(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 853) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse d'une pièce adressée à la Chambre.
« Les enfants Dethier, orphelins et mineurs, réclament l'intervention de la Chambre pour être secourus par la commune de Montigny. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le président. - La section centrale a proposé un texte nouveau. M. le ministre de la guerre se rallie-t-il à ce texte ?
MgRµ. - Oui, M. le président.
M. le président. - Le gouvernement se ralliant au texte de la section centrale, c'est sur ce texte que la discussion est ouverte.
Voici comment il est conçu :
« Les miliciens, remplaçants ou substituants, qui ont passé au moins vingt-quatre mois sous les drapeaux, d'après le mode à déterminer par le ministre de la guerre, peuvent seuls être envoyés en congé illimité, sous la réserve de leur rappel pendant un mois durant trois années.
« Les miliciens, remplaçants et substituants du contingent de réserve, ne sont appelés sous les armes que pour quatre mois, pendant la première année, et pour un mois, pendant chacune des trois années suivantes.
« Les précédentes dispositions seront toujours appliquées, à moins qu'une disposition contraire ne soit insérée dans la loi budgétaire ou dans celle du contingent. »
M. Coomans. - Nous venons d'apprendre que le gouvernement se rallie au changement de rédaction proposé par la section centrale. Je regrette que la section centrale n'ait proposé qu'un changement de rédaction. Le fond de la réduction reste le même. Or, c'est ce fond que je ne puis pas admettre et qu'il est impossible que vous admettiez ; je suis convaincu que vous le reconnaîtrez quand vous m'aurez entendu patiemment pendant quelques minutes.
La proposition primitive du gouvernement était conçue en ces termes :
« En temps de paix, la durée du temps de présence sous les drapeaux pour les miliciens, substituants ou remplaçants du contingent actif, est fixée au minimum à 24 mois, d'après le mode à déterminer par M. le ministre de la guerre. »
Messieurs, cette proposition admise, je le répète, par la section centrait, au moins quant au fond, maintient la grande iniquité que j'ai signalée hier, c'est-à-dire que les miliciens qui servent en vertu de la même cause, le tirage d'un mauvais numéro, se trouvent astreints à des services très différents et quant à la durée, et quant à la charge personnelle et quant à la dépense. Ainsi l'un est désigné pour l'infanterie, un autre pour la cavalerie ou pour les armes spéciales.
De deux choses l'une, ou le désigné sert en personne et alors il doit servir deux ans et davantage au-dessus du temps de service exigé pour les fantassins, ou bien il se fait remplacer et il doit consacrer à son remplacement une somme plus forte que ne le fait le milicien fantassin.
Comme, ce qui est tout naturel, l'autorité militaire est plus exigeante quand il s'agit de remplacer un cavalier ou un artilleur qu'un fantassin, il en résulte que le prix du remplacement diffère d'après l'arme à laquelle le milicien est affecté. Or, il n'est pas juste, et je demande depuis de longues années la preuve du contraire, sans qu'on me l'ait jamais donnée, ce qui me prouve qu'elle n'existe pas, il n'est pas juste, dis-je, de changer les conditions de la loterie militaire.
Vous me demanderez peut-être si je puis indiquer quelque remède à cette situation vicieuse, je réponds oui ; et même j'en ai deux : les voici :
Ou bien vous pouvez rémunérer extraordinairement le service supplémentaire que vous exigez du milicien ; ou bien vous pouvez décider que les volontaires, les remplaçants et même les miliciens volontaires seront seuls incorporés dans la cavalerie et dans les armes spéciales.
M. Bouvierµ. - Et s'il n'y en a pas assez.
M. Coomans. - Oh ! M. Bouvier, ne m'interrompez donc pas ; c'est à MM. les ministres que je m'adresse.
M. le président. - Je prie M. Bouvier de ne pas interrompre j'espère qu'on ne va pas recommencer les interruptions.
M. Coomans. - Quand vous serez ministre, M Bouvier, ce qui ne me paraît pas tout à fait impossible, par le temps qui court, vous me répondrez. (Interruption.)
Ainsi, messieurs, j'ai l'honneur de vous indiquer deux moyens de remédier au mal grave, intolérable qu'on signale depuis de longues années : ou bien vous pouvez et par conséquent vous devez rémunérer le service supplémentaire ; ou bien vous devez n'avoir que des volontaires dans la cavalerie et dans les armes spéciales.
J'admets l'un ou l'autre système, à votre choix ; mais il me faut l'un ou l'autre, car le maintien de l'abus que je signale est impossible.
J'ai l'honneur de vous sommer itérativement de me répondre en vertu de quel principe et je puis dire maintenant de quelle nécessité militaire dénaturez-vous les décisions du sort ? Pourquoi forcez-vous un milicien qui a tiré un numéro supérieur à celui d'un autre milicien serve deux ans de plus que le milicien moins favorisé par le sort ? Si vous ne pouvez pas réfuter l'objection grave que je vous fais, vous devez adhérer à l'une ou à l'autre de mes propositions, à moins que vous n'ayez un meilleur remède à appliquer.
Si le gouvernement avait maintenu sa proposition, j'aurais déposé un amendement consistant dans la substitution du mot « maximum » au mot « minimum » qui figure à l'article premier. Puisque cette rédaction est retirée et remplacée par une autre qui est au fond la même, je dois proposer de modifier le paragraphe premier de l'article nouveau ainsi conçu : « Les miliciens remplaçant ou substituant qui ont passé au moins vingt-quatre mois sous les drapeaux, etc. » Je propose de remplacer les mots « au moins » par les mots « au plus », sauf à sous-amender le reste.
J'attendrai, pour reprendre la parole, qu'on veuille bien réfuter ou essayer de réfuter les observations que je viens d'avoir l'honneur de présenter à la Chambre.
M. le président. - Je prie M. Coomans de faire parvenir son amendement au bureau.
M. Coomans. - Le voici, M. le président.
MfFOµ. - L'honorable M. Coomans est à la recherche de l'égalité absolue. Il la trouve rompue dans la proposition qui est faite, et d'après laquelle certains miliciens ne serviront que 27 mois, tandis que d'autres devront servir pendant un temps plus long.
Il dit que c'est là une disposition injuste et qui viole l'égalité, à peu près comme le tirage au sort.
Certainement, messieurs, il n'y a pas, dans la condition relative des miliciens des deux catégories dont on s'occupe, l'égalité absolue, à la recherche de laquelle M. Coomans se dévoue avec tant d'ardeur. Malheureusement, c'est là une nécessité fatale à laquelle on ne parviendra pas à se soustraire.
Si le principe dont parle M. Coomans est absolument vrai, s'il ne souffre d'exception dans aucune circonstance, dans aucune hypothèse, il doit être appliqué d'une manière générale. Nous nous occupons de l'armée. Eh bien, supposons le cas de guerre : nous aurons une partie de nos miliciens employés, loin des événements, à la garde des magasins et qui (page 854) se trouveront ainsi dans une parfaite sécurité, sans être exposés le moins du monde aux coups de l'ennemi ; nous en aurons d'autres qui seront placés derrière des remparts, attendant un siège qui n'aura probablement pas lieu ; mais nous en aurons d'autres aussi, qui devront combattre en rase campagne, et affronter les premiers le choc de l'ennemi. Et parmi ceux-ci encore, il y en aura au premier rang, d'autres au second, d'autres au troisième. M. Coomans va s'écrier que le principe de l'égalité est violé !
M. Coomans. - Cela n'est pas fort. (Interruption.)
M. le président. - N'interrompez pas ; je vous engage tous au calme et au silence.
MfFOµ. - Il est possible que cela ne paraisse pas fort à l'honorable préopinant ; mais s'il est fondé à prétendre que le principe de l'égalité est violé pour une simple différence dans le temps de service, quelles protestations ne devrait-il pas faire entendre dans l'hypothèse que je viens d'indiquer ?
Il est certain, messieurs, que l'on ne saurait arriver à établir cette égalité absolue, qui est le prétendu idéal de M. Coomans ; il est des nécessités de situation que l'on est obligé de subir ; on doit prendre les choses comme elles sont et en tirer le meilleur parti. Or, sans courir après des chimères, en voulant imposer à tous le même service, avons-nous négligé ce qui peut être équitable et pratique en cette matière ? Ignorez-vous que nous avons proposé une compensation pour les miliciens dont le service aura été prolongé au delà du terme assigné à ceux d'une autre catégorie ? Eh bien, nous avons nous-mêmes soumis une proposition dans ce sens, dans le projet de loi sur la milice. Nous examinerons cette question ultérieurement ; la rémunération que nous avons proposée s'appliquera proportionnellement à la durée du service.
M. Coomans. - Vous donnez 150 fr. à tous.
MfFOµ. - J'ai déjà eu l'honneur de faire connaître que nous avions posé un principe, et que nous nous réservons de l'organiser.
Mais il est indubitable que si l'on donnait aux hommes de la réserve qui auront servi sept mois, exactement la même rémunération qu'aux miliciens qui auront servi beaucoup plus longtemps, on ferait une chose absurde. La rémunération doit être proportionnée au temps de service. Cela sera examiné.
Je rappelle encore à la Chambre que c'est uniquement pour qu'une opinion pût être exprimée sur le temps de service, que nous avons proposé une formule. Nous aurions pu renvoyer purement et simplement cette question à la discussion du budget ; c'est en effet par les allocations du budget que se détermine réellement la durée du service ; mais nous avons compris qu'il était désirable que les opinions qui s'étaient manifestées à cet égard, pussent s'exprimer ; voilà l'objet de la proposition qui vous est actuellement soumise.
Toutes les questions qui se rattachent à cette disposition trouveront place dans la discussion de la loi sur la milice. Rien, absolument rien n'est préjugé.
M. le président. - Voici l'amendement de M. Coomans ;
« Remplacer les mots au moins par les mots au plus en temps de paix »
- L'amendement est appuyé.
M. Coomans. - Messieurs, je m'étonne que M. le ministre des finances ne daigne pas réfuter sérieusement les objections très sérieuses que j'ai présentées.
J'ai signalé une injustice qui est le fait du législateur, M. le ministre me répond : Comme il y a d'autres injustices qui ne sont pas le fait du législateur, vous n'avez pas le droit de nous demander la réparation de cette injustice-là !
Mais, messieurs, qu'est-ce que cela prouve ? Quand on tue un de nos soldats, ce n'est pas la loi qui le tue ; ce n'est pas vous qui le tuez ; c'est l'ennemi qui le tue. Et contre cet ennemi-là je suis désarmé et vous aussi. Mais quand vous imposez arbitrairement et injustement une prolongation exceptionnelle de service à des citoyens belges qui ont droit à l'égalité devant la loi, vous commettez une injustice, injustice d'autant plus criante qu'il vous est possible de la prévenir... (Interruption.) Mais vous ne pouvez pas diriger le boulet ennemi ; vous ne pouvez pas empêcher que le boulet frappe Pierre plutôt que Paul ou les atteigne tous deux, et c'est ce que vous voulez que nous fassions par la loi !
Que signifie un tel raisonnement ?
Eh ! si je vous proposais des mesures contre la pluie et contre la grêle, que me répondriez-vous ? Vous me diriez : « Mais cela n'a pas le sens commun ! » Eh bien, c'est la même chose ici ; vous voulez que la mort répartisse également ses victimes et je ne vous comprends plus. Cela est-il possible ? Non ; mais ce que je vous demande, est possible. Il me semble d'ailleurs que vous n'êtes pas éloigné d'admettre le principe de l'indemnisation et vous ajoutez que vous y avez pourvu par votre proposition de 1862 sur la milice, proposition maintenue jusqu'à ce jour.
Messieurs, cette assertion est complètement inexacte ; le projet de loi de 1862 porte une pension de 150 francs à l'âge de 55 ans accomplis pour tous les miliciens qui ont accompli leur temps de service, quelle que soit la durée de service. Voilà votre proposition.
Ma proposition rémunère le soldat d'après ses mérites, d'après les services qu'il a rendus et je n'entends pas, comme vous, donner au fantassin qui n'a servi que 24 ou 27 mois la même rente de 150 francs qu'au cavalier et à l'artilleur qui servent 3 ans de plus.
Vous voyez donc que l'objection que vous m'adressez tombe non seulement devant la logique, mais encore devant la vérité, devant la réalité des faits ; vous n'avez pas remédié le moins du monde au mal que je vous signale.
MfFOµ. - Cela est déjà annoncé à la section centrale ; le rapporteur peut vous le dire.
M. Coomans. - Quoi, annoncé ?
MfFOµ. - Qu'on doit échelonner le temps de service.
M. le président. - Monsieur Coomans, voulez-vous qu'on consulte M. le rapporteur ?
M. Coomans. - Je demande la lumière !
M. Muller, rapporteurµ. - A la suite d'un examen du projet dont il s'agit, la section centrale a présenté au gouvernement l'observation que d'après le texte littéral du projet, la rente serait la même pour le milicien, abstraction faite du temps de présence sous le drapeau et M. le ministre des finances et M. le ministre de l'intérieur ont déclaré à la section centrale qu'il était bien entendu qu'il y avait lieu de rectifier le projet et que la pensée du gouvernement était de calculer la rente dont jouirait le milicien à l'âge de 55 ans d'après le temps effectif qu'il aurait passé sous les armes.
M. le président. - La parole est continuée à M. Coomans.
M. Coomans. - Messieurs, je réponds à une proposition de loi, et on me réplique d'après des conversations dont je n'avais pas connaissance et qui ont eu lieu entre les ministres et la section centrale.
Du reste, je suis charmé d'apprendre que le gouvernement a reconnu que la proposition d'une rente égale de 150 fr. à 55 ans n'était pas soutenable, et qu'il admet l'indemnité d'après la durée du service.
Mais, messieurs, cela confirme ma thèse ; vous venez d'appuyer ma thèse de la manière la plus puissante, vous venez de reconnaître vous-mêmes, messieurs les ministres, que le régime actuel n'est pas soutenable, qu'il crée l'inégalité des sacrifices demandés aux citoyens.
Vous proclamez aujourd'hui la nécessité de récompenser les services réels. Messieurs, c'est le but que je poursuis.
M. Vleminckxµ. - Vous devez être satisfait.
M. Coomans. - Je ne suis pas satisfait du tout. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - Vous ne l'êtes jamais.
M. Coomans. - Rarement de vous, monsieur. Vous me renvoyez encore une fois aux calendes grecques. Pour moi, la réforme des lois de milice, c'est une promesse qui ne sera pas tenue. (Interruption.) Et je vous en donne la preuve immédiatement. La Constitution exige depuis trente-sept ans la réforme de notre législation militaire, du recrutement,, etc. Eh bien, cette prescription formelle de la Constitution, vous y avez manqué depuis trente-sept ans et je suis convaincu que vous y manquerez encore trente-sept ans, si vous le pouvez. (Interruption.)
M. Vleminckxµ. - La Chambre est en possession du rapport.
M. le président. - J'invite de nouveau à ne pas interrompre.
M. Coomans. - Du reste, messieurs, puis-je être satisfait ? Je n'admets pas le principe tel qu'il est appliqué par le gouvernement et par la section centrale, c'est-à-dire que je n'admets pas que vous rémunériez un petit nombre de citoyens seulement, et cela à l'âge de 55 ans accomplis. J'ai toujours dit que je n'admettais pas cette proposition du gouvernement, je la repousse, même amendée dans le sens que l'on vient de nous dire.
Mais, messieurs, que faites-vous pour les citoyens, bien plus nombreux, qui seront morts avant d'être entrés dans leur 56ème année ? Rien. Et chose singulière, vous venez de reconnaître hautement qu'il faut rémunérer le temps réel consacré par les citoyens à la patrie ; vous venez de le dire ; vous venez de reconnaître que la durée du service est la base de tout et vous refusez de rémunérer les citoyens qui auront succombé avant l'âge de 55 ans accomplis. Messieurs, tous vos principes se (page 835) combattent les uns les autres ; ils sont inconciliables. Que de familles auront été ruinées pendant les 35 ans que vous aurez fait attendre votre prétendue rémunération !
Du reste, messieurs, je constate que M. le ministre des finances n'a pas répondu un mot au second remède que j'ai indiqué, c'est-à-dire à la formation de la cavalerie et des armes spéciales par des volontaires et des remplaçants.
Rien n'est plus pratique que ce remède.
Vous avez le choix des hommes ; et j'admets ce qui m'a été dit un jour par un honorable général, que quelques miliciens aimeront mieux passer trois ans et plus dans la cavalerie ou dans l'artillerie que dans l'infanterie.
Eh bien, ceux-là, s'ils offrent les qualités physiques et autres que vous exigez, seront libres d'entrer dans les armes spéciales, vous n'aurez aucune difficulté de remplir les cadres de ces armes.
Vous avez les remplaçants que je vous livre ; vous avez les volontaires avec lesquels vous contractez librement. Vous aurez en outre les miliciens forcés qui préféreront le service dans la cavalerie ou dans les armes spéciales. Voilà encore un argument très sérieux, très pratique que je soumets au ministère, et l'on n'y répond pas.
Et remarquez que ce refus de répondre est d'autant plus singulier que le remède que j'indique a été appuyé par des officiers généraux et autres officiers supérieurs très instruits et très honorables.
Ils m'ont assuré qu'il serait facile de composer la cavalerie et les armes spéciales de volontaires et de remplaçants, en offrant quelques avantages spéciaux aux miliciens ordinaires qui conviendraient pour ces différents services.
M. le ministre des finances m'a encore opposé un argument bien étrange. Il a dit en substance : « Ce n'est pas nous qui plaçons les miliciens dans les régiments, c'est le sort, c'est là conséquence de la loterie militaire. » Messieurs, il n'en est rien ; la loterie militaire ne classe pas les miliciens dans les régiments, la loterie militaire ne dit pas que tel ou tel sera incorporé dans tel ou tel régiment. C'est vous qui classez les miliciens dans les différentes armes et qui, ainsi, modifiez complètement les décisions du sort.
L'argument de M. le ministre n'est pas seulement insignifiant, il est complètement inexact en fait.
Je reconnais qu'il serait très difficile de faire décider par le sort la question de savoir si tel ou tel sera incorporé dans tel ou tel régiment, attendu que la taille et autres aptitudes militaires échappent au tirage au sort. Je serais curieux d'apprendre de la bouche de l'honorable ministre comment la loterie militaire pourrait parvenir à classer les miliciens dans les différentes armes.
Si M. le ministre a voulu dire que le classement opéré par les officiers n'est pas plus juste que ne l'est la loterie militaire, il s'est trompé encore, parce qu'au moins la loterie est aveugle ; il n'y a pas ce qu'on appelle d'injustices personnelles dans la loterie militaire, tandis que le favoritisme est possible, et je suis persuadé qu'il agit souvent dans la répartition du contingent.
Mais, messieurs, voulez-vous que je vous le déclare avec preuve à l'appui ? Je pourrais indiquer une famille riche dont le fils tombe au sort ; beau garçon, magnifique sujet pour la cavalerie ou pour le génie ; mais comme cette famille savait qu'il y a une différence de plusieurs centaines de francs dans le prix du remplacement, elle a agi de manière à faire incorporer ce beau garçon dans l'infanterie et l'on en a été quitte pour une somme bien moindre.
Remarquez qu'il n'aurait servi en aucun cas, parce que la famille était décidée à le racheter.
Voilà une injustice, et cette injustice-là, quelque grave qu'elle soit, est moindre que celle dont pâtissent les pauvres. Croyez-vous qu'il soit indifférent à un pauvre d'être fantassin ou cavalier, c'est-à-dire d'avoir à servir 24 mois au lieu de 4 ans ?
J'en reviens au précieux aveu que vous a fait l'autre jour M. le ministre des finances, à savoir que les 4/5 au moins des remplaçants sont des enfants de familles laborieuses et presque pauvres.
Je crois bien que le chiffre est un peu exagéré, mais s'il est exagéré, je ne le regrette pas pour le succès de ma cause, car il est un des meilleurs arguments que je puisse invoquer à l'appui de ma thèse, l'abolition de la conscription.
Messieurs, de quel droit, quand un beau garçon du peuple tombe au sort, le fourrez-vous dans la cavalerie, c'est-à-dire, l'obligez-vous à servir 3 et 4 ans et à payer 300 ou 400 fr. de plus pour un remplaçant convenable, alors qui son voisin, beaucoup plus riche ou beaucoup moins pauvre, jouit de la faveur d'être simple fantassin, c'est-à-dire de n'avoir à servir que 24 mois, ou de pouvoir se libérer beaucoup plus facilement et à meilleur marché par voie de remplacement ou de substitution ?
Oui, le renchérissement du remplacement frappe surtout les classes laborieuses. C'est ce que M. le ministre des finances, non contredit par ses honorables collègues, a affirmé.
Ainsi donc, messieurs, vous le voycz.la question est des plus graves, à moins qu'on ne fasse cyniquement fi de la justice, de la raison, de la vérité, de l'évidence.
De qui dépend aujourd'hui le malheur d'une famille ?
Est-ce du sort uniquement comme vient de le dire l'honorable ministre ? Point. Il arrive souvent qu'un jeune homme peut se résigner, sans grand dommage, à servir 24 mois, ou se procurer un remplaçant pour l'infanterie, alors que s'il doit servir lui-même dans les armes d'élite, ou s'il ne peut pas fournir de remplaçant, il est en quelque sorte ruiné.
Ce n'est pas le sort qui lui inflige ce surcroît de sacrifices. C'est vous.
Je conclus. Je demande donc que le temps de service soit le même pour tous les citoyens soldats, en vertu du grand principe que je viens de rappeler, en vertu du principe de l'égalité des Belges devant la loi, c'est-à-dire : devant la loi militaire. Je demande que ce temps de service soit le même pour tous.
L'honorable ministre des finances affirme que je demande l'impossible. Je viens de lui prouver le contraire puisque j'offre au gouvernement la faculté de composer de volontaires et de remplaçants la cavalerie et les armes spéciales.
Il n'y a donc rien d'impossible en cela, surtout lorsque le gouvernement sera autorisé à procurer certains avantages à ces catégories d'incorporés.
Je maintiens donc mon amendement ; s'il est adopté par la Chambre, le gouvernement aura, soit à admettre les propositions que j'ai eu l'honneur défaire, soit à en formuler d'autres.
Soyez persuadés, messieurs, que lorsque vous aurez rendu cet hommage à la justice élémentaire, il sera très facile de trouver le moyen, non seulement de maintenir notre cavalerie et nos armes spéciales, mais même de les améliorer.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Messieurs, comme l'a fait remarquer déjà l'honorable ministre des finances, la question que le projet de loi a pour objet de résoudre, n'a pas jusqu'ici été tranchée par un texte de loi. C'étaient des allocations budgétaires qui la résolvaient chaque année. Si l'on vient vous proposer aujourd'hui un texte formel, c'est qu'il fallait permettre à la Chambre de se prononcer sur l'ensemble des questions importantes qui se rapportent à l'organisation militaire nouvelle. La loi est donc en quelque sorte une loi d'expédient, mais d'expédient utile.
A l'occasion de cette loi, l'honorable M. Coomans vous propose incidemment la solution d'un des problèmes les plus difficiles, du plus difficile peut-être de ceux que doit soulever la révision de nos lois de milice ; il s'agit de la répartition des miliciens de chaque contingent entre les différentes armes.
Je ne dis pas qu'on ne puisse à cet égard réparer de grandes inégalités qui se trouvent dans la législation actuelle : je suis même convaincu que l'on doit apporter à l'état de choses existant, des remèdes assez efficaces ; mais je crois impossible d'attacher cette réforme, si intéressante qu'elle soit, et justement à cause de son importance, à la lot qui nous occupe aujourd'hui.
M. Coomans est d'un avis contraire et propose un amendement. Eh bien, cet amendement est la meilleure preuve qu'avant de s'imaginer qu'on possède un remède à l'état de choses existant on a besoin d'y réfléchir un peu mûrement.
Ce que veut M. Coomans d'après son discours, mais non d'après son amendement, ce qu'il veut, c'est que l'on établisse pour tous les miliciens du contingent, un temps de service de la même durée, que ce temps de service soit fixé uniformément à 24 mois.
Il tranche, sans en avoir fait l'objet d'aucune investigation, d'aucune instruction préalable, cette question si difficile au point de vue militaire, de savoir si l'on peut en deux ans former un cavalier ou un artilleur, comme on formerait un fantassin. Cette question ne l'arrête pas un instant ; le terme de 24 mois est celui qu'il veut appliquer à toutes les armes.
M. Coomans. - Je n'ai rien dit de cela.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Vous avez dit que vous (page 856) vouliez le même terme de service pour toutes les armes et dans votre amendement vous parlez de 24 mois.
Si vous n'aviez pas dit cela, vous auriez donc voulu vous borner à dire qu'il faut le même temps de service et réserver la question de la durée. Mais, alors faites au moins un amendement qui dise cela. Savez-vous ce que votre amendement dit ? Vous proposez de substituer un mot « au moins » du texte de la section centrale, les mots « au plus, en temps de paix » ; or, voici ce que devient alors votre rédaction.
« Les miliciens remplaçants et substituants qui ont passé au plus 24 mois sous les drapeaux, d'après le mode à déterminer par le ministre de la guerre, peuvent seuls être envoyés en congé illimité, sous la réserve de leur rappel pendant un mois durant trois années. »
C'est-à-dire que vous infligez une peine aux miliciens qui sont restés au service pendant plus de 24 mois.
Vous voyez que votre amendement ne répond pas même à votre pensée et qu'il suffit de le lire pour prononcer sa condamnation.
M. Coomans. - Au fond qu'ai-je fait ? Une seule chose : vous signaler l'inégalité du régime actuel et vous en demander la suppression.
Je demande que les charges de tous les citoyens soient les mêmes en vertu des grands principes. Je n'ai pas prétendu du tout qu'il faille servir 24 mois plutôt que 30 ou 10, je n'ai pas prétendu qu'on parvient à former un bon artilleur ou un bon cavalier en 24 mois ; j'ai laissé toutes ces questions aux spécialités dont l'honorable Van Humbeeck est aujourd'hui un prototype.
J'ai si peu dit tout cela que je laisse au gouvernement le choix de deux moyens : soit de rémunérer extraordinairement, supplémentairement le service qu'on a demandé en plus à quelques citoyens, soit de ne composer la cavalerie et les armes spéciales que de volontaires et de remplaçants.
Il va sans dire que je ne pouvais pas, présentant des alternatives, formuler des amendements au grand complet. J'ai dû me borner à proposer un changement de mot pour attirer l'attention de toute la Chambre sur la grave question que j'indique et qui intéresse la Chambre tout entière. Car enfin, l'honorable M. Van Humbeeck, qui ne peut pas nier et qui certes ne niera pas que le vrai progrès de la civilisation consiste dans le progrès de la justice et de la raison, M. Van Humbeeck ne dira pas que je ne lui ai pas rendu service en soulevant une question d'équité générale.
On doit donc me remercier d'avoir soulevé la question, et non chercher à me chicaner sur un texte qui n'est pas même le mien.
Encore une fois, je ne demande qu'une chose, c'est l'égalité des citoyens belges devant la loi. (Interruption.)
Si la Constitution pouvait être invoquée devant les tribunaux, si le juge pouvait examiner la constitutionnalité de certaines lois, je suis bien certain qu'on ne pourrait pas condamner un homme qui aurait quitté son régiment après avoir servi comme ses co-victimes pendant le minimum de la durée fixée par la loi, car il pourrait invoquer pour sa défense le grand principe de l'égalité des citoyens belges devant la loi.
Ou la Constitution ne signifie rien dans sa partie la plus essentielle ou je suis parfaitement autorisé à tenir le langage dont je viens de me servir.
M. le président. - M. Coomans maintient-il son amendement ?
M. Coomans. - Oui, en principe, M. le président... (Interruption.) Oui, sauf que je propose de supprimer les mots « remplaçants, etc. »
MgRµ. - Je désire donner quelques explications relativement au temps de service. Quant à l'amendement de l'honorable M. Coomans, je ne puis m'y rallier ; il aurait pour effet de jeter une perturbation complète dans l'armée. L'honorable membre aurait dû prouver d'abord qu'il est possible de former un cavalier, un artilleur, un mineur en aussi peu de temps qu'un fantassin.
L'espoir de composer les armes spéciales complètement de volontaires est irréalisable ; à moins donc qu'il ne se produise dans nos mœurs un changement que je ne prévois pas, je crois que la solution proposée par l'honorable M. Coomans n'a aucune chance de succès.
Il ne faut pas, messieurs, se faire illusion sur l'appoint des volontaires ; nous n'en aurons pas. J'ai sous les yeux l'état des volontaires depuis 1839 ; il prouve combien peu d'individus s'engagent dans l'armée. Si, à un certain moment, on a cru que l'armée possédait beaucoup de volontaires, c'est par suite d'une erreur que je vais vous indiquer. Les volontaires se divisent en deux catégories ; il y a ce que j'appellerai les volontaires purs, ce sont ceux dont on parle ici, et les volontaires en vertu de l'article 171, c'est-à-dire des miliciens qui s'engagent à continuer leur temps de service. Or, c'est en additionnant ces deux catégories qu'on est arrivé à des chiffres parfois élevés.
En 1853, le nombre total des volontaires s'élevait à 14,142 et se décomposant comme suit : 10,340 volontaires purs et 3,802 miliciens volontaires en vertu de l'article 171. Or ces derniers ne peuvent pas être considérés comme de véritables volontaires, et ils ne viennent pas en déduction des contingents. Que sont devenus ces 10,340 volontaires que nous avions en 1853. Ce nombre est tombé à 7,000 hommes pendant quelques années et aujourd'hui il est de 8,167.
Or, pour que nos armes spéciales fussent complètement composées de volontaires il en faudrait 25,000. Pouvons-nous l'espérer ? Je ne le pense pas.
Et voyez, en effet, où vous devriez en arriver.
Vous seriez obligés de maintenir sur le pied de paix la cavalerie telle qu'elle est constituée sur le pied de guerre. Il en serait de même pour l'artillerie.
Du reste, messieurs, la pénurie de volontaires se fait sentir partout. Il existe à côté de nous un pays dont l'organisation était basée sur les volontaires, complétée par les miliciens. C'est la Hollande.
La Hollande a toujours eu le bonheur d'avoir un assez grand nombre de volontaires. Tandis qu'en Belgique nous n'en avions que 5, 6, 7 ou 8,000, la Hollande voyait ce chiffre monter quelquefois jusqu'à 17,000 ; et avec ses miliciens qui servaient un an, elle parvenait à constituer une armée de 50,000 hommes.
M. Coomans. - Les volontaires sont bien traités en Hollande.
MgRµ. - En Hollande la prime d'engagement pour les volontaires est de 40 florins ; et ils n'ont que la solde ordinaire des armes où ils servent. Vous allez voir ce que cela produit actuellement.
La loi de 1861 prescrivait une levée de 11,000 miliciens ; le gouvernement néerlandais a demandé en 1867 14,000 miliciens au lieu de 11,000. La section centrale du budget de la guerre, effrayée de cette augmentation du nombre de miliciens, a demandé pourquoi on n'augmentait pas le nombre des volontaires.
Voici la réponse qui a été faite par M. le ministre de la guerre de Hollande :
« La section centrale reproche au gouvernement de n'avoir pas pris des mesures pour remédier à la pénurie de volontaires. La section perd de vue que tous les efforts qu'on a faits pour favoriser le recrutement des volontaires sont restés sans résultats ; on a augmenté la prime d'engagement, diminué le temps du service, accordé une augmentation de solde après 6 et 12 ans de service.
« La conviction du ministre est que toutes les mesures prises pour trouver des volontaires ne produiront aucun effet, tant que le bien-être continuera à régner dans le pays. Les nombreuses occasions que l'homme actif et industrieux trouve pour pourvoir à sa subsistance et à sa famille éteindront probablement le peu de goût qui existe encore dans le peuple pour le service volontaire. »
Je ne suis pas seul de cet avis. On lit dans un rapport du lieutenant général Knoop : « Le manque de volontaires doit être attribué en grande partie au bien-être général qui règne dans notre pays ; c'est donc une cause bien salutaire et on ne peut rien pour la faire disparaître. On doit se résoudre, dans les circonstances actuelles, à voir l'armée composée presque en totalité de miliciens du moins pour ce qui concerne l'infanterie.
« On ne pourra trouver des volontaires qu'en portant la solde à un taux plus élevé que la journée actuelle de l'ouvrier et de l'artisan.
« Le ministre ne croit pas que la Chambre soit disposée à concourir à une augmentation aussi considérable du budget de la guerre ; il est d'avis que l'aggravation qui en résulterait pour nos finances n'est point en rapport avec les avantages que procurerait l'entretien au grand complet du nombre des volontaires prescrit par l'organisation de l'armée.
La section recommande cependant la création de quelques bataillons de volontaires.
On constate la même pénurie dans la marine.
Voilà, messieurs, ce qui se passe en Hollande et ce que l'on remarque partout.
En France même le nombre des volontaires a diminué, et cela est dû en partie aux effets du système d'exonération qui avait été adopté.
Ce système avait pour but de conserver dans l'armée les vieux soldats, principalement les sous-officiers ; les volontaires ne se présentaient plus. (page 857) Mais précisément parce que les sous-officiers vieillissaient dans les corps, l'avancement se trouvait arrêté.
La diminution des volontaires n'est donc pas particulière à la Belgique ; elle se produit généralement.
Vous comprendrez d'après cela, messieurs, qu'il est impossible de recruter les armes spéciales de volontaires et de remplaçants.
Le département de la guerre regrette autant que personne la diminution des volontaires. Elle est telle que nous sommes obligés de recourir aux miliciens pour compléter les cadres des compagnies d'infanterie, ce qui est contraire à l'économie de l'organisation militaire proposée par la commission mixte de 1851.
D'autre part, si l'on réduisait à 2 ans le temps de service dans la cavalerie, on arriverait à ce résultat inévitable de devoir incorporer dans l'arme, non pas mille hommes comme nous le faisons à présent, mais 2,500 tous les ans.
Actuellement que nos cavaliers servent quatre ans, nous pouvons entretenir l'effectif de la cavalerie avec un recrutement de 1,000 hommes par an ; mais si le service est réduit à 2ans, nous devrons naturellement doubler la contingent pour avoir un nombre d'hommes correspondant à l'effectif des chevaux qui est constant.
Pour sortir de cette difficulté, il faudrait diminuer considérablement l'effectif des chevaux ; mais cela reviendrait à supprimer complètement notre cavalerie.
Les mêmes inconvénients se produiraient dans les autres armes ; pour y remédier, il faudrait notablement augmenter leur contingent spécial, de sorte que le contingent général s'élèverait à 15,000 hommes au lieu de 12,000 hommes tous les ans.
Ce système nous conduirait à avoir plus de cavaliers et d'artilleurs ; mais leur instruction serait des plus médiocres, et c'est ici ou jamais le cas de dire que la quantité ne peut compenser la qualité. On nous dira peut-être : « Mais ne peut-on pas former un artilleur de siège en moins de temps qu'aujourd'hui ? »
Non, messieurs ; cet artilleur doit être un homme d'élite. Il faut 5 ou 6 hommes pour manœuvrer une pièce de siège. Ces hommes sont pris dans l'infanterie et ils sont guidés par un seul canonnier. Par conséquent le canonnier doit être versé dans son métier ; il doit avoir pour ainsi dire toutes les qualités d'un véritable caporal d'infanterie.
Messieurs, on se plaint du choix des hommes pour les armes spéciales. Mais il est impossible pour les recruter de prendre le premier venu. Pour former une bonne cavalerie on prend autant que possible les hommes qui ont l'habitude du cheval. Ce sont les fils de fermiers et tous ceux qui se sont occupés de chevaux.
Pour les pontonniers, on choisit de préférence les bateliers. Dans l'artillerie et le génie on fait entrer les ouvriers en bois et en fer.
L'honorable M. Coomans vous a parlé, messieurs, d'équilibrer les positions relatives en rémunérant les miliciens des armes spéciales. Mais cette distinction existe déjà dans l'armée. Le soldat d'infanterie a 78 centimes de solde par jour, tandis que le cavalier touche 24 centimes de plus, c'est-à-dire 1 fr. 2 cent.
M. Coomans. - Le soldat de cavalerie a beaucoup plus de frais.
MgRµ. - Du tout ; il n'a aucun frais de plus. Il a sa nourriture comme les autres ; ses effets sont payés par l'Etat ; il a une masse beaucoup plus forte. Par conséquent cette augmentation de 24 centimes est pour lui un argent de poche.
Messieurs, je conçois que cette question de la durée du service émeuve la Chambre ; mais je la prie de se persuader que le gouvernement ne demande pas des hommes pour le plaisir d'en avoir. Notre état militaire n'est pas un état militaire de parade.
Nous n'incorporons les hommes que pour les instruire convenablement, et quand ils le sont nous ne demandons pas mieux que de les renvoyer dans leur famille.
Quant au cavalier dont nous a parlé l'honorable M. Coomans, je crois qu'il a réellement existé et je vais vous en faire comprendre la raison.
Notre organisation de 1853 a été basée sur un recrutement de 10,000 hommes. Mais c'est là un chiffre fictif, l'incorporation réelle est de 9,400 à 9,500 tout au plus ; il y a donc un déficit annuel de 500 hommes, ce qui amène, comme vous avez pu le constater par les renseignements que je vous ai fournis, une perte de près de 4,000 hommes.
Cette incorporation insuffisante réduirait nos effectifs et les ferait descendre en dessous des chiffres organiques. C'était in inconvénient auquel on pouvait remédier en partie dans l'infanterie mais non dans la cavalerie, où les effectifs en chevaux restent et doivent rester constants.
On ne peut opérer des achats ou des ventes en raison de l'incorporation annuelle des miliciens, c'est donc le chiffre des chevaux qui détermine le nombre de cavaliers que l'on doit conserver sous les drapeaux.
C'est la faiblesse du contingent de 10,000 hommes qui a élevé la durée du service dans la cavalerie. La Chambre, en votant un supplément de contingent, a rendu aux miliciens un imminent service, parce que les concessions que nous ne pouvions pas faire auparavant, et qu'il nous était impossible de faire par la nature même des choses, deviendront exécutables aujourd'hui. Soyez persuadés, messieurs, que cette question du temps de service fera l'objet de toutes mes préoccupations, et que ce qu'il sera possible sans nuire aux intérêts de l'armée sera fait.
Avant de me s'asseoir, je désire rectifier un chiffre de M. Kervyn de Lettenhove.
L'honorable membre a trouvé plus qu'exagéré le nombre des mariés que j'avais indiqué pour la neuvième et la dixième classe de milice.
L'honorable M. Kervyn s'est servi de renseignements statistiques. La statistique est sans doute une magnifique science puisqu'elle est tant honorée. Mais je crois que les faits sont plus puissants que tous les renseignements statistiques du monde. J'ai, du reste, consulté les documents statistiques sur la matière et j'en ai tiré des conclusions tout à fait différentes de celles de l'honorable M. Kervyn. L'honorable membre prétend que la 9ème et la 10ème classe ne comprennent que 500 mariés, J'ai étudié les travaux de MM. Quetelet et Scheler, et voici les résultats auxquels je suis arrivé.
La population actuelle de la Belgique est de 5 millions d'habitants ; il y a 200,000 hommes de 25 à 30 ans, soit approximativement 80,000 hommes de 29 et de 30 ans.
Il se marie chaque année 12,604 hommes de 25 à 30 ans, on en moyenne 25,208 hommes de 29 et de 30 ans.
Mais le nombre de décès est chaque année de 1,075 pour les hommes de 25 à 30 ans, ou 430 mariés de 29 et 30 ans ; déduisant ces 430 décédés des 25,208 mariés, il reste 24,778 mariés de 29 à 30 ans pour 80,000 hommes du même âge.
Or, un contingent de 9,500 hommes réellement incorporé est réduit à 7,130 hommes environ, au bout de 8 ans ; ce qui donne 14,260 hommes pour les 9ème et 10ème classes. On voit par ces chiffres que si, pour 80,000 hommes, il y a 24,778 mariés, les 14,260 hommes des deux dernières classes fourniront 4,416 mariés.
Messieurs, j'ai fait faire des recherches au département de la guerre pour connaître si les faits étaient en concordance avec la statistique. J'ai déjà ici un renseignement très pratique ; c'est la situation de notre 8e classe actuelle qui, au 1" avril prochain, va devenir la 9e. Vous vous rappelez que les hommes des 6% 7" et 8* classés ont l'autorisation de se marier sous certaines .restrictions, comme par exemple de payer leur dette à la masse.
Eh bien, cette 8ème classe au 1er janvier 1868 comptait déjà 2,201 mariés constatés officiellement. Et ce nombre de 2,201 mariés est évidemment un minimum, car il est plus que probable que quelques bourgmestres n'ont pas prévenu les corps du mariage des miliciens effectués dans leurs communes.
Je trouve encore dans un document du département de la guerre ce renseignement ci :
La classe de 1857, qui en 1866 constituait la 10ème classe, comptait, au 1er octobre 1866, 2,137 mariés connus. Et ce nombre ne pouvait être le nombre vrai, puisque depuis deux ans le département de la guerre n'avait plus rien à contrôler dans cette classe en fait de mariages.
Voici encore un autre renseignement : En 1859, les cinq dernières classes, 1855 à 1859, avaient en tout 9,786 marié. Si nous admettons que les trois premières comptaient autant de. mariés qu'aujourd'hui, à savoir 4,876, il restera pour les 9ème et 10ème, 4,910 mariés. Je tenais, messieurs, à faire cette rectification pour vous prouver que les données que je vous ai présentées n'ont pas été établies à la légère et qu'elles sont l'expression de la vérité.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Je ne veux répondre qu'un seul mot à l'honorable M. Coomans. D'ordinaire, quand un membre dépose un amendement, c'est comme conclusion du discours qu'il a prononcé. Au lieu de trouver dans l'amendement de M. Coomans la conclusion de son discours, j'ai démontré que son amendement allait directement coutre ce discours même. Je m'imaginais par conséquent, que je l'avais combattu comme je devais le faire en ma qualité de (page 858) rapporteur, en démontrant qu'il empirait la condition des miliciens, au lieu de l'améliorer.
L'honorable membre, en me répondant, a maintenu ses idées, mais il n'a plus défendu son amendement ; je suis autorisé dès lors à dire que ceux mêmes qui partagent ses idées doivent repousser son amendement.
M. Kervyn de Lettenhove. - M. le rapporteur a parfaitement expliqué, messieurs, le caractère de la loi qui nous est soumise, en disant qu'elle n'a qu'un seul but : c'est d'expliquer la pensée du gouvernement et de provoquer nos observations. En effet, sa rédaction présente quelque chose de bizarre : il s'agit de charges personnelles, et le projet de loi ne fait pas connaître le maximum qu'elles peuvent atteindre et qui reste subordonné aux circonstances. Il se borne à indiquer un minimum, minimum qui me semble bien vague, puisque aujourd'hui même j'ai entendu M. le ministre de la guerre déclarer que tout le système du gouvernement consistait à renvoyer chez eux les hommes qui seraient instruits.
Il m'est donc permis de supposer que ce minimum n'a rien de bien rigoureux, qu'il ne restera pas infranchissable ; ainsi il me semble démontré que dans un temps où les progrès de la science militaire sont si incontestables, ces progrès doivent s'étendre, avant tout, à l'instruction du soldat et que l'on parviendra à la fois à la rendre meilleure et plus rapide.
Dans ce cas, le minimum se trouvera nécessairement modifié.
Mais il est une autre considération sur laquelle je veux également appeler l'attention de la Chambre ; c'est que l'instruction, qui est le but principal que l'on se propose, comme le faisait connaître, il y a quelques moments, M. le ministre de la guerre, n'est pas la même chez tous les hommes astreints au service militaire, et je demande si dans ce cas il ne serait pas juste et convenable, aussi bien dans l'intérêt de l'armée que dans l'intérêt de la population, de tenir compte du zèle et des efforts que l'on s'imposerait pour acquérir cette instruction.
En inscrivant dans la loi un terme précis, ne venons-nous pas l'arrêter et l'étouffer ? Ne serait-il pas plus sage d'encourager autant que possible les progrès de l'instruction ?
Permettez-moi, messieurs, de citer un exemple.
Dans un pays voisin, en Prusse, on a admis l'engagement à très courte durée, notamment l'engagement d'un an. Quel est le résultat que l'on a voulu obtenir (et il a été admirablement atteint) ? C'est d'appeler un grand nombre de jeunes gens des classes moyennes qui apportent un excellent élément dans l'armée.
Si l'on disait : Les jeunes gens qui possèdent un certain degré d'instruction et qui s'engagent avant le tirage au sort, en renonçant aux bonnes chances, en s'imposant dans tous les cas le service militaire et surtout pour les armes spéciales, pourront rentrer chez eux après un an, après dix-huit mois de service, lorsque à leur instruction première, ils auront ajouté celle que donne l'expérience, ce langage ne serait-il point entendu ? Ces exhortations seraient-elles stériles ?
Il y aurait là la base d'une décharge considérable pour les hommes désignés par le sort qui subissent une majoration de service dans les armes spéciales, et vous fortifieriez en même temps l'armée dans les parties les plus importantes de son organisation.
Ces observations, messieurs, je les soumets à M. le ministre de la guerre. Mais, avant de me rasseoir, je voudrais réclamer de son obligeance un dernier éclaircissement.
Lorsque le gouvernement vous demande 24 mois de service continu, il en résulte que ce service doit comprendre deux hivers et deux étés.
Or, il est démontré pour tout le monde que le séjour des garnisons forme peu le soldat, que c'est par les manœuvres dans les camps qu'il acquiert son instruction. Je désirerais, en me plaçant à ce point de vue, demander à M. le ministre de la guerre si le but qu'il se propose ne serait pas suffisamment atteint, si l'instruction du soldat ne serait pas complète en réduisant le service à un seul hiver de garnison et à deux périodes d'été de manœuvres militaires ?
MgRµ. - Je répondrai à la dernière observation de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove ce que j'ai déjà dit dans un discours précédent.
Il ne suffit pas de donner l'instruction théorique aux soldats pour parvenir à constituer de bonnes compagnies et par suite une bonne armée.
Il faut avoir assez de soldats, et les tenir assez longtemps pour recruter, instruire et former des cadres. D'autre part, on doit entretenir des forces suffisantes pour assurer la sécurité du pays. Or, je le répète, si tous les soldats instruits étaient envoyés en congé, il ne vous resterait absolument rien.
L'instruction du soldat peut avoir lieu pendant l'hiver. A quelle époque les Prussiens entrent-ils au service ? Le 13 octobre. Il va en être de même chez nous. C'est aussi vers la fin de l'année que nous incorporons les cavaliers et les artilleurs.
Il est nécessaire de garder les soldats d'un an de service non seulement pour les rompre à la pratique du métier, mais encore parce qu'ils servent de moniteurs aux nouvelles recrues auxquelles ils enseignent comment on doit nettoyer les armes, les effets, etc.
Lorsque les armées renfermaient un grand nombre de volontaires, on pouvait, sans trop affaiblir les effectifs et la solidité des corps, ne garder les miliciens qu'une année sous les armes.
J'ai établi, de manière à ne pas laisser de doute, que deux classes sont indispensables pour assurer la sécurité du pays. Il est impossible qu'un pays qui dépense 36 millions pour son armée n'ait, à un moment donné, que 3,000 baïonnettes à sa disposition.
Je demande la permission de lire un passage du livre du colonel prussien Vankessel. Vous allez voir jusqu'à quel point l'instruction du soldat est devenue délicate, et jusqu'à quel point il faut compléter la théorie par la pratique.
Voici ce qu'il dit :
« On se rend alors sur le terrain avec les recrues seulement et en les fractionnant ; on commence à apprendre aux hommes à concevoir et à se rendre compte du pays ; on choisit un point élevé, une éminence, on nomme les localités que l'on peut apercevoir, on montre le chemin dont on fait suivre la direction des yeux, et l'on apprend aux hommes à reconnaître ce qui est élevé, ce qui est bas, et s'il y a sur le terrain des points qu'ils ne peuvent découvrir. On fortifie leur mémoire pour retenir tous les noms ; on exige d'eux qu'ils décrivent le pays ; par exemple, décrire un village, comment il est situé, s'il y a des hauteurs, des bois ou de l'eau à proximité, en combien de parties il se subdivise, comment celles-ci sont séparées, quelle est la nature et la composition des habitations et de l'enceinte ; en outre donner la description d'un chemin qu'ils peuvent découvrir, par quel pays et parties du terrain il passe. Ils doivent apprendre à juger les distances, à reconnaître les marais et les prairies, à décrire la configuration du terrain, à indiquer et à juger les joints élevés, les clochers des églises, etc., et quels sont les points qui offrent les meilleurs découverts.
« Ils doivent rechercher et décrire le chemin le plus court entre deux points, diriger leur attention sur les ponts et leurs environs, juger de la direction et de la largeur d'un cours d'eau, rechercher par quels moyens on peut gagner le plus facilement, et sans être remarqué, un village ou une habitation.
« On exigera également cela d'eux lorsque, après les explications nécessaires, ils seront revenus du terrain qu'ils ont eu à décrire.
« On leur fera comprendre les régions du ciel par matin, soir, midi et minuit, on leur expliquera comment ces points se déterminent d'après le cours du soleil ; on leur enseignera à indiquer la direction des chemins d'après ce moyen et comment des points isolés du terrain sont situés d'après les régions du ciel par rapport à une autre position ou à celle où l'on se trouve.
« On peut ensuite facilement leur apprendre ce que l'on entend par terrain découvert et couvert, ce qu'on entend par lisière d'un bois, par défilé... »
Voilà ou l'on en est arrivé. Ce ne sont plus des soldats comme jadis, ne connaissant que le coude à coude. Ce sont maintenant des gens qui doivent avoir l'intelligence nécessaire pour comprendre le terrain. Et cela se conçoit.
Est-il possible aujourd'hui, en présence des armes nouvelles, de procéder comme on le faisait autrefois ? Pourrait-on sans imprudence imiter la conduite des Autrichiens à la bataille de Sadowa, marcher à la baïonnette contre des troupes munies d'armes se chargeant par la culasse ? Non, il faut, pour s'approcher de l'ennemi, profiter des sinuosités du terrain. Aussi l'instruction est complètement changée et là où il fallait un an pour faire un soldat autrefois, il en faut bien plus aujourd'hui.
M. Kervyn de Lettenhove. - M. le ministre de la guerre a protesté tout à l'heure de son désir d'abréger autant que possible la durée du service ; il me pardonnera donc d'insister sur les observations que j'ai présentées.
Je sais parfaitement que la recrue qui entre au service avant l'hiver a (page 859) plusieurs mois à remplir d'une manière très utile en recevant les premières notions qui se rapportent à sa profession nouvelle ; mais ce que je ne comprends plus, c'est l'emploi du second hiver lorsque cet homme a déjà fait une période de manœuvres dans un camp.
M. le ministre de la guerre énumère les difficultés qui retardent aujourd'hui l'instruction du soldat ; je ne me dissimule pas ces difficultés ; mais, quelles qu'elles soient, je dois faire remarquer qu'il y a des hommes qui s'instruisent plus rapidement, et cela dépend presque toujours de leur zèle et de leurs efforts. Or, ceux qui s'instruisent, il faut les encourager. Ceux qui ne s'instruisent pas, il faut avoir le droit de les retenir, et c'est ainsi que les cadres de vos régiments ne resteront pas vides, car, si certains hommes rentrent chez eux, d'autres resteront sous les drapeaux par ce motif que l'instruction qui leur est indispensable, leur manque encore.
M. le ministre de la guerre s'appuie aussi sur les intérêts de la sécurité du pays. Je les respecte beaucoup, mais on ne peut oublier aujourd'hui combien les moyens de locomotion sont multipliés, combien il est aisé de réunir des points les plus éloignés du pays les forces dont on a besoin.
Comme M. le ministre de la guerre voudra bien le reconnaître, la base de la composition de notre armée, ce n'est pas la puissance de sa force permanente. C'est la facilité de sa mobilisation. Eh bien, messieurs, cette condition d'une bonne armée, qui pour nous aujourd'hui domine toutes les autres, vous ne pouvez pas la séparer de l'instruction du soldat, et c'est cette instruction que je voudrais encourager en l'appréciant non point par le temps qu'on y a consacré, mais par le zèle qu'on y a porté et par les résultats qu'on a obtenus.
- La discussion est close.
M. le président. - Nous allons procéder au vote sur l'amendement de M. Coomans qui tend à substituer les mots « au plus » aux mots « au moins » dans le paragraphe premier.
M. Coomans. - M. le président, j'ai proposé un sous-amendement qui consiste à supprimer les mots « remplaçants, etc. », parce que j'ai laissé l'alternative.
M. Bouvierµ . - Il n'en restera plus rien. (Interruption.)
M. Coomans. - Messieurs, de la bonne foi, je vous prie. (Nouvelle interruption.)
M. le président. - Personne ne vous fait d'objection, M. Coomans.
M. Coomans. - Je propose de voter sur cette question-ci : La durée du service sera-t-elle égale pour tous les miliciens ? C'est ma pensée ; je n'en ai pas d'autre.
Voulez-vous que je la rédige ainsi : « La durée du temps de service sera égale pour tous les miliciens » Voilà le fond de mon amendement.
MfFOµ. - Comme il est démontré qu'on ne peut former un cavalier ou un artilleur qu'en trois ou quatre ans, il résulterait de l'amendement de M. Coomans que tous les miliciens indistinctement devraient servir pendant trois ou quatre ans.
M. Coomans. - C'est une erreur, j'admets les volontaires et les remplaçants. (Interruption.)
MfFOµ. - Vous admettrez tout ce que vous voudrez, mais la conséquence de votre amendement, c'est que tous les miliciens seront astreints au maximum de la durée de service.
M. Coomans. - M. le ministre des finances me comprend mal. Je n'exige des miliciens de l'infanterie aucune prolongation de service, je demande seulement que la durée du service soit égale pour tous les miliciens forcés.
Voulez-vous qu'elle soit de quatre ans pour tous ? Vous le déciderez ; mais comme je crois que la durée du service des miliciens fantassins est suffisante, vous aurez à composer la cavalerie et les armes spéciales, de volontaires.
Et même, pour dire un dernier mot, rien ne serait plus facile que de décréter que tous les remplaçants devront réunir les aptitudes nécessaires pour entrer dans la cavalerie et les armes spéciales. Or, vous en avez 3,000 par an, vous êtes donc assuré d'un recrutement annuel suffisant pour pourvoir aux besoins de la cavalerie et des armes spéciales. (Interruption.)
Il est vrai que ce sera une charge qui pèsera sur les riches, sur nous ; mais pourquoi pas ? Pourquoi mettre toutes les charges sur les malheureux ? Encore une fois, l'égalité des Belges devant la loi est un principe et vous ne pouvez pas le violer ; or, vous le violez quand vous décrétez l'inégalité.
M. le président. - Si M. Coomans désire que sa nouvelle proposition soit mise aux voix, je le prie de la rédiger et de me l'envoyer.
M. Coomans. - C'est ce que je vais faire, M. le président.
M. le président. - Voici la proposition de M. Coomans :
« La durée de service sera égale pour tous les miliciens. La cavalerie et les armes spéciales seront composées de volontaires et de remplaçants. »
- L'amendement est appuyé.
M. le président. - Comme cet amendement a été développé et discuté, je vais le mettre aux voix.
- L'amendement n'est pas adopté.
M. le président. - Maintenant, il reste à voter par appel nominal sur la proposition de la section centrale à laquelle le gouvernement se rallie. Je donne une nouvelle lecture de la proposition.
« Les miliciens, remplaçants ou substituants, qui ont passé au moins vingt-quatre mois sous les drapeaux, d'après le mode à déterminer par le ministre de la guerre, peuvent seuls être envoyés en congé illimité. sous la réserve de leur rappel pendant un mois durant trois années.
« Les miliciens, remplaçants et substituants du contingent de réserve, ne sont appelés sous les armes que pour quatre mois, pendant la première année, et pour un mois, pendant chacune des trois années suivantes.
« Les précédentes dispositions seront toujours appliquées, à moins qu'une disposition contraire ne soit insérée dans la loi budgétaire ou dans celle du contingent. »
- Il est procédé au vote par appel nominal.
110 membres sont présents.
2 membres (MM. Thibaut et De Lexhy) s'abstiennent.
87 membres répondent oui.
21 membres répondent non.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. de Rongé, de Rossius, Descamps.de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dethuin, de Vrière, Dewandre, de Woelmont, Dumortier, Dupont, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lambert, Landeloos, Lange, Lebeau, Lesoinne, Liénart, Lippens, Magherman, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Snoy, Tack, Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Wambeke, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Broustin, Bruneau, Cartier, Crombez, de Baillet- Latour, de Brouckere, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delcour, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor, de Naeyer et Dolez.
Ont répondu non :
Mal. de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Gerrits, Guillery, Hayez, Jacobs, Janssens, Le Hardy de Beaulieu, Reynaert, Thienpont, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Vermeire, Bricoult, Coomans, David, de Coninck, E. de Kerckhove, Delaet et de Muelenaere.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés, aux termes du règlement, de faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Thibautµ. - Messieurs, je n'ai pas voté contre la loi, parce qu'il est possible que de l'interprétation et de l'application qui en seront faites il résulte un avantage pour nos miliciens, comparativement à l'état actuel des choses. Je n'ai pas voté pour la loi, parce qu'elle repose sur des principes que je ne veux pas fortifier par mon vote.
M. De Lexhy. - Messieurs, je n'ai pas voté pour, parce qu'on peut sans inconvénient réduire la durée du service dans la mesure que j'ai eu l'honneur d'indiquer dans la discussion générale ; je n'ai pas voté contre, en présence des déclarations rassurantes qu'a faites tout à l'heure M. le ministre de la guerre.
M. le président. - Nous reprenons maintenant, d'après notre ordre du jour, l'article 6 de la loi de réorganisation militaire qui a été réservé ; il est ainsi conçu :
« Art. 6. Les dispositions des articles 1, 2, 3 et 4 de la loi du 8 juin 1853, sur l'organisation de l'armée, sont abrogées. »
(page 860) M. Dumortier avait fait parvenir au bureau un amendement qui, selon moi, n'a plus d'objet depuis le vote d'hier.
Est-il d'accord avec moi
M. Dumortier. - J'avais proposé de rendre cet article définitif afin d'éviter les charges qu'on a votées hier.
Les charges ayant été votées hier, mon amendement est donc sans objet.
Toutefois l'article qui est maintenant en discussion me paraît aussi avoir un caractère définitif. Est-ce que cette faculté sera appliquée au contingent de 2,000 hommes ?
Voilà ce que je voudrais savoir et je demande sur ce point quelques explications au gouvernement.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - L'honorable M. Dumortier oublie que les articles de la loi de 1853 qui ne sont pas abrogés par la disposition actuellement en discussion ont eux-mêmes un caractère temporaire. La loi de 1853 porte en effet que ces articles ne resteront en vigueur que jusqu'à la révision des lois sur la milice.
M. Dumortier. - Je connaissais fort bien cette disposition de la loi de 1853 ; mais cette disposition se rapporte à la loi sur la milice et non pas à la loi du contingent dont j'ai parlé. .
Pour moi, je voudrais voir voter la faculté du rappel sous les armes de préférence à l'augmentation du contingent. Avec le rappel sous les armes, vous avez la facilité de réunir immédiatement le nombre d'hommes nécessaire : tandis qu'avec le contingent de 12,000 hommes vous n'aurez l'effectif de 100,000 hommes qu'au bout de 10 ans.
Or, dans dix ans la situation de l'Europe aura certainement changé, et dès lors l'augmentation du contingent n'est plus nécessaire, mais, messieurs, maintenant que le contingent de 12,000 hommes est voté, je vous demanderai s'il est nécessaire de le maintenir à perpétuité.
Nous avons voté hier un chiffre identique à celui qui vient d'être voté par une grande puissance voisine.
La France, qui compte quarante millions d'habitants, a voté un contingent de 100,000 hommes. Nous votons, nous, 12,000 hommes pour une population de cinq millions ; multipliez 12,000 par huit vous aurez 96,000 hommes ; vous aurez donc, toute proportion gardée, le même effectif que la France.
Mais en France, le service militaire est réduit à neuf années, savoir : cinq années de service actif et quatre années dans la réserve.
Eu Belgique, nous ayons dix années de service ; par conséquent, nous mettons notre pays, à ce point de vue, dans une situation beaucoup plus dure qu'elle ne l'est en France. Nous y adjoignons encore le rappel sous les armes.
Est-ce là votre intention ? Je voudrais avoir une explication sur ce point.
J'ai toujours été prêt à voter le rappel sous les armes en temps de guerre, parce qu'en temps de guerre il faut savoir se lever pour la défense de son pays
Mais je vous avoue franchement que je me demande s'il y a lieu de maintenir l'augmentation du contingent qui, je le répète, rendra notre situation beaucoup plus dure, beaucoup plus sévère que celle de la France.
MfFOµ. - Il y a beaucoup d'erreurs dans caque vient de dire l'honorable M. Dumortier. Mais ce serait rentrer dans la discussion générale que d'en faire maintenant la réfutation ; je me bornerai à répondre à la question qu'il nous pose, celle de savoir si, le contingent ayant été augmenté, on maintient néanmoins la loi de 1853.
Messieurs, on ne maintient la loi de 1853 que d'une manière transitoire.
En second lieu, il va de soi que le rappel éventuel, en cas de guerre, des classes libérées, ne se ferait plus que déduction faite des augmentations qui auraient été obtenues à l'aide de l'accroissement du contingent. Par conséquent cette loi de 1853 disparaîtra complètement, après un certain temps.
M. Dumortier. - C'est ainsi que cela est entendu, cela rentre dans les idées que j'ai eu l'honneur d'exprimer et par conséquent je ne ferai plus d'observations.
M. de Theuxµ. - Le projet de loi proposait de dire que la loi du 18 juin 1853 est abrogée.
MfFOµ. - Vous n'avez pas lu le projet.
M. de Theuxµ. - Je parle du premier projet... est abrogée. Pourquoi ? Parce que le gouvernement disait que l'augmentation du contingent était destinée à remplacer l'article 6 de la loi de 1853, et c'est sur cette demande que beaucoup d'orateurs ont raisonné, lorsqu'ils ont appuyé le contingent de 12,000 hommes, disant qu'ils préféraient le contingent de 12,000 hommes à la faculté de rappel consacrée par l'article 5 de la loi de 1853.
Nous voici dans une situation étrange ; nous aurons donc les deux lois à la fois : la loi de 1853 et la loi nouvelle du contingent.
On dit : Mais la loi de 1853 tombe avec la révision des lois de milice. Comme on l'a fait observer tantôt, il y a quinze ans que le projet de révision de la loi de milice est sur le tapis.
MfFOµ. - Depuis 1862.
M. de Theuxµ. - Oui, mais il en a été question auparavant. Quand cette loi sera-t-elle révisée ? C'est une loi très étendue, très compliquée et je crois qu'il n'appartient à personne de dire en quelle année elle sera révisée. Peut être se bornera-t-on à réviser quelques dispositions parce qu'on ne tombera pas d'accord sur une révision d'ensemble. Eh bien, puisque l'intention du gouvernement est formelle, que la loi de 1853 doit cesser ses effets à proportion de l'augmentation de l'effectif de l'armée produite par l'accroissement du contingent, il faut l'écrire. Il ne suffit pas de le dire. On n'est pas engagé par des dires. Un autre ministre viendra dire : On en a parlé, c'est vrai ; mais la loi reste ; je l'exécute. Et l'on n'aurait rien à objecter.
MfFOµ. - Je fais remarquer qu'il ne peut y avoir la moindre difficulté sur le sens des dispositions combinées.
M. de Theuxµ. - Il faut l'écrire.
MfFOµ. - Mais il ne peut pas y avoir de difficulté.
Ou a donné une faculté au gouvernement dans la loi de 1853, c'est celle de rappeler les classes libérées, de manière à obtenir 100,000 hommes. Si on lui donne, comme on l'a fait par la loi que vous avez votée hier, un contingent plus élevé, il n'aura, par la loi de 1853, que la faculté de compléter l'effectif de 100,000 hommes. Il est impossible que son droit soit autre que celui-là. Il ne me paraît pas possible d'interpréter autrement les deux dispositions combinées. Je ne verrais du reste pas de difficulté, et je ne ferais pas d'opposition à ce que l'honorable M. de Theux fît une proposition qui exprimât cette idée, que l'augmentation du contingent votée viendra en déduction du nombre d'hommes que le gouvernement peut rappeler en vertu de la loi de 1853.
M. de Theuxµ. - Je dois faire remarquer que le chiffre n'est pas limité par une loi, comme le dit M. Je ministre des finances ; car l'organisation nouvelle repose sur un chiffre de 130,000 hommes. Il y a donc là une lacune que, selon moi, il serait utile de combler.
M. Thibautµ. - Messieurs, l'on veut savoir, probablement, à quelle époque, avec le contingent nouveau de 12,000 hommes, le gouvernement sera en mesure de réunir 100,000 hommes sous les drapeaux sans rappeler les classes libérées. (Interruption.)
Le gouvernement assure qu'avec le contingent annuel voté hier, il arrivera un moment où les 10 classes de milice donneront 100,000 hommes. Il me paraît qu'on pourrait indiquer cette époque dans l'article 5 en discussion, et le rédiger en ces termes : « En attendant la révision des lois sur la milice et au plus tard jusqu'à telle époque... 1878 ou 1879, etc. »
Veuillez remarquer, messieurs, que la condition qui rend la disposition dont nous parlons, transitoire, était en 1853 considérée par le gouvernement comme devant s'accomplir au bout de peu de mois. L'honorable M. de Brouckere qui était alors, comme il l'a rappelé dans une précédente séance, chef du cabinet, déclarait que la disposition n'aurait qu'une vigueur de 6 ou 7 mois. Mais ces 6 ou 7 mois se sont multipliés ; ils sont devenus 15 ans et deviendront peut-être 50 ans. Vous voyez donc, messieurs, que l'honorable M. de Theux avait raison de dire qu'il importe d'avoir une limite fixe dans la loi. J'appuie la proposition de l'honorable membre.
MfFOµ. - Il faut 10 ans à partir du premier contingent. (Interruption.) Du reste la loi du contingent est une loi annuelle.
- L'article est adopté.
La Chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.
L'amendement introduit dans l'article 7 est mis aux voix et définitivement adopté.
Il est procédé à l'appel nominal.
109 membres y prennent part,
69 répondent oui.
59 répondent non.
En conséquence la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dumortier, Dupont, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Lambert, Lange, Lebeau, Lesoinne, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Schollaert, Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Vilain XIIII, Vleminckx, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, De Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor, de Naeyer et Dolez.
Ont répondu non :
MM. de Smedt, de Theux, de Woelmont, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Gerrits, Guillery, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Wouters, Coomans, David, de Coninck, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour et de Muelenaere.
M. le président. - L'honorable M. de Haerne est prié de faire connaître les motifs de son abstention.
M. de Haerneµ. - Messieurs, je n'ai pas voté pour le projet de loi, parce que je n'ai pu admettre l'augmentation du contingent. Cette question est connexe à celle de l'organisation, et je me suis exprimé, depuis des années, dans ce sens que le contingent de 10,000 hommes était un maximum que je ne pouvais dépasser.
D'un autre côté, je n'ai pas voté contre le projet parce que j'ai craint que mon vote pût être interprété dans un sens hostile à l'armée pour la conservation de laquelle j'ai voté, depuis 1830, dans toutes les circonstances.
M. le président. - Messieurs, l'ordre du jour appelle la discussion du budget de la guerre.
- Plusieurs membres : A mardi !
MfFOµ. - Messieurs, je dois faire remarquer qu'après les votes émis par la Chambre, la loi d'organisation étant votée, le budget n'est littéralement que l'application de ces lois.
On peut bien discuter encore d'autres questions à l'occasion du budget ; c'est incontestable ; mais la discussion ne peut porter que sur des points de détail.
Nous nous sommes occupés pendant six semaines des questions militaires ; il nous reste beaucoup de travaux à terminer, entre autres deux budgets, celui de l'intérieur et celui des travaux publics. Or, pour exécuter la loi de comptabilité, nous devrions bien voter quelques budgets de l'exercice prochain avant la fin de l'année courante, et si nous ne profitons pas du temps qui nous reste, nous n'y parviendrons pas.
M. Wasseige. - Il faut bien tire le projet de loi.
MfFOµ. - Le budget a été déposé en même temps que les projets de lois militaires. Il ne s'agit, du reste, que d'appliquer ce qui vient d'être voté.
M. Vleminckxµ. - Il est très vrai, comme vient de le dire l'honorable ministre des finances, que la loi du budget est une loi d'application de ce que nous venons de voter, mais il n'en est pas moins vrai qu'à l'occasion du budget de la guerre, on peut produire certaines observations qui ont trait à l'administration de la guerre.
La séance de samedi finit d'ordinaire à 4 heures, nous sommes arrivés à 3 heures et demie ; pourquoi entamer une discussion... ?
- Voix nombreuses. - A mardi !
M. Coomans. - Si l'argument que nous oppose l'honorable ministre est bon aujourd'hui, il sera bon l'année prochaine et il en résultera que nous n'aurons plus à discuter sérieusement le budget de la guerre, qui cependant depuis plusieurs années a fait l'objet principal de nos débats.
Je conçois qu'on ne revienne pas, à propos du budget de la guerre, sur toutes les questions qui nous ont longuement préoccupés et pour ma part, sans vouloir prendre d'engagement à cet égard, je me propose de ne répéter aucune des observations que j'ai déjà faites.
Mais, en dehors des principes de la nouvelle organisation que nous avons votée, n'y a-t-il pas une foule d'observations à présenter qui peuvent avoir leur utilité ? En ce qui concerne la gendarmerie, par exemple, j'aurais voulu en présenter moi-même.
- De toutes parts. - On est d'accord.
M. Coomans. - Je ne puis pas admettre qu'on vote sans discuter un budget de cette importance...
MfFOµ. - Je n'insiste pas.
M. le président. - On paraît d'accord pour remettre la séance à mardi.
- De toutes parts. - Oui ! oui !
- La séance est levée à 3 1/2 heures.