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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 mars 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 773) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Dethuinµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Ruysbroeck demandent que les deux Chambres soient dissoutes avant tout vote sur les projets de lots militaires. »

« Même demande d'habitants de Binche. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi.


« Le sieur Henri-Hubert Törschen, facteur de la poste, à. Bruxelles, né à Maasniel (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des habitants du Chenois, sous Waterloo, demandent la construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Luttre. »

M. Snoy. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'appuie la demande de l'honorable M. Snoy.

M. Bouvierµ. - La commission des pétitions a déjà, par mon organe, fait rapport sur des pétitions de, même nature et elle a conclu au renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.

M. le président. - Je propose à la Chambre de prononcer le renvoi direct de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. Snoy. - Je me rallie à cette proposition.

- La proposition est adoptée.


« Le sieur Jean-Théodore-Hubert Jacques, ancien membre, du Congrès national et de la Chambre des Représentants, demande la place, de conseiller vacante à la cour des comptes. »

« Même demande du sieur François Casier,, chef de division à la cour des comptes. »

- Dépôt au bureau des renseignements.

Proposition de loi relative au droit fixe d’enregistrement

Lecture

M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition suivante déposée par MM.. Lelièvre et Guillery :

« Art. 1er. Sont sujets au droit fixe d'enregistrement de t fr. 70 c. :

« 1° Les significations d'appel des jugements des tribunaux civils, de commerce, d'arbitrage et des juges de paix.

« 2° Le premier acte de recours en cassation par requête, mémoire ou déclaration en matière civile, de police ou correctionnelle.

« Art. 2. La présente loi sera exécutoire le lendemain de sa publication. »

M. Lelièvre a demandé à pouvoir développer cette proposition dans la séance de mardi prochain.

- Adopté.

Projet de loi accordant des crédits au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. Eliasµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant allocation de crédits supplémentaires au budget de la justice pour les exercices 1867 et 1868.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et le projet qu'il concerne mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur les extraditions

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il aux amendements proposés par la section centrale ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne me rallie qu'à certains amendements ; je demande donc que la discussion s'établisse sur le projet du gouvernement.

- La discussion générale est ouverte.

M. Jacobsµ. - Le projet de loi qui nous occupe est, pour le ministère De Decker et spécialement pour l'honorable M. Nothomb, ministre de la justice dans ce cabinet, une complète réparation, en même temps qu'il est la condamnation complète aussi de l'opposition libérale d'alors par le ministère libéral d'aujourd'hui.

M. Bouvierµ. - Des récriminations.

M. Jacobsµ. - La loi sur les extraditions du 1er octobre 1833 était considérée par son auteur, M. Lebeau, comme l'extrême limite qu'on ne pouvait dépasser. Lors de la discussion de la loi du 22 mars 1856, M. Orts, rapporteur de la commission spéciale à laquelle ce projet avait été renvoyé, M. Orts, rappelant les paroles de M. Lelièvre, rapporteur de la section centrale, vous disait : « L'extradition n'a jamais reçu chez nous un accueil favorable », et il ajoutait : « C'est historiquement exact ; notre passé oblige. »

Aujourd'hui, messieurs, ces limites qu'autrefois on déclarait infranchissables, on les franchit d'un bond ; et de sept le nombre des cas d'extradition est porté à trente ; l'extradition qui jusqu'alors n'avait pas reçu un accueil favorable, on l'accueille aujourd'hui à bras ouverts.

Cette loi du 22 mars 1856, qui donne lieu à de si vifs débats, qui, d'après M. Frère-Orban, ne devait laisser de sécurité à personne, qui était le produit d'un esprit obséquieux, d'une obéissance servile qui cherche à pénétrer, à deviner, pour les satisfaire, des vœux que peut-être on hésiterait à exprimer, cette loi qui compromettait le pays aux yeux de l'étranger, qui faisait de nous une Belgique vassale, l'honorable M. Bara nous la présente aujourd'hui ; il l'intercale dans le projet de loi, et sans réserve aucune, sans une parole de blâme, il nous demande de lui donner une sanction nouvelle.

Le projet de loi est soumis à l'examen des sections, il n'y soulève aucune observation, l'opposition libérale de 1856 se tait. Le projet arrive en section centrale, même silence, pas une critique. Mais, dans l'entre-temps, la presse parle et la presse constate que la proposition d'aujourd'hui, le silence des. sections, est la condamnation de l'attitude tenue par l'opinion libérale en 1856, qu'elle est la réhabilitation complète de l'honorable M. Nothomb et du cabinet De Decker, dont on prend l'œuvre pour l'intercaler dans la loi nouvelle.

Et alors, M. le ministre, de. la justice s'apercevant sans doute qu'il s'est trompé, qu'il a fai, un faux pas, écrit une lettre à la section centrale, lettre dans laquelle il la convie à considérer comme retiré le second paragraphe de l'article 7, qui constitue toute cette loi du 22 mars 1856 ; et il en donne diverses raisons. Nous allons voir si ces raisons expliquent le revirement qui s'est produit chez M. le ministre de la justice.

Au commencement de sa lettre il dit : « En suite des observations présentées par la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur l'extradition, observations que m'a fait connaître son rapporteur, M. Wouters, je crois qu'il convient de supprimer le paragraphe 2 de l'article 7 du projet. »

Il semblerait donc que les observations de la section centrale ont porté sur ce point. Eh bien, il n'en est rien ; la section centrale ne s'en est pas occupée et c'est en suite d'observations portant sur tout autre chose que M. le ministre de la justice est venu supprimer.....

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous n'étiez pas de la section centrale.

M. Jacobsµ. - Non, je n'en étais pas, mais j'ai pris mes informations, je les ai prises auprès de l'honorable rapporteur M. Wouters, qui ne me contredira pas, et auprès d'autres membres de la section centrale qui m'ont dit, comme le rapport le constate, qu'il n'a été échangé aucune observation à cet égard en section centrale avant la lettre de M. le ministre de la justice.

La lettre de M. le ministre continue :

« Si j'ai proposé d'insérer dans le projet la loi de 1856, je le faisais (page 774) pour codifier toute la législation sur l'extradition, mais cette loi étant passée dans les traités, je ne croyais pas opportun de la modifier, ni même d'en discuter le texte. Je pense donc que pour éviter un débat possible, en présence de l'opposition que la loi de 1856 a rencontrée, débat dans lequel je serais obligé de me prononcer contre cette loi, mieux vaut suivre le système que la Chambre a admis récemment, à la demande de M. de Theux, en écartant du projet de loi sur l'organisation judiciaire, les articles relatifs à la mise à la retraite des magistrats, et laisser de côté la loi de 1856. »

Il semble donc que c'était pour éviter un débat possible qu'on retire l'article. Mais quand il a été présenté, M. le ministre savait bien qu'un débat était possible ; il savait bien que toute disposition présentée à la Chambre peut être discutée par chacun de nous. Ce n'est donc pas là ce qui pouvait lui avoir échappé d'abord, et je ne comprends pas encore pourquoi il a proposé, à la signature du Roi d'abord, à la Chambre ensuite, une disposition contre laquelle il annonce qu'il se prononcera.

Ce qu'il y a de plus clair dans cette lettre, assez ambiguë, c'est que M. le ministre de la justice, c'est que le gouvernement, s'est senti dans une fausse position et qu'il a désiré d'en sortir, le moyen n'est pas heureux ; mais enfin, tel quel, on s'en sert.

Je ne crois pas, messieurs, que ce soit par des équivoques, ni même par des omissions qu'il faille esquiver la difficulté devant laquelle on se trouve. Quand le vin est tiré, il faut le boire. Quand une question est posée, elle doit être résolue. Si la loi de 1856 est la chose monstrueuse dont on s'effrayait à cette époque sur les bancs de l'opposition, il faut l'abolir ; si, au contraire, la loi doit être appliquée, s'il faut même l'étendre, reconnaissons aujourd'hui que cette loi est bonne, utile, nécessaire.

Je signale encore une phrase de la lettre de M. le ministre de la justice où il est dit que cette loi est passée dans les traités ; il semble insinuer qu'il n'est pas libre, qu'il est forcé de maintenir la loi bon gré malgré ; c'est une situation qu'il subit par nécessité plutôt que par amour.

S'il existe, messieurs, des traités d'extradition, il suffit de les dénoncer. Dans ces traités on stipule la faculté de dénonciation. Le traité fait avec la France n'a pas même stipulé de délai ; les traités postérieurs se contentent d'un intervalle de six mois. Donc nous sommes parfaitement libres. Il suffit de dire à la France qu'immédiatement, et aux autres puissances avec lesquelles nous avons traité, que dans six mois, nous cesserons d'exécuter le traité.

Nous sommes tellement libres à cet égard, que M. le ministre de la justice déclare que, s'il s'ouvre un débat, il se verra forcé de se prononcer contre cette loi. Vous êtes donc parfaitement libres.

Vous êtes encore libres pour une troisième raison : c'est qu'après le vote de la loi nouvelle il faudra conclure de nouveaux traités d'extradition, comme on a dû le faire après la loi de 1856.

Votre liberté d'appréciation est entière et complète ; et si vous maintenez la loi de 1856, c'est que vous ne la trouvez pas mauvaise.

On n'a du reste, pas attendu jusqu'aujourd'hui pour accorder une réparation complète aux auteurs de la loi de 1856.

S'il est vrai que le cabinet De Decker avait en partie exécuté la loi et conclu des traités avec la France, avec l'Autriche, avec plusieurs autres pays, son existence n'avait pas été assez longue pour lui permettre d'en conclure avec tous les peuples. Le cabinet actuel a continué son œuvre en insérant dans divers traités le texte de la loi de 1856.

Ainsi l'honorable M. Rogier a conclu avec la Hollande, le 3 octobre 1862, un traité ratifié le 14 novembre suivant, dans lequel est insérée la loi du 22 mars 1856, comme l'avait insérée dans les traités antérieurs M. Vilain XIIII.

Le cabinet actuel ne s'est donc pas borné à subir cette loi ; il l'a étendue, en traitant avec diverses nations avec lesquelles le cabinet précédent n'avait pas conclu.

L'exposé des motifs nous apprend que le gouvernement a eu pour but de codifier toutes les dispositions législatives ayant pour but les extraditions.

On y renonce, mais comment ? On ne laisse à l'écart qu'un seul point, la loi de 1856 ; toutes les autres dispositions sont codifiées. On n'est pas heureux en faisant choix de la loi de 1856 pour la laisser en dehors. La loi de 1856 est une ajoute à l'un des articles de la loi de 1833. On abroge la loi de 1833 ; dès lors l'accessoire suit le principal, et malgré soit on abolit la loi de 1833. Cette loi est ainsi conçue :

« Le paragraphe suivant est ajouté à l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833. »

Dès que la loi de 1833 est abrogée, l'ajoute à son article 6 vient à tomber par voie de conséquence.

Je finis en posant ce dilemme, dont on sortira difficilement.

Si la loi est bonne, si on veut la maintenir, l'appliquer, l'étendre de pays à pays, il ne faut pas reculer devant son insertion dans la loi actuelle.

Si, au contraire, la loi est détestable, il faut l'abolir, parce qu'on est libre de l'abolir. Mais la maudire et la flétrir, mais l'appliquer constamment et la flétrir, c'est là un rôle qui ne me paraît pas digne du gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le petit incident que veut monter l'honorable M. Jacobs comme discussion générale de la loi sur les extraditions, tournera, j'en suis convaincu, à sa complète confusion et à la confusion des honorables membres auxquels il a voulu donner une réparation. Quels sont les faits ?

Le gouvernement se trouvait dans la nécessité de proposer aux Chambres un projet de loi sur les extraditions pour deux motifs : d'abord, parce que les cas pour lesquels l'extradition était permise, étaient trop peu nombreux. C'était reconnu par tout le monde dès 1833.

L'auteur du projet de loi de 1833 reconnaissait lui-même que les cas d'extradition n'étaient pas assez nombreux, et depuis lors, on a réclamé à différentes reprises l'extension des cas d'extradition.

Un second motif, c'était la nécessité de simplifier les formes de procédure de l'extradition, parce que depuis l'époque où la loi a été faite, les chemins de fer ont rendu plus facile la possibilité pour les coupables de se dérober à l'action de la justice.

Voilà les deux seuls motifs qui ont porté le gouvernement à présenter un projet de loi. Nous n'avons eu qu'un but : étendre les cas d'extradition et simplifier les formes ; mais quant aux principes de la loi nous n'entendons pas y toucher. Et cela se comprend.

Nous nous trouvons sur un terrain extrêmement difficile, où il faut accepter les principes que l'expérience et les relations internationales ont établis. Voilà pourquoi, quand nous proposions un projet pour étendre les cas d'extradition, nous n'entendions pas toucher aux principes généraux qui étaient déposés dans la loi de 1855.

Or, en rédigeant le projet on s'était borné à modifier les articles auxquels des changements devaient être apportés ; on avait sept ou huit articles commençant ainsi : Par dérogation à l'article tant et tant, telle chose aura lieu. On avait, en un mot, une réduction impossible. Dans l'avant-projet rédigé par mon département, on ne parlait pas de codifier la loi, on dérogeait simplement aux articles que nécessitaient l'extension des cas d'extradition et les nouvelles formalités exigées par les nécessités publiques. Ce mode de procéder donnait lieu à un projet d'une rédaction inadmissible.

J'ai donc dû donner pour instructions à mon département de codifier les lois, mais sans toucher aux principes. La loi de 1856 concerne l'extradition. Fallait-il l'écarter ? Non ; il fallait la maintenir ; car elle faisait partie de l'ensemble, comme toutes les autres dispositions.

Etait-il opportun de la discuter à nouveau, de la modifier ? Non, messieurs, et je suis convaincu que la Chambre sera de mon avis.

Je prétends que la question de la définition du délit politique, admise par les puissances étrangères dans des conditions que je n'indique pas et passée dans les traités, il n'est pas opportun de la ramener devant les Chambres et d'en faire l'objet d'un long et passionné débat.

Mais qu'est-il arrivé ? Quand le projet a paru, des journaux, comme le dit l'honorable membre, tronquant la pensée du gouvernement, falsifiant le but que le projet de loi poursuivait, sont venus dire : C'est une approbation de la loi de 1856 ; c'est l'apologie de l'acte posé par M. Nothomb, c'est une réparation tardive donnée à cette loi. L'honorable M. Jacobs, qui parlait tout à l'heure de la presse, a oublié d'ajouter que dans les articles auxquels il faisait allusion on s'évertuait précisément à dénaturer les intentions du gouvernement. Celui-ci ne voulait pas admettre que l'on discutât de nouveau le principe de la loi de 1856. Il y avait à cela de nombreux dangers. D'abord, je ne sais pas si, moralement, nous étions encore libres, car remarquez-le bien, que reprochait-on à la loi de 1856 ? On reprochait au gouvernement d'avoir accepté un texte ne varietur, de s'être lié dans des négociations avec le gouvernement français, d'avoir proposé un texte arrêté d'avance et dont il ne pouvait pas se départir devant la Chambre. Voilà ce qu'on disait. Mais quant au but à atteindre, tout le monde était d'accord ; personne ne voulait accorder l'impunité à l'assassinat politique.

On représenta donc le projet de loi comme une réparation donnée à (page 775) l'honorable M. Nothomb, comme une approbation donnée à la loi de 1856. Je ne pouvais admettre cette interprétation. De ce que j'adopte l'ensemble d'un code, il n'en résulte pas que j'approuve chacune de ses dispositions. Adversaire de la peine de mort, je n'en ai pas moins voté le code pénal où cette peine est inscrite, et cela ne m'empêchera pas de déposer un projet de code pénal militaire qui portera également la peine de mort. Beaucoup de membres de la Chambre votent tous les jours comme codification des dispositions qu'ils ont combattues et repoussées par leur vote.

C'est donc bien à tort que l'honorable M. Jacobs prétend que nous avons voulu approuver la loi de 1856 en la codifiant dans le projet actuel. Nous ne l'approuvions pas plus que nous n'approuvons la peine de mort qui se trouve dans le code pénal. Nous ne l'approuvions pas plus que l'honorable M. de Theux n'aurait approuvé la loi sur la mise à la retraite des magistrats, s'il avait adopté la loi sur l'organisation judiciaire dans son ensemble. Nous ne l'approuvions pas plus que les adversaires de la loi sur les coalitions n'ont approuvé cette loi, en votant le code pénal, comprenant les articles de cette loi. Nous ne l'approuvions pas plus que les adversaires de la liberté du prêt à intérêt n'ont admis cette liberté en adoptant le même code pénal, ne comprenant plus les articles qui punissaient le prélèvement d'un intérêt exagéré. Quand on indique formellement que certaines dispositions ne figurent dans un projet de loi que comme mesure de codification, c'est falsifier la pensée de l'auteur de ce projet, que de dire qu'il approuve ces dispositions.

J'ajoute, en terminant, que l'honorable rapporteur de la section centrale m'a présenté des observations, en ce qui concerne la loi de 1856, et que le gouvernement avait des motifs sérieux pour ne pas soutenir actuellement de débats sur cette loi.

M. Jacobsµ. Messieurs, l'honorable ministre de la justice, peu confiant sans doute dans l'appréciation de son auditoire, a commencé par se donner d'avance un certificat de victoire et par déclarer qu'il allait confondre ses adversaires. Je ne lui disputerai pas sa propre approbation.

L'objet de la discussion de 1856 et des reproches adressées au cabinet d'alors n'est pas tant, d'après lui, le fond de la loi, ce sont moins ses dispositions que la manière dont elle était présentée et qui était de nature à faire croire qu'elle était imposée par les gouvernements étrangers comme un texte ne varietur.

L'honorable ministre de la justice se trompe.

Personne, à cette époque, n'a osé articuler une telle accusation, parce qu'un homme dont la parole n'est contestée par personne, parce que l'honorable vicomte Vilain XIIII était venu déclarer qu'il n'en était rien. Et l'honorable M. Lebeau, à qui vous empruntez cette parole, comment s'exprimait-il ? Je cite ses propres termes.

« Il faut, disait-il, toute la confiance que j'ai en M. le ministre des affaires étrangères... pour ne pas céder à la tentation de croire qu'il a reçu du dehors un texte ne varietur. »

La parole de M. Vilain XIIII suffisait à l'honorable M. Lebeau pour écarter ce soupçon. Elle ne vous suffit pas ; vous serez seul de votre avis.

Je me demande toujours en vain pourquoi M. le ministre a présenté le projet actuel ?

Il ne nous l'a pas encore dit, ou plutôt il laisse entendre qu'il l'a présenté à condition qu'on ne le discutât pas, à condition qu'on ne l'examinât pas, à condition qu'on l'adoptât en bloc, à condition que le vote par la Chambre de l'article ne fût pas considéré comme une approbation.

La cause de son revirement, ce qui l'a porté à biffer du projet le texte de la loi du 22 mars 1856 qu'il y avait d'abord inséré, ce sont les articles de journaux, c'est la presse qui a eu le tort de représenter son projet comme une sorte de réparation donnée au cabinet De Decker et particulièrement à l'honorable M. Nothomb. Mais la lettre de M. le ministre de la justice a la section centrale, où l’on compte 3 ou 4 raisons, ne mentionne pas celle-là.

Et puis, c'est se montrer bien chatouilleux pour un ministre que de modifier un projet de loi par suite de l'attitude de la presse, de ne pas même attendre que le projet arrive devant la Chambre, et d'inviter très irrégulièrement la section centrale à délibérer sur un nouveau projet. M. le ministre n'avait pas même le droit d'agir ainsi, le projet étant déposé ; il devait attendre qu'il reparût devant la Chambre pour présenter, au cours de la discussion, les amendements et les modifications qu'il jugeait utiles.

Jusqu'ici donc nous ignorons le motif réel, sérieux pour lequel on a d'abord inséré puis extrait du projet de loi le texte de la loi du 22 mars 1856.

Mais, ce qui se dégage de l'argumentation un peu confuse de l'honorable ministre, c'est qu'il désire que la Chambre ne se prononce pas sur ce point.

Vous n'y réussirez point, car nous aurons à délibérer spécialement sur l'article du projet qui porte que la loi du 22 mars est abrogée.

Et si vous renoncez à cette partie de l'article 13, je la reprendrai pour forcer la Chambre à se prononcer. Cela est de l'intérêt de tous. Il ne faut pas que vis-à-vis de ces gouvernements étrangers avec lesquels nous avons traité et traitons encore tous les jours, cette loi soit frappée de discrédit. Il faut ou qu'elle obtienne l'assentiment des mandataires du peuple belge pour qu'elle continue à inspirer confiance, ou que ces mandataires l'abolissent s'ils la croient mauvaise.

Il ne faut pas qu'on lasse entrevoir aux nations étrangères que nous la maintenons malgré nous et que nous ne la conservons pas librement.

Il est de la dignité de la Chambre qu'elle se prononce sur une loi qu'on applique tous les jours.

Ce ne sont ni les articles des journaux ni la tournure donnée à la discussion qui peuvent empêcher la Chambre de se prononcer sur une question dont la solution franche et nette est d'une importance capitale.

M. Nothomb. - Messieurs, je n'ai pas entendu le commencement de la discussion. Je suis entré dans la salle au moment où M. le ministre de la justice me mettait en cause. Il m'a autorisé ainsi à demander la parole pour un fait personnel.

J'ai entendu M. le ministre dire qu'en 1856 on m'avait reproché d'avoir apporté ici un texte qui n'était pas l'expression de notre liberté, de notre conscience, mais un texte que nous imposait une puissance étrangère, un texte que nous devions présenter, discuter et faire adopter ne varietur.

Je retrouve donc après douze ans presque la même accusation ; non pas aussi passionnée dans la forme, mais plus réfléchie peut-être dans le fond et j'ai d'autant plus lieu de m'en plaindre. Je le ferai dans les termes les plus mesurés que je pourrai et je me bornerai d'abord à mettre M. le ministre de la justice en demeure de justifier une pareille assertion. J'affirme que le texte de loi a été l'œuvre libre du gouvernement belge, qu'il a été conçu et rédigé par moi avec le concours des jurisconsultes les plus distingués du pays, chose que j'ai dite, que j'ai prouvée en 1856. La correspondance qui est au département de la justice en fait foi ; M. le ministre aurait bien pu se donner la peine de relire la correspondance que j'ai eue avec les quatre procureurs généraux : avec celui de Bruxelles, de Liège, de Gand et si je ne me trompe avec l'honorable procureur général de la cour de cassation. J'ai eu une correspondance très suivie, des entrevues réitérées avec les criminalistes les plus renommés du pays et c'est à la suite de ces consciencieux et laborieux efforts que la rédaction du projet a été arrêtée.

Maintenant on m'oblige pour ma légitime défense, et je suis heureux de saisir l'occasion que l'on m'offre, on m'oblige à revenir sur le passé, à faire un retour rétrospectif auquel je n'avais pas l'intention de me livrer.

Reportons-nous donc à l'époque de 1855 : les circonstances étaient graves et difficiles, je n'ai pas besoin d'insister sur ce point, chacun le sait. Il y avait à donner une satisfaction morale à un pays voisin, à un gouvernement puissant qui se plaignait amèrement et qui élevait contre nous des réclamations accentuées. Les circonstances étaient graves, pressantes, je le répète, il fallait du dévouement pour s'y consacrer et il fallait aussi s'attendre à voir nos intentions méconnues, dénaturées et à rencontrer les injustices.

Dans le moment, je les comprenais jusqu'à un certain point, mais quand je les retrouve préméditées, reproduites de sang-froid après tant d'années, je déclare que c'est une profonde iniquité politique que vous commettez. Oui, les circonstances étaient critiques et périlleuses ; qu'on consulte les archives et la correspondance et on verra ce que nous avons dû faire, on verra quelles étaient les exigences qu'on élevait contre nous à cette époque, exigences qui allaient bien au delà de la question des extraditions, qui touchaient à la liberté même de la presse.

Il a fallu défendre nos droits, il a fallu dans une certaine mesure se mettre d'accord avec ce gouvernement... (interruption) et lui dire : Voilà ce que nous voulons faire, mais rien autre chose ni rien de plus.

C'est ce que nous avons fait, et, en cela, nous avons rempli notre devoir et fait acte de bon citoyen ; nous avons rétabli et maintenu ainsi entre la Belgique et cette grande puissance de bonnes relations qui se (page 776) sont continuées depuis douze ans... (Interruption.) Vous savez de quel gouvernement je veux parler. Depuis ce temps-là, ce gouvernement nous a donné les meilleures assurances qui ne se sont jamais démenties, et l’honorable ministre des finances, il y a quelques jours, y faisait lui-même allusion, en proclamant que, de la part de l'empereur des Français, il n'y avait pour la Belgique que des paroles sympathiques

J'ai reçu ces assurances personnellement plus d'une fois, chaque fois que j'ai eu l'honneur d'approcher ce souverain. (Interruption.) Il a toujours manifesté pour la Belgique, son Roi et sa dynastie les meilleurs sentiments d'amitié ; il ne me l'a pas seulement dit, mais il m'a fait l'honneur de me l'écrire.

M. Van Overloopµ - Je l'ai lu.

M. Nothomb. Eh bien, je revendique en grande partie pour mes collègues et pour moi l'honneur de cette bonne situation. Cette loi de 1856, si injustement décriée par vous, y a puissamment contribué.

Maintenant, messieurs, pourquoi M. le ministre de la justice vient-il aujourd'hui me mêler à cette discussion si aigre ?... (Interruption.)

N'ai-je pas le droit de dire que cette discussion est aigre quand j'entends répéter, en entrant dans cette salle, que j'ai présenté un texte ne varietur ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous n'avez pas entendu ce qu'a dit M. Jacobs.

M. Nothomb. - Je ne réponds pas à M. Jacobs, je vous réponds à vous.

Devrais-je, par hasard, trouver dans vos paroles des aménités ?

Quand j'ai vu que le projet qui nous occupe en ce moment reproduisait la loi de 1856 purement et simplement, j'ai eu la même pensée que tout le monde, et je me suis dit que le gouvernement actuel ratifiait cette loi. (Interruption.)

C'est évident. Vous faites une loi générale, vous le dites, vous y insérez, vous y reproduisez la loi de 1856 sans aucune observation ; j'ai donc le droit d'affirmer que vous la ratifiez, que vous en faites votre œuvre et qu'après 12 ans vous me donnez raison, non seulement par la pratique constante que vous en avez faite, dans les traités d'extradition, que vous avez conclus, où cette loi est reproduite, mais d'une manière formelle et explicite dans votre exposé des motifs, où vous n'avez fait aucune réserve. Cela est clair comme la lumière du jour. Bien des gens, je l'avoue, ont été étonnés de ce procédé franc, loyal et de cette approbation éclatante ; mais quant à moi, je n'ai pas été surpris de la volte-face actuelle de M. le ministre ; je m'y attendais. Je soupçonnais, je prévoyais bien que sous une forme quelconque on chercherait à revenir sur ses pas et à écarter la loi de 1856. Le motif, chacun le devine. Cela devait être. Mais il reste acquis, quoi que l'on fasse, que dans l'exposé des motifs, sans blâme pour cette loi, sans réserve, sans observation, vous en avez fait chose vôtre, en l'insérant littéralement dans votre projet de codification générale.

Voilà ce que je constate et ce qui restera constaté devant la Chambre et le pays. Toutes vos habiletés n'y changeront rien.

C'est donc une première réparation que vous me faites. J'ai attendu longtemps ce jour de justice ; si lente qu'elle soit, j'étais certain qu'elle viendrait, et pour l'attendre patiemment, j'avais devers moi une haute approbation qui me suffisait et que je produis pour la première fois aujourd'hui, parce qu'elle sert à ma justification. (Interruption.)

J'ai à défendre ce qu'un homme politique a de plus précieux, sa dignité et son honneur.

Je les défends et les défendrai bien. Voici ce que m'écrivait, immédiatement après la promulgation de la loi du 22 mars 1856, le Roi Léopold Ier :

« Mon cher ministre,

« Je vous ai déjà adressé de vive voix mes félicitations sur l'heureuse issue de la loi d'extradition. La question avait une haute importance et je suis heureux de pouvoir vous dire combien j'ai apprécié le talent et la fermeté dont vous avez fait preuve dans cette circonstance. C'est avec une vraie satisfaction que je vous rends ce témoignage en vous renouvelant l'expression de mes sentiments sincères pour vous.

« Léopold.

« Laeken, le 10 avril 1856. »

Cette lettre est entièrement écrite de la main du feu Roi. Voilà le témoignage que je possède depuis 12 ans ; il m'a vengé amplement de toutes les récriminations passionnées et injustes dont j'ai été l'objet.

Maintenant un seul mot sur le fond de la question. D'une façon ou de l'autre vous devrez ou maintenir la loi de 1856, ou bien vous devrez en prononcer le rejet, parce que dans une pareille matière si difficile et si grave, on ne peut laisser la moindre équivoque sans s'exposer à troubler sérieusement nos relations internationales. Mais vous n'oserez l'abroger et vous serez ainsi ramenés à votre premier sentiment, qui était le bon, en l'intercalant dans la loi générale que vous voulez faire, ou bien vous devez, dans l'article final, faire une exception formelle en faveur de la loi de 1856. Sinon, elle viendrait à tomber.

Or, je vous défie de la faire tomber (interruption) ; je vous défie d'y toucher sous peine de créer les plus grands embarras au pays.

MfFOµ. - Je regrette profondément cette discussion : Elle était inutile et elle est fort imprudente.

La Chambre se souvient peut-être de la discussion qui eut lieu en 1856 à l'occasion d'une modification à faire à la loi de 1833 sur les extraditions. Il s'agissait de lever un doute que cette loi avait fait naître et qui, de l'avis de tout le monde, devait disparaître.

Le ministère de l'époque proposa, pour faire cesser ce doute, un projet de loi qui est devenu la loi de mars 1856.

Dans la discussion qui eut lieu à cette occasion, une unanimité complète se manifesta dans les sentiments de la Chambre, aussi bien de la part de la majorité que de la part de la minorité, sur le principe même de la loi. Il n'y eut aucune difficulté àcret égard. On voulait, de part et d'autre, atteindre absolument le même but. Mais l'opposition trouvait vicieuse la rédaction qui était proposée ; elle prétendait qu'en certains cas cette rédaction pouvait donner lieu à des interprétations fâcheuses et que, au surplus, elle n'était pas d'une correction satisfaisante.

L'opposition s'attacha à formuler une autre rédaction ; des amendements furent présentés ; amendements qui avaient été rédigés, si j'ai bon souvenir, par MM. Devaux, Tesch, Orts, Vervoort et quelques autres membres, et qui tendaient à rendre exactement la pensée fondamentale du projet de loi.

A notre grand étonnement, il fut impossible d'obtenir la moindre concession pour lever les scrupules de l'opposition. La résistance, l'obstination parurent tellement extraordinaires, tellement excessives, qu'il arriva à l'honorable M. Lebeau de s'écrier : Auriez-vous donc reçu un texte ne varietur ? Car, enfin, puisque tout le monde est d'accord ; puisque tous nous voulons réprimer l'attentat que vous avez en vue, pourquoi ne pas tâcher de voter à l'unanimité une loi de cette importance ?

L'honorable M. Nothomb vient de nous dire, comme il l'a fait en 1856, que le texte était de lui, qu'il lui appartenait, qu'il l'avait délibéré avec les hommes les plus éminents, avec les jurisconsultes les plus distingués du pays, avec les procureurs généraux ; et que, par conséquent, c'était en toute liberté qu'il avait formulé sa proposition qu'il trouvait bonne et qu'il entendait n'y rien changer.

Eh bien, j'ai le regret de dire, puisqu'on m'y a provoqué, quoique j'eusse pris soin de demander qu'on écartât toute discussion sur ce point, j'ai le regret de dire qu'il résulte d'un document officiel reposant au département des affaires étrangères, que le texte proposé par l'honorable M. Nothomb a été délibéré, convenu à Paris, et qu'il était en effet ne varietur... (Interruption.) Voici, messieurs, la dépêche officielle adressée par le gouvernement français à notre ministre des affaires étrangères, le 11 janvier 1856 :

« Monsieur le ministre,

« M. le comte Walewski m'informe, par une dépêche en date d'hier, du résultat de l'entretien qui a eu lieu à Paris entre M. le garde des sceaux et S. E. M. Nothomb. Il résulte de cette dépêche que les explications qui ont été données par M. le ministre de la justice en Belgique à M. Abbatucci ont engagé ce dernier à adopter l'opinion de M. Nothomb, sur la rédaction du projet de loi que le gouvernement belge a présenté aux Chambres, pour que, dorénavant, l'attentat contre la vie des souverains soit compris parmi les crimes qui donnent lieu à l'extradition entre les deux pays ... »

- Voix nombreuses à droite. - Eh bien ! Voilà !

MfFOµ. - Vous êtes déjà satisfaits ? C'est trop tôt ! Attendez encore un instant ; nous allons voir la suite :

« Ainsi, le mot crime ne sera pas substitué dans le projet de loi au mot fait, comme je l'avais demandé à V. E, et il ne sera pas parlé de la tentative, la loi nouvelle se référant à une loi belge déjà existante, dans laquelle le mot fait est seul employé avec une signification telle, qu'il s'applique cependant en réalité aux crimes et aux tentatives de crimes. Mais,, lors de la discussion qui aura lieu devant la Chambre, le gouvernement belge restituera (page 777) nettement au mot fait signification que la chancellerie française désire lui donner dans la pratique, et qu'il doit nécessairement avoir en matière d'extradition, et cela de manière à ne laisser aucun doute sur la véritable portée de la loi, et à enlever aux mauvais esprits, qui se rencontrent malheureusement partout, toute possibilité de l'interpréter, le cas échéant, dans le sens d'une funeste tolérance.

« Il a été convenu, en outre, entre M. Nothomb et M. le garde des sceaux, que lors du traité complémentaire de la loi d'extradition qui sera passé entre la France et la Belgique, on y introduira littéralement les mots : crime, attentat, et tentative de crime et d'attentat, de telle sorte qu'aucune difficulté ne puisse être soulevée lors de l'application dudit traité.

« Je prie V. E. d'avoir la bonté de m'accuser réception de la présente dépêche, et de me faire connaître si le gouvernement belge adopte l'accord qui a eu lieu entre S. E. M. Nothomb et S. E. le garde des sceaux de France.

« Signé (Barrot.) »

En recevant cette dépêche, M. le ministre des affaires étrangères, qui en fut, comme vous le comprenez, profondément ému, y écrivit la note suivante :

« Je constate que le projet de loi a été présenté à la Chambre le 16 décembre, et que cette réclamation est bien postérieure à la publication que les journaux en ont faite. La réclamation même prouve que personne n'a eu connaissance du projet avant sa présentation. Pas de réponse à la dépêche pour le moment.

« Signé : comte Vilain XIIII. »

M. Vilain XIIIIµ. - Je n'ai pas accepté une conversation officielle à ce sujet avec le ministre de France.

MfFOµ. - Mais votre collègue l'avait acceptée.

Ainsi, messieurs, on m'a placé dans la triste nécessité... (Interruption.) Plaît-il ?

M. le président. - Pas de colloques, je vous prie. Monsieur le ministre, veuillez continuer.

MfFOµ. - Messieurs, il est évident, d'après cette dépêche, que M. le ministre de la justice de l'époque était lié, qu'il avait à défendre le texte qui avait été convenu, arrêté préalablement, et qu'il n'y avait plus liberté de délibérer si l'on devait s'écarter de l'engagement qui avait été pris par M. le ministre de la justice.

Eh bien, cela est complètement inadmissible. Il est, en effet, impossible d'admettre que le texte de nos lois soit délibéré préalablement avec des gouvernements étrangers.

Encore si la Chambre l'avait su, si on lui avait dit que le texte avait été convenu avec le gouvernement français par des considérations politiques, la Chambre aurait pu apprécier l'acte ; mais l'attitude de l'opposition eût été nécessairement différente ; on aurait certes exprimé le regret qu'on eût négocié un texte législatif avec un gouvernement étranger ; on n'eût pas songé à l'amender ; on l'aurait accepté ou rejeté comme un traité ; peut-être l'opposition, guidée par des considérations politiques, se serait inclinée devant un fait accompli, comme aujourd'hui nous ne pourrions revenir sur le texte, sans rompre l'engagement qui a été pris, sans violer la parole qui a été donnée. Evidemment, on ne saurait pas sérieusement nous convier aujourd’hui à changer cette situation. On peut la regretter, mais il faut la subir.

M. Nothomb. - Si M. le ministre des finances a cru qu'il allait m'accabler, me foudroyer par la lecture de la pièce que vous avez entendue, qu'il se détrompe ; je suis parfaitement calme devant cette prétendue révélation ; je n'ai rien à me reprocher pas plus après qu'avant.

D'abord la question est de savoir si le texte de mon projet était bon ou non ; je prétends qu'il était bon, et une forte majorité a été de mon avis ; vous avez vainement essayé de faire mieux ; voilà le point capital.

Ensuite, la question n'est pas de savoir si j'ai dû me mettre d'accord avec un gouvernement étranger : mais elle est de savoir si c'est mon texte qu'on a adopté à l'étranger, ou si j'ai subi, moi, un texte étranger.

Or, je soutiens et je prouve que c'est ma rédaction qui a prévalu dans sa base essentielle ; j'affirme de plus que j'ai eu à lutter contre des exigences bien autrement graves et que j'ai maintenu haut et ferme et avec succès le droit de la Belgique.

Si j'avais été prévenu, si j'avais pu m'attendre que M. le ministre des finances vînt faire usage ici d'une pièce isolée, extraite d'une correspondance diplomatique, j'aurais eu sans doute le droit d'en prendre également connaissance ; j'aurais pu recueillir des souvenirs plus précis sur ce point et compulser les dossiers du département de la justice ; j'y aurais pris, pour vous les apporter, les documents qui attestent que je n'ai arrêté un texte définitif qu'après m'être mis d'accord avec les jurisconsultes les plus éminents du pays. Ce texte ainsi librement élaboré dans ces conditions, j'ai eu, au milieu des difficultés que nous traversions alors, à le débattre contre les vues et les exigences d'une chancellerie étrangère.

Voilà ce que j'ai fait. Je n'ai rien à me reprocher. J'ai rempli consciencieusement mon devoir. J'ai contribué à créer une heureuse situation diplomatique dont nous recueillons tous les jours les fruits.

Maintenant on me dit : « Vous avez montré une obstination extrême à maintenir votre texte ; vous n'avez rien cédé. Vous n'avez voulu entendre à rien. »

Singulier reproche dans la bouche de l'honorable M. Frère ! Sans doute j'ai défendu mon projet, c'est que je le trouvais bon, mais je n'y ai pas mis cette obstination extrême, car lorsque la Chambre a voulu instituer une commission spéciale qui devait faire mieux, j'y ai aisément consenti ; la commission s'est réunie ; elle a formulé des propositions qui ont été discutées, et après un long débat la majorité les a repoussées.

Nous étions en désaccord sur un point essentiel, capital, en ce sens que l'opposition ne voulait pas admettre les mots « ne sera pas réputé fait connexe à un fait politique, l'attentat, etc., etc. » La divergence était là ; c'était le point culminant du projet et là-dessus qu'a porté la discussion. J'ai dû combattre vos propositions, car elles détruisaient le projet dans sa base ; elles le rendaient illusoire, et toutes les difficultés, tous les embarras allaient renaître.

Mais, ajoute-t-on, votre rédaction était incorrecte. L'objection est par trop mesquine ; et d'ailleurs vous avez essayé de corriger la forme qui, selon vous, n'était pas suffisamment littéraire, mais vous n'y êtes pas parvenu. Mes honorables amis et moi, nous trouvions que cette rédaction était juridique et que c'était là l'essentiel. J'ai vivement insisté pour le maintien du mot « attentat » ; j'en ai dit alors les raisons, dont la principale était que le mot « attentat » n’est le terme usuel du droit, la langue adoptée quand il s'agit de violences commises contre un souverain et qu'il fallait mettre le texte en corrélation avec les législations vis-à-vis desquelles nous devions faire plus tard des conventions d'extradition.

Finalement, dans tous les reproches que vous avez adressés au projet que j'ai apporté et défendu ici, il n'y a rien qui m'émeuve. Je me trouverais dans les mêmes circonstances, que je ferais exactement la même chose, convaincu que j'agis dans le véritable intérêt du pays.

MfFOµ. - Messieurs, j'ai d'abord à répondre à un reproche qui m'a été adressé par l'honorable membre, de ne l'avoir pas averti qu'éventuellement je pouvais faire usage de la pièce dont vous venez d'entendre la lecture.

Messieurs, avant-hier, prévoyant la discussion de la loi sur les extraditions, et craignant qu'une imprudence ne fût commise, j'avais pris soin d'avenir l'honorable M. Vilain XIIII...

M. Vilain XIIIIµ. - C'était hier.

MfFOµ. - ... qu'à mon sens il serait prudent qu'on ne soulevât aucune discussion rétrospective à l'occasion de cette loi. Je l'avertis également en lui rappelant ce qui s'était passé en 1856, qu'il existait au dossier du département des affaires étrangères une lettre constatant qu'il s'agissait bien d'un texte ne varietur.

Je croyais donc qu'aucune discussion ne s'élèverait sur cet objet ; à mon grand étonnement, l'honorable M. Jacobs a cru devoir provoquer un débat à cet égard, en des termes qui ne nous permettaient pas de garder le silence.

Il est maintenant hors de doute que, lors de la discussion de 1856, nous étions en présence d'une formule ne varietur. Quand, à cette époque, un de nos honorables amis vous disait que vous soumettiez un texte auquel on ne pouvait rien changer, vous avez réclamé d'une manière très vive contre cette allégation : maintenant, que le fait est constaté, on dit que la chose est très simple. Ce n'est pas moi, dit l'honorable M. Nothomb, qui ai accepté le texte de l'étranger ; c'est l'étranger qui a accepté mon texte.

Soit, l'étranger a accepté votre texte, je veux vous le concéder. Mais vous étiez lié à ce texte, vous n'étiez plus libre de le changer. On aurait eu beau démontrer ici, à cette Chambre, qu'elle délibérait sur une proposition vicieuse, dangereuse ou incomplète ; vous ne pouviez faire droit à aucune observation, vous vous étiez engagé. Un accord s'était établi sur le projet de loi, comme il s'était établi sur le traité qui devait (page 778) suivre. Ce que vous vous étiez engagé à faire, vous l’avez fait. Où était la liberté .

Le texte, je le répète, vous l'avez délibéré avec le gouvernement français ; c'était un texte convenu et arrêté ne varietur ; il faut qu'il subsiste comme vous l'avez fait, à moins de s'exposer, en dénonçant le traité, à rompre des relations qui ont été maintenues jusqu'à présent dans les meilleures conditions.

M. de Theuxµ. - Il me semble que l'on perd de vue la différence qui existe entre un texte imposé par un gouvernement fort à un gouvernement faible et un texte convenu librement entre deux gouvernements.

Pour apprécier cette négociation, veuillez-vous rappeler quelle était la situation à cette époque. On avait l'habitude en France d'attenter à la vie du souverain. Cela s'est fait sous la dynastie des Orléans comme cela s'est fait sous les Napoléon. Le cabinet français a désiré, et il a bien fait, de mettre, autant qu'il était en lui, le souverain à l'abri de tels forfaits.

Qu'auriez-vous dit d'un gouvernement ami qui aurait refusé à un autre gouvernement ami, lequel aurait été son protecteur à sa naissance, qui l'avait soutenu dans les circonstances les plus difficiles au moment de la révolution de 1830, lors du siège d'Anvers, qui aurait montré un tel mauvais vouloir qu’il n'aurait pas même cherché à se mettre d'accord, tout en maintenant la dignité du pays, avec le but qu'on cherchait à atteindre ?

N'oubliez pas que la Belgique est le plus proche voisin de la France, qu'à l'époque de l'attentat on prétendait que les machines étaient parties de la Belgique. Eh bien, le simple bon sens, la simple raison de l'amitié établie entre les deux gouvernements, devait convier le nôtre à se mettre d'accord avec le gouvernement français.

Entre particuliers l'on n'agirait pas autrement. et pourquoi entre les gouvernements montrerait-on cette mauvaise volonté qui refuserait tous rapports amiables ? Je ne comprends pas cette manière de faire.

Le texte devait être discuté ; il était désirable que le gouvernement de l'empereur trouvât le texte suffisant pour atteindre le but qu'il se proposait. Le gouvernement belge a discuté le texte ; c'est lui qui l'a proposé. Dès lors il s'ensuivait pour lui l'engagement d'honneur de faire adopter ce texte tel qu'il avait été convenu ; car en le changeant, on ne satisfaisait peut-être plus le gouvernement ami, le gouvernement voisin.

Je ne comprends donc pas l'importance que l’on a attachée à la pièce qui nous a été communiquée. Quant à moi, il m'est impossible de lui reconnaître cette importance, et je n'aurais pas cru que notre honneur, que notre indépendance étaient atteints par une pareille entente, et aujourd'hui pas plus qu'alors. A cette époque, je me souviens d'avoir soutenu le projet de loi sur les extraditions ; je l'ai fait de toute conviction et je me suis opposé, autant qu'il était en mon pouvoir, à ce qu'il fût apporté aucune modification au projet, parce que je comprenais toute l'importance de la loi.

M. Nothomb. - M. le ministre des finances a tout à l'heure vivement critiqué la forme de la loi de 1856 et ce qu'il en appelle les vices de rédaction, l'incohérence d'idées qui y domine. C'est l'abrégé des reproches que j'ai entendus à cette époque. J'y ai répondu alors et suis prêt à recommencer. Mais je veux me borner maintenant à cette simple remarque : c'est que le rapport de l'honorable M. Lelièvre reproduisait textuellement ma rédaction, eu supprimant ce qui était entre nous, je l'ai reconnu tantôt, un grave dissentiment, les mots : « connexe à un délit politique. • Mais pour le reste, dans son rapport, j'en ai le texte sous les yeux, il admettait littéralement le projet du gouvernement et adoptait : « l'attentat constituant, soit le fait de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement » : complice ainsi de mes horreurs littéraires !

Vous voyez donc que l'honorable rapporteur se rangeait à ma manière de voir et direz-vous qu'il subissait, lui aussi, l’influence du gouvernement étranger ? Il comptait parmi les membres de l'opposition ; avait-il donc, lui aussi, conféré avec M. le garde des sceaux de France ?

Encore un mot.

Je me suis mis d'accord, après avoir librement et consciencieusement élaboré et arrêté le texte de mon projet de loi et en repoussant d'autres exigences, avec un gouvernement étranger sur un grand intérêt international, et en cela je crois avoir rendu un service réel au pays. Je vous remercie de l'occasion que vous m'avez offerte de pouvoir le constater ici et de placer à côté d'attaques violentes ou injustes, un témoignage auguste qui restera pour moi un des souvenirs les plus précieux de nu vie politique.

MfFOµ. - Je ne veux pas insister davantage sur ce que je considère comme un triste incident. Mais il m'est impossible d'accepter l'indulgence avec laquelle l'honorable M. de Theux juge cet acte.

L'honorable M. de Theux trouve tout simple, tout naturel que l'on ait traité d'un texte ne varietur à soumettre à la Chambre, que l'on se soit engagé comme l'avait fait l'honorable M. Nothomb. Je suis sûr que l’honorable M. de Theux n'aurait pas fait cela. Assurément, il ne le ferait pas.

Je comprendrais que l'on se fût mis d'accord sur le texte et qu'on l'eût déclaré à la Chambre. Alors tout était dit. On pouvait nous annoncer que l'on avait cru utile, dans l'intérêt de nos relations internationales, de se mettre d'accord sur une disposition qui devait satisfaire complètement aux légitimes demandes du gouvernement français.

Cela dit, la situation se présentait sous un autre aspect. On aurait pu discuter votre acte ; on aurait pu prétendre que vous aviez agi imprudemment. Mais qu'est-il arrivé, quand on a dit en 1856 : Vous êtes lié, vous avez un texte ne varietur ; voilà pourquoi vous n'y voulez rien changer ? Vous vous êtes indigné ; vous avez protesté énergiquement ; vous vous prétendiez libre, complètement libre. C'était un texte délibéré avec les jurisconsultes les plus éminents du pays ; vous pouviez le modifier. Voilà ce que vous laissiez entrevoir à la Chambre. Et que prouve l'acte qu'on m'a obligé de produire ? C'est que vous vous étiez formellement engagé à faire et à dire des choses déterminées. Il n'y avait pas à délibérer ; vous étiez lié. (Interruption.)

« Ainsi, disait l'accord, le mot crime ne sera pas substitué dans le projet de loi au mot fait, comme je l'avais demandé à V. E., et il ne sera pas parlé de la tentative, la loi nouvelle se référant à une loi belge déjà existante, dans laquelle le mot fait est seul employé, avec une signification telle qu'il s'applique cependant en réalité aux crimes et aux tentatives de crimes. Mais, lors de la discussion qui aura lieu devant la Chambre, le gouvernement belge restituera au mot fait la signification que la chancellerie française désire lui donner dans la pratique, et qu'il doit nécessairement avoir en matière d'extradition, et cela de manière à ne laisser aucun doute sur la véritable portée de la loi, et à enlever aux mauvais esprits, qui se rencontrent malheureusement partout, toute possibilité de l'interpréter, le cas échéant, dans le sens d'une funeste tolérance.

« Il a été convenu en outre, entre M. Nothomb et M. le garde des sceaux, que lors du traité complémentaire de la loi d'extradition qui sera passé entre la France et la Belgique, ou y introduira littéralement les mots : crime, attentat et tentative de crime et d'attentat, de telle sorte qu'aucune difficulté ne puisse être soulevée lors de l'application dudit traité.

« Je prie V. E. d'avoir la bonté de m'accuser réception de la présente dépêche, et de me faire connaître si le gouvernement belge adopte l'accord qui a eu lieu entre S. E. il. Nothomb et S. E. M. le garde des sceaux de France. »

Au lieu de reconnaître ces choses, au lieu de dire : Nous sommes liés, nous nous sommes engagés, nous avons traité avec le gouvernement français de ce texte, vous avez prétendu que vous étiez parfaitement libre.

Voilà ce qui est blâmable, ce qui est inexcusable, et ce qui ne sera pas excusé.

M. Wouters, rapporteurµ. - Je ferai remarquer que la discussion générale dont ou va prononcer la clôture, n'a roulé jusqu'ici que sur un incident auquel la Chambre comprendra que je doive demeurer étranger. Aucune observation n'a été présentée, ni sur Jl principe, ni sur les caractères généraux du projet ; je crois cependant répondre au désir de la Chambre et satisfaire aux convenances de la tâche qui m'a été confiée, eu exposant les motifs qui ont déterminé la section centrale à se rallier aux propositions du gouvernement.

Comme vous pouvez le constater, messieurs, pas plus en 1868 qu'en 1833, le principe constitutionnel de l'extradition n'a été contesté.

On est unanime à reconnaître que l'étranger jouit, comme le Belge, de la protection accordée aux personnes et aux biens, mais à la condition de respecter ces préceptes souverains de morale et de justice, qui sont les fondements de l'ordre et de la sécurité des sociétés.

C'est dans ce sens, seulement, que l'on peut dire, que l'hospitalité est un droit sacré ; c'est un droit dû à la bonne foi, à l'infortune, je dirais même à l'insuccès politique, mais c'est un droit que l'on ne pourrait étendre au crime, sans violer les lois mêmes de l'humanité.

Ces idées, messieurs, sont aujourd'hui généralement acceptées, mais l'on n'est pas aussi complètement d'accord sur l'extension qu'il convient de leur assigner.

(page 779) Le besoin de cette extension ne date pas d'aujourd'hui. Il y a trente-cinq années que la nécessité de remédier aux défectuosités, aux imperfections de la législation qui régit la matière, s'est fait sentir.

La Chambre n'exigera pas que je reproduise les discussions qui ont précédé l'adoption de la loi du 1er octobre 1833. Il en ressort clairement que si l'on avait mis à ce travail une précipitation que commandaient les circonstances, c'était avec le ferme espoir de voir le législateur en faire, dans l'avenir, le nouvel objet de ses études, et y introduire les additions et les améliorations reconnues nécessaires.

En 1836, des membres de la Chambre et du Sénat regrettèrent aussi que l'on eût omis de mentionner dans la série des crimes et des délits, donnant lieu à extradition, des faits auxquels la loi aurait dû s'appliquer et que le besoin de maintenir l'harmonie dans notre législation les forçât délimiter l'article 2 de la loi du 30 décembre 1836 aux faits prévus par l'article premier de la loi du 1er octobre 1833.

En 1846, les lacunes de notre législation sur cette matière ayant donné lieu à des réclamations de la part des Etats étrangers, le gouvernement crut de son devoir d'ouvrir une enquête. On consulta les procureurs généraux près de nos cours d'appel, ils furent unanimes à déclarer qu'il y avait des ajoutes à faire à la loi, qu'elle aurait dû notamment s'appliquer au cas d'attentat à la pudeur commis avec violence.

Qui de vous, messieurs, n'a présents à l'esprit les remarquables débats de la loi du 7 juillet 1865, relatifs à l'expulsion des étrangers ? Qui de vous ne sait que si l'on se montra divisés sur la convenance qu'il pouvait y avoir à accorder au gouvernement un pouvoir arbitraire, dont on redoutait les abus, l'on fut unanime à admettre que les mesures édictées par cette loi auraient dû atteindre des faits non moins graves que ceux qui ont été prévus par la loi d'extradition.

On déplora ce silence de la loi, qui ne permettait pas de rendre à la justice de leur pays des hommes souillés de crimes, et dont la présence sur le sol de la Belgique était un scandale pour la société et constituait un danger, une menace permanente pour la sécurité des nationaux.

Personne donc me méconnaît aujourd'hui que le principe de l'extradition, contre lequel tant et de si généreuses protestations se sont élevées en 1833, ne soit entré dans une phase progressive, et ne nécessite une réforme, que la multiplicité de nos relations internationales exige instamment.

Nous avons à examiner ici, jusqu'où cette réforme doit aller.

Peut-être trouvera-t-on le projet trop radical, non suffisamment approprié à nos mœurs, à nos traditions, et ne se justifiant pas par les besoins de la justice sociale.

Messieurs, il ne m'appartient pas, en ce moment, d'apprécier le degré de criminalité des faits nouveaux, pour lesquels le projet propose d'accorder l'extradition ; ce serait excéder les bornes d'une discussion générale.

Qu'il me suffise de vous présenter quelques considérations générales, qui sont de nature à justifier les mesures qui vous sont proposées.

Constatons d'abord que les rapports des peuples ne sont plus ce qu'ils étaient il y a 35 ans. Jadis, les nations vivaient dans un isolement complet, ils multipliaient à l'envi les entraves au développement de leurs relations. Mettant tous leurs efforts à se suffire à eux-mêmes, les peuples croyaient que le soin de leur honneur et de leur dignité leur défendait, hormis dans des cas d'une gravité exceptionnelle, de livrer aux gouvernements étrangers les malfaiteurs qui étaient venus chercher l'hospitalité sur leur sol.

Mais depuis lors, les idées ont bien changé, une transformation complète s'est opérée dans les mœurs et les habitudes sociales, les barrières qui séparaient les peuples sont tombées, les meilleures inventions des temps modernes, appliquées aux moyens de locomotion, ont rendu les rapports faciles et fréquents.

Cette situation nouvelle nécessité l'emploi de toutes les mesures propres à assurer l'exécution des lois ; elle exige la répression prompte et efficace de certains crimes et délits auxquels l'impunité était jusqu'ici accordée.

Et que l'on ne dise pas que l'exil volontaire du délinquant constitue un châtiment plus sévère que la peine qu'il a encourue par la violation de la loi.

Je dirai d'abord que ce choix entre deux répressions ne saurait lui appartenir, et que rien ne peut le soustraire à l'obligation de comparaître devant ses juges naturels.

J'ajouterai que l'exil n'a plus, de nos jours, la signification qu'il avait dans les temps anciens, où l'on admettait que nulle peine, la mort exceptée, ne pouvait lui être comparée.

Il est de ces gens, messieurs, et le nombre hélas ! n'en est que trop grand, qui sont peu scrupuleux sur le choix des moyens pour arriver à la fortune, ou pour satisfaire leurs passions ; le mot « justice » n'a pas de sens réel à leurs yeux ; ce mot magique n'a plus le privilège de faire battre leurs âmes. S'ils trouvent dans un autre pays des mœurs aussi douces, un climat aussi tempéré, et surtout une législation qui leur assure l'impunité, ils n'hésiteront pas à y asseoir leur tente.

Or, je le demande, la société doit-elle assister impassible et désarmée devant ces menées coupables ? Doit-elle en permettre la réalisation ? Nul ne voudrait le prétendre Le projet de loi qui vous est présenté a pour but d'y porter remède, en autorisant, pour tous les faits d'une gravité sérieuse, la remise de leurs auteurs à la justice de leur pays.

Mais, me dira-t-on, vous ne pouvez nier que le projet ne soit trop étendu, et qu'il ne doive excepter de la mesure de l'extradition certains faits délictueux qui ne semblent pas motiver une pareille rigueur de notre législation.

Messieurs, ce reproche d'exagération pouvait être adressé avec au moins autant de raison à la loi de 1833, qui accorde l'extradition pour le vol simple, lequel peut n'entraîner, pour son auteur, qu'une condamnation à quelques jours d'emprisonnement ; comment dès lors admettre qu'on puisse excepter de la nomenclature des faits prévus à l'article premier, certains actes qui portent une atteinte plus sérieuse à la morale et à la justice, et causent une lésion plus profonde aux intérêts privés ? Si nous voulons être justes, soyons avant tout conséquents.

Il entre, d'ailleurs, dans la pensée de la section centrale, comme dans l'intention du gouvernement, que la loi soit appliquée avec sagesse et d'une manière raisonnable. Comment craindre qu'il en soit autrement ?

L'expérience de 35 années est là pour nous rassurer sur les dangers d'une application arbitraire on exagérée.

Ne perdons pas de vue, messieurs, que les demandes d'extradition sont entourées de formalités longues et coûteuses, et que le gouvernement n'y aura recours que dans des cas d'une gravité réelle, lorsque le fait incriminé aura causé du scandale, ou produit du trouble dans l'endroit où il a été commis.

Tenons compte enfin des difficultés qu'il y a à préciser exactement dans la loi le caractère de gravité que devrait présenter le fait incriminé, pour donner lieu à l'extradition. Car de même que le vol simple peut avoir pour objet des sommes importantes ou des choses sans valeur sérieuse, de même aussi les cas nouveaux prévus par l'article premier du projet pourront présenter dans l'application des nuances diverses, qui, selon les circonstances, en augmenteront ou en diminueront la criminalité.

Le législateur ne saurait prévoir tous les cas qui peuvent se présenter. Ce sont là des inconvénients qu'il rencontre dans la confection des lois, et qui ne sauraient l'empêcher de réaliser le but utile qu'il s'est proposé.

Pour le moment, je bornerai là mes observations, me réservant, à la discussion des articles, de rencontrer les objections qui pourraient être soulevées.

M. Guillery. - Messieurs, je n'ai pas l'intention d'entrer dans le débat personnel qui a eu lieu au commencement de cette discussion, et que je crois définitivement clos ; mais la question de droit et de législation soulevée par l'honorable M. Jacobs me paraît de nature à mériter l'examen, l'attention et les délibérations approfondies de la Chambre.

La loi de 1856, que le gouvernement avait reproduite dans son projet primitif et qu'il a retirée ensuite, est encore en vigueur aujourd'hui et le projet qui vous est soumis amène naturellement l'examen de cette loi et soulève la question de savoir si elle doit être maintenue dans notre législation.

S'il n'y avait eu, en 1856, qu'une question de procédé, de forme, de rédaction, je me garderais bien de revenir sur cette discussion et surtout de ramener un débat stérile. Il serait infiniment regrettable qu'une question d'une aussi haute gravité dégénérât en une question personnelle et descendît des hauteurs où le législateur doit toujours se maintenir.

Oui, messieurs, il y avait, dans cette loi, une des plus graves questions de législation dont la Chambre puisse s'occuper. Il s'agit de savoir jusqu'où doit s'étendre le droit d'asile, jusqu’où doit s'étendre la résistance d'un pays libre et indépendant aux exigences d'un gouvernement étranger qui lui demande de livrer un accusé.

Tout le monde est d'accord qu'une nation ne peut, sans se déshonorer, (page 780) livrer les condamnés ou les accusés politiques ; mais où commence le délit politique, où finit le crime ordinaire ? Telle est la question que le législateur a eu à résoudre en 1856 et qui se représente encore à nos délibérations à propos de la loi : car alors même que le gouvernement croit devoir retirer l'article 7, la question ne disparaît pas pour cela. Elle s'impose à nos délibérations.

Quant à la question de forme, il est libre aux membres de la Chambre soit de reproduire ce texte, soit de présenter un article qui constate l'abrogation de la loi de 1856, et de proposer à la législature de proclamer le grand principe qui doit gouverner une nation libre et fière de son indépendance.

Les faits, messieurs, qui avaient amené la loi de 1856 sont connus, mais ont été, je crois, un peu perdus de vue, permettez-moi de les rappeler sommairement.

Un nommé Jacquin, réfugié en Belgique, était accusé par le gouvernement français d'attentat à la vie de l'empereur. Le gouvernement belge ne pouvait le livrer, ne pouvait accorder l'extradition qu'après avoir pris l'avis de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel.

J'eus l'honneur d'être un des défenseurs de Jacquin devant la chambre des mises en accusation, présidée par l'honorable magistrat qui est aujourd'hui à la tête de la cour d'appel de Bruxelles et qui l'honore par son talent. La chambre des mises en accusation déclara qu'il y avait délit politique et que l'extradition était impossible.

Grande émotion dans le pays, grande émotion surtout dans le parti libéral où le principe de la chambre des mises en accusation trouva des défenseurs dévoués et convaincus.

Le procureur général déféra à la cour de cassation l'arrêt de la cour d'appel ; l'arrêt fut cassé. Il y avait donc, d'un côté, l'arrêt de la chambre des mises en accusation, et d'un autre côté, l'arrêt de la cour de cassation.

Le gouvernement état placé dans une situation très délicate ; il trouva une solution dans l'esprit de conciliation du gouvernement français et dans ses sentiments de bienveillance pour la Belgique. M. le ministre des affaires étrangères put venir annoncer que le gouvernement français, comprenant les difficultés de la situation, avait renoncé à la demande d'extradition, et le sieur Jacquin quitta le pays.

C'est alors, messieurs, qu'intervint le projet de loi qui est devenu plus tard la loi du 22 mars 1856.

Dans la discussion de cette loi fut soulevée la question de savoir si le meurtre et l'assassinat ne sont jamais un délit politique, s'ils sont toujours un délit de droit commun devant donner lieu à l'extradition.

Voici, messieurs, quel est le texte de la loi, qui était aussi le texte du projet et qui fut adopté, je dois le reconnaître, à une très grande majorité par la Chambre.

« Article unique. Le paragraphe suivant est ajouté à l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833 :

« Ne sera pas réputé délit politique, ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement. »

L'honorable M, Lelièvre, qui fit le premier rapport, demandait la suppression des mots : « ni fait connexe à un semblable délit ». Après une longue discussion, une commission fut nommée et elle eut pour rapporteur l'honorable M. Orts. Un nouveau texte fut proposé et, dans ce rapport, les difficultés de la question furent exposées avec un grande netteté, avec une grande lucidité par notre honorable collègue.

Ainsi, messieurs, dans une émeute, dans une guerre civile il se commet des meurtres, il se commet même des assassinats : car, comme le disait l'honorable rapporteur, celui qui va derrière une barricade avec l'intention de faire feu sur les soldats qui lui sont opposés, avec l'intention de tuer ses adversaires commet un meurtre avec préméditation ; est-ce nécessairement un délit de droit commun ?

Ce fait sera-t-il nécessairement la justification d'une extradition ?

Nous avons vu la guerre civile, nous avons vu des révolutions.

En France par exemple, pour remonter à la révolution de 1830, les bourgeois de Paris qui se rendaient derrière les barricades pour faire feu sur les soldats de Charles X, ont commis tout au moins des meurtres, ont tué avec l'intention de tuer.

Les eût-on livrés s'ils s'étaient rendus en Belgique, en supposant que la révolution eût succombé ?

Aux termes de la loi de 1856, le gouvernement aurait le droit de les livrer, et pouvait être sommé par un gouvernement étranger d'exécuter la loi.

Voilà, messieurs, la loi qui nous régit.

Nous avons accueilli, non seulement avec bienveillance et avec indulgence, mais nous avons placé dans notre armée, des hommes qui avaient fait la guerre civile contre leurs souverains légitimes ou du moins légaux.

Nous avons accueilli avec enthousiasme les Polonais qui avaient notamment dans le siège du palais de Constantin, comme le rappelait l'honorable rapporteur de la commission, commis des meurtres sinon des assassinats.

Est-ce là un délit de droit commun ou bien est-ce un délit politique ? La législature veut-elle qu'un homme qui se trouve dans cette position, soit nécessairement l'objet d'une extradition ? Que la conscience publique réponde.

Voilà, messieurs, la discussion qui a eu lieu en 1856, discussion qui a partagé les jurisconsultes les plus éminents, des hommes qui avaient tous également une grande horreur de l'assassinat, mais qui cependant reconnaissaient tous aussi que les faits qui sont le résultat de la passion politique, qui se produisent dans une guerre civile, dans une émeute, dans une révolte quelquefois légitime d'après les idées de la plus saine morale, ne doivent pas être confondus avec les crimes ordinaires.

Lorsqu'un gouvernement devient tyrannique et oppresseur, peut-on dire que l'insurrection contre ce gouvernement soit un crime ?

Peut-on flétrir ceux qui, pour secouer le joug de l'étranger, auraient versé le sang des oppresseurs ?

Faut-il livrer comme coupables et assimiler à des meurtriers, à des assassins parce qu'ils auraient succombé, des hommes que l'on aurait traités comme des héros s'ils avaient triomphé. Si la Belgique venait à être conquise par l'étranger, la révolte ne serait-elle pas un devoir sacré ? Et si les Belges révoltés succombaient dans leurs efforts devrait-on les assimiler à de vils criminels ?

Pour moi, je les considérerais comme des héros dignes des plus grands honneurs, comme des martyrs de la liberté et de l'indépendance de leur pays, et je ne trouverais pas de couronne assez brillante pour en décorer leur front.

Cependant d'après la loi de 1856 on pourrait les livrer !

Voilà donc, messieurs, la discussion qui a eu lieu, en 1856, et que j'ai cru devoir rappeler en quelques mots.

Lorsque nous arriveront à l'article qui traite cette matière, je reprendrai l'amendement qui a été proposé en 1856, pour demander qu'il soit introduit dans la loi actuelle.

Comme il faut un certain temps pour rédiger cette proposition, je demanderai à ne la déposer que plus tard.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je pense qu'il serait bon de voter par numéros.

- Cette proposition est adoptée.

« Art. 1er. Le gouvernement pourra livrer aux gouvernements des pays étrangers, à charge de réciprocité, tout étranger mis en prévention ou en accusation, ou condamné par les tribunaux desdits pays, pour l'un des faits ci-après énumérés qui auraient été commis sur leur territoire :

« 1° Pour assassinat, empoisonnement, parricide, infanticide, meurtre, viol. »

- Adopté.


« 2° Pour incendie. »

- Adopté.


« 3° Pour contrefaçon ou falsification d'effets publics ou de billets de banque, de titres publics ou privés, émission ou mise en circulation de ces effets, billets ou titres contrefaits ou falsifiés, faux en écriture ou dans les dépêches télégraphiques. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le doute existe sur la question de savoir si la personne qui fait usage du faux peut être soumise à l'extradition de même que celle qui le commet.

Ce doute a été exprimé par les gouvernements étrangers et a donné lieu à des difficultés internationales.

Le gouvernement a toujours maintenu que l'on entendait que le faux et l'usage du faux étaient mis sur la même ligne. Mais pour faire casser toute obscurité, je propose d'ajouter : « et usage de ces dépêches, effets, billets ou titres contrefaits, fabriqués ou falsifiés. »

- Le n°3° ainsi modifié est adopté.


« 4° Pour fausse monnaie, contrefaçon et altération de la monnaie, émission et mise en circulation de la monnaie contrefaite ou altérée, (page 781) ainsi que pour les fraudes dans le choix des échantillons pour la vérification du titre et du poids des monnaies. »

M. le ministre de la justice (M. Bara) - Je propose d'ajouter après les mots : « fausse monnaie » les mots : « comprenant la. » On dirait donc : « Pour fausse monnaie comprenant la contrefaçon et l'altération de la monnaie, l'émission et la mise en circulation de la monnaie contrefaite ou altérée, ainsi que les fraudes dans le choix, etc... »

L'expression « fausse monnaie » est le terme générique ; la contrefaçon et l'altération de la monnaie sont les espèces.

- Le n°4 ainsi modifié est adopté.


« 5° Pour faux témoignage et fausses déclarations d'experts ou d'interprètes. »

- Adopté.


« 6° Pour vol, escroquerie, concussion, détournements commis par des fonctionnaires publics. »

- Adopté.


« 7° Pour banqueroute frauduleuse et fraudes commises dans les faillites. »

M. De Fréµ. - Je demanderai à M. le ministre de la justice ce qu'il entend par fraudes commises dans les faillites.

Le projet primitif portait : « Pour banqueroute frauduleuse » ; on y a ajouté : « et fraudes commises dans les faillites ».

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, ce qu'on entend par fraudes dans les faillites est indiqué à l'article 490 du nouveau code pénal. Ce sont des délits nouveaux assez graves créés par le code de 1867.

Ce sont des délits punis de peines graves.

M. De Fréµ. - Il est constant que cette addition ne comprend pas la banqueroute simple.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non ; la banqueroute simple a été supprimée.

- Le numéro est adopté.


« 8° Pour association de malfaiteurs. »

- Adopté.


« 9° Pour menaces d'attentat contre les personnes ou les propriétés, punissable de la peine de mort, des travaux forcés ou de la réclusion. »

- Adopté.


« 10° Pour avortement. »

- Adopté.


« 11° Pour bigamie. »

- Adopté.


« 12° Pour attentais à la liberté individuelle et à l'inviolabilité du domicile, commis par des particuliers.3

- Adopté.


« 13° Pour enlèvement, recel, suppression, substitution ou supposition d'enfant. »

- Adopté.


« 14° Pour exposition ou délaissement d'enfant. »

- Adopté.


« 15° Pour enlèvement de mineurs. »

- Adopté.


« 16° Pour attentat à la pudeur commis avec violence. »

- Adopté.


« 17° Pour attentat à la pudeur commis sans violence sur la personne ou à l'aide de la personne de l'enfant de l'un ou de l'autre sexe âgé de moins de quatorze ans. »

- Adopté.


« 18° Pour attentat aux mœurs en excitant, facilitant ou favorisant habituellement, pour satisfaire les passions d'autrui, la débauche ou la corruption de mineurs de l'un ou de l'autre sexe. »

- Adopté.


« 19° Pour coups portés et blessures faites volontairement avec préméditation ou ayant causé une maladie paraissant incurable, une incapacité permanente de travail personnel, la perte de l'usage absolu d'un organe ou la mort sans l'intention de la donner. »

- Adopté.


« 20° Pour abus de confiance et tromperie. »

- Adopté.


« 21° Pour subornation de témoins, d'experts ou d'interprètes. »

- Adopté.


« 22° Pour faux serment. »

- Adopté.


« 23° Pour contrefaçon ou falsification de sceaux, timbres, poinçons et marques, usage de sceaux, timbres, poinçons et marques contrefaits ou falsifiés et usage préjudiciable de vrais sceaux, timbres, poinçons et marques. »

- Adopté/


« 24° Pour corruption de fonctionnaires publics. »

M. le président. - Il y a ici un amendement de la section centrale.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - La section centrale propose de modifier le n°24 comme suit : « Pour corruption de fonctionnaires publics, à moins qu'il ne s'agisse d'un acte juste et non sujet à salaire. »

Ainsi, la section centrale n'admettrait pas l'extradition lorsqu'un fonctionnaire se serait fait payer une somme d'argent même considérable pour faire un acte juste en lui-même ; mais ce système peut donner à de graves inconvénients.

Ainsi, je suppose qu'un fonctionnaire de l'administration des travaux publics se fasse payer une somme de 50,000 à 100,000 fr. pour faire accorder une concession à tel ou tel. .

M. Orts. - C'est le procès Teste.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - ... le fonctionnaire s'en va à l'étranger vivre de ses renies, vous ne pourriez pas demander son extradition. Mais songez, messieurs, qu'alors même que l'acte aurait été juste, alors que la concession aurait été accordée à celui qui la méritait, il y a encore une infraction, car le fonctionnaire était tenu d'agir gratuitement ; il est donc passible de l'article 246.

M. Woutersµ. - Voici les motifs qui ont déterminé la section centrale à présenter cet amendement. Tout en convenant avec M. le ministre que la prévarication d'un fonctionnaire public est par elle-même une chose grave pouvant entraîner un danger sérieux pour la société, elle a cru qu'il fallait distinguer, dans l'application, les nuances que les crimes de corruption pouvaient offrir ; et que la loi ne devait autoriser l'extradition que dans le cas où cette mesure paraîtrait nécessitée, soit à cause de la malignité de l'acte, soit à raison du préjudice qu'il peut avoir causé.

Elle vous propose donc de ne pas y consentir dans le cas où la corruption a eu pour objet l'obtention d'un acte juste et non sujet à salaire.

L'honorable ministre de la justice vient de citer un fait, qui, je le reconnais, présente une gravité réelle ; a ce fait, j'en opposerai un autre d'une criminalité tout au moins douteuse. Tel serait le cas où le fonctionnaire recevrait, je suppose, des dons pour accélérer la marche d'une affaire ; en les acceptant, il cède à sa cupidité, mais enfin, il ne trahit pas ses devoirs, et ne cause aucun dommage aux intérêts privés. Je m'en réfère à l'appréciation de la Chambre.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment il peut y avoir des faits peu graves qui tombent sous l'application de l'article 246, mais je ferai observer que l'extradition n'est pas obligatoire ; seulement s'il est des faits prévus par l'article 246 et qui ne présentent pas de gravité, il en est d'autres tout différents ; tel est l'acte du fonctionnaire qui use de son autorité, de son influence même en faveur de gens qui le méritent, et qui se fait payer des services qu'il est tenu de rendre gratuitement.

II faut absolument des armes dans la loi pour pouvoir extrader les personnes qui se rendraient coupables de pareilles manœuvres.

- L'amendement de la section centrale est mis aux voix et rejeté.

Le n°24 est ensuite mis aux voix et adopté.


« 25° Pour destruction de constructions, machines à vapeur ou appareils télégraphiques, destruction ou dégradation de tombeaux, monuments, objets d'art, documents ou autres papiers, destruction ou détérioration des denrées, marchandises ou autres propriétés mobilières et opposition à l'exécution des travaux publics (29). »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a dans le paragraphe de petites incorrections qu'il convient de redresser. Au lieu de « destruction ou détérioration des denrées », il faut : « de denrées » ; au lieu de : « l'exécution des travaux publics », il faut « de travaux publics ».

M. De Fréµ. - Je viens appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur les mots : « monuments, objets d'art, documents et autres papiers. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je fais remarquer que le gouvernement n'a pas introduit de définitions nouvelles ; il a pris dans le code pénal les termes tels qu'ils s'y trouvent, attendu qu'une loi d'extradition n'est qu'une loi d'application.

(page 782) La disposition que nous occupe en ce moment renvoie aux articles 437 à 443 du code pénal et les termes dans lesquels elle est conçue ne sont que la reproduction de l'intitulé de la section 3 portant < destruction ou dégradation de tombeaux, monuments, objets d'art, documents ou autres papiers. » Il est impossible de procéder autrement. Quand on parle du vol, par exemple, il s'agit évidemment du vol tel qu'il est défini par le code pénal. Il en est de même pour les infractions dont vient de parler l'honorable M. De Fré.

M. De Fréµ. - Si M. le ministre tient aux mots « autres papiers » pour répondre exactement au texte du code pénal, je ne m'y oppose pas ; mais je crois qu'il serait bon de dire « autres papiers publics ».

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne puis pas consentir à l'addition du mot « publics », attendu que le délit peut être aussi grave s'il a pour objet des papiers privés. Ainsi celui qui détruit une obligation se rend coupable d'un délit assez grave pour qu'on puisse procéder à son extradition.

Nous devons nécessairement nous en tenir au texte du code pénal ; c'est pour cela qu'on a mis les articles du code comme indication dans le projet de loi. Si l'on veut définir tous les délits, il faudra reproduire tout le code pénal. Or, on n'a jamais procédé ainsi en matière de législation sur les extraditions.

- Le paragraphe 25 est adopté.


« 26° Pour destruction et dévastation de récoltes, plantes, arbres ou greffes. »

M. Maghermanµ. - Les faits prévus à ce paragraphe ne constituent, me semble-t-il, que des contraventions de simple police. Or il est un peu rigoureux, me paraît-il, d'étendu l'extradition à des faits de cette nature.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre se trompe. Il ne s'agit pas ici de faits ne constituant que de simples contraventions, mais des faits prévus aux articles 535 et suivants du code pénal, faits d'une nature grave qui tiennent souvent du mauvais gré et qui sont punissables d'un emprisonnement d'un mois à trois ans.

M. Maghermanµ. - Je n'insiste pas.

- Le paragraphe 26 est adopté.


« 27°. Pour destruction d'instruments d'agriculture, destruction ou empoisonnement de bestiaux ou autres animaux. »

- Adopté.


« 28°. Pour abandon par le capitaine, hors les cas prévus par la loi, d'un navire ou bâtiment de commerce ou de pêche. »

- Adopté.


« 29° Pour échouement, perte, destruction par le capitaine ou les officiers et gens de l'équipage, détournement par le capitaine, d'un navire ou d'un bâtiment de commerce ou de pêche, jet ou destruction sans nécessité de tout ou partie du chargement, des vivres ou des effets du bord, fausse route, emprunt sans nécessité sur le corps, avictuaillement ou équipement du navire, ou mise en gage ou vente des marchandises ou victuailles, ou emploi dans les comptes d'avaries ou de dépenses supposées, vente du navire sans pouvoir spécial hors le cas d'innavigabilité, déchargement de marchandises sans rapport préalable hors le cas de péril imminent, vol commis à bord, altération de vivres ou de marchandises commise à bord par le mélange de substances malfaisantes, attaque ou résistance avec violences et voies de fait envers le capitaine par plus du tiers de l'équipage, refus d'obéir aux ordres du capitaine ou officier du bord pour le salut du navire ou de la cargaison avec coups de blessures, complot contre la sécurité, la liberté ou l'autorité du capitaine, prise du navire par les marins ou passagers par fraude ou violence envers le capitaine.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Au bas de cet article on a renvoyé aux articles 31 à 40 du code pénal ; c'est une erreur ; il s'agit des articles 31 à 40 du code disciplinaire et pénal pour la marine marchande et la pêche maritime.

M. le président. - Ce n'est qu'une indication erronée ; il sera tenu note de la rectification.

- Le paragraphe 29 est adopté.

Article 2

« Art. 2. L'extradition ne sera accordée que sur la production, soit du jugement ou de l'arrêt de condamnation, soit de l'ordonnance de la chambre du conseil, de l'arrêt de la chambre des mises en accusation ou de l'acte de procédure criminelle émané du juge compétent, décrétant formellement ou opérant de plein droit le renvoi du prévenu ou de l'accusé devant la juridiction répressive, délivrés en original ou en expédition authentique, et après avoir pris l'avis de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'étranger aura été arrêté.

« Le ministère public et l'étranger seront entendus en audience publique.

« L'étranger pourra s'y faire assister d'un conseil.

« Dans la quinzaine, à dater de la réception des pièces, elles seront renvoyées avec l'avis motivé au ministre de la justice. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comme vous le voyez, messieurs, cet article introduit une innovation importante en matière d'extradition.

Il rend publique l'audience dans laquelle la cour doit émettre son avis sur la demande d'extradition et permet à l'étranger de se faire assister d'un conseil.

Cette garantie a été introduite en faveur de l'étranger. Mais je crois que c'est aller trop loin et qu'il faut laisser à l'étranger la faculté de refuser la publicité s'il juge qu'elle pourrait lui être préjudiciable. En effet, il peut arriver que l'étranger ait intérêt à ne pas être accusé publiquement pour que les preuves produites contre lui ne servent pas à l'appui des poursuites dont il sera l'objet lorsque l'extradition aura été accordée.

Il faut donc modifier l'article 2 de manière à laisser à l'étranger la faculté d'accepter ou de refuser la publicité de l'audience.

Voici, messieurs, les dispositions que j'ai l'honneur de proposer à cet effet et qui remplaceraient les paragraphe 2 et 3 :

« L'audience sera publique, à moins que l'étranger ne réclame le huis-clos.

« Le ministère public et l'étranger seront entendus ; celui-ci pourra se faire assister d'un conseil. »

- L'article 2 ainsi modifié est mis aux voix et adopté.

Articles 3 à 6

« Art. 3. L'extradition par voie de transit sur le territoire belge pourra néanmoins être accordée sans avoir pris l'avis de la chambre des mises en accusation, sur la simple production, en original ou en expédition authentique, d'un des actes de procédure mentionnés en l'article précédent, lorsqu'elle aura été requise par un Etat étranger au profit d'un Etat étranger, liés l'un et l'autre avec la Belgique par un traité comprenant l'infraction qui donne lieu à la demande d'extradition, et lorsqu'elle ne sera pas interdite par les articles 7 et 8 de la présente loi. »

- Adopté.


« Art. 4. L'étranger pourra être arrêté provisoirement en Belgique, pour l'un des faits mentionnés à l'article 1er, sur l'exhibition d'un mandat d'arrêt décerné par l'autorité étrangère compétente, et rendu exécutoire par la chambre du conseil du tribunal de première instance du lieu de sa résidence ou du lieu où il pourra être trouvé et, en cas d'urgence, sur l'exhibition d'un mandat d'arrêt décerné par le juge d'instruction du lieu de sa résidence ou du lieu où il pourra être trouvé, et motivé sur un avis officiel donné aux autorités belges par les autorités du territoire, où le crime ou le délit aura été commis. »

M. le président. - La section centrale ajoute après les mois « aura été commis », ce qui suit :

« Toutefois, dans ce cas, il sera mis en liberté, si, dans le délai de dix jours, à dater de son arrestation, lorsqu'elle aura été opérée à la demande du gouvernement d'un pays limitrophe et dans le délai de trois semaines, lorsqu'il s'agira d'un pays éloigné, il ne reçoit communication du mandat d'arrêt, décerné par l'autorité étrangère compétente.

« Après l'ordonnance de l'arrestation, le juge d'instruction est autorisé à procéder suivant les règles prescrites par les articles 87 à 90 du code d'instruction criminelle.

« L'étranger pourra réclamer la liberté provisoire dans les cas où un Belge jouit de cette faculté et sous les mêmes conditions. La demande sera soumise à la chambre du conseil.

« La chambre du conseil décidera également, après avoir entendu l'étranger, s'il y a lieu ou non de transmettre en tout ou en partie les papiers et autres objets saisis au gouvernement étranger qui demande l'extradition. Elle ordonnera la restitution des papiers et autres objets qui ne se rattachent pas directement au fait imputé au prévenu. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me rallie à l'amendement de la section centrale.

- L'article 4, ainsi modifié, est adopté.


« Art. 5. L'étranger arrêté provisoirement sera mis en liberté si, dans les deux mois, il ne reçoit notification, soit d'un jugement ou arrêt de condamnation, soit d'une ordonnance de la chambre du conseil, d'un arrêt de la chambre des mises en accusation ou d'un acte de procédure criminelle émané du juge compétent, décrétant formellement ou opérant de plein droit le renvoi du prévenu ou de l'accusé devant la juridiction répressive. »

- Adopté.


(page 783) « Art. 6. Les traités conclus en vertu de la présente loi seront insérés au Moniteur, ils ne pourront être mis à exécution que dix jours après la date que porte ce journal. »

- Adopté.

Article 7

« Art. 7. II sera expressément stipulé dans ces traités que l'étranger ne pourra être poursuivi ou puni pour aucun délit politique antérieur à l'extradition, ni pour aucun fait connexe à un semblable délit, ni pour aucun des crimes ou délits non prévus par la présente loi ; sinon toute extradition, toute arrestation provisoire sont interdites.

« Ne sera pas réputé délit politique, ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait, soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement ». (Article unique de la loi du 22 mars 1856).

M. le président. - Il me parvient, relativement à l'article 7, l'amendement suivant :

« Le meurtre, l'empoisonnement et l'assassinat commis ou tenté sur la personne d'un souverain étranger ou d'un membre de sa famille, sont compris au nombre des crimes pour lesquels l'extradition des étrangers peut avoir lieu, tant à l'égard des auteurs principaux qu'à l'égard de ceux qui les auront sciemment et matériellement aidés dans la perpétration de ces crimes ou qui auront fourni les instructions, les instruments ou autres moyens matériels destinés à les commettre, sachant qu'ils devaient y servir, ou qui, par dons, promesses ou menaces, y auront directement provoqué.

« Par exception à l'interdiction mentionnée dans le paragraphe premier de l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833, le gouvernement est autorisé à consentir à l'extradition, dans le cas où il serait reconnu, après avoir pris sur ce point l'avis de la chambre des mises en accusation, que le fait connexe à un délit politique doit, à raison de son caractère et de sa gravité, être considéré comme un crime ordinaire, et sous la condition que ceux dont l'extradition est demandée ne seront poursuivis ou punis pour aucun délit politique.

« M. Bricoult, J. Guillery, Aug. Couvreur, G.-J. Funck, G. Hagemans, Ad. Le Hardy de Beaulieu. »

M. Teschµ. - Il est indispensable que cet amendement soit imprimé et distribué. S'il touche soit à la législation actuelle, soit à des traités, nous devons pouvoir examiner ce que nous avons à faire dans l'un ou l'autre de ces deux hypothèses.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le gouvernement doit examiner l'amendement de l'honorable M. Guillery. Beaucoup de membres de cette Chambre n'ont pas assisté à la discussion de la loi de 1856. Le gouvernement n'a pas proposé de modification à cette loi ; il en a dît le motif,

M. Wasseige. - Messieurs, il me semble que l'amendement est d'une telle importance qu'il ne sera pas même possible de le discuter demain ; quand l'amendement sera imprimé et distribué, il faut que nous ayons le temps d'examiner. Je demanderai qu'on remette la discussion de l'amendement à mardi.

Ordre des travaux de la chambre

M. Wasseige. - Il y a encore une autre raison à l'appui de la proposition que j'ai l'honneur de faire. Le rapport de la section centrale, quant à la fixation du contingent, n'est pas encore imprimé ; il ne sera peut-être distribué demain qu'après que la plupart des membres de la Chambre auront regagné leurs provinces. Il me paraît parfaitement juste qu'on leur laisse la journée de mardi pour examiner ce rapport. Je demande donc qu'on remette à mardi la discussion de l'amendement.

M. le président. - Le rapport sur le contingent sera remis demain à la section centrale dans la matinée ; l'impression pourra en avoir lieu immédiatement, de manière que le rapport sera très vraisemblablement distribué dans la soirée de demain, de bonne heure.

Le rapport pourra être expédié en province.

M. Wasseige. - Messieurs, d'après ce que vient de dire l'honorable président, le rapport ne sera distribué que demain au soir, c'est-à-dire qu'après que beaucoup de membres de la Chambre auront quitté Bruxelles, puisque les séances du samedi commencent à une heure pour finir à quatre. Nous n'aurons donc que la journée de mardi pour examiner le rapport.

Si je vous proposais d'interrompre vos séances, vous pourriez ne pas vouloir de cette proposition ; mais il n'en est pas ainsi ; demain samedi nous pourrons nous occuper de feuilletons de pétitions et de feuilletons de naturalisations qui absorberont toute la séance ; pourquoi donc ne pas fixer à mardi la discussion de l'amendement de l'honorable M. Guillery, amendement que M. le ministre de la justice déclare être tellement grave qu'il demande à pouvoir l'examiner sérieusement ? Nous reprendrions mercredi la discussion des lois militaires.

MiPµ. - Il me paraît que l'honorable M. Wasseige allègue des motifs qui réellement ne sont pas sérieux, pour interrompre la discussion que nous avons entamée aujourd'hui. Il dit, par exemple, que le rapport sur le projet de loi relatif au contingent ne devant être distribué que demain soir, il est impossible aux membres qui quittent demain Bruxelles de l'avoir avant mardi, parce qu'il arrivera à leur domicile de Bruxelles après leur départ. Il y a un moyen très simple de l'avoir, c'est de s'adresser au greffe en demandant que ce rapport soit envoyé directement en province. Il y a un autre moyen, c'est que les membres qui partent chargent les personnes qui habitent leur domicile de Bruxelles de transmettre le rapport en province. Ce n'est pas plus difficile que cela.

Il me paraît qu'il serait regrettable d'interrompre une discussion comme celle-ci, que nous pouvons terminer demain, pour la reprendre mardi et peut-être alors la continuer assez longtemps.

Messieurs, cela peut avoir des conséquences regrettables. Si nous ne commencions pas mardi la discussion de la loi du contingent et des autres projets militaires, nous pourrions être amenés à enjamber sur la semaine suivante. Or, ayant la semaine prochaine entière, on pourra arriver à terminer cette discussion qui nous occupe depuis si longtemps.

Quant aux petits projets dont parle l'honorable M. Wasseige, s'ils renfermaient quelque chose d'urgent, il vaudrait mieux s'en occuper mardi qu'interrompre la discussion qui est entamée.

M. Wasseige. - Vous venez de reconnaître vous-mêmes qu'il était important d'examiner l'amendement qui vient d'être présenté.

MiPµ. - Un amendement surgit, cet amendement peut-être assez important pour qu'on ne le discute pas à l'instant et que l'on ait quelques heures de réflexion. Mais je crois que cette question n'est pas tellement complexe et tellement vaste pour que d'ici à demain l'on ne puisse s'en rendre compte et émettre un vote en parfaite connaissance de cause. Il ne faut pas exagérer les difficultés. Il n'est pas dans les usages de la Chambre, pour un simple amendement à une loi judiciaire, d'interrompre complètement une discussion.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai qu'un mot à ajouter : c'est qu'il n'y a plus de discussion possible sur les derniers articles de la loi. Il ne reste plus que l'amendement de l'honorable M. Guillery, et je crois que, si la séance de demain y est consacrée, elle suffira et la loi pourra être votée. Je n'ai pas dit que l'on ne pouvait pas se prononcer demain. J'ai demandé que, vu l'importance de la question, l'amendement fût imprimé.

M. le président. - La Chambre entend-elle passer à l'examen des autres articles du projet ?

- Des membres. - Oui ! oui !

Articles 8 et 9

« Art. 8. L'extradition ne peut avoir lieu si, depuis le fait imputé, les poursuites ou la condamnation, la prescription de l'action ou de la peine est acquise d'après les lois de la Belgique. »

- Adopté.


« Art. 9. Les articles 2 et 3 de la loi du 30 décembre 1836 sur la répression des crimes et des délits commis par des Belges à l'étranger, sont applicables aux infractions prévues par l'article premier de la présente loi. »

- Adopté.

Article 10

« Art. 10. Ils sont également applicables aux infractions en matière forestière, rurale et de pêche. »

M. Kervyn de Lettenhove. - Il est bien, entendu je pense, qu'en matière forestière, rurale et de pêche, il n'y a pas lieu à extradition ; je me demande dès lors comment cela figure dans une loi sur les extraditions.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'article 10 dérive du même principe que l'article 9. Les articles 2 et 3 de la loi du 30 décembre 1836 sur les crimes et délits commis par des Belges à l'étranger sont applicables aux infractions prévues par l'article premier de la présente loi. On ajoute qu'ils sont également applicables aux infractions en matière forestière, rurale et de pêche.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je comprends parfaitement l'article 9, parce qu'il y s'agit de crimes et de délits, par conséquent de matières qui peuvent donner lieu à extradition, Mais je ne puis (page 784) m'expliquer comment on ajoute, à l'article 10, une disposition complètement étrangère à la matière dont nous nous occupons.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Dans l'article 9, il ne s'agit pas non plus d'extraditions. Mais la loi de 1836, portant que les Belges qui commettent des crimes ou des délits à l'étranger pourront être poursuivis en Belgique, nous disons, à l'article 10, qu'il en sera de même en matière forestière, rurale et de pêche.

Il s'agit de compléter la loi de 1836, à l'exemple de ce qui s'est fait en France en 1866.

Les Français qui commettent des délits ruraux ou de pêche à l'étranger peuvent être poursuivis en France.

Cette mesure est utile. En effet, qu'arrivait-il aux frontières ? Un particulier pouvait aller, sur le territoire voisin, dévaster des récoltes, couper des arbres et puis rentrer tranquillement dans son pays ; on ne pouvait pas le poursuivre.

La France a donné l'exemple. Elle a une loi, et je crois que la disposition de l'article 10, vivement réclamée à la Chambre à diverses reprises, sera approuvée par vous.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je n'insiste pas.

- L'article est adopté.

Articles 11 et 12

« Art. 11. L'étranger qui, après avoir commis, hors le territoire du royaume, l'une des infractions prévues par l'article premier de la loi du 30 décembre 1856 et par les article premier et 10 de la présente loi, acquerra ou recouvrera la qualité de Belge, pourra, s'il se trouve en Belgique, y être poursuivi, jugé et puni conformément aux lois du royaume, dans les limites déterminées par ladite loi du 30 décembre 1836. »

- Adopté.


« Art. 12. La loi du 7 juillet 1865, relative aux étrangers, est en outre applicable à l'étranger résidant en Belgique qui a été poursuivi ou condamné en pays étranger pour l'une des infractions prévues par l'article premier de la présente loi. »

- Adopté.

Article 13

« Art. 13. Les lois des 1er octobre 1833 et 22 mars 1856 sont abrogées. »

M. le président. - La section centrale propose de rédiger ainsi cet article :

« La loi du 1er octobre 1833 est abrogée. »

M. Jacobsµ. - Je demande que la discussion sur cet article soit suspendue de même qu'elle l'a été sur l'article 7. Il est naturel que tout ce qui a rapport à la loi de 1856 soit réservé jusqu'à demain.

- L'examen de cet article est réservé.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.