(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 413) M. Snoy procède à l’appel nominal à 2 heures et quart.
M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Fléron-lez-Liége prient la Chambre de rejeter les propositions de la commission militaire et d'abolir le tirage au sort pour la milice. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.
« Des habitants de Niel protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »
- Même décision.
« Des habitants de Wickevorst demandent le rejet du projet de loi sur l'organisation de l'armée et spécialement des propositions relatives à l'augmentation du contingent et des dépenses militaires. »
« Même demande par deux pétitions d'habitants de Malines. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au contingent de l'armée.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent le rejet du projet de loi qui augmente les charges militaires. »
« Même demande d'habitants de Gemmenich. »
- Même décision.
« Des habitants de Thielt prient la Chambre de rejeter tout projet de loi tendant à augmenter le contingent de l'armée, à prolonger la durée du service militaire, à rendre le remplacement ou la substitution plus difficile et plus coûteux, à augmenter le budget de la guerre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi sur la milice et sur le contingent de l'armée.
« Des habitants de Thisnes prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation de l'armée »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants- e Liège et des environs déclarent protester contre les propositions de la commission militaire et demandent que la conscription soit remplacée par un système mieux en rapport avec l'égalité des citoyens. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.
« Des huissiers dans le Hainaut présentent des observations relatives au projet de loi sur les protêts. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent le rejet du projet de loi qui augmente le contingent de l'armée. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Latinne demande la suppression des barrières sur la route de Huy à Tirlemont. »
« Même demande du conseil communal de Thisnes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement de la nouvelle station du Midi. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire du sieur Van Santen. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. Nothomb, obligé de s'absenter, M. Carlier, retenu par des affaires importantes, et M. Van Hoorde, demandent un congé. »
- Accordé.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 11 décembre 1867, le sieur Du Bois prie la Chambre d'examiner s'il n'y a pas lieu de déférer aux tribunaux ordinaires les infractions, crimes et délits commis par les militaires de tous grades en dehors de l'exercice de leurs fonctions.
Comme il conviendrait que cette pétition émanât plutôt du gouvernement que de toute autre source, la commission a conclu purement et simplement au renvoi à MM. les ministres de la justice et de la guerre.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Enghien, le 10 décembre 1867, le sieur Toulez se plaint que, par arrêté du 19 octobre dernier, M. le gouverneur du Hainaut a nommé d'office une institutrice primaire à Enghien, alors que le conseil communal avait pourvu à cette place par une résolution du 1er du même mois.
Par pétition datée d'Enghien, le 11 décembre 1867, le conseil communal d'Enghien se plaint d'une décision de M le ministre de l'intérieur, qui rejette une réclamation de ce conseil contre la nomination d'office d'une institutrice communale à Enghien.
M. de Woelmontµ. - M. le ministre de l'intérieur étant souffrant, je prierai la Chambre d'ajourner la discussion de ces pétitions jusqu'à ce que M. le ministre puisse se rendre parmi nous.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Je crois qu'il conviendrait d'abord de présenter le rapport, qui sera imprimé dans les Annales parlementaires où tout le monde pourra l'examiner.
M. le président. - Veuillez donc continuer, monsieur le rapporteur.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Messieurs, la pétition sur laquelle j'ai l'honneur de vous présenter le rapport n'implique pas seulement une question de personnes, il ne s'agit pas seulement de savoir si la demoiselle Ponsaerts ou la demoiselle Malfait sera institutrice à Enghien, c'est une question qui intéresse la liberté communale dans la nomination et le choix du personnel enseignant dans toutes les communes du royaume.
L'administration communale se plaint de la nomination d'office d'une institutrice à Enghien. Ici je dois faire à la Chambre un exposé de la situation de l'enseignement des filles à Enghien.
Il y a une institution religieuse pour l’enseignement des jeunes gens du sexe et il y avait une deuxième institution laïque, tenue par la dame Blende, qui est décédée.
Le conseil communal, par sa résolution du 1er octobre dernier, a nommé, sous l'approbation de l'autorité supérieure, la demoiselle Ponsaerts, religieuse non diplômée, en remplacement de la dame de Blende.
L'autorité provinciale, sans faire connaître à l'administration communale si elle approuvait ou improuvait cette nomination, après le délai de quarante jours, a passé outre à la nomination d'office de la demoiselle Malfait à la place d'institutrice à Enghien.
L'administration communale a réclamé auprès du ministre de l'intérieur contre cette nomination, mais ce haut fonctionnaire a maintenu la nomination.
Maintenant les pétitionnaires s'adressent à la Chambre ; ils prétendent que l'article 10 de la loi de 1842 a été violé ;
Que le droit de nomination leur appartient, en vertu des dispositions de l'article 84 de la loi communale et de l'article 10 de la loi de 1842 ;
(page 414) Qu'en fait dans la nomination d'office il y a eu piège et surprise.
De son côté, le sieur Toulez prétend que les dispositions de la loi de 1842 ont été manifestement violées.
Votre commission n'a pas cru devoir trancher la question ; toutefois elle a été d'avis que l'autorité provinciale, par sa décision quelque peu précipitée, a justifié en quelque sorte le reproche de surprise qui lui a été adressé.
Votre commission a conclu au renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.
M. le président. - Vous venez d'entendre l'honorable rapporteur conclure au renvoi à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explication. Une proposition a été faite d'ajourner la discussion du rapport sur les pétitions dont il vient d'être donné lecture.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne m'oppose pas à l'ajournement de cette discussion ; toutefois, si la Chambre désire discuter immédiatement, je suis en mesure de répondre aux observations qui pourraient être présentées, car il s'agit d'un acte posé sous mon administration. Je justifierai dès maintenant la mesure prise et il ne me sera pas difficile de prouver que la loi n'a pas été violée.
M. le président. - Il y a donc deux propositions ; celle d'ajournement et celle de discussion immédiate.
M. Bruneau. - Je demande que la discussion soit fixée à huitaine.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je me rallie à cette proposition.
- La Chambre décide que le rapport sera ajourné à huitaine.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 17 décembre 1867, des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi.
Conclusion : Renvoi à M. le ministre des travaux publics,
- Adopté.
M. Van Renynghe, rapporteur. - Par pétition sans date, le sieur Deswert demande que le gouvernement ne diffère plus de mettre en vente, s'il est résolu de les aliéner, les parcelles de terrain et constructions restant des expropriations nécessaires pour les fortifications d'Anvers.
Votre commission vous propose, messieurs, de renvoyer cette pétition à MM. les ministres des finances et de la guerre.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Van Renynghe, rapporteur. - Par pétition datée d'Anvers, le 26 novembre 1866, le sieur Van Opdebeeck demande que le gouvernement fasse procéder à la vente publique des parcelles de terrain, maisonnettes, matériaux, etc., restant des expropriations pour les travaux des fortifications d'Anvers.
Votre commission vous propose, messieurs, le renvoi de cette pétition à MM. les ministres des finances et de la guerre.
-Adopté.
M. Van Renynghe, rapporteur. - Par pétition datée de Tournai, le 23 novembre 1866, le sieur Vifquin, se plaignant d'avoir été démissionné de son emploi de portier de 2ème classe à Tournai, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une place analogue à ces fonctions ou sa mise à la pension.
Comme l'objet de cette pétition n'est pas de la compétence de la Chambre, votre commission vous propose, messieurs, l'ordre du jour.
- Adopté.
M. Van Renynghe, rapporteur. - Par pétition datée de Beho, le 23 novembre 1866, des habitants de cette commune prient la Chambre de décréter et de faire construite, le plus tôt possible, une route de Gouvy à la frontière prussienne, par Beho.
Comme cette pétition mérite d'être examinée, votre commission vous propose, messieurs, de la renvoyer à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Van Renynghe, rapporteur. - Par pétition datée d'Ourth, le 24 avril 1867, des habitants de cette localité demandent la construction d'un chemin de grande communication de la station de Gouvy au bureau des douanes à Deiffelt.
Les raisons que fout valoir les pétitionnaires à l'appui de leur demande méritent d'être prises en considération, et, par conséquent, votre commission vous propose, messieurs, le renvoi de cette requête à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Van Renynghe, rapporteur. - Par pétition datée de Deiffelt, le 17 décembre 1867, des habitants de Deiffelt et d'Ourth, sections de Beho, présentent des observations sur le tracé projeté d'une route de l'Etat, partant de la Prusse, vers la station de Gouvy.
Comme ces observations méritent d'être examinées, votre commission vous propose, messieurs, de renvoyer cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Le Hardy de Beaulieu, rapporteurµ. - Par pétition datée de Plancenoit, le 30 novembre 1867, le sieur Dambremé se plaint du déplacement des archives communales de Plancenoit et réclame l'intervention de la Chambre pour être maintenu dans les fonctions de receveur de cette commune, dont on veut le révoquer.
La députation permanente de la province de Brabant n'ayant pas adopté les raisons du conseil communal sur les actes qu'il a posés et les ayant rejetés, la commission vous propose le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition sans date, des habitants de Waerloos protestent contre les propositions de la commission militaire et prient la Chambre d'inviter le gouvernement à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice.
Cette pétition imprimée est basée sur les mêmes motifs que ceux qui ont été exprimés dans d'autres pétitions de même nature parvenues à la Chambre.
Votre commission a l'honneur de vous en demander le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation militaire.
- Adopté.
M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Arlon, le 22 novembre 1867, la chambre de commerce et des fabriques d'Arlon présente des observations en faveur de la demande ayant pour objet d'accorder à la société concessionnaire du réseau franco-belge-prussien une garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée à l'importance des lignes qu'elle aurait à construire et d'autoriser la suppression des voies inutiles de ce réseau.
Une discussion s'étant élevée dans cette enceinte à l'occasion d'une pétition de même nature que celle qui vous est soumise, la Chambre en a décidé le renvoi à M. le ministre des travaux publics.
Votre commission, se conformant à ce précédent, a l'honneur de vous proposer le même renvoi.
- Adopté.
M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Overpelt, le 20 novembre 1867, des habitants et propriétaires d'Overpelt demandent la construction : 1° d'une route de Looz à Hechtel par Caulille, Petit-Brogel et Exel ; 2° d'un embranchement de cette route partant d'Exel pour rencontrer celle de Lommel à Overpelt en passant par Linden, Neuss, Hasselt ; 3° l'établissement d'une station sur le chemin de fer de Hasselt à Eyndhoven, à la limite des communes d'Exel et d'Overpelt.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Bouvier-Evenepoel, rapporteurµ. - Par pétition datée de Lierre, le 4 décembre 1867, le sieur de Jonghe demande que son fils François, milicien de 1865, soldat au 9ème régiment de ligne, soit renvoyé dans ses foyers.
Le fils du pétitionnaire est de la classe de 1865, non encore libérée du service militaire dont la loi a déterminé la durée, la Chambre n'a donc pas à connaître de la pétition qui lui est soumise, le pétitionnaire n'alléguant pas même la violation d'une loi à son préjudice.
Votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.
- Adopté.
M. T'Serstevensµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi allouant un crédit de 330,000 francs pour solder les dépenses de révision des évaluations cadastrales.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et le projet de loi mis à la suite de l'ordre du jour.
(page 419) M. Coomans. - Messieurs, mon intention était d'attendre la discussion générale des lois militaires pour compléter les observations que j'avais à présenter sur cet important sujet ; mais force m'est de répondre à l'accusation insolite, je pourrais presque dire insolente, que M, le ministre des finances m'a lancée hier. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - C'est trop fort ! Cela n'est pas parlementaire.
M. le président. - Permettez, M. Coomans ; le débat s'est maintenu jusqu'ici dans les termes d'une parfaite convenance et sans qu'aucune expression semblable ait été employée. Je vous engage à ne point vous écarter de cette sage pratique.
M. Coomans. - Je suis certain, M. le président, que si vous me laissez achever ma phrase, votre conscience m'approuvera.
M. le président. - Les convenances n'ont jamais permis de pareilles expressions ; veuillez ne pas vous en écarter.
M. Coomans. - J'ai dit que l'accusation est insolite ; nous allons voir si ce n'est pas une insolence que d'accuser un représentant de n'avoir pas dit la vérité à la Chambre, d'avoir développé devant la Chambre un tissu de contre-vérités, tel que jamais la Chambre n'en a eu un semblable sous les yeux. (Interruption.)
M. le président. - M. Coomans, permettez-moi...
M. Coomans. - Quand hier notre honorable président, dont je respecte plus que personne les intentions, la justice et la délicatesse, a toléré l'injure que m'adressait M. le ministre des finances, il doit m'être permis de la qualifier et de répliquer.
M. le président. - Encore une fois. Permettez, M. Coomans.
Je dois faire remarquer et pour vous, et pour la Chambre entière et pour moi-même, que si hier je n'ai pas relevé les expressions dont s'est servi M. le ministre des finances, car elles m'avaient frappé, c'est que la veille vous aviez commencé par dire qu'en haute politique on ne disait pas toute la vérité, et que vous teniez ce langage immédiatement après que M. le ministre des finances avait parlé.
M. Coomans. - M. le président...
M. le président. - Je rappelle à M. Coomans qu'au nom de la Chambre j'exerce la police de l'assemblée, et qu'il ne peut pas m'enlever la parole quand je crois devoir en user dans l'exercice de ce devoir.
Je répète donc que si hier je n'ai pas relevé les expressions dont s'est servi M. le ministre des finances, c'est parce qu'elles étaient en harmonie avec celles dont vous vous étiez servi.
Je vous invite maintenant à vous abstenir d'expressions qui peuvent provoquer des orages dans cette assemblée. Depuis l'ouverture de la session, le calme n'a cessé de présider à nos délibérations, j'espère que la Chambre persévérera dans cette voie jusqu'au bout ; et je vous engage, pour votre compte, à ne pas vous en écarter.
M. Coomans. - Je ferai remarquer à notre honorable président que lorsque j'ai dit qu'en haute politique on ne dit pas la vérité pure, il n'y avait là aucune injure pour personne.
Comment ! l'autre jour n'a-t-on pas dit que la parole a été donnée aux hommes politiques pour dissimuler leur pensée ? Qui donc a vu, dans ces brocards qui traînent dans le monde depuis Salomon, une injure personnelle ?
Je ne dis rien d'injurieux pour qui que ce soit, quand je soutiens qu'en haute politique on ne dit pas la vérité pure. C'est ma conviction profonde ; et dans ma pensée il y a là si peu d'injures que je pourrais appliquer mon observation philosophique à mes amis eux-mêmes.
M. Frère m'accuse, moi honnête homme, moi représentant de la nation, d'avoir développé devant cette assemblée un tissu de contre-vérités, et vous mettez en balance un mot qui date de Salomon et de plus loin ! Il n'y avait là d'application à personne.
M. le président. - Pardon, M. Coomans, ce que vous aviez dit s'appliquait aux paroles que venait de prononcer M. le ministre des finances ; vous avez donc été aussi personnel que lui. Je ne puis qu'engager tous les membres de la Chambre, à droite comme à gauche, à s'abstenir de semblables expressions.
M. Coomans. - Si l'expression dont je m'étais servi avait paru à M. le président renfermer quelque chose de personnel à M. le ministre des finances, et que M. le président m'en eût fait l'observation, j'aurais prouvé immédiatement qu'il n'en était rien.
Je ne sais si j'ai la conscience plus délicate que d'autres, j'aime à croire que non, mais je ne veux pas l'avoir moins délicate que ceux qui se vantent de l'avoir très délicate, et je considère comme la plus grave injure qu'on puisse adresser non seulement à un représentant de la nation, mais au dernier citoyen belge, l'accusation de n'avoir pas dit la vérité, d'avoir développé un tissu de contre-vérités. Le seul mot tissu implique la préméditation,
M. le président. - Qu'on s'abstienne de pareilles expressions, de part et d'autre.
J'aime à croire que, lorsque vous serez plus calme, vous reconnaîtrez que j'ai tenu la balance égale entre vous et M. le ministre des finances, et que vous rendrez justice, avec la Chambre entière, j'ose le dire, à l'impartialité avec laquelle je m'efforce de diriger ces débats.
M. Coomans. - Je suis prêt à commencer par là et je suis prêt à finir par là ; mais je ne puis, pour mon honneur, admettre l'assimilation que vous établissez entre les deux expressions. L'une est une restriction philosophique, l'autre est une injure personnelle.
M. le président. - C'est une question d'appréciation sur laquelle nous différons.
M. Coomans. - J'avoue que tout sensible que je suis à cette injure, j'y aurais été plus sensible encore, si elle était sortie d'une autre bouche. Mais nous savons tous que M. le ministre des finances se plaît à insulter ses collègues. (Interruption.) J'ai des preuves à l'appui et je prends notre honorable président pour juge et pour seul juge.
M. le président. - Eh bien, comme juge, je vous engage à être plus modéré. Je suis convaincu qu'en vous engageant à la modération je réponds aux sentiments de la Chambre tout entière.
M. Coomans. - Je ne tirai rien, moi ; je laisserai dire, je prouverai, par de simples citations, sans commentaire, que M. Frère insulte ses collègues... (Interruption.)
Mais laissez-moi parler !
M. Bouvierµ. - Mais non ! On ne doit pas vous laisser dire des injures.
M. Coomans. - Un jour il dit : «Vous en avez menti ! » Je le demande à l'honorable président, n'est-ce pas là une injure ?
M. le président. - Je vous dirai que nous n'en sommes pas à ce jour. Je n'ai pas à juger le passé.
M. Coomans. - Soit ; mais les fortifications d'Anvers ne datent pas non plus d'aujourd'hui, et nous nous en occupons sans cesse.
Un autre jour il dit : « Vous greffez l'ignorance sur le mensonge. »
Un autre jour, il dit : « Votre opinion est ignoble. » C'est à moi qu'il dit cela.
Sont-ce des injures, oui ou non ? Je laisse juge notre honorable président.
M. le président. - Je vous répète que je n'ai pas à juger le passé.
M. Coomans. - Je prends acte de votre récusation. Oui, nous le savons, l'honorable ministre des finances est fort en gueule comme les servantes de Molière. (Nouvelles interruptions.)
- Des membres. - A l'ordre ! à l'ordre !
M. le président. - M. Coomans, je demande à la Chambre si de pareilles expressions sont convenables ? Quant à moi, je ne le crois pas. Je vous invite à ne pas y persévérer.
M. Coomans. - M. le président, je ne trouve pas là d'injure, Marton et Dorine étaient d'honnêtes filles, quoique fortes en gueule, selon une expression littéraire, employée dans les meilleures compagnies. Tous ceux qui ont lu Molière ne me contrediront pas.
M. le président. - Vous devez respecter les convenances. Je vous engage à ne pas persévérer dans l'emploi de ces expressions.
M. Coomans. - Je dois persévérer dans ma défense. Je suis sous le coup de l'accusation la plus grave qu'on puisse lancer à 'un homme quelconque, sous l'accusation d'avoir apporté à la Chambre un tissu de contre-vérités.
M. le président. - Démontrez la vérité de ce que vous avez dit, mais abstenez-vous d'expressions semblables à celles dont vous vous êtes servi.
M. Coomans. - Alors faites retirer l'expression dont s'est servi M. le ministre des finances, et je me tais sur ce point-là.
M. le président. - Je n'ai pas à faire retirer des expressions qui, quoique empreintes d'un certain caractère de violence, avaient été provoquées par vous.
M. Coomans. - Non !
M. le ministre se trompe, s'il pense par ces procédés sauvegarder la dignité du pouvoir et la sienne.
(page 420) Il m'autoriserait à user de représailles. Je ne le fais pas. (Interruption.) Ai-je accusé de mensonge M. le ministre ?
Je lui rendrai peut-être insulte pour insulte le jour où je ne serai pas bien sûr d'avoir raison, mais aujourd'hui comme j'ai trois fois raison, je me bornerai à maintenir comme vraies toutes les parties de mon discours et à prendre pour juge la nation et la conscience de mes honorables collègues de la gauche.
Quel est la contre-vérité que je me suis permise ? M. le ministre n'en a pas indiqué une seule. C'est son habitude, habile, je le reconnais, mais c'est le seul éloge que je puis en faire, c'est son habitude de qualifier durement en bloc les choses et de chicaner sur les détails, sans justifier son jugement.
En m'accusant d'avoir fait un discours qui n'était qu'un tissu de contre-vérités, il aurait dû justifier cette accusation grave, il ne l'a pas fait.
J'ai voulu montrer les variations de l'honorable M. Frère sur la question principale qui préoccupe tant le pays aujourd'hui.
Etait-ce une thèse si hardie, si extraordinaire ? La nation tout entière ne sait-elle pas que M. Frère a maintes fois changé d'opinion sur les problèmes militaires ? La plupart des membres de la gauche n'en font-ils pas l'aveu ?
M. Frère n'a pas varié, dit-il ; ce qu'il propose aujourd'hui il le méditait et l'annonçait il y a six ans ! Dès lors il songeait à démolir les fronts intérieurs de la citadelle du Nord ! Or ces fronts intérieurs n'étaient pas construits à cette époque.
Pourquoi les construire, si l'on admettait la possibilité de les supprimer ?
Etait-ce pour donner une simple satisfaction d'amour-propre, je ne dis pas au gouvernement, mais à un ou deux ministres ?
C'était bien cher. Et l'honorable ministre ose nous dire qu'il a été mû par des préoccupations financières, que s'il a ajourné ce qu'il appelle : « la solution de la question anversoise », c'était dans l'intérêt des finances publiques, et il vient avouer audacieusement ici, qu'il a fait achever la citadelle du Nord, qu'il a fait construire ces fameux fronts intérieurs, alors qu'il reconnaissait la possibilité de les démolir bientôt.
Eh bien, messieurs, si cet aveu de l'honorable ministre est sincère, et il a tant d'intelligence que j'en doute, si cet aveu est sincère, M. Frère est doublement coupable. Il n'aurait pas dû engager d'énormes sommes dans des travaux qu'il voulait supprimer ensuite.
Si la question des fortifications anversoises était encore à résoudre il y a trois ou quatre ans, si elle n'était pas encore résolue, contrairement à toutes les déclarations officielles, pourquoi l'ordre du jour présenté par les honorables MM. de Brouckere, Dolez et Orts et approuvé par l'honorable M. Frère, déclarait-il que la question d'Anvers était définitivement résolue ?
Pourquoi dire que la citadelle du Nord tout entière avec ses fronts intérieurs qui seuls font qu'elle est une citadelle, était la condition sine qua non de la grande enceinte ; pourquoi lors du vote des 7 à 8 millions supplémentaires, toujours contrairement aux promesses du gouvernement, pourquoi, lors du vote de cette énorme queue financière, tant de membres de la gauche déclaraient-ils solennellement qu'ils ne consentiraient plus à aucune dépense pour Anvers ?
Qui a-t-on trompé ? Par hasard, ne serait-ce pas nous seulement ? Ne serait-ce pas même tout le pays ? Serait-ce plus particulièrement les honorables membres de la gauche ?
Mais combien d'honorables membres m'ont dit à moi, ici même, dans l'intimité, sans me demander le moindre secret, que ce vote de 7 à 8 millions supplémentaires était le tout dernier, que déjà il en coûtait énormément à leur conscience d'avoir à voter ces millions longtemps niés, mais que ce qui les consolait c'est que je gouvernement avait pris l'engagement formel qu'on ne dépenserait plus un son pour Anvers.
Donc la question était résolue, et si M. Frère a cette époque méditait en silence la suppression des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, il a trompé tout le monde ; il a infligé au trésor des pertes énormes.
Je serais bien étonné que cet argument rencontrât une réfutation sérieuse.
Et puis, pourquoi démolir le principal rempart de la nationalité belge, à savoir la citadelle du Nord ; je dis démolir, car nous avons de la mémoire et les Annales parlementaires en ont pour nous, au besoin, combien de fois n'a-t-il pas été dit que la citadelle du Nord était la condition sine qua non de la grande enceinte d'Anvers, que c'était là le refuge suprême de la nationalité, que la grande enceinte serait l'opération la plus folle au point de vue militaire qu'on pût imaginer si cette citadelle du Nord n'existait pas !
Et qu'ajoutait-on ? C'est que cette citadelle garantissant la nationalité belge, l'incarnation de la Belgique libre et indépendante, n'était sérieusement attaquable que du côté de la ville, qu'on ne pouvait donc l'affaiblir de ce côté. J'avoue, j'en demande pardon à quelques-uns de mes honorables amis d'Anvers que j'ai dû contredire en ce point, j'avoue que cet argument me paraissait fort.
L'honorable général Chazal nous a dit, dans ses discours publics et particuliers : Votre demande de démolir les fronts intérieurs est inadmissible, puisque cette démolition entraînerait la suppression de la citadelle même.
Quoi ! disait-il, la citadelle n'est sérieusement attaquable que du côté de la ville pour diverses raisons dont la principale est que la défense est presque impossible du côté de la ville. Car vous ne pourrez repousser les assaillants qu'en détruisant la ville en tout ou en partie. Donc, disait le savant ministre (je sais rendre justice dans une juste mesure à mes adversaires, même à ceux que je redoute le plus), donc c'est du côté de la ville que la citadelle doit être principalement fortifiée.
Et quand je disais à mes amis des meetings : Mais cet argument est fort, ils me répondaient : Laissez faire, vous êtes imprudent.
Imprudent soit, mais je veux être juste avant tout et intelligent autant que possible et je dis que si la citadelle du Nord est maintenue il faut maintenir les fronts intérieurs, les fortifier encore, et vous n'avez de salut que dans la suppression complète de votre citadelle.
Eh bien, cet argument que je persiste à trouver très fort, pas seulement parce que M. Chazal nous l'a donné, mais parce qu'il a été appuyé par toutes nos autorités militaires, cet argument n'a plus le sens commun, selon M. Frère, qui le trouvait parfait il y a quelques années. Il faut maintenir la citadelle dit Nord et la démolir du côté de la ville ! Et remarquez bien que la démolition doit être complète, car si elle n'est que partielle, où est le gage de sécurité donné aux Anversois ? Si les fronts intérieurs peuvent être rétablis en quelques jours, à quoi sert de les supprimer ? On les relèvera demain. 50,000 à 60,000| hommes auront bien vite reconstruit la citadelle du Nord !
Et M. le ministre vient nous dire : Je donne cette satisfaction aux Anversois, je démolis les fronts intérieurs, je mets à la place un grillage, un peu plus fort que celui du Parc de Bruxelles. Ce n'est pas l'expression de M. Frère, mais c'est sa pensée ; les Anversois ne seraient pas contents sans cela ; il faut en même temps maintenir la citadelle du Nord.
Eh bien, est-ce que cela est raisonnable ? Je ne suis pas militaire, je ne m'en vante pas, je ne m'en plains pas, mais je dis qu'au point de vue militaire, l'argument de M. le ministre n'est pas soutenable, et je suis sûr que M. Chazal est très étonné, sinon indigné, de le voir soutenir ici contre lui.
Au comité des 28, n'a-t-on pas interdit l'examen de la question anversoise ?
Ah ! dit M. Frère, ce n'est pas que nous nous méfiassions des lumières du comité des 28, mais nous voulions nous réserver la solution de la question anversoise à nous, ministres ; nous ne voulions pas diminuer notre liberté d'action.
Si vous vouliez garder toute votre liberté, il fallait la garder pour toutes les questions militaires comme pour la question d'Anvers. Car il n'y avait pas plus de raison de défendre au comité des 28 d'examiner la question anversoise que d'examiner des questions d'organisation militaire.
Toutes ces raisons ne tiennent donc pas à une simple audition, encore moins à une lecture, même faite par des hommes simples. (Interruption.)
Et à mon honorable ami Dechamps, que répondait M. Frère, qui adopte aujourd'hui dans son ensemble, ce qu'on appelle le système Dechamps.
Il lui faisait alors des objections qu'il est forcé aujourd'hui de trouver insignifiantes. La principale était la défense nouvelle qui devait résulter de la solution Dechamps. D'après M. Frère, M. Dechamps avait singulièrement tort de prétendre qu'il n'en coûterait rien au trésor de transformer la citadelle du Sud en fortifications sur la rive gauche, par la raison, disait M. Frère, que les fortifications de la rive gauche n'offraient pas la valeur vénale des fortifications de la rive droite, que les terrains de la citadelle du Midi valaient énormément plus que les terrains de la rive gauche ; que M. Dechamps, en transformant la citadelle de la rive (page 421) droite en citadelles de la rive gauche, aurait diminué la valeur commerciale de l'immeuble.
C'est possible, mais c'est la première fois que j'entends évaluer commercialement des établissements militaires. Je croyais que des établissements militaires, des citadelles et des remparts étaient également improductifs et qu'il n'y avait pas à tenir compte de l'hypothèse de leur démolition et aliénation, parce que si cette hypothèse vient à se réaliser, et elle doit se réaliser un jour, mieux vaut ne pas les construire.
Peu importe à la défense nationale que la citadelle du Midi ait plus ou moins de valeur commerciale que celle de la rive gauche ; c'est la valeur militaire qu'il faut considérer.
Donc, au fond, l'objection faite à M. Dechamps ne valait rien et, ce qui est étrange, c'est que l'honorable ministre qui l'a faite, prétend aujourd'hui qu'elle ne vaut rien, puisqu'il fait exactement la même chose que M. Dechamps. Prétend-il que les fortifications de la rive gauche, les deux citadelles, avec une enceinte plus ou moins continue, auront la même valeur vénale, comme sol vendable, que la citadelle du Midi ? Il ne peut pas le soutenir.
Voilà donc des contradictions, voilà des déviations grossières, et si l'honorable ministre s'est appuyé sur ce point, comme il m'a paru le faire spécialement pour m'accuser d'avoir développé devant la Chambre un tissu de contre-vérités, je crois qu'il est bien près de se repentir de son injustice et de son imprudence.
J'ai le droit, moi, de combattre le nouveau système de M. Frère qui est celui de M. Dechamps, car moi j'ai combattu le système de M. Dechamps. Beaucoup de mes amis le savent bien, quand l'honorable M. Dechamps est arrivé avec sa solution qui ne me convenait guère, j'ai mis tout en œuvre pour en empêcher la présentation.
Quand j'ai montré cette loyauté contre mes amis politiques dans un moment où je désirais particulièrement les voir occuper le pouvoir, j'ai le droit de montrer un certain orgueil à persister dans ma manière de voir ; je ne chante, moi, la palinodie que lorsque ma conscience me donne le ton.
Toute la gauche combattait la solution de M. Dechamps, pourquoi ? Parce qu'il remettait en question le problème des fortifications anversoises. J'en appelle à la conscience de mes collègues.
Nous n'entendions pas autre chose que ceci : A quoi bon revenir toujours sur cette question ? Mais la question est résolue, elle est morte, enterrée.
Chaque fois que l'un d'entre nous se permettait de faire allusion à la question d'Anvers, il y avait dans cette Chambre des manifestations très désagréables ; un tollé général de la gauche tout entière ; je ne lui en fais pas un reproche, car elle exprimait une opinion consciencieuse ; je me borne à constater un fait. La gauche ne voulait pas que l'on revînt sur la question d'Anvers, dans le sens d'un développement des dépenses militaires.
Eh bien, messieurs, si cela est vrai, si M. Frère, si la gauche tout entière considérait la question d'Anvers comme définitivement close, n'ai-je pas le droit de dire que l'honorable ministre des finances ou a trompé la Chambre ou a changé d'opinion ?
De deux choses l'une : ou l'honorable M. Frère n'a pas dit à ses amis politiques tous ses secrets, tous ses desseins, ou il n'avait pas ces desseins il y a 3, 4 et 6 ans, et c'est l'hypothèse la plus favorable à son honneur. Le dilemme me paraît irréfutable.
Si la citadelle du Sud est inutile, ce que je suis le premier à reconnaître, je dis : Supprimez-la, vendez-la et appliquez-en le produit à la réduction du budget de la guerre.
Et si les fortifications de la rive gauche ne sont pas exigées par la défense nationale, ne les construisez pas.
Vous nous dites que vous nous donnez une satisfaction civile, que ce n'est pas une solution militaire, mais une solution civile qu'on nous propose. Vain prétexte ; la solution qui plaira le plus à la Belgique civile sera celle des économies ; elle ne vous demande pas de surcroît de fortifications.
Et puis, chose étrange, d'autres prétendent que cette solution de l'extension de l'enceinte fortifiée sur la rive gauche est exigée par la défense nationale ; et vous verrez que l'un de ces jours le gouvernement lui-même va adopter cette thèse-là ; car on peut s'attendre à tout depuis quelque temps. On dira qu'il est militairement nécessaire de fortifier la rive gauche.
Mais on ajourne cette solution d'intérêt national jusqu'à ce qu'on trouve un acheteur pour la citadelle du Sud ! De manière que, s'il est démontré que l'argent à provenir de la citadelle du Sud est indispensable à l'extension des fortifications auversoises ; si tel est le conseil donné par les hommes les plus compétents, on ajournera le tout faute d'argent et on attendra qu'il plaise à des acheteurs, à des messieurs de la bande noire de vouloir bien sauver la patrie avec leur argent !
Je n'en ai pas fini du chapitre des contradictions de M. Frère ; je ne suis encore qu'aux premiers paragraphes.
Quand je disais la citadelle du Nord inhabitable, et je disais cela non seulement sur le rapport d'officiers supérieurs, véritablement supérieurs, car tous les officiers supérieurs ne le sont pas tous (interruption) ; quand je disais cela en nombreuse compagnie et de visu, on nous raillait.
Quand j'apprenais que des spéculateurs, peut-être les mêmes que ceux qui nous feront la charité nationale d'acheter la citadelle du Midi ; quand j'apprenais, dis-je, que des spéculateurs venaient proposer au département de la guerre de leur louer la citadelle du Nord pour y établir le plus beau parc aux huîtres qui existe dans l'Europe entière (Interruption), on nous raillait. Quand nous disions que le terre-plein de la citadelle du Nord, que j'avais vu de mes yeux, où j'avais pataugé plusieurs fois, quand nous disions que ce terre-plein était à 3 ou 4 mètres au-dessous du niveau de l'Escaut, que pendant presque toute l'année, on n'y pouvait pas marcher, qu'on y lirait des bécassines et des canards sauvages, ce qui m'a encore été affirmé hier...
M. Delaetµ. - Et à moi aujourd'hui.
M. Coomans. - C'est qu'on a encore tiré hier alors. (Interruption.) Quand, dis-je, nous produisions cette assertion, on nous raillait ; on niait, on nous proclamait les gens les plus incompétents des cinq parties du monde.
Et aujourd'hui que fait-on ? On reconnaît qu'il faut remblayer toute la citadelle ; et comment, et à quel prix ? Il m'est affirmé, (et, messieurs, je m'étonne qu'on ose encore ne nous dire que le quart de la vérité après avoir usé de tous les demi-quarts, de tous les huitièmes de vérité) ; il n'est affirmé par des hommes compétents que lorsque vous aurez jeté tous les fronts intérieurs de la citadelle du Nord dans la citadelle même, vous n'aurez encore réalisé que le quart du remblai nécessaire.
Des hommes très compétents prétendent qu'il faut trois millions de francs pour remblayer toute la citadelle du Nord ; que tout au moins il faut 1,800,000 fr. en faisant la chose le plus économiquement et incomplètement. Comment payer cela ? M. Frère n'en parle pas.
Voilà ce que vous allez faire ; vous allez remblayer votre citadelle ; vous allez y construire, Dieu sait à quel prix !, des magasins immenses, des logements immenses, des casernes immenses. Oh ! je le sais, on ne nous demande pas tout cela aujourd'hui ; mais cela ne tardera pas. Vous allez faire là d'énormes dépenses et pourquoi ? Pour avoir une citadelle ouverte là où il importe surtout qu'elle soit fermée, du côté de la ville.
Cela est-il raisonnable ? Ne sont-ce pas la de véritables gaspillages ? Et si vous saviez tout cela il y a six ans (et vous deviez le savoir car vous seul seriez inexcusable de ne pas l'avoir su), si vous saviez tout cela il y a six ans, de quel droit avez-vous gardé le silence ? Pourquoi ne pas nous avoir confié vos secrets, qui n'étaient pas les vôtres, mais ceux de la nation, ceux des contribuables ?
Quand nous disions que la citadelle du Nord est inhabitable principalement parce qu'elle est malsaine, que nous répondait-on ? On nous répondait par des chiffres que je n'ai pas osé aller vérifier de crainte de passer pour trop niais ; ou nous répondait par des chiffres démontrant qu'il y avait moins de soldats fiévreux dans les lieux réputés les plus insalubres d'Anvers et dans le bas Escaut, que dans les garnisons les plus salubres de la Belgique.
Cela m'a été dit ici, dans cette Chambre même, par une autorité compétente sous les auspices du ministre de la guerre de l'époque.
Oui, messieurs, on nous affirmait qu'il y avait moins de militaires malades dans les fortifications des polders que dans les fortifications les plus saines, s'il y en a de saines, de toute la Belgique. C'est à peu près le même raisonnement (puisqu'il a passé pour bon, on le renouvelle, et on l'emploiera encore) qu'on applique aux terrains frappés de servitudes. (Interruption.)
Oh ! mon Dieu ? nous sommes des auditeurs si bénévoles ! ce n'est donc pas moi qui me suis étonné d'entendre affirmer hier par M. Frère que les terrains soumis aux servitudes ont augmenté de valeur à cause de ces servitudes militaires.
M. Bouvierµ. - De 47 p. c.
M. Coomans. - Oui, de 47 p. c, croyez cela, M. Bouvier ! Je ne vous envie pas votre foi robuste.
Et quand cela serait ! Qui vous dit que ces terrains n'eussent pas (page 422) augmenté de 57, de 67 p. c. s'ils n'étaient pas grevés de servitudes militaires ? Car enfin à qui ferez-vous croire que des servitudes soient un avantage commercial ? Il faut être dix fois militariste, et c'est déjà trop de l'être une fois, il faut être dix fois militariste pour croire de telles énormités.
Une des habiletés de M. Frère est de renier ses collègues. M. Frère nous somme de lui répéter ses propres paroles à lui, dans plusieurs des circonstances auxquelles j'ai fait allusion. Il sait pourtant que j'ai parlé plusieurs fois du gouvernement, du ministère dont il faisait partie.
Or, quand M. Frère a laissé dire par l'honorable général Chazal diverses choses importantes sans les contredire, quand il y a adhéré, j'ai le droit de rendre M. Frère responsable des déclarations de M. le général Chazal.
Je sais qu'il est très heureux pour M. Frère qu'il ait eu sous sa direction trois, quatre, cinq ministres de la guerre en plusieurs années ; il peut en faire des boucs émissaires.
Je vois sourire l'honorable général Renard, il est dans la lune de miel ministérielle. (Interruption.) Je puis lui prédire de mauvais jours et même de mauvaises nuits. Je n'aurai pas l'indiscrétion d'insister là-dessus ; mais je suis assez certain que si l'honorable M. Rogier n'avait pas l'extrême générosité de se taire ; que, si l'honorable général Chazal n'était pas décidé à se taire ; que si d'autres ministres ne jugeaient pas prudent de se taire, ils nous en raconteraient de belles sur la question d'Anvers (interruption) et sur plusieurs autres. (Interruption.) Je n'en sais rien, presque rien, mais j'en suis sûr.
Quand l'honorable général Chazal a soutenu en vain ses idées, le plus souvent celles de M. Frère (car quand on est le collègue de M. Frère, on sait à quel prix) ; quand M. le général Chazal a soutenu ses idées, modifiées, inspirées, toujours dominées par celles de M. Frère, et quand ces idées sont usées, adieu au général Chazal ! Un autre, s'il vous plaît.
Arrive l'honorable général Goethals qui rédige et signe un projet de loi avec M. Frère. L'honorable général Goethals, homme simplement honnête, croit que M. Frère va défendre le projet avec lui.
Mais la section centrale, nommée souvent, vous le savez, au hasard (interruption, ou par le bénéfice de l'âge, je ne nous calomnie pas en disant cela ; la section centrale, dis-je, imagine des modifications très légères, infinitésimales aux projets de lois militaires ; M. Frère, qui a consulté je ne sais qui, peut-être le vent, mais surtout lui-même ; M. Frère trouve bon d'exiger que M. le général Goethals modifie ses propositions... pour qui ? Pour la section centrale.
Le général Goethals répond : « Mais un instant ; c'est à la Chambre que nous avons fait ces propositions, c'est à elle à les modifier, s'il y a lieu, et je ne vois pas pourquoi je céderais dès à présent devant la section centrale ; il ne m'est pas démontré que la section centrale exprime l'opinion de la Chambre. »
L'honorable général avait raison.
Nous pouvons bien, je pense, nous livrer à cette conjecture-là, puisque les ministres ont eu assez souvent cette opinion au sujet des sections centrales, et ont agi en conséquence.
Eh bien, l'honorable général Goethals ne veut pas céder ; on le casse.
Arrive l'honorable général Renard ; il a un accord fait, il a son billet en poche ; nous verrons ce qu'il vaudra.
Messieurs, quand l'honorable général Chazal est venu faire ici des déclarations importantes, les ministres civils les ont-ils contredites ? Non ; chaque fois que l'honorable général s'est exprimé en son nom personnel, il en a averti l'assemblée ; les autres fois il parlait au nom du gouvernement ; et il parlait visiblement au nom du ministère, car nous savons tous que plusieurs ministres appuyaient de la voix et du geste les allégations du ministre de la guerre.
En théorie, du reste, qui pourrait affirmer qu'on n'est pas responsable des actes posés par un collègue, au nom du gouvernement et sans contradiction ? Je pourrais donc, mais je ne le fais pas, rendre M. Frère responsable de toutes les déclarations faites officiellement par l'honorable général Chazal ; mais je pousse la générosité jusqu'à ne pas le faire ; je me borne à affirmer la responsabilité collective sur les points essentiels, sur ceux qui ont déterminé les votes des membres de la Chambre.
Eh bien, n'est-ce pas un fait incontestable que maintes fois l'honorable général Chazal est venu nous faire la promesse solennelle, a donné sa parole d'honneur que jamais le gouvernement ne demanderait à la Chambre des crédits supplémentaires pour les fortifications d'Anvers ? Aucun ministre civil ne l'a jamais contredit ; et je vous le demande, est-il un seul membre qui pût s'attendre à voir réclamer de nouveaux millions pour les fortifications d'Anvers ?
Maintenant, quant à la citadelle de Gand, c'est l'honorable général Chazal et tout le cabinet qui ont déclaré qu'elle était indispensable à la défense du pays ; cette déclaration n'a été contredite par aucun ministre. A qui fera-t-on accroire que la citadelle de Gand est supprimée dans un intérêt national ? Pas à moi.
Quand j'ai demandé officiellement et officieusement la suppression de cette citadelle et de toutes les autres, on m'a paru insister tout particulièrement sur la nécessité du maintien de la citadelle de Gand. Eh bien, j'affirme aujourd'hui de science certaine que, dans l'opinion de plusieurs officiers généraux, la citadelle de Gand est extrêmement utile, sinon indispensable, militairement parlant, bien entendu.
Je soutiens que ce n'est pas dans un intérêt militaire que vous commettez cette énorme contradiction, cette flagrante inconséquence ; je dis que c'est dans un intérêt électoral.
Je le demande aux honorables députés de Gand : si la citadelle de Gand était maintenue, voteraient-ils les lois militaires ? Je ne sollicite pas de réponse, parce que je la connais. Elle serait négative.
Ce n'est donc pas un intérêt national qui fait supprimer la citadelle de Gand.
Ce n'est pas non plus un intérêt national qui fait supprimer les deux citadelles anversoises ; c'est aussi un intérêt électoral.
On veut fournir à la scission anversoise, aux libéraux défectionnaires, une occasion présentable de combattre avec plus de chances de succès les candidats des meetings, les hommes des meetings. On veut leur dire et leur prouver que c'est eux, libéraux ministériels, qui ont obtenu cette gracieuseté ministérielle.
Je fais remarquer que cela nous coûte horriblement cher. (Interruption.)
Et Termonde, et Saint-Nicolas ! me crie-t-on.
Eh ! oui, messieurs, vous en verrez bien d'autres.
Je ne dis pas que les honorables députés de Gand et particulièrement mon ancien condisciple et ami, il me permettra de le dire, M. d'Elhoungne, n'aient pas une valeur très grande et que ce soit payer politiquement trop cher la somme de 15 à 30 millions la voix de M. d'Elhoungne. (Interruption.) Je ne dis pas cela. Mais ceux qui connaissent moins que moi la valeur de M. d'Elhoungne, ceux-là peuvent trouver que c'est bien cher ; et comme, en définitive, ce n'est ni l'honorable .M. d'Elhoungne, ni moi, ni MM. les ministres qui payeront tout cela, je trouve que les payeurs ont bien le droit de critiquer un peu ces étranges compromis.
L'honorable M. Frère n'a pas varié, n'a jamais varié, et moi qui ai parlé de ses variations militaires (j'aurais pu m'occuper des autres, je ne l'ai pas fait), et moi qui ai parlé de ses variations militaires, j'ai fait un tissu de contre-vérités. Quant à moi, je n'en reconnais pas une seule.
Si j'oublie un point important du discours de l'honorable membre, que j'ai été fâché de ne pas trouver aux Annales parlementaires ce matin, je le prie de me l'indiquer afin que je le rencontre.
L'honorable membre, avant d'être ministre, était, avec M. Delfosse, l'honorable et par moi regretté M. Delfosse, contre les dépenses militaires.
En 1848, M. Frère exigeait des économies sur le budget de la guerre ; en 1848, en pleine révolution européenne, pour ne pas dire sociale, à une époque où la Belgique avait sérieusement des chances de résister à une invasion, attendu que les grandes puissances, ou la grande puissance qui pouvait principalement la menacer, était elle-même dans une situation très piteuse.
Eu 1848, nous pouvions sembler avoir de bonnes raisons de maintenir un appareil de défense nationale respectable, des raisons qui me paraissaient si plausibles qu'elles m'ont décidé à donner des coups de canif dans mon programme économique et humanitaire et à admettre jusqu'à un certain point le budget de la guerre.
L'honorable M. Frère exigeait des économies. Dieu sait jusqu'où les économies réalisées à cette époque auraient été poussées, si l'honorable M. Rogier, qui mettait obstacle à ce qu'il appelait les exagérations de ce système, n'avait eu assez d'influence pour faire prévaloir ses idées favorables, chacun le sait et je ne lui en fais pas un grief, an maintien d'une grande force militaire.
Le budget de la guerre s'élevait de 26 à 27 millions et c'était à peu près tout ; pas d'autres dépenses. Les pensions militaires n'avaient (page 423) atteint que la moitié du chiffre auquel elles sont arrivées aujourd'hui. Eh bien, on trouvait cela trop élevé.
L'honorable M. Frère demandait ou du moins désirait, je veux exprimer exactement sa pensée, un budget de la guerre de 25 millions au maximum. Il vint nous déclarer un jour qu'il entrait dans sa vues (ce qui suppose au moins un désir, si pas une ferme volonté) de réduire au maximum de 25 millions de francs tout le budget de la guerre.
Vers la même époque, peu après, on pondit l'œuf de l'embastillement d'Anvers ; je ne sais pas au juste qui et je ne veux pas le connaître, car je lui vouerais une malédiction perpétuelle ; vers la même époque, on pondit l'œuf des fortifications d'Anvers. Et qui couva cet œuf dans la Chambre ? M. Frère.
Il vint dans un comité secret, auquel j'assistais, annoncer que le gouvernement voulait construire une sorte de camp retranché en avant d'Anvers, avec de petits forts en terre, pas même en terre cuite, en simple terre, avec gorges ouvertes du côté de la ville ; et l'on vint nous dire que la dépense totale serait vraisemblablement de 1,500,000 francs et tout au plus de trois millions.
Quelques-uns d'entre nous firent la grimace ; l'honorable M. Delfosse et moi, entre autres. Je crois nous voir encore surpris et mécontents. (Interruption.) Nous étions très mécontents. Mais enfin, il s'agissait de sauver la patrie et je vous assure que, quelque économe que je sois, 1,500,000 fr. à trois millions me paraîtront toujours des bagatelles, non pour le salut réel de la patrie, mais pour le prétexte seulement.
Il ne fallait pas autre chose en avant d'Anvers pour sauver l'armée, la dynastie, la Belgique tout entière, il ne fallait que pour 1,500,000 à 3 millions de terre, on laissa faire. On crut que c'était fini. Nous comptâmes sans l'honorable M. Frère.
Peu après (je suis curieux de savoir quelles sont les contre-vérités que je me permets encore), peu après, on nous proposa une autre grosse dépense pour construire des forts à gorge à moitié ouverte, avec des demi-lunes, des remparts, des bâtiments en briques, des réduits ; et décidément la patrie était sauvée ; seulement il fallait payer quelques millions en plus.
Nous payâmes, et même je dois le dire, sans trop crier, sous cette réserve toutefois que c'était bien fini des dépenses devant Anvers ; et l'on nous assura que tout était fini.
Hélas ! ces forts parurent tellement faibles au bout de peu de temps, même aux gens peu forts qui les avaient construits... (interruption) qu'on se mit à les démolir au plus vite, à peu près tous. Je les ai vus naître et mourir, comme les roses. Et l'on nous proposa un agrandissement de l'enceinte fortifiée d'Anvers, un agrandissement partiel, mais affirmé excellent par les hommes les plus compétents et ne devant coûter qu'un petit nombre de millions.
Nous autres, en très petit nombre, adversaires systématiques de toute fortification, nous nous rejetâmes sur un projet que je considérais comme le moins mauvais de tous ceux qui ont été produits depuis cette époque, le projet Keller qui consistait dans l'établissement d'une immense enceinte, qui ne devait pas coûter un centime au trésor public, en ce sens qu'on aurait livré au gouvernement le nouveau domaine militaire contre le vieux domaine espagnol. J'appuyais fort ce nouveau système. Le cabinet de M. Frère le repoussa. Il ne voulait pas de cette opération ingénieuse. Il exigea des fortifications en règle, mais ne devant coûter que des sommes relativement modérées.
On proposa une enceinte fortifiée comportant une assez grande extension de la ville, du territoire anversois vers le nord. On l'appela la petite enceinte. Ce projet fut combattu par moi et par d'autres et aussi par tous les ministres présents, et on songea à autre chose ; on finit par proposer (et ce n'était pas le gouvernement) une grande enceinte. Et qui a surtout combattu cette grande enceinte, celle d'aujourd'hui, que l'honorable M. Frère veut encore agrandir notablement ? Ce fut M. Frère.
Il déclara que la grande enceinte (aujourd'hui existante) était beaucoup trop grande, tellement grande qu'elle compromettait tous les intérêts nationaux et même l'honneur du pays et de l'armée, et il fit tout ce qu'il put pour faire rejeter ce projet de grande enceinte. N'est-ce pas là une grave variation ? Je me sers d'un mot très poli.
Remarquez que l'opposition de l'honorable M. Frère à la grande enceinte date du second semestre de 1858, c'est-à-dire de quelques mois avant la présentation du projet de loi de 1859, qui décrétait la grande enceinte ! M. Frère ne voulait de la grande enceinte à aucun prix, pour des raisons fondamentales que vous allez entendre, raisons sur lesquelles il est impossible de revenir jamais ; il ne voulait pas de cette grande enceinte et peu de temps après, il la faisait voter lui-même.
L'honorable ministre disait le 29 juillet 1858 :
« Notre devoir est de le dire à la Chambre : L'accroissement successif des dépenses pour les travaux d'Anvers a été commandé, non par les intérêts militaires, mais exclusivement par les intérêts civils. »
Première observation. Si ce n'étaient que des intérêts civils qui commandaient les travaux militaires d'Anvers, on n'a jamais eu le droit de suspecter le patriotisme de ceux qui les ont combattus.
Autre argument contre la grande enceinte :
« La charge qu'il faudrait s'imposer de ce chef serait tellement considérable que je ne crois pas qu'on trouve un ministère disposé à la proposer.
« Si le temps était venu, et il n'est pas venu, de s'occuper de l'exécution d'une grande enceinte, le concours financier de la ville, qui serait nécessairement réclamé, que tout gouvernement réclamera, sera un concours réel et efficace, c'est-à-dire des écus levés pour exécuter les travaux que l'on demande dans l'intérêt de la ville. »
Vous le voyez, messieurs, M. Frère s'engageait alors, en supposant qu'il eût jamais admis la grande enceinte, ce qu'il jugeait impossible, il s'engageait d'avance, même au nom de ses successeurs, à exiger le concours financier de la ville d'Anvers. Or la ville d'Anvers n'a rien payé. La preuve qu'elle n'a rien payé, bien qu'elle ait versé 10 millions pour les terrains militaires, c'est que M. le ministre des finances avait un autre acquéreur qui offrait 10 millions de ces terrains et qui aurait peut-être donné un prix supérieur. Donc la ville d'Anvers n'a rien payé.
- Des membres. - C'est évident.
M. Coomans. - M. Frère l'avoue. L'honorable ministre ajoutait qu'il ne comprenait pas qu'on pût considérer la grande enceinte comme une nécessité. Écoutez-le :
« Je dis : le temps n'est pas venu de nous occuper de la grande enceinte. Et, en effet, n'est-ce pas un spectacle étrange, après les faits que j'ai eu l'honneur de vous mettre sous les yeux, après les faits qui se sont passés il y a si peu de temps, en 1855, en 1856, de voir qu'aujourd'hui l’on considère la grande enceinte comme une impérieuse nécessité ?...
« Le gouvernement vous déclare que la grande enceinte n'est pas réclamée pour la défense de la position ; au point de vue militaire, elle n'est nullement nécessaire. »
J'appelle encore toute l'attention de la Chambre sur ce passage-ci du discours de M. Frère :
« Des autorités militaires, consultées par le gouvernement, permettent au gouvernement, qui a la responsabilité de l'œuvre, de vous affirmer qu'elle n'est pas réclamée pour la défense de la position...
« A l'heure qu'il est il n'y a pas de gouvernement qui acceptât la responsabilité de proposer l'exécution de la grande enceinte comme devant donner satisfaction aux intérêts légitimes de la défense du pays. »
« C'est, messieurs, il faut bien le dire, c'est tout un système. La grande enceinte, et les plans que soumet aujourd'hui le gouvernement, tiennent à deux ordres d'idées entièrement différents. Dans le système de la section centrale (la grande enceinte), il s'agit en réalité, quoi qu'on en ait dit, d'enfermer l'armée dans la place et de la charger uniquement de garder cette position. Dans le système du gouvernement, l'armée doit jouer, dans le pays et pour le pays, le noble rôle qui lui est assigné. Si quelque jour il était nécessaire de combattre pour défendre ce que nous avons de plus cher, nos institutions, notre indépendance, l’armée, j'en suis convaincu, remplirait son devoir, patriotique, et vous ne la réduirez jamais à l'humiliation de fuir au plus vite pour aller s'enfermer dans une place de guerre et y attendre l'ennemi. »
Ainsi donc, la grande enceinte était inadmissible, parce qu'elle impliquait la fuite de l'armée à Anvers, par suite de la nécessité de défendre cette vaste place et parce qu'elle faisait jouer un rôle impossible à une armée belge.
Or, messieurs, je passe légèrement sur les événements suivants.
M. Bouvierµ. - Passez légèrement sur la grande enceinte.
M. le président. - M. Bouvier, n'interrompez pas.
M. Coomans. - Vous savez bien, M. Bouvier, que ce n'est pas pour vous que je parle.
M. Bouvierµ. - Je le sais bien.
M. Coomans. - Et je résume ces faits-ci.
Les fortifications anversoises qui, il y a 20 ans, devaient ne coûter qu'une couple de millions, chiffre moyen, qui, en 1858, ne devaient coûter que de 8 à 10 millions, qui, en 1859, exigeaient déjà 30 millions, ces fortifications ont coûté d'abord 40 millions, puis 7 à 8 millions (page 424) supplémentaires, votés à condition que ce serait la dernière queue qu'où ferait voter à la Chambre, et puis les nombreux millions que vous y allez jeter encore et enfin (si c'est enfin !) tout le capital de la compagnie des Matériels.
Voilà la plus affreuse des queues produites par les fortifications anversoises... (Interruption.) Oh ! je pourrais ajouter aussi le chiffre de l'artillerie, etc. Le fait est que nous avons déjà dépassé de beaucoup la somme de 100 millions indiquée dès le commencement par des hommes compétents aussi et dont on a très abusivement ri.
L'honorable M. Frère prétend qu'il lui était impossible de faire une concession à la population anversoise, même quand elle était unanime.
Contrairement à d'autres allégations produites par lui, il a reconnu hier qu'au début du mouvement ce n'était pas une question de parti, attendu que, comme il l'a constaté lui-même, et c'est vrai, plusieurs membres de la droite l'ont appuyé contre les réclamations anversoises.
Ce n'est donc pas une question de parti qui a dicté le mouvement d'Anvers.
L'honorable M. Frère qui ne voulait pas, dit-il, au nom de la dignité gouvernementale, faire des concessions à de grandes villes même unanimes, pourquoi fait-il des concessions à des individus, à des personnes ? Car enfin la démolition de la citadelle de Gand est une concession faite à des députés. Il n'a pas même l'excuse d'un mouvement de Gand, je dis l'excuse, pour ne pas dire l'excuse suffisante, car je prétends que la généreuse et intelligente population d'Anvers a exécuté un droit et un devoir et je ne connais pas un seul de ses actes à blâmer.
N'ai-je pas été en réalité l'organe de l'opinion publique quand j'ai affirmé que l'honorable M. Frère avait varié souvent sur la question militaire ?
Mais dans tout le cours de la crise, la presse, et notamment celle qui lui est la plus sympathique, n'annonçait-elle pas que le dissentiment entre M. Frère et ses collègues portait sur la question des dépenses militaires ? Je veux bien admettre qu'elle se trompait, que l'honorable M Frère ne voulait pas se refuser à de nouvelles dépenses pour Anvers. Je n'aurais garde de le dire, ni même de le croire, après les explications qui nous ont été données. Mais telle était l'opinion publique, ce qui prouve, et c'est tout ce que je voulais prouver, qu'on jugeait M. Frère incapable de faire ce qu'il fait aujourd'hui, c'est-à-dire d'adopter le système de l'honorable M. Dechamps en l'aggravant encore.
La reculade qu'on vient de faire sur le terrain militaire, je l'eusse comprise de la part d'autres ministres, de la part de l'honorable M. Rogier, par exemple, parce qu'elle eût été conforme à ses précédents et à ses aspirations. De la part de l'honorable M. Frère, c'est une reculade forcée et une reculade simplement politique. Lui-même reconnaît que ce ne sont pas des intérêts militaires qui la lui ont inspirée.
Quant à la satisfaction donnée aux Anversois, rayez cela de vos papiers. Les anversois intelligents, j'aime à croire que c'est la qualification que méritent le plus grand nombre, n'admettront pas votre solution ; du moins je ferai tout ce que je pourrai pour les empêcher d'être indûment satisfaits et mystifiés.
M. Bouvierµ. - Dans un intérêt clérical.
M. Coomans. - Ce qui est grave, je tâche d’indiquer les points importants de la question, c’est la transformation de l’opinion de la gauche, de la majorité sur la question militaire.
Voilà ce qui m'afflige. J'ajouterai, je vous ferai l'honneur de le dire, voilà ce qui m'étonne. Aujourd'hui, vous allez voir la gauche à peu près tout entière voter ce projet de loi militaire qu'ils s'étaient engagés à ne plus voter en tant qu'il comportait des augmentations de dépenses pour Anvers.
L'honorable M. de Brouckere nous l'a dit, il est disposé à le voter, ce qui veut dire qu'il le votera certainement. L'honorable membre a formulé le nouveau programme du parti. (Interruption.) Si, si, vous le voterez. C'est grave et je tire encore de ce fait déplorable cette conclusion qu'il y a de la politique dans cette affaire, rien que de la politique.
Voilà aussi de quoi le pays s'émeut, car vous ne lui donnerez pas le change.
Je n'ai rien dit du remplacement de trois ministres, ce qui me paraît un détail, j'en demande pardon à l'honorable M. Rogier, en ce sens que les choses continueront à aller le même train.
Je n'ai rien dit de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire, ni du temporel du culte parce que je sais bien que ces lois seront inévitablement votées quand on aura obtenu de quelques députés catholiques l'appui nécessaire pour assurer le vote des lois militaires.
Du reste, les préoccupations du public ne sont plus au clérico-libéral, à cette absurde lutte qui a déjà tant coûté au pays, en dignité, en sécurité, en prospérité. La grande préoccupation de la nation belge aujourd'hui, ce sont les envahissements du militarisme.
Vos propositions de l'an dernier ont déjà paru excessives. Celles que vous annoncez aujourd'hui y mettent le comble.
Quelques millions encore. Un nouveau remaniement de notre appareil militaire. On sent instinctivement que quand vous aurez encore agrandi la place d'Anvers, vous devez augmenter d'autant le budget et le chiffre du contingent.
On a déjà eu à déplorer bien des ruines par suite de la folie des fortifications anversoises, et quoiqu'on n'ait encore rien dit ici de celle de la compagnie des Matériels des chemins de fer, je déclare que c'est un des griefs que je fais au gouvernement d'avoir engagé dans une très mauvaise entreprise une société dont les chefs se sont trop légèrement laissé tromper, mais dont nombre d'honnêtes et crédules actionnaires avaient intérêt à voir la prospérité se continuer ou se maintenir.
Certes je ne viens pas réclamer une indemnité pour les actionnaires quoique j'en sois...
M. Bouvierµ. - Ah !
M ? Coomansµ. - Je dis, M. Bouvier, que je ne viens pas réclamer d'indemnité pour les actionnaires et j'ajoute que si l'on en proposait une, je voterais contre ; n'est-ce pas là du désintéressement ?
M. Bouvierµ. - Vous avez fait une mauvaise affaire...
M. Coomans. - Aussi je ne m'en vante pas. e dis que cela est immoral et que dans tous les :as j'ai le droit de porter au passif d'Anvers la ruine des actionnaires de la compagnie des Matériels.
M. Bouvierµ. - Vraiment.
M. Coomans. - Je ne vous demande pas votre opinion, M. Bouvier.
On jettera encore bien des millions dans les fortifications d'Anvers et je répète ici une opinion formulée naguère par un officier supérieur à savoir que, pour mettre Anvers dans un état sérieux de défense, il faut encore dépenser 100 millions. Je sais bien que cela sera nié aujourd'hui et même demain, mais qui dit que ce ne sera pas une vérité après-demain ? A qui se fier encore après tout ce que nous avons vu et entendu ?
Messieurs, le pays est contre vous dans cette question et vous le savez, car vous n'auriez garde de faire la dissolution sur cette question comme vous l'avez faite sur de petites questions d'impôt, sur la loi des successions en ligne directe, par exemple.
Oui, le pays est contre vous, je dirai même presque unanimement contre vous ; s'il y avait des élections aujourd'hui, même dans le corps électoral restreint,, elles tourneraient si fort à votre désavantage que je doute que beaucoup d'entre vous fussent réélus.
Que dirais-je donc si la nation tout entière pouvait se prononcer ? Alors, et cette fois je l'affirme, pas un seul des hommes qui voteraient les augmentations militaires ne serait réélu, je ne dis pas par le suffrage universel, mais par le suffrage général de tous les chefs de famille.
Voilà ma conviction profonde, et je remplis un devoir, le devoir de vrai représentant, pas du district de Turnhout seulement, mais de la nation, en appelant toute votre attention sur la situation anomale, dangereuse, périlleuse que vous faites au pays en augmentant l'écart d'opinion qui existe entre le pays, le gouvernement et la Chambre.
Disons tout avec franchise. Je crois qu'à Liège même M. Frère ne serait pas réélu. (Interruption.) Veut-il ce duel pacifique avec moi ? Nous déposerons chacun notre mandat, nous comparaîtrons devant les électeurs ; pour moi, je comparaîtrai devant les deux corps électoraux, et nous verrons si ce n'est pas moi qui serai élu même à Liège, tout insuffisant que je suis sous bien des rapports, et certes sans nier le talent bien supérieur de M. Frère.
Je vous prie de le remarquer ; je vous fais la partie belle, car c'est devant le corps électoral constitué selon votre système de privilège que je vous provoque. Mais s'il s'agissait d'une élection vraiment nationale, c'est-à-dire de consulter les vœux et la volonté de la majorité du pays, vous n'auriez pas le quart des suffrages que nous autres antimilitaristes nous obtiendrions.
Il vous reste la seule excuse de dire ce que vous avez dit en d'autres circonstances, que ce n'est pas au nombre à dominer, que vous ne voulez pas que la volonté des multitudes, c'est-à-dire de la majorité prévale. Mais cela est-il constitutionnel ? Je ne le crois pas, et, à coup sûr, cela n'est pas libéral, c'est du despotisme.
On me reproche certaines vivacités dans ce débat, je m'en avoue coupable ; je reconnais que j'ai voué à M. Frère une opposition plus (page 425) particulièrement systématique, une opposition implacable, et je crois avoir une excellente justification de mes sentiments et de ma conduite, car c'est à M. Frère que sont dus deux résultats malheureusement presque permanents et qui me choquent : c'est d'abord l'extension qu'ont prise, en Belgique, les dépenses militaires et les charges de l'armée ; c'est ensuite le veto absolu qu'il met à une réforme électorale.
Selon moi, les deux grands besoins de la Belgique sont une réforme électorale qui permette à la grande, à la vraie majorité du peuple belge d'exprimer ses vœux, de défendre ses intérêts et de manifester sa volonté ; c'est le premier besoin ; le second, c'est la paix, le désarmement c'est-à-dire le véritable développement de toutes les branches de la prospérité du pays.
En consacrant à nos dépenses militaires la moitié de nos revenus, et c'est ce que nous ferons, car nos dépenses militaires montent réellement à 60 millions par an tout au moins, en consacrant la moitié de nos revenus à nos dépenses militaires, nous sommes devant deux nécessitées inévitables : nous devons maintenir tous les impôts et nous sommes empêchés de réaliser une foule d'améliorations d'intérêt général qui nous sont signalées de toutes parts. (Interruption.)
C'est la vérité. Je suis fâché de le dire pour l'armée, que je respecte, où je compte de nombreux amis, mais on la perd par des exagérations. Un jour la réaction sera formidable, elle ira plus loin que la plupart des adversaires de l'armée ne le désirent peut-être.
Eli bien, ces énormes dépenses inutiles empêchent une foule de dépenses utiles, vous en avez tous le programme dans la mémoire.
Messieurs, j'ai hâte d'en finir. Nous devrions renoncer à deux arguments ou plutôt à deux reproches qui n'ont réellement pas de signification sérieuse.
On parle toujours de patriotisme et l'on allègue toujours la responsabilité du gouvernement pour nous engager à nous taire. Mais, messieurs, qui donc n'est pas patriote, c'est-à-dire qui donc ne veut pas le maintien de l'indépendance de sa patrie ? Tous, messieurs, nous sommes patriotes, tous nous voulons le maintien de notre patrie, mais nous le voulons par des moyens différents, par des moyens que nous devons réciproquement trouver mauvais ; mais notre mobile, aux uns et aux autres, est assurément respectable ; niais à aucun d'entre vous, messieurs, je ne ferai le reproche de manquer de patriotisme !
De grâce, messieurs, épargnez-moi donc cette banalité qui frise aussi l'insulte de venir nous dire : Vous n'avez pas de patriotisme. Et pourquoi ? Parce que je vois la prospérité publique, la sécurité nationale, la défense nationale ailleurs que vous. Je suis très convaincu, autant qu'on peut l'être, et tous les efforts que je fais, tous les sacrifices que je m'impose pour atteindre ce but le prouvent, je suis très convaincu qu'en désarmant, en se fortifiant moralement et matériellement, la Belgique acquerra une puissance de résistance bien supérieure à celle que pourront lui donner toutes vos citadelles. Ce qu'il faut à la Belgique, c'est d'abord l'union des citoyens, comme le disait hier encore un de nos plus grands patriotes, c'est l'union des citoyens, c'est-à-dire la suppression des stériles sottises clérico-libérales.
Ce qu'il faut ensuite, c'est développer toutes les branches du travail national ; c'est faire une réserve pour les mauvais jours, non pas dans les, caisses du gouvernement, mais dans la bourse des contribuables ; c'est leur laisser faire des économies ; c'est leur donner beaucoup de libertés, beaucoup plus qu'ils n'en ont aujourd'hui.
Ce qu'il faut, en un mot, c'est attacher le peuple à ses institutions, à sa patrie ; c'est augmenter ses droits pour mieux lui faire comprendre qu'il doit remplir ses devoirs. Voilà ce qu'il faut.
Eh bien, mettez que je me trompe ; mettez que ce soit là une hallucination ; mettez que j'ai tort de croire que si la Belgique entière s'armait demain contre un envahisseur, elle ne serait pas plus forte q l'avec "0 000 80,0"'0 hommes au plus que vous parviendrez jamais à réunir sous les drapeaux ; mettez que je me suis trompé... vous me l'accorderez parce que d'autres hommes d'une plus haute valeur que moi et non moins patriotes partagent mes convictions ; mettez que je me suis trompé, de quel droit révoquez-vous mon patriotisme en doute. Il vaut le vôtre. J'ai la conviction, moi, que vous perdez la Belgique ; n'est-ce donc pas mon devoir de vous le dire ; ne dois-je donc pas poser mon pied devant le vôtre pour vous empêcher de faire un pas de plus dans cette voie périlleuse ?
Oui, nous sommes des patriotes et en même temps des hommes à principes, des hommes libéraux ; nous voulons que la force nationale ait pour base la liberté, le droit, la raison, plutôt que la vile force brutale.
Car, je l'ai dit dans d'autres circonstances, jamais je n'ai mérité la calomnie qu'on m'a prodiguée de ne pas vouloir que le pays se défende. Non, messieurs, jamais je n'ai dit cela : le droit de défense est sacré ; c'est un des droits les plus impérieux des citoyens ; tout le monde se doit à la défense de sa patrie.
Je l'ai toujours dit, je suis prêt, comme pis aller, à accepter la théorie de certains de nos collègues, des honorables MM. Le Hardy et Couvreur, par exemple, qui veulent armer toute la nation. Je le veux bien et, pour montrer ma bonne volonté, je me joindrai à vous, les armes au poing.
Mais alors accordez-nous aussi quelque chose ; et la première chose que vous avez à accorder au peuple belge, c'est le droit de suffrage. Il n'y a de bons soldats que les bons citoyens et on n'est bon citoyen que lorsqu'on est un citoyen éclairé, maître de son travail et qui ait le sentiment de sa dignité et de l'égalité politique et civile.
Le grand vice de votre organisation militaire, c'est l'inégalité, c'est la continuation de l'infâme loterie militaire.
Maintenant, messieurs, un dernier mot en réponse à la calomnie qu'on s'est permise à mon égard, que je manquais de patriotisme.
A mon sens, il y aurait un moyen et celui-là serait bien plus efficace que vos fortifications, que votre armée, quelque brave et intelligente qu'elle soit ; il y aurait,. dis-je, .un moyen sûr d'assurer non seulement l'indépendance de la Belgique, mais encore sa sécurité, un moyen d'empêcher même une attaque .Ce moyen, le voici, et sur ce point comme sur les autres, je suis malheureusement sûr que mon défi ne sera pas accepté.
Nous voulons faire acte de patriotisme ; eh bien, faisons-en un grand aux yeux de l'Europe et du monde : ouvrons des registres dans chaque commune, s'il le faut ; donnons au Roi des Belges une preuve de notre patriotisme en signant dans ce registre, au nom de nos enfants mineurs comme au nôtre, l'engagement formel de n'accepter aucun emploi d'aucun conquérant étranger, de ne rendre aucun service à aucun envahisseur, de les combattre à tout jamais aussi longtemps que la Belgique ne. serait pas rendue à l'indépendance et à la liberté.
Pour ma part, je suis prêt à m'engager avec tous mes fils à ne jamais accepter un sou du budget mis à la disposition d'un conquérant étranger.
Eh bien, que tous nous en fassions autant, que tous les ministres en fassent autant, que tous nos diplomates en fassent autant, que tous nos fonctionnaires et candidats-fonctionnaires, et Dieu sait à quel nombre ils s'élèvent ! que tous en fassent autant ; puis cela fait, qu'on publie ces registres pour les offrir au Roi ; cette publication dût-elle coûter un million, je considérerais cette somme beaucoup mieux employée que toutes celles que vous jetez dans les fortifications d'Anvers.
Nous verrons alors où seront les mauvais patriotes ; nous verrons alors quel sera le conquérant étranger qui osera songer encore à nous envahir, quand il apprendra cette manifestation vraisemblablement unanime. Soyons une double Pologne, soyons une double Irlande pour l'étranger.
Fassions cet honneur au roi des Belges et à ses enfants. Pour ma part, je le répète, je suis prêt à prendre un pareil engagement et je désire que tout le monde en fasse autant. Voilà, messieurs, l'acte de véritable patriotisme à accomplir non seulement par les citoyens civils, mais aussi par les citoyens militaires.
Un autre jour je continuerai.
(page 414) MfFOµ. - J'ai eu hier le malheur de toucher juste ; on a pu le voir aux éclats de colère qui ont échappé à l'orateur que nous venons d'entendre.
J'ai déclaré qu'une série de faits dont M. Coomans s'est occupé dans son discours d'avant-hier, avaient été présentés par lui d'une manière qui n'était pas conforme à la vérité.
Il a voulu vous prouver aujourd'hui que je m'étais trompé. L'a-t-il fait ?
(page 415) Il avait affirmé que j'avais exprimé, sur la question des fortifications de la rive gauche de l'Escaut, des opinions diamétralement contraires à celles que je viens défendre aujourd'hui.
J'ai déclaré que, dans mes souvenirs et dans les innombrables discours prononcés par moi sur la question d'Anvers, je n'avais pas trouvé une seule phrase où j'eusse exprimé une opinion quelconque sur la question des fortifications de la rive gauche de l'Escaut.
J'ai engagé M. Coomans à fournir la preuve de ce qu'il avançait. En a-t-il fourni ? Aucune.
M. Coomans avait affirmé qu'à l'époque où il soutenait que la citadelle du Nord était insalubre, inhabitable, eu même temps qu'on la déclarait extrêmement dangereuse pour la ville d'Anvers, j'avais émis l'opinion que cette citadelle était parfaite, excellente, et qu'elle devait, dans ces conditions, parfaitement répondre au but pour lequel elle avait été établie. J'ai répondu que je n'avais jamais émis d'opinion de ce genre sur la question de la citadelle du Nord ; qu'en consultant mes souvenirs et en fouillant dans mes discours je n'y avais rien trouvé qui autorisât une pareille assertion. M. Coomans a-t-il fourni des preuves à la Chambre ? Aucune encore.
M. Coomans avait affirmé que j'avais soutenu que le projet de l'honorable M. Dechamps, qui devait s'exécuter uniquement avec le prix des ventes des terrains militaires, était un projet irréalisable, et que j'avais condamné ce projet : j'ai prouvé, en reproduisant textuellement mon discours devant la Chambre, que j'avais, au contraire, exprimé l'opinion que si le plan de M. Dechamps eût consisté uniquement dans la transformation de certains terrains de fortification en autres terrains de fortification, c'eût été un plan praticable ; mais que le plan de M. Dechamps ne l'était pas, puisqu'il était impossible de l'exécuter à l'aide du prix de vente des terrains militaires. M. Coomans a-t-il apporté une preuve quelconque de son assertion ? Assurément non.
M. Coomans, en parlant d'une déclaration que j'ai faite dans cette Chambre, pour dire que, dès que le calme serait rétabli dans la ville d'Anvers, on examinerait ce qu'il pouvait y avoir de juste et de légitime dans ses plaintes, a prétendu que mes paroles s'appliquaient uniquement à la question des servitudes, mais nullement à celle des citadelles.
J'ai hier fourni la preuve du contraire à la Chambre. L'assertion de M. Coomans n'était-elle donc pas une contre-vérité ?
Voilà quels étaient les points qui avaient été articulés par M. Coomans. J'ai dit que c'était un tissu de contre-vérités et l'on s'indigne ! l'on trouve même que l'expression n'est pas parlementaire.
Je prends la liberté de ne point partager cette opinion. Je tiens, au contraire, qu'il est parfaitement conforme aux usages parlementaires, de qualifier d'inexactes des assertions qui ne sont pas conformes à la vérité, de dire que ce sont, par conséquent, des contre-vérités.
Et c'est pour m'être servi de cette expression que j'ai entendu M. Coomans me rappeler un mot, regrettable, je le veux bien, que j'ai prononcé dans le cours de ma carrière parlementaire, déjà longue, mais qui ne fut pas même, à l'époque où il a été prononcé, l'objet d'un rappel à l'ordre dans cette Chambre, parce que l'expression dont je m'étais servi alors avait été provoquée, de l'aveu de tout le monde, par une expression équivalente.
Je ne sais, au surplus, s'il est moral, dans une affaire qui a un côté assurément très délicat, de raviver le souvenir d'un fait qui est de nature à réveiller des offenses, et s'il convient de remuer des mots entre lesquels il peut toujours y avoir du sang.
M. Coomans vous a dit que, dans d'autres circonstances, j'avais adressé des insultes à des membres de cette Chambre ; il vous a affirmé que, notamment, ayant à discuter les opinions de mes honorables adversaires, j'avais dit que c'était l'audace de la sottise greffée sur le mensonge.
C'est encore une de ces assertions que je taxe de contre-vérité ; c'est une assertion tout à fait inexacte. Voici, messieurs, la vérité.
Un jour, dans cette Chambre, j'ai eu à discuter des opinions qui s'étaient produites au dehors ; j'avais à examiner des théories qui étaient absurdes, insensées, et qui avaient été soutenues dans des meetings publics, en même temps que l'on adressait à ma personne les insinuations les plus offensantes.
Après avoir prouvé à quel degré ou égarait les hommes qui fréquentaient ces meetings, j'ai dit en terminant : Voila jusqu'où peut aller l'audace de la sottise greffée sur l'ignorance.
Ces paroles ne s'adressaient donc pas à des membres de la Chambre ; et dès lors, comment M. Coomans se permet-il de les rappeler comme si je les avals adressées à d'honorables collègues de cette assemblée ?
Maintenant, que j'ai concentré le véritable terrain du débat, maintenant que j'ai prouvé que tout ce qu'avait dit M. Coomans n'est pas conforme à la vérité, faut-il que je reprenne dans le discours que vous venez d'entendre toute une série d'autres assertions qui ne sont pas davantage conformes à la vérité ?
Ainsi, par exemple, M. Coomans vient de dire qu'en 1848, au milieu des catastrophes les plus terribles auxquelles l'Europe était en proie, on a vu en Belgique le ministre des finances venir demander la réduction des dépenses militaires. Voilà l'assertion de M. Coomans.
Eh bien, à cette époque, les Annales parlementaires en font foi et donnent un éclatant démenti à M. Coomans, j'ai proposé neuf millions de crédits supplémentaires pour le département de la guerre.
A une époque postérieure, il s'est agi de la réduction des dépenses militaires. Heureusement, j'étais alors, selon M. Coomans, contenu par l'honorable M. Rogier : sans cela, j'aurais démoli l'armée ; j'aurais dit alors dans cette Chambre qu'il entrait dans mes vues de réduire le budget de l'armée à vingt-cinq millions.
Or, messieurs, il se trouve que c'est l'honorable M. Rogier lui-même qui est venu apporter cette parole dans la Chambre. Vous voyez comme il me contenait ! Il parlait, d'ailleurs, au nom du cabinet.
Et quel était, messieurs, l'objet du débat à cette époque ? Etait-ce une question d'argent ?
Pas le moins du monde : à toutes les époques, j'ai déclaré, au contraire, que je mettais fort au-dessous de toutes les autres la question d'argent, quand il s'agissait de la défense nationale. Mais nous avions une question politique des plus graves à résoudre.
Pendant longtemps, on avait prétendu sur les bancs de la droite, comme on le prétendit ultérieurement sur les bancs de la gauche (on le prétendit sur les bancs de la droite, par l'organe de l'honorable M. Brabant), qu'un budget de la guerre fixé à 25 millions était suffisant pour la Belgique. Les finances de l'Etat étaient alors dans un état déplorable ; un déficit toujours croissant s'opposait à l'équilibre des budgets ; il fallait nécessairement créer de nouvelles ressources.
Je me présentai devant cette Chambre pour essayer d'obtenir les moyens de rétablir l'équilibre financier, et je rencontrai cette situation : La droite tout entière, par un calcul politique, que l'on peut jusqu'à un certain point considérer comme légitime, je ne le discute pas, déclara qu'il était impossible de réduire les dépenses militaires ; qu'il fallait plutôt les augmenter ; mais elle déclarait en même temps qu'en aucun cas elle ne voterait un centime d'impôt. A gauche, une partie de nos honorables amis nous disaient : Pas d'impôts, à moins que leso dépenses militaires n'aient été réduites.
Naturellement, cet état de choses faisait une position merveilleuse à l'opposition.
Qu'est-ce que nous imaginâmes alors pour sauvegarder ces deux grands intérêts de premier ordre pour toute nation : une bonne situation, financière, un bon système de défense nationale ? Etait-ce de réduire le budget de la guerre à 25 millions ? Mais si telle eût été notre intention formelle, rien n'était plus simple que de la réaliser ; nous n'avions qu'à exécuter, qu'à décréter immédiatement une pareille mesure.
Nous ne le voulûmes pas. Nous proposâmes ce compromis à nos amis. Nous leur dîmes : Notre désir, comme le vôtre, est de réduire autant que possible les dépenses militaires. Un budget de 25 millions nous convient assurément beaucoup mieux qu'un budget de 30 millions ; un budget de 20 millions nous conviendrait mieux encore. Mais est-ce possible ? Si c'est possible, nous le voulons sincèrement, loyalement ; cela entre dans nos vues. Recherchons donc ce qui est praticable. Nous allons vous proposer l'institution d'une commission qui aura pour mission de rechercher tous les moyens de réduire les dépenses militaires. Et moyennant cette concession, nos amis furent d'accord avec nous pour voter les impôts nécessaires au rétablissement de notre situation financière.
La commission fut instituée ; les impôts furent votés. L'équilibre financier fut rétabli. Les moyens de payer les dépenses de l'armée furent dès lors acquis.
Le résultat de l'examen fut qu'il était impossible de réduire le budget de la guerre à 25 millions, qu'il devait au contraire être porté à 29 millions ; c'est ce qui a été faut en 1853, lorsque j'avais quitté le pouvoir.
Voilà l'histoire vraie ; voila ce qui s'est passé relativement à l'un des (page 416) faits auxquels M. Coomans a fait allusion, en les dénaturant. Il en est beaucoup d'autres sur lesquels il me serait tout aussi facile de vous fournir une réfutation non moins péremptoire. Je n'en veux prendre que quelques-uns ; je me garderai bien de les examiner tous ; j'épuiserais, à coup sûr, la patience de la Chambre, car le discours tout entier que vous venez d'entendre ne contient d'un bout à l'autre que des assertions du même genre, tout aussi inexactes, tout aussi hasardées.
Autre fait donc : Il s'agit de la grande enceinte. Vous avez défendu la petite enceinte, me dit M. Coomans ; vous avez combattu la grande enceinte ; puis, vous avez vous-même fait voter la grande enceinte. Et M. Coomans de s'écrier : Contradiction !
Messieurs, tous les documents qui ont été publiés sur cette affaire attestent que lorsque le système de la petite enceinte a été proposé, il a été dit que rien ne s'opposerait ultérieurement, lorsque les besoins civils d'Anvers l'exigeraient, à ce qu'on fît la grande enceinte.
Mais, dans un de mes discours, dont je me souviens très bien, attendu qu'il a été rappelé peut-être vingt fois par M. Coomans, j'ai dit en terminant : « Il ne faut pas qu'on se fasse illusion ; il y a, entre la grande et la petite enceinte, deux systèmes militaires entièrement différents. Avec le système de la section centrale, disais-je, la grande enceinte n'est destinée qu'à une chose, à y renfermer l'armée ; et ce système, je le répudie. » Voilà, d'après mes souvenirs, le sens de mes paroles.
Or, messieurs, savez-vous ce que cela signifiait ? Ceux qui se sont occupés de cette question à cette époque, ceux qui ont assisté à nos débats, ceux qui ont fait partie de la section centrale le savent, et peut-être bien M. Coomans le sait-il aussi lui-même : Voici à quoi je répondais en m'exprimant ainsi :
Dans une section centrale qui s'était occupée d'un de ces projets à cette époque, se trouvait le savant général Goblet. Le général Goblet qui s'était déclaré, à certaines conditions, partisan du système de la grande enceinte, était tout à fait opposé à une armée en campagne.
Ne voulant pas d'armée en campagne, il ne voulait qu'une armée défensive, exclusivement proportionnée aux besoins de la défense de la grande enceinte qu'il préconisait. Combattant le projet et les idées qui avaient été émises, je disais qu'il y avait entre nous deux, entre le système que nous défendions et le système de la section centrale, consistant dans une grande enceinte, une distance énorme ; que ce dernier système, nous ne pouvions l'appuyer à aucun prix, reconnaissant ainsi qu'il était indispensable pour le pays, non seulement d'avoir une armée pour la défense des places fortes, mais aussi une armée capable de tenir la campagne.
Voilà quel était le sens des paroles que j'ai prononcées. Pour M. Coomans, il y avait là une opposition absolue entre la grande et la petite enceinte. On ne pouvait avoir soutenu l'une, sans se mettre en contradiction, lorsqu'on viendrait à soutenir l'autre.
Je pense que tout le monde est parfaitement convaincu, après ce que je viens de dire, qu'il n'y avait pas l'ombre de contradiction dans cette situation.
A propos des travaux d'Anvers, M. Coomans vient de parler des dépenses énormes qu'ils ont occasionnées, en les exagérant de beaucoup, selon sa coutume. Mais il ajoute au passif d'Anvers le capital d'une compagnie qui avait entrepris l'exécution de ces travaux. On est responsable de ce que l'entrepreneur a mal calculé ou a mal fait ses affaires, et, ce qui est bien plus grave, on est responsable, non pas seulement de cette opération, dans laquelle peut-être l'entrepreneur a réalisé un bénéfice, mais des milliers d'autres opérations qu'il a faites et dans lesquelles il a pu essuyer des pertes.
Voilà le thème incroyable dont on vient se faire l'écho dans cette Chambre, après avoir essayé d'agiter à l'extérieur à l'aide de ce mauvais moyen. On sait qu'il y a des intérêts froissés ; on sait qu'il y a des personnes qui ont des réclamations plus ou moins fondées à élever. C'est à ces intérêts que l'on parle aujourd'hui. C'est au gouvernement qu'il faut vous adresser, leur dit-on. Mais, en même temps, on les avertit que s'ils s'adressent au gouvernement, et si même, par une supposition des plus absurdes, des plus irréalisables, le gouvernement pouvait avoir à proposer quelque chose de ce chef, on repousserait une pareille proposition !
M. Coomans a répété encore que l'on va augmenter dans des proportions effrayantes, pour ainsi dire incalculables, les dépenses actuelles de notre état militaire. Il oublie que le plan proposé par le gouvernement lui a enlevé, comme je le disais hier, l'arme dont il espérait tirer si bon parti contre le fantôme du militarisme.
On avait essayé mille moyens de faire croire qu'il faudrait des sommes énormes, aujourd'hui on a dit 100 millions, pour compléter les fortifications d'Amers, et l'on se promettait un grand succès de cette manœuvre pour alarmer, pour agiter le pays.
Mais le gouvernement vient vous dire qu'il n'y a pas de dépenses à faire. Je n'en ai indiqué qu'une seule, qui est relative aux forts du bas Escaut, créés en 1855, époque où la portée des nouveaux canons et la valeur des flottes cuirassées étaient encore inconnues.
Hors de là, tout est subordonné à la vente des terrains militaires, comme j'ai eu l'honneur de l'indiquer à la Chambre. Il n'y a donc pas de ce chef de dépenses nouvelles à faire supporter au pays.
M. Coomans s'imagine que les affaires militaires, la conscription, le militarisme, comme l'on dit aujourd'hui, que tout cela constitue des mesures qui sont très impopulaires dans le pays.
Eh bien, je ne suis pas du tout de cet avis ; et si ceux que l'on nomme les antimilitaristes y réfléchissaient ; une seconde, ils devraient comprendre que la défense du pays est, au contraire, extrêmement populaire. Quand ils s'en vont eu guerre, que font-ils ? Est-ce qu'ils viennent dire dans ces assemblées populaires : Vous êtes une réunion de lâches ; jamais vous n'aurez le courage et la force de vous défendre. Ne l'essayez donc pas. Jetez loin de vous des armes qui vous sont inutiles et dont vous n'oseriez vous servir. Quand l'ennemi se présentera à la frontière, vous vous coucherez à plat ventre, et vous recevrez docilement, humblement, les maîtres qui voudront bien se donner le soin de vous conquérir !
Est-ce là le langage que vous tenez à la foule ? Oh ! non sans doute. Le peuple, dans sa juste indignation, lapiderait les téméraires qui auraient l'audace de lui tenir un pareil langage. Que lui dit-on ? Vous êtes un peuple de braves, qui saura toujours défendre lui-même sa nationalité et son indépendance. Ce n'est pas une armée de soldats qu'il faut au pays : c'est la nation tout entière qui doit former l'armée ; que chaque citoyen soit soldat ; que les enfants eux-mêmes soient exercés ; que depuis l'école jusqu'au régiment tout le monde soit en armes : Et l'on applaudit, parce que le sentiment patriotique, le sentiment national trouve là un élément pour ses plus nobles aspirations. (Interruption.)
On petit donc être armé pour la défense du pays ? Qu'est-ce alors qui nous sépare de ceux qui parlent ainsi ? Il y a cette différence qu'ils s'imaginent que leur système est meilleur, qu'il profitera davantage au pays, qu'il procurera plus de sécurité, qu'il entraînera moins de charges que celui que nous avons à proposer, voilà toute la différence.
Eh bien, quand l'heure sera venue, nous démontrerons que le système à la fois le plus fallacieux, le plus inefficace et le plus cher, est précisément celui qui consiste à exiger le service militaire de tous les citoyens ; et que celui qui est le moins onéreux, le plus sûr, qui peut le mieux sauvegarder le grand, l'immense intérêt de notre indépendance et de notre nationalité, c'est celui qui consiste à avoir une armée convenable, proportionnée à la fois à nos ressources et aux besoins de notre défense.
- Plusieurs membres. - C'est cela ! Très bien !
MfFOµ. - Voilà précisément la seule question qui sera posée entre nos adversaires et nous.
Et vous pensez que, la question étant ainsi posée, j'hésiterais à me présenter devant mes électeurs pour faire juger ma conduite ?
Mais il y a vingt ans qu'ils m'honorent de leurs suffrages ! Et cependant, les principes que je défends aujourd'hui sont les mêmes que j'ai toujours soutenus à toutes les époques de ma carrière politique.
Il y a vingt ans que de faux prophètes parlent d'impopularité à propos de projets militaires. Mais j'ai toujours vu que ceux qui savaient défendre avec courage des opinions consciencieuses conservaient partout leur popularité. (Interruption.) Ce n'est pas à dire que j'accepte la proposition que m'a faite M. Coomans de devenir son compétiteur dans l'arène électorale.
Il y a des duels qu'on n'accepte pas. (Interruption.)
Reste maintenant à parler de la citadelle de Gand. C’est une question spéciale, une question tout à fait militaire, pour laquelle mon honorable collègue est beaucoup plus compétent que moi. Il donnera, à cet égard, à la Chambre des explications qui, je le pense, seront de nature à la satisfaire complètement.
- Plusieurs membres. - A demain !
MgRµ. - Messieurs, je ne me lève pas pour faire un discours ; je désire simplement présenter à la Chambre une courte observation. Les honorables MM, Royer de Behr et Van Overloop m'ont interpellé, et je compte leur (page 417) répondre lors de la discussion générale de la loi de réorganisation de l'année.
Mais aujourd'hui on a représenté la suppression de la citadelle de Gand comme une manœuvre électorale, et mon honneur militaire est intéressé à ce que l'opinion ne s'égare pas à ce sujet. Je déclare que si l'on n'avait pas élevé les forts de la rive gauche, je n'aurais pas conseillé ce démantèlement. Cette opération est la conséquence de l'autre.
On a pu varier d'opinion sur l'utilité des fortifications nouvelles, mais jamais sur l'indispensable besoin de rester maîtres des deux rives. Pour fixer les idées à cet égard, il suffit de se remémorer ce qu'était Sébastopol. Que serait devenue l'armée russe si elle avait été tout entière confinée dans la place ? C'est la possession des deux côtés de la rade qui a donné à la défense l'ampleur que vous lui connaissez. Aussi, je le répète, tous ceux qui se sont occupés de la fortification d'Anvers n'ont jamais varié sur cette importante question, seulement ils différaient sur les moyens de satisfaire à cette nécessité inhérente à une bonne défense.
Les manœuvres sur la rive gauche étaient malaisées à opérer à travers le long défilé des prairies, et l'on comptait pour entraver les mouvements de l'ennemi et donner le temps à l'armée d'arriver en force sur la ligne de défense formée par l'Escaut et les canaux des Flandres qu'appuient et protègent les forteresses de Termonde et de Gand. Gand, dans ce système, était un point d'appui indispensable à tenir pour gagner du temps, parce que c'est par cette localité que passent toutes les routes qui de l'ouest de la Belgique se dirigent vers Anvers. Encore ici, cet obstacle franchi par un ennemi supérieur, les opérations de notre armée devenaient difficiles parce qu'elle trouvait derrière elle ce même défilé à traverser.
Mais dès que nous constituons sur la rive gauche un camp où nous pouvons nous réunir et déboucher en force lorsque nous le jugerons opportun, nous n'avons plus la même crainte de voir tourner la ligne de l'Escaut et d'être rejeté dans Anvers.
Gand n'est plus indispensable, et nous trouvons dans la combinaison nouvelle une large compensation aux avantages qu'il nous offrait. J'ai pu, dès lors, consentir à son abandon, ce que je n'aurais pu faire si sa destruction avait dû compromettre en quoi que ce soit la défense du pays. Tout ce qui était destiné à la défense de Gand, garnison, artillerie, munitions, sera employé dans les nouveaux forts.
Voilà, messieurs, les motifs sérieux qui m'ont guidé, et je n'ai eu aucunement en vue une manœuvre électorale.
- La séance est levée à 5 heures.