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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 22 novembre 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 183) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« La dame Françoise Trouillet, veuve du sieur Seyfried, née à Lyon (France) et domiciliée à Bruxelles, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre delà justice.


« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi.. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants de Bruxelles et des environs demandent la révision de la loi du 23 septembre 1842 sur l'enseignement primaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Stoclet demande qu'il soit apporté des modifications aux arrêtés relatifs aux caisses de prévoyance des ouvriers mineurs. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruges présentent des observations sur la protestation adressée à la Chambre, contre le discours de M. Delaet, à l'occasion du meeting qui a eu lieu à Bruges le 5 novembre. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Meerhout demandent l'abolition du tirage au sort pour la milice, et la réduction des charges militaires. »

- Renvoi à la commission centrale, chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation de l'armée.


« M. de Muelenaere, obligé de s'absenter pour des affaires urgentes, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Mouton. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Rapports sur des pétitions

M. Elias, rapporteurµ. - Par pétition datée de Gand, le 12 janvier 1867, le conseil communal de Gand prie la Chambre de transférer aux tribunaux la connaissance en dernier ressort des contestations en matière électorale.

Même demande du conseil communal de Termonde.

Par pétition sans date, les sieurs Eyerman, Lamquet et autres membres de l'association libérale de l'arrondissement d'Alost déclarent appuyer la demande du conseil communal de Gand, tendante à transférer la juridiction électorale entre les mains des magistrats de l'ordre judiciaire.

Messieurs, sous la date du 12 février 1867, le conseil communal de Gand vous a adressé une pétition pour vous prier de transférer aux tribunaux la connaissance en dernier ressort des contestations en matière électorale.

Sous la date du 12 mars même année, le conseil communal de Termonde vous a adressé une pétition contenant la même demande.

Enfin, et c'est là le n°2 du présent feuilleton, sous la date du. 20 février 1867, deux cent quarante-cinq habitants d'Alost se sont adressés à vous pour appuyer la pétition du conseil communal de Gand.

Les pétitions contenues sous les n°1 et 2 de ce feuilleton ont le même but. Elles s'appuient sur les mêmes motifs. La commission des pétitions a décidé qu'il serait fait sur elles un seul et même rapport que j'ai la faveur de vous présenter.

Ces pétitions signalent, au point de vue d'une bonne justice, les inconvénients qui résultent de l'attribution aux députations permanentes de la connaissance des contestations relatives aux droits électoraux des citoyens. Ces contestations ont principalement pour objet l'inscription sur les listes électorales ou la radiation de ces mêmes listes.

Les pétitionnaires disent que la situation actuelle est dangereuse pour la sincérité de nos élections, et indiquent comme remède l'attribution de ces affaires aux tribunaux ordinaires.

Les autorités de qui émanent ces pétitions, l'importance de la question qu'elles soulèvent, ont engagé votre commission à l'examiner avec quelque attention. Elle n'a pas voulu cependant entrer dans l'examen de tous les faits particuliers qui y sont contenus.

Elle a cru pouvoir trouver ailleurs des éléments d'appréciation de la question de savoir si les inconvénients signalés existaient ou non.

Un membre a rappelé que MM. Reynaert et Delcour vous en avaient déjà longuement entretenus, notamment dans la séance du 16 décembre 1864 (rapportée à la page 222) et dans une autre séance de l'année 1865 (rapportée aux pages 1326 et suivantes).

L'existence d'un mal n'était du reste pas contestée.

Permettez-moi de vous énoncer brièvement les remèdes qui ont été proposés.

MM. Delcour et Reynaert vous ont proposé de rendre publiques les séances des députations permanentes.

Ils voudraient aussi que les parties intéressées pussent y débattre oralement leurs moyens.

L'honorable M. Delcour, pour justifier sa manière de voir, disait que ce n'est qu'en vertu d'une exception à l'article 93 de la Constitution, que la connaissance de ces questions avait été enlevée aux tribunaux ordinaires pour être donnée aux députations.

Il ajoutait que, quant à lui, il n'avait pas aperçu le motif de cette dérogation au principe général et constitutionnel qui veut que « toutes les contestations qui ont pour objet des droits politiques, soient du ressort des tribunaux. »

Partant de cette idée, les pétitionnaires vous demandent de restituer aux tribunaux ordinaires la connaissance de ces contestations.

Une autre solution, qui tient à la fois des deux systèmes précédents, est indiquée dans la Revue de l'administration et du droit administratif publiée par M. Cloës, conseiller à la cour d'appel de Liège, M. Bonjean, conseiller à la cour de cassation et par M. Bivort.

Ils proposent de permettre en ces matières l'appel des décisions de la députation permanente devant les tribunaux de première instance.

Votre commission n'a pas cru devoir prendre de décision sur la bonté de ces divers remèdes. Mais elle a cru que la question méritait le plus sérieux examen.

Aussi, à l'unanimité des membres présents, vous propose-t-elle d'ordonner le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur, en appelant tout spécialement son attention sur leur importance.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Elias, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bovigny, le 14 février 1867, les membres du conseil communal de Bovigny demandent que la halte établie à Counil soit transférée au centre de la commune. »

La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

-- Adopté.


M. Elias, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bovigny, le 18 mars 1867, des membres de l'administration communale de Bovigny présentent des observations contre le déplacement demandé de la station de Counil.

La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


(page 184) M. Elias, rapporteurµ. - Par pétition datée de Vechmael, en février 1867, les conseils communaux de Vechmael, Gelinden, Engelmanshoven et Horpmael demandent la construction d'une route pavée de Gelinden par Horpmael et Vechmael à Tongres.

La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Thienpont,. dépose le rapport sur la demande de naturalisation ordinaire de M. Edouard Bigot.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Rapports sur des pétitions

M. de Macar, rapporteurµ. - Par pétition datée de Maransart, le 21 mars 1867, l'administration communale de Maransart prie la Chambre d'autoriser la concession du chemin de fer projeté de Bruxelles à Marbais.

Même demande de l'administration communale de Glabais.

Messieurs, la concession demandée a pour but de doter d'un chemin de fer une partie populeuse et riche de l'arrondissement de Bruxelles

Partant de Bruxelles, la ligne irait se raccorder au Grand-Central à Marbais.

On sait quel intérêt la ville de Nivelles attachait à ce que le chemin de fer de Bruxelles à Charleroi passât par ou près de cette ville. Vous n'avez pas oublié, messieurs, combien les réclamations du canton de Genappe furent vives à ce sujet.

La solution donnée alors ne le fut qu'après une longue hésitation. Les titres des contrées concurrentes paraissaient dignes toutes deux d'être pris en sérieuse considération.

La région que le chemin de fer actuel serait destiné à desservir est celle que la décision prise en faveur de Nivelles a fixée à cettte époque.

Malgré le parallélisme incontestable des deux lignes sur une assez grande partie de leur parcours, il est kàremarquer que la ligne directe de Charleroi à Bruxelles n'aurait probablement guère à souffrir du fait de l'exécution du nouveau chemin de fer. Celui-ci devrait évidemment parcourir, entre Charleroi et Bruxelles, une distance kilométrique plus considérable que son concurrent, et la plus grande partie des localités à desservir par lui ne pourrait l'être utilement par la ligne directe.

Les pétitionnaires font valoir, en faveur de l'octroi immédiat de la concession, l'affirmation formelle que les capitaux nécessaires pour achever les travaux existent.

Si ce fait est établi, on comprend, en présence de la stagnation des travaux de la plupart des lignes concédées dans la dernière session, combien il pourrait être avantageux de voir s'exécuter, en ce moment, un important travail d'utilité publique.

Votre commission vous propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.

M. Lelièvreµ. - Messieurs, à l'occasion de la pétition dont nous nous occupons, je désire faire une interpellation à M. le ministre des travaux publics ; elle a pour objet de connaître si les travaux du chemin de fer de Tamines à Landen, en ce qui concerne l'embranchement de Namur à Geest-Gérompont, seront bientôt repris et si nous pouvons espérer de voir bientôt continuer cette œuvre importante qui intéresse notre arrondissement. Je désire obtenir quelques explications de nature à rassurer les nombreuses populations qui attendent cette voie ferrée avec une légitime impatience.

MtpVSµ. - Messieurs, il a été déposé hier une pétition sur laquelle la Chambre a demandé un prompt rapport ; d'ici à la présentation de ce rapport, je prendrai les renseignements nécessaires pour pouvoir répondre à la demande de M. Lelièvre.


M. de Macar, rapporteurµ. - Par pétition datée de Haversin-Serinchamps, le 7 mars 1867, le conseil communal de Serinchamps demande que les trains express du chemin de fer du Luxembourg fassent arrêt à la station de Haversin.

Par pétition en date de février 1867, les administrations communales de Nettine, Heure et Sinsin demandent que ces communes soient replacées sous la dépendance du bureau de postes de Marche et qu'on supprime le bureau de Haversin.

La commission propose le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. Thibautµ. - Messieurs, je ne puis qu'appuyer les conclusions de M. le rapporteur sur les pétitions dont il vient d'entretenir la Chambre. Ces pétitions s'accordent sur un point très important, c'est que le bureau des postes de Haversin ne rend pas tous les services que le gouvernement et les populations en attendaient.

La faute en est, messieurs, à la compagnie du Luxembourg, dont les convois ne font halte à Haversin qu'une fois le matin et une fois le soir. Pour que ce bureau des postes pût répondre à la destination en vue de laquelle il a été établi, il faudrait que la compagnie consentît à faire faire arrêt à quatre trains au moins dans la journée, à la station de Haversin.

Je crois qu'elle le pourrait sans le moindre inconvénient et sans aucuns frais.

Elle rendrait ainsi un service important aux populations environnantes.

J'espère donc que l'honorable ministre des travaux publics voudra bien user de son influence sur la compagnie pour obtenir des améliorations dans le service postal, sur la ligne du Luxembourg.

- Les conclusions de la commission sont adoptés.


M. de Macar, rapporteurµ. - Par pétition datée de Nimy-Maisières, le 20 mars 1867, les membres du conseil communal de Nimy-Maisières se plaignent d'un blâme infligé par le département de l'intérieur au sieur Lagage, instituteur primaire de cette commune.

Messieurs, la pétition qui nous est soumise touche à l'un des points les plus importants qui puissent être soulevés dans cette enceinte. D'après les pétitionnaires, en effet, il ne s'agirait de rien moins que d'une atteinte portée à la liberté de conscience, atteinte portée par un fonctionnaire de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions, et, chose plus grave, le fait incriminé aurait été approuvé par l'autorité supérieure. Un blâme aurait frappé la victime et sanctionné ainsi la conduite de celui qui aurait violé l'un des plus glorieux principes inscrits dans notre Constitution.

Hâtons-nous de le dire, l'examen des faits nous a amener à penser que les choses n'ont pas tout à fait l'importance qu'une première lecture de la pétition et certains commentaires donnés dans la presse semblent leur attribuer.

Nous croyons, messieurs, ne pouvoir mieux faire que de vous donner succinctement l'historique de la question que votre commission a eu le devoir d'élucider.

Vous y verrez que la loi de 1842, déjà si contestée au point de vue constitutionnel en ce qui touche les principes de la liberté absolue des cultes, à l'indépendance complète de l'autorité civile, n'a pas été violée et que c'est en se basant sur des faits particuliers, non en élargissant la brèche déjà faite par la loi de 1842, que M. le ministre de l'intérieur a pris l'arrêté contre lequel les pétitionnaires s'élèvent si vivement et protestent auprès de vous. Voici les faits :

Au mois de mars 1865, M. Lagage fut nommé instituteur à Nimy-Maisières.

Peu de temps après sa nomination, le curé d'abord, puis l'inspecteur cantonal ecclésiastique l'invitèrent de la façon la plus pressante à accompagner ses élèves à l'église afin de les y surveiller.

L'instituteur refusa d'obéir à ces injonctions et fut soutenu dans son refus par le bourgmestre, qui alla même jusqu'à lui défendre formellement d'accompagner ses élèves à l'église parce que cet usage n'était pas établi.

Double violation, pensons-nous, tout au moins dans leur esprit, des articles 14 et 15 de la Constitution. La pression exercée tant par les dignitaires ecclésiastiques que par le bourgmestre étant, par la crainte qu'elle devait inspirer à l'instituteur de perdre ses fonctions, de nature à violenter sa conscience et à lui enlever le libre arbitre que les articles 14 et 15 que nous venons de citer garantissent à tous citoyen belge.

Les choses en étaient à ce point lorsque M. Descamps, inspecteur, cantonal civil, intervint dans le débat. Cette intervention, on ne peut le contester, fut toute favorable aux idées que soutenaient les ecclésiastiques.

Aussi cédant enfin aux inspirations très pressantes de M. l'inspecteur cantonal civil, l'instituteur Lagage, vaincu dans la lutte qu'il soutenait depuis trois mois, écrivit à ce fonctionnaire pour lui faire savoir qu'il s'efforcerait de le satisfaire. Veuillez noter ces mots, messieurs, vous verrez qu'ils doivent ultérieurement avoir une influence assez grande sur la décision qui fut prise.

(page 185) Malgré cette espèce d'engagement ou plutôt de velléité de condescendance manifestée par l'instituteur, et bien que l'inspecteur diocésain ait cru devoir, sur ces entrefaites, joindre ses instances à celles de tous ses collègues, M. Lagage persista dans la ligne de conduits qu'il avait primitivement adoptée, et s'abstint de paraître à l'église pour surveiller ses élèves.

Peu de temps après, la presse fut saisie des divers incidents qui s'étaient produits.

L'autorité supérieure avait mission de décider sur le différend. Voici comment elle le fit.

La question de principe fut tranchée en faveur du sieur Lagage.

M. le ministre émit l'avis que la surveillance dont il s'agit, quoique désirable, ne pouvait être considérée comme obligatoire, aux termes de l'arrêté royal du 15 août 1846.

Mais tout en approuvant l'interprétation donnée à cet arrêté par M. Lagage, M. le ministre chargeait M. Coulon, l'inspecteur, par l'intermédiaire de M. le gouverneur, d'infliger à l'instituteur un blâme très sévère pour avoir manqué de loyauté, méconnu les règles de la subordination et avoir livré les conseils qui lui avaient été donnés dans son propre intérêt, à la critique d'un journal de Mons.

Vous le voyez, messieurs, la question, ainsi posée, se résume en une question de fait.

L'inspecteur a-t-il manqué à des engagements pris ? a-t-il, recevant des conseils inspirés par la bienveillance, travesti le sentiment qui les avait dictés, et recouru à la publicité pour provoquer une polémique qui pouvait être des plus fâcheuses pour ceux qui lui avaient donné des conseils amicaux ?

Ou bien :

La pression exercée sur l'instituteur a-t-elle été telle, qu'il n'a manifesté quelque condescendance que pour échapper un instant à la contrainte morale que l'on exerçait contre lui, mais sans prendre un engagement réel et complet, et dans ce cas a-t-il pu légitimement recourir à la presse, pour signaler les abus dont il se trouvait la victime ?

Telles sont les deux alternatives entre lesquelles il y a lieu de se prononcer. Si les faits se sont passés méchamment, comme la première hypothèse le suppose, le ministre a eu raison de blâmer le manque de loyauté de l'instituteur ; si la deuxième hypothèse est la vraie, la religion de M. le ministre a été surprise et évidemment une réparation est due à M. Lagage.

Vous le comprenez, messieurs, ce n'est pas avec les éléments incomplets qui se trouvent à notre disposition qu'il nous est possible de déterminer d'une façon positive où se trouve la vérité. Nous devons le dire cependant, les faits semblent témoigner en faveur de l'instituteur ; la considération dont il jouit dans la commune, son honorabilité constatée par une pétition revêtue de 140 signatures, l'attitude même de M. le bourgmestre, attitude qui semble inspirée plutôt par un sentiment honorable de résistance à des exigences peu justifiées, que par d'étroites idées d'intolérance, attitude approuvée au reste par tout le conseil communal signataire de la présente pétition, nous font penser qu'il y a eu au moins un excès de zèle regrettable de la part des inspecteurs qui se sont trompés sur la portée de l'engagement pris par M. Lagage.

Quant au fait de publicité, tout d'abord M. Lagage nie d'une façon absolue avoir communiqué quoi que ce soit à aucun journal, tandis que M. Massart, bourgmestre, déclare que c'est lui, M. Massart, qui, indigné des procédés que l'on employait à l'égard de son instituteur, a voulu recourir à la presse pour les signaler à la vindicte publique.

Quoi qu'il en soit de ce point, si l'instituteur s'est senti injustement, arbitrairement molesté, ce n'est point ici, messieurs, que l'on contestera son droit de recourir à la presse pour obtenir réparation du tort qui lui aurait été fait, de l'abus de pouvoir dont il aurait à se plaindre.

Au résumé, messieurs, les faits indiqués nous paraissent avoir une gravité suffisante pour mériter toute l'attention de M. le ministre.

Votre commission vous propose donc à l'unanimité, moins une abstention, le renvoi au ministre de l'intérieur.

M. Dethuinµ. - Messieurs, en abordant cette regrettable affaire de Nimy, je n'ai qu'un but : exposer la question à la Chambre et expliquer à M. le ministre de l'intérieur certains faits qui me paraissent lui avoir été présentés d'une façon si exagérée, que ce haut fonctionnaire a cru devoir prendre et maintenir pendant deux ans des mesures de rigueur dont il n'use qu'à regret.

Nous savons tous, messieurs, avec quelle minutieuse attention, avec quelle bienveillante sollicitude M. le ministre étudie toutes les questions qui se rattachent à l'instruction publique et qui intéressent les instituteurs ; mais au milieu des travaux si nombreux, si variés qui occupent tous ses instants, bien des détails, insignifiants en apparence, mais graves en réalité, lui échappent ; il doit donc juger d'après les rapports des fonctionnaires subalternes.

Je suis convaincu, messieurs, que ces fonctionnaires sont animés des meilleures intentions ; je ne puis pourtant m'empêcher de soupçonner certains d'entre eux de ne pas apporter dans leurs relations avec les instituteurs, cette urbanité délicate et affectueuse dont l'honorable ministre leur donne tous les jours l'exemple.

A Dieu ne plaise, messieurs, que je veuille jeter ici un blâme sur l'inspection entière et attaquer toute une catégorie d'honorables fonctionnaires ! Mais de même qu'il y a de mauvais instituteurs contre lesquels des mesures très rigoureuses doivent être prises, on me le concédera de même, je l'espère, certains inspecteurs n'ont pas toujours pour l'instituteur cette considération qui pourtant est bien due, sinon à l'homme lui même, au moins au caractère honorable, à la mission grave et sacrée dont il est revêtu. L'estime que doit inspirer l'instituteur dans une commune augmente, diminue ou se perd, selon les égards plus ou moins grands, trop souvent nuls, que lui témoignent publiquement les inspecteurs.

Voilà pourquoi, messieurs, les mauvais inspecteurs font souvent les mauvais instituteurs, par conséquent les mauvais élèves, la mauvaise école, le mauvais enseignement.

Le fâcheux incident survenu à Nimy donne raison aux observations que je viens d'avoir l'honneur d'indiquer.

Je demande la permission à la Chambre de lui présenter le résumé des faits.

A son arrivée dans la commune, l'instituteur Lagage rendit visite, ainsi que l'exigent les convenances, à M. le curé. Celui-ci engagea l'instituteur à surveiller ses enfants à la messe le dimanche. M. Lagage ne promit rien. Quelques jours plus tard, le curé alla trouver l'instituteur dans sa classe et lui ordonna de lui obéir. Enfin, M. l'inspecteur diocésain Choppinet et M. l'inspecteur ecclésiastique cantonal Devroede engagèrent M. Lagage à obéir à M. le curé. L'instituteur leur déclara alors avec une entière franchise qu'il ne pouvait les satisfaire, que son bourgmestre lui avait formellement défendu cette surveillance. M. Devroede se rendit aussitôt chez M. le bourgmestre pour le prier de laisser son instituteur libre ; mais le bourgmestre lui répondit qu'il persistait à défendre à l'instituteur d'exercer cette surveillance parce que cet usage n'était pas établi dans la commune et qu'il ne voulait pas l'y introduire.

En cette circonstance, l'honorable bourgmestre a suivi scrupuleusement les instructions de l'arrêté royal du 15 août 1846. qui dit, article 18 : « Les instituteurs se conformeront, pour la méthode à employer dans l'enseignement de la religion et de la morale, aux instructions adressées par les évêques de Belgique à messieurs les curés et dont une copie est ci-jointe. »

Voici, messieurs, ces instructions des évêques et je lis, article 15 : « Dans les paroisses où l'usage est établi et dans celles où il peut être commodément introduit, l'instituteur conduira ses élèves à la sainte messe et les y surveillera. »

C'est clair, net, précis. De plus l'article 15 ajoute : « Il surveillera ainsi ses élèves, si rien ne s'y oppose, pendant les autres offices et instructions qui les réunissent à l'église. »

Vous le voyez, messieurs, « où l'usage est établi », si rien ne s'y oppose. A Nimy, le bourgmestre, les échevins, le conseil communal s'opposent à l'introduction de cet usage, qui n'est pas établi.

La surveillance des enfants à l'église est désirable ; eh bien, les enfants sont surveillés.

En effet, je vois dans le budget de la fabrique de l'église de Nimy, pour les exercices 1865-1866 dans les dépenses ordinaires : Pour le gardien des enfants pendant les offices : 12 francs.

Il faut bien l'avouer, messieurs, l'acte des évêques du mois de juin 1846 était bien plus large dans son esprit que l'interprétation de messieurs les inspecteurs, et cependant cet acte est bien vieux, c'est tout simplement la reproduction, la traduction d'une disposition du synode de Malines du 19 juillet 1607, titre XX, chapitre VI. Voici le texte : « Hortatur synodus ut ludi magistrae et ludi magistrae scholarum juventutem suam, statis diebus ad lectionem catechisticam deducant eosque ibidem in officia contineant. » « Le synode invite les maîtres et maîtresses d'école à conduire, les jour fixés, leurs élèves à la leçon de catéchisme et à les y maintenir dans le respect ». Veuillez remarquer, messieurs, qu'en 1607 le synode, invitait, exhortuit, hortatur synodus », les maîtres et les maîtres, et en 1867, c'est-à-dire 260 ans plus tard, dans un pays où les libertés les plus grandes sont proclamées, on ordonne et on commande, et, n'ayant (page 186) obtenu satisfaction, on a cherché des prétextes pour obtenir un blâme contre l'instituteur.

M. Descamps, inspecteur cantonal laïque, va trouver à son tour M. Lagage auquel il veut du bien et lui donne des conseils bienveillants, conseils qui, de l'aveu même de l'honorable inspecteur, se résument en ceci : « Vous ne voulez rien faire pour moi, je ne ferai plus rien pour vous, je vous abandonne. »

L'instituteur, connaissant la volonté de son bourgmestre, refuse. Je ferai remarquer que M. l'inspecteur se trouvait avec M. Lagage, dans la maison de celui-ci et non dans l'école communale proprement dite. Je demande la permission à la Chambre de lui expliquer à l'aide de quelles circonstances on a trouvé un prétexte presque admissible pour infliger à l'instituteur un blâme pour avoir manqué aux lois de l'honneur et l'accuser de mauvaise foi et de déloyauté.

M. Descamps affirme avoir donné à M. Lagage des conseils bienveillants, soit, j'y consens, mais ces conseils étaient donnés d'une voix si sonore, paraît-il, que la femme de l'instituteur les entendit et loin d'être touchée des exhortations affectueuses de M. l'inspecteur cantonal, elle en fut si effrayée que, se retrouvant avec son mari, elle le supplia de céder, de ne pas perdre sa famille avec lui. Alors, messieurs, cet infortuné entrevit la gêne, peut-être la misère, les sentiments de l'époux, du père dominent, l'homme faiblit, il s'humilie pour conserver à sa famille le pain de chaque jour.

Il cède, il écrit dans un moment d'émotion indescriptible, à M. l'inspecteur qu'il s'efforcera d'obtempérer à ses désirs. Rien de plus, rien de moins. Voilà, messieurs, la prétendue promesse sur laquelle a été laborieusement construite l'accusation de mauvaise foi dirigée contre l'instituteur, nous verrons tout à l'heure si elle est fondée.

Le bourgmestre de Nimy eut connaissance de cette lettre et voyant à tort ou à raison dans cette pression, dans cette ténacité exagérée des inspecteurs, une conspiration, une attaque dissimulée contre son influence et son autorité dans la commune, cet honorable fonctionnaire défendit officiellement à son instituteur de surveiller ses enfants à l'église.

Messieurs, a-t-il bien fait, a-t-il mal fait ? Ceci regarde le bourgmestre qui commande, et non l'instituteur qui obéit.

Voilà donc la position de M. Lagage ; en butte à la colère, et j'ose aussi l'affirmer, à la persécution des inspecteurs s'il dit non ; exposé, s'il dit oui, aux reproches du chef légal de l'école, du représentant de l'autorité civile, d'un homme qu'il estime et qu'il aime.

Je vous en fais juges, messieurs, que vouliez-vous qu'il fit ? Je crois qu'il prit le bon parti, il suivit les conseils de son bourgmestre, non par crainte, il n'avait à redouter ni vengeance, ni haine de la part de cet homme bon et affectueux, que j'ai le plaisir de compter au nombre de mes amis ; il l'écouta, messieurs, entraîné par cette confiance instinctive que l'honorable M. Massart inspire à ses administrés.

Mais les caractères des hommes sont différents.

L'inspecteur cantonal laïque ne pratiquait pas cette bienveillante bonté que les maximes évangéliques commandent : être doux avec le faible, sévère avec le puissant et le fort ; un rapport fut envoyé contre l'instituteur à M. l'inspecteur provincial Courtois qui, en fonctionnaire actif et zélé, s'empressa de provoquer un blâme que l'instituteur reçut le 19 novembre 1865.

Quels étaient, messieurs, les motifs du blâme ? étaient-ils basés sur le refus de l'instituteur d'aller surveiller ses enfants à l'église ? Evidemment non ; demander un blâme pour semblable motif, c'était courir à un refus. La question a été jugée. L'honorable ministre a donun raison à M. L gage et au bourgmestre de Nimy en déclarant « que cette surveillance, quoique désirable, ne pouvait être considérée comme obligatoire aux termes de l'arrêté du 15 août 1816, » dont j'ai parlé tout à l'heure.

Mais l'honorable ministre, d'après les rapports des inspecteurs, infligea un blâme très sévère à l'instituteur pour avoir :

1° Posé un acte de mauvaise foi, manqué de loyauté en faisant une promesse et refusant ensuite de la tenir.

2° Méconnu les règles de la subordination en livrant à la critique d'un journal de Mons, des conseils qui lui avaient été donnés dans son propre intérêt.

Et tout cela, messieurs, sur un rapport, un seul rapport ! On a jugé, condamné, et, permettez-moi de le dire, exécuté moralement l'instituteur, sur l'unique affirmation de M. Descamps, c'est à-dire, le personnage auquel il a été donné tort une fois déjà par M. le ministre sur la question de principe et qui, selon moi, a tort une seconde fois aujourd'hui encore.

Il accuse M. Lagage de lui avoir fait des promesses, d'avoir refusé de les tenir, nous verrons tout à l'heure si ces accusations sont bien fondées.

Quoi qu'il en soit, un blâme très sévère fut infligé à l'instituteur.

Messieurs, qu'il me soit permis de le dire, le blâme a été bien lestement, trop lestement demandé, accordé avec un tel empressement que l'on a même oublié de demander l'avis de l'administration communale de Nimy avant de présenter le blâme à la signature de M. le ministre.

Je demande à la Chambre la permission de lui lire un passage de la pétition, dont les considérations me paraissent inspirées par un caractère loyal, un esprit vraiment libéral, droit et juste :

Voici comment s'exprime le rédacteur de la pétition :

« L'instituteur primaire est nommé par le conseil communal. C'est un fonctionnaire essentiellement communal. Est-il juste que ce fonctionnaire, dans l'exercice de ses fonctions, puisse être atteint d'un blâme aussi sévère, sans que l'autorité communale soit appelée à donner son avis ? Est-il juste de déclarer qu'un instituteur communal a manqué de loyauté, sans demander l'avis de l'autorité communale sur l'honorabilité de cet instituteur ? Est-il convenable que, dans notre libre Belgique, où se manifeste un si vif désir de décentralisation, un chef de bureau du ministre de l'intérieur (car M. le ministre de l'intérieur est personnellement étranger à ceci) puisse statuer en dernier ressort sur la royauté d'un instituteur, sur le simple vu d'un rapport peut être dicté par un amour-propre exagéré ; et sans prendre l'avis des pères de famille qui ont assez de confiance dans l'instituteur pour lui laisser le soin de l'éducation de leurs enfants ? »

Enfin, messieurs, le blâme obtenu, on n'est pas encore satisfait ; on en donna publiquement lecture dans une conférence réunie à Cuesmes, devant tous les collègues de M. Lagage. Celui-ci voulut s'expliquer, se justifier, mais la parole lui fut durement refusée.

Mais, messieurs, ce n'est plus une peine disciplinaire cela ! C'est dire à un homme : Je t'humilie, je brise la carrière, tu ne seras plus rien ! J'avoue que cette sévérité m'a étonné de la part, surtout de M. l'inspecteur laïque provincial Courtois, que l'on dit si bon, si calme d'ordinaire, si pieux, si fervent catholique, et qui pourtant dans cette circonstance a montré bien peu de cette grande et généreuse indulgence chrétienne que nous admirons tous.

En supposant même l'instituteur coupable, devait-on le punir aussi sévèrement, l'humilier aussi profondément comme homme et comme fonctionnaire ?

Messieurs, je le dis bien haut : Non. Car je ne vois dans cette affaire rien de clair, rien d'évident, je ne trouve aucune preuve contre l'instituteur.

Voici l'extrait d'une lettre dont je vous prie, messieurs, de vouloir bien me permettre la lecture, adressée par l'instituteur Lagage à son bourgmestre :

« Par ma lettre du 20 novembre 1865, M. le bourgmestre, je vous ai déclaré sur l'honneur ne m'être jamais engagé, ni envers le curé, ni envers M. l'inspecteur ecclésiastique, ni envers M. Descamps, inspecteur cantonal civil, d'aller surveiller mes élèves aux offices le dimanche. cette déclaration, je la maintiens encore aujourd'hui. Or donc, M. le bourgmestre, si je n'ai pris aucun engagement envers ces messieurs, comment voulez-vous que j'aille dire à MM. Choppinet et Courtois « qu'on fait souvent des promesses sans avoir l'intention de les remplir. »

« Si la simple raison ne suffit pas pour condamner cette assertion, eh bien, je consens à déclarer, sous la foi du serment, que jamais pareils propos ne sont sortis de ma bouche. »

Quoi ! un fonctionnaire écrit et signe semblable déclaration sons la foi du serment, il l'adresse à son supérieur le bourgmestre et on ne le croit pas !! Mais, messieurs, ou cet homme ment et doit alors être déclaré parjure et ce n'est pas un blâme qui doit le frapper, mais une destitution immédiate ; ou il dit vrai, est innocent et par conséquent il a été calomnié, il doit obtenir une réparation. pour son honneur attaqué, il faut atteindre ses accusateurs, .car, messieurs, les parjures, les calomniateurs, qu'ils soient instituteurs ou inspecteurs, déshonorent l'enseignement, lui nuisent, le dégradent et l'anéantissent.

Qu'il me soit permis d'examiner si le premier motif du blâme est fondé.

Une lettre a été adressée par M. Lagage à M. l'inspecteur cantonal, dans laquelle l'instituteur déclare « qu'il s'efforcera d'obtempérer aux désirs de M. Descamps. »

S'efforcer d'obtempérer, est-ce une promesse formelle ?

Permettez-moi, messieurs, de m'efforcer, à mon tour, d'expliquer à mon sens, la portée de cette expression.

(page 187) Ne voyons-nous pas tous les jours, dans ce monde, des hommes s'efforcer d'être bons, aimables, affectueux et n'être que méchants, hargneux, vindicatifs ? D'autres, s'efforcer aussi d'acquérir la renommée, la richesse et mourir obscurs sur un grabat ? Quelques-uns s'efforcent aussi d'acquérir l'estime publique, l'affection de leurs amis et ne recueillent souvent que l'indifférence et parfois le mépris.

Et cependant, messieurs, ces hommes-là sont de bonne foi, ils s'efforcent, ils font tous leurs efforts pour acquérir un aimable caractère, la richesse, l'affection, mais ils ne peuvent y parvenir, en butte qu'ils sont à la mauvaise fortune, aux disgrâces du sort, empêchés par des difficultés graves qu'ils ne peuvent surmonter ou bien dominés par une nature ingrate ou de mauvais instincts.

S'efforcer, c'est faire tous ses efforts pour venir à bout de quelque chose, mais sans nécessité absolue de réussir à peine d'être accusé de déloyauté, de mauvaise foi.

En écrivant à M. Descamps, l'instituteur était de très bonne foi, il craignait de perdre sa place, il était bien décidé à obtempérer aux désirs de M. l'inspecteur, mais son bourgmestre lui défend à son tour d'exercer cette surveillance. Donc les efforts de M. Lagage sont impuissants, un obstacle vient s'opposer à l'accomplissement de sa volonté.

Je suis convaincu que M. l'inspecteur était de bonne foi en interprétant dans un sens contraire à celui que je viens d'indiquer l'expression s'efforcer, il n'a pas compris. On ne peut lui en vouloir, il ne s'est pas rendu un compte exact de la véritable portée de l'expression ; sans cela il n'eût pas vu dans cette expression s'efforcer vue promesse formelle, n'eût point par conséquent découvert de la mauvaise foi et n'eût pas provoqué un blâme.

Chose remarquable dans cette affaire toutes les pièces écrites, signées, en un mot, les preuves franches sont en faveur de l'instituteur, tandis que toutes les accusations dirigées contre lui sont basées sur des conversations particulières échangées sans témoin entre l'instituteur et son inspecteur.

D'un autre côté l'honorable bourgmestre de Nimy, homme sincère, loyal et franc, trop franc peut-être, répond de son instituteur et garantit sa parole ; j'ai la plus grande confiance dans les affirmations de M. Massart qui est un galant homme, estimé et considéré par tout le monde.

On dit, et c'est là le grand, j'allais dire l'unique argument : Dans l'enseignement il faut de la discipline ! Sans doute il en faut et beaucoup, mais au nom de cette discipline un inspecteur doit-il être toujours aveuglément cru lorsqu'il accuse un instituteur, sans écouter l'accusé après avoir entendu l'accusateur, sans information et condamner de confiance ? Mais, messieurs, c'est inadmissible, quoique fonctionnaires, les instituteurs sont des citoyens libres comme les autres Belges. L'honorable ministre ne partage pas d'ailleurs la manière de voir-de ses subordonnés ; il repoussé les principes d'inégalité que ceux-ci proclament et dernièrement il a protesté contre eux hautement avec l'immense majorité de cette Chambre.

En effet, on a abrogé dans cette enceinte l'article 1781 du code civil, proclamant l'inégalité entre les citoyens. On a trouvé cet article incompatible avec nos mœurs, notre siècle civilisé, ennemi du privilège. Ou a jugé qu'il n'était plus de notre temps et l'honorable ministre, écoutant les sentiments généreux de son cœur, a voté son abrogation.

Aujourd'hui, les subordonnés de l'honorable ministre appliquent dans l'enseignement les principes mauvais, exagérés de l'article 1781. Dans les contestations entre instituteurs et inspecteurs, ceux-ci sont toujours juges et parties à la fois ; leur parole seule fait foi. Ils sont accusateurs publics, jurés, exécuteurs des sentences.

Mais, messieurs, un instituteur est-il moins digne de foi qu'un ouvrier, qu'un domestique ? Faut-il moins de discipline dans les centres industriels qui comptent vingt, trente mille ouvriers, dans les centres manufacturiers, dans les ateliers, dans les fabriques que dans une modeste école communale ?

Ignore-t-on que lorsque l'indiscipline éclate au milieu de ces populations ouvrières, elle est bien plus terrible et souvent hélas plus sanglante que lorsqu'elle naît dans le corps enseignant, calme et soumis, quoi qu'on dise ?

Pourquoi cette discipline si sévère, une si grande méfiance pour l'instituteur capable, instruit, intelligent, diplômé des écoles normales que l'on affirme être bonnes, et une confiance si grande, si large, si illimitée dans l'ouvrier malheureusement ignorant ? Et l'on dit cependant que ce dernier doit être cru aussi bien que son maître, lorsqu'il s'agit de son salaire, et l'on refuse le même droit à l'instituteur, réclamant justice contre un inspecteur lorsqu'il est question pour lui d'une chose bien plus précieuse encore que l'argent ; de son avenir, de sa carrière, de toute une vie, d'une chose enfin que l'honnête homme place au-dessus de tous ces biens : son honneur !

Pour moi, messieurs, je veux la liberté grande et large, mais je la veux égale pour tous. Je veux le respect pour la parole de l'ouvrier, que j'estime, mais je veux aussi le même respect pour la parole de l'instituteur, que j'aime et que j'honore. On doit vouloir l'abolition de vieux privilèges, d'antiques préjugés, mais il faut cette abolition complète, sans lois d'exceptions, sans cas réservés, pour les besoins des causes.

Pas plus, messieurs, dans l'enseignement que dans toute autre partie de l'organisation sociale, il ne faut proclamer ce principe, à mon sens immoral et dangereux, que la vérité, l'honneur et la justice se trouvent chez les hommes en raison directe de la position qu'ils occupent. La discipline n'en souffrira pas ; elle prospérera et deviendra plus forte et plus puissante par cela même qu'elle se fera aimer et respecter en remplaçant les mesquines et étroites interprétations par une justice plus large, plus paternelle, un respect plus sérieux et plus profond pour les hommes et les opinions qu'ils professent. D'ailleurs, je préférerais la voir parfois amoindrie que de constater souvent un abaissement de la dignité humaine.

Le second motif du blâme infligé à l'instituteur de Nimy lui reproche :

« D'avoir livré des conseils qui lui avaient été donnés dans son propre intérêt à la critique d'un journal de Mans. »

Ce second reproche n'est pas plus fondé que le premier. L'instituteur n'a rien écrit, rien communiqué aux journaux.

Ecrire dans un journal est donc un bien grand crime ? Mais je connais des hommes très honorables et dignes de l'estime et de la considération de tous, et qui sont, ont été ou seront peut-être un jour de ces criminels endurcis ! Je ne veux pas soulever ici de discussion délicate, ni parler de la liberté de la presse, de cette liberté admirable que tous nous aimons et respectons, de cette liberté qui fait la force des gouvernements parlementaires en en contrôlant et discutant les actes ; je ne demanderai pas si un citoyen belge, le jour où il devient fonctionnaire public, doit renoncer à tous les bénéfices que la Constitution lui garantit ! Je me bornerai à dire avec le rédacteur de la pétition adressée à la Chambre :

« Est-il bien conforme à l’esprit de nos institutions qu'un instituteur ne puisse saisir la presse de la discussion d'une question de principe telle que celle qui a surgi entre M. Lagage et son inspecteur ? »

Pour tous les amis du progrès et de la liberté, poser la question c'est la résoudre.

D'ailleurs, l'instituteur n'a rien communiqué aux journaux. En effet, M. le bourgmestre de Nimy affirme sur l'honneur qu'il est l'auteur ou du moins l'inspirateur des articles. Ne veut-on plus croire M. Massart ? N'est-il plus digne de foi aujourd'hui, alors qu'il l'était naguère à un si haut degré ?

Mais, dira-t on, c'est une subtilité ! Si l'instituteur n'a pas écrit, il a parlé. Il a donné des renseignements à M. Massart, il lui a rapporté ses conversations avec les inspecteurs ! Mais sans doute, c'était le devoir de M. Lagage,

En effet, messieurs, le bourgmestre n'est-il pas dans la commune le chef de l'école, le représentant du pouvoir civil ? Il fait venir l'instituteur nommé par le conseil et par conséquent fonctionnaire communal, il interroge son subordonné, lui demande des renseignements sur cette affaire, l'instituteur pouvait-il ne pas les lui donner ?

Mais, messieurs, s'il eût fait cela, il eût été répréhensible, coupable cette fois d'insubordination envers son bourgmestre et un blâme très sévère eût été infligé à l'instituteur pour n'avoir pas voulu faire, alors, ce qu'on lui reproche d'avoir fait aujourd'hui.

MM. Massart et Lagage sont deux hommes honorables, le premier est un bon administrateur, le second un bon instituteur.

Jadis, avec l'ancien instituteur quand les choses allaient au mieux à la satisfaction de MM. les inspecteurs, soixante dix élèves fréquentaient l'école communale. Depuis l'arrivée de M, Lagage, quatre-vingt-seize enfants y vont assidûment, et les inspecteurs ne sont plus contents.

La commune de Nimy qui aux dernières élections a réélu M. Massart conseiller à une immense majorité, possédait grâce à son administration une école d'adultes fréquentée pendant l'année scolaire 1865-1866 par cent dix élevés. Aujourd'hui qu'il n'y a plus à Nimy, grâce aux inspecteurs, ni bourgmestre, ni échevin titulaire, six-adultes seulement fréquentent encore l'école !!!!

Cent trois de moins !! Ce chiffre a son éloquence !

L'administration a décrété il y a deux ans la gratuité de l'instruction.

(page 188) Il y a dix ans, la population scolaire était de cent quarante élèves, elle est aujourd'hui de quatre cents.

L'éducation et l'instruction des filles prospèrent dans les mêmes conditions, et cependant cette commune ne reçoit aucun subside ni de l'Etat ni de la province.

Cette commune, exceptionnelle au point de vue de l'instruction publique, verra-t-elle tous ces biens laborieusement acquis par la persévérance et le courage de ses administrateurs, s'évanouir en un instant ?

M. Lagage est donc un bon instituteur. M., l'inspecteur cantonal Descamps va cependant faire des enquêtes a domicile, interroger les enfants en présence des parents, leur demander si M. Lagage ne les frappe pas !!

Mais, messieurs, ceci serait naïf si ce n'était malveillant. Si l'instituteur avait employé de semblables moyens, le bruit s'en serait répandu dans la commune, les parents auraient retiré leurs enfants de l'école et celle-ci ne compterait pas vingt-six élèves de plus qu'auparavant.

On ne peut nier les démarches de l'inspecteur cantonal laïque Descamps ; une plainte adressée à M. le gouverneur du Hainaut le 3 mai 1866 par M. le bourgmestre de Nimy prouve à évidence ce que j'ai l'honneur d'avancer.

Voici ce qu'écrit l'honorable bourgmestre :

« Nimy-Maisières, 3 mai 1866.

« Un fait qui vient de se reproduire dans la localité m'oblige à venir me plaindre et recourir à votre autorité contre un fonctionnaire qui, à part les convenances qu'il devrait respecter, outre-passe ses devoirs résultant du mandat dont le gouvernement l'a investi.

« Voici M. le gouverneur, ce dont il s'agit :

« Le 1er de ce mois à 6 heures du soir, M. l'inspecteur Descamps s'est rendu chez le sieur Larivière, dont le fils fréquente l'école, et a demandé à la mère si elle était intentionnée d'envoyer son fils au concours. Sur la réponse négative de cette dernière, M. Descamps a insisté et pour mieux amener Mme Larivière à entrer dans ses vues, il prétexta que le jeune homme pourrait obtenir un prix au concours, au moyen de quoi il trouverait plus tard facilement un emploi. Sur un second refus, ce fonctionnaire s'est permis de demander si par hasard elle n'avait point reçu de conseil à ce sujet. M. Descamps questionna ensuite le jeune homme et lui demanda entre autres choses si l'instituteur ne frappait pas ses élèves. Peu satisfait du résultat de ses investigations, il est sorti en disant qu'il allait voir une autre personne touchant cette affaire.

« Il est incontestable que M. Descamps, sans avoir cité ni mon nom ni ma qualité, a cherché à insinuer que c'était de moi qu'il s'agissait, lorsqu'il demanda si l'on n'avait pas reçu des conseils de quelqu'un ; la preuve, c'est que Larivière est venu immédiatement me faire part de l'objet de la visite de l'inspecteur et ne dissimula pas l'impression qu'elle lui avait produite.

« Dans aucun cas, M. le gouverneur, je ne reconnais à M. Descamps le droit de venir faire une enquête dans la commune il n'importe sous quel prétexte que ce soit ; il est évident que sa manière d'agir ne tend qu'à un but, celui de jettr la déconsidération sur mes actes, de la sincérité desquels il peut douter, libre à lui, quoiqu'il n'en ait pas de motif, mais sur lesquels aucun contrôle ne lui a été déféré. »

« Le secrétaire communal, (Signé) Pèlerin

« Le bourgmestre, . (Signé) Massart. »

Toutes ces démarches, ces enquêtes, ces interrogations à domicile prouvent à évidence que messieurs les inspecteurs voulaient perdre l'instituteur.

Et cependant, messieurs, cet instituteur déloyal, insubordonné, sans honneur et sans foi, quel est-il ?

Des certificats, qui émanent de personnes officielles, honorables et dignes également de la confiance du gouvernement, répondront à cette question.

Voici les certificats :

« Je certifie que le sieur Lagage a rempli pendant deux ans, à ma grande satisfaction, les fonctions d'instituteur à l'école d'application annexée à l'école de l'Etat à Nivelles. Je me fais un devoir de déclarer en outre que ce jeune homme possède les qualités d'esprit et de cœur qui distinguent le bon instituteur et qu'il a donné des preuves honorables de son aptitude pour ce qui concerne l'enseignement pratique sous le double rapport de l'éducation et de l'instruction.

« Nivelles, le 6 mars 1863.

« Le professeur de pédagogie et de méthodologie spécialement chargé de la direction de l'école d'application.

« (Signé) Th. Braun. »

« Le soussigné directeur de l'école normale de l'Etat à Nivelles, déclare :

« 1° Que M. Lagage, François-Joseph, de Pecq, diplômé du 2ème degré en avril 18C6, a toujours eu une conduite très satisfaisante pendant les trois années de son séjour (avril 1859 à avril 1862) dans notre établissement en qualité d'élève instituteur ;

« 2° Que depuis le 30 avril 1863, ledit M. Lagage a été sous-instituteur à l'école d'application annexée à notre école normale et qu'il a rempli avec zèle et intelligence les positions qui lui ont été confiées.

« En foi de quoi est délivré le présent certificat.

« Nivelles, 6 mars 1865.

« Signé : Du Jacquier. »

2ème certificat :

« Je soussigné directeur du pensionnat de jeunes gens à Rillaer déclare par la présente que M. Lagage, ancien élève de l'Ecole normale, a rempli dans notre établissement les fonctions de premier professeur à dater du 5 mai 1862 jusqu'au 27 avril 1863. Pendant tout ce temps je n'ai eu qu'à me louer du zèle et de l'activité de ce jeune homme. Il a constamment rempli ses devoirs avec la plus scrupuleuse exactitude. Il prenait à cœur le bien-être temporel et spirituel des élèves confiés à ses soins ; aussi ma confiance en lui ne lui a-t-elle jamais fait défaut.

« Rillaer, ce 26 juin 1863.

« Signé : Van den Eumart Van Autenbour. »

Lettre adressée à un bourgmestre qui demandait des renseignements sur M. Lagage :

« Monsieur le bourgmestre,

« En réponse à votre lettre du 10 de ce mois, j'ai l'honneur de vous informer que M. Lagage de Pecq n'est pas professeur à l'école normale, mais second instituteur à notre école d'application, qui est une sorte d'école primaire annexée à notre établissement, pour exercer nos élèves à la pratique de l'enseignement.

« Depuis un an et demi, M. Lagage y remplit ses fonctions avec zèle et intelligence ; il a obtenu un diplôme du 2ème degré en mars 1862 et je ne connais que des faits honorables sur sa conduite comme élève, et après sa sortie de l'école.

« Veuillez agréer, etc.

« (Signé) : Du Jacquier,

« Directeur de l'école normale de l'Etat, à Nivelles. »

Messieurs, la conclusion de cette lecture n'est-elle pas que M. Lagage a rempli constamment ses devoirs avec la plus scrupuleuse exactitude, prenant à cœur le bien-être spirituel et temporel de ses élèves, qu'il possédait les qualités d'esprit et de cœur qui font le bon instituteur et, ajoute M. Du Jacquier, directeur de l'école normale : Je ne connais que des faits honorables sur la conduite de M. Lagage, après sa sortie de l'école. Et aujourd'hui, messieurs, cet homme est devenu subitement déloyal, de, mauvaise foi, insubordonné. Un blâme venu compromettre son avenir, sa réputation et toucher à son honneur.

Messieurs, j'ai terminé, j'appuie les conclusions du rapport de mon honorable ami et collègue M. de Macar. Je prie l'honorable ministre de vouloir bien examiner lui-même les dossiers avec cette bienveillance à laquelle personne plus que moi ne rend hommage, je le supplie de faire vérifier les faits, de se faire renseigner exactement sur les hommes et leur caractère ; alors, messieurs, après cette enquête officieuse que je réclame de l'honorable ministre, je serai le premier à m'incliner devant la décision d'un homme dont la justice et l'équité sont bien connues de tous.

Si je me suis trompé, si, ce que je ne puis croire, l'instituteur est coupable, je ne suis pas grâce au ciel assez vain pour me croire infaillible, ni assez puissant pour ne pas vouloir reconnaître mes erreurs, je tiendrai au contraire à honneur d'avouer celles auxquelles notre nature imparfaite expose tout homme, quelle que soit sa grandeur ou son humilité.

Je me féliciterai, messieurs, du résultat obtenu quel qu'il soit. Je serai heureux de pouvoir dire que dans notre libre et démocratique Belgique tous les citoyens sont égaux, que leurs serments et leurs actes sont pesés, dans une égale balance ; et si humbles, si obscurs qu'ils soient, si bas enfin qu'ils se trouvent placés sur l'échelle sociale, la justice de leur pays est toujours assez grande pour faire monter leurs réclamations jusqu'à ceux qui se trouvent placés sur les échelons les plus élevés.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, l'affaire sur laquelle on vient de vous faire rapport et dont vient de vous entretenir l'honorable M. Dethuin a eu un certain retentissement, sinon dans le pays, du moins dans quelques cantons du Hainaut.

(page 189) Je crois donc devoir entrer dans quelques détails pour répondre aux accusations portées contre le ministre de l'intérieur et contre ses agents ; ces accusations seraient très graves, si elles étaient fondées.

En effet, messieurs, j'ai été accusé, sinon dans cette enceinte, au moins en dehors, d'avoir violé la Constitution en portant atteinte à la liberté de la presse et à la liberté de conscience, rien que cela !

J'ai été accusé, en outre, de m'être incliné servilement devant l'épiscopat en abandonnant toutes les prérogatives de l'autorité civile.

Enfin, messieurs, j'ai encore été accusé d'avoir traqué impitoyablement un malheureux petit instituteur et de m'être montré envers lui dur, sévère, barbare.

Tous mes antécédents protestent contre de pareilles accusations. S'il y a quelqu'un qui a été toute sa vie bienveillant pour les instituteurs, s'il y a un ministre qui a cherché à améliorer leur position, c'est, comme l'a reconnu du reste l'honorable M. Dethuin, le ministre actuel.

J'espère, messieurs, que le simple narré des faits fera évanouir tous ces fantômes.

Mais j'ai d'abord une réserve à faire : par un sentiment de bienveillance, on a cherché à dégager la responsabilité du ministre dans cette affaire et à la faire cascader sur d'autres fonctionnaires ; sur le gouverneur d'abord, du gouverneur sur l'inspecteur provincial, de l'inspecteur provincial sur l'inspecteur cantonal et ainsi de suite.

Je ne puis accepter cette position. Si quelqu'un est responsable en toute cette affaire, c'est moi. Je le suis légalement d'abord, et je déclare en outre très loyalement que, dans cette affaire, pas un acte n'a été posé par mon département, sans que j'y aie mûrement réfléchi.

Voici ce qui s'est passé : au mois d'août 1865, vous voyez que c'est une affaire déjà un peu ancienne, au mois d'août 1865, dis-je, une plainte fut adressée au département de l'intérieur par l'autorité ecclésiastique contre l'instituteur de Nimy-Maisières, qui refusait de conduire à l'église, les dimanches et jours de fêtes, les enfants de son école.

On demandait au ministre de prendre des mesures pour forcer l'instituteur à remplir, comme on le disait dans la requête même, les devoirs de sa charge. Cette demande était basée sur l'article 15 de l'acte des évêques de 1846, et sur une circulaire ministérielle du mois d'août de la même année. Cet article 15 porte :

« Dans les communes où l'usage en est établi, et dans celles où il peut commodément être introduit, l'instituteur conduira ses élèves à la sainte messe et les y surveillera. »

La circulaire disait : « Il est inutile de vous faire observer que les prescriptions de ce chapitre (enseignement religieux) sont obligatoires au même titre que toutes les autres dispositions du règlement général des écoles. »

Cette réclamation adressée au gouvernement, fut comme toutes celles qui se produisirent, transmises au gouverneur du Hainaut à fin d'instruction, et, après un examen assez long, au mois d'octobre, le gouverneur me fit connaître que dans l'opinion des inspecteurs, comme de la députation et dans son opinion personnelle, il n'y avait pas lieu de forcer l'instituteur de Nimy à conduire ses élèves le dimanche à l'église. Cette manière de voir se fondait sur une décision prise par moi-même, quelque temps auparavant, et qui est consignée dans une note du sixième rapport triennal.

Cette note porte : « On peul désirer que les instituteurs accompagnent les enfants à l'église et les surveillent pendant les offices, mais aucun règlement ne leur en fait le devoir. »

La circulaire de 1846 se trouvait donc rapportée. Mais en même temps que le gouverneur du Hainaut me transmettait cet avis sur la question de principe, il me fit connaître qu'il avait été constaté par l'instruction, 1° que l'instituteur de Nimy-Maisières avait pris vis-à-vis du curé de cette localité des engagements qu'il avait refusé plus tard de tenir ; 2° que cet instituteur avait, dans plusieurs circonstances importantes, méconnu les règles de la subordination vis-à-vis des inspecteurs, et 3° enfin, qu'il avait abusé, comme on l'a reconnu jusqu'à un certain point, des conseils pleins de bienveillance, qui lui avaient été donnés par l'inspecteur, conseils qu'il avait dénaturés et communiqués pour être méchamment livrés à la presse.

M. Carlierµ. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je sais qu'aujourd'hui on nie tout cela, on déclare que rien n'a été promis, que l'on a toujours été plein d'égards vis-à-vis des inspecteurs, que jamais on n'a livré à la presse les bons conseils qu'on avait reçus ; messieurs, tout mauvais cas est niable et il est toujours facile de nier et de dire : Je n'ai rien fait, ce n'est pas moi. Mais les faits que je viens de vous exposer résultent d'un ensemble de documents et de déclarations que j'ai au dossier et dont je me contenterai d'indiquer quelques-uns.

Ainsi l'instituteur nie d'avoir promis au curé de conduire les enfants à l'église.

M. Bricoultµ. - Cette promesse n'aurait aucune valeur.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cette promesse n'aurait aucune valeur.

M. Jouretµ. - Il l'a niée dès le principe.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Non pas dès le principe, et je vais le démontrer. Je n'en prends pas pour preuve la déclaration du curé de la paroisse, ce témoignage pourrait être suspect à vos yeux. Mais cela résulte d'une lettre écrite par l'inspecteur provincial ecclésiastique, et cet inspecteur l'a déclaré...

M. Jouretµ. - M. Lagage l'a toujours nié.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Soit, mais l'inspecteur l'affirme et ajoute que l'instituteur lui a même dit que l'on fait souvent des promesses sans avoir l'intention de les remplir. Voilà ce qui résulte de la déclaration de l'inspecteur diocésain. (Interruption.)

M. Funckµ. - Il est partie intéressée.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Indépendamment de cette déclaration de l'inspecteur diocésain, l'inspecteur provincial civil m'écrivait le 10 septembre. 1865.

« Le sieur Lagage entendu, en présence de l'inspecteur général lui-même, m'a déclaré qu'il avait d'abord promis à ce fonctionnaire qu'il surveillerait ses élèves le dimanche pendant l'office divin. »

Enfin, messieurs, comme vient de le rappeler l'honorable M. Dethuin, une lettre qui est également au dossier, adressée par Lagage lui-même, informe l'inspecteur « qu'il s'efforcera de se rendre à ses désirs, pour tâcher de terminer cette affaire.....» (Interruption.)

Je ne mets, vous le voyez, messieurs, aucune passion dans cette affaire, veuillez m'écouter et, comme on le dit à côté de moi, efforcez-vous donc de m'entendre si c'est possible, efforcez-vous de céder aussi à mon désir.

Ainsi donc, sur ce premier point, j'ai dû conclure des pièces que l'instituteur avait manqué à ses engagements, pris et renouvelés après des conseils donnés par l'inspection, et qu'il a pris ces engagements sans avoir l'intention de les tenir.

Vous le voyez, messieurs, loin de m'incliner devant la volonté du clergé, et d'abdiquer des prérogatives du pouvoir civil, j'ai retiré une circulaire d'un de mes prédécesseurs, circulaire qui obligeait en règle générale, ou du moins dans un grand nombre de circonstance, les instituteurs à surveiller le dimanche les enfants à l'église. J'ai retiré cette circulaire par respect pour la liberté des cultes.

Mais après avoir établi ce principe, quand on pose des actes qui, d'après moi, sont blâmables, mon devoir est, je pense, de les blâmer.

M. de Brouckere. - Et si le bourgmestre intervient !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et si le bourgmestre intervient, me dit l'honorable M. de Brouckere. Si le bourgmestre intervient en ce sens, je ne sais pas si ce n'est pas lui qui porte atteinte à la liberté de conscience, en interdisant à l'instituteur d'aller à la messe, ou même d'y conduire les élèves. Liberté entière doit être laissée à l'instituteur.

Messieurs, vous le voyez donc, et j'insiste sur ce point, je n'ai en rien porté atteinte à la liberté de conscience.

Maintenant si le bourgmestre s'oppose à ce que l'instituteur fasse ce qu'il avait promis de faire, la conduite de l'instituteur était, d'après moi, toute simple. Il devait en référer purement et simplement à l'autorité supérieure et dire : D'une part on m'engage à conduire les enfants à l'église. J'ai promis, je suis tenu. De l'autre on me le défend. Je m'adresse à vous, que dois-je faire ?

Le gouverneur ou le ministre aurait dit : Vous êtes libre, vous avez le droit de conduire ou de ne pas conduire vos élèves à l'église, sauf à donner des explications à celui à l'égard de qui vous avez pris un engagement.

Quant à la liberté de la presse, elle n'est pas en jeu dans cette affaire, Pourquoi M. Lagage a-t-il été blâmé ? Pour avoir usé d'un droit constitutionnel ? Evidemment non, mais pour avoir livré méchamment à d'autres les conseils que lui avaient donnés avec bienveillance MM. ses supérieurs.

(page 190) On prétend que l'instituteur n'est pas l'auteur des articles injurieux, mais j'ai le droit de dire que c'est lui qui les a, tout au moins, inspirés et j'ajoute que c'est avec son autorisation qu'ils ont été publiés, car le bourgmestre qui a assumé la responsabilité de ces écrits est un homme d'honneur et n'aurait pas abusé des confidences à lui faites sans l'autorisation de celui qui lui avait fait ces confidences.

Quoi qu'il en soit, M. le gouverneur, en me transmettant son rapport, me fit connaître que, d'après lui, l'instituteur, par son insubordination, pour avoir manqué de loyauté, avait mérité une punition.

Toutefois, il sollicitait l'indulgence du ministre, vu la jeunesse de l'instituteur et ses bons antécédents.

Je me contentai donc de blâmer cet instituteur, car j'ai pensé que sa conduite n'était pas honorable ; j'ai cru que je ne pouvais pas approuver une pareille conduite, qu'elle était blâmable, et je l'ai blâmée.

Maintenant, messieurs, qu'est-ce qu'un blâme ? Ce n'est pas même une punition. (Interruption.)

- Voix à gauche. - Si ! si !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je le répète, un blâme n'est pas même une punition, c'est un simple avertissement donné par un supérieur à un subordonné dont il n'approuve pas la conduite.

Or, messieurs, saisi de l'affaire, je ne pouvais, évidemment, pas approuver la conduite de l'instituteur, je devais le blâmer ou blâmer celle du gouverneur, de l'inspecteur provincial et de l'inspecteur cantonal ; prétendra-t-on sérieusement que j'ai traqué cet instituteur en me bornant à lui infliger un blâme qui signifiait que je n'approuvais pas sa conduite ? Evidemment non ! mais j'ai été plus loin et vais vous prouver à quel point j'ai été dur et barbare.

M. Massart, bourgmestre de Nimy-Maisièrcs, en 1866, quelque temps après cette décision, me demanda une audience que je lui accordai immédiatement et volontiers.

M. Massart, dans cette entrevue, me fit, d'abord, un grand éloge de son instituteur ; il ajouta que c'était non M. Lagage, mais lui qui était l'auteur des articles dont on a parlé ; je ne pus m'empêcher de lui dire que je ne pouvais pas lui en faire compliment ; je lui fis observer ensuite que, s'il voulait, lui, mériter le respect de son instituteur, il devait chercher à ne pas amoindrir dans l'esprit de celui-ci le respect qui est dû aux inspecteurs. Bref, M. Massart me pria de revoir le dossier, et je le lui promis.

J'examinai donc de nouveau l'affaire, je le fis sans aucun parti pris et avec le désir de pouvoir être agréable à M. Massart.

Après examen, je renvoyai le dossier à M. le gouverneur du Hainaut ; je l'invitai à vouloir bien examiner lui-même de nouveau cette affaire avec la plus grande bienveillance, et je le chargeai de faire venir dans son cabinet le bourgmestre de Nimy-Maisièrcs ainsi que les inspecteurs, de chercher à les mettre d'accord, et j'ajoutai : Après les avoir entendus, vous jugerez s'il n'y aurait pas lieu de retirer le blâme infligé au sieur Lagage.

M. le gouverneur, se conformant probablement aux instructions que je lui avait données, m'écrivit, quelque temps après ,qu'il avait examiné à nouveau cette affaire, que l'instituteur avait aggravé ses torts, qu'il avait adressé tout récemment des paroles très peu convenables aux inspecteurs, qu'il leur manquait d'égards en toutes circonstances, qu'il y avait eu un conflit nouveau à l'occasion du concours, que l'instituteur avait refusé de donner des renseignements, en un mot, que les rapports entre les inspecteurs et l'instituteur devenaient très difficiles, pour ne pas dire impossibles. Le gouverneur fut d'avis que le blâme ne pouvait pas être retiré.

Je croyais que cette affaire, qui menace de devenir éternelle, car voilà deux ans qu'elle dure, je croyais que cette affaire était enfin terminée, lorsque je reçus un jour une lettre du gouverneur, lettre dans laquelle il déclarait qu'à Mons, on prétendait que j'avais retiré le blâme infligé à l'instituteur et que c'était lui, gouverneur, qui ne donnait pas suite à cette décision.

Je répondis au gouverneur que, vu son rapport, je n'avais pas modifié ma décision et que le blâme était maintenu. L'affaire en est restée là.

Messieurs, il est plusieurs observations de détail auxquelles je ne crois pas devoir m'arrêter. J'ai été dans l'obligation d'infliger un blâme et de le maintenir, parce que, d'après moi, un instituteur doit, comme tout honnête homme, tenir les engagements qu'il a pris, et quand il est dans l'impossibilité de les remplir, il doit s'excuser honnêtement, en faisant connaître les motifs qui l'empêchent d'exécuter ce qu'il a promis.

J'ai encore blâmé cet instituteur parce que, à mon avis, un subordonné qui reçoit des conseils paternels de ses chefs, ne doit pas méchamment les révéler à des personnes qui en abusent pour avilir l'autorité de ses supérieurs.

Les inspecteurs doivent être respectés, si l'on veut que l'enseignement marche sérieusement.

En ceci, je ne porte aucune atteinte, soit à la liberté de conscience, soit à la liberté de la presse.

Je reconnais qu'un instituteur, comme tout autre citoyen, a le droit d'user de la presse ; mais ce que je n'admets pas et que personne sans doute ne peut admettre, c'est qu'il a le droit d'abuser de la presse, de dénigrer ou de faire dénigrer ses supérieurs sous le voile de l'anonyme en abusant de la confiance que ses chefs ont placée en lui.

Si on a cherché à me mettre hors de cause, on a attaqué violemment tous les agents du gouvernement, les fonctionnaires de l'administration centrale, le gouverneur, l'inspecteur provincial, l'inspecteur cantonal.

Je crois inutile de prendre ici leur défense, tout le monde connaît la prudence et la sagesse du gouverneur du Hainaut, tout le monde rend hommage aux fonctionnaires pleins de zèle et de dévouement qui sont chargés de la direction de l'enseignement primaire au département de l'intérieur. M. Courtois, l'inspecteur provincial, est un ancien et honorable fonctionnaire qui a rendu de grands services à l'enseignement depuis 1842. Quant à M. Descamps, qui est l'objet d'attaques violentes, c'est un ancien professeur de l'athénée de Mons, aujourd'hui pensionné ; il est un peu vieux, je le reconnais, et c'est pour ce seul motif que j'ai diminué l'importance de son ressort d'inspection. cette mesure fera du reste cesser les difficultés qui ont pu exister entre Nimy-Maisières et M. Descamps, attendu que cet inspecteur n'a plus ce canton dans ses attributions.

Quant à M. Lagage, il a des antécédents honorables. Mais je crois qu'il a cédé à des conseils qui n'étaient pas bons, il a mal fait et je l'ai blâmé.

Aujourd'hui, le blâme étant infligé, si cet instituteur se corrige et se conduit bien, il n'en restera pas trace pour l'avenir.

M. de Brouckere. - Messieurs, je commence par déclarer que je m'associe de tout cœur à l'éloge que l'honorable ministre de l'intérieur a fait de ses subordonnés. Je suis très convaincu qu'aucun d'eux n'a agi avec mauvaise intention et ne s'est montré aussi sévère, dans le désir de nuire à l'instituteur Lagache. Mais j'ai beau chercher ; j'ai beau y mettre toute la bonne volonté possible, je dois déclarer aussi que je ne trouve aucun tort à cet instituteur, et je vais l'expliquer en bien peu de mots.

Dégageons les faits de tout ce qui les complique inutilement. Les voici dans toute leur simplicité.

Certains fonctionnaires de l'administration de l'instruction publique engagent l'instituteur de Nimy-Maisières, entré récemment en fonctions, à conduire, le dimanche, les enfants qui fréquentent l'école à l'église et à les y surveiller. Vous avez déjà entendu que ce n'est pas un devoir de l'instituteur. Je vais plus loin que M. le ministre de l'intérieur ; je reconnais que c'est une bonne chose, là où cet usage peut s'établir de commun accord ; mais il faut le consentement de l'instituteur, le consentement des parents des élèves qui fréquentent l'école et le consentement de l'administration communale. Je dis que, dans ces conditions, c'est une bonne chose et je l'ai toujours reconnu.

Des fonctionnaires engagent donc l'instituteur de Nimy-Maisières à conduire les enfants de l'école à l'église le dimanche. Que répond l'instituteur ? Il se montre parfaitement disposé à obtempérer aux conseils qu'on lui donne, à la demande qu'on lui fait, et il dit, et il a même écrit qu'il fera ce qui dépendra de lui pour déférer à ce conseil.

Cela est bien exact.

Voulez-vous que j'aille plus loin, quoique cela ne soit pas prouvé ? J'admettrai, si vous voulez, qu'il ait dit : Eh bien, je les y conduirai. Cela n'est pas prouvé, je le répète, mais je l'admets ; cela ne me gêne en aucune manière.

Le bourgmestre, informé de ce fait, intervient et dit à l'instituteur : Je vous défends de conduire les enfants à l'église.

L'instituteur, qui a pour premier chef, remarquez-le bien, le bourgmestre de la commune, qui est l'organe de l'administration communale, l'instituteur recevant du bourgmestre une défense aussi formelle s'abstient de faire ce que primitivement il avait l'intention de faire. Mais quelle est la conduite qu'il tient ? Selon M. le ministre de l'intérieur, il (page 191) aurait dû se taire ; il pouvait ne pas conduire les enfants à l'église et il devait en référer au gouverneur de la province. Je ne puis pas partager cet avis de M. le ministre de l'intérieur.

L'instituteur fait la chose la plus simple au monde : il explique au bourgmestre ce qui s'est passé, il lui dit : Mais M. le bourgmestre, tel ou tel inspecteur m'avait engagé à conduire les enfants à l'église et je le lui avais jusqu'à un certain point promis. Le bourgmestre tient bon et il dit : Je vous défends de conduire les enfants à l'église. Vous comprenez que la position est excessivement difficile pour l'instituteur et si, après une défense aussi formelle, il avait conduit les enfants à l'église, on aurait pu lui en faire un reproche très sérieux.

J'ai entendu tout à l'heure quelqu'un dire : De quel droit le bourgmestre disait-il à l'instituteur qu'il ne devait pas conduire les enfants à l'église ? Mais M. le ministre de l'intérieur lui-même vient de dire qu'il a fait une circulaire annulant une circulaire précédente et établissant que ce n'est pas un devoir pour les instituteurs de conduire les enfants à l'église.

L'instituteur, en déférant à l'ordre qu'on lui donnait, ne manquait à aucun de ses devoirs et véritablement je crois que beaucoup d'autres auraient agi comme lui. Je ne vois aucun reproche à lui faire.

II a cependant été blâmé de deux chefs : du chef de déloyauté, puis pour avoir révélé à des organes de la presse les faits qui s'étaient passés entre lui et ses supérieurs. Déloyauté, où donc est la déloyauté ? Il avait montré l'intention de déférer aux conseils de l'inspecteur ; son chef immédiat le lui défend, il s'en abstient ; où est la déloyauté ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il devait se délier, donner des explications.

M. de Brouckere. - Permettez-moi de dire qu'il y aurait, d'après cela, tout bonnement un manque de procédé. Je veux bien avouer qu'un homme qui aurait reçu l'éducation de M. le ministre de l'intérieur, y aurait peut-être mis plus de déférence, même plus d'habileté, en écrivant à l'inspecteur : « Monsieur, j'avais promis de conduire les enfants à l'église, mais il est survenu des circonstances qui m'empêchent de tenir ma promesse. » (Interruption.)

Je conviens que c'eût été mieux, mais pour ne pas l'avoir fait l'instituteur a-t-il manqué à la loyauté ? Il n'a pas agi comme aurait agi un homme parfaitement élevé, respectant toutes les convenances et usant en toutes choses de la prudence la plus extrême ; mais je connais des hommes remplissant tontes les conditions pour être d'excellents instituteurs, et qui n'ont pas cependant cette éducation si complète, qui peuvent manquer de procédés, ne pas observer tous les usages de la bonne société et du monde ; y a-t-il pour cela déloyauté dans la conduite.de M. Lagage ? Il aurait pu agir mieux, il aurait pu se montrer plus prudent, mais de la déloyauté il n'y en a pas. S'il n'a pas tenu sa promesse, c'est que son supérieur lui a défendu de la tenir.

Voilà pour le premier point.

Second point : Il a fait connaître à certains rédacteurs de journaux ce qui s'était passé.

Je ne suis pas de ceux qui loueraient un pareil procédé ; je suis trop administratif pour cela ; mais le fait est nié, le fait est complètement nié. M. Lagage dit qu'il n'a eu aucun rapport quelconque avec des rédacteurs de journaux.

Non, dit M. le ministre de l'intérieur, mais s'il s'était tu, ce qui s'est passé entre l'inspecteur et lui n'aurait pas été connu. J'ai déjà répondu qu'il n'a pas dépendu de lui de se taire : il était bien obligé, de dire à son chef, le bourgmestre, ce qui s'était passé, et maintenant le bourgmestre, chef de l'instituteur, déclare de la manière la plus formelle que c'est spontanément que lui, bourgmestre, a déféré les faits aux journaux ; est-ce que l'instituteur Lagage est responsable de ce qu'a fait le bourgmestre ?

Evidemment non. Que devient alors ce dernier motif de blâme ? Je ne le trouve plus.

Je suis convaincu, quant à M. le ministre de l'intérieur, je le mets hors de cause quand je discute la bonne ou la mauvaise foi, mais je vais plus loin, je suis convaincu que ceux qui ont engagé M. le ministre.de l'intérieur à infliger un blâme à l'instituteur Lagage, étaient de la meilleure foi ; mais je dis qu'on n'arrive à cette mesure, qui est, quoi qu'on en dise, un premier degré de punition, eh bien, l'on n'arrive à infliger cette punition à M. Lagage, que parce qu'on a compliqué les faits très simples qui se sont passés à Nimy-Maisièrcs, d'une foule de circonstances dont la vérité n'est pas établie.

Si les choses étaient telles qu'on les a présentées, Lagage serait dans son tort, mais j'ai dépouillé les faits établis de tout ce qui ne sert qu'à les compliquer sans nécessité et il ne reste rien ; l'incident se borne à ces faits fort simples : certaines autorités engagent l'instituteur à conduire les enfants à l'église ; il s'y montre parfaitement disposé ; le bourgmestre le lui défend, il ne les y conduit pas ; où est son tort ? Je ne saurais le découvrir.

Maintenant, messieurs, que faire ? Le blâme est infligé. Il y a eu une deuxième enquête, et après la deuxième enquête, le ministre dit encore : Le blâme est infligé, je ne crois pas pouvoir le retirer. Je regrette beaucoup, messieurs, que nous nous trouvions dans une pareille impasse et je ne puis m'empêcher de regretter la mesure qui a été prise.

M. Carlierµ. - Dans les explications données par M. le ministre de l'intérieur répondant au discours de l'honorable M. Dethuin, j'ai remarqué avec une grande satisfaction cette déclaration du ministre qu'il acceptait pour lui seul la responsabilité de toute cette affaire.

J'ai entendu cette déclaration avec une double satisfaction, messieurs. D'abord, parce qu'elle dégage du débat toute autre personnalité qui y était engagée ; ensuite, la responsabilité du ministre étant seule engagée, ce haut fonctionnaire n'hésitera pas, je pense, à revenir sur sa décision première, si nous parvenons à lui démontrer, comme je crois que l'on y est déjà parvenu, et j'espère pouvoir arriver à compléter la démonstration, que le blâme infligé au sieur Lagage était immérité.

Pardonnez-moi, messieurs, de revenir, comme l'ont fait mes deux honorables amis, MM Dethuin et de Brouckere, sur les faits de cette discussion.

Le sieur Lagage a reçu un blâme parce qu'il a manqué à la loyauté et aux règles de la subordination ; à la loyauté, en ne tenant pas sa promesse ; à la subordination, en livrant méchamment aux critiques de là presse des conseils de ses supérieurs.

Le sieur Lagage a-t-il manqué de bonne foi ; a-t-il manqué à sa promesse ? M. le ministre a tenté de le démontrer, en invoquant non pas le témoignage de M. le curé, il ne le possède pas, non pas en invoquant les témoignages des inspecteurs laïques, il ne les a pas non plus, mais en invoquant le témoignage de M. l'inspecteur diocésain et en invoquant de plus la lettre de M. Lagage lui-même.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Plus le dire de l'inspecteur provincial.

M. Carlierµ. - Quant à la lettre, il ne s'y rencontre qu'une phrasé qui est celle-ci : « Je m'efforcerai d'obtempérer a votre désir. » Or, je ne rencontre pas là une promesse formelle.

Nous savons tous dans quelle situation d'esprit se trouvait cet instituteur. D'une part, les sollicitations des inspecteurs laïques de conduire les enfants à l'église ; d'autre part, la défense formelle du bourgmestre, et au milieu de tout cela les instances de l'inspection ecclésiastique et du curé.

On invoque la déclaration de M. Lagage ; il a dit, s'écrie-t-on, qu'il s'efforcerait d'obtempérer au désir de l'inspecteur diocésain. M. Lagage se trouvait pris entre l'enclume et le marteau. Il cherchait un biais pour se tirer d'affaire le mieux possible et dans cette situation, il dit : Je m'efforcerai d'obtempérer à votre désir.

. C'était une faiblesse peut-être, mais certainement pas une promesse. Cette promesse, il ne pouvait la faire en présence de la défense du bourgmestre.

On nous dit aussi que cet instituteur a été jusqu'à dire à l'inspecteur diocésain : Il est des promesses qu'on fait avec l'intention de ne pas les tenir.

Cette phrase se trouve dans un document qui n'est malheureusement ni au dossier de l'honorable rapporteur, ni à celui de l'honorable ministre de l'intérieur...

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je puis vous le montrer demain.

M. Carlierµ. - J'aurais voulu voir ce rapport pour avoir, par la lecture entière de la pièce, une idée complète de la signification de la phrase.

Je me demande si M. Lagage a bien tenu exactement le langage qu'on lui attribue, et s'il n'a pas dit plutôt : Il est des promesses qu'on fait parfois sans pouvoir les tenir.

Dans tous les cas, en admettant que cette phrase eût été prononcée, dans quel temps l'a-t-elle été ?

(page 192) Etait-ce la rétractation d'une promesse faite ? était-ce une sorte de bravade adressée à l'inspecteur diocésain ? Je ne puis le croire.

Veuillez remarquer, messieurs, qu'avant cette affaire, M. Lagage est un instituteur des mieux signalés du pays.

C'est un excellent élève de l'école normale de Nivelles ; il est attaché pendant deux ans à cette école comme répétiteur. Tous les certificats (mon honorable ami M. Dethuin en a donné lecture tout à l'heure) s'accordent à lui donner beaucoup de mérite et aussi beaucoup d'éducation.

Je ne puis croire, messieurs, que cet instituteur distingué par l'éducation irait lâcher une phrase aussi sottement irrévérencieuse à l'égard de son supérieur.

Je dis donc que ce langage n'a pas été tenu ou qu'il a été rapporté inexactement.

Mais, je veux admettre un instant le dire de M. l'inspecteur diocésain. Je place vis-à-vis de ce dire la défense formelle du bourgmestre et je dis qu'en présence de cette défense, M. Lagage ne pouvait conduire les élèves à l'église et que, dès lors, on ne peut considérer comme un acte de mauvaise foi sévèrement blâmable, son refus de les y mener.

Maintenant, reste l'accusation d'avoir méchamment livré à la presse les conseils qui lui étaient donnés par ses supérieurs et cela dans le but d'attirer sur eux les critiques de la presse.

A cet égard, M. le bourgmestre Massart assume complètement sur lui l'acte d'avoir livré les conseils des inspecteurs à un rédacteur d'un journal montois.

Je ne crois pas que ce soit ici le lieu d'examiner si un fonctionnaire, un employé quelconque de l'Etat peut livrer à la presse les conseils de ses supérieurs. Je fais, à cet égard, toutes mes réserves ; mais du moment que l'honorable bourgmestre de Nimy vient dire : Ce n'est pas mon instituteur, mais moi qui suis l'auteur du fait, il me semblé qu'il sublève complètement l'instituteur du second motif du blâme qui lui a été infligé.

L'honorable ministre ne veut pas admettre cela. Il nous dit : M. Massart est un homme délicat. Il n'aurait pas voulu abuser de confidences faites par l'instituteur et ce n'est que par un abus de ces confidences que les choses ont été jusqu'à la presse.

Ceci est complètement erroné et complètement inexact.

Comment admettre que l'instituteur, alors qu'il déclare au bourgmestre les faits qui se sont passés entre lui et l'inspection, puisse faire au bourgmestre la condition qu'il ne les livrera pas à la presse ?

Il y a ici beaucoup de bourgmestres. Je demande si un seul se laisserait imposer par son instituteur une condition quelconque en pareil cas ?

Du moment que l'instituteur pouvait conter au bourgmestre tout ce qui s'était passé, le bourgmestre était parfaitement libre de faire tout ce que bon lui semblait.

De plus il ne manquait en rien à la discrétion, puisque ce que lui avait dit l'instituteur ne constituait pas une confidence, mais était tout simplement un rapport administratif du subordonné au supérieur.

Voilà donc, messieurs, que l'instituteur est sublevé parce que M. Massart en livrant les pièces à la presse n'assumait pas la responsabilité des exagérations auxquelles pouvait se laisser aller le rédacteur. Et il me semble que si l'honorable ministre de l'intérieur n'a pas sublevé l'instituteur Lagage du blâme qui lui avait été infligé, c'est qu'il n'a pas ajouté à la déclaration faite par M. Massart toute la confiance qu'elle mérite.

J'atteste ici, de la façon la plus positive, l'honneur et la sincérité de M. Massart.

M. Massart m'a affirmé que c'était lui seul qui avait fourni tous les renseignements et il m'a mis à même de vérifier qu'il en était ainsi, en me citant les personnes qui avaient été témoins de son entretien avec les organes de la presse.

Dès lors, vous le voyez, le second motif de blâme doit disparaître, à son tour, du débat.

L'honorable ministre nous dit : Qu'est-ce qu'un blâme ? Ce n'est pas même une punition ; dans l'échelle réglementaire, le blâme ne figure pas comme-punition.

Mais je le demande, voilà un instituteur qui a fait d'excellentes études et qui a été attaché comme répétiteur à une institution normaliste, qui dans toute sa carrière n'a mérité que des suffrages honorables, et à un moment donné, pour deux fautes qui n'existent pas, on lui inflige un blâme sévère qui lui est lu en séance publique devant tous ses collègues !

Il me semble que réclamer le retrait de ce blâme est la seule chose à faire. Il y a sur l'instituteur un stigmate réel qui doit être lavé si l'on reconnaît, d'une part, sa loyauté et, d'autre part, son abstention dans le second grief articulé contre lui.

Remarquons-le bien, messieurs, les instituteurs occupent, dans notre échelle sociale, des fonctions modestes mais qui ont leur très haute importance ; à côté de la science, ils ont à donner à nos enfants de plus hautes leçons, et en demandant le retrait de ce blâme, l'instituteur de Nimy donne à ses élèves une leçon de dignité, d'élévation de sentiment, qui doit être comprise de nous tous.

Il ne restera rien, dit-on, de ce blâme pour l'avenir. Mais.ce blâme restera, il aura souillé sa carrière ...

M. Coomans. - Au contraire, il avancera...

M. Carlierµ. - M. le ministre nous disait tout à l'heure que depuis le retentissement qu'avait eu cette affaire, il avait pris des mesures pour que dorénavant pareil événement ne se produisît plus. J'engage l'honorable ministre à aller plus loin, et s'il a la conviction qui m'anime, j'ai la certitude qu'après avoir assumé sur lui seul la responsabilité de cette affaire, dans sa loyauté bien connue, l'honorable ministre n'hésitera pas à pousser la mesure jusqu'au bout, à retirer le blâme.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il m'est impossible de déférer au vœu de l'honorable M. Carlier.

Nous pouvons différer de manière de voir dans l'appréciation des faits, les honorables députés de Mons peuvent ajouter foi entière à ce que disent l'instituteur et le bourgmestre de Nimy-Maisières, mais pour moi j'ajoute foi aux rapports concordants de toutes les autorités administratives qui ont été consultées dans cette affaire.

Je ne puis donc retirer le blâme qui a été infligé et d'ailleurs, laissant de côté les engagements pris par l'instituteur de Nimy et les grands principes auxquels on a fait tout à l'heure allusion, il y a d'autres motifs encore pour que ce blâme soit maintenu.

Ainsi que je l'ai déjà dit, après avoir reçu la visite de l'honorable bourgmestre de Nimy-Màisières, j'ai soumis l'affaire à un nouvel examen ; j'ai fait spontanément alors ce qu'on me demande de faire aujourd'hui.

J'ai chargé M. le gouverneur de faire venir dans son cabinet les différents intéressés afin de provoquer de leur part des explications et je l'ai même autorisé à retirer le blâme s'il croyait que cela fût possible.

Eh bien, après ce nouvel examen plein de bienveillance, fait avec le désir de faire ce qu'on me demande aujourd'hui, l'honorable gouverneur de la province, dont vous connaissez la modération et le désir de conciliation, a cru qu'il n'était pas possible de revenir de la décision prise.

Il a déclaré, comme je viens de le dire, par une lettre de 1866, qu'il n'y avait pas lieu de retirer le blâme. L'instituteur avait encore aggravé ses torts ; il avait adressé des paroles peu convenables à l'inspecteur, il lui avait manqué d'égards ; en toutes circonstances il soulevait des conflits à propos du concours, à propos de renseignements qu'on lui demandait, et la situation était devenue telle, que les rapports entre l'inspecteur et l'instituteur sont tout à fait impossibles.

Eh bien, je vous le demande, comment me serait-il possible de faire aujourd'hui ce que je n'ai pas cru pouvoir faire à une autre époque, aujourd'hui, comme on le déclare, que l'instituteur a aggravé ses torts ? Il serait donc inutile d'insister sur ce point. Le blâme sera maintenu.

J'aime à croire, messieurs, que ces explications seront de nature à satisfaire les honorables députés de Mons, qui ont soulevé le débat.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

- Les conclusions de la commission, qui tendent au renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur, sont mises aux voix et adoptées.

La séance est levée à 4 heures et demie.