(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 69) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.
M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Bruxelles demandent l'abolition du tirage au sort pour la milice. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Espreman réclame l'intervention de la Chambre pour faire accorder une pension à la veuve d'un garde-barrière. »
- Même renvoi.
« La chambre des notaires de l'arrondissement de Liège présente des observations contre l'article 15 du projet de loi sur l'organisation judiciaire, qui autorise les greffiers des justices de paix à faire des prisées et ventes publiques, au comptant, de meubles et effets mobiliers. »
- Renvoi à la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi.
« Des habitants de Saint-Léonard protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter dans la session actuelle un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des pécheurs de Rupelmonde demandent qu'on les autorise à faire usage du filet de pêche dit : anketkuil. »
- Même renvoi.
« Le cercle de la conférence des chemins de fer fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du premier annuaire spécial des chemins de fer belges qu'il vient de publier. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. Magherman retenu pour affaire urgente, et MM. De Macar et Van Wambeke, empêchés par l'état de leur santé, demandent un congé de quelques jours. »
- Ces congés sont accordés.
M. Delaetµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, à la page 58 des Annales parlementaires, je vois que quelques paroles prononcées par l'honorable ministre de la justice y figurent sous mon nom. Lorsque mon honorable ami M. Coomans, interrompant M. le ministre de la justice, disait que le gouvernement devait protéger les meetings comme toutes les autres assemblées publiques, on me fait dire : « Evidemment nous les protégerons contre les violences qui pourraient être faites ; mais voulez-vous que nous empêchions les militaires d'y assister ? »
Ces paroles ont été prononcées par M. le ministre de la justice et non par moi.
M. le président. - Les Annales parlementaires d'aujourd'hui rectifieront l'erreur commise par celles d'hier.
M. Dewandreµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la justice pour 1868.
M. Descampsµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des non-valeurs et des remboursements.
M. Hymans. - J'ai l'honneur de déposer des rapports sur plusieurs demandes de naturalisation ordinaire.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. le président. - La discussion continue sur l'article : « Droit de débit des boissons alcooliques. »
M. Liénartµ. - La Chambre comprendra que si j'ai consenti, à mon corps défendant, à jeter mon amendement au milieu de la discussion générale du budget des voies et moyens, il ne pouvait me convenir de laisser la discussion s'épuiser sept, huit ou neuf jours peut-être avant celui où mon amendement serait soumis au vote de la Chambre. Il me fallait, à tout prix, sortir de cette situation inacceptable pour moi, et voilà pourquoi j'ai renoncé à défendre mon amendement dans la discussion générale du budget des voies et moyens, me réservant de le faire en temps opportun.
Mais avant d'aborder le fond, permettez-moi de vous exprimer mon étonnement de la tournure qu'a prise le débat.
Tant qu'il s'agit de déplorer vaguement l'abus des liqueurs fortes, il n'y a qu'une voix dans cette Chambre. Mon amendement a soulevé un véritable concert d'anathèmes contre la consommation exagérée des boissons alcooliques ; tel membre, comme l'honorable M. Hymans, croirait forfaire à sa conscience s'il ne venait joindre ses protestations aux miennes, et tel autre, comme l'honorable M. Lambert, me félicite publiquement d'avoir appelé l'attention de la Chambre sur une question aussi importante.
Voilà certes un beau début, et j'aurais raison jusqu'ici de me féliciter d'avoir présenté à la Chambre un amendement qui rencontre autant de sympathies.
Mais, triste déception et inconstance des choses humaines ! à mesure que je m'avance vers les moyens pratiques, les partisans de tantôt m'abandonnent un à un et cela sous les prétextes les plus contradictoires : l'un parce que mon amendement serait la ruine de l'industrie des distilleries, et un autre parce que mon amendement resterait sans effet sur la consommation.
Les résultats les plus clairs de la campagne qui a été engagée sur mon amendement sont donc ceux-ci : beaucoup de bonnes volontés, d'excellentes intentions, mais des faits, mais des actes point. Le pays jugera.
Quant à moi, je remercie la Chambre de ses bonnes intentions, mais je dois lui avouer qu'en proposant mon amendement, mon but a été tout autre que de provoquer une discussion purement théorique sur l'abus des boissons alcooliques. Cela dit, je reviens aux adversaires de mon amendement. Il va de soi que parmi eux je ne range pas l'honorable M. Sabatier ; nous sommes d'accord avec lui sur les deux points principaux : abolir la valeur électorale du droit et faire renchérir le genièvre. Pour arriver à ce résultat, M. Sabatier propose d'augmenter le droit de débit ; nous nous proposons de majorer le droit d'accise.
Je dirai plus encore : je ne mêle à cette discussion aucun grain d'amour-propre et je suis tout aussi disposé à voter le moyen prôné par l'honorable M. Sabatier que le mien propre ; car, comme je l'ai dit en commençant, si j'ai préféré le système que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, c'est uniquement parce que, dans ma pensée, il présentait plus de chances d'être adopté par la gauche.
(page 70) Parmi les adversaires de mon amendement, il en est deux espèces, dont je ne veux pas suspecter les intentions mais qui doivent une bonne fois renoncer à exprimer à la Chambre des regrets stériles sur les abus de la consommation des boissons distillées. La première espèce est personnifiée dans les honorables MM. Lambert et Bouvier ; elle comprend tous ceux qui, pour repousser mon amendement, s'abritent derrière la cause des distilleries.
Mon Dieu, messieurs, cette cause n'est pas du tout compromise, comme vous allez le voir ; seulement, et j'appelle sur ce point l'attention de ces honorables membres, celui qui veut voir la consommation diminuer à l'intérieur, doit bien se résigner à voir diminuer dans la même mesure la production ; l'un ne va pas sans l'autre. Si l'on consomme moins, et c'est à quoi nous désirons tous arriver, il est évident que l'on produira moins.
Mais que ces honorables membres se rassurent : l'industrie à laquelle ils portent, avec raison, tant de sollicitude, cette industrie n'est nullement menacée, car mon amendement n'affecterait que le genièvre consommé en Belgique ; quant à celui qui doit passer la frontière, il est fait remise du droit, et c'est ce que ces honorables membres ont perdu de vue.
Donc, pour l'exportation, pas de changement, et quant à la production pour l'intérieur, je le répète, si vous voulez que l'on consomme moins, il faut nécessairement vous résigner à ce que l'on produise moins, car on ne produit que pour consommer, c'est là un axiome en économie politique.
Ainsi tombe aussi, soit dit en passant, l'avertissement, j'allais dire la dénonciation très charitable que l'honorable M. Bouvier s'est chargé d'adresser à mes électeurs.
La deuxième classe d'adversaires est représentée par le gouvernement.
Quoi que l'on fasse, que l'on remue la question autant que l'on voudra, pour faire renchérir le genièvre et amener une réduction dans la consommation, il n'y a, à moins de suivre l'honorable M. Hymans jusqu'en Amérique, il n'y a, dis-je, que deux moyens : ou bien, élever le droit de débit, ou bien augmenter le droit à la fabrication.
Eh bien, si nous demandons au gouvernement de majorer le droit de débit, il crie aux débits clandestins, et si nous lui proposons l'augmentation du droit d'accise, il crie aux distilleries clandestines. De sorte que les réponses du gouvernement, nous rejettent éternellement de Charybde en Scylla. De quelque côté que nous jetions les yeux, de quelque côté que nous cherchions les remèdes pour parer au mal, le gouvernement nous répond : C'est impossible.
Je regrette vivement que le gouvernement qui, comme l'a dit l'autre jour M. Sabatier, est une forteresse admirablement approvisionnée pour la discussion, ait cru ne devoir se servir de ces renseignements précieux que lui seul possède que pour battre en brèche, l'un après l'autre, tous les moyens indiqués, au lieu d'user de cette supériorité naturelle et incontestable pour prendre lui-même l'initiative dans cette question, et nous proposer un moyen efficace.
Ce devoir était surtout impérieux pour l'honorable ministre des finances, car, la discussion l'a prouvé à toute évidence, le mal dont nous nous plaignons a trouvé sa source dans la loi de 1849, qui a diminué le droit de débit tout en l'élevant à la dignité d'un impôt comptant pour la formation du cens. C'était donc à l'honorable ministre des finances qui, involontairement, je le veux bien, a ouvert la porte au mal, qu'il appartenait le premier d'opposer une digue à son développement.
Au lieu de cela on nous répond avec un calme, avec une indifférence que je ne m'explique pas ; en présence des ravages constants du mal, on nous répond : Nous examinerons, nous verrons, et puis on fait un appel suprême à l'éducation et à l'instruction, tous moyens dilatoires plus ou moins respectables sous le couvert desquels on renvoie la solution de la question aux calendes grecques.
Eh bien, ma conscience à moi n'est pas satisfaite, pour venir chaque année, à l'anniversaire de la discussion du budget des voies et moyens, exhaler quelques soupirs sur une situation qui s'empire et s'aggrave chaque jour ; ma conscience exige quelque chose de plus, elle exige que je mette la main à l'œuvre pour extirper le mal, coûte que coûte.
Maintenant le moyen que j'ai eu l'honneur de proposer à la Chambre est-il sans inconvénient ? Qui donc le prétend ? Mais n'est-ce pas dans une question comme celle-ci, dans une question qui demande une solution pressante, qu'il est vrai de dire que le mieux est souvent l'ennemi du bien ?
Qui donc d'ailleurs nous apportera cette panacée qui doit guérir radicalement le mal sans susciter la moindre difficulté ?
Pourquoi ne pas essayer ? Comment ! quand il s'agit d'atteindre un progrès matériel, d'accorder une réduction sur le parcours en chemin de fer, on essaye, certains prétendent même que l'on court l'aventure, et quand il s'agit d'atteindre un but moral, on repousse systématiquement toute espèce de tentative !
Je dis que c'est le contraire qu'il faudrait faire ; il faudrait tenir les yeux fixés sur le but à atteindre et ne pas se préoccuper outre mesure des inconvénients accidentels, temporaires et toujours peu importants de la réforme que nous demandons. Du reste, dût cette réforme coûter cent ou deux cent mille francs, ce ne serait pas acheter trop cher la santé et la moralité de nos populations.
Mais, me dit-on, la majoration que vous proposez est insuffisante, anodine, c'est un verre d'eau dans un hectolitre.
Je dois faire observer d'abord que l'honorable ministre des finances s'est obstiné à laisser complètement dans l'ombre une partie essentielle de mon amendement. J'ai prouvé à la Chambré que la valeur électorale du droit sur les débits avait contribué dans une large mesure à les multiplier. S'il en est ainsi, et la chose n'est pas douteuse, mon amendement tarit le mal dans une de ses sources par la suppression du droit, car l'intérêt politique s'en trouvera paralysé et cessera d'agir désormais sur l'augmentation des débits.
Il y a une seconde réponse à cette objection : elle a été faite par l'honorable M. Dumortier qui est venu vous proposer de porter la majoration de 12 1/2 p. c. à 25 p. c. et j'avais moi-même répondu à l'avance, en disant que si la proposition en était faite dans cette Chambre, j'étais tout disposé à élever encore la majoration que j'apportais par mon amendement au droit sur la fabrication.
Mais, continue-t-on, peu importe, votre majoration, si considérable qu'elle soit, restera inefficace parce que le prix du genièvre n'influe pas sur la consommation.
Je trouve cette objection très étrange, d'abord parce qu'il est une règle certaine, évidente, c'est que le haut prix d'une marchandise emporté toujours avec lui une réduction de la consommation, comme le bas prix amène une augmentation.
En second lieu, la Chambre a conservé présent à l'esprit l'exemple si frappant cité par l'honorable M. Kervyn qui nous a démontré d'une façon très simple que si en Hollande on n'est pas parvenu à faire reculer notablement la consommation, on y a réussi toutefois, grâce à l'excessive élévation du droit sur la fabrication, à confiner le mal dans ses limites actuelles, tandis qu'en Belgique, de l'aveu de tout le monde, le mal fait d'année en année des progrès.
Mais cette objection me semble plus étrange encore dans la bouche de l'honorable ministre des finances. L'honorable ministre signale l'élévation du salaire comme une des causes qui accroissent la consommation. C'est donc que l'ouvrier consomme en proportion de ce qu'il gagne. Mais s'il en est ainsi, est-ce que le renchérissement des boissons alcooliques n'agirait pas de la même façon qu'agirait une réduction du salaire ? Evidemment, car que le prix du genièvre hausse, ou que le salaire baisse, le résultat doit être le même, si, comme le prétend avec raison l'honorable M. Frère, la consommation de l'ouvrier est en rapport avec ses ressources.
Enfin, messieurs, le ministre des finances prétend que nos alarmes sont exagérées, excessives et que le mal n'est pas si intense qu'on se plaît à le dire.
C'est là une question d'appréciation et je suis heureux sur ce point de voir mon opinion confirmée par la plupart des membres qui ont pris part à la discussion et entre lesquels j'aime à citer, parce qu'il jouit d'une autorité toute spéciale dans ces matières, l'honorable M. Vleminckx. Au dehors, mon opinion est corroborée par les délégués des neuf députations des provinces qui se sont trouvés unanimes, libéraux comme catholiques, pour jeter le cri d'alarme.
L'honorable ministre des finances en discutant les chiffres consignés dans le rapport de la section centrale et aussi dans le rapport des délégués dès députations permanentes, l'honorable ministre a employé à notre adresse une expression que je serais bien tenté de lui retourner, c'est le mot de fantasmagorie, tant il s'est montré habile pour prêter aux chiffres une signification toute différente de celle qui résulte de leur simple et rigoureuse inscription.
Pour achever la réfutation des objections que mon amendement a rencontrées, il me reste une inquiétude à calmer et une explication à donner à M. le ministre des finances.
(page 71) On craint que grâce à la suppression du droit les débits ne se multiplient.
Il est très vrai, messieurs, que la suppression du droit pourrait agir d'une façon funeste sur la multiplication des débits, bien que je considère comme exagérées les appréhensions des honorables membres qui ont présenté cette objection.
Mais, messieurs, cela ne sera pas de longue durée, et en voici le motif.
Vous connaissez tous le rapport adressé à la Chambre, par les délégués des neuf provinces et dans lequel on vous demande d'abandonner aux provinces le produit du droit sur les débits. Dans la situation actuelle du trésor, cette demande ne saurait être accueillie ; mais veuillez-le remarquer, si vous adoptez mon amendement, nous pourrons arriver indirectement au même résultat.
En effet, messieurs, du moment que le débit sera dégrevé par l'Etat, il sera facile aux provinces de le frapper d'un impôt à leur profit, et, soyez-en persuadés, les provinces qui sont en quête de ressources ne manqueront pas de saisir telle occasion. Il arrivera ainsi que l'abolition des barrières provinciales, qui semble désirée, par tous, sortira indirectement de l'adoption de ma proposition, en même temps que la multiplication des débits de boissons serait contenue par l'impôt provincial.
J'appelle tout particulièrement sur ce point l'attention des honorables membres qui, adoptant mon amendement en principe, se trouvent arrêtés par la crainte de voir les débits s'augmenter.
Différents membres de cette assemblée se sont attachés à démontrer que la fraude qui se commet au moyen du droit de débit se pratique également au moyen de la patente et au moyen des autres impôts directs.
Je nie formellement d'abord que la fraude s'exerce ailleurs sur une aussi vaste échelle qu'en matière de droit de débit. Mais j'ajoute que, quand j'ai parlé de fraude, je ne me suis occupé que fort accessoirement de celle qui consiste à porter sur les listes électorales des débitants qui ne possèdent pas de débit sérieux.
La fraude que j'ai dénoncée, celle qui se pratique à ciel ouvert et sous les auspices de la loi de 1849, est celle qui consiste à créer une classe privilégiée d'électeurs à la faveur d'un impôt spécial qui ne fait supposer chez celui qui l'acquitte, ni la fortune, ni l'instruction, ni la moralité dont le cens doit être la représentation
M le ministre des finances a demandé, cette fois encore, quelle différence il y a cuire la patente et le droit de débit, et pourquoi la patente est un impôt direct tandis que le droit de débit ne le serait pas.
Eh bien, messieurs, c'est précisément par la raison que le droit de débit n'est pas en rapport avec le revenu.
Je ne puis mieux faire pour exprimer ma pensée que d'emprunter les paroles excessivement heureuses d'un publiciste qui a traité cette question. Ces paroles vous feront toucher du doigt la différence capitale qui sépare l'impôt direct de l'impôt indirect :
« L'impôt direct prend au citoyen une portion de son revenu, mais il la lui prend discrètement, en raison de l'importance de ce revenu et dans une proportion assez faible pour ne pas en tarir ou en amoindrir la source, pour ne pas décourager l'industrie ou le travail qui le procure. cette préoccupation inspire toujours le législateur quand il établit un impôt ; elle domine toute la matière des impôts.
« Voyons-nous quelque chose de semblable dans l'assiette et dans le taux du droit de débit de l'eau-de-vie ? ne voyons-nous pas, au contraire, l'Etat exiger en quelque sorte à t'aveugle et avec une espèce de brutalité une somme fixe, excessive en dehors de toute proportion avec le revenu ? »
Cela est si vrai que si la patente prend, par exemple, un centième du revenu, le droit de débit prendra 20 centièmes. Voilà la disproportion, et cette disproportion se reflète exactement dans la composition du corps électoral.
M. le ministre des finances, pour prouver le contraire, a fait un raisonnement très ingénieux, mais très fautif, à mon avis ; pour établir que le droit de débit entre pour une très faible part dans le cens des débitants électeurs, l'honorable membre prend pour exemple un village où il y a 49 électeurs pour les Chambres, dont 4 seulement parfont leur cens avec le droit de débit ; puis il répartit la somme payée du chef du droit de débit sur l'ensemble des contributions payées par ces 19 électeurs, et il arrive ainsi à une proportion très minime de 5 p. c-
Mais tel n'est pas le calcul qu'il aurait fallu faire ; ce que M. le ministre des finances aurait dû faire, c'est de prendre uniquement la cote des électeurs qui ne le sont que grâce au droit de débit ; et au lieu de la faible proportion de 5 p. c., l'honorable ministre serait arrivé à une proportion de 20, de 30, de 40 et peut-être de 60 p. c.
La Chambre comprend l'erreur que je lui signale ; c'est que la proportion qui devrait être établie uniquement en regard des électeurs qui ne le deviennent qu'à la faveur du droit de débit, se trouve répartie sur l'ensemble des électeurs ; cela explique comment M. le ministre des finances est arrivé à une mesquine proportion de 3 p. c. Il serait arrive à une proportion plus petite encore s'il avait pris pour exemple un gros village comprenant un plus grand nombre d'électeurs non débitants et qu'il eût opéré de la façon vicieuse que je viens de dire. Si fantasmagorie il y a, l'honorable ministre voudra bien reconnaître que ces calculs-ci n'en sont pas exempts.
Du reste, l'honorable ministre s'est bien gardé de prendre les élections communales pour base de ses calculs, car la disproportion eût été encore plus flagrante, et cependant le terrain communal est bien celui où la question s'agite avec le plus de gravité.
Le droit de débit est si peu une patente, que comme patente, ce droit serait nul ou à peu près, tandis que ce droit rapporte plus du quart de toutes les patentes qui existent en Belgique, et plus du double de ce que produit la patente des sociétés anonymes.
Si le droit de débit était établi dans un rapport modéré avec le revenu, en prenant pour base la patente des sociétés anonymes, calculée sur un bénéfice présumé de 34 à 35 millions, on devrait en conclure, ce qui est absurde, que les débitants en Belgique gagnent de 68 à 70 millions. Encore ces chiffres ne sont-ils pas en rapport exact avec le produit actuel de l'impôt de débit qui figure dans les prévisions du budget des voies et moyens, pour la somme énorme de 1,525,000 fr., ce qui, calculé sur le pied de 1 2/3 p.c, correspondrait à un gain total de plus de 90 millions.
Cette réduction à l'absurde ne vous prouve-t-elle pas, messieurs, combien est erronée la prétention de ceux qui veulent assimiler des choses essentiellement différentes, le droit de débit et la patente ?
Le droit de débit a été établi, comme je l'ai déclaré déjà, pour ainsi dire en haine des débitants, et l'inconséquence la plus flagrante qui ait jamais été commise, c'est d'avoir compté cet impôt pour la formation du cens. C'est un argument auquel il n'a pas été répondu jusqu'à présent.
Je sais bien que la loi de 1849, inspirée par l'honorable M. Frère, a déclaré que cet impôt était un impôt direct. Mais vous me permettrez de préférer le vote émis en 1838, après une longue et mûre délibération, à la décision prise silencieusement en 1849.
Nous savons donc parfaitement où nous allons, quoi qu'en dise l'honorable ministre des finances, qui me semble avoir oublié un peu ses discours passés et qui éprouve aujourd'hui des tendresses toutes paternelles pour ces 11,000 électeurs dont il nous faisait naguère un portrait très peu flatté.
Nous savons parfaitement où nous allons. Nous supprimons, nous le disons franchement, parce que c'est la conséquence de notre système et nous n'avons pas d'intérêt à la voiler ; nous supprimons tous les électeurs qui ne sont électeurs que par l'appoint du droit sur le débit des boissons alcooliques.
Celte élimination atteint peut-être des électeurs parfaitement digues de le rester, des gens parfaitement honorables ; mais qu'est-ce que cela prouve ? Cela ne prouve qu'une seule chose, c'est qu'en dessous de la limite actuelle du cens il y a des gens qui mériteraient à tous égards d'exercer leurs droits politiques. Voulez-vous les faire entrer dans le corps électoral ? Le voulez-vous sincèrement, franchement ? Très bien. Je ne m'y oppose pas ; mais que ce ne soit pas par une porte dérobée ; que ce soit en abaissant le cens d'une manière uniforme pour tous.
Je ne veux pas abuser plus longtemps de l'attention de la Chambre, je crois qu'à l'heure qu'il est, les opinions sont parfaitement formées.
C'est la seconde discussion déjà à laquelle j'ai l'honneur d'assister, depuis que je siège à ce banc, au sujet des cabaretiers et je me suis donné la peine de relire attentivement toutes les discussions antérieures, qui ont eu le même objet. Eh bien, voici l'effet qu'ont produit sur moi les cabaretiers. A chaque discussion, ils semblent chancelants et l'on croirait qu'ils vont tomber pour ne plus jamais se relever ; mais toujours ils finissent par se remettre debout, grâce probablement à un « ressort secret » qui les soutient.
L'honorable M. Lambert, en faisant allusion à ce ressort, nous disait dernièrement : Prenons l’engagement réciproque de ne plus abuser de cette influence électorale. Messieurs, c'est bien mal connaître, qu'il me permette de le lui dire, les passions politiques que de se reposer sur elles du soin de guérir ces abus. Si nous voulons franchement, (page 72° résolument y mettre fin, au lieu d'adresser aux partis politiques de stériles exhortations qui ne seront pas écoutées, il n'y a qu'un moyen de réussir, c'est de briser l'arme entre les mains des partis.
C'est à quoi je convie la Chambre. J'attends avec une certaine curiosité le vote, ce vote qui sera la véritable pierre de touche des sentiments de chacun. Car. comme le dit un adage romain que nous autres, membres du barreau, nous sommes souvent dans l'occasion d'opposer à nos adversaires et toujours avec succès : protestatio actui contraria non valet, les paroles ne sont rien aussi longtemps que les actes ne sont pas en harmonie avec elles.
M. Hayezµ. - Messieurs, j'ai lu ce matin dans le Moniteur deux arrêtés au sujet desquels je crois devoir prier M. le ministre de la guerre de donner quelques explications.
Par l'un de ces arrêtés, qui date du 28 octobre, M. le lieutenant Simons (P.-A.-D.), du premier régiment de ligne, est démissionné sur sa demande. Cet officier était détaché à l'école militaire en qualité de répétiteur.
Par le second arrêté, de la même date, le sieur Simons est nommé répétiteur du cours de géométrie descriptive à l'école militaire.
Ainsi M. Simons est aujourd'hui répétiteur à l'école militaire en qualité d'officier ; demain il exercera les mêmes fonctions de répétiteur comme bourgeois.
Au moment où l'on cherche à diminuer les dépenses militaires de toutes les manières, il me paraît que cet arrêté est de trop, si j'en ai bien compris la portée, et voici pourquoi.
Un lieutenant d'infanterie touche 2,100 fr. d'appointements. A l'école militaire, comme répétiteur, il touche une indemnité que je ne puis déterminer, parce que le nombre des répétiteurs actuellement admis étant plus élevé que celui que la loi autorise, je suppose qu'on répartit entre tous les répétiteurs la somme globale qui est inscrite au budget pour servir ces indemnités.
Comme répétiteur civil, il va toucher 3,000 fr. et sa pension sera beaucoup plus élevée, lorsque l'heure de la retraite aura sonné pour lui. Il est plus que probable que d'ici à peu de temps, il sera nommé professeur. De ce chef, il touchera un traitement de 4,760 fr., tandis que le capitaine d'infanterie ne touche que 3,400 fr.
Voici comment cet officier est entré dans l'armée.
En 1837, au mois d'octobre, il est admis à l'école militaire. Il y reste deux ans et demi et en sort comme sous-lieutenant d'infanterie ; il est nommé lieutenant en 1865.
Je demande à M. le ministre de la guerre de vouloir bien dire à la Chambre quel avantage il résulte pour l'école militaire d'avoir fait d'un répétiteur officier un répétiteur civil, et si ce changement ne porte aucun préjudice au trésor.
Je dois faire observer à la Chambre que cet officier, en quittant l'armée, a obtenu les avantages suivants : il a pleine liberté d'action ; quelques heures de répétition par jour ou par semaine, tout le reste de son temps lui appartient, il peut en disposer comme il l'entend. Les études qui l'ont mis à même de devenir répétiteur, il les a faites de la manière la plus économique pour lui, à l'école militaire et aux frais de l'Etat. Il n'est plus exposé aux changements de garnison, il a un traitement plus fort que celui de capitaine et, en dernier résultat, il aura une pension plus forte que celle d'un colonel.
Je prie M. le ministre de vouloir bien donner quelques explications sur la nécessité des deux arrêtés dont j'ai fait mention.
MgGµ. - M. Simons était, en effet, répétiteur de géométrie descriptive à l'école militaire ; il désirait se marier ; sa future n'étant pas dans les conditions de fortune requises pour que le gouvernement pût délivrer l'autorisation de mariage, M. Simons a donné sa démission ; je ne pouvais pas la lui refuser, parce qu'il avait accompli les 6 années de service exigées des officiers sortant de l'école militaire. M. Simons était un excellent officier ; il sera un excellent répétiteur de géométrie descriptive, son départ eût été une grande perte pour l'école militaire et c'est sur la proposition du commandant de cette école qu'il a été nommé répétiteur civil.
Il faut des qualités toutes spéciales pour bien donner l’enseignement, nous avons certainement des officiers très instruits, mais tous ne seraient pas eu état de donner convenablement des répétitions de géométrie descriptive. Le commandant de l'école militaire a insisté très vivement pour conserver M. Simons ; je n'avais aucun motif de le lui refuser. La loi organique de l'école militaire fixe à 18 le nombre total des professeurs ; mais elle ne dit pas combien il y aura de professeurs civils, combien de professeurs militaires.
Le nombre des répétiteurs est aujourd'hui de 15, tandis qu’il ne devrait être que de 14, par contre, il n'y a que 17 professeurs, tandis qu'il peut y en avoir 18.
Le traitement de M. Simons n'est pas de 3,000 fr. ; il n'est que de 1,500 fr. soit la moitié, et par conséquent, bien inférieur à celui qu'il avait avant sa démission.
Le budget alloué à l'école militaire n'en sera pas dépassé ; il n'y avait donc aucune difficulté financière à nommer M. Simons répétiteur d'un cours qu'il donnait à l'entière satisfaction du commandant de l'école. Changer fréquemment de professeur, donne lieu à de très grands inconvénients.
Tels sont, messieurs, les motifs pour lesquels j'ai conservé M. Simons.
M. Hayezµ. - Je crois que M. le ministre de la guerre est dans l'erreur, quand il dit que le nombre des professeurs n'est pas déterminé.
MgGµ. - Il est déterminé, mais il n'est pas atteint.
M. Hayezµ. - Dans le budget de l'année dernière il y a un certain nombre de professeurs civils et de professeurs militaires ; un certain nombre de répétiteurs civils et de répétiteurs militaires. Les répétiteurs civils étaient portés au taux de 5,000 francs, c'est sur cette donnée que je me suis appuyé. A-t-elle changé depuis, je l'ignore.
MgGµ. - Il n'y a pas de taux fixe, il y a un maximum ; mais on fait varier le traitement des répétiteurs, en raison des services, qu'ils ont pu rendre à l'école.
M. Hayezµ. - Je comprends, messieurs, que l'on soit porté à accorder la faveur à un officier qui désire se marier ; mais il y a, en définitive, une augmentation de dépense et c'est une justification suffisante de cette augmentation que je voudrais entendre.
Je ne puis admettre ce que M. le ministre de la guerre vient de dire au sujet de l'extrême difficulté qu'il y aurait de trouver des professeurs capables.
Ils ne feront jamais défaut ; d'abord parce qu'on leur accorde toute espèce d'avantages sur les autres officiers auxquels incombent toutes les charges du service ; en second lieu parce que les officiers (erratum, page 80) instruits ne manquent pas dans notre armée.
Je soutiens même qu'ils ne feraient pas défaut si toute espèce de rétribution extraordinaire leur était refusée, et qu'on en trouverait plutôt dix qu'un seul. (Interruption.) Oui, messieurs, telle est mon opinion sur nos officiers.
Puisque j'en suis sur le chapitre de l'école militaire, j'ajouterai que je ne vois pas pourquoi le nombre des professeurs militaires tirés de l'infanterie tend de plus en plus à augmenter, tandis que jusqu'à présent les professeurs ont été tirés en presque totalité des armes spéciales, de l'état-major, du génie et de l'artillerie.
Les officiers d'infanterie ont-ils acquis une instruction supérieure à celle des officiers des armes spéciales ? Je ne pourrais pas le dire, mais, s'il en est ainsi, pourquoi retenir ces derniers aux études deux années de plus que les autres ?
M. de Haerneµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour ajouter quelques observations à celles qui ont été présentées hier par l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse, et par l'honorable ministre des finances, au sujet des sociétés de tempérance.
Je remercie d'abord notre honorable collègue d'Anvers d'avoir soulevé cette question qui a un intérêt très sérieux, surtout en présence des alarmes qui ont été exprimées sur les ravages exercés dans les populations par l'abus des boissons alcooliques.
Messieurs, je déclare d'abord qu'en thèse générale, je suis partisan des sociétés de tempérance. Je crois que ces sociétés sont utiles, salutaires, surtout par le lien d'affiliation qu'elles établissent et qui sont un frein contre un abus effrayant, vis unita fortior ; je pense que dans cette question comme dans la plupart des questions qui touchent à la morale publique, l'intervention du gouvernement ne peut être qu'indirecte.
Je demande son concours, mais seulement son concours moral. L'origine des sociétés de tempérance remonte plus haut qu'on ne le pense généralement. Elle remonte à la fin du XIVème siècle ou au commencement du XVème.
(page 75) L'histoire de la Hesse en fait foi. Ce fut un électeur de la Hesse qui établit la première société de tempérance connue, dans deux villes principales de ses Etats, à Darmstadt dont la population était de 10,000 âmes et à Mayence dont la population était beaucoup plus grande.
Les affiliés à ces sociétés s'engageaient à ne pas boire d'eau-de-vie ou plutôt du vin de feu, pour me servir de l'expression allemande qui est en même temps flamande et anglaise (brandwein).
Déjà à cette époque ou avait compris tous les effets délétères des boissons alcooliques, le nom seul en donne la preuve. Les associés s'engageaient ensuite à ne pas s'enivrer ; ils prenaient aussi l'engagement de ne boire que sept coupes (becher) ou verres de vin au dîner. Ceux qui enfreignaient ces prescriptions étaient punis par le retranchement de deux coupes de vin à chaque repas. La peine était légère, mais elle était morale. Aussi cette association était une confrérie, bruderschaft, qui avait un caractère religieux.
Les traditions de ces sociétés se conservèrent en Allemagne et furent transmises en Amérique après 1820, époque à laquelle commença une immense émigration d'Allemands vers les Etats-Unis, laquelle, en 40 ans, s'éleva au chiffre de 1,400,000 individus..
Ce fut quelques années après 1820, vers 1828, que l'on fonda en Amérique la première société de tempérance. Le besoin s'en faisait sentir, surtout dans la marine où les excès de boissons avaient exercé des ravages tels, que souvent des sinistres provenaient de cette cause.
C'est là l'origine des sociétés de tempérance modernes, telles qu'elles ont été établies en Europe à la suite de celles qu'on avait créées aux Etats-Unis. En 1830, on complaît dans l'Union américaine environ 1,700 de ces sociétés.
Les auteurs américains qui ont écrit sur la matière affirment que les effets en furent très salutaires et ils en donnent pour preuve la suppression d'un grand nombre de distilleries et de débits de boisson.
L'exemple de l'Amérique produisit ses effets en Europe, et peu de temps après que le mouvement de la tempérance s'était produit aux Etats-Unis, on vit ériger des sociétés semblables en Angleterre.
Une association de ce genre fut établie à Londres en 1831, et, en 1840, on comptait 90 sociétés semblables dans les divers comtés de l'Angleterre.
Une circulaire, publiée à cette époque par la grande société de Londres, fit voir que l'on comptait dans le Royaume-Uni plus de6,000 ivrognes, dont environ 3,000 mouraient par année, en moyenne 157 par jour.
En Ecosse, 160,000 individus, hommes et femmes, étaient dès 1845 inscrits sur les listes des sociétés de tempérance.
En Irlande, messieurs, le besoin d'un frein moral contre l'ivrognerie se faisait d'autant plus sentir que la misère semblait chercher par désespoir une triste consolation dans les excès des boissons alcooliques. Les sociétés de tempérance s'y introduisirent d'abord par le prosélytisme britannique ; mais les chefs de l'association sentirent bientôt qu'ils avaient besoin pour réussir là, comme ailleurs, de l'appui des ministres des cultes.
Les chefs des associations s'adressèrent à un ancien élève du célèbre séminaire de Maynooth, qui se distinguait par son talent autant que par son aménité, aménité qui fait dire à son biographe anglais qu'on l'aurait cru élevé en France. Il se distingua aussi par les qualités qui font l'orateur et il exerça une immense influence sur la population. Cet homme connu du monde entier, vous l'avez déjà tous nommé, c'est le célèbre capucin Théobald Mathew.
Il jouissait déjà d'une immense influence ; il avait, avec le secours de jeunes gens de la classe aisée, établi des sociétés de patronage pour combattre tous les vices, sociétés dont la mission consistait surtout à faire des visites aux indigents et aux malades.
Depuis longtemps, il s'élevait en chaire contre les abus des boissons alcooliques.
Il répondit à l'appel que l'on fit à son zèle, Il fut nommé président de la société de tempérance de Cork et, d'après le Times de cette époque, on vit l'œuvre de tempérance prospérer à tel point que sous l'impulsion donnée par le père Mathew, du 10 avril au 13 juin 1858, près de 40,000 personnes s'engagèrent à l'abstention totale (total abstinence ou teatotallism).
J'appellerai tantôt l'attention de la Chambre sur la spécialité de ces sociétés, dont le but était l'abstention complète de toute boisson enivrante ou l'usage exclusif du thé et de tisanes.
En 5 mois les personnes qui avaient pris le même engagement, pledge, comme on dit, furent au nombre de 150,000.
Un jour, pendant qu'on dételait les chevaux de la voiture du père Mathieu, à un endroit appelé Athboy, dans le comté de Meath, 2,000 paysans se présentèrent devant l'apôtre de la tempérance, c'était le nom qu'on lui donnait, et se jetèrent à ses pieds pour obtenir la faveur d'être reçus dans la société.
D'après les journaux anglais de l'époque, il finit par enrôler sous la bannière de la tempérance au delà de 5 millions d'habitants.
Voici comment le père Mathieu s'exprime lui-même sur ce prodigieux succès :
« Le clergé catholique, dit-il, aussi bien que le clergé protestant et presbytérien, a chaudement épousé la cause de la tempérance, ainsi que la plupart des propriétaires ; et je ne m'en étonne pas, car il est démontré que partout où la tempérance est observée, les terres sont parfaitement cultivées et les rentes se payent exactement. »
Peu de temps après, on pria le père Mathieu d'aller prêcher en Amérique ; il accepta cette invitation et son itinéraire dans ce vaste pays fut une suite d'ovations.
Il avait fait de grands sacrifices personnels pour le succès de cette belle œuvre, il avait supprimé une distillerie, qu'il avait obtenue par héritage et il compromit la fortune de sa sœur, qui avait épousé un riche distillateur du pays.
Enfin, il se trouva dans un état voisin de la misère, au point que la reine lui fit une pension de 300 livres sterling. Cet homme de bien mourut en 1856, à Queenstown, en Irlande.
Tels sont les résultats immenses que les sociétés de tempérance ont obtenus en Amérique, en Angleterre et surtout en Irlande, dans tous les pays enfin où les gouvernements n'intervenaient dans l'œuvre qu'indirectement et par voie de conseil.
Les sociétés modernes de tempérance n'eurent pas le même succès en Allemagne, en partie, je crois, parce que les gouvernements s'en mêlaient d'une manière trop directe. Ainsi pour n'en citer qu'un exemple, nous voyons par les journaux, les écrits, les revues, que dans la principauté de Waldeck, on avait vers 1845 porté la défense du mariage contre ceux qui étaient reconnus comme des ivrognes. L'ivrognerie était donc reconnue alors comme une cause légale de prohibition de mariage. C'était vouloir supprimer un abus en s'exposant à un abus plus grand encore, c'était faire pour ainsi dire de l'intempérance par amour de la tempérance.
On se demande souvent, messieurs, et j'appelle sur ce point l'attention de la Chambre, on se demande souvent comment il se fait que les sociétés de tempérance, si utiles, si salutaires, |ne se sont propagées ni en France, ni en Belgique.
Cela s'explique par deux causes que je crois devoir exposer brièvement : d'abord il y a dans nos pays d'autres sociétés charitables qui tiennent lieu de sociétés de tempérance en ce qu'elles combattent tous les vices, le vice de l'ivrognerie comme les autres et qui, sous ce rapport, marchent tout à fait dans la voie où était entré le père Mathieu qui avait fondé des sociétés de charité, comme je l'ai dit tout à l'heure, avant d'accepter la mission spéciale de propager l'œuvre de la tempérance.
Les sociétés auxquelles je fais allusion sont des sociétés de patronage, des sociétés ouvrières de toute espèce dont il existe un grand nombre à Paris et dans les principales villes de France et de Belgique. Je n'ai pas besoin de les énumérer ici, messieurs, je craindrais d'abuser de votre indulgence ; je ne veux en citer qu'une seule qui a été louée dans le temps, par le bourgmestre de Bruxelles, M. Charles de Brouckere, d'après un rapport fait par la police locale ; c'est la société de Saint-François-Xavier, qui fut fondée à Bruxelles en 1854 et qui compte aujourd'hui des membres par milliers dans les villes de Belgique où leur action est la plus nécessaire.
Cette société combat non seulement le vice de l'ivrognerie mais tous les grands vices qui désolent les classes ouvrières ; par son influence, par l'instruction, par l'exemple ; elle a établie à Bruxelles et dans d'autres villes des salles de lecture, des écoles du soir, tous les soirs on y donne des leçons de religion, de lecture, d'écriture, de grammaire et d'arithmétique.
Je lis dans un des derniers rapports de cette association que partout où elle s'est établie, on a vu disparaître l'ivrognerie non seulement parmi les affiliés, mais encore parmi une foule d'autres personnes, qui sont placées sous l'influence vraiment sociale de cette société.
M. Bouvierµ. - Mais cependant le nombre des cabarets augmente.
M. de Haerneµ. - Oui, mais par d'autres influences, et sans celle (page 74) de l'association de Saint-François-Xavier et d'autres semblables, les cabarets seraient plus nombreux encore. Voilà, messieurs, les avantages qui résultent des sociétés ouvrières organisées en Belgique et qui tiennent lieu de sociétés de tempérance proprement dites.
Il y a une seconde cause qui explique ce fait que les sociétés de tempérance ne se sont propagées ni en France, ni en Belgique. C'est qu'il y a dans les sociétés d'abstinence totale avec lesquelles on confond les sociétés de tempérance restreinte, une sorte de rigorisme qui n'entre pas dans nos mœurs. Oui, j'ose dire que le teatotallism, c'est-à-dire l'usage exclusif du thé, du café et de la tisane, offre un rigorisme qu'on n'admet pas chez nous. Nos ouvriers ont trop d'esprit d'indépendance ; ils sont en général, comme disait Charles V, de bons sujets, mais de mauvais esclaves. Les ouvriers disent : L'abstinence totale, l'abstinence de la bière surtout c'est intolérable ; ce serait une exploitation de la classe ouvrière.
Dans le Royaume-Uni et en Amérique on avait poussé l'abstinence à ce point, parce qu'on pensait que ce remède radical était le seul efficace. On a réussi : mais chez nous, je pense qu'on obtiendrait un résultat contraire. Aussi on a substitué dans quelques pays étrangers la tempérance ordinaire à l'abstinence totale.
Ce sont les excès, c'est l'intempérance que nous devons combattre ; c'est la tempérance que nous devons propager, mais en supprimant les privations qui tiennent à un rigorisme excessif. Et ici, messieurs, ce ne sont pas des abstractions que j'avance, comme vous pourriez le croire ; je vais vous citer un fait, qui m'est personnel, pour vous faire voir jusqu'où l'on poussait l'abstinence. En 1842, je me trouvais à Dublin et j'assistai à une cérémonie d'initiation à une société de tempérance. C'est un des spectacles les plus intéressants, les plus curieux, que j'aie jamais vus. C'était sur une place publique. Il y avait une estrade sur laquelle se présenta d'abord un acolyte du père Mathieu ; car le chef de ce grand mouvement de tempérance se trouvait alors ailleurs pour installer une société de tempérance. La cérémonie commença par une espèce de sermon en plein air. Deux à trois cents personnes se jetèrent à genoux pour prendre l'engagement, le pledge, comme on dit, et j'ai retenu la formule que ces personnes énonçaient tout haut et qui prouve le rigorisme de l'institution, telle qu'elle était admise alors.
Cette formule consiste à dire : « Je promets, avec l'aide de Dieu, de ne jamais boire aucune boisson enivrante, si ce n'est en cas de maladie et par ordre du médecin.
Aucune boisson enivrante... Voilà bien l'abstinence poussée à l'excès. J'ajoute que je trouve quelque chose de trop rigoureux aussi et peut-être d'imprudent dans les mots : « avec l'aide de Dieu » ; et ici je parle d'après des autorités compétentes, d'après des évoques irlandais, auxquels je fis mes observations et qui reconnurent qu'il y avait en cela quelque chose d'exagéré, en ce que le peuple peu instruit trouvait souvent dans cet engagement d'honneur (car, dans l'intention du père Mathieu, il ne s'agissait que d'un engagement d'honneur), une espèce de serment, ce qui tendait à démoraliser le peuple sous un autre rapport, tout en le moralisant quant à l'usage des boissons. On est revenu de cette rigueur dans certaines contrées ; mais l'œuvre de la tempérance en a souffert ailleurs, surtout par un certain discrédit qui s'y est attaché.
Voilà l'inconvénient que présentaient ces sociétés telles qu'elles étaient constituées dans le principe, elles allaient trop loin et par la formule d'initiation et par l'exclusion complète de toute espèce de boisson enivrante ; la chose était poussée si loin qu'il y avait des hôtels de tempérance où il était impossible d'obtenir soit de la bière, soit du vin. Cela m'est arrivé dans un hôtel de Newcastle. J'ai dû faire chercher de l'ale dans le voisinage.
J'ai eu.,dans le temps, sous ma direction, à t des élèves anglais de 12 à 13 ans, qui étaient aussi des teatotallers ; ils étaient engagés dans une société dans laquelle on s'interdisait l'usage de toute boisson enivrante.
Ils refusaient de boire du vin et de la bière. On les appelait des hydropotes, des abstèmes ; mais rien n'y faisait ; ils bravaient les railleries de leurs condisciples. C'était beau de leur part ; mais j'ai remarqué, à cette occasion, une différence frappante, sous ce rapport, entre le caractère anglais et le caractère belge.
Il y a dans l'abstinence totale quelque chose de si rigoureux, messieurs, que je vous avoue que je n'oserais pas prêcher une pareille doctrine. Il faut savoir défendre, protéger tout ce qui conduit à la tempérance ; mais dans notre pays surtout, vu l'esprit de nos populations, il faut s'abstenir de toute exagération. Car en voulant trop, on n'obtient rien. L'excès du bien est souvent un mal.
Voilà, messieurs, dans quel sens je crois devoir appuyer les observations qui ont été présentées hier par un honorable collègue, que je remercie d'avoir soulevé cette grave, celle importante question de moralité publique. J'appelle toute l'attention du gouvernement sur cette matière, en l'engageant à accorder aux sociétés de tempérance un appui indirect et moral, cet appui sera, en toutes circonstances, salutaire, surtout s'il est secondé par tous les gens de bien.
M. le président. - M. Kervyn vient de faire parvenir au bureau le sous-amendement suivant à l'amendement de M. Dumortier :
« Comme conséquence de la majoration de 25 p. c. sur le droit d'accise sur les alcools, j'ai l'honneur de proposer un dégrèvement de 12 p. c. sur l'accise de la bière. »
La parole est à M. Kervyn pour développer son amendement.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, j'ai déjà, dans un discours assez étendu, développé les considérations sur lesquelles cet amendement est fondé.
Il résume les avertissements et les conclusions de la science économique et de la science médicale qui s'unissent pour nous dire : « Arrêtez la consommation des boissons alcooliques et favorisez en même temps la consommation des boissons fermentées qui sont saines, car les propager, les répandre, c'est encore combattre les boissons alcooliques. »
L'heure de la séance est déjà avancée, et je regretterais de prolonger au delà de certaines limites cette discussion. Je demanderai donc à la Chambre la permission de rencontrer seulement quelques arguments négatifs de l'honorable ministre des finances, et de m'efforcer en même temps de dissiper quelques doutes qui ont été présentés par M. le rapporteur de la section centrale.
M. le ministre des finances reconnaît avec nous toute l'étendue du mal ; il apprécie comme nous toute l'importance de ce débat, intimement lié aux plus hautes questions sociales et morales. Car s'il est établi que de la consommation des boissons alcooliques découlent et les progrès de l'aliénation mentale, et les progrès de la criminalité, rien ne mérite de fixer davantage toute la sollicitude des pouvoirs publics.
Si la consommation des boissons alcooliques avait seulement pour résultat d'affaiblir les bras de l'ouvrier et de préparer ainsi la décadence de l'industrie, déjà elle avait droit à toute votre attention. Car nous ne pouvons oublier cette observation de Montesquieu que l'un des devoirs les plus impérieux du législateur est de maintenir les populations dans la voie du travail et de les y ramener lorsqu'elles s'en écartent. Mais il y a ici quelque chose de plus ; nous sommes convaincus que non seulement dans l'ordre actuel des choses, non seulement dans la situation présente, mais même pour l'avenir, nous avons à nous préoccuper des conséquences de l'alcoolisme, de l'intoxication alcoolique, comme disent les médecins. Car ils sont d'accord pour nous apprendre que ce n'est pas seulement la génération actuelle qui subira les conséquences du mal, mais que ces conséquences s'étendront à la postérité, aux générations qui doivent suivre.
Il y a aussi cette question de la criminalité, qui mérite bien que la Chambre la pèse telle qu'elle est. Nous avons, pendant de longues séances, étudié avec un soin religieux les dispositions du Code pénal afin d'arrêter les progrès de la criminalité, et lorsque nous pourrions les prévenir par une réforme sage et prudente, nous hésiterions ! Ce point de vue, messieurs, réclame toute votre sollicitude.
Les criminalistes, ne l'oublions pas, s'accordent à déclarer sans hésitation que la moitié ou même les deux tiers des crimes et des délits résultent de l'abus des boissons alcooliques.
M. le ministre des finances reconnaît la gravité de la situation ; il la voit comme nous ; et lorsqu'il cherche le remède, il arrive à cet étrange résultat qu'après avoir tout lu, tout médité, tout considéré, il se demande ce qu'on peut faire, et se trouve réduit à dire : « Il n'y a rien à faire. » Du moins, le remède, il ne l'a pas trouvé.
A ce sujet, M. le ministre des finances a jeté un coup d'œil rapide sur les législations étrangères, et je me demande comment le remède ne s'est pas offert à lui.
Mais n'est-il pas avéré qu'en France, où la production des alcools est considérable, le droit est plus élevé qu'il ne l'est en Belgique, et en même temps la consommation n'a pas suivi l'ascension effrayante dont nous avons été les témoins ?
Dans un autre pays, en Angleterre, où il y a une capitale où se presse une population si infime et si nombreuse, en Angleterre où un vaste littoral est couvert de ports où abordent journellement de nombreux matelots avides de liqueurs alcooliques, les progrès de cette consommation sont loin d'être aussi considérables qu'en Belgique.
(page 75) Quel est donc le remède qui modère les excès de la consommation en Angleterre comme en France ? C'est le droit élevé qu'on y a établi dans le but d'arrêter et de limiter cette consommation.
M. le ministre des finances a parlé de la Suède. C'est un des pays où. l'on s'est préoccupé davantage de cette question. Une célébrité médicale de ce pays, le docteur Magnus Huss a attribué pour la première fois aux symptômes généraux des maladies alcooliques, le nom qu'elles conserveront celui d'alcoolisme.
Et quel est la conclusion de ses travaux ? C'est un devoir impérieux prescrit aux gouvernements d'arrêter par des mesures restrictives la consommation des boissons fortes.
M. le ministre a parlé aussi des Pays-Bas. Permettez-moi de m'arrêté un moment sur ce qui s'y passe. Là, la situation est des plus intéressantes ; là, messieurs, on applique précisément le système que l'honorable M. Liénart, d'accord avec le vœu de la section centrale, vous a proposé d'introduire en Belgique.
Dans les Pays-Bas, il n'y a pas de droit de débit, il . a qu'un droit d'accise, on a élevé, ce droit, je l'ai déjà dit, de 22 à 50 florins, dans la période de 1862 à 1866.
L'expérience a été faite. M. Schimmelpenninck déclare que le résultat a été parfaitement heureux ; il n'y a pas eu de perte pour le trésor, puisque tous les ans le trésor fail une recette de près de 25 millions de francs, et en même temps la consommation des boissons alcooliques s'est trouvée arrêtée dans son développement.
Voilà donc une expérience qui a réussi en Hollande dans ces dernières années et dont nous devons profiter. Nous ne saurions rechercher avec assez de soin si en Hollande, lorsqu'on a élevé le droit, on est arrivé à diminuer la consommation. J'ai voulu apprendre si le nombre des débits s'est accru, j'ai reçu une réponse négative ; et à un point de vue plus général, la Chambre aura à peser mûrement quelle a été l'influence. attestée par la statistique financière du droit sur l’élévation de la consommation.
En 1862,l le droit était de 22 florins, la consommation a été de 271,464 hectolitres.
En 1865 (et ici vous remarquerez exactement la même progression que nous avons vue en Belgique) ; en 1865, la consommation s'est élevée à 290,000 hectolitres. C'est alors que le gouvernement crut devoir intervenir, et par la loi du 31 décembre 1865, le droit a été porté de 22 à 35 florins.
Quel a été le résultat de cette augmentation de droit ? C'est qu'en 1864 la consommation est descendue de 290,000 à 255,000 hectolitres. Il y a donc eu un résultat immédiat, produit par l'élévation du droit, et ce résultat a été tellement important que la consommation, comme vous le voyez, a été réduite dans une large mesure.
En 1865, la consommation ne s'est élevée qu'à 263,000 hectolitres, et cependant le gouvernement, d'accord avec les états généraux, a cru devoir, par une loi du 1er mai 1866, élever de nouveau le droit et le porter à 50 florins.
Il serait très difficile en ce moment d'apprécier quelles ont été les conséquences de cette dernière loi qui remonte à une époque si peu éloignée ; mais les faits qui se sont passés en 1863 et en 1864 me semblent donner la preuve que lorsque le gouvernement élève, dans une notable mesure, le droit sur les alcools, il en résulte immédiatement une diminution non moins notable dans la consommation.
C'est là une expérience décisive quia été faite à nos portés, et je serais bien étonné que l’honorable rapporteur de la section centrale, qui pense comme moi que la question mérite toute la sollicitude de la Chambre, qui est convaincu comme moi qu'il est urgent de porter un remède à la situation, ne tînt pas compte de l'importance de cette expérience, faite dans un pays si rapproché du nôtre.
Messieurs, je suis d'autant plus surpris de l'opposition de M. le ministre des finances que notre désir à tous est d'alléger les impôts qui gênent le développement de l'agriculture et de l'industrie, et que rien ne doit nous retenir quand il y a lieu d'établir des impôts plus élevés dans un ordre de choses où il s'agit, non pas de développer et de protéger, mais d'arrêter et de restreindre.
Une recette de près de vingt-cinq millions de francs effectuée dans le royaume des Pays-Bas dont la population n'est que de 3,500,000 âmes, mériterait d'être prise en sérieuse considération par M le ministre des finances.
Ce qui me frappe, c'est que l'honorable ministre, qui se préoccupe profondément du côté moral de la question, cherche à l'atténuer outre mesure lorsqu'il l'envisage au point de vue politique. M. le ministre des finances, abordant ce côté spécial de la question, n'hésite pas à vous dire qu'il y a exagération dans le tableau que nous présentons, exagération dans les chiffres que nous groupons ; que la consommation n'a pas pris le développement que nous lui attribuons ; que surtout elle n'a pas exercé sur la composition du corps électoral cette influence que, d'après lui, nous nous plaisons à lui assigner.
M. le ministre des finances, à ce sujet, a eu recours à certains arguments qu'il m'est bien difficile d'admettre.
D'après M. le ministre des finances, un grand nombre de débitants de boissons alcooliques qui figurent à ce titre dans les recensements électoraux, ne sont pas des débitants, en ce sens que ce n'est pas le droit de débit qui constitue seul leur capacité électorale. D'après M. le ministre des finances, ce droit de débit ne fail que compléter cette capacité. En d'autres termes, maçons, charpentiers, forgerons, il leur manque quelque chose pour être électeurs. Ce quelque chose, 5 à 10 p. c peut-être, se trouve dans le droit de débit des boissons alcooliques, et il serait très regrettable, d'après M. le ministre, que des hommes qu'il proclame très dignes et très honorables, fussent exclus du corps électoral, parce qu'on leur enlèverait 5 à 10 p. c. d'appoint qu'ils doivent au débit de boissons.
J'avoue, messieurs, que cet argument me touche peu. Je suppose que j'aie devant moi deux hommes également honorables qui acquittent déjà 80 à 90 p. c. des contributions requises pour le cens électoral, parce qu'ils exercent des professions honorables, qu'ils sont maçons, charpentiers, forgerons.
De ces deux hommes il en est un qui n'étant pas content de l'aisance dont il jouit, fonde un débit de boissons fortes ; et parce que cet homme débitera des liqueurs aux dépens de la sauté publique, il deviendra électeur ; l'autre ne le sera pas. Et cependant il est certain qu'entre ces deux hommes le plus honorable est celui qui n'ouvre pas un débit de boisson fortes.
Mais, messieurs, l'argument même de M. le ministre des finances est-il bien exact ? Comment se passent les choses lors de l'inscription sur les listes électorales ? Dans la plupart des cas l'on transmet à l'électeur un bulletin où il inscrit son nom et sa profession, et dans ce cas, lorsqu'il exerce en même temps une industrie honnête, si je puis parler ainsi par opposition au commerce des boissons fortes, si en même temps qu'il est débitant de boisson, il est également propriétaire ou marchand, c'est cette dernière qualité qu'il inscrit sur son bulletin et non celle de débitant de boissons.
Dans d'autres cas encore, lorsque plusieurs professions sont indiquées sur un bulletin, et que ce bulletin est remis au contrôleur, ce fonctionnaire maintient une attribution unique, c'est-à-dire l'attribution principale qui n'est pas toujours celle de débitant de boissons.
Il y a de nombreux cas, où ce sont des épiciers, où ce sont des pâtissiers, où ce sont des boulangers qui joignent à leur industrie un débit de boissons, et dans ces cas, c'est l'industrie principale qui couvre les autres, et nous pouvons être certains qu'un grand nombre de débitants de boissons sont cachés sous d'autres qualités dans les listes électorales.
MfFOµ. - Vous vous trompez, monsieur Kervyn. On a relevé exactement, d'après les rôles, le nombre total des débitants qui à raison de leur patente spéciale figurent sur les listes électorales. Ce relevé n'a nullement été fait d'après les déclarations.
M. Kervyn de Lettenhove. - Il y a incontestablement aujourd'hui beaucoup d'épiciers qui exercent en même temps la profession de débitant de boissons. Eh bien, je crois que M. le ministre des finances voudra bien reconnaître qu'ils ne sont pas portés comme débitants de boissons dans la statistique électorale, mais qu'ils y figurent. comme épiciers.
MfFOµ. - Il ne s'agit pas de statistique électorale, mais bien de la statistique spéciale qui a été faite de tous les débitants de boissons ; qu'ils soient en même temps épiciers, charpentiers, charbonniers ou n'importe quoi, tous, sans exception, sont compris dans cette statistique.
M. Kervyn de Lettenhove. - En ce cas, je demanderai à M. le ministre des finances quel est le nombre de débitants de boissons qui figurent dans cette statistique spéciale électorale. Car le chiffre de 11,000, indiqué à plusieurs reprises par M. le ministre, ne peut représenter que le nombre de ceux qui sont exclusivement débitants de boissons.
MfFOµ. - C'est une (page 76) erreur. Le nombre des débitants de boissons de toutes catégories, épiciers, boulangers ou autres, s'élève, en Belgique à 93,000, si je ne me trompe. C'est le chiffre total. Sur les listes électorales, figurent 10,000 à 11,000 débitants de boissons, qui y sont portés, non pas uniquement à raison du droit de débit, mais pour lesquels ce droit sert d'appoint aux autres contributions qu'ils payent, pour parfaire le cens électoral.
M. Coomans. - Non compris ceux en grand nombre qui payent plus de 42 fr. sans la taxe sur le débit de boissons.
MfFOµ. - Il ne manquerait plus que de prétendre expulser du corps électoral ceux qui, payant le cens exigé par la loi, au moyen des contributions foncière, personnelle et patentes, payent en outre le droit de débit ! Voilà un système singulièrement démocratique !
M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai de la peine à comprendre l'interruption de M. le ministre des finances, car il est évident qu'un individu ne figure pas deux fois dans la statistique électorale. S'il exerce en même temps deux professions, il ne peut figurer dans cette statistique qu'à raison de l'une ou de l'autre de ces professions.
MfFOµ. - Je répète qu'il ne s'agit pas de statistique électorale ; il s'agit de la statistique spéciale et complète des débitants de boissons.
M. Kervyn de Lettenhove. - M. le ministre des finances, je fais usage en ce moment d'une statistique électorale par colonnes dont le total répond exactement à celui des électeurs et où ceux-ci sont répartis en catégories ; ils ne peuvent donc pas figurer deux fois dans cette statistique.
Or, cette statistique constate, en 1864, l'existence de 11,425 débitants de boissons. C'est là, je pense, le chiffre dont M. le ministre des finances a fait fréquemment usage dans cette discussion. Ces 11,425 débitants de boisson forment une catégorie spéciale dans la statistique électorale pour l'année 1864.
M. Sabatierµ. - C'est une erreur.
M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai encore à présenter un autre argument, c'est que le droit de débit s'élevant jusqu'à 60 francs il est évident que tous ceux qui appartiennent aux classes les plus élevées sont électeurs rien que par le droit de débit. Cela est vrai pour les grandes villes, et l'on m'affirme qu'à Bruxelles notamment il n'est pas un débitant de boissons qui ne soit électeur, et leur nombre s'élève, je pense, de 2,000 à 3,000.
MfFOµ. - Un grand nombre sont électeurs indépendamment du droit de débit.
M. Dumortier. - C'est leur droit, dans ce cas.
M. Kervyn de Lettenhove. - M. le ministre des finances, faisant usage du chiffre de 11 mille débitants de boissons, s'appuyait, je le répète, sur un chiffre qui remonte à 1864. Mais ce chiffre est-il encore exact aujourd'hui ? Si vous voulez bien remarquer que, de 1864 à 1867, la consommation s'est accrue de 50,000 hectolitres, vous arriverez nécessairement à cette conséquence que le nombre des débitants de boisson a probablement subi la même progression.
Et ici je m'appuie sur la statistique d'une de nos provinces, celle du Hainaut ; il y est constaté qu'en 1864, sur les listes électorales, il y avait 2,262 débitants de boissons inscrits, et, en 1866, il y en avait 2,602, de sorte qu'en deux années, l'augmentation a été de 10 p. c.
Voilà, messieurs, des renseignements que je puise dans la statistique de ces dernières années. Mais lorsque je remonte un peu plus haut, je me trouve devant des chiffres qui ont une signification bien plus grave et bien plus sinistre.
En 1845, dans notre corps électoral, ne figuraient que 1,084 débitants de boisson.
En 1849. il y en avait 3,895, c'est-à-dire trois fois plus qu'en 1845.
En 1864, il y en a 11,425, c'est-à-dire trois fois plus qu'en 1849.
Il serait facile, messieurs, de calculer, par une règle de progression mathématique, dans combien d'années ce nombre sera triplé, et lorsque vous serez arrivés à ce résultat, vous constaterez en même temps, dans le corps électoral, la présence de 35,000 débitants de boissons fortes.
Mais, messieurs, entre ces chiffres de 1849 et de 1864, il y a des proportions qui ne sont pas restées les mêmes, et il est intéressant d'étudier les modifications et les progressions de diverses natures. De 1849 à 1864, les professions libérales ont de plus 339 électeurs.
Les industriels et les marchands en gros, 490 ; les propriétaires, 1,508 ; les cultivateurs, 2,301.
Les débitants de boissons ont gagné 7,532 électeurs, c'est-à-dire près du tiers des 25,000 nouveaux électeurs qui de 1849 à 1864 sont entrés dans le corps électoral.
Mais à côté des élections générales, il y a l'élection communale. Pour ne pas abuser des moments de la Chambre, je m'en réfère sur ce point aux observations de l'honorable M. Sabatier, mais je persiste à dire comme lui qu'il y a quelque chose de profondément irrégulier à ce que les fonctionnaires communaux chargés de maintenir l'ordre ne soient, dans beaucoup de localités, que les délégués de ceux qui vivent par le désordre.
Messieurs, j'achève par un seul mot sur mon amendement.
La loi du 18 juillet 1860 avait fixé d'une manière très inégale, et selon moi très regrettable, l'impôt sur les bières et l'impôt sur l'alcool. Par la loi du 18 juillet 1860, l'hectolitre de cuve-matière était grevé, pour l'alcool, d'un droit de 2 fr. 45 cent., au lieu de 1 fr. 50 c., tandis que pour la bière le droit était élevé de 1 fr. 48 c. (additionnels non compris) à 4 francs.
Ainsi le législateur, au lieu de favoriser la boisson la plus saine, la plus utile, a au contraire frappé cette boisson utile et a favorisé la boisson nuisible.
Je viens demander à la Chambre de revenir à l'ancien état de choses et de tenir compte de ce qu'elle doit à la moralisation et à la civilisation du pays.
Je ne puis pas croire, messieurs, qu'il s'agisse ici d'une question d'intérêt politique. Je ne puis pas croire qu'un grand parti puisse placer sa force dans l'appui qu'il trouverait aussi bas.
Les partis, certainement, tiennent à leur force, mais ils ont aussi à se préoccuper de leur dignité, et c'est pour tous les partis une question de dignité que de ne s'appuyer que sur la partie honnête et honorable du corps électoral. Je ne puis croire que le gouvernement se laisse dominer par le côté étroit de la question politique, car il doit être, avant tout, le gardien, le gardien vigilant des grands intérêts moraux du pays.
Pour terminer, messieurs, je répéterai avec l'honorable M. Sabatier que les véritables progrès politiques sont ceux qui se lient le plus directement au grand intérêt de la moralité publique.
Il y a un mal incontestable, un péril imminent : vous en êtes tous convaincus, messieurs, le remède est urgent ; n'hésitez pas à l'apporter.
(page 79) M. Coomans. - Messieurs, fixons d'abord un point grave qui a été contesté par M. le ministre des finances.
L'honorable préopinant a dit que dans le corps électoral pour les Chambres il y a 11,000 cabaretiers qui ne seraient pas électeurs si le droit de débit de boissons alcooliques n'était pas compris dans le cens. Ce fait est vrai, mais j'ai cru que l'honorable ministre des finances le contestait. (Interruption.)
Je n'aurais pas compris, en effet, qu'on le contestât, puisque le gouvernement a reconnu que nous diminuerions de 11,000 le nombre des électeurs pour les Chambres si nous abolissions le droit de débit.
Messieurs, nous avons fait beaucoup de morale et d'excellente morale, à ce propos, mais nous n'avons pas fait assez de politique. Le but réel de la plupart des membres qui s'occupent de ce problème n'est pas aujourd'hui de restreindre plus ou moins la consommation des boissons fortes, le but réel c'est de chasser du corps électoral pour les Chambres 11,000 électeurs qui ne doivent pas y figurer.
M. Kervyn de Lettenhove. - Cela n'est pas exact pour moi.
M. Coomans. - J'ai démontré dans d'autres circonstances que puisque l'argent est considéré par vous comme la base du plus important des droits civiques, puisque vous accordez le droit politique à l'argent, vous devez être logiques et comprendre dans le corps électoral tous les citoyens les plus riches du pays. Voila la logique.
La Constitution a voulu, ou au moins les auteurs de la Constitution, ont voulu que le droit électoral ne fût, quant aux Chambres, accordé qu'aux citoyens les mieux rentés, qui ont le plus de fortune, et ils ont cru que c'était là une garantie importante d'ordre et d'intelligence.
Je conçois ce système ; il est logique au point de vue de ceux qui le soutiennent ; mais vous n'êtes pas logiques quand vous excluez du corps électoral 200,000 ou 300,000 pères de famille qui ont beaucoup plus de fortune que vos 11,000 faux électeurs.
Je m'explique.
Il y a en Belgique 300,000 fermiers beaucoup plus fortunés que vos 11,000 débitants de boissons fortes, et ici vous n'êtes pas dans la pensée des auteurs de la Constitution.
MfFOµ. - Proposez une patente ; s'ils ne payent pas d'impôts, ils ne peuvent oas être électeurs.
M. Coomans. - Vous voulez dire que la lettre de la Constitution et notre organisation financière s'opposent à ce que ces fermiers et d'autres catégories de Belges entrent dans le corps électoral ; vous avez raison, mais moi j'ai raison aussi quand je dis qu'il y aurait des moyens de les faire entrer constitutionnellement dans le corps électoral ; mais vous ne voulez pas de ces moyens parce que vous ne voulez pas des fermiers et des autres catégories de Belges auxquels je fais allusion.
Or, puisque vous soutenez ce principe, selon moi très mauvais, que l'argent est la raison d'être du premier des droits civiques, soyez conséquent et accordez l'exercice de ce droit aux citoyens les plus fortunés de la Belgique.
Vous ne le nierez pas, vous connaissez tous des fermiers qui possèdent 50,000 à 100,000 francs de capital, et qui ne sont pas électeurs parce qu'ils ne payent pas 42 francs d'impôt direct, c'est-à-dire, parce que l'impôt foncier, qu'ils payent réellement, est compté aux propriétaires.
Je ne veux pas développer toutes ces idées aujourd'hui, mais il vous serait facile de faire compter au moins une partie de l'impôt foncier au fermier, il vous serait facile aussi de faire payer patente au fermier en proportion de l'étendue de terre qu'il cultive, je le propose formellement, et de réduire d'autant l'impôt foncier. (Interruption.)
Je supprimerais peut-être quelques électeurs...
MfFOµ. - Tout autant que vous en créeriez.
M. Coomans. - ... ceux qui n'ont pas beaucoup de terres ; mais cette faible suppression d'électeurs serait amplement compensée par les 100,000, les 200,000 électeurs nouveaux que je ferais entrer dans le corps électoral.
J'insiste sur ce point. La logique n'est pas pour vous. La base de votre système électoral est menteuse. Vous affirmez que l'argent doit donner seul le droit politique et vous ne vous conformez pas à votre propre principe.
Il va sans dire que ceci n'est qu'un argument ad homines, car je n'admets pas, moi, que l'argent soit la base du premier des droits civiques.
Je crois que tous les citoyens belges ont le droit d'entrer dans les comices, je ne le cache pas, bien que je sache que c'est très mal vu par la majorité de cette assemblée, mais il m'est bien permis de vous engager à être au moins logiques et à pratiquer vos propres théories. Quand vous faites dépendre le gouvernement d'un pays d'une douzaine de voix de cabaretiers, comme cela est arrivé, je dis que c'est un grand danger, une injustice et un scandale. (Interruption.)
Je le maintiens, je le répète : les scrutins de liste sont déjà une combinaison dangereuse, injustifiable et aléatoire. Lorsque vous permettez à une petite majorité qui peut ne se composer que d'un seul cabaretier de nommer 7, 10, 11 représentants à la fois, je dis qu'il y a là un danger et, qui pis est, un scandale.
Plus vous raffinez vos fictions politiques, plus vous devez être justes dans l'application de ces fictions et, puisque vous prétendez que vous représentez le peuple belge, convainquez le peuple belge que vos moyens de représentation sont moraux et sincères. Il m'est impossible de considérer comme une majorité vraie, que ce soit une majorité de droite ou de gauche, celle qui, dans un scrutin douteux, ne l'aura emporté que par 12, 15, 50 voix, alors qu'à ce scrutin ont pris part des centaines de faux électeurs.
J'ai été très sensible au reproche que m'a fait l'honorable M. Frère, de vouloir diminuer le nombre des électeurs. J'ai dû y être sensible, car, depuis de longues années, je prétends que notre corps électoral est beaucoup trop restreint. Je suis tout prêt à accepter tous les moyens que l'on me proposera, d'augmenter le nombre des électeurs et je n'en exclurai pas les cabaretiers lorsqu'on y admettra les autres catégories de citoyens.
Votre théorie sur l'impôt direct et indirect est singulièrement ténébreuse. Je n'y comprends plus rien.
Vous avez soutenu dans cette discussion que la taxe sur les boissons alcooliques est incontestablement un impôt direct alors que vous savez que la représentation nationale à la presque unanimité, a soutenu le contraire pendant 10 ans.
Voici un moyen d'augmenter le nombre des électeurs.
Considérez comme impôt direct : la taxe perçue sur les passeports (interruption), je veux dire sur les permis de port d'armes. Je ne rétracte pas du reste le mot qui vient de m'échapper ; la taxe sur le passeport est un impôt direct.
- Une voix. - Il n'y en a plus.
M. Coomans. - On en délivre encore tous les jours et j'en demande le maintien dans certains cas. Il y en a encore et l'on continue à percevoir la taxe, et l'on fait bien.
En vain vous jouerez sur les mots quand vous me direz que le droit de 32 francs dont est frappé le permis de chasse est un timbre, parce qu'on lit sur un coin du papier timbré : 32 francs.
Au fond c'est un droit nominatif, personnel que vous prélevez sur certains individus.
Après tout, si nous vous demandions demain d'obliger les cabaretiers à timbrer leur enseigne, et de supprimer le droit de débit qui serait désormais prélevé sur le timbre de l'enseigne, quelle bonne raison nous opposeriez-vous ?
Vous recevriez le même argent, puisque le timbre pourrait se graduer d'après les classes que vous avez déterminées pour le débit.
Mais vous ne le voulez pas parce que vous croyez que les cabaretiers vous sont nécessaires.
Voilà la vérité pure. Je n'en veux pas d'autre preuve que toute la discussion. La raison vraie, fondamentale est presque toujours celle que l'on cache.
Le débat entre nous est celui-ci : Vous maintenez, par toutes sortes de mauvaises raisons, le droit de débit comme impôt direct parce que vous avez besoin de ces 11,000 électeurs dont nous nous occupons, et nous demandons, nous, la suppression de cet impôt prétendument direct parce que nous sommes très convaincus que nous gagnerions beaucoup à l’éloignement de ces 11, 000 électeurs. Voilà la vérité.
M. Bouvierµ. - Parce qu'ils sont libéraux.
M. Coomans - Ne soyez pas fier de ces libéraux-là.
Qui doit décider entre ces deux prétentions ? La justice. La justice exige que vous (page 80) ne renforciez pas artificiellement un parti au détriment d’un autre et que l'on n'emploie que des moyens honnêtes pour avoir le droit de se dire majorité et gouvernement.
J'attends les observations que l'on pourrait faire à mon amendement. Je désire qu'on me montre quelle différence il y a entre le permis de port d'armes et le permis de verser des boissons fortes, entre le permis de chasser et le permis de faire des ivrognes.
Vous n'y arriverez pas si ce n'est moyennant le jeu de mots auquel je viens de faire allusion. Vous nous direz toujours : Mais le port d'armes est un timbre !... Eh bien, encore une fois, timbrez vos boutiques.
(page 76) M. Sabatier, rapporteurµ. - J'ai quelques observations à présenter au sujet de l'amendement de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove.
Cet amendement comporte deux choses : l'augmentation du droit d'accise, de 25 p. c. sur les alcools, et la réduction du droit d'accise sur les bières de 12 1/2 p. c.
En ce qui concerne l'augmentation du droit d'accise sur les alcools, je me suis déjà prononcé ; j'ai fait remarquer dans le cours de cette discussion, qu'à mon sens une augmentation très notable du prix du genièvre pourrait avoir de l'influence sur la consommation ; mais évidemment ce n'est pas l'augmentation de 25 p. c. sur l'accise qui aurait pour conséquence Une différence de prix suffisamment importante des eaux-de-vie, puisque ces 25 p. c. représentent 8 à 9 centimes seulement par litre.
A l'appui de cette idée que la hauteur du prix des eaux-de-vie pouvait exercer de 1'iufluence sur la consommation, j'ai cité le fait qu'en Angleterre le droit d'accise était de fr. 2,75 par litre tandis qu'il n'était que de 55 centimes en Belgique et que la consommation était en Angleterre de 4 litres à peine par habitant tandis qu'elle est actuellement de 8 litres.
J'ai ajouté qu'en 1828 alors que le droit était de 12 shillings par gallon, soit fr. 3,23 par litre4 la consommation s'était trouvée tellement déprimée que pour rétablir les recettes compromises on avait été obligé d'abaisser le droit jusqu'à 7 shillings.
J'ai donc, contrairement à ce que supposait l'honorable M. Kervyn, soutenu qu'une grande différence de prix pourrait amener une différence dans la consommation ; l'amendement qu'il propose ne saurait avoir cet effet.
Je n'insiste pas sur ce point.
J'aborde la seconde partie de l'amendement de M. Kervyn.
L'honorable membre veut réduire le droit d'accise sur les bières de 12 1/2 p. c, mais qui réclame cette réduction, au nom de quel intérêt nous convie-t-on à voter cette réduction ?
L'honorable M. Kervyn a-t-il songé que du chef de la réduction qu'il propose il y a pour le trésor une perte de 1,750,000 fr. ? Je le répète, personne ne réclame cette modification à la loi de 1860 ? Est-ce au nom des consommateurs l'on parle ? Ils sont à peu près désintéressés dans la question et en voici la preuve :
(page 77) Anciennement le droit d'accise était non pas de fr. 1-48, comme le disait l'honorable membre, mais de fr. 2-08, et au moyen d'un hectolitre de bière sortant des cuves, on en fabriquait I hectolitre et 5/10 environ. Aujourd'hui le droit est de 4 fr., et on est arrivé à fabriquer 2 1/4 litres de bière livrable au commerce.
C'est un progrès qui absorbe la très grande partie de l'augmentation du droit, et si l'on établit par le calcul quel est en définitive le droit dont la bière mise en consommation est frappée dans les deux hypothèses, on arrive à ce résultat que la différence entre le droit ancien et le droit nouveau représente simplement de 50 à 55 centimes par hectolitre, ce qui fait un demi-centime par litre ; ce qui ne permettrait certes pas de diminuer le prix de la vente en détail.
Par la faible réduction du droit que vous indiquez ou proposez, vous n'augmenterez pas la consommation de la bière. De toute façon donc le consommateur est désintéressé dans la question.
Une réduction de droit est-elle réclamée par les brasseurs ? Nullement. L'intérêt de l'agriculture est-il en jeu ? Je dois croire que non, attendu que le conseil supérieur d'agriculture s'est occupé du droit d'accise dans sa session de 1867 et que voici la résolution qu'il a prise. Je cite textuellement : « Abordant la question relative à la diminution du droit d'accise sur la bière, le conseil décide que l'intérêt de l'agriculture ne réclamait pas ce dégrèvement. »
Je ne vois donc pas au nom de quels intérêts M. Kervyn enlèverait au trésor une somme de près de 1,750,000 fr., dont 400,000 à 500,000 fr. reviennent au fonds communal, à moins, messieurs, qu'on ne vienne prétendre ici, comme on l'a fait dans une autre assemblée où l'on s'occupait naguère des moyens de supprimer totalement les douanes, que le fonds communal lui-même pourrait être supprimé.
M. de Brouckere. - Qu'on s'en garde bien.
M. Sabatier, rapporteurµ. - Oui, qu'on s'en garde, car le fonds communal est une dette du gouvernement vis-à-vis des communes, une dette sacrée, c'est mieux que cela ; c'est une restitution au profit des communes des droits imposés sur certaines matières, certains fabricats et prélevés en vertu même de la loi qui a aboli les octrois. Oh ! je sais que pour combattre l'institution du fonds communal, on a invoqué l'indépendance des communes ; on prétend qu'elles n'ont plus, vis-à-vis le gouvernement, la même liberté et que la vie communale en souffre.
L'indépendance et la dignité des communes n'ont rien à faire ici. Quelles que soient les démarches des autorités communales, le gouvernement ne saurait attribuer à telle ou telle commune autre chose que ce que la loi prescrit de donner sans hésiter. Messieurs, nous devons rejeter toute proposition qui aurait pour conséquence de toucher au fonds communal. Plus il s'accroîtra, plus on pourra faire de sacrifices en faveur de l'instruction, plus on développera la voirie vicinale, plus on construira de routes et, comme je l'entends dire à mes côtés, les églises ne sont pas non plus oubliées dans l'emploi des fonds mis à la disposition des communes. A tous les points de vue donc, je combats l'amendement de l'honorable M. Kervyn.
- Des voix : La clôture !
M. Kervyn de Lettenhove. - Je demande la parole.
M. le président. - La clôture est demandée, désirez-vous avoir la parole sur la clôture ?
M. Kervyn de Lettenhove. - Oui, M. le président, cela me permettra d'indiquer tout ce que j'avais à dire. Je voulais simplement déclarer que la question morale, en dehors de la question politique, était à elle seule assez grave pour dicter mes paroles, et que si j'ai proposé à la fois une augmentation de droit sur les alcools et une réduction de droit sur les bières, c'est parce que tel me semble le devoir du législateur lorsqu'il voit diminuer l'usage d'une liqueur utile et se répandre rapidement celui d'une boisson essentiellement nuisible.
MfFOµ. - Deux mots seulement. (Interruption.) Je cède au désir manifesté par la Chambre de clore cette discussion, bien que j'eusse désiré relever une série d'erreurs assez considérable, commises par les orateurs que vous venez d'entendre.
- Voix à droite. - A demain.
MfFOµ. - C'est inutile ; je déclare que je n'insiste pas ; je me borne à signaler ces erreurs d'une manière générale, afin que le silence du gouvernement ne soit pas considéré comme un acquiescement.
- La clôture est prononcée.
M. le président. - Nous avons d'abord la proposition de M. Liénart, ainsi conçue :
« Supprimer le produit de l'impôt sur le débit des boissons alcooliques.
« Majorer de 12 1/2 p. c. ou d'un huitième le droit d'accise sur la fabrication des boissons alcooliques.
« Stipuler spécialement que le produit provenant de cette majoration sera exempt de la réduction de 33 p. c. établie en faveur du fonds communal par la loi du 18 juillet 1860. »
Cette proposition est sous-amendée par M. Dumortier qui propose de fixer à 25 p. c. le taux proposé par M. Liénart.
Il y a enfin une disposition complémentaire de M. Kervyn de Lettenhove portant :
« Comme conséquence de la majoration de 25 p. c. sur le droit d'accise sur les alcools, j'ai l'honneur de proposer un dégrèvement de 12 p. c. sur l'accise de la bière. »
Je vais mettre d'abord aux voix la proposition de M. Dumortier qui s'éloigne le plus de celle du gouvernement.
M. de Naeyerµ. - L'amendement de M. Liénart est complexe ; il embrasse plusieurs propositions ; j'en demanderai la division.
M. le président. - La division est de droit ; il y a donc d'abord le premier paragraphe, ainsi conçu :
« Supprimer le produit de l'impôt sur le débit des boissons alcooliques. »
- Des voix. - L'appel nominal.
- Il est procédé à cette opération.
En voici le résultat :
89 membres prennent part au vote.
34 répondent oui.
55 répondent non.
Eu conséquence la Chambre n'adopte pas.
Ont voté l'adoption :
MM. Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans, de Coninck, de- Haerne, Delcour, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Zerezo de Tejada, Dumortier, d'Ursel, Hayez, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Liénart, Moncheur, Notelteirs, Reynaert, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vander Donckt et Van Hoorde.
Ont voté le rejet :
MM. Vleminckx, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, De Lexhy, d'Elhoungne, de Maere, de Rongé, Descamps, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens, Moreau, Muller, Orban, Orts, Preud'homme, Rogier, Sabatier, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem.
M. le président. - Les autres dispositions de l'amendement et des sous-amendements venant à tomber par suite du vote que vient d'émettre la Chambre, il nous reste à voter sur l'article du budget.
- Cet article est adopte.
MpVµ. - Les sections ont composé la commission de comptabilité comme suit : MM. Delaet, de Kerchove de Denterghem, Hymans, Carlier, Vander Donckt et Vermeire.
- La séance est levée à 4 3/4 heures.