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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 7 novembre 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 81) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants d'Edegem protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »

« Même demande d'habitants de Mortsel. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi. »

- Même renvoi.

M. Vleminckxµ. - Je demande en outre que la commission soit invitée à faire un très prompt rapport sur cette pétition. L'affaire est d'une importance extrême pour la ville de Bruxelles, et j'espère que quand la commission des pétitions présentera son rapport, M. le ministre des travaux publics voudra bien donner quelques explications.

MfFOµ. - Messieurs, pour exécuter des travaux, il faut que le département des travaux publics ait de l'argent, et il ne peut avoir cet argent que quand le ministre des finances peut lui en fournir. Je crois donc pouvoir présenter à la Chambre, au sujet de la pétition que l'honorable M. Vleminckx vient d'appuyer, quelques observations qui sont la conséquence de la situation que je viens d'indiquer.

Messieurs, depuis quelque temps, on essaye d'agiter l'opinion publique à Bruxelles, en réclamant d'une manière très vive l'achèvement de la station du Midi. On a paru guidé dans ces tentatives par cette supposition, parfaitement erronée, que le gouvernement mettait une sorte de mauvais vouloir dans cette affaire, et que c'était par une espèce de. fantaisie bien inexplicable, qu'il ne poursuivait pas les travaux de la station du Midi.

Il faut l'avouer, messieurs, il eût été assez singulier de la part du gouvernement, s'il s'était trouvé en mesure de faire achever ces travaux beaucoup plus tôt, de ne pas l'avoir fait ; car, il faut bien le reconnaître, le gouvernement n'a absolument aucun intérêt à laisser cette affaire en souffrance ; il a, au contraire, un intérêt véritable à ce que la station soit achevée.

A des observations que l'on avait présentées à ce sujet dans cette Chambre, mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, avait répondu qu'on achèverait la station dès qu'on aurait des fonds. On avait paru satisfait de cette réponse, la seule d'ailleurs que le gouvernement pût faire.

Néanmoins, des réclamations très vives, je pourrais dire passionnées, se sont élevées à l'extérieur, contre la prétendue obstination du gouvernement ; on a même été jusqu'à soutenir que le gouvernement avait des fonds, et qu'ainsi rien ne pouvait justifier son attitude.

Le gouvernement, a-t-on dit, vient d'être autorisé à contracter un emprunt de 60 millions ; donc il a des ressources plus que suffisantes pour terminer la station. On a répandu dans le public cette assertion, en la soutenant avec une conviction telle, que le public aurait bien pu finir par l'accepter comme exacte, et l'on s'est dit : Faisons de l'agitation ; il faut forcer la main au gouvernement puisqu'il se refuse à agir ; il faut lui arracher les sommes nécessaires pour l'achèvement des travaux de la station du Midi ; le gouvernement ne fait rien pour la capitale ; ainsi par exemple, pour les travaux de la Senne, que de difficultés n'a-t-on pas rencontrées de la part du gouvernement ? Là encore, il a fallu lui arracher quelques millions pour l'assainissement de la capitale, tandis que pour telles ou telles localités, et spécialement pour Liège, naturellement, des millions sont donnés incontinent, avec la plus grande facilité. Et l'on a été jusqu'à inventer des chiffres pour justifier cette dernière assertion.

Messieurs, il importe de dissiper ces erreurs, pour que les hommes de bonne foi ne se laissent pas égarer par de pareilles allégations.

Il est tout à fait contraire à la vérité qu'il ait fallu en quelque sorte obséder le gouvernement pour en obtenir la subvention qu'il a proposé aux Chambres d'allouer pour l'exécution des travaux de la Senne : c'est sur l'initiative du gouvernement, et, puisqu'on m'oblige à le dire, sur mon initiative personnelle, que ce crédit a été demandé à la Chambre, sans qu'aucune espèce de démarche ait été faite par une personne quelconque, soit par un membre de la législature, soit par l'administration communale de Bruxelles.

Le gouvernement et les Chambres, dans toutes les circonstances, se sont montrés très bienveillants à l'égard de la capitale ; le gouvernement et les Chambres se sont toujours montrés disposés à concourir à sa splendeur, à son embellissement, à son assainissement ; tout comme ils sont très disposés à achever la station du Midi, dès qu'on le pourra.

Les 60 millions dont on a parlé, je l'ai déjà dit bien des fois dans cette Chambre, sont destinés à acquitter des engagements qui sont contractés, et non pas à contracter des engagements nouveaux ; et non seulement il faut ces 60 millions, mais il en faut 80 ou 90 pour acquitter tous les engagements antérieurs. Les travaux complémentaires de la station du Midi ne sont pas compris dans leur chiffre. Les crédits qui ont été votés pour cette station sont épuisés. Il faudrait d'autres crédits pour continuer les travaux.

Quand proposera-t-on ces crédits ? Sans aucun doute, messieurs, aussi vite qu'on le pourra. Nous aurons à constater, dans un délai qui n'est pas éloigné, quelle sera véritablement notre situation ; ce n'est qu'alors que nous connaîtrons les ressources que nous procurera l'exercice actuel, et qui pourront éventuellement être appliquées à des travaux publics, tels que l'achèvement de la station du Midi et autres, car il en est d'autres qui ne sont pas moins urgents ; et je puis dire que, dans le cours de la présente session, avant que s'ouvre la saison des travaux, nous aurons l'occasion de proposer des crédits pour compléter ceux qui sont en cours d'exécution, et qui n'attendent que des crédits nouveaux pour pouvoir être parachevés.

Voilà quelle est la véritable situation de cette affaire, et je pense que, moyennant cette explication, l'honorable député de Bruxelles se déclarera complètement satisfait.

M. Watteeuµ. - Messieurs, je ne complais pas prendre la parole pour appuyer la pétition dont il vient de. vous être donné lecture et je vais vous en indiquer les motifs.

J'ai fait partie d'une députation déléguée par le conseil communal de Bruxelles pour faire auprès de M. le ministre des travaux publics une démarche qui avait pour but de savoir quelles dispositions le gouvernement était intentionné de prendre pour hâter l'achèvement de la station du Midi.

Les paroles que l'honorable ministre des travaux publics a prononcées étaient des plus rassurantes et je m'en étais déclaré satisfait.

Je regrette de trouver dans le langage que vient de tenir l'honorable ministre des finances une contradiction complète avec l'espérance, je ne dis pas l'assurance, que M. le ministre des travaux publics nous avait donnée. Nous pouvions croire, d'après sa réponse, qu'il ne s'écoulerait pas quinze jours avant que les nombreux intérêts engagés dans cette question eussent obtenu satisfaction. Or, M. le ministre des finances nous apprend que ce ne sera que dans le cours de la session et après un examen qui pourra demander un temps plus ou moins long que nous pourrons être fixés sur le point de savoir quand et comment on achèvera enfin cette interminable station du Midi.

On nous dit que les crédits spéciaux qui avaient été votés pour cet (page 82) objet sont épuisés. Mais qu'on y prenne garde : il y a là tout au moins à s'attribuer une certaine imprévoyance ; on n'entame pas des travaux de cette importance sans savoir à l'avance dans quelle mesure on s'engage.

Il y avait aussi à se préoccuper de l'intérêt des nombreux propriétaires qui ont engagé leur fortune sur une décision qu'ils devaient considérer d'une réalisation prochaine et qui s'éloigne au contraire d'une façon indéfinie.

N'est-il pas d'ailleurs déplorable que dans la capitale, une des principales stations présente l'aspect hideux que nous connaissons tous de la gare actuelle du Midi ? Je laisse de côté pour un instant les intérêts privés, qui doivent moins nous toucher, pour n'envisager que l'intérêt général, qui doit nous toucher principalement.

Je dis qu'au point de vue de la splendeur de la ville de Bruxelles, au point de vue de l'opinion que doivent se faire les nombreux étrangers qui s'y rendent par la station du Midi, la situation actuelle est déplorable et qu'il n'est pas d'efforts qui doivent coûter, soit au gouvernement, soit à n'importe qui, pour mettre un terme à une pareille situation Dans tous les cas, cette station qui n'a jamais en que l'aspect d'une grange, tombe de délabrement, de vétusté, à l'heure qu'il est, et est devenue plus impropre que jamais à la destination trop longtemps provisoire qu'on lui avait donnée.

J'insiste donc à mon tour, comme l'a fait l'honorable M. Vleminckx pour qu'il soit fait un prompt rapport sur la pétition qui nous occupe, et j'insiste auprès du gouvernement pour qu'il veuille bien, dans le plus bref délai possible, prendre des mesures sérieuses pour mettre un terme à une, situation intolérable,

MtpVSµ. - Mon honorable collègue des finances vient de confirmer la déclaration que j'ai faite à l'honorable M. Watteeu dans une simple conversation. L'honorable M. Watteeu m'a interpellé sur la question de savoir si le gouvernement mettrait des fonds à la disposition de mon département pour l'achèvement de la station du Midi ; j'ai eu l'honneur de dire à l'honorable membre, comme vient de le faire l'honorable ministre des finances, que le gouvernement est aussi bien disposé à cet égard que quelque membre que ce soit du conseil communal ou que quelque habitant de Bruxelles, et que des fonds seraient mis à la disposition de mon département aussitôt que faire se pourrait. Je suis donc en parfaite concordance avec les paroles que vient de prononcer mon honorable collègue des finances et je n'ai pas dit autre chose à l'honorable M. Watteeu. Nous reconnaissons qu'il est urgent d'achever la station du Midi, mais il est tout aussi urgent d'achever la station de Mons, la station de Charleroi...

M. Allard. - Et la station de Tournai.

M. Tack. - La station de Courtrai.

MtpVSµ. - Et la station de Tournai, et même celle de Courtrai, si l'on veut ; comme nous venons de le dire, il n'y a pas de fonds pour le moment, nous ne pouvons pas même dire quand il y en aura.

Nous ne connaissons pas encore exactement la situation du trésor, en ce qui concerne les excédants de cette année ni en ce qui concerne les excédants probables de l'année prochaine. Aussitôt que le gouvernement pourra proposer aux Chambres l'allocation de nouveaux crédits pour l'achèvement de diverses stations, il le fera avec une véritable satisfaction.

M. Carlierµ. - Lorsque j'ai demandé la parole, M. le ministre des finances n'avait pas compris la station de Mons dans les travaux d'utilité publique pour l'achèvement desquels il se propose de pétitionner un crédit dans le cours de la session. J'ai entendu avec la plus grande satisfaction l'honorable ministre des travaux publics ranger cette station importante sur le même rang que la station du Midi. Je remercie l'honorable ministre des travaux publics de ses bonnes intentions, et pour en profiter plus largement, je le prie de vouloir bien faire rechercher, par le fonctionnaire de son département que cela concerne, les moyens d'apporter des changements à l'organisation des trains de voyageurs sur la ligne du Midi.

Cette organisation pour la période d'hiver laisse énormément à désirer. Ainsi les rapports entre le couchant de Mons et cette capitale sont complètement suspendus pendant une grande partie de la journée. Entre midi et six heures du soir il n'y a aucun train entre Quiévrain, Thulin, Boussu et Mons. Je ferai remarquer en outre que la plupart des trains de la ligne du Midi rompent charge à Braine. Cet état de choses tend enlever à l'arrondissement de Mons une partie des bienfaits que tout le pays doit attendre de l'institution des chemins de fer.

J'appelle sur ces divers points l'attention sérieuse de l'honorable ministre des travaux publics.

M. Watteeuµ. - Je reprends la parole uniquement pour que la Chambre ne pense pas, comme elle pourrait l'inférer des paroles de l'honorable ministre des travaux publics, que je sois venu faire état devant elle d'une simple conversation particulière.

Je ne me le serais pas permis. Lorsque j'ai fait allusion aux paroles proférées par M. le ministre des travaux publics, j'ai entendu rappeler la réponse qui a été faite, non pas à moi personnellement, mais à une députation parlant au nom du conseil communal de Bruxelles, composée de son bourgmestre dont je regrette l'absence en ce moment, et de deux membres du collège. C'est donc à une députation qu'a été faite la réponse que je rappelais tantôt. Je tiens à redresser cette erreur involontaire de la part de l'honorable ministre des travaux publics et je demande la permission de lui rappeler, pour rafraîchir ses souvenirs et écarter tout malentendu, que le bourgmestre lui a dit que le conseil communal serait probablement convoqué dans la quinzaine.

La dernière séance ayant eu lieu le lundi de la semaine dernière, c'était lundi prochain que la séance à laquelle faisait allusion M. le bourgmestre devait avoir lieu. Je prie encore M. Je ministre de se rappeler qu'il nous a donné l'espérance sérieuse que nous pourrions rapporter au conseil communal, à sa prochaine séance, des paroles très rassurantes.

MtpVSµ. - La première rectification de l'honorable M. Watteeu est fondée ; je parlais de conversation parce que c'est dans le sein de cette Chambre que MM. les membres du collège se sont adressés à moi, mais il est hors de doute que la conversation que nous avons eue ici devait tenir lieu de l'audience que ces messieurs se proposaient de me demander. Pour le fond il est donc entendu que c'est officiellement que ces messieurs se sont adressés à moi. Je leur ai répondu que probablement dans la quinzaine ils pourraient, avoir une réponse ; mais j'ai ajouté que la question dont il s'agissait concernait plus directement ou plutôt exclusivement mon collègue des finances.

L'honorable M. Watteeu voudra bien me donner acte à son tour de la véracité de ces paroles.

J'ai dit que dans la quinzaine, j'aurais probablement occasion de conférer à ce sujet avec mon collègue. Voilà tout ce qui a été dit entre nous.

Pour répondre aux observations de l'honorable M. Carlier, je dirai d'ailleurs que j'estime qu'il ne serait pas possible de demander de l'argent pour Bruxelles sans en demander également pour Mons, pour Tournai et pour Charleroi.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Dans les 60 millions votés par la législature étaient compris quelques millions, quatre si je ne me trompe, destinés à compléter l'outillage des établissements maritimes à Anvers.

J'ai été surpris tantôt de la déclaration faite par M. le ministre des finances qui nous a déclaré que les crédits dont il a été question sont épuisés.

Or, jusqu'à présent, les sommes qui avaient été allouées pour ces travaux n'ont pu être employées ; je voudrais savoir du gouvernement quel est le véritable état des choses à cet égard.

M. le président. - Nous nous écartons encore de la question.

M. Coomans. - A chacun sa part.

MtpVSµ. - Les fonds qui ont été votés pour Anvers sont parfaitement libres, à l'exception de ce qui a été dépensé pour l'amélioration de la situation à Anvers, qui laissait tant à désirer naguère.

M. le président. - M. Vleminckx insiste-t-il sur sa demande de prompt rapport ?

M. Vleminckxµ. - Oui, M. le président.

- La demande de prompt rapport est adoptée.


« Le conseil communal de Corbion prie la Chambre d’accorder à la compagnie Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée à l'importance des lignes qu'elle aurait à construire, et d'accueillir favorablement toute demande de suppression des voies les moins utiles. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


(page 83) « Par deux pétitions, des habitants de Bruxelles demandant l'abolition du tirage au sort pour la milice. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Ville-en-Hesbaye réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir l'exécution du chemin de fer de Landen à Aye par Hannut et Huy. »

- Même renvoi.


« Des bateliers, doyens et administrateurs de la Société mutuelle des bateliers de Tournai demandent la suppression des impôts auxquels ils sont soumis. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le sieur Ulmann, Emile, commissionnaire en fonds publics à Bruxelles, né à Mannheim, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le conseil communal de Gand prie la Chambre d'augmenter le crédit porté au budget de l'intérieur, pour encourager les travaux d'assainissement que font exécuter les communes. »

M. de Kerchove de Denterghemµ. - Je demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.

- Adopté.


« M. David, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Jouret, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1868

Discussion du tableau des recettes (I. Impôt)

Contributions directes, douanes, accises

Droit de débits de tabacs

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'article « Droit de débit de tabacs, 248,000 francs » et sur l'amendement de M. Coomans, ainsi conçu :

« Inscrire après les mots : droit de débit de tabacs, les mots : droit de chasse.....(chiffre à proposer par le gouvernement). »

La parole est à M. Coomans pour développer cet amendement.

M. Coomans. - Je me bornerai à quelques mots, croyant avoir déjà fait comprendre hier la portée de mon amendement.

Je le déclare, en toute conscience, l'impôt dont sont frappés les permis de port d'armes me paraît être un impôt beaucoup plus direct que l'impôt sur le débit des boissons fortes. Cet impôt de 32 francs sur les ports d'armes est un impôt direct à tous les points de vue. Il est personnel, il est nominatif ; il n'est pas remboursé, du moins en thèse générale, par des tiers, comme l'impôt des cabaretiers est remboursé par les buveurs. Donc, à tous les points de vue, il me paraît être un impôt direct.

La forme de la perception est indirecte, je le sais ; mais la forme n'y fait rien. Le timbre n'est pas même nécessaire. La signature d'une autorité quelconque sur la pièce dont le chasseur est muni pourrait suffire. L'essentiel, c'est la perception de la somme, et cette somme devrait compter pour la formation du cens électoral.

Quelle différence y a-t-il donc entre l'usage d'un cheval et l'usage d'un fusil ? En général, pour me servir d'un cheval, j'ai à payer un impôt. Cet impôt me compte pour le cens électoral. Pour me servir d'un fusil, j'ai à payer une somme à peu près égale et cette somme n'est pas comprise dans le cens électoral.

Messieurs, quand on se livre à tous les efforts ingénieux, trop ingénieux, que nous avons vus pour augmenter le nombre des électeurs par des interprétations raffinées jusqu'à l'absurde, je crois qu'il est de notre devoir strict d'admettre comme impôt direct tous ceux qui peuvent être raisonnablement comptés comme tels.

Quels inconvénients verriez-vous à considérer comme impôt direct le droit de port d'armes ? J'attends que vous m'en désigniez ?

Messieurs, la patente même est moins directement perçue que ne l'est le droit de chasse. La patente n'est qu'une forme du droit d'accise, tandis que le droit de chasse est un impôt personnel, nominatif et par conséquent direct.

Avant d'en dire davantage, j'écoulerai les objections qu'on pourrait me faire.

MfFOµ. - Messieurs, je ne crois pas que la proposition de M. Coomans soit sérieuse.

M. Coomans. - Pourquoi ?

MfFOµ. - Je me suis imaginé que ce n'était qu'une petite espièglerie, introduite à dessein dans la discussion, pour essayer de faire croire à l'absurdité de la résolution prise hier par la Chambre. (Interruption.)

Messieurs, ce que l'on dit des permis de port d'armes, on peut le dire de tout papier timbré. Ce que l »on annonce vouloir faire pour les ports d’armes, rien n’empêcherait, par voie de conséquence, de le faire d’une manière générale pour tous les impôts assis sur le timbre. Ce sera un commencement d’application d’un système de transformation des impôts indirects en impôts directs, dans le but de créer des électeurs.

Messieurs, le permis de port d'armes est une mesure de police ; dans l'état actuel des choses, la délivrance de ce permis est subordonnée au consentement du gouverneur ; on n'obtient un port d'armes que si le gouverneur ne s'y oppose point ; et même le gouverneur, par des raisons dont il est seul appréciateur, sous la responsabilité du gouvernement, peut encore retirer à un particulier le port d'armes qui lui a été délivré.

Je ne sais si, dans ces conditions, et à part toutes les autres considérations que l'on peut faire valoir contre la proposition de M. Coomans, l'impôt sur les ports d'armes peut être admis comme base d'un bon système électoral, tel que M. Coomans le désire ; car ce serait le gouverneur qui créerait et qui supprimerait des électeurs.

Je crois que si M. Coomans veut arriver à un résultat un peu pratique, il devrait étudier l'ensemble de la législation. Il ne suffit pas d'inscrire dans la loi : « droit de chasse (chiffres à fixer par le gouvernement), » pour que nous arrivions à une solution un peu satisfaisante.

Je pense donc que, dans l'état actuel des choses, il y a lieu de renvoyer l'amendement à une étude ultérieure.

M. Thibautµ. - Messieurs, il me paraît que les objections faites par M le ministre des finances à la proposition de l'honorable M. Coomans sont très peu sérieuses.

M. le ministre prétend que si la proposition de l'honorable M. Coomans, quant au permis du port d'armes, est admissible, il faut l'appliquer à l'usage de tout papier timbré.

Mais, messieurs, on ne peut pas acheter un permis de port d'armes comme on achète un timbre de 45 centimes.

Le papier timbré est une feuille blanche délivrée par l'administration ; le permis de port d'armes est un titre personnel.

L'assimilation est complètement impossible, mais, à M. le ministre, qui demandait, hier, quelle différence il y a entre le droit de débit sur les boissons distillées et la patente, je demanderai à mon tour quelle différence il y a entre la patente et le port d'armes ?

M. le ministre des finances dit encore que le permis du port d'armes est délivré arbitrairement par le gouvernement, que le fonctionnaire est complétement libre de refuser un permis de port d'armes, de le retirer même à celui qui en a obtenu un.

Je crois que c'est une erreur. Toute personne qui, remplissant certaines conditions, demande un port d'armes, a droit de l'obtenir. Quand le gouverneur peut-il le refuser ? C'est lorsque l'individu qui le demande n'est point propriétaire d'une certaine quantité de terres, ou n'a pas de permission de chasse délivrée par un propriétaire.

Mais si cette condition est remplie, le gouverneur ne peut pas refuser le port d'armes. Je me trompe ; le gouverneur peut encore le refuser à celui qui a été condamné antérieurement pour un délit de chasse.

Hors ces deux cas, le gouverneur ne peut pas refuser un port d'armes. D'ailleurs, messieurs, ce n'est pas là un argument. et en effet, il y a certains établissements industriels qui ne peuvent être fondés qu'avec l'autorisation, soit du gouvernement, soit de la députation permanente, et cependant les patentes exigées pour l'exploitation de ces établissements comptent pour le cens électoral, nonobstant la part faite à l'intervention des autorités provinciales ou du gouvernement.

Ainsi, messieurs, la proposition de l'honorable M. Coomans est loin d'être une espièglerie ; c'est au contraire là réponse de M. le ministre des finances au discours de mon honorable collègue qui n'est pas sérieuse.

M. Coomans. - Messieurs, M. Frère qualifie d'espièglerie la proposition que j'ai soumise à la chambre ; il ne m'accuse d'avoir fait une espièglerie que pour se dispenser de me répondre sérieusement.

Messieurs, il y a de grandes espiègleries et de petites espiègleries. Eh bien, de grandes espiègleries ont été commises par le ministère, notamment au sujet de la grave question qui nous divise, je veux parler de la question militaire.

C'est là que nous avons vu le ministère faire depuis vingt ans de grosses espiègleries ; malheureusement elles nous coûtent beaucoup trop cher.

(page 84) J'ai demandé pourquoi un impôt directement, nominativement et personnellement perçu ne serait pas un impôt direct, alors que le droit de débit des boissons distillées est considéré comme un impôt direct.

On a dit que le permis de port d'armes est un timbre. Mais le timbre n'est pas indispensable pour exercer le droit de chasse ; vous pouvez vous dispenser du timbre : une signature pourrait suffire ; vous pouvez recourir à d'autres formalités ; j'y consens ; vous n'en aurez pas moins un impôt direct.

J'ai laissé en blanc le chiffre qui doit suivre mon amendement, parce que je ne connais pas au juste le produit des ports d'armes. C'est à M. le ministre des finances, de nous le fournir, et j'espère qu'il nous l'indiquera, l'amendement ayant été imprimé hier au soir et les fonctionnaires du département des finances ayant eu tout le temps de lui fournir les renseignements nécessaires.

Encore deux mots.

C'est donc un impôt direct. L'impôt sur le fusil est aussi direct que l'impôt sur le cheval.

Pour jouir du port d'armes, il faut remplir certaines conditions. Je consens à les maintenir, même à les aggraver.

Mais il ne faut pas faire mentir la science économique ni la loi. Si le droit de débit de boissons fortes est un impôt direct, le droit de chasse, qui est bien plus personnel, est un impôt plus direct.

Vous augmenterez ainsi le nombre des électeurs et vous ne les prendrez plus dans les classes les plus infimes de la société. Vous les prendrez dans les classes relativement honorables et dans celles qui, d'après l'hypothèse et la fiction constitutionnelle, jouissent de plus de fortune.

J'insiste sur mon amendement.

MfFOµ. - Messieurs, j'ai fait observer que tous les prétextes que l'on alléguait pour transformer le droit de timbre des permis de port d'armes en impôt direct, afin de le comprendre au nombre des bases du cens électoral, on peut les alléguer également pour tous les droits de timbre en général. Non, dit-on ; le permis de port d'armes est délivré nominativement à un particulier, tandis que les papiers timbrés ne sont pas délivrés dans ces conditions. Mais à cela je réponds que, de même que vous modifiez la situation actuelle pour transformer un droit de timbre spécial en un impôt direct, on peut parfaitement transformer tous les droits de timbre en impôts directs. On n'a qu'à remettre nominativement au particulier qui achète du papier timbré, une quittance de la somme qu'il aura payée, et dès lors ce sera, à votre sens, suivant le raisonnement que vous prétendez irréfutable eu ce qui concerne les permis de port d'armes, un impôt direct, qui devra être compté dans le cens électoral.

M. Coomans. - C'est l'emploi du timbre qu'il faut considérer.

MfFOµ. - C'est l'emploi du timbre ! Mais est-on obligé de chasser quand on a un port d'armes ? On fait usage ou l'on ne fait pas usage de ce papier timbré. Du moment que vous en êtes arrivé à rechercher des expédients pour déguiser des impôts indirects, afin de les faire compter dans le cens électoral, l'expédient que j'indique vaut bien, sans doute, celui que vous proposez.

Vous dites : Plus de timbre pour le port d'armes, mais un impôt direct. Je pourrais contester que le droit de timbre que l'on paye pour obtenir un permis de port d'armes, ait le caractère d'un impôt. C'est par mesure de police que l'on exige que celui qui veut faire usage d'une arme pour chasser, soit muni d'un permis, que l'on peut d'ailleurs lui refuser pour certains motifs. Le droit de timbre n'est qu'un accessoire.

L'honorable M. Thibaut ne croit pas que, sous la législation actuelle, il dépende des gouverneurs de refuser un port d'armes et même de le retirer quand il est accordé Cependant, il en est ainsi, quoi qu'en dise l'honorable M. Thibaut. J'ai souvenir que l'honorable M. de Brouckere, étant gouverneur de la province d'Anvers, a retiré un permis de port d'armes à un particulier à qui il avait été délivré, et que l'on a contesté ce droit au gouverneur. L'affaire a été portée devant les tribunaux, et la cour de cassation a jugé que c'était en effet une mesure de police qui ne pouvait pas être déférée aux tribunaux ; que le gouverneur avait le pouvoir, en vertu de la loi, d'accorder ou de refuser, et même de retirer le permis de port d'armes.

M. Coomans. - On peut changer cela.

MfFOµ. - C'est pour cela que j'ai conclu tout à l'heure en disant qu'il fallait mettre votre proposition à l'étude. Mais vous ne pouvez en ce moment proposer une semblable innovation ; vous ne pouvez faire que les électeurs d'une province soient à la merci d'un gouverneur qui pourra en créer ou en supprimer à volonté. Or, dans l'état actuel de la législation, ce serait la conséquence évidente de la proposition que vous avez formulée.

M. Thibautµ. - L'assimilation que M. le ministre des finances continue à vouloir faire entre le timbre et le permis de port d'armes tombe nécessairement devant cette seule observation ; si vous achetez du timbre, vous pouvez le revendre et celui qui en achète en seconde main peut s'en servir.

MfFOµ. - Qu'est-ce que cela fait ?

M. Thibautµ. - Mais vous ne possédez plus rien lorsque vous avez revendu, tandis que d'un port d'armes vous seul pouvez vous en servir.

M. le ministre dit aussi : C'est une mesure de police, mais le droit sur le débit des boissons distillées n’a-t-il pas été établi surtout comme mesure de police ? Vous voyez donc que si cet argument qu'on nous oppose a quelque valeur, il s'applique également au droit de débit sur les boissons. Qu'on range donc les deux droits dans la même catégorie, qu'ils soient tous deux considérés comme impôts directs, puisque la majorité a décidé que le second avait ce caractère.

Ce qui prouve encore que le droit sur le port d'armes est un impôt, et non une simple mesure de police ou un droit de timbre, c'est que les provinces, en quête de ressources nouvelles, n'ont pas hésité à l'augmenter ; presque toutes les provinces l'ont fait. Les unes ont frappé le port d'armes d'un droit supplémentaire de 10 francs, les autres de 5 francs. Dira-t-on qu'elles peuvent faire la même chose pour le droit de timbre ? C'est une nouvelle preuve qu'aucune assimilation n'est possible entre ces deux choses.

M. Delaetµ. - J'avais surtout demandé la parole pour faire l'observation que vient de présenter l'honorable M. Thibaut et que j'avais déjà faite en interrompant M. le ministre des finances. Il est évident qu'entre du timbre que l'on achète et qu'on revend à volonté, et un timbre personnel dont on doit faire usage personnellement sous peine de le voir frapper de nullité, il n'y aucune assimilation possible.

Puisque j'ai la parole, je ferai observer que le droit absolu accordé aux gouverneurs de province de donner ou de refuser des permis de chasse ne me paraît pas être sérieux ni pratique. Il ne se peut pas qu'un gouverneur de province refuse à un propriétaire ou à un locataire de chasse contre lequel il n'a pas de raisons sérieuses à faire valoir, le droit qu'a tout citoyen de profiter de la loi sur la chasse.

MfFOµ. - C'est la législation.

M. Delaetµ. - Eh bien, dans ce cas la législation est mauvaise, et la loi sur la chasse, qui est déjà l'arbitraire, est couronnée par l'arbitraire gouvernemental.

Je ne comprends pas qu'une législation pareille existe en Belgique. Si elle existe, il est de toute urgence de la réformer.

M. Dumortier. - Je conçois parfaitement que les personnes qui regardent l'impôt sur le droit de débit des baissons distillées comme ne pouvant pas compter dans le cens électoral, puissent combattre l'amendement de l'honorable M. Coomans ; mais que ceux qui soutiennent que le droit de débit des boissons distillées doit compter dans le cens électoral demandent que le permis de chasse n'y compte pas, c'est ce que je ne conçois pas.

M. le ministre des finances a dit : Ainsi, avec votre système, vous pouvez transformer un impôt indirect en un impôt direct. Mais qu’a-t-on fait autre chose dans la loi sur le débit des boissons distillées. On a fait plus, on a transformé un droit d’accise en un impôt direct pour faire des électeurs. Car il a été démontré jusqu’à la dernière évidence en 1838, et la Chambre, sous ce rapport, n’a pas hésité à voter que le droit de débit était une forme de l’accise et que par conséquent il ne pouvait pas compter dans le cens électoral.

En 1849, que s'est-il passé ? L'honorable M. Verhaegen, président dc la section centrale, comprenait tellement bien ce qui s'était passé en 1838, que, d'accord avec la section centrale, il avait proposé d'introduire, dans la loi que l'on discutait, un amendement ainsi conçu : « Cet impôt comptera dans le cens électoral. » Eh bien, qu'a fait la Chambre ? L'honorable M. Frère a dit que c'était inutile. Cependant la section centrale n'a pas retiré l'article comme elle fait toujours, quand une disposition est reconnue inutile. L'article a été mis aux voix et repoussé par la Chambre.

M. le président. - M. Dumortier, cette discussion a été épuisée dans la séance d'hier. Veuillez vous concentrer dans le débat actuel.

M. Dumortier. - M. le président, je réponds à l'observation qui a été faite à l'honorable M. Coomans.

(page 85) Vous avez reproché à l'honorable M. Coomans de vouloir faire des impôts directs avec fies impôts indirects.

Je dis que je puis voter, moi, dans le sens de vos paroles, mais que vous ne pouvez voter de la sorte.

Je puis, moi, voter contre l'amendement de l'honorable M. Coomans, parce que je ne veux pas qu'on transforme les impôts directs en impôts indirects ; mais vous, qui avez fait cela et qui soutenez encore que vous avez bien fait, vous n'avez pas le droit de voter contre l'amendement de l'honorable M. Coomans. Je suis donc complètement dans mon rôle.

Je dis que la Chambre a rejeté l'amendement présenté à la section centrale. Malgré cela, les cabaretiers sont devenus électeurs et la majorité a décidé hier qu'elle entendait les maintenir et continuer de jouir du bénéfice de ces 12,000 électeurs qui la constituent, elle qui prétend représenter le peuple belge et qui représente bien plutôt les cabaretiers.

Je dis pour mon compte que lorsqu'on agit de la sorte, il serait logique d'accepter l'amendement de l'honorable M. Coomans. Quant à moi, je ne le voterai pas, parce que je. veux être logique, parce que j'ai déclaré que l'impôt sur les distilleries est un impôt d'accise et ne peut compter dans le cens électoral,

Je ne le félicite pas moins de l'avoir présenté, ne fût-ce que pour mettre en lumière qu'il y a deux poids et deux mesures.

On veut bien avoir les cabaretiers parce qu'on aime mieux avoir des serviteurs que des électeurs, mais on ne veut pas de jeunes gens de famille qui ont un port d'armes parce qu'ils ne seraient pas avec vous peut-être.

Je reconnais pour mon compte que cela ne constitue pas des impôts directs.

L'impôt direct est déterminé en termes formels par la loi de 1821 que le Congrès avait en vue quand il faisait la loi électorale.

La loi de 1821 n'a pas fait de définitions, elle a fait mieux, elle a catégorisé les impôts et c'est à cette loi que vous devez recourir pour savoir ce que signifient les mots : impôls directs.

Tout législateur parle le langage de son époque et le législateur de 1830 parlait le langage dii législateur de 1821.

Je dis donc qu'en vertu de la loi de 1821 l'impôt sur les boissons était une forme de l'accise, mais dans la loi de 1821 il y avait aussi le timbre qui figurait dans les impôts indirects et dès lors je ne puis voter l'amendement de l'honorable M. Coomans.

M. de Brouckere. - Messieurs, on prétend qu'il y a une inconséquence à considérer l'impôt sur les boissons comme un impôt direct et à ne pas admettre également comme impôt direct le payement du prix d'un port d'armes.

Mais je vous prie de remarquer, messieurs, que, pour être électeur, il ne suffit pas de payer une certaine somme, qu'il faut posséder la base de l'impôt pour lequel on paye une certaine somme.

Ainsi, par exemple, vous aurez beau payer l'impôt sur un cheval, si vous ne possédez pas le cheval, cet impôt ne comptera pas pour vous constituer le cens électoral.

Vous aurez beau payer 20 ou 50 francs pour avoir le droit de tenir un débit de boissons, si vous n'avez pas l'établissement, cette contribution ne vous compte pas pour le cens électoral.

Eh bien, je vous demande où est la base que l'on peut posséder en acquittant le prix d'un port d'armes !

M. Coomans. - Le fusil et la terre.

M. de Brouckere. - La base n'existe pas.

Voyez où vous arriveriez si vous admettiez la proposition de l'honorable M. Coomans. Tout propriétaire peut nommer un garde-chasse. Ce garde-chasse est admis à prêter serment et peut dresser des procès-verbaux.

Le garde-chasse se présentant pour obtenir un port d'armes, l'obtient avec la plus grande facilité. Il en résulterait donc, si vous adoptiez l'amendement, que tout propriétaire pourrait créer un, deux et même trois électeurs, sans qu'ils payassent d'impôt. Plus que cela, je suppose qu'un propriétaire ayant, une année, nommé un ou deux gardes-chasse, ces électeurs ne votent pas comme le propriétaire le désire, il destitue ces gardes-chasse et en nomme deux, en nomme trois autres. Je le répète, ce serait donner à chaque propriétaire le droit de nommer deux ou trois électeurs, obligés de voter comme il l'entend.

- La proposition de M. Coomans est mise aux voix, elle n'est pas adoptée.

Douanes

M. Couvreurµ. - La Chambre vient de se livrer pendant plusieurs jours à une étude approfondie sur les abus du droit de débit.

Il eût été non moins intéressant d'étendre ce débat à tout le système de nos impôts, de montrer combien ce système est défectueux, empirique, injuste dans ses applications, néfaste dans ses conséquences, quelle part beaucoup trop grande il fait aux traditions du passé, à la facilité de perception, aux habitudes prises des victimes qu'il écrase, en méconnaissant à la fois leurs intérêts et leurs droits, le développement de leur richesse et de leur moralité, ruinant l'avenir au profit du présent, viciant jusque dans ses bases notre organisation politique.

La discussion de cette année sur le droit électoral et sur ses origines, les vœux émis par un grand nombre de sections en faveur d'une transformation de nos impôts, les délibérations des institutions qui représentent plus directement les intérêts matériels des populations, chambres de commerce, conseils supérieurs d'agriculture, d'industrie et de commerce, le remarquable rapport de la section centrale, toutes ces circonstances avaient préparé les esprits à accueillir avec faveur un pareil examen.

J'ai eu un moment la tentation d'en prendre l'initiative dans la discussion générale et je n'y ai pas renoncé sans regret, mais des considérations d'un ordre supérieur m'ont retenu.

Lorsqu'un pays se sent riche et prospère, lorsque ses ressources se développent, lorsque le travail abonde, lorsque l'ouvrier encombre les ateliers et que son salaire est supérieur à ses besoins, on peut impunément et sans hésitation dévoiler les abus, les dénoncer, les attaquer, en chercher le remède ; mais la prudence s'impose lorsque aux années d'abondance succèdent les années de disette, lorsque les temps d'épreuve arrivent, lorsque les recettes du trésor baissent avec les ressources qui les alimentent. A ces époques il faut mesurer son langage et craindre les fausses interprétations des meilleures intentions.

D'ailleurs voulût-on même se mettre au-dessus de ces considérations, encore faudrait-il se résigner devant cette vérité qu'à moins d'une nécessité absolue, le législateur dans les moments de crise recule devant les innovations, même lorsque leur excellence lui paraît prouvée. Il redoute l'inconnu et de crainte de tomber dans le pire ajourne le mieux.

Je ne parlerai donc ni du système général des impôts ni de la question plus restreinte de l'abolition des douanes.

Je veux examiner un point spécial dans la grande question qui nous occupe et j'espère que les raisons de prudence et de modération qui m'ont empêché d'aborder celle grande question, cette année, exerceront aussi quelque influence sur la Chambre lorsqu'il sera question des charges qu'on se propose d'imposer au patriotisme du pays.

Au lieu d'examiner en ce moment les questions qui peuvent se rattacher à la question de l'abolition des douanes, j'attendrai que cette question ait mûri dans l'opinion publique et qu'elle ait trouvé un Cobden pour la vulgariser, un Peel, un Gladstone pour la résoudre législativement, et puisque M. le ministre des finances a marché sur les traces de ces grands hommes, je le prierai très humblement de vouloir nous donner, au premier moment opportun, ce que nous demandons depuis si longtemps et ce que nous ne possédons pas encore : un tarif véritablement fiscal, un tarif simple, un tarif qui ne contienne plus de trace du système protectionniste.

Si je présente cette demande aujourd'hui, c'est parce que j'entrevois un danger et que je veux réagir contre ce danger. Je crains que l'administration des finances, se complaisant dans ce qu'elle a fait, ne me répond par l'organe de son chef : De quoi vous plaignez-vous ? Ce tarif, vous l'avez. Tout est fait ou peu s'en faut. Ce qui reste à faire ne mérite pas qu'on s'en occupe. Contemplons notre ouvrage et soyons satisfaits.

Il y a quelques années, deux, trois à peine, immédiatement, je crois, après la mort de lord Palmerston, lord J. Russell parlant à Edimbourg devant un meeting, car dans la Grande Bretagne les conseillers de la reine ne dédaignent pas de se mettre en rapports directs avec les assemblées populaires, énuméra, à propos de la réforme électorale, tout ce que les whigs, tout ce que lui-même avaient fait pour l'avancement de cette question.

Il dit à ses auditeurs combien il était sympathique à leurs désirs, mais il leur conseilla la patience et les comparant à un convoi de pèlerins qui gravit une haute montagne, il les convia au repos par cette phrase proverbiale qui fit bientôt le tour de l'Angleterre, criblée de railleries : Now rest and be thankful. Reposez-vous et soyez reconnaissants.

Vous savez, messieurs, comment le peuple anglais répondit à cette invitation. Il fut d'avis qu'un peuple n'a jamais le droit de se reposer, que les difficultés vaincues ne doivent être que des excitants à surmonter des difficultés nouvelles ; qu'il ne faut se complaire dans la contemplation du passé que pour y chercher un encouragement pour l'avenir ; que les (page 86) hommes d'Etat qui veulent s'arrêter, quels qu'aient été leurs mérites, leurs services, deviennent obstacles à leur tour et perdent le droit de conduire leurs adhérents à l'assaut d'un avenir meilleur.

Pour l'agitation qui naissait à peine, cette parole de satisfaction ministérielle fut un éperon. Vous savez où elle a abouti, malgré les prédictions de quelques hommes politiques et publicistes du continent, l'Angleterre jouit aujourd'hui d'une législation qui touche de près au suffrage universel ; qu'on pourrait appeler le suffrage universel dépouillé de tout caractère absolu et dangereux, et qu'il me soit permis de l'ajouter, non sans un certain sentiment d'orgueil, la formule par laquelle cette législation, grâce à l'énergie des réformistes et à l'habileté des torys a trouvé son expression, n'est que l'application aux usages de l'Angleterre d'une formule présentée devant cette Chambre lors de nos derniers débats et qui peut-être y eût trouvé un meilleur accueil, si les circonstances et le gouvernement avaient favorisé l'éclosion d'une réforme digne de ce nom.

Donc, messieurs, et c'est la seule conclusion que je veuille tirer de cette expression, il n'est pas toujours prudent de monter au Capitole avant l'heure et de se couronner de lauriers tant que l'ennemi est debout. Or c'est ce que l'administration des finances a fait dans la note préliminaire du budget des voies et moyens à propos des douanes, et c'est contre cette prétention que j'éprouve le besoin d'élever une énergique protestation.

Cette note, vous l'avez sous les yeux. Elle énumère tout ce que le gouvernement a fait depuis 1847 pour simplifier le tarif douanier, pour abaisser ou supprimer les taxes, pour accorder au commerce et à l'industrie de plus grandes facilités. A ce qui existait elle oppose ce qui est et elle termine ces observations par ces mots :

« Telle qu'elle est actuellement, notre législation douanière est une des meilleures et des plus libérales de l'Europe ; elle ne le cède en rien, même à celle des pays que chaque jour on cite comme exemples en cette matière. »

Cette assertion fût-elle vraie, ce ne serait pas encore une raison, pour dire : Maintenant reposons-nous et soyons satisfaits ; mais je demande à m'inscrire en faux contre elle et à prouver ma dénégation par le document même que le gouvernement a fourni, à l'appui de son assertion, à la section centrale qui lui en avait fait la demande ; par le tarif anglais, celui précisément que le budget des voies et moyens a en vue lorsqu'il déclare que notre tarif douanier ne le cède en rien à celui des pays qu'on cite comme exemples en cette matière.

Notez bien, messieurs, qu'il est loin de ma pensée de contester le mérite de ce qui a été fait. Je rends hommage aux travaux des dernières années Je n'hésite pas à reconnaître que, conformément au programme développé en 1851 par l'honorable M. Frère, beaucoup de progrès ont été réalisés, que le gouvernement, énergiquement soutenu, secondé, poussé trop à son gré quelquefois, par les amis des réformes, nous a fait sortir du système protectionniste et restrictif pour faire marcher la Belgique au premier rang des nations qui reconnaissent la vérité des principes du libre échange. Je reconnais que les Chambres et l'administration l'ont suivi loyalement dans cette voie, les unes en votant ses propositions avec faveur, l'autre en n'en contrariant pas l'application, ce qui au surplus, pour l'administration, n'est que l'application d'un devoir strict.

Mais ce que j'affirme aussi, c'est qu'à l'heure qu'il est le gouvernement ne marche plus à la tête mais à la remorque du mouvement ; qu'il est débordé par les vœux de l'opinion publique ; par les manifestations des chambres de commerce, des conseils supérieurs de l'agriculture et de l'industrie ; par les dispositions du parlement ; qu'enfin il n'a pas le droit au repos qu'il semble vouloir réclamer, en réponse aux démonstrations qui le poussent à marcher en avant.

On nous dit que notre tarif peut supporter la comparaison avec le tarif anglais, voyons ce qu'il y a de fondé dans cette allégation puisque nous devons à la section centrale la bonne fortune d'avoir le tarif sous les yeux.

Tout d'abord, messieurs, je constate que la version française des tarifs anglais, telle qu'elle nous a été communiquée, n'en est que le résumé. Ce n'est pas à titre de critique que je le dis, mais comme un éclaircissement pour les détails dans lesquels j’aurai à entrer tantôt. Le gouvernement, et il a très bien fait, s'est borné à traduire les articles encore tarifés. Dans le tarif original, les Anglais, fidèles à leurs habitudes législatives, à mesure qu'ils opéraient leurs réformes, ont conservé les anciennes rubriques en se bornant à substituer aux anciens droits le mot « libre à l'entrée ». Cela ne simplifie pas précisément la lecture du tarif, mais cela permet devoir d'un coup d'œil le chemin parcouru par les réformateurs.

C'est une première observation que je vous prie de ne pas perdre de vue. Voici le tarif officiel avec toutes ses annexes, instructions ministérielles, ordre du conseil, etc., une brochure de 87 pages in-8°.

Le tarif a l'usage du public est bien plus petit. Le voici, il tient dans la poche de mon gilet.

MfFOµ. - Vous ne connaissez le tarif anglais que de vue.

M. Couvreurµ. - Je parle du tarif mis à la disposition des agents des douanes.

MfFOµ. - Vous ne le connaissez que de vue.

M. Couvreurµ. - Vous aurez l'occasion de rectifier sous ce rapport ce que je dis.

J'ai fait demander au board of trade le tarif qui se met entre les mains des agents des douanes.

C'est le volume que je tiens en ce moment en mains. Quant au volume spécial pour le public, il est encore moins détaillé, et je défie M. le ministre des finances de résumer dans une brochure moindre ce que l'on a le droit de savoir.

MfFOµ. - Il n'y a rien de plus facile.

M. Couvreurµ. - C'est ce que nous verrons.

Frappée de tant de simplicité, l'administration belge s'est mise à l'œuvre à son tour et elle a condensé toutes les dispositions législatives encore en vigueur dans un volume de 254 pages, où le tarif n'en tient que 6.

C'est un travail fait avec talent et habileté. Son auteur, si on compara le tarif officiel actuel avec celui de 1844, a droit à toute la reconnaissance du public, mais il n'y a pas de comparaison possible entre la simplification anglaise et la simplification belge.

Tandis que la simplification anglaise résulte exclusivement de la suppression des droits avec conservation des anciennes rubriques, celle que nous avons pratiquée est due en partie à la suppression des droits, mais en partie aussi à une classification intelligente des articles frappés sous une dénomination commune. Le tarif est réduit à 149 articles, cela est vrai, mais ces articles servent de rubriques à une foule d'objets similaires qui ne figurent que dans le répertoire général. Le tarif n'est pas dans les 6 ou 7 pages publiées comme tel au Moniteur et livrées au public, il est renfermé dans le répertoire général (72 pages) et dans les notes explicatives (61 pages), qui forment le véritable tarif belge. Toutes ces explications et complications ont disparu du tarif anglais. Si on applique à ce tarif le procédé de condensation qui a simplifié le tarif belge, ontlarde peu à s'assurer que les 15 articles encore frappés de droit se réduisent à 18 rubriques correspondant aux rubriques belges, savoir :

Buissons distillées, Boissons fermentées, Cacao, Café, Cartes à jouer, Chicorée, Chloroforme, Conserves alimentaires, Collodion, Buissons distillées, Ether, Fruits secs, Grains et graines, Or et argent, Sucres, Tabacs, Thés, Vernis, Vinaigre.

Sur ces 18 articles, 8 sont frappés par assimilation aux articles de fabrication indigène soumis aux droits d'accise, savoir :

Les boissons distillées et fermentées 3, les conserves alimentaires au sucre 4, le collodion 3, l'éther 6, les sucres 7, les tabacs 8, etc.

Mais ce qui est surtout remarquable dans le tarif anglais c'est que sur ces 18 articles 9, c'est-à-dire la moitié sur une recette totale de 21,347,288 livres sterling, en l'année 1865 ont produit 21,313,936, c'est-à-dire la presque totalité. Un article, le cacao, 20,071, deux articles, les conserves alimentaires et les matières d'or et d'argent, 11,690 livres sterling. Enfin 6 autres articles 1,591 livres.

Huit articles pondéreux, encombrants, rebelles à la fraude, rapportant 21,313,000 ivres sur une recette totale de 21,347,000 livres, voilà la force du tarif anglais.

En est-il de même du tarif belge ? Ici c'est le principe contraire qui l'a emporté. Au lieu de concentrer les droits sur un petit nombre d'objets on les a éparpillés le plus qu'on a pu. Comme je l'ai déjà dit, la simplification n'est qu'un artifice de classification et chose remarquable, parmi les rubriques qui rapportent le plus, figurent non seulement les similaires anglais soumis à l'accise, mais encore des produits fabriqués et (page 87) des matières premières nécessaires à l'industrie, lesquels ont complètement disparu du tarif anglais.

En effet, au lieu de 18 rubriques, nous en avons 41, lesquelles se subdivisent en 41 tarifications différentes. Les tissus de coton écrus, blancs, teints ou imprimés, qui formaient trois classes dans l'ancien tarif, sont partagés aujourd'hui d'après les fils, aux cinq millimètres carrés et sont soumis, de ce chef, à 27 droits différents. Tous participent à la recette totale dans les proportions suivantes : (tableau figuratif non repris dans la présente version numérisée).

En d'autres termes, alors que sur une recette de 21,347,000 livres, la douane anglaise en perçoit 21,313,000 sur 8 articles, nous percevons sur ces mêmes 8 articles 7,209,000 sur 15 millions, soit la moitié. Près de 5 millions, soit un tiers, sont acquittés par des objets fabriqués ou des matières premières de première nécessité pour l'industrie ; trois autres millions enfin proviennent d'une multitude d'objets et nécessitent de la part des douaniers et du public une étude approfondie de cette encyclopédie qu'on appelle le répertoire général et les notes explicatives du tarif.

Lorsqu'un voyageur arrive à la douane anglaise, le douanier lui remet un petit papier sur lequel je lis l'avis que voici :

« Toute personne ayant du tabac, des cigares, de la vaisselle d'or ou d'argent, de l'eau de Cologne ou des liqueurs alcooliques quelconques est tenue d'en faire la déclaration avant la visite des bagages.

« Toute personne qui négligerait de faire cette déclaration, etc., (suit la pénalité.) »

Donc le voyageur, soit anglais, soit étranger, arrivant à la douane anglaise, sait, rien que par la lecture de ces quatre lignes, quels sont les articles qu'il doit ou qu'il ne doit pas déclarer.

En est-il de même lorsqu'un Belge ou un étranger se présente à la douane belge et que le douanier lui demande et qu'il est obligé de répondre en toute sincérité : Avez-vous quelque chose à déclarer ? Non, je défie l'administration des finances, grâce à la complication de son tarif, de mettre un avis analogue dans les mains du voyageur.

Il faut que l'on visite les bagages les trois quarts du temps, le voyageur qui est censé connaître la loi, est obligé de répondre à la question du douanier : Je n'en sais rien. Il ne devrait pas en être ainsi et il faudrait que le voyageur connût assez notre tarif en tous ses points pour faire une déclaration sincère.

Pour apprécier les complications que présente notre tarif douanier, j'ai voulu me rendre compte de ce que la loi entendait par le mot « mercerie ». Je recours au « Répertoire général » et voici ce que je lis : « Mercerie. V. Quincaillerie, mercerie, etc. p. 110. »

Je tourne la page, et au mot « Quincaillerie » je lis : « Voir Mercerie, quincaillerie, etc., p. 116. »

Cela ne rappelle-t-il pas un peu la plaisanterie qu'un vaudeville met dans la bouche de Levassor déguisé en Anglais et voulant se rendre compte d'un calembour ou le mot « rever »s faisait la pointe. Son Napoléon Landais à la main, il ouvre au mot « Revers » et lit : « côté de la médaille opposé à Avers ». « Avers, côté de la médaille opposé à revers ». Plus heureux que Levassor, j'avais pour mes deux mots « quincaillerie », « mercerie », un indicateur commun, c'est-à-dire la page 110. Ouvrons donc la page 110.

Page 110, je trouve « Mercerie, quincaillerie, parfumerie, 10 p. c. de droits. »

Fort bien, mais cela ne me dit pas encore la signification du mot « mercerie ». Mais au bout de la ligne il y aune petite note, la note explicative 70 (il y eu a 120), et ici je découvre tout un monde d'objets devant la tarification desquels je reculerais épouvanté si je devais solliciter une place de douanier.

Je ne veux pas fatiguer l'attention de la Chambre par des détails. Je me borne à lui signaler, entre autres particularités, que rien que pour la parfumerie le malheureux douanier devra distinguer entre dix catégories d'objets différents. S'il rencontre une caisse de pommade, il devra bien se garder de confondre avec les graisses parfumées (10 p. c), les cérats, onguents et autres préparations à base de graisse, lesquels suivent le régime des drogueries, qui sont libres.

Devant un pot de fard, il devra distinguer si ce fard est une parfumerie ou un produit chimique non spécialement tarifé (libres). J'avoue que je n'ai pu me rendre compte en quoi le salut de l'Etat, du trésor, ou des dames qui font des fards une étude plus approfondie que les douaniers seraient compromis, si les fards, parfumeries et autres fariboles de même nature entraient, eux aussi, libres de droit. Mais cela n'empêche pas l'administration de proclamer que notre tarif est un modèle qui peut se comparer aux meilleurs tarifs des pays cités comme exemples.

Si quelqu'un veut se rendre compte de la valeur de cette assertion, je l'engage à lire le répertoire général du tarif et les notes explicatives. C'est une lecture fort attrayante, fort instructive. On sort de là, savant comme Pic de la Mirandole, fort indigné de la parcimonie de l'Etat qui ne paye qu'un misérable salaire aux employés obligés d'en savoir aussi long. Ce ne sont pas les douaniers que nous devrions mettre à nos frontières, mais des docteurs ès sciences, lettres et arts. Tous les arts, toutes les sciences ont été consultés pour dresser ce travail. Même l'art hippique ou hippiatrique, comme on voudra l'appeler. Oui, l'art hippiatrique ; je ne plaisante pas. Le cheval paye à l'entrée un droit de 18 francs. II est libre s'il passe au transit. Mais alors il faut que le douanier prenne son signalement, pourquoi ? Je n'ai pu le deviner.

- Un membre. - Pour le reconnaître quand il sortira.

M. Couvreurµ. - C'est pour le reconnaître quand il sortira, me dit-on, c'est pour constater l'identité du cheval. Mais je me demande en quoi le trésor est-il intéressé ? D'une frontière à l'autre, le cheval de luxe se change en une rosse ou la rosse en un cheval de luxe ; l'un et l'autre pourtant payent le même droit.

Donc, il faut prendre le signalement de la bête. Cela paraît une chose très simple. Détrompez-vous. Les notes explicatives consacrent à cette opération 10 pages ni plus ri moins, dont voici le sommaire :

« Section I. Signes caractéristiques du signalement et vocabulaire des diverses parties du cheval.

« Section II. De la robe.

« § 1. De la robe simple.

« § 2. Des robes composées.

« Section III. Des marques particulières.

« Section IV. De l'âge des chevaux.

« § 1. Des dents.

« §2. Récapitulation de l'âge des chevaux.

« § 3. Signes généraux de vieillesse.

« Section V. Du signalement proprement dit. »

Il faut que le douanier connaisse le vocabulaire des diverses parties du cheval, les salières, le chanfrein, les ganaches, le fanon, que sais-je ! les marques particulières, selon que le cheval a le poil chatoyant, qu'il est lavé ou marqué de feu, ladre ou cillé, qu'il boit dans son blanc, qu'il porte une lisse, des épis ou un coup de lance, enfin rien que pour la couleur il faut distinguer entre six classes pour les robes simples et cinq classes pour les robes composées, le tout divisé en 48 variétés différentes.

Une seule couleur est divisée en six variétés : le gris tigré, le gris moucheté, le gris chardonné, le gris tourdille, le gris étourneau, le gris truite et pour le poil Isabelle, malheur à qui confondrait l'isabelle commun avec l'isabelle clair, qui ressemble à « une soupe au lait légèrement nuagée d'un jaune d'œuf. »

C'est le tarif belge, messieurs, le tarif belge, ce modèle de simplicité qui marche de pair avec le tarif anglais, qui donne cette instruction toute spéciale à nos douaniers. et tout cela pourquoi ? Pour qu'au bout de l'année l'article cheval rapporte au trésor la somme de 68,000 francs !

Le traducteur des tarifs anglais a mis en regard des taxes anglaises les taxes belges pour faire ressortir que ces taxes sur les similaires sont inférieures aux taxes anglaises. Cela est vrai, en partie. Ainsi les taxes anglaises sont supérieures et de beaucoup pour les boissons distillées et fermentées, les cafés et cacaos, les tabacs et les thés. Là où nous payons les spiritueux 42 fr. 50 c. l'hect., l'importateur anglais acquitte 286 fr. ; il paye sur les cafés 92 et 69 fr. les 100 kilos au lieu de 17 et 15 fr., (page 88) 827 à 1,399 fr. sur les tabacs au lieu de 42 fr., mais en revanche le droit est moins élevé qu'en Belgique sur les grains, graines, farines et sucres, et le sel ne paye ni droits ni accise. Or pour moi je n'hésite pas à déclarer que si j'avais à choisir entre les deux systèmes, la liberté du sel et des taxes très élevées sur les boissons distillées, je n'hésiterais pas et j'accorderais encore de ce chef une très grande supériorité au tarif anglais. (Interruption.)

M. le ministre des finances nous dit que le tarif anglais et le tarif belge sont les mêmes pour les céréales ; mais il ne niera pas que pour les sucres le tarif anglais ne soit inférieur au tarif belge.

Enfin, messieurs, et ceci n'est pas moins important, sauf les matières d'or et d'argent, le tarif anglais laisse libres à l'entrée tous les articles fabriqués d'abord, puis, tous les articles non soumis à l'accise ou leurs similaires qui servent de matière première à l'industrie !

En est-il de même du tarif belge ? Point. Parcourez-le, vous trouverez que les bois, les métaux, les fers, les aciers, les fils de coton, de laine, de lin, de chanvre, Je§ machines et mécaniques, les produits chimiques, les savons, les tissus divers, etc., son} plus ou moins fortement frappés. Ils sont libres en Angleterre. Chez nous ils figurent pour plus de 8 millions sur 15 dans la recette totale de |a douane, ainsi que le constatent les chiffres que j'ai cités tantôt.

Et ce n'est pas tout. Non content d'augmenter dans le nouveau tarif les classifications des tissus, on a élevé le droit pour quelques articles.

Les tissus de coton blancs et écrus payaient autrefois uniformément 180 fr. additionnels compris. Ils payent aujourd'hui, les tissus blancs :

2ème classe, 44 fils et plus, 230 fr. les 100 kil.

3ème classe, 36 fils à 43,218 fr. les 100 k.

3ème classe, 44 fils et plus, 345 fr. les 100 k.

Les tissus écrus, 3ème classe, 44 fils et plus, 300 fr. les 100 k.

Soit environ 18 à 20 p. ç. de la valeur.

D'autre part, un grand nombre d'articles, la passementerie, le cuivre ouvré, la coutellerie, les aiguilles à coudre, les cristaux ouvrés, les voitures, le bois ouvré, la mercerie, la quincaillerie, la parfumerie, et vous seriez effrayés si je vous lisais tous les articles auxquels ces dénominations servent de rubriques, articles qui étaient cotés à 6 fr. dans le tarif protectionniste de 1844, sont cotés à 10 p. c. dans le tarif libéral de 1860, dans ce tarif qui, au dire de la note préliminaire, n'a rien à redouter de la comparaison avec les tarifs les plus libéraux du monde entier-

Je me résume, messieurs. Ce tarif belge, ce prétendu modèle est un tarif compliqué, qui n'a que les apparences de la simplification, c'est un tarif qui contient encore de nombreuses dispositions protectionnistes, enfin, au point de vue de nos finances, ce n'est rien moins qu'un tarif fiscal.

C'est à lui donner ce caractère que je voudrais voir M. le ministre des finances appliquer son activité et son intelligence. Le gouvernement abolira les douanes quand il Je pourra ; qu'il commence par nous donner un tarif qui ait les mérites du tarif anglais, qui soit un tarif véritablement fiscal, dégagé de toute taxe, ayant un caractère de protection et concentrant toute son action sur un petit nombre d'articles de grande consommation.

Voilà le premier pas que nous ayons à faire : simplification réelle du tarif, suppression de tout ce qui y rappelle encore l'ancien système protecteur.

Nous avons à faire ce premier pas un très grand intérêt. Je ne veux pas ressasser ici tous les arguments connus, paradoxes il y a dix ans, axiomes, lieux communs aujourd'hui, par lesquels on a démontré ce que gagneraient à cette réforme le trésor d'une part, nos industries de l'autre. Il est un seul point que je veux mettre en lumière, c'est l'intérêt politique

Nous avons un grand intérêt de conservation, de sécurité nationale à sauvegarder en faisant le plus tôt possible de la Belgique un vaste marché franc, en l'affranchissant des marchés situés à ses portes pour lui ouvrir déplus vastes débouchés au delà des mers, des débouchés moins accessibles aux fluctuations de la politique européenne.

Voyez ce qui se passe en Allemagne. Par(quels moyens la Prusse a-t-elle fait accepter les conditions nouvelles du Zollverein et les alliances militaires contre lesquelles s'élevait un parti puissant dans le Wurtemberg et en Bavière ? Par la pression des intérêts matériels. Ces deux pays ont craint d'être ruinés ; de là leur soumission aux volontés du cabinet de Berlin et la prochaine unification de l'Allemagne. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Nous n'ayons pas à le juger, mais ce qui est certain, c'est que si les industries de la Bavière et du Wurtemberg avaient grandi comme celles de la Suisse sous le régime de la liberté commerciale, jamais la Prusse n'eût eu sur elles les moyens de contrainte dont elle vient de tirer un si grand parti.

Nous sommes saisis en ce moment d'un projet qui augmente de près de deux millions les sacrifices que nous nous imposons déjà pour la défense du pays. Depuis dix ans, nous avions, par l'abaissement de nos taxes aux frontières, intéressé le monde entier à notre existence ; cette garantie vaudrait bien celle que nous demandons maintenant aux traités européens, renforcés de fusils Albini et d'une augmentation de 30 p. c. de nos contingents militaires, sans compter ce que l'avenir nous réserve.

On me dira qu'il faut continuer à marcher lentement, ménager tous les intérêts, éviter les catastrophes. En d'autres termes, pour enlever la queue d'un chien sans douleur, il faut couper un petit bout de temps en temps. Mais le passé prouve bien que les ressources les plus radicales en matière de douane n'entraînent pas les ruines qu'on en redoute. Nous ayons en Belgique de fortes et subites réductions, l'Angleterre, le Zollverein, la France en ont opéré de très fortes également. Quelles industries ont périclité ? Aucune. Non seulement elles n'ont pas périclité, mais elles ont pris au souffle de la liberté un nouvel essor.

Je tiens en main eçs chiffres irréfutables. Ils constatent l'influence exercée par le traité de commerce anglo-français sur les industries françaises qui se croyaient les plus menacées.

Laissez-moi vous citer quelques détails. Le traité date de 1860. Or, voici les chiffres comparés des exportations françaises pour les années 1859 et 1864 : (Ce tableau n’est par repris dans la présente version numérisée.)

Et il est a remarquer que ces résultats ont été obtenus dans les plus mauvaises conditions, malgré la guerre civile des Etats-Unis et les crises financières des dernières années. En ce qui concerne notamment les tissus de laine, leur exportation avait été presque stationnaire de 1855 à 1859.

Voilà les résultats que la France a retirés par le traité de commerce pour ses industries qu'elle croyait les plus menacées, sans parler de la paix à jamais consolidée avec l'Angleterre et à ce dernier point de vue, je puis dire que le traité anglo-français a rendu à la Belgique un service beaucoup plus grand que ceux qu'on pourrait attendre des fortifications d'Anvers.

Donc, je le répète, nous n'avons rien à perdre et tout à gagner a achever notre œuvre le plus promptement possible. Une seule considération peut justifier un ajournement, c'est la crise que traverse le trésor public. Je m'incline devant cette nécessité. Mais du moins que le gouvernement profite de cette situation pour préparer la solution désirée, afin de la réaliser au premier moment d'éclaircie.

Toutefois et en attendant que cette éclaircie se présente, il est une réforme que je voudrais réaliser dès à présent à cause de son urgence, du faible sacrifice qu'elle entraînerait, de l'excellent effet qu'elle produirait pour la population dans les circonstances difficiles qu'elles vont traverser. Je veux parler de la suppression du droit sur le poisson.

Depuis trois ans et plus cette question se présente devant la Chambre à chaque discussion du budget des voies et moyens. Je crois le moment venu de la trancher définitivement et j'aurai l'honneur de déposer un amendement en ce sens.

Vous connaissez, messieurs, les objections qui ont été faites précédemment contre cette réforme. Je vais tacher de les résumer brièvement pour préciser les éléments du débat.

Les droits sont peu élevés, ils ont été récemment abaissés, et c'est faire de la Chambre une Chambre à répétition que de la faire statuer chaque année sur des questions résolues ; les embarras attachés à la perception du droit ont été écartés par l'administration, ce ne sont pas les droits de douane sur le poisson qu'il faut attaquer, mais les droits de minque et les règlements sur le colportage ; enfin, la proposition est déplacée, elle doit faire l'objet d'une loi spéciale et non d'un amendement qui bouleverse le budget des voies et moyens. Voilà ce qu'on nous objecte.

(page 89) C'est une erreur de prétendre que les droits soient peu élevés. De l'aveu du gouvernement, ils s'élèvent à 4.6 p. c. ad valorem.

Or, un droit de 4.6 ad valorem sur une denrée alimentaire de première nécessité, alors que, dans un tarif véritablement fiscal, les droits sur les produits manufacturés ne devraient pas dépasser 5 à 6 p. c. est un droit énorme. Mais le rapport est bien plus grand que ne l'indique le tableau dressé par les soins de l'administration. Il faut ajouter au droit les frais de commission, des formalités douanières, des retards possibles, soit au moins encore un ou deux p. c., il faut surtout y ajouter les chances de perte. Le droit se prélève sur cent kilos de poissons frais, mais pour peu que la moitié ou le quart de ce poisson soit gâté, pour l'acheteur le droit augmente dans la même proportion. En réalité ce n'est donc pas 4 1/2 p. c. que le pêcheur acquitte, mais au moins 6 et souvent de 8 à 10 p. c.

Des facilités administratives ont été accordées à l'importation. Soit, je le veux bien. Les douaniers sont toujours complaisants, empressés, ils interprètent les règlements de la façon la plus large, mais encore n'osera-t-on pas soutenir que si les pêcheurs étrangers ne rencontraient pas ces règlements à l'entrée d'un pays qui par ses mœurs, sa religion est pour eux un marché privilégié, ils viendraient en plus grand nombre et plus volontiers.

Ce sont des gens en général illettrés, ignorants, les formalités les effarouchent. Supprimez ces formalités et vous les verrez accourir, vous exciterez parmi eux la concurrence. L'activité des populations des côtes voisines, qui maintenant se détourne de la pêche, y reviendra avec plus de vigueur.

Le droit supprimé, le poisson gâté, qui maintenant se jette à la mer ou à l'Escaut, le poisson de trop mince valeur pour être conduit au marché, sera importé à titre d'engrais. Ce sont autant de richesses perdues, rendues à la mer sans profit pour personne.

A moins de faire une loi spéciale, il n'est pas en notre pouvoir d'abolir les droits de minque et les règlements sur le colportage. Mais de ce qu'un obstacle existe à la consommation du poisson, faut-il en maintenir un second et à défaut de l'abolition des minques, le gouvernement après avoir donné l'exemple, ne pourrait-il pas engager les villes où ces institutions existent encore à les transformer de façon que les droits qu'on y acquitte ne soient plus que le prix d'un service rendu ? Dans ces conditions, les minques pourraient continuer à subsister sans nuire à personne, surtout si le colportage était rendu libre. Sans doute l'hygiène publique demande qu'on ne mange pas de poisson avarié, mais il vaut encore mieux manger du poisson avarié que de mourir de faim.

Je ne puis pas attacher plus d'importance à l'argument qui consisté à dire que la question a été résolue il y a deux ans par un vote de la Chambre. Cela fût-il, nous avons le droit, selon les besoins du moment d'amender nos lois. Mais rappelez-vous dans quelles conditions fut votée la dernière loi douanière. Nous eûmes à l'examiner le dernier jour de la session. La discuter, c'eût été en ajourner le bénéfice. Nous prîmes des deux mains ce qu'on nous présentait, tout en faisant nos réserves quant à l'avenir. Le moment de faire revivre ces réserves me semble venu.

Mais, me dira-t-on, le moment est mal choisi. On ne peut pas ainsi modifier incidemment le budget des voies et moyens. L'honorable M. Hymans, auquel appartient l'initiative de la proposition que je représente aujourd'hui, a déjà, il y a deux ou trois ans, fait justice de cette observation.

D'ailleurs la discussion à laquelle nous nous sommes livrés ces derniers jours, ainsi que les amendements qui ont été présentés, prouvent suffisamment qu'on peut modifier les lois fiscales par le budget des voies et moyens et saisir la première occasion de réaliser une excellente réforme.

Je fais observer qu'elle pourrait avoir quelque valeur, si nous jetions le désarroi dans les recettes du trésor. Mais le sacrifice que nous lui imposons n'est que de 130 mille francs, et il est pleinement justifié par la crise alimentaire que nous traversons.

Lorsque le pain est à 50 c. le kil., la viande à 1 fr. 80 c. le kil., les pommes de terre de 12 à 14 fr. les 100 kil., le beurre à 1 fr. 50 c. le 1/2 kil., les œufs à 10 c. pièce, lorsque le travail chôme et que le salaire baisse, nous ne pouvons pas vouloir qu'une denrée alimentaire de premier ordre, d'une force nutritive égale à celle de la viande, ne puisse venir réconforter nos populations. Nous devons aller au-devant de leurs besoins, et je crois être fort modéré, en présence de la crise que je prévois pour cet hiver, de borner-là pour le moment mes prétentions.

L'amendement que j'ai l'honneur de présenter à la Chambre est ainsi conçu :

Ajouter au premier paragraphe de l'article premier du projet de loi la phrase suivante : « A l'exception des droits d'entrée sur le poisson, qui sont supprimés à dater du 1er janvier. »

M. le président. - Je prie l'honorable M. Couvreur de rédiger son amendement et de le faire parvenir au bureau.

M. Couvreurµ. - Voici l'amendement :

« Ajouter au paragraphe premier de l’article premier du projet de loi la phrase suivante : A l'exception des droits d'entrée sur le poisson, qui sont supprimés à dater du 1er janvier.»

- L'amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.