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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 mars 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 837) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Morhet demande que la compagnie du Luxembourg soit contrainte d'exécuter sans retard l'embranchement du chemin de fer qui doit relier Bastogne à la ligne de Bruxelles à Arlon. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dreessen, à Opitter, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le prix de vente d'une parcelle de terre qu'il a cédée à l'Etat. »

- Même renvoi.


« Le sieur Sauvenée demande le rejet de toute proposition tendante à rappeler, pour un mois d'exercice, les miliciens appartenant à la dernière levée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires.


« Le sieur Pierre-Laurent-Elizé Dagneaux, négociant à Liège, né à VilIequier-Aumont-Guyencourt (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les sieurs Jules Dresse et consorts adressent à la Chambre 126 exemplaires d'une brochure intitulée : Réponse à la protestation du conseil communal de Battice, contre la requête de habitants de Chaîneux, tendante à obtenir que leur section soit érigée eu commune distincte. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


M. le président. - Messieurs, la lettre suivante est parvenue à votre président :

« Monsieur le président,

« J'avais espéré que ma santé me permettrait d'assister à la séance de la Chambre de ce jour, dans laquelle peut-être elle se prononcera sur les projets de lois en discussion, ou, au moins sur le plus important d'entre eux, celui fixant le contingent de l'armée.

« Me trouvant dans l'impossibilité d'assister a cette séance, je tiens à faire connaître loyalement a la Chambre, et surtout au corps électoral qui m'y envoie depuis longtemps, que j'aurais voté ces projets de lois avec un patriotique empressement, et que je les voterai si, la discussion se prolongeant, l'occasion m'en est laissée.

« J'ai dans diverses occasions précédentes exposé longuement à la Chambre la conviction que j'ai que la Belgique doit faire sans se plaindre les sacrifices que commande la position si enviable et si heureuse que les traités lui ont faite, surtout quand ils sont modérés et en rapport avec sa richesse et sa prospérité.

« La conviction que j'avais alors, je la retrouve en moi plus énergique que jamais, c'est que le pays, en immense majorité, ne trouvera pas ces sacrifices trop lourds, s'ils doivent, comme nous en avons l'espoir, assurer la continuation des trente-huit années d'indépendance, de liberté et de bonheur qu'il vient de traverser.

« Daignez agréer, Monsieur le président, l'expression de mes sentiments respectueux et de la plus haute considération.

« Lessines, 13 mars 1868.

« Jouret. »


M. le président. - Messieurs, vous avez, dans une séance précédente, chargé votre bureau de compléter les sections centrales dont faisaient partie MM. Jamar et Pirmez. Voici les nominations qu'a faites votre bureau en vertu de cette délégation.

Pour la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur le droit de propriété des modèles et dessins de fabrique, M. Jamar a été remplacé par M. de Rongé.

Pour la section centrale à laquelle a été renvoyé le projet de loi d'organisation judiciaire (titres III, IV et V), M. Pirmez a été remplacé par M. Lebeau.

Pour la section centrale chargée d'examiner le projet de loi portant révision du code de commerce, et le projet de loi sur les protêts, M. Pirmez a été remplacé par M. Dewandre et M. Jamar par M. Guillery.

Dans la commission permanente des finances, M. Pirmez a été remplacé par M. Descamps et M. Jamar par M. Thonissen.

Projets de loi relatifs au contingent de l’armée pour 1869, à la division du contingent de milice en contingent actif et contingent de réserve, et à la durée du service militaire

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Rogier.

M. Rogierµ. - Monsieur le président, j'ai demandé incidemment la parole dans la discussion d'hier. La Chambre ayant, à la fin de la séance, manifesté de divers côtés l'intention de clore ce débat, j'ai déclaré que je renoncerais volontiers à prendre la parole si l'on voulait prononcer la clôture de la discussion.

Je pose de nouveau la même question à la Chambre : si l'assemblée croyait qu'il est temps de clore la discussion, ce que j'accepte parfaitement pour ma part, je n'insisterais nullement pour parler.

M. le président. - Je dois faire connaître qu'en ce moment il y a encore deux orateurs inscrits : MM. de Theux et de Naeyer. D'un autre côté, il n'y à pas de demande de clôture. Vous avez donc la parole, monsieur Rogier.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

M. Rogierµ. - Messieurs, la discussion qui nous occupe et qui occupe le pays s'est tellement prolongée que j'éprouve quelque regret à la prolonger encore. Ce regret s'augmentera si mon discours, ce qui n'est pas mon intention, devait donner lieu à de nouveaux débats.

Je n'ai d'ailleurs d'autre but que de motiver mon vote par quelques considérations générales en faveur des projets en discussion et du projet d'organisation qu'il nous reste encore à voter.

Messieurs, à toutes les époques de ma carrière parlementaire, j'ai eu occasion de parler de l'armée, et toujours j'ai manifesté mes sympathies pour cette noble et constitutionnelle institution. Je pourrais donc sous ce rapport, me dispenser de prendre la parole aujourd'hui, mes opinions étant suffisamment connues, et ayant été, suivant moi, suffisamment motivées, en beaucoup d'autres circonstances.

Toutefois, je dois le dire, pendant cette discussion, j'ai éprouvé à diverses reprises le besoin de protester contre certaines doctrines qui se sont produites, doctrines énervantes, malsaines, qu'il n'appartient pas à des membres du parlement de propager dans le pays.

Passe encore dans les assemblées extra-parlementaires où l'on fait appel aux classes inférieures, dont on cherche vainement à fausser, à pervertir les sentiments ; toujours nos classes populaires, ou peut le dire à leur honneur, sont restées dévouées, patriotiques, prêtes au sacrifice, et j'aime à croire qu'il n'est pas de discours qui puisse exercer sur les esprits sains et droits d s nos classes inférieures une influence délétère.

J'ai eu cependant le regret de voir s'associer à ces démonstrations des jeunes gens auxquels je ne veux pas refuser des sentiments généreux, mais qui, à mon avis, s'égarent complètement lorsqu'ils tendent par leurs discours à éveiller dans les classes inférieures des sentiments d'égoïsme et d'envie, qu'au fond elles n'ont pas dans le cœur.

Messieurs, dans le cours de cette discussion, nous avons entendu beaucoup de dissertations théoriques et historiques ; ou a remis en question non seulement le mode de recrutement, mais l'institution de l'armée elle-même ; je n'ai pas à aborder ces dissertations, j'ai, par devers moi, un guide certain, une autorité irrécusable à laquelle je me tiens.

(page 838) La Constitution belge, cette sage, prévoyante et libérale Constitution a décrété le principe d'une armée ; après avoir formulé les articles qui consacrent les droits des Belges, et établi les pouvoirs publics sur les bases les plus libérales, la Constitution, dans son titre V, institue une force publique ; elle en donne les éléments ; c'est l'armée, c'est la garde civique, c'est la gendarmerie.

Et la Constitution, en faisant cela, a donné un avertissement aux Belges.

Elle leur a dit : « Voilà des libertés, voilà des garanties, voilà les pouvoirs publics libéralement constitué ? ; cela ne suffit pas ; il faut pouvoir protéger et défendre cet admirable ensemble. »

A côté des droits que la Constitution nous assure, il y a des devoirs à remplir et ces devoirs elle les stipule de la manière la plus expresse.

Aux termes du titre V, il y a une armée, il y a une garde civique, il y a une gendarmerie.

Notre système militaire a donc sa base dans la Constitution même, et c'est en vain que l'on voudrait en contester l'existence.

Aussi aux diverses époques où il s'est agi de l'organisation de l'armée, l'on a longuement discuté sur le meilleur mode à adopter, mais jamais on n'a mis en question la nécessité d'une force publique bien organisée, ni l'institution même de l'armée.

Je ne parlerai pas de la gendarmerie. Quelque ennemi qu'on soit du militarisme, je ne pense pas que quelqu'un, dans cette enceinte, songe à jeter la pierre à la gendarmerie, cette institution qui fait honneur au pays et qui peut être citée comme modèle à toutes les nations civilisées.

Je m'arrêterai plus longtemps à la garde civique.

Je m'étonne qu'en présence du titre V de la Constitution, on vienne proposer comme une innovation à appliquer à la Belgique l'armement général des citoyens.

Ce système existe de par la Constitution.

Elle veut une garde civique, c'est-à-dire l'armement de tous les citoyens pour un but déterminé et dans des circonstances données.

Dès la fin de 1830, le Congrès s'est hâté de décréter la loi portant organisation de la garde civique. Il est vrai que le Congrès n'a pas mis six semaines à discuter cette loi, qui est cependant assez longue. Il l'a discutée et votée en deux séances. On n'a pas procédé depuis lors avec la même célérité.

Ce décret ayant été appliqué avec plus ou moins de mollesse, les événements de 1848 firent comprendre la nécessité de le réviser et de fortifier l'institution.

Qu'est-il arrivé ensuite ?

En 1853, cette loi qu'on avait votée presque sans opposition en 1848, ne valait plus rien aux yeux d'une partie de la Chambre ; elle était trop sévère, elle imposait aux citoyens des charges trop lourdes ; il fallait à tout prix adoucir les rigueurs du service qu'elle leur imposait. Et qui rencontrait-on parmi les adversaires de la garde civique ? Ceux-là mêmes qui aujourd'hui préconisent l'armement général des citoyens à substituer à l'armée telle qu'elle existe de par la Constitution.

Voilà, messieurs, l'inconséquence que je veux signaler à la Chambre. Pour moi, j'ai combattu en 1853 pied à pied pour le maintien de l'institution de la garde civique. A mon sens, il fallait maintenir la garde civique dans son organisation de 1848 sous peine d'amoindrir l'efficacité et l'utilité du rôle qui lui est assigné.

Je persiste à croire, messieurs, qu'en rendant à l'organisation de la garde civique des ressorts plus énergiques, il y aurait un grand parti à en tirer.

Quoi qu'il en soit, nous devons reconnaître que telle qu’elle est, chaque fois que la garde civique a été appelée à rendre les services que lui attribuent la Constitution et la loi, elle a fait son devoir.

Il y a, dans la garde civique, un élément important et dont on ne tient pas assez compte dans cette discussion. Je veux parler des corps spéciaux, composés de la jeunesse de nos villes. Il y a là, messieurs, une force solide et respectable, et je suis convaincu que ces braves jeunes gens seraient les premiers à donner l'exemple du courage et du dévouement.

J'en viens à l'armée, ce troisième élément de la force publique, aux termes de la Constitution.

Eh bien, je répète que l'armée, comme institution, n'a jamais été contestée au sein de la Chambre ; quant au mode de recrutement, on le combat aujourd'hui à outrance, l'opinion publique, dit-on, le repousse, c'est un fardeau insupportable, un véritable fléau pour le peuple.

Eh bien, ceci est encore du nouveau ; à aucune époque, le pays n’a manifesté cette antipathie contre le mode de recrutement ; sous le gouvernement néerlandais lui-même, le mode de recrutement n'avait point pris place dans la liste des griefs articulés par l'opposition, qui ne se faisait pas faute d'en trouver.

Et, après 1830, au Congrès et ailleurs, jamais on n'a protesté. Ce n'est pas à dire, toutefois, qu'il n'y ait rien à reprendre dans le mode de recrutement actuel par la voie du sort. Moi-même j'en ai signalé les inconséquences et les injustices.

Le sort aveugle désigne souvent les hommes les moins aptes au service et en épargnant ceux qui y seraient les plus propres et les plus enclins, il peut frapper dans les familles les membres qui leur sont les plus précieux, par les affections, par les intérêts, par les services qu'ils rendent.

A cet égard, pas de désaccord possible ; le sort est aveugle, injuste ; et je ne demanderais pas mieux que de voir d'honorables membres nous indiquer un meilleur mode de recrutement de l'armée. Je serais le premier à y souscrire ; je reconnais que le système actuel est loin d'être parfait. Tout à l'heure j'indiquerai les moyens qui, à mon avis, pourraient jusqu'à certain point remédier à ce que ce mode de former l'armée peut avoir d'injuste et d'onéreux pour les classes qui y sont assujetties, qui en souffrent.

Mais avant cela, messieurs, je dois repousser le tableau si sombre que l'on se plaît à faire du sort de nos miliciens. Ce sont des victimes, ce sont des martyrs. Ils sont tellement effrayés et désespérés de l'idée de devenir soldat, qu'un grand nombre d'entre eux va peupler notre colonie de Gheel.

J'ai peine à croire qu'une telle assertion ait été prise au sérieux par l'honorable membre qui l'a émise ; sans vouloir offenser personne, je dirai seulement que ceux qui avanceraient ici sérieusement de pareilles énormités pourraient être soupçonnés d'être sur la voie qui conduit à Gheel.

M. Coomans. - C'est M. Vleminckx qui a dit cela.

M. Vleminckxµ. - Je demande à l'honorable M. Rogier la permission de répondre immédiatement un mot à l'interruption de l'honorable M. Coomans.

Je déclare que l'honorable membre vient de dire à la Chambre la chose qui n'est pas. Je n'ai jamais dit, je n'ai jamais écrit que la profession de soldat conduit à la folie, qu'elle conduit à Gheel (Interruption). Je ne veux pas que cette imputation reste à ma charge. Je n'ai jamais dit qu'on peut devenir, ou qu'on devient fou, par crainte de devenir soldat ; mais j'ai soutenu que dans notre colonie de Gheel, il y avait beaucoup d'hommes, militaires et non militaires, devenus fous par excès de boisson. Voilà ce que j'ai dit, rien de plus, rien de moins, et c'est tout à fait autre chose que ce que vient de m'attribuer l'honorable M, Coomans.

M. Coomans. - Il ne s'agit pas de Gheel du tout dans cette affaire et M. Vleminckx se trompe étrangement, M. Rogier vient de dire que plusieurs personnes avaient affirmé que les soldats étaient si malheureux qu'ils se faisaient conduire aux compagnies de discipline pour être exemptés du service.

S'il faut aller à Gheel pour une assertion pareille, ai-je interrompu, M. Vleminckx doit m'y accompagner, attendu qu'il a été le premier à affirmer dans cette enceinte que beaucoup de soldats se faisaient condamner disciplinairement pour être rayés des rangs de l'armée.

Je maintiens ma remarque.

M. Rogierµ. - J'ai positivement parlé, après l'honorable membre, de la colonie de Gheel et non des compagnies de discipline. Je ne crois nullement que la profession militaire, l'état de soldat excite ces répugnances si vives qu'on prétend découvrir au sein des classes populaires. Je ne dis pas que pour un certain nombre de familles le départ d'un fils cher ou utile à ses parents ne soit pas une circonstance douloureuse, pénible ; mais quant au milicien lui-même, quant à celui qui quitte son village et son humble foyer pour venir servir dans les rangs de l'armée, je nie que ce changement de position lui soit à charge. Et pourquoi lui serait-il à charge ?

Pour la plupart des conscrits, il y a un accroissement d'avantages matériels considérables, on ne peut le nier.

Est-il vrai que le soldat est mieux logé, mieux nourri, mieux habillé, mieux chauffé, mieux soigné dans ses maladies lorsqu'il est au régiment que lorsqu'il vit dans son étroite et souvent misérable demeure ?

Les ouvriers, dans certaines professions, ont 12 heures de travaux continus et pénibles par jour, des travaux périlleux où leur vie est exposée.

On parle de victimes, messieurs, mais quand on compare le nombre de victimes que fait l'industrie, à celui des victimes que fait l'armée, (page 839) on reconnaît que l'avantage n'est pas du côté des soldats de l'armée industrielle.

Quant aux fatigues de nos soldats, messieurs, peut-on en parler sérieusement ? Leur désœuvrement leur serait plutôt à charge.

II y a une époque où ils ont plus de fatigues ; c'est lorsqu'ils vont au camp. Eh bien, croyez-vous que nos soldats voient arriver ce moment avec déplaisir ?

Au contraire, les jours passés au camp sont pour eux des jours de fêtes et cependant ils y travaillent bien plus que dans les garnisons, leurs labeurs y sont plus durs, ils sont tenus à une discipline plus rigoureuse. Ne parlez donc pas du dégoût qu'inspirent à nos jeunes gens les obligations du service militaire.

Si j'avais un conseil à donner à l'honorable ministre de la guerre, ce serait de multiplier les camps et le nombre des soldats qu'on y envoie.

Je crois qu'un séjour de six semaines au camp fait plus pour l'éducation et la moralisation du soldat que six mois de garnison, surtout de garnison dans les petites villes où le soldat n'a rien à faire, où il n'est pas en situation de s'exercer, d'apprendre son métier, où il s'ennuie, où il ne sait comment tuer le temps.

Je l'ai dit à une autre époque, l'éparpillement de l'armée est une grande cause de son affaiblissement.

- Plusieurs voix. - C'est vrai.

M. Rogierµ. - Je dirai qu'ici encore le gouvernement n'est pas précisément responsable. J'ai été assez longtemps au pouvoir pour avoir appris ce qu'il en coûte d'efforts pour enlever une garnison à une petite localité.

Il serait à désirer que les villes renonçassent d'elles-mêmes à ces faibles garnisons qui ne leur servent à rien au point de vue de leur police ou de leurs finances.

A l'époque où existaient les octrois que M. le ministre des finances a si glorieusement supprimés, il y avait un intérêt communal à conserver une garnison, qui concourait à grossir les revenus de la ville. Mais depuis lors il n'y a plus que des cabarets et quelques fournisseurs qui en profitent et cela ne vaut pas la peine d'être compté en présence des grands intérêts engagés dans la question. Je fais donc des vœux pourque l'éparpillement de l'armée cesse autant que possible et pour qu'on la concentre sur les points principaux du pays.

J'ai parlé, messieurs, des avantages matériels que retire le milicien de sa présence dans l'armée. Il y a d'autres avantages que je place plus haut, il y a les avantages moraux. Je soutiens que l'armée, à ce titre seul, mériterait nos sympathies. C'est une école pratique, où l'on forme des hommes, où l'on apprend à comprendre ce qui est souvent ignoré ailleurs, la dignité personnelle, les sentiments d'honneur, l'amour du pays.

N'est-ce rien pour un villageois qui n'a jamais vu que son clocher, qui n'a jamais dépassé, pour ainsi dire, les limites étroites de son champ, que d'être transporté sur les divers points du pays, dans un milieu plus large, plus élevé, où il se trouve en contact avec des choses nouvelles et des hommes nouveaux ? Ils se sentent pour ainsi dire vivre d'une vie nouvelle ; en même temps que le sentiment de la patrie, se développe en eux celui de la solidarité, de la fraternité humaine et du respect de soi-même.

Aussi reconnaît-on à des signes certains l'homme du peuple, l'ouvrier qui a été militaire. Quant à moi, je suis sûr de ne m'y tromper jamais.

L'homme du peuple qui a été soldat porte sur sa personne je ne sais quoi de plus fier et de plus résolu ; il est en même temps plus réservé et plus poli ; on voit qu'il a subi le joug salutaire de la discipline, en même temps qu'il conquérait un sentiment de fierté qui ne messied à personne.

A une autre époque j'ai développé ces mêmes idées dans un discours fort étendu dont je vous épargnerai la reproduction. Seulement en le retrouvant ce matin aux annales de 1845, j'avoue que je n'ai pu résister à la tentation de vous en communiquer les derniers paragraphes.

Vous verrez, messieurs, que les sentiments que j'exprime aujourd'hui ne sont pas nouveaux. Il y a des années que je les professe.

Voici donc comment je terminais un de mes discours dans la discussion de 1845 :

« J'aime l'armée ! Ce n'est pas un sentiment né d'hier. J'ai figuré un moment dans ses rangs pour une cause et à une époque qui tiendront toujours la première place dans mes souvenirs. et si j'aime l'armée, ce n'est pas seulement parce que je la sais prête à défendre l'indépendance nationale, les libertés publiques et l'ordre constitutionnel sans lequel il n'y a pas de vraie liberté.

« C'est là sans doute une belle mission. Elle en a encore une autre.

« L'armée, je n'hésite pas à le dire, est le plus grand levier de la civilisation forte du pays. Dans les classes inférieures qui en forment la base, elle fait naître ou développe le sentiment de l'ordre et du devoir. A tous ses degrés, dans tous ses rangs, elle stimule, elle développe les intelligences et tout ensemble la discipline, elle soumet à un joug utile les caractères fortement trempés ; mais elle relève les faibles et n'en dégrade aucun. J'entends surtout parler d'une armée d'un peuple libre.

« L'armée c'est le cœur, c'est le bras du pays ; c'est sa jeunesse, sa sève, c'est, je puis le dire, sa sauté.

« Si les sentiments généreux, si le dévouement, si le point d'honneur politique ou privé venaient à faillir dans le pays, ils trouveraient, laissez-moi l'espérer, un refuge dans l'armée. Si l'esprit public allait s'affaiblissant, si l'esprit national, sous l'empire de circonstances déplorables, allait se dépravant, l'armée, oh ! je l'espère encore, en conserverait le précieux dépôt. »

Je ne sais, messieurs, si on trouvera aujourd'hui quelque exagération dans l'expression de mes sentiments d'alors ; mais je dois dire qu'après examen fait de ma conscience, je n'ai pas un mot à en retrancher.

Messieurs, j'ai parlé des avantages matériels et moraux que nos concitoyens appelés au service de l'armée retirent de l'exercice de ce noble métier des armes, comme l'appelait si justement l'honorable M. Coomans dans son rapport sur le projet de loi relatif à la démolition de la garde civique dont j'ai parlé plus haut.

Eh bien, je crois que tout n'est pas fait ; que de nouveaux avantages peuvent et doivent être accordés à ceux qui suivent volontairement ou non la carrière militaire.

Je crois que l'armée ne doit pas être seulement un métier, mais qu'elle doit être une profession.

Messieurs, on se plaint des difficultés que rencontre le recrutement de l'armée ; on se plaint de la difficulté de former et de conserver de bons sous-officiers ; on se plaint de la pénurie de remplaçants convenables. Or, dans beaucoup d'autres carrières, dans beaucoup d'autres professions ou fonctions tout aussi modestes, on ne se plaint pas de cette difficulté-là ; au contraire, on trouve généralement qu'il y a trop de candidats, trop de concurrents, même pour tous les emplois quelconques. Les fonctions de douanier, de garde champêtre, de garde forestier, de garde-ville, de garde-prison et d'autres du même genre sont toujours très recherchées ; on n'a, pour ainsi dire, que l'embarras du choix.

Pourquoi n'aurait-on pas pour le service de l'armée le même entraînement ; pourquoi ne rechercherait-on pas les fonctions militaires comme on recherche toutes les autres fonctions publique ? pourquoi ? C'est que sans doute les autres fonctions présentent certains garanties, sous le rapport de la durée et de la rémunération.

Messieurs, je le déclare tout de suite : je suis prêt à m'associer à toutes les mesures qui auront pour effet d'attirer et de retenir dans l'armée un grand nombre d'hommes qui y viendront volontairement.de leur plein gré, et rechercheront ces fonctions comme les autres emplois publics ; je ne pense pas toutefois qu'on atteigne ce but en augmentant de quelques centimes la solde du soldat. Ce serait surcharger considérablement le budget, sans aucune utilité pour l'armée ni pour les soldats eux-mêmes.

Ceux-ci y trouveraient, je le crains, moins un soulagement que l'occasion de dépenser d'une manière peu régulière les quelques centimes de plus qui leur seraient alloués par jour.

Messieurs, il y a d'autres moyens de faire accepter ou rechercher les fonctions du soldat. Ces moyens ne sont pas inconnus ; ils ont été indiqués par le gouvernement lui-même. Ainsi, il y a à leur assurer un pécule à la fin du service. De quelle manière formerait-on ce pécule ? Le lui remettrait-on à la fin du service, pour lui permettre de reprendre un état dans la vie civile ? C'est un mode qui paraît avoir un certain nombre de partisans. Ou bien, assurerait-on à celui qui a consacré plusieurs années de sa vie au service de la patrie ; lui assurerait-on une retraite pour l'époque où les forces viendraient à lui manquer ?

J'incline pour ce dernier mode. Ce serait probablement le plus économique, et qui produirait en même temps un effet moral des plus utiles ; il ne serait pas indifférent au progrès de la société et au maintien de l'ordre public que chaque année il sortît de l'armée 7,000 à 8,000 aspirants rentiers.

A quel moyen aurait-on recours pour cette dépense ?

Serait-il demandé seulement aux familles aisées qui ne fournissent pas d'hommes à l'armée, ou considéré comme toute autre dépende d'utilité publique et fourni par le trésor, c'est-à-dire par tous les contribuables ?

De quelle manière ce pécule serait-il réparti entre les serviteurs de l'armée ?

(page 840) Si le principe de la rente n'était pas accepté, on pourrait examiner l'autre système qui consisterait à remettre un pécule à chaque milicien, à la fin du servive, on prenant des précautions pour que ce capital ne vienne pas à se dissiper prématurément.

A quelque système qu'on s'arrête, il en résultera une augmentation de dépenses ; mais d'après ce que j'entends des bancs de l'opposition de droite ou de gauche, l'armée n'est pas une question d'argent. Hier encore, un savant et éloquent orateur de la droite disait au gouvernement : « De l'argent, nous vous en donnerons autant que vous voudrez. » Ainsi s'exprimait l'honorable M. Kervyn, tout en combattant les. projets de loi.

Je n'y vais pas d'une façon aussi large ; nous sommes ici, non pas seulement pour surveiller les intérêts de l'armée, mais aussi pour ménager ceux du trésor public.

C'est donc dans de justes limites et avec une sage circonspection qu'il nous faudrait procéder à la création de ce pécule ou de cette réserve destinée à rémunérer et à encourager les services militaires.

Il est, messieurs, d'autres mesures qui, sans être onéreuses pour le trésor, doivent tendre à améliorer le service de l'armée tout en le rendant plus attrayant et plus profitable pour ceux qui en font partie.

Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit de l'utilité de réunir le plus longtemps et le plus fréquemment possible les soldats dans les camps, c'est là leur véritable école éducative, au point de vue militaire et moral.

Indépendamment de cette forte éducation, ce n'est pas un faible avantage que l'instruction proprement dite, que les soldats reçoivent dans l'armée. J'ai appris avec beaucoup de plaisir , cela ne m'étonne pas de la part de l'honorable et savant ministre de la guerre, qu'il cherche, comme, ses deux honorables prédécesseurs, à propager de plus en plus l'instruction dans les régiments ; eh bien, j'espère que cette expérience sera continuée avec persévérance, et il me semble que l'instruction devrait comprendre, outre les leçons littéraires proprement dites, des leçons élémentaires techniques qui puissent être utiles aux soldats dans les rangs de l'industrie et de l'agriculture où ils doivent rentrer à l'expiration de leur service.

On est d'accord, je pense, pour leur accorder autant que possible la préférence dans la collation des emplois civils. Cela, va pour ainsi dire de soi.

Maintenant, messieurs, je vais plaire aux partisans de la réforme électorale.

Je voudrais que les miliciens sortis des rangs de l'armée en qualité de sous-officiers, ce qui suppose la connaissance de l'écriture, et de la lecture, fussent inscrits sur la liste, des électeurs de leur commune.

Je voudrais que les soldats mêmes qui justifieraient d'une bonne conduite et d'avoir suivi avec fruit les cours des écoles régimentaires fussent admis au même honneur.

Le soldat obtiendrait ainsi en perspective, d'après mon système, si ce n'est une utopie, dans l'ordre matériel, ou un pécule à sa sortie, du service ou une rente assurée pour ses vieux jours, et. dans l'ordre politique, l'honneur d'être inscrit sur la liste des électeurs de sa commune, et d'être classé parmi les citoyens actifs de la paix.

Si ce n'est pas entrer dans des détails trop minutieux, je dirais que tout en rendant le service militaire profitable aux soldats, il serait bon de le rendre aussi agréable que possible.

Je voudrais, en un mot, le voir utilement et agréablement occupé.

Sous ce rapport, j'ai vu disparaître avec une certaine peine les cours de chant d'ensemble dans les régiments.

Je ne sais pas si ces cours ont été supprimés par des nécessités plus sérieuses du service.

Les soldats chantaient même en allant à l'exercice ou au retour. Cela animait toute la troupe et aussi les gens du peuple qui assistent toujours avec grand intérêt aux marches et aux exercices militaires.

Il n'est pas indifférent que l'armée se popularise et soit aimée du peuple.

J'ai vu aussi avec peine supprimer les retraites militaires à grande musique.

C'était chaque soir une sorte de réjouissance pour la foule qui ne fréquente pas les théâtres et les concerts payants.

Je ne puis pas admettre ce qui a été dit que cette mesure avait été prise par respect pour les mœurs. (Interruption.) L'administration communale d'une grande ville que je ne veux pas nommer, a demandé, dit-on, la suppression des retraites militaires en musique par respect pour les mœurs (Interruption), et cette ville se trouve maintenant privée de cet amusement populaire qui popularisait l'armée.

Saas attacher à ces deuils plus d'importance qu'ils n'en méritent, j'en viens maintenant à la dernière partie de mon discours, que j'aurais bien voulu ne pas faire aussi long.

J'arrive à l'importante question des remplaçants : je la traiterai aussi brièvement que possible, attendu que nous aurons à nous en occuper spécialement lorsque nous examinerons le rapport de mon honorable collègue et ami M. Muller.

Qu'est-ce que l'on veut faire ? C'est une question capitale.

Avec une sévérité à laquelle je ne saurais m'associer, avec une sévérité excessive, beaucoup de chefs de corps ont tracé des remplaçants un portrait déplorable ; c'est la lèpre de l'armée, ce sont les parias de l'armée ; tant qu'il y aura des remplaçants dans l'armée, on ne peut en assurer la bonne organisation, le bon esprit, la bonne discipline. C'est, un ver rongeur, un élément essentiellement corrupteur.

Cependant, le nombre des remplaçants va toujours croissant, et plus la carrière civile offrira un emploi avantageux aux bras des travailleurs, plus le nombre des remplaçants augmentera. Nous sommes, ici dans un cercle vicieux dont il faudra absolument sortir.

Si le remplacement, tel qu'il est aujourd'hui organisé, présente pour l'armée de graves inconvénients et de si grands périls, il faut le supprimer. Mieux vaudrait ne pas avoir de remplaçants du tout que d'avoir des remplaçants qui gâtent l'armée.

J'aimerais mieux voir l'armée privée de toute cette catégorie de mauvais serviteurs et réduite numériquement d'autant, que de la voir se corrompre au contact de pareils éléments.

Je crains qu'on n'assombrisse outre mesure le tableau que l'on fait des remplaçants. Si, messieurs, les remplaçants recrutés comme ils le sont aujourd'hui présentent de pareils vices, évidemment il faut que le gouvernement cherche un moyen prompt et efficace pour y parer.

A une autre époque, déjà ancienne, permettez-moi de le rappeler, j'ai indiqué au gouvernement un moyen de remédier à ces inconvénients et je ne le crois pas impraticable ; c'est que le gouvernement se charge lui-même de remplacer les hommes qui, ne voulant pas servir, verseront dans les caisses de l'Etat une somme déterminée par lui. L'Etat choisira les hommes ; il choisira dans l'armée même ou en dehors les meilleurs sujets ; il y mettra cette sévérité que n'emploient pas ceux qui en font métier et marchandise, qui choisissent sans scrupule les plus mauvais sujets pour les avoir au meilleur marché possible.

Ces intermédiaires n'interviendraient que pour le cas où l'administration militaire, secondée par l'administration civile, ne parviendrait pas à recruter un nombre suffisant d'hommes convenables à réengager ou à engager.

Ce système, au reste, a été mis en pratique, mais sur une faible échelle ; ce qui se fait aujourd'hui ne suffit pas, loin de là.

On prétend que l'Etat ne trouve pas assez de remplaçants.

Si un meilleur sort était assuré aux remplaçants, pourquoi n'en trouverait-il pas ? On devrait leur offrir au moins les mêmes avantages qu'aux simples miliciens. Qu'arrive-t-il- aujourd'hui ? On ne voit presque jamais figurer dans les rangs des sous-officiers et plus rarement encore dans les rangs des officiers, un remplaçant.

Eh bien, au lieu de ce qu'on appelle les remplaçants, dans le système que je préconise et qui existe en principe, il y aurait des rengagés et des engagés volontaires, jouissant d'une juste rémunération. L'Etat les prendrait à son service, non pour le compte de M. un tel, mais pour le service public. Ceux qui combleraient les vides laissés par les miliciens seraient comme les autres, non les serviteurs payés d'un individu, mais les serviteurs de l'Etat. Cette position les relèverait à leurs propres yeux et aux yeux de l'armée. Rien n'empêcherait le gouvernement de traiter les réengagés ou les engagés par ses soins comme les miliciens ; il pourrait même les traiter avec plus de faveur et récompenser le zèle et le dévouement de ceux qui voudraient continuer à servir.

Nous aurions là, dans de bonnes conditions, un élément que nous n'avons pas aujourd'hui ; nous donnerions à l'armée des soldats qui auraient douze à quinze ans de service, et ce serait un très bon élément.

On a dit dans la discussion de la loi française que ces vieux soldats étaient un embarras pour l'armée, étaient un élément lourd et gênant qui ne marchait pas. Je conçois que l'armée française, à qui l'on donne d'immenses régions à parcourir, ait besoin de soldats lestes et fringants et que là les soldats d'un certain âge ne conviennent pas ; mais dans un pays où l'armée est exclusivement défensive, où elle doit surtout être forte par sa consistance et pour la résistance, je ne vois pas pourquoi (page 841) des soldats même de 30 à 35 ans ne rempliraient pas toutes les conditions désirables ; quant à moi je les aimerais tout autant que des hommes de 20 à 25 ans.

Messieurs, à la fin de son discours d'hier, l'honorable M. Kervyn de Lettenhove a fait un appel à la conciliation. Il a exprimé le grand désir qu'il aurait de voir les deux côtés de la Chambre voter cette loi, donner en commun ce gage de patriotisme au pays.

L'honorable ministre des finances avait fait le même appel. L'honorable et courageux M. Dumortier avait, en quelque sorte, ouvert la voie aux deux partis pour se donner la main sur cette question. Pourquoi, messieurs, ne pas suivre ces conseils ? Pourquoi le parti qui se dit conservateur (nous avons aussi, nous, la prétention d'être le parti conservateur), pourquoi dans une question semblable, qui est toute patriotique et nationale, qui n'est ni catholique ni libérale, pourquoi le parti conservateur veut-il se séparer du gouvernement ? Si la droite avait une occasion de renverser un ministère qui ne lui convient pas, j'admets que les droits parlementaires de l'opposition vont jusque-là, elle peut, même sur une question d'utilité publique, renverser un cabinet ; elle en a le droit ; mais ici l'opposition ferait un effort inutile, une majorité certaine est acquise aux propositions du gouvernement.

Moi, comme patriote, comme ancien unioniste, je voudrais que sur des questions pareilles, il se fît entre les deux opinions un noble et grand accord, toute question politique réservée. Je voudrais qu'on ne pût pas dans le pays, et surtout hors du pays, supposer que sur de pareilles questions nous ne sommes pas unanimes, et que nous ne savons pas faire abstraction de nos différends et de nos intérêts politiques.

Voilà comment j'aurais compris la transaction ; elle était honorable pour vous ; elle répondait à la dénomination de parti conservateur. Pourquoi la droite, qui dans ces dernières années, à d'autres époques elle a varié, mais enfin qui dans les derniers temps s'est volontiers posée comme patronnant particulièrement l'armée, pourquoi abandonne-t-elle ce rôle ? Cela lui nuit, cela l'amoindrit dans le pays, et je vais vous dire franchement mon sentiment : Je le déplore. Je crois qu'il n'est pas bon qu'un des deux partis descende trop bas dans l'opinion du pays. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Il a raison.

M. Delaetµ. - C'est un peu fort. M. le président, peut-on laisser passer cela ?

MPDµ. - J'allais justement faire observer à l'honorable M. Rogier que cette expression n'est pas convenable.

M. Rogierµ. Je n'ai pas l'intention de dire une chose désagréable.

Mon ton, je pense, n'a rien de malveillant. Je pense avoir traité mes honorables collègues de la droite honnêtement. Si l'expression « trop bas » ne vaut rien, je la relire et je dirai qu'il n'est pas bon qu'un des deux partis s'amoindrisse trop dans l'opinion du pays.

Je ne parle pas ici au nom du gouvernement, je parle comme député complètement indépendant.

Certes si le ministère avait fait ouvertement de cette question une question de cabinet comme il en avait le droit, je vous avoue qu'alors même que j'eusse été contraire à quelques-unes de ses propositions, je n'eusse pas voté contre, parce que j'aimerais mieux conserver le cabinet tel qu'il est que de voter contre des propositions sur lesquelles il y aura moyen de revenir plus tard.

Je n'hésite pas à le dire, je ferais assez volontiers le sacrifice de mon opinion, lorsque, comparant la situation présente et celle à venir, je croirais qu'il peut résulter de mon opposition le renversement d'un cabinet que j'ai la prétention de soutenir le plus longtemps possible.

Je parle aujourd'hui avec une. parfaite indépendance, je voudrais que mes paroles eussent le bonheur d'aller au cœur de nos adversaires politiques, je voudrais que le gouvernement pût réunir, sur la question militaire, la plus grande majorité possible.

J'espère au moins que, sur les bancs de la droite, il se trouvera une assez forte minorité pour s'associer à.la grande majorité de la gauche. Tel est le vœu que je forme.

M. de Theuxµ. - Je répondrai à l'honorable membre qui vient de se rasseoir, en maintenant la maxime que j'ai émise au début de la discussion générale, à savoir : que nous devons considérer si les charges que l'on veut imposer au pays sont ou ne sont pas nécessaires.

C'est là mon point de départ. Toutes les autres considérations ne sont qu'accessoires et d'une minime importance relative.

Je crois avoir démontré, messieurs, que ces charges ne sont pas nécessaires. Je suis bien convaincu que l'expérience le démontrera d'année en année et que le nombre des opposants aux lois actuelles croîtra dans l'avenir.

Je regrette que l'honorable ministre des finances n'ait pas maintenu la position qu'il avait prise lorsqu'il répondait en partie au discours dans lequel l'honorable M. d'Elhoungne avait soutenu qu'il n'était pas nécessaire d'augmenter le contingent de 1,000 hommes pour l'armée active ni de lever annuellement 1,000 hommes pour faire le noyau d'une armée de réserve ; que ces charges seraient beaucoup plus onéreuses que la loi de 1853, qui permettait, en cas de guerre ou de danger, le rappel des classes libérées.

J'avais soutenu la même thèse.

L'honorable ministre des finances ne trouvait point qu'il y eût une question capitale entre le système de la loi de 1853 et le système actuellement en discussion. Il disait le contraire, il disait que c'était une question à examiner.

Eh bien, messieurs, je demande si, depuis le 13 février, la situation politique est devenue plus menaçante. L'honorable M. Rouher, le principal organe du gouvernement français, disait, dans la séance du 4 mars, à la chambre des députés et aux applaudissements de cette chambre :

« J'ai la satisfaction de déclarer à la chambre que les relations de la France avec les diverses puissances n'ont jamais été meilleures ; elles sont une garantie de paix. »

Voilà ce que déclarait le principal organe dû gouvernement français.

Depuis lors le Moniteur français a fait une nouvelle déclaration identique.

Pourquoi donc, messieurs, cette position nouvelle, si menaçante de la part du gouvernement ? Il semble que son existence soit attachée au vote des projets tels qu'ils ont été présentés, c'est-à-dire, notamment l'augmentation de 2,000 hommes de contingent. Un journal qui, s'il n'est pas l'organe du gouvernement, approuve au moins sa politique, a annoncé depuis plusieurs jours que la question de cabinet serait posée. Il était donc dans le secret du gouvernement.

Ce n'est donc point dans l'opposition que cette question est née. Que résulte-t-il de cette situation nouvelle ? Il en résulte que dans le pays on se demandera si la majorité qui votera la loi, la votera avec conviction ou si elle n'a pas subi une influence de politique intérieure.

M. Rogier vient de justifier cette situation aux yeux de la Chambre et aux yeux du pays. (Interruption.) Cela est inévitable, quand il y a deux motifs, le pays demeure incertain sur celui qui a dicté le vote de la majorité.

M. Coomans. - M. le président, c'est ce que j'ai dit.

M. le président. - Dans d'autres termes.

M. Coomans. - Exactement dans lie même sens.

M. le président. - Soyez convaincu que lorsque le président relève des expressions, c'est qu'elles ne sont pas dignes de cette Chambre.

M. de Theuxµ. - Depuis un grand nombre d'années il y a au budget de la guerre une opposition plus ou moins forte, opposition qui tend plutôt à s'accroître lorsque les circonstances pacifiques autorisent cette opposition. Est-on bien certain que dans un avenir prochain cette opposition ne croîtra pas considérablement. Quand on considère qu'il y a un certain nombre d'années le budget de la guerre variait autour du chiffre de 30 millions, tantôt un peu plus, tantôt un peu moins, à tel point que le général De Liem a quitté le ministère parce qu'on avait réduit le chiffre du budget à 28,000,000, et qu'au jourd'hui on le porte à 38,000,OCO, croyez-vous que cette disposition d'esprit ne se représentera plus. ? Je crois que ce serait se faire illusion.

Sans doute, cette disposition s'est parfois modifiée en présence des événements extérieurs qui se sont présentés ; mais c'est là de l'histoire ancienne et, si nous avons encore quelques années de paix, l'opposition se réveillera plus puissante que jamais, non seulement contre le budget de la guerre, mais encore contre la question du contingent, qui n'avait pas été agitée jusqu'à présent.

Et alors, messieurs, le gouvernement pourra se demander s'il n'aurait pas mieux fait d'accepter cette transaction qui consistait dans le maintien de la loi de 1853 avec le maintien du contingent. Il pourra regretter de n'avoir pas accepté cette transaction.

Messieurs, nous sommes en profonde paix et nous devons nécessairement tenir compte de cette situation. Si, cependant, on venait nous (page 842) parler des éventualités de guerre, nous répondrions que si une guerre éclatait, qui eût pour objet l'anéantissement de notre nationalité, évidemment les lois actuelles seront jugées bien insuffisantes ; ce sont d'autres lois qui serait déclarées bonnes, utiles, indispensables, parce que les circonstances le commanderont.

Le gouvernement, messieurs, demande le maintien provisoire de la loi de 1853, en ce qui concerne le rappel des classes libérées ; en d'autres termes, il demande que l'abrogation de cette loi soit différée pendant quelques années jusqu'à ce que la loi nouvelle ait assez fonctionné pour la rendre inutile.

Eh bien, que le pays et surtout les anciens miliciens ne se fassent pas illusion ; il est bien certain que si une menace de guerre contre notre existence nationale venait à se produire, tout homme ayant manié une arme, fut-il sorti de la milice depuis dix ans, quinze ans et même vingt ans, serait appelé sous les drapeaux ; la garde civique serait également appelée à remplir sa mission et des volontaires seraient engagés de toutes les manières possibles. En un mot, tout ce qui serait capable de tenir une arme en main serait appelé à défendre le sol de la patrie menacé et cela en vertu de lois spéciales qui seraient portées.

Et non seulement on fera appel à toutes les forces valides de la nation, mais il faudra nécessairement aussi recourir à des emprunts forcés. Eh bien, messieurs, la prudence ne conseille-t-elle pas de se ménager toutes ces ressources pendant la paix au lieu de les épuiser inutilement par un budget de la guerre qui n'a cessé de s'accroître jusqu'à présent, ?

Je n'en dirai pas davantage, messieurs, dans la crainte de reproduire les arguments que j'ai déjà présentés dans la discussion générale.

Je déclare de nouveau que si le contingent de 12,000 hommes est voté, je suis bien décidé à voter contre l'organisation de l'armée. Je dois ajouter cependant cette considération que par la loi d'organisation de l'armée on avait pourvu aux principaux inconvénients que le gouvernement avait signalés. Elle lui permettait d'organiser des cadres prêts à recevoir tous les hommes que les nécessités des circonstances auraient contraint d'appeler au service.

Il y a quinze ans que la loi de 1853 est votée ; et les difficultés qu'on disait avoir existé sous l'empire de cette loi, ont subsisté pendant quinze ans. Le gouvernement a pu s'en apercevoir dès la première année, dès la seconde année. Il n'a pas été sans prendre des renseignements, les documents statistiques lui en fournissant en abondance.

Quelle conclusion tirer de là ? C'est que cette loi du contingent, proclamée aujourd'hui si urgente, si nécessaire, le gouvernement a été coupable, pendant un grand nombre d'années, de ne l'avoir pas présentée plus tôt.

MfFOµ. - Messieurs, j'admire vraiment la quiétude de l'honorable préopinant ; en présence de l'attitude qu'il prend dans ce débat, je m'étonne que, dès le début de la discussion, il n'ait pas manifesté son intention, en engageant la Chambre à ne rien faire. Il résulte, en effet, du discours que vous venez d'entendre, qu'aux yeux de l'honorable comte de Theux, il n'y a absolument aucune raison de modifier l'organisation actuelle de l'armée. (Interruption.)

La paix est assurée, dit-il ; pas le plus petit point noir à l'horizon ; nous pouvons vivre dans la plus parfaite sécurité. A quoi bon même, si la confiance dans la paix est si absolue, à quoi bon conserver encore un budget de la guerre ?

M. de Theuxµ. - C'est absurde. Je n'ai pas dit cela.

MfFOµ. - Je tire, en vérité, la conclusion logique de votre discours. Je me garderai bien, messieurs, de tomber dans de pareilles exagérations en sens contraire, et de proclamer que la guerre est à nos portes ; qu'il est dès lors indispensable de mettre immédiatement notre armée sur le pied de guerre, et de nous préparer sur-le-champ à la défense du territoire.

Mais je crois que tout le monde reconnaîtra avec moi que la situation européenne a été profondément modifiée dans ces derniers temps ; c'est une situation toute nouvelle qui présente incontestablement de la gravité ; nul ne saurait dire aujourd'hui quelle pourrait être la conséquence des événements qui se sont déjà produits et de ceux qui pourront se produire dans un avenir que personne ne saurait indiquer.

Aussi, que voyons-nous ? Tous les Etats, grands et petits, fortifient leurs armées ; tous les Etats, grands et petits, changent les conditions de leur état militaire.

Or, à moins de prétendre que partout on est frappé de cécité, d'une sorte de vertige ou de folie, à laquelle l'honorable M. de Theux seul a pu échapper, il faut bien reconnaître qu'il y a là des faits dont l'importance ne saurait être contestée, et dont il nous est impossible de ne pas tenir compte.

Maintenant, je ne puis me défendre d'une observation, en voyant l'honorable membre s'attacher à la question du contingent de l'armée pour essayer de faire maintenir par la Chambre l'état militaire qui existe actuellement. Je dois le déclarer en toute sincérité : j'aperçois une tactique dans cette altitude.

Pendant cinq semaines, on a discuté toutes les questions militaires, dans la persuasion qu'il y avait réellement quelque chose à faire en cette matière ; on les a discutées avec la conviction, qui semblait unanimement partagée, que des modifications devaient être introduites dans noire organisation. Sauf la question des moyens, et, en particulier, l'élévation du chiffre du contingent, qui est une affaire délicate, je le comprends, on ne contestait pas que cette organisation ne dût être améliorée et fortifiée.

Qu'est-il arrivé ? Vers la mi-février, comme l'a rappelé tout à l'heure l'honorable M. de Theux, un de nos honorables amis a exprimé l'idée, qui surgissait pour la première fois dans la discussion, que le gouvernement possédait dès à présent les moyens nécessaires de constituer une armée de 100,000 hommes, et que, par conséquent, le contingent actuel lui semblait pouvoir être maintenu.

Dès ce jour, une espèce de révolution s'opère dans les idées de la droite ; dès ce jour, c'est la question du contingent qui devient la principale ; dès ce jour, d'honorables membres de la droite, qui avaient été les promoteurs de la proposition d'augmenter le contingent, ou qui l'avaient votée dans le sein de la commission, sont tout à coup illuminés et ils reconnaissent....

M. Dumortier. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Je ne vous accuse pas.

M. Dumortier. - Vous me désignez suffisamment.

MfFOµ. - Ces honorables membres reconnaissent donc que c'est sur cette question que les adversaires du projet doivent réunir leurs forces.

Pourquoi ? Parce qu'on s'est dit que l'honorable membre qui avait émis cette opinion, et nous verrons tout à l'heure comment il a été amené à le faire, allait sans doute la maintenir d'une manière absolue, alors même qu'il serait démontré que cette opinion repose sur une erreur, et qu'il serait suivi par un certain nombre de membres de la majorité.

La conséquence de cette tactique était que la droite se joignant à cette fraction de la majorité, le ministère était constitué en minorité. (Interruption.)

Eh bien, messieurs, je vous prédis que cette tactique sera déjouée, et elle le sera, non point par une tactique contraire, qui serait parfaitement légitime, mais seulement par loyauté, par un simple hommage rendu à la vérité.

Et comme l'heure des responsabilités me paraît assez proche, il est bon que je fasse connaître, que je rappelle quelle a été dans cette question la position du gouvernement.

Le gouvernement livre à une grande commission l'examen de notre réorganisation militaire. Il la lui livre tout entière, sans exception ni réserve, sauf la question des forteresses ; j'ai dit pourquoi en d'autres circonstances. Dans le sein de cette commission, naît la proposition de porter le contingent à 13,000 hommes ; et cette proposition est votée par la commission à l'unanimité, moins une voix et une abstention.

La seconde question qui se présente aujourd'hui, celle de la durée du temps de service, donne lieu à beaucoup plus de difficultés dans le sein de la commission. Diverses opinions se font jour, et enfin celle qui réunit la majorité se formule par une proposition de fixer le temps de service à 27 mois, et 3 rappels successifs d'un mois chaque année pendant trois ans.

Mais sur cette question, l'élément militaire est prédominant dans la majorité de la commission ; c'est l'élément militaire qui constitue presque exclusivement cette majorité, tandis que l'élément civil, qui forme la minorité, est favorable à une moins longue durée de service.

Placés en face de ces résolutions de la commission, que faisons-nous ?

Nous proposons à la législature ce qui a été admis à l'unanimité par la commission mixte en ce qui touche le contingent, et nous réduisons la proposition de la commission en ce qui concerne la durée du service en prenant en considération les éléments qui avaient contribué à former (page 843) la majorité ; nous modifions cette proposition dans le sens de l'opinion émise par la minorité.

C'est dans cette situation que nos propositions sont soumises à l'examen des sections et à l'examen de la section centrale.

Pendant cet examen, et lorsque les propositions de la section centrale qui modifiaient les projets du gouvernement étaient déjà connues, le cabinet se reconstituait. Voici un de ses premiers actes : animé d'un esprit de conciliation, il se rallie aux propositions de la section centrale.

Pour le contingent, il annonce incontinent une nouvelle concession ; il escompte la suppression éventuelle des déchets, par suite des réformes à introduire dans nos lois de milice, et le contingent de 13,000 hommes, qui avait soulevé certaines critiques dans les sections, est réduit de 1,000 hommes.

Cette concession, au premier abord, est accueillie avec une très grande satisfaction. Nous avions, dès ce moment, la conviction que les propositions du gouvernement ne rencontreraient plus une opposition sérieuse.

Vient alors, messieurs, la discussion du projet de réorganisation, dans laquelle l'honorable M. d'Elhoungne prend la parole. L'honorable membre examine si une augmentation du contingent actuel est réellement indispensable pour constituer l'armée de 100,000 hommes, reconnue nécessaire par la commission mixte et par le gouvernement. L'honorable membre fait une objection ; il dit que la loi de 1853 lui paraît suffisante. Toutefois, il ne s'exprime pas d'une manière absolue sur cette question, et voici ses propres paroles. « Du reste, disait-il, je soumets ces observations au gouvernement lui-même. Je suis persuadé qu'il n'en pourra pas méconnaître la justesse, etc. »

Et je réponds, comme le rappelait tout à l'heure l'honorable M. de Theux, que sans doute on peut examiner, qu'on est en présence de deux systèmes, que l'on vérifiera si, en effet, on ne pourrait pas maintenir la loi de 1853. Mais, incontinent, j'ai fait contre cette opinion des objections radicales et fondamentales. Le moment n'était pas venu de faire cet examen. Je le déclarai, me réservant de faire connaître l'avis du gouvernement, quand le moment serait venu.

Nous examinons en effet la question soulevée par l'honorable M. d'Elhoungne, et nous reconnaissons immédiatement que l'opinion qu'il a exprimée repose sur une erreur de fait, qui n'est pas imputable à l'honorable membre, mais qui est un peu imputable et peut-être même tout à fait imputable au gouvernement. Voici comment cette erreur a été commise, ou plutôt comment l'honorable M. d'Elhoungne a été induit en erreur. Voici ce qui s'était passé après que nous avions fait connaître la réduction du contingent à laquelle nous consentions : Dans les premiers jours, la chose avait paru excellente ; on s'en montrait fort satisfait ; mais, une semaine ou deux après, la discussion s'étant prolongée, la concession était à peu près oubliée ; on n'en tenait plus compte ; il en fallait de nouvelles.

Nous avions tout un système à proposer sur le contingent et la durée de service ; nous avions à cet égard une nouvelle concession à faire, et nous nous dîmes, après l'expérience faite, qu'il était beaucoup plus prudent d'attendre le moment de la discussion des propositions spéciales relatives au contingent et à la durée de service, pour s'expliquer sur ce point, afin de ne point faire de concessions d'une manière inopportune en les produisant prématurément, ce qui pourrait nous empêcher d'obtenir les résultats que nous pouvions légitimement en espérer.

C'est ainsi que l'honorable ministre de la guerre n'a pas fait connaître tout d'abord la combinaison à laquelle il s'était arrêté quant à la répartition du contingent. Il n'avait pas encore exposé, de manière à y appeler spécialement l'attention de la Chambre, comment mille hommes lui étaient indispensables pour l'artillerie, ce qui écartait sur ce point la possibilité d'appliquer la loi de 1853, qui ne suppose qu'une chose : le rappel des classes libérées.

Il y a donc un fait incontestable : c'est que mille hommes sont indispensables pour l'artillerie. Eh bien, cette opinion exprimée par l'honorable M. d'Elhoungne et qui repose sur une erreur qu'il a le premier signalée dès qu'elle lui est apparue, comment serait-il possible de la maintenir ? Evidemment, il faut l'abandonner. Le rappel des classes libérées pourrait éventuellement porter la force effective de l'armée au chiffre de 100,000 hommes, mais ce n'est pas un moyen de fournir le contingent nécessaire pour l'artillerie, que vous avez été obligés d'augmenter. Donc, messieurs, pour assurer le service de cette arme, l'application de la loi de 1853 serait tout à fait inefficace.

Maintenant, lorsque nous avons fait toutes les concessions successives que je viens de rappeler, et, par parenthèse, c'est le gouvernement seul qui fait des concessions : pas d'obstination, pas d'opiniâtreté de sa part ; il fait seul des concessions ; lui seul peut changer d'opinion ; mais personne ne peut changer d'opinion, si ce n'est pour être d'un avis contraire à celui du gouvernement. Donc, dis-je, ayant fait ces concessions, mais reconnaissant que le contingent de 1,000 hommes en plus pour l'artillerie est indispensable, reconnaissant, en outre, que pour avoir nos 100,000 hommes sous les armes, un nouveau contingent de mille hommes est encore nécessaire, nous nous posions cependant cette question : Serait-il possible, tout au moins, de nous dispenser de réclamer ce surcroît de contingent de mille hommes ? On avait parlé de la possibilité d'y suppléer par des volontaires, et on se déclarait prêt à voter toutes les sommes que l'on croirait devoir affecter à leur rémunération.

Eh bien, je soumets les questions suivantes à l'examen du département de la guerre :

« Quelle sera annuellement la dépense supplémentaire nécessaire ?

«1° En admettant un contingent de 11,000 hommes, au lieu de 12,000 hommes ?

« 2° En remplaçant les 1,000 hommes qui devaient former le second contingent et rester sept mois sous les armes, par 1,000 volontaires entretenus pendant l'année entière ? »

Voilà ce qu'il nous paraissait important de connaître avant de nous prononcer. Car, si le système indiqué était praticable, quelle raison le gouvernement aurait-il de ne pas y consentir ? Qu'importe au gouvernement ? Ce qu'il croit indispensable, c'est d'avoir une armée suffisante pour la défense du pays en cas de guerre, comme pour sa sécurité à l'intérieur.

Voyons donc si c'est possible. Aux questions posées, on répond tout d'abord : Vous n'aurez pas de volontaires ! (Interruption.)

Nous ne nous arrêtâmes pas à cette réponse. Nous voulûmes examiner s'il n'y avait aucun moyen de nous les procurer. Supposons, dîmes-nous, que nous fassions des sacrifices pour avoir des volontaires ; supposons que nous leur assurions une haute paye de dix centimes et une prime d'engagement minime, insignifiante de 100 francs.

On nous répond encore : Vous ne trouverez pas de volontaires !

Et voyons cependant ce qu'eût coûté au trésor le système de rémunération que nous venons d'indiquer :

Tout compte fait, il eût fallu pour cela augmenter le budget de 3,454,504 francs 73 centimes. (Interruption.) Je donnerai le détail au Moniteur.

Je sais bien, messieurs, que quelques-uns nous disent : Qu'importe la dépense ! demandez ce qu'il vous faut, on vous donnera tout l'argent qui vous est nécessaire.

Je connais cette histoire ; elle est très vieille. En cette matière, il y a toujours une chose excellente, parfaite, et qui réunira l'unanimité des suffrages : C'est précisément la chose qu'on ne propose pas. (Interruption.)

Eh bien, je demande aux honorables membres auxquels je réponds s'ils seraient disposés à voter 3,500,000 francs d'impôts pour couvrir la dépense que nécessiterait l'entretien de ces 8,000 volontaires ; et pour les mettre à l'épreuve, lions les deux propositions.

Je sais parfaitement qu'il se trouve toujours des honorables membres qui sont facilement disposés à voter des dépenses ; mais on n'en trouve plus autant quand il s'agit de voter des impôts nouveaux, une augmentation de recettes.

On est très prodigue de l'argent que l'on a, ou que l'on est censé avoir, ou que l'on aura peut-être, et qu'un autre sera chargé de trouver. Mais on ne se montre guère empressé quand il s'agit de demander des sacrifices nouveaux aux contribuables. Or, ce serait ici la condition sine qua non, car on voudra bien reconnaître sans doute qu'il ne serait pas raisonnable de proposer une dépense de 3,500,000 francs, sans créer les voies et moyens d'une pareille dépense.

Eh bien, je n'hésite pas à dire qu'il serait déplorable, ne dût-on pas même recourir à l'impôt, de gaspiller trois millions et demi chaque année, pour dispenser 1,000 hommes d'être pendant sept mois sous les armes ! C'est une proposition qui serait certainement condamnée par le pays.

Nous avons donc, messieurs, des raisons péremptoires de persister dans la résolution que nous avons prise.

Nous étions arrivés, comme vous le voyez, au dernier terme des concessions, et nous avions été seuls à en faire.

(page 844) Je vous ai indiqué ce que nous avons fait quant au contingent. Pour la durée du service, qu'avons-nous fait ? Notre première proposition constitue une réduction sur les propositions de la commission mixte. On ne les avait pas trouvées satisfaisantes. Eh bien, messieurs, ici encore point d'obstination, point de résistance qui pourrait être blâmée. Nous apportons une nouvelle concession.

Il ne s'agit plus de 29 mois de service. Il s'agit de 24 mois de service et de trois rappels d'un mois.

Voilà notre proposition.

Je me demande, messieurs, si l'on peut réclamer plus de bonne volonté de la part d'un gouvernement, que celle dont nous avons fait preuve dans cette circonstance.

Ces questions ne sont pas absolues, mathématiques ; mais cependant il y a des limites. Eh bien, l'honorable ministre de la guerre a démontré qu'il était arrivé à une limite qu'il ne pouvait pas dépasser.

La présence sous les armes est exigée pour deux causes : pour pouvoir instruire tous les hommes et pour avoir en main une force suffisante.

Eh bien, vous n'aurez pas cette force avec une réduction du temps de service.

Cependant, à la dernière heure, un de mes amis m'a suggéré une idée : ce serait d'augmenter le temps de service des substituants et des remplaçants, et de diminuer, dans une certaine proportion, le temps de service des miliciens.

Je ne suis pas en mesure de me prononcer actuellement sur cette proposition... (Interruption.) Je la mentionne parce qu'elle m'a été signalée, et, pour prouver la bonne volonté du gouvernement, je déclare que nous l'examinerons très sérieusement. Si elle a quelque chose de pratique, si elle ne présenteras d'inconvénients, si elle satisfait aux intérêts de l'armée et des miliciens, encore une fois pourquoi nous refuserions-nous de nous y rallier ?

Eh bien, lors de la discussion du budget que nous avons déposé récemment, nous donnerons le résultat de notre examen. Le contingent est annuel ; la durée du service est fixée annuellement ; ce sont les allocations du budget qui déterminent quelle est la véritable durée du service. Donc nous aurons une occasion toute naturelle de nous expliquer sur l'idée qui nous a été suggérée. Mais, quant à présent, il y a impossibilité pour nous de sortir des propositions que nous avons faites, d'aller au delà des concessions successives que nous avons consenties.

Voici, en résumé, messieurs, à quoi se réduit la proposition de l'opposition en cette matière :

Maintien du contingent annuel de 10,000 hommes et réduction du temps de service. Cela signifie qu'on propose au pays de dépenser 37 millions de francs pour n'avoir pas d'armée en cas de guerre et pour manquer même d'un corps de troupes suffisant pour maintenir l'ordre en temps de paix.

- Des voix ; La clôture !

M. le président. - La parole est à M. de Naeyer.

M. Delaetµ. - Je la demande pour une motion d'ordre.

J'ai une simple communication à demander à l'honorable ministre des finances.

Je crois que le chiffre de 4 millions et quelques centaines de mille francs qu'il a avancé, n'est pas exact. Je demande donc la communication des détails de ce chiffre et leur reproduction aux Annales parlementaires.

MfFOµ. - Ce chiffre, que m'a donné le département de la guerre, est parfaitement exact et je vais vous en donner le détail, que je comptais faire insérer aux Annales.

Dans l'hypothèse indiquée par les questions que j'avais soumises au département de la guerre, il y avait lieu de déduire du budget les allocations qui s'y trouvaient pour les 1,000 miliciens qui ne devaient servir que pendant 7 mois. Cela est clair. Ces allocations sont portées au budget pour 234,880 francs. Maintenant 1,000 volontaires engagés par an et pour 8 années, donnent, au bout de huit ans, un effectif total (déchet déduit) de 7,635 hommes.

Ces 7,635 hommes devant être entretenus pendant toute l'année, il faudra augmenter le budget comme il suit : (Interruption.)

La demande de 1,000 hommes annuellement est évidemment faite pour avoir 8,000 hommes après huit ans ; cela est incontestable ; je les réduis à 7,033 pour tenir compte des déchets. Il me faut un nombre de volontaires égal au nombre de miliciens que me procurerait le contingent de 1,000 hommes. Seulement, les miliciens ne serviraient que pendant sept mois, tandis qu'il faut maintenir les volontaires sous les drapeaux d'une manière permanente.

D'un autre côté, les volontaires ne vont pas en congé comme les miliciens ; il faut donc un entretien pendant toute l'année. Ainsi, 7,635 hommes.....

M. Coomans. - Mais vous n'en avez que 1,000 la première année.

M. le président. - N'interrompez donc pas ; vous demandez des chiffres, on vous les donne ; consentez donc à écouter. Veuillez continuer, M. le ministre.

MfFOµ. - Vos observations n'ont pas de portée, M. Coomans. Nous devons établir la dépense qu'occasionnerait le système ; il faut donc le supposer complètement en vigueur et c'est ainsi que nous arrivons à un chiffre de 3 millions et demi, dont voici la décomposition :

7,635 hommes à 99 centimes par jour, donnent pour une année entière (365 jours), une dépense de 2,738,907 fr. 25

Une haute paye de 10 centimes donne 278,677 fr. 50

Première mise de mille hommes à 100 francs, 100,000 fr.

Soit 3,137,584 fr. 75

Maintenant, si l'on accorde une haute paye de 10 centimes aux volontaires nouveaux, il faudra l'accorder également aux 8,000 volontaires que nous possédons actuellement, sans cela nous ne les retrouverions plus ; il faudra donc les traiter tous de la même manière. De ce chef donc, il faut encore ajouter une somme de 292,000 francs.

Il faudra augmenter également la première mise de ces volontaires, qui est aujourd'hui de 36 francs pour l'infanterie et le génie, et de 50 fr. pour les troupes à cheval. Si on la porte à cent francs, il y aura de ce chef une nouvelle dépense de 44,800 fr. pour l'infanterie et le génie et de 15,000 francs pour les troupes à cheval.

Enfin, si l'on accorde une prime d'engagement que je porte seulement à cent francs par volontaire, cette mesure donnera encore lieu, à raison de 2,000 volontaires engagés chaque année ; à une dépense de 200,000 francs. Total des augmentations, 3,689,384 fr. 75 c. »

D'où il faut déduire, comme je l'ai dit en commençant, une somme de 234,880 francs qui figure au budget pour 1,000 hommes pendant sept mois sous les armes. Reste augmentation définitive, 3,454,504 fr. 75 centimes.

M. le président. - La parole est à M. de Naeyer.

- Plusieurs membres. - La clôture !

- D'autres membres. - Non ! non ! Parlez !

M. de Naeyerµ. - Ne montrez pas trop d'impatience, messieurs ; je ns serai pas long ; je me bornerai à expliquer aussi brièvement que possible les différents votes que j'aurai à émettre sur les propositions du gouvernement.

Ces propositions, vous le savez, se rattachent à trois questions : la première, c'est la durée du service qu'on exigera des miliciens destinés à former les bataillons actifs de l'infanterie ; la seconde, c'est celle de la division du contingent en contingent de réserve et contingent actif ; enfin la troisième, qui est la plus importante, a pour objet le contingent de l'année 1869.

Le gouvernement nous demande de fixer à 27 mois la durée du service pour les fantassins qui doivent former les bataillons actifs. La même proposition a été soumise à la commission mixte, qui l'a rejetée par 16 voix contre 6 ; et parmi les 16 membres qui en ont voté le rejet, il y avait 8 membres militaires qui trouvaient le terme de 27 mois trop court et huit membres civils qui le trouvaient trop long.

Vous voyez, messieurs, que c'est par des motifs diamétralement opposés qu'on s'est prononcé contre la proposition dont il s'agit.

J'étais au nombre de ceux qui voulaient réduire le service des miliciens désignés pour l'infanterie à moins de 27 mois, je me trouvais à cet égard en excellente compagnie, notamment avec l'honorable ministre de l'intérieur, avec les honorables MM. Muller, Malou, de Tornaco, Vermeire, Van Humbeeck et Vilain XIIII.

Si je rappelle cette circonstance, ce n'est pas parce que je me crois lié par ce vote. J'ai suivi avec la plus sérieuse attention la longue discussion à laquelle nous assistons depuis plusieurs semaines et je n'hésite pas à déclarer que mes idées se sont modifiées sous plusieurs rapports.

Ainsi, bien que M. le ministre des finances vienne de prétendre que dans cette discussion il est de règle que nous ne changeons d'opinion que (page 845) pour nous mettre on opposition avec le gouvernement, c'est ici tout le contraire qui m'arrive ; je crois devoir abandonner l'opinion que j'ai exprimée au sein de la commission mixte pour me rallier à la proposition du gouvernement ; en d'autres termes, je suis convaincu aujourd'hui qu'il serait imprudent, et peut être même dangereux de réduire à moins de 27 mois la durée de service, en ce qui concerne les miliciens désignés pour former nos bataillons actifs d'infanterie, et qui doivent constituer une des principales forces de notre armée de campagne.

J'appuie donc, sous ce rapport, la proposition du gouvernement et je voterai la durée de service de 27 mois.

Mais je crois devoir ici demander un éclaircissement. Je pense qu'aujourd'hui les miliciens qui appartiennent à l'artillerie de siège doivent rester sous les drapeaux pendant 3 ans, c'est-à-dire pendant 36 mois, et M. le ministre de la guerre a déclaré formellement, dans la séance du 11 de ce mois, que toute réduction dans la durée du service est impossible pour les armes autres que l'infanterie et par conséquent aussi pour les miliciens appartenant à l'artillerie.

Ainsi, les mille hommes qu'on demande en plus pour former successivement les 31 nouvelles batteries de siège, auront à servir 36 mois. Or, j'ai remarqué que les calculs de l'honorable rapporteur de la section centrale sont basés sur une durée de service de 30 mois seulement.

Si, comme je le pense, il y avait ici une erreur involontaire de la part de l'honorable rapporteur de la section centrale, il faudrait ajouter à l'aggravation de charges que les propositions du gouvernement entraîneront 6,000 mois, c'est-à-dire 180,000 journées ; ainsi, l'aggravation totale, au lieu d'être de 444,000 jours de service s'élèverait au delà de 600,000 jours de service.

Si je me trompais dans cette évaluation, l'honorable ministre de la guerre aurait soin, j'en suis convaincu, de rectifier mon erreur.

J'arrive à la seconde question, qui est celle de la division du contingent de milice en contingent de réserve et en contingent actif ; je trouve cette division très rationnelle. Eu effet, le simple bon sens nous dit qu'il ne faut pas exiger la même instruction des soldats qui sont destinés à défendre nos forteresses que des soldats qui sont destinés à faire partie de notre armée de campagne. Il s'agit donc ici d'une proposition qui ne peut, ce me semble, rencontrer aucune opposition sérieuse.

J'en viens à la troisième question, celle de l'augmentation du contingent.

Le gouvernement nous propose d'abord un contingent de réserve de 1,000 hommes pour la formation de nos bataillons de réserve de l'infanterie, qui sont, je pense, au nombre de 15 ou de 16 ; et en second lieu un contingent de 11,000 hommes pour les autres parties de l'armée.

Eh bien, je trouve que les 1,000 hommes du contingent de réserve ne suffisent pas ; je voudrais porter ce chiffre à 1,500 ; parce que le nombre de 1,000 hommes sera insuffisant pour fournir les bataillons de réserve, qui sur le pied de guerre, comportent, si je ne me trompe, un effectif de 13,000 à 14,000 hommes. Or, avec un contingent annuel de 1,000 hommes, vous ne pouvez pas arriver à cet effectif ; il faut pour cela un contingent annuel de 1,500 hommes et je voudrais que les propositions du gouvernement fussent modifiées en ce sens.

Reste donc le contingent de 11,000 hommes pour les autres parties de l'armée ; je crois que la nécessité n'en est aucunement démontrée et qu'un contingent de 10,000 hommes est tout à fait suffisant. Je pourrais invoquer ici plusieurs considérations qui ont été développées avec tant de talent par l'honorable M. Kervyn, mais je n'en ai pas besoin pour prouver ce que je viens de dire.

Je puis me baser exclusivement sur les renseignements et les explications qui nous ont été données par l'honorable ministre de la guerre dans la séance du 11 de ce mois.

En effet, l'honorable ministre de la guerre nous a déclaré, dans les termes les plus formels, qu'en opérant sur un contingent annuel de 10,000 hommes, le gouvernement dispose aujourd'hui d'une armée de 83,351 hommes, sous-officiers et soldats, en y comprenant, comme de juste, les 8,000 volontaires.

Ainsi donc, le contingent de 10,000 hommes suffit pour mettre à la disposition

Eh bien, messieurs, c'est là tout ce qu'il faut pour arriver à une armée de 100,000 hommes.

Ajoutez à ce chiffre le nombre d'officiers qui est de 2,558 sans compter le personnel du service de l'intendance ou du service de santé ; ajoutez-y surtout les bataillons de réserve pour lesquels vous auriez un contingent spécial de 1,500 hommes et qui comporteraient un effectif de 13,000 à 14,000 hommes et vous arriverez tout près de 100,000 hommes ; il vous manquera tout au plus 1,000 hommes.

Vous voyez donc que la nécessité d'augmenter le contingent actif n'est en aucune façon prouvée. Je crois qu'il est beaucoup plus rationnel d'augmenter dans une certaine mesure le contingent de réserve au lieu d'aller puiser dans le contingent actif pour compléter vos bataillons de réserve, et tout le monde comprend que cette augmentation du contingent de réserve serait beaucoup moins onéreuse pour le pays.

Or, je le répète, si vous portez votre contingent annuel de réserve à 1,500 hommes au lieu de 1,000, c'est-à-dire si vous l'augmentez de manière qu'il suffise pour la formation de vos bataillons de réserve, il n'est plus nécessaire d'augmenter le contingent actif. Avec une levée annuelle de 10,000 hommes, vous pouvez satisfaire à tous les besoins des autres parties de l'armée. Pour l'affirmer, je me base exclusivement sur les explications qui nous ont été fournies par l'honorable ministre de la guerre dans la séance du 11 de ce mois (Annales parlementaires, p. 816, paragraphes 8 et 9.)

Maintenant, messieurs, s'il manquait peut-être 500 ou 1,000 hommes tout au plus, en exagérant même, eh bien, il est évident, il est incontestable qu'avec les améliorations que. tout le monde est disposé à apporter au système de remplacement et de substitution, vous aurez des non-valeurs bien moins considérables qu'aujourd'hui. Cela fera bien certainement une différence de plus d'un millier d'hommes.

Ensuite si, comme tout le monde est encore disposé à le faire, nous rendons le sort du soldat meilleur, si nous le tirons de la déplorable position dans laquelle il se trouve aujourd'hui, malgré tout ce qu'on a dit des grands bienfaits dont il jouit, et si, notamment, il n'est plus réduit à n'avoir pour ses misérables deniers de poche que 2 à 3 centimes par jour, nous avons toutes chances d'attirer dans l'armée un nombre de volontaires beaucoup plus considérable, d'arriver peut-être successivement au nombre que nous avions en 1853, lorsque l'armée comptait dans ses rangs 16,000 volontaires, c'est-à-dire 8,000 hommes de plus qu'aujourd'hui.

Vous voyez donc que, sous tous les rapports, on peut être parfaitement rassuré, quant aux moyens de réaliser l'effectif de l'armée sur le pied de guerre, c'est-à-dire le chiffre de 100,000 hommes, sans qu'il soit nécessaire d'augmenter le contingent actif de 10,000 hommes.

Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous dire que les propositions du gouvernement auront pour conséquence d'imposer au pays une aggravation de charges militaires, qui se traduit par plus de 600,000 jours de service. Par contre, le système que je viens d'indiquer, tout en satisfaisant aux besoins de l'armée, donnerait lieu à une atténuation des charges militaires qui pèsent directement sur la population.

En effet, nous sommes d'accord avec le gouvernement pour réduire de trois mois la durée actuelle du service en ce qui concerne les miliciens appartenant à l'infanterie. Or, je n'applique cette réduction qu'à 6,500 ou 6,600 hommes, parce qu'il est évident que du moment où vous auriez un contingent spécial pour vos bataillons de réserve, qui forment au moins la sixième ou septième partie de l'effectif de l'infanterie, la partie du contingent annuel de 10,000 hommes, qui est attribuée aujourd’hui à l'arme de l'infanterie, pourra subir une réduction proportionnelle, c'est-à-dire une réduction de 1,000 à 900 hommes, qui seront désignés pour les nouvelles batteries de siège. 6,500 hommes, pris sur le contingent actif, suffiront donc pour la formation des bataillons actifs, et en leur appliquant la réduction de trois mois par individu, j'arrive à une économie de 19,500 mois de service.

D'un autre côté, je dois porter en compte, comme aggravation, les sept mois de service du contingent de réserve qui s'élevait à 1,500 hommes ; cela fait 10,500 mois. En supposant que le service pour les miliciens appartenant à l'artillerie de siège doive durer trois ans, je porte encore en compte, comme aggravation, six mois par individu en ce qui concerne les 1,000 ou 900 hommes en plus qui, ainsi que je viens de l'expliquer, pourront être pris sur le contingent annuel, pour l'artillerie de siège, attendu que ces hommes ayant été attribués jusqu'ici à l'infanterie, n'ont dû servir que trente mois. Les six mois de service en plus appliqués à mille hommes out pour conséquence une aggravation de six mille mois, en ajoutant ce chiffre à celui de 10,500, j'arrive à une aggravation totale de 16,500 mois, laquelle étant défalquée de la diminution déjà constatée de 19,500 mois, il reste, en définitive, une atténuation des charges militaires, qui se traduit par une économie de 3,000 mois de service soit 90,000 jours, tandis que les propositions du gouvernement auront pour conséquence une augmentation (page 846) de plus de 600,000 jours de service, nous réaliserions ainsi le résultat qui a été si vivement recherché en France et qui consiste à ne pas aggraver les charges militaires en temps de paix, tout en mettant entre les mains du gouvernement tous les éléments nécessaires pour avoir sur le pied de guerre une armée de 100,000 hommes.

Messieurs, je me borne à indiquer ce système, parce que je comprends parfaitement que je n'ai pas de chance de réussir en le formulant en proposition après les déclarations qui ont été faites à la fin de la séance d'hier par M. le ministre des finances. Il est évident pour moi que ces déclarations exerceront une influence prépondérante sur les membres de la majorité, mais tout le monde comprendra aussi qu'elles n'ont pas dû m'empêcher de puiser exclusivement mes convictions dans l'examen intrinsèque des propositions qui nous sont soumises. Tout en professant de l'estime pour le caractère des hommes qui occupent le pouvoir, je suis bien loin de considérer leur retraite possible comme un grand malheur pour le pays ; toute considération de cette nature est absolument étrangère aux votes que j'émettrai et sur lesquels j'ai cru devoir donner quelques explications.

- La clôture est demandée.

M. Jacobsµ (contre la clôture). - Messieurs, j'espère que vous vous opposerez d'autant moins à la clôture, que je viens de voir M. le ministre de la guerre demander la parole. (Interruption.)

Pour moi, du reste, je n'ai à faire qu'une rectification. J'ai à rectifier une assertion de M. le ministre des finances qui, si elle n'était pas contredite, ferait porter notre vote sur un malentendu.

M. le ministre des finances affirme que le contingent de 12 mille hommes et l'augmentation de 8,000 hommes pour l'artillerie, sont deux questions indissolublement unies, et que c'est pour l'avoir ignoré que M. d'Elhoungne s'est trompé dans les critiques qu'il a élevées contre le contingent.

- Plusieurs membres. - Ce n'est pas la clôture.

M. Jacobsµ. - C'est une rectification de ce point défait.

M. le président. - Vous n'avez la parole que sur la clôture.

M. Jacobsµ. - Permettez-moi, M. le président, d'achever ma phrase.

Je désire rectifier ce fait et je crois qu'il a une importance suffisante pour occuper la Chambre pendant quelques minutes avant que cette discussion soit close.

Je lui demande donc de ne pas clore.

M. Dumortier (contre là clôture). - M. le ministre des finances, en parlant tout à l'heure, m'a désigné suffisamment. (Interruption.)

MfFOµ. - Vous n'avez pas même voté, ce sont d'autres qui ont voté. Ce n'est donc pas à vous que j'ai fait allusion.

M. Dumortier. - J'ai à justifier ma position et j'ai à démontrer à fa Chambre, à mon avis de la manière la plus péremptoire, qu'avec l'organisation actuelle nous pouvons réunir 100,000 hommes.

- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. Dumortier. - J’ai à démontrer qu'entre les deux systèmes celui d’une augmentation du contingent, de 2,000 hommes, et l'adoption comme mesure définitive de la disposition de la loi de 1853 sur le rappel des classes libérées, ce dernier système est incomparablement plus avantageux.

- Plusieurs membres. - C'est le fond !

M. Van Overloopµ (contre la clôture). - Je désire, messieurs, pouvoir motiver mon vote. Je crois devoir cette justification à mes commettants. Mais, puisque la Chambre veut en finir, je me contenterai de voter conformément à mes précédents et à ma conscience.

Il est bien entendu qu'en votant le projet du gouvernement sur l'armée, je n'entends aucunement approuver la politique générale du cabinet de l'honorable M. Frère.

M. Delaetµ. - Messieurs, je désire prendre la parole si la clôture n'est pas prononcée. (Interruption.) On a parlé tantôt des meetings, laissez-moi vous dire que jamais dans aucun meeting à Anvers on n'a vu un tumulte pareil à celui dont vous offrez le spectacle. (Interruption.)

Je veux parler d'un fait très important.

M. le ministre des finances est venu nous dire qu'il jumelait deux propositions : la proposition de ne pas voter l'augmentation du contingent et celle d'augmenter de 10 centimes la solde des volontaires.

- Plusieurs voix. - La clôture !

M. Delaetµ. - Je ne discute pas la proposition, je parle contre la clôture. L'honorable ministre des finances vous a dit : Si je faisais cette proposition, vous ne l'accepteriez pas. Messieurs, je regrette qu'elle n'ait pas été produite depuis quelques jours, de façon à nous permettre d'étudier les chiffres, car il est très probable que nous l'aurions acceptée.

Les chiffres du gouvernement sont exagérés d'une manière étonnante ; 10 centimes par homme donnent 36 fr. 50 par homme et par an, donc 36,500 fr. pour 1,000 hommes. Voilà où aboutirait cette haute paye.

Si cette proposition était faite par le gouvernement, je lui promets de l'examiner avec le désir de la voir adopter.

- Plusieurs membres. - La clôture ! (Interruption.)

M. Delaetµ. - Si ces messieurs veulent s'amuser, je m'amuserai à les voir se conduire comme ils le font. En appliquant la proposition, non seulement aux 1,000 hommes qu'on nous demande en plus, mais à tous les miliciens, à tout le contingent, nous arriverions à peine au chiffre que M. le ministre des finances indique.

Voilà ce que je voulais vous dire.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

- Il est procédé à l’appel nominal sur la clôture.

114 membres y prennent part.

67 répondent oui.

47 répondent non.

En conséquence, la clôture est prononcée.

Ont répondu oui : MM. Snoy, Tesch, T'Serstevens, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Valider Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Lambert, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier et Dolez.

Ont répondu non :

MV1. Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans, de Coninck, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Muelenaere, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Woelmont, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, d'Ursel, Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Liénart, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert et Royer de Behr.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée de l’année 1869

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - Nous passons à l'article premier du projet qui fixé le contingent de l'armée ; il est ainsi conçu :

« Art. 1er. Le contingent de la levée de milice pour 1869 est fixé au maximum de 12,000 hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »

M. Jacobsµ. - Tout à l'heure M. le ministre des finances, à l'appui du chiffré de 12,000 hommes, vous a laissé entendre que ce contingent et l'augmentation de l'artillerie...

- Des voix. - Et la clôture ?

M. Coomans. - Allez toujours.

M. Jacobsµ. - ... que ce contingent et l'augmentation de l'artillerie sont deux choses indissolublement liées et que c'est pour l'avoir perdu de vue, que l'honorable M. d'Elhoungne a soutenu qu'un contingent de 10,000 hommes, celui prévu par la loi de 1853, pouvait suffire.

Cette assertion est inexacte ; nous pouvons obtenir, au moyen du contingent de 10,000 hommes, l'augmentation réclamée pour l'artillerie.

L'honorable M. d'Elhoungne, en prononçant son discours si étudié du 12 février, savait parfaitement que l'artillerie devait être augmentée de 8,000 hommes, et que, pour les trouver, le gouvernement comptait sur une augmentation de 1,000 hommes des huit classes de milice.

Il pouvait d'autant moins l'ignorer que, dès le 21 janvier, M. le ministre de la guerre avait expliqué l'augmentation du contingent de la manière suivante :

« Dans les 2,000 hommes demandés pour compléter le contingent ordinaire, il y en aura 1,000 qui ne serviront que 7 mois et qui sont destinés aux 5èmes bataillons. Les 1,000 autres appartiennent aux batteries d'artillerie et aux compagnies du génie dont on vous demande la création. »

Si M. d'Elhoungne n'ignorait point cela, pourquoi a-t-il soutenu que (page 847) la loi de 1853 et le contingent de 10,000 hommes suffiraient pour constituer une armée de 100,000 hommes avec une artillerie dans les proportions demandées par le gouvernement ; ce n'est point là une erreur de sa part, c’est une opinion judicieuse et, j’ajouterai indiscutable.

Il ne s’agit en effet que de répartir l'armée de 100,000 hommes d'une autre façon : prenez chaque année, dans la partie du contingent attribuée à l’infanterie, mille hommes pour les reporter à l'artillerie. Faites ce transfert pendant 8 années et vous serez arrivés au résultat voulu. (Interruption.) Qu'arrivera-t-il ? C'est que l'infanterie aura 8,000 hommes de moins, mais vous les retrouverez au moyen du rappel des classes libérées qu'autorise la loi de 1853.

M. d'Elhoungne avait donc raison de dire, et ce n'était pas là une erreur de sa part, que l'armée de 100,000 hommes, avec l’augmentation de l'artillerie, peut se concilier avec un contingent de 10,000 hommes.

M. le président. - M. Dumortier a fait parvenir au bureau l'amendement suivant :

« Je propose de continuer de fixer le contingent à 10,000 hommes et de rendre définitives les dispositions de la loi de 1853 qui sont relatives au rappel sous les armes. »

- Cet amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

MPDµ. - La parole est à M. Dumortier.

- Des voix. - A demain.

M. Dumortier. - Je ne rentrerai pas dans la discussion générale.

Deux systèmes sont en présence et ont été en présence depuis le commencement ; celui qui consiste à trouver le chiffre de cent mille hommes par une augmentation du contingent et celui qui consiste à le trouver par le rappel des classes libérées.

Pour mon compte, je n'hésite pas à dire que le second système est infiniment préférable et pour les familles belges et pour l'armée.

D'abord, n'est-ce rien que de porter chaque année une douleur nouvelle dans deux mille familles belges ?

Si le pays l'exigeait impérieusement, nous ferions ce sacrifice, mais comme nous avons un autre moyen pour arriver au même résultat, pourquoi accepter ce sacrifice ?

Au point de vue de l'armée, une mesure définitive est bien préférable à une mesure annuelle et soumise par là aux décisions d'une majorité mobile et changeante, comme l'est la loi du contingent qui, aux termes de la Constitution, doit se voter chaque année. Au contraire, le rappel des classes libertés constitue une mesure définitive bien plus avantageuse à l'année. Toutes deux donnant le même résultat, la dernière est donc bien préférable et c'est celle-là que je propose.

Je crois, messieurs, qu'on s'est étrangement trompé sur l'état de notre armée ; j'ai entendu parler du chiffre de 82,000 hommes ; mais ce chiffre est en désaccord complet avec ce qu'on nous a dit autrefois. Je tiens en main l’Annuaire de l'observatoire (interruption) qui, vous le savez, renseigne chaque année, d'après les documents officiels, les principaux faits qui concernent notre pays. Or, je trouve dans l'Annuaire de l'année 1865 que le nombre de nos soldats était alors de 90,900.

Je tiens également en main un document qui a été remis à la grande commission militaire sur la demande de mon honorable ami M. le vicomte Vilain XIIII ; c'est un tableau donnant par catégorie la composition de notre armée. Eh bien, que résulte-t-il de ce tableau ? (J'appelle sur ce point la sérieuse attention de la Chambre.) Il établit que la force de notre armée, avec le système ancien et sans le rappel des classes libérées, s'élève à 94,578 hommes, soldats et sous-officiers et 2,701 officiers ; soit un total de 97,279 hommes.

MgRµ. - Ce document a été déclare erroné au sein de la commission même.

M. Dumortier. - Il y a une chose certaine ; c'est que nous n'avons pas su que le tableau était erroné, quand on nous l'a remis.

MgRµ. - On l'a déclare le jour même.

M. Dumortier. - Pas du tout ; il y a un fait certain, c'est que le tableau dont je parle donne la composition de l'armée par régiment et en second lieu le nombre des miliciens par année. Il indique les déchets par année et en fait déduction C'est ainsi que, la première année, il y a un déchet de 780 hommes et ainsi de suite. Ce tableau officiel est donc inattaquable.

Comment est-il possible de supposer qu'un pareil tableau serait erroné, puisqu'il nous a été remis officiellement ?

Voila donc 97,000 hommes qu'on accuse dans un document officiel ; et aujourd'hui ces 97,000 hommes se trouvent subitement fondus et réduits à 85,000.... (Interruption) On nous parle des déchets. Sans doute, messieurs, il y a des déchets ; il doit nécessairement y en avoir, quand ils ne proviendraient que des déserteurs ; car il y en a dans toutes les armées du monde, dans l'armée française comme dans l’armée prussienne. Comme je viens de le dire, le tableau les déduit. Or, mon honorable ami M. Kervyn a démontré, de la manière la plus évidente, que presque tous ces déchets résultent de nos lois et qu'il suffirait, pour les réduire considérablement, d'apporter quelques modifications à ces lois.

Pour ma part, j'aimerais infiniment mieux modifier ces lois que d'appeler sous les armes un supplément de contingent de 2,000 hommes.

Un dernier mot. Vous êtes étonné que cet appel supplémentaire de 2,000 hommes soit mal vu dans le pays. Eh bien, messieurs, rappelez-vous ce qui s'est passé en France ; rappelez-vous l’opposition qu'à rencontrée le gouvernement quand il a demandé une augmentation de contingent de 100,000 hommes.

Eh bien, le chiffre de 12,000 hommes qu'on nous demande est, chiffres pour chiffres, le même qu'on a demandé en France, puisque 12,000 hommes pour la Belgique, c'est précisément 96,000 hommes pour la France, avec ses 40,000,000 d'âmes ? Eh bien, sommes-nous en position de faire à cet égard ce que fait la France ?

Messieurs, je me suis tenu, dans toute cette discussion, entre deux exagérations, entre ceux qui veulent réduire notre armée et ceux qui veulent augmenter nos charges militaires d'une manière aussi trop considérable ; ma proposition est la conséquence logique de cette position.

- La discussion est close.

MPDµ. - Je dois mettre aux voix la proposition du gouvernement, qui contient le chiffre le plus élevé.

« Art. 1er. Le contingent de la levée de milice pour 1869 est fixé au maximum de 12,000 hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »

- L'appel nominal est demandé. Il est procédé à cette opération.

114 membres répondent à l'appel nominal.

68 répondent oui.

45 répondent non.

1 membre (M. Schollaert) s'abstient.

En conséquence, l'article premier du projet du gouvernement est adopté.

Ont répondu oui :

MM. Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Cartier,. Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, De Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dupont, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Lambert, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier et Dolez.

Ont répondu non :

MM. Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Ernest Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire Verwilghen, Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans, David, de Coninck, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Muelenaere, de Naeyer, de Smedt, de Theux, de Woelmont, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Gerrits, Guillery, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert et Royer de Behr.

M. le président. - M. Schollaert, qui s'est abstenu, est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Schollaert. - Messieurs, je n'ai pas voté contre la proposition, parce que je né veux pas refuser à la défense du pays le contingent dont le gouvernement, sous sa responsabilité, déclare avoir besoin ; je n'ai pas voté pour la proposition, parce que le vote du contingent de 1869 est prématuré et me paraît, à ce titre, contraire à l'esprit de la Constitution.

Article 2

« Art. 2. Ce contingent est divisé en deux parties, l'une active de 11,000 hommes, l’autre de réserve de 1,000 hommes, assignée à l'infanterie. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

(page 848) Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.

113 membres prennent part au vote.

Le projet est adopté par 68 voix contre 43 et 2 abstentions.

Ont répondu oui :

MM. Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dupont, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Lambert, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier et Dolez.

Ont répondu non :

MM. Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vau Hoorde, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans, David, de Coninck, E. de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Muelenaere, de Smedt, de Theux, de Woelmont, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Gerrits, Guillery, Bayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert et Royer de Behr.

Se sont abstenus i

MM. Schollaert et de Naeyer.

- Le projet de loi sera transmis au Sénat.

M. Schollaert. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'ai déjà fait connaître à la Chambre.

M. de Naeyerµ. - Je me suis abstenu parce que le projet de loi se compose de propositions que j'approuve et d'autres propositions que je ne puis adopter.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - On demande la remise de la discussion à demain.

- Plusieurs voix. - Non ! non !

MfFOµ. - Je demande à dire un mot sur la proposition de remise à demain.

Je fais appel aux honorables membres qui paraissent disposés à lever la séance, et je leur soumets cette observation : la Chambre est aujourd'hui très nombreuse ; je crois que c'est tout ce qu'on peut réunir de membres. Parmi ces honorables membres, il en est plusieurs qui sont malades et d'autres qui se trouvent dans l'impossibilité d'assister à la séance de demain. Je pense donc qu'il serait convenable de procéder au vote dans la présenté séance.

- Une voix. - On ne s'y oppose pas.

M. Delaetµ. - Nous ne sommes pas d'accord.

MPDµ. - Dès l'instant qu'on n'est pas d'accord, je dois faire voter.

M. Delaetµ. - Je demande à répondre aux observations présentées par l'honorable ministre des finances.

J'ai l'honneur de faire observer à la Chambre que plusieurs des membres de l'opposition, croyant qu'il n'y aurait plus eu d'autres votes que celui que nous nous venons d'émettre, ont de très bonne foi quitté la salle à l'heure où nous nous séparons d'ordinaire.

Si vous votez, il doit être bien entendu pour le pays que c'est en quelque sorte, non pas intentionnellement, mais de fait, par surprise. (Interruption) Je n'examine pas les intentions, mais je dis qu'il y a de fait une surprise puisque plusieurs de nos collègues sont partis.

M. le président. - Je me borne à faire remarquer à M. Delaet que tous les membres doivent rester à la séance, tant qu'elle n'est pas levée.

M. Delaetµ. - Remettons à demain et votons au commencement de la séance.

- La proposition de remettre la discussion à demain est mise aux voix et n'est pas adoptée.

Projet de loi relatif a la division du contingent de milice en contingent actif et en contingent de réserve

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - L’article est ainsi conçu :

« Art. 1er. Le contingent annuel est divisé en deux parties, l'une active, l’autre de réserve assignée à l'infanterie. »

M. Dumortier. - Je veux seulement faire une question.

Le contingent de réserve appliqué à l'infanterie formera par conséquent la réserve. Je demande si cette partie du contingent de réserve sera soumise à toutes les lois qui empêchent les miliciens de se marier.

M. Coomans. - Je dois déclarer que sur nos bancs personne ne s'attendait à la continuation de la discussion. Je rentre, rappelé par le bruit que l'on fait ici. Mais j'étais convaincu que l'on ne continuerait pas violemment la discussion, et l'honorable M. Delaet n'a pas dit sans raison que l'on pourrait interpréter ce vote comme une surprise. (Interruption.)

Je vois que vous êtes tous complètement et fidèlement réunis. Vous le saviez peut-être ; mais il fallait nous le dire il y a une demi-heure. (Interruption), il fallait nous dire que vous vouliez épuiser tous les objets de cette catégorie à l'ordre du jour. Vous n'en avez rien dit.

Plusieurs membres sont partis ; j'aurais pu en faire autant. Je n'étais pas forcé de rentrer étant déjà sorti, mais enfin je reviens à mon poste. Seulement je dois protester contre cette façon d'agir. Il est cinq heures et demie. Il est inouï que l'on ait insisté sur un débat après le départ de plusieurs membres, qui loyalement ont pu croire que ce débat ne continuerait pas. (Interruption.)

Des membres : La Chambre a décidé.

M. Delaetµ. - Nous discuterons, puisque l'on veut voter.

- Plusieurs membres. - On nous fait violence.

M. Coomans. - Je le regrette fort, les membres qui sont partis et que vous mettez dans l'impossibilité de voter, pourront vous reprocher de les faire passer pour déserteurs. Or telle n'a pas été leur intention, je le sais. Plusieurs m'ont serré la main, en sortant, avec la certitude que la séance était levée.

M. le président. - La Chambre a prononcé. Je l'ai consultée, et elle m'a fait un devoir de continuer.

M. Coomans. - Ce n'est pas vous que j'accuse, M. le président, ce sont les autres.

- L'article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Chacune des deux parties du contingent est répartie par le Roi entre les provinces, et par la députation permanente du conseil provincial entre les communes de la province, proportionnellement au nombre des inscrits pour la levée, déduction faite de ceux qui se trouvent au service comme volontaires. »

M. Coomans. - Messieurs, mon intention était de présenter à ce sujet des amendements importants. J'aurais voulu égaliser autant que possible les mauvaises chances du sort, en ne permettant pas aux officiers, sans l'intervention de l'élément civil, de classer arbitrairement les miliciens, d'imposer aux uns 27 mois, aux autres 3 et 4 ans de service forcé. Il y a ici une iniquité criante, révoltante, je voulais présenter différentes observations, j'en résumerai une ou deux, pour montrer l'importance de la proposition que je comptais avoir l'honneur de soumettre à la Chambre.

Ou bien vous auriez pu déléguer une autorité considérée comme impartiale afin de classer les victimes du sort, ou bien vous auriez pu décréter que les armes spéciales exigeant une durée de service plus longue que pour l'infanterie, ne se recruteraient que dans la catégorie des volontaires et des remplaçants.

Je viens d'entendre tout à l'heure, je crois, l'honorable ministre des finances dire que c'est une question à examiner, s'il ne conviendrait pas de prolonger le temps de service des remplaçants ; eh bien, messieurs, ne mériterais-je pas d'être écouté avec quelque bienveillance lorsque j'essayerais de vous prouver qu'il est possible de réserver les armes spéciales aux volontaires et aux remplaçants. Vous devez reconnaître qu'il est impossible de justifier les iniquités révoltantes qui existent aujourd'hui, où des hommes sont condamnés à servir deux fois plus longtemps que d'autres et, je le répète, vous n'avez que ce détestable argument, cet argument de despote qui consiste à dire : Cela est nécessaire ; il y va des convenances militaires !

Et la justice, et l'équité, et la Constitution, et ce grand principe moderne, ce grand principe belge et constitutionnel, surtout belge : l’égalité des citoyens devant la loi ! Vous modifiez l’arrêt du sort, un jeune homme pouvait croire qu’il n’était condamné qu’à 27 mois de service forcé, vous le condamné à un service forcé de 4 ans. (Interruption.) Oui, je déclare qu’il y a des cavaliers qui service près de 5 ans.

J'en ai fait relâcher un qui, très innocemment, servait depuis près de 5 ans, pourquoi ? Ce n'est pas parce qu'il s'était mal conduit, parce qu'il avait des dettes à la masse, c'est parce que c'était un cavalier modèle ; mais le malheureux n'avait pas de protecteur et c'est par hasard que l'on m'a découvert. (Interruption.)

(page 849) Messieurs, je dois le déclarer, ne fût-ce que pour relever des assemblées très constitutionnelles, qu'on a calomniées dans cette enceinte, il y a plus de liberté dans les meetings que dans cette Chambre. (Interruption.) Dans les meetings on nous écoute, surtout quand nous parlons au nom de la justice, au nom du peuple. (Interruption.) Oui, c'est un grand honneur pour les meetings, qui, du reste, je le répète, sont tout aussi constitutionnels que la Chambre même. Ce qui n'est pas constitutionnel c'est la conscription. Mais les meetings sont constitutionnels.

Eh bien, messieurs, depuis vingt ans on maintient cette iniquité révoltante... (Interruption.) Je maintiens le mot. Ou ne m'a pas répondu une seul fois d'une manière raisonnable ; tous les ministres de la guerre et autres se sont bornés à nous dire :

« Cette injustice réelle, incontestable est nécessaire. Donc nous la maintenons. »

Eh bien, messieurs, vous ne pouvez pas, en présence de ma protestation, en présence d'un grand nombre de pétitions qui mentionnent ces faits indignes, passer outre, surtout par surprise, une demi-heure et plus après la fin ordinaire de nos séances.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

- D'autres membres. - Parlez ! parlez !

M. Coomans. - M. le président, ce bruit est très fatigant. Il me semble que je suis dans la question.

M. le président. - Je ne vous y rappelle pas.

M- Coomansµ. - Nous sommes dans le partage du contingent. C'est sur ce point que je parle et uniquement sur ce point.

- Plusieurs membres. - Parlez.

- A gauche. - Aux voix.

M. Coomans. - Vous ne m'avez pas laissé tantôt exposer un fait que j'ai cité entre mille autres. J'ai donc découvert un jour qu'un excellent cavalier, un cavalier modèle était retenu depuis près de cinq ans au régiment. (Interruption.).

M. le président. - Messieurs, après avoir décidé que la séance continuait, je m'étonne que vous n'écoutiez pas en silence.

M. Coomans. - Bien, monsieur le président. Et lorsque j'ai demandé à M. le ministre de la guerre de l'époque de congédier ce cavalier, j'ai reçu cette courte réponse : « Les intérêts du service ne le permettent pas. »

J'ai insisté, j'ai menacé d’une interpellation à la Chambre, et, le lendemain, quelques heures après la réception de mon billet, les intérêts du service militaire avaient complètement changé de face et je recevais l'assurance que l'homme serait congédié.

- Des membres. - Très bien !

M. Coomans. - Je suis convaincu que beaucoup de miliciens se trouvent dans ce cas... (Interruption.) Je ne parle que des miliciens ; quant aux volontaires et aux remplaçants, vous en ferez ce que vous voudrez. Ils sont libres de disposer d'eux-mêmes.

Je propose donc l'ajournement de la discussion à demain pour que je puisse formuler les propositions que j'ai à faire. Je vous laisserai choisir entre plusieurs si vous voulez. (Interruption.) Il y a moyen de faire 6 et même 12 propositions contre les vôtres, car il n'y a que ces dernières qui ne valent rien.

Je demande positivement le renvoi à demain.

MfFOµ. - Les discours de l'honorable membre doivent être fort intéressants pour lui. Mais, quand on les a entendus cinq ou six fois, c'est absolument trop.

M. Coomans. - Réfutez-les.

M. Bouvierµ. - C'est là faire les affaires du pays !

MfFOµ. - Le même discours se reproduit sur toutes les questions.

Il s'agit aujourd'hui d'une proposition faite uniquement pour que la Chambre puisse formuler son opinion sur le principe, les questions qui s'y rattachent étant réservées tout entières pour la discussion de la loi de milice. Rien n'est préjugé, ni le tirage au canton ou à la commune, ni les conséquences d'une durée de service de sept mois. Sur tout ces points ou sur d'autres, on pourra se prononcer ultérieurement.

M. Coomans. - Qui ne viendra jamais.

M. Delaetµ. - M. Coomans annonce le dépôt pour demain d'un amendement fort sérieux, fort important, d'un amendement destiné à rétablir l'équité là où elle n'existe pas aujourd'hui.

Est-ce donc une si petite chose qu'une question d'équité ? Est-ce donc pour la convenance de quelques personnes que des classes de milice doivent être sacrifiées sans examen ?

Que demandons-nous ? Nous demandons, non pas de remettre la séance à demain...

- Plusieurs membres. - La question est décidée.

M. le président. - Je déclare que si le tumulte continue, je suspendrai la séance pendant une heure, comme le règlement m'en donne le droit. Quand la Chambre a décidé que la séance continuerait, elle doit écouter en silence.

Je réponds maintenant à M. Delaet que je ne puis remettre aux voix ce qui a déjà été décidé par la Chambre. Je ne puis pas remettre la même question aux voix de minute en minute.

M. Delaetµ. - Je n'ai pas fini de parler ; je veux bien que la séance continue ; mais dans ce cas, continuera-elle toute la soirée ? (Interruption.)

Ce que nous voulons, ce n'est pas de faire lever la séance, c'est de discuter sérieusement. (Interruption.)

Tout à l'heure, lorsque la Chambre a voté par assis et levé, comprenant assez mal la portée de son vote au milieu du bruit de la gauche...

M. le président. - Tout le monde faisait du bruit...

M. Delaetµ. - ... Il n'y avait pas d'amendement annoncé ; en ce moment il y en a un très sérieux et destiné à satisfaire un intérêt des plus importants. La situation n'est donc plus la même. (Interruption.)

M. le président. - Continuez, M. Delaet.

M. Delaetµ. - J'attends, M. le président : je parlerai quand ces messieurs voudront bien se taire : mais j'ai la parole et je la garde.

M. le président. - Vous voyez, messieurs, ce qui résulte du bruit que vous faites.

M. Allard. - On ne peut parler que sur la clôture.

M. Delaetµ. - J'ai la parole et je la garde.

Il est évident que si vous...

MiPµ. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Delaetµ. - Il n'y a pas lieu de rappeler au règlement.

M. le président. - Il y a une demande de rappel au règlement faite par M. le ministre de l'intérieur, je dois lui donner la parole, le règlement m'y oblige.

M. Delaetµ. - Il y a, non un rappel au règlement, mais un appel aux voix de la majorité.

M. le président. - La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

MiPµ. - Je crois qu'il n'y a pas d'exemple, dans l'histoire parlementaire de la Belgique, d'un procédé semblable à celui auquel on a recours pour détruire l'autorité des décisions de la Chambre. Il y a une demi-heure que MM. Coomans et Delaet parlent pour empêcher la Chambre de voter d'après la décision qu'elle vient de prendre. (Interruption.)

M. Delaetµ. - Je demande le rappel à l'ordre de M. le ministre de l'intérieur.

MiPµ. - Il est évident que l'histoire du cavalier de M. Coomans de même que le renouvellement par M. Delaet d'une proposition rejetée n'ont pas d'autre but que d'empêcher la Chambre de voter.

Je demande que la décision de la Chambre soit exécutée.

Comment !...

M. Coomans. - Je demande la parole pour un rappel au règlement. .

MiPµ. - Comment ! La Chambre décide qu'elle votera...

M. Delaetµ. - M. le président...

MiPµ. - ... et vous viendrez, en remettant en question ce qu'elle a décidé, l'empêcher de voter et cela pour prétendre, après six semaines de discussion, qu'on vous a empêchés de parler ! Vous prétendez qu'on ne veut pas vous laisser discuter et vous n'êtes pas même en mesure de déposer cet amendement que vous nous annoncez aujourd'hui pour la première fois. (Interruption.)

Après six semaines de discussion, vous n'aurez pas eu le temps de. formuler votre proposition !

M. Coomans. - Il n'y a que quelques jours que la Chambre discute cette question spéciale.

MiPµ. - Je dis que si vous aviez à cœur de soutenir vos opinions, vous deviez, au moment convenable, faire votre proposition ; et s'il y a quelqu'un de coupable, dans l'absence de vote sur votre amendement, ce n'est que vous-même. (Interruption.)

Mais, messieurs, il est manifeste qu'on poursuit un autre but ; on (page 850) veut pouvoir prétendre que la majorité a étouffé la discussion. (Interruption.) Eh bien, le pays jugera.

-Voix à droite. - Oui ! oui !

MiPµ. - Oui, le pays jugera si, après une discussion aussi longue, dans laquelle tous les orateurs qui l'ont voulu ont pu se faire entendre en pleine liberté, il est sérieux de dire que la discussion a été étouffée. Le pays jugera aussi si un parlement peut, sans manquer à sa dignité, permettre à deux ou trois membres d'empêcher l'exécution des résolutions qu'il a prises.

M. le président. - La parole est à M. Coomans, pour un rappel au règlement.

M. Coomans. - Oui, M. le président, et je promets de rester dans le règlement, ce que n'a pas fait M. le ministre de l'intérieur.

Le règlement interdit toute insinuation malveillante ; le règlement défend d'attribuer de mauvaises intentions à dos collègues. Or, je rappelle que M. le ministre de l'intérieur m'a attribué une intention que je considère comme très mauvaise ; une intention tellement mauvaise que je me croirais quasi déshonoré à mes propres yeux si je méritais le reproche qui m'a été adressé. (Interruption.)

Ces finesses, je les laisse aux fins avocats comme l'honorable M. Pirmez ; moi je n'en use pas. Mais vous avez été trop fin en ceci, M. le ministre... (interruption) vous auriez bien dû justifier la reculade ou la rétractation que vous avez faite tout a l'heure ; cela aurait mieux valu.

MiPµ. - Que voulez-vous dire ?

M. Coomans. - Vous avez voté contre une proposition que vous avez appuyée ailleurs, dans le comité des 28.

MiPµ. - Pas du tout ; je vous défie de justifier votre allégation.

- Voix à droite. - N'interrompez donc pas.

M. Coomans. - Vous vous expliquerez avec M. de Naeyer, si vous voulez.

MiPµ. - Vous ne savez pas ce que vous dites. (Interruption.)

Voix a droite : C'est trop fort ! (Interruption.)

M. Coomans. - C'est une simple impertinence que je dédaigne. Je déclare donc, monsieur le président, que je me considère comme offensé, lorsque, contrairement aux prescriptions formelles du règlement, je suis accusé de m’être en quelque sorte moqué de la Chambre et d'avoir affirmé le contraire de ma pensée. (Interruption.)

Et je m'étonne vraiment que l'honorable M. Pirmez jouisse du privilège de n'être pas rappelé, je ne dirai pas à l'ordre, mais tout au moins aux convenances.

Comment ! hier encore M. le président me menaçait de me rappeler à l'ordre parce que j'exprimais une pensée qu'il a trouvée très convenable dans la bouche de MM. Rogier et de Theux. Si je m'étais permis, M. le ministre, de vous dire que vous défendez des causes que vous croyez mauvaises, vous vous croiriez insulté et M. le président ne manquerait pas de se faire voue avocat. Je demande donc...

M. le président. - Permettez, M. Coomans ; le président n'est ici l'avocat de personne ; il est le juge impartial de tous, et c'est en jugeant avec impartialité que je vous ai rappelé, non pas à l'ordre, mais aux convenances. Au surplus, je soumets ma conduite à l'appréciation de mes collègues et du pays.

M. Delaetµ. - Je suis personnellement intéressé dans ce débat...

M. le président. - La clôture a été demandée.

M. Delaetµ. - Mon discours n'est pas fini ; j'ai été interrompu par un appel au règlement. J'étais parfaitement dans le règlement ; je reviens à ce que je disais tout à l'heure...

- Des membres. - On a demandé la clôture.

MPDµ. - Faites donc silence ; par le bruit continuel que vous faites, vous méconnaissez l'autorité du président ; comment voulez-vous que je dirige les débats dans de semblables conditions ?

M. Delaetµ. - M. le président, je dois vous faire remarquer que si, dans cette Chambre, un des côtés ne respecte pas votre autorité, comme elle devrait l'être, du moins la plupart des membres qui garnissent nos bancs la respectent parfaitement ; je suis le premier à donner des marques de ce respect... (Bruit.)

M. le président. - J'invite tous mes collègues au silence.

M. Delaetµ. - Le règlement interdit formellement l'imputation de mauvaise intention...

M. le président. - Est-ce encore sur ce point ? C’est une question qui a été décidée par le président ; elle est vidée.

M. Delaetµ. - Elle n'est pas vidée du tout ; laissez-moi parler, je vous en prie ; je n'abuserai pas de la parole.

M. le président. - C'est au président seul qu'appartient le droit de rappeler un orateur à l'ordre ; j'ai dit qu'il n'y avait pas lieu de rappeler à l'ordre M. Je ministre de l'intérieur.

M. Delaetµ. - Vous n'avez pas entendu ce que j'ai à vous dire ; le voici... (Interruption.)

M. le président. - Continuez, M. Delaet.

M. Delaetµ. - J'en ai certainement pour quelque temps encore ; je veux d'abord vider cet incident : je désire que M. le ministre de l'intérieur soit rappelé, sinon à l'ordre, du moins à l'observation du règlement.

Quand j'ai demandé la remise de la discussion d'un amendement que nous déposerions demain, M. le ministre de la justice nous a dit : «Vous n'avez pas d'amendement ; vous auriez dû préparer votre amendement depuis longtemps et le déposer. »

Je ne puis pas admettre ce langage. Lorsque la discussion du projet de loi sur la division du contingent a été commencée, beaucoup de membres étaient sortis ; je l'étais également, j'étais sur le point de partir quand on est venu m'avenir que la séance continuait. Nous n'avons pas pu rédiger un amendement en si peu de temps.

Voilà pourquoi nous ne pouvons pas vous le soumettre aujourd'hui ; nous avons trop de respect pour la Chambre pour en improviser un. Nous vous demandons un délai ; vous ne voulez pas l'accorder, c'est votre droit. Nous usons du nôtre en faisant connaître à la Chambre et au pays quelles sont nos intentions.

Que M. Coomans ait répété deux fois un discours que l'honorable ministre des finances n'aime pas à entendre et encore moins à répondre, n'est-ce pas naturel, puisqu'on ne lui répond pas ? Ce devient l'habitude des ministres de se taire, lorsqu'ils ne savent que répondre. J'en ai fait l'expérience moi-même.

Que M. Coomans, dis-je, ait fait perdre un quart d'heure à la Chambre en répétant des vérités qu'il ne saurait répéter trop souvent et qui ne sauraient pénétrer trop avant dans les esprits, le gouvernement a-t-il bonne grâce de le lui reprocher ?

Tout à l'heure l'honorable ministre des finances nous a fait l'aveu que pour l'augmentation du contingent il a laissé la Chambre pendant cinq ou six jours dans l'ignorance des intentions du gouvernement, afin de ne pas faire de concessions prématurées.

Il résulte, pour moi, de ce fait que nous avons discuté pendant cinq ou six jours dans la pleine ignorance dos projets du gouvernement.

Quand le gouvernement avoue avoir fait perdre une semaine à la Chambre, est-il bien venu de venir nous reprocher de défendre un peu plus longuement qu'il ne voudrait, et malgré l'opposition qu'on nous fait ici, des idées que nous croyons justes et équitables ? Je le demande itérativement. Et je constate ici que si nos efforts ont été stériles, ils ont été persévérants.

Je propose donc, messieurs, de remettre la séance à demain dans l'intérêt, non pas des membres de la droite qui ont quitté la séance de bonne foi, mais dans l'intérêt même du pays, dans l'intérêt des classes que vous allez frapper plus lourdement que jamais puisque vous allez les astreindre à sacrifier deux mille hommes de plus tous les ans.

- La clôture est demandée.

M. Thibautµ. - Avant que la Chambre passe au vote, je désirerais obtenir un renseignement d'un des membres du cabinet. Une réponse de deux mots suffira.

M. le président. - Parlez, M. Thibaut.

M. Thibautµ. - L'honorable ministre des finances disait tout à l'heure que toutes les questions sur lesquelles on désirait appeler l'attention de la Chambre seraient examinées lors de la discussion du projet de loi sur la milice. Ce projet de loi, la Chambre eu a été saisie en 1862 et une seconde fois en 1864 ; il a été examiné en section et par la section centrale ; une partie du rapport est faite. Je désire savoir s'il entre dans les intentions du cabinet de faire discuter ce projet de loi pendant la session actuelle.

MfFOµ. - Il sera évidemment impossible de discuter ce projet de loi pendant la session actuelle. Nous sommes à deux mois de la clôture de la session ; nous devons terminer le débat auquel nous nous livrons, et discuter trois budgets importants qui restent encore à voter. Nous aurons bientôt les vacances de Pâques. Je ne crois donc pas qu'il restera un temps suffisant pour aborder la discussion de la loi de milice dans la session actuelle.

M. Thibautµ. - Je m'attendais à la réponse que vient de me faire (page 851) M. le ministre des finances. Je la regrette cependant profondément, je désire que la loi de milice soit examinée le plus tôt possible, mais cette réponse de M. le ministre des finances vient à l'appui de la demande que quelques honorables collègues avaient faite de remettre la suite de la discussion à demain.

Il est évident que puisque la loi de milice ne peut être discutée dans cette session, elle ne sera pas appliquée au contingent de 1869 ; par conséquent les inégalités dont se plaint l'honorable M. Coomans, qui sont très vraies, que tout le monde doit reconnaître, ne pourront disparaître l'année prochaine ; tandis que par la disposition que l'un ou l'autre membre pourrait introduire dans la loi sur laquelle vous voulez voter aujourd'hui, on pourrait écarter ces graves inconvénients une année plus tôt.

C'est, me semble-t-il, une considération suffisante pour vous engager à continuer la discussion à demain.

MiPµ. - Rien n'empêchera la Chambre de discuter la loi de milice au mois de novembre prochain. C'est l'époque où la Chambre n'a d'ordinaire que peu de travaux élaborés. Pendant les vacances, le rapport pourra être imprimé et le gouvernement sera prêt pour la discussion.

On pourra donc faire cette loi avant la fin de l'année ou le tirage au sort de 1869.

- Des membres : La clôture !

M. Coomans. - Je demande la parole.

M. le président. - La clôture est demandée. Je dois la mettre aux voix.

M. Coomans. - Je ne puis pas répondre deux mots ?

M. le président. - La clôture étant demandée, le président doit la mettre aux voix. (Interruption.)

M. Delaetµ. - Eh bien, nous demandons l'appel nominal.

MfFOµ. - Renoncez à ce système. La Chambre est décidée à voter.

M. le président. - Que ceux qui se prononcent peur la clôture veuillent se lever.

M. Delaetµ. - L'appel nominal a été demandé.

M. le président. - Je viens de consulter mes collègues du bureau ; eux et moi sommes unanimement d'avis qu'à l'exception de M. Delaet personne ne s'était levé pour l'appel nominal.

- La clôture est prononcée.

L'article 2 est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. L'ordre dans lequel les inscrits pour la levée sont appelés à faire partie du contingent annuel est réglé par le tirage au sort ; les numéros les moins élevés font partie du contingent actif, les numéros qui suivent font partie du contingent de réserve. »

M. Coomans. - Messieurs, c'est à cet article encore que j'avais un amendement à proposer.

M. Bouvierµ. - Il est trop tard.

M. Coomans. — Silence, monsieur ! D'après M. Bouvier et quelques autres, les propositions de leur gouvernement sont inamendables. (Interruption.)

Je dis qu'à cet article 3 se rattachait un deuxième amendement lequel se trouve déposé chez moi sous 3 ou 4 formes différentes. Je voulais égaliser autant que possible les mauvaises chances du sort et je crois y être parvenu.

Or, M. le ministre des finances vient de reconnaître ce qui, du reste, est incontestable, que la loi de milice ne sera pas examinée dans le cours de cette session. Nous en convenons tous, cela est vrai, mais il n'est pas moins vrai que ce ne sera pas avant le mois de janvier qu'on pourra discuter cette loi. (Interruption.) Quoi, vous n'aurez que six semaines. Vous aurez les budgets et d'autres projets de lois imprévus à discuter. Il faudra bien laisser au Sénat ne fût-ce que 3 ou 4 jours pour examiner une loi aussi grave que la réforme des lois de milice et je pourrais vous prouver que vous-même croyez à une discussion de six semaines.

Donc pas de réforme des lois de milice pour 1869 ; donc, malgré ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, maintien des iniquités révoltantes que j'ai signalées ; donc rien de déraisonnable dans ce qui a été allégué par moi pour corriger dès aujourd’hui, dans la mesure du possible, les inégalités que vous ajoutez à la grande inégalité de la loterie militaire.

Il est convenable que nous fassions cesser au moins dès 1869lies injustices qui nous sont signalées de toutes parts. (Interruption.) Maintenant vous ne le voulez pas, vous voulez que votre loi soit votée ne varietur. (Interruption.) Eh ! ce n'est pas moi qui varie, M. le ministre de l'intérieur, c'est vous qui riez, puisque vous ne voulez pas d'examen, pas même d'examen sommaire !

Eh bien, faites ! Et moi j'en appelle à la majorité du pays, à la vraie majorité et a la grande majorité du peuple.

- Des membres. - Très bien !

M. Coomans. - Votez, messieurs ; moi je proteste.

- L'article 3 est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

105 membres y prennent part.

66 répondent oui.

35 répondent non.

4 s'abstiennent.

Ont voté l'adoption :

MM. Schollaert, Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Carlier, Crombez, de Baillet-Latour, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor, de Ronge, de Rossius, Descamps, de Terbecq, de Vrière, Dewandre, Dupont, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Lambert, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier et Dolez.

Ont répondu non :

MM. Snoy, Thibaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe,-Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans, David, de Coninck, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Muelenaere, de Theux, de Woelmont, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Gerrits, Guillery, Jacobs, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Magherman, Notelteirs, Nothomb, Reynaert et Royer de Behr.

Se sont abstenus :

MM. Tack, Thienpont, Julliot et Kervyn de Lettenhove.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Tack. - N'ayant pas voté l'augmentation du chiffre annuel du contingent, je n'ai pas pu me prononcer sur la loi qui divise ce contingent eu deux catégories, d'autant plus que le gouvernement n'a pas pu suffisamment nous fixer sur l'application qui sera faite de cette dernière loi.

M. Thienpont,. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Tack.

M. Julliot. - N'ayant pas voté l'augmentation du contingent, je n'avais pas à me préoccuper de son application, j'ai abandonné ce vote à ceux qui peuvent revendiquer la paternité de ces 2,000 nouvelles recrues. Ce n'était pas mon affaire.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que les honorables membres.

M. le président. - Messieurs, je vous propose de mettre le budget de la guerre à l'ordre du jour, immédiatement après les projets de lois militaires.

- Adopté.

La séance est levée à 6 heures et un quart.