(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 103) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 1/4 heure.
M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Saint-Gilles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi, à Bruxelles. »
« Même demande d'habitants de Bruxelles. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
M. le président. - La parole est continuée à M. Dumortier.
M. Dumortier. - Dans la séance d'hier, j'ai exposé mon opinion relativement à la proposition incidentelle, qui avait été faite par un honorable député de Bruxelles, d'arriver à la suppression des lignes de douane. J'ai déclaré que je regardais cette mesure comme une des plus funestes qu'il serait possible de prendre pour l'industrie du pays et le travail national. En cela, pour d'autres motifs peut-être, je suis complètement d'accord avec l'honorable ministre des finances ; mais je cesse d'être d'accord avec lui lorsqu'il dit que le tarif belge est un des meilleurs qui existent. Cette déclaration est trop opposée aux faits pour ne pas la contredire lorsqu'on a la conviction du contraire.
J’ai examiné les divers rapports des chambres de commerce de la Belgique sur l'exercice précédent. Vous savez que les chambres de commerce doivent, chaque année, faire rapport sur la situation du commerce. Eh bien, il y a dans l'ensemble de ces rapports un fait qui m'a frappé, c'est la presque unanimité des protestations contre ce que l'on appelle le système douanier anti-réciproque. Cette presque unanimité témoigne évidemment une chose, c'est que le tarif ne satisfait pas les industriels et que, par conséquent, il n'est pas un des meilleurs qui existent.
Comme j'avais l'honneur de le dire hier, les questions douanières sont des questions du tien et du mien, de do ut des.
Autrefois, l'industrie du pays était protégée par des primes ; aujourd'hui, c'est l'industrie étrangère qui est protégée en Belgique au moyen de véritables primes contre notre industrie nationale ; car toutes les fois que vous demandez à une industrie étrangère un traitement plus avantageux qu'elle ne vous accorde à vous-même, pour les produits similaires, vous lui accordez une prime au détriment de l'industrie nationale, au détriment du travail national.
Eh bien, il suffît d'ouvrir notre tarif douanier, les lois que nous avons votées pour rectifier nos traités de commerce avec les puissances étrangères, pour voir que par tous ces traités et surtout par notre traité avec la France, tous les produits de l'industrie française peuvent entrer dans notre pays à 5, 10 et jusqu'à 15 pour cent meilleur marché que nous ne pouvons y importer nos produits similaires.
Il suffît, je pense, d'énoncer un fait pareil pour le faire condamner par tout homme impartial. Il n'est pas possible de trouver au monde la justification d'un pareil système. Accorder à l'étranger, sur notre marché, des faveurs qu'il n'accorde pas à nos produits équivalents sur le sien, c'est lui accorder une prime contre l'industrie belge. J'attendrai qu'on conteste cette appréciation pour y insister davantage.
Avec l'Angleterre, c'est différent : l'Angleterre a ouvert ses portes à une foule de produits étrangers, mais pourquoi ? Parce qu'elle fabrique à meilleur marché les produits similaires et qui dès lors elle n'avait plus rien à demander à l'étranger.
Maintenant, et j'appelle sur ce point l'attention sérieuse de mes honorables collègues, quel est le résultat que produit votre système douanier ? Messieurs, si vous ouvrez le tableau, qui vient de nous être distribué, de la balance du commerce de la Belgique avec les pays étrangers, pendant l'année 1866, vous y verrez que le total des importations pour la consommation de la Belgique s'est élevé à 747 millions, tandis que nos exportations ne se sont élevées qu'à 643 millions ; ce qui constitue pour la Belgique un déficit de 104 millions. (Interruption.) Je ne plaisante pas, messieurs, je parle très sérieusement. L'Angleterre se garderait bien de signaler comme un modèle le système douanier qui lui occasionnerait une perte proportionnelle aussi considérable. Eh, messieurs, comment payez-vous ce déficit de 104 millions ? Avec l'argent du pays ; c'est-à-dire que le numéraire belge diminue chaque année de plus de cent millions de francs.
Je crois que si cette conséquence n'est pas logique, il faut convenir que les chiffres qu'on nous a donnés manquent d'exactitude ! Si vous consommez des importations de l'étranger pour 747 millions de francs, et que vous n'exportiez que pour 643 millions, vous devez payer 104 millions de différence avec votre argent, c'est-à-dire que le capital du pays s'appauvrit de 104 millions par an. Cela est clair comme l'évidence.
Ce ne sont pas les rires de M. le ministre des finances qui modifient ce calcul arithmétique si simple.
Et puis on viendra nous dire que le pays est plus riche qu'auparavant quand on a tire de sa poche 104 millions pour couvrir la différence entre les importations et les exportations !
Il y a deux jours que nous avons reçu le document qui présente la situation du commerce ; je n'ai pas eu le temps de le dépouiller entièrement ; j'ai donc dû me borner au résumé de la balance de commerce.
Eh bien, si dans tous les pays qui sont gouvernés avec sagesse, on voyait la nation en déficit d'exportations sur les importations, d'un chiffre annuel de 104 millions, par population de 5 millions d'habitants, on reconnaîtrait que c'est là une mauvaise situation et qu'on doit porter des remèdes à cet état de choses.
Le chiffre des importations de l'Angleterre a été, de 141 millions de francs, et le chiffre de nos exportations en Angleterre a été de 129 millions de francs, déficit 12 millions de francs. Ainsi l'Angleterre qu'on nous présente comme un modèle commence par nous constituer en un déficit de 12 millions.
Et veuillez remarquer, messieurs, que ce sont surtout des objets de consommation, du beurre, des œufs, pour 20 millions de francs que l'Angleterre vient chercher sur notre marché, et qui par conséquent deviennent d'autant plus cherchez nous qu'ils sont de première nécessité pour l'ouvrier ; il ne s'agit pas ici des objets de luxe ; il s'agit d'objets de première nécessité.
- Un membre. - C'est tant mieux pour le paysan.
M. Dumortier. - Je dirai à mon honorable collègue, que le paysan n'est pas seul au monde ; il y a aussi l'ouvrier ; or, on arrive à cette conséquence déplorable que, pour lutter avec l'Angleterre, nous sommes forcés de réduire les salaires ; et qu'en laissant exporter les objets de consommation de première nécessité, nous augmentons le prix de la dépense de l'ouvrier, c'est-à-dire que nous rendons son salaire complètement insuffisant, Voilà la conséquence logique au point de vue de l'ouvrier.
Je crois que la population ouvrière est assez intéressante pour qu'elle trouve aussi dans cette enceinte quelqu'un qui la défende ; nous ne devons pas seulement nous préoccuper du fermier, mais encore de l'ouvrier. Eh bien, la situation que je vous signée se résume pour l'ouvrier, d'un côté dans une augmentation du prix des subsistances, de l'autre dans une diminution de salaire. Est-ce là du bien-être ?
Est-ce là ce qu'on doit désirer ? Est-ce là ce qu'on nous donne comme modèle ? Quant à moi, je ne le crois pas. Nous avons aujourd'hui un grand nombre d'ouvriers qui ne mangent de la viande que deux ou trois fois par an, et qui ont assez de peine à vivre avec du pain de seigle.
Mais l'Angleterre a-t-elle été si bienveillante pour nous ? A-t-elle tenu les engagements qu'elle avait contractés envers nous ? Non ; je vous ai parlé hier des petits moyens par lesquels elle faisait ses affaires.
Quel a d'abord été le système de l'Angleterre ? Sir Robert Peel l’a déclaré devant le parlement, lors de sa fameuse loi de réforme commerciale. Il a dit : Nous voulons donner aux pays de l'Europe un exemple, afin qu'ils entrent dans une voie dans laquelle ils ne sauraient nous suivre. Et c'est ce qu'elle a réalisé.
L'Angleterre a envoyé des apôtres, des défenseurs de la liberté du (page 104) commerce dans tous les pays du monde, et dans beaucoup de ces pays, moins on donne de liberté politique, plus on donne de liberté du commerce, afin que le mot de liberté reste dans le dictionnaire politique.
Nous avons vu ces apôtres en Belgique, venir prêcher dans les meetings. Que faisait-on ? On allait à Gand ; on faisait un meeting, et l'on disait que le prix de la houille était trop élevé, qu'il fallait avoir la houille anglaise. On allait ensuite à Mons. Pensez-vous qu'on venait y parler du prix de la houille ? Pas du tout, on s'en gardait bien. On disait : Vous payez les calicots trop cher, il faut laisser entrer les calicots anglais.
C'est avec cette fantasmagorie qu'on est parvenu à monter les opinions en Belgique et qu'on est arrivé au point où nous sommes. Le contre-coup s'est fait sentir en France. Il y avait là M. Michel Chevalier et quelques autres grands économistes qui prêchaient le libre échange. La France au moyen du libre échange allait avoir une richesse sans exemple. L'expérience est faite. Allez maintenant visiter les ateliers de Roubaix, de Lille, des villes qui sont à vos portes. Tous les industriels de ces villes reconnaissent aujourd'hui qu'il leur est impossible de lutter contre les fabricats similaires de l'Angleterre. On fabrique encore les marchandises communes, les marchandises dont le poids est trop grand relativement à la valeur pour pouvoir être importées avec quelque avantage. Mais les produits manufacturés de luxe et non seulement de luxe ; mais du porter de tout le monde, des robes de femmes et tissus légers, on ne peut plus en fabriquer au prix des fabricats similaires anglais.
Aujourd'hui, tous les ateliers de Roubaix sont fermés, on a commencé par dire aux ouvriers : Vous devez travailler sur deux métiers, afin que je puisse lutter. L'ouvrier s'est ému d'abord, des désordres ont eu lieu, l'autorité arrive ; on parvient à les convaincre ; ils travaillent aux deux métiers.
Aujourd'hui on est forcé de lui dire : Nous ne pouvons plus lutter ; retirez-vous dans vos foyers. Voilà le grand bienfait de ce système de libre échange. Les exemples sont sous vos yeux ; vous n'avez qu'à descendre dans ces ateliers dont je vous parle, et vous aurez bientôt jugé des immenses avantages que le nouveau système a apportés à la France et qu'il apporte nécessairement à la Belgique.
Messieurs, il ne faut jamais avoir mis les pieds en Angleterre ou pour mieux dire, ne l'avoir examinée que comme ces idoles qui ont des oreilles et n'entendent pas, qui ont des yeux et ne voient pas, pour pouvoir se faire illusion dans une pareille situation. Quoi ! mais si vous examinez comment est outillée l'industrie anglaise, depuis l'entrée de la matière première jusqu'à la vente de la production, vous reconnaîtrez bientôt qu'il n'y a aucun pays au monde qui soit outillé de la sorte et qui puisse lutter contre un pareil colosse. Elle a ses propres vaisseaux qui sillonnent toutes les mers et vont chercher les produits dans les colonies, et l'avantage est immense quand le fabricant peut trouver les produits à sa porte, il peut trouver chez lui la marchandise, il ne dépend ni des commissionnaires ni d'aucun intermédiaire quelconque.
L'Angleterre a des comptoirs dans tous les ports du monde qui y débitent ses fabricats et ses exportateurs qui transportent ces fabricats à l'étranger en les achetant aux manufactures.
L'Angleterre a la houille à vil prix ; les houillères anglaises sont d'une puissance dont les nôtres n'approchent pas. En Belgique on exploite les couches de 50 centimètres ; si une couche a un mètre, c'est un phénomène ; en Angleterre, les couches ont 12 et 15 pieds ; on taille en plein dans le rocher ; chez nous le bouilleur doit travailler de profil ; les couches enlevées doivent être étançonnées au bois, et c'est dans une pareille situation que vous voulez faire ce que vous appelez du libre échange ! Mais qu'est-ce donc que le libre échange ? C'est, avant tout, la liberté d'échanger dans des conditions parallèles.
Le fer. En Angleterre on tire le minerai en même temps que la houille, on le trouve partout et le charbon est tellement bon qu'on n'a pas besoin de faire du coke pour les hauts fourneaux ; en Belgique vous devez aller chercher le minerai partie dans la Campine, partie dans le Luxembourg, partie ailleurs, mais toujours, à grandes distance.
Et vous croyez que vous pouvez lutter dans de pareilles conditions ! C'est de la chimère, c'est de l'idéologie, rien de plus.
Vous me direz que le consommateur obtient les produits à meilleur compte. Eh bien, je suppose que vous introduisiez en Belgique pour 100 millions de francs...
M. Pirmezµ. - Comment paye-t-on ?
M. Dumortier. - Ne confondons pas les questions. Je pose une question, vous me répondez par une autre question.
Je reprends mon hypothèse. Je suppose qu'il entre en Belgique pour 100 millions de francs de fabricats étrangers et que sur ces 100 millions le consommateur économise 5 p. c. ; c'est cinq millions de gagnés, direz-vous pour la Belgique ; mais pour payer vos 100 millions qu'est-ce que vous faites ? Vous devez payer ces 100 millions en argent.
M. Bouvierµ. - Vous payez en produits.
M. Dumortier. - Vous devez payer en argent et vous appauvrissez d'autant le pays.
Vous avez économisé 5 millions de francs sur votre consommation, mais toutes les valeurs sont dépréciées. C'est la dépréciation de la terre, c'est la dépréciation des maisons, c'est la dépréciation des portefeuilles, car si vous devez payer tous les ans 100 millions, en 10 ans vous aurez payé un milliard. (Interruption.)
M. de Vrière, je parle sérieusement. Si vous voulez plaisanter, je puis le faire aussi, mais la matière ne comporte pas la plaisanterie.
Voilà donc tout votre système économique.
Oui, le consommateur a fait 5 millions d'économie, mais d'un autre côté vous avez réduit votre capital argent de cent millions, vous avez privé le pays du bénéfice du travail, qui est la véritable source de la richesse et de la prospérité.
Un pays ne s'enrichit que par le travail ; chaque journée de travail perdue est un capital perdu. Les économistes ne voient que les consommateurs, ils devraient songer qu'il y a aussi des producteurs et que même tous les producteurs sont consommateurs.
Or, la balance du commerce accuse un déficit de 104 millions de vos exportations sur vos importations.
C'est ainsi que l'Espagne et le Portugal sont tombés dans l'état de ruine actuelle, parce que l'on a tari, par une mauvaise législation, les sources du travail national. Il y avait autrefois de nombreuses manufactures en Portugal. L'Angleterre a dit à cette puissance : Je prendrai vos vins, recevez mes produits ; et les manufactures en Portugal ont cessé d'exister.
De même en Hollande, il y avait de magnifiques fabriques de drap à Leyde, d'importantes fabriques de toile à Harlem.
On a établi, dans l'intérêt du commerce d'Amsterdam, ce qu'on a appelé la liberté du commerce, et les manufactures de Leyde et d'Amsterdam ont bientôt cessé d'exister.
Tout s'enchaîne dans notre système économique. Nous avions créé les droits différentiels, on les a supprimés. Quel en a été le résultat ?
Nous avions une flotte commerçante, aujourd'hui nous n'avons plus de flotte ; nous avions à Bruges une des plus grandes industries, une des industries les plus productives, la construction des vaisseaux ; cette industrie est fort importante car elle en entraîne vingt autres ; en effet, tout ce qui forme le mobilier des vaisseaux doit être fabriqué dans le pays.
Eh bien, cette grande industrie de la construction des navires qui avait fait naître en Belgique des constructeurs si habiles qui étaient parvenus à faire des vaisseaux si fins voiliers, cette industrie est tombée. Nous avions, à Anvers, un marché de café, de cotons, de sucres, en un mot nous recevions des colonies directement et c'était surtout le but que nous avions en vue en créant des droits différentiels. Eh bien, qu'est devenu le port d'Anvers ? Un simple port de cabotage.
M. Vilain XIIIIµ. - C'est le plus grand marché de laines de l'Europe.
M. Dumortier. - C'est bien, mais que sont devenu votre marché de café, votre marché de sucre, votre marché de coton ? Ils sont perdus ; vous n'avez plus de navigation directe sur les colonies, vous n'avez plus de vaisseaux, plus d'exportations, et tout cela pourquoi ? Parce que vous n'avez pas eu la sagesse de maintenir le système qui a fait grandir la marine anglaise, qui a rétabli la marine française, le système au moyen duquel un pays arrive nécessairement à établir une marine.
Votre marine devait se développer ; la force des choses devait amener son développement, mais les droits différentiels ont été supprimés et le port d'Anvers est devenu, je le répète, un simple port de cabotage. II arrive maintenant des laines, un peu de poisson, de l'huile de pétrole, voilà tout.
Et comme tout se lie, lorsque Anvers est devenu un port de cabotage, il a fallu réduire les péages en transit sur les chemins de fer ; de là encore ce résultat dont plusieurs membres de cette Chambre se sont plaints déjà, à savoir, qu'on transportait les fabricats anglais sur notre chemin de fer à meilleur marché que nos propres produits. Encore une fois une prime en faveur de l'étranger.
Tout votre système, que vous appelez d'économie politique et que j'appelle, moi, d'économie impolitique, tout votre système ne consiste (page 105) qu'en une chose, c'est à accorder des primes à l'étranger contre les nationaux. Faut-il être surpris, dés lors, des réclamations qui se produisent de toutes parts ? Je ne suis étonné que d'une chose, c'est qu'elles n'éclatent pas davantage.
MfFOµ. - Mais toutes les industries ne réclament qu'une chose : c'est plus de libertés.
M. Dumortier. - A condition qu'on en accorde davantage dans d'autres pays.
MfFOµ. - Du tout.
M. Dumortier. - C'est l'appréciation de presque toutes les chambres de commerce.
Voyez, messieurs, ce qui s'est produit pour l'industrie des sucres ; là encore nous avons créé des primes en faveur de l'étranger ; en effet, tandis qu'en France la moyenne des prises en change, cela a été constaté par l'enquête ordonnée par le gouvernement français, tandis que la moyenne des prises en charge est de 1425 grammes, en Belgique elle est de 1500 grammes ; c'est ainsi que l'an dernier toutes les fabriques de sucre ont été constituées en perte.
Je pourrais citer telle et telle fabrique de sucre qui, l'an dernier, a perdu 30,000, 40,000, 50,000 et jusqu'à 80,000 francs.
Voilà le sort que vous avez fait à votre industrie nationale. Je dis, messieurs, que cela est intolérable : l'industrie qui travaille ne doit-elle donc plus enrichir ceux qui s'y adonnent ? Le banquier prend à droite et à gauche, et on ne veut plus même que l'industrie qui travaille prenne d'un seul côté.
Messieurs, dans l'enquête qui a eu lieu en France sur cette question, on voit aux pages 356 et 357 que « pour la moyenne des dix dernières campagnes dans l'arrondissement de Valenciennes, la prise en charge n'avait été que de 1422 grammes, et si de ces 1422 grammes on déduit la bonification de 10 p. c. pour chaux à la défécation et 45 grammes provenant des 5 p. c. de décharge sur les mélasses, il ne reste plus que 1200 grammes de production réelle par hectolitre et par degré. »
Et tandis qu'en France les fabriques arrivent, au moyen des déductions qui lui sont faites, à ne devoir payer que sur une prise en change de 1422 grammes, en Belgique on fait payer sur une prise en charge de 1500 grammes. Appelez cela du libre échange, si vous le voulez ; moi j'appelle cela une prime accordée à l'étranger contre le pays.
La première de toutes les choses, c'est la réciprocité ; quand on traite avec une nation, la première chose, c'est de conclure sur le pied d'une parfaite égalité.
Aussi, qu'est-il arrivé ? C'est, je le répète, que l'an dernier, toutes les sucreries en Belgique ont essuyé des pertes effrayantes ; et si pareille chose se renouvelait pendant deux ou trois ans, notre industrie sucrière serait anéantie du profit de l'industrie étrangère.
Maintenant, on a parlé de l'Angleterre.
Ici je m'attends à voir s'élever contre moi un honorable député de Charleroi. Eh bien, je me bornerai pour le moment à signaler un seul fait et j'espère qu'il voudra bien m'en fournir la justification.
D'après le traité conclu avec l'Angleterre, la chicorée pouvait entrer librement dans ce pays. Dans le district de Liège et surtout dans celui de Roulers, que j'ai l'honneur de représenter, la culture de la chicorée a pris un développement considérable.
M. Pirmezµ. - Les chambres de commerce sont généralement libre-échangistes.
M. Dumortier. - Je ne parle pas des chambres de commerce, je parle de chicorée, M Pirmez.
L'industrie de la chicorée trouvait donc en Angleterre un débouché important puisqu'elle pouvait y introduire librement ses produits. Or, qu'a fait l'Angleterre en voyant toutes ces importations de chicorée ? Elle a fait ce qu'elle avait fait déjà en ce qui concerne les exportations de nos produits chimiques, de nos faïences, de nos porcelaines, etc. : elle a soumis la question au bureau de commerce et là, on a trouvé un moyen bien simple ; on a établi un droit d'accise sur la chicorée. Le mot « douane » a été remplacé par le mot < accise » et l'on a ainsi privé la Belgique d'un des plus puissants débouchés qu'elle possédait pour ce produit. Voilà, messieurs les libre-échangistes, un exemple que vous avez à suivre.
L'Angleterre est un pays qui sait protéger ses industries ; on y parle beaucoup de théorie pour jeter de la poudre aux yeux des sots, mais quand les hommes d'Etat sont à leur table, ils abandonnent la théorie aux professeurs d'économie politique, aux commis voyageurs que l'Angleterre envoie sur le continent, On ne s'y préoccupe que d'une seule question, l'intérêt : Est-ce ou n'est-ce pas l'intérêt de l'Angleterre ? voilà messieurs, la question qui, en Angleterre, domine tout et on la résout toujours en mettant la théorie de côté ; c'est ainsi que l'Angleterre est arrivée à ce haut degré de prospérité et c'est par là seulement que la Belgique pourra parvenir au même résultat au lieu de perdre chaque année 104 millions.
M. Jonetµ. - Je n'ai pu m'empêcher d'interrompre l'honorable M. Dumortier pendant le discours qu'il vient de prononcer. Les erreurs qu'il a commises sont tellement étranges que je ne puis les attribuer qu'à la chaleur de son improvisation. Je me bornerai à présenter à la Chambre quelques observations à ce sujet.
Pour se convaincre combien sont erronées les assertions de l'honorable membre, il suffit d'ouvrir le tableau général du commerce avec les pays étrangers. Nous y voyons que la Belgique expédié en Angleterre des quantités considérables des produits de notre fabrication : des draps, des armes, des verres, des marbres, des glaces et même du fer.
Si l'honorable M. Dumortier allait visiter les quais de notre métropole commerciale, il y rencontrerait à chaque pas, d'immenses quantités de marchandises belges prêtes à être embarquées pour les îles britanniques ; et l'encombrement est souvent tellement considérable, qu'un service supplémentaire devient nécessaire, pour les produits à expédier à Londres seulement.
Pour les autres villes du royaume uni, il y a tous les jours des départs de bateaux à vapeur et de bateaux à voile, chargés de nos produits destinés à cette perfide Albion, qui, d'après les économistes de l'école de M. Dumortier, devrait inonder le monde de ses produits et ne rien recevoir des autres nations.
Elle aurait toujours donné, elle n'aurait jamais reçu !
M. Dumortier. - Est-ce que vous contestez mes chiffres ?
M. Jonetµ. - Je conteste vos déductions, car il en résulterait que l'Angleterre aurait toujours vendu et qu'elle n'aurait jamais acheté !
M. Dumortier. - Je n'ai rien dit de semblable.
M. Jonetµ. - Et je me demande comment elle aurait vécu ?
L'honorable représentant de Roulers, parmi les erreurs de fait qui émaillent son discours, nous disait encore :
« L'Angleterre a supprimé les droits sur tous les produits qu'elle peut créer à meilleur marché que tous les autres peuples. »
Je pourrais citer, messieurs, 20 exemples pour prouver l'inexactitude de cette assertion un seul suffira, j'en suis convaincu, car il est puisé aux sources les plus sûres ; il est constaté par la statistique et par les faits.
Avant 1845, le verre à vitre était complètement prohibé en Angleterre ; de 1845 à 1847, il fut frappé d'un droit d'entrée qui fut successivement réduit pour disparaître entièrement quelques années après, Eh bien, messieurs, l'Angleterre qui, avant 1845, produisait tout le verre nécessaire à sa consommation, reçoit, aujourd'hui que le verre est libre à l'entrée, l'énorme quantité de 14 millions de kilogrammes de verres à vitre belge, soit plus du tiers de toute notre exportation de cet article.
M. Dumortier. - Le verre à vitre n'est pas un produit manufacturé : faire du verre c'est tout bonnement fondre du sable. (Interruption.)
M. Jonetµ. - Nos exportations en glaces et en cristaux vers ce pays, atteignent aussi le chiffre de près de 4 millions de kilogrammes, et cependant il existe en Angleterre de nombreuses et importantes fabriques de produits similaires.
Ces chiffres prouvent à l'évidence combien l'honorable M. Dumortier a eu tort de prétendre que l'Angleterre n'a supprimé les droits que sur les produits qu'elle peut créer à meilleur marché que les autres peuples et où elle n'a pas de concurrence à craindre.
Après avoir lancé contre l'Angleterre des critiques aussi vives que peu justifiées, l'honorable M. Dumortier condamne notre tarif actuel, qu'il trouve détestable ; et il se déclare partisan de la réciprocité. Mais, d'après son système, il doit reconnaître alors que l'Angleterre est bien généreuse envers nous, pour ne pas dire qu'elle est notre dupe, puisqu'elle accepte presque tous nos produits manufacturés sans les frapper de droits d'entrée, tandis que nous, Belges, nous lui faisons payer, sur les produits similaires qu'elle importe chez nous, des droits variant de 10 à 20 p. c.
Si le système de réciprocité était admis, il faudrait un tarif spécial pour chaque pays, c'est-à-dire de véritables tarifs différentiels. Nous devrions faire payer aux uns plus, aux autres moins, et notre régime douanier deviendrait un véritable chaos, un labyrinthe où le plus intelligent aurait bien de la peine à se retrouver.
Et l'Angleterre ayant, quant aux produits manufacturés, des tarifs (page 106) plus bas que les autres pays, il arriverait, en dernière analyse, que les (erratum, page 123) fabricants anglais, dont l'honorable représentant de Roulers, a toujours tant redouté l'invasion, acquitteraient les droits les moins élevés, et je doute que ce résultat, auquel aboutirait nécessairement son système, soit fort du goût de l'honorable membre
M. Dumortier trouve que tout va mal depuis les réformes douanières ; il est cependant facile de constater que, depuis que les droits sont moindres, les crises sont plus rares et que l'état des industries s'est amélioré. A cet égard, je vous dirai que la production du fer est deux fois plus importante qu'il y a 10 ans et que la même progression existe pour la verrerie. Si j'examine ce qui se passe à Liège et à Verviers, je suis convaincu que les avantages ont été les mêmes pour leurs industries et je puis assurer à M. Dumortier que les représentants de l'industrie les plus intéressés, ceux de Charleroi, de Liège, etc., ne partageront nullement sa manière de voir.
II y a quinze ans, il est vrai, Verviers était protectionniste, mais les fabricants, forcés d'accepter la réduction qui devait les ruiner, sont venus loyalement reconnaître que la réforme avait fait leur fortune.
Les chambres de commerce, dit M. Dumortier, réclament toutes contre le tarif existant ; cela est vrai, et, quoique le tarif soit considérablement amélioré, les chambres de commerce, y compris celle de Roulers, demandent la réforme douanière ; mais, c'est dans le sens de la liberté et non de la restriction : et si nous n'insistons pas plus vivement, c'est que M. le ministre a amélioré le tarif, il y a deux ans, et nous sommes persuadés qu'avant deux ans, de nouvelles améliorations seront faites par M. Frère lui-même, car il est partisan des réformes et il n'est pas même fâché d'être un peu poussé par l'opinion.
M. Dumortier a parlé du travail national, mais je ferai observer que la verrerie reçoit sa matière première d'Angleterre et qu'avec cette matière première elle fabrique du verre qu'elle expédie dans la Grande-Bretagne.
Il y a donc avantage pour le travail national, puisque c'est la matière brute que nous recevons pour expédier des produits fabriqués.
MfFOµ. - La Chambre comprend que je ne veuille pas entamer une discussion sur la théorie du libre échange, ni réfuter les opinions émises par l'honorable M. Dumortier. Il y a longtemps, très longtemps même que cela est fait : son discours date au moins de 1845.
M. Dumortier. - Même avant, excepté quant aux 100 millions et au delà que nous perdons chaque année.
MfFOµ. - Je veux seulement signaler la cause à laquelle j'attribue l’erreur de l'honorable membre.
Il dit : Consultez la statistique commerciale ; voyez quelle est la balance de notre commerce. L'honorable membre en est encore là ! Cette balance est tout à fait à notre préjudice ; nous perdons cent millions par an ; nous nous ruinons !
Dans ce cas, messieurs, nous devrions être ruinés depuis longtemps, et c'est la première observation que j'ai à faire sur ce point. Mais comme l'honorable membre aime à appliquer les procédés du sens commun à cette matière, et qu'il ne veut s'en rapporter à aucune espèce de théorie, je me permettrai de lui représenter, ce qui, d'ailleurs, a été fait bien souvent, comment la question devrait être appréciée, et peut-être se convaincra-t-il qu'il est dans l'erreur.
Je suppose que l'honorable membre exporte pour 100,000 francs de toile ; il a fabriqué cette toile dans le pays ; il a réalisé sur cette fabrication un bénéfice ; bref, il exporte une valeur de 100,000 francs.
La statistique porte donc de ce chef au compte des exportations une somme de 100,000 fr.
L'honorable membre exporte ces toiles à La Havane ; il a le bonheur de réaliser sur la revente de sa marchandise un bénéfice considérable ; il la vend pour 150,000 fr. (Interruption.) C'est une supposition, et je pense qu'elle n'a rien d'invraisemblable. L'honorable membre trouve ensuite que l'opération la plus lucrative à laquelle il puisse appliquer le produit de sa vente, serait d'acheter des cigares qu'il pourra revendre en Belgique, en réalisant un nouveau bénéfice : il achète donc pour 150,000 fr. de cigares et cette fois c’est au compte des importations que la statistique renseigne cette dernière valeur. Cela fait, l’honorable membre voit ces deux chiffres, et s’écrie : La Belgique se ruine ! Elle a exporté pour 100,000 fr. de toiles, et a importé pour 150,000 fr. de cigares, donc elle perd 50,000 fr. (Longue interruption.)
Je le demande à l’honorable membre : si le sens commun devait résoudre cette question, ne dirait-il pas, tout au contraire : « La Belgique s'est enrichie ; elle s'est enrichie par la fabrication des toiles qu'elle a exportées à la Havane ; elle s'est enrichie par l'importation des cigares de la Havane, et elle s'enrichit encore par le bénéfice qu'elle réalise sur la vente de ces cigares dans l'intérieur du pays ?
M. Dumortier. - Messieurs, dans la question que me pose M. le ministre des finances, il y a quelque chose de vrai ; mais ce n'est qu'une supposition ; l’honorable ministre suppose qu'on exporte de Belgique vers la Havane pour 100,000 francs de toiles et qu'en retour on importe en Belgique de la Havane pour 150,000 francs de cigares ; quel sera, dit-il, le résultat de l'opération ?
La Belgique, je le reconnais, serait plus riche de 50,000 francs ; mais malheureusement c'est un rêve spirituel, très bien rendu, comme tout que ce que fait l'honorable ministre ; mais je le répète, ce n'est qu'un rêve.
M. Royer de Behr. - M. le ministre des finances aurait dû compléter son raisonnement, en disant que si le navire important des cigares avait fait naufrage, il en serait résulté, dans le système de l'honorable M. Dumortier, un très grand bénéfice pour la Belgique.
- Personne ne demandant plus la parole, la Chambre passe au vote sur l'article Douanes, ainsi conçu :
« Douanes.
« Droits d'entrée : fr. 13,000,000.
« Droits de tonnage : fr. 15,000. »
« Ensemble : fr. 13,015,000. »
- Adopté.
« Accises*
« Sel : fr. 5,600,000.
« Vins étrangers : fr. 2,100,000.
« Eaux-de-vie indigènes : fr. 7,900,000.
« Bières et vinaigres : fr. 9,000,000.
« Sucres de canne et de betterave : fr. 3,900,000.
« Glucoses et autres sucres non cristallisables : fr. 20,000.
« Ensemble : fr. 28,520,000. »
- Adopté.
« Garantie. Droits de marque des matières d'or et d'argent : fr. 300,000. »
- Adopté.
« Recettes diverses. Recettes extraordinaires et accidentelles, recouvrement de frais de vérification de marchandises, loyers des bâtiments et droits de magasin dans les entrepôts de l'Etat : 40,000. »
MfFOµ, propose d'augmenter le chiffre de 20,000 francs et de libeller l'article ainsi qu'il suit :
« Recettes diverses. Recettes extraordinaires et accidentelles, frais de vérification de marchandises, loyer des bâtiments et droits de magasin dans les entrepôts de l'Etat et rétributions du chef des extraits du cadastre : fr. 60,000. »
- L'article « Recettes diverses », ainsi modifié, est adopté.
« Enregistrement (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 15,700.000.
« Greffe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 290,000.
« Hypothèques (principal et 25 centimes additionnels) : fr. 2,750,000.
« Successions (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 10,200,000.
« Droit de mutation en ligne directe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 1,800,000.
« Droit dû par les époux survivants (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 200,000.
« Timbre : fr. 4,100,000.
« Naturalisations : fr. 5,000.
« Amendes en matière d'impôts : fr. 200,000.
« Amendes de condamnations en matières diverses : fr. 150,000.
(page 107) M. Pirmezµ. - Messieurs, je désire attirer l'attention de M. le ministre des finances sur le produit des droits de succession. Cet impôt présente quelque chose de tout à fait exceptionnel ; il est à peu près livré à la bonne foi des déclarants.
Si l'Etat a un moyen de constater la situation de la succession lorsqu'il s'agit de valeurs immobilières, on doit reconnaître que quant aux valeurs mobilières, fonds publics, actions, obligations, etc., l'Etat est à peu près dépourvu de tout contrôle ; de sorte que ceux qui déclarent ces valeurs payent et ceux qui ne veulent pas les déclarer ne payent pas.
Je crois qu'on peut regretter avec beaucoup de raison qu'il n'y ait pas dans le pays un sentiment plus profond du devoir à l'égard du payement des impôts ; on se fait trop peu de scrupule de ne pas payer un impôt qui est cependant légitimement dû. A cet égard, il y a dans les idées une tolérance trop forte.
Beaucoup de personnes parfaitement honnêtes d'ailleurs, qui se feraient scrupule de tromper un autre citoyen pour une somme extrêmement minime, croient pouvoir frauder complètement les droits dus à l'Etat. Il résulte de là que le droit de succession sur les valeurs mobilières rapporterait beaucoup moins qu'il ne rapporterait si l'on payait intégralement.
Messieurs, ce n'est pas seulement l'absence de contrôle de la part de l'Etat qui encourage les parties à frauder ; mais c'est aussi l'élévation de l'impôt sur les successions qui va jusqu'à 13 p. c. de la valeur des choses dont on hérite.
Lorsqu'un citoyen se trouve en présence d'un impôt aussi élevé, et qu'il a en même temps la certitude qu'il ne court aucun risque en faisant une déclaration inexacte, l'Etat n'a aucune chance d'obtenir de cet impôt le produit qu'il doit en attendre.
L'Etat subit donc de ce chef une perte très considérable ; mais d'après moi, ce n'est là qu'une considération secondaire, relativement au point de vue moral.
A mes yeux, il est extrêmement déplorable de voir des citoyens imposés, non pas à raison des biens dont ils héritent, mais bien plutôt à raison de leur conscience ; on arrive à ce résultat que pour la même succession le citoyen qui est assez honnête pour ne pas frauder l'Etat, payera, tandis que celui qui n'a pas cette probité ne payera pas.
Je ne comprends pas qu'on maintienne une situation qui impose les citoyens à raison, non de leur fortune, mais de leur conscience.
Messieurs, un des premiers actes du gouvernement provisoire a été de supprimer le serment que le gouvernement hollandais avait ordonné de joindre aux déclarations de succession ; il motivait cette suppression sur cette considération, qu'il est immoral de faire dépendre la perception d'un impôt de la conscience du déclarant.
J'avoue que je ne comprends pas comment la suppression du serment a pu avoir ce résultat. En supprimant le serment, on n'a pas supprimé toutes les obligations de conscience. Il n'est pas permis de mentir parce qu'il n'y a pas de serment. Et il est resté vrai que ceux-là seulement payent qui ont assez de moralité pour ne pas nier la consistance de la succession.
S'il en est ainsi, la mesure du gouvernement provisoire n'a aucune espèce d'effet et nous vivons encore sous un régime dans lequel ou impose les déclarations de succession en raison de la conscience des héritiers.
Je crois qu'il y a là une situation qui ne peut être maintenue. Je reconnais bien volontiers qu'il y a là aussi de très grandes difficultés, qu'il est extrêmement difficile de trouver un système qui assure la perception des droits d'une manière complète. Je reconnais que des investigations trop directes dans le patrimoine des familles auraient les plus graves inconvénients ; mais je pense que des améliorations .notables pourraient être introduites.
Ainsi, je crois que si le droit était diminué et les pénalités augmentées, l'Etat ne perdrait pas et qu'on arriverait à ce résultat, toujours satisfaisant, d'avoir un revenu au moins égal sans avoir l'inégalité que je signale entre ceux qui ont de la conscience et ceux qui n'en ont pas.
Si ce moyen ne suffît pas, on pourrait peut-être, par un ensemble de signes extérieurs, par la situation du défunt, par la contribution personnelle qu'il payait, arriver à fixer une espèce de forfait qui permettrait de connaître d'une manière approximative sa fortune mobilière. Or si nous arriviez à imposer par cette réforme le dixième des valeurs réellement existantes, il est probable que vous auriez un impôt plus élevé que celui que vous touchez aujourd'hui. Je suis, en effet, très convaincu qu'une fort minime partie seulement de ces valeurs est atteinte par l'impôt.
Je signale à l'honorable ministre des finances tout ce que cette situation a de défectueux, non seulement au point de vue des intérêts du trésor, mais encore au point de vue de la moralité publique. Ces deux considérations réunies m'ont porté à attirer son attention sur ce point et je suis convaincu que, s'il veut l'examiner, il arrivera à un résultat.
Messieurs, puisque je parle des successions, qu'il me soit permis de dire un mot d'une question qu'a soulevée l'autre jour l'honorable M Lelièvre : de l'impôt perçu en Belgique sur les immeubles situés à l'étranger.
Je sais très bien qu'il est toujours difficile d'obtenir du gouvernement, spécialement de l'honorable ministre des finances, de renoncer à une recette très claire, surtout quand elle se chiffre par centaines de mille francs.
L'honorable ministre a cependant fait un pas dans la renonciation aux impôts qui ne sont pas justes, en demandant la suppression de la surtaxe qui grevait les valeurs étrangères. Toute la question est ici de savoir si l'impôt est juste ou non.
Pour ma part, je considère cette recette comme injuste.
Il faut bien reconnaître qu'il n'est pas juste qu'un bien paye deux fois. L'impôt est toujours un peu la représentation d'un service rendu. Or, nous ne rendons aucun service à un individu qu'a une propriété en France en raison de cette propriété.
Percevoir un droit deux fois est une iniquité flagrante, il n'y a qu'à rechercher si c'est à nous à percevoir ce droit ou bien au pays étranger.
Je persiste à dire que c'est nous qui commettons l'iniquité. En effet, sous quel prétexte percevons-nous un droit sur les immeubles situés à l'étranger ? C'est sous le prétexte que notre impôt porte sur la déclaration de succession et que la succession comprend ce qui existe dans tous les pays.
Sans doute une succession comprend les biens étrangers comme les biens nationaux, mais les biens immeubles étrangers ne sont pas régis par la loi belge, mais par la loi étrangère.
Ainsi nous percevons un droit de succession sur des biens qui sont entièrement soumis à la législation étrangère quant à la répartition, quant aux impôts et même quant aux mutations qui s'opèrent par la succession.
De quel droit voulez-vous percevoir un impôt sur une succession qui se fait à l'étranger et en vertu de la loi étrangère ? Voyez ce qui se passe dans toutes les autres matières. Un immeuble situé en France se vend en Belgique, on ne percevra pas le droit d'enregistrement sur cette vente en Belgique, c'est en France que se percevra le droit d'enregistrement.
Il n'y a que nous et par une infraction manifeste au principe du statut réel, qui commettions cette usurpation de territoire et seulement en matière de succession.
Nos voisins cependant commettent aussi des abus, j'en signalerai un qui se passe en France, quant aux immeubles qui appartiennent à des Belges.
Même en matière de succession en ligne directe, si le défunt a plusieurs enfants et que le bien qu'il possède en France, par suite d'un partage, soit attribué à un seul de ces enfants, le gouvernement français ne se contente pas de percevoir l’impôt de 1 p. c, qui est le droit en ligne directe.
On considère, par une fiction, que ce bien devait appartenir à tous les enfants, et que si on l'attribue à un seul, il y a nécessairement une soulte pour la part appartenant aux autres ; de sorte que le gouvernement français percevra sur le bien appartenant à un Belge et situé à l'étranger 1 p. c. sur la part de l'héritier auquel échoit le bien et un droit de mutation de 4 p. c. sur le surplus. Ce n'est pas là une situation normale.
Dans un temps où l'on cherche à faire disparaître toutes les barrières qui existent entre les Etats, à coordonner les législations de manière qu'elles n'offrent pas de contradictions, d'anomalies, le devoir du gouvernement est de s'entendre avec les pays voisins pour qu'au moyen de pures fictions on n'en vienne pas à faire payer aux particuliers le double de ce qu'ils doivent légitimement payer.
Messieurs, on a parlé, dans la discussion générale, de plusieurs questions d'enregistrement ; je me proposais de joindre mes observations à (page 108) celles qui ont été faites ; mais j'en ai été empêché par la discussion sur l'impôt des boissons alcooliques qui est venue interrompre l'examen de ces questions spéciales. J'en dirai quelques mots.
L'honorable M. Watteeu a signalé ce qu'il y a de dur dans la loi d'enregistrement, qui fait percevoir toujours un droit sur les jugements, en sorte que si, en matière de commerce, par exemple, une vente est constatée par jugement, on perçoit un droit de 2 p. c. sur le prix de cette vente. Or, ce résultat est d'autant plus regrettable que l'enregistrement ne vient percevoir le droit d'acte que dans le cas le plus malheureux, c'est-à-dire presque toujours dans le cas où l'on doit poursuivre un débiteur qui n'est pas assez solvable pour payer sans être poursuivi.
M. le ministre des finances a répondu, il est vrai, par une observation en elle-même extrêmement juste. Si nous ne percevions pas le droit d'enregistrement, dit M. le ministre, sur les conventions qui sont constatées par des jugements, ou ne prendrait plus d'actes authentiques ; celui qui voudrait vendre sa ferme, au lieu de s'adresser à un notaire, ferait un procès fictif à l'acheteur et arriverait ainsi à avoir un acte sur lequel aucun droit ne serait perçu.
Cette observation prouve qu'il ne faut pas renoncer à tous les droits d'acte, à tous les droits de mutation qui sont perçus sur les jugements, mais l'honorable M. Watteeu ne présentait pas son observation d'une manière aussi générale, en sorte qu'elle me paraît subsister malgré la réponse de M. le ministre des finance. M. Watteeu ne demande d'exempter du droit que les jugements constatant des conventions qui jamais né donnent lieu à enregistrement, en l'absence de contestations. Ainsi, il est bien certain que jamais une vente commerciale comme une vente de grains, une vente de lins, une vente d'étoffes, n'est volontairement, par les parties, soumise à l'enregistrement.
C'est quant à ces contrats que je demande s'il ne faudrait pas au moins adoucir la perception.
Messieurs, il est un autre acte sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre des finances. Mats ici ce n'est pas pour diminuer les recettes, c'est plutôt pour permettre à M. le ministre de les augmenter.
La loi hypothécaire a donné de grandes facilités pour les emprunts hypothécaires. Elle a consacré d'une manière certaine 1a validité des contrais d'ouverture de crédit. Or, an moyen d'un contrat d'ouverture de crédit hypothécaire, vous pouvez réaliser un emprunt hypothécaire aussi facilement qu'en faisant un acte de prêt. Il en résulte que les actes de prêt tendent à disparaître et que les actes d'ouverture de crédit les remplacent.
Je pense qu'il serait extrêmement rigoureux d'imposer les actes de crédit au même taux que les prêts. Mais je crois qu'on arriverait à une chose fiscalement et juridiquement utile si l'on diminuait le droit qui est aujourd'hui perçu sur les actes de prêts proprement dits et si l'on mettait un droit quelconque sur les ouvertures de crédit. On arriverait ainsi à frapper du même droit des actes qui doivent réellement être frappés du même droit.
On éviterait, je ne dirai pas la fraude, mais l'habileté qui consiste à déguiser un acte de prêt sous la forme d'un acte d'ouverture de crédit hypothécaire ; et les parties ne seraient pas aussi disposées à recourir à ces actes d'ouverture de crédit qui présentent certains inconvénients, parce qu'ils n'ont pas la même certitude qu'un acte qui constate la dette avec la déclaration du chiffre.
Je crois qu'il y aurait, à cet égard, une mesure à prendre et qu'il y aurait là tout à la fois une source de revenu pour l'Etat et un avantage pour la constatation du droit des parties.
Pour finir, je signalerai à M. le ministre des finances combien le droit de mutation immobilière est élevé lorsqu'un bien est revendu dans un temps extrêmement rapproché de l'achat.
Il arrive très souvent, dans les grands centres surtout, dans les villes, qu'un spéculateur achète une assez grande quantité de terrains, dans l'intention de morceler ces terrains, d'y bâtir et de revendre ensuite.
Si la revente se fait dans l'année, on aura perçu dans l'année deux, fois le droit, ce qui fait 13 p. c. Cela est exorbitant, et qu'arrive-t-il ? C'est que l'Etat ne perçoit pas ce droit ; on cherche à l'éviter par des combinaisons extrêmement variées et que le fisc a beaucoup de peine à déjouer ; on a recours à des actes qui ne donnent pas lieu au droit ; on se contente d'actes sous seing privé, qui ne sont pas soumis à la formalité de l'enregistrement et ce n'est qu'après la troisième ou la quatrième mutation qu'on fait un acte qui constate la vente du premier possesseur, à l'acheteur définitif, en coûtant par-dessus les autres mutations qui sont intervenues.
Je crois que si l'on peut maintenir les actes de mutation immobilière au taux où ils sont aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de biens qui ont séjourné pendant un certain temps dans les mains des propriétaires, il serait utile d'avoir un droit moindre, beaucoup moindre, pour le cas où la revente se fait dans un délai rapproché de l'acquisition.
Si ce droit était assez modéré, il est certain qu'on abandonnerait complètement tous les subterfuges auxquels on a recours aujourd'hui pour éviter de payer des droits de mutation réellement trop élevés. Ce serait un avantage pour le fisc et un avantage pour les parties. Car ce n'est jamais sans inconvénient qu'on renonce au moyen le plus régulier de consulter la propriété immobilière.
Je ne demande pas à M. le ministre des finances de me répondre sur ces différents points. Ce sont des observations que je fais. Je le prie seulement de les prendre en considération et d'y réfléchir.
MfFOµ. - L'honorable M. Pirmez vient de présenter des observations très judicieuses et dignes d'être prises en considération, sur divers points de notre législation fiscale.
La première observation de l'honorable membre a porté sur les droits de succession qui frappent les valeurs mobilières. Il a dit avec beaucoup de raison que dans l'étal actuel des choses, et surtout depuis la suppression du serment, beaucoup de valeurs mobilières sont soustraites à l'impôt ; mais il a reconnu aussi combien cette matière est difficile, et je pense que l'on chercherait en vain un moyen, autre que le serment, d'assurer la perception complète de ces droits.
Pour juger de l'influence du serment, il suffit de comparer l'importance des déclarations de succession mobilière qui se faisaient avant 1850, et celle des déclarations qui ont été faites depuis cette époque. Pendant les 35 dernières années, les valeurs mobilières se sont assurément beaucoup accrues ; je crois que l'on pourrait les estimer aujourd'hui à une somme à peu près égale au montant des valeurs immobilières. Elles sont au moins égales, sinon supérieures en Angleterre.
Eh bien, les déclarations de succession (je ne puis pas préciser les chiffres de mémoire), ne montent guère pour les valeurs mobilières qu'à la moitié de celles qui concernent les valeurs immobilières, tandis qu'avant 1830, l'importance des unes se rapprochait assez sensiblement de celle des autres.
L'honorable membre pense que si le droit était abaissé, on aurait l'espérance de conserver tout au moins ke même revenu, et l'avantage de répartir l'impôt d'une manière plus équitable, parce qu'on ne serait plus aussi tenté d'éluder le droit.
M. Pirmezµ. - J'ai dit qu'on pourrait élever les pénalités.
MfFOµ. - Je ne crois pas que le moyen serait efficace : le droit sera toujours trop élevé pour que la tentation de le frauder n'existe pas, et l'aggravation des pénalités n'exercerait guère d'influence en cette matière, où les contraventions sont extrêmement difficiles à constater.
Le droit qui frappe les successions collatérales varie de 5 à 13 p. c. suivant le degré de parenté ; fût-il abaissé même dans une assez notable proportion, l'appât à la fraude subsisterait ; on aurait diminué le droit, on aurait fait essuyer une perte sensible au trésor, la fraude continuerait à se pratiquer et vous n'auriez pas assuré une plus juste perception de l'impôt.
On ne parvient guère aujourd'hui à percevoir cet impôt qu'à l'aide de moyens indirects qui permettent, dans un certain nombre de cas, de constater l'existence des valeurs mobilières.
Il y a des circonstances où les valeurs de cette nature sont mentionnées dans des contrats, dans des inventaires et autres actes authentiques ; dans les cas de minorité, quand on a été amené à faire des inventaires et des partages avec des mineurs, et dans quelques cas analogues, plus ou moins nombreux, il y a moyen de constater l'existence des valeurs mobilières et c'est ainsi que le droit peut être perçu.
Je ne veux pas d'ailleurs me refuser à examiner s'il n'y aurait pas quelque moyen d'atteindre le but très légitime indiqué par l'honorable membre.
La deuxième question sur laquelle l'honorable M. Pirmez a, de nouveau, appelé l'attention de la Chambre, est celle de la perception des droits sur les propriétés immobilières situées à l'étranger. La Chambre le sait, j'ai traité déjà cette question bien des fois ; je suis obligé de me répéter.
(page 109) En semblable matière, si nous avions à considérer la perception du droit à un point de vue très élevé, celui qu'a fait entrevoir l'honorable membre, on pourrait peut-être chercher à s'entendre avec les diverses nations, pour éviter ces sortes d'anomalies qui existent dans la perception de l'impôt. Mais je doute que le but puisse être atteint, parce qu'il faudrait une uniformité de législation à laquelle nous ne sommes pas encore près d'arriver.
La législation fiscale est différente dans chaque pays, et on doit l'appliquer suivant l'esprit qui a dicté cette législation. Eh bien, nous avons ici un droit de succession ; ce droit n'existe pas chez toutes les nations ; ainsi il n'existe pas en France, où l'on perçoit un droit de mutation qui ne s'applique qu'aux immeubles. Ici, nous avons un droit de succession ; c'est là un progrès. Le droit de succession est supérieur au droit de mutation, parce qu'il fait d'abord porter l'impôt sur les valeurs mobilières aussi bien que sur les valeurs immobilières, et en outre, parce que, dans ce système, le passif est déduit de l'actif, pour ne soumettre au droit que le net des valeurs qui composent la succession. Cette défalcation, si équitable, si légitime, n'a pas lieu sous le régime du droit de mutation, qui frappe la valeur brute des propriétés, quelles que soient les charges qui les grèvent. C'est donc un progrès que d'avoir dans un pays un droit de succession au lieu d'un droit de mutation en cas de décès.
Mais, messieurs, il faut bien que nous appliquions là conséquence de ce principe meilleur ; cette conséquence, c'est qu'il faut faire une masse de la succession et y comprendre les immeubles situés à l'étranger, car on ne pourrait pas déduire le passif d'une masse active incomplète.
M. Pirmezµ. - M. le ministre veut-il me permettre une explication ?
MfFOµ. - Bien volontiers.
M. Pirmezµ. - Je suppose qu'une succession d'un million s'ouvre en Belgique et qu'elle comprenne pour 100,000 francs d'immeubles situés en France ; il est évident que lorsque vous déduisez le passif vous n'en déduirez que les neuf dixièmes. Cela me paraît de toute justice ; puisque le trésor ne peut profiler que des 9/10 de l'actif, il ne doit tenir compte que des 9/10 du passif.
MfFOµ. - Je comprendrais parfaitement ce système, si vous changiez la législation ; mais telle qu'elle existe aujourd'hui, la masse de la succession doit être composée de l'actif et du passif, abstraction faite du point de savoir où les biens ont leur siège.
M. Pirmezµ. - Je ne conteste pas la légalité de la perception.
MfFOµ. - La concession étant faite que l'application du droit aux immeubles situés à l'étranger est légitime, sous l'empire de la législation actuelle, voyons s'il y a lieu d'introduire des changements dans cette législation, changements qui devraient avoir pour corollaires des traités internationaux établissant une certaine assimilation en cette matière.
Mais si cela était réalisable, n'y aurait-il pas d'autres anomalies, qui sembleraient plus étranges que ne l'est en réalité celle que l'on voudrait voir disparaître ?
En France il existe aujourd'hui un impôt spécial sur les titres, sur les actions. Nous n'avons pas ce droit en Belgique, mais nous aurions incontestablement le pouvoir de l'établir.
Quand des actions, des valeurs ayant leur siège en Belgique vont se présenter sur le marché français, sont-elles exemptes de droit ?
M. Pirmezµ. - Elles sont mobilières.
MfFOµ. - Elles sont mobilières, soit ; mais voilà des valeurs belge d'origine, ayant leur siège en Belgique ; le titre est simplement porté sur le marché français, et il y donne lieu à la perception d'un droit. Vous plaindrez-vous de cette perception ?
Si nous-mêmes nous avions un droit sur les obligations créées sur notre propre territoire, nous aurions à percevoir ce droit, et l'on en percevrait un second à l'étranger lorsque ces mêmes obligations devraient y être négociées.
Il y aurait donc aussi à entamer des négociations avec la France pour l'amener à renoncer dans ce cas à la perception du droit ; mais ces négociations auraient peu de chances d'aboutir, car les valeurs belges auraient ainsi l'avantage sur les valeurs françaises.
Du reste ces perceptions un peu anomales, un peu exceptionnelles ne sont pas les seules. Ainsi, par exemple, en France, en matière de partage de biens situés en France e tà l'étranger, les biens situés à l'étranger sont considérés comme n'existant pas, et le droit tout entier est perçu comme s'il s'agissait d'une mutation, et non d'un partage.
Nous ne prétendons pas que la France n'a pas le droit d'opérer ainsi ; mais la régie belge opère autrement ; elle applique les mêmes principes qu'en matière de succession. Lorsqu'un acte de partage lui est présenté, comprenant des biens situés en Belgique et des biens situés en France, elle considère les biens situés en France comme existant réellement, et elle ne perçoit qu'un droit de partage.
Vous voyez qu'il y aurait une difficulté inextricable à vouloir traiter avec les pays étrangers afin d'avoir une législation et une jurisprudence à peu près uniformes concernant ces divers impôts.
Du reste, jusqu'à ce que cela soit réalisé, il faut bien que nous nous en tenions à notre législation, que je crois équitable.
L'honorable M. Pirmez est revenu sur la question qu'a soulevée l'honorable M. Watteeu et qui est relative au droit d'enregistrement dont sont frappés les jugements. Il a bien voulu reconnaître que l'objection que j'ai faite à l'honorable M. Watteeu était fondée, mais il propose une distinction.
II engage l'administration à examiner si l'on ne pourrait pas distinguer les jugements selon l'objet sur lequel ils portent, et exiger un droit différent selon la nature des actions, afin d'éluder les fraudes qui pourraient se pratiquer, fraudes que j'ai signalées et qu'il connaît.
Je doute, messieurs, que l'on puisse arriver à quelque chose de satisfaisant en cette matière ; car, une fois le droit différentiel établi, on peut être assuré que la fraude sera excessivement ingénieuse et qu'elle saura bien trouver le moyen de payer le droit le moins élevé.
Enfin, l'honorable membre a parlé de la loi hypothécaire. Il a rappelé que cette loi validait en quelque sorte les actes d'ouverture de crédit ; qu'elle faisait disparaître tout au moins les contestations qui s'élevaient auparavant sur la validité d'hypothèques conférées par un acte d'ouverture de crédit. Mais il signale avec raison qu'ici encore une fraude se pratique.
La fraude existe, en effet, messieurs ; mais l'acte d'ouverture de crédit étant admis par la loi, je conçois difficilement le moyen d'empêcher la fraude qui se pratique. L'acte d'ouverture de crédit peut remplacer un acte de prêt, mais aussi il peut n'être qu'un acte sans effet. Un crédit est ouvert ; il est garanti par hypothèque. Si l'on n'en fait pas usage, il est évident que là perception d'un droit, fût-il minime, serait injuste. Si, au contraire, l'on à fait usage de l'acte, cela devient un véritable prêt ; les conditions se réalisent et le droit doit être légitimement perçu.
Mais comment arriver à empêcher qu'on n'use de ce moyen pour éluder le droit ?
Une pénalité est comminée, il est vrai. Il est des circonstances dans lesquelles l'administration a les moyens de constater qu'on a usé du crédit, et parvient à obtenir le payement du droit.
Je ne sais si la législation peut être renforcée sous ce rapport, si l'on peut faire mieux pour empêcher les abus et les fraudes que signalait l'honorable membre. J'appellerai, sur ce point, l'attention de l'administration de l'enregistrement.
Une dernière observation a été soumise par l'honorable membre. Il a dit que les ventes immobilières à termes rapprochés sont grevées aujourd'hui de droits considérables, exorbitants et il engage le gouvernement à rechercher s’il n'y aurait pas moyen de faire en sort que le droit étant plus équitable, on ne cherchât pas à l'éluder.
Je reconnais, messieurs, tout ce qu'il y a de fondé dans cette observation de l'honorable membre.
Une certaine catégorie d'immeubles ne subit presque point de mutations. Une autre catégorie n'en subit qu'à de longs intervalles. Une troisième en subit de très fréquentes.
Les mutations très fréquentes absorbent nécessairement une notable partie de la valeur de la propriété, à cause des droits dont chaque mutation est frappée.
Serait-il possible d'établir un droit d'enregistrement gradué à raison de la fréquence des mutations : un droit élevé pour les mutations qui s'opèrent rarement, un droit moins élevé pour celles qui s'effectuent à certains intervalles, un droit réduit pour celles qui sont fréquentes ? Je (page 110) convierai mon administration à rechercher quelque moyen de faire en sorte de pouvoir réaliser cette amélioration, dont la pensée a été suggérée à l'honorable membre par un sentiment dont je reconnais l'équité.
M. Coomans. - Je ne m'occuperai que d'un seul des points qui ont été traités par les deux honorables préopinants.
L'honorable M. Pirmez a parfaitement raison de dire qu'en matière de su, cessions mobilières c'est la conscience individuelle qui règle le montant des droits exigés, à part les cas très rares, cités par l'honorable M. Frère, où le fisc intervient d'une manière officielle et à peu près certaine pour faire respecter ses droits.
C'est là un mal d'autant plus grave qu'il crée des injustices. L'un paye l'impôt, un autre paye moins, un autre encore ne paye rien ; c'est là aussi une mauvaise situation au point de vue fiscal et surtout au point de vue moral. Les honorables membres n'ont indiqué aucun remède ; vraisemblablement ce silence prouve que le remède n'existe pas. Un seul moyen existe dans la pensée de M. le ministre des finances et peut-être aussi dans celle de M. Pirmez : c'est le rétablissement du serment. Mais ce remède, je demande pardon de devoir le faire remarquer à M. Pirmez, ce remède ne pourrait pas être adopté, parce que c'est alors qu'il serait vrai de dire que la conscience individuelle réglerait plus que jamais le montant du droit à percevoir.
L'iniquité du serment, surtout en matière fiscale, a été assez démontrée ; le serment doit être religieux ; s'il ne l'est pas, il n'a pas plus de valeur qu'une simple déclaration. Or, si le serment est religieux, il ne liera que les hommes religieux ; ce sera une prime à la fraude et je m'étonne que l'on puisse encore désirer le rétablissement du serment religieux en matière fiscale, lorsqu'on propose de le rétablir en matière judiciaire, où il a d'autres raisons d'être.
Il est une chose certaine, c'est que la situation actuelle, quant aux successions mobilières, est mauvaise. L'Etat ne perçoit pas grand chose et il fait faire chaque année un grand nombre de déclarations fausses ; il avantage des citoyens au détriment des autres ; c'est le cas de dire qu'ici l'avantage de l'un est un désavantage pour tous les autres.
Je crois qu'une fausse déclaration est un vol et tous les catholiques honnêtes doivent être de cet avis. (Interruption.) Je vous accorderai volontiers qu'il y a des catholiques malhonnêtes, si vous voulez me faire la même concession en ce qui concerne les libéraux...
Mais il ne faut pas le perdre de vue, l'opinion publique, à tort, je pense, établit une grande différence entre la simple parole et le serment religieux. El. ce n'est pas une simple préjugé populaire, c'est une règle gouvernementale acceptée et maintenue par tous les gouvernements, si le serment religieux n'avait pas cette valeur, il ne serait pas conservé devant les tribunaux. Je désire qu'il soit exigé de tous, car il serait par trop commode, pour certaines gens, de s'affranchir de garanties qu'on continuerait à exiger des autres.
La thèse qu'on a défendue naguère dans la presse, la thèse de la liberté du serment, c'est-à-dire du privilège que s'arrogeraient certaines personnes de ne pas prêter le serment alors que le serment continuerait à être exigé de la part des autres, cette thèse est insoutenable. Il faut qu'il y ait obligation du serment pour tous ou pour personne.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point, je rentre dans la question des successions mobilières.
Il n'y a pas de remède, on l'a cherché longtemps, dans tous les pays, on le cherchera encore longtemps ; c'est, en effet, une magnifique mine à exploiter pour le trésor, car les valeurs mobilières égalent déjà, comme l'a constaté l'honorable ministre des finances, les valeurs immobilières, ce qui est le résultat des progrès de la civilisation : mais on n'en trouvera pas d'autres que le serment, on n'en trouvera pas d'autres que les mesures inquisitoriales, dont personne ne veut, et c'est parce qu'on ne trouve pas de moyens que je me crois autorisé à vous proposer le mien, qui est de supprimer l'impôt sur les successions mobilières. (Interruption.)
La justice, la vérité, l'intérêt public exigent que l'on ne maintienne que des impôts égaux pour tous ; or, ici il y a inégalité manifeste, je ne suis pas fâché qu'on m'ait fourni l'occasion de le dire après mille autres. (Interruption.) Vous ne parviendrez à égaliser les conditions des citoyens ni par le serment, ni par des mesures inquisitoriales, et si cela est vrai, il ne vous reste qu'à supprimer l'impôt.
M. Broustinµ. - Je viens appuyer les observations qui vous ont été soumises par M. Pirmez, particulièrement en ce qui concerne le droit de succession qui se perçoit sur les biens mobiliers, j'entends par biens mobiliers, les valeurs au porteur, les fonds publics en général.
Comment les choses se passent-elles ? Si la succession est bénéficiaire, que les héritiers soient mineurs ou qu'ils soient obligés, par mesure de précaution, de prendre cette forme, le fisc atteint positivement les valeurs que je viens d'indiquer ; mais si au contraire la succession est acceptée purement et simplement, le fisc ne saura pas les atteindre.
Les malheureux, les mineurs, les interdits devront donc payer, tandis que les majeurs pourront se soustraire au payement du droit. Il y a là une véritable inégalité.
A mon avis, le droit de succession sur ces valeurs devrait être diminué. En le réduisant au quart ou au cinquième de ce qui est payé aujourd'hui, on rendrait hommage au malheur, car aujourd'hui c'est le mineur et l'interdit seuls qui payent l'entièreté du droit. (Interruption.) Oui, c'est à raison de la protection qu'ils vous demandent qu'ils sont imposés.
Il y a encore une observation fondée qui vous a été présentée par M. Pirmez au sujet des droits de mutation qui se perçoivent sur les biens destinés, au moment même de la vente, à être revendus.
Le droit qu'on perçoit actuellement paralyse réellement l'exploitation, la mise en valeur de biens qui, par eux-mêmes, ont peu de valeur et rapporteraient peu à l'Etat s'ils étaient vendus dans des conditions ordinaires, c'est-à-dire quand ils ont été mis en valeur par le génie de ceux qui les exploitent.
Je veux parler, par exemple, de terres proprement dites, mais qui, par leur situation, par les circonstances, et étant mises en rapport, peuvent être parfaitement revendues dans un court délai et qui ordinairement le sont. Eh bien, il me semble que si l'on accordait un délai d'un an avec exemption du droit sur la revente de tout ou partie de la propriété ayant eu lieu dans l'année, dans ce cas, je crois que le droit serait justement acquis, et en voici la raison.
Le droit serait acquis parce que le bien aurait réellement acquis une valeur plus grande, et le gouvernement alors favoriserait réellement l'industrie de la bâtisse. Or, c'est ce qui n'existe pas aujourd'hui et c'est pour cela qu'on voit des particuliers s'ingénier à faire tout leur possible pour se soustraire au droit.
Il y a, au point de vue de la loi civile, de très graves inconvénients d'avoir à soutenir des procès avec l'administration de l'enregistrement. Celle-ci ne se fait pas faute d'entamer des procès toutes les fois qu'elle aperçoit la moindre éclaircie à la perception du droit. Je ne dis pas qu'elle n'a pas raison. Mais elle a deux années pour faire des recherches et elle parvient encore à proroger ce délai par des actes interruptifs bien ou mal fondés. Qu'en résulte-t-il ? C'est que le plus souvent, dans l'intervalle, la propriété a subi des modifications souvent considérables et acquis une valeur plus grande qu'au moment où elle a été primitivement vendue.
Quoi qu'on en puisse dire, je sais, par expérience, que, la plupart du temps, les particuliers, pour échapper à toutes ces contestations, finissent par céder et ils payent ce qu'on leur demande, fût-ce même l'amende.
Ainsi, je suppose une maison destinée à être habitée par l'héritier lui-même ; il y fait des modifications, des embellissements ; il augmente la valeur de l'immeuble et alors on voit le fisc venir réclamer le droit sur une valeur de 60,000 à 70,000 fr. tandis qu'au moment de l'ouverture de la succession il ne valait que 40,000 ou 50,000 francs.
Il y a là, il faut en convenir, quelque chose d'odieux. Les particuliers ne peuvent échapper aux prétentions du fisc qu'au moyen d'enquêtes ; ils doivent donc subir des procès et s'imposer ainsi des frais considérables.
J'ai cru, messieurs, devoir attirer l'attention de M. le ministre des finances sur ces différents points en appuyant les observations qui ont été présentées sur d'autres questions ayant trait au droit d'enregistrement.
M. Watteeuµ. - La question que j'ai signalée à l'attention de M. le ministre des finances me paraît assez importante pour y consacrer encore quelques instants, d'autant plus que je crois n'avoir pas été bien compris si j'en juge d'après les observations qui m'ont été faites à titre de réponse.
M. le ministre des finances me disait que si l'on supprimait le droit d'enregistrement sur les condamnations judiciaires, il en résulterait deux inconvénients : le premier, c'est qu'on se dispenserait, à l'avenir, de passer des actes notariés et qu'on y substituerait des jugements ; le second, c'est qu'il y aurait une certaine perte de l'impôt qu'il faudrait prélever sur la masse des contribuables.
Quant à la première objection, je ne pense pas qu'elle soit très fondée. Je ne sache pas que beaucoup de personnes soient disposées, pour (page 111) échapper à l'obligation de payer un droit d'enregistrement, à se rendre passibles d'une condamnation judiciaire.
On est généralement trop jaloux de sa réputation et de son crédit pour préférer une condamnation judiciaire au payement d'un droit d'enregistrement.
Mais, messieurs, il y a un moyen simple d'obvier immédiatement et dans une large proportion à l'injustice que j'ai signalée. Que se passe-t-il ?
Dans la plupart des relations de la vie civile, qu'il s'agisse d'acquisitions mobilières ou d'acquisitions immobilières, en règle générale, il faut des actes qui ne peuvent pas échapper à la perception de l'enregistrement. Mais en matière commerciale, au contraire, n'cst-il pas universellement reconnu que les opérations les plus importantes se concluent sans aucun acte et par simple correspondance ?
Cependant ce sont les condamnations judiciaires en matière commerciale qui donnent le plus grand produit au fisc du chef des condamnations. Il en résulte, messieurs, cette conséquence véritablement choquante et injuste que le commerce prospère ne paye absolument rien au fisc et que c'est, au contraire, le commerce malheureux, c'est-à-dire les opérations qui sont suivies de poursuites judiciaires, qui donnent lieu à une perception.
En matière commerciale, on atteint ainsi, sous différents rapports, les personnes qui exercent le commerce : elles payent d'abord un droit de patente ; si elles reçoivent des marchandises de l'intérieur, elles payent un droit de douane, plus un droit sur la lettre de voiture ; elles payent donc sous différentes formes ; et si, après cela, elles ont traité avec un mauvais débiteur, elles doivent subir les droits les plus élevés, qui souvent vont s'ajouter au capital perdu.
C'est à ce moment que le fisc se montre le plus exigeant envers elles.
Eh bien, messieurs, il y a là une injustice qui réclame une réforme, et cette injustice doit, ce me semble, préoccuper M. le ministre des finances, dans le but de parvenir à y porter remède.
Maintenant, si l'on craint qu'une réduction de droits serait de nature à jeter la perturbation dans nos finances ; si l'on craint que les parties ne se soustraient au droit par des moyens plus ou moins habiles, il est encore facile d'atténuer le mal, et ce serait déjà un grand bien ; le moyen consisterait à distinguer le droit de contrat et le droit de condamnation. On pourrait modifier le second de manière à rendre encore moins réalisable la crainte de M. le ministre des finances de voir substituer des jugements aux actes authentiques.
Quant à la seconde objection, elle se présente précisément dans le sens inverse ce que disait M. le ministre des finances. S'il est vrai que la perte de l'impôt qu'on perçoit aujourd'hui sur la condamnation, devrait se répartir sur tous les contribuables, ce ne serait là, après tout, qu'un acte d'équitable répartition ; au contraire, l'injustice que redoute M. le ministre des finances existe aujourd'hui. Elle existe aujourd'hui, parce qu'il est vrai de dire que c'est une petite fraction de contribuables qui verse dans les caisses de l'Etat des sommes très fortes au profit de la masse et c'est en cela surtout que l'inégalité est le plus criante.
Notez-le bien, messieurs, la justice consulaire est celle qui coûte le moins à l'Etat ; les magistrats qui la rendent ne coûtent rien : leurs fonctions sont toutes gratuites, toutes de dévouement, et je ne pense pas me tromper en disant que si on dressait une statistique des perceptions qui se font du chef des condamnations, ce sont, à coup sûr, les condamnations commerciales qui l'emporteraient sur les condamnations civiles.
Il en résulte que ce sont réellement les justiciables commerciaux, obligés de s'adresser aux tribunaux, qui payent, au profit de la masse, cette forte contribution, que je considère comme un impôt exceptionnel, ne grevant qu'une partie de nos concitoyens.
En tous cas, il n'est pas conforme à l'esprit de nos institutions, de demander que les justiciables payent les dépenses de l'administration de la justice.
Il ne s'agit pas d'un service rendu, comme, par exemple, l'exploitation des postes, des chemins de fer, des canaux, etc. ; là, c'est tout autre chose. La justice, au contraire, est une obligation imposée à l'Etat, et qui lui seul peut et doit accomplir. La justice, par conséquent, est une institution qui doit, pour couvrir ses dépenses, entraîner un impôt général et non pas un impôt spécial, pas plus qu'on ne demande de payer les frais généraux de l'administration du pays par un impôt spécial, à ceux qui ont des rapports plus fréquents et plus directs avec l'administration.
Messieurs, la justice est avant tout une condition d'existence sociale, une garantie, la plus belle et la plus solide que nous ayons. Il doit appartenir à tout le monde de réclamer son action tutélaire, sans avoir à subir un impôt exceptionnel.
Je convie de nouveau M. le ministre des finances à vouloir bien examiner, dans un délai très prochain, s'il n'est pas possible de faire disparaître ou tout au moins d'amoindrir le mal que j'ai signalé et qui me paraît digne de toute la sollicitude.
M. Pirmezµ. - L'honorable M. Coomans se trompe, quand il croit que j'ai demandé le rétablissement du serment ; mais je dois déclarer que je ne trouve pas le serment un mal plus grand que celui qui existe, et que j'ai signalé.
On pourrait, quant à la matière qui nous occupe, faire trois classes de contribuables d'après leur probité envers le fisc :
Ceux qui déclarent dans tous les cas les biens recueillis ; ceux qui ne déclarent que sous la contrainte du serment ;,ceux qui ne les déclarent dans aucune hypothèse. Avec le serment vous atteignez le premier degré et le second degré de moralité ; la suppression du serment vous conduit tout simplement à n'atteindre que le premier degré de moralité.
Ainsi, sous le régime actuel, on perçoit le droit sur l'aristocratie des consciences. Je dis à l'honorable M. Coomans que cette législation est ce qu'il y a de plus mauvais. Le serment fait descendre un peu plus bas la perception de l'impôt. Je n'en demande pas le rétablissement, parce qu'il n'est qu'un remède très incomplet.
Il laisse, en effet, encore en dehors du droit fiscal ceux qui composent la troisième classe que j'ai indiqué, et qui trouvent aussi dans l'absence de probité un immoral dégrèvement d'impôt.
J'ai indiqué à M. le ministre des finances deux moyens d'améliorer l'état actuel des choses.
Le premier de ces moyens est la diminution du droit de succession sur les valeurs mobilières, combiné avec une augmentation des pénalités. Si le droit était minime et la fraude passible d'une pénalité rigoureuse, beaucoup de personnes, je pense, prendraient le parti de faire une déclaration exacte.
Voilà le premier système que j'ai indiqué. J'en ai suggéré un second plus difficile, mais plus efficace, si on pouvait l'établir dans des conditions honorables : c'est de trouver un ensemble d'indications analogue à ce qui est pratiqué pour la contribution personnelle.
Il s'agirait de trouver un ensemble de signes de la fortune suffisamment exact pour permettre d'y asseoir l'impôt.
Ces deux systèmes ne sont pas sans doute les seuls.
Dans les contributions communales, la capitation est fixée sur la fortune présumée par les appréciations des répartiteurs de l'impôt.
On dit à côté de moi que c'est un détestable système ; je reconnais ses défauts, mais tout détestable qu'il est, il est encore moins mauvais que si la capitation était fixée d'après la conscience de celui qui doit la payer. Aussi il n'est pas une commune en Belgique qui ait admis les déclarations individuelles ; il n'en est pas une qui voulût livrer ses ressources à la libre volonté des contribuables, et c'est cependant en fait ce qui existe pour les successions mobilières.
Messieurs, en combinant ces différents moyens, on arriverait peut-être à une solution satisfaisante de la question ; mais je reconnais que c'est un problème très ardu, très difficile ; c'est une raison pour l'étudier d'une manière approfondie et non pour laisser subsister le vicieux état de choses actuel.
M. Dumortier. - Messieurs, l'honorable M. Pirmez trouve que l'impôt sur les successions ne rapporte pas assez ; moi, je trouve qu'il rapporte beaucoup. Je ne pense pas qu'il y ait un seul pays où les successions soient frappées de droits aussi élevés qu'en Belgique.
L'honorable M. Frère a greffé le système de succession en ligne directe sur le système de succession en ligne indirecte du gouvernement hollandais
Le gouvernement hollandais avait établi le droit, un droit de succession en ligne direct et en ligne indirect ; le droit de succession en ligne direct excitait en Hollande et en Belgique une excessive répulsion, parce qu'il portent, non seulement sur les valeurs immobilières, mais encore sur les valeurs mobilières. Quand le roi Guillaume est monté sur le trône, la première chose qu'il a faites, et peut être la seule bonne de tout son règne, c'est de supprimer l'impôt sur les successions en ligne directe ; mais le trésor public ne pouvait supporter cette perte.
(page 112) Qu'a fait le roi Guillaume ? Il a doublé l'impôt sur les successions en ligne indirect.
C'est ainsi que l'impôt des successions en ligne indirecte, qui élevait jusqu'à 7 1/2 p. c., a pu ensuite monter jusqu'à 13 p. c.
Plus tard, on est venu rétablir l'impôt des successions en ligne directe, sans ramener l'impôt en ligne indirecte au chiffre qu'il avait avant la transformation qu'avait opérée le roi Guillaume.
Je trouve, pour mon compte, exorbitant au droit de succession qui prend le huitième du capital ; quand ce droit de succession, comme cela arrive souvent dans les familles, se paye deux ou trois fois avant que la propriété arrive à l'héritier final, l'Etat a souvent pris un quart, un tiers, une moitié du capital ; et cela se voit tous les jours.
Je crois donc que l'impôt, Dieu merci, est loin d'être trop bas. Que veut l'honorable membre qui vient de se rasseoir ? Il propose de déférer le serment, de recourir à la confiscation, à l'estimation de la fortune présumée.
Voilà, en vérité, de beaux moyens,
Déférer le serment ! Mais c'est tout ce qu'il y a de plus immoral en pareille matière. Vous le savez fort bien, il n'y a que ceux qui croient au serment qui payeront. Ceux qui n'y croient pas feront un faux serment, parce que, pour eux, le serment n'est rien.
Ils en feront quarante pour un centime. Pour les esprits qui poussent l'indépendance jusqu'à ne plus avoir de conscience, le serment ne signifie rien. C'est pour ces gens qu'on a fait bien des choses en Belgique. Leur nombre croît, dit-on. Je n'en sais rien ; je n'ai pas l'honneur d'être de cette petite église. Mais il est certain que le serment en matière de succession frapperait les gens qui ont de la conscience et donnerait du bénéfice à ceux qui n'en n'ont pas. C'est donc une mesure complètement immorale.
La confiscation ! autre beau moyen. On confisquera les valeurs qui n'auront pas été déclarées ; mais autant vaudrait rétablir la mort civile. La confiscation, d'ailleurs, est interdite par nos lois.
L'estimation de la fortune présumée : y pensez-vous encore ? Quand vous frapperez les fortunes présumées, qu'arrivera-t-il ? Le parti qui sera au pouvoir ne sera pas frappé et celui qui est dans l'opposition le sera. On trouvera que monsieur un tel, parce qu'il est libéral, n'a pas de fortune et ne doit pas payer, et que monsieur un tel, parce qu'il est catholique, a beaucoup de fortune et doit payer.
Voilà où vous en arrivez avec de pareils expédients. Tous ces moyens sont très mauvais ; ils sont cent fois pires que le mal que vous signalez.
Evidemment, il est à désirer que les impôts se payent. Mais l'impôt sur les successions pèse déjà assez sur les citoyens. J'ai vu un fait que je ne suis pas fâché d'avoir l'occasion de vous signaler. J'ai vu un frère qui, pour hériter de son frère, a dû payer 13 p. c. de droit, comme s'il s'agissait de l'héritage du plus grand étranger. (Interruption.)
Je vais vous expliquer le fait. Un frère meurt. Les héritiers naturels sont le père et la mère. Ceux-ci disent : Nous avons assez de fortune et nous renonçons à la succession ; ils vont, en vertu du Code civil, devant le tribunal et ils déclarent renoncer à la succession, c'est-à-dire que leur successibilité, aux termes du Code, est comme si elle n'existait pas.
Eh bien, que fait payer le fisc au frère du mort ? Il lui fait payer un droit de 13 p. c. Est-ce tolérable ? Vous direz que le frère jouit plus vite de la succession, sans doute ; faites-lui payer un droit de 6 p. c, si vous le voulez ; mais 13 p. c., c'est de la dérision. Je vois là des impôts qui ont un cachet odieux, en ce sens qu'ils sont contraires à la justice ; car si les parents avaient accepté la succession, ils auraient payé 1 p. c. ; s'ils avaient ensuite faite un acte de mutation, on aurait payé 4 p. c, soit 5 p. c. au lieu de 13 p. c. Par conséquent parce qu'on a suivi les prescriptions de la loi, parce qu'on s'est conformé au code civil, on a dû payer 13 p. c. au lieu de 5 p. c.
Je signale ce fait à M. le ministre de la justice ; je suis certain que cela suffira pour qu'il porte remède à un pareil abus.
- Un membre. - Ce n'est pas là l'application de la loi de 1851.
M. Dumortier. - Ce n'est pas dans la loi de 185I ; c'est une conséquence qu'on en tire. Vous irez consulter un avocat, un professeur d'université, il vous dira : Allez devant le tribunal et déclarez que vous n'héritez pas. Et c'est ce qui est arrivé. (Interruption.) On peut être un grand avocat, un professeur d'université, et ne pas connaître les petites roueries des lois financières. (Interruption de M. d'Elhoungne.)
Je ne fais pas l'injure à mon honorable collègue M. d'Elhoungne de croire qu'il connaît toutes les roueries des lois fiscales. Car il ne serait plus le grand jurisconsulte que nous connaissons. C'est quand un homme plane sur les grandes questions, qu'il acquiert cette réputation que notre honorable collègue a si légitimement acquis, .il ne faut pas, en cas semblable, vous adresser à des avocats ; il faut vous adresser à de petits agents financiers ; ils en savent beaucoup plus qu'eux en semblable matière.
Ce sont là de véritables abus. Il n'est pas possible que l'on ait voulu sciemment arriver à de pareils résultats, et je suis convaincu que l'honorable ministre des finances a trop d'équité pour avoir voulu proposer des dispositions qui devaient conduire à de pareilles conséquences.
Je crois donc qu'il ne faut pas aggraver les dispositions des lois sur les droits de succession et que s'il y a quelque chose a faire, ce serait de réduire les droits au lieu de les augmenter, au lieu de recourir au serment, à la confiscation, à la recherche de la fortune présumée, tous moyens odieux, je le répète, et que vous ne feriez pas accepter par le pays.
MfFOµ. - Je n'ai que quelques mots à dire concernant le fait dont a parlé l'honorable M. Dumortier, je présume très fort qu'il s'agit de fraudeurs qui ont été pris dans leurs propres filets.
M. Dumortier. - Je connais les personnes et je vous garantis sur mon honneur qu'il n'y a pas eu la moindre intention de fraude. Tout s'est fait de la meilleure foi du monde et après avoir consulté un professeur de droit de l'université de Bruxelles, M. Oulif, qui était un homme bien capable.
MfFOµ. - D'après les faits tels que vous les avez rapportés, il est vraisemblable que les héritiers ont voulu éviter certains droits de succession au moyen de la renonciation dont vous avez parlé,
Mais on a oublié qu'il y a une disposition dans la loi qui considère toute renonciation de ce genre comme étant absolument sans valeur au point de vue du fisc. En effet, si l'on avait admis ces renonciations comme justes, il y aurait eu des fraudes en grand nombre.
Je n'ai pas pris la parole, du reste, pour relever les paroles de l'honorable M. Dumortier ; je ne voulais que répondre à l'assertion de l'honorable M. Watteeu, qui prétend que les justiciables des tribunaux de commerce seraient soumis à un impôt exceptionnel. L'honorable membre se trompe ; l'impôt n'est pas exceptionnel ; c'est au contraire un impôt de droit commun. Cet impôt est perçu, soit qu'il s'agisse d'actes présentés volontairement à l'enregistrement, soit qu'il s'agisse d'actes résultant de jugements.
Les personnes frappées par des condamnations judiciaires, dit-on, sont placées dans des conditions malheureuses, et on voudrait qu'elles fussent exemples de cet impôt. Ce n'est donc pas parce que l'impôt est exceptionnel, mais c'est par des considérations d'équité ou d'humanité qu'on voudrait les exempter.
J'ai montré les inconvénients qui résulteraient à toute évidence de ce que des actes passés par jugement fussent exempts du droit d'enregistrement ; il ne s'agirait pas seulement de condamnations, il s'agirait aussi de simples procès simulés, au moyen desquels on arriverait à éluder le payement du droit, sans nuire en aucune façon à la considération des parties intéressées.
Mais les motifs d'humanité que l'on invoque doivent s'étendre aux contestations civiles, car, parmi les individus qui ont des procès civils, il en est sans doute beaucoup qui ne sont pas dans une condition plus heureuse que ceux qui out des procès devant la juridiction consulaire.
C'est donc une exemption du droit que l'on réclame en faveur des personnes qui ne se trouvent pas dans une situation favorable.
Mais voyez-vous bien où un pareil système d'exception va vous conduire ? Tous les impôts sont réclamés des particuliers, abstraction faite des conditions heureuses ou malheureuses dans lesquelles ils se trouvent. Il faudrait donc aussi exempter de la contribution personnelle et de la patente les contribuables et les commerçants qui se trouveraient dans une situation défavorable.
Ce que demande l'honorable M. Watteeu est donc une chose tout à fait impraticable.
M. Watteauµ. - Je ferai remarquer à M. le ministre des finances que quand j'ai signalé cet impôt comme exceptionnel, j'ai entendu dire qu'il n'est payé que par ceux qui se trouvent dans la circonstance fâcheuse de devoir poursuivre un débiteur, tandis que le commerçant, qui n'éprouve pas cette contrariété, échappe à l'impôt. Voilà dans quel sens j'ai dit que l'impôt est exceptionnel.
- L'article est mis aux voix et adopté.
M. Hymans dépose le rapport de la commission qui a examiné les projets de loi relatifs aux actes d’accession des principautés de Schwarzbourg-Rudolfstadt, de Schwarzbourg-Sondersbausen, de Reuss, ligne aînée et de Reuss, ligne cadette, à la convention belgo-prussienne du 28 mars 1863.
- La Chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport en met les projets de lois à la suite de l’ordre du jour.
M. le président. - M. Tack, obligé de s’absenter pour affaires publiques, demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. de Moor, obligé de s’absenter, demande un congé.
- Accordé.
La séance est levée à 4 heures.