(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 1515) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
MpVµ. - Messieurs, nous sommes arrivés à l'article 8. La discussion continue.
Il est parvenu an bureau un amendement de l'honorable M. Dumortier à cet article. Cet amendement consiste à ajouter au paragraphe 3 :
« Toutefois les mots de représentant, sénateur ou conseiller sortant, ne seront pas une cause de nullité. »
M. Pirmez. - Messieurs, je désire ajouter encore quelques observations à celles que j'ai faites hier relativement au 3° de l'article 8. J'appelle toute l'attention de la Chambre sur ce 3° qui est pour ainsi dire le point culminant du système de la section centrale. (Interruption.)
Voici la question à résoudre. Aujourd'hui nous avons un système entièrement de bonne foi quant aux bulletins électoraux. C'est-à-dire que les désignations ne sont pas déterminées et que les cas de nullité sont livrés à l'appréciation du bureau et, en second degré, à l'appréciation de la Chambre.
D'après le système actuel, les bureaux peuvent annuler tous les bulletins dans lesquels ils jugent que l'électeur a voulu se faire connaître quels que soient les moyens employés.
La Chambre a le même pouvoir discrétionnaire pour annuler. Ce système est maintenu dans le 5° de l'article 8 du projet de loi. Mais, dans le 3°, on ajoute un autre système de nullité absolue.
Je comprendrais parfaitement ce système de bonne foi, discrétionnaire et un système rigoureux dans lequel les cas de nullité seraient déterminés, mais ce que je ne comprends pas, c'est que l'on maintienne le système actuel qui permet d'annuler chaque fois que l'électeur se fera connaître et que l'on impose encore au bureau et à la Chambre de prononcer la nullité dans un certain nombre de cas.
Si ce système est adopté, vous aurez donc ce résultat que les bureaux et la Chambre pourront annuler tous les bulletins où ils penseront que l'électeur se fait connaître, mais ils seront encore astreints à annuler un certain nombre de bulletins dans lesquels ils auront la conviction que l'électeur n'a pas voulu se faire connaître.
Avec le système de la section centrale, le billet écrit avec la plus entière bonne foi, dans lequel personne, sans aller consulter la loi, ne pouvait voir une fraude, devra être annulé.
Je crois que la crainte d'un mal nous fera tomber dans un mal plus grand. Remarquez que vous aurez ainsi non seulement des annulations de billets écrits sincèrement, et qu'en outre, on frappera de nullité des bulletins qui n'auront été donnés aux électeurs que pour faire annuler leurs votes.
Je citais hier un exemple : Un tel avocat, membre sortant. Il est impossible que vous mainteniez cette nullité. Si vous la mainteniez, il arrivera que des gens qui voudront faire annuler des bulletins feront des bulletins dans lesquels ils introduiront cette cause imperceptible de nullité. Ainsi pour éviter des fraudes, vous ouvrez la porte toute grande à des fraudes d'un autre genre, vous donnez une prime à la mauvaise foi, la nullité des bulletins des adversaires. Je demande que la Chambre se contente du 5° de l'article qui permet d'annuler des bulletins dans lesquels l'électeur aurait voulu se faire connaître.
M. Crombez, rapporteur. - J'ai d'abord à répondre à cette observation de M. Pirmez, que le système qu'il combat a été introduit par la section centrale. C'est là une erreur complète.
Le paragraphe premier de l'article 7 du projet du gouvernement indiquait quelles étaient les désignations dont on pouvait se servir et le paragraphe 2 portait : « Sont nuls tous les bulletins qui portent d'autres désignations. » Ce n'est donc pas la section centrale qui a introduit le système, c'est le gouvernement lui-même.
La Chambre a voté l'article 7 qui porte que les candidats ne pourront être désignés que par leurs nom, prénoms et profession. Le n°3 de l'article 8 n'est que la sanction de cet article ; si donc vous ne voulez pas voter le paragraphe 3 de l'article 8, il faut revenir sur l'article 7.
M. Pirmez. - C'est une appréciation.
M. Crombez. - Cela ne peut faire un doute. L'article 7 dispose que les candidat ne seront désignés que par leurs nom, prénoms, etc. Si vous admettez ce principe, il faut que vous adoptiez aussi l'article 8 qui traite des nullités et qui dispose que dans les cas oh cette règle n'aurait pas été observée, les bulletins seraient nuls. Sans cette disposition, les prescriptions de l'article 7 sont inutiles et vous n'aurez rien fait de sérieux contre les billets marqués ; vous n'aurez pas garanti le secret du vote.
M.. Lelièvreµ. - Il m'est impossible de partager le système de l'honorable M. Crombez : « Si nous avons énoncé dans l'article 7 : les candidats ne seront désignés que par leurs nom, prénoms, profession et domicile ou résidence, etc., » il ne résulte pas de cette disposition que toute contravention à cette prescription doit nécessairement frapper le bulletin de nullité. L'on peut décider que la nullité sera facultative, c'est-à-dire qu'elle ne sera prononcée que dans le cas où il résultera des circonstances que l'addition d'autres désignations a été faite dans le but de faire connaître le votant ou de violer le secret du vote.
Il m'est d'autant plus impossible d'adhérer à l'article en discussion, que dans l'exécution il donnerait lieu à des fraudes bien plus graves que celles auxquelles on veut obvier.
En effet, ne perdons pas de vue que l'addition de désignations pour faire connaître le votant est un moyen assez rarement employé, c'est certainement là aujourd'hui un fait tout à fait exceptionnel, tandis que si l'article 8 est maintenu, il sera facile d'induire en erreur non seulement les électeurs campagnards et illettrés, mais même tous ceux qui ne seront pas au courant des dispositions du projet.
Evidemment il ne manquera pas de se pratiquer des manœuvres bien autrement à craindre que sous le régime actuel. Des individus remettront des bulletins que les électeurs ignorant la loi considéreront comme valables et les votants seront ainsi trompés de la manière la plus indigne.
Les inconvénients que je redoute sont d'autant plus grands que les bulletins nuls, en réalité, présenteront tous les caractères de bulletins valables, aux yeux de tous les électeurs ignorant les dispositions d'une loi aussi insolites que celles qu'on nous propose.
Je suis donc convaincu qu'en adoptant l'article en discussion, nous ne ferons qu'éviter un écueil pour tomber dans un autre tout autrement dangereux. Le projet donnera lieu à un système de fraude qui sera employé pour induire les votants en erreur et leur persuader qu'ils émettent un suffrage valable, tandis qu'en réalité il serait invalide. Par conséquent, le projet rend possibles des manœuvres frauduleuses qui tromperont une partie du corps électoral, ce qui ne peut permettre de me rallier à des dispositions pouvant produire de pareils résultats.
N'oublions pas qu'un nombre considérable d'électeurs ignore les dispositions légales. Il importe donc qu'on prévienne les abus auxquels l'article que je combats ouvre une large porte.
Je ne comprends donc pas que dans le cas du n°3 de l'article en discussion on décrète la peine de nullité comme obligatoire. Il me semble bien plus rationnel de ne la prononcer que dans le cas où l'on aura voulu, par certaines désignations, porter atteinte au secret du vote. En effet, ne serait-il pas exorbitant de décréter l'annulation relativement à des bulletins déposés avec la meilleure foi possible ? C'est cependant à ce résultat qu'aboutirait le projet.
MjTµ. - Il me semble que quand on veut la fin on doit aussi vouloir les moyens.
De quoi s'est-on plaint jusqu'à présent ?
On s'est élevé contre les billets marqués qui portent atteinte à la liberté de l'électeur : un des principaux griefs qu'on a fait valoir contre notre système électoral actuel, c'est que l'on remettait aux électeurs des bulletins marqués, qu'ils étaient obligés de déposer dans l'urne, sous peine d'éprouver tel ou tel dommage, suivant leur position. On a cherché à porter remède à cet abus. Un des moyens de le prévenir, c'est évidemment de déterminer, dans la loi, les qualifications qu'on peut donner à un candidat et de frapper de nullité les bulletins qui contiendront des qualifications de nature à faire connaître l'électeur.
(page 1516) C'est ce que le gouvernement a proposé, la section centrale le propose également ; la seule différence qu'il y ait entre les deux projets, c'est que le gouvernement admettait en plus l’indication du domicile et l'addition de la qualification de membre sortant aux autres désignations.
M. Pirmez. - C'est une immense différence.
MjTµ. - Alors proposez à la Chambre de revenir sur son vote. Je préférerais encore de beaucoup ce système, je préférerais de beaucoup admettre qu'on puisse ajouter la qualification de membre sortant aux autres désignations.
Je préférerais cette disposition au système arbitraire qu'on vous propose et qui, en définitive, nous ramènerait tous les abus que nous voulons précisément proscrire ; car, remarquez-le bien, nous rentrons complètement, comme le disait hier l'honorable M. de Naeyer, dans un système tout à fait arbitraire. Dans le système de l'honorable M. Pirmez on pourra ajouter au nom du candidat telle qualification qu'on voudra.
M. Pirmez. - Pas du tout. Je demande la parole.
MjTµ. - On pourra ajouter telle qualification qu'on voudra, et ce sera au bureau en première instance, à la Chambre en dernier ressort qu'appartiendra le droit de décider si un bulletin porte des qualifications suffisantes pour faire reconnaître celui qui l'a déposé : c'est une question d'appréciation, qui devra être résolue pour chaque bulletin.
Ainsi, par exemple, on aura donné deux qualifications au lieu d'une et on aura encore ajouté : « Sénateur, représentant ou conseiller sortant ; » le bureau décidera en première instance si ce bulletin est nul ou ne l'est pas ; et la Chambre aura ensuite à examiner si ce bulletin était conçu de manière à faire reconnaître celui qui l'a déposé.
M. de Naeyer. - Ce sera la même chose que pour les contestations relatives à la question de savoir si la désignation est suffisante ou non.
MjTµ. - C'est évident. Trouvez-vous que la disposition que la Chambre a votée dans la séance d'hier, peut donner lieu à des inconvénients ? Tâchez de la convaincre et de la décider à revenir, au second vote, sur ce point, en permettant d'ajouter à l'indication de la profession la qualification de sénateur, représentant ou conseiller sortant.
M. de Mérode. - Cela vaudrait mieux.
MjTµ. - Eh bien, revenons là-dessus et adoptons cette modification à l'article 7. Je suis tout disposé à me prêter à cette transaction, mais ne laissons pas au bureau le pouvoir de décider si les bulletins sont nuls ou valables, et n'imposons pas à la Chambre l'obligation de se livrer à ce laborieux travail à chaque vérification de pouvoir.
Je propose donc le maintien du 3° paragraphe de l'article 8, sauf à revenir sur l'article 7 au second vote et à ajouter au premier paragraphe de cet article ce qui fait l'objet de l'amendement de l'honorable M. Pirmez, c'est-à-dire une disposition qui permette d'ajouter à l'indication de la profession la qualification de sénateur, représentant on conseiller sortant.
M. Allard. - Si l'on met « député sortant, » le bulletin sera-t-il nul ?
MjTµ. - Permettez : on a décidé hier que les candidats seront désignés par leurs nom, prénoms et profession, et que cette dernière indication pourra être remplacée par la qualification de « sénateur, représentant ou conseiller sortant. »
Eh bien, je dis qu'on pourrait modifier cette disposition en ce sens que non seulement la qualification de membre sortant pourrait remplacer l'indication de la profession, mais que ces deux désignations pourraient être employées cumulativement, de manière qu'il soit permis d'écrire sur le bulletin, pour reprendre l'exemple cité hier par l'honorable M. Pirmez : « M. Dewandre, avocat, représentant sortant. »
Je demanderai, en conséquence, que la Chambre veuille bien voter l'article tel qu'il est conçu, sauf, au second vote, à admettre que les qualifications de « sénateur, représentant ou conseiller sortant » pourront remplacer ou suivre les trois dernières indications. Il n'y aura plus alors à craindre qu'on ne remette aux électeurs des bulletins entachés de nullité, en vue de les faire annuler ultérieurement.
Je ferai d'ailleurs remarquer qu'une disposition très sage a été introduite dans la loi.
En général, les électeurs n'écrivent pas leurs bulletins, ils reçoivent des bulletins dont les énonciations sont conformes aux prescriptions de la loi. Ce qui serait à craindre, c'est qu'un électeur, écrivant lui-même son bulletin, ne contrevînt aux dispositions de la loi. Eh bien, la loi a introduit une mesure très sage en ordonnant que le texte des articles 7 et 8 sera imprimé sur les bulletins de convocation. Celui qui sait écrire son bulletin, sait lire aussi ; dès lors il sera à même d'apprécier quelles sont les indications qu'il peut mettre sur son bulletin ; il n'est guère à craindre par conséquent que l'électeur se trompe.
M. Pirmez. - Messieurs, je reconnais que le changement annoncé par M. le ministre de la justice, dans les termes de l'article voté hier, est une amélioration, mais il n'en restera pas moins vrai que si un bulletin porte cette désignation (je prends encore le nom de mon honorable collègue pour exemple) : Dewandre, avocat, ) Charleroi ; ce bulletin sera nul.
Remarquez, messieurs, que ce n'est pas dans l'indication du domicile qu'est le danger ; c'est dans l'indication d'une profession exceptionnelle d'un candidat, laquelle n'est pas sa qualification ordinaire.
Le système de M. le ministre de la justice ne prévoit rien quant à ce cas, c'est-à-dire quand on aura qualifié un candidat par une désignation exceptionnelle qui n'est pas la profession habituelle du candidat.
Ce sera là une fraude qui n'est pas prévue par le paragraphe 3 de l'article en discussion, et qui rentrera dans le paragraphe 5 du même article.
Vous le voyez, sans être aussi inflexible que le paragraphe 3, le paragraphe 5 réprime parfaitement des fraudes que le premier de ces paragraphes n'a pas même prévues.
M. Lelièvre. - J'ai signalé à la Chambre les moyens de fraude qui ne manqueront pas de se pratiquer, si l'on adopte la disposition en discussion. Je demanderai à M. le ministre de la justice comment il entend prévenir les abus que j'ai dénoncés. Lorsqu'on prétend changer un régime en vigueur, il me semble qu'il faut se garder d'adopter des dispositions qui peuvent donner lieu à d'autres moyens de fraude, sans énoncer des prescriptions propres à écarter les manœuvres qui peuvent se produire.
Je prie donc M. le ministre de me dire s'il reconnaît qu'effectivement il sera facile de persuader aux électeurs qu'on leur remet un bulletin valable, alors qu'il serait nul. Eh bien, je soutiens que ce moyen frauduleux est bien plus à craindre et produira des résultats bien plus désastreux que des billets marqués qui, dans une élection, ne sont que de rares exceptions. Or le projet n'obvie en rien aux abus que je signale, il est impuissant d'ailleurs à les empêcher, et, sous ce rapport, il doit nécessairement donner lieu à de graves inconvénients.
M. Dupontµ. - Messieurs, je ne puis partager la crainte que vient de manifester l'honorable M. Lelièvre. Il semble être convaincu que l'on remettra des bulletins nuls à ses adversaires en les induisant en erreur et en leur faisant accroire qu'on patronne les candidats de leur choix ; ce danger ne se présentera guère dans la pratique. En effet, la plupart du temps les associations libérales ou conservatrices envoient des bulletins aux électeurs à domicile en même temps que leurs circulaires ; les candidats en remettent ou en font remettre ; les journaux indiquent exactement de quelle manière les noms des candidats doivent être écrits et cela se fera à l'avenir avec plus de soin encore sous la loi nouvelle. L'électeur illettré ou ignorant ne reçoit son bulletin que des personnes dans lesquelles il a confiance, et il se gardera bien de déposer dans l'urne celui qui lui aurait été remis par un étranger, alors surtout qu'il aura été soigneusement averti de la nullité qui peut frapper son bulletin.
Je voterai donc l'article qui est en discussion et je suis convaincu qu'il n'en résultera pas le danger que M. Lelièvre a signalé et dont il me paraît s'effrayer outre mesure.
M. de Naeyer. - J'appuie tout à fait les observations présentées par l'honorable ministre de la justice. Il y a cette différence entre les deux systèmes, je l'ai déjà signalée hier, c'est que, suivant le système de l'honorable M. Pirmez, c'est le bureau qui décide tout. Vous lui donnez un pouvoir tout à fait arbitraire. En effet, l'honorable membre veut réduire en réalité tout l'article 8 au n°5, c'est-à-dire que la question de savoir si un bulletin contient des désignations qui doivent le faire considérer comme billet marqué, serait laissée entièrement à l'appréciation du bureau sans que la loi lui prescrive aucune règle obligatoire.
Le bureau pourra donc parfaitement annuler un bulletin, dans le cas où il y aura des désignations surabondantes, tout comme il pourra ne pas l'annuler. Eh bien, je dis que c'est un grand danger. Vous avez déjà un exemple de ce qui va se pratiquer, si vous adoptez ce système. Ainsi, sur la question de savoir si un bulletin contient une désignation suffisante, combien de décisions contradictoires n'avons-nous pas eues ? Tantôt on disait que le nom de famille suffirait, tantôt on disait qu'il ne suffisait pas.
Voulez-vous avoir la répétition des mêmes anomalies ? Voulez-vous encore vous engager dans un dédale de décisions tout à fait contradictoires ? Est-ce là agir dans l'intérêt de la moralité politique du pays. (page 1517) Cela n'est-il pas en opposition formelle avec la pratique loyale et impartiale du régime constitutionnel ?
Je crois que pour faire une bonne loi, il faut laisser le moins possible à l'arbitraire du juge. Cette maxime est surtout vraie en matière politique.
Il est donc évident pour moi que nous devons autant que possible prévoir les cas de nullité. Malheureusement il n'est pas possible de les prévoir d'une manière complète ; et sous ce rapport, c'est une nécessité d'abandonner quelque chose à l'arbitraire du bureau. Mais quand nous le pouvons, quand il y a présomption grave, quand il y a pour ainsi dire certitude que certaines désignations ne sont ajoutées que pour marquer les billets, évidemment nous devons, en législateurs sages et prudents, prononcer la nullité dans la loi même, afin d'ôter autant que possible à l'arbitraire des décisions du bureau.
On nous fait une description réellement exagérée des inconvénients auxquels cette disposition pourra donner lieu. Il semblerait réellement que les dispositions des articles 7 et 8 sont destinées à rester secrètes ou sont tellement difficiles à comprendre que peu d'électeurs parviendront à les connaître.
Je crois, au contraire, qu'il n'y aura pas de loi qui sera mieux connue que ces dispositions, parce que les partis politiques qui divisent le pays auront un immense intérêt à bien éclairer les électeurs sur ce point. Et puis, comme l'honorable ministre de la justice l'a fait remarquer, les dispositions des articles 7 et 8 seront portées d'une manière spéciale à la connaissance des électeurs, puisqu'elles seront reproduites littéralement sur chaque billet de convocation ; il est évident qu'avant peu les électeurs en état d'écrire leur bulletin les sauront par cœur ; et chaque parti, je le répète, aura soin de donner à cet égard toutes les instructions désirables.
Qu'on ne dise donc pas que l'on profitera de l'ignorance des électeurs pour commettre des fraudes en distribuant à dessein des billets entachée de nullité, comme si chaque parti n'était pas sur ses gardes pour déjouer de pareilles manœuvres.
Nous avons assez l'expérience de ce qui se passe dans nos luttes politiques pour savoir que, de chaque côté, on travaille non seulement pour augmenter le nombre de ses adhérents, mais aussi pour prévenir les électeurs contre les manœuvres frauduleuses qui pourraient être employées. Le danger qu'on signale est donc chimérique et, je le répète, il y a un inconvénient immense à trop laisser à l'arbitraire des bureaux.
M. de Macarµ. - Ainsi que l'a dit l'honorable ministre de la justice, le grand abus qu'il importait d'empêcher c'était l'usage immodéré du billet marqué ; je crains qu'il n'y ait dans le nouveau système une autre espèce de fraude qui consistera à donner des bulletins portant des désignations de nature à les faire annuler.
Cette fraude me paraît tout aussi grave que la première. Il est évident que beaucoup de personnes recevant un bulletin qui porterait, par exemple : « Dewandre, avocat à Charleroi, membre sortant, » supposeront un tel bulletin très valable. (Interruption.) Vous dites que les lettres de convocation porteront les articles 7 et 8 de la loi ; messieurs, malgré cela, il y aura dans les campagnes un certain nombre d'électeurs qui ne se rendront pas un compte bien exact, bien complet de ce que le bulletin peut contenir et de ce qu'il ne peut pas contenir sous peine de nullité.
Du reste, le gouvernement avait été mû par ces considérations, puisque primitivement il permettait d'ajouter le domicile et la qualification de membre sortant. Je pense que si l'on rétablissait ces dispositions que contient l'article 7 du gouvernement, il y aurait moins à craindre. M. le ministre de la justice disait tout à l'heure : Le bureau sera juge ; mais, messieurs, la loi dit formellement le contraire ; si la loi est adoptée, le bureau sera obligé d'annuler le bulletin qui ne serait pas conforme aux prescriptions de la loi, alors même qu'il aurait la conviction que le bulletin a été déposé de très bonne foi. Quant à moi, messieurs, il me serait impossible de m'associer à un système qui, éventuellement, pourrait vicier la vérité du scrutin.
M. Mullerµ. - Messieurs, il y a une grande différence entre les billets marqués, imposés par une personne qui exerce une pression sur l'électeur et un billet nul donné à un individu sur lequel on n'a pas d'action, et qu'on lui offrirait pour le tromper ; en effet ce dernier électeur peut très bien et facilement faire vérifier le bulletin, tandis que l'électeur contraint doit déposer le sien dans l'urne.
Du reste, l'honorable M. de Macar n'est pas si éloigné du système de la section centrale que je le croyais d'abord, en entendant ses premières paroles, il admet le paragraphe 3 de l'article 8, pourvu qu'il soit permis d'inscrire le domicile et la qualification de membre sortant. Eh bien, messieurs, si la section centrale a supprimé l’énonciation du domicile et de la profession, lorsqu'on emploie la qualification de membre sortant, c'est évidemment parce qu'elle y voyait un élément de combinaisons plus nombreuses pour la fraude ; mais si, en définitive, la Chambre tient à autoriser, et la mention du domicile, que je considère, moi, comme parfaitement inutile. (Interruption.) J'admets plus facilement les observations présentées relativement à la qualification de membre sortant, ajoutée à l’énonciation de la profession ; mais quant à la mention du domicile, je la trouve complètement inutile et de nature à trop favoriser la fraude.
En résumé, s'il y avait une transaction à établir à cet égard entre les deux opinions qui semblent diviser cette Chambre, je serais prêt à accepter la dernière partie des observations qui ont été présentées par les honorables MM. Pirmez, de Macar et Lelièvre en ce qui concerne les mandataires du pays, de la province et des communes qui sont soumis à réélection.
MjTµ. - L'argument que l'on invoque surtout contre la disposition du paragraphe 3, c'est que l'on distribuera des bulletins qui porteront des qualifications autres que celles qui sont permises par l'article 7, exclusivement dans le but de faire annuler ces bulletins, c'est-à-dire qu'on cherchera à induire en erreur des électeurs qui, de bonne foi, déposeront dans l'urne un bulletin qu'ils croiront conforme à la loi.
Je crois, messieurs, que ces craintes sont bien exagérées.
J'ai aussi quelque pratique des élections et j'ai rarement vu des électeurs crédules acceptant des bulletins de tout le monde. En général ils n'acceptent des bulletins que des personnes dans lesquelles ils ont confiance ; je me trompe, ils en acceptent bien de tout le monde, mais ils ne déposent dans l'urne que le bulletin qu'ils ont reçu des électeurs dans lesquels ils ont confiance, alors même que les autres bulletins porteraient les mêmes noms ; ils savent parfaitement les ruses que l'on emploie et il ne remettent que le bulletin dont ils sont sûrs. C'est une grande erreur de croire que l'on arrivera très facilement à tromper les électeurs.
En supposant même que ces craintes soient fondées, il serait impossible de prévenir la fraude que l'on signale : vous craignez de frapper de nullité les bulletins portant une désignation de plus, par exemple celle de membre sortant, mais on emploiera d'autres qualifications qui auront également pour effet de marquer les bulletins et ces bulletins marqués seront déposés dans l'urne tout aussi bien que ceux qui porteront la qualification de membre sortant. Si vous admettez que l'électeur soit assez peu intelligent ou tellement confiant qu'il acceptera des bulletins de tout le monde, il mettra tout aussi bien dans l'urne un bulletin portant par exemple M. un tel, chevalier de tel ou tel Ordre. Sera-ce un bulletin marqué ?
- Une voix. - Si l'on est de bonne foi.
MjTµ. - Qui jugera ? Il est évident que l'électeur que vous supposez trompé par quelqu'un qui veut lui faire remettre un bulletin nul, acceptera aussi bien la qualification de chevalier de tel ordre ou l'indication d'une profession qui ne se rattacha que d'une manière éloignée à la personne qu'il s'agit de désigner que la qualification de membre sortant ou l'indication d'un domicile quelconque. Vous ne pouvez éviter cet abus. Il me semble donc qu'on peut sans inconvénient admettre l'article 3, sauf cependant à revenir sur l'article 7 pour permettre d'ajouter la qualification usuelle, en quelque sorte, de membre sortant. J'admets ce tempérament, mais n'exagérons pas les inconvénients que peut avoir la disposition du paragraphe 3.
- La discussion est close.
MpVµ. - Messieurs, nous allons commencer par le vote sur les amendements. Il y a différents amendements qui se rattachent à cet article.
Il y a d'abord celui de M. Coomans, qui consiste à supprimer le n°4„
Il suffira d'établir le vote par division pour qu'on puisse se prononcer sur cet amendement.
Il y a ensuite l'amendement de l'honorable M. de Naeyer, consistant à ajouter au n°5 après les mots : « des marques », le mot « ratures. »
Il y a celui de M. le ministre de la justice, qui consiste à ajouter au n°6 après le mot « autographiés » le mot « lithographiés », et il y a la disposition additionnelle proposée par l'honorable M. Crombez.
Je ne mets pas aux voix l'amendement de M. Coomans parce que nous allons voter sur l'article par division.
MjTµ. - Si nous mettions (page 1518) d'abord aux voix le paragraphe premier : « Les bulletins qui ne contiennent aucun suffrage valable. » Quant au paragraphe 2, j'en demande la suppression.
MpVµ. - Je crois qu'il faut maintenir la marche que j'ai indiquée : je mets aux voix le paragraphe premier.
« Les bulletins qui ne contiennent aucun suffrage valable. »
- Adopté.
MpVµ. - Le paragraphe 2 est supprimé de commun accord entre le gouvernement et la section centrale ; il vient donc à tomber.
« § 3° Les bulletins portant d'autres désignations que celles autorisées par le même article, à moins qu'elles ne soient indispensables pour distinguer les candidats de personnes qui auraient les même nom, prénoms et profession. »
MpVµ. - Par suite de la suppression du paragraphe 2, il faut modifier la rédaction du paragraphe en discussion ; au lieu de dire : « Les bulletins portant d'autres désignations que celles qui sont autorisées par le même article... » il faut dire : « ... portant d'autres désignations que celles qui sont autorisées par l'article précédent. » Je demande en outre que la Chambre vote ce paragraphe ainsi modifié avec la réserve que nous modifierons au second vote l'article 7 dans le sens qui a été indiqué.
- Le paragraphe 3, tel qu'il a été modifié, et avec la réserve introduite par M. le ministre de la justice, est mis aux voix et adopté.
« § 4° Les bulletins qui contiennent plus de noms qu'il n'y a de membres a élire. »
MpVµ. - Il y a un amendement de M. Coomans qui demande la suppression de ce paragraphe.
- Le paragraphe 4° est mis aux voix et adopté.
« § 5° Les bulletins dans lesquels le votant se ferait connaître ou portant à l'intérieur des marques, signes ou énonciations de nature à violer le secret du vote. »
MpVµ. - M. de Naeyer a proposé par amendement d'ajouter après le mot « marqués » le mot « ratures ». La gouvernement se rallie-t-il à cet amendement ?
MjTµ. - Oui, M. le président.
- Le paragraphe ainsi amendé est mis aux voix et adopté.
« § 6° Les bulletins qui ne sont pas écrits à la main ou autographiés ; ceux qui, étant autographiés, ne seraient point la reproduction de l'écriture usuelle à la main, ou qui ne seraient pas écrits ou autographiés à l'encre noire. »
MpVµ. - Il y a un amendement qui consiste à ajouter partout après le mot : « autographiés » le mot : « lithographiés ».
- Le paragraphe ainsi amendé est mis aux voix et adopté.
« § 7° Les bulletins qui, au premier tour de scrutin, ne seraient pas timbrés ou dont les formes ou dimensions auraient été altérées.
« En cas de contestation, le bureau en décidera, sauf réclamation.
« Les bulletins de vote annulés ou ayant donné lieu à une contestation quelconque, seront parafés par les membres du bureau et annexés au procès-verbal. »
- Adopté.
MpVµ. - Maintenant vient un paragraphe final ainsi conçu :
« Le texte du présent article et de l'article précédent sera imprimé sur chaque lettre de convocation. »
- Adopté.
MpVµ. - Je n'ai pas parlé de l'amendement de M. Dumortier, parce qu'il n'a pas été adopté et que, par conséquent, il vient à tomber.
« Art. 9. lorsqu'un bulletin contiendra plus de noms qu'il n'est prescrit, le président ne donnera pas lecture de ceux qui forment l'excédant. »
MpVµ. - La section centrale propose la suppression de cet article. Le gouvernement se rallie-t-il à cette suppression.
MjTµ. - Cette suppression est indispensable par suite de l'adoption du paragraphe 4 de l'article 8.
- La suppression de l'article 9 du projet du gouvernement est prononcée.
Art. 10. Sera puni d'une amende de 26 à 200 francs celui qui, dans le but d'influencer des électeurs, leur aura donné, offert ou promis une somme d'argent, des comestibles, des boissons ou une indemnité de quelque nature qu'elle soit.
« La même peine sera appliquée à l'électeur qui aura accepté les offres ou promesses.
« Des moyens de transport pourront toutefois être mis à la disposition des électeurs. »
« Art. 9 (section centrale). Sera puni d'une amende de 26 à 200 francs, celui qui, dans un intérêt électoral, aura donné, offert ou promis à un ou plusieurs électeurs une indemnité en argent ou de quelque nature que ce soit.
« Seront punis de la même peine : 1° celui qui, dans le même intérêt, aura donné, offert ou promis des comestibles ou des boissons aux électeurs résidant dans la commune où siège le collège électoral ; 2° celui qui, dans le même intérêt, aura donné, offert ou promis de donner des comestibles ou des boissons, en dehors du jour de l'élection, aux électeurs ne résidant pas dans la commune ou siège le collège électoral.
« Les mêmes peines seront appliquées à l'électeur qui aura accepté les dons, offres ou promesses.
« Des moyens matériels de transport pourront toutefois être organisés et mis à la disposition des électeurs. »
MpVµ. - Le gouvernement se rallie-t-il à cet article ?
MjTµ. - Non, monsieur le président.
MpVµ. - La discussion s'ouvre donc sur l'article du gouvernement.
Plusieurs amendements se rattachent à cet article. Il y a d'abord l'amendement de M. Jacobs, ainsi conçu :
Intercaler, entre les paragraphes 3 et 4, cette disposition :,
« Sera puni d'une amende de 26 à 200 fr. et de l'interdiction des droits de vote et d'éligibilité pendant deux ans au moins et cinq ans au plus, celui qui aura fait la promesse d'accorder ou de faire obtenir, en cas d'élection ou d'échec d'un candidat, un avantage quelconque à la circonscription électorale ou à une partie de la circonscription qui doit procéder à l'élection. »
MjTµ. - Cet amendement ne se rapporte pas à l'article 9, mais plutôt à l'article 11 ou à l'article 12 ; il répond à un tout autre ordre d'idées que la disposition en discussion.
MpVµ. - M. Jacobs consent-il à renvoyer son amendement à un autre article ?
M. Jacobsµ. - Je ne m'y oppose pas.
MpVµ. Nous avons maintenant l'amendement de M. Sabatier, ainsi conçu :
« Substituer aux mots : « dans le but d'influencer les élections, » ceux ci : « dans un intérêt électoral. »
La discussion est ouverte sur cet amendement.
M. Sabatier. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il à cet amendement ?
MjTµ. - Je ne vois pas d'inconvénient à me rallier à l'amendement de l'honorable M. Sabatier. Cette modification avait été admise déjà par la section centrale.
M. Sabatier. - Mais comme exception.
MjTµ. - Je le répète, je ne vois pas de difficulté à me rallier à ce changement ; cette rédaction exprime la même idée.
MpVµ. - A. l'article en discussion se rattache encore un amendement qui a été déposé par M. Bouvier.
M. Crombez, rapporteur (pour une motion d'ordre). - Messieurs, je crois que pour mettre de l'ordre dans la discussion, il conviendrait de commencer par l'amendement de l'honorable M. Bouvier. Cet amendement consiste à accorder une indemnité aux électeurs. Il est évident que le résultat du vote sur cet amendement exercera une grande influence sur le vote de l'article 10.
Je propose donc à la Chambre de commencer par la discussion de l'amendement de l'honorable M. Bouvier.
MpVµ. - L'amendement de M. Bouvier est ains conçu :
« Tout électeur, domicilié à une distance de cinq kilomètres du chef-lieu d'arrondissement peut réclamer une indemnité pour son déplacement. Elle est fixée à 6 francs pour chaque électeur, quelle que soit la distance.
« Le mode de payement de cette indemnité sera réglé par arrêté royal. »
La parole est à M. Bouvier pour développer son amendement.
M. Bouvierµ. - Messieurs, le projet de loi que nous discutons depuis si longtemps a pour objet de réprimer le scandale des dépenses électorales, de mettre un frein aux frais exagérés auxquels sont tenus les candidats qui se présentent dans l'arène électorale.
Aujourd'hui, messieurs, il faut bien la dire, dam ce qu'on est convenu (page 1519) d'appeler les petits arrondissements, il esl indispensable de posséder une certaine fortune, pour arriver à l'honneur de représenter son pays.
On ne demande pas si un homme de talent, de cœur, ayant du caractère, porté par les sympathies publiques, pouvant représenter utilement et dignement le corps électoral se rencontre dans ces petits arrondissements ; il ne faut pas se le dissimuler, les qualités que je viens d'énumérer sont vraiment un objet de luxe, si à côté d'elles vous n'avez ce qu'on est convenu d'appeler le nerf de la guerre, et ce que j'appellerai moi, le nerf des élections en Belgique : de l'argent, de l'argent et toujours de l'argent.
Voilà le mal, et ce mal est tellement grand que si vous n'y portez remède, vous sapez le régime parlementaire dans sa base ; vous arrivez directement à une véritable oligarchie d'argent.
Et cependant que porte la Constitution ? Elle porte en principe que tous les pouvoirs émanent de la nation, que tous les citoyens, quelque humbles qu'ils soient, ne payaut pas même le cens, alors qu'ils sont Belges, âgés de 25 ans et qu'ils jouissent de leurs droits civils et politiques, que ces citoyens puissent arriver à l'honneur de remplir un mandat dans cette Chambre.
Enfin, je dis que ce principe, essentiellement démocratique, est actuellement faussé ; il n'est plus vrai ; je lâche le mot : c'est un véritable mensonge inscrit dans la Constitution.
M. Carlier. - Pour certains arrondissements.
M. Bouvierµ. - Pour certains arrondissements, sans doute, j'accepte l'interruption. Je ne parle pas des grands arrondissements. Nous savons comment les élections s'y font. Là vous avez des comités qui discutent les candidats pour les présenter au corps électoral. Le nombre des électeurs est tellement considérable que la corruption y est en quelque sorte impossible ; tout homme, quelle que soit sa position de fortune, peut aspirer à devenir représentant.
Mais quand il s'agit des petits arrondissements, la question est tout autre. Là ce sont les sympathies des électeurs qui vous portent et qui vous investissent du mandat. Mais aujourd'hui, dans ces petits arrondissements, comme je le disais il y a un moment, l'électeur ne peut plus choisir ; le pouvoir n'émane plus de lui, parce qu'il ne peut pas choisir le candidat qui a ses affections, le candidat, comme je le disais, qui a ses sympathies et qui lui inspire le plus de confiance.
Si le candidat n'a pas de ressources pour faire les frais de l'élection, il est impossible qu'il arrive, quel que soit son talent, quelle que soit l'élévation de son caractère et quelles que soient les sympathies dont il est entouré. Mon amendement donc, messieurs, a pour but de soustraire le candidat à certaines dépenses, et surtout à celles ayant pour objet le transport des électeurs, il en est encore beaucoup d'autres qui lui incombent.
Ainsi, il y a nécessité pour lui d'envoyer des circulaires aux électeurs, pour faire connaître l'opinion à laquelle il appartient, il a des démarches à faire chez les électeurs, ee qu'on est convenu, d'appeler la tournée électorale.
Ce sont toutes dépenses auxquelles il ne peut se soustraire, qu'il doit nécessairement faire ; mais le transport est une chose très onéreuse pour le candidat, et, s'il m'est permis de raconter une anecdote qui m'est personnelle, je vous dirai ce qui s'est passé dans mon arrondissement.
- Voix nombreuses. - Oui, oui ! parlez !
M. Bouvierµ. - L'année dernière, à la suite de la dissolution, nous avons dû nous représenter devant les électeurs.
Une première chose à laquelle il fallait songer, c'était d'amener les électeurs au pied de l'urne électorale.
Je me suis mis en quête de voitures, ce qui était très peu digne pour un citoyen qui devenait souverain quelques jours après. Or qu'était-il arrivé ? C'est que mon adversaire avait ramassé, permettez-moi ce mot, les voitures dont j'aurais pu disposer. Comme j'habite un arrondissement peu éloigné de la France, j'ai dû aller chercher à Sedan, à Carignan et autres villes les moins éloignées les véhicules nécessaires au transport de mes électeurs.
Je dis, messieurs, que cela est peu digne, que cela ne doit pas être et qu'il faut épargner aux candidats des dépenses semblables pour les motifs que j'ai développés tout à l'heure. Il faut que l'électeur des campagnes soit mis en quelque sorte sur le même pied que l'électeur des villes ; il ne faut pas de privilège pour ceux-ci. Or, quand un électeur de la campagne doit faire cinq ou six lieues pour venir voter, il se trouve dans une position tout à fait inégale vis-à-vis des citadins. C'est pour remédier à cette inégalité que je demande, que je réclame des moyens de transport pour tous les électeurs éloignés de 5 kilomètres du chef-lieu.
Vous me direz : C'est là un principe nouveau, un principe qui n'existe pas dans nos lois. Messieurs, c'est une profonde erreur. Il n'y a pas de fonctionnaire public qui, malgré les appointements qu'il reçoit de l'Etat, de la province ou de toute autre administration, n'obtienne une indemnité du chef de déplacement ; un président de cour d'assises recevant des appointements de conseiller, touche non seulement une indemnité du chef de déplacement, mais encore une indemnité de séjour.
Lorsque le juré habite à un demi-myriamètre du chef-lieu de la province où siège la cour d'assises, il reçoit une indemnité de 1 florin 50 c. par jour, et si je me rappelle bien, l'honorable M. Thonissen, à l'occasion du budget de la justice, a réclamé l'augmentation de cette indemnité.
Je crois même que l'honorable ministre de la justice ne s'y est pas montré contraire.
Le conseiller provincial, le témoin, l'expert, enfin tous ceux qui remplissent une fonction pour laquelle ils ont une dépense à subir sont indemnisés.
Messieurs, j'ai calculé que mon amendement ferait peser sur le trésor une charge assez lourde. Ainsi, il y a en Belgique 100 et quelques mille électeurs.
Il y en a 75,000 qui participent au vote. Il faut en déduire 25,000 se trouvant au chef-lieu et dans le rayon de 5 kilomètres, auxquels mon amendement ne s'applique pas. Reste une cinquantaine de mille électeurs. Je ne crois pas me tromper, je vois qu'aucun membre de la Chambre ne réclame contre ce chiffre ; 50,000 électeurs à raison de 6 fr., ce serait une dépense à charge du trésor de 300,000 fr. pour chaque période quadriennale. Cette somme est considérable, je le reconnais.
Le gouvernement a dû examiner mon amendement puisque voila trois ou quatre semaines qu'il est présenté. Il a, a sa disposition les chemins de fer, et par conséquent des moyens de transport très faciles, surtout dans une grande partie de la Belgique. II m'a promis un chemin de fer pour mon arrondissement, ce sera encore une facilité de plus. Je lui demanderai donc si pour éviter toute difficulté, surtout une dépense assez lourde, il ne pourrait mettre à la disposition des électeurs des moyens de transport.
Je crois que cela ne coûterait pas une somme considérable, et cela vaudrait peut-être mieux que l'indemnité du chef de transport. Avec les chemins de fer et le service des voitures de la poste qu'il mettrait à la disposition des électeurs, je suis convaincu que l'on apporterait un grand remède au grave inconvénient que je signale.
Car, messieurs, si l'on continue à banqueter comme on le fait, si l'on persiste à donner des festins de Balthazar aux électeurs, je dis que l'on fausse le régime représentatif, et qu'il me soit permis de terminer ces courtes observations par une citation, car nous sommes tous fatigués des longs speeches.
- Plusieurs membres. - Non ! non ! parlez ! parlez !
M. Bouvierµ. - Je vous remercie, messieurs, de votre extrême bienveillance.
Qu'il me soit permis d'invoquer ici l'autorité d'un homme très considérable, d'un homme qui est entré dans le parlement britannique sans avoir dépensé un centime.
Des électeurs sont venus le trouver. « Les autres ont dépensé pour lui, » me dit-on ; peu importe ; il n'a rien dépensé et il reste digne. La dépense est déplorable, il faut bien le dire ; si nous ne moralisons pas les élections, nous arrivons à une véritable oligarchie d'argent, la pire de toutes, car, en général, ceux qui ont beaucoup d'argent pèchent quelquefois par le manque de cœur. (Interruption.) Je parle surtout des parvenus.
Je faisais donc allusion à J. Stuart Mill. Voici les observations que je rencontre dans son ouvrage sur le gouvernement représentatif. C'est très court, messieurs, et surtout c'est très vrai :
« Les institutions politiques ne sont jamais aussi nuisibles moralement parlant. Elles ne font jamais tant de mal par leur esprit que lorsqu'elles représentent les fonctions politiques comme une faveur à accorder, Comme une chose que le dépositaire doit solliciter, comme s'il la désirait pour lui, et même qu'il doit payer comme si on la lui donnait pour son profit à lui ; les hommes ne sont pas disposés en général à donner de grosses sommes pour obtenir la permission d'accomplir un devoir laborieux. Platon avait une idée beaucoup plus juste des conditions d'un bon gouvernement, quand il soutenait que les hommes à rechercher pour en faire des gouvernants, sont ceux qui y éprouvent le plus d'aversion, et que le seul motif sur lequel on puisse compter pour décider au gouvernement les meilleurs, c'est la crainte d'être gouvernés par les pires. Que doit penser un électeur quand il voit trois ou quatre gentlemen, dont jusque-là aucun ne s'était fait remarquer par la (page 1520) prodigalitê de sa bienfaisance désintéressée, luttant à qui dépensera le plus d'argent pour pouvoir écrire sur leurs cartes : Membre du parlement. Va t-il supposer que c'est dans son intérêt qu'ils font toute cette dépense ? Et s'il se forme une opinion nette de leur motif, quelle obligation morale va-t-il ressentir pour son propre compte ? Les hommes politiques regardent volontiers comme une chimère d'illuminé la supposition qu'il puisse exister un corps électoral incorruptible : une chimère sans aucun doute, tant qu'ils ne s'efforceront pas eux-mêmes d'être sans reproche en matière électorale ; car ce sont les candidats qui, en fait de moralité, donnent le ton aux électeurs. Tant que le membre élu paye son siège de quelque façon que ce soit, on échouera à faire de l'élection autre chose qu'un marché pour toutes les parties. Tant que le candidat lui-même et que les mœurs sembleront regarder la fonction d'un membre du parlement moins comme un devoir à remplir que comme une faveur à solliciter, on ne fera jamais croire à un électeur ordinaire que l'élection d'un membre du parlement est une affaire de devoir, et qu'il n'est pas libre de considérer uniquement là dedans sa convenance personnelle. »
Messieurs, ce langage est vrai. Ce à quoi nous devons nous efforcer, c'est à rendre les élections pures, et à faire en sorte que tout Belge, à quelque condition qu'il appartienne, puisse arriver dans cette enceinte, car, soyez-en convaincus, je ne considère pas cette loi comme une loi de parti. Si elle devait être telle, je n'y souscrirais pas. Comme on nous le dit dans le rapport, la sincérité dans les élections, leur intégrité, est de l'essence du régime représentatif ; c'est par des élections pures que nous relèverons la dignité et des représentants et des représentés, et je vous demande si nous ne contribuerons pas à les rendre telles, en mettant un terme à l'abus que mon amendement a en vue de faire disparaître.
MpVµ. - On vient de faire parvenir au bureau un sous-amendement à l'article 10, ainsi conçu :
« Tout électeur, domicilié à plus de cinq kilomètres du chef lieu d'arrondissement et qui aura pris part à une élection législative, pourra réclamer une indemnité. Elle est fixée à 3 fr. pour le séjour et à 50 centimes par demi-myriamètre, sans fraction, pour les frais de route.
« En cas de ballottage l'indemnité ne sera pas due aux électeurs qui n'auront pas pris part aux deux scrutins.
« (Signé) Sabatier. »
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne prends la parole que pour répondre à une question que l'honorable M. Bouvier a posée au gouvernement. Il demande si le ministre de l'intérieur, si le gouvernement a examiné la question de savoir si le gouvernement pourrait fournir des moyens de transport à tous les électeurs. Messieurs, cette question n'a pas été examinée. Je ne puis donc donner à cet égard aucun renseignement. Lorsque l'enquête, dont l'extrait est joint au rapport de la section centrale, a été faite, plusieurs des autorités consultées se sont prononcées pour l'indemnité à l'électeur ; d'autres se sont prononcées contre, mais quant aux moyens d'exécution, on ne s'en est pas occupé.
Il m'est donc impossible, du moins quant à présent, de répondre à l'interpellation de l'honorable M. Bouvier. Il faudrait faire des études, je devrais surtout m'entendre avec mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, pour savoir si les malles-postes et les autres moyens de transport qu'il a à sa disposition pourraient suffire pour transporter les électeurs, le jour des élections.
M. Bouvierµ. - D'après la déclaration que vient de faire M. le ministre de l'intérieur, la question que j'ai soulevée par mon amendement n'a pas été examinée par le gouvernement. Mais aussi, d'après ce que je viens d'entendre, le gouvernement serait prêt à faire de cette question l'objet de ses investigations, à se livrer à une sorte d'enquête. (Interruption.)
J'ai cru comprendre que le gouvernement ne repoussait pas d'une manière absolue le principe de l'indemnité et que si, après investigation, il reconnaissait la possibilité de transporter les électeurs aux frais du trésor, il ne verrait pas d'inconvénient à le faire.
En présence de la déclaration du gouvernement, pour ne pas voir rejeter le principe de mon amendement auquel je tiens beaucoup, je pente qu'il y aurait lieu à ajourner cette question du transport des électeurs. Car je sais très bien que si le gouvernement ne vient pas à mon secours, mon amendement aura peut-être le sort de tous les autres amendements qui ont été produits par des membres de cette Chambre. Or, comme je tiens essentiellement à ce que les élections soient réellement démocratiques, à ce qu'elles coûtent le moins possible aux candidats, je demande que cette question soit sérieusement examinée par le gouvernement, et plus tard il pourra nous présenter un projet en deux lignes, portant que les électeurs qui se trouvent à une certaine distance du chef-lieu d'arrondissement seront transportés aux frais du trésor. Je propose donc l'ajournement.
M. de Theuxµ. - Est-ce que, dans l'intention de l'honorable M. Bouvier, l'article entier serait ajourné ?
MjTµ. - Non ! non !
M. de Theuxµ. - Si l'article n'est pas ajourné, il faut qu'on discute tout, sinon c'est l'abandon de l'amendement.
M. Bouvierµ. - Je n'abandonnerai mon amendement que pour autant que le gouvernement fasse les transports aux frais du trésor.
(page 1528) MpVµ. - La parole est à M. Sabatier pour développer son sous-amendement.
M. Sabatier. - Je m'étonne que l'honorable M. Bouvier, qui vient de développer son amendement, le relire immédiatement après.
M. Bouvierµ. - En présence de la déclaration du gouvernement qu'il adhère au principe de l'indemnité, mon amendement pourra être reproduit sous forme de projet de loi.
M. Mullerµ. - On fait dire au gouvernement ce qu'il n'a pas dit.
M. Sabatier. - Je n'ai pas entendu qu'aucun membre du gouvernement ait témoigné l'intention d'examiner la question du transport des électeurs, et je comprends moins encore l'honorable M. Bouvier qui développe son amendement et qui le retire, aussitôt après, pour un motif qui n'existe pas.
J'ai déposé un sous-amendement ; je le maintiens et je le substitue, si besoin est, à l'amendement qu'a retiré mon honorable ami M. Bouvier-
Cela dit, j'arrive à la discussion de l'article 10, de la modification qu'y a apportée la section centrale, de celle que j'y ai proposée moi-même, et enfin à l'amendement que je viens de déposer.
Vous savez, messieurs, ce qui sépare la section centrale du gouvernement, quant à l'article 10, relatif aux dépenses électorales.
Le gouvernement veut, avec beaucoup de raison, selon moi, interdire les dépenses électorales, les repas, le boire et le manger électoral, si l'on veut. Mais il subordonne l'existence du délit à la preuve que les dépenses ont été faites ou promises dans le but d'influencer les électeurs.
Le gouvernement vient de se rallier au changement de rédaction que j'avais proposé et qui consiste à substituer aux mots : « Dans le but d'influencer les électeurs, » ceux-ci : « dans un intérêt électoral. »
MjTµ. - C'est la même chose.
M. Sabatier. - J'en demande pardon à l'honorable ministre, ce n'est pas exactement la même chose. Les mots : « dans le but d'influencer les électeurs, » impliquent un certain caractère de corruption.
MjTµ. - Du tout.
M. Sabatier. - Tandis que les mots : « dans un intérêt électoral » s'adressent à un fait, que ce fait exerce ou non de l'influence sur les électeurs.
Voilà la différence que j'établis entre les deux rédactions.
La section centrale est plus tolérante que le gouvernement. Elle autorise le repas électoral dans le chef-lieu de l'arrondissement le jour de l'élect'on et en faveur des électeurs qui n'appartiennent pas au chef-lieu d'arrondissement. Elle a tort, selon moi.
D'un autre côté, dans les restrictions qu'elle apporte aux dépenses, elle est aussi explicite que possible, c'est au sujet de ces restrictions que je vais indiquer, qu'elle a, par exception donc, substitué l'expression : «dans le but d'influencer les électeurs », aux mots : « dans un intérêt électoral. » Nous sommes maintenant d'accord avec le gouvernement pour appliquer cette expression d'une manière générale à l'article qu'il a présenté.
(page 1529) Voici en quoi consistent les exceptions auxquelles je viens de faire allusion.
La section centrale n'autorise le repas électoral, ni avant, ni pendant, ni après les élections, en faveur des électeurs du chef-lieu d'arrondissement ; elle ne le tolère pas davantage avant ni après les élections en faveur des électeurs n'appartenant pas à ce chef-lieu.
Je n'ai pu me rallier à cette rédaction, parce que je considère que la question des dépenses électorales ne souffre pas de solution mixte. Il faut tout permettre ou tout empêcher.
Ou laisse la porte ouverte à des abus, à des difficultês d'application ou d'interprétation. Mieux vaut user d'une tolérance générale que d'introduire des exceptions qui laissent les candidats en présence de l'impossibilité de se soustraire à des dépenses que je réprouve.
Je me suis du reste expliqué à ce sujet en section centrale, et je persévère dans la pensée qu'une demi-mesure ne saurait être admise.
Messieurs, il ne s'agit donc plus, désormais, au sujet de dépenses électorales de corruption seulement, il s'agit de déraciner, d'extirper de nos mœurs électorales ce qui d'abord était un usage, disait-on, mais ce qui est devenu un abus et ce que l'on a justement caractérisé, selon moi, de véritable scandale.
Chaque fois que l'on s'est occupé de dépenses électorales dans cette enceinte, un grand nombre de membres n'ont pas hésité à qualifier de la sorte les dépenses auxquelles donnent lieu les élections.
Messieurs, depuis près de trois semaines que nous discutons la loi sur les fraudes en matière électorale, on s'est occupé beaucoup de la dignité, de la liberté et de l'indépendance de l'électeur ; nous devons nous occuper également de l'indépendance, de la liberté et de la dignité des candidats.
Or, au sujet des dépenses électorales, nous devons reconnaître que les candidats ne sont ni libres, ni indépendants ; que leur dignité doit souffrir du moins autant que celle des électeurs, sur ce dernier point.
N'est-il pas évident que si les offres que l'on fait aux électeurs de les bien régaler pour les amèner à se rendre aux élections entachent quel que peu la dignité de ceux-ci, ce sentiment doit être quelque peu ébréché chez celui même qui fait ces offres ?
Quant à l’indépendance du candidat, je dis et vous direz comme moi qu'elle n'existe pas. Il est en effet très difficile de se refuser à faire des dépenses électorales. Supposons que deux candidats seulement soient en présence, si l'un d'eux croit devoir, dans l'intérêt de son élection, offrir de se charger des dépenses que feront ses électeurs ou ceux qu'il croit tels, vous reconnaîtrez que le candidat adversaire se trouvera dans la nécessité d'user du même moyen dans la crainte d'échouer, et s'il ne s'exécute pas on lui adresse le reproche de sacrifier peut-être son élection à une question d'argent.
Si deux listes sont en présence, il est extrêmement difficile à l'un ou à l'autre des candidats de déclarer qu'il ne participera pas aux dépenses électorales, attendu qu'en agissant de la sorte, il obligera ses candidats à acquitter pour lui sa part de dépenses.
L'usage de ces sortes de dépenses est entré déjà très avant dans nos mœurs électorales et il faut à tout prix mettre un terme à une situation qui compromet les candidats tout autant que les électeurs.
Le gouvernement s'explique, à ce sujet, aussi nettement que possible dans l'exposé des motifs. Voici ce qu'il dit :
« Art. 10. L'usage s'est introduit d'offrir aux électeurs des banquets, des dîners, des régals, suivant une expression admise, non pas précisément dans le but d'acheter leurs suffrages, mais afin de se les rendre favorables et de les déterminer à se rendre au scrutin en les indemnisant de leurs frais de route et de séjour.
« En agissant ainsi, on habitue l'électeur à considérer l'exercice du droit électoral non plus comme un devoir dont l'accomplissement intéresse la société, mais comme un service pour lequel il peut exiger un salaire de celui qui le réclame. On porte une grave atteinte à la dignité de l'électeur, et la direction des affaires du pays, qui, au point de vue électoral, devrait être pour lui la chose principale, n'est plus, à ses yeux, qu'une chose tout à fait secondaire.
« D'autre part, lorsque des candidats cherchent à attirer les électeurs par de semblables moyens, ils poussent nécessairement leurs concurrents à les suivre dans la même voie et à les dépasser. Les élections finiraient par une espèce d'enchère.
« Les dépenses électorales exagérées altéreraient la sincérité du vote en même temps qu'elles dénatureraient l'esprit de nos institutions, en rendant les assemblées électives inaccessibles à tous ceux qui ne possèdent pas une grande fortune.
« Pour empêcher ces abus dans l'avenir, il est bon de punir à la fois et ceux qui ont donné, offert ou promis de l'argent, des comestibles, des boissons oh une indemnité quelconque, et les électeurs qui auront accepté les offres ou promesses. »
Ces mots ne sont-ils pas la condamnation absolue du système des dépenses qui s'est introduit dans nos élections législatives et pout-on admettre en présence des faits le moyen terme proposé par la section centrale ?
A diverses reprises la question des frais électoraux a occupé la Chambre ; en 1859, notamment, à propos d'un projet de répartition nouvelle des députés et des sénateurs.
La section centrale qui avait été chargée de l'examen de ce projet voulait introduire, vous le savez, messieurs, le mode de votation par ordre alphabétique. A ce sujet quelques membres avaient fait remarquer que ce moyen ne résolvait pas la question qui concerne les fraudes électorales ; que l'on devait s'occuper aussi d'un mal très sérieux résultant de l'usage qui s'introduisait de plus en plus dans nos élections, d'offrir aux électeurs le boire et le manger, et qu'il était plus que temps de porter remède à cet état de choses.
Je citerai notamment notre honorable président M. E. Vandenpeereboom qui n'hésita pas à qualifier de scandaleux cet usage ; l'honorable M. Rodenbach exprima à cet égard son opinion en disant que les dépenses électorales étaient une honte pour le pays ; à cette occasion encore un honorable membre qui avait pris une part active à la discussion, M. Orts, était si convaincu de la nécessité de mettre fin à une situation aussi énergiquement condamnée, qu'il annonça l'intention de proposer à la première occasion de faire déférer aux candidats élus, avant le serment de fidélité à la Constitution, le serment de n'avoir participé ni directement, ni indirectement à des dépenses dans le but de se faire élire... (Interruption.) C'est l'honorable M. Orts qui a fait cette déclaration.
M. de Moorµ. - C'est M. Dolez.
M. Sabatier. - Pardon, c'est M. Orts qui a fait cette déclaration ; M. Dolez s'y est ensuite rallié. L'idée de déférer ce serment a fait du chemin. Ainsi, parmi les pétitions adressées récemment à la Chambre, au sujet de la loi que nous discutons, il en est une qui demande que l'on exige des membres élus ce qu'on appelle en Hollande le serment de purification, c'est-à-dire qu'ils devraient prêter serment de n'avoir ni directement ni indirectement participé à des dépenses pour se faire élire.
Un autre fait s'est produit dans le même ordre d'idées. En 1860, le gouvernement a fait une enquête ; il a adressé aux gouverneurs et ensuite aux commissaires d'arrondissement une circulaire par laquelle il demandait à ces autorités leur avis sur les questions relatives aux fraudes électorales.
Eh bien, le commissaire d'arrondissement de Nivelles a proposé, tout comme l'avait fait l'honorable M. Orts, de déférer le serment que je viens d'indiquer.
L'idée vaut certes la peine d'être sérieusement examinée. Quant à moi, si on voulait la reproduire et en faire l'objet d'une proposition, je l'appuierais tout au moins de mon vote et je vais en dire le motif.
Un assez grand nombre de personnes prétendent que nonobstant la défense inscrite dans la loi au sujet des dépenses électorales, on n'en continuera pas moins à faire de ces dépenses, et que les tribunaux auront beaucoup de peine à appliquer dans son interprétation véritable le sens à donner à l'interdiction légale. Je dois déclarer que je ne partage pas ces appréhensions ; je ne puis admettre que parmi nous il en est qui veulent, nonobstant la loi, dépenser frauduleusement leur argent ; mais s'il devait en être ainsi, si quelques-uns voulaient transgresser la loi qu'ils ont eux-mêmes votée, c'est pour ce cas qu'il serait utile d'introduire une disposition relative au serment.
Dans la discussion de 1859 dont je parlais, tout le monde à la vérité n'a pas été unanime pour considérer comme un devoir d'interdire désormais les dépenses électorales dont nous nous occupons.
Il est un membre de cette Chambre, M. Devaux, qui pensait que la Belgique étant, selon lui, la terre classique des collations, des kermesses et des régals, on pratiquait simplement l'hospitalité en offrant, le jour des élections, de se charger de la dépense des électeurs et que ce serait fausser nos usages et nos mœurs que de vouloir empêcher pareille chose.
Dans une circonstance récente, l'honorable M. Vander Donckt a parlé dans le même sens ; il vous a dit, dans une de nos dernières séances, que le jour des élections étant un jour de fête, de liesse (pas pour tout le monde !) il fallait se montrer généreux et que si quelqu'un doit participer par l'argent à la fêté, c'est le candidat.
(page 1530) Je ne puis partager cet avis. Je ne dis pas que la Belgique ne soit pas la terre classique des kermesses et des collations, mais que nous puissions invoquer son hospitalité à l'occasion des élections, je ne le crois pas. L'hospitalité naît d'un sentiment généreux et spontané ; or, je vous ai prouvé qu'il n'y a rien de spontané dans l'obligation oii l'on met les candidats de faire les frais de l'élection. Ce n'est donc pas là de l'hospitalité, c'est de la dépendance.
Messieurs, les opinions sur la question des dépenses électorales peuvent se diviser de la manière suivante : les uns veulent le maintien de ce qui existe, d'autres veulent l'interdiction absolue de la dépense. IIlen est enfin qui se rallient aux propositions mixtes de la section centrale.
La diversité d'opinion que je constate ici s'est produite dans les sections qui ont examiné le projet de loi. La presse est également divisée sur la question, et en définitive, le gouvernement lui-même est resté longtemps indécis.
Ainsi, eu 1862, lors de la présentation de la première loi sur les fraudes en matière électorale, aucun article relatif aux dépenses du genre de celles dont nous nous occupons, ne figurait dans cette loi. Il ne s'agissait en aucune façon d'interdire les repas électoraux.
Le gouvernement a tenu compte dans la loi, présentée en 1864, celle même qui est en discussion aujourd'hui, des vœux de l'opinion publique. Nous devons lui en savoir gré, et, quant à moi, je le remercie d'avoir tenté de mettre fin à ce que nous reconnaissons tous ou à peu près tous, comme donnant lieu à des abus les plus regrettables.
M. Bouvierµ. - Les enquêtes l'ont déterminé : Louvain, Bastogne.
M. Sabatier. - L'honorable M. Bouvier rappelle les enquêtes de Louvain et de Bastogne. Je rappellerai moi, cette autre enquête faite par le gouvernement ; j'en ai parlé déjà et j'y reviendrai dans un instant, lorsque je m'occuperai de l'amendement relatif à l'indemnité.
Des objections, de nombreuses objections, devrais-je dire, sont présentées contre l'interdiction absolue des dépenses électorales.
Je n'ai pas l'intention de les rencontrer toutes, mes observations prendraient trop de développement ; du reste, la discussion est à son début seulement sur ce point, et je suppose qu'en raison de l'intérêt qui s'attache à la question, d'autres membres se décideront à rentrer dans la discussion. Je ne m'arrêterai donc pour le moment qu'aux objections que l’on croit fondamentales.
On invoque, d'abord, ce qui se fait en Angleterre. En Angleterre, dit-on, on a essayé en vain d'interdire les repas électoraux ; on n'y est pas parvenu, et c'est montrer beaucoup d'amour-propre que de croire qu'en Belgique des prescriptions puissent être appliquées efficacement, qui n'ont rien empêché du tout de l'autre côté du détroit. Je dirai d'abord que je ne trouve pas un argument très sérieux de citer constamment ce qui se passe dans d'autres pays pour prouver que ce qui n'y a pas réussi ne peut pas même être tenté chez nous.
Je n'admets nullement que parce qu'en Angleterre on aurait essayé en vain d'interdire les dépenses, les orgies électorales, il faudrait renoncer à introduire une réforme en Belgique. Il faut tenir compte de bien des choses, il faut consulter les mœurs, les usages des pays mis en parallèle, le tempérament des habitants, et je ne comprends pas qu'on puisse dire que nous éprouverons la même résistance qu'en Angleterre à la stricte observation de la loi.
Je dirai que l'article relatif à l'objet en discussion n'est pas rédigé de la même façon dans la loi anglaise que ce que nous voulons faire ici. La loi anglaise est conçue dans le sens indiqué tout d'abord dans l'article 10 du gouvernement ; là on subordonne l'existence du délit à la preuve que les dépenses ont été faites dans le but d influencer les électeurs.
La rédaction à laquelle le gouvernement se rallie est, je l'ai dit déjà, beaucoup plus explicite, ne donne pas lieu à des interprétations aussi douteuses, puisqu'il suffit qu'il y ait un intérêt électoral en cause pour constituer un délit. Vaut autant dire que les repas électoraux, les distributions de comestibles et de boissons seront désormais interdits de la manière la plus absolue. Dans tous les cas, il faut tenter l'épreuve, nous saurons bientôt jusqu'où va notre désir de faire respecter la loi que nous aurons nous-mêmes confectionnée.
J'ai dit qu'il fallait tenir compte des mœurs, des usages d'un pays pour apprécier si telle ou telle loi avait quelque chance d'être introduite en dépit des efforts faits ailleurs pour l'y acclimater. J'ajouterai que l'on peut autant moins tirer des inductions fâcheuses de ce qui a été tenté en Angleterre, que la législation en matière électorale est toute autre dans ce pays que dans le nôtre. Ainsi en Angleterre, vous la savez, messieurs, le vote est public et ici nous nous évertuons depuis trois semaines à faire en sorte que le vote soit le plus secret possible. Vous comprenez que les causes de corruption ne sauraient être les mêmes et que les tentatives faites en Angleterre pour s'assurer des voix sont pressantes et coûteuses en raison de la certitude oh l'on est de s'assurer si l'électeur qui a promis sa voix exécute sa promesse.
J'abandonne cette petite digression et j'arrive à des objections d'un autre genre, celles qui s'adriessent directement à l'application de la loi qui nous est soumise.
Je le reconnais volontiers, malgré le désir sincère de voir mettre fin aux dépenses électorales, il est bon nombre de personnes qui craignent tout aussi sincèrement qu'on ne parviendra pas à appliquer la loi dans le sens que le gouvernement lui donne ; qu'on n'empochera pas certains repas, certaines dépenses par suite des difficultés d'interprétation de la loi. Ainsi la section centrale a formulé quelques-unes de ces objections. Est-il défendu aux électeurs d'accepter une invitation à dîner ? Les électeurs ne peuvent-ils pas se cotiser ? Les associations ne peuvent-elles pas en faire les frais pour leurs membres ? La qualité d'associé sera-t-elle requise pour y prendre part ? Quel est le nombre de personnes que l'on pourra inviter pour ne pas tomber sous l'application de la loi ?
Ces questions, vous le voyez, pourraient être très nombreuses. Mais il ne faut pas créer des difficultés pour le plaisir de critiquer la loi, de la trouver en défaut. Elle se résume en ces mots : « intérêt électoral. » Les entraînements que les candidats éprouveront à franchir cette limite viendraient cependant à disparaître, du moins c'est là mon sentiment, si l'on en arrivait à indemniser les électeurs. Vous le voyez, messieurs, j'arrive et je me rallie à la proposition de l'honorable M. Bouvier. Indemniser les électeurs, c'est, me paraît-il, enlever tout prétexte à la dépense dite électorale ; il est d'autres raisons pour aborder ce sujet, je veux dire que l'indemnité a encore d'autres raisons d'être, et j'y arrive.
Voici la situation dans laquelle nous nous trouvons : nous reconnaissons franchement que, si l'électeur est obligé de faire toutes les dépenses relatives à son déplacement et à son séjour, il y a quelque chance que le scrutin sera un peu déserté.
D'un autre côté, nous ne tenons pas à faire nous-mêmes ces dépenses : nous l'avouons avec la même franchise. Mais si nous reconnaissons qu'une indemnité est due, c'est le cas ou jamais d'imposer ce sacrifice au pays.
Je ne sais pas pourquoi le gouvernement ne se rallierait pas à ce principe.
Quelles en seraient les conséquences financières ?
J'évalue à 45,000 le nombre d'électeurs ruraux qui viennent prendre part aux élections. Mais il en est parmi ces 45,000, qui ne viendront pas toucher l'indemnité. Je suppose que ceux qui ne réclameront pas l'indemnité soient au nombre de 10,000.
D'un autre côté, il y a un certain nombre d'électeurs qui ne sont pas domiciliés à une distance de 5 kilomètres du chef-lieu d'arrondissement et qui n'auront pas droit à l'indemnité ; soit 5,000 électeurs de ce chef ; il ne restera plus que 30,000 électeurs à indemniser ; la somme à dépenser sera de 150,000-fr. pour quatre ans ; de 75,000 fr. pour deux ans, de 37,500 fr. pour une année. (Interruption.)
Pour les élections communales, il n'y a pas d'indemnité à accorder puisqu'il n'y a pas de déplacement.
Je ne m'oppose pas à ce qu'on introduise dans mon amendement, par voie de sous-amendement, une indemnité à propos des élections provinciales.
Pour les élections provinciales, il n'y a pas de dépenses électorales.
Je maintiens la rédaction que j'ai envoyée au bureau ; je ne parle que des élections législatives qui donnent lieu à toutes ces dépenses que nous voulons empêcher.
Je fais remarquer maintenant que l'indemnité n'est pas une chose nouvelle. On accorde une indemnité aux témoins, aux jurés ; on en donne une aux conseillers provinciaux, on en accorde une aux membres de la Chambre ; l'honorable M. Vander Dontkt l'a fait observer en demandant ce que préféraient les électeurs, si nous continuions à toucher notre indemnité, alors que nous ne ferions plus de dépenses électorales. On accorde aussi une indemnité aux membres des commissions d'en,quête.
Mais une chose plus sérieuse, c'est l'enquête que le gouvernement a fait faire en 1860. Le gouvernement n'est pas partisan de l'indemnité ; il paraissait craindre (page 1531) que l'opinion des députations permanentes et des commissaires d'arrondissement ne fût favorable à ce système.
Aussi, qu'a fait l’honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur ? Dans la circulaire qu'il a adressée le 28 janvier 1860 à MM. les électeurs, il disait :
« On a également mis en avant l’idée d’accorder à l’électeur des frais de route et de séjour.
« Je ne puis, monsieur le gouverneur, me rallier au principe d'une pareille mesure. L'électeur, en votant, fait usage du plus précieux des droits chiques ; il participe à la puissance publique et il ne peut être question de rémunérer celui à qui la loi accorde une pareille prérogative.
« A l'époque où il n'existait pas de chemins de fer en Belgique et où les autres voies de communication étaient loin d'être aussi nombreuses et aussi commodes qu'elles le sont actuellement, le Congrès national ne jugea pas nécessaire d'indemniser l'électeur de ses déplacements.
« A rerr, du rente, la question t'e principe, une mesure de ce genre soulèverait une foule de difficultés pratiques à peu près insolubles.
« L'Etat fait déjà beaucoup en accordant aux électeurs une réduction de moitié sur les tarifs de son chemin de fer. La seule question qui peut être soulevée est celle de savcîr s'il n'y curait pas lieu d'accorder le transport entièrement gratuit. »
Puis vient une dissertation sur cette circonstance qu'à l'époque où la loi a été faite, il n'y avait pas de chemins de fer et que, comme il y en a maintenant, il faudrait moins que jamais donner l'indemnité. C'était une sorte d'invitation faite aux gouverneurs de se prononcer plutôt contre que pour. Eh bien, messieurs, quel a été le résultat ?
Deux députations permanentes se sont prononcées contre l'indemnité, deux se sont prononcées pour l'indemnité ; les autres n'ont pas émis d'opinion parce qu'elles ont compris, d'après la circulaire, qu'il n'entrait pas dans les intentions du gouvernement d'admettre la mesure.
Quant aux commissaires d'arrondissement, aucun ne s'est opposé à l'indemnité et il y en a six qui ont déclaré l'indemnité absolument nécessaire.
Je constate, messieurs, que les fonctionnaires placés au degré le plus élevé de la hiérarchie ne voulaient pas de l'indemnité et que si vous descendez, c'est-à-dire si vous vous adressez aux fonctionnaires qui sont le opus directement en rapport avec les électeurs, ceux-ci déclarent l'indemnité nécessaire.
Messieurs, quant au plus précieux des droits civiques, il est enviable sans doute. Mais c'est plutôt une phrase qu'un fait. Dernièrement encore lorsqu'il s'agissait d'imposer aux électeurs l'obligation de savoir lire et écrire, l'honorable ministre des finances a très bien fait ressortir que tout électeur qui serait accusé de ne pas savoir lire et écrire s'abstiendrait de se défendre.
Ce droit civique donc n'est pas brigué d'une manière extrême. Et quant au mot « privilège », il est très impropre, car ce n'est pas un privilège qu'une chose que l'on peut acquérir par ses propres efforts. Dans tous les cas, ce privilège n'est pas réclamé avec beaucoup d'ardeur. Si donc vous obligez l'électeur à faire lui-même les dépenses, il s'éloignera du scrutin et vous ne trouvez de remède à la situation que dans l'indemnité.
(page 1520) M. Wasseige. - Messieurs, les amendements présentés par les honorables MM. Bouvier et Sabatier sont la reconnaissance éclatante, la justification complète du grief contre lequel nous avons toujours protesté sur nos bancs, à savoir qu'il existait une inégalité choquante entre les électeurs d'un même arrondissement. Toujours nous avons soutenu que, dans le système actuel, l'électeur rural est maintenu dans une position d'infériorité, relativement à l'électeur du chef-lieu d'arrondissement, à cause de l'éloignement oh il se trouve de l'urne électorale.
Eh bien, les amendements de mes honorables collègues comme j'ai eu l'honneur de le dire, constatent la reconnaissance la plus complète de ce grief, non seulement par les mesures que ces amendements contiennent pour y obvier, mais bien plus encore par les considérations qui ont été développées par les deux honorables membres. Mais ces mesures, c'est-à-dire l'indemnité soit fixe, soit proportionnelle, accordée à l'électeur éloigné, ne sont à mon avis qu'un pis-aller, qu'un pis-aller très mince. La seule mesure qui eût été parfaitement bonne et parfaitement juste pour faire disparaître ces inégalités entre les différents électeurs, c'eût été le vote à la commune.
C'est par ce moyen, et par ce moyen seul, que chacun aurait exercé son droit électoral d'une manière égale. On pourrait alors sans inconvénient supprimer tous les dîners et toutes les dépenses électorales, et si j'appuie la demande d'indemnité, c'est parce que j'ai peu d'espoir d'obtenir autre chose. Je réserve d'ailleurs complètement mon opinion quant au vote à la commune.
Je l'appuierais de mon vote s'il était présenté ; si je ne le présente pas moi-même, c'est parce que j'ai la conviction que, dans les dispositions actuelles de la Chambre, et eu égard aux précédents, il n'aurait guère de chances de succès, je ne veux pas compromettre une réforme que je crois juste, et qui viendra à son temps, en l'exposant à un échec certain et que l'on pourrait exploiter contre la réforme elle-même. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - Vous ne l'aurez jamais.
M. Wasseige. - C'est ce que nous verrons.
Les destins et les flots sont changeants,
même à Virton, oh il n'y a guère de flots.
Je ne considère donc l'indemnité que comme un certain palliatif à l'inégalité que le système du gouvernement voudrait conserver, augmenter même entre les électeurs ruraux et ceux des villes. C'est dans ce sens que je l'appuie. Or, quant à l'indemnité, le système présenté par l'honorable M. Sabatier me paraît incomparablement le meilleur.
Celui de l'honorable M. Bouvier a le défaut de laisser encore subsister une inégalité entre les électeurs d'un même arrondissement. II accorde une somme égale à chaque électeur, quelle que soit la distance oh il se trouve du chef-lieu d'arrondissement et cette somme doit être une compensation des frais de déplacement et des frais de séjour ; cette indemnité ainsi fixée est encore une injustice, car il est certain que l'électeur qui n'est éloigné que d'un demi-myriamètre, perd moins de temps et dépense plus d'argent que celui qui a à parcourir 10, 15, 20 kilomètres.
L'amendement de l'honorable M. Sabatier que j'avais l'intention de présenter également, mais que je suis heureux de voir proposer par lui parce que cela lui donne évidemment plus de chance d'être accepté, cet amendement, dis-je, remet autant que possible l'égalité entre les électeurs.
Celui qui est plus éloigné recevra plus, celui qui est plus rapproché recevra moins pour ses frais de route, et les frais de séjour seront les mêmes pour tous. Seulement je crois que le sous-amendement de l'honorable M. Sabatier ne va pas assez loin. Fixer à 50 centimes par demi-myriamètre les frais de route, c'est trop peu. Je proposerai donc par sous-amendement de fixer cette indemnité a 25 centimes par kilomètre, (page 1521) pour l'électeur domicilié à plus d'un demi-myriamètre du chef-lieu d'arrondissement.
La somme proposée par M. Sabatier pour frais de séjour est la même que celle accordée au juré, 25 centimes par kilomètre pour frais de route, c'est exactement la somme accordée au juré dans les mêmes circonstances, ce serait donc un système complet, et voilà pourquoi je le propose.
L'indemnité s'élèverait donc à fr. 1-25 par demi-myriamètre au lieu de 50 centimes pour aller et retour. Je pense que ce n'est pas trop, surtout pour ceux de nos arrondissement, qui sont privés de chemins de fer, au moins partiellement.
Il résulte de l'enquête qui nous a été communiquée que le principe de l'indemnité est généralement admis.
II n'y a eu, je pense, qu'une seule députation permanente qui l'ait repoussé d'une manière catégorique, c'est la députation permanente de la province de Liège.
Trois députations, au contraire, l'ont vivement recommandée. Ce sont les députations permanentes des provinces de Brabant, de Limbourg, et de Namur. L'honorable M. Sabatier a plus d'adhérents et moins d'adversaires qu'il ne le croyait.
L'amendement de l'honorable M. Sabatier, sous-amendé comme je viens de le faire, en portant à 25 centimes par kilomètre l'indemnité pour frais de route, sera donc une espèce de compensation, une quasi-justice pour les électeurs éloignés du chef-lieu d'arrondissement et c'est dans ce sens que je le voterai.
Je dis une quasi-justice, parce que, comme je l'ai dit en commençant, le vote à la commune seul serait la vraie et bonne justice pour tous, que j'appelle de tous mes vœux et que je serai heureux d'appuyer de mon vote, quel que soit le moment oh elle soit réclamée.
M. Bouvierµ. - Avez-vous fait le calcul ?
M. Wasseige. - Le calcul est à peu près le même que celui de l'honorable M. Sabatier, elle ne coûterait pas un franc de plus, ce qui n'élèverait guère la somme indiquée par lui.
MpVµ. - Voici le sous-amendement.
« Je propose de porter les frais de route pour l'électeur domicilié à une distance de 5 kilomètres du chef-lieu d'arrondissement à 25 centimes par kilomètres. »
Le sous-amendement a été développé, il est appuyé.
M. Sabatier. - Un mot d'explication seulement au sujet du sous amendement de l'honorable M. Wasseige. Voici ce qui a motivé pour moi le chiffre de 50 centimes relatif aux frais de route. Ces frais par chemin de fer et en troisime classe sont de 40 centimes pour aller et retour. J'ai augmenté de 10 centimes et cela m'a paru suffisant. Du reste, ne nous attachons pas aux détails. Je suppose que la Chambre voudra résoudre d'abord la question du principe de l'indemnité ; nous nous occuperons ensuite de la quotité que comportent les frais de transport ; je n'y attache pas en ce moment beaucoup d'importance.
M. Nothomb. - Nous voici arrivés à la disposition la plus importante du projet de loi et elle me met, ainsi que plusieurs de mes collègues, dans un grand embarras.
Certes, nous sommes aussi désireux que qui que ce soit de mettre un frein à ces dépenses électorales qui sont devenues la plaie de notre régime électoral. Personne plus que nous n'aspire à voir le terme d'un état de choses qui, en se prolongeant, finirait par compromettre la moralité du pays, la sincérité de nos élections, la dignité du corps électoral et l'honneur de l'élu.
Si donc je suis prêt d'un côté à accepter tous les moyens par lesquels on parviendrait à proscrire ces excès dans les frais électoraux, de l'autre, je dois déclarer que je suis l'adversaire en principe de l'indemnité que l'on nous propose. Je ne pourrais consentir à l'accepter, à la subir plutôt, que comme pis-aller, à la dernière extrémité, au cas de rejet de l'amélioration dont je vais vous parler et comme la seule compensation qui reste à un état de choses dont l'injustice est flagrante.
Je considère l'indemnité payée à l'électeur comme un véritable abaissement, et je n'hésite pas à le dire, comme l'humiliation du pays qui s'y résigne et qui en fait un élément de son organisme électoral ; l'indemnité, selon moi, tend à altérer dans son essence ce qu'il y a de plus élevé dans l'exercice de ce droit, que j'appelle avec l'honorable M. Rogier le plus précieux de tous les droits du citoyen. Indemniser, pour ne pas dire payer l'électeur, c'est le ravaler, c'est le faire descendre de cette hauteur jusqu'au rôle de serviteur à gage.
Oh ! je sais bien comment on veut justifier cette triste indemnité ; je connais la réponse, et l'honorable M. Sabatier vient encore de la produire en nous disant que chacun est indemnisé ; il a cité le témoin, le juré, le fonctionnaire et jusqu'au membre de la Chambre lui-même.
Mais sérieusement il n'y a pas d'analogie entre les positions qu'on invoque et l'électeur qui exerce son droit, qui n'est autre qu'une fraction de la souveraineté nationale. Le témoin remplit une charge comme le juré s'acquitte d'un service public ; le fonctionnaire remplit son état, sa profession. Quant à nous, si nous acceptons les fonctions de députés, c'est à titre de délégué permanent et parce que nous le voulons bien. L'électeur, au contraire, exerce un droit absolu, et vous amoindrirez, vous abaisserez ce droit en attribuant un salaire au citoyen qui en est revêtu.
M. Bouvierµ. - C'est une faculté.
M. Nothomb. - Oui, la plus haute et que l'on ne peut comparer à aucune autre ; avec ce principe de l'indemnité, je cesserais de comprendre la liberté politique, au moins je n'en comprendrais plus la grandeur et je désespérerais presque de ses destinées s'il fallait que l'électeur belge, pour exercer son droit, en vînt à se stipendier lui-même ! Que devient un régime qui, pour vivre, aurait besoin de moyens pareils ?
J'avoue, d'ailleurs, que je ne connais pas de précédent de ce genre, je ne connais pas de peuple placé sous des institutions libres qui se paye sa propre souveraineté, car c'est payer le vrai souverain, que de payer l'électeur. (Interruption.) Je me trompe cependant : il y a eu un précédent, c'est du temps de la Convention, en 1793, alors qu'on donnait 1 fr. 25 c. par électeur qui allait voter ! Mais ce n'est pas à cette époque néfaste où toute liberté avait disparu, que nous irons chercher un exemple.
Voilà donc quelle est notre position et d'où naît la perplexité dont j'avais l'honneur de vous parler en commençant : Nous voulons supprimer les orgies électorales et nous ne sommes pas favorables à l'indemnité.
Cependant, messieurs, il faut bien se le demander, si, d'un côté, nous prohibons les dépenses électorales, si, de l'autre, nous refusons l'indemnité, que devient le droit d'une grande partie des électeurs ruraux, et comment voulez-vous qu'ils l'exercent ? Il faut prendre les choses comme elles sont et il serait puéril de se faire illusion.
Dans ces conditions, M. Sabatier vient de le dire, l'électeur rural sera mis hors des comices électoraux, il cessera généralement de s'y rendre, c'est à craindre, et ce sera une autre manière de détruire le régime représentatif. Quel est donc le moyen de remédier à cet état de choses ?
Il n'y en a qu'un, un seul, et il est indiqué par la situation même : c'est de rapprocher l'urne de l'électeur et il n'y a pas de milieu. Ou l'on tolérera les dépenses, où l'Etat payera les électeurs, où l'on facilitera l'accès de l'urne à l'électeur. Hors de là, le système tout entier peut être mis en péril.
M. Bouvierµ. - Le vote à la commune !
M. Nothomb. - Oui, vous l'avez nommé, c'est le vote à la commune : il y a un principe inscrit dans la Constitution, c'est l'égalité des Belges devant la loi ; c'est la condition première de notre existence politique, et on peut affirmer qu'elle en est le principe vital.
Aussi longtemps que ce principe n'a pas reçu toute son application, on doit dire aussi que la Constitution elle-même n'est pas pleinement exécutée ou tout au moins qu'elle est tenue en suspens dans une de ses prescriptions les plus essentielles.
Or, tel est le cas pour une grande partie des citoyens belges qui sont appelés à exercer le droit le plus précieux, suivant l'expression de M. Rogier et que moi je nommerais volontiers le droit des droits du citoyen. Les uns volent sans ennui, sans dépenses, sans embarras...
M. Coomans. - ... En pantoufles.
M. Nothomb. - ... Et les autres, les habitants de la campagne ont pour eux toutes les corvées, tous les déplacements et toutes les dépenses. C'est là, au point de vue constitutionnel comme à celui de la justice la plus élémentaire, une différence scandaleuse.
Maintenant j'avoue que j'ai eu l'espoir que le projet que nous discutons tiendrait compte de cette situation et essayerait au moins de faire quelque chose pour remédier à une inégalité aussi choquante et que rien au monde ne peut justifier. Mais cet espoir, un peu naïf, je le reconnais, a été bien déçu.
Le projet ne propose rien, ne fait rien. Loin d'atténuer l'inégalité que je signale, il l'aggrave et en crée de nouvelles par maint article. Il éloigne, il intimide, il trouble l'électeur des campagnes : loin de faciliter l'accomplissement de son droit de citoyen, il l'entoure de tant de précautions (page 1522) ou d'entraves qu'il hésitera désormais à l'exercer, et plus d'un reculera devant un honneur devenu aussi périlleux.
C'est le contraire qu'il eût fallu faire, car rapprocher l'urne de l'électeur, lui faciliter le vote, c'était rentrer dans l'esprit de la Constitution qui proclame l'égalité et affermir ainsi sur une base solide et durable nos institutions qui pour une grande partie de la nation ne sont encore, par un côté capital, qu'une belle mais vaine promesse.
Deux modes se présentent et ils peuvent se combiner : la division du pays en circonscriptions de 40,000 âmes nommant chacune un député, et le vote à la commune ou par agglomération de quelques communes...
M. Bouvierµ. - C'est cela !
M. Nothomb. - C'est cela, dit M. Bouvier.
M. Bouvierµ. - Ce n'est pas cela du tout au contraire.
N. Nothomb.—Alors ne m'interrompez plus. La position que nous prenons maintenant nous a été imposée par l'état de la discussion. On supprime les dîners d'élection, on va refuser l'indemnité de même que tout ce que nous avons demandé nous a été refusé, et systématiquement refusé par un procédé que mon honorable ami, M. Dumortier, a nommé l'exécution de tous les amendements que nous avons proposés.
M. Bouvierµ. - Et des nôtres aussi.
M. Nothomb. - Oh ! les vôtres...
M. Coomans. - Vous les avez étranglés vous-même.
M. Bouvierµ. - Je n'étrangle rien...
M. Nothomb. - Comment ! mais vous me forcez à rappeler quelques-unes de nos propositions présentées dans le but loyal d'améliorer la loi et de nous permettre de la voter avec vous, de faire cesser quelques-unes des inégalités que nous signalions dès le commencement du débat ; or tous nos amendements ont été sacrifiés sans merci ni miséricorde : M. Delcour proposait une chose aussi simple que juste, la publicité des séances des députations permanentes.
- Des voix. - A la question è
M. Nothomb. - Mais je suis dans la question ou jamais.
Je continue. Le projet de loi n'a pour but, selon vous, que d'assurer la sincérité des élections.
Eh bien, la publicité des séances des députations permanentes statuant sur les recours en matière électorale tendait évidemment à sauvegarder cette sincérité.
On a accumulé les longueurs dans les opérations ; on a inventé le malencontreux couloir, cette cage ridicule où l'électeur va retrouver sa dignité perdue ; nouveau moyen de traîner le scrutin. Or, les longueurs dans les élections tournent toujours contre les électeurs des campagnes. Ainsi encore du ballottage dont les honorables MM. de Theux et Jacobs ont proposé la suppression et qui a été maintenu.
En effet, n'est-il pas constant, incontestable que le ballottage ne profite pas aux électeurs des campagnes, qu'ils n'y prennent généralement pas part et qu'il assure ainsi la victoire aux villes sur les campagnes ?
Peut-on nier cela ?
MjTµ. - Et il supprime le régime des majorités.
M. Nothomb. - Est-ce que par hasard en Angleterre il n'y a plus de majorités. On n'y connaît pas le ballottage... (Interruption.) Le ballottage supprimé eût rétabli une certaine égalité entre les campagnes et les villes.
MfVµ. - Je rappelle à M. Nothomb que nous sommes dans la question de l'indemnité.
M. Nothomb. - Oui, M. le président, je ne demanderais pas mieux, mais je suis amené à m'en écarter par ces continuelles interruptions.
MpVµ. - J'engage à ne pas interrompre, afin de ne pas prolonger inutilement les débats.
M. Nothomb. - Je dois montrer que les résolutions de la majorité prises ces derniers jours nous obligent à proposer le vote à la commune.
Et le vote par ordre alphabétique que vous avez décrété à notre extrême surprise, ne modifie-t-il pas profondément notre système électoral ? Et, rapprochant tous ces faits, ne sommes-nous pas autorisés à nous défier singulièrement du projet et à n'y plus y voir désormais qu'une œuvre de parti dirigée contre nous, un acte destiné à vous assurer la suprématie dans la lutte... ? (Interruption.) Eh bien, messieurs, votre attitude contre nous motive un acte de protestation de notre part et cet acte de légitime défense, nous l'accomplissons en demandant le vote à la commune. Mais peut-être allez-vous nous opposer la question préalable.
- Voix à gauche. - Non ! non !
M. Nothomb. - Tant mieux, car sinon je vous dirais que d'avance vous vous seriez désarmés en votant vous-mêmes l'ordre alphabétique qui est une considérable altération de la loi électorale.
Si l'on consent à discuter, je sais ce que l'on va nous objecter : le vote à la commune, c'est l'élection de clocher, c'est le règne étroit des influences locales, c'est l'abaissement du niveau parlementaire, c'est la décadence de l'esprit politique, c'est enfin la porte ouverte aux falsifications de tout genre. Nous serons prêts à réfuter ces objections, dont aucune n'est fondée ; mais pour le moment je me borne à ceci : ce que je demande est-ce donc une chose nouvelle en Belgique ? Mais assurément non.
Savez-vous, messieurs, combien il y a, en Belgique, de citoyens qui votent à la commune pour les Chambres ? Près de 43,000. Oui, il y a 43,000 heureux, 43,000 privilégiés qui votent sans déplacement, sans ennui, sans dépenses ; il en reste 60,000 auxquels vous imposez toutes le corvées de l'élection.
Eh bien, nous demandons que ceux-ci jouissent des mêmes avantages que les autres. Est-ce trop que de demander le même traitement pour les citoyens d'une même patrie ?
Ce n'est pas non plus chose nouvelle dans le monde : en Angleterre le vote à la commune existe en réalité...
MfFOµ. - Allons donc !
M. Nothomb. - Certainement : on peut dire que le système anglais équivaut au voie à la commune à cause de la grande multiplicité de bureaux électoraux. J'ai vu que, dans un seul comté, il y a au delà de vingt bureaux.
Le vote à la commune existe en Suisse, en France, dans les Pays-Bas.
Eh bien, je choisis parmi ces pays celui avec lequel nous avons le plut d'affinité de mœurs, de langage, d'institutions et je viens vous proposer d'adopter en principe le système hollandais. J'ai l'honneur de déposer un amendement dans ce sens, que je me réserve de développer et de compléter ultérieurement, si, le principe admis, la discussion prend un caractère pratique.
MpVµ. - Voici l'amendement.
« Vote à la commune.
« La remise du bulletin électoral a lieu :
« A. Dans la commune où l'électeur est porté sur la liste électorale, lorsque la commune forme à elle seule un bureau électoral.
« B. Dans la localité désignée comme chef-lieu, lorsque plusieurs communes auront été réunies dans le but de constituer un bureau électoral.
« C. Au bureau de la section ou du sous-district électoral oh l'électeur a son domicile, lorsque la commune est divisée en sections ou sous-districts électoraux.
« (Signé) : Nothomb, Schollaert, Delaet, Coomans, de Liedekerke, d’Hane, de Theux, de Naeyer, Wasseige, Jacobs et Roger de Behr. »
L'amendement fait partie de la discussion.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Dumortier (pour une motion d'ordre). - J'entends des membres demander la clôture. Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, je demande que le vote sur la proposition qui vient d'être déposé laisse ouverte la discussion |sur les projets du gouvernement et de la section centrale. L'honorable M. Sabatier demandait tout à l'heure avec raison qu'on procédât par questions de principes ; je demande à mon tour que l'on procède ainsi et qu'il soit bien entendu que l'examen de la proposition qui vient d'être présentée laisse intact celui des articles du projet. Si nous ne suivons pas cette marche nous aurons une discussion à bâtons rompus ; une véritable confusion des langues ; je demande donc que l’on règle ainsi l'ordre de la discussion : vote à la commune ; amendement de M. Sabatier et enfin projets du gouvernement et de la section centrale sur lesquels je demanderai la parole.
M. Bouvierµ. - On pourrait, me semble-t-il, mettre aux voix le principe de mon amendement.
- Plusieurs voix. - Vous l'avez retiré.
M. Coomans. - Il est étranglé.
M. Bouvierµ. - Ce n'est pas un monstre pourtant, M. Coomans.
J'ai demandé au gouvernement s'il avait étudié la question que mon amendement soulevait, et s'il pouvait assurer des moyens de transport aux électeurs. J'ai dit que je me rallierais à cette proposition ; mais je n'ai pas prononcé une seule parole qui impliquât l'idée de retirer le principe de l'indemnité !
M. de Borchgrave. - Si ! si ! il est retiré.
(page 1523) M. Bouvierµ. - Ce sont des plaisanteries, et il me semble que l'objet de la discussion est trop sérieux pour donner lieu à des plaisanteries de très mauvais goût. Voici mon amendement : en principe tout électeur domicilié à une distance de cinq kilomètres du chef-lieu de l'arrondissement, peut réclamer une indemnité pour son déplacement. Je demande qu’on vote sur le principe qu'il contient.
Viendrait alors le sous-amendement de l'honorable M. Sabatier, auquel je me rallie. Enfin viendrait le troisième objet de l'amendement, celui qui a pour but la réglementation par arrêté royal du payement de l'indemnité.
MfFOµ. - Messieurs, l'honorable M. Nothomb vous a fait part tout à l'heure, d'un ton assez lamentable, du chagrin que lui fait éprouver la discussion de la loi qui vous est soumise. L'honorable membre est convaincu que cette loi est un acte de parti ; il a vu tous les amendements qui ont été proposés dans les intentions les plus pures, en vue d'améliorer la loi ; il les a tous vus écartés systématiquement par cette majorité impitoyable qui ne veut se prêter à aucun accommodement.
Messieurs, je m'étonne que l'honorable membre ait pu sérieusement faire entendre de pareilles doléances et formuler un semblable grief. Par une exception qui n'est pas très commune, cette loi a donné lieu de part et d'autre à une série d'amendements, qui ont provoqué dans la Chambre des divisions exceptionnelles.
En effet, les amendements n'ont pas été rejetés ou admis par la majorité et par la minorité ordinaires. Les deux grandes opinions qui partagent l'assemblée se sont fractionnées sur plusieurs de ces prépositions, et l'on a vu certaines mesures qui paraissaient déplaire beaucoup à l'honorable M. Nothomb, se trouver rejetées, grâce à l'opposition du gouvernement lui-même, appuyé par une partie seulement de la majorité libérale.
Si donc un tel grief est mal fondé, c'est assurément dans la circonstance actuelle.
Et d'ailleurs, messieurs, en formulant ce grief à charge de l'opinion libérale, l'honorable M. Nothomb a commis une inconséquence qui m'a quelque peu surpris, venant de sa part. De quoi s'occupe la loi ? Quel est son but ? Uniquement de prévenir et de réprimer des fraudes qui se pratiquent eu manière électorale. Comment donc, en présence de ce but formel, incontestable, ose-ton dire et répéter : « C'est une loi de parti ; c'est une loi qui est dirigée contre nous ! »
Mais, en vérité, messieurs, l'on n'y a pas songé. Est-ce un aveu qu'il faut voir dans vos protestations ? (Interruption.) Quoi ! une loi destinée à interdire les fraudes électorales est dirigée contre vous ? Mais vous les voulez donc, ces fraudes ! (Interruption.)
Vous réclamez ! Mais enfin votre grief est réel, ou bien vous ne l'avez pas énoncé sérieusement. Voyons donc en quoi consistent les principales dispositions de la loi.
D'abord elle interdit de fabriquer des électeurs. Est-ce une loi dirigée contre vous ? Réclamez-vous le monopole de la fabrication des faux électeurs ? (Interruption.) Pourquoi donc criez-vous à la loi de parti !
Y a-t-il d'autres dispositions que l'on puisse signaler à l'attention de la Chambre, pour lui dire : « Voilà une mesure qui est principalement dirigée contre la parti catholique, qui est inspirée à la majorité contre la minorité ? » Non, messieurs, aucun article du projet ne peut être considéré comme ayant un pareil caractère. Toutes les dispositions qui vous sont proposées sont parfaitement honnêtes, loyales, impartiales ; elles s'appliquent indistinctement à tous les partis.
Nous ne prétendons pas que l'un des partis, plus que l'autre, ait le privilège exclusif de la vertu, qu'il soit impeccable et infaillible ; je crois pour ma part qu'il y a eu des fautes commises de part et d'autre. En matière électorale, tous les moyens d'influence sont imités par les divers partis en présence. Les fraudes appellent les fraudes : pour se défendre, chacun les pratique à son tour. (Interruption.)
Cela est incontestable. C'est dans des vues loyales et honnêtes que le gouvernement, se plaçant au-dessus des partis, déclare qu'il faut arriver au moyen de faire disparaître ce qu'il y a de plus abusif dans les manœuvres électorales. La loi n'a pas d'autre objet.
Messieurs, on s'est plaint vivement, et non sans raison, des dépenses électorales. Le projet de loi tend à les supprimer. Mais nous avouons que nous ne nous faisons pas de ces dépenses l'idée épouvantable que l'honorable M. Nothomb a cherché à vous inspirer. Nous ne nous faisons pas davantage illusion sur la possibilité de faire disparaître complètement cet abus, que tous nous devons chercher au moins à atténuer. Nous ne pouvons croire que, malgré toutes les mesures qui seront prises, on pourra supprimer ce genre de dépenses d'une manière absolue.
Il est d'ailleurs tout à fait inexact de prétendre que les dépenses électorales aillent jusqu'à compromettre les institutions du pays ; que cet inconvénient très réel, je le reconnais, mais que l'on qualifie à tort de corruption électorale, puisse avoir pour effet d'ébranler ces institutions dans leurs bases, c'est là une exagération à laquelle personne sans doute n'ajoute foi.
En fait, qu'en est-il, messieurs ? Il faut bien le reconnaître : les dépenses électorales dans notre pays, toutes regrettables qu'elles sont, n'ont pourtant ni ce caractère de généralité, ni cette importance que l'on a cherché à leur donner. A cet égard, il y a eu beaucoup d'exagération. Nous sommes heureusement très loin de ce qui se pratique sous ce rapport dans d'autres pays, de ce qui s'y passait autrefois surtout et de ce qui s'y passe encore aujourd'hui ; nous sommes assurément très loin de ce qui se voit encore actuellement et Angleterre.
Or, en Angleterre la corruption électorale, les dépenses électorales ont eu lieu sur la plus large échelle, et cela sans que les institutions de ce pays en aient été le moins du monde ébranlées ; et je trouve, quant à moi, que malgré des manœuvres et des dépenses successivement condamnées par les lois, les institutions anglaises sont encore en assez bon état.
Messieurs, ce n'est certainement pas une raison pour qu'on ne prenne pas de mesures en vue de restreindre les dépenses électorales ; mais les mœurs peuvent beaucoup plus en cette matière que la législature. Je dis même que les partis peuvent beaucoup à cet égard. Ils pourraient, plus facilement qu'on ne le pense, assigner des limites raisonnables aux dépenses électorales : c'est de ce côté surtout qu'il faut agir, car il faut bien l'avouer, toutes les mesures préventives et répressives que l'on pourra prendre seront inefficaces pour arriver à la complète suppression de ces dépenses.
Cependant, selon l'honorable membre auquel je réponds, il y aurait un moyen infaillible de supprimer les dépenses électorales : ce serait le vote à la commune. Grâce au vote à la commune, toutes les dépenses se trouveraient supprimées.
Et moi je dis : Aucune dépense en serait ainsi supprimée ; on introduirait au contraire la pratique des dépenses électorales dans une foule de localités où elles sont inconnues aujourd'hui ; on les généraliserait dans le pays, au lieu de les restreindre.
Au surplus, messieurs, quel but poursuit-on en s'efforçant d'interdire ces dépenses ? Est-ce la répression d'une véritable fraude électorale ? Pas le moins du monde. Ces dépenses n'ont pas pour but et pour résultat de corrompre l'électeur ; ce n'est pas pour acheter des suffrages que l'on offre à dîner au corps électoral. On le fait uniquement en vue d'associer ses adhérents au triomphe de la cause que l'on défend ; on veut donner ainsi une espèce de fête à l'électeur qui est venu voter, et on espère de part et d'autre exercer par ce moyen une certaine influence sur la masse des électeurs, pour les attirer au scrutin.
Eh bien, la même chose se fera dans les communes ; on voudra fêter les électeurs qui seront venus au scrutin...
- Un membre. - Il n'y a pas de dépenses aujourd'hui.
MfFOµ. - Il y en a aujourd'hui ; il y en a pour les élections provinciales. (Interruption.) Il y a telles élections provinciales qui coûtent plus cher que certaine élection d'arrondissement pour les Chambres. (Interruption.) C'est incontestable. (Nouvelle interruption.)
C'est exceptionnel, me dit-on ; mais les dépenses pour les élections générales sont également exceptionnelles, et si je puis me citer comme exemple à l'appui de mon affirmation, je, dirai que je n'ai jamais dépassé cent francs pour une élection. (Nouvelles interruptions.)
- Une voix. - Vous en parlez fort à votre aise.
MfFOµ. - ... Oui j'en parle à mon aise, parfaitement ! je suis dans un sujet qui m'est tout à fait inconnu : les dépenses électorales, les fraudes électorales.
- Un membre. - Vous n'avez pas de lutte.
MfFOµ. - Je vous demande pardon ! nous avons eu des luttes assez souvent. Et récemment, nous avons vu, dans ce collège électoral où les dépenses étaient inconnues, nous avons vu le parti catholique rentrant en lute, prendre immédiatement l'initiative des dépenses électorales et distribuer des cartes de dîners.
M. de Borchgraveµ. - Parce que c'étaient les campagnards qui venaient voter.
MfFOµ. - Mais les campagnards sont venus voter à toutes les époques, et cela sans indemnité. (page 1525) Ce n'est donc pas à cause d'eux qu'il a été nécessaire d'inaugurer à Liège l’ère des banquets électoraux,
Vous parlez aujourd'hui d'indemniser l'électeur, mais je vous demanderai depuis quand cette idée a surgi ? C'est seulement depuis peu d'années. Jusqu'à une époque assez récente, personne n'a songé à se plaindre de ce que le vote eût lieu au chef-lieu d'arrondissement. En 1831 on l'a décrété. (Interruption.) C'est un grief nouveau, inventé récemment, et qui ne soutient pas l'examen.
Je dis donc qu'en 1831 on décréta le vote au chef-lieu d'arrondissement. Et cependant, si je ne me trompe, on avait eu jusqu'alors le vote à la commune, et même quelque chose de plus commode encore, puisqu'on allait chez les électeurs avec un panier pour recueillir les votes.
Néanmoins, on décréta le vote au chef-lieu d'arrondissement, afin, comme le disait l'honorable M. de Theux, afin de réunir les électeurs, de les mettre en rapport les uns avec les autres, et de leur permettre ainsi de s’éclairer mutuellement.
Eh bien, messieurs, depuis 1831 et pendant de longues années, pas une plainte ne s'est fait entendre, pas une réclamation ne s'est élevée contre ce système. On ne prétendait pas alors que l'électeur des campagnes fût dans une position plus défavorable que ceux des villes.
- Un membre. - Vous aviez des électeurs à 80 florins.
MfFOµ. - Vous n’aviez pas d'électeurs à 80 florins dans les campagnes. (Interruption.) Dans le Luxembourg, par exemple, le cens était le même qu'aujourd'hui, et c'est seulement aujourd'hui que l'on parle d'indemniser les électeurs.
Messieurs, la question électorale a été agitée en 1843, et même antérieurement ; mais on n'a jamais prétendu qu'une réforme dût être opérée dans ce sens. En 1842 et en 1843, on a apporté à notre régime électoral des modifications qui avaient été proposées par l'honorable M. de Theux et par l'honorable M. Malou : il y avait à cette époque une majorité de votre opinion dans cette Chambre, et cependant aucune proposition, si mes souvenirs ne me trompent, n'a été faite pour rapprocher, suivant l'expression aujourd'hui consacrée, l'urne des électeurs. On ne songeait pas alors à introduire une innovation aussi radicale dans notre régime électoral.
Nous arrivons à 1848. On décrète l'abaissement du cens au minimum fixé par la Constitution. Est-ce que l'on va, à cette époque, passer cette question sous silence ? Pas du tout : on la soulève, on l'examine, et l'on insère expressément dans la loi qui décrétait le cens uniforme, on y insère expressément une disposition qui maintient le vole au chef-lieu d'arrondissement. Et cela sans plaintes, sans opposition ! C'est l'honorable M. de Brouckere, si ma mémoire est fidèle, qui a eu soin de consigner les motifs de cette disposition dans le rapport de la section centrale. Voyons maintenant quelle était la situation à cette époque et ce qu'elle est aujourd'hui.
A l'époque où l'on ne se plaignait pas, nous n'avions pour ainsi dire pas de routes, nous avions peu de chemins vicinaux et nous n'avions pas de chemins de fer ; et le jour où nous avons des routes nombreuses, des chemins vicinaux qui sillonnent le pays, des chemins de fer dans toutes les directions, les plaintes se produisent pour la première fois !
C'est ce moment que l'on choisit pour prétendre que la situation de l'électeur campagnard est aggravée et qu'il faut l'indemniser.
On n'y a pas pensé à l'époque où il était dans une situation beaucoup plus difficile pour exercer son droit, et l'on y songe précisément à une époque où sa situation est rendue beaucoup plus favorable. (Interruption.)
Mais, messieurs, c'est absolument comme si l'on voulait faire un cadeau pour ainsi dire gratuit aux électeurs des campagnes. Ce n'est pas une indemnité, ce n'est pas le remboursement de frais qu'ils auraient à supporter, c'est, en réalité, une sorte de gratification.
- Un membre. - Il y a des frais.
MfFOµ. - N'y en avait-il pas autrefois, quand on ne pensait pas à l'indemnité ?
M. de Naeyer. - Ce n'est donc pas un cadeau.
- Un membre. - C'est une justice tardive.
MfFOµ. - Ainsi, pendant 35 ans on ne s'est pas aperçu que l'on commettait une injustice ?
M. Coomans. - C'est une erreur. En 1837, on a déjà proposé la réforme et il y a eu de nombreuses pétitions qui la demandaient.
MfFOµ. - Il ne s'agissait pas d'indemnité à allouer aux électeurs des campagnes.
M. Coomans. - Il s'agissait du vote à la commune.
MfFOµ. - Ce n'était pas dans le but de donner des facilités aux électeurs, c'est parce que vous vouliez essayer d'un autre système électoral dans l'espoir d'assurer la prépondérance de votre opinion et de reconquérir la majorité qui vous échappait déjà dans certains collèges électoraux. Il ne s'agissait pas de la charge imposée aux campagnards de se transporter au chef-lieu d'arrondissement, tandis que les électeurs du chef-lieu votent, comme vous dites, en pantoufles. (Interruption.) C'est une affaire inventée après coup.
M. Orts. - Quand on a perdu la majorité.
M. Jacobsµ. - C'est un procès de tendance.
MFOµ. - Est-ce un procès de tendance que de constater qu'il n'y a eu aucune réclamation pendant de longues années, qu'il n'y a eu aucune réclamation à une époque ou il n'y avait ni chemins vicinaux, ni chemins de fer ? Est-ce un procès de tendance que de dire : Aujourd'hui, que nous avons des routes, des chemins vicinaux et des chemins de fer, on vient réclamer une indemnité à laquelle on ne songeait pas lorsque la situation était toute différente, au désavantages des électeurs des campagnes ? Il m'est donc bien permis de conclure que vous avez un autre but.
M. Dumortier. - Le nombre des électeurs est triplé !
MfFOµ. - Est-ce que le nombre des électeurs change quelque chose aux frais de déplacement de chaque électeur en particulier ?
« Le but, dit-on, c'est de réduire les dépenses électorales. Grâce à l'indemnité que nous donnerons aux électeurs, nous arriverons à supprimer les dépenses électorales. » Eh bien, je dis, moi, que vous ne réduirez pas les dépenses, pas même celle des frais de transport. Vous aurez puisé dans le trésor public une somme très considérable, une somme que l'honorable M. Sabatier a évaluée à un chiffre beaucoup trop bas, et cette dépense ne servira à rien, n'empêchera rien de ce que vous voulez empêcher.
Vous aurez donc une indemnité aux électeurs : mais empêcherez-vous un candidat de leur offrir de les transporter en voiture ?
- Un membre. - On ne le fera pas.
MfFOµ. - Bien au contraire : on le fera, et cela par le même motif qui a engagé à faire déjà cette dépense électorale. (Interruption.)
C'est exactement le même motif. Vous essayez de rendre la mission de l'électeur plus agréable et plus commode, et si l'un des candidats met des voitures à la disposition des électeurs, son concurrent l'imitera. On ira donc puiser l'argent dans les caisses de l'Etat, pour le gaspiller sans aucun résultat utile ; car ceux qui s'imposent des frais de transport aujourd'hui, continueront à les supporter.
M. Thonissenµ. - Défendez le transport alors.
MfFOµ. - Comment voulez-vous défendre sérieusement de mettre des voitures à la disposition des électeurs ? Il y aura un électeur qui offrira à cinq ou six de ses amis d'aller avec lui à la ville, et la prohibition sera ainsi très facilement et complètement éludée.
Mais vous allez faire plus. Vous allez donner un moyen de fraude plus économique pour les candidats que ceux qui existent aujourd'hui. Dans l'état actuel des choses, l'intérêt personnel du candidat est là, qui se défend autant qu'il le peut contre les dépenses qu'on essaye de lui faire subir. Dorénavant, on aura un fonds inscrit au budget de l'Etat pour servir à cette destination. Il y aura un certain nombre d'électeurs qui abandonneront leur indemnité et les frais électoraux seront supportés par le public. Le principe admis, on trouvera bientôt que l'indemnité est insuffisante et on l'augmentera. On sera généreux sans aucun sacrifice personnel ; c'est le trésor qui payera. Les indemnités de cinq ou six francs abandonnées par une partie notables d'électeurs qui n'en n'ont nul besoin, formeront un fonds électoral qui permettra de faire une meilleure part à certains électeurs, gratifiés de 12 ou 18 francs, et cela sans qu'il en coûte rien au candidat.
M. Jacobsµ. - Ce sera un délit.
MfFOµ. - Vous arriverez très difficilement à constater de pareils délits, si vous érigez en délits des faits de la nature de ceux que j'indique. Il faudra d'abord dire dans la loi : Il est interdit à tout électeur de se dessaisir de son droit à l'indemnité ; il ne peut le transférer à personne, il faut qu'il la touche lui-même ; il ne peut la céder à qui que ce soit. Or, je le demande, une pareille interdiction est-elle réellement possible ? Je crois donc, messieurs, qu'il faut renoncer à l'idée de payer une indemnité aux électeurs. Et s'il était constaté qu'il y a quelque chose à faire quant aux moyens de transport, il semble que l'idée émise tantôt par l'honorable M. Bouvier mériterait au moins examen. (Interruption.)
(page 1525) - Une voix. - C'est possible.
MfFOµ. - Vous répondez que c'est possible. Je dis seulement que c'est à examiner ; mais vous avez rejeté tout à l’heure l'idée de l'honorable M. Bouvier. Et cependant, ce serait peut-être le moyen le plus efficace d'atteindre le but que vous vous proposez, celui de donner des facilités à l'électeur pour se transporter au scrutin. Ainsi du moins vous ne lui donneriez pas l'occasion de faire un trafic de son indemnité.
- Un membre. - Cela serait impossible au gouvernement.
MfFOµ. - Comment ! Je vous demanderai si ce que font aujourd'hui les candidats serait impossible au gouvernement ? Comment ne serait-il pas possible au gouvernement de trouver des voitures et de les mettre à la disposition des électeurs ?
M. Dumortier. - Les électeurs seraient sous l'œil du gouvernement.
MfFOµ. - L'interruption de l'honorable M. Dumortier me fait croire qu'il redouterait l'influence du cocher gouvernemental. (Interruption.)
Il y aurait là l'image du gouvernement conduisant le char de l'Etat, et il craindrait sans doute que l'on ne fît verser aussi les électeurs. (Interruption.)
- Une voix. - Cela serait possible.
MfFOµ. - Quoi qu'il en soit, messieurs, je ne m'arrête pas à ce système. Vous l'examinerez si vous voulez, mais je le trouve beaucoup plus pratique et plus légitime que l'indemnité, qui contient un véritable germe de corruption. (Interruption.)
Ce sera une rente considérable inscrite au budget, et chaque parti pourra disposer de la moitié de cette rente pour les dépenses électorales.
M. Thonissenµ. - L'article 9 le défend.
MfFOµ. - Oui, la loi le défend comme elle interdit beaucoup d'autres moyens de fraude ; mais on ne saurait évidemment les empêcher tous, et celui que vous offrez sera de tous le plus facile et le moins onéreux.
J'aime beaucoup mieux mettre en jeu l'intérêt personnel du candidat que de mettre à sa disposition le trésor public pour faire le généreux.
M. Thonissenµ. - Alors l'article 9 est inutile et toute la loi tombe.
MfFOµ. - Messieurs, si le principe de l'indemnité est juste, - et l'honorable M. Nothomb l'a énergiquement flétri - il doit subir une très grande extension.
Vous dites : l'électeur éloigné du chef-lieu de l'arrondissement est obligé de s'imposer des sacrifices, de faire des dépenses pour aller exercer son droit. Voilà le motif de l'indemnité, il n'y en a pas d'autre.
Eh bien, si cela est vrai, si en pareil cas une indemnité est légitime, il faut en donner aussi aux électeurs du chef-lieu, qui subissent également des pertes pour aller exercer leur droit. (Interruption.) Tous ceux qui se sont occupés d'élections savent cela parfaitement.
M. Coomans. - A fortiori donc pour les autres.
MfFOµ. - Je vais vous prouver que c'est a contrario et non a fortiori. Les élections ont été sagement fixées par le législateur au mois de juin. A cette époque les travaux de la campagne sont presque nuls, et les électeurs campagnards n'ont presque rien à faire.
M. Coomans. - Ils ont toujours quelque chose à faire.
MfFOµ. - Il est évident que le campagnard n'est plus dans ce moment occupé à ensemencer ses terres et qu'il n'est pas encore occupé à faire la récolte, ce qui constitue les deux parties les plus importantes du travail agricole.
C'est précisément pour ce motif, je le répète, que les élections ont été fixées au mois de juin. Cette question a été examinée avant de déterminer l'époque des opérations électorales.
Et bien, je trouve que l'électeur de la ville, l'artisan, le boutiquier, obligé de quitter son commerce ou son travail et de perdre sa journée...
M. Coomans. - Une heure.
MfFO. - Non, pas une heure ! La journée entière de l'élection est perdue pour le travail. Cela est évident ; on l'a démontré encore lors de l'enquête de Bruges. Il y avait eu des sommes données à des individus qui étaient domiciliés à Bruges même, et l'on disait que c'était pour les indemniser de la perte de leur journée.
- Une voix. - C'est un abus.
MfFOµ. - Je vous parle du principe. Vous voulez indemniser l'électeur des dépenses qu'il fait. Je dis que cette dépense est faite également par certaines catégories d'électeurs du chef-lieu. Je ne dis pas par tous. Je ne dis pas que l'avocat qui n'a pas à plaider parce que les tribunaux chôment, éprouve une perte de ce chef.
M. Coomans. - Donnez-leur aussi 25 centimes.
MfFOµ. - Permettez : voilà donc que l'indemnité, et je viens d'en définir le principe, sera appliquée à une certaine catégorie d'électeurs, qui supporteront moins de dépenses que d'autres catégories se trouvant au chef-lieu. (Interruption.) Voyons le principe en lui-même. On nous dit : « L'indemnité est juste, rien n'est plus légitime ; ne voyons-nous pas qu'on paye les témoins, les jurés, les conseillers provinciaux, les représentants eux-mêmes ? Quelle difficulté y aurait-il donc à appliquer la même règle à l'électeur ? » Mais, messieurs, il n'y a pas d'analogie entre les positions. Vous indemnisez les témoins, les jurés, les représentants, parce qu'ils remplissent un service public, parce qu'ils s'occupant des affaires d'autrui, des affaires de la communauté.
M. Coomans. - L'électeur aussi, il est mandataire.
MfFOµ. - Au contraire, l'électeur s'occupe de ses propres affaires.
M. Coomans. - Du tout ; je demande la parole.
MfFOµ. - L'électeur s'occupe de ses propres affaires, et si vous ne savez pas trouver dans votre pays des citoyens pouvant donner un jour tous les quatre ans...
M. Coomans. - ... Tous les ans.
MfFOµ. - Tous les ans, tous les mois si vous voulez ! Si vous ne pouvez, dis-je, trouver des citoyens capables de faire ce sacrifice au pays, alors renoncez à vos institutions, n'en parlez plus, et cessez de les vanter. (Interruption.)
Votre système tend à avilir l'électeur. (Interruption.) C'est l'avilir que de l'indemniser ! M. Nothomb lui-même l'a formellement déclaré. Le principe de l'indemnité est un principe de l'antiquité ; ce n'est que dans les démocraties en décadence, que l'on a vu le trésor public mis à la disposition des électeurs ; ce principe est détestable et il le deviendra d'autant plus que vous étendrez davantage le droit électoral. Il vous paraîtrait alors bien plus nécessaire qu'aujourd'hui, car vous vous adresseriez à une catégorie d'électeurs qui ne seraient pas dans une position aisée, et vous n'auriez pas à les indemniser seulement de la dépense faite, mais du temps perdu...
M. Nothomb. - Changez le lieu du vote.
MfFOµ. - J'ai déjà répondu à cette objection. Je ne puis, à chaque interruption, reproduire les mêmes arguments et recommencer toute la discussion. J'ajouterai cependant que si, abstraction faite du principe et restant dans les faits, nous considérons ce qui existe dans la plupart des arrondissements, nous trouvons qu'il n'y a aucune espèce de raison d'admettre votre système.
Il y a quelques arrondissements qui se trouvent encore dans des conditions défavorables, dans les conditions où ils se trouvaient en 1831, et l'arrondissement de M. Bouvier est dans ce cas.
- Une voix. - Et presque tous les autres ?
MfFOµ. - Non pas presque tous les autres. De grandes facilités ont été introduites, et à mesure que notre réseau de chemins de fer s'étendra, ces facilités s'accroîtront en même temps. Les relations sont à ce point devenues faciles, que vous n'oseriez plus soutenir la nécessité du vote au chef-lieu du canton. Dans beaucoup d'arrondissements aujourd'hui, il est plus facile de se rendre au chef-lieu de l'arrondissement qu'au chef-lieu du canton.
- Une voix. - C'est exact.
MfFOµ. - Dans l'arrondissement que je représente, par exemple, ce serait aggraver la condition de l'électeur que de l'obliger à aller voter au chef-lieu du canton.
M. Coomans. - Nous ne demandons pas le vote au chef-lieu du canton.
MfFOµ. - Non, vous le demandez à la commune ; vous voulez frapper le système électoral d'une suspicion sous le poids de laquelle il succomberait. Vous voulez placer l'électeur, ici sous l'influence du curé, là sous l'influence du bourgmestre, là sous l'influence d'un grand propriétaire.
M. Coomans. - Du tout.
(page 1526) MfFOµ. - Vous voulez les placer tous dans ces conditions. (Interruption.)
Comment ! nous nous occupons d'une loi sur les fraudes électorales et nous trouvons que, bien que l'on ait cherché par l'éloignement à soustraire l'électeur aux influences qui pesaient sur lui, ces influences exercent encore. Vous l'avez tous avoué ! Et, dans le même moment, vous venez nous dire : Votons à la commune, directement sous ces mêmes influences (Interruption.)
Je ne puis pas en ce moment examiner ce principe dans ses détails ; je crois pouvoir me borner à dire qu'il est condamné par l'opinion publique et que, dans notre pays, un système électoral basé sur un tel principe ne saurait résister.
M. Nothomb. - Depuis quinze ans il fonctionne parfaitement en Hollande.
M. Coomans. - Et sans aucune protestation.
MfFOµ. - Et vous croyez que l'on peut ainsi importer des institutions d'un pays dans un autre, sans avoir égard aux situations différentes dam lesquelles ils se trouvent ?
M. Nothomb. - Je n'ai pas dit cala.
MfFOµ. - On peut concevoir ce système en Hollande, mais il serait impossible de le faire fonctionner en Belgique dans l'état actuel de nos luttes. (Interruption.)
Oh ! on ne peut se le dissimuler : la lutte se personnifie en général, aujourd'hui, dans les villages, dans le curé représentant du parti catholique, et dans le bourgmestre ou tout autre personnage influent appartenant à l'opinion libérale...
M. Coomans. - Non.
MfFOµ. - Oh ! vous le niez en vain ! c'est là la situation vraie. Tour à tour l'un ou l'autre est signalé comme exerçant une pression illégitime sur l'électeur.
Nous voulons porter remède au mal, empêcher toutes ces influences qui s'exercent au détriment de la liberté des électeurs, et c'est à ce moment que vous venez préconiser le vote à la commune !
Messieurs, je ne veux pas m'arrêter davantage sur ce système qui, pour moi, est absolument condamné par la conscience publique ; je reviens au point où j'en étais lorsque j'ai été interrompu, et je dis que dans l'état actuel des choses et avec le perfectionnement de nos voies ferrées, il serait plus difficile d'aller voter au chef-lieu du canton qu'au chef-lieu d'arrondissement. Oh est vrai au moins pour la plupart des communes de l'arrondissement qua j'ai l'honneur de représenter. Le principe admis, il faudra donc allouer aussi des indemnités pour les élections provinciales. Il y a plus de difficultés, des distances plus longues à parcourir que pour aller au chef-lieu d'arrondissement, et les moyens de transport font défaut.
Maintenant vous voulez donner une indemnité sans choix, sans limite, basée uniquement sur un éloignement de 5 kilomètres du chef-lieu d'arrondissement. Mais, messieurs, il y a des électeurs eu grand nombre qui se rendront au chef-lieu d'arrondissement pour une somme beaucoup moindre que celle que vous voulez leur attribuer. Des électeurs de Vilvorde, qui est à 10 kilomètres de Bruxelles, se rendront dans cette ville et s'en retourneront pour 40 centimes ; et cependant ils auront l'indemnité fixée par le tarif de M. Sabatier. Mais ils y feront un honnête bénéfice.
M. Coomans. - Il en est de même aujourd'hui pour d'autres indemnités.
MfFOµ. - J'ai attaqué le principe de l'indemnité ; veuillez, s'il vous plaît, rester dans le sujet. Je suis actuellement occupé à vous montrer que votre tarif est inique, qu'il ne tient aucun compte des faits ; que, sous prétexte de rembourser les frais supportés par l'électeur, on lui accorderait une véritable gratification. Voilà ce qui n'est pas niable, dans la plupart des cas.
M. Pirmez. - Abaissez le taux.
MfFOµ. - Vous allez donc être amené à établir des taxes différentiels selon la position de chaque électeur. (Interruption.)
Faites-le du moins à raison des localités. Ne remboursez pas de prétendus frais de transport qui n'existent point ; sachez si vous aurez ou si vous n'aurez pas à allouer légitimement une indemnité. Mais, sans aucune espèce d'examen, vous proposez un tarif qui peut avoir pour résultat de faire allouer cinq ou six francs à un électeur qui n'aura dépensé que 40 ou 50 centimes.
Je ne pense pas, messieurs, que les citoyens qui ne sont pas électeurs et qui contribuent à alimenter le trésor public, trouveraient très légitime une mesure qui consisterait à puiser dans le trésor des sommes pour indemniser ceux à qui leur position plus aisée confère le droit électoral.
M. Sabatier. - Tous les services publics sont dans ce cas-là.
MfFOµ. - L'électeur, je le dis encore, s'occupe de ses propres affaires en désignant les mandataires pour la gestion des intérêts généraux de l'Etat, qui sont bien à coup sur ses propres intérêts, tandis que les agents des services publics, à tous les degrés, s'occupent des affaires d'autrui. (Interruption.)
Mais, messieurs, il y a une preuve bien péremptoire de la différence que je signale. Est-ce que l'électeur est obligé d'aller voter ? Assurément non. C'est volontairement qu'il exerce son droit. Mais le témoin est obligé d'aller déposer, le juré de siéger, le fonctionnaire de remplir ses fonctions ; l'électeur, au contraire, n'est astreint à rien. (Interruption.)
II m'est impossible de répondre à toutes les objections à la fois. Voulez-vous rendre le vote obligatoire ?
M. Sabatier. - Je laisse les choses comme elles sont aujourd'hui ; seulement au lieu que l'indemnité soit payée par le candidat, elle sera payée par le trésor public.
MfFOµ. - J'ai répondu à cela que vous vous placez à un point de vue tout à fait faux ; vous vous placez au point de vue du candidat ; vous vous imaginez qu'à l'aide de votre expédient vous allez diminuer les dépenses que s'impose le candidat !
M. Sabatier. - Pourquoi les interdire par la loi alors ?
MfFOµ. - Je dis que vous ne sauriez empêcher qu'un électeur à qui vous auriez accordé une indemnité de déplacement, ne se laissât encore transporter aux frais du candidat. La situation serait donc la même, et vous auriez imposé au trésor une charge très lourde sans aucune utilité.
Je le répète encore une fois en terminant, messieurs, il serait extrêmement regrettable que la Chambre entrât dans une pareille voie et qu'elle adoptât un système qui aurait les fâcheuses conséquences que je viens d'indiquer.
M. Coomans. - J'ai principalement demandé la parole pour protester de toutes mes forces contre l'étrange doctrine professée à deux ou trois reprises aujourd'hui par M. le ministre des finances ; à savoir que l'électeur belge, l'un des 100,000 citoyens privilégiés de Belgique, se rend au chef-lieu de l'arrondissement pour faire ses propres affaires et non pour remplir une fonction publique.
L'honorable ministre avait besoin de cette thèse pour établir que l'électeur n'a pas droit à une indemnité. En effet, si l'électeur n'est pas fonctionnaire, s'il n’est pas mandataire, s'il ne vient qu'exercer un droit et non remplir un devoir, M. le ministre des finances a raison ; mais alors toutes nos institutions ne sont plus qu'un affreux et inique mensonge.
M. Bara. - Voilà un mandataire sans mandat.
M. Coomans. - L'électeur belge est un mandataire ; s'il ne l'est pas, il n'est rien, et vos institutions ne sont plus qu'un tissu de mensonges. L'électeur ne se rend nullement au siège de l'élection pour faire ses propres affaires, comme le dit M. le ministre des finances ; je ne dis pas qu'en fait cela ne soit pas quelquefois un peu vrai ; mais j'ajoute que cela est détestablement faux en théorie. Il y va pour exprimer le vœu national, consciencieusement, loyalement, et abstraction faite de son intérêt personnel.
Voilà la vérité et voilà pourquoi je suis hostile à toute dépense électorale ; voilà pourquoi je blâme autant que qui que ce soit la corruption électorale. Quand l'électeur vend son vote pour un dîner ou pour une pièce de 5 francs, il commet un véritable crime politique ; s'il ne faisait tort qu'à lui-même, il n'en serait pas ainsi ; si l'électeur était souverain, comme le dit l'honorable ministre, s'il n'était pas mandataire, il aurait le droit de trafiquer de son vote ; ce serait de sa chose qu'il trafiquerait. Mais aujourd'hui il commet un crime parce qu'il vend ce qui ne lui appartient pas, le droit de ses concitoyens, la part de ses frères pour ce qui n'est pas toujours un simple plat de lentilles.
Voilà le crime électoral, voilà la fraude électorale, et je ne suis pas de ceux qui voudront les maintenir.
Et, messieurs, si l'électeur n'est pas fonctionnaire, s'il ne remplit pas un devoir public pour lequel vous devez l'indemniser, il n'a pas le droit d'être électeur et dès lors il faut proclamer le suffrage universel, car la théorie de l'honorable ministre mène droit au suffrage universel. Si l'électeur n'est pas fonctionnaire, il n'est rien, il n'a pas le droit de venir (page 1527) parler au nom de ses compatriotes, et tous ses compatriotes ont le même droit que lui et nous arrivons au suffrage universel.
Si telle est la conclusion de l'honorable ministre, j'y adhère.
Maintenant, puisque j'ai la parole, je présenterai quelques observations sur l'objet même du débat.
Le système que nous avons l'honneur de vous soumettre n'est pas le vote à la commune ; c'est tout simplement le système .hollandais qui est déjà consacré par une douzaine d'années d'heureuse expérience. C'est la décentralisation du vole ; c'est l'éparpillement des bureaux électoraux ; ce n'est pas autre chose.
Nous vous demandons de disséminer les bureaux électoraux dans l'arrondissement, de façon que chaque bureau composé de 200 à 400 électeurs, par exemple, d'un minimum à déterminer par la loi, soit fixé dans la commune la plus populeuse du centre qu'il s'agit de desservir.
L'honorable ministre voit dans ce système de grandes facilités apportées à la fraude. Quoi ! dit-il, déjà aujourd'hui les électeurs ne sont pas libres : ils subissent toute sorte d'influences locales, et vous voudriez les retenir sous l'empire de ces influences à l'heure solennelle du vote ! Mais non, messieurs, il n'en est rien ; c'est le système hollandais qui assure bien mieux que le nôtre la sincérité du vote, car tous les bulletins d'un seul arrondissement se trouvent mêlés ensemble, ce que vous ne faites pas.
Tous ces bulletins restent secrets, les boîtes sont transportées au chef-lieu dans de telles conditions que toute fraude est impossible ; je le démontrerais facilement si vous me permettiez d'entrer dans quelques détails.
Même pour les chefs des bureaux électoraux, la fraude est impossible. En Hollande, les bureaux sont plus impartialement composés que chez nous.
Et la preuve que ce système ne donne lieu à aucune fraude, c'est qu'il n'est l'objet d'aucune plainte de la part de qui que ce soit en Hollande. Dans les trois derniers voyages que j'ai faits dans ce pays, dont la langue est la mienne, ce qui facilite mes rapports avec les populations ; dans ces trois derniers voyages, dis-je, je me suis attaché principalement à m'assurer de l'état de l'opinion publique au sujet de la loi électorale qui a été depuis de longues années l'objet de mes principales préoccupations.
Eh bien, je puis vous donner l'assurance que dans toutes les conversations que j'ai eues avec des catholiques, avec des libéraux, avec des protestants, avec des libres penseurs, avec des hommes de toutes les opinions, même avec des hommes qui n'avaient pas d'opinion, je n'ai jamais entendu la moindre plainte, la moindre protestation au sujet de la loi électorale hollandaise.
Si ce que j'ai l'honneur de vous affirmer est vrai, vous devrez reconnaître, messieurs, que lorsqu'une législation aussi difficile dans tous les temps et dans tous les pays, je veux parler de la loi électorale, n'a donné lieu à aucune plainte, on doit considérer cette législation comme bonne. (Interruption.)
Les fraudes sont les mêmes dans tous les pays.
Et n'en croyez pas M. le ministre des finances, quand il dit qu'il n'y a pas de luttes en Hollande. Il y a, au contraire, dans ce pays des luttes très vives ; j'y ai assisté à des élections au moins aussi animées que celles qui ont affligé la Belgique ; eh bien, jamais pourtant les plaintes n'ont porté sur le mode d'exercer le droit électoral.
MfFOµ. - Je n'ai pas dit qu'il n'y a pas de luttes en Hollande ; j'ai dit que les luttes n'étaient pas les mêmes qu'en Belgique.
M. Coomans. - Pardon ; sous d'autres noms, c'est à peu près la même chose ; ainsi, dans certaines localités les libéraux unis aux protestants sont très animés contre les catholiques.
Mais peu importe. Le fait est qu'il y a des partis en Hollande, quelle que soit la dénomination que vous leur donniez ; eh bien, tous les partis y sont d'accord pour reconnaître que la loi électorale est bonne. Nous avons donc bien le droit de recommander cette loi à vos sérieuses méditations.
Voici en deux mots la loi hollandaise. Les bureaux sont aussi nombreux que possible. Ils se composent d'un minimum de 200 à 300 électeurs. Le vote est parfaitement secret. Les électeurs se servent d'un papier officiel qu'on leur remet ; ils n'ont pas à se déplacer, ou n'ont qu'à se déplacer à peu de distance de leur domicile, ils n'ont qu'à aller déposer leur bulletin dans la boîte, et leur nom est annoté.
L'opération électorale terminée dans la principale commune, quand plusieurs petites communes votent ensemble, le président enferme le procès-verbal de l'élection avec les noms des votants et le nombre de bulletins dans la boîte qui est parfaitement scellée et transportée loyalement, presque militairement, au chef-lieu d'arrondissement ; là, après vérification faite de chaque boîte, on en verse le contenu dans une boite générale, et un procède au dépouillement. Le secret du vote est parfaitement gardé, grâce, je dois le dire, au papier électoral et aux précautions supplémentaires.
Bref, la loi hollandaise opère de manière que le déplacement des électeurs n'excède jamais trois quarts de lieue. Ce déplacement est insignifiant ; chacun s'y soumet volontiers.
Chez nous, les déplacements sont de 5 à 6 lieues, quelquefois de 10 lieues. Ce qui fait 20 lieues pour l'aller et le retour. Voilà une difficulté sérieuse ajoutée à toutes celles qui tiennent les électeurs ruraux éloignés du scrutin électoral.
M. le ministre des finances prétend que l'idée que nous recommandons à la Chambre lui est soumise pour la première fois ; que c'est une nouveauté, un expédient. Il n'en est rien, messieurs, et plusieurs de mes amis politiques vous en ont entretenus il y a longtemps et notamment en 1837 ; et si je puis me nommer après eux, je dirai que je proteste depuis un quart de siècle, aussi haut que je le puis, contre cette iniquité révoltante, d'obliger les électeurs ruraux, c'est-à-dire la majorité des électeurs belges, à s'imposer une corvée coûteuse et vexatoire, tandis que les électeurs urbains en sont affranchis.
Les électeurs urbains sont encore privilégiés sous un autre rapport très important, c'est qu'ils forment une très grande majorité relativement à la population ; car si le nombre des électeurs ruraux appelés dans les comices était en rapport avec le chiffre de la population qu'ils représentent (ce qui serait conforme à l'esprit et même à la lettre de la Constitution), le nombre des électeurs ruraux devrait être triple aujourd'hui.
Mais non ; on s'est arrangé de manière à diminuer considérablement le nombre des électeurs ruraux, on s'est arrangé ensuite de façon à leur rendre l'accès des comices aussi difficile que possible.
Messieurs, soyons francs et de bonne foi : il n'y a qu'une objection sérieuse, vraie à la proposition que nous avons l'honneur de vous soumettre et c'est la seule objection qu'on ne fasse pas, c'est que si on décentralisait les opérations électorales, si on facilitait l'accès de l'urne électorale à tous les électeurs, presque tous les électeurs ruraux s'y rendraient, et c'est ce qu'on ne veut pas.
Si on ne craignait pas ce concours d'électeurs, on devrait faire de deux choses l'une : ou l'on devrait accepter le système hollandais, ou l'on devrait souscrire des deux mains à l'allocation d'une indemnité.
« Le chiffre de l'indemnité sera bien fort ! » dit M. le ministre des finances. Argumentation de financier. A mes yeux, plus la somme payée per le gouvernement sera élevée, plus je m'en applaudirai, car plus grand aura été le nombre des votants, plus sincère aura été l'élection et plus réel aura été notre respect pour le régime représentatif.
Ensuite, c'est une bien petite objection que nous a faite M. le ministre des finances, quand il nous a dit que tel électeur, dans l'hypothèse d'une indemnité, recevra une somme plus forte que tel autre électeur, la distance fût-elle la même, attendu que l'on aura pu faire usage du chemin de fer, et qu'un autre, privé de cette voie de communication, aura dû se servir d'une voiture ou s'accommoder d'un autre moyen de locomotion. En argumentant de la sorte, M. le ministre des finances n'a pas fait la critique de l'amendement de l'honorable M. Sabatier ; il a fait la critique du système d'indemnités en vigueur aujourd'hui ; il a fait la critique de ce qui se passe sur les bancs où il siège.
N'a-t-il pas été démontré ici que certains hauts fonctionnaires reçoivent une indemnité décuple et peut-être deux fois décuple de la dépense réellement faite par eux ? (Interruption.) Je me rappelle que l'honorable M. Hayez nous a démontré, pièces en mains, qu'un lieutenant général recevait 160 fr. pour aller à Anvers. (Interruption.)
Si ce chiffre est inexact (je ne puis le certifier personnellement), il en est d'autres dont je puis affirmer l'exactitude. Je sais qu'un jour, une fois dans ma vie, j'ai été investi d'une mission gouvernementale ; j'ai été envoyé dans une commune alors excessivement troublée ; j'y avais dépensé peut-être une douzaine de francs, on m'en a donné 43.
MfFOµ. - Pourquoi les avez-vous pris ?
M. Coomans. - Est-ce que toutes les personnes qui se trouvent dans ce cas n'acceptent pas l'indemnité qui leur est attribuée ? Je ferai un jour une promenade à la cour des comptes pour aller m'en assurer.
(page 1528) J’affirme du reste que j'ai refusé des indemnités qui m'étaient offertes parce que je les trouvais trop élevées.
Je me rappelle que j'ai été encore une fois d'une commission gouvernementale, celle de la marine et là aussi on voulait me donner une indemnité.
J'ai refusé et c'est grâce à moi, peut-être, que l'indemnité n'a pas été allouée. (Interruption.)
J'étais peut-être le membre le plus pauvre de la commission ; ceci pour répondre à la question de l'honorable ministre.
Je dis donc que l'argument de l'honorable ministre tombe à faux ; si c'était vrai, il faudrait réviser tout le système d'indemnité qui existe aujourd'hui.
Il faudrait tenir compte aussi et de la position des missionnaires, et de la distance à parcourir. L'honorable M. Sabatier n'est pas entré dans ces détails puérils, d'une application difficile ou impossible, et il a eu raison.
Ce qui est essentiellement vrai, c'est que notre régime électoral est inique, injustifiable, parce qu'il inflige à la majorité du pays, à la véritable majorité du pays, des corvées et des vexations dont la minorité est affranchie, et c'est là la grande fraude électorale. La plus grande fraude électorale, c'est d'éloigner du scrutin les citoyens qui ont droit d'y participer.
Et il y a plusieurs manières de les en éloigner, il en est plusieurs qui sont formulées indirectement dans les articles de la loi qui nous occupe, mais la plus injuste c'est de ne pas les indemniser.
Je suis de ceux, on me rendra cette justice, qui ont le plus fortement protesté contre les vices de notre système électoral, surtout contre les dépenses électorales. Je me suis amusé à prendre à cet égard beaucoup d'annotations ; j'ai recueilli des détails très curieux sur les élections et j'affirme qu'un système électoral qui fonctionne de cette façon est faux et injuste.
Je suis donc désireux de voir supprimer toute dépense électorale, moins dans l'intérêt du candidat que dans l'intérêt de la dignité des électeurs et de l'avenir de nos institutions.
Quand un candidat est assez niais pour acheter au prix de 100,000 fr. un mandat parlementaire, ce n'est pas de lui, ce n'est pas de sa bourse que je m'inquiète, mais je me préoccupe de la dignité des électeurs, du devoir qu'ils ont à remplir et de l'avenir de nos institutions.
Je dis qu'il faut de deux choses l'une : ou permettre toutes les dépenses électorales, l'action de toutes les influences, naviguer toutes voiles déployées sur l'océan orageux, mais généreux, de la liberté ; ou bien supprimer net toutes les dépenses électorales en punissant ceux qui, directement ou indirectement, s'y livreraient encore. Mais alors il faut, pour être loyal, mettre tous les électeurs sur la même ligne, les placer dans des conditions d'égalité parfaite, en leur permettant l'accès du scrutin à tous, et il faut pratiquer en fait la liberté que nous inscrivons dans nos lois.
M. Pirmez (pour une motion d'ordre). - Messieurs, il y a deux questions extrêmement distinctes dans ce débat : la question du vote à la commune et la question de l'indemnité. On a plaidé le vote à la commune. Si la Chambre veut statuer aujourd'hui, je demanderai qu'elle ne statue que sur cette dernière question et qu'elle remette à demain la question de l'indemnité.
MpVµ. - La parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier. - Si la Chambre veut terminer d'abord la question de l'amendement de M. Nothomb, je renoncerai pour le moment à la parole.
Je l'ai demandée pour présenter des observations principalement sur l'article du projet de loi.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
- D'autres membres. - L'appel nominal.
- L'amendement de M. Nothomb est mis aux voix par appel nominal.
89 membres sont présents.
40 adoptent.
49 rejettent.
En conséquence l'amendement n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, J Reynaert, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Tack, Thienpont, Thonissen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Coomans, de Borchgrave et de Coninck.
Ont voté le rejet :
MM. De Fré, de Kerchove, de Macar, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Grosfils, Jacquemyns. Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orts, Piratez, Rogier, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Vleminckx, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier, Bricoult, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Florisone et Ernest Vandenpeereboom.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.