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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 28 janvier 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 495) M. Snoy procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dethuin présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les secrétaires communaux de l'arrondissement d'Alost prient la Chambre de prendre les mesures nécessaires pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Scaevola propose d'imposer aux officiers supérieurs de l'armée jusqu'au grade de colonel inclusivement, le serment solennel de maintenir nos institutions et de ne jamais porter les armes contre elles, nonobstant des ordres supérieurs. »

- Même renvoi.


« Le sieur Elst se plaint que son fils Joseph, milicien de 1866, jugé par le conseil de milice temporairement incapable pour le service militaire, a été illégalement incorporé en 1867 comme milicien de la même année et demande qu'il soit pris des mesures pour régulariser l'état de son fils et lui accorder une indemnité. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Boussu demandent l'exécution de la loi sur les inhumations et la cessation du concours de l'armée aux cérémonies du culte. »

« Même demande d'habitants de Houdeng-Goegnies, Braine-le-Comte, Nimy, Elouges, Saint-Ghislain, Brugelette, Saint-Vaast, et, par deux pétitions, d'habitants de Mons, Quaregnon, Jemmapes. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal d'Antheit demandent la suppression des barrières sur la route de Huy à Tirlemont. »

« Même demande du conseil communal de Crehen, »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


«Le sieur Cornut demande que les employés de l'Etat soient exemptés du service militaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.


« Des habitants de Termonde présentent des observations relatives au projet de loi sur les protêts. »

-. Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Par deux pétitions, des habitants de Segelsem demandent le rejet du projet de loi relatif à l'augmentation du contingent de l'armée. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Des habitants de Herve demandent le rejet du projet de réorganisation militaire. »

« Même demande des sieurs De Cock, Gilliodts et autres membres de l'association constitutionnelle et conservatrice de l'arrondissement de Bruges, d'habitants de Bruges et, par deux pétitions, d'habitants de Segelsem. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires.


« Les membres de l'administration communale de Tamise prient la Chambre de rejeter l'ensemble du projet de loi sur la réorganisation de l'armée. »

- Même décision.


« Des habitants de Gand protestent contre les conclusions du discours prononcé par M. Hayez dans la séance du 22 janvier. »

- Même décision.


« Des habitants de Gulleghem demandent le rejet de toute augmentation de dépenses et charges militaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi relatifs au contingent et à la milice.


« Des habitants d'une commune non dénommée déclarent appuyer la pétition de l'association libérale constitutionnelle de Gand, en date du 30 décembre 1867, et demandent l'abolition de la conscription. »

- Même décision.


« Des habitants de Smeerhebbe-Vloerseghem demandent le rejet de toute augmentation des charges militaires et la révision des lois sur la milice. »

« Même demande d'habitants d'Herzele, Hofstade, Herdersem, Kerkaken, Meire, Erwetegem, Grootenberge, Oordegem, et, par deux pétitions d'habitants de Santbergen. »

- Même décision.


« Des habitants de Wuestwezel protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »

« Même demande d'habitants de Calmpthout. »

- Même décision.


« Des habitants de Lowaige demandent le rejet des propositions relatives à la réorganisation de l'armée et à l'augmentation des charges militaires et prient la Chambre, si elle se prononce pour une nouvelle organisation de l'armée, de porter son attention sur la suppression de la conscription. »

- Même décision.


« Des habitants de Russon demandent le rejet des nouvelles charges militaires, l'abolition de la conscription et l'organisation de la force publique d'après des principes qui permettent une large réduction du budget de la guerre. »

« Même demande d'habitants de Cheratte, Otrange, Xhendremal, Thimister, Charneux, Battice, Herve et du canton dc Fléron. »

- Même décision.


« Le sieur Eolé propose une modification à la loi sur le remplacement et la substitution militaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.


« Le sieur Eolé présente des observations sur la proposition de ne plus accepter pour remplaçants de miliciens les hommes mariés et les hommes au service. »

- Même décision.


« Le sieur Jean-Guillaume Salie, littérateur à Namur, né à Maestricht, demande de naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Galle. »

- Renvoi à la commission de naturalisation.


« M. L. Crombez et Liénart, retenus par des affaires urgentes, demandent un congé de quelques jours. »

« M. de Moor, indisposé, demande un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.


M. le président. - Messieurs, je vous propose de remettre à vendredi la continuation de l'examen du feuilleton de pétitions et d'aborder la suite de la discussion du projet de loi de réorganisation de l'armée. D'après la pratique de la Chambre, la séance du vendredi est spécialement consacrée aux rapports de pétitions.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi sur l’organisation de l’armée

Discussion générale

(page 496) M. Lelièvreµ. - M. le ministre ayant déposé divers amendements au projet de loi en discussion, je crois devoir appeler son attention sur la nécessité de ne pas perdre de vue les officiers du service de santé qui, ce semble, ne devraient pas être laissés dans une position très inférieure, alors qu'on favorise les officiers de l'intendance. Les études préliminaires exigées pour les officiers dont je parle justifient mon observation. J'engage donc M. le ministre de la guerre à examiner s'il ne convient pas de placer les officiers de santé dans une situation au moins équivalente à celle des officiers de l'intendance, et, s'il partage mon avis, je le prie de vouloir déposer, avant la clôture de la discussion générale, des amendements réglant cet objet d'une manière équitable.

M. Hagemansµ. - Avant d'aborder le sujet principal de mon discours et tout en priant M. le président de vouloir bien me réserver la parole, je voudrais adresser une question à M. le ministre de la guerre.

La discussion qui nous occupe peut encore durer assez longtemps. Il serait, en attendant, de l'intérêt des pères de famille, dont les fils vont être appelés à tirer au sort, de savoir si le gouvernement, dans le cas fort probable où la loi sur la réorganisation militaire sera adoptée, a l'intention de mettre en vigueur pour l'année 1868 l'augmentation du contingent et la loi sur le recrutement militaire.

MgRµ. - Le gouvernement examinera cette question. Nous ne pouvons la trancher immédiatement. Sur les 2,000 hommes que nous demandons en plus, il y en a 1,000 qui ne doivent servir que 7 mois. Il y a lieu d’introduire de ce chef une combinaison spéciale.

Dès que le gouvernement sera éclairé sur cette combinaison, je le ferai connaître.

M. Hagemansµ. - Il serait désirable que ce fût le plus tôt possible, car les pères de famille sont assez embarrassés.

M. le président. - Je dois faire remarquer que le gouvernement a annoncé de nouvelles propositions en ce qui concerne le contingent et le recrutement. Ces propositions n'ont pas encore été produites ; il n'y a donc pas jusqu'ici de projet de loi définitif sur ces objets.

M. Hagemansµ. - Messieurs, dès le début de la discussion sur la réorganisation militaire, il nous a été fort bien et fort savamment démontré par l'honorable M. Thonissen, et, après lui, par l'honorable M. Bouvier, que, malgré et à cause même des traités, la Belgique devait être en état de pouvoir se défendre ; c'est également mon avis, et je dirai avec mon honorable ami, M. Van Humbeeck, rapporteur de la section centrale, que notre devoir et notre dignité le commandent, que notre intérêt le conseille.

La lutte peut surgir : il faut que nous y soyons préparés. Il faut que notre indépendance, notre nationalité, notre liberté dont, à bon droit, nous sommes si fiers, que notre dynastie, à laquelle nous sommes si attachés, soient sauvegardées par des forces imposantes, capables de faire hésiter tout esprit d'envahissement.

Car je ne suis pas de ceux qui veulent la Belgique désarmée, je ne suis pas de ceux qui, par une économie mal entendue, veulent en faire une proie facile.

Nous ne sommes pas arrivés encore en effet à ce jour si désiré, où les peuples, comprenant enfin mieux leur intérêt, s'indignèrent, comme le disait M. Emile de Girardin, « de ces tueries qui font que le penseur se demande si l'homme qui se prétend civilisé n'est pas au-dessous de la bête fauve dans l'échelle de la création. »

Le règne de la destruction n'est pas encore fini, et il est encore des nations qui, au nom de la gloire, mèneront les hommes à la boucherie, qui feront la guerre par ambition. Mais autant je déteste cette guerre inique, cruelle, digne des temps barbares, autant je trouve grande, légitime, nécessaire, sublime même la guerre défensive : celle-là, il faut que nous soyons prêts à pouvoir la faire.

Car ce n'est pas celui qui est menacé qui peut donner le bel et grand exemple du désarmement ; ce n'est pas lui qui peut lever le premier le glorieux étendard de la paix.

Aussi plutôt que de laisser notre pays sans réelle défense, je préférerais sacrifier mes principes pour soutenir le gouvernement et voter le projet qui nous est soumis, car je ne veux pas détruire avant d'avoir édifié.

Mais ces idées, ces principes, ma conscience, mon patriotisme m'obligent à les exposer, un jour viendra où ces idées seront les idées de tout le monde ; un jour viendra où la soi-disant utopie d'aujourd'hui sera la vérité d'alors. Quel que soit donc le sort qui les attende maintenant, ces principes il est de mon devoir de les énoncer.

Je l'ai déjà déclaré dans cette Chambre ; je suis adversaire des armées permanentes ; je le suis surtout dans un petit pays comme le nôtre, qui peut être dans le cas de devoir se défendre, et qui le ferait, j'en ai la conviction, avec courage et énergie, comme il l'a fait en tous temps, mais qui ne peut songer ni à attaquer ni à envahir.

Or, il est une grande distinction à faire entre une organisation défensive et une organisation offensive, et je suis heureux de pouvoir, à ce propos, citer l'opinion d'un homme qui certes ne doit pas être suspect aux partisans des armées permanentes. Dernièrement le maréchal Niel disait lui-même au corps législatif de France que pour une organisation offensive il faut isoler l'armée de la nation, en faire un corps ayant ses traditions, sa force et qu'au contraire, lorsqu'il s'agit d'une organisation défensive, il faut étendre l'armée dans la nation, il faut alors qu'elle soit la nation elle-même.

Dans un pays comme le nôtre, je regarde une armée permanente comme un danger, comme une cause de ruine ; un danger, parce que nous ne pouvons avoir la prétention de réunir une armée permanente assez forte pour lutter contre l'envahisseur quoi qu'on en dise, et malgré la foi que j'ai en son courage et son énergie, malgré la confiance que j'ai dans la science des officiers qui la commandent, et cependant nous habituons la nation à compter entièrement sur cette armée, à se fier complètement à cette force ; une cause de ruine, parce que cette armée absorbe énormément de millions, aux dépens du commerce, de l'industrie, de l'agriculture.

Et ce n'est pas, je l'ai dit déjà, que je veuille faire des économies malentendues, du patriotisme à bon marché, mais c'est que beaucoup de ces millions on pourrait, selon moi, bien mieux les employer au développement moral et intellectuel du pays ; c'est si peu, je le répète, par esprit d'économie, que dût mon système coûter même plus cher que celui qui existe, je n'hésiterais pas devant cette dépense puisqu'elle payerait mieux notre sécurité.

Mais c'est une question sur laquelle je reviendrai. En attendant, je le répète, le danger existe surtout dans la confiance trompeuse où une armée permanente laisse la masse des citoyens. Je voudrais, moi, que la nation tout entière sache bien que c'est à elle surtout que la défense du pays est confiée ; je ne doute pas que la Belgique, au moment du danger, se lèverait forte et grande pour combattre l'ennemi avec ce même courage qui distinguait nos aïeux.

Mais si l'on ne veut pas que ce courage soit inutile, il faut que les citoyens aient appris à savoir se défendre, Aussi voudrais-je dans nos lois un article pareil à celui de la Constitution suisse, et disant : « Tout Belge est tenu au service militaire. » Je voudrais que chaque citoyen sache manier les armes et que ceux qui s'y refuseraient soient repoussés comme des citoyens indignes du nom de Belge.

L'honorable M. Thonissen invoquait l'autre jour l'histoire, pour nous prouver qu'un pays doit toujours être en état de se défendre, si, comme à Venise, en 1796, on ne veut s'entendre traiter de lâche. Qui/ me soit permis à moi aussi de dire que l'histoire nous prouve que ce sont les armées nationales qui ont fait la grandeur des nations, que ce sont les armées permanentes qui les ont conduites à leur perte. Si j'admire les citoyens-guerriers des Thermopyles et de Marathon, j'entrevois déjà dans les grandes conquêtes de Philippe et d'Alexandre le désastre futur de la Grèce,

Je vois Rome républicaine forte et grande par ses citoyens armés ; je vois la Rome des Césars marcher à sa décadence à la suite de ses armées devenues permanentes.

Et qu'on ne me reproche pas d'aller chercher mes exemples trop loin : l'illustre Mirabeau ne disait-il pas : « Consultons avec confiance l’histoire romaine, cette source inépuisable de leçons politiques pour toutes les Constitutions. »

Au moyen âge, je vois des troupes soldées, les mercenaires opprimer le peuple, tandis que nos milices bourgeoises, véritables armées nationales, défendaient vaillamment la liberté de la commune.

Je vois les armées permanentes se constituer de plus en plus et la liberté de plus en plus enchaînée. Ce sont des citoyens s'armant contre le vieux monde qui la délivrent et qui, avec la grande révolution si calomniée à cause de ses abus, ouvrent une ère nouvelle ; ce sont encore des citoyens armés, personne de nous ne l'oublie, qui font la Belgique de 1830.

Et partout et à quelque époque que nous nous transportions, dans (page 497) l'histoire ancienne comme dans l'histoire moderne, toujours il en est ainsi, toujours nous voyons les citoyens ne devoir leur liberté qu'à eux-mêmes ; c'est à eux qu'il faut s'adresser aussi pour la défendre.

Et c'est à eux que je voudrais que l'on s'adressât. Les nombreuses pétitions venues de toute part nous prouvent d'ailleurs que les Belges comprennent leur devoir et qu'au moment du danger nous retrouverions les héros de 1830.

Je l'avoue, cependant, la réforme que je voudrais, il est impossible de la réaliser brusquement. Cette réforme radicale qui a surtout pour but l'abolition de la conscription, cet inique impôt du sang, ne peut s'effectuer du jour au lendemain. Cela ne s'improvise pas. Mais on y arrivera avec le temps, nécessairement, fatalement, par la loi du progrès qui nous amènera aussi l'abolition de la peine de mort et de bien d'autres abus que, malgré sa bonne volonté, le gouvernement n'a pu détruire encore. Qu'on s'y prépare donc, qu'on songe sérieusement à une réorganisation vraiment nationale, que dès à présent, on se mette à l'œuvre, pour que le moment venu, lorsque les armées auront fait leur temps, ce qui arrivera, je n'en puis douter, nous ayons à mettre à leur place une défense vraiment nationale composée de citoyens capables de défendre leur pays, puisque c'est leur devoir, leur intérêt.

Ce que je demande d'ailleurs n'est pas nouveau ; le système que je voudrais voir se réaliser existe déjà. Voyez ce qui se passe en Suisse.

La Suisse avec 2,400,000 habitants a une armée aguerrie de 200,000 hommes, sans compter la réserve (landsturm) qui est de 150,000 hommes.. Et cette armée ne coûte à la fédération que 9,580,000 fr.

Cette armée se divise en trois bans, composés de 89,000 hommes d'élite de l’âge de vingt à trente-quatre ans, d'une réserve de 45,000 hommes de l'âge de trente-quatre à quarante ans, et d'une landwehr de 75,000 hommes de quarante à quarante-quatre ans, plus la landsturm.

En adoptant le système suisse, la Belgique, qui a une population double, pourrait donc avoir 400,000 hommes, sans compter la réserve. Et cette armée ne lui coûterait pas 20 millions par an.

Ce serait donc un redoutable accroissement de défense d'une part, une économie d'argent de l'autre, et personne ne se plaindrait, puisqu'il y aurait égalité pour tous.

Ce système permettrait de mettre sur pied un nombre de défenseurs dévoués assez considérable pour lutter contre l'envahisseur, bien mieux pour l'empêcher même de songer à nous envahir, sans que pour cela nous ayons besoin de citadelles qui coûtent cher. Faites-en plutôt des entrepôts, des arsenaux, sans que nous ayons à craindre un blocus qui nous ruinerait, sans que nous ayons surtout besoin de compter sur des secours étrangers, secours toujours aléatoires.

Pour arriver à ce résultat, nous n'aurions qu'à faire ce que fait la Suisse, décréter que tout citoyen est tenu de défendre sa patrie.

On va se récrier : je me hâte de dire qu'il n'y a rien de bien terrible, ni de bien attentatoire à la liberté dans cette proposition.

La Suisse est loin de se plaindre. J'y étais, il y a quelques jours, j'interrogeais et je voyais tout le monde d'accord pour approuver un système qui ne pèse à personne, et qui a sauvé la Suisse dans des moments bien difficiles.

Le service militaire y est obligatoire, il est vrai, pour tous les citoyens dès l'âge de 20 ans jusqu'à l'âge de 44 ans révolus. Mais sur ces 24 années, le service effectif, en temps de paix, n'est que de 100 à 110 jours pour l'infanterie, de 160 à 170 jours pour les armes spéciales.

Or, en Belgique, M. le ministre de la guerre demande un service effectif de 29 mois aux malheureux que le sort, cette injuste loterie, a désignés ou que la nécessité a obligés de se vendre comme remplaçants :

En Suisse, l'armée nationale est instruite, forte, active ; en Belgique, il faut bien l'avouer, la garde civique est tombée fort en discrédit, pour ne pas dire plus. Pourquoi ? Parce qu'elle est mal organisée, parce qu'elle n'est pas sérieuse, parce qu'elle est presque tournée en ridicule. Un honorable membre ne proposait-il pas encore l'autre jour, dans cette Chambre, de la charger des approvisionnements, comme si elle n'était bonne qu'à cela. La garde civique sent bien que la défense nationale ne lui est nullement confiée. Mais de quoi ne serait-elle pas capable si cette défense, on la remettait entre ses mains au lieu de la confier à de malheureux travailleurs arrachés malgré eux à leur famille, à leurs travaux, à leurs champs, masse d'hommes improductifs qui coûtent fort cher au pays au lieu de rapporter : double perte !

Et dire que c'est au moment où la famine sévit partout, au moment où le typhus de la faim, comme disent les journaux allemands, se propage rapidement par toute l'Europe, que c'est à ce moment-là que partout on augmente les armements, comme si, en augmentant le nombre des baïonnettes, on ne diminuait pas celui des bêches et des faux, pour me servir de l'expression d'un économiste distingué.

Et si j'insiste sur ce point, messieurs, c'est que, tout en prenant la cause de la Belgique entière, je défends surtout celle de l'arrondissement que j'ai l’honneur de représenter ici, principalement du canton auquel j'appartiens, canton riche et fertile, mais auquel l'armée prend des bras, déjà trop rares et indispensables à sa richesse.

Rendez-nous ces bras et, au moment du danger, vous les retrouverez pour défendre la patrie.

Car ne craignez pas que l'homme habitué à travailler tous les jours pour nourrir sa femme et ses enfants ne soit prêt, à un moment donné, à les défendre. Ouvriers et patrons sauront, soyez-en assurés, se dévouer au salut de la patrie, car cette patrie, on l'aime surtout quand on est attaché à son sol par de puissantes racines, par ses intérêts, par ses affections, par toutes les fibres de l'intelligence et du cœur. Au lieu de dépenser des millions pour l'armée, ce terrible minotaure qui nous prend nos fils et notre argent, dépensez-les à l'instruction publique ; apprenez à tous à connaître et à apprécier nos libertés, à chérir notre sol, notre indépendance. Et alors si l'envahisseur se présente pour prendre toutes ces choses aimées, tous diront comme Léonidas : Venez-les prendre. Nous vous attendons !

Consacrons à l'instruction publique nos ressources et nos efforts, car les nations instruites qui connaissent et apprécient leurs droits, connaissent mieux aussi leur devoir. Ces nations-là, on peut les écraser peut-être, les soumettre jamais !

Je terminerai en disant : S'il nous faut, en attendant mieux, une armée permanente considérable, soit, ayons-la, si cher qu'elle dût coûter, car la défense du pays, sa sécurité avant tout. Mais préparons la défense de l'avenir en la confiant à la nation tout entière. Ce sera notre meilleur rempart.

M. Vleminckxµ. - Messieurs, je vous disais l'an dernier, lors de la discussion du budget de la guerre, que je ne suis pas de ceux qui pensent que la Belgique peut se passer d'une armée parfaitement organisée et bien disciplinée : j'ai toujours été d'avis, au contraire, que l'Europe armée (et elle n'a pas cessé de l'être depuis notre régénération politique et il est probable qu'elle ne désarmera pas de sitôt), j'ai toujours été d'avis, dis-je, que l'Europe armée est en droit d'attendre de nous que, toujours et en toute occurrence, nous soyons en mesure de défendre loyalement et résolument l'intégrité et l'inviolabilité de notre territoire. C'est la condition sine qua non de notre existence comme nation indépendante.

Cela vous a été démontré une fois de plus, au commencement de cette discussion par l'honorable M. Thonissen, si injustement maltraité depuis par la presse de son opinion.

C'est donc contraint et forcé (et je me sers à dessein de ces mots, pour bien faire comprendre que je n'aime pas plus qu'aucun de vous les armées permanentes, quoi qu'on ait pu dire de leur heureuse influence sur la civilisation), c'est donc contraint et forcé, dis-je, mais convaincu que je remplis un devoir auquel je ne puis me soustraire, que je voterai ce qui sera jugé nécessaire pour notre établissement militaire, mais bien décidé, d'autre part, à repousser énergiquement tout ce qui ne paraîtra pas indispensable.

Le difficile en cette matière, le difficile pour vous, messieurs, pour nous tous, c'est de savoir au juste où s'arrête le nécessaire, où commencent l'exagération et le superflu.

Je n'ai à cet égard aucun parti pris, je m'empresse de le déclarer ; j'ai des convictions bien arrêtées sur certains points ; sur d'autres, j'ai des doutes sérieux ; ces doutes, je les exposerai loyalement tant dans la discussion générale que dans la discussion des articles, et mon vote sera subordonné aux éclaircissements que je recevrai, aux lumières qui jailliront de nos débats.

Voici tout d'abord un point important qui reste entouré pour moi d'obscurité et sur lequel j'attire toute votre attention.

Le gouvernement, d'accord avec la commission mixte de 1866, vous demande une organisation de cadres pour 100,000 hommes. La section centrale accepte cette proposition.

Le chiffre de 100,000 n'est pas nouveau : il a fait sa première apparition officielle au sein de la commission mixte de 1851. 100,000, tel était le nombre de soldats que cette commission avait jugé nécessaire pour la défense nationale ; mais il convient de vous rappeler immédiatement où, comment et à quelle espèce de défense elle entendait les employer.

Deux systèmes s'y trouvaient en présence ; le premier, patronné par (page 498) le général Goblet, voulait la défense du pays, non pas exclusivement par les forteresses, comme le disait l'autre jour l'honorable ministre des finances, mais plus particulièrement par elles ; le second attribuait cette défense plus spécialement à une armée active ; c'était le système soutenu par tous les membres militaires de la commission, le général Goblet excepté.

Ce fut celui-ci qui l'emporta.

100,000 hommes furent demandés pour le rendre exécutable. De ces 100,000 quarante mille devaient servir à la garde des forteresses, 60,000 pour la formation de l'armée active.

La résistance immédiate à la frontière, la résistance à l'envahissement, tel était le but que poursuivait la commission de 1861 ; telle est encore, je pense, la mission qu'ont entendu attribuer à l'armée et la commission mixte de 1866, et le gouvernement qui nous a présenté son projet, et la section centrale dont nous discutons le rapport ; mais il est indispensable de vous le rappeler tout de suite, cette mission, l'armée ne pouvait l'accomplir, dans l'esprit de la commission de 1851, que moyennant deux conditions bien déterminées. Il fallait que nos troupes eussent, d'une part, devant elles, des appuis, des auxiliaires, des protections ; d'autre part, derrière elles, un camp retranché, non pas ce vaste camp qui fut décrété en 1859 et que, pour mon compte, je n'eusse jamais voté (ceci soit dit, bien entendu, sans vouloir blesser le moins du monde ceux de mes honorables collègues qui ont été d'un avis contraire) mais un camp plus modeste, plus restreint, celui-là même que le gouvernement avait présenté d'abord et que l'honorable général Renard est venu défendre si vaillamment, mais sans succès, dans cette enceinte.

Et pour vous démontrer, messieurs, que telle était bien l'intention de la commission de 1851, pour vous prouver qu'elle ne concevait la défense nationale, à l'aide d'une armée active, que moyennant cette double condition, il me suffira de vous lire des passages de discours qui ont été prononcés dans son sein, par ceux de ses membres dont l'opinion y a prévalu.

« Notre avis est, disait un honorable officier, que nous pouvons avoir une armée en campagne, en état de défendre l'entrée du territoire. Supposons l'agression venant de France... Il est sage d'admettre qu'elle nous attaquerait avec une armée plus nombreuse que la nôtre ; il y a donc nécessité pour nous de suppléer au nombre, et comme notre sol, de ce côté, n'offre pas d'obstacles matériels, il nous faut des forteresses, il en faut comme auxiliaires de l'armée, qui lui fourniront des appuis, des positions, des corps couvrants, lui permettant de manœuvrer avec assurance avec des troupes plus nombreuses, de faire des mouvements agressifs avec plus d'ensemble et de vigueur, de se former, de se rallier après un échec, d'habituer, dès les premiers jours, de jeunes soldats à voir l'ennemi. Il en faut à cette partie de la frontière qui est exposée à une attaque rapide, alors que notre armée, surprise à l'improviste, pourrait ne pas se trouver au moment même, en mesure, dans ses positions défensives.

« Les nombreuses communications permettront à l'ennemi de les tourner, mais n'est-ce pas déjà un grand avantage pour nous, que de l'obliger à des détours qui lui occasionnent une grande perte de leur temps, chose si précieuse à la guerre et qui l'exposent à des attaques dangereuses devant des troupes habilement commandées ?

« Trois forteresses sur cette frontière sont surtout importantes : ce sont Namur, Charleroi et Mons ; c'est sur la ligne qui les unit qu'est la direction presque certaine de l'ennemi ; c'est sur elle que se trouve notre position défensive. »

« Comme nous devons admettre, disait-il encore dans une autre séance que l'armée envahissante sera supérieure en nombre à la nôtre, il faut, si nous voulons lui opposer une résistance efficace, que nos troupes prennent une position défensive sur un champ d'opérations qui leur offre une protection assez grande pour suppléer à leur infériorité. Dans cette partie du pays (il s'agit de la frontière méridionale) les obstacles sont nuls ou insuffisants ; il faut donc que nous y possédions des forteresses. Sans leur secours, toute résistance immédiate à l'invasion ne peut être tentée ; s'il n'y en avait pas, il faudrait donc en construire pour éviter les conséquences déplorables d'un état militaire incapable de défendre l'entrée du pays. »

« Les idées émises par le préopinant, disait un autre officier, sont si conformes aux miennes, que je me serais dispensé de prendre la parole, s'il n'avait résolu quelques questions sous une forme dubitative et qui pour moi sont l'objet d'une conviction profonde. Ainsi, je partage en tous points son opinion sur les forteresses. »

« La défense passive par les places fortes, disait enfin un troisième, est une utopie.

« C'est donc au point de vue de la tactique qu'il importe de les considérer, et sous ce rapport je regarde l'existence de la plupart d'entre elles comme indispensable. Lorsque le moment sera venu, je m'efforcerai de démontrer que c'est par l'armée active qu'il importe de défendre le pays. Or, comment nos généraux pourraient-ils conduire une guerre défensive sérieuse et prolongée, sans le concours des places fortes ?

« Les forteresses n'ont pas seulement pour objet d'intercepter les communications ou d'intercepter des cours d'eau, ce sont des points d'appui tactiques, des points de manœuvre pour les armées nationales.

« ... Si les places fortes ne peuvent constituer seules la défense d'un pays, je les considère comme les auxiliaires obligés de tout système défensif.

« ... Comment empêcher un faible corps de venir rançonner les provinces momentanément placées en dehors des opérations, si l'on ne possède pas des lieux forts d'où partisans et populations puissent tirer au besoin aide et protection ?

« Il ne nous faut pas une armée organisée de manière à devoir, à la première attaque, courir au plus vite s'enfermer dans un camp retranché, mais il faut qu'elle soit assez forte pour conduire, sous la protection des places fortes, une bonne guerre défensive. »

Et quel est le membre de la commission de 1851 qui tenait ce langage très sensé, selon moi, quel est l'officier qui soutenait si résolument que nos généraux seraient « incapables de conduire une guerre défensive sérieuse et prolongée, sans le concours de places fortes ? » C'est le général Renard, c'est l'honorable ministre de la guerre, dont nul, à coup sûr, ne songera à révoquer en doute, ni dans cette enceinte ni au dehors, les connaissances variées et la haute capacité.

Il n'y a donc pas moyen d'élever le moindre doute sur ce point. Pour la commission de 1851 décidant la défense nationale, principalement à l'aide d'une armée active, deux conditions étaient indispensables, des forteresses au sommet, un camp retranché à la base. »

1859 a modifié tout cela. On a fait disparaître alors une de ces deux conditions essentielles ; vous le savez, messieurs ; on a décidé alors la démolition des forteresses de notre frontière méridionale, les seules que nous eussions, à vrai dire.

On n'a pas manqué de faire observer alors que ces appuis, ces auxiliaires, ces forteresses disparaissant, on livrait le pays à l'invasion. Ceux d'entre vous, messieurs, qui faisaient à cette époque partie de la Chambre, se rappellent encore les élans d'indignation de l'honorable général Chazal, à cette observation toute simple et toute naturelle pourtant, « Je sais, disait-il, dans la séance du 18 août 1859, que la malveillance et l'ignorance ont fini par faire croire aux esprits superficiels que concentrer l'armée sur un point, c'est abandonner tous les autres, et les livrer sans défense à l'ennemi.

« Personne dans la commission, en votant l'établissement d'une grande position militaire, n'a cru que par ce fait, l'armée serait fatalement liée à son camp retranché, qu'elle perdrait toute liberté d'action, toute influence sur le reste du pays et qu'elle serait en un mot condamnée à une défense inerte sans gloire... Si la commission avait cru que le projet du gouvernement, basé sur la concentration, devait avoir un tel but, il n'est pas un de ses membres qui l'eût adopté, et soyez sûrs, messieurs, que ce ne serait pas moi qui serais venu le présenter et le défendre dans, cette enceinte. »

Cela était très fier sans doute et digne à tous égards du caractère chevaleresque de l'honorable général, mais je regrette de devoir le dire, ce n'étaient que des mots, verba et voces. Assurément, il n'était pas bien difficile de venir affirmer devant vous, que le système, dit de concentration, ne livrerait pas le pays à l'invasion, mais ce qui l'était un peu plus, c'était de vous le prouver. Or, cette preuve ne vous a été fournie ni alors, ni depuis, ni jamais.

« Le meilleur moyen, disait l'illustre général Jomini, interrogé sur la question de savoir comment il faudrait attaquer un vaste camp retranché défendu par 100,000 hommes, le meilleur moyen, disait-il, serait d'attirer l'armée mobile en campagne, de manœuvrer de manière à la couper de sa base, de la détruire, et quand il n'y aurait plus d'armée d'enlever la place par une attaque de vive force ou par un siège en règle. »

Que faut-il conclure d'une pareille déclaration de principes émanant d'un homme aussi parfaitement autorisé ? C'est que, quoi qu'on vous ait dit en 1859, notre armée ne pourra guère s'écarter de sa base, de crainte d'en être coupée, et qu'elle ne se laissera ni attirer en campagne ni (page 499) détruire, au risque de tout compromettre, de tout perdre peut-être. On ne comprendrait pas, en effet, que nos généraux fussent assez mal avisés pour manœuvrer de telle sorte qu'ils ne pussent, en toute circonstance, ramener l'armée intacte et sans avoir subi de défaite, sous le canon de notre position d'Anvers. Ceux qui commettraient cette faute encourraient la plus grave des responsabilités ; mais ils ne la commettront pas, l'honorable M. Hayez peut en être assuré.

Eh ! mon Dieu ! cela n'est plus neuf, cela court les rues, cela a été dit de tout temps, et je le trouve encore exposé beaucoup mieux que je ne puis le faire moi-même, dans une brochure qui vient de nous être distribuée, émanant, dit-on, d'un officier supérieur, mais que je soupçonne bien être un officier général. Voici ce que j'y lis :

« En présence d'une armée de 100 à 150 mille hommes, une armée de 60 mille doit se montrer très sobre de mouvements, être rivée, pour ainsi dire, à son réduit. Le rôle que nous attribuerions à notre armée en campagne serait donc plus simple, sans être plus honorable. Nous lui conseillerions d'être toujours concentrée et de ne pas se hasarder dans des tentatives dont les résultats heureux ne compenseraient pas le danger, auquel ces tentatives pourraient l'exposer. Notre armée défendrait pied à pied le territoire sans se laisser entamer (c'est-à-dire en se retirant toujours) et sans se laisser induire à faire des détachements, et arrivée dans une position choisie où elle serait libre d'attirer à elle les forces disponibles de son camp retranché, (c'est-à-dire non loin de celui-ci), elle livrerait une bataille où elle montrerait d'autant plus de ténacité qu'elle se sentirait d'avance protégée contre les funestes conséquences d'une défaite. Nous disons donc, contrairement à l'avis de l'auteur de la brochure, que l'armée en campagne doit être invariablement liée à la position d'Anvers, et que si notre général pouvait se laisser entraîner à une manœuvre imprudente où cette condition première de son succès serait livrée au hasard, il encourrait la plus grave des responsabilités. »

C'est assez clair, ce me semble, mais c'est surtout du sens commun.

Qu'on cesse donc, une fois pour toutes, de nous faire croire qu'en détruisant nos appuis, nos auxiliaires des frontières, on n'a pas livré le pays à l'invasion.

Tout s'harmonisait dans le système de 1851, que patronnait en 1853 le ministère de mon honorable ami M. de Brouckere ; tout s'y tenait, tout s'y liait ; armée active, auxiliaires au sommet, camp retranché à la base, il n'y avait pas de lacune. Il y a une lacune immense dans le système de 1859. Nous avons bien encore un camp retranché, un immense camp, beaucoup trop grand, d'après moi ; mais notre armée ne trouvera plus nulle part, à notre frontière méridionale, des auxiliaires, des appuis, des protections. Tout a disparu, il n'en reste plus rien.

Dans ces conditions, j'ai le droit de demander à l'honorable ministre de la guerre comment on empêchera désormais l'invasion immédiate et le rançonnement d'une grande partie du pays, si vivement appréhendé par lui en 1851 ? Comment nos généraux de 1868 parviendront à exécuter ce que se déclaraient incapables de faire nos généraux de 1851, à savoir « conduire, sans le concours de places fortes, une guerre défensive sérieuse et prolongée ? » Est-ce que nos généraux de 1851 étaient des ignorants ou des insensés ?

Et s'il fallait vous donner une preuve de plus de l'importance de la lacune que je vous signale, je la trouverais dans la forteresse de Diest, qu'on ne songe pas à démolir apparemment, car je suppose que le gouvernement se gardera bien de suivre sur ce point les conseils de l'honorable M. de Maere, que je considère comme funestes.

Pourquoi donc ne la démolirait-on pas cette forteresse, et pourquoi ne doit-on pas la démolir ? Mais parce qu'elle doit servir d'appui, de protection, d'auxiliaire à nos troupes qui peuvent avoir à opérer, soit du côté de l'Est, soit du côté du Nord. Si tel, en effet, n'est pas le rôle véritable, le seul rôle de ce réduit, pourquoi ne le démantèle-t-on pas, comme on a démantelé les réduits de notre frontière méridionale ?

Cette lacune, je prie l'honorable ministre de la guerre de nous dire comment il entend la réparer ? Quels sont les auxiliaires qu'il projette de créer et de substituer aux auxiliaires démolis et reconnus indispensables en 1851 ?

Et si cette réparation est impossible, si la résistance immédiate à la frontière dans les conditions nouvelles qui nous sont faites, est irréalisable, si c'est à Anvers et sous Anvers seulement qu'une résistance sérieuse peut être tentée efficacement, qu'il veuille bien établir alors la nécessité absolue d'une armée active de 60,000 hommes. Il faut, pour le succès des propositions du gouvernement, que la lumière se fasse sur ce point. Il y a en Belgique une foule de bons citoyens, nullement malveillants quoi qu'on ait pu dire en 1859, qui ne sont pas du tout convaincus que cette armée ne peut pas être réduite à des proportions plus restreintes.

Et lorsqu'ici même nous soutenions naguère que la stratégie inaugurée en 1859 devait avoir pour résultat une modification dans notre établissement militaire, je ne crains pas de dire que c'est à cette réduction que nous faisions tout particulièrement allusion.

Ne perdons pas de vue, messieurs, que c'est surtout l'armée active avec ses impérieuses nécessités, ses nombreux besoins, qui pèse le plus lourdement sur nos budgets de la guerre et sur nos contingents ; ne perdons pas de vue non plus que la réduction des uns et des autres doit être l'objet de nos constantes préoccupations.

Je sollicite donc que le gouvernement nous démontre que sans le concours des auxiliaires détruits, et, je ne saurais assez le répéter, déclarés, indispensables en 1851, notre armée active pourra encore remplir efficacement sa mission de résistance immédiate à la frontière, de résistance immédiate à l'invasion. Que si elle ne le peut plus, que si elle doit être étroitement fixée à son réduit, qu'on nous établisse la nécessité absolue d'une armée de campagne de 60,000 hommes. Si cette preuve est faite, ce n'est pas moi qui refuserai les moyens, car tout, tout plutôt que l'invasion et l'étranger ; mais il faut que le doute et l'incertitude disparaissent ; il faut que les malveillants de 1859 (et j'en étais) soient convaincus ; c'est à cette condition, et à cette condition seulement que le pays supportera avec une patriotique résignation les nouveaux sacrifices qui leur sont demandés et qui doivent servir à protéger son honneur et à assurer sa sécurité.

M. Nothomb. - Messieurs, je ferai remarquer que les renseignements que j'ai demandés il y a huit jours ne nous ont pas encore été fournis ; la Chambre s'est associée au vœu que j'avais exprimé et le gouvernement s'est formellement engagé à nous communiquer ces renseignements, qui nous sont plus nécessaires que jamais.

MfFOµ. - Je dépose sur le bureau les documents dont parle l'honorable préopinant.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances du dépôt de ces documents.

Ils seront imprimés immédiatement et distribués aux membres de la Chambre.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'avais l'intention de faire la même observation qu'a présentée tout à l'heure l'honorable M. Nothomb. Les documents dont il s'agit viennent d'être déposés ; mais ils doivent être imprimés. Dès que j'aurais pu en prendre connaissance, je demanderai la parole dans la discussion générale.

MgRµ. - Messieurs, j'ai l’intention de répondre, dans une autre séance, au discours que vient de prononcer l'honorable M. Vleminckx. Je demande à présenter ici aujourd'hui quelques observations sur les discours que vous avez entendus dans les séances précédentes.

J'aurais pu ouvrir la discussion en exposant le système de défense de la Belgique et l'organisation de l'armée ; mais la commission mixte de 1866, les rapports si remarquables de l'honorable M. Van Humbeeck et le beau et courageux discours de l'honorable M. Thonissce ont beaucoup éclairci ces questions.

Je ne les aurais certainement pas mieux exposées et je n'aurais pas pu dire aussi bien,

L'honorable M. Thonissen a traité la question de la neutralité à un point de vue très élevé ; il vous a rappelé les fâcheuses conséquences de la neutralité complètement désarmée du pays de Liège et de la neutralité non défendue de la république de Venise.

Il n'a pas complété le tableau, il eût dû vous dire, messieurs, qu'à Liège comme à Venise le peuple, furieux des spoliations dont il avait été l'objet, et de la conduite pusillanime de ses gouvernants, s'était révolutionné. A Liège, les 32 métiers renversèrent le gouvernement de l’évêque; à Venise, le peuple se souleva et livra la ville aux Français.

L'honorable M. Julliot a dit que Venise n'avait ni argent, ni canons. Il s'est trompé : Venise avait une armée et possédait une flotte nombreuse. Venise était entourée de ses lagunes ; ce qui lui procurait une force de résistance plus grande peut-être que celle d'Anvers.

Mais renfermés dans ce lieu de refuge inexpugnable, les oligarques dégénérés avaient contemplé stoïquement l'invasion ; c'est ce que le peuple ne leur a pas pardonné, La France ou plutôt le général français, jusqu'au dernier moment, s'était plu à amuser le sénat de Venise, Ainsi, le 24 mars 1797, au moment où il allait marcher vers l'Autriche, il écrivait : « Le directoire exécutif n'oublie pas que la république de Venise est l'ancienne alliée de la France, et nous avons un désir bien formé de la protéger de tout notre pouvoir. »

Moins de quinze jours après, on signait la convention de Judenbourg, et le 18 avril les préliminaires de Léoben. Or, dans les préliminaires, l'Autriche et la France se partageaient tout simplement les Etats de Venise qui avaient souffert tout le poids de l'invasion sans se défendre. La paix se faisait à leurs dépens.

Voilà ce que je voulais ajouter au discours de l'honorable M. Thonissen, pour vous faire voir où conduit une neutralité désarmée.

L'honorable M. Julliot a parlé de l'armée comme s'il s'agissait véritablement de la réorganiser. Tel n'est pas le cas, messieurs ; il n'y aura rien de changé dans l'organisation proprement dite de l'armée. Cette organisation sera améliorée et mise en rapport avec les faits nouveaux qui sont présents à votre mémoire ; mais elle restera basée sur les principes adoptés par la grande commission mixte de 1851.

Cette commission s'était posé la question suivante :

La neutralité de la Belgique la garantit-elle suffisamment ?

Elle l'avait résolue négativement à l'unanimité. Elle s'était encore demandé : La Belgique doit-elle avoir un état militaire ? et elle avait répondu oui à l'unanimité.

La commission avait fixé le chiffre de l'armée à 100,000 hommes, dont 60,000 en campagne et 40,000 de réserve et d'armes techniques pour la défense des places.

C'est, messieurs, ce qu'on vous présente encore. Rien n'a été changé. Ce qu'on a demandé en 1853 reste entier. Il n'y a pas un homme, pas un canon, pas un cheval de plus.

Les changements introduits proviennent de plusieurs causes. En premier lieu, il s'agit de combler le déficit que les défectuosités de la loi sur la milice amènent dans le contingent.

Nous sommes loin de pouvoir atteindre le chiffre organique de 100,000 hommes. On avait compté sur les volontaires pour combler les déficits des contingents ; mais cette ressource nous fait défaut, car le nombre des volontaires, qui était de 15 à 16 mille en 1853, est réduit aujourd'hui à 7 ou 8 mille.

La seconde cause, messieurs, réside dans les faits militaires qui se sont produits en 1866. C'est la guerre d'Allemagne qui nous a révélé ce que peuvent faire les armées organisées de manière à pouvoir entrer immédiatement en campagne, et quels revers attendaient celles qui ont besoin de temps pour passer du pied de paix au pied de guerre.

Voici ce que dit le général Moltke dans son histoire de la campagne de 1866 :

« Malgré tous les armements précédemment faits dans le Wurtemberg, la Bavière et la Hesse électorale, les Allemands du Sud eurent un ennemi encore à naître. On savait à quel point, de ce côté, on s'était peu préparé à la guerre pendant la paix. A leurs troupes, bonnes en elles-mêmes, il manquait une direction et une organisation uniques, par conséquent, il n'y avait là aucun élément de succès, et on pouvait compter qu'elles entreraient en action en retard et séparément : vis-à-vis d'elles, l'expédient le plus sûr était de leur donner de l'occupation dans leur propre pays, en prenant l'offensive. »

Mais ce qui se passait en Allemagne se passait aussi chez les autres puissances.

La France n'aurait pas pu mobiliser toute son armée ; elle s'applique depuis plus d'une année à remédier à ce grave inconvénient.

En ce qui concerne l'Angleterre, voici un extrait du rapport d'une commission nommée par la reine pour établir la situation de l'armée anglaise.

« L'histoire militaire du pays, jusqu'à l'époque de la dernière guerre, prouve que notre habitude pendant la paix a toujours été de réduire notre établissement militaire au minimum compatible avec les exigences des colonies. Nos arsenaux avaient été dépouillés et on n'y confectionnait que les objets de première nécessité.

» En réalité, on peut dire que nous vivions du présent sans songer à l'avenir. On ne faisait aucun préparatif en prévision de l'état de guerre et par suite, quand le péril survenait, tout devait être confectionné précipitamment et à des taux exorbitants. On devait enrôler les hommes à la hâte et les envoyer au combat à moitié instruits ; fabriquer le matériel, organiser les transports, créer les ambulances. Jusqu'ici, et grâce au caractère lent des guerres, nous avons pu parer à notre nonchalance, et, par de grandes dépenses d'argent et des efforts gigantesques, échapper à ses effets désastreux.

« Mais des événements récents nous ont prouvé qu'à l'avenir nous ne pouvions plus compter sur le temps. Les guerres seront soudaines, leur durée sera courte, et malheur à la nation qui ne se trouvera pas préparée à faire face aux événements et aux combinaisons qu'on pourrait former contre elle.

« Le premier devoir de ceux qui président aux destinées de l'armée est de veiller à sa constitution. »

Eh bien, messieurs, voilà les faits dont parle l'Angleterre, les faits dont parle le général Moltke, relativement à l'Allemagne du Sud. Ce sont ces faits qui ont engagé le gouvernement à vous demander des compléments de cadre, et une constitution qui permettra à l'armée d'entre immédiatement en action. Il n'y a du reste pas de changement dans l'organisation de l'armée ; à l'exception de l'artillerie de siège nécessaire pour la défense de la grande position d'Anvers, on ne crée rien ; il n'y a pas un bataillon, un escadron, une pièce de plus. Ce n'est donc pas une réorganisation,

On a représenté l'organisation proposée comme devant être pour le pays une charge accablante. A ce sujet, je comparerai d'abord les contingents de milice des diverses nations de l'Europe. Quant aux dépenses je ne veux pas les rapprocher de celles desg randes nations comme la France, l'Autriche, l'Angleterre, la Prusse ; je me bornerai à mettre la Belgique en parallèle avec deux nations secondaires comme la nôtre : la Hollande et la Bavière.

Je puiserai mes renseignements dans les documents réunis au bureau de statistique et d'histoire du département de la guerre.

Prenant pour base le contingent de 12,000 hommes, on incorpore en Belgique 1 homme sur 415 habitants. Or, en Autriche on prend 1 homme sur 381 habitants, en France 1 sur 375, en Danemark 1 sur 350, en Bavière 1 sur 320, en Hollande 1 sur 317, en Italie 1 sur 242, en Suède 1 sur 202 et en Prusse 1 sur 320.

Ainsi donc, vous voyez, messieurs, que notre contingent de 12,000 hommes est proportionnellement plus faible que les contingents des autres puissances.

(page 502) Les données suivantes nous permettront d'établir les rapports financiers :

La population de la Belgique est de 4,490,570 âmes, celle de la Bavière de 4,774,464 et celle de la Hollande de 3,529,108.

L'effectif de guerre est, en Belgique, de 100,000 hommes ; en Bavière de 118,000 hommes, en Hollande de 100,000 y compris 30,000 hommes de schutterij.

Notre budget, si la législature adopte les propositions qui lui sont soumises, s'élèvera à 36,642,000 francs ; il est en Bavière de 40,144,642 francs ; en Hollande de 30,072,200 francs pour l'armée de terre et de 32,670,773 francs pour la flotte, ce qui donne un total de 62,742,973 francs.

Par habitant la dépense est : en Belgique, de 7 fr. 46 c. ; en Bavière, de 8 fr. 40 c ; en Hollande, de 17 fr. 17 c.

Les revenus de l'Etat sont : en Belgique de 169,403,280 francs ; en Bavière de 116,551,492 francs ; en Hollande de 233,730,000 francs, y compris le revenu des Indes, et de 180,750,000 non compris ce revenu. Ce qui donne, comme part proportionnelle dans les dépenses militaires : pour la Belgique 21.75 p. c. de revenu ; pour la Bavière, 35.50 p. c ; pour la Hollande, 26.85 p. c. dans le premier cas et 34.71 p. c. dans le second cas.

Enfin, si l'on combine toutes ces données, on arrive aux résultats que voici : c'est que notre budget, comparé à celui de la Bavière, devrait être de 59,794,000 francs ; comparé à celui de la Hollande, il devrait être de 59 millions sans compter le revenu des Indes et de 45 millions, on tenant compte de ce revenu ; telle est, messieurs, la situation.

J'arrive, messieurs, à quelques-unes des observations de l'honorable M. de Maere, dont je regrette l'absence en ce moment.

L'honorable membre demande plusieurs choses ; d'abord la démolition des citadelles de Namur, de Liège et de la place de Diest.

Messieurs, ainsi que je le dirai plus tard en répondant à l'honorable M. Vleminckx, j'ai toujours été partisan de la conservation des places fortes.

La concentration de notre système de défense est passée en force de chose jugée.

Elle a obligé de démolir beaucoup de places fortes et alors même qu'il faudrait en démolir encore, les places citées par l'honorable M. de Maere devraient faire exception ; à mon avis, nous sommes obligés de les conserver.

La Meuse, messieurs, jouera un grand rôle si la guerre a lieu sur notre territoire ; soit que nous ayons à nous défendre seuls contre une invasion, soit que des puissances belligérantes choisissent notre pays comme champ de bataille, la Meuse, je le répète, exercera une grande influence sur les opérations et sera d'un puissant secours pour celui qui en sera maître.

C'est une question stratégique résolue depuis longtemps et sur laquelle je ne m'arrêterai pas ; il vous suffira, messieurs, pour en être persuadés, d'examiner la carte de la Belgique et de voir la situation des chemins de fer qui la sillonnent.

Vous constaterez que tous les chemins de fer qui relient la Belgique à l'Allemagne passent par Namur, Liège et Diest. Or, vous le savez, messieurs, les chemins de fer sont aujourd'hui le principal moyen de communication des armées ; ils constituent de véritables lignes stratégiques, surtout lorsqu'ils aboutissent à un fleuve.

Il est donc de toute évidence que les forteresses de Namur, de Liège et de Diest ont une importance stratégique qu'on ne saurait méconnaître, ce ne sont pas des places capables de soutenir un long siège ; elles constituent ce qu'on appelle des places du moment qui nous permettront de rester maîtres, au début de la guerre, du réseau des chemins de fer et d'en disposer dans l'intérêt de nos opérations.

Ce sont des points d'une grande valeur sous ce rapport, et certes en ce qui me concerne, je ne consentirai jamais à leur destruction.

Du reste, vous vous rappelez la guerre de Bohême, et vous avez vu que c'est toujours dans la direction des chemins de fer que les opérations ont été conduites.

Les grandes puissances de l'Allemagne l'ont si bien compris que les railways les plus importants sont interceptés par des forteresses ou bien y aboutissent.

Il en est de même en France.

L'honorable M. de Maere a demandé la réforme de l'état-major. Cette réforme se trouve inscrite dans le projet d'organisation. A ce sujet, je prierai la Chambre de me permettre de donner quelques explications.

La constitution des cadres de l'état-major, telle qu'elle est proposée par le gouvernement, n'a pas été exclusivement faite en faveur des officiers de cette arme, mais bien en faveur de l'armée entière. A mes yeux l'état-major doit être l'émanation véritable de celle-ci.

Du reste, comme on a dit que c'était uniquement pour le corps d'état-major que le chef de ce corps et moi-même nous avions demandé sa réorganisation, il est bon de déclarer publiquement que mon honorable prédécesseur a soumis la question à une commission composée de huit membres, dans lesquels se trouvaient deux officiers d'état-major, trois officiers d'infanterie, un colonel de cavalerie, un lieutenant-colonel du génie et un lieutenant-colonel d'artillerie, et que cette commission a réclamé à l'unanimité les modifications qui sont aujourd'hui proposées.

La constitution de l'état-major se lie du reste à un projet très important, l'instruction générale de l'armée, et si je ne vous fatigue pas, messieurs, je vous demande d'en pouvoir dire quelques mots. (Parlez ! Parlez !)

L'honorable général Goethals, dès son arrivée au ministère, a immédiatement porté ses regards sur l'instruction de l'armée. Il avait sur ce point les idées les plus larges et les meilleures. Il les a soumises à une commission que j'ai eu l'honneur de présider et qui a formulé, pour leur mise en pratique un travail complet que l'honorable général Goethals a adopté et publié en partie.

Ce que je veux, pour ma part, est un rêve peut-être, mais au moins il est séduisant ; je désire que le milicien illettré, mais bien doué par la nature, puisse atteindre aux grades les plus élevés et y arriver avec les connaissances nécessaires pour les occuper dignement, Voici, messieurs, quels sont les moyens que nous comptons employer.

Vous savez d'abord que tout milicien illettré recevra l'instruction primaire. Après cela, il passera par l'école régimentaire, destinée à créer de bons sous-officiers ; à côté des écoles régimentaires nous plaçons des cours spéciaux qui le prépareront à entrer à l'école spéciale des sous-officiers. Les cours dureront une année et à leur sortie les candidats subiront un examen.

Les sous-officiers qui ne suivront pas ces cours renonceront par cela même à l'avancement ; car c'est seulement parmi les sous-officiers sortis de l'école spéciale des sous-officiers que l'on choisira les officiers.

Nous serons certains ainsi de ne faire arriver au grade de sous-lieutenant que des hommes possédant toutes les connaissances voulues pour leur emploi et dignes de passer à d'autres grades.

L'hiver, on tiendra des conférences sur des sujets d'actualité militaire ; tout ce qui se passera dans les armées étrangères en constituera le principal objectif.

Les officiers seront appelés à faire des mémoires, qui seront appréciés au département de la guerre.

Je compte récompenser les auteurs des bons mémoires en leur donnant une bourse de voyage pour aller étudier les progrès réalisés dans les armées des autres Etats.

Il y aura, en outre, dans les corps des cours spéciaux préparatoires pour les officiers qui aspirent à entrer à l'école de guerre. Semblable école existe en Prusse, en Autriche, chez toutes les petites puissances allemandes, et l'on se propose d'en créer une en France. Les officiers qui en sortiront avec un certificat d'aptitude pourront seuls entrer dans l'état-major. L'état-major sera donc composé d'officiers sortant des rangs de l'armée et ayant suivi pendant trois ans les cours de l'école de guerre ; mais je le déclare très hautement ici, en ce qui concerne la réorganisation de l'état-major, je n'aurai en vue que l'intérêt de l'armée ; mais, d'autre part, je saurai mettre un frein aux ambitions trop impatientes, et je veillerai avec le plus grand soin à ce qu'on ne froisse aucun droit acquis et à ce que les mesures à prendre ne lèsent aucun intérêt légitime.

Je crois, messieurs, qu'après de pareilles épreuves, nous pouvons espérer que notre armée ne le cédera à aucune autre en fait de connaissances.

L'honorable M. de Maere a parlé du temps de service : c'est une question qui peut être réservée, car elle fera l'objet d'une discussion spéciale.

L'honorable membre a demandé la révision des règlements, mais je puis rassurer la Chambre à cet égard ; nos règlements sont bons ; il y aura peut-être lieu d'y introduire quelques modifications par suite des changements que le perfectionnement des armes à feu introduira dans la tactique. Cet objet ne sera pas perdu de vue.

(page 503) Nous avons eu l'année dernière des officiers étrangers dans nos camps ; ils ont vu ce que nous faisons et ils l'ont loué ; j'ai examiné depuis lors les nouveaux règlements des armées étrangères et je puis certifier que je n'y ai rien trouvé de mieux que ce que nous faisions avant l'apparition de ces règlements.

L'honorable M. de Maere a enfin demandé la suppression des petites garnisons.

Au point de vue militaire, cette suppression est désirable ; mais au point de vue politique, on doit reconnaître que la question est délicate et que sa solution ne dépend pas uniquement du département de la guerre.

J'arrive maintenant au discours de l'honorable M. Hayez.

L'honorable colonel veut qu'on réduise notre état militaire. Il ne veut pas de 60,000 hommes, mais de 30,000 seulement.

Ce qui l'effraye surtout, c'est la force de l'armée elle-même. Si l'armée est forte, dit-il, elle voudra se battre et elle sera battue. Par conséquent, il faut lui ôter l'envie de se battre, et pour cela réduisons-la de moitié.

M. Bouvierµ. - Singulière logique !

MgRµ. - En ce qui concerne l'armée actuelle, il suppose trois cas.

Le premier, c'est la bataille en pleine campagne dès le début des hostilités.

Les débris de l'armée se retirent à Anvers, mais, avant qu'elle se soit aguerrie de nouveau, les événements seront accomplis et quel que soit le vainqueur qu'avons-nous à attendre de lui ? Rien de bon. L'honorable membre n'a aucune foi dans la probité, lorsqu'il s'agit de politique ; elle ne prend que l'intérêt pour guide.

Ainsi dans le premier cas, nous nous battons, nous sommes battus, nous nous retirons à Anvers, mais la nationalité est compromise.

Il y a un motif pour lequel l'honorable M. Hayez ne veut pas une armée forte : c'est la tentation que nous aurions de nous joindre à une autre armée. C'est le second cas.

« Or le généralissime étranger sous les ordres duquel elle se placera la fractionnera sans doute pour en disperser les parties dans les divisions alliées. Nos troupes cesseront d'être nationales. Nos soldats prendront en pitié notre neutralité et s'éprendront de l'amour de la gloire. »

Ici encore cette conduite de notre part ne saurait nous sauver. « Nous devons craindre que la paix ne se rétablisse à nos dépens. »

Ainsi, messieurs, soit que nous nous retirions à Anvers après une défaite sans prendre parti pour personne, soit que nous prenions parti pour quelqu'un, tout porte à croire que nous sommes perdus.

Il y a un troisième cas pour l'armée de 100,000 hommes. C'est que cette armée tout entière se retire immédiatement sur Anvers et s'y renferme.

Si elle n'est pas assiégée, elle fera des excursions fréquentes contre les deux adversaires guerroyant en Belgique, mais elle ne pourra prendre parti ici ni pour l'un ni pour l'autre.

Sauvons-nous ainsi notre pays ? Non. L'honorable membre pense qu'il est permis de douter que, la paix rétablie, on nous laissera ce que nous étions avant la guerre, car aucune de ces hypothèses ne nous sauve.

Mais, avec une armée réduite à 30,000 hommes, l'honorable colonel Hayez ne prévoit point ce malheur.

Ce que l'armée de 100,000 hommes ne saurait accomplir, celle de 30,000 l'effectuera. Elle se retire, dit-il, pas à pas vers l'armée de secours, et elle y est bien obligée puisque l'honorable M. Hayez demande la démolition des fortifications d'Anvers.

Et pourtant dans ce cas encore l'honorable colonel n'a aucune confiance dans le résultat. Après la lutte notre pays encore court le risque de ne plus exister comme nation, puisque aucune combinaison ne peut nous être favorable.

Je crois que l'honorable colonel aurait été plus logique s'il avait demandé la suppression complète de l'armée, car enfin, si l'armée ne peut nous sauver dans aucun cas, pourquoi conserver un seul soldat ?

J'avoue franchement qu'entre ce système et celui de l'honorable M. Coomans, je ne puis hésiter.

Je trouve le registre d'inscription de l'honorable M. Coomans beaucoup plus logique.

Il y a, messieurs, dans le discours de l'honorable colonel Hayez, un point que je n'aborde qu'avec beaucoup d'hésitation ; il m'est pénible de rencontrer un argument fondé sur la nécessité de courber la tête dès l'instant que nous nous trouverons en présence d'un ennemi plus puissant que nous.

Je ne puis admettre comme évident que, réduits à notre propre force, nous devons nous résigner à courber la tête devant la nécessité, qu'il faut donc se garder de verser le sang des citoyens.

Cette nécessité ne peut exister pour un peuple libre. Malgré mes efforts pour éviter de passionner la discussion, je ne puis m'empêcher de demander ce que serait devenu le nom belge, si nos aïeux avaient pensé ainsi ? Il aurait depuis longtemps disparu.

Depuis le commencement de notre histoire, la Belgique s'est trouvée constamment inférieure à ses ennemis. Trois ou quatre fois par siècle nous avons subi l'invasion et nous vivons encore. Pourquoi ? Parce que les citoyens ne ménageaient pas leur sang, quand il s'agissait de repousser l'envahisseur.

On savait que le sang versé pour la défense de la patrie féconde le sol et fait naître des vengeurs.

Du temps des Romains, quelles étaient nos forces contre les légions de César ?

Nous nous sommes maintenus, cependant, sept ans contre lui. Nous avons été constamment battus, il est vrai, mais constamment debout. Qu'avons-nous gagné à cette longue et héroïque résistance ? La liberté.

Pendant que les Gaules étaient sous le joug romain, toutes les populations belges étaient considérées comme libres et elles ont conservé leurs lois, dont les vestiges existaient encore dans notre législation au moment de la révolution française.

Chaque fois que l'étranger envahissait nos provinces, nos fières communes déployaient leurs drapeaux et marchaient au combat.

Elles ont été battues, c'est vrai, mais les enfants gardaient encore les habitudes de leurs pères, et lorsque l'ennemi revenait il trouvait devant lui de nouveaux combattants.

II est une vérité, cruelle peut-être, mais certainement incontestable, c'est que toutes les grandes causes ont été fécondées par le sang.

En 1830, on n'était que 300 dans Bruxelles pour commencer la lutte : deux heures après, on était une légion ; le soir, on était une armée ; chaque homme était remplacé par vingt autres.

Et puis, nous avons un exemple sublime. Lorsque les pauvres pêcheurs de Galilée se sont répandus dans le monde pour propager la bonne nouvelle, c'est le sang des martyrs qui a fécondé l'idée chrétienne et l'a rendue maîtresse du monde.

Une nation ne doit pas craindre de verser le sang de ses enfants pour sa liberté et son indépendance. Ce qu'il faut craindre, c'est de tomber dans le mépris.

On vous dit : Qu'êtes-vous à côté des grandes nations ? Oh ! celles-là sont comme la Minerve antique, le casque dans les cieux ; elles marchent entourées d'une auréole de gloire et chacun de leurs pas trace un sillon dans le sol.

Vous, vous êtes une ruche, vous êtes l'abeille travailleuse ; contentez-vous de savourer le miel que vous avez fabriqué. A cela je répondrai :

Mettez la main dans la ruche. A cette abeille travailleuse Dieu a donné un aiguillon.

Et nous, lorsqu'on viendrait nous attaquer sur notre sol, nous ne saurions pas verser notre sang pour le défendre !

Toute nation qui ne se défend pas, qui ne résiste pas au joug de l'étranger, meurt et ne se relève plus.

La nation, au contraire, qui sait mourir pour la défense de sa cause celle-là peut s'endormir dans un linceul sanglant, mais un jour vient ou elle se réveille et se relève plus vivante et plus forte.

(page 499) - La séance est levée.