintenu un député, uniquement parce qu'il existait. Je le sais d'autant mieux que j'ai voulu le faire restituer à Charleroi, et que j'ai été repoussé avec perte.

M. de Theuxµ. - Messieurs, il n'est pis à ma connaissance qu'un district auquel, au moment des élections, il manque 40,000 âmes de population ait obtenu le maintien de sa représentation complète.

Je comprends très bien ce que disait M. le ministre de la justice que, lorsqu'une élection a été réalisée, on ne vient pas, pendant la durée du mandat, réviser 1'éleclion.

Mais lorsque le mandat expire, il faut que le district n'ait pas un déficit de 40,000 âmes, pour qu'il maintienne sa députation entière.

MfFOµ. - L'honorable M. de Theux me paraît tomber dans une erreur, lorsqu'il dit que, pendant la durée du mandat, si un arrondissement a une représentation plus considérable que celle qui devrait lui être légitimement attribuée, on ne fait pas disparaître le député qui a été élu, mais qu'au moment de l'élection on rectifie cette situation. Je ne crois pas que cela soit exact ; la pratique constante de la Chambre est contraire à cette opinion.

Quand une fois un représentant a été attribué à un arrondissement, on maintient le député à l'arrondissement malgré les faits qui peuvent avoir modifié la situation primitive. Il en est une foule d'exemples.

Si l'on examine l'attribution des députés aux divers arrondissements, on verra que certains arrondissements ont une représentation qui n'est pas en rapport avec la population. Cependant cette représentation a toujours été maintenue ; la chose a été ainsi décidée.

Je ne veux pas anticiper sur la discussion relative à cet objet ; je ne voulais que rectifier ce qui me paraît être une erreur. Il s'agit avant tout de connaître le véritable résultat de la statistique. M. le ministre de l'intérieur vous dit : Je ne l'ai pas ; aussitôt que je l'aurai, je vous le communiquerai. Que peut-on exiger déplus ?

Il est incontestable que l'on doit avoir cette statistique ; mais peut-on l'avoir aujourd'hui ? Des erreurs ont aussi pu être commises dans ce travail... (Interruption) Toujours est-il que l'on ne saurait rien dire de certain quant à présent.

M. Dumortier. - Je demande la parole...

M. le président. - Je dois faire remarquer qu'il ne s'agit que d'une motion d'ordre.

M. Dumortier. - Il s'agit d'une motion d'ordre, mais il s'agit aussi des paroles qui ont été prononcées. Or, je ne puis pas laisser passer le système que vient d'indiquer l’honorable ministre des finances. Il vous dit qu'ii n'y a pas d'exemple qu'on ait retiré un député à un district. Cela est vrai, mais à la condition que le district ait commencé par avoir un droit. Or, la question est de savoir si le district de Bruxelles a un droit. Je dis, moi, qu'il n'en a pas et n'en a jamais eu ; car vous ayez opéré en 1866 par prévision ; aucun district n'a jamais eu en Belgique un député sans avoir un droit et sans continuer à avoir ce droit.

La population se divise par provinces, puis vous donnez à chaque district un député à raison de 40,000 âmes. Mais les districts ne se composent pas uniquement de multiples de 40,000 âmes. Il existe des fractions non représentées ; ces fractions non représentées sont attribuées au plus fort contingent. Voilà ce qui s'est toujours fait. Les excédants sont attribués à la plus forte minorité. Or, ici non seulement il n'y a pas de minorité, maïs il y a en dessous de 40,000 âmes.

J'ai fait ma motion parce que la question me paraît d'une gravité excessive ; elle touche à la base du régime constitutionnel. C'est la question de savoir de combien de membres la Chambre doit se composer, de combien de députés tel district doit être composé.

M. Bara dit que j'ai fait une motion pour Bruxelles. Nullement, je la fais pour l'ensemble de la représentation. Si j'ai parlé de Bruxelles, c'est qu'il en avait été parlé dans les journaux et pour faire ressentir combien est vicieux le système des prévisions dans lequel nous sommes tombés. J'ai fait ma motion pour qu'à l'avenir, par esprit de parti, on ne sorte plus des prescriptions de ka loi des réalités, c'est-à-dire du recensement légalement fait.

Quant au recensement nouveau, depuis quinze mois qu'il est commencé, il doit être possible d'en avoir les résultats, au moins les résultats généraux en ce qui concerne la Chambre et le Sénat.

J'insiste donc sur ma motion.

MfFOµ. - Je ne puis pas laisser dire sans protester qu'on aurait fait une loi par esprit de parti. On a voté, à l'époque à laquelle M. Dumortier fait allusion, une loi de répartition des membres de la Chambre, comme on l'a fait à toutes les époques où cela a paru nécessaire. Elle vous nuisait, voilà pourquoi vous l'appelez une loi de parti. Et pourquoi vous nuisait-elle ? Parce que l'accroissement de la population est plus grand dans les provinces libérales... (Interruption.) C'est un fait ! Que des erreurs aient eu lieu, c'est possible, je n'en sais rien ; que, par suite de l'épidémie, il y ait eu une réduction de population dans un arrondissement, c'est possible encore ; vous parlez de faits postérieurs à la mise eu vigueur de la loi, pour en faire la base de vos critiques. Cela n'est pas admissible. Quoi qu'il en soit, je constate qu'un accroissement normal et continu de la (page 997) population a lieu principalement dans les provinces libérales. Faudra-t-il donc toujours s'abstenir de modifier la répartition du nombre des membres de la représentation nationale, quel que soit l'accroissement de la population ? Je pense qu'on ne saurait le prétendre sérieusement, et qu'il n'y a pas d'inconvénients à procéder un peu plus tôt à une opération qu'il faudrait nécessairement réaliser un peu plus tard.

Vous dites, sur la foi de renseignements que vous n'avez pas contrôlés, mais que vous acceptez parce qu'ils sont favorables à vos idées... (Interruption.) Vous jugez sur la foi de ces renseignements que la population qui a servi de base à la dernière répartition n'était pas la population réelle. Ne concluez pas si vite. Attendez que les chiffres soient connus et qu'on ait pu les vérifier. Mais alors même que le recensement nouveau donnerait des chiffres différents de ceux qui ont été produits antérieurement, quelle conclusion auriez-vous à en tirer ? Ne se peut-il pas très bien qu'à une époque donnée la population s'accroisse et qu'à une autre époque elle diminue ? Rien ne prouve que la population n'ait pas diminué dans certains arrondissements. Des déplacements de population se produisent, et l'on pourrait citer des arrondissements où ces mouvements sont très fréquents et fort considérables. Prenez la population de l'arrondissement de Charleroi ; vous constaterez, à certaines époques, des déplacements considérables ; vous trouverez plusieurs milliers d'individus de plus ou de moins, selon l'époque à laquelle vous opérerez. Il n'y a donc pas de conclusion logique et rationnelle aux arguments que vous invoquez. Attendons les documents avant de discuter.

M. Jacobsµ. - Ce qui montre l'importance de cet incident, c'est que voilà déjà trois ministres qui interviennent et le dernier pour la deuxième fois.

On n'a pas consulté l'intérêt de parti, disent-ils, dans la dernière répartition des députés ; la Chambre se rappellera que l'honorable M. Orts ne cachait pas ce but et qu'il se bornait à ajouter : « C’est en demandant une chose juste que je sers cet intérêt. »

Le moment est venu de vérifier s'il a dit vrai. Et, en admettant que ce soit dans un intérêt de parti que nous demandons aujourd'hui une autre chose juste, la vérification après recensement des chiffres présumés avant le recensement, quelle objection sérieuse pouvez-vous nous faire ? Si vous reculez devant la production des renseignements, si vous les retardez jusqu’après les élections, nous serons fondis à dire que c'est encore l'intérêt de parti qui vous guide.

Nous possédons déjà des renseignements, non pas absolument certains, mais à peu près, faciles d’ailleurs à contrôler, et s’ils pèchent par l’exactitude, vous les rectifierez dès demain.

D'après ces renseignements, l’arrondissement de Bruxelles a une population de 480,640 habitants, ce qui donna à 12 députés leur contingent complet de 40,000 âmes, et n’en laisse que 640 au treizième. Bruxelles a donc un député pour 640 habitants !

MM. les ministres ont comparé Bruxelles à Audenarde qui, pour cent mille âmes, a 3 députés, c'est à-dire deux députés à contingent complet et un troisième représentant 20,000 âmes.

Le troisième député d'Audenarde représente 20,000 âmes, le treizième de Bruxelles 640 !

Et on est allé jusqu'à dire que ce serait un député d'Audenarde qui devrait sortir le premier de cette Chambre !

- Un membre. - Le second.

M. Jacobsµ. - Non, à peine le dixième.

Ainsi donc nos chiffres amènent à cette conclusion nécessaire que l'arrondissement de Bruxelles a un député de trop, car, en supposant même qu'il doive rester au Brabant, ce ne serait pas à l'arrondissement de Bruxelles, mais à celui des deux autres et qui a l'excédant le plus fort.

M. Delcourµ. - C'est Louvain.

M. Jacobs. - Il y aurait donc un député de Louvain siégeant sur les bancs de la droite au lieu d'un député de Bruxelles siégeant sur les bancs de la gauche.

S'il est constant qu'ainsi le veut la statistique, ainsi le veut aussi la justice et la loi. La question est trop importante pour qu'on ne l'éclaircisse pas sans retard.

Si vous ne voulez pas le vérifier avant les élections prochaines, assez à temps pour qu'on modifie la répartition des députés, aux yeux de tout le monde vous aurez voulu maintenir sans droit sur vos bancs un député qui doit siéger sur les nôtres.

Si vous ne fournissez pas les chiffres en temps utile, c'est que le résultat de ces chiffres est contraire à vos intérêts.

- La séance est levée à cinq heures et un quart.