(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 1533) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Léger se plaint des retards que subissent l'envoi des Annales parlementaires et la publication des Documents.
- Renvoi à la commission des pétitions.
MpVµ. - La discussion continue sur l'article 10 et les amendements qui s'y rattachent.
M. Rodenbach. - Messieurs, je regrette que le vote à la commune ait été repoussé hier ; après cette décision de la Chambre, il ne reste plus qu'à tolérer les banquets ou à admettre l'indemnité.
Je n'ai pas bonne opinion de la loi qui nous occupe ; je suis persuadé que les fraudes continueront comme par le passé. En Angleterre, depuis cinquante ans, on a déjà fait au moins une demi-douzaine de lois pour modifier la législation électorale, et malgré toutes les lois, les banquets continuent de même que les rixes.
Il y a cependant progrès, au dire des Anglais, qui sont charmés et trouvent que jamais la nation ne s'est montrée plus digne parce que tout récemment il n'y a eu qu'un mort, 20 blessés, 4 incendies et une dizaine d'émeutes. Il est interdit aussi en Angleterre d'avoir des signes de ralliement ; pourtant lord Palmerston lui-même est entré dans la ville de Tiverton, oh il a été élu, musique et tambour en tête, précédé d'un drapeau.
D'après la loi que nous discutons, ce fait serait puni d'une amende de 50 à 500 francs. Je le répète, messieurs, cette loi sera une loi détestable ; elle ne pourra pas s'exécuter et, quoi qu'on fasse, il y aura des dîners, à moins que vous n'admettiez l'indemnité.
Comment voulez-vous empêcher qu'on fasse politesse même un jour d'élections, à celui qui vous a fait politesse dans une autre occasion ? Comment un tribunal distinguera t-il entre les cas où le dîner est offert dans un intérêt électoral et ceux où il est offert pour un autre motif. Vous aboutissez, avec le système du gouvernement, à un arbitraire épouvantable.
On est disposé, messieurs, à indemniser les électeurs du chef des frais de transport : c'est admettre le principe ; qu'on fasse quelque chose de plus et qu'on accorde aux électeurs une indemnité suffisante pour qu'ils ne soient pas obligés de dépenser de l'argent. Sans cela, messieurs, votre loi sera une loi tout à fait absurde.
J'ai quelque expérience des élections et je sais parfaitement que depuis bien des années on donne à boire et à manger, c'est entré plus ou moins dans nos mœurs. Eh bien, l'article 10 dit que ceux qui auront donné à boire ou à manger payeront 26 à 200 francs d'amende. Y a-t-il là un crime ou un délit ? Ces dépenses se font-elles en vue de corrompre l'électeur, d'acheter son vote ? Pas le moins du monde. Ce qu'on veut, c'est de faciliter à l'électeur l'accès de l'urne.
Si tel est le but qu'en général on poursuit, il n'y a rien là d'illégitime.
Je le demande, est-il possible de punir un pareil fait d'une amende de 26 à 200 fr., comme le porte l'article 10, qui est passablement élastique.
Quoi que l'on fasse, je crois qu'on ne parviendra pas à l'empêcher en éludant la loi.
J'ai pris connaissance de l'amendement de l'honorable M. Sabatier, et je dois dire que cet amendement me sourit assez ; je crois qu'il n'en résulterait pas une charge considérable pour le trésor. On parle de 150,000 fr. tout les quatre ans.
Veuillez remarquer, messieurs, que si le citadin aime les petits dîners, s'il lui faut du Champagne mousseux, il n'en est pas de même du campagnard : celui-ci se contente d'un modeste repas et d'un verre de bière ; tout au plus faudra-t-il lui offrir du bordeaux. Je sais que dans certaines localités wallonnes, les élections sont l'occasion de régals qui commencent quinze jours avant les élections et qui durent encore quinze jours après ; mais la section centrale punit ces abus ; personne ici ne demande qu'on les tolère.
Au reste, ces abus ne sont pas aussi fréquents qu'on a l'air de le dire et bien certainement nous sommes loin des pratiques en usage en Angleterre en matière électorale. Ainsi tous les journaux nous ont parlé d'une ville d'Angleterre appelée Weymouth, où des votes ont été achetés au prix de 750, 1,000 et jusqu'à 2,000 francs. Voilà, messieurs, ce qui se passe de nos jours, malgré les lois, dans le pays le plus constitutionnel de l'Europe. Le peuple belge n'est fort heureusement pas arrivé à ce degré de corruption ; l'achat des votes, dans le sens rigoureux du mot, est pour ainsi dire inconnu chez nous.
Mais je crains fort que nous n'ayons un jour à constater des faits analogues si nous n'adoptons pas le principe de l'indemnité qui, seul, peut soustraire notre pays au scandale qui désole la constitutionnelle Angleterre.
M. Julliot. - Messieurs, discutons l'article 10 sous toutes ses faces, en y mettant autant d'ordre que possible. Cet article est le plus important de la loi.
Il est évident qu'en prohibant les transports et les repas des électeurs et qu'en leur refusant toute indemnité, on réduit de fait le corps électoral dans les petits districts aux électeurs du canton chef-lieu d'arrondissement.
Il ne faut pas se faire illusion, l'adoption de ce système, c'est la substitution d'une tricherie patente sur une grande échelle à de prétendues fraudes de détail fort exagérées. C'est dire aux campagnards : « On vous indemnisait par le transport et les consommations, à l'avenir vous conservez le passif de l'électoral, mais c'est à vos frais que vous irez aux comices. »
Eh bien, cela équivaut à leur dire : « Restez chez vous si vous voulez être bien conseillés, le transport et le repas sont remplacés par hou nombre d'amendes nouvelles auxquelles vous vous exposez si vous faites l'élection. »
Donc si tel était le sort de la loi, je prédis que la réaction nous donnerait le suffrage universel dans un bref délai.
Le parti conservateur n'est pas intéressé à ce suffrage, mais je dis que si on lui applique l'expédient dont on le menace, il est de son devoir da se joindre en masse à ceux qui le demandent, afin d'égaliser les positions, et ce mouvement ne se fera pas attendre.
Si nous dépensons de l'argent, c'est malgré nous, car c'est pour corriger la loi qui éloigne les électeurs de l'urne.
L'honorable ministre des finances a bien posé la question en peu de mots, il y a quelques jours, il a dit : La mission de l'électeur est une fonction, et si vous trouvez que le censitaire actuel se laisse corrompre par un dîner, vous devez admettre que, dans le suffrage universel qua vous réclamez, l'électeur se vendra pour une tartine et un verre de bière, et c'est vrai.
A la suite de cet exposé, je fais une seule question que voici : Veut-on une loi qui réprime les fraudes à titre égal pour toutes les positions électorales, ou veut-on fabriquer un traquenard à déposer aux portes de la ville, le jour des élections, pour détourner l'électeur éloigné de l'exercice de ses droits ?
Qu'on le dise et nous saurons à quoi nous en tenir, car, vouloir que l'électeur dépense son argent et s'expose à autant d'amendes qu'il y a d'articles, c'est vouloir son abstention.
Messieurs, je suis affligé de la réputation que l'on fait à mon pays. C'est cette lutte stérile de tous les jours qui conduit les partis en dehors de cette enceinte à s'accuser mutuellement du vice honteux de corruption.
A propos d'un dîner, on dénonce le corps électoral comme un tas de mercenaires, de misérables dont la conscience est à vendre au prix d'un repas, d'une menace de curé ou d'une promesse du gouvernement.
Ce sont d'abord les repas qui corrompent le plus. Puis les uns disent que l'élection se fait par le confessionnal.
Les autres soutiennent que le gouvernement emploie l'argent du contribuable à acheter des votes.
(page 1534) C'est-à-dire que le curé fait bon marché de la conscience de l'électeur et que le gouvernement trafique de l'influence que le pays lui a donnée. Voilà ce qu'on lit dans la presse.
Eh bien, je proteste contre toutes ces accusations : elles sont fausses. Si de l'un et de l'autre côté on abuse un peu de son influence, ce n'est qu'à un faible degré, et cet inconvénient, vous ne l'éviterez pas, quoi que vous fassiez.
Si tout ce que l'on débite sur les corrupteurs et les corrompus était vrai, notre régime parlementaire serait près de sa chute, et en ne protestant pas contre toutes ces erreurs, nous faisons les affaires du pouvoir absolu, nous justifions les faits et gestes qui se passent en Prusse où l'on ne compte plus avec le parlement.
Selon moi, nous devons défendre l'honneur et la moralité du peuple belge en ne cédant pas au courant de la presse et des clameurs de la place publique, quand elles accusent des corruptions qui n'existent pas. Et les corrupteurs sont donc les représentants des deux partis, et alors que peut-on attendre d'une loi contre la corruption faite par les corrupteurs eux-mêmes ?
Eh bien, on a décrété une enquête sur les repas, avec l'idée préconçue de trouver des coupables et on n'a pu faire la moindre poursuite.
Nos passions déconsidèrent le régime parlementaire ; évitons une étourderie politique de plus aux dépens de nos institutions.
Arrière donc les accusations de corruption dans les deux partis ! Elles sont fausses, car s'il en était ainsi, il ne faudrait pas s'arrêter en chemin.
Si le représentant achète des électeurs par de grosses viandes souvent coriaces, vous devez en conclure que les ministres, en invitant des représentants à des dîners délicats, achètent ces derniers.
Car, si l'électeur escompte un dîner qu'il n'a pas encore pris, il est admissible que le représentant atteint de gastronomie (et cela se voit) conserve assez longtemps la mémoire du cœur et du menu.
Ce n'est pas de moi que je parle, car les soupes ministérielles actuelles sont trop vertes pour que je les mange.
Il ne faudrait même pas s'arrêter à ce point. Dans ce système, plus les dîners ont de l'apparat, plus ils doivent agir sur les constitutions.
Donc, pour être logiques, il ne faut pas vous arrêter aux petits, mais prohiber les repas sur toute l'échelle hiérarchique, ou vous êtes incomplets.
J'aime trop le peuple, pour ne pas admettre que l'honnête homme se trouve aussi bien sous la blouse que sous l'habit étriqué d'un monsieur.
Messieurs, ne fardons pas la vérité : vouloir supprimer les transports et les repas sans indemnité, c'est admettre une loi odieuse de parti que vous ne voterez pas.
Ces mesures auront pour résultat inévitable l'absence forcée de la moitié des électeurs au jour de l'élection.
C'est la suppression matérielle de la moitié du corps électoral, ce seront les villes seules qui feront les élections et il faut être aveuglé par l'esprit de parti pour tendre à ce but.
Eh bien, si c'est là ce que l'on veut, qu'on le dise, mais qu'on ne cherche pas le but par des moyens détournés. Ce sera une fraude électorale monstrueuse qui affectera la moitié du pays. J'admets donc l'article 10 du gouvernement avec l'amendement de la section centrale qui réduit les consommations au jour de l'élection même, ou bien j'admets l'indemnité proportionnelle. Il me semble qu'il sera difficile pour le gouvernement de combattre cet amendement, car M. le ministre des finances en a posé le jalon en disant que l'électorat est une fonction.
En effet, le jury, le témoignage en justice et l'électorat étant des fonctions, pourquoi indemnisera-t-on le juré et le témoin, si on le refuse à l'électeur ? Je ne me charge pas de l'expliquer. Et qu'on me dise surtout pourquoi on indemnise le représentant ?
On s'est demandé hier si l'électorat était une fonction, si l'électeur remplissait un mandat qu'il tient de la loi.
Cette demande n'en est pas une, car si l'électeur ne représentait que sa personne, la Chambre ne représenterait que cent mille âmes sur cinq millions, ce qui est une hérésie colossale, c'est une question de l'école primaire constitutionnelle à inscrire au programme des enfants.
L'ensemble des électeurs représente la nation tout entière et agit pour elle en exerçant ses droits électoraux. Si on me conteste cela, je déclare que nos institutions sont des mensonges et que nous ne devons pas les conserver dans le faux où elles se trouvent.
L'électorat est donc un droit exceptionnel, mais en même temps une fonction très importante, à l'accomplissement de laquelle on doit accorder ce que l'on accorde à l'exercice des fonctions en général. Que ce concours lui vienne de l'individu ou des individus collectifs qui font l'Etat, là n'est pas la question ; mais rendre à l'électeur l'exercice de ses fonctions difficile pour ne pas dire impossible, c'est détruire nos institutions par la base.
Messieurs, en refusant à l'électeur éloigné les moyens d'avoir accès à l'urne électorale, c'est exiger et prévoir que les électeurs éloignés de 15 à 40 kilomètres dépenseront leur argent pendant un ou deux jours pour déposer un bulletin, c'est mentir sciemment et c'est les rayer moralement de la liste des électeurs, c'est assimiler l'électeur au sénateur qui aussi siège sans indemnité.
Dans ce système les élections se feront par le chef-lieu, et pour beaucoup de localités les trois quarts des électeurs seront matériellement empêchés d'y concourir.
Mais alors nos institutions seront faussées dans leur essence et n'auront plus de raison d'être, à moins qu'on n'arrive à l'élection à la commune, ce qui est inévitable si vous supprimez les nécessités électorales actuelles.
Comment ? si quelqu'un vous proposait, afin d'avoir des élections mieux raisonnées, de réduire le corps électoral d'un quart en élevant le cens au double de ce qu'il est, vous diriez que c'est du rétrograde, qu'il faut élargir la base au lieu de la rétrécir, et ici vous voteriez une loi qui par des moyens détournés réduirait la moitié du corps électoral à l'abstention. Mais non ! Vous reculerez devant cette énormité.
Il s'agit donc de dire ce que l'on veut ; est-ce une loi de parti ? Qu'on le dise ? Ou est-ce une amélioration au profit de tout ce qui existe ? Voilà la question à laquelle le gouvernement est convié de répondre. En d'autres termes, a-t-on juré de faire disparaître à tout prix le parti conservateur, qu'au Chili on appelle le parti de l'ordre ?
Messieurs, un mot pour finir.
Je suis adversaire des fraudes, mais je demande qu'on égalise les positions.
Dans les temps ordinaires, dans des conditions normales et durables, ceux qui tiennent le pouvoir peuvent quelque peu se livrer sans inconvénients à leurs sympathies politiques et sociales ; ce n'est pas alors que les qualités de l'homme d'Etat sont les plus nécessaires ; mais quand un pays se trouve dans des conditions exceptionnelles de présent et d'avenir, quand on se trouve devant l'inconnu, sur quoi je n'ai pas à m'expliquer, c'est alors surtout qu'il faut que ceux qui tiennent le pouvoir imposent silence à leurs goûts et à leurs prédilections en laissant la direction à l'homme d'Etat moralement responsable de l'union, de la force et de l'avenir du pays dont la destinée lui est confiée.
Je voterai donc les amendements à l'article 10 qui pourront améliorer le projet du gouvernement en égalisant les positions des électeurs.
M. Dupontµ. - Un dissentiment s'est élevé, à propos de l'article 10, entre la section centrale et le gouvernement. La section centrale, et encore est-elle partagée, fait une distinction entre les différentes espèces de dîners. Si ces dîners ont eu lieu les jours qui ont précédé l'élection, s'ils ont été offerts, promis ou donnés pendant les jours qui ont suivi l'élection, ces dîners sont punis ; si au contraire ils ont eu lieu le jour même de l'élection, la section centrale, sans vouloir cependant les justifier, les autorise tout au moins.
Le gouvernement au contraire, dans la répression, se montre plus énergique, plus absolu, il interdit les dîners d'une façon tout à fait nette et catégorique.
Une autre distinction a été faite entre les dîners et les moyens de transport ; la section centrale est d'accord avec le gouvernement pour autoriser complètement le candidat ou ses amis politiques à mettre à la disposition des électeurs des moyens de transport.
Un amendement a surgi ; la question qu'il soulève est celle de savoir s'il y a lieu, en admettant le projet du gouvernement, d'admettre également une indemnité en faveur des électeurs qui doivent se déplacer pour venir au scrutin.
Nous avons donc à nous prononcer, tout à la fois sur cet amendement et sur l'article 10, car l'article 10 et l'amendement sont intimement liés.
En ce qui concerne l'article 10, je déclare, pour ma part, que je voterai le projet du gouvernement. Je le voterai parce que je considère les dîners électoraux comme une atteinte portée à la dignité du candidat et des élections elles-mêmes.
Je dis que les dîners électoraux sont une atteinte portée à la sincérité du régime représentatif, et ici je me bornerai à rappeler les raisons développées avec tant de force dans l'exposé des motifs et dans le rapport de la section centrale. Tout le monde est d'accord que ce genre de dépenses en devenant de jour en jour plus considérable, finira par créer une espèce de cens d'éligibilité, qui est contraire au texte de l'article 50 de la Constitution. Quel est l'esprit qui a guidé le Congrès ? Il a voulu (page 1535) permettre l'accès de cette tribune à tous ceux qui réunissaient les conditions d'âge, de capacité et de domicile indispensables ; il a été contraire à la pensée d'exiger que ceux qui voudraient briguer un mandat représentatif eussent une grande fortune, pussent dépenser des sommes considérables. Il a voulu, en un mot, que le talent et les sympathies publiques et non pas l'argent fussent les moyens d'obtenir un siège dans cette Chambre. Il a voulu que nos institutions fussent, sous ce rapport, réellement et sincèrement démocratiques.
Ainsi, les dîners, en occasionnant des frais énormes aux candidats dans certains arrondissements du pays, sont d'abord une atteinte à la sincérité du régime représentatif. J'ajoute que la dignité du candidat et de l'électeur a également à en souffrir parce que les relations qui doivent exister entre le candidat et l'électeur ne doivent pas descendre à un échange de bons procédés ; les idées qui doivent diriger l'électeur lorsqu'il fait choix d'un mandataire doivent être des idées extrêmement hautes, généreuses et élevées ; l'électeur doit chercher l'homme le plus apte à représenter l'arrondissement et le pays, celui dans lequel il a le plus de confiance, il ne doit surtout pas se laisser diriger par ce que j'appellerai l'appât d'un bon dîner. Dans cet ordre d'idées, le candidat devient en quelque sorte l'obligé de l'électeur, qui lui témoigne sa reconnaissance par de copieuses libations ; je ne veux pas de cette situation ; je veux que le candidat et l'électeur soient guidés par des sentiments plus élevés lorsque l'un brigue et que l'autre confère un mandat représentatif.
Les dîners électoraux sont aussi contraires à l'indépendance de l'électeur. Nous avons cherché à garantir, par l'adoption du couloir et du papier électoral, le secret du vote, c'est là l'idéal auquel nous devons tendre, car le jour où le vote sera entièrement secret, bien des abus disparaîtront sans retour. Or, le dîner est un moyen de forcer l'électeur, sous la pression qu'il subit, à se prononcer publiquement pour l'une des deux opinions en présence. On exige qu'il vienne dîner avec les amis politiques de tel ou tel candidat.
Je sais bien que l'électeur pourra à la rigueur manger le dîner et voter pour l'adversaire de celui qui le régale ainsi malgré lui, cela s'est même fait parfois. Mais c'est le mettre dans une position qui franchement n'est ni digne ni délicate, et je suis hostile aux dîners électoraux précisément parce qu'ils conduisent à de telles conséquences, parce qu'ils sont de nature à diminuer chez l'électeur le sentiment de sa dignité.
Des objections ont été formulées. On a dit, et je trouve cette objection dans le rapport de la section centrale, que si la loi interdisait les dîners, elle serait inefficace.
On a dit aussi qu'on éluderait la loi. Si la loi peut être éludée, il ne faut pas évidemment que nous nous donnions la peine de la discuter et de la faire.
Mais je crois, au contraire, que la loi sera efficace et qu'on ne pourra pas l'éluder facilement, j'en ai pour garant l'esprit de légalité qui règne en Belgique et y exerce une si heureuse influence.
Si les dîners électoraux étaient entrés dans les mœurs d'une façon définitive, si cet abus s'était réellement implanté dans le pays, je comprendrais les doutes. Mais l'exemple de l'Angleterre ne peut être cité ; en Angleterre, les dîners électoraux existent depuis un ou deux siècles, c'est en quelque sorte un usage entré dans les mœurs et l'honorable rapporteur de la section centrale nous a dit une chose très vraie, c'est qu'il y a une grande différence entre les discours qu'on prononce en Angleterre sur la corruption électorale et le sentiment public.
En Angleterre, l'opinion innocente ces abus, elle les considère comme étant une chose inséparable des élections et cela résulte de ce que ces dépenses électorales, comme je le disais tout à l'heure, y existent depuis très longtemps.
Il s'ensuit que quand on fait des lois sur cette matière en Angleterre, ces lois, quoique défendues avec éloquence dans le parlement, n'ont pas l'assentiment de la conscience publique.
En est-il de même en Belgique, messieurs ? Je ne le pense pas ; je crois que dans notre pays, il y a en ce moment un cri de réprobation unanime contre les dépenses électorales exagérées ; tout le monde est d'avis qu'il y a lieu d'y mettre un terme ; la conscience publique chez nous à la différence de ce qui existe en Angleterre, est unanime pour protester contre ces dépenses et demander que des dispositions rigoureuses, énergiques, soient prises.
Je crois donc que la loi sera d'accord avec le sentiment général et que par cela même qu'elle y trouvera un appui, par cela même que l'abus ne s'est introduit chez nous que depuis un petit nombre d'années, la loi sera observée.
Je ne pense pas, d'un autre côté, qu'il sera aussi difficile qu'on le suppose d'éluder la loi. On prétend cependant le contraire ; en effet, dit-on, vous ne pouvez pas interdire les repas privés ; vous ne pouvez pas empêcher un candidat de recevoir ses amis, les membres de sa famille, et du moment que vous admettez que l'empire de la loi s'arrête au seuil du foyer domestique, du moment que vous admettez que ces repas privés seront permis, on organisera de prétendus repas privés qui n'auront de privé que le nom, et de cette façon, les dépenses, au lieu de diminuer, augmenteront dans une proportion considérable. La difficulté sera plus grande et la séduction plus complète ; voilà tout.
Eh bien, j'admets qu'il sera permis à un candidat et à ses amis de recevoir chez eux leurs amis et leurs parents à dîner, surtout lorsque ces amis viennent de la campagne ; mais il faut, bien entendu, qu'il s'agisse d'amis réels qui ont entre eux des relations suivies, qui ont l'habitude de se voir et non d'amis prétendus, créés pour la circonstance et qui n'auront d'autre lien que leur attachement aux mêmes principes politiques.
Je conçois donc et il n'est entré dans la pensée de personne d'interdire des faits de ce genre, des réunions privées de famille et d'amis dans la véritable acception du mot ; mais je n'admets pas la conséquence qu'on en tire ; et je crois que quand on ne se borne pas à recevoir chez soi, à sa table, quelques amis, mais quand on organisera de véritables dîners électoraux, soit dans des établissements publics, soit chez des particuliers, la justice interviendra, et il ne sera pas difficile de décider ce qui constitue un repas purement privé et ce qui constitue un repas politique.
M. de Naeyer. - C'est l'arbitraire organisé.
M. Dupontµ. - Mais alors toutes les dispositions du code pénal sont des dispositions arbitraires, car chaque délit qu'elles prévoient et punissent soulève une question d'appréciation pour les magistrats chargés de les appliquer.
J'ajoute que le texte de la loi prévient parfaitement l'objection : la loi dit que les dîners doivent avoir été donnés dans un intérêt électoral. Or, quand un candidat réunira quelques amis ou quelques parents à sa table, il n'y aura là aucun intérêt électoral, tandis que quand il y aura organisation da dîners politiques, ces dîners tomberont nécessairement sous l'application de la loi, la condition qu'elle exige étant remplie. Ces deux objections ne m'arrêtent donc pas.
Il en est une troisième et c'est à cette troisième objection que sa rapporte l'amendement qui a été présenté. On dit : Mais vous écarterez du scrutin l'électeur campagnard ; il ne viendra plus voter.
Messieurs, lorsqu'on fait une prédiction, on doit un peu consulter les faits qui se sont passés autrefois, les faits qui se passent encore tous les jours sous nos yeux, pour voir si cette prédiction a des chances de se réaliser.
Or, les dîners électoraux ne remontent pas chez nous à une époque fort éloignée ; il n'y a guère que 15 à 20 ans, si je ne me trompe, qua cette coutume s'est introduite en Belgique. Or, je crois qu'antérieurement les électeurs campagnards sont venus en très grand nombre au scrutin. (Interruption.)
Quoi qu'il en soit, il y a encore des faits qui se passent aujourd'hui et qui démentent les craintes que l'on manifeste.
Nous avons, par exemple, dans l'arrondissement de Liège un très grand nombre d'électeurs ruraux. Dans cet arrondissement, la lutte n'est pas sérieuse : les électeurs ruraux pourraient très bien se dispenser d'une corvée que l'on considère comme considérable. Eh bien, ce sont les électeurs ruraux dans cet arrondissement qui, en l'absence de lutte, viennent au scrutin avec le plus d'ensemble et d'exactitude, ce sont eux qui remplissent le devoir électoral avec le plus d'empressement.
Et cependant, les dîners électoraux y sont inconnus. C'est seulement aux dernières élections que le parti conservateur a voulu les introduire.
Donc, quand vous interrogez les faits actuels, parce qu'on récuse l'autorité des faits passés, vous êtes obligés de reconnaître que les électeurs campagnards ne se laissent pas tant influencer par cette circonstance, qu'ils trouveront un dîner au chef-lieu, puisque aujourd'hui qu'il n'y a pas de dîners dans certains arrondissements, vous les voyez arriver en très grand nombre au scrutin.
Au surplus, qu'est-ce que l'électeur campagnard ? Vivons-nous sous le régime du suffrage universel ? Est-ce que les prolétaires viennent voter ? Mais non, les électeurs campagnards payent au moins 42 francs 20 centimes d'impôt direct ; et dans les campagnes cela signifie qu'on doit être propriétaire foncier. (Interruption.)
Je ne parle pas des cabaretiers ; il est entendu que les cabaretiers votent toujours pour les libéraux. Vous l'avez dit ici à satiété ; vous les attaquez sans cesse et vous regrettez même qu'ils soient investis du droit électoral. Vous ne devez donc pas vous intéresser à leur sort.
(page 1536) Il s'agît, je le répète, pour l’immense majorité, de propriétaires fonciers ; ces propriétaires fonciers sont-ils en état de faire les frais de leur dîner ? Quelle est cette dépense ?
Nous avons un moyen de la déterminer. L'honorable M. Wasseige a déposé et développé un amendement tendant à allouer une indemnité à l'électeur. Il évalue la dépense de 5 à 6 francs.
Ainsi, voilà l'électeur campagnard qui paye au moins 42 fr. 30 c. d'impôt direct, le voilà astreint à une dépense de 5 à 6 francs tous les quatre ans...
- Un membre. - Tous les ans.
M. de Naeyer. - C'est l'inégalité qui choque surtout.
M. Dupontµ. - Je dis que cette dépense est extrêmement minime, et remarquons que lorsque l'honorable M. Wasseige l'estimait à 5 ou 6 fr., il tenait compte du transport ; eh bien, dans le système du gouvernement, il sera toujours licite à un candidat de mettre à la disposition des électeurs des moyens de transport.
Donc en définitive, toute la dépense qu'on veut éviter se réduit à un dîner : eh bien, l'électeur campagnard ne sent pas le besoin de ces dîners, des dîners de Sardanapale, et il ne dépensera de ce chef que deux ou trois francs. Ce n'est pas cette minime dépense qui le déterminera à ne pas venir au scrutin.
On insiste ; il faut, dit-on, accorder une indemnité à l'électeur ! Au premier abord, cette idée a quelque chose de séduisant ; pour ma part, je me suis abstenu dans les sections ; quand l'honorable M. Sabatier a développé son amendement, je n'étais pas éloigné de m'y rallier. J'y ai réfléchi depuis, et je déclare qu'il m'est impossible de voter pour l'amendement, et cela par les raisons que je viens d'indiquer ; notamment parce que les électeurs campagnards font une dépense extrêmement minime pour venir au scrutin, et qu'ils y sont venus jusqu'ici avec exactitude, même dans les arrondissements où il n'y a pas de dîners électoraux.
L'honorable M. de Naeyer m'interrompait tout à l'heure en disant que c'était une question d'égalité, de justice distributive.
Mais franchement, la loi garantit-elle à tous les membres de la commune, au point de vue des droits dont ils sont investis, une complète égalité ? Cette égalité ne se présente pas, si vous le voulez, lorsqu'il s'agit de l'exercice des droits électoraux ; mais cela ne se présente pas non plus, lorsqu'il s'agit, par exemple, des élections pour les tribunaux de commerce, pour les conseils de prud'hommes ; vous serez obligés d'allouer également une indemnité aux électeurs.
Et dans un autre ordre d'idées, lorsqu'il s'agit de la justice, celui qui demeure à la campagne n'est pas à côté du tribunal, et ne peut pas suivre son affaire comme celui qui demeure à la ville.
Vous trouverez des exemples de ce genre dans une foule de cas ; il est une foule de cas où l'habitant de la campagne et l'habitant de la ville ne se trouvent pas dans, une position de parfaite égalité. Tantôt cette différence existe au profit du premier, tantôt au profit du second. Il est beaucoup de charges qui ne pèsent que sur le citadin ou qui pèsent sur lui d'une manière plus lourde. Il y a donc compensation. Il faut avouer, au surplus, qu'il serait, malheureux pour la Belgique qu'elle fût le premier pays où le système de l'indemnité serait adopté et qu'on pût dire qu'elle a été obligée de payer les électeurs pour qu'ils vinssent au scrutin.
L'honorable M. Nothomb nous a dit hier que nous échapperions à tout inconvénient si nous adoptions le vote à la commune ou le vote par district ; il nous a cité à cet égard la Hollande et l'Angleterre.
Eh bien, messieurs, en ce qui concerne la Hollande, il est certain que le système adopté dans ce pays est extrêmement défectueux et qu'il est condamné. (Interruption.)
M. Coomans m'interrompt ; quand il le voudra, je lui citerai, une autorité qui, à ses yeux, prouvera que j'ai parfaitement raison.
- Un membre. - Citez-la.
M. Dupontµ. - Je la citerai en temps et lieu. Le système hollandais est condamné, parce qu'il donne une trop grande place aux passions locales et rétrécit l'horizon de l'électeur, la sphère dans laquelle il se meut.
Il est très vrai aussi qu'il existe en Angleterre un très grand nombre de districts ; il y en a environ 600. C'est-à-dire que si nous adoptions le même système nous en aurions 120.
Est-ce que l'honorable M. Nothomb veut se faire le défenseur du système électoral anglais ?
Est-il prêt à nous le citer comme exemple à suivre ?
Evidemment non. Pour moi, je considère cette grande division comme un abus introduit pour assurer l'influence de l'aristocratie sur ses tenanciers des comtés.
Le système anglais, tout le monde est d'accord pour le trouver mauvais, à commencer par les Anglais eux-mêmes.
En résumé, messieurs, je crois que nous devons adopter le système du gouvernement et que les honorables membres de la gauche qui ont déposé ou soutenu l'amendement devraient également se rallier au système du gouvernement. Les honorables membres de la gauche ont été guidés surtout par un esprit de transaction et de conciliation et nous avons vu hier comment la droite leur a répondu. (Interruption.)
La droite leur a répondu par une espèce de cri de guerre ; elle a arboré de nouveau le drapeau du vote à la commune, et je suis parfaitement convaincu que, quoique la droite ait voté à l'unanimité et au nombre de 40 (chose vraiment extraordinaire et qu'on pourrait croire préméditée,, car depuis le commencement de la discussion elle n'avait jamais été aussi nombreuse), je suis convaincu, dis-je, que jamais un ministère de la droite n'oserait proposer le vote à la commune et braver à ce point l'opinion du pays.
Je termine en disant qu'à mon avis le législateur doit faire disparaître les dîners de nos pratiques électorales, qu'il doit les faire disparaître non pas, comme le propose une partie de la section centrale, en faisant des concessions à l'abus, mais en procédant d'une manière nette et catégorique.
Si l'on fait des concessions à l'abus, il finira par s'étendre ; la conscience publique finira par ne plus le condamner avec la même énergie, avec la même unanimité. On arrivera ainsi à des dépenses électorales de plus en plus fortes, et l'accès de cette chambre sera refusé à tous ceux qui ne possèdent pas une fortune considérable. Alors, messieurs, le législateur voudra de nouveau intervenir : mais il sera peut-être trop tard. L'abus aura pris solidement racine, la loi nouvelle ne sera plus soutenue avec la même vigueur par la presse et par l'opinion publique, et notre situation deviendra celle de l'Angleterre, Où, sauf quelques cas bien rares, l'argent est une condition indispensable pour entrer au Parlement. Ce serait un coup terrible pour nos institutions.
M. Pirmez. - L'amendement que mon honorable ami M. Sabatier a déposé a été combattu hier par M. Nothomb et par M. le ministre des finances ensuite ; si l'honorable membre avait pu assister à la séance d'aujourd'hui, il aurait certainement répondu aux objections que cet amendement a soulevées.
- Un membre. - Il est là.
M. Sabatier. - J'entre à l'instant.
M. Pirmez. - Voulez-vous parler ?
M. Sabatier. - Je n'ai rien entendu de la discussion qui vient d'avoir lieu. Veuillez répondre, comme je vous l'ai demandé hier, pensant ne pas être ici. Je suis très heureux que vous défendiez mon amendement.
M. Pirmez. - Soit ; mais la Chambre y perdra.
Les deux adversaires que la proposition a rencontrés dans la séance d'hier se sont placés sur un terrain bien différent. L'honorable M. Nothomb a reconnu qu'il existe dans le système actuel un vice auquel il faut remédier ; mais, profitant immédiatement des critiques auxquelles ce système a donné lieu, il dépasse le but et, au lieu de se contenter de chercher à guérir le mal, il anéantit ce système et en propose un nouveau qui entraînerait un abus beaucoup plus grand.
Il est évident que le vote à la commune par lui-même augmenterait, en les éparpillant, les dépenses électorales et ferait perdre tout l'avantage que l'on attend des mesures déjà votées pour donner à l'électeur l'indépendance qui lui est nécessaire. Aussi, déjà cette proposition a été rejetée.
M. le ministre des finances a répondu à M. Nothomb et par une habile confusion. Il a joint dans une même réfutation la proposition de M. Sabatier au système de M. Nothomb ; il combat ainsi à la fois deux propositions tout à fait différentes ; il cherche à unir leur sort, espérant que la ruine de l'une entraînera celle de l'autre.
Il est cependant bien clair qu'il n'y a absolument rien de commun entre ces deux propositions. Il y a plus ; elles sont contraires, elles s'excluent.
M- Sabatier propose une mesure qui doit parer à l'inégalité que l'on signale entre les habitants de la campagne et les habitants de la ville ; et par là il détruit la base même sur laquelle on fonde la demande. Si cette proposition est adoptée, il n'y aura même plus de prétexte pour demander le vote à la commune.
Ainsi, messieurs, lorsque nous vous demandons de donner une indemnité aux électeurs, bien loin de vouloir donner un appui au système de M. Nothomb, nous l'écartons à tout jamais.
Tachons, messieurs, de bien poser la question.
(page 1537) On est généralement d'accord que les dépenses électorales sont un mal ; une seule voix s'est élevée pour démontrer que les dépenses électorales sont un bien, c'est la voix de M. Julliot. L'honorable membre trouve mauvaises tant de choses que les autres trouvent bonnes, que je crois bien que c'est un peu par réaction qu'il trouve bon aujourd'hui ce que tout le monde trouve mauvais.
Les dépenses électorales sont donc un mal ; cette proposition vient encore d'être parfaitement démontrée par M. Dupont, et je n'y reviendrais pas, si je ne croyais devoir insister sur cette considération grave que les dépenses constituent un cens d'éligibilité énorme pour la plupart des arrondissements.
J'engage les membres de la Chambre qui sont entrés depuis quelque temps déjà dans cette enceinte, à consulter leurs souvenirs ; ils pourront ainsi facilement composer un martyrologe des victimes des dépenses électorales ; ils se rappelleront les membres de cette Chambre qui ne se sont plus représentés à leurs électeurs, parce que leur bourse n'était pas assez forte pour résister aux assauts réitérés que leur livraient les nécessités financières des élections.
Ce cens d'éligibilité très réel, quoique déguisé, est contraire à la Constitution, contraire aussi à tous les sentiments de sage démocratie qui existent en Belgique. On ne peut le tolérer plus longtemps.
Mais quel est le remède ?
Trois systèmes se présentent :
Le vote à la commune.
L'interdiction pure et simple des dépenses électorales.
L'interdiction de ces dépenses, en les remplaçant par une indemnité modérée aux électeurs qui se déplacent.
Nous avons rejeté hier le vote à la commune.
Je ne repousse pas le second système, mais je désire le voir compléter par la proposition de M. Sabatier.
Sans ce complément, je crains qu'il ne remplisse pas toutes les conditions de justice et qu'il n'échoue en laissant subsister la cause même du mal. Pour moi, l'indemnité, qui est juste, est en même temps le moyen le plus efficace de supprimer les dépenses électorales.
M. le ministre des finances s'écriait hier : « Cette indemnité est une chose nouvelle ; il y a deux ou trois ans seulement que cette idée est éclose. En 1831, parlait-on d'indemnité ? S'en occupait-on en 1848 ? » Cette objection m'étonne venant précisément de l'honorable ministre des finances qui a fait tant de belles et bonnes choses auxquelles on n'avait pas pensé avant lui et qui, j'espère, en fera encore. Que dirait-il donc si lorsqu'il nous présentera une réforme utile, lui tenant son langage d'hier, nous lui disions : « Mais cette réforme, qui l’a demandée ? s'en occupait-on au Congrès ? A-t-elle acquis par prescription droit d'admissibilité ? Non, par conséquent elle ne vaut rien. »
M. le ministre trouverait que la conséquence dépasse un peu les prémisses ; qu'il nous permette de le trouver aussi quand il nous présente l'argument.
Pourquoi ne s'occupait-on pas de la question d'indemnité il y a un certain nombre d'années et pourquoi s'en occupe-t-on aujourd'hui ?
La raison en est simple ; il est arrivé ici ce qui se produit en toutes les matières ; où il y a matière à réformer, quelque grands que soient des abus, ils ont toujours commencé par être insignifiants. L'abus est une plante, presque invisible à sa naissance, qui pousse dans une fente de l'édifice des lois, qui grandit promptement et finit par menacer la solidité de l'édifice. On ne s'en occupe que quand ses développements ont attiré les regards.
Pendant les premières années de notre indépendance, les banquets électoraux ont été un abus tellement minime que personne ne pouvait songer à s'en préoccuper. On payait alors parfois quelques frais de transport, quelques repas, mais les électeurs étaient peu nombreux, soumis à un cens élevé, la plupart n'acceptaient rien, les autres se contentaient d'un frugal repas, la dépense était presque nulle.
En 1848, une grande réforme électorale s'est opérée.
Le nombre des électeurs a, je crois, quadruplé ; les électeurs qu'on appelle au scrutin par l'abaissement du cens ont été par là même beaucoup moins aisés que ceux qui les avaient précédés.
-Des voix. - Pas à la campagne.
M. Pirmez. - Pardon ; voyez les tableaux électoraux de la loi de 1831, et vous constaterez la différence.
Ce grand fait de 1848 a eu une conséquence très importante ; en appelant au scrutin un plus grand nombre d'électeurs, et des électeurs d'une classe moins aisée, cette réforme a nécessairement entraîné l'augmentation des dépenses dans des proportions énormes. Le nombre des convives des banquets a augmenté dans de grandes proportions ; et comme sous l'empire de la concurrence toutes choses se perfectionnent, les banquets sont devenus plus splendides et ils ont augmenté en qualité comme en quantité.
Le mal est tel aujourd'hui, que tout le monde le reconnaît, et cependant lorsque nous proposons un remède énergique, radical, mais seulement alors on parle de la nouveauté des plaintes comme des moyens.
Il faut qu'il soit cependant bien constaté que nous ne différons des projets en discussion, que parce que nous proposons un remède de plus.
M. Allard. - Proposerez-vous les voies et moyens ?
M. Pirmez. - Mon Dieu ! sans doute, je m'engage, si vous le voulez, à voter des voies et moyens, si, pour l'insignifiante dépense qui est à faire, on veut prétendre que cela soit nécessaire. (Interruption.)
Je fais plus ; on me demande sur quelle branche de contributions je prélèverai la dépense ; je réponds à mon honorable interrupteur : Je m'engage à la prendre sur la branche de contributions qui lui sera le plus agréable.
- Une voix. - Je n'en veux pas.
M. Pirmez. - Je répète que ces voies et moyens sont inutiles pour trouver une somme de cinquante ou même de cent mille francs ; mais si vous exigez des voies et moyens, je prendrai ceux que vous jugerez les, plus convenables. Vous avez le choix ; on ne peut pas être, je crois, plus accommodant.
J'aborde maintenant le fond même du débat.
Je dis qu'il faut voter l'indemnité parce qu'elle est juste et parce qu'elle sera seule efficace.
L'indemnité est juste parce qu'elle établit l'égalité entre les villes et les campagnes.
M. Dupont, qui est le seul de nos contradicteurs, qui a traité ce point important, ne m'a pas convaincu ; ses arguments ne font, au contraire, que me confirmer dans cette opinion que l'indemnité est éminemment équitable.
Que nous dit l'honorable membre ? Voyez, nous dit-il, l'inégalité qui existe entre l'habitant de la campagne et le citadin ! Celui-ci a-t-il un procès, est-il cité comme témoin, il a le tribunal à sa porte ; celui-là est obligé d'essuyer l'ennui du déplacement puisqu'il se déplace déjà si souvent, il peut bien se déplacer une fois : de plus pour arriver au scrutin ! Ainsi tout l'argument est là : parce que l'habitant des campagnes est astreint à une foule de corvées auxquelles l'habitant de la ville n'est pas assujetti, nous pouvons bien en imposer au premier une de plus !
Mais je dirai au contraire : parce que le campagnard est déjà astreint à une foule de corvées que n'ont pas d'autres citoyens, c'est une raison pour ne pas lui en imposer une de plus et si nous pouvons l'indemniser d'une de ces corvées nous en avons d'autant plus le devoir qu'il en a déjà d'autres à subir.
C'est une mauvaise raison de dire à une classe de citoyens : Vous souffrez déjà d'inévitables inégalités ; on peut vous en infliger auxquelles on pourrait parer.
Sous notre régime d'égalité, c'est un bien que de faire en sorte que l'égalité soit complète, et lorsque pour une dépense minime vous pouvez rendre hommage à cette grande loi de justice distributive, vous ne devez pas hésiter.
Mais ce n'est pas seulement par pur amour pour la justice que je demande l'indemnité. Je la demande parce que, selon moi, le principe de l'indemnité est le seul efficace pour amener la suppression des dépenses électorales.
D'où sont nées les dépenses électorales ? J'en appelle au souvenir de, tous les membres de cette Chambre. On a commencé par indemniser les électeurs qui avaient le plus long trajet à faire, on a commencé par donner des banquets exclusivement aux électeurs qui devaient se déplacer, parce qu'ils avaient une cause de dépense que n'avaient pas les autres électeurs.
Je sais bien qu'on a aussi ensuite régalé les électeurs des villes, mais le mal a commencé par des repas aux électeurs éloignés du lieu du vote, et ce n'est que par contagion que les électeurs du chef-lieu ont été atteints par les banquets.
Voilà donc l'origine du mal ; il a grandi outre mesure, sans aucuns proportion avec sa cause, mais sa racine n'en est pas moins cette nécessité pour une partie du corps électoral de faire une dépense pour arriver au vote.
Si vous n'admettez pas le principe de l'indemnité, la cause de l'inégalité continuera à subsister ; et par conséquent la cause des dépenses (page 1538) électorales qui ne sont que la réparation abusive de cette inégalité. Sans indemnité, il y a un vice dans notre système électoral et chaque fois qu'un vice, un abus existe quelque part, il s'introduit immédiatement un autre vice, un autre abus pour corriger le premier.
Aussi longtemps que l'électeur ne sera pas défrayé pour venir à la ville, les candidats seront malgré eux forcés à le défrayer dans la crainte qu'il ne manque au scrutin.
Accordez, au contraire, l'indemnité ; vous rétablissez l'égalité entre tous les électeurs et il n'y a plus même de prétexte aux banquets électoraux. Vous attaquez le mal dans sa racine et vous empêchez le cens d'éligibilité de s'introduire dans notre Constitution démocratique.
Les deux orateurs que nous avons entendus hier, l'honorable M. Nothomb et M. le ministre des finances, n'ont guère produit qu'un seul argument, qui a été, je le reconnais, fort éloquemment développé et varié.
Cet unique argument, c'est l'avilissement de l'électeur qui serait le résultat de l'indemnité. L'indemnité avilit l'électeur ; voilà la grande objection ! L'électeur serait avili, mais pourquoi ?
Est-ce que toutes les personnes qui reçoivent une indemnité sont avilies ? Est-ce que nous sommes avilis parce que nous recevons une indemnité ? Est-ce que le juré est avili ? Est-ce que le témoin est avili ? Est-ce que l'expert est avili ? Nulle part on ne voit l'indemnité avilir, et l'électeur ne pourrait recevoir une indemnité sans être avili !
L'électeur remplit un devoir civique ; l'Etat lui rembourse les dépenses que lui impose l'accomplissement de ce devoir, et pour cela il est avili !
Vraiment, messieurs, il m'est impossible de trouver ici autre chose qu'une phrase à effet ; quand je la creuse au fond, je ne trouve rien.
Mais suivons nos contradicteurs dans leurs craintes d'avilissement.
L'électeur est avili, nous dit-on, parce qu'il n'est pas mandataire et que les autres personnes que l'on cite sont mandataires.
Moi, je prétends que l'électeur est mandataire et je ne comprends pas qu'on puisse soutenir le contraire. Si l'électeur n'est pas le mandataire des autres citoyens qui ne prennent pas part au vote, que représentons-nous ici ? Nous représentons les électeurs, un Belge sur quarante mille et pas autre chose !
M. Coomans. - C'est clair !
M. Pirmez. - Nous représentons le pays entier et nous le représentons par la délégation que nous délivrent des électeurs qui, eux aussi, représentent le pays. (Interruption.)
L'honorable M. Elias m’interrompt pour me dire : L'électeur n'est pas mandataire parce que les censitaires, les femmes et les enfants ne l'ont pas choisi.
Cet argument tend à supposer qu'il n'y à de mandat réel que quand il est délivré par tous ceux au nom de qui il est exercé et que, par exemple, les tuteurs ne sont plus les mandataires de leurs pupilles, parce que leurs pupilles ne leur auraient pas donné leur mandat.
Si l'électeur n'est pas mandataire des non censitaires, des femmes et des enfants, d'après le système de l'honorable M. Elias, il en résulte que les censitaires, les femmes et les enfants n'ayant pas voté pour nous, nous ne les représentons pas ; la situation est exactement la même.
Rendons-nous donc compte de notre système constitutionnel.
La Constitution délègue, à tous ceux qui réunissent certaines conditions, le droit de représenter aux élections le pays entier ; le corps électoral représente donc tout le pays, et nous qui sommes nommés par le corps électoral, nous ne représentons pas seulement le corps électoral, nous représentons le pays tout entier. (Interruption.)
Maintenant appelez ce droit de l'électeur mandat, ou donnez-lui un autre nom, c'est une question de mots. L'électeur représente d'autres personnels que lui-même ; il agit pour d'autres que pour lui-même. Voilà le point essentiel. Chaque représentant est le mandataire du pays, donc il représente autre chose que les électeurs ; donc ceux-ci qui le nomment représentent aussi le pays ; l'électeur exerce donc de véritables fonctions publiques, et c'est pour cela que nous avons le droit de le punir quand il reçoit quelque chose pour les exercer, et que, partant, nous pourrions l'indemniser quand ces fonctions sont pour lui une cause de dommage.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais il est libre de ne pas les exercer.
- Un membre. - Proposez donc le vote obligatoire.
M. Pirmez. - Si vous voulez rendre le vote obligatoire, avec l’indemnité, je le veux bien. (Interruption.)
Mais, messieurs, je suis vraiment surpris des étranges objections qu'on me fait. Est-ce que le vote obligatoire est nécessaire pour qu'il y ait un véritable mandataire ?
Nous ne serons pas mandataires, parce que le vote dans cette Chambre n'a pas été rendu obligatoire, et nous ne deviendrions mandataire que si, chaque fois qu'un de nous ne vient pas voter, on le faisait chercher par la gendarmerie. (Interruption.)
Je souhaite beaucoup que cette théorie, que les électeurs ne sont pas mandataires et que nous ne représentons que les électeurs ne prévale pas ; parce que si nous devons penser, chaque fois que nous votons, à ce que veulent les électeurs, nous émettrons souvent des votes contraires à notre conscience et à l'intérêt de tout le pays.
Ainsi, l'électeur n'agit pas pour lui seul, et quand vous lui accorderez l'indemnité, vous ferez pour lui exactement ce que vous faites pour tous ceux qui agissent dans l'intérêt de la nation, et il n'y aura pas plus d'avilissement dans un cas que dans l'autre.
Mais M. le ministre des finances a été plus loin. Si le pays, nous dit-il, est tombé tellement bas qu'il faille salarier l'électeur pour qu'il aille user de son droit, c'est à désespérer du pays !
Messieurs, je l'avoue, je voudrais que ce dévouement patriotique existât chez chaque citoyen, et lui fît mépriser les dépenses et les sacrifices lorsqu'il s'agit de remplir un devoir civique. Je désire aussi la réalisation de cet idéal.
Mais en sommes-nous là ? M. le ministre des finances considère-t-il lui-même le pays comme étant arrivé à cet état de perfection ? Non sans doute, et voici ce qu'il nous disait à propos de l'amendement de l'honorable M. Orts.
« Le corps électoral que nous avons n'est pas un corps électoral idéal, arrivé à la perfection. Ce corps électoral n'est pas composé de tous citoyens qui veulent avec ardeur s'occuper des affaires publiques ; il se compose pour une certaine partie, et peut-être pour celle qui fait, en réalité, les élections dans les collèges électoraux où la lutte est la plus vive, de citoyens qui ne demanderaient pas mieux que de ne pas se voir inscrire sur les listes électorales.
« Oui, les sollicitations et les intimidations dont certains électeurs sont l'objet les préoccupent et les inquiètent ; ils craignent pour leur commerce ou leur petite industrie ; ils redoutent de perdre les terres qu'ils tiennent à bail, et ils n'ont souvent qu'un regret, c'est de se trouver inscrits sur les listes électorales.
« Du moment que leur capacité sera contestée, ils n'agiront pas, par des raisons diverses, et surtout parce qu'ils ne demandent pas mieux que de ne pas être inscrits sur les listes électorales. »
Voilà la situation.
MfFOµ. - Je constatais un fait qui est vrai.
M. Pirmez. - Et vous aviez parfaitement raison.
MfFOµ. - Vous ne changerez pas cela.
M. Pirmez. - Je ne veux pas le changer ; je constate la manière dont vous établissez la situation du pays.
Ainsi pour beaucoup d'électeurs le droit de suffrage est sans aucune valeur, ils aiment mieux ne pas l'avoir que d'en jouir. Notre pays en est là et cependant M. le ministre des finances ne désespère pas, pour cela, du pays ; et pourquoi en désespérerait-on ? Parce que des électeurs ne voudraient pas s'imposer de sacrifice pour user du droit de vote que, d'après vous, beaucoup redoutent plus qu'ils ne le désirent.
Mais si le désespoir doit naître, c'est de ce qu'on repousse ce droit de vote et non pas de ce que l'on ne veut pas faire de sacrifice pour l'exercer.
M. le ministre constate que beaucoup craignent d'être électeurs ; je constate qu'on ne veut en exercer les droits que pour autant que l'on n'ait pas de dépenses à faire.
Or, comme personne ne désespérera de la nation en présence de la constatation de M. le ministre des finances, à mille fois plus forte raison personne ne désespérera en présence du fait que je constate,
MfFOµ. - Votre argent ne changera rien à cela.
M. Pirmez. - L'argent ne changera rien à l'apathie de certains électeurs, il ne leur donnera pas le dévouement civique, mais il fera venir au scrutin des électeurs qui ne voudraient pas s'imposer de sacrifice pour y venir.
MfFOµ. - C'est une innovation dangereuse que vous voulez introduire.
(page 1539) M. Pirmez. - Je suis étonné de voir qu'on redoute si fort toute innovation, qu'on désespère si vite de la situation du corps électoral, qu'on ait si peur de souiller l'électeur par une indemnité, de l'avilir en lui payant ses frais de déplacement.
Comment ! c'est le gouvernement qui a cette crainte et il nous propose le couloir.
Mais le couloir, le couloir serait-il d'invention ancienne ? En 1830 et en 1848 parlait-on de couloir ? Cela ne l'empêche pas d'être bon. Vous craignez tant d'avilir l'électeur et vous introduisez le couloir parce que vous supposez l'électeur capable de tous les mensonges.de toutes les dissimulations, de toutes les tromperies, envers ceux qui veulent le contraindre, mais que vous pensez qu'après l'avoir mis à l'abri de tous les regards inquisiteurs, ses bons sentiments l'emporteront sur les mauvais, et qu'il votera selon sa conscience.
MjTµ. - Où trouvez vous cela ? Il n'y a pas un mot de cela ! C'est votre appréciation.
M. Pirmez. - Nous introduisons le couloir parce que sans le couloir l'électeur serait contraint de voter à découvert et que grâce au couloir il pourra laisser croire qu'il a voté pour tel candidat tandis qu'il vote pour un autre. Il retrouve sa liberté.
M. Coomans. - La liberté de friponner.
MfFOµ. - On ne peut donc pas annuler un contrat du chef de violence ou de dol ?
M. Pirmez. - Parce que personne ne sait quel bulletin il met.
M. Guillery. - C'est le secret du vote.
M. Pirmez. - Sans doute ; le secret sert aux individus qui veulent laisser croire qu'ils mettent un billet, tandis qu'ils mettent un autre billet.
Puisque vous n'avez pas craint pour rendre l'indépendance à l'électeur, de le mettre derrière ce paravent, je dis que vous ne devez pas craindre de lui donner une indemnité compensatoire.
Je dis que s'il y a quelque chose d'humiliant, c'est bien plus d'aller derrière ce couloir, que de recevoir une juste indemnité.
MfFOµ. - Comment l'avez-vous voté, le couloir ?
M. Pirmez. - Je suis partisan du couloir.
MfFOµ. - On ne s'en douterait pas.
M. de Brouckere. - Vous avez l'air de le condamner.
M. Pirmez. - Le couloir est bon, parce que les hommes sont mauvais. (Interruption.)
Je suis partisan du couloir ; il repose sur une connaissance vraie de la nature humaine.
Les hommes sont capables de beaucoup de mauvaises actions, de faiblesses et de lâchetés, de dissimulations et de mensonges, lorsque l'intérêt les pousse. Mais quand ils sont livrés à eux-mêmes, maîtres de faire ce qu'ils veulent, sans être engagés ni retenus par le désir ou la crainte de leur intérêt, ils cherchent le vrai et font le bien.
Et c'est parce que vous les mettez dans cette situation, derrière le paravent, que j'ai volé le couloir. (Interruption.)
Si j'avais tenu compte de ce que sont les hommes, pour les supposer ce qu'ils devraient être, je n'aurais pas voté pour ce couloir, et je ne soutiendrais pas l'indemnité. Mais celle-ci découle comme celui-là de la considération vraie de ce qui est.
Oui, le couloir est bon parce que les hommes sont mauvais, et l'indemnité est bonne parce qu'ils ne sont pas parfaits,
MfFOµ. - Il faudrait relever l'électeur et vous l'abaissez.
M. Pirmez. - Je prends le couloir comme une chose qui permet d'atteindre le bien. Je prends l’indemnité parce qu’elle permet d’éviter un mal.
Mais, messieurs, les craintes d'avilissement nous ont été manifestées sous une autre forme encore par l'honorable ministre des finances. L'indemnité n'existe nulle part aujourd'hui, nous dit-il, et, si nous la trouvons quelque part, c'est dans quelques petites républiques antiques.
Nous ne les trouvons pas peut-être dans d'autres pays, mais je constate que les efforts qu'on a faits pour empêcher les dépenses électorales ont échoué, et c'est parce qu'elles ont échoué sans l'indemnité que je veux leur livrer la guerre par l'indemnité.
Et quant à ces républiques antiques, savez-vous où l'indemnité a existé ? A Athènes.
MfFOµ. - Lors de la décadence.
M. Pirmez. - A Athènes sous Périclès, sous le gouvernement de cet homme qui a tant élevé son pays, de cet homme qui seul, depuis le commencement du monde, a su donner à la démocratie athénienne plus de splendeurs que n'a pu en faire naître ailleurs le despotisme ; de cet homme qui a réuni plus de gloire dans ce petit coin de terre de l'Attique qu'il n'en a jamais existé dans aucun autre pays de cette étendue ; de cet homme qui portait si haut l'idée de la grandeur de sa patrie, qu'il l'a lancé dans une guerre bien longue et ruineuse, sans doute, pour lui donner la première place dans la Grèce, et qui en échouant dans cette tentative, n'en a pas moins réussi à lui donner la première place dans l'histoire ; de ce Périclès dont M. le ministre des finances nous disait un jour dans un magnifique langage qu'il avait su, par des sacrifices d'argent, alors critiqués, se rendre immortel et rendre Athènes immortelle.
Voilà la république antique dont on nous parlait hier avec tant de mépris. Oui, Athènes au temps de sa plus haute splendeur payait les citoyens qui accomplissaient leurs devoirs civiques, et si Périclès a avili par là les citoyens d'Athènes, je consens à avilir de la même manière les électeurs de mon pays.
Mais ce n'est pas tout : les objections sont de nature variée.
Vous ouvrez, nous dit-on, une nouvelle porte à la fraude, une porte très large.
Voici ce qui va se présenter. Certains électeurs auxquels on payera l'indemnité pourront la donner à d'autres électeurs, de sorte que vous donnez un nouveau moyen de corruption électorale.
Mon Dieu, il me paraît qu'il n'y a rien de plus simple que d'éviter ce danger, si danger il y a, car j'avoue que malgré tous mes efforts je ne l'aperçois pas. Voyons comment les choses doivent se passer. D'abord il faut que l'indemnité soit réclamée lors du vote ; ceux qui ne réclameront pas n'auront rien.
Je ne veux pas que cette indemnité soit payable immédiatement par le trésor. Je ne veux pas non plus que la déclaration du président du bureau constatant le vote de l'électeur constitue un billet au porteur comme un billet de banque.
Lorsque l'électeur aura voté et qu'il aura réclamé son indemnité, le président ou le bureau remettra bien une déclaration à l'électeur, mais ce billet ne doit servir qu'à une chose, à payer les contributions de cet électeur et seulement dans le délai d'une année. Il résultera de là que ce billet ne sera pas transmissible.
- Un membre. - Et ceux qui ne payent pas leurs contributions eux-mêmes ?
M. Pirmez. - On fait une objection nouvelle ; on me dit : Que ferons-nous de ceux qui ne payent pas de contributions ? Je réponds que ceux qui ne payent pas de contributions ne sont pas électeurs et que dès lors ils ne recevront pas d'indemnité.
- Un membre. - On dit ceux qui ne payent pas eux-mêmes.
M. Pirmez. - L'électeur qui a voté et qui a réclamé une indemnité, joindra le billet qu'on lui a remis, ou son rôle de contributions, et ce billet viendra en déduction du montant des contributions qui constituent son cens électoral, peu importe qui porte cet argent au trésor.
Du reste, messieurs, l'exécution de la mesure n'est que le petit côté de la question. Quand on ne veut pas d'une innovation, on a l'habitude de combattre assez pour le principe, mais on attaque la mesure dans ses détails, dans ses moyens d'exécution.
Ainsi, dans le cas actuel, on dit : Vous allez trop loin, vous n'allez pas assez loin ; vous donnez trop peu, vous donnez trop ; vous allouez une indemnité pour le vote à la Chambre et vous n'en donnez pas pour la participation aux élections provinciales. Chose étrange, cependant, ceux qui ne veulent pas d'indemnité mê.ne pour les élections aux Chambres, vous reprochent de n'en pas donner pour les élections provinciales.
Messieurs je ne veux pas discuter ces détails et ces moyens d'exécution.
Pour ma part, je suis disposé à m'en rapporter entièrement à M. le ministre des finances pour la fixation du chiffre et pour l'exécution.
Pour moi la proposition de l'honorable M. Sabatier est bonne en elle-même. Si on l'adopte en principe, le reste se fera facilement, et je suis prêt à adopter ce qu'on voudra quant au tarif et quant à l'exécution.
Il s'agit de savoir, d'abord, si l'on veut accorder une indemnité ; puis on verra quelles sont les mesures à prendre pour payer et calculer une indemnité.
Quant aux élections pour les conseils provinciaux, je ne crois pas que l'indemnité soit nécessaire.
(page 1540) MfFOµ. - Vous voulez indemniser les électeurs, pour les élections aux Chambres, à raison de l'éloignement, qui est beaucoup plus considérable dans beaucoup de ca» pour les élections provinciales, à raison de l'état actuel des communications. Cela n'est pas niable.
M. Pirmez. - M. le ministre des finances me dit que les distances sont plus considérables, dans un grand nombre de cas, pour les élections provinciales que pour les élections aux Chambres et que les frais sont également plus considérables...
MfFOµ. - Je le répète, vous voulez indemniser les électeurs à raison de l'éloignement ; eh bien, pour les élections provinciales, les électeurs sont bien souvent beaucoup plus éloignés du chef-lieu de canton qu'ils ne le sont du chef-lieu d'arrondissement pour les élections aux Chambres, eu égard à la différence des moyens de communications.
M. Pirmez. - Tout d'abord, je dirai que les élections provinciales n'ont qu'une importance infiniment moindre que les élections aux Chambres. J'admets donc que l'Etat ne s'impose pas de dépenses en faveur des électeurs qui prennent part à ces élections.
MfFOµ. - Vous donnerez une indemnité à l'électeur, parce qu'il doit se déplacer à une grande distance, pour venir prendre part aux élections législatives dans le chef-lieu d'arrondissement. Eh bien, je dis encore que, dans bien des cas, l'électeur a un déplacement plus long et plus onéreux pour aller au chef-lieu de canton qu'au chef-lieu d'arrondissement : l'inégalité provient de la différence que présentent souvent les voies de communication. Si votre principe est vrai pour les élections aux Chambres, à plus forte raison devez-vous l'appliquer aux élections provinciales.
M. Pirmez. - Si M. le ministre pense qu'il faille accorder une indemnité aux électeurs pour la formation des conseils provinciaux, qu'il la propose ; pour ma part, je ne la propose pas.
Je ne comprends pas comment il se pourrait que pour se rendre au centre d'une grande circonscription comme l'arrondissement, il y ait moins de déplacement que pour se rendre au centre d'une petite circonscription.
Comme les cantons sont plus petits que les arrondissements, puisqu'ils y sont compris, et comme le tout est plus grand que la partie, il en résulte, en règle générale, que les frais sont plus considérables quand il s'agit d'aller au chef-lieu d'arrondissement, que quand il s'agit d'aller au chef-lieu de canton.
D'un autre côté, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de donner une indemnité aux électeurs provinciaux, parce qu'en règle générale, il n'y a pas de dépenses électorales pour les élections provinciales. (Interruption.)
Il peut y avoir quelques exceptions ; mais personne ne prétendra qu'on dépense plus pour les élections provinciales que pour les élections générales.
Enfin je pense que vous pouvez défendre les dépenses électorales pour les conseils provinciaux, sans allouer une indemnité, parce que ces élections, comparées aux élections pour les Chambres, n'ont qu'une faible importance ; les Chambres gouvernent le pays entier, tandis que les conseils provinciaux ne votent que des mesures réglementaires relatives à la province.
Si vous voulez combattre l'indemnité, faites-le ; mais discutez-la en principe sans la noyer dans des considérations secondaires.
Je ne puis admettre ce système de critiques de détail déjà employé contre la proposition de M. Orts.
- Un membre. - Avec vous.
M. Pirmez. - Pour ma part, radicalement hostile à l'amendement de l'honorable M. Orts, je considérais cette proposition comme mauvaise en principe ; je l'ai déclaré à l'auteur de l'amendement.
M. Orts. - Vous m'avez dit que ma proposition était radicalement mauvaise ; je vous rends cette justice.
M. Pirmez. - Messieurs, pour ma part, toutes les questions de détail qui ne touchent pas au principe, sont le moyen d'obscurcir et non d'éclairer une discussion.
Ce qu'il faut discuter, c'est la double question fondamentale que soulève l'amendement.
C'est la question de justice d'abord : n'est-il pas juste de mettre tous les électeurs sur un même pied d'égalité parfaite ?
C'est la question d'efficacité de la mesure ensuite : n'est-ce pas le seul moyen efficace de remédier à ce scandale monstrueux que l'on signale comme capable de détruire nos institutions parlementaires ? Pour moi je crois que l'indemnité est juste ; je crois qu'elle est le seul remède radical au mal. C'est pourquoi je voterai l'amendement de l'honorable M. Sabatier.
M. Jacobsµ. - Messieurs, le discours de l'honorable préopinant me permettra d'être assez court ; car les idées qu'il a développées sont les miennes en majeure partie.
Je voterai l'amendement de l'honorable M. Sabatier, amendé par l'honorable M. Wasseige.
Je crois inutile d'insister encore sur le caractère de l'électeur, sur le droit électoral dont l'exercice est l'accomplissement d'un véritable mandat, d'une fonction, d'une tutelle légale de ceux que la loi déclare incapables en matière politique.
Le corps électoral est le tuteur de la Belgique entière, il est son représentant, comme nous sommes le sien ; M. le ministre des finances m'a dispensé de le développer plus longuement, car lui, qui hier disait le contraire, a cependant, dans une des principales discussions de l'année dernière, dans la séance du 3 juin 1864, prononcé les paroles suivantes :
« Etre mêlé aux affaires publiques comme électeur, comme représentant, c'est remplir une fonction. »
Ce que M. le ministre des finances a dit l'année dernière, il l'a dénié hier, et égaré, par l'antipathie que l'indemnité lui inspire, il a, qu'il me permette de le lui dire, chanté la palinodie.
MfFOµ. - Vous vous trompez encore. J'ai fait comprendre que l'électeur remplit une fonction en ce sens que ce n'est pas un droit naturel. Voilà quel était l'objet de la discussion. Il est clair que je n'entendais pas assimiler par là l'électeur à un fonctionnaire public. Il s'agissait de savoir quelle était la nature du droit que la loi lui a délégué, et c'est pour exprimer cette pensée que je disais : Ce n'est pas un droit naturel qui appartient à tous ; c'est une véritable fonction que l'on exerce.
Et voici que l'honorable M. Jacobs, interprétant cette idée par un véritable jeu de mots, vient vous dire : Puisque c'est une fonction, l'électeur est fonctionnaire, et comme le fonctionnaire public reçoit un traitement, il faut, par analogie, allouer une indemnité à l'électeur.
Son argument n'a pas plus de valeur que cela.
M. Jacobsµ. - La question n'est pas là ; il ne s'agit pas de fonctionnaires dans le sens propre du mot ; tels que les fonctionnaires publics. Les représentants ne le sont pas plus que les électeurs, et cependant les premiers sont indemnisés de leurs dépenses. Vous assimiliez l'année dernière l'électeur au représentant, et hier vous prétendiez qu'il y a entre eux cette différence capitale, que le membre de la législature représente quelque chose, tandis que l'électeur ne représente que lui-même.
Aujourd'hui vous êtes obligé de convenir qu'il représente les incapables et qu'à ce titre il tient un mandat, une délégation, une fonction, une mission comme il vous plaira de l'appeler, non pas de la volonté de ces incapables, ce qui est impossible, mais de la loi et de la Constitution. Si nos mandants ne représentaient pas le pays entier, nous ne le représenterions pas nous-mêmes. (Interruption.)
Refusera-t-on d'indemniser le peuple souverain réuni dans les comices, sous prétexte de dignité et par crainte d'avilissement ? Comment ce qui n'avilit pas le Roi, ce qui ne nous avilit pas, devrait-il le faire rougir ?
C'est la plus juste des listes civiles et il lui faut son chapitre au budget des dotations.
On s'est récrié à propos de l'indemnité et l'on y a vu un fait inouï, sans exemple. L'honorable M. Pirmez en a cependant cité un et l'honorable M. Nothomb, par qui l'indemnité n'est admise que comme pis-aller, vous rappelait hier que cette voie nous a été tracée par la Convention nationale.
La Convention, invoquée par l'honorable M. Orts, à l'appui de son amendement n'a pas empêché l'honorable M. Nothomb de le voter ; j'espère qu'il en sera de même pour l'amendement actuel ; il faut être juste à l'égard de tous, et reconnaître que même dans cette période de folie furieuse, il y avait des intervalles lucides.
Autre objection : l'amendement est incomplet ; il rembourse les frais mais n'indemnise pas de la perte de temps.
Il répare, pour me servir d'un terme de droit, le damnum emergens, mais non le lucrum cessant.
Il en est ainsi partout. Il est impossible d'évaluer ce que vaut le travail de chacun ; le représentant rentier touche la même indemnité que l'avocat, que l'industriel qui négligent leurs affaires pour celles du pays.
Ce qu'on peut faire et ce qu'on doit faire, c'est d'être juste dans les limites du possible et d'empêcher qu'une catégorie de citoyens né soit obligée de dépenser, de débourser une somme d'argent, petite ou grande, alors qu'une autre catégorie, se trouvant dans des conditions plus avantageuses sous tous les rapports, ne doit pas subir cette perte.
(page 1541) L'amendement est incomplet, dit aussi l'honorable M. Dupont, et il cite différents cas auxquels il faut l’étendre : les élections pour les conseils de prud'hommes, pour les tribunaux de commerce ; il aurait pu ajouter pour la garde civique.
S'est-il bien rendu compte du nombre de cas dans lesquels un de ces électeurs se trouverait domicilié à plus de cinq kilomètres du lieu du vote ? Cela ne se présentera jamais pour la garde civique, jamais pour les conseils de prud'hommes et très rarement pour les tribunaux de commerce.
Nous proposons d'établir entre l'électeur des villes et l'électeur des campagnes, entre le campagnard et le citadin, la différence existante aujourd'hui entre les jurés et les conseillers provinciaux du chef-lieu de la province et les autres, entre les représentants domiciliés dans la capitale et leurs collègues.
La distinction faite par l'honorable M. Sabatier est puisée dans l'ordre de choses existant dans une foule de sphères sociales.
J'ai été étonné d'entendre apprécier le vote à la commune, proposé hier par la droite, comme preuve de l'impossibilité de toute conciliation, comme ne permettant pas de lui tendre la main sur le terrain de l'indemnité.
C'est là, messieurs, une tactique qui ne se produit pas pour la première fois dans cette discussion. Je me rappelle qu'il y a quelques jours M. de Brouckere nous disait : « Ne votez pas la proposition de l'honorable M. Orts, ne votez pas surtout contre la question préalable, ou craignez le vote par ordre alphabétique. »
Plus tard, nouvelle menace : « Ne proposez pas le vote à la commune, c'est perdre notre concours pour l'obtention de l'indemnité. »
Les membres de cette Chambre sont-ils donc guidés dans leur vote par la rancune ou le dépit ? N'est-ce pas leur conscience qui leur dicte leurs opinions ? Laissez-nous au moins ces illusions.
Au fond, messieurs, il n'y a ici qu'une question de justice. Deux fractions du pays sont placées dans des conditions tout à fait inégales ; elles sont astreintes au même devoir, mais elles n'ont pas les mêmes facilités pour l'exercer.
Est-il juste de les laisser dans cette situation ? Le vote à la commune a été une tentative faite dans le but de réparer cette injustice. Vous y voyez des inconvénients graves ; la majorité l'a repoussé, soit ; mais, à défaut de ce qui nous paraissait l'idéal, à défaut de l'égalité, une seconde tentative est faite dans le but de remédier autant que possible à cette inégalité qu'on refuse de faire disparaître ; ne pouvant guérir le malade, on essaye de calmer ses souffrances.
Il n'y a pour cela que deux remèdes : l'amendement de la section centrale, et l'indemnité ; ils tendent au même but, ils tendent à atténuer l'inégalité des deux catégories d'électeurs. Je conçois qu'on hésite entre les deux, qu'on préfère l'amendement de la section centrale à l'indemnité, ou l'indemnité à l'amendement de la section centrale.
C'est une question d'appréciation. Mais les deux propositions sont les conséquences d'une même idée, celle de diminuer l'inégalité, celle de réparer une injustice. J'engage ceux qui adoptent ce point de départ et surtout mes honorables amis politiques, qui ne sont pas tous partisans de l'indemnité au même degré et dont un certain nombre préférerait l'amendement de la section centrale, je les engage à ne pas se diviser pour une question d'application.
Si les partisans de l'indemnité votaient contre le diner électoral et réciproquement, il s'ensuivrait qu'aucune des deux mesures ne serait admise et que l'égalité que nous voulons tous, en différant sur le choix des moyens, ne serait pas rétablie.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il n'y a pas de danger, la droite et la gauche voteront séparément.
M. Jacobsµ. - Il n'est pas ici question de discipline, mais d'éviter de jouer un rôle de dupe. Si le système de la section centrale était mis aux voix avant l'indemnité, bien que je la préfère, je le voterais, car avant tout, je ne veux pas renouveler à votre profit la journée des dupes.
M. Dumortier. - Depuis le commencement de ce débat, on nous a toujours dit que l'on présentait des dispositions pour donner satisfaction aux réclamations qui s'étaient produites, pour faire disparaître des griefs ; on nous a dit que c'était pour mettre un terme à la corruption électorale, pour supprimer les fraudes électorales que ce projet était présenté. Or, je crois qu'il y a une exception à faire quant à l'article 10 du projet du gouvernement et que c'est cet article 10 qui donne lieu aux discussions que nous avons depuis deux jours.
Sans doute l'on s'est plaint à plusieurs reprises, non pas d’une manière absolue, des dépenses électorales, dépenses qui auront toujours lieu quoi que vous fassiez, mais de l'exagération des dépenses électorales, Mais jusqu'aujourd’hui il avait toujours été admis que, le jour de l'élection, l'on pouvait réunir les électeurs, comme le disait l'honorable M. De Fré dans une circonstance quelque peu célèbre, afin de se réjouir de son triomphe ou de se consoler de sa défaite. Il avait toujours été admis par tous les bancs de cette Chambre qu'il n'y avait pas là de corruption électorale. L'honorable M. Hymans a répété plusieurs fois la même chose.
Dans toutes les discussions qui ont eu lieu à propos de contestations sur les élections, jamais ni de droite ni de gauche on n'a critiqué les élus d'avoir donné à diner après l'élection.
Ce que l'on a critiqué, ce sont les dépenses faites avant l'élection et ce sont les dépenses faites après l'élection, lorsque celles-ci avaient été promises avant l'élection. On voyait là quelque chose qui sentait la corruption et on signalait ces dépenses pour les empêcher. Mais jamais, dans cette Chambre, il n'avait été question de regarder comme coupables, comme devant être empêchés, les dîners qui se donnent le jour de l'élection.
La section centrale l'a compris de même et si son article eût été admis par le gouvernement, cela nous aurait évité deux jours de discussion.
C'est parce que le gouvernement ne s'est point rallié à cet article, que nous discutons depuis deux jours, c'est parce que le gouvernement ne s'est point rallié à cet article que M. Nothomb a présenté son amendement, que j'ai voté de grand cœur, c'est pour cela que l'honorable M. Sabatier a présenté le sien,
M. Sabatier. - Pas le moins du monde.
M. Dumortier. - Messieurs, il y a un fait bien évident, c'est que le gouvernement entre ici dans une voie nouvelle, qu'il propose des mesures qui n'ont jamais été réclamées par cette Chambre ; il cherche à faire considérer comme criminel un fait qui depuis 30 ans se passe toujours dans le pays, qui s'est toujours passé dans les pays constitutionnels.
On nous a dit que c'est seulement depuis une douzaine d'années que des consommations sont offertes. Eh bien, messieurs, depuis que la Chambre existe et même du temps du Congrès on donnait une satisfaction aux électeurs le jour des élections. Comme le disait l'honorable M. Devaux, la Belgique est un pays de « kermesses », on aime à se réjouir ; eh bien, quand on a triomphé dans les élections, on dîne pour se réjouir et quand on a succombé on dîne pour se consoler. Quel mal y a-t-il à cela ? Pourquoi donc vouloir empêcher ce qui n'a jamais été blâmé par la Chambre, ce qui a toujours été fait ?
Je le répète encore une fois, les dépenses faites avant le jour des élections ou après le jour des élections, s'il y a eu des promesses faites avant le jour des élections, ces dépenses-là, je comprends qu'on les proscrive comme des moyens de corruption électorale ; mais ce que je ne comprends pas, c'est qu'on veuille empêcher de la manière la plus absolue toute espèce de consommation le jour des élections.
Mais la loi ne peut pas se mettre en révolte contre les mœurs publiques dans tous les pays du monde, les mœurs sont plus fortes que les lois.
Mais, messieurs, on a encore empiré la loi. Le projet primitif portait :
« Sera puni celui qui dans le but d'influencer les électeurs leur aura donné etc. »
On punissait donc celui qui avait employé un moyen pour corrompre les électeurs. Maintenant ce n'est plus cela, on propose de dire : « Celui qui dans un intérêt électoral etc. » Je trouve messieurs, que c'est là une aggravation excessive, et quant à moi si les amendements sont écartés, je déclare reprendre la disposition du projet primitif. C'est mon droit et j'en use.
Voyez, messieurs, dans quelle voie on s'est engagé : que disait tout à l'heure l'honorable député de Liège, que j'ai entendu avec infiniment de plaisir, car il parle toujours d'une manière extrêmement remarquable ? « On pourra, dit-il, offrir à dîner à ses amis, mais on ne pourra pas donner à dîner à ceux qui ne sont pas ses amis. » Ainsi, messieurs, on pourra, le jour des élections, inviter les chefs de file, mais on ne pourra pas inviter les autres ! Et voyez jusqu'où va l'arbitraire : on va jusqu'à nous dire que si l'on organise des repas, la justice interviendra.
Il arrivera dans nos comices ce qui arrive aujourd'hui à Cologne, c'est la police qui viendra chasser les électeurs ! Et voilà, le gouvernement représentatif que vous nous donnez comme modèle ! Je dis que ce gouvernement est un gouvernement à la Bismarck.
Tout cela prouve une chose, c'est que quand on est dans une mauvaise voie, on ne sait plus s'arrêter, Comment ! vous pourrez inviter vos (page 1542) amis chez vous, mais vous ne pourrez pas les inviter à l'auberge ? Mais si mon salon n'est pas assez grand, si mon salon ne peut contenir que vingt-cinq personnes et que j'en ai cinquante, pourrais-je aller à l'auberge ? Et si je puis y aller avec cinquante personnes, pourquoi ne puis-je pas y aller avec cent personnes ?
Mais s'il est interdit de donner à dîner aux électeurs, si c'est de la corruption, il y a une corruption bien plus grande à inviter des hommes qui exercent de l'influence ; si c'est de la corruption que de donner un dîner modeste, c'est une corruption bien plus grande de donner un dîner qui finira souvent par une orgie.
Messieurs, c'est là un système qui n'est pas soutenable ; il est repoussé par les mœurs du pays.
On peut prendre gaiement un verre de bière ou un verre de vin pour célébrer son triomphe et on peut prendre tristement un verre de bière ou un verre de vin pour se consoler de sa défaite. Et vous voulez que les Belges...
M. Coomans. - Ils doivent jeûner ce jour-là.
M. Dumortier. - Déjà on a établi une espèce de prison cellulaire pour enfermer les électeurs et dans cette prison cellulaire on les mettra au pain et à l'eau.
M. Coomans. - Avec une ceinture au ventre.
M. Dumortier. - Je dis que ce système n'est réellement pas soutenable et qu'en voulant faire trop bien on finira par faire très mal.
Il me semble, pour mon compte, que l'amendement de la section centrale est parfaitement acceptable, sauf une légère modification que j'aurais voulu y introduire et qui serait, je pense, acceptable par la section centrale tout entière. C'est pour le cas où il faut transporter les électeurs à une distance telle qu'ils doivent loger une nuit.
L'amendement de la section centrale faisait cesser les abus dont on s'est plaint jusqu'aujourd'hui ; il empêchait les dépenses exorbitantes, ridicules, qui se font avant les élections et qui constituent une véritable corruption ; mais on veut condamner cette vieille jovialité du peuple belge que nous ne pouvons pas extirper de nos mœurs.
On ne se borne pas, encore une fois, à dire qu'on ne pourra pas donner à dîner dans le but d’influencer les électeurs. On dit : « dans un intérêt électoral », ce qui est plus fort, car veuillez définir où commence et où finit l'intérêt matériel. Personne ne saura si en invitant un ami on ne va pas s'exposer à être condamné à 200 fr. d'amende et à faire condamner son ami en même temps. Veuillez me dire où vous commencez et où vous finissez. Dans une telle situation j'ajoute que je suis dans une grande perplexité. Je ne suis pas en effet partisan de l'indemnité. Les motifs qu'a donnés hier l'honorable M. Nothomb, je les partage entièrement.
Je ne suis pas partisan de l'indemnité, mais je préfère cent fois l'indemnité à l'adoption du projet tel qu'il est maintenant.
M. Pirmez. - L'un n'empêche pas l'autre.
MjTµ. - Si l'un n'empêche l'autre, vous aurez l'indemnité et le dîner.
M. Dumortier. - Je préfère beaucoup la proposition de la section centrale parce qu'elle est l'expression nette et sincère des griefs dont on s'est plaint. Elle maintient ce qui est légitime et elle fait disparaître ce qui est illégitime. Elle permet, comme le disait l'honorable M. De Fré, de se réjouir de son triomphe et de se consoler de sa défaite.
Mais comment faire ? Moi qui ne veux pas de l'article du gouvernement tel qu'il est formulé, moi qui le regarde comme un moyen détestable dont le but caché est d'empêcher le corps électoral de se rendre à l'urne électorale, moi qui ne veux pas de ce système, je suis forcé malgré moi de voter pour l'amendement qui introduit l'indemnité parce qu'en définitive je veux, avant tout, commencer par faire venir le corps électoral à l'urne.
Si vous nous empêchez de faire les petites dépenses électorales qu'on a faites dans la plupart des districts jusqu'aujourd'hui, s'il faut que je fasse faire ces dépenses modestes par le gouvernement, je dirai, comme disait hier l'honorable M. Frère-Orban, que je crois que l'on a été beaucoup trop loin au sujet des prohibitions relatives aux dépenses électorales.
Il y avait quelques districts où il y avait de grandes dépenses, il faut le reconnaître, et vous ne les empêcherez pas. En Angleterre, on a fait 30, 40 bills contre les dépenses électorales. Par une espèce de fatalité, plus on a fait de bills, plus les dépenses électorales se sont accrues.
On a trouvé un moyen ingénieux pour se mettre à côté de la loi, et nous avons vu que cette année il y a eu des dépenses qui se sont élevées jusqu'à 800,000 fr. pour une élection. On n'évitera donc pas les dépenses électorales.
Il s’agit d'adopter ce principe, de permettre ce qui est légitime, ce qui n'est pas corrupteur, mais d'arrêter de la manière la plus énergique tout ce qui peut prêter à la corruption.
C'est précisément ce que fait l'amendement de la section centrale, et pour mon compte je verrais avec regret que cet amendement ne fût pas voté par la Chambre.
Il donne satisfaction à tous les intérêts légitimes ; il est en harmonie complète avec les mœurs du pays et, en vérité, si j'ai pris la parole, c'est pour défendre cet amendement que je crois être excellent et mériter vos votes. Cela vaut mieux que l'indemnité et la défense absolue de donner des dîners qui n'auraient qu'un seul résultat, celui de créer deux catégories parmi les citoyens, ceux qui doivent faire des dépenses pour se rendre au scrutin et ceux qui n'ont pas besoin d'en faire. Pour les premiers il y aura une injustice flagrante, et hier l'honorable ministre des finances disait que les dépenses que l'on fait avaient pour but d'indemniser l'électeur qui se rend au scrutin.
C'est la vérité ; ces dépenses sont faites non pas en vue de faire voter pour tel ou tel, car nous savons fort bien que dans les dépenses de dîner chaque élu paye beaucoup de dîners que ses électeurs n'ont pas consommés.
Quel mal y a-t-il à chercher à amener les électeurs au scrutin ? Quand je vois la proposition du gouvernement, je crois réellement qu'elle a pour but d'empêcher les électeurs d'arriver au scrutin, et dans un tel étal de choses, j'aime mieux l'amendement de l'honorable M. Sabatier que la proposition du gouvernement.
Je déclare donc, pour mon compte, que je désire voter la proposition de la section centrale. Si elle est admise, je lui donnerai mon vote de tout cœur parce qu'elle fait disparaître les abus et qu'elle fait droit aux usages, aux mœurs publiques et aux vieilles traditions du pays.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je ne présenterai que quelques observations à la Chambre. Je n'hésite pas à dire que, dans toutes les propositions qui ont surgi relativement au système électoral, depuis 1831 jusqu'à ce jour la plus grave est assurément celle qui est contenue dans l'article du projet du gouvernement qui défend toute dépense électorale. En effet, il faut considérer les conséquences des lois pour bien en apprécier la portée.
Or, la conséquence immédiate du projet du gouvernement est de refroidir le zèle des électeurs qui veulent se rendre au comité électoral. Cela est clair comme le jour. Ainsi donc si dans une ou deux épreuves le zèle n'est pas complètement éteint, il le sera immédiatement après, et il sera difficile de le relever plus tard.
L'électeur aura contracté l'habitude de l'abstention et le système électoral sera perdu dans son essence.
Les Chambres elles-mêmes ne seront plus la représentation du pays et les lois qu'elles feront n'auront pas ce cachet d'autorité que toute loi doit avoir.
Messieurs, on a fait beaucoup de périodes oratoires très belles contre les dépenses électorales, contre l'indemnité, sur la dignité du candidat, sur la dignité de l'électeur, mais tout cela ne me touche en aucune manière.
J'envisage les choses en elles-mêmes et au point de vue pratique. Je dis que l'électeur rural éloigné du chef-lieu dé l'élection se dira à la vue de notre loi nouvelle qu'il n'a pas suffi que le chef-lieu d'arrondissement ait reçu, d'après le système des impositions, un nombre d'électeurs plus grand que les autres localités de l'arrondissement, qu'il n'a pas suffi d'imposer aux électeurs éloignés la corvée de se rendre au chef-lieu, mais qu'il a fallu de plus abolir cet usage maintenant invétéré dans nos mœurs de traiter les électeurs le jour des élections.
Il est très onéreux pour les électeurs éloignés de venir au chef-lieu d'arrondissement un jour d'élection lorsque les hôtels seront encombrés et que les aubergistes ne savent pas mettre de frein à leurs exigences.
Voulez-vous qu'un électeur de la campagne arrive avec sa tartine en poche, et qu'il soit obligé, par économie, d'aller, pour prendre un verre de bière, hors de la ville ? Cela est-il digne de la représentation nationale ?
M. le ministre des finances nous disait hier que l'indemnité serait inutile, qu'elle ne diminuerait aucune dépense, que les dépenses électorales se feront comme auparavant. Mais n'est-ce point là la condamnation la plus formelle de son propre projet ?
Comment ! les dépenses continueront lorsque l'électeur recevra une indemnité et elles cesseraient lorsqu'il n'en recevra pas !
Je demande à un homme logique de concilier ces deux idées. Quant à moi, cela m'est impossible. nous dit : Mais on pourra toujours inviter ses amis ; mais celui qui n'aura pas d'amis ne sera pas invité. Et (page 1543) puis y aura-t-il suspicion de délit flagrant lorsque quelques électeurs se réuniront dans une maison particulière sur l'invitation d'un habitant de la ville ? Sans doute ; on dira : Mais nous avons le droit de savoir si les électeurs sont les amis de celui qui les a invités ; et qui décidera ? Ce sera le commissaire de police, et le procureur du roi agira en conséquence pour intenter un procès aux électeurs et au chef de la maison. Cette disposition est une invention magnifique qui n'est pas digne de nos mœurs.
C'est une véritable absurdité que de soutenir qu'on pourra inviter ses amis dans un banquet à domicile et qu'on ne pourra pas inviter d'autres électeurs. Mais qui viendra donc décider si l'on est amis ou non, qui viendra donc décider si le banquet a lieu dans un but électoral ? La vérité est que lorsque des électeurs se réunissent dans une maison particulière, c'est dans un but d'élection : la présomption sera de droit, la condamnation de droit. Or, je le dis ouvertement, les poursuites auront lieu ou n'auront pas lieu, suivant que les personnes en cause seront ou ne seront pas partisans du gouvernement ou du ministère public. Eh bien, jamais je ne voterai une disposition qui peut avoir de telles conséquences.
On nous a cité l'exemple de Liège et de Bruxelles, où l'on ne donne pas de dîners électoraux.
Mais dans ces localités, les luttes sont presque insignifiantes. (Interruption.) Ces collèges électoraux n'envoient au parlement que des députés d'une même couleur. Mais est-ce là le résultat qu'on veut obtenir pour la Belgique entière : dans ce système, je vois bien la représentation des grands centres de population, mais je n'y vois pas la représentation de la Belgique. Ce que je vois, c'est que votre projet anéantit dans sa base la véritable représentation nationale, c'est qu'il anéantit la prérogative royale qui, en présence d'une pareille loi, n'aura plus, en fait, la possibilité de faire un appel sincère et loyal au pays ; en un mot. je n'y vois pour résultat que le vieux régime des maires du palais.
MjTµ. - M. de Theux voit dans la présentation du projet de loi, dans plusieurs des mesures qu'il contient, la restauration des maires du palais. (Interruption.) J'avoue que nous n'y avons rien vu de semblable et que nous étions à mille lieues d'une telle idée : tout le projet eût été adopté sans le moindre changement qu'il n'aurait pas pu produire ce résultat. Je m'étonne que M. de Theux se livre à de pareilles exagérations et pour en faire justice, pour faire justice en même temps des intentions qu'on prête au gouvernement, je rappellerai exactement et d'une manière calme les faits et l'origine du projet qui vous est soumis. Depuis six ans, est-il vrai, oui ou non, que périodiquement, on s'est élevé dans cette enceinte, et principalement ceux qui les défendent aujourd'hui, contre les dépenses électorales qui étaient faites par les candidats pour s'ouvrir les portes de cette enceinte ?
Ainsi M. Dumortier lui-même, qui disait tantôt que jamais on ne s'était plaint des dépenses qui se faisaient le jour des élections...
M. Dumortier ; - Je n'ai pas dit cela ; j'ai parlé des dîners.
MjTµ. - Des dîners, soit, mais c'est là la véritable dépense. (Interruption.)
C'est là la véritable dépense. Eh bien, l'honorable M. Dumortier, dans la discussion de 1859, relative aux élections de Louvain, déclarait lui-même que la Chambre finirait par devenir une Chambre aristocratique, si l'on ne mettait fin à l'exagération des dépenses auxquelles donnaient lieu les élections. (Interruption.)
Je parlerai tantôt de l'amendement de la section centrale : je tiens en ce moment à constater que les dépenses électorales qui se font le jour des élections étaient condamnées par tout le monde, non comme un moyen de corruption, mais parce qu'elles empêchaient l'accès de la Chambre à tous ceux qui n'avaient pas une grande fortune.
C'est à ce point de vue que l'on se plaçait pour proscrire les dépenses électorales, et c'est pour ce motif qu'on réclamait des mesures. A la suite de toutes les réclamations, qu'a fait le gouvernement ? Il a proposé un premier projet dans lequel il n'était pas question des dépenses électorales, et qu'a-t-on dit alors ? On a dit que ce projet était insignifiant, qu'il ne portait remède à aucun abus, et loin d'accuser à cette époque le gouvernement de vouloir éloigner de l'urne les électeurs des campagnes, on lui reprochait de ne prendre aucune mesure sérieuse contre des abus qui étaient patents.
Le gouvernement, cédant en quelque sorte à la pression des Chambres et de l'extérieur, a proposé un projet plus complet, et cette fois il prescrit les dépenses électorales : autre grief, autre sujet de plaintes et d'accusations. Cette fois il veut écarter de l'urne tous les électeurs des campagnes, il veut rendre impossible l'appel du Roi au pays, il veut restaurer les maires du palais. Mais il faut oublier tout ce qui s'est passé pour articuler semblable accusation. La vérité est que la Chambre a, sous ce rapport, réclamé beaucoup plus que le gouvernement n'était disposé à faire.
La preuve la plus manifeste que le gouvernement n'avait pas le moins du monde l'intention d'écarter du scrutin les électeurs des campagnes, se trouve consignée dans la projet de loi qui permet les dépenses, et ce sont les plus importantes, qui permet, dis-je, les dépenses nécessaires pour fournir des moyens de transport. En faveur de qui cette exception était-elle faite, sinon en faveur des électeurs de la campagne ? C'est afin qu'on ne pût pas accuser le gouvernement de vouloir les écarter de l'urne qu'il vous a proposé de légaliser les dépenses faites pour leur procurer des moyens de transport.
C'est la réponse la plus péremptoire à toutes les accusations qu'on articule ici.
On condamne le projet du gouvernement qui proscrit d'une manière absolue les autres dépenses électorales, on appuie l'amendement de la section centrale, qui les permet le jour des élections. Eh bien, je n'hésite pas à dire que si vous admettez l'amendement de la section centrale, vous légalisez ce qui se passe aujourd'hui ; et je préfère beaucoup, je le déclare hautement, qu'il n'y ait sous ce rapport dans la loi aucune disposition, je préfère la suppression de l'article à l'amendement de la section centrale.
Avec la disposition proposée par la section centrale, vous aurez les mêmes dépenses qu'aujourd'hui, car les grandes dépenses se font le jour des élections, celles qui se font avant et après sont très insignifiantes.
Eh bien, plutôt que de légaliser ces dépenses, je préfère infiniment maintenir l'état de choses actuel, et pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui du moins nous avons la censure de l'opinion publique et le contrôle de la Chambre lors de la vérification des pouvoirs et que cette censure, ce contrôle, ne s'exerceront plus le jour où la loi aura rendu légales les dépenses que Ton déclare blâmables.
Quant à moi, messieurs, je n'attache nullement à l'article 10 l'importance qu'y attachent nos adversaires. Je le répète, nous avons cédé bien plus à la pression de l'opinion publique que nous n'avons obéi à nos propres sentiments ; car, je le déclare de nouveau, je ne vois pas là un moyen de corruption ; je suis convaincu qu'on ne corrompt pas des électeurs avec des dîners, mats cet usage a pour inconvénient d'écarter de cette Chambre tout homme qui n'a pas les moyens de satisfaire aux dépenses électorales. Encore une fois, je ne considère pas comme efficace la mesure proposée par la section centrale, et si l'on écarte l'article de la section centrale et celui du gouvernement, personnellement je ne m'en désolerai pas.
En tous cas, je préfère mille fois la tolérance des dîners et des dépenses électorales à l'indemnité qu'on vous propose ici.
Je suis, messieurs, beaucoup plus hostile à l'indemnité que je ne le suis aux dîners ; je suis hostile au principe de l'indemnité, parce que je le regarde comme radicalement contraire à notre régime constitutionnel. Quoi qu'on en ait dit et quelque subtilité qu'on ait déployée pour démontrer les uns, que l'électeur est un mandataire, les autres que l'électeur est un fonctionnaire, je persiste à dire que la mission que l'électeur remplit ne tient ni du mandat ni de la fonction : l'électeur exerce un droit de souveraineté que la loi lui confère et il l'exerce en son nom et dans la plénitude de sa liberté.
M. Jacobsµ. - Comme nous.
MjTµ. - Cous êtes nommés par les électeurs et les électeurs n'ont pas, que je sache, de mandant derrière eux. (Interruption.) Je ne comprends pas un mandataire sans mandant ; remarquez-le bien, vous êtes tellement des mandataires que vous avez une responsabilité vis-à-vis des électeurs et que tous les 4 ans vous avez à leur rendre compte de la manière dont vous avez exercé votre mandat. L'électeur au contraire agit à sa guise, comme il lui plaît, sans avoir à rendre compte à personne de sa conduite.
Celui qui est investi d'une fonction est tenu de la remplir, celui qui a un mandat doit l'exercer ; Voilà ce qui est l'essence de la fonction et du mandat ; tandis que l'électeur fait absolument ce qu'il veut et n'est responsable de sa conduite envers personne ; il n'a aucune espèce de responsabilité.
M. de Mérode. - Morale ! (Interruption.)
MjTµ. - Cela n'est pas sérieux.
L'électeur n'a de compte à rendre à personne ; le droit qu'il exerce n'a absolument rien de commun avec la fonction ou le mandat, et je défie de trouver chez l'électeur une seule des conditions qui, d'après la loi, caractérisent la fonction ou le mandat.
(page 1544) Votre proposition est radicalement contraire au principe fondamental de notre gouvernement. Notre gouvernement repose sur la souveraineté nationale ; c'est un acte de souveraineté que doit exercer l'électeur, et lorsqu'il l'exerce, il concourt à imprimer au gouvernement sa marche, sa direction. Quand il prend part aux élections provinciales, il s'occupe de ses affaires au point de vue provincial ; quand il vote a la commune, il s'occupe de ses affaires au point de vue communal. Dans tous ces cas, c'est de ses propres affaires qu'il s'occupe.
M. Coomans. - Non ! non !
MjTµ. - Je dis qu'il s'occupe de ses propres affaires politiques, de ses opinions, si vous le préférez, de ses opinions qu'il cherche à faire prévaloir.
Eh bien, encore une fois, cela ne tient ni du mandat ni de la fonction, c'est un droit qu'il exerce et non une charge publique qu'il remplit.
Donc, toutes vos comparaisons ne sont que des subtilités.
M. Coomans. - C'est de la féodalité pure, ce que vous voulez.
M. Bouvierµ. - C'est un mot cela, et pas autre chose.
M. de Borchgraveµ. - Vous en faites si souvent ! (Interruption.)
MjTµ. - Je veux bien céder la parole à l'honorable M. de Borchgrave s'il désire me répondre.
M. de Borchgraveµ. - Je m'adressais à M. Bouvier.
MpVµ. - La parole est à M. le ministre de la justice, on est prié de ne pas interrompre.
MjTµ. - Je dis donc que l'électeur exerce un droit à lui, à la différence des jurés, à la différence des témoins qui sont soumis à une charge publique, à une charge qu'ils sont tenus de remplir : c'est parce qu'ils remplissent une charge publique qu'on peut les payer, tandis qu'on ne doit rien à l'électeur.
Mais, messieurs, si l'électeur remplit un mandat, s'il exerce une fonction, comme vous le prétendez, mais alors, vous êtes illogiques au premier chef et je ne comprends pas que vous ne poussiez pas votre principe jusqu'à ses conséquences légitimes.
Si c'est un mandat, si c'est une fonction, vous devez indemniser tous ceux qui remplissent ce mandat, qui exercent cette fonction, vous devez les indemniser tout au moins des dépenses qu'ils ont à faire, vous devez indemniser non pas seulement les électeurs qui sont à 5 kilomètres, mais ceux qui sont à 4, mais ceux qui sont à 3, à 2 kilomètres. (Interruption.)
Est-ce que les électeurs qui sont à une distance moindre que celle qui est indiquée dans les amendements, n'ont pas de dépense à faire ? Ces électeurs n'auront pas de frais de transport à supporter, je le veux bien ; mais ils devront être présents dans le bureau électoral, dès 9 heures du matin et y rester une partie de la journée et même jusqu'à 9 heures du soir en cas de ballottage. Ces électeurs ne seront-ils pas astreints à des dépenses ? De quel droit ne les indemniserez-vous pas, si, comme vous le dites, ils exercent une fonction, s'ils remplissent un mandat ?
En outre, est-ce que les électeurs provinciaux qui doivent se rendre à une distance d'une lieue ou de deux lieues, ne sont pas exposés à des dépenses, comme les électeurs pour les Chambres, et à des dépenses qui sont même quelquefois plus élevées ? De quel droit refuserait-on une indemnité à ces électeurs ?
Maintenant, pour les élections communales, il y a des communes qui sont composées de plusieurs sections. Les habitants de ces sections doivent se déplacer pendant une journée entière, pour aller voter au chef-lieu de la commune. Vous devrez encore indemniser ces électeurs. Voilà où vous mène votre principe.
De deux choses l'une : ou bien c'est un droit que l'électeur exerce, et alors vous ne pouvez pas soutenir qu'il faut lui accorder une indemnité ; ou bien c'est un mandat qui lui est confié, et alors vous devez pousser votre principe jusqu'à ses conséquences légitimes, vous devez appliquer les règles qui sont inscrites dans vos lois, vous devez indemniser tous ceux qui remplissent ce mandat, qu'il s'agisse d'élections pour les Chambres, pour la province ou pour la commune. Et quand vous aurez poussé le principe jusque-là, votre régime représentatif dont vous êtes si fiers, le gouvernement du pays par le pays ne sera plus qu'un gaspillage des deniers publics ; ce sera une véritable curée que le régime représentatif, tel que vous l'aurez organisé.
Maintenant, messieurs, pour légitimer et justifier en fait l'indemnité qu'on propose, on parle toujours des malheureux électeurs des campagnes. Mon Dieu ! quoi qu'en ait dit l'honorable M. Dumortier, les dîners n'ont pas existé à toutes les époques. Ainsi, par exemple, je pourrais citer mon arrondissement. On cite toujours le Luxembourg comme la province où se pratiquent le plus d'abus. Eh bien, dans mon arrondissement, de 1830 à 1818, je ne connais qu'une seule élection pour les Chambres à l'occasion de laquelle on a offert des dîners aux électeurs. Et remarqua que la loi de 1848 n'est venue modifier en rien le cens électoral dans le Luxembourg, attendu que ce cens était déjà de 20 florins avant la loi de 1848.
Or, les électeurs n'étaient pas moins nombreux quand on ne leur donnait pas de dîners qu'ils ne le sont depuis.
Ce ne sont pas les dîners qui feront arriver plus d'électeurs au scrutin ; c'est une grave erreur de le croire.
On plaint les électeurs des campagnes. Je crois qu'on ferait beaucoup mieux de leur signaler l’importance des droits qu'ils exerçent et de leur apprendre à agir et à se conduire, lorsqu'il est question des affaires publiques, comme ils agissent et se conduisent lorsqu'il est question de leurs affaires privées.
Quelle est donc la grande charge qu'on leur impose ? C'est de venir au chef-lieu de l'arrondissement tous les quatre ans ou tout au plus tous les deux ans. Eh bien, je dis qu'il y a fort peu d’électeurs qui, pendant l'année, n'aillent dix fois peut-être au chef-lieu, soit pour leurs affaires, soit pour leur agrément. Leur fournit-on, dans ce cas, des véhicules, des dîners, du vin de Bordeaux ou du vin de Champagne ? Pourquoi ne pourraient-ils pas se déranger une fois dans les mêmes conditions pour les affaires publiques ? Voilà ce que vous devriez leur dire, et lorsqu'ils l'auront compris, vous aurez un régime représentatif beaucoup plus sérieux sans avoir besoin de payer une indemnité.
Pour moi, messieurs, l'amendement présente un immense inconvénient, je dirai plus, un grand danger et c'est à cause de ce danger que je n'en veux à aucun prix. Nous n'avons pas le suffrage universel ; tout le monde n'est pas appelé au scrutin en Belgique. Aujourd'hui, les citoyens qui ont le droit de voter sont soumis à une charge pour exercer ce droit. Quand vous leur aurez accordé une indemnité, vous aurez divisé le pays en deux classes bien distinctes, et c'est là ce que je redoute. Vous aurez d'un côté ceux qui ont des droits et qu'on paye pour exercer ces droits, de l'autre, vous aurez ceux qui n'ont pas de droits et qui doivent payer pour que ceux qui ont des droits veuillent bien aller au scrutin.
Voilà précisément oh est le danger de l'amendement. Cette situation que vous ferez au pays, est pleine de périls ; elle sera exploitée par tous les moyens que nos institutions mettent à la disposition des partis ; elle sera exploitée par les meetings, elle sera exploitée par la presse. C'est un coin que vous faites entrer dans les institutions du pays ; et viennent les jours de trouble et d'orage, ce coin peut les faire éclater.
M. Guillery. - Je viens expliquer simplement mon vote négatif sur la proposition d'accorder une indemnité aux électeurs.
Je ne suis pas opposé d'une manière absolue à l'indemnité, mais je crois que cette disposition ne peut être qu'une conséquence du vote obligatoire : question qui n'est pas en ce moment soumise à la Chambre et je pense qu'elle serait inopportune.
Je ne crois pas que les esprits soient préparés à examiner cette question, qu'elle soit mûre en un mot.
Lorsque nous examinerons cette question, et si elle est résolue affirmativement, je serai disposé alors, comme conséquence de l'obligation imposée à l'électeur de venir déposer son vote, à lui accorder une indemnité, comme on en donne une à beaucoup de citoyens qui sont obligés d'exercer un mandat public, ou de remplir des fonctions publiques.
Dans l'état actuel de la législation, et en présence du projet de loi qui nous est soumis, je voterai contre l'indemnité.
- Plusieurs membres. - La clôture.
M. Crombez, rapporteur. - J'ai une simple question à faire. Je demande si, après qu'il aura été voté sur la question d'indemnité, il sera encore permis au rapporteur de la section centrale d'expliquer ce qui s'est passé en section centrale lors de la discussion de l'article 9 ?
- Des membres. - Oui ! oui !
MpVµ. - Nous sommes en présence de l'amendement de M. Sabatier et du sous-amendement de M. Wasseige. Par où la Chambre veut-elle commencer ?
M. Wasseige. - Il me paraît que l'on avait été assez d'accord hier pour procéder en cette matière par question de principe. Je propose de soumettre à la Chambre cette question. Y aura t-il une indemnité ?
S'il est décidé qu'il y a une indemnité ; nous reviendrons sur la quotité.
MfFOµ. - Il suffit de mettre aux voix la première partie de l'amendement de M, Sabatier qui exprime cette idée.
MpVµ. - Précisément, Je mets donc aux voix la première partie de l'amendement de M. Sabatier.
- L'appel nominal est demandé.
Il est procédé au vote par appel nominal sur la première partie de l'amendement de M. Sabatier.
98 membres prennent part au vote.
48 votent pour.
50 votent contre.
En conséquence la Chambre n'adopte pas.
Ont voté l'adoption :
MM. Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Pirmez, Reynaert, Rodenbach, Sabatier, Schollaert, Snoy, Tack, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Bouvier, Coomans, Debaets, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, Dewandre, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove et Landeloos.
Ont voté le rejet :
MM. Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orts, Rogier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Vleminckx, Warocqué, Allard, Bara, Braconier, Bricoult, Carlier, Crombez, David, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Macar, de Moor.de Rongé, de Vrière, Devroede, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu et Ernest Vandenpeereboom.
MpVµ. - Un nouvel amendement est parvenu au bureau. Il est ainsi conçu :
« Pour le cas où les amendements seraient rejetés, je déclare reprendre les mots : « Dans le but d'influencer les électeurs, » inscrits à l'article 10 du projet de loi.
« (Signé) Dumortier. »
Les amendements de M. Sabatier et de M. Wasseige viennent à tomber par suite du vote que vient d'émettre la Chambre.
Restent les changements de détails présentés par plusieurs membres.
Il y a d'abord l'amendement de M. Sabatier consistant à dire : « Dans un but électoral, » au lieu de : « dans le but d'influencer les électeurs. »
M. Crombez, rapporteur. - Je tiens à donner quelques explications sur ce qui s'est passé en section centrale relativement à la rédaction qui a été adoptée.
Lorsque l'article 10 proposé par le gouvernement a été discuté en section centrale, des opinions très divergentes ont été émises. Il s'est trouvé que trois membres avaient proposé l'adoption de cet article et que trois autres membres avaient demandé de le modifier. Il manquait un des membres de la section centrale.
Nous avons résolu d'attendre, pour nous prononcer définitivement, que tous les membres de la section centrale fussent présents.
Lorsque le septième membre, qui était absent, est venu en section centrale, et que la discussion a été reprise sur cet article, ce membre a émis l'opinion que l'article 10 était trop rigoureux, qu'il fallait le changer, de telle façon que la majorité de la section centrale était favorable à une modification.
Je tiens, pour expliquer le vote que je vais émettre, à déclarer à la Chambre qu'en section centrale j'ai voté avec la minorité, avec les membres qui étaient d'avis d'adopter l'article 10 tel qu'il était proposé par le gouvernement.
Cependant je tiens à dire à la Chambre la vérité sur les observations que j'ai présentées en section centrale.
Pour ma part, l'article du gouvernement m'a paru ne pas être suffisamment clair.
Vous venez d'entendre l'honorable M. Dupont nous dire que dans son opinion, les repas tels qu'ils sont organisés aujourd'hui, qui se donnent dans des établissements publics et qui sont payés par les candidats, devraient être interdits.
Mais l'honorable M. Dupont a ajouté que l'article ne défend pas les repas privés donnés par les candidats ou par les amis des candidats, à des électeurs de leur opinion venant voter. Eh bien, messieurs, je demanderai à M. le ministre de la justice, si c'est ainsi qu'il entend l'article 10 proposé par le gouvernement, si, dans son opinion, les repas privés offerts par les candidats ou leurs amis politiques, chez eux, dans un intérêt électoral, le jour des élections, aux électeurs de leur opinion qui viennent voter, si ces repas sont proscrits par l'article 10.
Pour ma part, s'il n'en était pas ainsi, je ne pourrais pas voter l'article 10. Je répéterai une expression qui n'est peut-être pas très parlementaire, mais qui a été employée par M. Jacobs, qui ne veut pas être dupe ; il faut permettre tous les repas ou les proscrire tous ; chacun peut donner des repas publics, mais ce que chacun ne peut pas faire, c'est donner des repas privés.
Vous allez créer un privilège pour ceux qui ont de grands hôtels, de vastes habitations.
Je ne veux pas que les candidats riches aient une facilité que n'auront pas les candidats peu aisés.
Je demande donc à M. le ministre de la justice, si les repas privés donnés dans un intérêt électoral, par le candidat ou ses amis politiques dans une maison privée, si ces repas sont proscrits par l'article 10 ?
MjTµ. - Messieurs, je répondrai très catégoriquement à la question qui vient de m'être posée. Dans mon opinion, le seul moyen d'empêcher les fraudes électorales, c'était de tout proscrire sans exception, les repas dans les maisons privées comme les repas dans les hôtels. (Interruption.) Je voudrais bien savoir pourquoi l'on ne se soumettrait pas à la loi ce jour-là comme les autres jours.
- Un membre. - C'est un jour de jeûne.
MjTµ. - Mais alors il y a 365 jours de jeûne par an.
- Un membre. - Il n'est pas interdit de dîner.
MjTµ. - Il n'est pas interdit de dîner le jour des élections, mais il s'agit de dîners donnés par les candidats ou leurs amis ; les électeurs peuvent dîner quand ils vont aux élections comme ils dînent quand il vont à la foire ou au marché. Pourquoi ne dîneraient-ils pas le jour où ils s'occupent des affaires publiques comme ils dînent lorsqu'ils s'occupent de leurs affaires privées ?
- Un membre. - C'est impossible.
MjTµ. - Si c'est impossible, vous voterez contre l'article de la loi ; je ne puis pas vous forcer à voter pour ; mais je déclare très loyalement dans quel ordre d'idées j'ai formulé l'article ; j'entendais proscrire tout et je proscrivais tout, parce que, si vous accordez la moindre latitude, vous n'aurez absolument rien fait.
Si l'on peut donner des repas dans des maisons privées, toutes les invitations se feront dans des maisons privées ; on convertira les maisons privées eu hôtelleries qui ne payeront pas patente, voilà tout.
Quand je prends une mesure, je cherche à la rendre efficace. La Chambre votera comme elle l'entendra.
M. Dumortier. - Je n'ai qu'une seule observation à faire sur ce que vient de dire M. le ministre de la justice. Qui est-ce qui se chargera de préparer le dîner pour les électeurs ?
- Un membre. - Les restaurateurs.
M. Dumortier. - Je vous demande bien pardon ; ils ne sont pas sûrs d'avoir du monde ; il ne savent pas si beaucoup d'électeurs viendront voter.
Si vous avez dans une localité, 2,000, 3,000 ou 4,000 électeurs qui arrivent des différentes parties de l'arrondissement, et si rien n'est préparé pour leur donner à dîner, que voulez-vous qu'ils fassent ?
Il n'y a, messieurs, que deux moyens possibles : ou bien voter l'amendement de la section centrale ou bien rejeter le tout. Si l'on ne veut pas adopter l'amendement de la section centrale, il vaut mieux rejeter le tout, afin qu'on ne puisse pas dire en matière d'élection : « Ventre affamé n'a pas d'oreilles. »
M. Thonissenµ. - La déclaration de M. le ministre de la justice est nette et claire ; je dirai même que, dans le système de l'honorable ministre, elle est parfaitement logique. Mais il importe que la Chambre sache bien quelles seraient les conséquences dernières de ce système.
M. le ministre veut prohiber tout dîner quelconque offert à des électeurs. Ainsi un candidat aura dans son arrondissement une vingtaine de parents, oncles, neveux, cousins, tous électeurs. Ne pourra-t-il plus les inviter le jour des élections ?
Je demande à cet égard une explication catégorique. Et si, au lieu de parents, ce sont des amis, des correspondants, des personnes avec lesquelles on a des rapports suivis, on ne pourra pas même leur offrir un verre de vin ; car l'article interdit, en termes généraux, toute offre de comestibles !
L'article dit qu'on ne peut rien offrir dans le but d'influencer les élections. L'honorable M. Sabatier, allant plus loin, propose de remplacer ces mots par ceux-ci ; « dans un intérêt électoral ». Encore une fois, où (page 1546) allez-vous vous arrêter et à quel arbitraire n'arrivez-vous pas ? Vous défendez non seulement toute espèce de régal, mais même toute espèce d'offre de comestibles, un jour d'élection ou à l'occasion des élections.
M. Coomans. - Excepté les cigares.
M. Wasseige. - C'est coûteux.
M. Thonissenµ. - Je n'en dirai pas davantage ; mais c'est la à mon avis une conséquence absurde, et un système qui doit conduire à une telle conséquence n'est pas admissible.
M. de Brouckere. - Messieurs, on a en vue d'empêcher les dîners qui se donnent dans un intérêt électoral.
MfFOµ. - Le texte le dit.
M. de Brouckere. - Et l'honorable membre nous demande si nous voulons aussi défendre les réunions de famille.
Il est évident que ces réunions n'ont pas lieu dans un intérêt électoral. (Interruption.)
L'honorable membre demande si nous avons en vue de défendre à un frère d'inviter son frère à dîner.
Je demanderai, moi, si c'est là une question sérieuse. Evidemment, quand on veut pousser les choses à l'extrême, on arrive toujours à l'absurde...
M. Delcourµ. - C'est la loi qui est absurde.
M. de Brouckere. - Et c'est arriver à l'absurde que de penser que parce qu'on s'occupe de dîners électoraux, on voudrait défendre à deux frères de dîner ensemble. Je crois que cette objection n'est pas sérieuse.
M. de Naeyer. - Messieurs, il résulte évidemment des explications qui viennent d'être données par l'honorable ministre et par l'honorable M. de Brouckere qu'on est loin d'être d'accord sur la véritable signification de l'article en discussion. Il y aura donc des dîners offerts et acceptés le jour des élections qui seront permis et d'autres qui seront interdits, et qui donc fera la distinction ? Le gouvernement.
- Une voix. - Le juge.
M. de Naeyer. - Le gouvernement avant tout, car il lui appartient de déférer l'affaire aux tribunaux ou de la laisser sans poursuite. La disposition qu'on nous propose est copiée de la législation anglaise, mais nous sommes loin d'être ici dans la même situation que l'Angleterre.
En Angleterre il y a l'action populaire. Chacun peut poursuivre s'il le veut. En Belgique la poursuite des crimes et délits appartient exclusivement au ministère public, c'est-à-dire au gouvernement, car le ministère public ce n'est pas le pouvoir judiciaire proprement dit, ce n'est pas la magistrature inamovible, c'est le gouvernement, c'est le pouvoir exécutif représenté auprès des tribunaux.
Ainsi il s'agit d'une loi pénale susceptible d'interprétations diverses, qui doit fonctionner au milieu des luttes électorales et qui implique cette distinction si vague et si élastique entre les dîners donnés dans un intérêt électoral et les dîners donnés à l'occasion des élections, et vous voulez que nous comptions sur l'exécution franche et impartiale d'une pareille loi, alors que le gouvernement seul peut en demander l'application aux tribunaux ? Vous voulez donc nous réduire à avoir confiance dans l'impartialité du gouvernement en matière électorale et vous avez la singulière prétention de ne pas faire une œuvre de parti !
Cela n'est pas admissible, c'est la négation la plus absolue des garanties dues aux minorités. Ce n'est pas tout. L'honorable ministre de la justice nous a dit et répété à plusieurs reprises : Nous ne voulons aggraver en rien la position des électeurs ruraux, des électeurs étrangers au chef-lieu d'arrondissement ; or tous avez dû reconnaître que les dépenses qui nous occupent en ce moment n'ont aucun caractère de corruption. De quoi s'agit-il donc, en définitive ? De proscrire un usage qui s'est introduit dans nos mœurs, et qui a pour objet d'accorder aux électeurs ruraux des facilités pour l'émission de leur vote en les dégrevant des charges toutes spéciales résultant de la position inégale qui leur est faite vis-à-vis des électeurs du chef-lieu.
Messieurs, pour tout homme de bon sens, il est clair comme le jour qu'une pareille mesure n'est autre chose qu'un moyen d'aggraver la position des électeurs ruraux et de les éloigner autant que possible de l'urne électorale.
Une pareille loi serait une loi de parti dans toute la force du terme, elle ne saurait être qualifiée autrement par les hommes impartiaux du pays.
MjTµ. - Messieurs, on revient toujours avec le reproche que nous voulons empirer la position des électeurs des campagnes.
M. de Naeyer. - C'est évident. (Interruption.)
MjTµ. - C'est une chose véritablement étonnante.
Lorsque à gauche quelqu'un a l'audace d'interrompre un membre de la droite, on nous fait les plus belles tirades sur la tyrannie qu'on fait peser sur cette partie de l'assemblée, et quand nous parlons, il nous est impossible de placer quatre mots sans être interrompus !
MpVµ. - Vous devez reconnaître que j'y mets obstacle autant que je puis.
MjTµ. - Je ne vous fais pas de reproche, mais je constate le fait. Les interruptions no me gênent pas et je ne me récrie pas contre celles qui me sont adressées.
Mais je constate que quand on est ainsi intolérant, on ne devrait pas se permettre des interruptions aussi bruyantes et aussi fréquentes que celles que l'on fait.
M. Bouvierµ. - C'est très vrai.
MpVµ. - La parole est à M. le ministre de la justice et l'on est prié de ne pas interrompre.
El. Van Overïoop. — On a interrompu tantôt M. Javobs pendant une minute entière.
MjTµ. - Les réclamations contre les dépenses électorales ont été plus nombreuses de la part de la droite que de la gauche.
Voici ce que disait l'honorable M. Dumortier dans la séance du 10 février 1858 :
« L'honneur de représenter son pays est certainement quelque chose ; c'est beaucoup. Mais il est évident qu'il faut laisser cet honneur à toutes les classes de la société, et que par suite des dépenses qu'entraîne aujourd'hui une élection, un jeune homme de grand mérite, de grande capacité, aimé, chéri dans le district, représentant d'une des deux opinions, mais sans fortune, ne peut plus aujourd'hui songer à entrer au parlement. C'est là un abus diamétralement contraire aux principes de notre émancipation politique. On a voulu des institutions démocratiques et l'on arrive, avec le vice de l'argent, à des institutions ultra-aristocratiques. »
M. Coomans. - Cela est vrai.
MjTµ. - Si cela est vrai, ne venez donc pas accuser le gouvernement d'avoir proposé une mesure que vous avez provoquée vous-mêmes. Si nous arrivons, au moyen des dépenses électorales, à des institutions ultra-aristocratiques, faut-il, oui ou non, proscrire ces dépenses ?
M. Coomans. - Le vote à la commune.
MjTµ. - Le gouvernement a proposé une mesure radicale, il a proposé de défendre les dépenses électorales, mais il proposait eu même temps, dans l'intérêt des campagnes, d'autoriser les dépenses nécessaires pour fournir des moyens de transport aux électeurs éloignés du chef-lieu.
On fait maintenant une objection. On demande qui décidera si la dépense a été faite pour faciliter aux électeurs des campagnes l'accès au chef-lieu. Est ce que les tribunaux n'ont pas tous les jours à apprécier des questions plus difficiles ?
Prenons par exemple le vol. Pour qu'il y ait vol, il faut d'abord qu'il y ait soustraction de la chose d'autrui, mais il faut de plus que l'intention frauduleuse soit constatée. Le juge ne doit-il pas apprécier s'il y a eu intention frauduleuse ? Pourquoi ne pourrait-il pas apprécier les causes de la dépense et décider si elle a été faite dans un but électoral ?
On met en suspicion la magistrature, mais si vous mettez en suspicion la magistrature il est impossible de faire une loi, car vous pouvez faire la même objection à propos de toutes les dispositions qui vous sont proposées ; si vous prétendez que le parquet poursuivra les uns et ne poursuivra pas les autres, il n'y a plus moyen de réprimer les délits. Quant à moi, je crois que si la loi est adoptée, elle sera exécutée loyalement comme le sont toutes les autres lois. (Interruption.) Du moment que vous n'admettez pas cela, il est inutile de discuter. Vous mettez la magistrature en suspicion (interruption), en suspicion en matière politique, mais en définitive la magistrature est inamovible et si même il arrive que l'on exerce des poursuites non fondées, les tribunaux prononceront l'acquittement du prévenu. (Interruption.)
Cela est évident, si vous croyez que le gouvernement peut peser sur (page 1457) les parquets, la loi doit tomber, car l'objection que vous faites pour cet article peut s'appliquer à tous les autres.
Songez donc que vous avez l'inamovibilité de la magistrature, qui serait le correctif de l'excès du zèle des parquets, si les parquets étaient trop rigoureux.
La disposition que l'on incrimine ne produira pas les inconvénients que l'on signale.
On prétend que les uns seront poursuivis, que les autres ne le seront pas. Mais le droit de plainte n'existe-t-il pas ? Etsi une plainte était adressée au parquet, croyez-vous que le ministère oserait arrêter la poursuite ? Mais il encourrait la plus grave responsabilité. (Interruption.) Il n'est pas un ministre de la justice qui oserait l'arrêter. (Nouvelle interruption.)
Comment ! Mais dans quelle circonstance le ministère a-t-il arrêté une poursuite ?
Il y a eu des délits de presse poursuivis par les particuliers, il y en a qui avaient été commis par des journaux libéraux. Eh bien, quelle est la marche que suit le ministère, qu'il suit invariablement ? Il se réfère aux parquets sans entrer dans l'examen de la question soulevée par la plainte, il laisse aux parquets la faculté d'agir comme ils le jugent convenable.
Je le répète, il n'y a pas un ministre de la justice qui oserait prendre sur lui d'arrêter une poursuite lorsqu'une plainte aurait été adressée au parquet, et je défie qui que ce soit de citer une seule circonstance où un ministre ait arrêté une poursuite de cette nature.
Quant à la question posée par M. Thonissen, il y a déjà été répondu.
Il est évident que les parents qui se réunissent dans un dîner ne tombent pas sous l'application de la loi. Mon père, mon frère, viennent en ville un jour d'élections ; je les invite à dîner chez moi ; prétendra-t-on que c'est dans un intérêt électoral ?
M. Delcourµ. - Où vous arrêterez-vous ?
MjTµ. - Le juge s'arrêtera aux limites de la raison ; lorsqu'il verra inviter des individus qui n'ont jamais été en relation avec leur hôte, est-ce que le but électoral ne sera pas manifeste ? Eh bien, dans ce cas le juge appliquera la loi.
M. de Naeyer. - L'honorable ministre a cherché à prétendre que je veux mettre notre magistrature en suspicion. Je proteste hautement contre une pareille interprétation donnée à mes paroles.
MjTµ. - Le parquet, c'est la magistrature.
M. de Naeyer. - Ce n'est pas la magistrature inamovible, ce n'est pas le pouvoir judiciaire proprement dit.
M. de Moorµ. - Vous avez parlé du ministère public.
M. de Naeyer. - Oui, parce que les fonctionnaires du ministère public sont les agents du gouvernement, ils sont sous la dépendance la plus absolue du gouvernement, et à cet égard, j'ai fait ressortir la différence très grande entre le régime anglais et le régime belge, et j'ai fait remarquer qu'en important dans notre pays une loi anglaise, on ne songe aucunement à nous donner la garantie d'impartialité qui existe en Angleterre quant à la poursuite des faits tombant sous l'application de cette loi. En Angleterre il y a pour les délits du genre de ceux dont nous nous occupons, une action populaire ouverte à tout le monde, tandis qu'en Belgique la poursuite dépend exclusivement du ministère public, c'est-à-dire du gouvernement.
Sans doute, on peut adresser des plaintes ou des dénonciations, mais il appartient toujours au gouvernement de permettre ou d'empêcher qu'il y soit donné suite. (Interruption.) Pouvez-vous nier que le ministère public, qui est dans la dépendance la plus absolue du gouvernement, a le droit d'apprécier les plaintes et les dénonciations pour savoir si elles doivent être portées devant les tribunaux de répression ?
- Une voix. - C'est une erreur.
M. de Naeyer. - C'est si peu une erreur que même en matière politique, et par conséquent en matière électorale, les instructions du gouvernement défendent aux fonctionnaires du ministère public d'intenter aucune poursuite sans la permission préalable du ministre de la justice. Eh bien, je dis que nous sommes, sous ce rapport, en présence d'un arbitraire effrayant quand il s'agit d'une loi à double face concernant nos luttes électorales, et qui s'immisce en même temps dans les relations de famille et d'amitié. Je vous citerai à l'appui de ce que je viens de dire, les paroles remarquables d'un jeune publiciste appartenant à l'opinion libérale.
Voici ce que je lis dans une brochure sur la réforme électorale, publiée, il y a peu de temps, par M. Rolin-Jacquemyns, page 42 :
« Nous apprécions les motifs qui ont déterminé la création du grand corps judiciaire, que l'on appelle le ministère public. C'est une institution excellente en général, pour mettre la justice en mouvement quand l'ordre social est outragé. Il est naturel, d'un autre coté, que le principe de la responsabilité ministérielle et le besoin d'une action commune et uniforme fussent confier au chef du pouvoir exécutif la nomination et la révocation dès membres de ce corps. »
Vous savez, en effet, messieurs, que le gouvernement exerce sur les membres du ministère public le droit de nomination et de révocation le plus absolu ; les magistrats du ministère public sont, en réalité, les agents du gouvernement, et leur premier devoir est de suivre les instructions et l'impulsion du gouvernement, ou de donner leur démission ; il n'est donc nullement question ici de la magistrature inamovible. Le ministère public, c'est le gouvernement, et voilà pourquoi l'auteur que je cite continue en ces termes :
« Mais cette dernière circonstance (c'est-à-dire la dépendance absolue du ministère publie à l'égard du gouvernement) fait précisément que les officiers du ministère public, s'ils sont à l'abri de toute suspicion en matière ordinaire, cessent de l'être dès l'instant où leur mission revêt un caractère politique, - et j'ajouterai que cela est vrai surtout quand leur mission touche à nos luttes électorales, - cette unité d'action qui, ailleurs, fait leur force, n'est plus ici qu'une cause de faiblesse. En théorie, ils peuvent demeurer les représentants de la société, en pratique, aux yeux du public, ils ne sont plus, à tort ou à raison, que les agents d'un pouvoir inévitablement partial. »
Et pour être vrai dans toute la force du terme, je dirai qu'ils seront toujours, par la force même des choses, dans la matière qui nous occupe, les agents d'un pouvoir partial ; car ne serait-ce pas une véritable niaiserie de croire à l'impartialité du gouvernement en matière électorale ?
Eh bien, je le répète, il est réellement impossible en cet état de choses d'adopter la proposition qui nous est soumise, proposition vague, élastique, prêtant à des interprétations diverses et dont l'exécution est abandonnée en réalité aux passions politiques du gouvernement.
Les diners auront eu lieu dans un intérêt électoral quand on jugera convenable de poursuivre ; et quand on voudra étouffer l'affaire, on les expliquera par toutes sortes de considérations, il n'y aura plus qu'une simple coïncidence avec les élections.
On autorise les dîners de famille. Or, jusqu'à quel degré de parenté pourra-t-on admettre les convives ? En sera-t-il de même des dîners entre amis ? Ces derniers pourront-ils être considérés, oui ou non, comme étrangers à l'intérêt électoral ?
- Une voix. - Non.
M. de Naeyer. - Non et oui, on ne sait trop, car l'une et l'autre opinion ont été soutenues, cela dépendra beaucoup de la couleur politique des amis réunis.
L'honorable M. Sabatier croit qu'en proposant son amendement il renforce en quelque sorte la disposition de la loi ?
Or, l'honorable ministre de la justice lui répond : J'admets votre amendement pour vous faire plaisir, mus au fond vous ne proposez qu'un changement de mots sans valeur. Preuve nouvelle du vague et de l'élasticité de la proposition dont nous sommes saisis.
On vous dit encore : S'il y a des plaintes contre l'exécution partiale de la loi, elles pourront être portées devant la représentation nationale. Oui, et la conduite du gouvernement sera appréciée et jugée par sa majorité politique - garantie admirable dont on nous parle sérieusement. En définitive il s'agit d'une arme dirigée comme une menace contre les adversaires du parti ministériel, mais qui placée entre les mains du gouvernement ne saurait effrayer ses partisans.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
- La discussion est close.
MPVµ. - Avant de faire voter sur les deux amendements qui se rattachent au projet du gouvernement, je dois demander à M. le rapporteur s'il maintient celui de la section centrale.
M. Crombez, rapporteur. - Je n'ai pas pu consulter la section centrale ; mais comme la disposition proposée a obtenu une majorité, il y a lieu de la mettre aux voix comme amendement au projet du gouvernement.
MpVµ. - L'amendement est donc maintenu ; je vais le mettre aux voix, il est ainsi conçu :
« Art. 9 (section centrale). Sera puni d'une amende de 26 à 200 francs (page 1548) celui qui, dans un intérêt électoral, aura donné, offert ou promis à un ou plusieurs électeurs une indemnité en argent ou de quelque nature que ce soit.
« Seront punis de la même peine : 1° celui qui, dans le même intérêt, aura donné, offert ou promis des comestibles ou des boissons aux électeurs résidant dans la commune où siège le collège électoral ; 2° celui qui, dans le même intérêt, aura donné, offert ou promis de donner des comestibles ou des boissons, en dehors du jour de l'élection, aux électeurs ne résidant pas dans la commune où siège le collège électoral.
« Les mêmes peines seront appliquées à l'électeur qui aura accepté les dons, offres ou promesses.
« Des moyens matériels de transport pourront toutefois être organisés et mis à la disposition des électeurs. »
M. Bara. (sur la position de la question). - Il me paraît impossible de voter sur l'article 9 du projet de la section centrale avant d'avoir voté sur l'article 10 du projet du gouvernement, attendu que ce dernier article comprend les cas énoncés dans l'article 9 du projet de la section centrale.
La section centrale défend les dîners avant l'élection et elle les tolère le jour même de l'élection ; le gouvernement défend ces dîners d'une manière absolue. Il faut donc mettre aux voix l'article le plus radical pour que, s'il n'est pas adopté, on puisse au moins voter la disposition moins absolue de la section centrale.
Si l'on procédait autrement et si l'article de la section centrale était adopté, on pourrait en conclure qu'on n'a pas statué quant à l'interdiction de donner à dîner le jour de l'élection et qu'il y a une lacune dans la loi.
Il faut donc aller du plus au moins, c'est-à-dire voter en premier lieu l'article du gouvernement.
M. de Naeyer. - Je demande l'exécution du règlement qui veut que les amendements aient la priorité.
MPVµ. - Je suis donc le règlement, puisque je viens de donner lecture de l'amendement et que j'allais le mettre aux voix.
M. Bara. - Il est bien entendu que si la proposition de la section centrale venait à être votée, je pourrais reprendre l'article du gouvernement. (Interruption.) Mais, messieurs, il n'y a aucune contradiction entre l'article de la section centrale et celui du gouvernement. Dans la pensée de la section centrale, oui, il y en a une, mais elle n'est pas dans le texte.
Il est évident pour moi qu'il faut commencer le vote par l'article 10 du gouvernement ; si l'on procède autrement et si l'article 9 de la section centrale est adopté, je me réserve de présenter l'article 10 du projet du gouvernement.
M. Dumortier. - Cela est simple comme bon jour ! Le gouvernement propose un système, la section centrale l'amende ou plutôt y oppose un système tout différent. Il faut donc commencer par l'amendement et je ne comprendrais pas que, cet amendement admis, on pût revenir encore sur la proposition du gouvernement. Depuis trente-cinq ans que la Chambre existe, cela ne s'est jamais vu et j'espère bien que cela ne se verra jamais.
Le système de la section centrale tolère les dîners le jour de l'élection, tout en réservant le jugement de la Chambre sur l'abus qui pourrait être fait de ce droit ; le gouvernement, au contraire, interdit les dîners d'une manière absolue. Il faut donc voter d'abord sur la proposition de la section centrale, qui est un amendement.
M. de Naeyer. - L'amendement de la section centrale signifie évidemment que les dîners électoraux ne sont pas interdits le jour des élections ; le gouvernement, au contraire, interdit ces dîners d'une manière absolue. L'honorable M. Bara prétend qu'il n'y a pas contradiction entre ces deux propositions.
M. Bara. - Votre principe est erroné.
M. de Naeyer. - Il m'est impossible de comprendre un tel raisonnement.
M. de Theuxµ. - Je ne comprends réellement pas qu'on puisse soutenir que la section centrale n'a pas proposé un amendement au projet du gouvernement.
Elle défend simplement de donner des comestibles aux électeurs qui appartiennent au chef-lieu ; elle défend aussi de donner à dîner la veille ou le lendemain des élections ; donc elle permet les dîners le jour même de l'élection ; tandis que le gouvernement les interdit formellement.
J'avoue, messieurs, que si ces deux propositions ne sont pas contraires nous devons avouer que nous n'avons plus le sens commun.
M. de Brouckere. - C'est une erreur de dire que la section centrale présente un autre système que le gouvernement, ni même qu'elle présente autre chose que le gouvernement. (Interruption à droite.) Je croyais que ces messieurs de la droite n'interrompaient jamais. La différence entre la gauche et la droite, c'est que, de temps en temps, un membre de la gauche interrompt, tandis que la droite interrompt toujours en masse. On couvre ainsi la voix de l'orateur. Dès qu'un orateur de la gauche dit quelque chose qui déplaît à la droite, celle-ci interrompt en masse et étouffe la voix de l'orateur.
M. Dumortier. - Il ne faut pas dire...
MpVµ. - Pas d'interruption !
M. de Brouckere. Vous couvrirez ma voix une seconde fois si vous le voulez, mais je répète que la section centrale ne présente pas un autre système que le gouvernement, ni même autre chose que le gouvernement. Voici ce que fait la section centrale ; elle adopte une partie de la proposition du gouvernement et elle rejette l'autre.
- Voix à droite. - Et cela n'est pas un amendement !
M. de Brouckere. - Allons, messieurs, en masse !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En chœur !
M. Van Overloopµ. - Nous aimons beaucoup les interruptions...
M. de Brouckere. - Je vous rends cette justice, M. Van Overloop, que vous interrompez en particulier.
Je maintiens ce que je dis et j'ajoute même que cela est de toute évidence, et je vais en donner la preuve.
Le gouvernement défend, lui, tous les dîners, avant l'élection, le jour de l'élection et après l'élection. Que fait la section centrale ? Elle s'occupe d'une partie de ces dîners, elle ne s'occupe pas des autres.
Eh bien, si vous mettez l'amendement de la section centrale aux voix avant la proposition du gouvernement et qu'il soit adopté, il y aura une partie de la proposition du gouvernement sur laquelle vous ne vous serez pas prononcés.
Il est de toute évidence qu'en adoptant la proposition de la section centrale, vous n'aurez pas rejeté toute la proposition du gouvernement vous ne vous serez occupés que d'une partie de cette proposition, sans vous prononcer sur l'autre ; et un membre, après l'adoption de l'amendement de la section centrale, viendra reprendre la partie de la proposition du gouvernement sur laquelle on n'aura pas voté !.. Cela arrivera infailliblement...
II y a donc une chose très simple à faire : c'est de mettre d'abord aux voix la proposition du gouvernement qui est la plus générale, et, si cette proposition ne passe pas, de mettre aux voix l'amendement de la section centrale.
M. Guillery. - Messieurs, l'honorable membre qui vient de se rasseoir l'a dit lui-même : La section centrale propose d'adopter une partie de l'article du gouvernement et de rejeter l'autre ; c'est l'expression dont il s'est servi. C'est, par conséquent, un système opposé à un autre système, La section centrale nous propose autre chose que ce que nous propose le gouvernement.
Le gouvernement a un système ; la section centrale lui dit : « Votre système est trop absolu, nous en proposons un autre. »
La Chambre a donc à décider entre le projet du gouvernement et celui de la section centrale. Ces deux systèmes que je vois imprimés dans deux colonnes différentes donnent lieu à deux rédactions différentes.
Pourquoi ne suivrions-nous pas le règlement ? Quel inconvénient peut présenter cette marche ? Ceux qui sont partisans du système de la section centrale répondront oui ; ceux qui n'en sont pas partisans répondront non.
Si le système n'est pas adopté, viendra alors la proposition du gouvernement et vous ferez la même chose. Pour ma part, je ne serai pas embarrassé ; je dirai non sur le système de la section centrale, et oui sur le projet du gouvernement. Rien n'est plus simple.
M. Orts. - Messieurs, j'ai l'honneur de faire une proposition qui, je l'espère, mettra tout le monde d'accord pour l'ordre du vote. De même que la Chambre a voté par question de principe sur l'amendement de l'honorable M. Sabatier, je demande que M. le président mette aux voix cette question de principe-ci :
« Les dépenses électorales seront-elles interdites sans distinction de jour ni de lieu ? »
M. de Naeyer. - Messieurs, il n'est pas exact de dire qu'on a voté par question de principe sur l'amendement de l'honorable M. Sabatier. M. le président a fait parfaitement remarquer que le principe était (page 1549) renfermé dans la première disposition de cet amendement, et c'est sur cette première disposition qu'on a volé. Voilà la vérité.
D'ailleurs, on ne vote par question de principe que de l'assentiment unanime de tous les membres de la Chambre. Le règlement veut qu'on vote les amendements avant la question principale. Voilà la marche à suivre, telle qu'elle est tracée par le règlement. Je ne vois aucun motif pour s'en écarter dans l'occurrence.
M. Bara. - Messieurs, il ne faut pas qu'il y ait équivoque. Je ne comprends pas l'insistance de la droite en présence des observations qui sont faites. Nous disons ceci : vous entendez la proposition de la section centrale de cette manière ; je l'entends d'une autre manière. Je voterai l'article de la section centrale, attendu que cet article est parfaitement conforme à l'opinion de ceux qui veulent défendre les dépenses électorales d'une manière complète, permanente ; vous y attachez un autre sens et vous insistez pour qu'on le mette aux voix le premier.
Voulez-vous enlever un vote par surprise à la Chambre ?
La question de principe posée par l'honorable M. Orts est bien précise ; pourquoi reculez-vous devant le vote de cette question de principe ? Voulez-vous, à l'aide d'une surprise, voir votre opinion triompher ?
On ne doit pas vouloir cela ; on doit procéder d'une manière honnête, sans réticence et sans équivoque.
M. Dolezµ. - Messieurs, si l'on est d'accord pour voter la question de principe, je n'ai rien à dire...
- Des membres. - Non ! non !
M. Dolezµ. - On ne paraît pas d'accord. Je demande donc à la Chambre la permission de lui soumettre une observation.
L'honorable M. Guillery vient de dire que la proposition de la section centrale est toute différentes de celle du gouvernement. J'admets cela par hypothèse. Mais quelle liberté de vote vais-je avoir avec le système qu'on veut consacrer ?
Je préfère le système du gouvernement, mais s'il est repoussé, je désire l'adoption du système de la section centrale.
Dans quelle situation allez-vous me placer, et avec moi tous ceux de vos collègues qui partagent cet avis, si vous mettez d'abord aux voix l'amendement de la section centrale ? Je devrai voter contre, et je contribuerai ainsi à faire rejeter une proposition qui subsidiairement me convient ; si ensuite la proposition principale est rejetée, il ne restera plus rien debout ; et cependant j'aurais voulu admettre, dans ce cas, la proposition subsidiaire. Est-ce là la liberté du vote que vous voulez consacrer ? C'est impossible.
Il ne s'agit pas ici d'un amendement à mettre aux voix avant la disposition principale. Non, messieurs, il y a deux principes en présence, un principe étendu et un principe restreint. Je demande, au nom de la liberté du vote, pour donner à toutes les convictions la possibilité de se prononcer librement, je demande que la Chambre mette d'abord aux voix le principe le plus large et, si ce principe est repoussé, qu'on aille alors aux voix sur le principe restreint.
De cette manière tout le monde pourra voter selon sa conscience et dans sa pleine liberté. Messieurs, c'est à votre loyauté que je fais un appel pour qu'il en soit ainsi.
M. Dumortier. - Messieurs, le règlement est formel. Tout amendement doit être mis aux voix avant la proposition principale.
- Un membre. - Ce n'est pas un amendement.
M. Dumortier. - Comment ! ce n'est pas un amendement. Mais alors vous pouvez contester à tout amendement quelconque cette qualification-là. Ce que la section centrale propose ici, est une modification au projet du gouvernement ; c'est donc un amendement ; vous devez donc mettre d'abord aux voix cet amendement, si vous ne voulez pas violer le règlement.
M. le président l'avait parfaitement compris.
Maintenant on vient vous soumettre une question de principe, et cette question de principe reproduit précisément le système du gouvernement. On ne peut donc pas la mettre aux voix d'abord, sans violer le règlement, puisqu'il y a des amendements. Votre prétention serait admissible, si la question de principe se rattachait aux amendements ; mais non : ce n'est pas autre chose que le projet du gouvernement, et vous ne pouvez pas mettre la question de principe aux voix la première, sans escamoter le droit de la Chambre de présenter des amendements.
Voulez-vous annuler ce droit ?
Messieurs, l'argumentation de l'honorable M. de Brouckere me semble étrange.
A cette argumentation je réponds par une petite comparaison : je suppose qu'on vienne vous présenter une motion portant que 2 et 2 font 6, et qu'on présente un amendement portant que 2 et 2 font 4.
On commencerait par vous faire voter que 2 et 2 font 6 avant de vous faire voter que 2 et 2 font 4. Voilà la force des arguments que l'on présente.
Encore une fois, nous n'avons qu'une seule règle à suivre, c'est celle que nous trace le règlement. Celui-ci est formel : tout amendement doit être mis aux voix avant la question principale. La section centrale a amendé l'article ; on doit d'abord mettre aux voix sa proposition.
M. Dolezµ. - Une seule observation pour répondre à tout ce que vient de dire l'honorable M. Dumortier. Quand le gouvernement nous propose un chiffre de budget et que, par amendement, l'on propose un chiffre moins élevé, lequel des deux chiffres met-on mx voix le premier ? C'est le chiffre du gouvernement parce qu'il est le plus élevé.
M. Dumortier. - C'est une exception qui a été admise de tout temps. Il ne s'agit pas de chiffre.
M. Dolezµ. - C'est un exception qui est indiquée par le bon sens et qui est nécessaire, parce que, sans cela, la liberté du voté est impossible.
Pourquoi mettez-vous d'abord aux voix le chiffre le plus élevé ? Pour que ceux qui y sont favorables puissent le voter, avant que la Chambre prononce sur le chiffre le moins élevé.
De même lorsqu'il y a un principe étendu et un principe restreint, il faut, si vous voulez pour tous la liberté du vote, que la Chambre soit d'abord consultée sur le principe le plus étendu, pour que, s'il n'est pas admis, on puisse ensuite se prononcer pour ou contre le principe restreint.
M. Coomans. - J'admets que nous procédions par question de principe ; seulement j'en proposerai une autre que l'honorable M. Orts. Je demande que l'on mette aux voix cette question :
« Pourra-t-on, le jour des élections, offrir à dîner aux électeurs autres que ceux du chef-lieu d'arrondissement ? »
M. Bara. - Je propose un amendement au 2° de l'article 9 de la section centrale. Ce deuxième est ainsi conçu :
« 2° Celui qui, dans le même intérêt, aura donné, offert ou promis de donner des comestibles ou des boissons, en dehors du jour de l'élection, aux électeurs ne résidant pas dans la commune où siège le collège électoral. »
Je demande la suppression des mots : « en dehors du jour de l'élection. »
M. Dumortier. - La discussion a été close.
M. Jacobsµ. - Je partage l'opinion de l'honorable M. Dolez et je pense que mes honorables amis n'insisteront pas. Il me paraît juste de permettre qu'on se prononce d'abord sur le principe le plus étendu.
Mais je ne puis admettre l'amendement de M. Bara, qui nous ferait voter deux fois sur la même disposition.
M. Bara. - J'y renoncerai bien volontiers, si vos amis partagent votre avis.
MpVµ. - Est-on disposé à voter d'abord sur la question posée par l'honorable M. Orts ?
- Des membres. - Oui ! oui !
- D'autres membres. - Non ! non !
M. de Brouckere. - Il me semblait que l'honorable M. Jacobs avait déclaré qu'il consentait à ce qu'on mît en premier lieu aux voix l'article du gouvernement ?
- Des membres. - Non ! non !
MpVµ. - Je vais consulter la Chambre sur le point de savoir si l'on votera d'abord sur la proposition du gouvernement. (Interruption.)
- Des membres. - Vous ne pouvez mettre aux voix ce qui est contraire au règlement.
MpVµ. - Dans ce cas, nous devons procéder par question de principe. La Chambre se trouve en présence de celle posée par M. Orts et de celle posée par M. Coomans.
M. Mullerµ. - Je demande une nouvelle lecture de la question posée par M. Coomans. J'ai cru comprendre qu'elle permettait de donner à dîner aux électeurs du chef-lieu d'arrondissement.
MpVµ. - Cette question est ainsi conçue :
« Pourra-t-on, le jour de l'élection, offrir à dîner aux électeurs autres que ceux du chef-lieu ? »
- Plusieurs membres. - C'est cela.
M. Bouvierµ. - La question de principe posée par l'honorable (page 1550) M. Orts est très claire. Je crois qu'on pourrait commencer par elle. Si elle est adoptée, celle de l'honorable M. Coomans vient à tomber.
De cette façon nous marcherons vers un résultat.
M. Coomans. - J'ai voulu rédiger aussi simplement et aussi clairement que possible ma question de principe. J'entends que l'on puisse avoir la liberté d'offrir à dîner, le jour de l'élection, à tous lés électeurs autres que ceux du chef-lieu.
Pouvez-vous exprimer d'une manière plus claire une pensée générale ? Je l'admettrai. Mais j'insiste pour que ma question soit mise aux voix autant celle de l'honorable M. Orts, parce qu'elle est plus restreinte.
L'honorable M. Orts pose la question de savoir si nous voulons, oui ou non, des dépenses électorales. C'est une question assez vague et qui renferme quelque chose d'odieux, tandis que la question que j'ai posé est claire et nette. Nous ne voulons qu'une exception, c'est celle-ci. Eh bien, votons d'abord sur cette exception.
MpVµ. - Il est évident que si l'on veut procéder par question de principe, ii faut d'abord mettre aux voix le principe le plus général.
- Des membres. - Non ! non !
MjTµ. - Les principes, les voici : Proscrira- t-on les dépenses électorales d'une manière absolue, ou ne les proscrira-t-on que d'une manière relative ? Il est évident que si vous voulez la liberté du vote, il faut que le principe le plus absolu soit mis aux voix le premier. (Interruption.)
Si vous ne voulez pas précéder de cette manière, il n'y à qu'à mettre aux voix l'amendement de la section centrale. Mais je ne vois pas l'utilité d'un voté sur une question de principe telle que celle que l'honorable M. Coomans vient de nous poser.
Cette question de principe n'a d'autre but que de faire dire que nous ne voulons pas qu'on puisse offrir à dîner aux électeurs de la campagne le jour des élections : on ne veut pas s'engager nettement, carrément sur la question des dépenses électorales, sauf le principe tel qu'il doit être posé.
M. Crombez, rapporteur. - J'abonde dans lés idées de M. le ministre de la justice. Cependant je voudrais bien qu'il fût entendu que par dépenses électorales on entend la distribution de comestibles, car il y a des dépenses électorales qu'il est impossible dé proscrire.
M. Orts. - On m'a demandé une explication. J'entends par dépenses électorales celles que les deux articles du projet entendaient prohiber.
MpVµ. - Je vais mettre aux voix la question de priorité. Que ceux qui sont d'avis de commencer par la proposition de M. Orts veuillent bien se lever.
Que ceux qui sont d'un avis contraire veuillent bien se lever.
- Plusieurs membres. - On ne peut pas mettre aux voix le règlement.
MpVµ. - Vous aviez consenti à ce qu'on mît aux voix la proposition de M. Coomans : il a été admis par tout le monde qu'on procéderait par question de principe ; j'exécute votre volonté, et vous me reprochez de violer le règlement !
Je continue l'épreuve.
Que ceux qui sont d'un avis contraire veuillent bien se lever.
- La Chambre décide qu'elle commencera par la proposition de M. Orts.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
MpVµ. - Je vais mettre aux voix par appel nominal la proposition de M. Orts. Ceux qui adoptent répondront oui ; ceux qui rejettent répondront non.
M. Dumortier. - M. le président, nous ne pouvons pas voter sur une pareille proposition.
MpVµ. - Le vote est commencé.
- Des membres. - Vous violez le règlement.
MpVµ. - J'exécute la décision de la Chambre.
- L'appel nominal continue.
En voici le résultat.
96 membres sont présents.
52 adoptent.
44 rejettent.
En conséquence la proposition est adoptée.
Ont voté l'adoption :
MM. Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Vleminckx, Warocqué, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Crombez, David, dc Bast, de Brouckere, de Florisone, De fré, de Kerchove, de Moor, de Rongé, de Vrière, Devroede, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu et E. Vandenpeereboom.
Ont voté le rejet :
MM. Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Schollaert, Snoy, Tack, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Allard, Beeckman, Coomans, Debaets, de Borchgrave, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove et Landeloos.
- L'article du gouvernement est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à 5 heures et demie.