(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 1491) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaireµ, présente, l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Namur demande la révision de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique et de celle du 17 avril 1835. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Hannotiau propose des mesures pour assurer la sincérité des élections. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les fraudes électorales.
« M. de Haerne, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
MpVµ ; - Nous sommes arrivés à l'article 4 et au second amendement de MM. Giroul, de Macar et consorts. Voici cet amendement :
« L'appel des électeurs est fait par ordre alphabétique sur une liste comprenant le nom de tous les électeurs de l'arrondissement, du canton ou de la commune, si ceux-ci sont réunis en une seule assemblée, et le nom des électeurs de la section, si le collège électoral est divisé. »
M. Eliasµ. - Messieurs, le gouvernement, dans le projet de loi qu'il nous a présenté, a cherché à prendre des mesures préventives pour soustraire l'électeur à la pression qui s'exerce sur lui au moment du vote. Il nous a proposé de faire passer l'électeur dans un couloir pour lui donner un instant d'isolement, de liberté. Nous avons pensé, quelques honorables amis et moi, que le temps pendant lequel l'électeur serait dans ce couloir serait trop court, qu'il n'aurait pas le temps de réfléchir, et nous avons proposé d'adopter l'ordre alphabétique pour tous les électeurs d'un arrondissement.
La Chambre ayant repoussé cet amendement, nous en avons présenté un second qui, s'il n’a pas tous les avantages du premier, n'en présente pas non plus les inconvénients.
Je regrette infiniment que le premier amendement n'ait pas été adopté et j'ai été étonné de le voir repousser avec une unanimité aussi complète de la part de la droite.
Cet amendement n'avait qu'un but, c'était d'éloigner de l'électeur la surveillance, de le rendre plus libre, plus indépendant. Mais la droite ne veut pas, paraît-il, de cette liberté et de cette indépendance.
M. Thonissenµ. - Nous la voulons comme vous.
M. Eliasµ. - L'honorable M. Coomans qui est, je pense, un des chefs de la droite, dans le discours qu'il a prononcé hier, au lieu de préconiser l'indépendance et la liberté de l'électeur, n'a préconisé qu'une seule chose, la liberté des influences à exercer sur lui, la liberté du curé, du docteur et du bourgmestre, qui, selon lui, doivent pouvoir user de leur influence sur l'électeur.
Je vous l'avoue, messieurs, je redouterais pour nous tous de nous voir entrer dans une pareille voie. La liberté ne consiste pas à avoir quelques électeurs qui viendraient escortés de leurs clients élire un représentant ; la liberté consiste à avoir des électeurs libres et indépendants, votant chacun selon leurs convictions personnelles, et c'est là ce que vous ne voulez pas.
M. de Naeyer. - Ce ne sont pas des arguments, ce sont des injures cela.
M. Van Wambekeµ. - Certainement.
M. Thonissenµ. - Est-ce qu'on peut nous insulter, M. le président ?
M. Eliasµ. - Eh bien, messieurs, nous avons présenté un amendement qui n'offre aucun des inconvénients que l'on pouvait reprocher au premier, et si réellement vous voulez comme nous l'indépendance de l'électeur, si vous voulez le soustraire aux influences locales, votez-le donc avec nous ; vous prouverez ainsi que la droite n'est pas unanime pour repousser toute amélioration dans ce sens.
Cela dit, messieurs, j'arrive a l'amendement lui-même.
Cet amendement a pour but, comme je viens de le dire, de soustraire l'électeur, ne fût-ce que pendant un instant, aux influences locales, à la surveillance exercée par le voisin sur son voisin.
Que voyons-nous actuellement lorsque arrive une élection ? Une commune tout entière entre dans le bureau électoral ; aussitôt les agents électoraux de cette commune, placés aux deux côtés du bureau, surveillent tous les gestes et tous les mouvements des électeurs.
M. Magherman. - Le couloir est là.
M. Eliasµ. - Mais dans le couloir l'électeur ne restera pas deux secondes.
Le but de notre amendement est donc de soustraire l'électeur à la surveillance immédiate des voisins. Ce but est assez beau ; il aura des conséquences assez heureuses pour le pays, il amènera dans les communes assez de paix et de tranquillité après les élections pour que vous l'adoptiez. Il ne présente du reste aucun des inconvénients que l'on reprochait à l'ordre alphabétique général.
On disait que les électeurs des campagnes ne pourraient plus retrouver leur bureau. Eh bien, aucun de ces inconvénients ne se présente ici, les électeurs des campagnes viendront voter dans leur bureau ancien dont ils connaissent le chemin, et là ils pourront avec la plus grande facilité exercer leur droit.
On a dit encore : Les électeurs ne seront plus à même de se concerter entre eux en cas de scrutin de ballottage.
Cet inconvénient encore une fois n'existe plus ; les électeurs se trouveront au même bureau, au même endroit, ils pourront donc se concerter pour faire peser leur vote dans la balance du scrutin de ballottage.
On a allégué un inconvénient plus grave ; on a dit qu'il serait extrêmement difficile de constater l'identité de l'électeur ; qu'ainsi un électeur pourrait voter pour un autre, absent ou même mort. Je dois dire à l'honneur de la Belgique que cette fraude est extrêmement rare.
Du reste cet inconvénient n'est plus à redouter. Tous les électeurs de la même commune seront dans le même bureau, et là ils pourront vérifier si celui qui vote a le droit de le faire.
Voilà les principaux reproches qu'on a adressés à l'amendement tendant à prescrire le vote par ordre alphabétique général.
Maintenant, on fait au second amendement ce grief-ci : c'est d'être absolument identique au premier amendement qui a été repoussé. Evidemment, il est en partie le même, c'est-à-dire qu'il a le même but ; il ne l'atteindra pas d'une manière complète, comme le premier ; mais si nous pouvons prévenir une partie du mal, pourquoi n'adopterions-nous pas un amendement qui, sans être aussi utile que le premier, présente cependant certains avantages ?
On a dit encore que le second amendement était contraire à l'article 18 de la loi électorale. Cet article ne date pas de 1831, il date de 1843 ; nous avons modifié des articles de la loi électorale, de la loi communale et de la loi provinciale ; nous pouvons parfaitement modifier l'article 18.
On dit encore : Il y a de l'inconvénient à ne pas permettre aux électeurs les plus rapprochés de voter les premiers au premier tour de scrutin ; en cas de ballottage, de ne pas faire voter les électeurs de communes les plus éloignées, les premiers.
Messieurs, j'ai assisté à plusieurs élections ; et j'ai toujours remarqué que presque tous les électeurs étaient présents au commencement du scrutin, et que c'étaient surtout les électeurs des communes les plus éloignées qui étaient les premiers présents dans le bureau, tandis que les électeurs qui sont beaucoup plus rapprochés du bureau électoral arrivent les derniers, et très souvent pour le réappel.
J'ai remarqué encore que presque tous les électeurs restaient jusqu'à la fin du scrutin ; les passions politiques sont assez développées en Belgique, pour que les électeurs ne quittent pas le chef-lieu et ne retournent (page 1492) pas chez eux avant la fin du dépouillement, avant de connaître le résultat de l'élection.
Du reste, si l'électeur campagnard devait rester une demi-heure de plus dans le chef-lieu électoral pour avoir un degré d'indépendance de plus et de surveillance de moins, je crois qu'il préférerait se résigner à ce séjour un peu plus prolongé pour subir moins de surveillance et pour jouir de plus d'indépendance et de liberté.
Aujourd'hui de quoi vous parlent les campagnards lorsque vous les engagez a réclamer leurs droits électoraux, à se faire porter sur les listes ? Vous parlent-ils des dépenses qu'ils seront obligés de s'imposer pour aller voter ? non ; mais de la crainte qu'ils éprouvent d'être soumis à une pression contraire à leurs convictions, ou bien à deux pressions contraires.
Eh bien, c'est cette pression que nous voulons abolir ; nous voulons avoir un vote sincère ; nous voulons avoir des élections qui soient l'expression exacte de l'opinion du pays.
MpVµ. - Le sous-amendement suivant est parvenu au bureau :
« L'appel des électeurs est fait par ordre alphabétique sur une liste contenant les noms, prénoms, âge, profession et domicile de tous les électeurs de l'arrondissement, du canton, de la commune, si ceux-ci sont réunis en une seule assemblée, et les noms, prénoms, âge, profession et domicile des électeurs de la section, si le collège électoral est divisé.
« En cas de réclamation du chef d'erreur commise dans une liste d'appel, le bureau décide en ne prenant en considération que les listes officielles dressées par commune et qui sont affichées en vertu de l'article 23 de la loi électorale, de l'article 16 de la loi provinciale et de l'article 29 de la loi communale. »
M. de Macarµ. - Je déclare que, mes honorables amis et moi, nous nous rallions complètement à la nouvelle rédaction proposée par l'honorable M. Muller. Il ne fait que combler une lacune qui a été signalée hier par un honorable membre de la droite ; il rend parfaitement notre pensée.
MpVµ. - L'amendement de MM. Elias et consorts étant retiré, il ne reste plus que le sous-amendement de M. Muller.
M. Mullerµ. - C'est après avoir consulté les honorables auteurs de l'amendement déposé hier, et avec leur adhésion, que j'ai présenté la nouvelle rédaction que nous proposons d'inscrire dans la loi actuelle.
Rien n'est changé aux dispositions de notre législation, si ce n'est à l'article 18 de la loi électorale qu'abroge l'amendement déposé hier par mes honorables collègues. En effet, mon sous-amendement respecte et l'article 23 de la loi électorale et l'article 16 de la loi provinciale et l'article 27 de la loi communale.
Les auteurs de la proportion n'entendaient pas le moins du monde que la liste officielle, affichée dans la salle des élections, fût la même que celle qui sera dressée par ordre alphabétique ; cette liste officielle restera ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire conforme aux prescriptions de la loi actuelle.
Il n'y a donc pas, sous ce rapport, d'innovation dans le sous-amendement que j'ai proposé ; il renferme simplement une explication et un développement que j'ai crus nécessaires à la proposition de mes honorables amis, pour répondre à des objections qu'elle avait provoquées.
Je passerai en revue quelques-unes de ces objections.
De ce que la majorité, dont je n'ai pas fait partie, a rejeté la proposition qui avait été faite hier et qui se terminait par dire que l'article 18 de la loi de 1843 était abrogé, ce n'est pas sérieusement que l'on prétend que nous ne poumons plus modifier aujourd'hui, en quoi que ce soit, cet article 18. Ce que la Chambre a décidé simplement hier, c'est qu'elle n'entendait pas abroger cet article de la manière que le proposaient les auteurs de l'amendement relatif à l'ordre alphabétique général.
Je ne crois pas avoir besoin d'explications ultérieures pour démontrer que la Chambre ne sera nullement eu contradiction, en votant l'ordre alphabétique par section, après avoir repoussé hier l'ordre alphabétique général, dont j'étais partisan, et qui, pour le dire en passant, avait pour but de garantir l’indépendance et la liberté des électeurs, et aussi du faire cesser dans la loi cette (erraum, page 1514) démarcation qu'on exploite déjà trop dans le public, et que l'on trace entre les électeurs ruraux et les électeurs citadins. C'était pour moi un des avantages de ce nouveau mode de répartition du corps électoral.
L'honorable M. Dumortier a objecté : « Mais comment va-t-on faire l'appel et comment saura-t-on que l'électeur inscrit sur la liste alphabétique est réellement électeur ? »
Un autre membre a dit : « On ne connaîtra ni l'âge, ni la profession. »
Eh bien, messieurs, je propose d'inscrire les énonciations de nom, de prénoms, d'âge, de profession et de domicile absolument comme elles se trouvent inscrites aujourd'hui dans les listes dressées par la commune.
Maintenant, messieurs, en ce qui concerne le pouvoir prétendument arbitraire qui serait attribué soit au commissaire d'arrondissement quand il s'agit d'élections générales, soit au gouverneur lorsqu'il s'agit d'élections provinciales, soit au collège échevinal lorsqu'il s’agit d'élections communales, il n'y a aucun abus à craindre, et l'on a déjà pu s'en assurer par la lecture du deuxième paragraphe, que j'ajoute à l'article.
En effet, messieurs, si le commissaire d'arrondissement, le gouverneur ou le collège échevinal commettait des erreurs sur cette liste alphabétique, le remède se trouverait dans la liste officielle, affichée dans la salle, en vertu de l'article 23 de la loi électorale, de l'article 16 de la loi provinciale, et de l'article 27 de la loi communale, celui qui figure sur cette liste devra toujours être admis à voter.
L'inconvénient contre lequel on s'est récrié n'existait pas, au surplus, dans la proposition de nos honorables amis, encore moins dans leur pensée. Mon sous-amendement n'a pour but que d'être plus explicite à cet égard.
En résumé, quel inconvénient peut-il y avoir au mode que nous proposons ? Nous ne séparons plus les électeurs d'un même canton les uns des autres ; ils voteront dans le local où ils votent maintenant.
Tout ce qu'il y aura de changé, c'est que l'appel se fera par ordre alphabétique.
On a déjà répondu à l'objection qui consiste à dire que les électeurs les plus éloignés doivent pouvoir voter les derniers lorsqu'il s'agit du premier vote. Qu'importe, en effet, que d'après la loi ils votent les premiers ou les derniers, puisqu'elle leur permet toujours de prendre part au réappel ?
Quant au ballottage, j'ai une observation à ajouter à celles que vient de présenter mon honorable ami, M. Elias ; il faut bien remarquer que d'après la loi on vote par canton, et que lorsqu'on doit ajouter une commune à un canton, c'est la commune la plus voisine que l'on prend ; ainsi, les plus éloignées voteront toujours à peu près comme elles votent aujourd'hui : la perte de temps sera insignifiante.
Du reste, messieurs, comme on l'a dit, les électeurs viennent généralement en compagnie nombreuse et retournent de la même manière, en s'attendant, au besoin, les uns les autres. »
Ainsi, messieurs, si l'on n'a pas d'autres motifs que ceux que nous avons rencontrés pour combattre la proposition de MM. Elias, de Macar, Dupont et Giroul, telle que MM. Mouton et moi l'avons modifiée de commun accord avec eux, j'ai l'espoir qu'elle réunira la majorité.
Je comprends qu'à certains points de vue, bien qu'on ait eu tort d'en faire une question de parti, je comprends, dis-je, qu'à certain point de vue on ait repoussé l'ordre alphabétique général ; on objectait que cela empêchait les électeurs d'être réunis, de se concerter entre eux ; mais quant au nouvel amendement, dont nous nous occupons aujourd'hui, je ne crois pas qu'il y ait un seul argument sérieux à y opposer ; ni au point de vue de la facilité de son exécution, ni au point de vue de l'indépendance de l'électeur, ni au point de vue de l'équité.
- L'amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.
M. Jacobsµ. - Messieurs, je vois les inconvénients de l'amendement modifié par l'honorable M. Muller, et, jusqu'à présent, je n'en découvre pas les avantages.
L'honorable M. Allard, le premier de ceux qui ont présenté des considérations à l'appui de cet amendement, l'adopte, parce qu'il force tous les électeurs de la section à rester réunis dans le local, au lieu de ne s'y rendre que par commune ; l'électeur, noyé dans la foule, est plus libre et la surveillance est plus difficile.
L'honorable M. Allard s'est fait illusion. Il y a des locaux qui ne sont pas suffisants pour contenir les 400 électeurs de la section, et c'est pour cela qu'ils ne s'y trouvent pas réunis en même temps.
M. De Fré. - On peut les diviser.
M. Jacobsµ. - Mais fussent-ils assez vastes, il en résulterait que les électeurs s'y réuniraient par lettre au lieu de s'y réunir par commune.
M. Mullerµ. - Donc les locaux seront suffisants.
M. Jacobsµ. - Oui, mais donc aussi l'argument de M. Allard n'a pas de valeur.
(page 1493) Les locaux seront suffisants, parce que tous les électeurs ne s'y rendront pas à la fois.
La surveillance, dit-on encore, sera moins facile, attendu que les surveillants de chaque commune, qui se placent des deux côtés du bureau pour passer les électeurs en revue, le pourront moins bien qu'aujourd'hui. Remarquez que le nombre des surveillants est fort restreint dans chaque bureau électoral. Je ne crois pas qu'il y ait un surveillant par commune, mais en supposant qu'il y eût une par commune...
- Une voix. - Il y en a plusieurs.
M. Jacobsµ. - Supposons qu'il y en ait une douzaine dans le bureau électoral.
Ils resteront à proximité du bureau où les électeurs des lettres a, b, c, etc., se présenteront successivement. Vous leur imposerez un travail plus long. Au lieu de rester pendant les votes des électeurs d'une commune, ils resteront pendant ceux de tous les électeurs du bureau.
Voilà la seule différence que l'amendement pourra apporter à cet état de choses.
M. Orts. - Cela les engagera à partir.
M. Eliasµ. - Ils ne pourront y être tous à la fois.
M. Jacobsµ. - Il y aura place pour tous, dans quelque mesure que vous exagériez leur nombre. L'amendement ne remédie donc à rien et l'on n'a pas réduit à néant les critiques qui lui ont été adressées.
Il abroge l'article 18 de la loi de 1843.
L'honorable M. Muller n'y voit pas grand inconvénient.
Il n'y voit pas un avantage sérieux pour les campagnards, car, dit-il, après le premier vote il y a un réappel pour les retardataires, et, en cas de ballottage les électeurs restent jusqu'après le second tour de scrutin. Je lui réponds qu'au réappel, comme au premier scrutin, on commence par les communes les plus rapprochées, et on finit par les plus éloignées, de sorte que les électeurs qui aujourd'hui arrivent à temps pour le réappel, pourraient arriver trop tard d'après le système de l'honorable M. Muller ; et, quant au ballottage, il est certain que si un certain nombre d'électeurs reste jusqu'au résultat final, un grand nombre part avant le scrutin de ballottage et c'est ce qui explique les résultats des ballottages si différents de ceux du premier vote.
Comment se fait-il donc, si ce n'est pas là un argument sérieux, qu'on ait toujours reculé devant ce système ? La première fois que le vote alphabétique a été produit dans cette enceinte, l'objection a été présentée. On n'a reculé alors devant aucune complication. On n'a pas reculé devant un double travail ; la confection de listes alphabétiques par arrondissement, la division de cette liste entre les sections et l'application de l'article 18 de la loi de 1843 à ces listes de sections.
S'il ne s'était pas agi de remédier à des inconvénients sérieux, on n'aurait pas proposé des complications aussi longues et devant lesquelles les commissaires d'arrondissement reculent.
En 1863, lorsque la proposition a été faite par la section centrale d'établir le vote par ordre alphabétique, cette section proposait de maintenir l'article 18 de la loi de 1843 et d'imposer aux commissaires d'arrondissement ce fastidieux travail de confection des listes. Et que disait alors le rapporteur de la section centrale, l'honorable M. Moreaux ? Voici ses paroles, elles ne sont pas longues et elles sont instructives.
« On a dit et répété souvent, disait-il, qu'on insérait dans nos lois électorales des dispositions vexatoires pour les électeurs des campagnes, qu'on employait tous les moyens pour les écarter de l'urne électorale.
« Je demande qu'on veuille bien me les indiquer.... La loi de 1843 leur est-elle défavorable ? Non certes, elle contient deux dispositions à leur avantage. La première statue que, pour faciliter aux électeurs éloignés du chef-lieu l'exercice de leurs droits, on commencera le premier scrutin par l'appel des électeurs des communes les plus rapprochées, et qu'on suivra l'ordre inverse pour le scrutin de ballottage. La section centrale, si hostile prétendument aux électeurs des campagnes, maintient cette disposition. »
On comprenait donc, à cette époque, l'utilité de cette disposition et l'honorable M. Muller, qui aujourd'hui lui conteste toute valeur pratique, préconisait alors le vote par ordre alphabétique précisément comme accroissant encore cet avantage en faveur des campagnes ; il déclarait, dans la séance du 25 avril 1863, que le campagnard gagnerait au vote par ordre alphabétique, attendu qu'aujourd'hui, comme il le rappelait tout à l'heure, un canton constitue un bureau en sorte qu'il n'y a de différence que de commune à commune, tandis qu'en admettant le vote par ordre alphabétique il en serait résulté que, dans toutes les sections électorales, le chef-lieu voterait en dernier lieu et les communes rurales en premier. Il appréciait donc ce qu'il n'apprécie plus aujourd’hui : les avantages au point de yue de l'électeur des campagnes de l'article 18 de la loi électorale.
Pour moi, je suis partisan de toute mesure qui tendra à accorder une liberté complète aux électeurs, et quoique je ne me dissimule pas que le couloir ne sera pas une panacée, je consentirai probablement à le voter. Mais lorsque, sous prétexte de garantir la liberté de l'électeur, on aggravera le désavantage qui existe pour les campagnes. je ne me laisserai pas séduire. Je dois du reste faire observer que l'adoption de l'amendement de MM. Muller et Giroul serait un grand pas vers l'adoption de la proposition que vous avez repoussée avant-hier : l'abolition du ballottage. A ce titre-là je ne la déplorerai pas.
(page 1501) M. de Theuxµ. - Je crois qu'on n'aurait pas dû mettre en discussion l'amendement dont on s'occupe en ce moment. Qu'arrive-t-il dans toutes nos délibérations ? Quand on vote sur un amendement, il y a clôture sur l'article et sur les amendements, à moins que la Chambre n'ait expressément réservé un point spécial.
Mais quand, après le rejet de l'amendement présenté à un article, on vous présente un autre amendement qui est à peu près le même au fond... (Interruption.) Il est le même sauf une circonstance, la confusion des électeurs dans tous les bureaux ; voilà la seule différence.
- Une voix. - Elle n'est pas mince.
M. de Theuxµ. - C'est la seule différence et à cet égard ce qu'on appelle l'ordre alphabétique pourrait être appelé plus justement le désordre alphabétique et c'est pour cette raison que la Chambre l'a rejeté. On veut revenir à ce système, qui a été repoussé ; l'amendement dont nous nous occupons n'aurait pas dû être discuté, mais enfin puisqu'il est mis en discussion, nous tâcherons de répondre aux observations qui ont été présentées.
La droite, dit-on, ne veut pas de la liberté de l'électeur. Je suis étonné qu'on produise un tel argument dans cette Chambre. Que de fois n'ai je pas dit que la mesure principale, selon moi, était le secret du vote et, qu'avec le secret du vote, sérieux, complet, on pouvait se dispenser de pénalités, en matière d'élection, contre la corruption, parce qu'elle était sans effet ; du moment que l'électeur est réellement libre, tout est dit.
Messieurs, on n'aurait pas eu des centaines de bills électoraux en Angleterre, si les élections n'y avaient pas été publiques et à haute voix ; mais, objectera-t-on tout de suite, l'amendement tend à confirmer la liberté de l'électeur, à la rendre plus grande.
Non, messieurs, il n'en est absolument rien ; mais on a mis en avant une idée, et il faut la faire triomphe per fas et nefas. Voilà tout.
Mais, dit-on, le couloir n'est pas suffisant pour rendre la liberté à l'électeur qui se croit surveillé dans le bureau.
D'abord, je déclare que cette surveillance, dans le local même, est beaucoup moins grande qu'on ne le croit, et beaucoup plus difficile qu'on ne le pense. (Interruption.) Dans ma localité, je n'ai rien vu de pareil, je n'ai pas vu de surveillance exercée dans le local. Mais enfin, soit ! je sais aussi qu'à Louvain un des coryphées du parti libéral a été jusqu'à prendre un électeur par le bras, et le conduire, avec un bulletin à la main, jusqu'à l'urne. Si j'avais été le président du bureau, j'aurais repoussé cet électeur et son oppresseur.
Mais il suffit que cet abus puisse, de temps en temps, se présenter dans une certaine mesure pour que j'adopte très volontiers le couloir.
Mais, dit-on, le couloir est insuffisant ; l'électeur n'aura pas assez de temps pour stationner dans le couloir et pour faire ses réflexions sur les mérites des divers candidats.
Mais prenez-vous les électeurs pour des imbéciles ? Ne savent-ils pas pour qui ils doivent voter avant qu'ils entrent dans le couloir ?
C'est la plus grosse injure qu'on puisse faire au corps électoral ! Si c'est là la portée de l'esprit et de la moralité des électeurs, qu'on supprime les élections ; on fera beaucoup mieux ; car je n'accorde pas une ombre de valeur à des élections faites par des gens qui, avant d'aller au scrutin, ne savent pas pour qui ils voteront. C'est trop absurde pour s'y arrêter.
Ce qui est nécessaire, c'est que l'électeur puisse avoir dans ses poches des bulletins différents, qu'il en tire à son aise et suivant ses convictions. C'est dans ce but que j'approuve l'institution du couloir : le couloir n'a pas d'autre valeur.
Je ferai ici une observation qui trouvera sa place plus tard, mais que je présente dès maintenant, pour qu'on ne la perde pas de vue.
On dit que le bulletin remis par l'électeur sera plié. Mais sera-t-il toujours facile de maintenir ce pli intact ; le pli ne pourra-t-il pas éprouver une avarie quelconque dans la poche de l'électeur ? Il pourra y avoir plusieurs plis qui ne seront pas le fait de la volonté de l'électeur, qui auront été effectués sans aucune préméditation de sa part. J'appelle, dès à présent, l'attention de la Chambre sur ce point, et nous pourrons nous en occuper plus longuement, lorsque nous en arriverons à l'article que la chose concerne.
Ainsi, suivant moi, le couloir est pins que suffisant pour assurer la liberté complète de l'électeur ; tout le reste n'est que de la fantasmagorie et rien de plus.
Je dirai maintenant que l'amendement est une aggravation pour les électeurs. Afin d'arriver à ce système, il faut abandonner cette mesure si sage que les Chambres ont introduite en 1843, tendante à ouvrir le scrutin par les électeurs les plus rapprochés et à le terminer par les électeurs les plus éloignés : système qui donne à ceux-ci plus de facilités pour l'arrivée et le départ. C'est un avantage que l'amendement fait disparaître.
Et qu'on ne dise pas que tous les électeurs sont et seront toujours présents à l'ouverture du scrutin. Mais il est possible que l'électeur qui a une grande distance à parcourir, ait des soins à donner chez lui, qui ne lui laissent pas le temps d'arriver, lors de l'ouverture du scrutin, et de répondre à l'appel de son nom sur la liste alphabétique,
D'un autre côté, un électeur a peut-être besoin de retourner plus tôt chez lui ; une maladie dans la famille, des soins à donner à la rentrée de la récolte, beaucoup d'autres circonstances peuvent faite désirer à l’électeur de déposer plutôt son bulletin dans un scrutin de ballottage.
Messieurs, quant à moi je vois dans l'amendement, sinon identiquement, du moins à peu près la même pensée qui a donné le vote d'hier sur l'ordre alphabétique complet. C'est un système d'aggravation pour les électeurs. Personne ne peut le contester.
Croyez-vous que les paysans, dont quelques membres de cette Chambre semblent faire si peu de cas dans cette discussion, soient assez inintelligents pour ne pas se dire que quand il s'agit de la charge de la milice, charge que les paysans supportent pour la plus forte part, il y a beaucoup plus d'exemptions dans les communes urbaines, surtout dans les grandes villes, que dans les communes rurales ; que, quand il s'agit de la charge de la milice, on sait bien les reconnaître ; mais que quand il s'agit des droits politiques, de la nomination des représentants qui font des lois, on ne les reconnaît plus, qu'on les met à l'écart autant qu'il est possible de le faire ?
Ce raisonnement si simple pénètre dans les masses et les conséquences s'en font sentir, parce qu'évidemment, cette loi, telle que vous la faites, doit finir par semer un grand mécontentement dans les populations rurales.
(page 1493) M. Julliot. - Messieurs, on nous propose encore une fois une modification à la loi électorale, et, après avoir échoué en bloc, on veut nous faire adopter en détail la mesure que nous avons repoussée dans son ensemble, parce qu'elle est vexatoire et injuste.
Tous nous déclarons que nous ne voulons pas de loi de parti, et cependant plusieurs discours demandent tout ce qu'il faut pour en avoir une de cette espèce.
La passion politique est aveugle et fait souvent de la partialité, Comme l'autre faisait de la prose, sans le savoir, les trois honorables et inséparables collègues qui nous font cette proposition sont de bonne foi, et, je crois, ne veulent pas de loi de parti.
M. Dupontµ. - Nous sommes quatre.
M. Julliot. - C'est vrai. C'est involontairement que je vous ai oublié, car vous ne méritez pas cela.
Je dis donc que ces honorables membres proposent toutes les mesures propres à détourner l'électeur de la campagne de se rendre aux comices.
M. Giroulµ. - Croyez-vous, par hasard, avoir le monopole des votes des campagnards ? Les campagnes votent en majorité pour les libéraux.
M. Julliot. - Vous pouvez vous payer de cette monnaie, mais dans plusieurs districts, les électeurs sont éloignés de 25 à 40 kilomètres de chef-lieu, il n'y a ni chemin de fer ni voiture publique pour les y conduire.
Quelque diligence qu'ils fassent, ils n'arrivent à l'élection que vers 11 heures au plus tôt.
Eh bien, l'élection se fait à 9 heures, et quand ces électeurs seront présents, l'appel et le réappel des premiers noms seront faits, et ils pourront s'en aller comme ils sont venus ; on veut donc dépayser l'électeur et rendre le vote impossible à quelques-uns d'entre eux.
Je demande si c'est de l'esprit de parti, oui ou non, que de vouloir dégoûter à tout prix le campagnard de se rendre aux élections ! Je constate un fait sans incriminer les intentions. Dans la discussion du premier amendement, on disait que les opérations du vote dureraient si longtemps que le ballottage ne pourrait plus se faire.
Et l'honorable M. Giroul disait par interruption : Eh bien, ou le fera le lendemain ; il aurait dû ajouter : Et cela se fera entre nous en famille, quand les paysans seront partis.
M. Giroulµ. - Ce cas se présentera rarement.
M. Julliot - Vous n'en savez rien, mais il se présenterait inévitablement et l'élection serait faussée et violentée.
Messieurs, en 1848 nous arrivions à la Chambre, au nombre de 54 nouveaux membres, et chacun de nous avait une rénovation sociale en poche.
Les protectionnistes du littoral voulaient nourrir l'armée à la morue pour protéger la pêche nationale.
D'autres voulaient substituer la bêche à la charrue pour donner du travail national.
M. Crombez, rapporteur. - M. le président, faites rentrer l'orateur dans la question.
M. Julliot. - Comment ! j'écoute tout le monde, et quand je me lève à mon tour que j'invoque rarement, on m'empêchera de parler à moins que je ne fasse l'éloge de votre politique ! Cela me semble un peu fort.
Je continue, et je dis que moi je votais contre le budget des travaux publics parce que l'Etat exploitait un chemin de fer.
Eh bien, nous nous sommes heurtés à la pratique et nous avons perdu nos illusions.
(page 1404) Je ne fais pas, messieurs, allusion aux honorables auteurs de la proposition, car ils ont moins de prétentions que nous n'en avions, attendu qu'ils commencent leurs aspirations sociales par l'A B C mais cet alphabet est une arme cachée, une canne à épée dont les campagnards se méfieront en restant chez eux ; si c'est là ce qu'on veut, on est logique.
Messieurs, un homme politique peut être partial pourvu qu'il ne soit pas le gouvernement. Mais quand cette mission lui est dévolue, la passion politique lui est interdite, il est délégué pour gouverner tout le monde et non pas un parti, et celui qui gouvernerait pour un parti contre l'autre portion de la nation méconnaîtrait la mission élevée qui lui est confiée, et ses mains seraient indignes de conserver le pouvoir ; ce serait de la tyrannie au petit pied.
M. le ministre de la justice, qui est campagnard comme moi, ne voudra pas que l'honnête paysan soit plus vexé dans l'exercice de ses droits, que ne l'est le débitant de genièvre, cet ennemi naturel de l'ouvrier et e sa famille. Je repousse donc l'amendement.
M. Tack. - Je reconnais que le sous-amendement de l'honorable M. Muller remédie à un inconvénient que je signalais hier. En affichant les listes officielles dans la salle et en prescrivant que les bureaux devront avoir égard à ces listes pour apprécier les réclamations, on permet jusqu'à un certain point de redresser les omissions ; les honorables auteurs de l'amendement qui a été repoussé hier avaient aussi, nous dit l’honorable M. Muller, l'intention de faire juger les contestations et les réclamations d'après les listes arrêtées par les autorités communales et non d'après la liste d'appel. J'admets que cela fût dans l'intention des honorables membres, mais il y avait, dans l'hypothèse où le vote par ordre alphabétique d'après une liste générale applicable à tout l'arrondissement eût été adopté, une difficulté pratique.
Il aurait fallu afficher dans chaque bureau les listes électorales officielles, au grand complet, pour tout l'arrondissement ; ainsi à Bruxelles on aurait été astreint à afficher 24 fois, c'est-à-dire dans les 24 bureaux, toutes les listes de l'arrondissement.
Donc 24 copies à faire, contenant les nom, prénoms, domicile, de 12,000 électeurs et le montant des contributions qu'ils payent. On répond : Les listes officielles sont imprimées à Bruxelles ; cela est possible pour la ville de Bruxelles, mais n'existe pas, je pense, pour tout l'arrondissement, ni pour d'autres arrondissements du pays.
J'en viens à l'amendement que nous discutons en ce moment.
Qu'en est-il de cet amendement ? Il n'est que la reproduction partielle de l'amendement qui a été rejeté hier.
En voulez-vous la preuve ?
Lisez les articles 19 paragraphe 4 de la loi électorale et l'article 18 de la loi du 1er avril 1843. Voici leur texte :
« Art. 19 § 4. Lorsqu'il y a plus de 400 électeurs, le collège est divisé en sections dont chacune ne peut être moindre de 200 et sera formée par cantons ou communes ou fractions de communes les plus voisines entre elles. »
« Art. 18 de la loi du 1er avril 1843. L'appel des électeurs sera fait en commençant, au premier scrutin, par ceux des communes les plus rapprochées et au deuxième par ceux des communes les plus éloignées. »
Maintenant rapprochons ces textes de l'amendement que nous avons repoussé hier ; que demandaient les honorables auteurs de cet amendement ? Deux choses, l'abrogation du paragraphe 4 de l'article 19 de la loi électorale et de l'article 18 de la loi du 1er avril 1843, et en effet l'amendement rejeté hier porte en termes formels « l'article 18 de la loi électorale du 1er avril 1843 est abrogé. » Eh bien, le nouvel amendement que nous discutons en ce moment a pour but d'abroger l'article 18 de la loi du 1er avril 1843.
Vous avez décidé hier que l'article 18 serait maintenu ; aujourd'hui on vous propose de l'abroger. On avait le droit de demander la division hier, on ne l'a pas fait ; on est forclos.
Quels sont les inconvénients qu'entraînerait l'adoption du nouvel amendement ?
On vient de les indiquer ; je n'insisterai pas sur ce qui a été dit ; en deux mots : on rend l'exercice du droit électoral plus lourd pour les électeurs de la campagne en supprimant la disposition en vertu de laquelle les électeurs les plus éloignés votent les derniers au premier tour de scrutin et les premiers au deuxième tour de scrutin.
L'inconvénient est surtout grave au point de vue du ballottage ; je l'ai fait observer dans une autre séance, les opérations électorales dureront désormais plus longtemps par suite de la circulation derrière la cloison mobile, par suite de l'obligation imposée à l'un des scrutateurs de faire connaître le nombre de suffrages obtenus au fur et à mesure de la proclamation des votes par le président, et surtout, si la mesure est adoptée, par suite du mélange des bulletins dans une même urne.
Un autre inconvénient, c'est la multiplication des écritures auxquelles le nouvel amendement donnera lieu.
Aujourd'hui les listes officielles seront en même temps des listes d'appel.
Dans le système de l'amendement, il faudra remanier les listes officielles, ce qui pourra être une source d'erreurs.
On a fait observer que dans certaines villes en matière d'élections communales, les électeurs votent selon l'ordre alphabétique et non pas par sections de commune les plus voisines ; c'est là une infraction à l'article 22 de la loi communale ; mais comme elle est passée en usage, je crois qu'on ne pourrait pas en faire un moyen de nullité. Quoi qu'il en soit, on procède ainsi dans les villes, tout juste pour la raison pour laquelle on ne doit pas le faire lorsqu'il s'agit de la formation des bureaux électoraux comprenant les sections des électeurs de la campagne.
Celte raison est celle-ci, on évite ainsi des écritures dans les villes, on facilite le travail de révision parce qu'on n'est pas obligé, quand on dresse une liste unique par ordre alphabétique, de tenir compte de changements d'habitation qui font au domicile même.
Pour l'électeur de la ville, peu lui importe dans quel bureau il vote, il lui suffit de n'être pas obligé de s'éloigner de son domicile. L'ordre alphabétique lui donne au surplus cet avantage, c'est qu'il continue de voter toujours dans le même local, alors même qu'il a changé de demeure.
Arrive le jour des élections, et l'on se borne à diviser la liste électorale d'après l'ordre alphabétique, pour former les bureaux.
Faites voter les électeurs ruraux dans leurs sections respectives, par ordre alphabétique, et au lieu de faire usage des listes officielles comme cela se passe aujourd'hui, il faudra que l'on forme une seconde liste, différente des listes officielles.
Ainsi ce qui dans les villes, pour les élections communales est une simplification, devient une complication dans le système de l'amendement nouveau.
Eu résumé pour un avantage problématique, contestable, vous abrogez une disposition de loi utile, qui n'a donné lieu à aucun abus sérieux, et vous la remplacez par une mesure qui nécessitera une besogne superflue et de laquelle pourront naître de sérieux inconvénients.
M. Dumortier. - J'avoue que je ne conçois pas comment un seul amendement peut être proposé en présence de deux faits : en présence de la clôture prononcée hier sur la question, comme l'a dit avec beaucoup de raison mon honorable ami, M. de Theux, et certes après la clôture, on ne peut plus présenter d'amendement, en présence en second lieu du vote qui. a eu lieu hier.
Hier on proposait d'inscrire, dans la loi en discussion : L'article 18 de la loi électorale du 1er avril 1843 est abrogé. Qu'avez-vous fait ?
Vous avez rejeté cette disposition. Vous avez dit, en la rejetant, que vous mainteniez l'art. 18 delà loi électorale du 1er avril 1843.
Eh bien, que faites-vous aujourd'hui ? Vous venez précisément demander le retrait de l'article 18 de la loi du 1er avril 1843, vous venez demander justement le contraire de ce qui a été décidé hier.
C'est-à-dire qu'on vient prétendre que la Chambre doit dire que le blanc est noir et que le noir est le blanc à 24 heures de distance.
Il n'y a pas, messieurs, de contestation possible. Que porte l'article 18 de la loi de 1843 ?
L'appel des électeurs sera fait en commençant au premier scrutin par ceux des communes les plus rapprochées et au second scrutin par ceux des communes les plus éloignées. Je crois que c'est clair.
Que vous propose-t-on aujourd'hui ? L'appel des électeurs est fait par ordre alphabétique sur une liste comprenant le nom de tous les électeurs de l'arrondissement, du canton ou de la commune. Vous voyez donc que c'est l'abrogation de l'article 18 qu'on vous propose.
Eh bien, comme cette proposition a été rejetée hier, je suis fondé en droit, comme jamais on ne l'a été, de demander la question préalable et je la demande.
On ne peut pas ainsi se jouer du parlement. La Chambre ne doit pas se déjuger à 24 heures de distance. La Chambre a déclaré hier qu'elle ne voulait pas retirer l'article 18 de la loi communale et aujourd'hui on vient vous proposer de voter le contraire de ce que vous avez voté hier. Car, remarquez-le bien, messieurs, la disposition que l'on vous présente, (page 1495) soit celle de MM. Giroul et consorts, soit celle de M. Mulier, c'est le renversement de l'article 18. Encore une fois, l'article 18 établit qu'au premier vote on commencera par les communes les plus rapprochées et, au second vote, par les communes les plus éloignées. Voilà le vote par commune bien établi. Eh bien, on vient vous proposer de substituer à ce vote par commune, le vote par ordre alphabétique. C'est donc, encore une fois, renverser l'article 18 et c'est revenir sur le vote que la Chambre a émis hier.
Maintenant, messieurs, pourquoi tout ce mouvement en faveur de l'ordre alphabétique qu'on a appelé avec beaucoup de raison le désordre alphabétique ? Vous croyez envelopper votre pensée sous une foule de belles phrases, mais ce n'est un mystère pour personne, ce que vous voulez faire en dehors de la salle, ce que vous introduisez dans l'intérieur de la salle, tout ce que vous voulez faire par cette loi, en invoquant la sincérité du vote, je vais vous dire ce que c'est.
On entoure l'électeur d'une foule de précautions, d'une foule de garanties, jusqu'au couloir ; tout a été inventé pour laisser l'électeur à lui-même ; mais ce qu'on ne veut pas, c'est de laisser l'électeur à lui-même lorsqu'il arrive dans la ville ; on veut pouvoir l'attirer dans l'un cabaret ou l'autre afin de lui changer son bulletin.
L'ordre alphabétique, c'est l'organisation de la fraude ; vous espérez par là que les électeurs arriveront un à un, que vos agents pourront s'en emparer et escamoter leurs bulletins. Voila comment vous espérez conserver une majorité que vous n'avez pas dans le pays. Voilà le pourquoi de votre proposition. Si vous n'avez pas cette pensée, qui est percée à jour, vous n'en avez aucune ; vous n'avez pas d'autre raison pour demander le désordre alphabétique. Du reste, dans la séance d'hier, l'honorable M. Allard s'en est expliqué, et pour mon compte, je rends hommage à sa franchise. Voici ce que vous disait hier l'honorable M. Allard.
« On déjouera ainsi une fraude qui est, à nos yeux, la plus déplorable, celle qui consiste à ne pas perdre de vue l'électeur jusqu'au moment où il a déposé son vote. »
Ainsi, messieurs, la fraude, c'est de ne pas perdre de vue l'électeur ! Pourquoi ?
Parce qu'en ne perdant pas de vue l'électeur, on ne le laisse pas prendre. Voilà où est la fraude. Habemus confitentem reum.
Ce que vous appelez fraude, c'est l'obstacle opposé à vos petits moyens de retirer de la poche de l'électeur le billet avec lequel il est arrivé de son village.
Et que vous importe que l'électeur vienne ou ne vienne pas en compagnie des siens ? Oh ! cela vous dérange, nous l'avons entendu.
Mais, messieurs, soyons sincères : est-ce que l'électeur ne reçoit pas des journaux, des circulaires, des bulletins de tous côtés, et s'il arrive avec son bulletin en poche, est-ce qu'il n'a pas eu le temps de le choisir ?
Maintenant s'il aime à venir en compagnie de telle ou telle personne, que vous importe ? Du moins cet électeur-là, comme le disait hier l'honorable M. Coomans, n'est pas un électeur assermenté, il n'a pas vendu son vote sous sa parole d'honneur ! Eh bien, je déclare que si votre amendement passe, je déposerai un amendement pour empêcher qu'on ne vende son vote sous parole d'honneur.
Ainsi, messieurs, dans tout ceci il n'y a qu'un but unique, c'est d'empêcher les électeurs ruraux de se rendre ensemble au scrutin, car quand ils sont ensemble il est bien difficile de changer leurs bulletins. Pour cela il faut les prendre un à un, et c'est pour les faire venir un à un que vous avez inventé l'ordre alphabétique. Ce que vous voulez, c'est la fraude et la violence, et l'ordre alphabétique n'a pas d'autre motif.
On dit : Le vote se fait toujours par ordre alphabétique ; partout on procède par ordre alphabétique. Sans doute, messieurs, chaque fois qu'on appelle une commune, on procède par ordre alphabétique, parce que les listes des communes sur lesquelles on vote sont faites par ordre alphabétique. Et voyez dans quel embarras l'on se trouve : M. Muller lui-même est forcé de reconnaître qu'il y aura des listes par commune ; il dit qu'en cas de contestation ce sont les listes par communes qui feront foi.
Il y aura donc deux listes différentes dans la salle ; il y aura la liste par commune et la liste alphabétique. N'est-ce pas du désordre ?
Savez-vous, messieurs, messieurs, ce que je vois dans tout cela ? Ce sont « les signes du temps. » Tout vous déborde. Voyez les votes qui ont lieu tous les jours et partout. Voyez ce qui se passe dans le conseil provincial d'Anvers, dans le conseil provincial de Gand et ailleurs. Tout est contre vous. Mais vous ne savez pas vous décider à devenir minorité, et vous voulez employer la violence contre les électeurs, afin de rester majorité.
Eh bien, messieurs, en présence de pareils faits, en présence du vote d’hier, en présence de cette circonstance qu'après la clôture, on présente, sous une nouvelle forme, l'amendement qui a été rejeté ; en présence de tout cela, je propose la question préalable.
MpVµ. - Il y a eu clôture sur un amendement proposé et on n'a pas abordé la discussion de l'article.
M. de Brouckere. - Messieurs, plusieurs des honorables membres qui s'opposent à l'amendement que nous discutons en ce moment, ont indiqué plutôt que proposé une fin de non-recevoir.
Cette fin de non-recevoir est basée sur ce que l'amendement ne serait autre chose que la reproduction de l'amendement qui a été discuté et rejeté dans la séance d'hier.
L'amendement rejeté hier, qu'était-il, selon eux ? L'abrogation de l'article 18 de la loi de 1843. Or, l'amendement dont nous nous occupons en ce moment est aussi l'abrogation de ce même article. Donc il est la reproduction du premier.
Messieurs, veuillez remarquer que l'amendement qui avait pour but le vote par ordre alphabétique de tous les électeurs d'un arrondissement électoral avait encore bien autre chose en vue que l'abrogation de l'article 18 de la loi de 1843. Il introduisait une innovation considérable, une innovation des plus importantes.
L'amendement que les honorables MM. Giroul, de Macar et Elias ont présenté depuis le rejet du premier a une portée toute différente, une portée beaucoup plus restreinte.
Il est l'abrogation de l'article 18 de la loi de 1843, je le veux bien, mais au vote par ordre alphabétique de tous les électeurs d'un arrondissement électoral, il substitue le vote par ordre alphabétique des électeurs d'un bureau, ce qui est tout autre chose.
M. Dumortier. - C'est un sous-amendement cela.
M. de Brouckere. - Permettez. C'est tout autre chose, je le répète, que l'amendement rejeté hier, et la fin de non-recevoir est évidemment sans fondement.
Les honorables MM. de Theux, Tack et, si je ne me trompe, l'honorable M. Jacobs également, se sont servis eux mêmes d'expressions qui condamnent cette fin de non-recevoir.
Crs honorables membres ont dit, ont reconnu que l'amendement dont nous nous occupons est la reproduction partielle de celui que nous avons rejeté hier, et, ici, ils sont parfaitement dans le vrai. L'amendement est en effet la reproduction partielle de celui qui a été rejeté hier, mais il y a une si grande différence entre les deux propositions, que si j'avais été ici hier au moment du vote (et je venais justement de quitter la salle), j'aurais voté contre l'amendement qui avait pour objet le vote par ordre alphabétique de tous les électeurs d'un arrondissement et que je voterai sans hésiter en faveur de l'amendement proposé subsidiairement.
La différence entre les deux propositions est immense et je ne serai pas seul de ceux qui sont contraires à la première à donner mon adhésion à l'autre.
Je suis convaincu que nous serons nombreux à voter cette dernière. L'amendement qui vous est soumis en ce moment conserve en effet ce qu'il y avait de bon dans le premier et il en élimine ce que nous y trouvions de mauvais, de trop tranché, de trop hostile.
Vous pouvez vous y opposer, mais il n'en restera pas moins vrai aux yeux de tous les hommes impartiaux, que l'amendement ,tel qu'il est formulé aujourd'hui, n'a rien de fâcheux pour quelque catégorie d'électeurs que ce soit, pas plus pour les électeurs campagnards que pour les électeurs des villes.
Il est évident, en outre, que cet amendement n'a rien d'hostile, pas plus pour le parti catholique que pour le parti libéral. Il constitue une amélioration dans la manière de voter, un moyen d'assurer, autant que possible, la loyauté du vote, l'indépendance de l'électeur.
Je n'ai jamais été favorable au vote par ordre alphabétique appliqué d'une manière générale, mais, à mes yeux, l'amendement, tel qu'il est formulé aujourd’hui, n'est point hostile au parti catholique. Il n'est fâcheux pour aucune catégorie d'électeurs et c'est sans hésitation aucune que je le voterai, comme une véritable mesure de transaction.
MjTµ. - Messieurs, si l'amendement que nous discutons en ce moment était, comme l'ont prétendu différents orateurs, une aggravation pour les électeurs des campagnes, je n'hésiterais pas un seul instant à le combattre. J'ai repoussé hier la liste alphabétique parce que cet ordre d'appel devait rendre plus (page 1496) pénible aux électeurs de la campagne l’exercice de leur droit électoral. Le gouvernement l'a repoussé exclusivement pour ce motif tout en reconnaissant qu’il avait certains avantages.
Jusqu'ici on a bien parlé des aggravations qu'introduirait la proposition en discussion, mais on en a démontré aucune.
M. Coomans. - Cela est certain pour le ballottage tout au moins.
MjTµ. - On nous a dit d'abord qu'aujourd'hui les électeurs les plus éloignés votaient les derniers, et que les plus rapprochés votaient les premiers, qu'il n'en serait plus ainsi si l'ordre alphabétique était admis pour l'appel.
A cela on a fait une réponse péremptoire :
On a dit que ceux qui ne seraient pas arrivés pour l'appel voteraient au réappel.
L'honorable M. Julliot a alors objecté qu'ils pourraient n'arriver qu'après l'appel et le réappel ; eh bien, dans ce cas, ils seront venus trop tard : il en sera alors comme aujourd'hui, car le réappel ne commencera pas plus tôt, si l'ordre alphabétique est admis qu'il ne commence avec le mode actuel.
Du reste, messieurs, c'est une erreur de croire que ce sont les communes les plus éloignées qui arrivent les dernières. Ce sont au contraire les électeurs de la localité même qui arrivent toujours les derniers. C'est un peu l'histoire du lièvre et de la tortue.
Les plus éloignés sont ordinairement les premiers à leur poste ; ils mesurent leur temps en conséquence, et sous ce rapport, la proposition n'inflige aucun grief aux campagnards.
Quant au ballottage, nous savons aussi que l'électeur reste d'ordinaire jusqu'à la fin du scrutin.
Comme l'a dit l'honorable M. Muller, les sections se forment par canton et quand on parle des communes les plus rapprochées la comparaison ne rétablit qu'entre les communes du canton.
Les retards ne seront donc jamais grands, et l'on sait que presque toujours les électeurs d'un même canton viennent et partent ensemble.
L'honorable M. Tack nous a dit que nous prolongerions les opérations électorales. Il n'en est rien, et s'il devait en être ainsi je ne me rallierais pas à l'amendement. Nous allons le prouver tantôt quand nous serons arrivés à la discussion de l'amendement relatif à la confusion des bulletins : nous ne nous y rallierons pas par le motif que cette mesure est de nature à retarder les opérations électorales.
Avec l'ordre d'appel que l'on propose, les opérations auront lieu avec la même rapidité qu'aujourd'hui.
Enfin l'honorable M. Dumortier nous a dit que la mesure avait pour but et qu'elle aurait pour résultat d'empêcher les électeurs de se rendre ensemble au scrutin.
Je crois qu'il est parfaitement inutile de se livrer de part et d'autre à ces accusations ; elles pourraient être retournées à leurs auteurs. Je ne m'occupe donc pas de ce but qu'on prête charitablement à certains membres de notre opinion. Mais je dis qu'en fait l'objection n'est pas fondée, et pour que l'honorable M. Dumortier trouve, dans la mesure que l'on propose, l'inconvénient qu'il a signalé, il faut qu'il ne s'en soit pas rendu compte.
La vérité est que dans l'ordre alphabétique général cet inconvénient existait ; mais lorsqu'on fait une liste par ordre alphabétique pour tous les électeurs d'une même section, pourquoi ces électeurs ne peuvent-ils se rendre ensemble dans le local qui leur est assigné ?
Cette mesure n'a pas le moins du monde pour résultat de disséminer les électeurs. Ce que vous supposez être le but des auteurs de la proposition n'existe pas et vos motifs d'opposition tombent. La proposition ne présente donc aucun des inconvénients signalés.
M. Coomans. - Et le ballottage ?
MjTµ. - Je vous ai répondu tantôt quant au ballottage...
M. Coomans. - Je n'ai pas compris.
MjTµ. - J'en suis fâché, mais je ne puis cependant recommencer. Je répète que la mesure proposée ne présente aucun des inconvénients qu'on a signalés et que si elle constituait une aggravation nous ne l'accueillerions pas.
J'ajoute qu'elle présente au contraire des avantages. Ainsi tous les électeurs d'une commune pourront se présenter ensemble, ils n'auront pas besoin de se disséminer ; mais on ne pourra pas les tenir en charte privée dans un cabaret jusqu'au moment du vote. Les électeurs jouiront au moins d'un instant de liberté quand ils seront dans la salle où l'on vote, et cela est important. Vous en jugerez par le fait suivant que l'on a signalé comme s'étant produit l'année dernière à Gand et qui est le fait le plus odieux qui se soit passé à ma connaissance, en matière d'élections. Je n'affirme pas le fait, mais les journaux l'ont dénoncé et il n'a pas été démenti.
Il a été affirmé que des électeurs d'une commune avaient été placés sur deux rangs et qu'on les a visités sur le corps avant leur entrée dans la salle, afin de s'assurer s'ils n'avaient pas de billets.
Une fois entrés dans la salle, on leur donnait un bulletin, et on les surveillait jusqu'au moment où ils le remettaient dans l'urne.
Je demande s'il y avait encore pour ces électeurs l'ombre de la liberté. Evidemment non. Eh bien, je dis qu'avec le système que nous proposons, on aura beau visiter les électeurs, ceux qui voudront déposer dans l'urne un autre bulletin que celui qui leur a été remis, trouveront chez d'autres électeurs des bulletins conformes à leur opinion.
Je ne suis pas partisan de l'escamotage des bulletins, mais il faut que l'électeur à qui un bulletin a été remis puisse s'en procurer un autre s’il ne juge pas convenable de le déposer.
Je le répète, messieurs, la mesure proposée me semble avoir des avantages et pas d'inconvénient.
- Des membres. La clôture !
MpVµ. - Le bureau a reçu la proposition suivante : « Je propose la question préalable. Dumortier. »
- Cette proposition est mise aux voix par assis et levé ; elle n'est pas adoptée.
MpVµ. - Vient à présent le sous-amendement de MM. Muller et Mouton.
- Des voix. - L'appel nominal !
MpVµ. - M. Van Hoorde est encore inscrit ; insiste-t-il ?
M. Van Hoordeµ. - Oui, M. le président.
MpVµ. - Je dois vous faire remarquer alors que la clôture ayant été demandée, je ne puis vous accorder la parole que sur la clôture.
M. Van Hoordeµ. - Les développements que vous venez d'entendre me laissent peu de choses à dire, je demande à présenter quelques courtes observations...
MpVµ. - Insiste-t-on sur la clôture ?
- Des voix. - Oui ! oui !
M. Crombez, rapporteur. - Il est d'usage de laisser parler après le ministre.
M. de Moorµ. - Laissons parler.
MpVµ. - Si la Chambre ne s'y oppose pas, je donne la parole à M. Van Hoorde.
M. Van Hoordeµ. - Messieurs, l'un des défenseurs de l'amendement qui a été rejeté hier disait que la dissémination des électeurs résultant du classement par ordre alphabétique rendrait la surveillance des agents électoraux impossible dans les grands collèges, mais il admettait que ce résultat ne serait pas atteint dans les collèges ne comprenant qu'une ou deux sections. Cette manière de voir exprimée par l'honorable M. Mouton était, me semble-t-il, la condamnation anticipée de la proposition qu'il a signée aujourd'hui avec l'honorable M. Muller.
Rien n'est plus évident, du reste. L'avantage que les partisans du vote par ordre alphabétique prétendaient devoir résulter de cette mesure ne peut incontestablement plus être invoqué, si elle est appliquée seulement aux électeurs d'une même section. Quand tous les électeurs qu'on veut surveiller sont réunis dans la même salle, peu importe le moment auquel ils doivent se présenter pour déposer leur vote.
D'un autre côté, si l'avantage possible, quoique fort contestable, dont les signataires du premier amendement ont argumenté, n'existe plus, si les défenseurs de cette mesure reconnaissent eux-mêmes qu'il ne serait réel que dans les chefs-lieux, où les électeurs se trouveraient disséminés dans trois sections au moins, d'un autre côté presque tous les inconvénients qui ont été énumérés à propos de l'amendement rejeté, subsistent toujours. On vient de le prouver. La mesure reste une mesure vexatoire pour les électeurs des campagnes, et son adoption abrogerait un article de la loi électorale, que les petits collèges, ceux qui n'ont qu'un seul bureau, ont surtout intérêt avoir maintenir.
Comme représentant d'un de ces collèges, je proteste contre cette abrogation. Généralement, ce sont les arrondissements les plus étendus qui possèdent le moins d'électeurs, et c'est surtout quand les distances à parcourir par ceux ci sont grandes, que cette disposition de la loi électorale est utile ! Il y a dans les arrondissements qui n'ont qu'un bureau, Marche, Maeseyck et Bastogne, des électeurs qui sont éloignés du chef-lieu de dix à douze lieues, et ils n'ont pas de chemins de fer.
Pouvez-vous exiger inutilement qu'un de ces électeurs soit présent (page 1497) l'ouverture du scrutin à neuf heures du matin, ou reste le dernier en cas de ballottage, le dernier sur environ six cents peut-être ?
Cela ne serait pas rationnel, et cela ne serait pas juste. Aussi je désire vivement que la Chambre fasse à la nouvelle rédaction de l'amendement de M. Giroul le même accueil qu'à son aîné.
- La discussion est close.
MpVµ. - Je mets aux voix l'amendement de M. Muller.
Il est procédé à l'appel nominal.
77 membres y prennent part.
50 membres répondent oui.
27 membres répondent non.
En conséquence la Chambre adopte.
Ont répondu oui :
MM. Giroul, Grosfils, Hymans, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Mulier, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Vleminckx, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Couvreur Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Macar, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck et E. Vandenpeereboom.
Ont répondu non :
MM. Jacobs, Julliot, Magherman, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Tack, Thonissen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Coomans, de Borchgrave, Delaet, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, d'Hane-Steenhuyse et Dumortier.
MpVµ. - Nous arrivons à l'article 4, ainsi conçu :
« Art. 4. Derrière la table où siège le bureau, sera dressée, jusqu'à la fermeture du scrutin, une cloison mobile, de deux mètres dix centimètres de hauteur, formant un couloir par lequel chaque électeur appelé, s'il n'est pas membre du bureau, passera isolément, pour aller remettre son bulletin.
« Cette cloison aura une longueur de quatre mètres au moins et en tout cas suffisante pour soustraire momentanément l'électeur à tous les regards.
« En face du bureau, il sera établi une balustrade qui n'en intercepte aucunement la vue et qui sera ouverte aux deux extrémités pour l'entrée et la sortie des électeurs. Le président veillera à ce que ces passages soient toujours libres pendant l'appel nominal et que personne n'y exerce de surveillance sur l'électeur. »
M. le ministre se rallie-t-il à cette rédaction de la section centrale ?
MjTµ. - Oui, M. le président, sauf cependant un léger changement de rédaction au premier paragraphe. Je proposerai de dire : « sauf les membres du bureau, » au lieu de « s'il n'est pas membre du bureau ; » attendu que les membres du bureau forment le petit nombre et que la rédaction proposée semble impliquer le contraire.
M. Crombez, rapporteur. - Nous nous rallions à ce changement.
M. Dumortier. - Je voudrais bien savoir comment on va organiser toute cette mécanique. (Interruption.) Je vois ici qu'on va faire des élections en coulisses, mais je ne comprends pas trop comment ces coulisses seront arrangées. Je vois bien qu'il va y avoir une cloison mobile derrière le bureau ; mais je demanderai d'abord si cette cloison sera enlevée après le vote. La loi n'en dit rien et cependant il est indispensable qu'elle s'en explique.
MjTµ. - Lisez l'article sur lequel vous parlez, vous y trouverez la réponse que vous demandez : La cloison sera dressée « jusqu'à la fermeture du scrutin. »
M. Dumortier. - Votre loi est tellement compliquée qu'il est bien permis de n'en point saisir tous les détails.
Mais j'ai une autre observation à faire, et celle-là je crois qu'on voudra bien la juger digne d'un examen sérieux.
En face du bureau, dit l'article, il sera établi une balustrade qui n'en intercepte aucunement la vue et qui sera ouverte aux deux extrémités pour l'entrée et la sortie des électeurs.
Ainsi voilà le bureau mis en cage : derrière il aura une cloison, en face il aura une balustrade ; il sera donc littéralement dans une prison cellulaire. (Interruption.)
M. De Fré. - C'est une mauvaise plaisanterie.
M. Dumortier. - Cela peut être une mauvaise plaisanterie pour M. De Fré qui a une confiance absolue dans les opérations du bureau ; mais je ne saurais partager sa manière de voir, moi qui n'admets nullement qu'on doive avoir à priori, dans les membres du bureau, une confiance tellement illimitée que le sort de l'élection sera complètement abandonné au bureau seul.
Il importe que les électeurs puissent surveiller tout ce qui se passe au bureau ; or, je le demande, comment, avec cette balustrade, cette surveillance pourra-t-elle encore être exercée ; comment, en cas de contestation, les électeurs pourront-ils encore faire valoir leurs réclamations ?
Et puis, je le demande, quelle est l'utilité de cette balustrade ? Quant à moi, il m'est impossible de découvrir aucune espèce d'intérêt à tout ce mécanisme ; je n'y vois qu'une chose incontestable, c'est que les opérations électorales vont se prolonger indéfiniment. Un électeur ne pourra entrer dans le couloir qu'après la sortie du précédent et ce n'est rien exagérer en prédisant que la durée des opérations va en être doublée et même, triplée.
M. Coomans. - Et s'il y en a qui restent cinq minutes dans la cloison ?
M. Bouvierµ. - C'est qu'ils auront besoin de changer leur bulletin.
M. Dumortier. - Maintenant je voudrais bien savoir combien de temps l'électeur pourra rester dans cette mécanique. (Interruption.)
M. Thonissenµ. - La question est très importante.
M. Crombez, rapporteur. - Je demande la parole.
M. Vermeireµ. - Je la demande aussi.
M. Dumortier. - Aura-t-il le loisir d'y lire les professions de foi du candidat ? (Interruption.) Avant d'accepter une telle proposition, il faut cependant bien en connaître la portée. Je demande donc qu'on veuille bien me dire comment les choses vont se passer avec tout cet entourage de précautions contre les électeurs.
M. Crombez, rapporteur. - Parmi les observations que vient de présenter l'honorable M. Dumortier, il en est une à laquelle je répondrai.
L'honorable membre a demandé combien de temps l'électeur pourra rester derrière le couloir ; à mon tour, je lui demanderai combien de temps il peut mettre aujourd'hui à déposer un bulletin à l'appel de son nom. Avez-vous aujourd'hui un moyen quelconque de forcer un électeur à répondre immédiatement à l'appel de son nom ? (Interruption.) Les choses se passeront à l'avenir comme elles se passent aujourd'hui ; l'objection que l'on a faite s'applique aussi bien au mode actuel de procéder qu'à la mesure qui vous est proposée.
M. Vermeireµ. - Il est important, selon moi, qu'on détermina exactement le temps pendant lequel l'électeur pourra rester dans le couloir. Et en effet, pourquoi établit-on le couloir ? Précisément pour soustraire l'électeur aux influences qu'on voudrait chercher à exercer sur lui ; en d'autres termes, pour lui donner le temps de changer le bulletin qu'il aura dû accepter et pour en écrire un autre s'il le désire. Or, si l'on accorde la faculté d'écrire les bulletins dans le couloir n'est-il pas évident que les opérations électorales vont se prolonger indéfiniment ? Je dirai même que si l'on continue à composer les sections électorales de 400 électeurs, il deviendra extrêmement difficile pour ne pas dire impossible de terminer les opérations électorales en un jour, surtout quand deux partis en lutte se présenteront au scrutin en force numérique à peu près égale.
Messieurs, l'invention du couloir n'est pas du tout moderne : ainsi que le rappelle la section centrale, on en a déjà fait usage à Rome, et il n'a pas empêché la république romaine de tomber dans la plus profonde décadence, de s'éteindre dans le césarisme et de voir se perpétuer les fraudes électorales.
Je crois, messieurs, qu'au lieu d'imaginer tout ce luxe de mesures vexatoires on eût infiniment mieux fait de prescrire tout simplement l'emploi d'une enveloppe uniforme qui eût garanti la sincérité et la liberté du vote aussi sûrement que votre couloir.
Maintenant je demanderai s'il existe une différence entre la cloison mobile et le couloir proposé par la section centrale.
Vous remarquerez, messieurs, que sur six sections, cinq se sont prononcées en faveur de la cloison mobile et une seule en faveur du couloir, ce qui indiquerait que les sections n'ont pas été aussi unanimes qu'on le dit pour proposer cette mesure.
M. Crombez, rapporteur. - C'est une erreur : la section centrale a voté exactement comme les cinq sections qui ont demandé la cloison mobile.
(page 1498) M. Vermeire. — Eh bien, je demande s'il y a une différence entre la cloison mobile et le couloir.
M. Crombez, rapporteur. - La cloison mobile est placée devant et le couloir derrière ; il n'y a pas d'autre différence.
M. Vermeireµ. - Voici ce que je lis dans le rapport de la section centrale :
« Cette innovation a été accueillie favorablement par les sections. Seulement les 2ème, 3ème, 4ème, 5ème et 6ème sections proposent de remplacer le couloir par une cloison mobile placée derrière le bureau. Cette modification a été adoptée par la section centrale. »
Il est donc certain que la cloison et le couloir ne sont pas la même chose.
Pour moi, messieurs, je ne suis pas opposé en principe à l’établissement d'un et même de plusieurs couloirs, mais je me préoccupe beaucoup des lenteurs qui vont résulter de toutes ces entraves apportées aux opérations électorales ; et à ce point de vue j'insiste de nouveau sur une idée que je crois partagée par la grande majorité des membres de cette Chambre ; celle de réduire de 400 à 200 électeurs les sections électorales. De cette façon, on pourra terminer toutes les opérations électorales le même jour, même en cas de ballottage.
(page 1501) M. Coomans. - Je ne répéterai pas les épithètes diverses, mais justes, que j'ai accolées à votre cloison mobile. Je me bornerai à quelques observations d'une portée pratique.
Mais d'abord je dois dire qu'en discutant la proposition qui nous est soumise, je me place surtout au point de vue de la dignité du corps électoral, car je ne conçois pas, je le déclare, qu'il y ait derrière ce couloir un intérêt de parti : vous passerez tous, comme nous, sous ce joug ; votre humiliation sera aussi grande que la nôtre, et quant aux résultats électoraux, je crois qu'ils seront assez insignifiants.
M. Bouvierµ. - Nous verrons cela.
M. Coomans. - C'est qu'alors vous verrez plus clair que moi derrière votre couloir. Quant à moi, jusqu'à présent, je n'y vois rien qu'une vexation superflue, qu'un soufflet donné à nos juges dans les comices.
Il est très important de savoir combien de temps l'électeur pourra rester derrière le couloir ; car s'il prétend qu'il a dû y écrire son bulletin, afin de le rédiger librement, et si ce bulletin porte 11 et jusqu'à 18 noms, il lui faudra bien quelques minutes. (Interruption.)
Il est vrai, comme le dit l'honorable M. Pirmez, qu'aujourd'hui un électeur peut écrire son bulletin dans la salle des élections. Mais cette opération n'interrompt pas la votation ; aujourd'hui, si un électeur est en retard et se fait trop attendre, il est libre au président d'appeler un autre nom.
Mais, aux termes de votre projet de loi, tous les électeurs doivent passer isolément dans l'obscur couloir comme des moutons de Panurge, ou si vous l'aimez mieux, comme les Grecs dans la caverne de Polyphème. (Interruption.) Oui, tous les électeurs doivent traverser celle sorte d'antre de Trophonius, ce honteux labyrinthe, un à un.
Eh bien, s'il en est ainsi, comment le bureau s'y prendra-t-il, sans violer le secret des opérations électorales, pour forcer un électeur qui est dans le couloir, à hâter ses pas ?
Aujourd'hui, je le répète, si un électeur se fait un peu attendre, le président appelle un autre électeur ; tout se fait en plein jour, presque sub dio et coram populo ; il n'y a nul inconvénient, si les opérations électorales ne sont pas interrompues. Mais si la promenade par le couloir (page 1502) s'opère lentement, si l'électeur engagé dans le couloir secret se fait attendre, que de commentaires, soit qu'il y écrive, soit qu'il fasse autre chose, vous sentez qu'on attendra, avec une curiosité impatiente, sa sortie de cette coulisse à marionnettes. (Interruption.)
Je demande que l'honorable rapporteur s'explique sur ce point.
Autre chose : Qui de nous n'a pas vu des électeurs écloppés prendre part au vote, appuyés sur le bras d'un autre électeur ? Je connais beaucoup d'électeurs auxquels il est impossible de marcher seuls ; eh bien, les forcerez-vous de se promener seuls derrière le couloir ? Et l'aveugle ? (Interruption.)
L'honorable M. Bouvier se fait-il fort de l'y conduire, lui qui ne voit que des lumières derrière le couloir ?
Que ferez-vous enfin d'un aveugle, d'un écloppé, d'un rhumatisé, d'un paralysé, enfin d'un infirme quelconque ? Ce sont les électeurs les plus respectables, surtout quand à leur infirmité se joint un grand âge ? Les forcerez-vous à marcher seuls derrière le couloir ? On vous devez forcément, d'après le texte de la loi, les éconduire ; ou si vous ne voulez pas les éconduire à qui permettrez-vous de les accompagner ? et si vous permettez qu'un compagnon soit donné à ces électeurs, que de fraudes on a encore une fois à craindre ! Car je me place à votre point de vue. Je suppose des fraudeurs et des fraudes volontaires ; l'un se fera boiteux, l'autre se fera aveugle. Qui donc jugera de la sincérité des excuses ? (Interruption.) On me dit que l'électeur aveugle se fera accompagner de son chien. Je le veux bien, mais oserez-vous introduire ces bêtes dans la loi ? (Interruption.)
Ceci est très sérieux. Je suppose qu'un électeur demeure trop longtemps derrière la cloison mobile, quel moyen aurez-vous de l'en faire sortir ? Sera-t-il appelé et ramené par un membre du bureau ? Le sera-t-il par des gendarmes ? Je ne le pense pas ; le sera-t-il par des électeurs désignés ad hoc ? Il faut une décision sur ce point.
En second lieu, je demande comment vous obligerez les aveugles, les boiteux, les infirmes, en général, à marcher seuls, lorsqu'ils ne le peuvent pas. Ayez la bonté de m'expliquer ce miracle-là ? Votre loi est muette à cet égard ; dites-moi comment vous ferez marcher seuls des hommes qui ne savent pas marcher ? (Interruption.) Jusqu'ici vous avez fait des choses merveilleuses, inouïes, mais vous n'avez pas encore fait voir clair à des aveugles et rectifié les jambes des boiteux.
L'électeur aura-t-il le droit d'écrire son bulletin derrière la cloison ? Vous devez le lui permettre, pour être logique, car il se peut que le fraudeur ait pris tant de précautions que l'électeur en retard n'ait qu'un seul bulletin, celui qu'il ne veut pas jeter dans l'urne. Eh bien, il faut lui laisser le temps d'écrire son bulletin derrière la cloison. Voilà au moins trois minutes, si l'électeur est parfaitement lettré ; il lui en faudra davantage s'il ne l'est guère. Eh bien 3 minutes de perdues, dans un bureau qui compte 300 électeurs, cela fait 900 minutes ou 15 heures. Voilà ce que vous aurez gagné avec votre couloir.
Autre observation. Il y a dans l'article une innovation qui me déplaît encore, parce que je crois y découvrir la même pensée qui a fait naître le couloir. Je m'imagine qu'on tient particulièrement à isoler le bureau autant que l'électeur ; qu'on tient particulièrement à investir les membres du bureau d'une sorte d'omnipotence, d'un arbitraire aussi large que possible, et qu'on veut empêcher le contrôle des opérations du bureau par les électeurs. Je ne sais pas trop si le couloir par derrière et la balustrade par devant n'ont pas été inspirés par cette pensée-là.
Or, à mon sens, le bureau est déjà investi de beaucoup trop de pouvoirs, de beaucoup trop de confiance légale. La composition du bureau me déplaît beaucoup ; elle m'est très suspecte et je voudrais que cet inconvénient fût amorti et compensé par la facilité donnée à tous les électeurs de circuler autour du bureau sans prendre des notes, je le veux bien, mais en leur permettant l'usage de leurs yeux et au besoin de leurs oreilles.
Je le répète, le bureau est déjà investi d'un pouvoir presque despotique. Désormais le bureau sera complètement isolé des électeurs et il pourra faire à peu près tout ce qu'il voudra, à cause du couloir qui le protégera par derrière, de la balustrade qui le protégera par devant, et vous inventerez peut-être encore quelque chose qui le protégera à droite et à gauche, surtout à droite. Je ne sais plus alors quel sera le contrôle que les électeurs pourront exercer sur te bureau.
Messieurs, un dernier mot. Supprimons tout cet attirail d'opéra comique et laissons les électeurs circuler librement dans la salle. Donnez-leur au moins cette liberté-là, puisque vous leur en enlevez tant d'autres.
M. de Theuxµ. - J'ai quelques observations critiques à présenter sur cet article.
Je ne sais si aujourd'hui que l'on vient d'adopter l'ordre alphabétique, le couloir a encore une raison d'être suffisante. Je sais qu'il peut encore présenter une certaine utilité, mais je demande si ses inconvénients, en présence du vote par ordre alphabétique, ne dépassent pas ses avantages.
L'observation qu'a faite l'honorable M. Coomans relativement aux aveugles et aux infirmes est très juste, et je crois que le bureau doit être autorisé, à la demande de l'électeur, à recevoir directement son bulletin, sans l'obliger à passer par le couloir. Si cela n'était pas dans la loi, l'on dépouillerait certains électeurs de leurs droits. Cela ne peut pas être.
Mais ce n'est pas tout. La seconde observation est relative au temps pendant lequel on pourra rester dans le couloir.
Cette observation, je l'avais présentée dans la section centrale de 1862, qui s'était occupée de cette même question. Car l'honorable M. Muller, je pense, est l'inventeur du couloir : c'est lui qui l'avait présenté dans la section centrale de 1862, en majorité libérale, et la section centrale, sur mes observations, avait rejeté le couloir.
Voici les raisons que je faisais valoir alors, je disais : Cela peut devenir un moyen d'organiser une fraude. Un parti qui aurait intérêt à retarder les opérations électorales, parce qu'il prévoit, par exemple, un ballottage, afin d'être assuré qu'il ne restera plus aucun électeur de la campagne, ou parce qu'il aurait envie d'empêcher les élections de s'accomplir en un seul jour, pourra organiser les choses de manière que l'élection ne puisse être effectuée dans la journée même.
S'il est admis que l'électeur peut écrire dans le couloir, cela prendra infiniment de temps. Ce pourrait être de bonne foi qu'il eût l'intention d'écrire un bulletin, mais aussi ce peut être une machination.
On peut s'entendre de telle manière que 40 à 100 électeurs aient le mot d'ordre et disent : Nous allons passer dans le couloir, nous y resterons plusieurs minutes ; on ne pourra pas nous en faire sortir, et alors l'élection n'aura pas lieu le même jour ; il faudra que les électeurs reviennent dans huit jours ou reviennent le lendemain, si le bureau décide absolument que l'élection n'ayant pu s'accomplir le même jour, on continue le lendemain. Ce serait évidemment là un scrutin frauduleux et une majorité qui validerait une pareille élection ne serait pas digne de la confiance du pays.
Messieurs, je voudrais sérieusement, ainsi que je l'ai dit tantôt, que le couloir fût mis en pratique ; mais quel moyen ? Peut-on déterminer le temps pendant lequel l'électeur restera dans le couloir ? Et ainsi que l'honorable M. Coomans l'a dit, alors même que la loi déterminerait le temps maximum, comment l'en faire sortir quand il y est ?
II y aurait peut-être un moyen, messieurs : c'est qu'au lieu d'un couloir, on en eût une demi douzaine placés par numéros d'ordre, et que le président ne voyant pas sortir l'électeur entré dans le couloir n° 1, fît appeler l'électeur suivant, qui passerait par le couloir n° 2, et si celui-ci ne sortait pas non plus, fît appeler encore un électeur qui passerait par le n° 3. (Interruption.)
Messieurs, je commence à craindre sérieusement qu'au lieu d'organiser une précaution électorale, vous organisiez une fraude électorale, et à moins qu'on ne me donne de bonnes raisons, je suspends au moins mon vote relativement au couloir. Je le répète, je l'ai combattu sérieusement en 1862, et mes raisons ont été trouvées assez bonnes pour déterminer la majorité de la section centrale à le repousser. Je l'aurais adopté, malgré les inconvénients qu'il présente, si l'on n'avait pas adopté l'ordre alphabétique. Mais aujourd'hui que l'on a adopté cette panacée si merveilleuse, désirée depuis une dizaine d'années, par quelques hommes qui croient que par là ils vont dominer les élections et couler la droite, je crois qu'ils doivent être satisfaits et qu'ils ne doivent pas insister pour le couloir.
C'est encore un moyen dont je crains les conséquences, et je suis très incertain sur le vote que j'aurai à émettre.
(page 1498) M. Crombez, rapporteur. - Je dois rencontrer d'abord une observation quia été présentée par l'honorable M. Vermeire.
Il a demandé si l'électeur pourra écrire son bulletin dans le couloir ? Evidemment non ; il ne peut avoir le droit d'écrire son bulletin derrière la cloison, pas plus qu'aujourd'hui l'électeur appelé n'a le droit de faire attendre le président et de retarder les opérations pour écrire son bulletin. L'électeur passant derrière la cloison mobile sera dans la même situation que l'électeur qui, aujourd'hui, à l'appel de son nom, va déposer directement son vote. Les associations politiques, les candidats font des distributions de bulletins, chacun pourra donc, en passant derrière la cloison, être muni du bulletin qu'il voudra déposer.
L'honorable M. Vermeire a demandé quelle différence il y avait entre la cloison mobile et le couloir.
Nous avons, messieurs, modifié la proposition du gouvernement, parce que l'on a fait remarquer que ce couloir, placé au milieu de la salie, présenterait quelques inconvénients, et que dans beaucoup de communes l'on ne pourrait trouver des locaux suffisants pour y disposer un couloir conforme à la description du projet de loi, tandis que la cloison mobile, qui n'est qu'un simple paravent, pourra se placer et s'enlever à volonté.
Dans les observations de l'honorable M. Coomans, il y en a qui iraient très bien un jour de mardi gras. La Chambre, me permettra de ne pas y répondre.
On a dit : Mais si l'électeur reste trop longtemps derrière la cloison ? Les présidents ont la police des assemblées, et si un électeur reste trop longtemps, on en appellera un autre et l'on fera partir celui qui reste derrière la cloison.
M. Coomans. - On le fera partir !
M. Crombez, rapporteur. - Certainement. Le président, qui a la police de l'assemblée, en aura le droit.
Que ferait-on aujourd'hui si un électeur ne voulait pas se présenter à l'appel de son nom ? On passerait à un autre.
L'honorable M. Coomans a dit aussi que ce couloir était une humiliation pour l'électeur. En vérité, je regrette que de semblables arguments soient produits dans cette enceinte. Est-ce que les jurés sont humiliés parce qu'on les enferme dans une espèce de boîte, parce qu'on prend contre eux différentes précautions ?
Maintenant, messieurs, il y a une objection qui a un caractère sérieux.
M. Coomans. - Ce n'est pas une observation de Mardi gras.
M. Crombez, rapporteur. — C'est pour cela que j'y réponds, parce que ce n'est pas une de ces facéties dont vous avez émaillé votre discours.
Evidemment un aveugle ne peut pas passer par le couloir ; mais c'est au président de prendre des mesures pour que ces électeurs puissent voter.
- Un membre. - Il faut le dire dans la loi.
M. Crombez, rapporteur. - Il n'est pas nécessaire de le mettre dans la loi, cela va de soi.
M. Thonissenµ. - Et les infirmes ?
M. Crombez, rapporteur. - L'honorable M. Coomans a encore dit que le bureau est isolé, devant par la balustrade, derrière par le couloir et qu'il n'y aura plus de contrôle. Cette observation est juste en tant qu'elle s'applique à l'appel nominal, mais elle ne l'est plus dès qu'il s'agit du dépouillement.
M. Coomans. - Et s'il y a contestation pendant le scrutin ?
M. Crombez, rapporteur. - Actuellement les électeurs ne peuvent pas s'approcher de la table et se tenir en permanence devant le bureau.
Parmi les observations de l'honorable comte de Theux, il en est une qui m'a touché :
« Un parti pourrait s'entendre, dit-il, pour retarder les opérations. » Messieurs, la même entente pourrait avoir lieu aujourd'hui. (Interruption.) C'est exactement la même chose.
M. Hymans. - Messieurs, les observations présentées par l'honorable M. Coomans en faveur des infirmes, des aveugles et des paralytiques me paraissent parfaitement justes et puisque le projet de la section centrale fait une exception pour les membres du bureau, je propose d'ajouter après les mots « les membres du bureau » ceux-ci : « et les infirmes ».
M. de Naeyer. - Mon intention n'est pas de m'opposer au couloir, que je considère comme un moyen utile dans une certaine mesure pour garantir le secret du vote, qui est une des bases de notre système électoral ; mais j'ai quelques observations à faire sur la balustrade qui doit être placée en face du bureau.
C'est encore une innovation, et je n'en vois pas trop l'utilité. Je crains même que cette balustrade ne soit un obstacle à ce que les électeurs exercent une surveillance sérieuse sur la remise des bulletins ; or, veuillez remarquer que, sous l'empire de la nouvelle loi, la remise des bulletins aura plus d'importance qu'elle n'en a eu sous la loi actuelle. En effet, messieurs, dans l'article que nous avons voté hier, nous admettons que le bulletin déposé dans l'urne ne peut plus être attaqué sous prétexte qu'il porterait à l'extérieur un signe distinctif ; aujourd'hui, au contraire, le bulletin qui serait dans ce cas pourrait être annulé.
La surveillance qui s'exerce pendant la remise des bulletins deviendra donc plus importante ; il sera plus nécessaire que chaque électeur puisse exercer un contrôle à cet égard. Or, si la balustrade est placée à une trop grande distance, ce contrôle sera bien difficile et en quelque sorte impossible. Je sais bien qu'il est dit dans le paragraphe 3 que la balustrade ne peut pas intercepter la vue, mais sans intercepter la vue, elle pourrait avoir pour effet d'éloigner tellement les électeurs, qu'il leur serait impossible de surveiller sérieusement l'état des bulletins qui sont remis au président et de signaler ceux qui porteraient quelque signe distinctif à l'extérieur.
En Hollande les bureaux des sous-districts ne sont chargés absolument que de présider à la remise des bulletins, attendu que le dépouillement général se fait au bureau principal du district électoral, et cependant il y a dans la loi hollandaise une disposition qui porte formellement, que la table placée devant le bureau doit être disposée de telle sorte que toutes les opérations puissent être surveillées par les électeurs. Je voudrais que ce droit de surveillance, qui appartient incontestablement aux électeurs fût également consacré dans la loi par une disposition formelle.
Je ne sais pas s'il y aurait un inconvénient à dire au paragraphe 3 que « la balustrade sera placée de manière à permettre aux électeurs de surveiller la remise des bulletins. » Toutefois, messieurs, j'aimerais encore mieux qu'on supprimât la balustrade, dont je ne vois pas l'utilité.
M. Mullerµ. - Messieurs, nous sommes tout à fait d'accord, l'honorable président de la section centrale et moi, avec l'honorable M. de Naeyer quant à la portée de l'article ; mais il ne s'est pas aperçu, ou il a oublié probablement, qu'il est dit dans l'article que la balustrade ne peut en aucune façon intercepter la vue du bureau.
M. Thonissenµ. - Il importe qu'on puisse voir de près.
M. Mullerµ. - Vous ne pouvez pas mettre la balustrade tout contre les sièges occupés par les membres du bureau, car l'électeur passant derrière la cloison mobile ne serait pas suffisamment à l'abri des regards, et il faut nécessairement qu'il y ait un espace libre lorsqu'il vient remettre son vote au président.
Remarquez, d'ailleurs, que vous n'avez pas le droit, d'après le système actuel, d'entourer le bureau avant le dépouillement du scrutin. Seulement, l'opération de la remise des bulletins dans l'urne doit être faite à la vue du public, et cela continuera à avoir lieu d'après l'article 4, tel qu'il est rédigé.
Dans l'opinion de la section centrale, la balustrade est indispensable, (page 1499) et je considère l'amendement de l'honorable M. de Naeyer comme inutile.
M. Dumortier. - Messieurs, il me semble qu'il y a un moyen plus simple, c'est de ne pas avoir de balustrade. Elle est complètement inutile.
MjTµ. - Elle est indispensable.
M. Dumortier. - Etablissez une balustrade à droite et à gauche du bureau, cela suffit ; mais n'en mettez pas devant, car c'est entourer le bureau de toutes parts et dès lors comment voulez-vous que les opérations puissent être surveillées ?
Dès l'instant que vous avez un passage à droite et à gauche, c'est tout ce que vous devez désirer.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
- La discussion est close.
MpVµ. - M. de Naeyer, insistez-vous sur voire amendement ?
M. de Naeyer. - Oui, M. le président.
MpVµ. -Il y a un amendement de M. le ministre de la justice, qui consiste à dire : « Sauf les membres du bureau » au lieu de « s'il n'est pas membre du bureau. »
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
MpVµ. - Il y a ensuite l'amendement de M. Hymans, qui consiste à ajouter : « Et les infirmes. »
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
MpVµ. - Vient maintenant l'amendement de M de Naeyer ; il est ainsi conçu :
« En face du bureau il sera établi une balustrade ouverte aux deux extrémités pour l'entrée et la sortie des votants et placée de manière a permettre aux électeurs de surveiller la remise des bulletins. »
- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
MpVµ. - Je vais mettre aux voix l'article 4 par appel nominal.
M. de Smedt. - Je demande la division sur l'article 4. Je demande qu'on vote d'abord les deux premiers paragraphe et qu'on vote après sur le dernier, qui est relatif à la balustrade.
MpVµ. - La division est de droit ; je mets aux voix les deux premiers paragraphes.
Il est procédé à l'appel nominal.
71 membres y prennent part.
52 membres répondent oui.
16 membres répondent non.
3 membres s'abtiennent.
En conséquence la Chambre adopte.
Ont répondu oui :
MM. Giroul, Grosfils, Hymans, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Vleminckx, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier, Braconier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Macar, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Smedt, Devroede, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck et Ernest Vandenpeereboom.
Ont répondu non ;
MM. Julliot, Magherman, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Vander Donckt, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Coomans, Delaet, de Liedekerke, de Mérode et de Ruddere de te Lokeren.
Se sont abstenus :
MM. Jacobs, de Theux et Dumortier.
MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. Jacobsµ. - Je n'ai pas voulu m'opposer à ce qu'on fît l'expérience de ce labyrinthe ; mais, d'un autre côté, je n'ai pas voulu en assumer la responsabilité.
M. de Theuxµ. - Messieurs, j'ai dit à la Chambre que le principe en tant qu'il donne plus de garantie pour le secret du vote, me plaisait, mais que les conséquences pratiques qui peuvent en résulter me déplaisent. Si je pensais que cette loi dût continuer d'exister en ce qui concerne notamment ce couloir, j'aurais voté contre.
M. Dumortier. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que mes honorables amis.
MpVµ. - Il y a maintenant le paragraphe 3.
- Ce paragraphe est mis aux voix et adopté.
L'article 4 est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à quatre heures.