(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 379) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Les sieurs Blick frères demandent que le droit d'accise sur la fabrication des glucoses soit réduit à 2 fr. par 100 kilog. de fécule mise en œuvre. »
- Renvoi à la commission permanente d'industrie.
« Le sieur Cerfout, premier instituteur à l'école primaire communale de Herve, demande une augmentation du subside qu'il reçoit de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions
« Lesieur Gerber, Boone et autres employés chargés du recensement de la population et de la formation d'une statistique agricole et industrielle à Poperinghe, demandent qu'en attendant la rémunération de leur travail, il soit pris des mesures pour qu'ils reçoivent au moins le remboursement de leurs débours. »
M. Van Renynghe. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
M. le président. - Je dois faire remarquer, à l'honneur de la commission des pétitions, que maintenant tous les rapports sont prompts.
- La proposition de M. Van Renynghe est adoptée.
« Le sieur Lacombe, à Lennick-Saint-Martin, demande un secours. »
- Même renvoi.
« Le sieur Kahn demande la concession d'un chemin de fer d'Adinkerke à Ostende par Furnes et Nieuport, et d'un embarcadère près du hameau de la Panne à Adinkerke. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Carnières réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir la construction d'une école dans la section de Trieux. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Roulers prient la Chambre de faire annuler l'ordonnance de police sur les réunions dansantes, qui a été prise par le conseil communal le 8 novembre 1867. »
- Même renvoi.
« Le sieur Colin, mécanicien, se plaint d'être imposé pour un tour à tourner le fer et l'acier, et demande l'abrogation de la loi qui établit cette imposition. »
- Même renvoi.
« Des habitants du hameau de Kerkhove, commune de Merxplas, demandent de ne plus être obligés de loger par billet et militairement les employés de la douane. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Grapfontaine demande la reprise par l'Etat du chemin de grande communication de Neufchâteau vers Stenay. »
« Même demande des conseils communaux de Suxy et Les Bulles. »
- Même renvoi.
« La chambre de discipline des notaires de l'arrondissement de Mons présente des observations sur la partie du projet de loi relatif à l'organisation judiciaire qui accorde aux greffiers des justices de paix le droit de faire des ventes publiques au comptant de meubles et effets mobiliers. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Lodelinsart protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi abolissant le tirage au sort pour la milice et les armées permanentes. »
« Même demande d'habitants de Laerne. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Esschen protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Lodelinsart demandent la révision de la loi du 25 décembre 1842, sur l'enseignement primaire. »
« Même demande d'habitants d'Anvers, Bruxelles, Bruges et Ixelles. »
- Même renvoi.
« Les secrétaires communaux du canton de Frasnes-lez-Buissenal prient la Chambre de prendre les mesures nécessaires pour améliorer la position des secrétaires communaux. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Longvilly prie la Chambre d'accorder à la Société Forcade la garantie d'un minimum d'intérêts pour la construction de son chemin de fer qui doit traverser la province de Luxembourg du S.-O. au N.-E. »
« Même demande des conseils communaux de Wibrin, Lutremange, Hompré, Fauvillers, Tailles, Wardin, Flamierge, Bihain, Nives, Longchamps, Montleban, Morhet, Grand-Halleux, Beho, Bovigny, Tavigny, Hollange, Houffalize, Sibret, Mont, Tintange, Bertogne, Arbrefontaine. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Minderhout prie la Chambre d'accorder aux sieurs Chauchet et Bennert la concession d'un chemin de fer d'Anvers sur Brecht pour se diriger d'un côté sur Breda et de l'autre côté sur Hoogstraeten et Bar-le-Duc.
« Même demande des conseils communaux de Meerle, Wortel, des membres du conseil communal et d'habitants de Brecht, Brasschaet, Loenhout, Meir, Minderhout, Hoogstraeten, et des membres du conseil communal et d'habitants de Wueslwezel qui proposent d'établir sur le territoire de cette commune l'embranchement vers Loenhout. »
M. Gerritsµ. - Je viens appuyer cette pétition. Le chemin de fer dont il s'agit serait extrêmement important, non seulement pour le commerce avec la Hollande et avec l'Allemagne, mais aussi pour le défrichement de la Campine, où il manque surtout de voies de communication.
Tout le capital pour la construction de ce chemin de fer est prêt ; les demandeurs en concession ne sollicitent du gouvernement ni subside ni garantie de minimum d'intérêt.
Je crois donc pouvoir demander un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le syndic de la chambre des huissiers de l'arrondissement de Louvain demande que le nombre des huissiers soit mis en rapport avec le travail de chaque résidence ; que tous les huissiers puissent instrumenter dans les affaires portées devant les juges de paix ; que le tarif de 1807 soit augmenté ; qu'il y ait égalité des tarifs pour toute la Belgique et qu'on alloue un traitement aux huissiers qui font le service aux audiences de la justice répressive, aux cabinets d'instruction et aux parquets. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Wasmes prie la Chambre _de rapporter la loi du 23 septembre 1842 sur l'enseignement primaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Heuskin fait connaître qu'il est obligé de renoncer à sa demande de naturalisation ordinaire, si l'on ne peut modifier en sa faveur la disposition qui assujettit cette naturalisation au droit d'enregistrement de 500 fr. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des huissiers de Louvain présentent des observations sur le projet de loi relatif au protêt. »
(page 380) Mêmes observations d'huissiers à Anvers, Bruges, Courtrai, Namur, Malines et d'une commune non dénommée, de commerçants et industriels à Courtrai, de la chambre de discipline des huissiers de l'arrondissement de Furnes. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Tombeur demande la suppression du mot « notaires » dans les articles 6 et 7 du projet de loi sur les protêts. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Ferrières demande la construction, aux frais de l'Etat, d'une route d'Ortheuville à la station du chemin de fer établie à Ferrières. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
c Le sieur Machny demande que la position des distributeurs des postes soit améliorée. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Pierret appellent l'attention de la Chambre sur les observations relatives au projet de loi concernant les protêts, qui se trouvent dans un article du journal La Liberté. »
— Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Par trois pétitions, des habitants de Verviers demandent la suppression des jeux de Spa. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Des décorés de la croix de Fer demandent qu'il soit pris une mesure, pour améliorer le position de ceux d'entre eux qui sont dans le besoin. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Tongre-Notre Dame prient la Chambre de ne pas aggraver les charges militaires et de supprimer la conscription. »
« Même demande des habitants de Clercken. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.
« Des habitants de Marienbourg demandent l'abolition du tirage au sort pour la milice et proposent des mesures pour la formation d'une armée permanente. »
- Dépôt sur te bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation de l'année et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.
« Par huit pétitions, des habitants de Liège et des environs déclarent protester contre les propositions de la commission militaire et demandent que la conscription soit remplacée par un système mieux ou rapport avec l'égalité des citoyens. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Rolleghera-Kapelle prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation, de l'armée et d'abaisser a 25 millions le chiffre du budget de la guerre.
« Même demande d'habitants de Rumbeke. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre et du projet de loi sut l'organisation de l'armée.
« Des habitants de Kessel prient la Chambre de rejeter les propositions de la commission militaire relatives, à. l'exonération, ainsi que l'augmentation de l'armée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation militaire.
« Les sieurs Léonard, Guillemyn et autres membres de l'Association libérale constitutionnelle de Gand prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation de l'armée, de modifier les projets notamment quant au tirage au sort et au remplacement militaire, et de décréter en tous cas un allégement considérable des charges militaires. »
« Même demande des sieurs Kerfyser, Van Acker et autres membres de la même Association. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi militaires.
« Les sieurs Coveliers, Vaes et Vanden Bogaerd, respectivement président, secrétaire et trésorier de la société politique, l'Union libérale, à Anvers, prient la Chambre de décréter l'abolition immédiate de la conscription militaire et de l'armée permanente et la réorganisation de la force publique sur des bases constitutionnelles et vraiment démocratiques. »
- Même décision.
« Des habitants de Beersel prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation de l'armée, de s'opposer à toute augmentation des dépenses militaires, et de prendre des mesures pour abolir le tirage au sort de la milice. »
« Même demande d'habitants de Putte et de Nederbrakel. »
- Même décision.
« Des habitants de Heyst-op-den-Berg prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation de l'armée et l'augmentation du budget de la guerre. »
« Même demande d'habitants de Boisschot et Schrieck. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation de l'armée et du budget de la guerre.
« Des habitants de Tohogne demandent le rejet du projet de loi sur l'organisation de l'armée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des ouvriers de différentes communes demandent l'abolition des lois sur la milice, la suppression des armées permanentes et la réalisation de leurs droits de citoyens. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice et dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation de l'armée.
« Le sieur De Jagher présente des observations relatives à l'organisation des forces militaires. »
- Même décision.
« Les sieurs Willaert et Cuperus, président et secrétaire de la société de gymnastique et d'armes d'Anvers, soumettent un projet d'organisation des forces militaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation militaire et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.
« Par deux pétitions, des habitants de Huy prient la Chambre de rejeter le projet de loi. sur l'organisation de l'armée.
« Même demande d'habitants de Hermalle, Fumai, Argenteau et Montzen. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« Par messages des 20 et 21 décembre 1867, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion, à, plusieurs projets de loi. »
- Pris pour notification.
« Il est fait hommage a la Chambre :
« 1° Par le comité de l'Académie, du tome II des lettres., négociations de Philippe de Commines. ;
« 2° Par M. le président de l'Académie royale de médecine, d'un exemplaire du compte rendu de la célébration du 25e anniversaire de la fondation de la compagnie ;
« 3° Par M. le président de l'association des Amis du progrès de Bruges, d'un exemplaire du catalogue de la bibliothèque populaire gratuite fondée par cette association. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. de Zerezo, empêché par la mort de sa femme et M. Muller, retenu chez lui par l'état de sa santé, demandent un congé de quelques jours. »
- Ces congés sont accordés.
MfFOµ. Des divergences de vues s'étant manifestées dans le conseil, les ministres ont remis successivement leurs démissions au Roi.
L'honorable M. Rogier a été appelé par Sa Majesté, qui l'a engagé à se charger de la reconstitution du ministère. Il a décliné cette mission. Invité à réfléchir et à ne point prendre une résolution immédiate, l'honorable M. Rogier, par déférence pour Sa Majesté, a consenti à ajourner sa réponse. Le surlendemain, il a fait connaître qu'il ne pouvait que persévérer dans les intentions qu'il avait manifestées.
Le Roi m'ayant ensuite offert les pouvoirs nécessaires pour former une nouvelle administration, j'ai cru que, dans les circonstances où nous nous trouvions, mon devoir était d'accepter ce mandat.
Voici quel était l'obstacle politique qui s'opposait à une entente entre les membres du cabinet.
L'honorable ministre de l'intérieur, dont le zèle pour l'instruction a été apprécié par la Chambre et par le pays, avait résolu de donner un grand développement aux écoles d'adultes. Il prépara et publia un arrêté royal organique de ces écoles, qui fut accueilli avec une vive satisfaction. (page 381) Il ne parut d'abord mériter que des éloges. Mais, peu après, il souleva des critiques assez vives, parce que ces écoles avaient été soumises au régime de la loi du 23 septembre 1842 sur l'enseignement primaire.
L'honorable ministre de l'intérieur, suivant en cela certaines traditions de son département, avait, en effet, déclaré cette loi applicable aux écoles d'adultes. Il n'avait ni voulu, ni cru étendre cette loi ; il avait pensé qu'il en faisait une stricte application. La question pouvait être controversée et elle le fut. De là, la discussion dont la Chambre a gardé le souvenir.
Dès le mois de novembre 1866, notre honorable collègue avait réclamé pour ces écoles le concours du clergé.
La lettre qu'il écrivit à ce sujet à M. le cardinal et à MM. les évêques, sous la date du 7 novembre 1866, est ainsi conçue :
« J'ai l'honneur de vous adresser, avec prière de vouloir bien les faire distribuer à MM. les inspecteurs ecclésiastiques, ainsi qu'à MM. les doyens et desservants,... exemplaires d'une brochure contenant, entre autres, l'arrêté royal du 1er septembre 1866, relatif à l'organisation des écoles d'adultes.
« Vous remarquerez que les mesures prescrites en vue de cette organisation ne s'écartent en rien des principes de la loi du 23 septembre 1S42.
« J'ose espérer, monsieur 1..., que le clergé voudra bien s'associer à une œuvre qui, si elle est menée à bonne fin, contribuera puissamment au perfectionnement intellectuel et moral, ainsi qu'au bien-être matériel des masses. »
Le 22 octobre 1866, M. le cardinal adressa au ministre la réponse suivante :
« Monsieur le Ministre,
« J'ai l'honneur de vous informer, en réponse à votre lettre du 17 novembre dernier, qu'après en avoir conféré avec Messeigneurs les évêques des autres diocèses, je suis disposé à faire connaître à MM. les curés de mon diocèse qu'ils doivent prêter leur concours aux écoles d'adultes qui seront ouvertes dans leurs paroisses, vu que ces écoles seront soumises au régime de la loi du 23 septembre 1842, ainsi qu'il conste par le rapport que vous avez fait au Roi sur l'arrêté royal du 1er septembre dernier, et par la circulaire que vous avez adressée aux gouverneurs des provinces, le 20 octobre dernier.
« Cependant, je dois vous faire observer, Monsieur le Ministre, que le clergé pourra être empêché d'y concourir dans les paroisses où ce concours entraînerait la chute des écoles dominicales, qui y produisent les meilleurs résultats.
« Ensuite, je devrais pouvoir informer le clergé qu'il sera admis dans les sections supérieures, pour y donner aux élèves les avis dont ils ont besoin à leur âge, surtout dans les villes, où ils ne fréquentent pas le prône. Je pense, Monsieur le Ministre, que c'est là votre intention, puisque, dans votre circulaire aux gouverneurs, vous dites, à la page 42, que les instituteurs doivent s'appliquer à former des hommes religieux et moraux.
« Je vous prie, Monsieur le Ministre, de m'informer si je puis donner cette assurance à mes curés. »
Trois choses sont à remarquer dans cette lettre. M. le cardinal annonce qu'après avoir conféré avec ses collègues de l'épiscopat, il est disposé à faire connaître aux curés de son diocèse qu'ils doivent prêter leur concours aux écoles d'adultes ; mais il ne dit rien des dispositions des chefs des autres diocèses, à qui, d'ailleurs, le ministre s'était adressé et dont il devait attendre une réponse.
En second lieu, M. le cardinal déclare que le clergé pourra être empêché de prêter son concours aux écoles d'adultes, dans les localités où ce concours entraînerait la chute des écoles dominicales.
Enfin, M. le cardinal désire savoir si le clergé sera admis dans les sections supérieures, pour y donner aux élèves les avis dont ils ont besoin à leur âge, surtout dans les villes, où ils ne fréquentent pas le prône. On sait qu'aux termes du règlement du 1er septembre 1866, l'enseignement religieux ne fait point partie du programme de la section supérieure des écoles d'adultes.
Le 12 février 1867, M. l'évêque de Tournai répondit, de son côté, en ces termes, à la lettre du département de l'intérieur du 12 novembre 1866.
« J'ai tardé à répondre à votre dépêche du 17 novembre 1866, direction générale de l'instruction publique, et à vous accuser réception d'un colis contenant 335 exemplaires d'une brochure relative à l'organisation des écoles d'adultes, surtout parce que ce colis a été remis par erreur à M. l'inspecteur diocésain de l'enseignement primaire. Je vais maintenant sans retard faire parvenir ces brochures à leur destination comptant, M. le ministre, que l'organisation dont il s'agît aura lieu conformément aux prescriptions de la loi du 23 septembre 1842, concernant l’enseignement religieux. Le gouvernement a lui-même un grand intérêt à ne pas dévier des sages dispositions de cette loi ; car jamais peut-être la nécessité d'inculquer à la classe ouvrière ces principes salutaires qui sont la base et la sauvegarde de la société ne s’est fait plus vivement sentir que dans les temps et les circonstances difficiles que nous traversons. »
Nous ne savons naturellement ce qui s'est passé dans la conférence de MM. les évêques dont parlait M. le cardinal. Mais il est permis de supposer qu'il n'y avait pas une harmonie complète dans les dispositions des chefs du culte catholique au sujet du concours à donner aux écoles d'adultes.
Si nous voyons M. le cardinal disposé, sous certaines conditions, à faire connaître à MM. les curés de « son diocèse » qu'ils doivent prêter leur concours, M. l'évêque de Tournai annonce son concours sans restriction ni réserve, tandis que MM. les évêques de Bruges, de Gand, de Namur et d« Liége laissent sans réponse la communication de M. le ministre de l'intérieur.
On n'obtenait donc pas le concours du clergé qui doit être nécessairement général dans le sens de la loi de 1842, telle qu'elle a été entendue et appliquée jusqu'à ce jour, et, en tous cas, les conditions indiquées par M. le cardinal n'étaient pas admissibles.
C'est ce que l'honorable ministre de l'intérieur établit nettement dans la réponse qu'il adressa, sous la date du 20 avril 1867, à M. le cardinal :
« J'ai appris avec satisfaction, par votre lettre du 22 décembre dernier que le clergé accordera son concours aux écoles d'adultes organisées en conformité du règlement général du 1er septembre 1866.
« Je me plais à croire, monsieur le cardinal, que ce concours sera donné partout et sans restriction.
« Il me semble, en effet, que le clergé ne peut raisonnablement se considérer comme empêché, dans les paroisses où, suivant vous, son intervention entraînerait la chute des écoles dominicales, qui y produisent les meilleurs résultats.
« On doit, pour les écoles d'adultes comme pour les écoles primaires, appliquer les principes de la loi organique du 23 septembre 1842.
« Les droits que cette loi confère aux chefs du culte ont pour corollaires des devoirs qui s'étendent à toutes les institutions indistinctement.
« Si l'on constatait des abus graves, et que l'autorité compétente refusât de les faire cesser, le clergé serait alors fondé à se retirer ; mais déclarer à priori qu'il s'abstiendra dans certaines localités, en vue de sauvegarder un intérêt particulier, et nullement parce qu'il aurait à se plaindre des écoles officielles, ce serait agir arbitrairement et vouloir imposer au gouvernement des conditions inadmissibles.
« Du reste, je vous prie de remarquer, M. le cardinal, que le règlement du 1er septembre n'a pas pour but de ruiner les établissements privés ; il leur est, au contraire, très favorable, puisqu'il permet aux communes de les adopter, du moment qu'ils présentent les garanties nécessaires (article 19). Une fois adoptés, ils pourront recevoir : 1° une indemnité pour les élèves instruits gratuitement ; 2° des subsides pour la formation et l'entretien d'une bibliothèque (articles 21 et 29).
« Vous demandez à savoir si le clergé sera admis dans la division supérieure pour y donner aux élèves les avis dont ils ont besoin à leur âge, surtout dans les villes, où ils ne fréquentent pas le prône.
« La religion ne figure pas au programme de la division supérieure, et il n'y avait pas lieu de l'y porter, pour les motifs exposés dans ma circulaire du 20 décembre. Il est évident, toutefois, que les ministres du culte et les inspecteurs ecclésiastiques auront le droit de visiter, en tout temps, cette partie de l'école. On doit même désirer qu'ils s'y rendent souvent, leur présence ne pouvant qu'encourager les maîtres et les élèves. Seulement ils comprendront qu'ils ne peuvent interrompre les cours, qui doivent nécessairement se donner aux heures fixées par le tableau d'occupation.
« J'espère, M. le cardinal, que ces explications vous paraîtront satisfaisantes, ainsi qu'à MM. les évêques, et que les écoles d'adultes des diverses localités seront également bien accueillies par le clergé. »
Cette lettre est restée sans réponse.
Vers le mois d'août cependant, une tierce personne, qui se trouvait dans des rapports de subordination avec M. le cardinal fit une démarche officieuse auprès de l'administration dans des intentions conciliantes.
Elle put se convaincre que l'honorable ministre de l'intérieur ne (page 382) serait point disposé à modifier sa réponse du 20 avril. Cette tierce personne paraissait d'avis que l'enseignement religieux étant donné dans les classes inférieures conformément à la loi du 23 septembre 1842, il suffirait, pour la division supérieure, que le clergé pût, à la fin des classes, adresser aux élèves réunis quelques avis dont ils ont besoin à leur âge. Elle avait l'espoir que le règlement du 13 septembre étant ainsi compris, M. le cardinal se montrerait probablement disposé à prêter son concours.
Mais elle ne disait rien de la condition déclarée inadmissible par M. le ministre de l'intérieur.
Elle faisait remarquer que la loi de 1842 a été faite pour les enfants ; que les jeunes gens ou les hommes faits, admis à la division supérieure, croiraient être traités comme des enfants, si on les obligeait à répéter le catéchisme et déserteraient bientôt l'école, comme cela s'est vu à Gand en 1852. D'ailleurs, pensait-elle, si l'on ne peut pas forcer ces jeunes gens d'assister au prône et aux instructions que l'on fait à l'église, on ne peut davantage les obliger à recevoir cet enseignement à l’école.
Ces observations, qui montrent un esprit sage, supposaient que les classes inférieures seraient composées d'enfants, les divisions supérieures de jeunes gens ou d'hommes faits, ce qui ne serait pas nécessairement la règle en ce qui concerne les écoles d'adultes, si elles étaient fréquentées par ceux à qui elles sont principalement destinées.
Quoi qu'il en soit, les choses restèrent dans l'état créé par la correspondance. Rien ne vint affaiblir la déviation grave annoncée au principe qui sert de base à l'intervention du clergé dans ces écoles primaires en vertu de la loi de 1842 et qui est fermement énoncé, je prends la liberté de le rappeler dans la lettre du 20 avril 1867 en ces termes :
« Les droits que cette loi confère aux chefs du culte ont pour corollaires des devoirs qui s'étendent à toutes les institutions indistinctement.
« Si l'on constatait des abus graves et que l'autorité compétente refusât de les faire cesser, le clergé serait alors fondé à se retirer ; mais déclarer à priori qu'il s'abstiendra dans certaines localités, en vue de sauvegarder un intérêt particulier et nullement parce qu'il aurait à se plaindre des écoles officielles, ce serait agir arbitrairement et vouloir imposer au gouvernement des conditions inadmissibles. »
Dans cette situation, il semblait que la difficulté relative à l’intervention du clergé dans les écoles d'adultes disparaissait, et que les membres du cabinet qui pensaient que ces écoles étaient soumises au régime de la loi de 1842, comme ceux qui ne le pensaient point, pouvaient aisément se mettre d'accord.
Il n'en fut pas ainsi. En présence du refus de concours du clergé ou des conditions inadmissibles mises à ce concours, nous avons demandé à l'honorable ministre de l'intérieur de modifier le règlement du 1er septembre.
II n'a pas cru pouvoir y consentir. Ses scrupules, nous ne le dissimulons pas, n'ont pas cessé de nous paraître exagérés ; mais, malgré nos instances, il y a persisté, influencé, sans doute, par un désir trop vif, souvent manifesté, de secouer les fatigues des fonctions ministérielles. A ses yeux, modifier le règlement, c'eût été reconnaître implicitement qu'il avait commis une illégalité, et, en pareille matière surtout, où tant de susceptibilités sont éveillées, c'est ce qu'il ne pouvait consentir à laisser supposer.
Nous admettions que la question n'avait pas cette évidence qui dût entraîner toutes les convictions ; nous reconnaissions que la difficulté n'avait d'abord apparu à personne et que l'on s'expliquait parfaitement que, entraîné par certains précédents administratifs, notre honorable collègue eût consacré l'opinion qu'il avait exprimée. Mais, dans l'état des faits, c'était là une question plus théorique que pratique et rien n'obligeait à la laisser ouverte sans nécessité.
Noire honorable collègue persévéra dans son sentiment. L'honorable M. Rogier, dont on invoquait quelques précédents, ne crut pas devoir se séparer du ministre de l'intérieur. Il mit en avant, d'ailleurs, ses convenances personnelles, comme il lui était arrivé de le faire plus d'une fois dans les derniers temps et comme il l'avait fait encore en déclinant la mission de reconstituer le cabinet.
Obligé de trouver des successeurs à ces honorables collègues, je demandai à mon collègue des travaux publics si, dans certaines éventualités et pour aider à la formation du ministère, il consentirait à prendre le portefeuille des affaires étrangères.
Il manifesta sa préférence pour le département des travaux publics ; mais il finit par céder, ne voulant pas être un obstacle à une combinaison qui avait ses sympathies. Il y fut surtout déterminé par le choix de l'honorable M. Jamar, qui avait approuvé les expériences poursuivies pour rechercher quelles sont, en matière de transports, les taxes qui doivent donner tout à la fois les meilleurs résultats au point de vue des services rendus et au point de vue du trésor public.
L'honorable M. Pirmez, d'accord avec nous pour reconnaître que la loi de 1842 n'est pas applicable aux écoles d'adultes, accepta la direction du département de l'intérieur.
Ces écoles, relevant exclusivement de la commune, peuvent recevoir des subsides de l'Etat et de la province en vertu d'une disposition expresse de la loi. Le gouvernement réglera les conditions sous lesquelles les subsides seront alloués.
La liberté des communes n'étant point limitée, elles pourront s'entendre avec les ministres des cultes, soit pour soumettre l'école à leur inspection, soit pour y faire donner l'enseignement religieux, toute disposition à cet égard étant licite, pourvu qu'elle ne porte pas atteinte aux droits de l'autorité communale, que celle-ci ne peut abdiquer, ni aux principes constitutionnels qui garantissent la liberté de conscience.
Mais, soit qu'il y ait entente avec les ministres des cultes, soit que cette entente n'existe point, les subsides de l'Etat et des provinces pourront être accordés aux écoles communales.
Les principes que nous venons d'énoncer et qui dirigeront les actes de l'administration, peuvent d'autant moins être contestés, qu'ils se concilient avec les résolutions prises par MM. les évêques ou du moins par quelques-uns d'entre eux, de ne pas accorder un concours général aux écoles d'adultes, mais de faire choix des écoles qui ne se trouveront point en concurrence avec leurs propres établissements. Je ne juge pas la doctrine sous ce rapport ; je la constate.
L'accord étant établi sur ces points, une autre difficulté, se présentait.
Le gouvernement avait soumis aux Chambres divers projets de loi relatifs à l'organisation de l'armée. La section centrale, interprète des opinions exprimées dans les sections de la Chambre, était d'avis que ces projets devaient subir certaines modifications.
Les principes essentiels de l'organisation militaire étaient admis par la section centrale ; à cet égard, il y avait harmonie complète entre elle et le gouvernement ; sur des points qui pouvaient avoir leur importance aux yeux de certaines personnes, mais qui étaient tout à fait secondaires, selon moi, il me parut, au moment de reconstituer le ministère, qu'il y avait des concessions à faire aux opinions qui s'étaient produites dans le sein de la Chambre. Il me semblait juste, utile et prudent de rechercher si, dans l'ordre des idées qui prévalaient dans le sein de la section centrale, il n'existait pas quelque combinaison qui pût concilier les opinions divergentes, eu vue d'obtenir le meilleur résultat possible dans l'intérêt de la défense nationale.
Mais l'honorable ministre de la guerre, M. le général Goethals, avait déclaré qu'il était décidé à maintenir ses propositions. Durant la crise ministérielle, apprenant les résolutions de la section centrale, il fit connaître à Sa Majesté que ces résolutions lui faisaient prévoir une transformation complète des projets présentés par le gouvernement, et que son intention inébranlable était de ne point se rallier à ces modifications.
Ces résolutions ne me permettaient point de marcher d'accord avec l'honorable général Goethals. C'est pourquoi des ouvertures ont été faites à l'honorable ministre de la guerre actuel, avec lequel, nos collègues et moi, nous avons concerté les mesures propres à faire atteindre le but que le gouvernement et les Chambres se proposent quant à l'organisation de l'armée.
On a dit dans la presse, pour expliquer la démission, puis la retraite de M. le général Goethals qu'il avait des mystères à révéler et que nous voulions les tenir secrets ; qu'il devait faire connaître que la place d'Anvers était incomplète, malgré les grandes dépenses qui y ont été faites ; qu'il devait exposer des vérités qui auraient été et que l'on voulait continuer à tenir cachées ; qu'il devait, en un mot, apprendre au pays, étonné, qu'il y avait nécessité de fortifier la rive gauche de l'Escaut.
Les personnes qui ont propagé ces bruits, ignoraient ou avaient oublié que cette affaire, loin d'être mystérieuse, est l'une de celles qui ont reçu le plus de publicité.
Dès 1863, elle a été exposée par la presse d'Anvers. On a préconisé, dès cette époque, un plan consistant « à continuer l'enceinte fortifiée et à établir un camp retranché sur la rive gauche de l’Escaut. » Ce plan est mentionné en ces termes dans une délibération du conseil communal d'Anvers de cette époque. Il a été exposé dans cette Chambre par l'honorable M. d’Hane et défendu par ses collègues de la députation d'Anvers. (page 383) Il a donné lieu ici même, à une discussion approfondie, au mois de décembre 1863 ; il a été reproduit textuellement en 1864, par l'honorable M. Dechamps, qui l'a fait entrer dans le programme qu'il soumit à cette époque à la couronne, en s'exprimant ainsi : « Continuer l'enceinte sur la rive gauche de l'Escaut et la faire précéder d'un camp retranché s'appuyant sur quelques forts détachés en avant de l'enceinte,. » Il y a cette différence que l'affaire, présentée de cette façon, se nommait alors « la solution de la question d'Anvers », tandis qu'elle est appelée aujourd'hui « l'intérêt de la défense nationale », et c'est sous cette dernière forme qu'elle a fait sa réapparition dans les sections de la Chambre, qui ont été appelées à s'occuper de nos projets d'organisation militaire.
L'honorable général Chazal a soutenu, à ce point de vue, qu'il n'était pas nécessaire de fortifier la rive gauche de l'Escaut. Les opinions peuvent être divisées sur ce point ; elles sont controversées par les hommes spéciaux, comme on l'a vu souvent en fait de fortifications. M. le général Goethals ne partageait pas, à cet égard, l'avis de son prédécesseur. Mais, ce qui rendait inutile la discussion même de cette question technique, c'est que, dès avant la crise ministérielle, mes collègues et moi nous admettions que, moyennant la réalisation des terrains de la citadelle du Sud et d'autres terrains militaires, il serait possible, comme compensation de cette démolition et pour retrouver l'équivalent de la fortification que l'on ferait disparaître, il serait possible d'établir sur la rive gauche deux forts et une digue défensive reliée aux ouvrages du bas-Escaut.
Ces ouvrages du bas Escaut, exécutés par le cabinet de 1855, à une époque où la puissance des canons actuels et des flottes cuirassées n'était pas connue, doivent seulement être renforcés. Mais l'ensemble des travaux que je viens d'indiquer devait, en donnant satisfaction aux plus absolus eu cette matière, faire cesser les appréhensions qui avaient servi, en d'autres temps, à agiter la ville d'Anvers.
Le moment était venu, en effet, où cette question pouvait être résolue d'une manière spontanée et libre par la vente des terrains de la citadelle du Sud. L'impuissance de l'agitation comme moyen de pression sur les pouvoirs publics était démontrée, et c'est là l'intérêt gouvernemental que nous avons réussi à sauvegarder. Il apparaissait clairement, aux yeux d'un grand nombre, que, sous la couleur d'une réclamation locale, se cachait un but politique, le seul qui eût été atteint, et il ne restait plus qu'à dissiper les inquiétudes des personnes sincères qui n'avaient eu réellement en vue que l'intérêt de la ville d'Anvers.
C'est dans cet esprit que nous avons constamment agi dans cette affaire. Il y a plusieurs années, lorsque l'agitation avait pris de grandes proportions, en conviant la Chambre à garder une attitude énergique en face des troubles devant lesquels il aurait fallu capituler, nous disions : « Lorsque la Chambre se sera prononcée, eh bien, le calme se rétablira dans les esprits, et alors, messieurs, la question ne pouvant pas être résolue comme on le demande à Anvers, il restera à examiner ce qu'il est rationnellement possible de faire.
« Le gouvernement, dans son calme, dans son impartialité, et avec l'esprit bienveillant dont il est animé, nonobstant les accusations dont il est objet, le gouvernement examinera ce qui peut être équitablement fait pour Anvers, ce qu'il peut y avoir de juste dans certaines réclamations qui se sont produites. »
L'engagement que nous avons pris alors, nous venons le tenir aujourd'hui en annonçant notre résolution de proposer la vente des terrains de la citadelle du Sud pour eu appliquer le produit au remplacement, sur la rive droite, des établissements militaires qui se trouveront supprimés et à rétablissement de deux forts et d'une digue défensive sur la rive gauche.
Ce dispositif, avec l'appui de Termonde, donne à l'armée les moyens d'opérer sur les deux rives du fleuve et permet l'abandon de la citadelle de Gand.
Ce plan diffère de celui qui a été exposé en 1863 et en 1864. Celui-ci, comme j'ai eu l'occasion de le déclarer à cette époque, aurait exigé une dépende considérable au delà de la réalisation des terrains militaires, et, à ce point de vue, il n'était pas admissible. Il en aurait été autrement, disais-je, d’un projet qui aurait consisté à transformer en fortification le prix de terrains qui étaient eux-mêmes en nature de fortification. C'est ce que nous indiquons aujourd'hui. Nous ignorons, au surplus, de qui émane le plan invoqué en 1863 et en 1864. Il nous a toujours été inconnu. Nous n'avons eu connaissance de projets de ce genre qu'en 1865, ainsi que le constate notre correspondance avec le département de la guerre, et ces projets se renferment dans les conditions que nous venons d'indiquer. Sur ces projets, il y a accord complet entre notre collègue, le ministre de la guerre, et nous.
Au surplus, comme ils font atteindre le but que l'on s'est proposé à Anvers quant à la citadelle du Sud, il n'y a plus, à proprement parler, qu'un intérêt historique à rappeler les diverses phases de cette affaire.
En ce qui touche la citadelle du Nord, elle est nécessaire à la défense de la rade ; mais le ministre de la guerre s'est engagé à examiner, avec le désir d'aboutir à une solution satisfaisante, si l'on ne pourrait remplacer les fronts intérieurs par un mur crénelé en rejetant les terres dans l'intérieur pour niveler le terre-plein de la citadelle.
Nous espérons que ces résolutions seront, de nature à satisfaire ceux des habitants de notre métropole commercial qui n'ont été dirigés par aucune pensée politique en s'engageant dans les agitations passées.
Après l'exposé que je viens de faire, il est inutile, je pense, de déclarer que le ministère s'étant dissous sur une question spéciale qui ne peut guère avoir de conséquences pratiques, et se trouvant reconstitué à l'aide d'éléments pris dans le sein de la majorité, les ministres nouveaux étant, comme leurs prédécesseurs, animés des mêmes sentiments et des mêmes principes dont cette majorité est pénétrée, aucune modification ne saurait être supposée dans la politique du cabinet.
M. de Theuxµ. - Je m'occuperai d'abord de ce que vient de nous dire M. le ministre des finances des dissentiments qui sont nés dans le cabinet relativement à l'organisation de l'armée, relativement à la défense du pays.
Je dois d'abord relever ce qu'a dit l'honorable ministre relativement aux déclarations du gouvernement, lorsque la ville d'Anvers, lorsque les députés d'Anvers se sont plaints des dangers pour la ville de la citadelle du Nord qui alors devait être complétée et qui ne peut pas l'être, on l'a reconnu ensuite, ainsi que l'avaient dit nos honorables collègues d'Anvers, sans exposer le trésor à de très grandes dépenses, inutiles, puisque la citadelle eût été inhabitable, dangereuses, puisque la ville d'Anvers était menacée d'une destruction.
On vient nous dire que, sous l'empire des excitations populaires à Anvers, le gouvernement ne pouvait pas accéder au vœu de cette population.
Messieurs, je me rappelle que les mêmes raisons ont été données par le gouvernement des Pays-Bas lors d'un pétitionnement général et historique. Alors aussi le gouvernement disait qu'il ne pouvait pas céder devant le pétitionnement. Le gouvernement des Pays-Bas se ravisa, mais malheureusement pour lui il se ravisa trop tard. Les griefs de la Belgique furent reconnus et l'on essaya trop tard d'y apporter un remède.
Ici nous ne sommes pas exactement dans la même situation, mais je ne donnerai jamais mon adhésion à ce principe que parce qu'une réclamation dans un pays libre se produit avec vivacité, avec énergie, si elle est fondée, le gouvernement soit en droit d'y résister. C'est là messieurs, un détestable système de gouvernement, un système essentiellement contraire aux institutions d'un pays libre. Le gouvernement n'eût en aucune manière compromis sa dignité s'il avait dit : Je ne cède point devant les démonstrations, mais je cède devant l'évidence du fondement des réclamations.
Voilà ce qui est la dignité gouvernementale ; mais s'obstiner et traiter de mauvais citoyens les hommes qui poursuivent un intérêt juste, c'est une politique qui ne mérite pas le nom de gouvernementale.
On parle aujourd'hui des fortifications de la rive gauche ; eh bien, toute la Chambre se rappelle que la nécessité de ces fortifications, fut formellement niée par l'ancien ministre de la guerre. Moyennant les crédits votés, la ville d'Anvers devait être à l'abri de toute atteinte, et on allait même jusqu'à dire que désormais la place d'Anvers aurait une valeur défensive supérieure à celle du célèbre Sébastopol.
Mais ne peut-on pas dire que le gouvernement a fait une autre transaction, qu'il a cédé devant une autre pression ? Nous savons que l'un de nos honorables collègues, député de Gand, s'est retiré de la commission militaire parce que le gouvernement ne consentait pas à la démolition de la citadelle de Gand ; si l'utilité de cette démolition avait été reconnue alors comme aujourd'hui, il est bien certain que cet honorable membre ne se serait pas retiré de la commission militaire, mais la retraite de l'honorable député de Gand était de nature à faire croire que le gouvernement résistait à la démolition.
Voilà le secret de la démolition de la citadelle qui nous est aujourd'hui annoncée. Voilà ce que j'appelle une concession faite à la pression et non pas à l'utilité publique.
Messieurs, on nous a longuement entretenus des écoles d'adultes et du (page 384) dissentiment qui s'est produit dans le cabinet. Ce dissentiment était déjà ancien et malgré tous les adoucissements que l'on a apportés dans l'exposé des faits, je suis, quant à moi, persuadé que l'ancien ministre de l'intérieur était parfaitement dans le vrai, que la marche qu'il se proposait de suivre ultérieurement était la plus conforme aux vrais intérêts du pays, qu'elle était, à tous égards, conforme aux intérêts de l'instruction et de la moralisation des classes inférieures. En atteignant complètement le but qu'il s'était proposé, il aurait rendu un service éminent au pays.
C'est ainsi que j'envisageais l'arrêté royal qui sanctionnait le plan de l'ancien ministre.
Vous vous plaignez de quelques difficultés, de quelques retards dans le concours de l'épiscopat ; ces difficultés auraient évidemment disparu devant l'exécution franche par le gouvernement de l'arrêté royal, et elles auraient disparu aux applaudissements du pays.
On n'a point parlé de l'adhésion de l'évêque de Liège à la demande de M. le ministre de l'intérieur, mais dans la province de Limbourg en particulier, qui fait partie de son diocèse, une quantité d'écoles d'adultes ont été organisées et ces écoles eussent reçu une grande extension si l'on n'avait pas eu connaissance du dissentiment qui s'était manifesté au sein du gouvernement, si les évêques n'avaient pas eu de justes motifs de craindre qu'après avoir accordé un concours loyal au projet du ministre, finalement l'instruction religieuse et l'exécution de la loi de 1842 eussent été abandonnées. Or, je comprends que les évêques, qui ont à sauvegarder les intérêts religieux et moraux, ne se soient pas trop empressés d'accéder aux premières démarches du ministre.
Je dois reconnaître dans cette conduite la prudence et l'accomplissement d'un devoir sacré. Du reste, je ne veux pas approfondir aujourd'hui cette question ; elle se représentera nécessairement dans la discussion du budget de l'intérieur, lorsque le nouveau ministre sera à son banc et j'espère qu'alors l'ancien ministre ne reculera devant aucune des explications qu'il doit à la Chambre et au pays dans l'intérêt de sa propre dignité.
On nous a aussi parlé de la retraite de M. le ministre des affaires étrangères ; il était impossible de n'en rien dire, et je crois que, sur ce point, les explications ont été fort écourtées et qu'elles ont besoin d'être complétées. L'invitation que le gouvernement français a adressée à la Belgique de s'associer à la conférence a produit sur les bancs du ministère, comme sur quelques bancs de la gauche, une certaine hésitation, pour ne pas dire une certaine contradiction. Or, je voudrais que M. le ministre des affaires étrangères, l'honorable M. Rogier, nous donnât à ce égard des explications franches, nettes et catégoriques, qu'il voulût bien nous dire si, dans son opinion, il n'est point dans l'intérêt de la Belgique d'accéder a cette invitation.
Je voudrais savoir aussi si le gouvernement actuel est décidé à refuser l'invitation qui lui a été adressée. Je sais que dans ce moment il n’y a pas grande urgence, attendu que les discussions qui ont eu lieu au corps législatif et les explications du gouvernement impérial ont, au moins ajourné cette question, mais elle peut se représenter, et il est à désirer qu'elle se représente. Je désirerais qu'il y eût accord unanime entre les puissances sur cette grande question de l'indépendance du souverain pontife.
Tant qu'elle ne sera point résolue, la question de la paix ou de la guerre ne le sera point.
La France est placée en face de deux nations qui pourraient avoir intérêt à se donner la main, l'Italie et la Prusse. Or, la France a le plus grand intérêt à avoir ses apaisements sur la question romaine. Je n'hésite pas à exprimer le vœu que Dieu veuille bénir les efforts du gouvernement impérial sur cette grave question, car si la guerre en sortait, personne ne peut en calculer les conséquences, personne ; tous les intérêts moraux, politiques et matériels sont encore en suspens et menacent d'être gravement compromis.
Ainsi, messieurs, je dis que les explications données par M. le ministre des finances sur cette grave et importante question, qui est d'un intérêt européen, de l'intérêt le plus général qui ait jamais existé, je dis que ces explications ne m'ont nullement satisfait.
M. d'Elhoungneµ. - Messieurs, l'honorable comte de Theux me force à lui faire immédiatement une courte réponse.
Il y a erreur dans les faits que l'honorable membre vient de rappeler à la Chambre. Il n'est pas exact de dire que le député de Gand qui faisait partie de la commission militaire s'en est retiré parce que le gouvernement refusait la démolition de la citadelle de Gand, qui doit être aujourd'hui considérée par tout le monde comme chose complètement inutile à la défense nationale.
Je me suis retiré de la commission militaire, messieurs, sur une question que j'appellerai de procédure.
J'avais demandé à la commission d'examiner la question de savoir si la citadelle de Gand était ou n'était plus nécessaire à la défense du pays.
La commission au lieu d'aborder l'examen de la question, s'est déclarée incompétente par un voit où tous les membres militaires moins un ont voté contre tous les membres civils moins deux.
J'ai pensé que devant ce vote, qui m'interdisait de discuter une question que je croyais devoir être résolue par la commission, je devais me retirer.
Voila, messieurs, la cause de ma démission de membre de la commission militaire : le gouvernement y est resté étranger.
Mais il y a inconséquence de la part de l'honorable comte de Theux à reprocher, d'une part, au gouvernement de résister trop systématiquement aux grandes démonstrations faites à Anvers et à vouloir que le gouvernement s'incline devant ces manifestations, et à faire, d'autre part, un grief au gouvernement d'avoir cédé, après un examen long et approfondi de la question, au sentiment de plusieurs membres de la majorité politique à laquelle le gouvernement lui-même est resté constamment associé.
Le gouvernement en cela n'a pas subi de pression ; je me serais bien gardé d'en exercer, en eussé-je eu le pouvoir : le gouvernement a examiné la question par lui-même. Il a repris l'examen de la défense nationale tout entière et de même que, sans subir la moindre pression, il a résolu la question d'Anvers à la satisfaction des vœux de la population anversoise, de même, il a, dans sa liberté et son impartialité résolu la question de la citadelle de Gand selon les vœux de la population gantoise.
Je ne suivrai pas l'honorable membre dans la discussion qu'il a abordée des explications que l'honorable chef du cabinet vient de communiquer à la Chambre ; mais je dois dire que c'est avec une profonde surprise que j'ai vu l'opposition des chefs du clergé à la réglementation des écoles d'adultes sur le pied de la loi de 1842, que l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom avait cru pouvoir introduire dans notre organisation de l’enseignement public. Il me semble, messieurs, que les membres de l'épiscopat ont fait en cela une véritable imprudence, car ils ont ébranlé ainsi, jusque dans ses bases, la loi de 1842 elle-même.
En acceptant cette loi là où elle leur est favorable, en la repoussant, en la répudiant là où ils craignent qu'elle puisse leur être défavorable, ils réduiront de beaucoup le nombre des partisans de cette loi, le nombre de ceux qui la subissaient, le nombre de ceux qui ne la toléraient quelque temps encore que comme une expérience nécessaire, mais transitoire.
Je ne partage point davantage les opinions que l'honorable M. de Theux vient de reproduire devant cette Chambre au sujet de la conférence qui a été en projet pour délibérer sur les affaires romaines, c'est-à-dire, sur le sort du pouvoir temporel à Rome.
Je ne viens pas, messieurs, traiter incidemment cette question que je considère comme une de celles où il importe le plus que le parlement n'empiète pas sur la liberté d'action du gouvernement, qui, en ces matières, est le meilleur juge de ce qu'il peut faire et de ce qu'il ne doit pas faire.
L'honorable comte de Theux croit qu'il est fort simple d'obéir ici à un sentiment que je respecte, à des convictions religieuses devant lesquelles je m'incline. Mais lorsque vous engagez le gouvernement à aller avec empressement au-devant de l'invitation adressée à notre Belgique de participer à cette conférence, avez-vous réfléchi que vous vous liez à participer aux autres projets de conférence qui peuvent surgir dans l'avenir et qui peuvent être dictés, ceux-là, par une pensée complètement différente ?
Avez-vous réfléchi à la position qui nous serait faite en Belgique si notre gouvernement prenant part à une conférence sur les affaires de Rome, il sortait de cette conférence des résolutions contraires, messieurs de la droite, à vos profondes et sincères convictions religieuses ?
D'après notre Constitution, le gouvernement n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres du culte : si, par suite des événements qui se produiront en Italie, quelque perturbation grave venait à surgir dans la hiérarchie catholique, quelle serait la position du gouvernement belge entre deux autorités religieuses, l'une sanctionnée par le Congrès, l'autre qui n'aurait plus que l'appui des consciences catholiques de ce pays ?
Je ne me prononce point, messieurs, sur ces graves questions, mais je dis qu'il y a des motifs sérieux pour le gouvernement d'agir avec (page 385) une extrême prudence et je crois qu'il y aurait danger pour la Chambre à vouloir devancer en ces matières la résolution du gouvernement, à vouloir peser sur sa détermination.
MaeVSµ. - C'est l'avis du gouvernement.
M. d'Elhoungneµ. - Le gouvernement, messieurs, ne vous a pas présenté de programme. Je n'ai pas à rechercher ce que sera la politique du cabinet remanié : ce sera la continuation de la politique antérieure. J'aime à croire que le grand intérêt auquel s'est dévouée l'opinion libérale et qui aujourd'hui préoccupe à juste titre toutes les opinions, j'aime à croire que l'éducation populaire continuera à occuper le premier rang dans la pensée et dans la sollicitude du gouvernement. J'espère qu'il avancera de plus en plus dans la voie de la propagation universelle de l'instruction dans le peuple et qu'il livrera une guerre de plus en plus résolue à l'ignorance.
Je fais surtout ce vœu parce que, il faut le reconnaître, notre époque est à l'avènement des classes laborieuses. Non seulement il faut leur enseignement, il faut leur éducation, mais leur émancipation politique est dans l'air, et que l'on recule ou non, un peu plus tôt un peu plus tard, il faudra bien qu'elle passe dans la loi et dans notre gouvernement.
M. Dumortier. - Messieurs, j'ai écouté avec tout le soin dont je suis capable les explications données par le nouveau chef du cabinet, et, je dois le dire, je n'y ai point trouvé ce que je crois être le fond de la question et que l'honorable membre vient d'indiquer du bout du doigt.
Je ne vais pas d'abord me perdre dans la question des fortifications d'Anvers.
Evidemment, ce n'est point cette question, telle que l'a exprimée l'honorable ministre des finances, qui a motivé la retraite des honorables MM. Rogier et Alp. Vandenpeereboom.
L'honorable ministre des finances a très habilement introduit cette question à la fin de son discours pour fixer l'attention de tout le monde sur ce point, parce que la parole est souvent donnée à l'homme pour dissimuler sa pensée. Mais, encore une fois, la question d'Anvers a bien pu être une cause du départ du ministre de la guerre, mais elle n'a pu avoir aucune influence sur la retraite des deux hommes d'Etat qui représentaient la partie modérée du parti libéral.
Quelle peut être la cause de ce départ ? C'est, dit l'honorable ministre des finances, chef du cabinet, une interprétation d'une circulaire de l'honorable M. Alp. Vandenpeereboom, à laquelle il n'a pas voulu apporter de modifications et à laquelle l'honorable M. Rogier s'est rallié.
On prétend nous faire croire que le cabinet s'est disloqué sur l'interprétation d'une circulaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Je n'en crois rien. Il y a quelque chose qu'on ne nous dit pas, et c'est ce quelque chose que, pour moi, je voudrais connaître.
L'honorable ministre des finances, dans une autre circonstance, s'est écrié : A bas les masques !
Il avait raison, il ne faut pas de masques dans un parlement ; aussi je demanderai à l'honorable ministre de nous dire franchement la position qu'il entend prendre, surtout après les paroles que vous venez d'entendre. Lorsque le cabinet a été formé, les journaux qui passent pour avoir des rapports avec le ministère ont donné un programme tout à fait différent de celui dont a parlé l'honorable ministre des finances. De programme, en réalité, il n'en a pas donné et c'est son programme que la Chambre désire connaître. Vous vous présentez devant le parlement, le parlement a le droit de savoir comment vous entendez gouverner le pays.
L'honorable ministre des finances a parlé tout à l'heure de certains journaux à propos de la question d'Anvers ; eh bien, je prendrai la liberté de lui parler de certains journaux à propos du programme ministériel. Pendant que le ministère était en formation, ou pour mieux dire lorsque MM. Frère et Bara avaient reçu l'autorisation de former un nouveau cabinet, voici ce que disait un journal qui passe pour avoir des rapports plus ou moins directs avec le cabinet :
« Nos renseignements particuliers nous permettent d'affirmer que la crise... »
Voilà un programme ; ce programme est-il le vôtre ? Voilà ce que la Chambre a le droit de savoir et ce qu'elle vous demande par mon organe. Ceci est d'autant plus sérieux que l'organe officieux du cabinet disait quelques jours après : « L'adhésion de M. Pirmez au programme de M. Frère est, à coup sûr, le côté le plus remarquable de la situation nouvelle. »
Ainsi, l'organe officieux du ministère connaissait son programme : programme de sécularisation ou, pour mieux dire, programme de constitution civile du clergé belge, comme les Jacobins l’avaient fait en 1793, c'est-à-dire l'absorption de toutes les libertés des cultes par l'Etat.
Maintenant que vient nous dire M. d'Elhoungne ? En nous parlant de la loi de 1842 sur l'instruction primaire, il nous a dit que la conduite des évêques qui ne voulaient pas sacrifier leurs écoles à celles du gouvernement, a eu pour résultat de réduire le nombre de ceux qui étaient restés favorables à la loi de 1842. Il a ajouté qu'il était urgent de s'occuper des questions d'éducation populaire, de faire la guerre à l'ignorance. Or, dans certaines bouches, je ne pense pas que ce soit celle de M. d'Elhoungne, le mot « ignorance » signifie tout autre chose que ce que lui fait dire le dictionnaire. Cette phrase mise en regard du programme indiqué par les journaux m'a donné beaucoup à penser, et pour mon compte, je désirerais avoir de l'honorable ministre des finances des explications franches, loyales, sincères.
Je demanderai au cabinet s'il entre dans ses intentions de recommencer ces luttes religieuses si désastreuses pour le pays.
Le pays veut le calme, le repos, la situation de l'Europe l'exige, je demanderai au gouvernement s'il veut remettre à l'ordre du jour ou appuyer la demande à l'ordre du jour qui serait faite de la loi sur le temporel des cultes, s'il entend présenter une loi pour réformer la loi de 1842.
Nous qui représentons plus particulièrement les grands intérêts dont je parle en moment, nous devons connaître toute la vérité et j'espère que le gouvernement n'hésitera pas à donner au pays les explications les plus positives sur ce point.
M. de Theuxµ. - L'honorable M. d'Elhoungne a combattu mes opinions en ce qui concerne l'accession à la conférence, et, pour nous émouvoir, il nous a fait entrevoir une conférence qui aurait peut-être pour objet dans une situation quelconque la suppression de notre nationalité.
Cet argument ne me touche pas et ne vous touchera pas davantage. Si un pareil fait se produisait par impossible, car je n'admets pas la possibilité d'une conférence pour la suppression de notre nationalité solennellement consentie et solennellement garantie par l'Europe, mais si un tel projet venait à surgir, c'est alors que nous aurions intérêt à assister à la conférence, à soutenir notre indépendance avec énergie et avec tout le patriotisme dont nous sommes susceptibles. On m'objectera peut-être qu'un projet de conférence tendant à certains remaniements de territoire a eu lieu, il y a quelques années : il s'agissait alors d'appeler l'Autriche à une conférence dans laquelle on devait l'inviter à abandonner ses possessions de l'Italie. Mais, messieurs, cette question est tout à fait différente de celle que prévoit l'honorable M. d'Elhoungne.
L'Autriche est une grande puissance militaire et elle ne voulait pas d'avance se soumettre à l'arbitrage d'autres puissances ; l'Autriche a voulu défendre ses possessions par l'épée, son honneur l'exigeait ; elle a succombé et elle porte aujourd'hui le poids de la décision des événements. Peut-être, dans son intérêt, eût-il mieux valu qu'elle eût accepté la conférence, mais je le répète, elle a pensé que son honneur s'y opposait, elle a cru qu'elle ne devait pas à l'avance se soumettre à un arbitrage.
Et que deviendrions-nous si une conférence venait à décider contre nous et sans nous ? Par quelle arme nous défendrions-nous ? Que l'honorable membre le dise.
Pour moi, messieurs, je pense qu'il est de l'intérêt de tous les Etats secondaires d'être présents à toutes les conférences qui ont pour objet de traiter des grands intérêts politiques de l'Europe et je réitère le vœu que j'ai déjà exprimé dans une autre circonstance que tous les Etats à l'avenir soient invités à participer à de telles conférences comme nous y avons été invités par la France.
Messieurs, c'est grâce à une semblable conférence que la question si épineuse et qui a si vivement ému l'Europe, la question du Luxembourg a été si promptement résolue. Le grand-duché étant maintenu à la maison d'Orange-Nassau, le différend entre la Prusse et la France a été ainsi apaisé.
Je désire vivement, messieurs, qu'il en soit de même de la grande question italienne et romaine ; et nous ne pourrons qu'y applaudir sous tous les rapports ; sous le rapport de notre indépendance, sous le (page 386) rapport de la sécurité de l'Europe, sous le rapport de nos intérêts moraux les plus précieux.
Le congrès national, messieurs, n'eût point décliné une semblable invitation : loin de là, c'eût été la confirmation, c'eût été la reconnaissance des grandes libertés qu'il avait proclamées et spécialement de la liberté des cultes.
Et, messieurs, si la question de Rome était résolue contre les intérêts de la papauté, si l'indépendance du culte catholique était comprimée, si le souverain pontife devenait le sujet de l'Italie, comment donc pourrait-il encore publier librement ses actes sans s'exposer aux mesures les plus violentes ?
Je dis, messieurs, qu'il est impossible que les catholiques sincères n'attachent pas le plus grand prix à ce que la Belgique soit représentée à la conférence appelée à rechercher la solution de cette grande question.
L'honorable membre n'a pas été plus heureux en ce qui concerne la citadelle de Gand ; car tous les journaux, à quelque opinion qu'ils appartiennent, ont publié que la retraite de l'honorable membre de la grande commission militaire était basé, sur le refus de démolition de la citadelle de Gand.
M. d'Elhoungneµ. - Les procès-verbaux sont là.
M. de Theuxµ. - J'ai lieu de m'étonner alors que l'honorable membre n'ait pas jugé convenable de protester contre ces assertions.
Pour moi, je persiste à croire que le motif allégué par les journaux auxquels je fais allusion était fondé et qu'il est resté vrai jusqu'à présent ; et je m'étonne vraiment, messieurs, que l'honorable membre, qui aurait pu se prévaloir vis-à-vis de ses commettants de son insistance auprès du gouvernement pour arriver au but de ses efforts, décline aujourd’hui l'honneur de ce succès.
Je m'étonne qu'après avoir triomphé de la résistance du gouvernement, il ne se soit pas glorifié pour l'honneur de son arrondissement du succès qu'il avait obtenu.
L'honorable membre s'est étonné aussi de mes observations au sujet de l'enseignement des adultes. Il a trouvé, dans le défaut d'adhésion complète et sans réserve de la part de nos évêques, un motif, pour beaucoup de membres de son opinion, de désirer l'abrogation de la loi de 1842.
Messieurs, cette question de l'abrogation de la loi de 1842 a été souvent discutée ; le gouvernement nous a déclaré qu'il n'était point d'accord sur cette question et qu'il ne comptait point sur la majorité des deux Chambres pour la résoudre.
Eh bien, messieurs, aujourd'hui commencent à se réaliser les prévisions que j'avais émises lors de la discussion de la loi de 1842. J'ai dit : cette loi sera un grand bienfait pour le pays ; mais je ne suis pas sans appréhension, sans inquiétude pour l'avenir ; il pourra arriver qu'après avoir obtenu notre concours pour cette vaste centralisation, pour cette vaste organisation, un jour le principe salutaire de cette loi soit abrogé et que nous soyons dupes de notre confiance.
Cependant j'avais alors et j'ai encore aujourd'hui trop de confiance dans la sagesse de la nation, dans la sagesse de ses représentants, pour croire que jamais on consente-à l'abrogation du principe conservateur et salutaire consacré par la loi de 1842.
Il n'est donc pas étonnant, messieurs, en présence des menaces dont la loi de 1842 est l'objet, qu'il y ait eu de l'hésitation parmi les membres de l'épiscopat, et il faut convenir que, dans leur position, nous eussions tous éprouve la même hésitation.
Du reste, comme je l'ai dit en commençant, je réserve des explications plus approfondies sur cette question pour l'époque de la discussion du budget de l'intérieur.
MfFOµ. - Messieurs, je reconnais que les honorables membres usent de leur droit en interpellant le gouvernement sur la ligne politique qu'il compte suivre. Mais on me permettra cependant de m'étonner des sommations qui nous sont faites de nous expliquer sur notre programme.
Je pensais que nous n'étions pas précisément des hommes nouveaux, n'apportant au gouvernement que des projets vagues, inconnus, et un programme indéterminé.
Depuis plus de dix ans, nous avons l'honneur de siéger sur ces bancs ; pendant cinq années avant cette époque, nous y avons siégé encore dans les mêmes conditions. Comment donc douter de la politique que nous nous proposons de suivre ? Quelles explications pouvons-nous avoir à donner à cet égard ?
Un honorable membre a été ému profondément, paraît-il, de quelques lignes qui se sont trouvées dans un journal, et qui indiquaient que le programme du cabinet était : la sécularisation de l’enseignement, la sécularisation du temporel des cultes, la sécularisation de la bienfaisance.
Messieurs, les mots et la chose sont extrêmement vieux ; ils n'apprennent absolument rien de nouveau.
Qu'avons-nous fait en matière d'enseignement ? Mais nous avons toujours soutenu que la partie purement littéraire pouvait et devait être séparée de la partie religieuse ; nous l'avons soutenu pour tous les degrés de l’enseignement, et nous avons appliqué notre principe dans la loi de 1850, relative à l'organisation de l'enseignement moyen. Nous avons ouvert l'école aux ministres des cultes, mais nous ne leur avons donné aucune action sur l'enseignement ni sur les livres destinés à l'instruction.
Quant à la loi de 1842 qui a organisé l'enseignement primaire et qui a fait une toute autre part à l'intervention des ministres des cultes, nous avons constaté à toutes les époques, en 1847 comme en 1867, que l'opinion est profondément divisée sur cette question. Il n'y a pas de majorité pour voter le retrait de la loi de 1842. Il y a division sur cette question dans l'opinion libérale, comme il y a eu division à toutes les époques dans le gouvernement sur la révision de cette loi. La position est donc encore aujourd'hui ce qu'elle a toujours été.
Quant à la sécularisation de la bienfaisance, c'est une question parfaitement jugée. Les projets de lois qui consacrent ce principe ont été votés par la Chambre, il y a fort longtemps. Je pense donc que l'honorable M. Dumortier ne doit pas trop s'émouvoir sous ce rapport.
Et quant à la sécularisation du temporel des cultes, le gouvernement a fait connaître également ses intentions. Un projet de loi a été déposé ; les sections s'en sont occupées ; il y a un rapport ; ce projet de loi sera examiné par la Chambre quand il conviendra à l'assemblée de le faire.
Pour le dire en passant, il est très probable que, comme dans d'autres circonstances, pour la question de la liberté de la chaire par exemple, la question du temporel des cultes sera résolue dans un esprit de. conciliation, de nature à satisfaire tous les hommes raisonnables et sincères.
Que demande le gouvernement et que demande l'opinion libérale en cette matière ? Une seule chose ; Une bonne administration, une bonne comptabilité des biens des églises.
M. Teschµ. - Mais c'est évident. C'est là toute la question.
MfFOµ. - Hors de là je ne vois pas qu'il puisse y avoir une question.
Au surplus, le projet n'est pas précisément à l'ordre du jour, et je ne crois pas que nous ayons, quant à présent, à entrer dans la discussion des propositions qui ont été faites à la Chambre.
Je me permettrai seulement de faire remarquer à l'honorable M. Dumortier, qui s'est écrié que la sécularisation était l'absorption du pouvoir religieux par le pouvoir civil ; que c'était la constitution civile du clergé que nous voulions ressusciter ; je ferai remarquer, dis-je à l'honorable membre que c'est précisément le contraire : nous voulons la séparation ; nous voulons que le pouvoir civil n'ait pas à s'immiscer dans les affaires religieuses ; c'est bien loin de vouloir les absorber, de vouloir les dominer, même de vouloir les amoindrir.
Mais quand il s'agit de l'administration des biens confiés à des corps publics, nous sommes forcés de soutenir que nous avons le droit et le devoir de nous en occuper.
Il est impossible en effet que le pouvoir civil ne s'en occupe pas d'une façon quelconque, fût-ce même pour faire déclarer par une loi qu'il abandonne, sous ce rapport, ses pouvoirs à l'autorité religieuse elle-même.
Messieurs, on pouvait, ce me semble, accepter les explications que nous avons données sur la crise ministérielle et sur les causes des modifications qui ont été introduites dans la composition du cabinet. Maïs l'honorable M. Dumortier veut voir ici des réticences, de la dissimulation ; il faut qu'on fasse tomber les masques ; nous ne disons pas ce que nous avons à dire. Il y a des mystères !
S'il y a des mystères, ils existent simplement dans l'imagination de l'honorable membre.
Nous avons eu, comme question politique, comme pierre d'achoppement entre nous, la question des écoles d'adultes, dans l'état où j'ai eu l'honneur de l'exposer à la Chambre.
Pour ce qui me regarde, je n'ai cessé de dire à mon honorable ami, M. Alphonse Vandenpeereboom, qu'il n'y avait pas là matière à une dissidence aussi profonde, puisque le clergé refusait d'intervenir dans ces (page 387) écoles ou qu'il y mettait des conditions que lui-même déclarait inacceptables.
Mais enfin, il y avait des scrupules très honorables, très respectables de la part de l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom ; il ne voulait pas laisser supposer qu'il avait commis une illégalité en contresignant l'arrêté royal du 1er septembre I866 ; il a donc cru devoir maintenir cet arrêté. D'ailleurs, il avait manifeste plusieurs fois le désir de se retirer des affaires ; et il a saisi cette occasion pour donner sa démission, qui a été acceptée.
Au sujet de cette affaire des écoles d'adultes, l'honorable M. de Theux nous a adressé un reproche pour expliquer l'attitude de MM. les évêques ; l'honorable membre nous a dit : « Je conçois parfaitement que du moment où l'on conteste l'applicabilité de la loi de 1842 aux écoles d'adultes, MM. les évêques aient hésité et ne se soient pas prononcés ».
L'honorable M. de Theux s'est trompé complètement : c'est au mois de novembre 1866 que le concours de MM. les évêques a été réclamé ; le 22 décembre suivant, la question relative à l'applicabilité de la loi de 1842 n'était, je crois, pas même soulevée ; et cependant c'est à la date du 22 décembre que M. le cardinal a répondu en mettant des conditions à son concours, et non seulement M. le cardinal a mis, dès cette époque, des conditions inadmissibles et inacceptables à son concours, mais les autres membres de l'épiscopat n'ont pas même répondu à la communication qui leur avait été adressée.
Nous avons même eu soin de conserver cette affaire absolument secrète ; car personne n'a supposé que la question, telle que je viens de l'exposer, existât ; nous avons laissé ainsi une liberté complète à toutes les personnes qui étaient engagées dans cette affaire.
Je regrette de devoir dire que les prétentions qui ont été exprimées à ce sujet constituent une déviation manifeste des principes de la loi de 1842, en vertu desquels le concours du clergé devait être assuré d'une manière générale à toutes les écoles érigées par les communes. Or, ici le clergé n'offrait son concours que dans les localités où l'existence d'une école d'adultes ne serait pas de nature à nuire aux établissements dont il avait lui-même la direction.
Cette attitude du clergé n'est d'ailleurs pas nouvelle. Lorsqu'il s'est agi de la convention d'Anvers, le clergé, dans certains diocèses, s'est refusé à l'appliquer à un établissement laïque, lorsque cet établissement laïque pouvait nuire à un établissement du clergé. On a donc fait de l'intervention des ministres du culte une question de concurrence. Je regrette qu'il en ait été ainsi.
Messieurs, le second point sur lequel je me suis expliqué, c'est celui qui est relatif à la retraite de M. le ministre de la guerre.
L'honorable M. de Theux, qui m'â répondu sur ce point, dit que ce n'est pas la question d'Anvers qui a amené la retraite de l'honorable général Goethals. Mais, messieurs, j'ai eu soin moi-même de le déclarer : ce n'est pas du tout, en effet, la question d'Anvers qui a amené la retraite de M. le ministre de la guerre. J'ai dit ce qui avait fait naître un dissentiment entre cet honorable général et moi. J'ai pensé, lorsque j'ai été chargé de reconstituer le cabinet, qu'en présence du résultat de l'examen du projet d'organisation militaire par les sections et par la section centrale, il fallait rechercher s'il n'y avait pas quelque combinaison qui pût concilier les divergences qui s'étaient manifestées, et comme j'ai appris que l'honorable général était décidé à défendre d'une manière absolue, d'une manière inébranlable, toutes les propositions qui avaient été soumises à la Chambre, j'ai cru que je ne pouvais pas marcher d'accord avec lui. La question d'Anvers est donc tout à fait en dehors des motifs de la retraite de l'honorable général.
Sur cette question elle-même, j'ai été fort étonné, je l'avoue, d'entendre les paroles prononcées par l'honorable comte de Theux.
On a déjà fait ressortir la contradiction étrange dans laquelle il est tombé, en accusant le gouvernement d'avoir résisté à la pression exercée sur lui par le mouvement anversois, et d'avoir cédé à la prétendue pression qui aurait été exercée dans le même but au nom de la ville de Gand.
Vous deviez, dit-il, faire à une autre époque ce que vous faites aujourd'hui ; vous deviez, à une autre époque, alors que les réclamations se produisaient avec le plus d'énergie, proposer ce que vous venez d'annoncer.
L'honorable membre est donc aujourd'hui d'avis que, lorsque des manifestations violentes ont lieu en vue d'exercer une pression sur les pouvoirs publics, ceux-ci doivent s'incliner ?
M. de Theuxµ. - Je n'ai pas dit cela.
MfFOµ. - C'est, me semble-t-il, ce que l'honorable membre vient d'exprimer.
M. de Theuxµ. - En aucune manière. Si M. le président le permet, je rectifierai ce que vous me faites dire.
M. le président. - Le permettez-vous, M. le ministre ?
MfFOµ. - Volontiers.
M. de Theuxµ. - J'ai dit une seule chose : c'est que, quand le gouvernement reconnaît que des réclamations sont fondées, fussent-elles même très vives, il doit prendre l'initiative en disant que ce n'est pas sous l'impression de la vivacité des réclamations qu'il agit, mais que c'est parce qu'il en a reconnu le fondement.
Jamais, en aucune circonstance, je n'ai professé l'opinion que l'honorable ministre me prête.
MfFOµ. - Messieurs, la situation qui existait à Anvers, à l'époque où, selon l'honorable M. de Theux, il aurait fallu céder aux prétentions qui se manifestaient, était une situation anarchique. On avait été jusqu'à déclarer qu'on refuserait d'élire des représentants, et cette menace a même été réalisée. Et c'est alors qu'il aurait fallu céder ! Je maintiens, quant à moi, la déclaration que j'ai faite alors dans cette Chambre. J'ai dit qu'en présence d'une situation semblable, il fallait résister énergiquement ; qu'il fallait ne pas se courber devant de pareilles manifestations.
Mais j'ai annoncé en même temps que lorsque le calme serait rétabli, le gouvernement saurait examiner dans son impartialité ce qu'il serait utile de faire pour donner satisfaction à ce qu'il pouvait y avoir de légitime dans les réclamations que l'on faisait entendre. Et je dois dire qu'alors la Chambre presque tout entière, presque à l'unanimité, a appuyé le gouvernement. Si ma mémoire me sert bien, l'honorable M. de Theux, lui-même, ainsi que la plupart de ses amis, ont à cette époque appuyé le gouvernement dans des votes qui ont été émis sur cette question.
M. de Theuxµ. - Non ! non !
MfFOµ. - Nous les reverrons.
Au surplus ; messieurs, la simple prudence, le plus vulgaire bon sens, à mon avis, indiquaient qu'il était impossible, lorsque les esprits étaient agités comme ils l'étaient à Anvers, de venir proposer des tempéraments, de venir proposer des modifications. Les prétentions que l'on formulait étaient entières, absolues, et l'on se montrait intraitable pour les faire accepter complètement par le gouvernement.
Voici quelle était la situation.
C'est lorsque les esprits se sont calmés, c'est lorsque l'impuissance des démonstrations violentes a été bien reconnue, que le moment est propice pour venir dire : Voilà ce que nous croyons pouvoir proposer pour satisfaire à ce qu'il peut y avoir de fondé dans vos réclamations.
Nous avons l'espoir que les gens raisonnables nous suivront dans cette circonstance.
M. Coomans. - Je demande la parole.
MfFOµ. - Mais à part ces questions, sur lesquelles j'ai donné des explications qui ont été très précises, je le pense, on a déclaré qu'il y avait un point omis, le plus important de tous, la vraie cause de la dissolution du cabinet précédent : c'était l'invitation adressée au gouvernement belge de prendre part à la conférence relative aux affaires romaines.
Messieurs, il n'en est absolument rien. Le cabinet actuel a les mêmes vues que le cabinet précédent sur cette question.
Les intentions des grandes puissances comme celles des parties intéressées elles-mêmes, ne sont pas, à l'heure qu'il est, assez précisées pour que le gouvernement belge ait à changer l'altitude qu'il a fait connaître autrefois, par l'organe du ministre des affaires étrangères de l'époque, l'honorable M. Rogier. Mais bien loin que ce soit la question de savoir si la Belgique se ferait représenter ou ne se ferait pas représenter à cette conférence, qui ait pu motiver la dissolution du cabinet, je dirai que, pour ce qui me concerne, j'ai été et je suis d'avis que, dans certaines éventualités, le gouvernement belge doit être représenté à la conférence.
Ainsi, l'idée que vous me supposez, la pensée que vous attribuez aux membres du cabinet, ce qui serait, selon vous, la véritable cause de la dissolution du précédent ministère, tout cela est parfaitement inexact. Dans l'ancien cabinet comme dans le nouveau, une même attitude réservée et prudente a paru commandée par la situation.
(page 388) Ainsi, vous le voyez, je n'ai pas besoin de m'expliquer sur la gravité, sur l'importance de cette question, sur les difficultés de plus d'un genre, intérieures et extérieures, qu'elle soulève ; je ne les méconnais pas. Je ne crois pas d'ailleurs qu'il serait opportun de discuter aujourd'hui cette question. Je crois qu'il y a de graves inconvénients à le faire et qu'il importe beaucoup que l'on attende, pour la discuter, les résolutions auxquelles le gouvernement s'arrêtera. Mais, quant à présent, je ne veux pas aller au delà de ce que je viens d'exprimer, car cela suffit pour détruire les suppositions erronées des honorables préopinants.
(page 389) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai demandé la parole au moment où l'honorable M. Dumortier disait : Les explications données par M. Frère ne sont pas claires et nettes, il y a quelque chose là-dessous. J'ai alors demandé la parole pour déclarer qu'en ce qui me concerne, non seulement je n'ai aucune observation à faire sur les faits exposés par mon honorable ancien collègue. mais que je ne puis que confirmer les détails que l'honorable ministre a donnes à la Chambre. Les circonstances qui m'ont permis de me retirer et, je veux bien le reconnaître, depuis plusieurs années je désirais quitter le pouvoir, ces circonstances ont été clairement indiquées par l'honorable M. Frère.
Messieurs, depuis le jour, et il y a de cela plus d'un quart de siècle, depuis le jour où j'entrai dans la vie publique, l'instruction des classes populaires fut l'objet principal de mes préoccupations.
Ainsi en 1861, dès mon entrée au ministère, le service de l'enseignement primaire fixa-t-il tout spécialement mon attention.
Sans trop me préoccuper des questions politiques que l'on agitait autour ou à l'occasion de la loi du 23 septembre 1842, je cherchai à tirer de cette loi tout le bien qu'elle pouvait produire et à l'appliquer dans le sens le plus libéral, sans toutefois violer ses dispositions et sans méconnaître son esprit ; car, d'après moi, et en cela je fus toujours d'accord avec mes collègues du cabinet, une loi, aussi longtemps qu'elle existe, doit être respectée.
L'interprétation que je donnai aux diverses dispositions de la loi de 1842 me valut toujours et des attaques fort vives de mes adversaires et l'approbation de mes amis politiques qui, dans ces derniers temps même, alors que, dans celte enceinte et dans d'autres encore, ils combattaient un acte posé par moi, voulurent bien rendre hommage aux efforts que j'avais faits pour propager l'instruction populaire.
Je crois inutile de rappeler ici les mesures nombreuses prises dans ce but, par le gouvernement, depuis six ans surtout, et je laisse à l'opinion publique et spécialement aux instituteurs eux-mêmes le soin d'apprécier ces mesures.
Après avoir amélioré autant que possible les écoles primaires proprement dites, les écoles destinées aux enfants, je ne tardai pas à reconnaître que les bons résultats obtenus n'étaient pas suffisants, qu'il restait autre chose à faire encore pour combattre et vaincre l'ignorance au sein des classes populaires.
Il restait, en effet, d'après moi, quatre mesures à prendre :
1° Organiser les écoles normales pour instituteurs et institutrices, déjà une loi autorise la création de quatre écoles normales nouvelles.
2° Organiser l'enseignement primaire supérieur pour demoiselles, c'est là une question fort importante.
3° Organiser les salles d'asile.
Et 4°, enfin, organiser les écoles d'adultes.
L'organisation des écoles d'adultes m'avait semblé surtout urgente. On avait reconnu, en effet, comme je le disais tout à l'heure, que les écoles primaires trop tôt quittées par les élèves qui, dès l'âge de 10 à 11 ans, apprennent un métier, ne produisaient pas tout le bien qu'on pouvait espérer, et en effet, le nombre des miliciens illettrés ne décroît que dans une proportion peu sensible.
J'étais convaincu que la création de bonnes écoles primaires pour adultes serait, si je puis parler ainsi, le couronnement de l'édifice, et je me mis sans hésitation à l'œuvre.
L'arrêté organique du 1er septembre 1866 parut. Cet arrêté plaçait les écoles primaires pour adultes sous le régime de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire. Avant de prendre cette mesure, je le déclare à la Chambre, j'y avais mûrement réfléchi et ma conviction était et est encore que je ne pouvais agir autrement. Je n'avais pas le droit d'organiser un enseignement donné aux frais de l'Etat, sans le placer sous l'égide d'une loi ; or la loi de 1842, qui mentionnait d'ailleurs ces écoles, était, d'après moi, la seule loi applicable aux écoles d'adultes.
Je ne veux pas en ce moment discuter à fond cette question ; ce débat, qui me mènerait d'ailleurs trop loin, serait inopportun ; je l'ajourne jusqu'à ce que mon honorable successeur, M. Pirmez, puisse être présent; j'exprimerai alors loyalement à la Chambre les motifs qui m'ont porté à croire que les écoles d'adultes, conformément aux précédents, doivent être placées sous le régime de la loi de 1842, et je prouverai aussi que l'organisation décrétée le 1er septembre 1866 était de nature à obtenir les meilleurs résultats en amenant la création du plus grand nombre possible d'écoles de celte catégorie. Quand le règlement parut, je fus accablé d'éloges ; mes amis politiques, la presse libérale n'avaient que des paroles élogieuses à m'adresser ; le ministre de l'intérieur avait réalisé un grand progrès ! Mais la médaille eut bientôt son revers. Toul à coup, je ne sais pas trop comment, apparut un point noir que les plus clairvoyants n'avaient d'abord pas aperçu ; ce point grossit vite, il fit naître enfin un orage.
Vous savez, messieurs, ce qui s'est passé au mois de juillet dernier au sein des conseils provinciaux : quatre conseils se montrèrent hostiles au règlement du 1er septembre; le conseil provincial de la Flandre orientale n'en voulait pas parce qu'il était trop libéral ; le conseil du Brabant n'en voulait parce qu'il était trop clérical ; les conseils de Liège et du Hainaut adoptèrent un système mixte. L'opinion défavorable de ces corps constitués, dont le concours était utile, sinon nécessaire, me donna à réfléchir.
J'examinai donc de nouveau la question, je me demandai si je ne m'étais pas trompé, et j'acquis, après un nouvel examen, la conviction que le système admis en 1866 était légal, et que c'était le système qui pouvait produire les meilleurs fruits.
Vint le moment où il fallut demander des subsides à la législature. Un dissentiment éclata alors entre d'honorables collègues et moi ; trois de nos honorables amis étaient d'avis que les écoles d'adultes pouvaient être autrement organisées ; je persistai dans ma manière de voir, et l'honorable M. Rogier fut de mon avis.
Le dissentiment avec le clergé était, d'ailleurs, aux yeux de nos honorables collègues, un motif suffisant pour passer outre et pour modifier l'arrêté du 1er septembre 1866.
Quant à moi, ayant la conviction que je n'aurais pas tardé à aplanir cette difficulté, je crus devoir maintenir ce que j'avais considéré comme légal et bon dès le principe, et ne pouvant pas me mettre d'accord avec mes trois honorables amis, je renouvelai la demande de démission que j'avais, il y a six mois environ, déjà prié le Roi de vouloir bien m'accorder.
Vous voyez, messieurs, que ces explications sont d'accord avec celles qui ont été données par l'honorable ministre des finances.
Tel est, messieurs, l'incident qui m'a permis de réaliser enfin le désir que j'avais depuis longtemps de quitter le banc ministériel.
J'aime à croire que le pays, la Chambre et ceux mêmes de mes amis politiques qui, dans la question spéciale des écoles d'adultes, ne partagent pas mon opinion, voudront bien reconnaître que, dans ces circonstances, j'avais le droit de me retirer du pouvoir et qu'une opinion est toujours respectable quand elle est loyale, sincère et consciencieuse.
(page 388) M. Jacobsµ. - Messieurs, ce n'est pas le moment d'examiner jusqu'à quel point les projets et les études annoncées par le gouvernement sont de nature à donner satisfaction à la population d'Anvers. La Chambre a compris ce qu'il a dû en coûter à M. le ministre des finances de tenir le langage qu'il nous a fait entendre ; et ce serait faire preuve de mauvais goût que de relever sur l'heure les quelques récriminations dont il a émaillé son exposé. J'étais donc disposé à attendre encore, lorsque, dans son second discours, M. le ministre, s'emportant, a laissé échapper un mot qui ne me permet plus de me taire.
Parlant de cette détermination du corps électoral anversois, de ne pas se rendre ou du moins de laisser quelques rares brebis égarées se rendre seules au scrutin, lors de l'élection d'un sénateur, il qualifiait cette mesure d'anarchique, et vous montrait Anvers en proie à l'anarchie.
Comme s'il dépendait de nous d'empêcher l'élection d'un sénateur ! Comme s'il ne suffisait pas d'un électeur pour déjouer cette prétendue organisation de l'anarchie !
A cette époque, tenant le même langage, vous avez trouvé un contradicteur sur vos bancs.
L'honorable M. Bara, je l'en remercie, vous répondait : Est-ce donc une obligation que de se rendre au scrutin et l'électeur n'a-t-il pas le droit de ne pas user de ses droits civiques ?
J'admets un moment que ce fut une mesure anarchique et que tant qu'elle durait vous ne pouviez céder. Le corps électoral y a renoncé et il nous a envoyés dans cette enceinte.
Le gouvernement a-t-il cédé alors ? Au contraire, il ne nous a su aucun gré d'être venus ici. (Interruption.)
Loin de nous savoir gré d'avoir renoncé au système anarchique, il nous a refusé satisfaction plus énergiquement que jamais.
Aujourd'hui, nous dit M. le ministre des finances, l'heure propice a sonné. Le calme renaît à Anvers. M. le ministre a des yeux pour ne pas voir. Le calme règne à Anvers ! L'agitation y régnait autrefois.
La vérité est qu'aujourd'hui comme autrefois j'y trouve cette agitation qui est le signe de la vie politique, que je suis heureux d'y rencontrer et que je regrette de ne pas trouver ailleurs au même degré.
Nous venons d'y voir tous les corps politiques se réunir en assemblées animées, peut-être tumultueuses, pour envoyer des pétitions aux Chambres pour réclamer d'elles, non plus seulement la démolition des citadelles, mais l'abolition de la conscription. Tout le monde prend part à ce mouvement, même la loge maçonnique.
Oui, la vie politique a régné, règne encore, et continuera, je l'espère, à régner à Anvers à son plus haut degré.
Ce n'est pas Anvers qui change, c'est le gouvernement ; je l'en félicite, je n'ai pas le cœur de l'en railler.
MfFOµ. - Messieurs, je ne m'attendais guère à voir l'honorable préopinant défendre cette mesure, selon lui très régulière, très simple, très naturelle et pas du tout anarchique, qui consiste à empêcher l'exécution des lois et à ne pas envoyer de députés à la représentation nationale.
Si ce n'est pas là de l'anarchie, je ne sais pas en quoi elle peut consister.
J'ai qualifié cette mesure, à une autre époque, comme je la qualifie aujourd'hui, et je crois que personne ne peut sérieusement la défendre.
Selon l'honorable membre, nous n'avons pas été plus traitables, lorsque la population d'Anvers a ensuite usé de ses droits électoraux et a envoyé des représentants dans cette Chambre.
Il est vrai que nous avons résisté alors aux demandes qui ont été formulées par les honorables membres, parce que la situation à Anvers était exactement la même qu'à l'époque antérieure, parce que la même agitation y était fomentée pour exercer une pression que je considère comme illégitime sur les pouvoirs publics.
Dans ma pensée, cette agitation, qui avait pour prétexte les citadelles, n'avait au fond qu'un but politique. Les partis savent user habilement de ces moyens ; on réussit ainsi à égarer des gens de bonne foi ; mais, pour nos adversaires politiques, la question était de savoir si cinq députés siégeraient à gauche ou si cinq députés siégeraient à droite. Nos adversaires ont réussi à faire siéger cinq députés à droite.
Maintenant les yeux commencent à se dessiller. A mon avis, il y a aujourd'hui à Anvers un grand nombre de personnes qui doivent se dire : Cette grande agitation, ces violentes querelles, quel en a été le but réel ? Uniquement une affaire électorale. Nous n'entendons plus parler de ces réclamations ; depuis 1865 il n'en est plus question. Nos députés votent avec l'opposition, voilà tout !
J'en ai conclu que, les yeux se dessillant à Anvers, la situation se dessinant parfaitement, le moment propice était venu de donner satisfaction aux gens raisonnables qui avaient pu s'engager de bonne foi dans la poursuite d'un intérêt local, et qui se trouvent ici victimes d'une manœuvre de parti.
J'ai dit, messieurs, il y a six ou sept ans, dans cette enceinte : Quand l'heure sera venue, le gouvernement, qui est impartial et bienveillant, examinera en pleine liberté ce que l'on peut faire utilement.
Le gouvernement a fait cet examen et il a trouvé une solution pratique qu'il vient vous présenter.
Au surplus, de quoi vous plaignez-vous ? Vous avez déclaré que vous n'étiez dans cette Chambre que les représentants de l'intérêt d'Anvers, et non ceux d'un parti ; que vous appuieriez tout gouvernement qui donnerait satisfaction aux réclamations de la ville d'Anvers.
Eh bien, nous avons le droit d'espérer que vous allez désormais appuyer le gouvernement. C'est une seconde expérience qui va se faire et qui ne nous paraît pas superflue. Les habitants d'Anvers pourront juger si, en effet, c'est uniquement les intérêts d'Anvers que vous représentez dans le parlement.
Nous avons donc maintenant l'espoir de voir les honorables membres devenir les plus fermes appuis du gouvernement.
M. Bouvierµ. - Comptez-y.
M. Dumortier. - Messieurs, si la discussion doit continuer sur la question d'Anvers, je préfère me résumer. Je n'entends point traiter cette question, je désire parler de l'avenir et voir sortir de ce débat le programme du ministère.
Je laisserai donc parler les honorables députés d'Anvers sur cette question que je ne considère que comme un incident de nature à détourner l'attention du but que nous désirons atteindre.
(page 389) M. Coomans. - Plusieurs points m'ont choqué ou intrigué dans la déclaration faite par le nouveau ministère, mais celui-ci m'a principalement blessé, c'est que nous sommes menacés d'une immédiate et forte augmentation des dépenses militaires que l'on croyait portées à leur apogée par les projets de loi dont nous sommes saisis.
L'augmentation annoncée par le gouvernement sera considérable et pour moi, d'autant plus fâcheuse que j'espérais, selon ses promesses solennelles, qu'il ne la ferait jamais.
Il nous annonce la vente de la grande citadelle du Midi moyennant une quinzaine de millions, et l'application de cette somme, selon moi, le gaspillage de cette somme, sur la rive gauche de l'Escaut, en travaux militaires souvent condamnés par lui. II nous annonce, en outre, la suppression de la citadelle du Nord.
- Plusieurs voix. - Non ! non !
M. Coomans. - Ne jouons pas sur les mots, je vous en supplie. Nous avons trop longtemps et trop souvent joué sur les mots. (Interruption.) C'est un besoin de discussion pour certains hommes, mais moi je dis ici là vérité pure.
C'est l'honorable M. Frère, c'est l'honorable M. Chazal qui ont déclaré plusieurs fois que la suppression des fronts intérieurs de la citadelle du Nord équivalait à la suppression de la citadelle du Nord. Et soyons de bonne foi : Qu'est-ce qu'une citadelle qui n'est pas entourée de remparts et de canons partout où elle est attaquable ?
Je me réserve de justifier chacune de mes assertions, nos Annales en main.
Remarquez, messieurs, combien mon rôle est facile : je n'aurai aujourd'hui et prochainement qu'à citer M. Frère, pour réfuter M. Frère. (Interruption.)
Si vous voulez m'interrompre un autre jour quand je me porterai bien, je me ferai un plaisir de vous répondre.
(page 390) M. le président. - On ne doit interrompre, ni aujourd'hui, ni un autre jour.
MfFOµ. - Que M. Coomans cite exactement.
M. Coomans. - Je cite très exactement, vous le savez bien. Je dis que je n'aurai qu'à réfuter M. Frère par M. Frère. En voici un exemple : quand un de nos honorables amis, M. Dechamps, le premier protecteur officiel du système actuel de M. Frère, l'a publié, quand il est venu dire qu'il pouvait résoudre la question d'Anvers en vendant la citadelle du Sud et en fortifiant Anvers sur la rive gauche, et quand il ajoutait, erronément selon moi (interruption), que ce système n'occasionnerait pas de dépense quelconque à l'Etat, M. Frère a crié à l'absurde.
Quoi, a-t-il dit, quand l'Etat vend un domaine, n'est-ce pas comme s'il dépensait de l'argent? quand l'Etat appliquera le produit de la citadelle du Sud à la construction d'autres fortifications anversoises, n'est-ce pas comme s'il puisait dans le trésor pour payer la dépense ? Ainsi parlait M. Frère, et son raisonnement d'alors il le blâme à présent. (Interruption.)
Oui, aujourd'hui l’argument que M. Dechamps trouvait si fort alors, et que M. Frère trouvait si faible et si absurde, cet argument devient le pivot de la combinaison de M. Frère.
Je me rappelle fort bien que M. Frère et plusieurs de ses honorables amis ont déclaré pendant plusieurs années que le système des fortifications anversoises était parfait, qu'il n'y avait rien à y défaire ni à y refaire et surtout qu'il n'y avait pas à dépenser un centime au delà des sommes votées.
Maints membres de cette Chambre ont déclaré à diverses reprises que c'en était fini de ces votes dispendieux, qu'ils n'en émettraient plus un seul ; M. Frère a déclaré, nous l'avons tous entendu, qu'il n'y avait plus rien à dépenser pour Anvers. Et aujourd'hui que vient-on nous proposer ? Une dépense immédiate de 15 millions suivie des queues. (Interruption.)
Oh ! d'honorables militaires très compétents affirment qu'il est impossible de compléter les fortifications d'Anvers moyennant 15 millions, qu'il en faudra 20 ou 30 toujours sous réserve des queues.
Je pourrais vous en dire long sur ce point ; quand je suis venu sur là foi d'hommes compétents affirmer ici que la citadelle du Nord était inhabitable, qu'elle se trouvait à trois mètres au-dessous du niveau de l'Escaut, qu'elle ne pouvait servir que de parc à huîtres, qui ai-je trouvé pour contradicteurs ? M. Frère, M. Chazal, tous les ministres de cette époque. Et aujourd'hui que vient nous dire M. Frère? Qu'en effet cette citadelle est inhabitable, qu'il faudra relever le terre-plein ; et que fait-on pour fortifier cette citadelle ? On la démolit. (Interruption.)
M. Frère vient de vous déclarer qu'on jettera les remparts dans le terre-plein. Si tout cela n'est pas du gaspillage, le mot doit être rayé du dictionnaire.
Le nouveau gaspillage auquel M. Frère a consenti à contre-cœur, pour des motifs secrets... (Interruption) ; on ne dit jamais en haute politique la vérité pure. (Nouvelle interruption.)... Messieurs, vos interruptions me font perdre le fil de mes idées... Mais faute d'un argument, un orateur ne chôme pas. J'en ai d'autres.
Combien de fois M. Frère n'a-t-il pas déclaré que toutes fortifications nouvelles sur la rive gauche de l'Escaut étaient inutiles? Aujourd'hui il les demande lui-même ; il doit les trouver indispensables, puisqu'il est prêt à les décréter malgré les grands sacrifices qu'ils coûteront aux contribuables.
Ma situation est bien nette : je ne suis pas satisfait de l'espèce dé concession que l'honorable ministre fait aux Anversois ; je ne me contente pas de la satisfaction pleine et entière qu'il accorde aux meetings anversois. (Interruption.) C'est mon opinion. M. Frère adopte le programme des meetings anversois, sauf l'abolition de la conscription.
Je dis que je ne suis pas satisfait, parce que je ne me suis jamais borné à demander la suppression des deux citadelles ; j'ai demandé la suppression de tout l'appareil de l'embastillement d'Anvers et la cessation des gaspillages militaires.
J'ai toujours soutenu qu'il était absurde de fortifier les grands centres de population et que plus que jamais ce système devenait insoutenable en présence des grands progrès de l'artillerie. (Interruption.) Mais l'autre jour encore un officier d'artillerie très compétent nous déclarait que, même avec les travaux projetés sur la rive gauche, Anvers ne serait pas encore à l'abri d'un bombardement.
El puis quelle confiance pouvons-nous avoir dans les déclarations des ministres alors que nous les voyons varier si sensiblement en quelques années? M. Frère ne voulait pas d'abord de la grande enceinte, il ne voulait pas d'une dépense de 50 millions. Je suis bien sûr qu'au fond il ne voulait pis de citadelles ; les voilà construites par lui, et il les supprime, toujours à grands frais. Et l'honorable M. Frère prétend qu'il ne cède pas à la pression anversoise. C'est possible, à quelle pression cède-t-il ?
L 'honorable ministre qui a cette suprême habileté d'attaquer toujours alors qu'il aurait surtout besoin de se défendre, l'honorable ministre, pour compléter la satisfaction qu'il donne à Anvers, commence par l'insulter en disant qu'elle a tenu une conduite anarchique, en prétendant qu'elle a voulu exercer une pression illégitime sur le gouvernement. Je dois repousser celle accusation. La conduite d'Anvers n'a jamais été anarchique, elle a été ferme, intelligente, courageuse et l'on peut voir aujourd'hui ce qu'une population gagne à se montrer persévérante et courageuse. (Interruption.) A coup sûr, les citadelles seraient encore debout demain, si les Anversois n'en avaient pas réclamé la disparition avec l'intelligence et l'énergie auxquelles je suis heureux de rendre hommage ici.
Mais, dit M. Frère, à cette époque, quand nous résistions à la pression anversoise, cette pression était exercée par un parti, c'était dans un but électoral qu'on agitait la population.
Eh bien, cette allégation est complètement fausse. A l'époque où le gouvernement a résisté le plus fortement à la pression anversoise, la population d'Anvers n'était pas encore divisée ; elle était unanime ; catholiques et libéraux étaient unanimes à soutenir le programme que l'honorable M. Frère signe aujourd'hui. Or donc, s'il fallait céder à une pression publique, bien mieux valait y céder quand elle était unanime.
Depuis lors, je l'ai regretté profondément pour ma part, la population d'Anvers s'est divisée ; une partie, à la suite d'intrigues et de promesses plus ou moins décevantes qu'on n'a pas épargnées, une partie s'est ralliée au ministère. L'autre partie a continué à maintenir haut et ferme le drapeau aujourd'hui vainqueur.
Je nie que le mouvement anversois ait été un mouvement de parti. (Interruption.) Comment ! messieurs, vous le contestez ? Mais au premier meeting auquel j'ai assisté, j'ai été chaudement félicité, remercié et embrassé par les chefs de la franc-maçonnerie d'Anvers. (Nouvelle interruption.) Ce sont les libéraux d'Anvers qui ont exercé sur moi la pression la plus vive.
Voilà des faits avérés, historiques, qui se sont passés devant 4,000 à 5,000 témoins oculaires et auriculaires.
Anvers était unanime à cette époque et si unanime que c*est cette unanimité même qui a fourni à l'honorable M. Frère son principal grief, l'abstention électorale : il y a eu, aux comices, je crois, une Vingtaine d'électeurs sur 5,000. N'est-ce pas la plus belle manifestation nationale qui se soit jamais produite dans notre pays ? Que peut-on imaginer de plus grand qu'une population tout entière protestant ainsi par son attitude pacifique contre les actes du gouvernement ? Cette abstention n'est-elle préférable à l'emploi des pavés ?
Dans tous les cas, si les catholiques d'Anvers ont été coupables, ce que je nie absolument, je suis de l'avis de l'honorable M. Bara contre l'honorable M. Frère qu'ils avaient parfaitement raison. (Interruption.) Oh ! je sais bien qu'aujourd'hui, M. Bara, vous êtes de l'avis de M. Frère. (Nouvelle interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai jamais exprimé l'opinion que vous me prêtez.
M. Coomans. - Je le répète, si les catholiques d'Anvers ont eu tort à cette époque, ce tort a été partagé par tous les amis des deux ministres dirigeants : les libéraux, et c'était une grande habileté de leur part, étaient même plus vifs que les catholiques.
Eh bien, MM. les ministres, c'était alors qu'il fallait céder ; c'était alors l'heure opportune, car c'étaient alors des députés libéraux qui représentaient Anvers ; et s'il peut y avoir quelque humiliation à céder à des adversaires, il y en a beaucoup moins à céder à des amis politiques. Mais vous ne leur avez pas accordé cette satisfaction; vous avez pensé, disiez-vous, que l'intérêt public défendait de supprimer les deux citadelles et aujourd'hui vous reconnaissez que ce même intérêt public vous ordonne de supprimer les citadelles intérieures et de les mettre aux portes d'Anvers.
Et remarquez, je vous prie, que cet intérêt public a été invoqué par l'honorable M. Dechamps il y a quatre ans. Inspiré par des autorités militaires, l'honorable M. Dechamps nous avait dit et prouvé à son point de vue qu'il fallait supprimer les citadelles intérieures et fortifier la rive gauche. Et c'est alors que vous avez combattu si vivement l'honorable (page 391) M. Dechamps non seulement au point de vue financier, mais aussi au point de militaire.
Je regrette que l'honorable M. Dechamps ne soit pas ici, pour être porté à cette heure en triomphe par la gauche tout entière, avec l'honorable M. Hayez, dont vous ratifiez ainsi l'opinion.
Jamais homme politique n'a reçu de ses adversaires un témoignage de satisfaction et de réparation aussi complet que l'honorable M. Dechamps.
Je dois constater, du reste, que les refus réitérés du gouvernement d'adopter le système qu'il préconise aujourd'hui, ont été exprimés et publiés avant l'abstention électorale sur laquelle l'honorable M. Frère veut appuyer ces mêmes refus.
Maintenant, l'honorable M. Frère vient de nous dire trois fois, dans les trois ou quatre discours qu'il a prononcés pour ses collègues, que ce qu'il fait aujourd'hui, il l'a annoncé. Il y a six ans, dit-il, je me suis engagé devant la Chambre à examiner de près les réclamations anversoises et à y faire droit dans la mesure du possible dès que le calme serait revenu dans les esprits ; dès que cette pression violente et illégitime ne s'exercerait plus sur les Chambres et sur le gouvernement.
Messieurs, cela encore est très inexact ; Cette déclaration faite par M. le ministre se rapportait exclusivement à la question des servitudes militaires (interruption), origine de la question d'Anvers; c'est lorsqu'on a demandé des indemnités pour les servitudes, indemnités réclamées par les amis politiques de M. Frère, que cet honorable ministre à annoncé l'ajournement de toute décision. Mais jamais, au grand jamais, il n'a laissé espérer la démolition des deux grandes citadelles d'Auvers ; jamais. — A celte époque, il avait comme aujourd'hui la prétention de connaître très bien toutes les Choses, mais la question militaire surtout, et il affirmait avec l'honorable M. Chazal et ses collègues que le système de défense d'Anvers était parfait, que c'était un problème définitivement résolu, résolu à tel point qu'il n'a pas été permis à la commission des vingt-huit de s'en occuper encore.
Maintenant, vous allez, dites-vous, donner satisfaction à la population anversoise ; une satisfaction d'amour-propre, c'est possible ; mais cette satisfaction nous coûtera cher, de nombreux millions encore, et malgré cela vous n'atteindrez pas votre but. Ah ! M. le ministre, vous n'êtes pas le seul dont les opinions politiques et militaires se soient modifiées ; les Anversois aussi ont appris bien des choses depuis six ans ; et, s'ils viennent à se contredire un peu, s'ils viennent à exiger aujourd'hui plus qu'ils n'ont demandé autrefois, vous n'aurez pas le droit, vous, qui avez changé tant de fois, de leur en faire le moindre reproche.
A l'origine, je dois la vérité à mes amis comme a mes adversaires ; à l'origine de l'agitation anversoise, il ne s'agissait que de deux choses : indemnité pour les servitudes et démolition des deux grandes citadelles, surtout de la citadelle du Nord. C'était là le programme anversois, du moins le programme de la grande majorité de la population anversoise, et vous avez eu tort, bien tort de ne pas y adhérer à cette époque, car, depuis lors le programme anversois s'est notablement accru et perfectionné. Maints Anversois, ils ne sont pas encore aussi nombreux que je le voudrais, mais leur nombre s'accroît sans cesse, maints Anversois demandent aujourd'hui mieux que cela : ils demandent la suppression de tout l'embastillement, et en outre, l'abolition de la conscription.
Voilà le programme de l'avenir, d'un prochain avenir, et veuillez enregistrer dans vos papiers cette prédiction-ci : quand vous aurez démoli cette citadelle du Nord, qui nous a coûté si cher, vous n'aurez pas apaisé l'agitation anversoise.
Celte agitation se propage ; elle gagne le pays tout entier ; c'est une opposition raisonnée, systématique, parce qu'elle est raisonnée, à toutes vos folies de militarisme. Anvers a compris, et je serais bien heureux de pouvoir me dire que j'ai été pour quelque chose dans cet enseignement national, humanitaire, civilisateur ; Anvers a compris que c'est une faute énorme de développer les grandes armées permanentes et de fortifier les villes ; Anvers sait mieux que jamais, et l'expérience et la réserve lui sont venues en aide, que le bombardement serait désormais très facile et que la grande population dans une ville forte est une cause de faiblesse. (Interruption.)
Et je suis enchanté de pouvoir dire en présence de l'honorable général Renard, dont je reconnais la compétence, que dans la grande commission militaire de 1856, où j'avais l'honneur de siéger à côté de lui, moi indigne, je l'ai entendu professer cette opinion, que la grande population d'Anvers, à laquelle se joindrait une partie du peuple belge, ferait naître d'énormes difficultés pour la bonne tenue d'un siège. Quelque autorité qu'ait l'honorable général Renard à mes yeux, je n'en avais pas besoin pour comprendre que c'est là une vérité élémentaire. Et, les progrès de l'artillerie aidant, je suis plus convaincu que jamais que non seulement la défense des villes est très difficile et très inutile, mais que même désormais il faudra l'abandonner.
Les destinées des nations se décideront sur les champs de bataille, et même sans le concours des petits peuples qui se trouveront engagés dans ces luttes, dans ces ignobles jeux du sang et du hasard.
Un mot encore. Quand on voit toutes ces variations du gouvernement exprimées pat les mêmes organes du gouvernement, il est impossible d'avoir désormais confiance dans leurs déclarations, ni dans leurs promesses. S'ils modifient aujourd'hui leurs opinions d'hier, ils modifieront demain leurs opinions d'aujourd'hui, et ils trouveront toujours des prétextes pour aller jusqu'à l'extrême limite de l'audace et du vertige, limite où ils succomberont sous le poids de leurs exagérations militaires et financières.
(page 388) - M. le président procède au tirage des sections du mois de janvier.
La séance est levée à 5 heures.