(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 217) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Blondiau demande l'abolition du droit sur la fabrication des glucoses et la libre entrée des fécules de pommes de terre et de la glucose. »
M. Van Wambekeµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission permanente de l'industrie avec prière d'en faire l'objet d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Wagenaere, capitaine en retraite, demande le redressement du tort fait a sa famille par l'interprétation que donne le département de la guerre à l'article 12 de l'arrêté royal du 9 mai 1842.’
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Contich protestent contre les propositions de la commission militaire, et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.
« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi. »
- Même décision.
« Le conseil communal de Fays-les-Veneurs prie la Chambre d'accorder à la compagnie Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée à l'importance des lignes qu'elle aurait à construire et d'accueillir favorablement toute demande de suppression des voies les moins utiles. »
- Même décision.
« Des habitants de Lillo prient la Chambre de réduire la durée du service militaire, d'abolir le rappel au service pour un mois et de diminuer le budget de la guerre. »
- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner le budget de la guerre et le projet de loi sur la milice.
« Le sieur Gustave Nicolaï, demeurant à Limbourg, né en Prusse, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Joseph-Alphonse Stoure, employé au département des travaux publics, né à Malmédy (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« MM. Mascart et Van Overloop demandent des congés pour cause d'indisposition. »
- Ces congés sont accordés.
M. Descamps, rapporteurµ. - Par pétition datée de Malines, le 11 mars 1867, le sieur Jean-Baptiste Vansnick, ancien officier d'artillerie, demande une augmentation de pension ou un subside.
Le sieur J.-B. Vansnick, lieutenant garde d'artillerie de deuxième classe, jouissant actuellement d'une pension de 975 francs, demande un subside ou une augmentation de pension jusqu'à concurrence de 1,200 francs.
Le sieur Vansnick invoque, à l'appui de sa demande, la conduite dévouée dont il fil preuve en 1830 et la lourde responsabilité assumée par lui lorsqu'il fut investi de la garde d'un matériel considérable de guerre, charge dont il s'acquitta avec un zèle, une probité, un dévouement affirmés par les nombreux témoignages écrits qu'il a reçus de ses chefs et qu'il a joints à sa requête.
Le sieur Vansnick qui refusa avec désintéressement en 1830, ainsi qu'il résulte des mêmes attestations, une position lucrative, récompense des services que, de même que son frère, feu M. François Vansnick, membre du congrès, il avait rendus à la cause nationale, se trouve aujourd'hui, à l'âge de 80 ans, dans un état proche du besoin, et se voit obligé d'implorer un secours ou une augmentation de pension.
La commission des pétitions, qui a examiné avec soin les titres du sieur Vansnick, a cru devoir conclure au renvoi de sa requête à M. le ministre de la guerre, en la recommandant d'une manière toute spéciale à sa haute bienveillance.
- Adopté.
M. Descamps, rapporteurµ. - Par pétition datée de Dampremy, le 23 mars 1867, le sieur Henry, ancien facteur de réception des postes à Charleroi, demande une indemnité pour l'aider à couvrir les frais d'une maladie qui l'a mis dans l'impossibilité de continuer son service.
Le sieur Henry, ancien facteur de réception des postes à Charleroi, ayant contracté, dans l'exercice de ses fonctions, une maladie qui l'a mis dans l'impossibilité de continuer son service, demande un secours.
Les bons renseignements qui nous ont été fournis sur le zèle et la conduite du pétitionnaire nous engagent à proposer le renvoi de sa requête à M. le ministre des travaux publics, en la recommandant à sa haute bienveillance.
- Adopté.
M. Descamps, rapporteurµ. - Par pétition datée de Molenbeek-Saint-Jean, le 6 mars 1867, des habitants de Molenbeek-Saint-Jean prient la Chambre de discuter le projet de loi sur l'expropriation forcée pour cause d'utilité publique.
Même demande du conseil communal de Molenbeek-Saint-Jean.
Ces pétitions sont devenues sans objet par suite de l'adoption du projet de loi.
La commission propose, par conséquent, le dépôt au bureau des renseignements.
- Adopté.
M. Descamps, rapporteurµ. - Par pétition datée de Fayt-lez-Seneffe, le 22 janvier 1867, le sieur Denis demande que les mesures de police prises à l'égard des cabaretiers dans une commune soient appliquées à tous ceux qui exercent la même profession.
Conclusions : Ordre du jour.
- Adopté.
M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gammerages, le 25 septembre 1866, des habitants de Gammerages et de Viane se plaignent que le chemin vicinal entre ces communes ait été détourné par le concessionnaire du chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand.
Plusieurs habitants des communes de Gammerages et de Viane se plaignent des ouvrages faits par l'entrepreneur concessionnaire de la ligne de Braine-le-Comte à Gand, contrairement au plan adopté par le gouvernement. D'après eux, l'entrepreneur était tenu de faire un remblai de deux à trois mètres pour conserver l'unique communication entre les deux communes, mais au lieu d'exécuter ce travail, il a détourné obliquement le chemin vicinal en lui imprimant une forte courbure, et construit un viaduc pour passage des piétons et voitures. Ce viaduc sert en même temps d'aqueduc à l'écoulement des eaux pendant l'hiver.
Les pétitionnaires, messieurs, ajoutent que le passage par ce viaduc est quasi impraticable par suite des eaux abondantes qui viennent s'y engouffrer et ils sollicitent la conservation de leur chemin vicinal. La cour de cassation venant de décider par arrêt du 20 janvier 1867 que le soin d'assurer l'usage des communications destinées au public et d'y apporter tous les changements que cet usage comporte, constitue un devoir administratif, et que les communes n'ont pas le droit d'exiger de l'Etat une indemnité du chef de l'interception, avec changement, d'un chemin vicinal, en exécution des plans de construction d'un chemin de fer, (page 218) autorisés en vertu d'une loi. La commission a unanimement décidé le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 10 décembre 1866, le sieur Nys, soldat au 2ème régiment de chasseurs à cheval, se plaint qu'on lui refuse 'e bénéfice de l'amnistie qui a été accordée à des militaires déserteurs.
Le sieur Nys, volontaire de 1862, déserteur, est revenu eu Belgique après la mort de feu Sa Majesté Léopold Ier. Condamné de nouveau pour vente de ses effets, il se plaint que la cour ait confirmé le jugement du conseil de guerre sans l'entendre. La commission vous propose l'ordre du jour,
- Adopté.
M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gand, le 14 décembre 1866, le sieur Buse présente des observations concernant le projet de loi déposé par MM. Lelièvre et Delcour, et demande l'abrogation de l'article 625 du code d'instruction criminelle.
Le sieur Buse, avocat, à Gand, présente des observations sur le projet de loi déposé par MM. Lelièvre et Delcour, et demande l'abrogation de l'article 625 du code d'instruction criminelle. Le pétitionnaire invoque, messieurs, les arguments qui ont été invoqués à la séance du 22 janvier dernier, par M. Pirmez et le ministre de la justice, et cette discussion ayant donné lieu au renvoi du projet à la commission chargée du projet de réforme du code pénal, nous vous proposons le même renvoi.
- Adopté.
M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition datée de Herstal, le 12 décembre 1866, le sieur Lejeune, garde du canal latéral à la Meuse, réclame l'intervention de la Chambre pour que le gendarme Larose reçoive l'autorisation de se marier sans fournir le cautionnement voulu.
Le sieur Lejeune, garde du canal latéral à la Meuse, demande pour sa fille Marie l'autorisation de pouvoir se marier au gendarme Larose sans fournir le cautionnement exigé.
Il expose que le gendarme Larose de la brigade de Huy est au service du gouvernement depuis plus de 25 ans, et qu'on accorde souvent de pareilles autorisations à des gendarmes d'une conduite irréprochable ; qu'il se trouve dans l'impossibilité de fournir le cautionnement exigé.
La commission des pétitions propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la guerre, en le priant d'user de bienveillance envers le pétitionnaire.
- Adopté.
M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition datée de Soignies, le 6 décembre 1866, le sieur Dugauquier, appuyant le projet de loi qui permet aux pensionnés de résider à l'étranger sans l'autorisation préalable du gouvernement, demande une modification à l'article 57 de la loi du 16 mars 1865 instituant une caisse générale d'épargne et de retraite, afin que les participants aient la faculté de fixer leur résidence hors du royaume.
Le sieur Dugauquier prie la Chambre de modifier l'article 57 de la loi du 16 mars 1865 comme suite, dit-il, de l'abrogation des lois des 24 mai 1838 et 21 juillet 1844 votée à la séance du 24 janvier dernier.
L'article 57 de la loi générale qui institue une caisse d'épargne et de retraite stipule :
« Les rentes sont payées soit mensuellement par douzième, soit trimestriellement par quart, par l'entremise des caisses d'épargne ou des receveurs des contributions directes dans le ressort desquels les rentiers résident. Elles ne sont payées qu'aux rentiers résidant dans le royaume.
« Toutefois, des exceptions peuvent être faites en faveur des Belges qui, depuis l'acquisition de leurs rentes, se sont établis à l'étranger. »
La commission propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances.
- Adopté.
M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bassevelde, le 3 décembre 1866, le sieur de Coorebyter demande des modifications aux articles 67 du code de commerce et 872 du code de procédure.
M. le notaire de Coorebyter, de Bassevelde, demande des modifications aux articles 67 du code de commerce et 872 du code de procédure civile.
Ces articles s'expriment comme suit :
Tout contrat de mariage entre époux dont l'un sera commerçant, sera transmis par extrait, dans le mois de sa date, aux greffes et chambres désignés par l'article 872 du code de procédure civile, pour être exposé au tableau, conformément au même article.
Cet extrait annoncera si les époux sont mariés en communauté, s'ils sont séparés de biens, ou s'ils ont contracté sous le régime dotal.
Le second de ces articles, 872, porte :
Le jugement de séparation sera lu publiquement, l'audience tenante au tribunal de commerce du lieu s'il y eu a ; extrait de ce jugement contenant la date, la désignation du tribunal où il a été rendu, les noms, prénoms, profession et demeure des époux, sera inséré sur un tableau à ce destiné, et exposé pendant un an dans l'auditoire des tribunaux de première instance et de commerce du domicile du mari, même lorsqu'il ne sera pas négociant, et, s'il n'y a pas de tribunal de commerce, dans la principale salle de la maison communale du domicile du mari. Pareil extrait sera inséré au tableau exposé en la chambre des avoués et notaires, s'il y en a.
Le pétitionnaire fait observer, à bon droit, que l'expression « commerçant » étant générale, elle s'applique non seulement aux grands négociants, fabricants, habitant les villes, mais aussi aux petits boutiquiers, boulangers, charpentiers, charrons, cordonniers, et que les frais de tous ces extraits mettent ces petits commerçants dans l'impossibilité de faire des contrats de mariage ; il pense, et nous croyons avec lui, que puisque l'article 76 de la loi du 16 décembre 1851 veut que l'acte de mariage contienne la date des conventions matrimoniales des époux et l'indication du notaire qui les a reçues, il suffirait d'ajouter que l'acte de mariage doit énoncer si les époux sont mariés en communauté, s'ils sont séparés de biens ou s'ils sont mariés sous le régime dotal, et de prescrire le dépôt de l'extrait de mariage d'un commerçant, soit au tribunal civil ou au tribunal de commerce seulement.
Le pétitionnaire fait observer enfin qu'il faudrait aussi mettre les articles 69 du code de commerce et 171 du code civil en harmonie avec cette nouvelle rédaction de la loi du 16 décembre 1851.
La commission, messieurs, croit devoir faire observer que l'honorable M. Broustin a soulevé ces questions dans la séance du 12 décembre dernier, et que M. le ministre de la justice à répondu qu'elles sont soumises à l'examen de la commission chargée de préparer la révision du code de procédure.
Il est évident, messieurs, qu'il faut diminuer toutes ces formalités exigées par la loi actuelle, qui sont très frayeuses et empêchent souvent la passation d'actes d'autant plus importants qu'ils règlent avec stabilité la charte du foyer domestique ; aussi avons-nous l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre de la justice.
M. Broustinµ. - Les dispositions auxquelles on vient de faire allusion seront mises en discussion lorsqu'il s'agira du code de commerce. Je pense donc qu'il serait préférable d'ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion dont il s'agit.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La section centrale conclut à l'adoption du budget tel qu'il a été modifié par les propositions nouvelles de M. le ministre, propositions dont il sera donné ultérieurement connaissance à la Chambre.
La discussion générale est ouverte.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je désire adresser une demande à M. le ministre des affaires étrangères, concernant le barrage de l'Escaut.
Le 24 mai dernier, noire honorable collègue M. Jacobs rappelait que l'honorable M. Rogier avait promis, comme dernière tentative de conciliation, de prier les trois puissances voisines de nommer des ingénieurs consultants, pour donner leur avis sur cette importante question.
L'honorable M. Jacobs disait également que d'après les bruits qui circulaient, ces ingénieurs, dont le travail semblait terminé, étaient d'accord quant à l'excellence du canal de Sud-Beveland, au point de vue du remplacement, par ce canal, de l'Escaut oriental, mais qu'ils étaient divisés, comme les ingénieurs belges et néerlandais l'ont été, sur la question principale, c'est-à-dire quant à l'influence du barrage sur la navigation de l'Escaut occidental.
Enfin l'honorable M. Jacobs demandait à M. le ministre des affaires étrangères, de déposer les rapports des ingénieurs étrangers, et il terminait son interpellation en disant au ministre que le gouvernement pouvait compter sur l'appui unanime de la Chambre.
(page 219) A cette interpellation M. Rogier répondit que les rapports étaient rentrés et il en communiqua les conclusions ainsi qu'il suit :
Les ingénieurs avaient trois points à examiner :
1° point : Equivalence du canal de Sud-Beveland, substitué à la passe navigable de l'Escaut oriental.
2° point : Effets du barrage du Sloe sur la conservation de la rade de Rammekens.
3° point : Effets du barrage de l'Escaut oriental sur le régime de l'Escaut occidental,
La Chambre remarquera que, de ces trois points, le dérider est, de loin, le plus important.
Réponse des ingénieurs.
Sur le premier point : Les ingénieurs anglais et prussien pensent que le nouveau canal équivaut à la voie actuelle.
L'examen de l'ingénieur français n'a pas porté sur cet article.
Sur le deuxième point, l'ingénieur anglais estime que le barrage du Sloe hâtera sans doute la destruction de la rade, sans considérer cette conséquence comme assez grave pour exiger la substitution d'un viaduc à la fermeture complète du Sloe.
L'ingénieur prussien, dans la prévision que le barrage hâtera la suppression de la rade, recommande, pour garantir la sécurité de la navigation, des mesures telles que l'établissement de nouveaux feux. Or, des mesures de ce genre ont déjà été prises.
L'ingénieur français ne s'occupe pas plus de ce second point que du premier.
Sur le troisième point : L'ingénieur français, qui avait pour mission de se placer exclusivement au point de vue des intérêts français, a déclaré que la fermeture définitive de l'Escaut oriental ne saurait mettre en souffrance les intérêts de la navigation française dans l'Escaut occidental.
L'ingénieur prussien estime que le barrage de l'Escaut oriental n'exercera pas d'influence défavorable sur l'Escaut occidental, moyennant un nouveau et profond chenal à la hauteur de Bath.
Mais il s'agit de savoir si la formation de ce nouveau chenal pourra avoir lieu sans occasionner une grave perturbation à la navigation et si, dans l'intervalle, le chenal existant ne se relèvera pas de manière à rendre impossible le passage des grands navires, hormis, tout au plus, pendant le temps assez court de la marée haute. Il y aurait donc à redouter une interruption, très préjudiciable, de la grande navigation.
Cet ingénieur ajoute que les mesures à prendre pour obvier à ces inconvénients sont du ressort des ingénieurs hydrographes néerlandais, et il déclare d'ailleurs n'avoir que fugitivement inspecté le fleuve.
L'ingénieur anglais présente les conclusions suivantes :
1° La fermeture de la branche orientale de l'Escaut, au moyen d'un barrage solide produira un effet défavorable sur le régime de l'Escaut occidental depuis Anvers jusqu'à la mer.
2° La construction d'un viaduc au lieu du barrage est tout à fait praticable et n'entraînerait aucune conséquence fâcheuse.
A la suite de ces communication, l'honorable M. Rogier constatait que, malgré tout ce qui s'était dit et fait, les Hollandais avaient toujours été de l'avant. Il ajoutait que le barrage étant presque achevé, le baron de Gericke d'Herwynen, ministre de Hollande à Bruxelles, lui avait donné connaissance de ce fait par la lettre suivante, en date du 6 avril dernier.
Lettre du 6 avril du baron Gericke au ministre des affaires étrangères de Belgique.
« Monsieur le ministre,
« Par suite des travaux d'art en cours d'exécution dans l'Escaut oriental, cette voie de communication entre l'Escaut et le Rhin sera incessamment remplacée, pour la navigation, par le canal de Sud-Beveland entre Anvers et Wemeldinge.
« Depuis quelques mois déjà, les navigateurs ont été à même d'apprécier, par son usage de plus en plus fréquent, les avantages de ce canal, et mon gouvernement est convaincu que l'expérience démontrera promptement que le canal constitue une voie non seulement aussi sûre, aussi bonne et aussi commode que l'Escaut oriental, mais une voie beaucoup meilleure, plus sûre et plus commode.
« Il s'estimera doublement heureux, monsieur le ministre, de voir cette expérience donner au gouvernement de S. M. le Roi des Belges la même conviction.
« En m'acquittant par cette communication des ordres de mon gouvernement, je saisis en même temps cette occasion, etc.
« (Signé) Gericke,» >
L'honorable ministre des affaires étrangères fit répondre au gouverne» ment hollandais de la manière suivante :
Réponse du baron Du Jardin au comte Van Zuylen van Nyevelt.
« Monsieur le comte,
« le baron Gericke d'Herwynen a officiellement informé le cabinet de Bruxelles que l'Escaut oriental sera remplacé par le canal de Sud-Beveland.
« La notification que S. Exc. a adressée au gouvernement du Roi n'envisage la substitution du canal à l'une des branches de l'Escaut qu'ait point de vue des facilités relatives que la navigation pourra rencontrer dans la voie nouvelle.
« Elle laisse à l'écart le point du litige sur lequel la Belgique a le plus insisté, à savoir l'effet préjudiciable que le barrage de l'Escaut oriental exercerait sur le cours principal du fleuve.
« La notoriété publique avait déjà averti le gouvernement belge de la reprise et de la poursuite accélérée des travaux destinés à amener la fermeture prochaine et complète de l'Escaut oriental.
« La communication de l'envoyé néerlandais n'en a pas moins produit sur l'esprit du cabinet de Bruxelles la plus pénible impression et c'est avec un profond regret qu'il a reçu la confirmation officielle d'un fait contre la simple éventualité duquel il n'a cessé de s'élever
« Nous avions lieu d'espérer que le gouvernement néerlandais aurait pris en considération les mesures pratiques qui lui ont été indiquées pour arriver à une solution conciliant les intérêts communs. L'événement n'ayant pas répondu à cet espoir, le gouvernement du roi renouvelle ici ses protestations et ses réserves antérieures en laissant au cabinet de La Haye la responsabilité des conséquences de l'acte qu'il est à la veille d'accomplir.
« J'ai l'honneur, etc.
« (Signé) baron Du Jardin. »
A partir de cette époque, toute correspondance à ce sujet fut interrompue entre les deux cabinets et les rapports des ingénieurs étrangers furent soumis par l'honorable M. Rogier à des ingénieurs belges.
Dans la séance du 19 août 1867, l'honorable M. Gerrits interpella de nouveau le gouvernement et lui demanda ce qui avait été fait depuis la dernière session, pour empêcher l'exécution d'un travail au sujet duquel les hommes les plus compétents élevaient les doutes les plus graves quant à ses conséquences pour la navigation de l'Escaut occidental.
M. Rogier répondit alors qu'il était difficile de donner les renseignements demandés ; que l'affaire n'avait pas atteint le degré nécessaire d'avancement pour l'exposer déjà à la Chambre ; qu'il demandait à celle-ci de lui continuer la confiance qu'elle lui avait témoignée jusqu'alors ; que les rapports des ingénieurs étrangers avaient été soumis à des ingénieurs belges ; que bientôt ils auraient achevé leur travail et qu'à ce moment la période d'examen aurait été close.
Le ministère, en demandant et en obtenant la confiance de la Chambre, assumait une immense responsabilité au sujet de laquelle il est indispensable pour lui de donner des explications.
Je viens à mon tour, messieurs, demander à M. le ministre où en est cette question si importante pour la Belgique et pour Anvers, et j'espère que le gouvernement sera en mesure, à cette heure, de donner à la Chambre tous les renseignements qu'elle est impatiente de posséder .
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, la dernière fois que j'ai eu l'honneur d'entretenir la Chambre de la question du barrage de l'Escaut, j'ai annoncé que les rapports des ingénieurs étrangers, qui ont, depuis lors, été imprimés et distribués aux membres de la Chambre, avaient été remis à mon honorable collègue M. le ministre des travaux publics, et qu'il les avait fait examiner par les ingénieurs belges.
Je disais alors que le travail de nos ingénieurs n'était pas encore terminé. Depuis, cet examen a été achevé, et je me propose de communiquer au gouvernement néerlandais les conclusions de ce travail. Je suis autorisé à faire ces démarches par suite de la position nouvelle, dirai-je, qu'a prise la question.
En même temps que les ingénieurs des ponts et chaussées examinaient le travail des ingénieurs étrangers, un ingénieur hydrographe étudiait sur place ce qu'on pouvait apprécier déjà des effets du barrage. Cet ingénieur, commissaire permanent de l'Escaut, a fourni le résultat de ses premières observations ; d'après cet examen, certains changements tendent à se produire dans le régime du fleuve, aux environs de Balz.
L'attention du gouvernement néerlandais a été appelée sur ces indications et il s'est empressé de les déférer à l'examen de ses agents (page 220) spéciaux, qui, à la date du dernier rapport reçu de La Haye, étaient encore occupés à ce travail. J'ai mis par écrit, messieurs, cette partie de ma réponse à l'interpellation, parce que je la tiens pour complètement exacte et que je désire qu'elle soit reproduite telle que je la fais.
Le gouvernement néerlandais a reconnu qu'il est responsable de l'Escaut, et il nous a donné l'assurance, par l'organe de M. le ministre des affaires étrangères, qu'il fera tout ce que cette responsabilité lui commande pour remédier aux dommages qui seraient contradictoirement constatés ou pour prévenir ceux que, le cas échéant, on serait fondé à prévoir.
Sous toute réserve des droits de la Belgique, la question se trouvant placée, quant à présent, sur le terrain des faits, la Chambre comprendra qu'il m'est impossible de lui apporter des résultats définitifs ; mais la Chambre peut être convaincue que soit à Bruxelles, soit à La Haye, les grands intérêts que nous avons à sauvegarder ne seront pas perdus de vue.
J'espère que la Chambre voudra bien se contenter des communications que je viens de lui faire et qui, suivant moi, annoncent un certain progrès vers le but que nous voulons atteindre. La Chambre reconnaîtra, et en cela elle sera d'accord, je pense, avec l'opinion publique de l'un et de l'autre pays, que dans tous les temps, dans toutes les circonstances, l'un et l'autre pays doivent s'efforcer de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour entretenir entre eux les meilleures relations, et n'en venir à une rupture que dans le cas d'absolue et impérieuse nécessité.
Ce sentiment qui s'est révélé, je dois le dire, dans ces derniers temps au sein des Pays-Bas avec une certaine énergie, ce sentiment n'a jamais été abandonné par la Belgique ni par le gouvernement belge.
J'espère donc, messieurs, qu'en présence de cette déclaration, la Chambre pensera que le gouvernement peut continuer de marcher dans la voie où il est maintenant entré.
M. Thonissenµ. - Messieurs, l'honorable M d'Hane-Steenhuyse a soulevé de nouveau la question de l'Escaut. Pour ma part, je ne m'en étonne guère. Au point de vue de l'intérêt industriel et commercial du pays, c'est peut-être le problème le plus important qu'il soit possible d'imaginer. Si jamais la navigation était sérieusement entravée dans l'Escaut, il en résulterait pour la Belgique un dommage incalculable.
Messieurs, si je prends la parole, c'est uniquement parce que, dans une discussion récente aux états généraux de Hollande, on a insinué, d'une manière assez transparente, que le parlement belge était resté froid, indifférent, devant la question du barrage de l'Escaut et que, si le gouvernement avait fait entendre des protestations plus ou moins énergiques, c'était pour faire parade de zèle et de patriotisme.
Puisqu'on désire, messieurs, connaître l'opinion du parlement belge, je dirai, pour ma part, ce que je pense du barrage de l'Escaut.
Il y a ici une question de droit et une question de fait.
Le point de droit est, suivant moi, excessivement simple.
D'après le traité de Paris du 30 mai 1814 et d'après les actes du congrès de Vienne de 1815, les rivières et les fleuves qui traversent divers pays sont déclarés libres depuis le point où ils deviennent navigables jusqu'à leur embouchure. L'Escaut était nommément désigné dans ces documents diplomatiques. Si je ne me trompe, ce fleuve faisait même l'objet d'un article secret du traité de Paris.
L'Escaut était donc déjà libre en 1814 ; il était libre pour sa branche orientale comme pour sa branche occidentale.
Après les événements de 1830, la Conférence de Londres dut naturellement s'occuper de la question de l'Escaut, principalement quant aux droits de navigation à conférer à la Belgique.
La Hollande fut forcée de s'incliner devant le droit européen. Elle admit le principe de la libre navigation du fleuve ; mais elle fit de longs efforts pour en restreindre l'application à la branche occidentale. Elle voulait y soustraire la branche orientale. Mais la Conférence n'accepta pas ce système et déclara, à diverses reprises, qu'elle entendait que les deux branches fussent mises sur la même ligne, en d'autres termes, que la branche orientale fût libre comme la branche occidentale.
A cet égard, aucun doute n'est possible.
Cependant la Hollande s'est crue en droit d'établir un barrage à travers le lit de l'Escaut oriental.
Elle s’est prévalue du texte de l'article 9 du traité du 19 avril 1839, portant que si des travaux d'art venaient, par la suite, à rendre impraticable cette voie de navigation, le gouvernement de La Haye devrait assigner à la navigation belge une autre voie aussi bonne et aussi commode.
J'ai étudié toutes les pièces des longues négociations de Londres depuis 1830 jusqu'en 1839, j'ai lu les documents relatifs aux négociations postérieures jusqu'en 1842, et je puis affirmer, avec une entière certitude, que tel n'est point le sens de l'article 9 du traité de 1839. Cet article veut dire simplement que si, plus tard, des travaux d'art exécutés en Hollande, sur les rives hollandaises, avaient pour résultat l'ensablement de l'Escaut oriental, le gouvernement des Pays-Bas serait obligé de réparer le dommage.
De là au droit d'établir un barrage à travers l'Escaut oriental, de là au droit de supprimer l'Escaut oriental, il y a loin !
Je crois inutile d'alléguer des preuves à l'appui d'une thèse qui ne sera pas contestée dans cette enceinte. Je me bornerai à rappeler que c'est dans ce sens que les mots « travaux d'art » figurent dans la convention de Mayence, relative à la navigation internationale du Rhin, conclue le 19 mars 1831, avec le concours de la Hollande.
Voilà la question de droit.
Reste la question de fait.
Je déclare qu'à mon avis le gouvernement belge a agi comme il devait agir : il a complètement réservé nos droits pour l'hypothèse où plus tard, par suite des travaux exécutés en Hollande, la navigation de l'Escaut viendrait à rencontrer des entraves.
Nous nous trouvons cependant en présence de deux opinions diamétralement opposées. En Hollande, on trouve que le gouvernement belge a fait preuve d'exagération, qu'il a été trop susceptible, et j'ai lu notamment trois ou quatre brochures où les droits et la dignité de notre pays sont peu ménagés.
En Belgique, au contraire, on a prétendu que le gouvernement avait manqué de courage ; on a même soutenu qu'il s'était trouvé dans l'obligation morale de déclarer la guerre à la Hollande.
Je le dis franchement, pour moi, dans l'état actuel de la question, une déclaration de guerre à la Hollande serait un véritable acte de folie.
D'abord, en ce qui concerne l'Escaut oriental, il me semble certain que le canal large et profond de Sud-Beveland peut servir de communication commode entre le Rhin et l'Escaut. Quant à l'Escaut occidental, rien ne prouve encore que nous serons un jour lésés. Je ne suis pas ingénieur ; j'ai cependant lu attentivement toutes les pièces ; j'ai pris connaissance des affirmations alléguées de part et d'autre ; je les ai vérifiées, en tenant sous mes yeux les meilleures cartes hydrographiques, et je crois que la Belgique ne sera pas lésée ; je crois que... (Interruption.)
Permettez-moi de conclure. Je dis que, d'après moi, nous ne serons pas lésés. (Nouvelle interruption.) Mais j'ajoute que nul ne peut cependant l'affirmer.
- Une voix. - Ah ! voilà.
M. Thonissenµ. - Certainement. Laissez-moi le temps de m'expliquer. Je crois que nous ne serons pas lésés, mais je déclare, en même temps, que nul ne peut affirmer que nous ne le serons jamais. Les fleuves présentent des phénomènes souvent inattendus, et le gouvernement belge a agi très sagement en faisant des réserves et des réserves énergiques vis-à-vis de la Hollande, laquelle, à ce que vient de dire M. le ministre des affaires étrangères, ne décline pas sa responsabilité.
Eh bien, messieurs, il faut conserver cette position, qui est bonne, et je crois que le gouvernement n'a pas à se plaindre de mes paroles. Le vœu que je forme, et c'est aussi celui de la Chambre, je pense, c'est que les rapports entre la Hollande et la Belgique deviennent aussi bienveillants que possible. Nous pourrons toujours agir quand l'état du fleuve sera modifié par les travaux exécutés sur le sol hollandais.
M. Jacobsµ. - Je ne saurais partager l'optimisme de l'honorable orateur qui m'a précédé. Il est content du gouvernement belge, il n'est pas mécontent du gouvernement hollandais. (Interruption.) Je ne suis satisfait, pour ma part, ni de l'un ni de l'autre.
Depuis quatre ans, messieurs, en diverses circonstances, j'ai pris la parole dans cette Chambre pour signaler au gouvernement et au pays les périls que peut causer à la navigation belge le barrage de l'Escaut oriental. Chaque fois que j'ai poussé le cri : « caveant consules », on m'a répondu : Les consuls veillent. On m'a même dit : Les consuls agissent. Ayez confiance, ajoutait-on. On me le disait avant le commencement des travaux, on me l'a répété pendant, on a continué à me le dire après.
Persistez, nous dit-on encore, dans votre confiance. Ma confiance, messieurs, n'est pas assez robuste pour résister à de pareilles épreuves.
(page 221) Suivant moi, le gouvernement belge n'avait de choix qu'entre deux attitudes : ou bien il ne devait faire aucune opposition au barrage et se contenter de réserver l'avenir ; c'est dans le cas où il n'aurait pas eu tous ses apaisements, quant aux dangers dont il aurait entrevu la possibilité ; sans croire cependant aux chances sérieuses d'atterrissements se produisant dans l'Escaut.
Une autre conduite pouvait être tenue : on devait s'opposer énergiquement au barrage de l'Escaut, si l'on croyait à des dangers sérieux.
Ainsi, messieurs, ne pas s'opposer au barrage, ne pas compromettre nos relations avec la Hollande, et se borner à des réserves ; ou bien faire bon marché de nos relations avec la Hollande, lorsqu'on pesait dans l'autre plateau de la balance la prospérité du peuple beige, liée au sort de l'Escaut ; faire bon marché de nos relations avec la Hollande et s'opposer énergiquement au barrage.
Eh bien, de ces deux altitudes, logiques l'une et l'autre, le gouvernement belge n'en a tenu aucune. Le gouvernement belge a entassé protestation sur protestation avant et pendant la construction du barrage ; et après, messieurs, après... plus rien.
Ces protestations avaient une cause, elle avaient un but. Elles avaient pour cause le danger auquel le barrage nous expose, danger réel, sérieux dans l'opinion du gouvernement, dans l'opinion de tous les ingénieurs belges consultés, dans l'opinion de tous les membres de cette Chambre qui ont pris la parole avant M. Thonissen ; et lui-même ne vient-il pas de nous dire que, quoique son opinion soit favorable au barrage, néanmoins s'y résigner serait jouer le sort de l'Escaut, le sort du commerce belge sur un coup de dé ?
M. Thonissenµ. - Je demande la parole.
M. Jacobsµ. - Telle a été la conduite du gouvernement belge jusqu'au moment où le barrage a été terminé : protestation sur protestation. Le barrage est fait ; plus rien, pas la moindre mesure.
Rappelle-t-on notre ministre à La Haye ? Non. On déplace le diplomate éminent, le diplomate énergique, l'auteur de toutes nos protestations, et on lui donne pour successeur un homme que je ne puis juger sans le connaître, mais qu'on supposait devoir être plus agréable à la Hollande qu'un ministre ayant pris part à tous ces conflits depuis vingt ans.
On ne fait donc rien, et quels apaisements nous offre-t-on aujourd'hui ? On nous parle de garanties que la Hollande offre à la Belgique, garanties tellement nuageuses, qu'on a cru devoir en donner lecture, de crainte de les dénaturer en en livrant l'expression aux chances de l'improvisation.
On parle aussi d'un rapport des ingénieurs ; ou n'en dit pas le contenu ; mais si, dans ce rapport, les ingénieurs se sont déjugés, s'ils sont contraires à tout ce que les ingénieurs belges ont dit jusqu'à présent, ne dois-je pas supposer que ce rapport n'est fait que pour nous ménager une retraite honorable ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Oh ! oh !
M. Jacobsµ. - Quel est, messieurs, le résultat de ces longues négociations ; quel est le résultat auquel nous venons d'aboutir ? Suivant moi, cette différence de conduite du gouvernement belge, énergique d'abord, timide ensuite, aboutit à une humiliation et à un danger. Le gouvernement, par l'attitude qu'il a prise, me paraît avoir compromis à la fois le patrimoine moral et le patrimoine matériel du pays.
Sans contredit, messieurs, j'attache, comme l'honorable ministre des affaires étrangères, comme tous les membres de cette Chambre, j'attache la plus haute valeur à nos relations avec la Hollande ; je ferai beaucoup pour ne pas les envenimer ; mais, si c'est, comme je le disais, le patrimoine moral et matériel du pays qu'il faut y sacrifier, je réponds : Jamais !
Aussi, messieurs, cette confiance que le gouvernement nous a demandée, cette confiance dont il nous a remerciés, et tant de longanimité valait bien un remerciement, cette confiance, j'ai le regret de devoir le dire, aujourd'hui je l'ai perdue. Pour qui envisage la réalité des faits, nous nous sommes inclinés devant la Hollande ; nous avons baissé pavillon devant elle. Et nous l'avons fait, alors que nous croyions au danger, alors que rien n'est venu modifier une opinion énergiquement soutenue pendant vingt ans et par nos ingénieurs et par nos diplomates.
Et la Hollande, comment a-t-elle répondu à notre modération ? Elle a joint, je puis le dire, la dérision à la bravade. Ne l’avez-vous pas entendu récemment dire qu'elle espérait voir le gouvernement belge et l'opinion publique en Belgique revenir à de meilleurs sentiments et commencer à comprendre que le barrage produirait les meilleurs effets pour la Belgique !
Messieurs, le gouvernement a assumé sur lui toute la responsabilité de cette affaire ; qu'il la supporte. Je dégage la mienne, je dégage celle de la députation anversoise ; je proteste, au nom de la ville et du commerce d'Anvers.
Je désire qu'il soit éloigné, je désire qu'il n'arrive jamais, le moment où nous serons obligé de venir dire au gouvernement belge : Qu'avez-vous fait de l'Escaut ? qu'avez-vous fait d'Anvers ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je conteste à l'honorable préopinant le droit de protester au nom de la ville d'Anvers dans cette circonstance.
M. Delaetµ. - Comment cela ?
M. le président. - Pas d'interruption, M. Delaet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne vous parle pas ; veuillez ne pas m'interrompre.
Je conteste, je le répète, à l’honorable membre le droit de protester, dans cette circonstance, au nom de la ville d'Anvers.
Je ne veux pas aller jusqu'à répéter ce qui s'est dit récemment dans une séance des états généraux à La Haye, qu'Anvers se montrait satisfait du résultat du barrage ; mais je ne reconnais pas du tout que la ville d'Anvers, que le commerce d'Anvers s'associe, en aucune manière, au blâme sévère, sanglant, qu'il vient d'infliger au gouvernement, en l'accusant d'avoir manqué d'énergie, de s'être humilié devant la Hollande et d'avoir sacrifié du même coup l'intérêt moral et l'intérêt matériel de la Belgique.
Je nie que, dans cette circonstance, l'honorable membre soit l'organe de l'opinion d'Anvers.
Messieurs, on semble accuser le gouvernement actuel de l'attitude qu'il a prise dans cette question ; il s'est borné, dit-on, à discuter la question, à protester. Mais qu'on veuille bien s'en souvenir : la position dans laquelle nous nous trouvons, ce n'est pas nous qui l'avons faite.
Il y a plus de vingt ans que cette question est introduite. A aucune époque le gouvernement, à partir du premier ministère qui a eu à s'en occuper, n'a suivi une ligne de conduite autre que celle que nous avons tenue ; peut être avons-nous apporté dans cette affaire plus d'ardeur, plus d'énergie ; mais, je le répète, la ligne de conduite que nous avons suivie est celle qui a été adoptée dès le principe de l'affaire, et à laquelle se sont invariablement conformés les trois ou quatre ministères qui nous ont précédés, sans pouvoir obtenir de la Hollande qu'elle abandonnât la poursuite de ses projets.
Nous n'avons pas obtenu de la Hollande qu'elle suspendît les travaux qu'elle avait entrepris. Je le regrette, non seulement pour nous, mais pour la Hollande elle-même. Elle a usé envers la Belgique d'un mauvais procédé ; elle a posé un acte qui pourrait dans l'avenir, si les conséquences qu'on en a à redouter venaient à se réaliser, amener entre les deux pays une scission fatale, de nature à nuire considérablement et pour longtemps aux relations des deux pays, et à faire éclater entre la Belgique et la Hollande des conflits sérieux.
Messieurs, quel que soit et quel qu'ait été toujours mon désir de maintenir entre les deux pays les relations les plus amicales, de les améliorer de jour en jour, je déclare à la Chambre que jamais je ne sacrifierai à ce désir l'intérêt moral et l'intérêt matériel du pays ; que jamais ce désir ne me fera renoncer à ce que je considère comme les droits légitimes de la Belgique.
Mais de quoi s'agit-il aujourd'hui ? Il s'agit d'une question de fait ; nous nous trouvons devant un fait accompli, fait regrettable, blâmable et pour lequel nous avons le droit de nous plaindre de la Hollande. Mais devant le fait accompli n'y a-t-il plus rien à faire ? Nous avons protesté ; c'était notre droit, c'était notre devoir. Après la protestation, que voulait l'honorable député d'Anvers ? Est-ce la guerre ? Il nous a dit tout à l'heure qu'une déclaration de guerre à la Hollande est une extrémité devant laquelle il recule ; s'il était allé jusque-là, je doute encore qu'il eût été dans cette circonstance l'organe d'Anvers ; je doute aussi qu'il eût été l'organe de cette Chambre, s'il fût venu y faire une motion de guerre contre la Hollande.
Eh bien, messieurs, du moment que la Belgique reculait devant une déclaration de guerre à la Hollande, du moment qu'elle se trouvait devant le fait accompli, que nous restait-il à faire ? Rappeler, dit-on, notre ministre de La Haye... et après ? Est-ce que le rappel de noire ministre de La Haye aurait fait tomber le barrage ?
Mais loin de rappeler notre ministre de La Haye, démonstration (page 222) ridicule et inutile si elle n'eût pas été suivie d'actes plus significatifs, loin de rappeler noire ministre de La Haye, je l'ai déplacé, dit-on, parce que, par le rôle énergique qu'il avait joué dans l'affaire, il pouvait contrarier nos dispositions à baisser pavillon devant la Hollande.
Eh bien, messieurs, voici les disgrâces dont a été frappé notre ministre à La Haye : par suite de la retraite de notre très honorable envoyé à Londres, M. Van de Weyer, un des postes les plus importants de la diplomatie belge s'est trouvé vacant. Nous y avons appelé notre ministre de La Haye. Est-ce pour le punir de l'énergie patriotique et du zèle éclairé dont il a fait preuve dans cette dernière capitale, que nous l'avons envoyé à Londres, où la Belgique a des défenseurs naturels particulièrement dans toutes les questions qui concernent la navigation de l'Escaut ?
Si l'honorable préopinant était venu me dire : « Vous avez envoyé à Londres le représentant de la Belgique à La Haye, qui est fort au courant de la question de l'Escaut, vous avez bien fait ; il pourra, le cas échéant, donner au gouvernement anglais des renseignements fort utiles à cet égard ; il pourra aider, au besoin, au succès de vos négociations, j'aurais compris ce langage ; mais ce n'est pas un éloge, c'est un blâme que cette nomination m'attire de la part de l'honorable membre.
Notre envoyé à La Haye a été remplacé par un homme qui joint un esprit conciliant à beaucoup de capacité et d'expérience...
M. Vilain XIIIIµ. - Il sait être très ferme au besoin.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je le sais bien. Et je suis charmé de ce témoignage d'un de ses anciens chefs qui, lui aussi, sait être ferme à l'occasion.
Est-ce un mal qu'un diplomate joigne à beaucoup de capacité et d'expérience, un esprit conciliant ? C'est à raison de ces diverses qualités que je l'ai désigné au choix du Roi.
M. Vilain XIIIIµ. - Dans la question du Sund il a montré beaucoup de résolution.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je vous remercie pour lui ; il sera très sensible à ce témoignage de votre part.
Depuis la présence de notre nouvel envoyé à La Haye, il s'est produit, je ne le cache pas, certaines modifications dans nos rapports avec le gouvernement néerlandais ; il a eu des entrevues, des entretiens ; tout à l'heure je vous ai donné lecture du résultat de ces entretiens, que j'ai transcrits, non comme on l'a dit, dans la crainte d'exagérer dans la chaleur de l'improvisation la portée de la déclaration, mais uniquement parce que je tenais à reproduire bien exactement les paroles échangées entre notre ministre et M. le comte de Zuylen. Je tiens la Chambre attentive à cette déclaration dont je suis en mesure de certifier la parfaite exactitude, je crois que la Chambre reconnaîtra que le nouveau ministre à La Haye n'a pas perdu son temps depuis qu'il s'y trouve, Quelles que puissent être les paroles qui seraient prononcées ailleurs qu'ici, je dois déclarer que je tiens pour exacte, parfaitement exacte la déclaration dont j'ai donné lecture.
La Hollande, dans l'état actuel, reconnaît qu'elle est responsable de l'Escaut, reconnaît qu'elle est prête à exécuter les travaux destinés à réparer les dommages qui seraient constatés et qu'elle est prête, dans l'avenir, à faire les travaux qui seraient jugés nécessaires pour prévenir les dommages qui seraient à prévoir.
Je dis, messieurs, qu'il y a un progrès obtenu dans l'état de nos relations avec la Hollande sous ce rapport. Si l'on veut quelque chose de plus, on voudra bien le dire. Quant à moi, je m'en tiens, pour le moment, à ces déclarations.
Tout n'est pas fini, messieurs. Ainsi que je l'ai dit, les ingénieurs belges, après avoir examiné les rapports des ingénieurs étrangers, ont produit un travail avec des conclusions. Suivant la marche adoptée aujourd'hui et acceptée par le cabinet, de La Haye, les travaux de ces ingénieurs comme celui de l'ingénieur maritime, seront communiqués au gouvernement hollandais. On tâchera d'arriver à un accord. Et ne serait-ce pas un immense résultat si, sans avoir recours à des moyens devant lesquels tout le monde a reculé jusqu'ici, si sans entretenir entre les deux- ays ces fâcheux débats, cette source d'hostilités qui nuit aux relations réciproques nous parvenions par une attente, par un bon accord, à rassurer entièrement la Belgique sur la situation de l'Escaut ?
Peut-on imaginer qu'un seul Belge songe un moment à abdiquer les droits de la Belgique, à méconnaître les intérêts du pays au point de laisser faire à la Hollande tout ce qu'elle voudra sur l'Escaut et à ne pas se soucier des actes dommageables qu'elle voudrait poser ?
Messieurs, on reproche au gouvernement de s'être humilié devant la Hollande. Ce reproche, je l'avoue, ne me touche nullement. Il pourrait me toucher, si c'était en Hollande qu'on dît cela ou qu'on pût le croire. Mais j'ai eu, au contraire, en Hollande, la bonne ou la mauvaise fortune d'être signalé comme un homme plein d’orgueil, comme un homme infatué de patriotisme, comme un homme voulant à tout prix faire dominer la Belgique sur la Hollande.
On m'a adressé, sous ce rapport, des compliments plus ou moins désagréables. Je les ai dédaignés ; j'ai dédaigné tout ce qui a pu être dit à mon adresse aux états généraux. Pas plus tard qu'avant-hier, un honorable représentant bien voulu parler de mes fantaisies. C'était de la pure fantaisie de la part de M. Rogier ; c'était, de la part de la Belgique, un thème à déclamation, à bavardage. Il s'est servi d'une expression très peu parlementaire que je ne répète pas.
Ainsi sous ce rapport, je suis bien convaincu que la Hollande ne considère pas la Belgique et le gouvernement belge comme s'étant humiliés devant elle.
Mais, chose curieuse, ce qu'on a reproché au gouvernement hollandais en cette même affaire, c'est l'abdication de ses droits, c'est l'humilité de son attitude vis-à-vis de la Belgique ; c'a été un des thèmes de l'opposition qui s'est produite dans les dernières discussions des états généraux et je ne sais pas jusqu'à quel point il n'a pas contribué au renversement du cabinet hollandais qui vient d'être annoncé.
Messieurs, je crois devoir laisser de côté toutes ces récriminations, et pour moi, j'éviterai, autant que possible, d'adresser, du haut de cette tribune, le mot, je dirai même le moins désagréable, le moins impoli à qui que ce soit du parlement néerlandais. Je crois que les convenances l'exigent ainsi. Qu'entre nous, nous échangions quelquefois des paroles plus ou moins désobligeantes, je le concède. Mais je pense qu'il serait contraire à tous les usages, à toutes les convenances, que d'une tribune étrangère à l'autre, on se renvoyât de ces paroles injurieuses ou simplement désobligeantes. Quant à moi, on aura beau m'attaquer ailleurs, je ne répondrai pas ici à de pareilles accusations.
Je dois cependant en prendre acte pour me défendre vis-à-vis de mes honorables collègues de cette Chambre, et sous ce rapport, je remercie les représentants hollandais qui, sous forme de critique, ont exalté mon énergie, mon patriotisme, mon invincible désir de faire quelque chose pour la Belgique et pour le port d'Anvers.
Je ne sais pas, messieurs, si le discours de l'honorable M. Jacobs exprime autre chose que son opinion personnelle, s'il est autorisé par un certain nombre de ses collègues à le prendre sur ce ton et à formuler des conclusions ; j'attendrai qu'il veuille bien soumettre à la Chambre ces conclusions.
Il me semble qu'à un pareil discours, il n'y a guère qu'une motion de blâme qui puisse servir de digne conclusion. Eh bien, il peut la faire ; je me résigne parfaitement à supporter les conséquences de cette motion. Mais je le préviens qu'il s'expose beaucoup, si je ne me trompe, à un grave échec.
Je reconnais qu'un parti peut saisir toutes les occasions légitimes de se défaire d'un ministre qui lui déplaît ; mais je doute que dans cette circonstance il rencontre un grand nombre d'amis disposés à l'appuyer. Est ce que je me fais illusion ? La suite me l'apprendra.
M. Thonissenµ. - Je me bornerai à répondre à ce qui m'est personnel dans le discours de l'honorable M. Jacobs.
L'honorable membre a commencé par parler de mon optimisme, il a dit que j'approuvais, en même temps, ce qu'avait fait le gouvernement hollandais et ce qu'avait fait le gouvernement belge.
Quoique l'honorable membre soit mon voisin, il m'a bien mal compris. Je n'ai pas approuvé la conduite du gouvernement hollandais ; je l'ai, au contraire, nettement désapprouvée. J'ai dit et répété que le gouvernement hollandais avait méconnu le texte de l'article 9 du traité du 19 avril 1839 ; j'ai soutenu qu'il n'avait pas le droit de faire le barrage ; et, pour confirmer cette allégation, j'ai invoqué la convention de Mayence du 19 mars 1831 ; j'ai dit, en un mot, que le gouvernement néerlandais avait posé un acte contraire au droit et que le gouvernement belge avait eu raison de protester.
Mais l'honorable député d'Anvers est allé beaucoup plus loin. Je proteste contre ses paroles, quand il dit que je serais prêt à approuver ceux (page 223) qui voudraient jouer, sur un coup de dés, les intérêts matériels et moraux de la Belgique.
On peut méconnaître mon patriotisme et dénaturer mes actes ; mais je ne reconnais à personne le droit de prétendre que, dans une circonstance quelconque et au profit de qui que ce soit, je serais prêt à seconder ceux qui voudraient, sur un coup de dés, jouer les destinées du pays.
J'ai parlé d'une manière excessivement inoffensive. Un orateur des états généraux a fait entendre que les représentants belges ne s'occupent pas de la question de l'Escaut, qu'ils y sont indifférents, et que si le gouvernement s'agite, c'est pour étaler du zèle et du patriotisme. J'ai tenu à déclarer que, dans cette question grave, qui intéresse si vivement les intérêts matériels du pays et surtout ceux de la ville d'Anvers, nous sommes d'accord avec le gouvernement pour maintenir les droits de la Belgique. Je n'ai pas eu d'autre but en exprimant mon opinion personnelle.
Maintenant, messieurs, cette opinion est-elle si déraisonnable ? De quoi s'agit-il ? La Hollande se prépare à établir un barrage à travers l'Escaut oriental ; le gouvernement belge apprend qu'il est question de construire ce barrage, et aussitôt il proteste de la manière la plus énergique. Pendant plusieurs années, il arrête les travaux ; mais un beau jour, pendant que nous continuons à protester, la Hollande achève le barrage, et nous apprenons que la navigation est interrompue.
Devant ce fait, que fallait-il faire ? Il n'y avait qu'un seul moyen d'action immédiate : c'était la guerre. Mais les intérêts belges exigeaient-ils qu'on fît une déclaration de guerre ? Il y avait deux questions à résoudre. Il s'agissait de savoir si le gouvernement hollandais avait, ou non, le droit de faire ce qu'il a fait ; il s'agissait ensuite et surtout d'examiner si le gouvernement hollandais avait commis un acte qui fût de nature à nuire aux intérêts de la Belgique.
Or, quant à ce deuxième problème, le seul qui présente une importance réelle, une importance pratique, il y avait un double intérêt à prendre en considération ; c'était, d'une part, la navigation entre l'Escaut et le Rhin par les eaux intermédiaires ; c'était ensuite l'intérêt beaucoup plus essentiel de la navigation entre Anvers et la mer du Nord. Eh bien, j'ai étudié sincèrement ces deux intérêts, et voici ce que j'ai trouvé.
Par rapport à la navigation par les eaux intermédiaires, j'ai trouvé que le canal de Sud-Beveland, profond, large et sûr, peut suffire à tous les besoins.
Reste la question de la navigation de l'Escaut entre Anvers et la mer du Nord. Sommes-nous déjà lésés ? Non, nous ne le sommes pas encore. Nul n'oserait l'affirmer !
Dans mon opinion, sans cependant vouloir émettre une affirmation que les événements pourraient démentir, dans mon opinion nous ne serons même jamais lésés.
Il eût donc fallu faire la guerre uniquement pour avoir raison d'un mauvais procédé de la Hollande. Je pense que c'eût été un acte de folie. Si, un jour, la navigation de l'Escaut était réellement menacée et si, alors, le gouvernement n'agissait pas, je le blâmerais ; mais, en présence d'une simple éventualité, le meilleur moyen était, je le répète, de protester, et c'est ce qu'on a fait.
Il ne faut pas seulement s'occuper du barrage de l'Escaut, il faut aussi tenir compte de la situation générale de l'Europe. Eu présence de la position qu'où veut faire aux petits peuples, une guerre avec la Hollande serait un immense malheur ; ce serait un acte capable de faire de la Belgique et de la Hollande la risée de l'Europe. Pour me servir d'une expression peut-être triviale, la Hollande et la Belgique se battant à cette heure ressembleraient à deux moutons se battant en présence du loup.
M. Jacobsµ. - Deux mots d'abord à l'honorable M. Thonissen. Si l'intervalle d'un banc qui nous sépare m'a empêché de saisir ce qu'a dit l'honorable membre, ce même intervalle a suffi pour l'empêcher de comprendre mes paroles. J'ai dit que le député de Hasselt partage l'opinion du gouvernement hollandais, mais avec une réserve, celle des chances imprévues, coup de dés qui peut compromettre l'avenir du fleuve.
L'honorable membre, retournant ma phrase, me fait dire qu'il est disposé à jouer le son de l'Escaut sur un coup de dés. Je puis m'en tenir à cette rectification.
M. le ministre des affaires étrangères s'est vu souvent dire que le gouvernement ne représente pas le pays ; il lui a plu de prendre sa revanche en prétendant que je ne représente pas la ville d'Anvers dans cette circonstance. L'honorable ministre aura puisé set renseignements, sans doute, auprès de ce député hollandais qu'il citait tantôt et d'après lequel Anvers est la ville la plus satisfaite du monde.
La Chambre voudra bien se rappeler que c'est moi qui ai pris ici l'initiative de la question du barrage. Jamais député n'en avait occupé la Chambre, jamais ministre n'avait jugé à propos de l'en entretenir.
Je l'ai soulevée, et l'émotion qui s'est manifestée depuis, à Anvers, et qui s'est traduite par les manifestations du conseil communal, du conseil provincial et de la chambre de commerce, justifie suffisamment la ligne de conduite que j'ai tenue en cette circonstance.
Si l'honorable ministre ne voit pas la ville d'Anvers derrière moi, c'est qu'il est des gens qui ont des yeux pour ne pas voir ou bien de ceux qui ont un bandeau devant les yeux.
La question date de vingt ans, me répond M. le ministre des affaires étrangères, et tous les gouvernements ont suivi la même ligne de conduite.
J'ai approuvé la conduite de tous les gouvernements, y compris le gouvernement actuel, jusqu'au moment où l'on a mis la main au barrage ; jusqu'à ce moment, en l'absence de toute exécution, il était impossible d'aller au delà des protestations.
M. le ministre des affaires étrangères me demande aujourd'hui : « Que faire ? Fallait-il donc déclarer la guerre ? Car se borner au rappel du ministre, c'était se couvrir de ridicule. »
Je me rappelle, messieurs, que dans différentes circonstances le gouvernement nous a fait l'énumération des armes qu'il avait entre les mains ; nous avions l'appel aux puissances, la possibilité de constituer un arbitrage ; nous pouvions suspendre le payement de la rente de 400,000 florins que nous payons à la Hollande ; le gouvernement étalait tout son arsenal ; aujourd'hui qu'il s'agit d'agir, il n'a pas trouvé une arme dont il pût se servir. Eh bien, je déclare que si l'on ne voulait pas agir, il ne fallait pas faire étalage de ces armes.
L'arme ou le remède à employer, ce n'est pas à moi à l'indiquer au gouvernement, ce n'est pas à moi à lui tracer la ligne de conduite qu'il doit tenir. L'action lui appartient, la critique, le jugement est le rôle des députés ; et je dois le dire, la conduite du gouvernement, en cette affaire, ne me paraît pas mériter des éloges.
Messieurs les ministres peuvent être satisfaits d'eux-mêmes ; député belge, député d'Anvers, je ne puis l'être.
Quelle conclusion donner à mon discours ? M. le ministre m'assure que la seule digne est une motion de blâme.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Cela résulte positivement de votre discours.
M. Jacobsµ. - Je n'ai pas l'habitude de demander des conseils à messieurs les ministres sur les conclusions à donner à mes discours.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce n'est pas un conseil.
M. Jacobsµ. - Je vote contre le budget des affaires étrangères comme contre ceux des autres ministres ; puisque l'honorable membre désire savoir jusqu'où je serais disposé à aller pour manifester mon blâme, je lui dirai que si j'avais deux votes à émettre, si j'en avais davantage encore, en cette occasion, ils seraient tous négatifs.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je n'ai pas la prétention de donner des conseils, et particulièrement des conseils qui seraient suivis, à l'honorable membre. J'ai seulement constaté que la conséquence rigoureuse de son premier discours ne pouvait être qu’une motion de blâme. Si l'honorable membre ne veut pas passer par cette épreuve, il en fera ce qu'il voudra. Je me borne seulement à constater que logiquement, parlementairement, quand on a dressé un acte d'accusation aussi complet, aussi énergique, aussi violent contre un ministre, la conclusion nécessaire est une motion de blâme.
J'observe que l'honorable membre votait contre le budget des affaires étrangères avant même qu'il eût désapprouvé ma conduite, alors qu'il marchait d'accord avec moi, alors qu'il avait confiance dans la direction que je donnais à cette affaire.
Je ne vois donc pas ce que j'aurais eu à gagner à entrer plus avant dans les vues de l'honorable membre ; il aurait, je crois, toujours persisté à voter contre le budget des affaires étrangères.
Cette disposition nuit peut-être, je le crains, à l'influence que l'honorable membre peut avoir dans cette question. Mais, je crois qu'il y a autre chose que la question de l'Escaut dans le discours de l'honorable membre.
Voilà ce que c'est que de voter toujours, n'importe dans quelle (page 224) question, contre le ministère. Si, par hasard, on rencontre une question dans laquelle on a raison, la confiance de la Chambre ne vous suit pas. On dit : Voilà un député qui vote toujours contre le ministère. C'est une mauvaise habitude de voter toujours aveuglément, et, comme on vient de le dire, un bandeau sur les yeux, contre le ministère.
Si j'avais un conseil à donner à mon honorable et jeune collègue, je lui dirais de changer de tactique, de ne pas voter systématiquement, dans toutes les questions, contre le ministère.
L'honorable membre dont le second discours a été beaucoup plus modéré que le premier, je l'en remercie, me dit que je n'ai pas usé des armes dont je parlais autrefois. Ai-je dit que j'abandonnais ces armes, que nous renoncions à en faire usage dans l'avenir ?
Messieurs, je n'ai pas dit un mot de cela, mais il y a la question d'opportunité, la question d'utilité et le choix des armes.
Evidemment, messieurs, la Belgique, en cas de lésion, a encore l'appel aux puissances, a encore la suspension du payement de la rente, a encore d'autres moyens plus énergiques entre les mains. La Belgique n'entend nullement renoncer à ces moyens. Seulement, la Belgique ne fait pas de menaces, et, sous ce rapport, on a singulièrement exagéré mon langage à la Chambre hollandaise. Je n'ai jamais pris une attitude menaçante, ni même violente à l'égard de la Hollande. J'ai toujours défendu énergiquement les intérêts de la Belgique, mais jamais je n'ai lancé de menaces à la Hollande du haut de cette tribune.
Je crois, messieurs, que l'intérêt de la Belgique ne me commandait, ni il y a quelques années, ni en ce moment, d'appeler les puissances étrangères à intervenir directement dans nos affaires internationales.
Quant à la suspension du payement de la rente, ce moyen est toujours à notre disposition, mais il ne faut pas se le dissimuler, c'est la guerre, et la guerre sans efficacité, puisque cela ne ferait pas cesser les effets du barrage.
On en vient, messieurs, à ces extrémités, lorsqu'il y a lieu de ne plus espérer, lorsqu'on a acquis la conviction que l'on essuiera un dommage, et que ce dommage ne sera pas réparé.
Je dis que nous sommes aujourd'hui dans une période que j'appellerai transitoire, dans une période d'essai. Nous avons rencontré dans le cabinet de La Haye de la bonne volonté et de bonnes dispositions.
Je crois que si nous pouvions arriver, par des mesures transactionnelles au résultat que nous devons équitablement attendre, nous aurions remporté là un succès notable. Mais, je le répète, quel que soit notre désir de vivre en bonne harmonie avec la Hollande, quelque grand que son notre intérêt à ce que les deux nations restent toujours d'accord et prêtes à agir de concert dans toutes les occasions, jamais ce désir ne me portera à renoncer à aucun droit de la Belgique, ni à sacrifier la moindre parcelle de ses intérêts.
Voilà, messieurs, une déclaration que je tiens à répéter, et je crois que la Chambre a foi dans mes paroles.
M. Delaetµ. - Je regrette que M. le ministre des affaires étrangères, après avoir montré tant d'énergie vis-à-vis de la Hollande, énergie qu'on lui a reprochée et dont, quant à moi, je l'ai loué sans réserve, ait eu la faiblesse de s'incliner devant le fait accompli, et, quant à moi, je n'hésiterais pas à proposer un vote de blâme si la question de l'Escaut était seulement agitée ici en ce moment. M. le ministre des affaires étrangères a dit à mon honorable collègue que pour Anvers il n'y a pas seulement la question de l'Escaut, qu'il y en a une autre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai dit qu'il y en a d'autres.
M. Delaetµ. - Peu importe. Permettez-moi de retourner l'argument.
Si la question de l'Escaut devait dans cette Chambre se décider pour elle-même et par elle-même, je proposerais un vote de blâme et j'affirme que tous les députés qui connaissent la question n'hésiteraient pas à s'y associer.
Mais pour cette Chambre, vous le savez, la question de l'Escaut est compliquée d'une question de politique intérieure, et le vote que vous lui demanderiez sur vos actes quant à l'Escaut porterait en réalité sur votre politique générale. Elle vous sert de bouclier.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je me borne à demander l'adhésion de vos amis.
M. Delaetµ. - Vous posez la question de cabinet sur la question de l'Escaut ; or, ce n'est pas moi qui risquerai de compromettre un grand intérêt national, l'intérêt de la navigabilité du fleuve, qui est l'artère nourricière de la Belgique, sur une question de politique intérieure. La Hollande profiterait seule de votre vote de parti. Je ne commettrai pas la faute à laquelle vous nous conviez.
Seulement je vais vous prouver que vous n'avez pas fait un pas depuis l'accomplissement du barrage, mais pas un seul. Voici où vous en êtes : La Hollande vous a toujours dit avant le barrage : Je suis responsable du régime de l'Escaut ; si ce régime est atteint par mon fait, je me reconnais obligée à réparer les dommages. Votre nouvel envoyé à La Haye a obtenu exactement la même promesse, rien de plus, rien de moins. Je me trompe ; un peu moins peut-être, car notez bien que le barrage qui n'est qu'une simple digue, d'une centaine de mètres de large, est facile à faire disparaître ; mais s'il se produit d'immenses alluvions de sable et de vase formant des champs fertiles, des prairies, des terres arables à perte de vue, qui les fera disparaître ?
Si l'Escaut s'encombre, après que la grande alluvion s'est formée, comment la Hollande réparera-t elle le dommage ? Voilà ce que vous avez oublié de nous dire et ce que très probablement vous ne savez pas vous-même. Cependant c'est bien là la véritable question.
Je désire donc que le ministre veuille bien dire à la Chambre, pour que le pays le 6ache, comment il entend faire réparer par la Hollande les dommages qu'elle aura causés, lorsque matériellement la disparition du barrage et des immenses atterrissements que ce travail aura provoqués, sera impossible. (Interruption.)
Vous viendrez alors nous avouer votre impuissance ; vous viendrez nous dire que votre volonté a été bonne, que vous avez été énergique et loyal, mais que vous êtes placé devant un cas de force majeure et que la Hollande, avec la meilleure volonté du monde, ne pourrait le faire disparaître. (Interruption.) Eb bien, dites-nous ce que fera la Hollande dans ce cas et si vous ne le savez pas, ne nous vantez ni votre énergie, ni votre prudence, ni votre génie diplomatique.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande la parole.
- Voix à gauche. - Non, non,
M. le président. - Désirez-vous la parole, M. le ministre ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'y renonce, M. le président.
M. Delaetµ. - Je constate que M. le ministre ne répond pas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'honorable membre m'a interpellé, il avait droit à une réponse ; si je ne lui ai pas répondu tout d'abord, ce n'est pas pour le désobliger mais parce qu'il me semblait que je désobligerais une partie de la Chambre en prenant encore la parole. Cependant puisque l'honorable membre insiste, si la Chambre veut bien le permettre, je dirai encore quelques mots.
L'honorable membre demande que je dise dès maintenant quels seront les moyens employés pour réparer les dégâts et il ajoute : Vous n'en savez rien. Je ne suis pas en mesure en effet de préciser ici les moyens qui seront employés, mais ce que je sais, c'est que si la Hollande et li Belgique se mettent d'accord sur les moyens à employer pour réparer les dommages qui seraient constatés, j'aurai confiance dans ces moyens indiqués par des hommes de l'art. (Interruption.) En qui voulez-vous que j'aie confiance si ce n'est en eux ?
Mais M. Delaet n'a pas été jusqu'au bout. La déclaration que j'ai faite ne parle pas seulement de dommages constatés, elle parle aussi des dommages à prévoir et sur ce point encore il est entendu qu'on avisera, de commun accord, aux moyens de mettre obstacle aux dommages éventuels.
Vous faites un signe négatif, mais ma déclaration comprend cette réserve importante que vous avez omise.
Quant aux moyens préventifs, je n'ai pas non plus à préciser ici les moyens préventifs à employer et si je me permettais une pareille licence, elle serait, j'en suis convaincu, mal accueillie par M. Delaet, qui serait le premier à nier ma compétence en cette question.
En ce qui concerne l'observation que j'ai faite à son ami M. Jacobs, relativement à une motion de blâme, j'ai entendu soutenir, non que cette motion aurait été repoussée sur nos bancs et par des motifs politiques, mais qu'elle n'aurait pas rencontré l'adhésion de ses propres amis.
C'est là l'épreuve par laquelle j'aurais voulu faire passer M. Jacobs, mais dans laquelle il est beaucoup trop prudent pour s'aventurer. (Interruption.) Ce que j'ai entendu dire c'est que l'opinion de M. Jacobs ne rencontrerait pas sur les bancs de la minorité une majorité sérieuse.
(page 225) Je n'ai pas fait allusion à la majorité politique qui a la bonté de soutenir le cabinet, j'ai renfermé l'honorable membre dans ses propres rangs.
M. Delaetµ. - L'honorable ministre vient de nous dire qu'il ignore quel sera le moyen de réparation à mettre en œuvre lorsque les dommages se seront produits.
Sans être ingénieur, l'honorable ministre doit, ce me semble, connaître assez bien la question du barrage pour savoir qu'il n'y a plus de force humaine qui puisse détruire l'œuvre lorsque l'alluvion occupera plusieurs lieues du terrain que le fleuve inonde encore aujourd'hui. Alors le désastre sera irréparable. Laisser s'accomplir le mal, c'est se résigner à le subir.
Voilà ce que je tiens à constater.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close, et l'assemblée passe à celle des articles.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement du personnel des bureaux : fr. 145,700. »
- Adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 37,600. »
- Adopté.
« Art. 4. Achat de décorations de l'ordre de Léopold, sans que l'on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d'autres articles : fr. 10,000. »
(page 227) M. Coomans. - Les crédits extraordinaires demandés pour l'ordre de Léopold semblent devenir très ordinaires, puisqu'on nous les demande chaque année. M. le ministre me fait un signe affirmatif ; du reste, le budget le prouve malheureusement trop. Chaque année, on double à peu près le crédit voté par la Chambre.
Eh bien, mettons-y de la loyauté et du courage : au lieu de ces crédits extraordinaires, épithète menteuse, demandez un crédit ordinaire ; doublez, triplez, si vous le voulez, le crédit actuel ; je vous combattrai, mais vous agirez plus convenablement. (Interruption.) Ce n'est pas moi qui voterai ce crédit, mais enfin les amateurs de ces brimborions politiques les voteront et vous n'aurez pas le droit de me blâmer.
Je constate, du reste, que la loi du budget est violée chaque année : il est dit que le crédit ne peut pas être dépassé et il l'est tous les ans.
Je dois répéter ce que j'ai eu le désagrément personnel de devoir dire bien des fois, c'est qu'en ce point encore nous exploitons tristement les contribuables. Je ne suis pas de ceux qui blâment l'abondance des distributions de croix de l'ordre de Léopold ou plutôt de diplômes accordant le droit de porter cette croix. J'ai reconnu que la chose était ensoi assez indifférente et, pour faire disparaître les inconvénients qui en résultent, j'ai même engagé le gouvernement à se borner désormais à envoyer aux décorés un simple parchemin ou une simple feuille de papier Bath ; alors le crédit porté au budget sera suffisant et tout le monde sera content.
Pourquoi ne pas laisser aux décorés, qui sont habituellement des gens riches ou à l'aise, le soin d'acheter eux-mêmes le bijou ? (Interruption.) C'est le mot officiel.
- Des membres. - Oui, oui, continuez.
M. Coomans. - Je regrette que M. le ministre n'ait pas cru devoir suivre le conseil que je lui ai donné depuis de longues années ; je le regrette pour lui comme pour moi et pour les contribuables.
Je voudrais que M. le ministre distribuât librement, libéralement le diplôme de l'ordre de Léopold, mais qu'il se contentât d'envoyer une jolie feuille de papier à messieurs les décorés avec l'indication des bijoutiers officiels, même avec garantie du gouvernement.
Messieurs, à ce propos, je me permettrai de faire une observation à M. le ministre de l'intérieur, qui a créé un ordre national pour un usage personnel. (Interruption.)
Cette année, on a distribué deux à trois mille décorations civiques. Je voudrais que M. le ministre eût la bonté de me dire sommairement, mais clairement, quelle différence il établit entre cette décoration civique et l'ordre de Léopold ; ou, s'il le préfère, quelle nuance il y a entre ces deux genres de distinctions. Quant à moi, je ne parviens pas à en découvrir.
La question, messieurs, a son intérêt, car si, comme je le crois, un ordre national ne peut être fondé que par une loi, et ce qui me le prouve, c'est le précédent de l'ordre de Léopold lui-même, M. le ministre a commis une illégalité en proposant la création de la décoration civique, par simple arrêté royal. Ah ! si M. le ministre vient nous dire que cet ordre signifie si peu de chose, qu'il a cru pouvoir le créer par simple arrêté royal, je lui donnerai volontiers un bill d'indemnité ; mais s'il prend la chose au sérieux, s'il considère la décoration civique comme un ordre national, cousin germain de l'ordre de Léopold, je lui dirai qu'il aurait dû avoir l'approbation des Chambres et du Roi pour légaliser ce caprice.
J'espère donc que l'honorable ministre justifiera ou essayera de justifier son fait.
En attendant, je dois le dire, il m'est démontré à moi que, dans sa pensée, cet ordre a à peu près la même valeur que l'ordre de Léopold, car il s'est abstenu de le conférer à des membres des Chambres pour ne pas, sans doute, les soumettre à réélection. On m'a assuré, je l'ai appris avec une certaine fierté de corps, que beaucoup de membres de cette Chambre se sont distingués dans la lutte contre la dernière épidémie ; cependant, à l'exception d'un seul, aucun d'eux n'a reçu la décoration civique. Cette exception, d'ailleurs, est sans doute une des mille erreurs qui ont été commises dans la distribution de ce nouvel ordre. (Interruption.) Mon Dieu ! il y a eu tant d'erreurs qu'une de plus ne compte guère.
Il faut donc que l'honorable ministre croie que la décoration civique a la même valeur, à ce point de vue, que l'ordre de Léopold, puisqu'il s'est abstenu de la distribuer aux membres des deux Chambres qui se sont distingués.
M. de Brouckere. - Vous n'avez donc pas ln le rapport au Roi accompagnant le projet d'arrêté qui a institué cet ordre ?
M. Coomans. - Si ! si ! je l'ai lu, mais j'avoue qu'il ne m'en souvient guère. (Interruption). Ce n'est pas ma faute ; c'est peut-être celle du rapport.
Si donc l'honorable ministre a envisagé la chose à ce point de vue, il a eu tort de ne pas nous associer à ce grand honneur de créer un nouvel ordre national. A mon avis, nous avons assez d'un seul ordre, d'après l'usage qu'on en fait ; tous les autres ordres nationaux d'Europe venant concourir avec le nôtre à orner la poitrine de presque tous les Belges, je crois que nous aurions pu nous déclarer satisfaits.
Messieurs, je prierai l'honorable ministre de vouloir bien me donner encore un dernier renseignement ; il ne s'agit que d'un simple chiffre. Je voudrais savoir ce qu'a coûté la distribution de la décoration civique. On a distribué deux à trois mille croix et médailles dans lesquelles l'or n'a pas été ménagé ; et si, comme je l'espère, l'honorable ministre a été aussi honnête que nos bijoutiers dans la fabrication de cette décoration, la somme dépensée doit avoir été assez considérable : je demande quelle est cette somme.
(page 225) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je ne répondrai pas aux plaisanteries de l'honorable député de Turnhout ; je me contenterai de donner quelques explications à la Chambre sur les motifs qui ont déterminé le gouvernement à instituer la décoration civique.
En instituant cette distinction honorifique, le gouvernement n'a rien innové, mais il a amélioré.
Des actes de dévouement et de courage se produisent fréquemment dans le pays, et lors de la dernière invasion du choléra, des citoyens avaient généreusement exposé leurs jours pour sauver leurs semblables. Nous avons pensé que de tels actes méritaient une récompense éclatante et c'est dans ce but d'abord que la distinction civique a été créée ; elle a été créée en outre pour récompenser de longs et loyaux services rendus dans des fonctions publiques provinciales, communales, électives ou gratuites ; on avait en 1856 récompensé 25 années de services militaires, était-il juste de laisser sans récompense de longs services civils rendus souvent à titre gratuit, mais avec dévouement ?
Déjà on accordait des médailles pour services rendus à l'occasion d'épidémies et une autre médaille était destinée à récompenser les services rendus pendant les épizooties ; des médailles d'une autre espèce, et divisées en trois classes, étaient décernées à des personnes qui se distinguaient par des actes de courage et de dévouement ; il y avait là, en un mot, une grande variété de médailles.
Nous avons cru, mes honorables collègues et moi, qu'i était utile de mettre un peu d'unité dans ces distinctions si variées. En principe, nous n'avons donc rien innové, mais nous avons amélioré et relevé ce qui existait, et si ces médailles de diverses espèces pouvaient légalement être décernées, je ne vois pas pourquoi la décoration civique ne pourrait pas être légalement distribuée aussi.
Il ne s'agit nullement ici d'un ordre de chevalerie qui, aux termes de la Constitution, ne peut être établi qu'en vertu d'une loi, d'un ordre qui comporte divers grades, qui donne un titre à celui qui le reçoit, mais d'une distinction honorifique destinée à récompenser de longs services ou des actes méritoires de dévouement et de courage, et, de plus, nous avons fait disparaître, pour l'avenir, les signes trop multiples de ces récompenses, et nous avons voulu leur donner un caractère plus élevé.
Voilà le but que nous avons eu en soumettant au Roi l'arrêté du 21 juillet 1867.
L'honorable membre pense que la décoration civique ne peut, comme l'ordre de Léopold, être donnée aux membres de la législature, sans les soumettre aune réélection. II n'en est rien. Si l'honorable membre avait bien voulu lire attentivement le rapport soumis au Roi, lors de la présentation du projet d'arrêté, il aurait, pu y voir que si la distinction civique n'a pas été accordée à des membres de la législature, qui l'avaient si bien méritée, c'est parce que nos honorables collègues, bourgmestres de grandes villes ou de modestes communes, qui étaient proposés et naturellement désignés pour obtenir cette distinction, ont décliné cet honneur. La conscience d'avoir fait leur devoir était pour eux la plus belle, la meilleure des récompenses.
D'autres citoyens, il est vrai, n'ont pas été tout à fait de cet avis, et c'est sans doute là ce qui a donné lieu à de nombreuses réclamations.
L'honorable membre croit que l'institution de la décoration civique va donner lieu à de grandes dépenses. Qu'il se rassure : bien que de telles dépenses seraient justifiées, il y aura peu à demander de ce chef. Des crédits sont votés depuis longtemps au budget pour les médailles des diverses catégories dont j'ai parlé ; la Chambre a voté également un crédit pour les dépenses faites à l'occasion du choléra, et c'est sur ces crédits qu'on pourra imputer les frais des bijoux nouveaux.
Quant aux décorations à décerner du chef de longs services, une augmentation de crédit de 7,000 à 8,000 francs est demandée aux Chambres dans le budget de l'intérieur, et j'ai cru devoir m'abstenir de proposer au Roi d'accorder des distinctions pour services de ce genre, jusqu'à ce que la Chambre se fût prononcée sur le crédit nouveau.
Ainsi, messieurs, en instituant une décoration civique, nous avons voulu créer une distinction qui fût en rapport avec les services rendus ou les actes posés par ceux qui l'obtiennent, mais cette distinction, qui est des plus honorables, n'est pas un ordre et ne tombe pas sous l'application de l'article de la Constitution qui a été cité.
J'espère que ces explications satisferont plus ou moins l'honorable membre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, au simple point de vue de l'économie, je crois que la mesure, prise par M. le ministre de l'intérieur, de concert avec ses collègues, a été bonne. Si le budget des affaires étrangères avait dû continuer d'être chargé de la dépense des décorations de l'ordre de Léopold, qu'on recherche de toutes parts, ce n'est pas avec 10,000 francs, ni avec 20,000 francs qu'on aurait pu pourvoir à ces besoins. Sous ce rapport, la mesure dont il s'agit, bonne d'ailleurs en elle-même, pourra, je l'espère, soulager le budget du ministère des affaires étrangères.
Messieurs, l'observation de l'honorable M. Coomans est exacte ; chaque année, le crédit est insuffisant ; mais l'honorable membre voudra bien reconnaître que ce n'est pas la faute du ministère.
En ce qui concerne mon département, je ne pense pas être prodigue des croix de l'ordre de Léopold ; mais je ne suis pas le maître des événements. Depuis quelques années, il s'est rencontré dans l'histoire de la Belgique des incidents heureux ou même malheureux qui ont entraîné la distribution d'un grand nombre de décorations. Ce sont les décorations accordées aux étrangers qui donnent lieu aux dépenses les plus considérables ; il y a des décorations tellement frayeuses que nous devons nous abstenir de les décerner : elles absorberaient tout le crédit.
Si en 1868 il ne survient pas de ces événements extraordinaires qui ont nécessité la concession d'un grand nombre de décorations, j'espère que le crédit suffira, mais je n'oserais pas l'affirmer. Si le crédit extraordinaire devait se reproduire chaque année, il n'y aurait rien de plus simple que de le porter à la colonne des charges ordinaires, et si la Chambre en manifestait le désir (Non ! non !), je ne m'y opposerais pas. J'ai voulu laisser la moitié du crédit à la colonne des charges extraordinaires, espérant qu'un jour cet accroissement de dépense pourrait être supprimé ou tout au moins réduit dans une certaine mesure.
M. Dumortier. - Comme il est question des ordres et que l'honorable M. Coomans a soulevé cette question, je voudrais dire deux mots à la Chambre, uniquement au point de vue de la constitutionnalité de l'ordre civique qui vient d'être créé. (Interruption.)
- Plusieurs membres. - Au budget de l'intérieur.
M. le président. - Je crois, M. Dumortier, qu'il conviendrai» de réserver cette question pour le budget de l'intérieur.
M. Dumortier. - Laissez-moi achever ; je ne serai pas long. Je crois que le gouvernement n'a pas le pouvoir de créer un ordre ou une distinction de ce genre sans une loi, et je me réserve de développer cette question lorsque nous en viendrons au budget de l'intérieur. Mais je ne pouvais laisser passer cette discussion sans poser ces réserves.
Quant à l'ordre de Léopold, comme l'a dit avec infiniment de raison M. le ministre des affaires étrangères, il règne en ce moment un appétit excessivement grand pour les ordres et les décorations.
Quant à moi, je voudrais que le gouvernement mît un frein à toutes ces distributions incessantes de décorations dans le pays. Je crois que les (page 226) décorations, propagées comme elles le sont, n'augmentent pas beaucoup la moralité du peuple. J'admire la décoration portée par quelqu'un qui l'a hautement gagnée, hautement méritée, mais quand on voit souvent ce genre de récompense n'être pas justifié aux yeux de l'opinion publique, j'estime le fait comme assez malheureux pour l'état de la société.
Je crois donc que le gouvernement devrait être un peu plus sévère dans la collation des décorations. J'ajouterai qu'il devrait être un peu plus juste, car dans les décorations, trop souvent on fait de l'esprit de parti et pas assez de l'esprit de justice. Croiriez-vous, par exemple, qu'il y a dans cette Chambre des membres, je sais qu'ils sont au-dessus de cela, qui siègent ici depuis trente ans et qui n'ont pas encore reçu la décoration de l'ordre de Léopold, parce qu'ils appartiennent aux bancs de l'opposition ! (Interruption.) Le fait est exact. Je ne dis pas qu'il y ait eu de mauvaises intentions ; je n'en sais rien ; je ne veux pas critiquer les actes en eux-mêmes, Je veux seulement donner un conseil. Je dis que pour qu'un ordre ait une véritable valeur, il importe qu'il n'y ait pas de préférence et de faveur dans la collation.
J'engage donc M. le ministre des affaires étrangères, qui vient de dire que très souvent il résiste à des demandes, à se montrer plus difficile encore sur ce point, et je ne pourrai que le féliciter s'il met de plus en plus de réserve dans la collation des décorations.
(page 227) M. Coomans. - Messieurs, je dois constater que M. le ministre des affaires étrangères n'a pas répondu à un point essentiel de l'espèce d'interpellation que je lui ai adressée.
J'ai demandé, qu'on supprimât, non pas la distribution de l'ordre de de Léopold, mais la dépense qu'elle occasionne ; j'ai demandé qu'on se bornât à envoyer à ceux qu'on décore un diplôme sans y joindre le bijou. (Interruption.)
Pourquoi pas, messieurs ? Anciennement les souverains envoyaient aux personnes qu'ils décoraient, des manteaux, des bonnets, des robes, des épées, d'autres choses encore.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et des tabatières.
M. Coomans. - C'était avant l'invention des tabatières, M. le ministre, au moyen âge.
Eh bien, on a supprimé ces libéralités, et les nouveaux décorés ne se sont pas crus déshonorés par la suppression de ces libéralités coûteuses. Je voudrais bien savoir quels sont les décorés de l'ordre de Léopold qui oseraient renvoyer le diplôme sous prétexte qu'on n'y a pas joint le bijou ! Ce renvoi prouverait, à lui seul, que la personne décorée ne méritait pas de l'être.
Le jour où l'on ne recevra plus qu'un simple diplôme, il y aura plus de demandes qu'aujourd'hui, parce qu'il y aura plus de chance que ces demandes soient accueillies. (Interruption.)
On voit bien que je n'y mets aucun esprit de dénigrement. Voulez-vous décorer tout le monde ? Je ne m'y oppose pas. Ce sera le plus beau jour de ma vie, celui où je verrai tous les Belges décorés, médaillés et diplômés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et vous aussi.
M. Coomans. - Moi aussi. S'il le faut absolument, je me sacrifierai, mais le dernier, je vous prie. (Interruption.)
Un mot encore, messieurs. On approuve, on admire, non sans raison, je dois le dire, le refus qu'ont fait certains bourgmestres, représentants et sénateurs, de recevoir la décoration civique ; le haut distributeur de cette décoration, M. le ministre de l'intérieur, trouve ce refus superbe, digne de mémoire. Soit ! je trouve cela très bien de la part de ces messieurs, mais je voudrais alors que tous nos diplomates, tous nos ministres, tous nos hauts fonctionnaires pour qui, en réalité, l'ordre de Léopold est institué, parce que cela leur facilite le moyen de se procurer des ordres étrangers en vertu du vieux proverbe : passez-moi la casse, je (page 228) vous passerai le séné, montrassent les sentiments de désintéressement superbe que l'honorable ministre de. l'intérieur vient de nous faire connaître.
Si tous nos hauts fonctionnaires refusaient, eux aussi, les décorations de l'étranger, l'étranger en serait très satisfait ; il n'aurait plus à faire ces frais-là non plus et on pourrait réduire tous les budgets de l'Europe.
Je voudrais que nos hauts fonctionnaires, nos ministres y compris, qui sont un peu coupables du fait que je déplore, refusassent désormais
toutes les décorations qu'on leur offre ; nous pourrions alors nous montrer moins complaisants envers les solliciteurs étrangers. N'étant plus décorés, nous ne serions plus obligés de décorer les antres.
Voilà ce que je recommande à nos hauts fonctionnaires. Du reste, ils ont déjà tant de décorations, qu'ils pourraient bien, sans montrer un très grand dévouement aux intérêts des contribuables, accepter ma proposition.
Dans tous les cas, je refuse ce crédit, et aussi les suivants. Mais nous en reparlerons.
(page 225) M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je reviendrai d'abord au point de départ de cette discussion, au point économique, au sujet duquel je n'avais pas répondu.
L'honorable M. Coomans, qui fait preuve en toutes choses de beaucoup d'imagination, a imaginé cette économie-ci, qui est très simple : c'est de substituer à ce qu'on appelle le bijou un morceau de papier. Cela serait, en effet, beaucoup plus économique, et la Belgique se relèverait beaucoup en donnant aux autres gouvernements l'exemple de cette grande réforme qui consisterait à rayer de son budget une somme de 10,000 à 15,000 francs pour supprimer les décorations, je ne dirai pas les cordons ; car il faudrait bien quelque chose pour les cordons, à moins de les donner aussi en papier.
M. Coomans. - Vous indiqueriez les magasins où l'on peut se les procurer. (Interruption.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Si la Belgique donnait à croire qu'elle est dans un tel état de dénuement qu'elle supprime du budget des affaires étrangères la somme de 10,000 à 15,000 fr. pour distribuer des morceaux de papier aux souverains, aux hommes d'Etat, aux artistes, etc., etc., je doute qu'elle y gagnerait beaucoup en considération.
Je crois, messieurs, qu'une telle proposition n'a pas grande chance d'être accueillie. Il y a encore quelques pays où l'on se borne à distribuer des spécimens avec le cordon ; qui ne donnent pas de bijou en métal, mais un bijou en carton. Mais quand on veut imiter les autres, ou doit les imiter par les beaux côtés et non par les côtés mesquins, et l'on trouve généralement que ce procédé, qui se perd de jour en jour, n'est pas bon à suivre.
Il y aurait d'ailleurs un inconvénient politique à adopter la proposition de l'honorable M. Coomans. Aujourd'hui la Chambre exerce un contrôle sur la distribution des décorations par la seule présence d'un crédit au budget. Si ce crédit disparaissait, le contrôle disparaîtrait également et l'abus des décorations, dont on se plaint, ne ferait que s'accroître de plus en plus. Du moment où le ministère ne serait plus retenu par le contrôle des Chambres et par la dépense qu'entraînent les décorations, ne craindrait-on de voir tomber des régions ministérielles des pluies de morceaux de papier ?
Dois-je répondre à ce qu'il y a personnel dans son discours ? Il a fait allusion aux ministres qui accorderaient des distinctions suivant les opinions dans le pays et dans cette Chambre.
M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez fait allusion du moins aux ministres qui distribuent des cordons dans l'espoir d'en recevoir.
M. Coomans. - Je n'ai pas parlé de vous ; j'ai parlé de tous nos agents diplomatiques.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le compliment n'est obligeant pour personne.
Il est vrai que dans la position de ministre des affaires étrangères, il m'est échu un assez grand nombre de cordons, beaucoup trop, et je considérerais comme un assez grand avantage de pouvoir les partager avec ceux qui n'en ont pas du tout, mais ce sont des faveurs attachées en quelque sorte aux fonctions.
Je ne crois pas avoir besoin d'ajouter que jamais dans ma longue carrière il ne m'est arrivé de rechercher un cordon quelconque.
Je demande pardon à la Chambre de ces détails ; mais puisque nous sommes dans une question d'économie, en voici une qui me répugne, c'est de demander aux Belges qui obtiennent une promotion dans l'ordre de Léopold, la restitution du bijou du grade antérieur.
- Le chiffre des dépenses ordinaires et celui des dépenses extraordinaires sont successivement mis aux voix et adoptés.
La séance est levée à 4 heures 3/4.