(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 919) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.
M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants d'Ensival et de Theux demandent la prompte suppression des jeux de Spa. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Le sieur Verheggen demande qu'il soit statué sur sa demande tendante à ce qu'on lui remette la croix de l'Ordre de Léopold qui lui aurait été conférée ou qu'on lui communique les rapports faits pour empêcher la remise de cette décoration. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L'administration communale de Gand demande une loi apportant certaines restrictions au travail des enfants dans les manufactures. »
- Même renvoi.
« Des habitants de la province de Liège prient la Chambre de rapporter les dispositions de lois qui font intervenir l'armée dans les actes d'un culte quelconque. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« M. Coomans, obligé de s'absenter pour motifs de santé, demande un congé de deux à trois semaines. »
- Accordé.
M. Hymans. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport sur le projet de crédits provisoires à valoir sur les budgets des dépenses de l'exercice 1868.
- Impression et distribution.
M. Hayezµ. - Messieurs, votre commission s'est occupée de la vérification des opérations électorales qui ont eu lieu à Anvers le 23 mars 1868. Elle en a constaté la régularité : aucune réclamation n'a été produite.
Le nombre de votants est de 1,773
Bulletins nuls, 108.
Bulletins valables, 1,665.
Majorité absolue, 833.
M. Coremansµ ayant obtenu 1,660 voix, le bureau principal l'a, en conséquence, proclamé membre de la Chambre des représentants.
L'acte de naissance constatant les conditions d'âge et d'indigénat de l'élu, votre commission propose d'admettre M. Coremans à la prestation du serment.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Coremans prête serment en flamand.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Plusieurs pétitions sont arrivées à la Chambre émanant de la ville de Spa et des communes environnantes. Elles tendent à demander le maintien des jeux établis dans la ville de Spa, tout au moins jusqu'à ce que l'Allemagne ait aboli les jeux chez elle.
Comme le budget de l'intérieur est en ce moment soumis à nos délibérations, la commission des pétitions, qui n'a pu prendre qu'aujourd'hui une décision relativement à ces pétitions, demande que la Chambre veuille bien en ordonner le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget à l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Bouvierµ. - Je viens faire une motion semblable à la Chambre.
Des habitants de Frameries ont envoyé à la Chambre une pétition demandant le retrait de la loi de 1842. Cette pétition a été renvoyée à la commission des pétitions, qui en a proposé le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur. Ce budget étant en ce moment soumis à nos délibérations, je demande que la Chambre veuille bien faire droit à la proposition de la commission des pétitions et ordonner ce dépôt.
- Adopté.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. Funckµ. - La discussion des différents budgets fournit aux membres de la représentation nationale l'occasion d'appeler l'attention du gouvernement sur les réformes à réaliser dans l'administration, sur les modifications à introduire dans nos lois ou dans la direction générale des affaires du pays.
Au département de l'intérieur se rapportent en grande partie toutes les questions relatives à l'amélioration du sort des classes laborieuses. C'est à ce titre que je recommanderai tout d'abord à la bienveillance de M. le ministre de l'intérieur l'étude des mesures destinées à régler le travail des enfants dans les manufactures, les usines, les fabriques et les ateliers.
La question que j'ai l'honneur de soumettre à l'honorable ministre a déjà fait plusieurs fois l'objet de nos délibérations.
Je sais bien que la solution équitable du problème est difficile à trouver : je n'ignore pas que les législations étrangères sur cette matière n'ont pas produit les résultats qu'on pouvait en espérer ; mais ce n'est pas un motif pour se décourager et pour abandonner l'étude d'une question de la plus haute importance. Pour mon compte, je suis convaincu que si l'on cherchait bien, on trouverait. Si, par exemple, la législature se déterminait à déclarer l'enseignement primaire obligatoire, une grande partie du problème serait résolue et nous aurions rendu un service immense aux classes laborieuses.
Et pourquoi ne le ferions-nous pas ?
Sous le régime actuel, sous le régime du laisser faire qui domine encore cette matière, nous voyons des enfants en bas âge s'étioler et le plus souvent se démoraliser dans les fabriques et les ateliers, au lieu d'aller chercher à l'école l'instruction qui leur est si nécessaire.
N'y a-t-il pas un immense intérêt social attaché à la cessation de cet état de choses, et le législateur peut-il rester indifférent à une situation qui est une cause permanente d'amoindrissement matériel et moral pour nos classes ouvrières ?
Ne le perdons pas de vue, messieurs, la question de l'enseignement obligatoire a fait un pas immense dans ces dernières années ; beaucoup de bons esprits qui lui étaient hostiles, se disposent à s'y rallier.
Le grand argument tiré de la liberté du père de famille a fait son temps. Le bon sens public a compris que s'il est juste, s'il est légitime de condamner à l'amende le père de famille qui néglige de (page 920) faire balayer «on trottoir, il est tout aussi juste, tout aussi équitable, tout aussi légitime de condamner à la même peine celui qui refuse de tirer son enfant de cet état d'amoindrissement matériel et moral dans lequel se trouve tout homme qui n'a pas reçu les premières notions de l’enseignement primaire.
La réclamation que j'ai l'honneur de vous soumettre n'est pas neuve, comme je vous le disais tantôt ; elle a été agitée plusieurs fois devant vous. Elle a été signalée à l'attention du gouvernement par les fonctionnaires qui sont le plus à même d'apprécier l'état des choses, par les inspecteurs de l'enseignement primaire entre autres. Les rapports triennaux en font foi. Je la recommande de nouveau à M. le ministre de l'intérieur et. j'ai trop de confiance dans sa sollicitude pour les intérêts si précieux qui lui sont confiés pour n'être pas convaincu qu'il l'examinera avec toute la bienveillance qu'elle mérite.
Parmi les améliorations dont je vous entretenais tantôt, figure en première ligne le développement de l'instruction publique, et spécialement de l'enseignement primaire.
L'instruction publique est une des attributions les plus importantes du département de l'intérieur.. On peut dire sans exagération qu'elle exerce une influence considérable sur l'avenir du pays.
Bien dirigée, elle peut former une nation libre, forte et intelligente ; mal dirigée, au contraire, livrée à l'esprit de parti, elle fausse l'esprit des populations ; elle énerve le sentiment public.
Personne ne peut plus le contester aujourd'hui : la tolérance, la tolérance religieuse surtout, est une des grandes conquêtes des sociétés modernes. Inscrite dans notre pacte fondamental après des luttes séculaires, elle est devenue une des bases de notre droit public. « La liberté des cultes est garantie, » dit l'article 14 de la Constitution. « Nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte, » dit l'article 15.
Mais, si d'une part, les cultes sont libres et s'ils ont droit à une égale protection, si, d'autre part, nul ne peut être contraint de concourir aux cérémonies d'un culte, il en résulte que l'Etat doit une protection égale à tous, qu'il n'a pas le droit de choisir entre eux, de donner la prééminence à l'un d'eux, et par conséquent l'on peut dire que l'Etat n'a pas de culte. C'est la grande doctrine de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Cette doctrine, on peut la condamner encore dans des mandements ou dans des encycliques ; mais bien certainement elle ne sera contestée par aucun des membres de cette Chambre.
La loi de 1842, organique de l'enseignement primaire, méconnaît complètement cette doctrine. Elle inscrit l'enseignement dogmatique religieux dans le programme de l'enseignement primaire, elle admet l'intervention des ministres des cultes, à titre d'autorité, dans cet enseignement ; elle autorise enfin la censure ecclésiastique sur certains livres de classe.
La conséquence de ces dispositions est facile à saisir : elles établissent dans les écoles primaires la prééminence des ministres du culte de la majorité.
La loi de 1842 est donc mauvaise, et elle doit être révisée.
Cependant une fraction notable de nos amis politiques, éprouve, à pr pos de cette révision, certains scrupules avec lesquels il faut compter. Ces scrupules se traduisent par des arguments auxquels je dois m'arrêter un instant.
On nous a dit que la révision de la loi de 1842 serait dangereuse, qu'elle serait impolitique, qu'elle serait contraire à l'esprit de modération qui doit animer un parti qui est au pouvoir.
La révision de la loi de 1842 serait dangereuse ; et pourquoi ? Parce que, dit-on, un certain nombre d'enfants déserteront les écoles.
Messieurs, je dois vous avouer que je ne partage pas ces appréhensions. D'une part, j'ai trop de confiance dans le clergé pour croire qu'il userait de son influence pour déterminer les enfants à abandonner les écoles ; d'autre part, j ai une confiance tout assez grande dans l'intelligence de ceux qui envoient leurs enfants à l'école pour être convaincu qu'ils n'obéiraient pas à de pareilles suggestions, si on les leur faisait subir.
Cependant, messieurs, si ce mal se produisait et s'il se produisait d'une façon trop intense, il y aurait un moyen bien simple de l'arrêter : c'est celui qui consiste à proclamer l'enseignement primaire obligatoire.
« Mais, nous dit-on, le clergé établira des écoles concurrentes. »
Ceux qui soulèvent cette objection ne se font pas une idée bien claire et bien nette de ce que coûterait l'établissement d'une école dans chaque commune du pays. Ce serait quelque chose comme sept ou huit millions par an ; or, quelque riche que puisse être certain parti, je n'en connais pas en Belgique qui soit en mesure de faire de pareils sacrifices.
Mais supposons qu'on crée des écoles concurrentes dans quelques communes, supposons qu'on y établisse des écoles du clergé, je crois encore qu'il n'en pourrait résulter qu'un grand |bien pour l'enseignement ; il y aurait alors concurrence entre les deux écoles : celle de la commune et celle du clergé ; et, pour mon compte, je suis convaincu que l'enseignement primaire n'y perdrait rien.
Dans tous les cas, la situation ne serait pas plus mauvaise que celle qui existe aujourd'hui, car, et je vous le démontrerai tout à l’heure, le régime qui est fait à l'enseignement primaire, non seulement par la loi de 1842, mais par l'extension qui lui a été donnée, ce régime fait de toutes les écoles du pays de véritables écoles du clergé.
« On nous a dit que la révision de la loi de 1842 serait impolitique. »
Impolitique... et pourquoi ? De deux choses l'une : ou la loi de 1842 est une loi de parti, ou elle ne l'est pas. Si elle n'est pas une loi de parti, si c'est une simple disposition législative réglant des rapports sociaux, alors il n'y a évidemment aucun inconvénient à ce que la législature la révise ou la modifie ; ou bien, la loi de 1842 est une loi de parti ; elle froisse les intérêts et les principes de la majorité ; et alors il me semble que la majorité a bien le droit de la modifier.
Certes, messieurs, je ne suis pas partisan d'une lutte à outrance ; je ne partage pas l'opinion de certains de mes adversaires proclamant qu'en politique il faut appliquer la loi du talion, rendre œil pour œil, dent pour dent. Mais je pense que lorsqu'un parti vient aux affaires, il a tout au moins le droit de reprendre ce qu'on lui a pris.
Or, je ne demande pas davantage en matière d'enseignement primaire.
Il est un troisième argument, et celui-là nous est opposé le plus souvent par les membres qui siègent sur les bancs de la droite.
On nous dit : La révision de la loi de 1842 serait contraire à l'esprit de modération qui doit animer un parti qui est aux affaires. Il faut le reconnaître, messieurs, nos adversaires prennent dans cette question, vis-à-vis de nous, une singulière attitude. Nos institutions modernes ont fait table rase des privilèges et des abus de l'ancien régime. Elles ont séparé ou elles tendent à séparer la société laïque de la société religieuse. Elles ont consacré le grand principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Certes, messieurs, on peut n'être pas partisan de cette doctrine ; maïs ceux qui la repoussent ne sont ni de leur temps ni de leur époque. Des individualités peuvent trouver ce principe mauvais ; elles peuvent protester contre des innovations qu'elles repoussent. Mais une nation tout entière ne remonte pas le cours des temps ; un peuple tout entier ne renonce jamais à un progrès irrévocablement accompli.
Toutefois, messieurs, ce qu'on n'aurait jamais osé faire directement, on l'a tenté d'une façon indirecte. On n'aurait jamais osé dire à nos populations, comme le proclame l'encyclique : Le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat est un principe païen et antichrétien ; biffons ce principe de nos chartes et de nos lois : une pareille doctrine aurait peu de chances de succès.
On a mieux aimé tourner la difficulté. Profitant des concessions nombreuses faites au culte par le consulat et par le premier empire, en échange du servage assez humiliant qu'on lui imposait, le clergé s'est fait en Belgique une position exceptionnelle. Il a pris une part très large de toutes les libertés, de toutes les concessions qui ont été faites à l'esprit libéral en 1830 et il a eu raison. Il s'est débarrassé des entraves fort lourdes que lui imposaient et le concordat et la législation quelquefois draconienne qui régissait les cultes sous le premier empire. Mais d'autre part il entend conserver tous les privilèges.
C'est ainsi, messieurs, que malgré les dispositions des lois existantes, la société religieuse a entendu maintenir son intervention en matière de bienfaisance, qu'elle avait accaparé la disposition du plus grand nombre de bourses d'étude, qu'elle avait confisqué à son profit et la propriété des cimetières et les concessions qu'on y accorde, qu'elle avait émis la prétention insolite de régler à elle seule la question des sépultures, qui est en définitive un service public, prétendant parquer les morts comme elle parque les vivants. Elle s'est emparée de l'administration sans contrôle des biens du temporel du culte et enfin, contrairement à notre droit constitutionnel, elle a introduit le clergé à titre d'autorité dans l'enseignement primaire. Elle a fait plus, elle a absorbé complètement cet enseignement.
La réalisation de pareilles prétentions, constituerait évidemment la confusion, le désordre, le chaos !
Or, chaque fois qu'on veut s'opposer à ces abus, chaque fois qu'on veut résister aux empiétements de la société religieuse sur la (page 921) société civile, chaque fois que celle-ci veut rentrer dans le droit constitutionnel, on crie à la persécution et l'on fait un appel à la modération. La modération !
Mais la modération, messieurs, ne consiste pas dans l'oubli de tous les principes, et la modération est un leurre, une impossibilité lorsqu'elle détermine un parti qui gouverne à renoncer aux principes qui ont été la cause de son avènement au pouvoir. Moi aussi, j'aime la modération ; il ne faut pas, en politique surtout, que les vainqueurs écrasent les vaincus, mais il faut encore bien moins que les vaincus écrasent les vainqueurs.
Eh bien, c'est ce qui arrive en matière d'enseignement primaire. La loi de 1842 ou plutôt les dispositions de la loi de 1842 auxquelles je fais allusion, ont été une véritable surprise pour l'opinion libérale. Dès 1846, toutes les nuances de notre parti, depuis la fraction la plus avancée jusqu'à la fraction la plus modérée, toutes les nuances étaient d'accord pour protester contre l'intervention du clergé dans l'enseignement.
Mon honorable ami, M. Vandenpeereboom, était du Congrès libéral avec moi. Nous avons tous voté son programme et nous l'avons sanctionné à différentes reprises. Ce programme s'exprime ainsi en matière d'enseignement :
«... L'organisation d'un enseignement public, sous la direction exclusive de l'autorité civile, en donnant à celle-ci les moyens constitutionnels de soutenir la concurrence contre les établissements du clergé, et en repoussant l'intervention du clergé à titre d'autorité dans l'enseignement organisé par le pouvoir civil. »
Il y a vingt-deux ans, messieurs, que ce programme a été adopté. Depuis cette époque, le parti libéral a été plusieurs fois aux affaires, il y est encore aujourd'hui, et la loi de 1842 est restée debout ; loin de la restreindre, on a même cherché quelquefois à l'étendre.
Et quel compte nous a-t-on tenu de cette modération ? L'opposition a-t-elle été moins vive dans ses attaques ? Nos luttes ont-elles été moins violentes ? Vous avez pu en juger par vous-mêmes.
Pendant ces 22 années, le parti que représente la droite a été au pouvoir pendant un temps très restreint, très limité et il a profité de son passage au gouvernement pour soumettre à nos délibérations un projet de loi tellement réactionnaire, qu'il a failli faire soulever spontanément les pavés de nos rues.
Le ministère actuel nous a présenté une loi destinée à régler l'administration des bourses d'étude ; comment ce projet a-t-il été accueilli ? Quelles ont été les conséquences de son admission ? Nous avons tous été traités de spoliateurs, et peu s'en est fallu qu'on ne nous appelât voleurs de grand chemin.
- Plusieurs voix. - On l'a dit dans la presse catholique.
M. Funckµ. - Ne nous laissons donc pas désarmer par ces appels constants à la modération qui constituent souvent un leurre et une impossibilité. Certes dans les grandes circonstances, lorsqu'il s'agit de mesures à prendre dans un grand intérêt national, les partis peuvent se mettre d'accord ; mais en dehors de ces circonstances exceptionnelle, chaque parti doit rester dans sa sphère d'action, chaque parti a le devoir de travailler à la réalisation de ses principes.
Comme nous le disait, dans une circonstance récente, un homme dont la parole exerce une grande influence sur cette assemblée, c'est rapetisser nos débats que de les réduire aux proportions du catholique et du libéral. Chez nous, comme dans tous les grands pays de l'Europe, deux grandes opinions sont en présence, l'une qui veut asservir la pensée humaine, l'autre qui veut son affranchissement ; il est de la nature de l'une d'enrayer le progrès, comme il est de la nature de l'autre de marcher en avant.
Cette lutte, quoi qu'on en dise, ne peut se terminer que par l'affranchissement complet de l'homme, et cet affranchissement ne sera complet que lorsque le parti du passé aura renoncé à ses tendances réactionnaires et se sera décidé à accepter les conquêtes de la civilisation moderne.
J'ai donc l'espoir, messieurs, l'espoir fondé de voir, à une époque qui n'est pas éloignée, se dissiper les doutes qui retiennent encore quelques-uns de nos amis relativement à la loi de 1842.
Mais il est un point sur lequel il ne peut y avoir de contestation sur lequel il ne peut y avoir de désaccord entre nous, et ce point est celui-ci : C'est que s'il faut appliquer la loi de 1842 loyalement et rigoureusement, il ne faut pas non plus lui donner une extension qu'elle ne comporte pas.
Or, c'est le contraire qui existe. Il semblerait que ceux qui ont été chargés d'exécuter cette loi se soient posé le théorème suivant : une mauvaise loi étant donnée, faire produire à cette loi les plus mauvais résultats possibles. Et cela est tellement vrai que moi, qui suis adversaire déclaré de la loi de 1842, je suis tout disposé à m'incliner devant elle et à demander, comme un immense progrès, l'application pure et simple de cette loi.
En effet, remarquez-le bien, la loi de 1842 ne contient pas tout ce que des hommes d'Etat habiles sont parvenus à en tirer dans l'intérêt de leur parti.
En effet, l'article 6 de la loi de 1842 inscrit l'enseignement religieux dans le programme de l'enseignement primaire au même titre que la lecture, l'écriture, le système décimal des poids et mesures, le calcul et toutes les autres branches qui font partie de l'enseignement primaire.
Il ne fait aucune distinction, il stipule même que les enfants appartenant aux cultes dissidents seront dispensés d'assister à l'enseignement religieux. D'où cette double conclusion : d'abord que l'enseignement religieux est considéré comme accessoire et, en second lieu, que l'école primaire doit être accessible à tous les enfants, à quelque culte qu'ils appartiennent.
Je reviendrai tantôt, messieurs, sur ces deux considérations. L'article 7 donne au clergé la direction et la surveillance de l'enseignement religieux.
L'article 8 lui donne la censure sur certains livres, sur ceux qui servent à l'enseignement de la religion et ceux qui servent à la fois à l'enseignement de la religion et à la lecture.
Enfin, l'article 30 consacre l'intervention du clergé dans le jury.
11 résulte de là trois choses.
L'enseignement religieux fait nécessairement partie du programme des écoles.
L'inspection ecclésiastique est attribuée au clergé.
La censure ecclésiastique est établie sur certains livres.
Que fallait-il faire en présence de cet état de choses ? Inscrire l’enseignement religieux dans le programme des écoles. Appeler le clergé à inspecter les écoles, à y diriger l'enseignement religieux et soumettre à sa censure les livres dont on voulait faire usage. De cette manière, la loi de 1842 était complètement exécutée.
Toutefois, messieurs, ces dispositions légales ne mènent pas forcément aux conséquences que nous avons à constater et qui ont fait de notre enseignement quelque chose qui n'a plus rien de commun avec celui qui a été prescrit par la loi de 1842.
La circulaire du 9 avril 1843 signée par l'honorable M. Nothomb pose un premier jalon. Elle révèle déjà la pensée du parti qui allait appliquer la loi.
D'après elle, l'enseignement primaire ne doit pas avoir seulement pour objet l'éducation des enfants, il ne doit pas se borner à pourvoir à leurs besoins moraux, à leur enseigner l'amour de nos institutions constitutionnelles, mais il doit aussi contribuer à conserver intact le caractère religieux que le peuple belge n'a jamais laissé altérer à travers tant de vicissitudes.
Ainsi, messieurs, l'organisation de l'enseignement primaire n'a pas seulement pour but d'enseigner aux enfants du peuple à lire, à écrire et à calculer, de leur enseigner même les premières notions de la religion et de la morale, mais elle doit encore avoir pour but de conserver intact un caractère religieux.
Tout cela est bien vague, car enfin ou il s'agit d'un caractère religieux général que personne ne conteste jamais dans l'enseignement, ou bien il s'agit d'un caractère religieux spécial et alors la circulaire me semble fort peu constitutionnelle.
En effet quel serait ce caractère religieux ? La religion n'est pas une chose uniforme. Les religions diffèrent entre elles, nous concevons un enseignement religieux catholique, un enseignement religieux protestant, un enseignement religieux calviniste, un enseignement religieux israélite.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cochinchinois ..
M. Funckµ. - Cochinchinois, si vous le voulez ; mais ces enseignements sont hostiles, se combattent, se détruisent. Et que devient au milieu de tout cela l'enseignement religieux d'un Etat qui n'a pas de culte ?
Je me suis posé la question, mais je n'en ai pas trouvé la solution. Tout cela nous écarte bien loin cependant des véritables principes posés en cette matière, non pas par des libéraux, par des libres penseurs, mais par des autorités qui ne peuvent être suspectes à nos adversaires de la droite, par les catholiques les plus convaincus, par des hommes (page 922) qui ont lutte longtemps et avec honneur pour la défense de leurs principes.
Il y a en Hollande, comme dans tous les pays où la religion exerce une grande influence, un parti religieux fanatique qu'on appelle le parti ultra-protestant.
Ce parti a à sa tête des hommes fort distingués, entre autres M. Groen Van Prinsterer. Lorsqu'il s'est agi, il y a quelques années, d'organiser l'enseignement primaire, ce parti voulait, lui aussi, introduire l'enseignement religieux dans l'enseignement primaire, non pas par amour du culte, mais dans le dessein de rendre l'école inaccessible aux enfants appartenant aux religions dissidentes, et ceux qui défendaient cette opinion disaient : « que les écoles où on ne donne pas l’enseignement religieux sont des écoles athées, des foyers d'irréligion et d'immoralité ! » Absolument les mêmes arguments que ceux que nous entendons sur les bancs de la droite.
Et que répondaient à ces déclamations les catholiques les plus convaincus ?
« Pour voir régner, disait l'archiprêtre de Frise, pour voir régner la concorde, l'amitié et la charité entre les diverses communions, il est nécessaire, à mon avis, que les instituteurs s'abstiennent de l'enseignement des dogmes de la religion. »
« Les écoles primaires doivent être en général chrétiennes, disait M. Vanden Ende, mais ni catholiques ni protestantes ; elles ne doivent appartenir à aucun culte en particulier, et n'enseigner aucun dogme positif. Il ne faut pas tendre à la division des écoles et avoir des écoles spéciales catholiques ou protestantes. Une école du peuple est pour le peuple tout entier. »
Ces doctrines étaient soutenues par des hommes comme MM. Blaupotten Kate, Dommer van Poldersveldt, Van Nispen van Sevenaar, Meussen, Meylinck, etc.
Et voici dans quels termes ils s'exprimaient :
« Les écoles de sectes, disaient-ils, élèvent dès le jeune âge une barrière entre les enfants. L'école publique est destinée à donner à tous ce dont tous ont indistinctement besoin. Pour qu'elle soit accessible à tous, il faut que les principes religieux de chacun y soient respectés. L'école doit servir à élever les enfants dans les vertus chrétiennes et sociales, mais il est impossible qu'un enseignement religieux dogmatique soit donné à l'école. Du moment qu'on se hasarde sur ce terrain, l'école ne satisfait plus aux besoins de tous. L'instituteur public ne doit rien enseigner qui puisse froisser la conscience de quelques-uns de ses élèves. L'enseignement de la religion doit être une chose entièrement séparée de l'école. »
Pourquoi ces vérités vraies en Hollande et défendues avec conviction dans ce pays par les catholiques, sont-elles des mensonges en Belgique ? Par cette raison bien simple que du moment qu'on soumet des principes aux nécessités des partis, on est toujours bien près de les violer.
Et c'est ce qui est arrivé en Belgique à propos de la tolérance religieuse.
Toutefois, les principes émis dans la circulaire de M. Nothomb étaient bien vagues encore ; ils pouvaient être sujets à discussion. L'un de ses successeurs, l'honorable comte de Theux, ministre de l'intérieur à cette époque, s'est chargé de dissiper nos doutes. Il s'agissait, en 1846, de régler l'exécution de la loi sur l'enseignement primaire, et ce fut le clergé catholique, le clergé qui n'est rien dans l'Etat, qui fut appelé à rédiger le chapitre de l'arrêté royal relatif à l'enseignement religieux. Et ne croyez pas que j'exagère, c'est l'honorable ministre de l'intérieur d'alors, M. de Theux, qui le confesse très nettement dans sa circulaire.
« Le chapitre de l'enseignement de la religion et de la morale a été rédigé par MM. les évêques. Il est inutile de vous faire observer que les prescriptions de ce chapitre sont obligatoires au même titre que les autres dispositions du règlement. » (Circulaire du 15 octobre 1846.)
Ainsi le clergé entre bannière déployée dans l'enseignement primaire, il s'y installe en maître, à la demande même du gouvernement. Vous voyez que nous sommes bien loin déjà des dispositions contenues dans la loi de 1842 ; le pouvoir civil abdique une part de son autorité, il abandonne au clergé tout ce qui concerne l'enseignement religieux et il lui dit : C'est vous qui allez régler cela.
Cependant il y avait dans la loi de 1842 une disposition qui aurait dû, ce me semble, empêcher l'honorable ministre d'alors de prendre une pareille mesure.
Il y a dans la loi de 1842 un article 15 qui porte :
« Un règlement arrêté par le conseil communal, sur la proposition de l'inspecteur provincial, l'inspecteur cantonal entendu, et approuvé par la députation du conseil provincial, sauf recours au Roi, déterminera, dans chaque commune, la rétribution des élèves, le mode de recouvrement, les jours et les heures du travail, les avances, la mode de punition et de récompense. »
Il résulte, à l'évidence, de cet article, que c'était à l'administration communale à déterminer les jours et les heures de travail pour l'enseignement religieux comme pour les autres branches du programme ; l'enseignement religieux fait partie du programme de l'enseignement au même titre que la lecture, le calcul, etc. ; la loi de 1842 ne fait aucune distinction. C'était donc à l'administration communale qu'il appartenait de régler la part qu'il convenait de faire à cet enseignement. Au lieu de cela, avant d'organiser quoi que ce soit dans l'école, on dit à MM. les évêques : C'est vous qui allez déterminer le temps consacré à l'enseignement religieux ; rédigez vous-mêmes l'arrêté royal qui concerne cet enseignement. Or, messieurs, voici comment est rédigé ce chapitre :
« Art. 14. Les leçons de religion et de morale, dans les écoles dont la majorité des élèves professe la religion catholique, se donnent le matin, pendant la première demi-heure, et, l'après-midi pendant la dernière demi-heure de la classe. »
Vous le voyez, l'enseignement religieux, d'accessoire, devient enseignement principal.
Le programme ordinaire des études se compose de douze branches ; le temps consacré aux études par jour est de cinq heures, et sur ces cinq heures on prend une heure pour l'enseignement religieux, c'est-à-dire qu'on donne à l'enseignement religieux deux fois, presque trois fois autant de temps qu'à toutes les autres branches.
Cet article prive, en outre, les élèves dissidents d'un cinquième du temps consacré aux études et par conséquent il révèle une tendance à les écarter de l'école.
L'article 15 ajoute : « La classe commence et finit par une prière faite en commun. » C'est encore une occasion d'écarter quatre fois par jour les enfants dissidents de l'école.
« Art. 16. L'éducation morale et religieuse sera entièrement prise à cœur. L'instituteur en fera l'objet de ses soins assidus. Il saisira avec zèle les occasions qui se présenteront sans cesse, pour développer les principes de religion et de morale. »
Cet article veut donc, messieurs, que l'instituteur fasse de l'instruction religieuse l'objet de ses soins assidus, qu'il saisisse toutes les occasions qui se présentent sans cesse dans toutes les parties de son enseignement, pour développer ces principes ; c'est-à-dire que tout l'enseignement doit nécessairement avoir un caractère religieux.
Ainsi, une heure ne suffit plus ; il faut que tout l'enseignement serve à développer les principes religieux, et l'article 17 ajoute : « Pour ces trois articles, l'instituteur catholique suivra la direction émanant des évêques en vertu de l'article 6 de la loi », c'est-à-dire l'absorption complète de l'enseignement primaire par l’enseignement religieux sous la direction des évêques.
L'article 18 ajoute :
« Art. 18. Les instituteurs se conformeront, pour la méthode à employer dans l'enseignement de la religion et de la morale, aux instructions adressées par les évêques de Belgique à MM. les curés, et dont une copie est ci-annexée. »
On croira peut-être que dans cette circulaire et dans ces instructions il s'agit de la méthode, de la direction à donner à l'enseignement religieux. Ce serait une erreur profonde. Quand on est appelé à rédiger un arrêté royal, on a bien le droit de faire une circulaire, et vous allez voir ce que contient cette circulaire que le ministre de l'intérieur, M. de Theux, a examinée avec beaucoup d'attention, qu'il « approuve tant sous le rapport du fond que de celui de la forme et que les instituteurs doivent considérer comme un annexe au règlement général des écoles primaires. »
Permettez-moi de m'arrêter un instant sur ce point. Voyez ici la cascade d'empiétements.
La loi de 1842 introduit l'enseignement religieux dans l'école. Elle confie au clergé la direction et l'inspection de cet enseignement. Le ministre appelle le clergé à rédiger un arrêté royal. Le clergé ne se contente pas de cette faveur ;.il y ajoute une circulaire qu'il impose au ministre et le ministre à son tour impose cette circulaire au pays. D'où la conclusion, que l'enseignement primaire tout entier est mis, par ce seul fait, sous la dépendance du clergé catholique.
(page 923) En effet, messieurs, voyons ces instructions des évêques. L'article 5 porte :
« Il y aura, pour chaque division, une heure de leçon de religion par jour. »
C'est la reproduction de l'article14 de l'arrêté royal. Cet enseignement est donc d'une heure eu dehors de celui qui se donne à l'église. C'est, comme je vous l'ai démontré tantôt, exorbitant, mais ce n'est pas encore assez. Car immédiatement on ajoute :
« Il importe que l'instituteur profite, en outre, des leçons ordinaires des lectures, pour préparer les enfants à l'intelligence du catéchisme et de l'histoire sainte. »
Ainsi, voilà la leçon de lecture transformée en enseignement religieux, car, qu'est-ce que préparer les enfants à l'intelligence du texte du catéchisme, si ce n'est leur apprendre le catéchisme ?
« Dans les entretiens, ajoute l'article 10, l'instituteur doit insister sur les pratiques usuelles de la vie chrétienne : sur la fréquentation des offices de l'église, sur les sacrements et le saint sacrifice de la messe, sur les prières, sur les devoirs des enfants.....envers les autorités ecclésiastiques et civiles, etc. »
Je passe sous silence la modestie avec laquelle on place le respect des autorités ecclésiastiques avant le respect des autorités civiles, mais je me demande toujours ce que deviennent les enfants dissidents dans de pareilles écoles. Ces enfants doivent disparaître quatre fois par jour pour la prière ; ils doivent venir une demi-heure plus tard et s'en aller une heure plus tôt pour ne pas assister à l'enseignement religieux. Ils ne peuvent assister aux leçons de lecture, puisque dans ces leçons on doit préparer les enfants à l'intelligence du texte du catéchisme. Ils ne peuvent assister aux entretiens des instituteurs avec les élèves, sous peine de s'entendre engager à participer à des sacrements qu'ils n'admettent pas, et ils sont obligés d'avoir constamment sous les yeux les emblèmes d'un culte qui n'est pas le leur. D'où la conclusion que les enfants dissidents sont complètement exclus de l'école.
N'est-ce pas là une violation flagrante de la loi, dans un pays où la liberté de conscience est un dogme politique ?
Vous devinez les conséquences de cet état de choses. Il en résulte, comme je viens de le dire, que les enfants dissidents sont complètement exclus des écoles, qu'ils ne peuvent profiter de cet admirable enseignement primaire si bien organisé dans la plupart de nos communes, que les consistoires, dont les ressources sont extrêmement restreintes, ont été obligés d'établir des écoles évangéliques, protestantes et israélites. Il en résulte enfin que notre pays de liberté offre ce triste spectacle de voir des enfants auxquels on ne devrait parler que d'un Dieu de bonté, dont la protection s'étend sur toutes ses créatures et auxquels on devrait enseigner de bonne heure ces principes de tolérance et de fraternité, qui sont la gloire de notre époque, de voir, dis-je, ces enfants parqués dans des écoles catholiques, protestantes ou israélites.
Eh bien, messieurs, je dis que c'est là un état de choses qui doit avoir un terme et j'ajoute qu'il est du devoir du gouvernement de le faire cesser immédiatement.
Mais ce n'est pas tout. Après l'enfant, vient l'instituteur qui, à son tour, tombe complètement sous la férule ecclésiastique.
La loi de 1842 obligeait l'instituteur à donner l’enseignement religieux au même titre que la grammaire, la géographie ; rien de plus. Malgré les défectuosités de cette loi, l'instituteur restait au moins un homme libre. La liberté de conscience n'était pas pour lui un vain mot.
Vous allez voir que MM. les évêques ont mis ordre à tout cela et qu'ils ont fait de tous les instituteurs primaires de véritables sacristains.
Je lis, toujours dans la même instruction :
« Art. 15. Dans les paroisses, où l'usage en est établi, et dans celles où il peut être commodément introduit, l'instituteur conduira ses élèves à la sainte messe, et les y surveillera.
« L'instituteur engagera fréquemment les enfants à assister le plus souvent possible au saint sacrifice.
« Il aura soin de leur inspirer le respect du lieu saint, tant par son exemple que par ses exhortations. »
Je sais bien que, lors de la discussion qui a eu lieu dans cette enceinte à propos de l'instituteur Lagache, M. le ministre de l'intérieur a déclaré que cette partie de l’instruction a été rapportée, que cela se trouve indiqué dans les rapports triennaux. Je n'ai jamais trouvé cette indication dans les rapports triennaux. Mais ce que je puis affirmer, c'est qu'aucun instituteur communal n'en a eu connaissance.
Ce que je fais, c'est que l'instituteur Lagache a été blâmé de la manière la plus vive, et qu'on ne s’est pas borné à le blâmer, mais que tous les instituteurs communaux ont eu connaissance des mesures prises contre lui.
Dans tous les cas, en supposant la disposition de l'article 15 rapportée, comme l'a dit le ministre de l'intérieur d'alors, on voit ce qui en résulte pour l'instituteur primaire, lorsqu'il n'obéit pas à l'autorité ecclésiastique. Vous savez ce qui est arrivé à l'instituteur Lagache, pour s'être soustrait, avec l'autorisation ou plutôt d'après les ordres de son bourgmestre, à cette disposition de l'article 15.
Je continue la circulaire :
« Art. 17. L'instituteur sera sincèrement pieux. Il se fera une heureuse habitude des pratiques et des devoirs que la religion prescrit.
« Art. 18. Persuadé que la doctrine chrétienne est la plus utile et la plus nécessaire de toutes les sciences, il aura un grand zèle pour l'enseigner aux enfants.
« Il s'appliquera à connaître d'une manière précise les vérités renfermées dans le catéchisme diocésain.... Il ne parlera jamais qu'avec vénération de tout ce qui touche à la religion.
« Il saisira les occasions qui se présentent si souvent fans les autres parties de l'enseignement de faire intervenir quelque vérité de la religion...
« Art. 21. Il aura soin de donner à son école une physionomie religieuse... Il placera à l'endroit le plus apparent de l'école et en face des enfants un crucifix et une image de la sainte Vierge.
« Art. 23. Il emploiera de préférence des livres où l'on fait intervenir les vérités de la religion. »
Je vous le demande, messieurs, que devient la liberté de conscience de l'instituteur en présence de pareilles dispositions ? C'est pour moi la proscription, dans l'enseignement primaire, de tous les instituteurs qui ne sont pas catholiques.
Aussi, il faut voir comme ils le sentent ; il faut assister quelquefois aux examens pour constater le développement immense, inouï, exagéré, donné dans les écoles normales de l'Etat à l'enseignement religieux ; il faut voir la mine piteuse que fait un pauvre aspirant instituteur n'appartenant pas au culte catholique, qui doit se présenter devant le jury d'examen ; il faut voir comme il a étudié le grand et le petit catéchisme, l'histoire sainte, l'histoire ecclésiastique ! l'histoire ecclésiastique ! car l'histoire ecclésiastique est même exigée !
Et tel instituteur qui ne sait que fort peu l'histoire de la Belgique, qui connaît à peine Charles le Téméraire, connaît au bout des doigts l'histoire de Salomon et de tous ses successeurs, avec leurs venus et leurs vices, leur degré de piété ou d'impiété.
Pour mon compte, je ne saurais assez protester contre un pareil état de choses. Je vois là une proscription indirecte, et contraire à la loi sur l'enseignement primaire, de tous les instituteurs qui n'appartiennent pas au culte de la majorité. J'ajoute qu'il est du devoir du gouvernement tout entier de ne pas tolérer plus longtemps un pareil état de choses.
Messieurs, je ne parlerai pas de l'extension donnée à la loi de 1842 par le règlement adopté relativement aux écoles d'adultes ; M. le ministre de l'intérieur nous a déclaré qu'il comptait modifier ce régime. Je n'ai donc plus qu'à me résumer et à conclure.
Quelle doit être cette conclusion, en présence de ce que je viens de dire ? Je ne proposerai pas la révision de la loi de 1842 ; mais je déclare que j'accepterai comme un progrès réel, comme un grand bienfait de la part du gouvernement, l'exécution de la loi de 1842, telle qu'elle est, sans extension et sans exagération.
Je demande donc au gouvernement de rapporter le chapitre II de l'arrêté royal du 15 octobre 1846. Il n'y a pas plus de motif pour régler l'enseignement religieux par arrêté royal, qu'il y en a pour régler de cette manière les autres parties dû l'enseignement. Je demande aussi le retrait de la circulaire ministérielle qui donne un caractère officiel aux instructions des évoques.
J'attends de M. le ministre de l'intérieur une déclaration rassurante sur les demandes que je viens de lui soumettre.
(page 925) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, en prenant la parole, je n'ai pas l'intention de répondre au discours que vient de prononcer l'honorable M. Funck. Ce soin incombe moins au ministre passé qu'au ministre présent, qui a déjà fait connaître son opinion sur le maintien de la loi de 1842. Mon honorable successeur et ami remplira d'ailleurs cette tâche mieux que je ne saurais le faire.
Mais, lors des explications données au mois de janvier dernier, sur les causes de la crise ministérielle, il a été entendu que la mesure qui avait motivé ma retraite pourrait être examinée à l'époque de la discussion du budget de l'intérieur ; c'est surtout pour donner quelques explications sur l'arrêté du 1er septembre 1866 que j'ai demandé la parole au début de cette discussion.
Je regrette vivement de n'être pas d'accord sur cette question avec d'honorables collègues et amis, dont j'ai, dans cette enceinte et ailleurs, secondé depuis 25 ans les efforts, pour faire triompher les principes d'un libéralisme sage et progressif, mais de tels dissentiments, sur des questions spéciales, ne sont pas rares au sein des grands partis politiques et surtout au sein du parti libéral.
Une grande opinion ne se met souvent d'accord sur certaines questions qu'après un long examen contradictoire. J'ai donc pensé, messieurs, que, malgré ce dissentiment partiel, j'avais le droit et même le devoir de défendre mon opinion ; c'est ce que je me propose de faire aujourd'hui.
Toutefois, avant d'expliquer à la Chambre les motifs qui m'ont déterminé à adopter les dispositions critiquées de l'arrêté du 1rr septembre 1866, je désire lui rappeler les grands efforts faits durant ces dernières années pour propager rapidement l'enseignement primaire ; j'aurai aussi à faire connaître à la Chambre les résultats obtenus et qui n'ont pas tout à fait répondu à ces efforts, les causes de cet état de choses, et les moyens qui semblent devoir être les plus efficaces et les plus pratiques pour les faire cesser. Ce moyen était, d'après moi, la création de bonnes écoles du soir, du midi et du dimanche.
J'espère, messieurs, que ces explications jetteront quelque jour sur une question qui n'a pas toujours été examinée, me semble-t-il, en dehors de toute préoccupation étrangère au service de l'enseignement primaire, qui peut être controversée et qui, d'après l'honorable M. Frère lui-même, n'a pas cette évidence qui doit entraîner toutes les convictions.
J'aime à croire aussi que ces explications franches et nettes témoigneront de mes bonnes et loyales intentions, qui ont été parfois méconnues hors de cette enceinte et ont été l'objet de critiques vives et imméritées.
Toutefois, malgré la vivacité de ces critiques, on a bien voulu reconnaître que, durant mon long séjour au ministère, j'ai fait quelque chose dans l'intérêt de l'enseignement populaire ; et il n'en pouvait être autrement de ma part, car depuis le jour où. je suis entré dans la vie publique, il y a de cela près de 25 ans, j'ai toujours considéré la question de l'enseignement populaire comme la plus importante des questions à résoudre sans retard.
Nommé, au début de ma carrière, membre de l'administration d'une ville de moyenne importance, j'ai, d'accord avec mes collègues, constamment cherché à donner aux enfants du peuple une bonne et sérieuse instruction : à cette fin de nombreuses et utiles mesures ont été prises dès 1844 par cette administration, une surveillance paternelle et constante était exercée sur les écoles primaires communales.
Ces efforts ont été couronnés de succès, car, dans la localité dont je parle, le nombre des miliciens illettrés nés dans la commune et y ayant passé leurs jeunes années, a été depuis 12 à 15 ans, et est encore, je pense, en dessous de 2 p. c. en moyenne par an.
Placé, en 1861, sur un terrain plus étendu, mais, mû toujours par le vif désir de propager l'instruction primaire, j'ai pensé que je pouvais utiliser l'expérience acquise et j'ai cherché à introduire dans la réglementation générale des écoles élémentaires, des mesures qui avaient si bien réussi sur un terrain plus étroit.
Mon honorable prédécesseur et ami, M. Rogier, avait beaucoup fait pour l'enseignement primaire et notamment pour l'organisation des écoles normales d'institutrices ; je m'efforçai de marcher sur ses traces.
Je ne vous rappellerai pas les nombreuses mesures pratiques qui ont été prises depuis dix ans, pour assurer la bonne organisation et la bonne direction des écoles primaires, pour améliorer le sort et relever la position des instituteurs.
Mais laissez-moi vous rappeler quelques chiffres qui prouveront que, dans ces derniers temps surtout, on n'a reculé en Belgique devant aucun sacrifice d'argent pour développer l'enseignement populaire. Les chiffres que je vais citer feront honneur autant à la législature qui a voté ces crédits sans hésitation, qu'au gouvernement qui les a demandés avec confiance.
Les crédits portés au budget de l'intérieur, au chapitre Enseignement primaire, s'élevaient en 1843 à 465,000 fr., en 1850 à 1,206,000 fr., en 860 à 2,,290,000 fr et en 1868 (budget) à 3,945,000.
Ainsi, en comparant le chiffre de 186S à celui de 1843, on trouve une différence de 3,480,000 fr. ; en le comparant au chiffre de 1860 la différence est de 1,655,000 fr., donc le trésor public a été largement mis à contribution dans l'intérêt de l'instruction des masses.
Mais cette somme de près de 4 millions à prélever, en 1868, sur le trésor de l'Etat ne forme pas toute la dotation, si je puis parler ainsi, de l'instruction primaire. Les provinces et les communes surtout, ont encore, aux termes de la loi, à intervenir dans les dépenses de ce service, et les administrations provinciales, mais principalement les administrations communales, j'aime à le proclamer ici, ont en général vaillamment répondu à l'appel du gouvernement et grandement fait leur devoir.
Les sommes dépensées annuellement pour le service de l'enseignement primaire par l’Etat, les provinces, les communes, les particuliers, etc., étaient (chiffres ronds) en 1843 de 2,600,000 fr. ; elles se sont élevées en 1855 à 4,745,000 fr. ; en 1860, à 6,783,000 fr. ; en 1865, à 9,400,000 fr. et en 1867, à plus de 11,000,000 de fr., c'est-à-dire, pour cette dernière année, à fr. 2-20 environ par habitant.
Ainsi en 7 ans, la dotation du service de l'enseignement primaire a été augmentée de 4,300,000 fr., c'est-à-dire que la dotation de 1860 a été successivement augmentée jusqu'à concurrence de 63.2 p. c, et en 1868, le chiffre sera plus élevé encore.
La majeure partie des sommes indiquées ci-dessous est destinée à faire face aux besoins du service ordinaire annuel, c'est-à-dire à combler l'insuffisance des ressources locales pour payer, notamment, le traitement des instituteurs et les rétributions dues pour l'enseignement des enfants pauvres.
Les dépenses pour assurer ce service ordinaire se sont accrues dans de fortes proportions d'année en année. Il a été dépensé de ce chef en 1855 3,227,000 fr., en 1861 4,656,000 fr., en 1862 4,777,000 fr., en 1863, en 1863 5,202,000 fr., en 1864 5,822,000, en 1865 6,348,000 fr., en 1865 6,348,000 fr., en 1866 environ 6,684,000 fr. et en 1867 environ 7,098,000 fr.
Ainsi de 1855 à 1867, en 13 années, les crédits pour le service ordinaire de l'instruction primaire ont été plus que doublés.
Les crédits de 1861 à 1867 se sont élevés en totalité à 40,590,000 fr. ! Ces augmentations successives de crédits ont permis d'améliorer notablement la position du personnel enseignant.
Mais la sollicitude généreuse de la législature et du gouvernement ne s'est pas étendue seulement sur le personnel. Il avait été constaté que beaucoup de communes manquaient de bâtiments d'école et que dans un grand nombre de localités, ces bâtiments, ainsi que leur mobilier, étaient dans un état pitoyable. Cette situation s'expliquait facilement.
Depuis 1830 jusqu'en 1843, époque de la mise à exécution de la loi de 1842, en treize années, il avait été dépensé en tout pour cet objet 2,459,000 fr., soit en moyenne 189,000 fr. par an.
De 1843 à 1851, l'obligation imposée aux communes, par l'article premier de la loi, de posséder au moins un local d'école convenable,, semble avoir été perdue de vue, dans un grand nombre de localités, car durant ces neuf années, il ne fut dépensé par l'Etat, les provinces et les communes pour construction de bâtiments d'école, etc., que 4,754,000 fr., soit en moyenne par an 528,000 fr.
Aussi, en 1851, fut-il constaté que pour compléter le matériel des écoles, il faudrait :
1° Construire ou acquérir et meubler, en tout ou en partie, 1,063 bâtiments d'école et 594 logements d'instituteurs, soit 1,657 locaux.
(page 926) 2° Réparer ou agrandir 486 locaux.
Cette fâcheuse révélation motiva la demande de quelques crédits extraordinaires. De 1852 à 1860, une somme de 8,289,000 fr., en moyenne 921,000 fr. par an, fut dépensée pour améliorer le matériel des écoles.
Dans cette somme l'Etat intervint pour 2,316,00 fr., les provinces pour 1,504,000 fr. et les communes pour 4,286,000 fr.
Des ressources aussi restreintes étaient évidemment insuffisantes pour faire cesser un état de choses déplorable et qui entravait l'exécution de la loi ; un nombre considérable d'enfants, et surtout d'enfants pauvres, étaient alors, faute de locaux suffisants, privés de l'instruction à laquelle ils avaient légalement droit cependant.
A dater de 1861, le gouvernement, toujours secondé et encouragé même, par le parlement, se mit courageusement à l'œuvre.
De 1861 à 1867, il fut dépensé, pour compléter et améliorer les bâtiments et le matériel des écoles, par l'Etat 8,100,000 fr., par les provinces 4,700,000 fr. et par les communes 11,500,000 fr. En tout 21,300,000 fr.
Ainsi, tandis qu'en 30 ans (1831-1860), il avait été alloué pour le matériel des écoles, des crédits s'élevant à 15,500,000 (en moyenne 516,000 fr. par an), durant les 7 dernières années, 1861-1867, il a été consacré à cet important service, 24,300,000 fr. (en moyenne 3,500,000 par an) donc en sept ans, 8,800,000 fr. déplus que durant les 30 années antérieures.
Messieurs, les. chiffres que je viens de rappeler ne sont pas sans quelque intérêt, je pense, pour la Chambre, qui s'est toujours montrée fort soucieuse pour tout ce qui concerne l'instruction des masses ; ils permettent de plus de constater que, dans ces dernières années surtout, des sommes considérables ont été dépensées par l'Etat, les provinces et les communes, pour activer le développement de l'enseignement primaire. Toujours, M. le ministre des finances, si économe des deniers de l'Etat, a trouvé, même dans les moments difficiles, de l'argent pour améliorer cet important service et toujours les Chambres ont voté les crédits demandés, je ne dirai pas seulement avec empressement, mais avec enthousiasme.
Cependant, messieurs, je le constate à regret, ces efforts si généreux et si unanimes n'ont pas amené tous les résultats que l'on pouvait espérer.
Les victoires remportées en Belgique sur l'ignorance n'ont été que partielles ; il y a eu progrès, mais le progrès est lent, beaucoup trop lent !
En 1866, 273 miliciens sur 1,000 étaient encore complètement illettrés. C'est là la moyenne pour le pays entier, mais il est des provinces où le nombre de ces miliciens ignorants est plus élevé encore ; dans une province, il est de 345 et même de 391 sur 1,000 dans une autre ; je ne nommerai pas ces provinces.
MiPµ. - Nommez-les.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est dans le Hainaut que le nombre des miliciens illettrés est le plus élevé, il est de 391 sur 1,000 et de 343 dans la Flandre orientale. Cela s'explique, du reste, par les grandes industries qui, dans ces parties du pays, détournent les enfant des écoles.
Mais si dans ces provinces le nombre des illettrés dépasse la moyenne, par contre, il est, heureusement, des provinces où l'instruction est plus généralement répandue ; en 1866, sur 1,000 miliciens, 146 dans la province de Namur, et 54 seulement dans la province de Luxembourg, qui mérite le premier prix, étaient complètement illettrés.
J'ai dit, messieurs, qu'il y a progrès, mais que le progrès est lent, et, en effet, le chiffre des miliciens illettrés était, en moyenne, pour tout le royaume : en 1845 de 391, en 1849 de 371, en 1854 de 361, en 1860 de 329, en 1863 de 302 et en 1866 de 273.
De 1845 à 1860, en 15 ans, on avait gagné seulement 62 sur 1,000 (4,1 par an) et de 1860 à 1866, 7 ans, 56 (8 par an) ; le progrès a donc été plus rapide durant cette dernière période, mais depuis 1845, en 22 ans, on n'a gagné que 118 sur 1,000, soit en moyenne 5,4 par an.,
C'est évidemment trop peu, et les résultats ne sont pas en rapport avec les efforts et les sacrifices faits par le gouvernement, les provinces et les communes.
Il était du devoir du gouvernement de rechercher les causes de cet état de choses et les moyens de le faire cesser, dans le plus bref délai possible.
De l'avis de tous les hommes qui s'occupent de l'enseignement primaire, la situation signalée peut et doit être attribuée à deux causes : 1° à la fréquentation peu régulière des écoles primaires, 2° à l'habitude regrettable qu'ont les parents, surtout dans les centres industriels et dans les campagnes, de retirer leurs enfants pour les faire travailler dans les fabriques ou dans les champs, non seulement avant l'âge de 14 ans, mais souvent à 12, à 11 et même à 10 ans.
Il est constaté par la statistique qu'en moyenne les élèves ne fréquentent chaque année l'école primaire que pendant 182 jours, c'est-à-dire à peu près pendant 6 mois.
La statistique établit d'un autre côté, que les deux tiers environ des élèves quittent l'école avant d'avoir fait un cours complet, c'est-à-dire avant de posséder les connaissances du programme, si modeste pourtant, de l'article 6 de la loi de 1842.
En effet, le nombre des élèves qui ont quitté définitivement les écoles soumises à l'inspection a été, en 1859-1860, de 65 506. 21,566 seulement avaient fait leur cours complet et 43,942 ont quitté l'école avant d'avoir terminé leurs études.
En 1862-1863 on avait peu gagné sous ce rapport, car sur 68,153 élèves qui ont quitté les écoles, 45,227 n'avaient point suivi un cours complet, 22,926 seulement (33 p. c.) avaient terminé leurs études primaires.
Ce mal est presque général, mais il existe surtout dans les centres industriels.
Je lisais, il y a peu de temps, dans un travail plein d'intérêt, communiqué, je pense, à un journal par un homme qui s'occupe tout spécialement de l'enseignement primaire dans une de nos plus grandes villes : « Les enfants quittent l'école trop jeunes, à un âge où leur instruction est à peine commencée et où leur éducation est encore à faire. D'après la loi, les enfants devraient rester à l'école jusqu'à 14 ans ; eh bien, de tous ceux qui ont quitté (les écoles de cette grande ville) pendant le deuxième semestre (1867) un seul garçon avait 14 ans ; 3 filles 14 ans, une 15 ; la plupart quittent l'école à l'âge de 10 ou 11 ans ; il y en a qui vont à la fabrique à 7 ou 8 ans. »
Dans de pareilles conditions, est-il possible d'espérer que les efforts et les sacrifices faits par l'Etat, les provinces et les communes produisent des résultats satisfaisants ?
L'enfant arrive à l'école à l'âge de 7 à 8 ans, il faut d'abord l'habituer au régime scolaire ; durant les premières années, son intelligence étant peu développée, on ne peut lui apprendre que bien peu de chose, puis vient bientôt l'époque de la première communion, l'élève pendant quelque temps ne peut suivre régulièrement les cours de l'école primaire, et la première communion faite, de 11 à 12 ans, il quitte l'école après en avoir suivi les cours durant 6 mois en moyenne, par an, pendant 3 ou 4 années, et va travailler dans les ateliers, dans les fabriques ou dans les champs.
Quels résultats peut produire un tel enseignement ? Quelles connaissances l'enfant peut-il avoir ? Et si, grâce à son intelligence précoce, il a appris quelque chose, peut-il ne pas avoir tout oublié à l'âge de majorité, alors que, depuis 10 ans, il a manié la bêche, le marteau ou la navette et qu'il n'a peut-être, probablement même, plus ouvert un seul livre ? Le mal étant reconnu et bien diagnostiqué, le gouvernement et tous ceux qui portent intérêt aux classes laborieuses, ne devaient-ils pas chercher un remède prompt et efficace ?
Pour attirer les enfants à l'école et les déterminer à en suivre les cours avec assiduité, on ne peut user, d'après nos lois, de moyens coercitifs ; la persuasion, des encouragements peuvent produire d'utiles effets ; les administrations communales et le clergé peuvent, dans les localités peu populeuses surtout, exercer une efficace influence sur les parents, et les bureaux de bienfaisance ont le droit d'exercer une pression raisonnée sur les familles pauvres, en les menaçant de les priver ou même en les privant momentanément d'une partie des secours publics, s'ils refusent d'envoyer régulièrement leurs enfants à l'école.
Mais ces moyens qui ont été employés non sans quelque fruit dans quelques localités, et qui devraient l'être partout, n'ont pas, comme je l'ai démontré, produit des effets sérieux et décisifs.
En janvier 1833 a été pris par le gouvernement un arrêté qui, tout (page 927) en augmentant les revenus des instituteurs, divise ces revenus en deux parts ; l'une fixe, l'autre variable (casuel), suivant le nombre des élèves qui ont réellement fréquenté l'école ; l'instituteur est ainsi intéressé à avoir constamment le plus grand nombre d'élèves possible. Il est permis de croire que cette mesure réduira la plaie de l'absentéisme, mais la fera-t-elle disparaître ? Je n'ose l'espérer. Du reste, l'effet de l'arrêté du 20 janvier 1863 pourra être constaté dans le rapport triennal pour les années 1804 à 1866, que l'on élabore en ce moment.
Quant à la désertion des enfants des écoles primaires avant l'âge de 14 ans, les moyens de persuasion dont je viens de parler peuvent aussi être utilement employés sans doute ; on peut encore, et c'était mon intention, organiser, par mesure générale, les salles d'asile pour les enfants de 5 à 7 ans.
Dans ces établissements, on prépare les enfants, dès leur jeune âge, au régime des écoles, on leur donne des habitudes d'ordre, on leur enseigne les tout premiers éléments du programme de l'article 6 de la loi de 1842, et l'on a remarqué que les meilleurs élèves des écoles primaires, dans les classes inférieures surtout, sortent des salles d'asile bien organisées.
En 1863, il existait 552 salles d'asile, dont 84 dirigées par les communes, 179 privées, mais soumises à l'inspection, et 289 entièrement libres. 48,900 enfants fréquentaient ces établissements.
Plusieurs de ces institutions sont établies dans les meilleures conditions et rendent des services réels aux familles pauvres surtout et à l'enseignement primaire, mais il en est d'autres et en grand nombre, même subsidiées, qui se trouvent dans des conditions toutes différentes.
Mon intention, je l'ai déjà dit, était de chercher à donner à toutes ces institutions, quand elles seraient subventionnées, une organisation sérieuse et utile.
Les circonstances ne m'ont pas permis de remplir cette tâche et je recommande cette œuvre à la sollicitude éclairée de mon honorable successeur.
Toutefois, messieurs, si la réorganisation des salles d'asile peut contribuer à faciliter un peu l'instruction des enfants qui quittent l'école primaire avant l'âge fixé, cette mesure ne pourra faire cesser le mal que j'ai signalé et qui est l'obstacle le plus réel au progrès de l'instruction dans le pays.
Pour guérir ce mal si grave, il fallait d'autres remèdes et des remèdes énergiques.
Divers remèdes étaient proposés par les docteurs en pédagogie et par les hommes d'écoles. Comme vient de le proposer M. Funck, décrétez l'enseignement primaire obligatoire jusqu'à l'âge de 14 ans, disait-on ; réglez par la loi le travail des enfants dans les manufactures ; enfin organisez des écoles du soir et du dimanche pour les adultes, ainsi que pour les enfants et les jeunes ouvriers qui travaillent dans les fabriques. Voilà des remèdes efficaces.
Ce n'est pas, je pense, le moment de discuter la question de l'enseignement obligatoire. Une loi proposée dans ce but aurait peu de chances de réunir une majorité dans les Chambres ; elle serait d'ailleurs antipathique à nos populations, contraire à nos mœurs et à l'esprit général de notre législation.
Quant à la réglementation, à l'interdiction même du travail des enfants trop jeunes dans les manufactures, c'est là encore une mesure qui serait peu en harmonie et avec les usages, les mœurs de nos populations et avec les principes qui servent de base aux lois belges.
Je sais qu'une telle législation existe dans divers pays voisins, mais je sais aussi que les lois sur cette matière, bien que plusieurs fois remaniées, n'y ont pas produit tous les résultats qu'on en attendait. D'ailleurs quel effet pareille législation peut-elle avoir dans les campagnes ? Là, les enfants s'absentent de l'école pendant l'été, ou bien en sont retirés fort jeunes, pour être livrés aux travaux de la campagne et non à ceux de l'industrie.
Quoi qu'il en soit, sans me prononcer définitivement sur cette question si grave, j'ai pensé, messieurs, qu'il serait préférable d'établir de bonnes écoles du soir et du dimanche dans presque toutes les communes du pays, et qu'on remédierait ainsi en grande partie aux inconvénients qui résultent de l'absentéisme et du départ, avant l'âge fixé par la loi, des enfants de l'école primaire proprement dite.
Ou me dira peut-être que la création d'écoles du soir sera une mesure inefficace, et, en tous cas, insuffisante ; qu'il existe de nombreux établissements de cette espèce ; qu'ils ont, en général, peu contribué au progrès de l'instruction primaire.
En effet, messieurs, il existait en Belgique, à la fin de l'année 1863, 1,194 écoles dites d'adultes et ces écoles comptaient 188,890 élèves (81,517 garçons et 107,373 filles) ; mais il est à remarquer que de ces 1,194 établissements, 934 étaient des écoles dominicales, 210 seulement étaient des écoles du soir et 30 des écoles méridiennes : de ces 1,194 institutions, 235 seulement étaient dirigées par les communes ; 177 étaient des écoles privées, soumises à l'inspection légale et 784 étaient des écoles entièrement libres.
Les premières étaient fréquentées par 15,676 élèves (en moyenne, par école, 74 élèves).
Les secondes, par 32,138 élèves (en moyenne, 181),
Les troisièmes, par 141,076 élèves (en moyenne, 180 élèves environ.)
Ainsi les quatre cinquièmes des écoles dites d'adultes étaient des écoles dominicales. Or, messieurs, il a été constaté que presque toutes ces écoles sont ouvertes dans un but de moralisation et que l'enseignement proprement dit y est à peu près nul. De plus, deux tiers environ des écoles existantes en 1863 n'étaient pas soumis à l'inspection. Enfin dans un grand nombre de ces institutions, les programmes sont incomplets, les méthodes sont vicieuses et l'enseignement laisse beaucoup à désirer. De telles institutions ne pouvaient exercer qu'une influence insignifiante sur les progrès de l'instruction primaire.
L'utilité, la nécessité même de réorganiser ces écoles étaient donc évidentes ; l'initiative privée était impuissante pour se charger de cet important service, une expérience de 36 ans en avait fourni la preuve irréfutable.
Tout le monde du reste, sauf le conseil provincial de la Flandre orientale, était d'accord pour reconnaître que l'intervention de l'Etat, dans une mesure plus large que par le passé, était légitime, nécessaire, indispensable.
Pour chercher à arriver au but, on pouvait suivre deux voies ; on pouvait continuer à stimuler le zèle des administrations communales, faire des recommandations pressantes, lancer de nouvelles circulaires et surtout augmenter les subsides dans de fortes proportions ; mais je ferai remarquer, en passant, qu'en ce cas, les écoles d'adultes subsidiées n'en seraient pas moins restées soumises au régime de la loi de 1842, conformément à la jurisprudence admise sans conteste depuis 1843, par le département de l'intérieur.
On pouvait, d'un autre côté, organiser les écoles d'adultes par un règlement d'administration générale, en vertu de l'article 67 de la Constitution.
Pendant 25 ans, les circulaires ministérielles avaient produit assez peu d'effet, et les efforts du gouvernement étaient restés à peu près stériles ; le nombre des bonnes écoles d'adultes était peu augmenté. Je pensai donc que le second moyen serait plus efficace, seul efficace même.
Un règlement d'administration générale permet, en effet, de tracer des règles uniformes, de déterminer d'une manière nette et précise les conditions mises par l'Etat à son intervention ; de donner enfin à ces écoles une organisation telle, qu'elle puisse combattre, partout où elles seraient établies, les obstacles au progrès de l'instruction que j'ai signalés à la Chambre. C'est ce but surtout que je cherchai à atteindre.
Les écoles organisées par l'arrêté du 1er septembre 1866 sont destinées sans doute à donner l'instruction primaire aux personnes âgées de 20 ans et plus, qui sont totalement illettrées, à compléter l'instruction des adultes majeurs dont l'éducation a été insuffisante ou qui ont oublié le peu qu'ils ont pu apprendre dans leur jeunesse ; mais dans ma pensée, ces écoles sont encore destinées à donner l'instruction, soit le soir, soit à midi, soit à certains jours, à ces nombreux enfants âgés de moins de 15 ans qui, prématurément arrachés à l'école primaire, sont, dès leur jeune âge, condamnés aux travaux forcés, dans les mines, dans les ateliers, dans les fabriques ou dans les champs.
Ces enfants pouvaient être admis dans les écoles à créer. L'article 8 de l'arrêté autorise les collèges des bourgmestre et échevins à les y admettre. On espérait concilier ainsi, dans une certaine mesure, l'intérêt matériel des familles, et l'intérêt des enfants, pour qui une bonne et saine instruction est un immense bienfait.
J'aimais à croire, messieurs, que grand nombre de ces enfants, après le rude travail de la journée ou de la semaine, iraient s'asseoir le dimanche ou le soir sur les bancs des écoles nouvelles, pour y recevoir ou y compléter l'instruction qui leur faisait défaut.
Si on n'a pas plus insisté sur ce point dans les documents à l'appui de l'arrêté du 1er septembre, si même on a fixé (article 8) en règle générale l'âge d'admission à 14 ans, c'est uniquement afin que l'admission à l'école (page 928) du jour reste la règle pour les enfants, c'est afin de prévenir la désertion des écoles primaires, meilleures, sans nul doute, pour les jeunes enfants que les écoles du soir, c'est afin d'éviter que l'école du soir n'absorbe dans certains cas l'école primaire proprement dite, c'est afin de laisser aux administrations communales le soin de décider si certains enfants ont des motifs plus ou moins fondés pour ne pas suivre les cours de l'école primaire, c'est aussi afin de laisser à ces administrations la faculté de refuser l'entrée de l'école du soir à ceux qui sans motifs auraient déserté l'école du jour.
Dans ces conditions, je le sais, le nom d'écoles d'adultes ne convient pas parfaitement aux écoles créées par l'arrêté du 1er septembre, et dont le plus grand nombre d'élèves seraient des enfants en âge d'école primaire ; mais ce nom a toujours été donné aux écoles méridiennes du soir et du dimanche, bien que, presque partout, ces établissements soient fréquentés par un grand nombre d'enfants âgés de moins de 15 ans.
Du reste, le nom ne fait rien à la chose et l'arrêté du 1er septembre ne laisse aucun doute à cet égard.
Dans mon opinion, messieurs, la grande majorité de la population des écoles du dimanche et du soir réorganisées, devait être composée de jeunes enfants âgés de moins de 15 ans ; les élèves parvenus à l'âge de 21 ans et au delà auraient été en faible minorité et les élèves en cheveux blancs très rares.
Ce qui existe aujourd'hui le prouve suffisamment.
J'ai eu l'honneur de vous le dire, messieurs, d'après des documents officiels, les 1,194 écoles dites d'adultes, qui existaient en 1863, étaient fréquentées par 188,890 élèves des deux sexes ; eh bien, plus de la moitié (98,338) de ces élèves étaient âgés de moins de 15 ans, c'est-à-dire en âge encore de pouvoir suivre les cours de l'école primaire, les autres (90,552) étaient âgés de plus de 15 ans !
J'aurais désiré connaître l'âge de ces 90,552 élèves âgés de plus de 15 ans, et admis en 1863 dans les écoles d'adultes. Je n'ai pu me procurer ce renseignement ; mais un honorable conseiller du canton de Louvain a donné au conseil provincial du Brabant, le 18 juillet dernier, quelques renseignements sur la population de l'école d'adultes établie en cette ville. Ces données sont curieuses et instructives.
A l'école de Louvain, on n'admet que des élèves ayant au moins 14 ans.
A la clôture des cours d'hiver (1866-1867, je pense,) il y avait 332 élèves.
De ces 332 élèves, 260 avaient l'âge de 14 à 20 ans, 40 celui de 21 à 30 ans, 19 celui de 41 à 50 et 5 celui de 51 à 60. Le nombre des élèves âgés de 20 ans et au-dessous était donc de 78,31 p. c. et celui des élèves majeurs de 21,68 p. c. de la population totale de l'école. Si la même proportion existe dans les autres écoles d'adultes, et il est permis de le croire, des 188,890 élèves qui en suivent les cours : 19,641 (garçons et filles) seraient âgés de 21 ans et plus, 169,249 seraient mineurs, savoir : 98,338 seraient âgés de moins de 15 ans, 70,911 seraient âgés de 15 à 20 ans. De sorte que la population actuelle des écoles d'adultes serait composée pour un peu plus d'un dixième d'élèves âgés de 21 ans et plus, et pour les 9 dixièmes d'enfants ou des jeunes gens encore mineurs.
Un document qui n'est certes pas rédigé pour les besoins de la cause, puisqu'il date du 12 novembre dernier, le rapport fait par le collège des bourgmestre et échevins, sur la situation des affaires de la commune de Molenbeek-Saint-Jean, confirme ces appréciations et va même au delà. On lit dans ce rapport, chapitre « Ecoles d'adultes » :
« Il y a lieu de nous réjouir du succès de nos écoles d'adultes, qui ne datent point de l'apparition de l'arrêté royal du 1er septembre 1866, mais qui existent, il importe de ne pas l'oublier, depuis 1857, et qui n'ont cessé de prospérer depuis leur institution.
« Pendant la dernière année scolaire, il y a eu, aux quatre écoles, 493 inscriptions, 339 garçons et 154 filles.
« C'est une augmentation considérable sur l'année précédente.
« Des 495 élèves, filles et garçons, on comptait 244 élèves de 5 à 14 ans, 135 de 14 à 16 ans, 83 de 16 à 18 ans, 16 de 18 à 20 ans et 15 au-delà de 20 ans.
« De ces 493 élèves, 217 étaient dépourvus de toute instruction.
« Ces chiffres pourraient donner à supposer que les écoles primaires sont peu suivies. Ce serait une erreur de le croire. En général, les parents apprécient les bienfaits de l'instruction et envoient leurs enfants à l'école. Ceux qui oublient ce devoir essentiel constituent de faibles exceptions. Mais dans une commune industrielle comme la nôtre, il vient s'établir d'une foule de localités du pays, un grand nombre d'ouvriers, qui avaient négligé l'éducation intellectuelle de leurs enfants.
« De là tant d'illettrés qui se rencontrent encore dans les écoles d'adultes.
« On s'étonnera aussi, sans doute, de ce que la moitié des élèves inscrits à ces écoles n'appartienne pas même à la classe des adultes. En effet, sur 493 élèves il y en a 244 âgés de 8 à 14 ans.
« Ce fait provient de diverses causes.
« La masse des élèves, tant filles que garçons, quitte l'école primaire à dix ou onze ans, pour se rendre aux ateliers ou en apprentissage. D'autres, par la coupable négligence de leurs parents, n'ont jamais fréquenté les écoles. Les premiers, qui ont pu déjà apprécier la valeur de l'instruction, viennent, le soir, après la journée de travail, compléter les connaissances acquises, ou s'y fortifier, ou en acquérir de nouvelles. Les autres viennent s'initier aux leçons, que la regrettable incurie de leurs parents ne leur avait pas permis de recevoir.
« Voilà d'où résulte qu'une nombreuse population d'enfants, très jeunes encore, se trouve sur les bancs de nos écoles d'adultes, qu'on pourrait qualifier beaucoup plus exactement d'écoles du soir, suppléant ou se substituant aux écoles du jour. »
Le progrès de l'instruction réduira nécessairement le nombre des adultes illettrés, le chiffre des élèves majeurs de ces écoles décroîtra donc d'année en année, celui des enfants et des jeunes gens y augmentera, j'aime à le croire, et bientôt, je l'espère, ces deux dernières catégories d'élèves formeront la presque totalité de la population des écoles du soir et du dimanche.
Ce fait, messieurs, est de la plus haute importance et je le signale à toute l'attention de la Chambre, il permettra de justifier mieux encore les quelques dispositions de l'arrêté du 1er septembre qui ont été critiquées.
Veuillez donc ne pas perdre de vue que les nouvelles écoles d'adultes seront avant tout utiles aux enfants qui fréquentent peu régulièrement l'école primaire et à ceux qui la quittent, avant l'âge fixé, pour aller travailler dans les fabriques ou dans les champs.
Voulant le mieux possible atteindre ce but éminemment utile, l'arrêté du 1er septembre donne aux communes des facilités pour organiser de bonnes écoles du soir communales, mais il fait aussi un appel à l'initiative privée et aux directeurs des écoles d'adultes entièrement libres. Ces écoles peuvent être adoptées (article 19), dès lors elles sont subventionnées, mais à la condition de se soumettre aux prescriptions de l'arrêté de 1866. Si, comme il est permis de le croire, une grande partie de ces écoles libres, et elles sont au nombre de 784, acceptent cette condition, les inspecteurs civils pénétreront dans ces établissements, ils y pourront donner d'utiles conseils et dans quelque temps ces écoles dont l'organisation est en général défectueuse aujourd'hui, s'amélioreront peu à peu et produiront, à côté des écoles communales, de grands et d'heureux résultats pour le progrès de l'instruction populaire.
L'organisation d'écoles d'adultes et de salles d'asile, au moins dans les grandes communes du pays, rentraient parfaitement dans les vues du ministre qui a défendu la loi de 1842, et, je dois le croire, dans les intentions de la législature qui a voté cette loi, intentions que M. J.-B. Nothomb devait parfaitement connaître.
Ce ministre s'occupe longuement, en effet, de ces écoles dans la circulaire du 9 avril 1843 sur la mise à exécution de la loi organique de l'instruction primaire et dont vient de parler l'honorable M Funck.
« L'article 25 de la loi, dit M. J.-B. Nothomb, met au nombre des devoirs de l'administration centrale l'obligation d'encourager l'établissement de salles d'asile ou écoles gardiennes, d'écoles du soir pour les adultes et d'écoles dominicales,
« Les écoles gardiennes sont en quelque sorte la base de l'éducation populaire... Les écoles d'adultes sont particulièrement destinées aux ouvriers qui désirent entretenir ou étendre l'instruction qu'ils ont acquise à l'école primaire ou qui, n'ayant pas joui de ce bienfait dans leur enfance, veulent posséder les connaissances aujourd'hui indispensables à toutes les professions.
« Elles tendent donc à améliorer la condition du peuple sous le rapport matériel.
« Ainsi, M. le gouverneur, pour que le bienfait de l'instruction soit assuré aux populations laborieuses de la Belgique, pour qu'il soit vraiment efficace, pour qu'il ait une influence morale, salutaire et durable, (page 929) il ne suffira pas d'avoir, dans chaque commune, une école telle que celle que prescrit l'article 6 de la loi.
« Dans les grandes villes surtout, dans les centres de fabrication où se trouvent réunies un grand nombre des familles vouées aux travaux de l'industrie, l'instruction primaire parvenue à son état normal devra offrir :
« A la première enfance l'école gardienne, à l'enfant en âge d'école, l'école primaire proprement dite, comme l'entend l'article 6 de la loi.
« Enfin, au jeune homme et à la jeune fille dont la journée est employée aux travaux industriels, l'école d'adultes du soir ou du dimanche.
« C'est vers une organisation comprenant ces trois degrés de l'éducation populaire que seront dirigés tous les travaux de l'administration. »
Cette organisation à trois degrés a été fort lente à se faire, la circulaire que je viens de citer porte la date du 9 avril 1843 et en 1866, malgré de louables efforts, cette organisation était encore bien incomplète.
L'arrêté du 1er septembre avait pour objet, en attendant les mesures à prendre pour les salles d'asile, de réaliser partiellement l'organisation dont parle la circulaire de 1843 et qui seule peut compléter le système des établissements d'enseignement primaire.
Toutefois les dispositions adoptées en 1866 vont plus loin qu'on ne l'indiquait en 1843. Non seulement l'arrêté du 1er septembre admet dans les écoles du soir des jeunes hommes et des jeunes filles, mais on y peut admettre encore des enfants, en âge d'école primaire, dont la journée est employée aux travaux industriels ; l'enseignement y est organisé de manière à pouvoir être mis en rapport avec l'âge des élèves et l'on a annexé à ces écoles des institutions utiles aux personnes d'un âge mûr.
Le règlement du 1er septembre ne se borne pas, en effet, à favoriser les écoles primaires du soir et du dimanche, à leur donner une organisation sérieuse, il établit encore des cours d'enseignement primaire supérieure (5) ; il crée des bibliothèques scolaires (27) ; il recommande les lectures publiques (32) ; il stimule les idées d'économie, en présentant que des livrets de la caisse d'épargne ou de retraite seront remis aux lauréats des concours (24). L'organisation des écoles érigées en exécution de l'arrêté du 1er septembre et surtout les concours permettent ce bien constater le degré d'instruction des élèves et de leur délivrer un certificat qui pourra plus tard les faire admettre à l'exercice de certains droits politiques (article 24).
Ce règlement doit, en outre, avoir pour conséquence d'améliorer la position des instituteurs et de permettre, sinon de supprimer, du moins de réduire les cumuls de ces fonctions avec d'autres emplois.
Quand le règlement du 1er septembre 1866 parut, il fut parfaitement accueilli par l'opinion libérale, la presse de notre parti fut unanime pour l'approuver sans restriction ; à l'étranger même, on s'occupa de cet arrêté et le bulletin de l'instruction publique en France le publia en entier avec les documents à l'appui.
Certains publicistes, ne pouvant le critiquer, trouvèrent l'enfant si beau, si parfait qu'ils en contestèrent la paternité au gouvernement. Le gouvernement, c'est entendu, ne peut rien produire de bon ni de sain ; ils ne pouvait donc être le père d'un si bel enfant et plus d'un prétendait en être le père, tous en voulurent être les parrains.
Bref, c'était un véritable concert d'éloges, un vrai bouquet de fleurs, trop de fleurs, en vérité.
J'avoue, messieurs, que je ne me préoccupai pas trop de ces éloges ; je savais qu'il n'est pas de roses sans épines, pas de médaille sans revers et que les jours se suivent mais ne se ressemblent guère, pour un ministre surtout.
En effet, après le premier moment d'enthousiasme, un point noir fut signalé ; presque invisible d'abord, il grossit peu à peu, puis devint nuage et bientôt un véritable orage, presque un ouragan éclata. Alors le pauvre enfant, c'est-à-dire le règlement fut abandonné par ses prétendus pères et parrains, il ne conserva presque plus pour défenseur que son père légitime, le ministre de l'intérieur d'alors et qui aujourd'hui encore ne le renie et ne l'abandonne pas.
Rien ne justifiait ce revirement, le règlement n'avait subi aucun changement ni dans son esprit ni dans son texte, depuis le jour de sa publication et on n'avait pu constater ses vices dans la pratique, puisqu'il n'agit pas été appliqué encore !
Le rapport au Roi exposant les principes qui avaient dicté l'arrêté avait été, ainsi que l'arrêté lui-même, publié in extenso au Moniteur.
Les deux questions, objets des critiques, c'est-à-dire, l'enseignement de la religion et l’inspection ecclésiastique, étaient parfaitement indiquées et résolues dans ces documents.
L'article 6 de l'arrêté disait : « Le programme de la division élémentaire comprendra les notions dont l’enseignement est obligatoire, aux termes de l'article 6 de la loi du 23 septembre 1842, » Or, ce dernier article porte : « L'instruction primaire comprend nécessairement l’enseignement de la religion et de la morale. »
L'article 2 de l'arrêté porte : « Elles (les écoles d'adultes) seront administrées et surveillées, d'après les mêmes principes que les écoles primaires », donc soumises à la double inspection.
Le rapport au Roi disait ; « Les inspecteurs ecclésiastiques seront au besoin suppléés par le clergé des paroisses. » Donc la nécessité de cette inspection était constatée.
Enfin le même rapport portait : i »e règlement soumis à Votre Majesté tend à propager les écoles d'adultes par voie d'encouragement, en conformité de l'article 25 de la loi du 23 septembre 1842, tout en déterminant les conditions de leur existence sous le régime de cette loi. »
Ces dispositions et ces déclarations indiquaient donc clairement que les nouvelles écoles seraient soumises au régime de la loi de 1842 et notamment que l'enseignement de la religion et de la morale ferait partie du programme dans la division inférieure, et que les écoles seraient soumises à la double inspection.
Il ne pouvait y avoir aucun doute à cet égard ; les publicistes et les amis de l'instruction populaire connaissaient, sur ces divers points, les intentions du gouvernement ; quand ils lui décernaient de brillants éloges, ils avaient étudié et compris sans doute les documents dont je viens de parler, car ils sont trop consciencieux pour louer ou critiquer une mesure prise par le gouvernement avant d'en avoir sérieusement étudié la portée. En voyant les critiques les plus vives succéder aux. éloges les plus pompeux, je pouvais me demander :
Comment en un vil plomb l'or pur s'est-il changé ?
L'on a attribué à la circulaire du 20 octobre le revirement dont je viens de parler ; cette circulaire, à la vérité, définit et explique les principes qui ont dicté l'arrêté du 1er septembre 1866, mais elle n'y introduit aucun principe nouveau. Cette circulaire est claire et loyale et elle devait être telle ; le gouvernement devait en effet dire sa pensée entière à tous, afin que les fonctionnaires publics, et les hommes de bonne volonté de tous les partis, pussent, en parfaite connaissance de cause, prêter au gouvernement leur concours actif et dévoué pour l'accomplissement d'une œuvre éminemment utile, et que la coopération de tous les amis de l'instruction populaire, quelle que fût leur opinion, pouvait seule faire réussir.
Je rappellerai, du reste, que, même avant la publication de la circulaire du 20 octobre, dans une réunion tenue à Liège le 30 septembre, l'arrêté du 1er de ce mois avait été critiqué parce qu'il consacrait, d'après l'auteur de ce blâme, une nouvelle application de la loi du 23 septembre 1842. Donc la circulaire n'était pas nécessaire pour faire comprendre l'arrêté et elle ne fut pas la cause mais le prétexte du revirement signalé dans une fraction de l'opinion libérale.
Quoi qu'il en soit, et sans en rechercher la cause et les auteurs, le revirement eut lieu, l'orage dont je viens de parler exerça une certaine influence sur l'opinion publique et, au mois de juillet dernier, quatre conseils provinciaux, les conseils de nos quatre plus grandes provinces se montrèrent hostiles à l'arrêté du 1er septembre.
Deux, les conseils de Liège et du Hainaut refusèrent leur concours, dans les conditions indiquées par le gouvernement, le Brabant et la Flandre orientale refusèrent leur concours d'une manière absolue, mais pour des motifs tout opposés ; le premier parce que l'intervention du clergé était admise ; le second, parce qu'il repoussait l'intervention de l'autorité civile, en pareille matière ; d'une part on trouvait l'arrêté trop libéral, de l'autre trop clérical.
De plus, je n'étais pas assuré du concours du clergé ; on avait indiqué des conditions inadmissibles, d'après moi, et ce concours, à ces conditions, n'aurait pas pu être accepté par le ministre. La correspondance échangée à cette époque ne laisse aucun doute à cet égard.
La situation n'était pas brillante ; pour mener à bonne fin l'œuvre difficile des écoles d'adultes, on avait fait appel à tous, et le concours des hommes, composant les fractions les plus nuancées des deux partis, faisait défaut ; le libéralisme au conseil du Brabant, le cléricalisme à Gand refusaient d'une manière absolue leur intervention, et cette intervention étant facultative, le gouvernement n'avait aucun moyen de se l'assurer.
II est à remarquer toutefois, messieurs, que le conseil provincial de la Flandre orientale n'avait point critiqué l'arrêté du 1er septembre, à (page 930) cause des dispositions réglementaires qu'il contenait ; cette assemblée repoussait le principe de l'intervention du pouvoir civil dans les écoles d'adultes ; il voulait que l'organisation et la direction de ces écoles fussent laissées à l'initiative privée, c'est-à-dire, dans le plus grand nombre de cas, au clergé ; cette assemblée voulait, en d'autres termes, maintenir la situation existante dans cette province.
Sur les 1,194 écoles du soir et du dimanche qui existent dans le pays, la Flandre orientale en 1863 en possédait, à elle seule, 420, plus du tiers ; mais il est à observer que 25 seulement de ces écoles étaient communales, 8 étaient des écoles privées, soumises à l'inspection et 387 étaient entièrement libres. Le conseil de la Flandre orientale voulait donc maintenir cette situation que l'arrêté du 1er septembre aurait modifiée et a même déjà modifiée, puisque, depuis sa publication, le nombre des écoles communales du soir, qui était de 25, s'était accru de 46 dans cette province, il y était de 71 à la fin de l'année 1867 et ces écoles communales, sauf celles de Gand, étaient soumises au régime de l'arrêté du ler septembre.
D'autre part les trois autres conseils provinciaux qui refusaient leurs concours au gouvernement pour l'exécution de l'arrêté du 1er septembre accordèrent à presque toutes les dispositions de cet arrêté leur approbation la plus complète. « Et tout d'abord, disait M. le rapporteur au conseil de la province de Brabant, votre troisième section approuve dans leur ensemble les mesures prises par le gouvernement pour développer l'instruction du peuple. Il lui est impossible de ne pas applaudir à la réalisation de vœux tant de fois exprimés par tous les hommes qui ont à cœur la diffusion des lumières entre nos populations laborieuses. »
Un seul point donnait lieu, au sein de ces assemblées libérales, à des observations et à des critiques ; on y désapprouvait le gouvernement, uniquement parce qu'il avait soumis les écoles au régime de la loi du 23 septembre 1842, en ce qui concerne l'enseignement de la religion et l'inspection ecclésiastique.
Là gisait le seul différend, la seule difficulté entre d'honorables amis politiques et moi ; examinons cette question.
Les écoles mentionnées à l'article 25 de la loi de 1842, et notamment les écoles du soir et du dimanche pour les adultes tombent-elles sous l'application complète de cette loi ?
Celte question peut, je le répète, être controversée et elle n'a pas cette évidence qui doit entraîner toutes les convictions.
Permettez-moi de vous indiquer, messieurs, les motifs qui m'ont déterminé à donner une solution affirmative à cette question.
Le paragraphe de l'article 17 de la Constitution porte : « L'instruction publique donnée aux frais de l'Etat est réglée par la loi. »
J'avais donc à examiner tout d'abord si les établissements d'instruction qu'il s'agissait de créer aux frais de l'Etat, c'est-à-dire du trésor public, des provinces et des communes étaient réglées ou tout au moins prévues par une de nos lois organiques de l'enseignement public.
Si aucune de nos lois n'était applicable à ces institutions, lié par la disposition constitutionnelle précitée, je devais renoncer à l'organisation générale projetée et il ne restait pour mener l'œuvre à bonne fin qu'à solliciter du Roi l'autorisation de présenter un projet de loi à la législature.
Si, au contraire, une de nos lois organiques prévoyait les institutions d'enseignement que le gouvernement voulait créer, il avait le droit de les organiser par voie de règlement général, en vertu de l'article 67 de la Constitution qui autorise le Roi à faire « les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois. » Mais, veuillez-le remarquer, « sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes ni dispenser de leur exécution. »
Or, messieurs, la loi organique de l'enseignement primaire prévoit, entre autres établissements spéciaux d'instruction primaire, les écoles du soir et du dimanche pour les adultes. L'article 25 de cette loi porte : « Une partie du subside voté annuellement pour l'instruction primaire aura pour destination spéciale 1°... ; 2° de favoriser les écoles du soir et du dimanche pour les adultes »
J'ai donc pense que les écoles qu'il s'agissait d'établir étaient bien prévues par la loi organique de l'enseignement primaire ; qu'il n'était pas nécessaire de régler cette organisation par une loi spéciale et que j'avais le droit d'assurer l'exécution de l'article 25 de cette loi par un règlement d'administration générale, mais que je ne pouvais, sans violer l'article 67 de la Constitution, me dispenser d'appliquer les dispositions essentielles de cette loi organique aux écoles à créer.
La circulaire ministérielle du 9 avril 1843 sur la mise à exécution de la loi organique de l'instruction primaire et dont j'ai déjà entretenu la Chambre, me confirmait dans cette opinion ; d'après cette circulaire, l'organisation d'écoles d'adultes et de salles d'asile pouvait seule, avec celle des écoles primaires proprement dites, assurer l'exécution complète de cette loi.
D’ailleurs, messieurs, veuillez-le remarquer, les écoles, telles qu'elles sont organisées par l'arrêté du 1er septembre 1866, sont de véritables écoles primaires.
D'après quels faits, d'après quels principes classe-t-on les établissements d'enseignement en établissements d'enseignement primaire, moyen ou supérieur ?
Est-ce d'après l'heure à laquelle l'école est ouverte ? Est-ce d'après l'âge des élèves qui la fréquentent ? Une école cesse-t-elle d'être primaire parce que les cours y sont donnés à midi, le soir, le dimanche et non tous les jours ?
Evidemment non. Les établissements d'instruction se classent d'après le programme des études qui s'y font. Or, les programmes littéraires des études dans les deux divisions des écoles organisées par l'arrêté du 1er septembre sont la reproduction exacte du programme de l'article 6 de la loi de 1842 pour la division inférieure et du programme de l'article 34 de la même loi pour la division supérieure ; ce dernier programme est, à la vérité, légèrement étendu, mais depuis 1842, il a toujours été entendu que les programmes d'études arrêtés par les articles 6 et 34 de la loi de 1842 sont le minimum des matières à enseigner et que l'on peut aller au delà.
Les écoles, telles qu'elles sont organisées par le règlement du 1er septembre, sont donc de véritables écoles primaires, et, s'il en est ainsi, ne tombent-elles pas sous l'application de la loi organique de cet enseignement ?
Le texte même de l'article 25 me semble un argument à invoquer en faveur de mon interprétation.
Cet article porte : i Une partie du subside voté annuellement par la législature pour l'instruction primaire aura pour destination spéciale ce favoriser les écoles du soir et du dimanche pour les adultes. »
Si le législateur de 1842 n'eût pas considéré ces écoles comme des écoles d'instruction primaire, tombant sous l'application de la loi, eût-il inscrit dans cette loi qu'une partie du subside voté pour l'instruction primaire aurait pour destination spéciale de favoriser les écoles du soir et du dimanche pour les adultes ? C'est là un argument de texte qui ne semble très concluant.
Veuillez aussi, messieurs, ne pas perdre de vue l'article 26 de la loi sur l'enseignement primaire qui dit : « Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside si l'autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par la présente loi,
Et cet article 26 qui dit : aucune école, etc., etc., suit immédiatement, dans le texte de la loi, la disposition qui parle des établissements sociaux et notamment des écoles du soir pour adultes ; il en est en quelque sorte la sanction, je puis donc croire et dire que les établissements spéciaux énumérés à l'article 25 sont, quand ils reçoivent des subsides, soums au régime d'inspection établi par la loi.
L'exposé des motifs de la loi de 1842, la discussion de cette loi en tranchent pas formellement, je le reconnais, la question ; ces école n'étaient point prévues par le projet de moi soumis à la Chambre, mai l'ensemble de cette discussion démontre que le législateur de 1842 a voulu soumettre à ce régime toutes les écoles mentionnées dans la loi, donc aussi les écoles de l'article. 25. La gauche tenait à ce que tous les établissements d'instruction même privés, mais subventionnés, fussent soumis à l'inspection civile ; elle voulait surtout que l'Etat qui accordait des subsides eût le droit d'en surveiller l'emploi dans les nombreux établissement dirigés à cette époque par le clergé et d'où l'autorité civile avait été jusque-là exclue.
« Les écoles communales, disait M. Rogier, en séance du 30 novembre, et celles dont il est question dans l'article 3, ne sont pas les seules qui soient soumises à l'inspection, les écoles normales et toutes celles qui reçoivent un subside y sont soumises. »
La droite, de son côté, attachait le plus grand prix à ce que l'enseignement de la religion et de la morale fût donné dans toutes les écoles subsidiées et mentionnées dans la loi, et l'honorable M. Dumortier voulait même que cet enseignement fût donné dans des écoles dont la loi ne parlait pas.
» Le projet de loi, disait l'honorable membre, ne renferme aucune disposition relativement aux écoles que pourraient fonder les établissements de bienfaisance, les bureaux de charité, les administrations des hospices. Il me semble que toutes les écoles établies au moyen des (page 931) deniers publics devraient entrer dans la même catégorie et être soumises à l'obligation d'enseigner la morale et la religion, conformément au vœu de la loi. »
Vous le voyez, messieurs, les deux grandes opinions qui, en 1842, comme aujourd'hui, divisaient le pays, voulaient, pour des motifs différents sans doute, mais voulaient que tous les établissements d'instruction primaire subventionnés fussent soumis au régime d'inspection établi par la loi.
L'article 26 fit droit à ces exigences des deux opinions.
Il veut qu'aucune école ne soit subsidiée si elle n'est soumise au régime d'inspection, c'est-à-dire, à l'inspection civile et à l'inspection ecclésiastique, et je le répète, cette disposition est inscrite dans la loi immédiatement après celle qui parle des écoles du soir, etc., il est la sanction de la loi.
Je vous le demande, est-il possible de soutenir que cette disposition ne s'applique pas aux établissements mentionnés dans l'article 25 qui la précède, et que le législateur ait voulu exclure tacitement ces établissement de la règle générale qu'il venait de tracer, pour donner satisfaction aux deux partis ?
Ainsi, je puis invoquer à l'appui de mon interprétation le texte de la loi, les diverses opinions qui se sont manifestées pendant la discussion et l'esprit général qui animait la législature de 1842.
Messieurs, permettez-moi de vous le faire observer ici, l'interprétation des articles 25 et 26 contraire à celle que je défends, pourrait un jour porter une grave atteinte aux principes que l'opinion libérale a toujours cherché à faire prévaloir, car elle pourrait détruire, en partie du moins, les résultats que nous avons obtenus non sans lutte ; prenons-y garde, messieurs, il n'est pas sans danger de décider que les établissements mentionnés à l'article 25 ne doivent point se soumettre au régime d'inspection établi par la loi, et que l'article 26 ne leur est pas applicable.
L'opinion libérale est aujourd'hui majorité et elle restera longtemps encore majorité, je le pense et je l'espère.
Tant que notre opinion sera au pouvoir, nous pouvons exiger que toute école du soir, pour obtenir des subsides, soit soumise au régime de l'inspection civile ; cette obligation sera basée, non sur la loi qui doit être observée par tous les partis, mais sur une condition fort sagement posée, du reste, par le gouvernement. Or, le gouvernement peut modifier, s'il le croit utile, cette condition posée par lui.
Si l'opposition d'aujourd'hui devenait majorité un jour, si elle occupait le pouvoir, le gouvernement, alors d'accord avec elle, ne pourrait-il pas retirer la condition posée aujourd'hui par vous, en se basant sur l'interprétation même que l'on veut donner aux articles 25 et 26 de la loi de 1842 ?
Ne pourrait-on pas dire : Les écoles d'adultes ne tombent pas sous l'application de la loi de 1842, elles ne sont donc pas nécessairement soumises au régime de l'inspection civile, l'article 26 ne leur est pas applicable, l'opinion libérale étant en majorité l'a décidé ainsi.
Alors nous verrions fleurir dans toute sa splendeur, au moins pour les écoles d'adultes, ce beau système des écoles subventionnées que nous avons si énergiquement combattu et que l'opposition et les honorables MM. Wasseige et Dechamps ont défendu avec tant de ténacité ; alors nous verrions les 784 écoles libres d'adultes qui existent et qui presque toutes sont dirigées par le clergé, verdoyer et fleurir sur le terrain de la liberté fécondé par le trésor public, sans contrôle sérieux, puisqu'elles ne seraient plus soumises à l'inspection civile.
A côté de ces 784 écoles dirigées par le clergé et subventionnées par le trésor public, sans être inspectées, nous en verrions naître une foule d'autres de même espèce ; ce serait un bien peut-être si l'expérience ne nous avait prouvé quels résultats négatifs ont eus pour l'enseignement populaire ces écoles libres que le contrôle de l'inspection civile absente ne peut maintenir dans la voie du progrès, au point de vue des méthodes et de l'enseignement en général.
Un tel état de choses serait déplorable à mes yeux ; il rendrait bientôt inutiles les écoles communales du soir, au moins dans les communes rurales de quelques provinces.
Nous pourrions alors, nous devenus minorité, combattre et blâmer le gouvernement, mais nous ne pourrions baser, dans ce cas, notre opposition sur la loi, car on opposerait l'interprétation donnée à cette loi par la majorité et le gouvernement d'aujourd'hui.
On dira peut-être qu'un tel système est absurde et ne peut être soutenu, et cependant, si je suis bien informé, mais je n'ai pu vérifier le fait, une grande commune aurait déjà refusé l'entrée de ses écoles communales d'adultes aux inspecteurs civils qui s'y présentaient en cette qualité, parce que ces écoles ne tombent pas, d'après elle, sous le régime de l'inspection, même civile, établi par la loi de 1842 et que ces établissements ne sont pas subsidiés par le trésor public. Nous voyez donc où cette interprétation peut mener.
Mais il est une autre considération sur laquelle je crois, messieurs, devoir attirer encore toute votre attention, car elle est de nature à démontrer qu'il n'était pas possible de ne pas soumettre au régime de la loi de 1842 les écoles telles qu'elles sont organisées par l'arrêté du 1er septembre 1866. J'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, ces écoles ne sont pas destinées exclusivement à donner l'instruction aux personnes d'un certain âge, aux majeurs qui sont complètement illettrés ou dont l'instruction est incomplète ; ces institutions ont encore et surtout pour objet de donner ou de compléter l'instruction des nombreux enfants qui quittent l'école primaire proprement dite avant l'âge de 14 ans, et j'ai déjà eu le regret de le constater ici, les deux tiers des enfants désertent l'école primaire proprement dite avant d'avoir fait un cours complet, c'est-à-dire avant de posséder les connaissances si élémentaires, si indispensables, énumérées à l'article 6 de la loi de 1842.
La plupart de ces enfants quittent les écoles à l'âge de 11 ou 12 ans, d'autres plus jeunes encore, pour aller travailler ; l'instruction de ces malheureux enfants est et doit être nulle ou tout au moins fort incomplète ; c'est à ce fait incontesté que l'on peut attribuer la lenteur du progrès réalisé depuis plus d'un quart de siècle, en matière d'enseignement populaire.
Eh bien, messieurs, les écoles créées par l'arrêté du 1er septembre ont surtout pour objet de porter remède à ce mal si grave.
Ces écoles sont ouvertes le soir ou le dimanche à ces malheureux enfants occupés à des travaux matériels pendant toute la journée, pendant toute la semaine ; nous espérions réussir à les y attirer et à leur donner ainsi l’instruction qu'ils ne pourraient recevoir dans les écoles du jour.
Ces jeunes enfants de dix à quatorze ans, s'ils avaient pu continuer à fréquenter l'école primaire proprement dite, y auraient reçu l'enseignement de la religion et de la morale, selon le vœu de la loi ; or, peut-on prétendre que la loi n'a pas voulu qu'on leur donnât cette instruction, parce que, au lieu de suivre les cours d'une école primaire pendant la journée, ils vont recevoir l'instruction pendant la soirée ou le dimanche, après une rude journée ou toute une semaine de travail ?
Et veuillez ne pas le perdre de vue, messieurs, la division inférieure des écoles créées par l'arrêté du 1er septembre est une véritable et modeste école primaire ; le programme y est exactement le même que celui de l'école primaire proprement dite et quand l'école du soir ou du dimanche est communale, l'instruction se donne dans le local même de l'école primaire du jour, par l'instituteur et le sous-instituteur de cette même école, exactement dans les mêmes conditions, à l'aide du même matériel scolaire !
Peut-on raisonnablement prétendre que ces deux écoles si semblables doivent être placées sous un régime différent et que c'est un devoir légal d'enseigner la morale et la religion dans les unes, une illégalité de donner cet enseignement dans les autres et cela uniquement parce que les unes sont ouvertes le jour pendant la semaine, les autres le soir ou le dimanche ?
Non, messieurs, cela ne me semble pas possible et s'il était décidé même que les écoles du soir dites d'adultes ne seront pas soumises au régime de la loi de 1842, on devrait, ou exclure de ces écoles les pauvres petits enfants en âge d'école primaire et ce serait un crime, le but de tous nos efforts serait manqué, ou bien il faudra créer touts au moins une catégorie spéciale d'écoles du soir pour ces enfants, écoles qui tomberont incontestablement sous le régime de la loi de 1842, et ce serait là une complication nouvelle qui rendrait l'organisation des écoles du soir, très difficile déjà, presque impossible dans les communes rurales du moins.
Ces observations méritent, je pense, d'être prises en très sérieuse considération, car, ainsi que je l'ai fait connaître déjà à la Chambre, les enfants formeront la majeure partie de la population des écoles organisées par l'arrêté du 1er septembre. Aujourd'hui déjà, veuillez vous le rappeler, plus de la moitié des élèves des écoles dites d'adultes sont âgés de moins de 15 ans ; un peu plus du dixième seulement de la population de ces écoles se compose de personnes des deux sexes ayant plus de 21 ans ; le restant des élèves est âgé de 15 à 20 ans : et le progrès de (page 932) l'instruction réduira d'année en année le nombre des élèves majeurs.
Quand les écoles du soir et du dimanche seront presque exclusivement fréquentées par des enfants ou des jeunes gens, qui, s'ils appartenaient à des familles aisées, recevraient l'enseignement de la religion et de la morale dans des écoles primaires proprement dites, ou même dans un grand nombre d'établissements d'enseignement moyen, comme je le démontrerai tantôt, sera-t-il possible de soutenir que la loi veut exclure cet enseignement des écoles primaires du soir et que ces écoles établies dans les mêmes conditions que les écoles primaires du jour, ne tombent pas sous le régime de la loi organique de l'enseignement primaire ?
Ces faits et ces observations méritent, je pense, d'être pris en considération par la Chambre, et c'est pour ce motif que j'ai insisté sur ce point.
(page 923) - La Chambre décide qu'elle ne s'occupera pas, demain, de rapports de pétitions.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.