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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12 juillet 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1389) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants et électeurs de Rebecq-Rognon prient la Chambre de donner la préférence au système qui consiste à remettre à chaque électeur des bulletins imprimés portant les noms des candidats sur lesquels il effacerait à la plume ceux qui ne lui conviendraient pas. »

« Même demande d'habitants de Fayt-lez-Seneffe. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les fraudes électorales.


« Le sieur Durinck, ancien soldat congédié pour infirmité contractée par le fait du service, demande une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« MM. de Muelenaere et Lelièvre obligés de s'absenter demandent des congés de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi relatif aux fraudes en matière électorale

Article premier

MpVµ. - Nous arrivons au troisième amendement, celui présenté par l'honorable M. Jacobs.

MjTµ. - Messieurs, l'honorable M. Jacobs propose d'ajouter à l'article premier un paragraphe ainsi conçu : « Sera puni de la même peine quiconque, pour faire inscrire ou pour maintenir un citoyen sur les listes d'électeurs ou d'éligibles, aura payé ses contributions en tout ou en partie.

« La poursuite sera prescrite trois mois après le payement.»

Je ne puis pas me rallier à cet amendement qui prévoit un fait qui ne me semble pas devoir être puni. En effet, il doit arriver de deux choses l'une : ou bien l'individu qui sera inscrit sur les listes électorales possédera les bases du cens, et alors évidemment il n'y a pas de fraude, si l'on paye pour un électeur qui se trouve dans la gêne, qui a éprouvé des revers de fortune, qui ne peut payer pour le moment : il n'y a rien de délictueux dans le payement que l'on fait pour lui ; ou bien il ne possédera pas les bases du cens, et alors il commettra une fraude qui est prévue par l'article premier et l'on aura le droit de se pourvoir pour le faire rayer.

Le délit doit consister dans une déclaration frauduleuse et s'il y a déclaration frauduleuse, il y a d'une part l'action en radiation, de l'autre l'action pénale. Mais du moment que l'électeur est dans les conditions déterminées par la loi, je ne vois pas pourquoi on punirait celui qui payera pour lui. Punira-t-on, par exemple, une père qui aura payé pour son fils.

Dans ce cas il n'y a pas de fraude : la fraude consisterait dans le fait de se faire inscrire sur les listes électorales alors qu'on ne possède pas, en réalité, le cens.

On a reproché à la loi d'être une loi d'intimidation : il est bon de constater que l'article premier ne prévoyait qu'un seul fait, et que, grâce aux amendements de la section centrale et à l'amendement de l'honorable M. Jacobs, il y en aura quatre qui tomberont sous l'application de la loi.

Je le constate pour prouver que nous n'avons pas fait une loi d'intimidation, une loi draconienne, puisque l'on trouve encore à ajouter nos propositions.

J'engage la Chambre à ne pas adopter l'amendement de M. Jacob qui, je le répète, ne s'applique pas à un fait délictueux.

M. Jacobsµ. - Je répondrai d'abord à l'observation par laquelle M. le ministre de la justice vient de terminer. On a, dit-il, traité la loi de mesure d'intimidation, et voilà qu'on veut augmenter encore les délits qu'elle crée.

Nous pouvions, messieurs, faire de deux choses l'une : nous reposer sur le progrès des mœurs ou bien sur le perfectionnement des lois ; j'aurais préféré la première, mais on a adopté l'autre. Je prends donc la base du projet de loi, j'en tire les conséquences, je les complète et je propose de punir les fraudes qui y ont été omises. Puisqu'on veut réprimer les fraudes, qu'on les réprime toutes.

Le fait spécial qui a donné lieu à mon amendement n'est pas punissable, d'après M. le ministre de la justice, car, ou bien vous possédez les bases et il n'y a aucune fraude, aucun fait illégitime ; ou bien vous ne possédez pas les bases et alors l'article premier du gouvernement prévoit le cas.

Messieurs, ce dilemme ne me paraît pas irréfutable et je vais citer deux lacunes que mon amendement comble et qui permettent de véritables fraudes.

On nous a parlé de la réduction de la patente qui peut se faire par la connivence d'employés et de répartiteurs dans le but de faire rayer des électeurs de la liste ; la contrepartie peut se faire en augmentant la contribution d'un individu, soit la patente, soit l'impôt sur le débit des boissons, soit tout autre. Eh bien, si l'on élevait la cote d'un contribuable et qu'il fût obligé de payer lui-même, il réclamerait et la fraude deviendrait impossible ; mais lorsque des agents politiques lui disent : Ne réclamez pas contre la majoration de votre cote, c'est nous qui payerons la différence à votre décharge, il y a là une véritable manœuvre frauduleuse.

Ne pas voter mon amendement, c'est paralyser le projet de loi relatif au payement effectif du cens électoral, que nous a transmis le Sénat, car le fait de Gand, qui a donné naissance à ce projet de loi, pourrait se reproduire sans difficulté.

Je suppose, en effet, la loi votée et un certain nombre d'électeurs se trouvant dans le cas où se trouvaient les 73 électeurs gantois ; qu'une association politique vienne, au dernier moment, payer une année de contribution pour ces électeurs, verser pour le compte de chacun d'eux 42 francs et des centimes, ils seront maintenus sur la liste moyennant une léger sacrifice. Rejeter mon amendement, c'est donc annuler le projet de loi sur le payement effectif du cens électoral, et l'on pourra créer autant de faux électeurs que l'on voudra, car la base est très facile à simuler ; il suffit pour cela d'avoir une bouteille de liqueur et quelque-verres.

La meilleure garantie de contrôle serait de s'enquérir du point de savoir par qui s'opère le payement de l'impôt. S'il s'opère par un tiers, il ne sera la plupart du temps qu'un moyen fictif d'éluder les dispositions de l'article premier.

Je prie donc la Chambre d'adopter mon amendement qui atteint un but que tous nous devons désirer.

M. Coomans. - Messieurs, je trouve très dangereuse la doctrine que vient de nous prêcher M. le ministre de la justice.

L'honorable ministre semble perdre de vue que, d'après la Constitution, la base du droit de suffrage, c'est l'argent et l'argent seulement.

La Constitution a supposé la capacité politique chez des citoyens payant une certaine somme de contributions directes.

Il est clair que vous allez à rencontre du texte et de l'esprit de la Constitution, si vous permettez à des citoyens d'exercer un droit politique, alors qu'ils n'en ont pas la base, c'est-à-dire l'argent.

On se récriait l'autre jour, lorsqu'un membre de cette Chambre émettait le vœu de voir les fermiers locataires possesseurs de 100,000 et de 200,000 francs inscrits sur les listes électorales.

On disait : Mais si ce principe était admis, un grand propriétaire pourrait créer autant d'électeurs qu'il lui conviendrait. Il y a du vrai dans ces observations, mais ce qui est bien plus vrai, c'est que si la doctrine du gouvernement était adoptée, si l'amendement de mon honorable ami M. Jacobs était rejeté, surtout après l'adhésion du gouvernement (page 1390) à cette doctrine, il serait permis à des capitalistes non propriétaires, à des associations politiques, de créer juste autant d'électeurs que leurs convenances politiques l'exigeraient.

Il est très facile de créer des électeurs en leur payant des contributions fictives. (Interruption.) Mais quoi, messieurs, n'est-il pas évident que dans beaucoup de cas la patente du cabaretier complète le cens législatif ! Eh bien, on fera prendre un certain nombre de patentes par des gens qui n'auront pas même la peine de verser du genièvre.

Je déclare que c'est renverser absolument le principe constitutionnel que je viens d'indiquer et qui exige que le droit électoral soit basé sur l'argent, que de permettre à des tiers de remplir les conditions imposées à des individus,

Tel n'a pas pu être le sens de la loi en vertu de laquelle nous voulons promulguer ces dispositions nouvelles. La loi, je le répète, est une loi d'argent. Si vous permettez à un citoyen de faire remplir cette condition par des tiers, vous renversez la base essentielle du droit de suffrage.

Remarquez-le bien, messieurs, c'est au point de vue de la logique législative seulement que je soutiens cette thèse, car la base de l'argent comme droit électoral me répugne profondément et dès que les circonstances seront favorables, je me joindrai à beaucoup de membres de cette Chambre pour en demander la suppression. Mais puisque nous vivons, puisque nous légiférons sous l'empire de la Constitution belge, &soyons-y fidèles et que ceux-là surtout y soient fidèles qui ont osé me reprocher de ne pas l'être.

MjTµ. - Messieurs, la Constitution belge a eu de meilleurs interprètes que l'honorable M. Coomans et ces interprètes ont décidé que ce n'est pas le payement, mais la possession des bases du cens qui constitue la condition du droit électoral.

M. Coomans. - C'est le payement effectif de l'impôt.

MjTµ. - C'est une erreur, ceux qui ont interprété la Constitution l'ont interprétée dans ce sens, que c'était la possession des bases qui constituait la condition du droit électoral et c'est à cette théorie que je suis fidèle en combattant l'amendement de M. Jacobs.

M. Coomans nous dit que rien ne sera plus facile que de faire de faux électeurs. Cela est inexact ; il ne sera pas aussi facile qu'on le pense de faire de faux électeurs, parce qu'il faut posséder les bases du cens et que, s'il y a eu fraude, il y a des autorités pour le déclarer. Un individu qui n'aura à sa maison que deux ou trois fenêtres ne pourra déclarer qu'il en a 4 ou 5. S'il n'a qu'un ou deux foyers il ne peut en déclarer un plus grand nombre. S'il n'a qu'un seul domestique non sujet à l'impôt, il ne pourra déclarer qu'il en a plusieurs ; il ne pourra déclarer qu'il a un cheval de luxe, s'il n'en possède pas, et ainsi de suite.

M. Coomans. - Il y a d'autres bases.

MjTµ. - Il y a d'autres bases, oui ; prétendez-vous qu'il est possible de faire des déclarations supplétives de patentes, de patentes de cabaretiers, de débitants de boissons ou de tabac ? Mais, pour pouvoir payer la patente de débitant de boissons ou de tabac, il faut exercer ce commerce ; si l'individu qui a fait sa déclaration de débitant de boissons n'exerçait pas ce commerce ou ne l'exerçait pas d'une manière sérieuse, la députation le rayerait de la liste : la députation ne doit pas s'arrêter à la simple déclaration que l'on a faite ; elle a qualité pour examiner si l'individu qui fait la déclaration exerce sérieusement son commerce.

Ainsi, on m'a dit que dans une commune, en un jour ou deux, un grand nombre d'individus avaient fait des déclarations de débit de boissons ; c'est, je crois, dans une commune de l'arrondissement de Bruxelles.

- Un membre. - De Nivelles.

M. Mullerµ. - La députation de Liège en a rayé 73.

MjTµ. - Il faudrait supposer les députations dépourvues de jugement pour croire qu'elles maintiendraient tous ces individus sur les listes, et ce ne serait pas la première fois que des radiations auraient été opérées. Lorsque les autorités constateront que les déclarations ne sont qu'un moyen de fraude elles rayeront des listes électorales ; mais lorsqu'elles auront reconnu que la personne inscrite possède les bases du cens, il n'y a plus de raison de punir celui qui payerait ses contributions pour la maintenir sur les listes électorales.

Je ne veux pas contester que cela ne puisse donner lieu à quelques abus, mais cela suffit-il pour faire admettre le principe que l'on veut consacrer, pour faire décider que payer les dettes d'autrui deviendra dorénavant un délit ? Ce principe me paraît extrêmement grave ; il serait en outre inapplicable, car on ne parviendrait jamais à établir qui a payé ou bien il faudrait avoir recours aux moyens les plus inquisitoriaux.

Je pense donc que l'amendement de M. Jacobs ne peut pas être adopté.

M. Dumortier. - Je regrette de ne pas partager l'opinion de M. le ministre de la justice sur la Constitution. Que porte l'article 47 de la Constitution ?

« La Chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale... »

M. Coomans. - Payant...

M. Dumortier. - Que porte l'article relatif au Sénat ? La même chose. Que porte l'article 7 de la loi communale : « Pour être électeur, il faut... 3° verser au trésor de l’Etat, en contributions directes, patente comprise, le cens électoral fixé d'après les bases suivantes... »

MfFOµ. - Comment justifie-t-on ?

M. Dumortier. - C'est une autre affaire. (Interruption.)

MfFOµ. - C'est l'interprétation.

M. Dumortier. - J'y viendrai ; veuillez, s'il vous plaît, ne pas m'obliger à marcher plus vite que je ne veux.

Je dis donc que constitutionnellement la base et l'unique base c'est le payement ; il faut payer, voilà la base de la qualité d'électeur : verser au trésor public ou payer, c'est la même chose.

Mais on me répond que cela ne suffit pas ; qu'il faut, de plus, posséder les bases. Cela est vrai ; mais ceci n'est plus que le corollaire du principe constitutionnel de versement.

Quand est-ce, messieurs, qu'on a imaginé cette condition des bases ? C'est en 1842.

En 1842, on est venu révéler dans cette enceinte que, dans une de nos provinces, un grand propriétaire avait créé un grand nombre d'électeurs en payant pour eux des impositions dont ils n'avaient point les bases.

A partir de ce moment, la base est devenue le point essentiel de la Constitution.

Cela n'est pas dans la Constitution, car je le répète, d'après la Constitution ce qu'il faut, c'est payer. Or, ce que propose l'honorable M. Jacobs, c'est qu'on ne puisse pas payer les bases d'un autre. Eh bien, je le demande, cet amendement n'est-il pas nécessaire, indispensable même ? Je crois que si M. le ministre de la justice avait sous les yeux le projet de loi qui nous a été transmis par le Sénat, il verrait qu'il est absolument indispensable d'admettre l'amendement de mon honorable ami.

Que vous propose-t-on par le nouveau projet de loi dont M. le ministre des finances a rédigé une nouvelle formule, ce dont je le remercie ? On vous propose de déclarer formellement que les cotes irrecouvrables ne serviront plus à donner la qualité d'électeur ; et ici on est logique, on est dans les principes de la Constitution.

Par l'article 6 du projet de loi dont vous avez le texte sous les yeux, on dit que l'électeur qui n'aura point payé son impôt, même depuis deux ans, pourra verser son impôt le jour même où il devrait être rayé de la liste électorale. Ainsi, nous voici à la veille d'une élection dans une grande ville et que se passe-t-il ?

Prenons le fait qui a eu lieu à Gand, et ici je prie mes honorables collègues de l'arrondissement de Gand d’être bien convaincus que je cite cet exemple sans aucune arrière-pensée. On trouve 72 électeurs qui vont être rayés de la liste électorale parce qu'ils n'ont point payé leur contribution depuis deux ans ; que fait-on ? On demande leur radiation et d'après la loi que vous allez faire, la radiation sera de droit.

Or, il suffirait, d'après les systèmes de nos contradicteurs, de payer pour le compte de ces électeurs pour pouvoir créer 72 électeurs de plus, si l'amendement de l'honorable M. Jacobs n'est pas admis. Vous voyez donc qu'il est indispensable d'adopter cet amendement. Cette disposition est de toute nécessité, surtout en présence de la loi que le Sénat nous a envoyée et dans laquelle se trouve ce principe que lorsqu'on est signifié de déchéance on peut encore payer l'impôt.

Si l'amendement était rejeté, vous ouvririez la porte à des fraudes considérables ; vous auriez des élections qui seraient faites par de faux électeurs.

M. Bara. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. Jacobs est ainsi conçu :

« Sera puni de la même peine quiconque pour faire inscrire ou pour (page 1391) maintenir un citoyen sur les listes d'électeurs ou d'éligibles, aura payé ses contributions ou en partie. »

Il est évident que l'honorable M. Jacobs n'a entendu punir ce fait que pour autant qu'il a pour résultat une corruption électorale ; car l’honorable membre ne punira pas le cas prévu par le ministre de la justice, ou une personne aura avancé à un contribuable, momentanément dans l'impuissance de payer, les fonds nécessaires pour opérer ce payement. Je ne crois pas que ce soit là une corruption électorale.

M. Jacobsµ. - Il ne s'agit pas de corruption électorale ; il s'agit seulement de l'inscription ou du maintien d'un citoyen sur les listes.

M. Bara. - Posons bien le cas posé par l'honorable M. Jacobs. Il ne s'agit pas d'une personne qui se serait attribué des contributions dont elle n'aurait pas réellement les bases ; ce cas est prévu par l'article premier du projet de loi. Ce n'est pas de cela que l'honorable M. Jacobs a parlé ; il a parlé d'individus qui, possédant les bases de l'impôt, ne payeraient pas l'impôt, impôt que d'autres viendraient payer pour lui.

Dans cette hypothèse, les autres personnes qui payent pour lui, peuvent le faire pour deux motifs. D'abord, elles peuvent n'avoir d'autre désir que d'obliger un citoyen ; elles peuvent lui donner de l'argent, pour le faire maintenir sur les listes électorales, sans qu'elles aient absolument aucun intérêt à l'élection.

Un électeur qui se trouve dans ce cas se présente chez un banquier il lui demande de lui prêter l'argent nécessaire pour être maintenu sur les listes ; le banquier lui prête l'argent, sans aucune intention frauduleuse, sans se soucier le moins du monde du vote de cet électeur ; vous iriez condamner ce banquier ! ce n'est pas possible ; ce qu'il fait est parfaitement licite. Ce n'est pas cela que l'honorable M. Jacobs a voulu punir.

Mais ce qu'il a entendu punir, et il l'a dit, ce sont les associations électorales et les agents politiques qui payeraient les cotes irrecouvrables de citoyens, en vue d'avoir leur vote. Le but de M. Jacobs est donc évidemment d'empêcher qu'on ne maintienne des électeurs sur la liste par le payement de leurs cotes. (Interruption.) Il ne suffit pas de dire : « Ce n'est pas cela », il faut prouver que le fait n'est pas licite. Or il est parfaitement licite de prêter de l'argent à un individu pour lui permettre de remplir telle ou telle obligation. (Interruption.) Voulez-vous que du moment où l'on a une dette envers l'Etat on ne puisse plus emprunter. (Interruption.)

Eh bien, la donation est désintéressée, c'est-à-dire que le donateur n'impose au contribuable aucune condition, qu'il ne lui dit pas : « vous voterez pour un tel » ou « vous ne voterez pas pour un tel, » mais qu'il tienne seulement à ce que ce contribuable, homme honorable, ne soit pas rayé de la liste des électeurs, uniquement parce qu'il se sera trouvé dans un moment de gêne. Vous êtes obligés de dire que le fait est illicite parce qu'il a pour but d'attribuer à tel ou tel candidat le vote de cet électeur, sinon vous punissez des faits qui sont parfaitement licites et que la morale universelle approuve. Eh bien, si le fait a pour but de faire donner une voix de plus à un candidat déterminé, alors il est puni par l'article 11, qui porte :

« Sera puni d'une amende de 50 à 500 fr. et de l'interdiction des droits de vote et d'éligibilité, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, quiconque aura donné, offert ou promis soit de l'argent, soit des valeurs ou avantages quelconques sous la condition d'obtenir un suffrage ou l'abstention de voter.

« Seront punis des mêmes peines ceux qui auront accepté les offres ou promesses. »

Ainsi donc, si, comme vous le prétendez, une association libérale va payer les cotes irrecouvrables de certains électeurs afin d'obtenir des voix pour les candidats que cette association patronne, ce fait tombe évidemment sous l'application de la loi.

Il est vraiment curieux, messieurs, que les hommes du programme de M. Dechamps tiennent tant à diminuer le nombre des électeurs, eux qui voulaient, au contraire, l'étendre par tous les moyens possibles. Je laisse aux honorables membres de la jeune droite le soin de mettre d'accord ces différentes tendances.

M. Coomans. - Il me semble que l'amendement de mon honorable ami a un double but : il a pour but, il est vrai, d'empêcher que des payements fictifs, et selon nous frauduleux, ne donnent une valeur légale et politique aux obligations exigées par la loi financière, mais il a aussi pour but de faire respecter ce principe constitutionnel du payement effectif du cens.

Veuillez remarquer, messieurs, la contradiction où tombent nos honorables adversaires ; ils répriment des actes qui ont pour but unique de faciliter l'accomplissement d'un devoir politique, c'est-à-dire qu'ils ne veulent pas que l'on prête ou que l'on donne de l'argent aux électeurs pour leur permettre de se rendre au chef-lieu d'arrondissement afin d'y exercer un droit et remplir un devoir, mais ils permettent de créer les bases mêmes du droit ; ils ne veulent pas qu'on facilite l'exercice du droit, mais ils permettent qu'on crée le droit lui-même. Il me paraît qu'il y a une très grande différence entre les deux faits.

D'après l’honorable M. Bara, rien de plus légitime, de la part d'un citoyen riche, que d'aider un citoyen pauvre et de payer pour lui sa contribution alors même que ce payement aura pour résultat le maintien du citoyen pauvre sur la liste électorale et probablement sans vote approbatif. L'honorable M. Bara trouve ce fait très légitime, c'est-à-dire qu'il permet la création du droit, mais il proscrit les mesures qui tendent à faciliter l'exercice du droit. Eh bien, quoique je ne sois point partisan des frais électoraux, n'importe lesquels, il me semble cependant qu'il est bien plus légitime de prêter ou de donner de l'argent pour faciliter l'exercice d'un droit que d'en donner pour créer les bases mêmes de ce droit. (Interruption.)

La base c'est l'argent ; il n'y en a pas d'autre dans tout notre système électoral, et vous allez à l’encontre de la pensée de la loi fondamentale et de la pensée de tous les législateurs qui ont pris la fortune pour base du droit politique ; lorsque vous permettez à des tiers de remplir les conditions financières, vous faites quelque chose de pareil à la création des vassaux du moyen âge et des illustres mendiants de la Rome antique. Vous créez le patronage politique qui est tout à fait contraire à la Constitution.

On n'a pas répondu à cette observation que désormais il sera permis aux associations politiques de payer les contributions de ceux qu'ils voudront faire porter sur les listes électorales. Eh bien, si cela est permis, toute votre loi sur les fraudes électorales n'a plus la moindre signification.

Je suis sensible au reproche que nous adresse l'honorable M. Bara, de vouloir diminuer le nombre des électeurs ; heureusement ce reproche tombe à faux en ce qui me concerne ; l'honorable M. Bara n'ignore pas que si je n'avais pas devant moi la respectable barrière de la Constitution je proposerais dès aujourd'hui...

M. Bara. - Elle ne vous gêne guère.

M. Coomans. - Elle vous gêne beaucoup moins parce que vous savez la tourner ; mais je le regarde en face et je recule.

Je ne suis pas pour la diminution du nombre des électeurs, puisque je réfléchis depuis longtemps aux moyens à employer pour l'augmenter considérablement. J'ai indiqué un de ces moyens l'autre jour et je regrette de l'avoir indiqué en termes trop sommaires, et le reproche de M. Bara m'engage à m'en expliquer plus clairement. Je le ferai en quelques mots.

Je crois que le fermier locataire qui est propriétaire de 100,000 fr., de 200,000 fr. (propriété représentée par son bétail, par ses ustensiles aratoires, par les engrais enfouis dans la terre), est, au point de vue de la Constitution belge, au point de vue des principes professés et pratiqués par le législateur de 1831, plus en droit d'être électeur que le cabaretier par exemple ou même que le petit fermier qui ne possède que deux ou trois vaches, mais qui est propriétaire de ce sol valant peut-être le 1/4 ou le 1/10 du capital du fermier.

Or, comme il est impossible de méconnaître que le fermier locataire est propriétaire réel d'une partie du sol, de la partie du sol représentée par les engrais, je voudrais que le fermier locataire fût soumis à une patente équivalant par exemple à la dixième partie du revenu foncier.

MpVµ. - M. Coomans, vous n'êtes plus dans l'amendement.

M. Coomans. - Je réponds à l'honorable M. Bara. Le suffrage universel n'était pas dans l'amendement non plus. Je finis du reste. Je pense qu'il serait juste, utile et raisonnable d'imposer selon la pensée de l'honorable ministre des finances.

MfFOµ. - C'est la vôtre.

M. Coomans. - Vous me l'avez dit l'autre jour, de faire payer au fermier locataire un impôt équivalant au dixième de l'impôt foncier sous forme de patente, lequel dixième serait naturellement défalqué de l'impôt général. M. le ministre des finances n'y perdrait rien. Il recevrait en réalité le même nombre de millions, mais il aurait respecté la justice et la raison.

Voilà pour ce qui concerne l'accusation de l'honorable M. Bara ; je suis donc prêt à faire entrer dans les comices belges tous les fermiers locataires (page 1392) payant en réalité plus de 42 fr. de contributions, fermiers locataires dont la moralité et la capacité ne sont pas plus contestées, je pense, que celle des cabaretiers.

Ainsi donc ce que nous voulons empêcher, non pas conformément à nos principes, mais conformément aux principes de la Constitution que nous sommes obligés de respecter, ce que nous voulons empêcher, c'est la création d'électeurs fictifs, c'est le payement fictif de l'impôt.

Nous ne voulons pas que des associations politiques blanches ou noires puissent créer des électeurs. Nous ne voulons pas ce que j'ai vu : transformer en électeur un portier n'ayant ni sou ni maille, au nom duquel on a inscrit la contribution personnelle. Cela n'est pas juste. (Interruption.) Ce portier n'était pas libéral, c'était un clérical. C'est un mauvais principe et je m'y oppose.

Prenez-y garde, après la déclaration de M. le ministre de la justice qui semble être celle du gouvernement, il y a plus qu'un simple amendement dans la proposition de mon honorable ami, il y a un véritable principe, et je déclare qu'il y va de la Constitution même en ce qui concerne le droit de suffrage.

M. Jacobsµ. - Messieurs, je ne répondrai pas à l'allusion qui a été faite tantôt au programme de l'honorable M. Dechamps.

Dès que dans la discussion nous nous écartons quelque peu du projet de loi, nous nous voyons rappeler à la question, et arrivés au vote, nous nous voyons opposer la question préalable.

L'honorable M. Bara n'a pas compris le sens de mon amendement. Pourquoi, dit-il, payer à la décharge de l'électeur si ce n'est dans le but de le corrompre, de l'influencer ? Or, cela est puni par un article du projet de loi.

Tel n'est pas le but de mon amendement. D'autres articles punissent, en effet, la remise d'argent dans le but d'influence, mais ici je punis la remise d'argent à ceux qu'on n'a plus besoin d'influencer.

Dans quel cas cela se fait-il ? C'est lorsque des électeurs qui ont une couleur politique tranchée se trouvent dans le cas d'être rayés parce qu'ils se trouvent dans la catégorie des cotes irrécouvrables.

Les 75 électeurs de Gand qui ont été maintenus l'année dernière avaient une opinion connue et pas n'était besoin de les corrompre pour s'assurer de leur vote ; il suffisait de payer à leur décharge.

Quant au payement, condition du droit électoral, je n'ajouterai qu'un mot, c'est que si les bases seules étaient requises, la proposition qui a été votée par le Sénat et qui a été favorablement accueillie par la Chambre n'aurait aucune raison d'être.

MfFOµ. - L'honorable membre se trompe s'il suppose que la proposition du Sénat, dont le principe n'a pas été contesté dans la Chambre, a décidé qu'il fallait nécessairement payer pour être inscrit sur les listes électorales. (Interruption.)

Ce qui est évident, c'est qu'il faut avoir payé pendant les deux années antérieures, pour pouvoir exercer le droit électoral au moyen du cens résultant d'impôts autres que la contribution foncière.

Mais il est évident aussi que, pour l'année courante, aucun payement n'est requis.

Et, en effet, messieurs, au moment de la confection des listes, le payement n'est pas même exigible en entier et il se peut que rien n'ait été payé.

La vérité est donc que le principe de notre loi, principe qui ne sera nullement modifié par celle qui nous a été transmise par le Sénat, exige avant tout la possession des bases, et suppose le payement du cens d'après ces bases.

Mais il se peut que l'on n'ait pas acquitté une somme d'impôts suffisante pour parfaire le cens pendant trois ans.

Avant 1843, comment les choses se passaient-elles ? La loi exigeait alors la possession des bases pour l'année courante et l'année antérieure. Or, ni pour l'année courante, ni pour l'année antérieure, il ne pouvait être suffisamment justifié que le payement du cens avait eu lieu, puisque les cotes irrecouvrables n'étaient pas arrêtées plus tôt qu'aujourd'hui, et qu'elles ne l'étaient pas par conséquent au moment de la formation des listes. Cela seul montre clairement l'erreur de l'honorable membre. Le mécanisme de notre législation financière ne permet pas d'arriver à constater au moment de l'inscription que tout le cens exigé a été réellement versé au trésor.

Un mot de l'amendement.

L'honorable M. Jacobs ne répond pas un seul mot à cette observation que l'on fait contre son amendement et qui est fondamentale : Vous voulez punir un fait licite en soi, vous voulez que quelles que soient les circonstances qui aient déterminé un tiers à payer le cens électoral d'un individu, ce fait soit délictueux et qu'il tombe sous l'application de la loi pénale.

Ainsi l'on aura été animé d'un pur esprit de bienfaisance on sera puni.

M. Jacobsµ. - On pourra faire du bien à un individu autrement.

MfFOµ. - Mais il est impossible de condamner dans une loi un fait moral en soi.

M. Coomans. - Nous donnons tous les jours à dîner à nos amis.

MfFOµ. - Est-ce qu'on vous empêche de donner tous les jours à dîner à vos amis ?

M. Coomans. - Vous ne le voulez pas.

MfFOµ. - Je vous demande pardon. Ce que l'on ne veut pas, ce sont les dépenses qui ont le caractère d'une corruption électorale.

Dans ce cas, messieurs, il ne s'agit pas de corruption, il n'y a pas de fraude. Le fait que vous voulez punir peut être très honorable, très moral, très licite, un fait que vous devez approuver. (Interruption.) Mais on l'a dit à M. Jacobs, si l'acte est fait pour obtenir un suffrage, il est prévu par l'article 11 du projet de loi.

M. Dumortier. - Quoi qu'en dise l'honorable ministre des finances, il est clair que la Constitution et la loi électorale ne reconnaissent comme condition du droit électoral que le payement effectif du cens. La Constitution et la loi électorale disent qu'il faut payer l'impôt direct et rien de plus.

On nous dit : Mais les payements de l'année courante ne sont pas faits au jour de la formation des listes électorales. C'est vrai, mais c'est pour cela que la loi a exigé le payement, pendant les deux années antérieures ; la loi a voulu que pour être électeur on ait réellement payé le cens, et comme garantie de ce payement elle a exigé deux années antérieures. Mais, nous dit-on encore, vous voulez punir un fait licite en soi et qui est inspiré par un esprit de bienfaisance et de charité.

Comment ! c'est l'honorable ministre des finances qui ose nous dire cela. Mais quel sera donc l'homme charitable qui voudra payer à l'Etat une cote que l'Etat a déjà considérée comme irrecouvrable.

Si quelqu'un pose ici un acte de charité, c'est l'Etat. Quant à l'individu qui paye pour autrui, ce ne peut donc être par un but de bienfaisance, il n'a pas d'autre but que de maintenir frauduleusement un électeur sur la liste électorale, et dès lors il y a fraude. L'amendement de M. Jacobs est donc indispensable ; il est d'autant plus indispensable que dans la loi qui nous a été envoyée par le Sénat, on autorise le contribuable dont l'impôt est passé en cote irrecouvrable à payer même les exercices clos jusqu'à la formation des listes.

Si vous n'introduisez pas dans la loi une disposition qui empêche l'odieux trafic des électeurs, vous aurez dans tous les districts des faux électeurs et ce sera la loi qui en sera cause.

Il n'y a qu'une seule base réelle du droit électoral ; cette base, c'est le payement du cens et nul ne peut se substituer à un électeur dans l'accomplissement de cette obligation. Mais c'est la grande réclamation de 1842 et de 1845 ; alors la gauche s'est levée comme un seul homme pour prétendre qu'il fallait, pour être électeur, payer soi-même l'impôt.

- Un membre. - Qu'il fallait posséder les bases.

M. Dumortier. - Et qu'il fallait posséder les bases, comme garantie, mais la première de toutes les obligations est de payer, de payer par soi-même et non d'aller prendre de l'argent dans la poche d'un autre.

Vous substituez sans cela des bases à la base fixée par la Constitution et dans votre système, avec une bouteille de genièvre et quelques verres on possédera les bases électorales. Vous voulez empêcher les fraudes électorales ; eh bien, la première de toutes les fraudes est la composition des listes électorales ; les listes électorales doivent être sincères ; la Constitution exige que le citoyen, pour être électeur, paye ; il doit payer.

M. Jacobsµ. - Un mot seulement en réponse à l'honorable ministre des finances qui me reproche de n'avoir rien répondu à cet argument qu'un fait, que je dois reconnaître comme licite et moral, se trouve qualifié de délit dans mon amendement.

L'honorable ministre à la simple lecture de mon amendement aurait pu voir que je ne punis pas le fait en lui-même en abstraction de toute circonstance aggravante ; mais que je punis le fait commis dans le but de faire inscrire ou de maintenir un électeur sur les listes électorales. Que, par esprit de charité, un philanthrope paye des impôts à la décharge d'un malheureux.je ne sais si ce cas se présentera (interruption), mais je veux l'admettre ; eh bien, il n'y aura là ni infraction ni condamnation ; mais les associations électorales n'agissent pas dans un but (page 1395) charitable et quand elles payent des impôts à la décharge des électeurs, c'est dans un but électoral, frauduleux et punissable.

M. Guillery. - Je demande pardon à la Chambre de prolonger ce débat, mais il ne faut pas qu'on puisse soupçonner la Chambre de protéger, en quoi que ce soit, un fait illicite, il ne faut pas qu'on puisse dire demain que la Chambre a voulu protéger les fraudes électorales en faisant une loi destinée à les réprimer.

L'honorable M. Jacobs dit : Je ne punis pas un fait licite. Mais pour ne pas mériter ce reproche, il faudrait prévoir un fait qui caractérise la fraude. Si vous disiez : celui qui aura frauduleusement fait inscrire un citoyen ne possédant pas les bases, je comprendrais votre système, mais il rentrerait alors dans l'article premier qui prévoit les cas que l'honorable M. Jacobs a en vue.

M. Jacobsµ. - Non, non ; c'est toujours la différence des bases et du payement.

M. Guillery. - Mais il n'y a fraude, le fait n'est illicite qu'autant que celui pour qui on paye ne possède pas les bases. Si un citoyen possède les bases et que je paye pour lui, je lui fais tout simplement un cadeau égal à la somme de ses contributions ; j'arriverais au même but en payant son boucher ou son boulanger. C'est un simple cadeau que je lui fais.

II n'y aurait de ma part création de faux électeur, que si je payais pour un citoyen qui ne possède pas les bases du droit électoral. Ce n'est que dans ce cas qu'il y a un fait illicite et ce cas est prévu par l'article premier :

« Quiconque, pour se faire inscrire sur une liste électorale, se sera attribué frauduleusement une contribution dont il ne possède pas les bases, on aura fait sciemment de fausses déclarations, ou produit des actes qu'il savait être simulés, sera puni d'une amende de vingt-six à deux cents francs.

« Sera puni de la même peine, celui qui aura pratiqué les mêmes manœuvres dans l'intérêt d'un tiers. »

Le fait caractérisé dans le discours de M. Jacobs se trouve prévu par l'article premier, mais le fait qu'il veut prévoir par un amendement est parfaitement licite.

M. Jacobs punit celui qui, pour faire inscrire ou maintenir un citoyen sur les listes électorales, aura payé ses contributions en tout ou en partie. S'il punissait celui qui aura frauduleusement fait inscrire un citoyen qui ne possède pas les bases, je comprendrais son système. (Interruption.) Vous voulez qu'un homme qui possède les bases mais qui ne paye pas, ne puisse pas être électeur.

M. Coomans. - Oui.

M. Guillery. - Mais vous renversez le système consacré par la Constitution. Doit être électeur celui qui possède les bases.

M. Dumortier. - Non, celui qui paye.

M. Guillery. - Mais pas le moins du monde !

M. Dumortier. - Lisez l'article 7.

M. Guillery. - Doit être électeur celui qui possède les bases ; la fortune constitue la garantie sur laquelle repose le droit électoral.

Celui qui ne paye pas ne doit pas être rayé de la liste électorale. Le Sénat vient d'adopter une proposition de loi qui ne détruit en rien ce que j'avance.

Le Sénat ne dit pas du tout que la qualité d'électeur dépend du payement du cens ; il dit : Quand un homme n'a pas payé sa contribution, quand, n'ayant pas payé, il est porté sur la liste des cotes irrecouvrables, quand on a voulu procéder à la saisie de ses meubles et qu'il est prouvé qu'il ne possède rien, il ne sera plus considéré comme électeur. Voilà ce que dit le Sénat. C'est-à-dire que du non payement du cens (et l'on sait que quand le fisc ne sait pas se faire payer, il n'y a pas de sa faute) on conclut que l'homme qui ne sait plus l'acquitter ne possède plus la qualité d'électeur.

Mais dans le cas prévu par les honorables MM. Jacobs et consorts, ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit : on suppose un homme qui possède les bases et qui n'a pas payé lui-même ses contributions.

Mais, messieurs, c'est renverser tous les principes du droit qui permettent d'acquitter les dettes d'un tiers. Je me rends chez le receveur des contributions et je paye à la décharge d'un tiers tout ou partie de ses contributions, qu'y a-t-il là d'illicite ? Le fait ne serait illicite que si j'opérais ce payement dans un but de corruption, dans un but de fraude, dans le but de faire inscrire sur la liste électorale un homme qui n'a pas le droit d'y figurer parce qu'il ne possède pas les bases.

C'est alors seulement que le fait deviendrait punissable ; et c'est pourquoi ces mots « frauduleusement » et « qui ne possède pas les bases » ont été insérés à l'article premier.

Si l'on introduisait dans une loi pénale une disposition comme celle que propose l'honorable M. Jacobs, il n'y aurait plus de sécurité pour les citoyens. Chaque fois que la loi pénale punît un fait, elle a bien soin de le caractériser de dol ou de fraude : sans cela la pénalité cesserait d'être légitime.

L'article premier du projet de loi punit ce qui est illicite et nous nous opposons à ce qu'on punisse ce qui est licite, c'est-à-dire le payement fait sans intention frauduleuse, sans l'intention de faire inscrire sur la liste électorale quelqu'un qui n'a pas le droit d'y être porté !

M. de Theuxµ. - Pour moi, messieurs, il est clair qu'il s'agit ici d'une simple question de bonne foi. Qu'est-ce que l'amendement de l'honorable M. Jacobs veut réprimer ? La création d'électeurs fictifs ; et cette création peut se faire facilement ;'au moyen de l'impôt sur le débit des boissons distillées et sur le débit des tabacs, un parti peut créer autant d'électeurs que bon lui semble. Nous l'avons dit dans la discussion générale et le fait n'a pas été contredit : il suffit de placer à une vitrine un bocal de tabac ou une bouteille de genièvre et quelques verres à liqueur pour que, aidés par quelque association électorale puissante, une foule d'individus obtiennent la qualité d'électeurs.

Ainsi, à Gand, on a porté sur la liste électorale 73 individus insolvables, et cependant on les a admis à voter parce que la loi électorale n'était pas suffisamment claire. (Interruption.)

Aujourd'hui, tout le monde a compris la nécessité d'exiger le payement réel ; le gouvernement lui-même a fini par s'associer au projet du Sénat et la Chambre paraît intentionnée de l'adopter.

Eh bien, vous n'aurez rien fait par ce projet de loi, si vous permettez à une association de payer pour des gens insolvables et si, malgré cette circonstance, on continue à créer des électeurs.

Tout ce qu'on a dit contre l'amendement de l'honorable M. Jacobs n'a exercé aucune influence sur mon esprit ; car, messieurs, aux excellentes raisons qui ont été produites à l'appui de cet amendement on n'a opposé que des arguments sans valeur et dans lesquels je ne vois réellement que de véritables subtilités.

On justifie au nom du gouvernement les dispositions les plus attentatoires aux droits des citoyens, en matière d'élections et on repousse toutes les mesures préservatrices que l'opposition produit par des moyens qui ne sont vraiment pas sérieux, par de petits arguments. Ce n'est pas ainsi qu'on doit procéder dans une assemblée comme celle-ci.

MfFOµ. - On reproduit pour la seconde fois ce même argument, que nous voudrions autoriser, consacrer en quelque sorte des fraudes électorales, que nous voudrions permettre à de puissantes associations politiques de fabriquer à volonté de faux électeurs, en leur ménageant la faculté de payer l'impôt pour des particuliers insolvables, qui seraient portés sur l'état des cotes irrecouvrables. C'est bien là ce qu'a prétendu l'honorable M. Dumortier.

Or, il n'est pas même question de cela dans l'amendement de l'honorable M. Jacobs. (Interruption.) Il n'en est pas du tout question.

Je concevrais qu'on vînt nous dire : Ceux qui payeront les contributions d’individus portées sur la liste des cotes irrecouvrables, en vue d'acheter ainsi les suffrages de ces individus, seront punis des peines prévues par la loi. Mais on ne dit rien de semblable dans l'amendement ; on y parle de tout autre chose ; on dit d'une manière générale : quelle que soit l'intention qui ait dirigé celui qui aura payé...

M. Jacobsµ. - C'est une erreur.

MfFOµ. - ... Pour maintenir sur la liste électorale ...

M. Jacobsµ. - Voilà l'intention.

MfFOµ. - Est-ce ainsi qu'un législateur procède ? Comment ! vous aurez adopté un texte comme celui-ci : sera puni de la même peine quiconque, pour faire inscrire ou pour maintenir un citoyen sur les listes d'électeurs ou d'éligibles, aura payé ses contributions en tout ou une partie, et cela suffira pour constituera un délit, alors même qu'il n'y aura eu aucune intention frauduleuse, quand même le payement aura été fait dans un but très honnête, très licite ! cela est-il concevable ?

M. Coomans. - Quel but ?

MfFOµ. - Je vais vous le faire comprendre en vous citant un fait qui me revient précisément à la mémoire :

Il y a peu de temps, un de nos collègues est venu m'apporter ici un procès-verbal de saisie des meubles d'une certaine personne. Il (page 1394) s'agissait d'une femme ; il n'était donc pas question d'un électeur.

M. Mullerµ. - Il peut s'agir d'électeurs.

MfFOµ. - Ce serait absolument la même chose, et c'est pourquoi je cite le fait en l'indiquant toutefois avec exactitude.

L'honorable collègue auquel je fais allusion me demanda ce que l'on pouvait faire pour éviter à cette personne le chagrin de voir saisir et vendre son mobilier, me priant d'examiner s'il n'était pas possible de la dispenser de payer ce dont elle était redevable à l'Etat ; il s'agissait d'une centaine de francs, si joene me trompe. Je répondis, naturellement, qu'il n'y avait pas autre chose à faire qu'à payer ; et l'honorable membre qui s'intéressait à cette personne, se résolut effectivement à payer pour elle.

M. Dumortier. - Cela ne rentre pas dans la question.

MfFOµ. - Donc, si le payement avait eu lieu pour un individu inscrit sur les listes électorales, il y aurait délit même dans ce cas-là !

M. Jacobsµ. - Pardon, il ne s'agissait pas de maintenir quelqu'un sur la liste électorale.

MfFOµ. - Mais supposez même qu'en l'absence de toute intention d'exercer une influence quelconque sur le vote d'un individu, pour lui éviter des poursuites, pour empêcher qu'il fût porté sur l'état des cotes irrecouvrables, pour le maintenir, si l'on veut, sur la liste électorale, quelqu'un ait acquitté à sa décharge le montant de sa cote, il faudra punir celui qui aura agi de la sorte sous l'influence d'une pensée honnête et désintéressée. (Interruption.)

Telle n'est pas votre intention, dites-vous, mais spécifiez au moins clairement les faits que vous voulez atteindre, et ne nous obligez pas à punir un fait aussi éminemment moral que celui que je viens de citer et que tout homme sensé doit approuver.

Vous voulez, dites-vous, atteindre la fabrication de faux électeurs, et vous avez raison ; nous aussi, nous voulons prévenir et punir cette fraude et nous avons proposé des mesures dans ce but ; c'est précisément l'objet de l'article premier de la loi ; mais nous voulons que ce fait, comme toutes les autres fraudes, soit réprimé s'il constitue réellement un fait répréhensible.

Vous dites qu'il suffit de payer le cens pour être électeur. (Interruption.) Pas le moins du monde : il faut avant tout posséder les bases du cens. C'est ce qui a été démontré, et c'est ce qui a été jugé plus d'une fois. Nous voulons, dit l'honorable M. de Theux, que l'on ne puisse pas fabriquer de faux électeurs au moyen du droit de patente sur le débit du tabac et des boissons distillées.

Mais, messieurs, les députations permanentes ne seront-elles point là pour éliminer ceux qui auront été portés sur les listes électorales illicitement, uniquement en vue de créer des électeurs ? Voici, entre autres, un exemple de ce qui se pratique en cette matière : dans une commune assez importante, il existait, au moment de la formation des rôles, 73 déclarations de débitants de boissons et 26 de débitants de tabacs. Bientôt après on fit 81 déclarations de la première catégorie et 61 de la seconde.

En un seul jour, on avait fait 57 déclarations de ce genre, et l'on avait ainsi dans cette commune, en total, 241 débitants de boissons ou de tabacs, tandis que pour toute l'année antérieure, en 1861, il n'y en avait que 88. Eh bien, croyez-vous que si l'on se pourvoit contre l'inscription sur la liste électorale de ces prétendus censitaires, il suffira de prouver que l'impôt a été payé pour qu'ils soient maintenus et croyez-vous que la députation permanente ne reconnaîtra pas qu'il y a là manifestement fabrication de faux électeurs ? Lorsqu'on se pourvoira contre ces inscriptions, lorsque l'on établira que ces déclarations sont purement fictives ; qu'elles n'ont eu lieu que pour attribuer la qualité d'électeurs à des individus qui ne possèdent pas réellement les bases du cens, ces déclarants-là seront rayés des listes électorales.

Pour atteindre le but que se propose l'honorable M. de Theux, l'amendement de l'honorable M. Jacobs est parfaitement inutile, et, comme nous l'avons démontré, cet amendement, par la généralité de ses termes, érige en délits des faits qui ne peuvent pas être condamnés.

M. Dumortier. - Messieurs, l'honorable ministre des finances fait valoir cet argument que la députation permanente rayait les faux électeurs des listes électorales, qu'il n'y a donc pas de peine à établir.

S'il en était ainsi, il faudrait supprimer tout l'article premier ; il s'agit dans cet article de punir comme faux électeurs ceux que les députations permanentes ont souvent rayés des listes électorales,

Le cas que M. le ministre des finances a supposé, en venant ici évoquer une pauvre veuve qu'on va empêcher de faire une bonne action, n'est pas du tout celui dont il s'agit dans l'amendement, il ne s'agit que d'empêcher qu'on ne paye pour un tiers, à l'effet de le faire inscrire ou de le maintenir sur la liste électorale.

- La discussion est close.

On demande l'appel nominal sur l'amendement de M. Jacobs.

Il est procédé à l'appel nominal.

84 membres y répondent.

29 répondent oui.

55 répondent non.

En conséquence la Chambre n'adopte pas.

Ont voté l'adoption :

MM. Magherman, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Schollaert, Tack, Thienpont, Thonissen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Wambeke, Verwilghen, Wasseige, Coomans, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet, Delcour, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dumortier, Jacobs, Janssens et Julliot.

Ont voté le rejet :

MM. Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Rogier, Sabatier, Tesch, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Nieuwenhuyse, Vleminckx, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Crombez, David.de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Macar, de Moor, de Rongé, de Vrière, Devroede, Dewandre, Dolez, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry et Ernest Vandenpeereboom.


MpVµ. - Tous les amendements à l'article premier ont été écartés ; il ne reste plus que l'article premier du projet de la section centrale auquel le gouvernement se rallie, moyennant quelques changements.

L'article premier de la section centrale est ainsi conçu :

« Art. 1er. Quiconque pour se faire inscrire sur une liste d'électeurs ou d'éligibles au Sénat se sera attribué frauduleusement une contribution dont il ne possède pas les bases, on aura fait sciemment de fausses déclarations, ou produit des actes qu'il savait être simulés, sera puni d'une amende de 26 à 200 francs.

« Sera puni de la même peine celui qui aura pratiqué les mêmes manœuvres dans le but de faire inscrire un citoyen sur les listes d'électeurs ou d'éligibles.

« Toutefois la poursuite ne pourra avoir lieu que dans le cas où la demande d'inscription aura été rejetée par une décision devenue définitive et motivée sur des faits impliquant la fraude.

« Les décisions de cette nature rendues, soit par les collèges des bourgmestre et échevins, soit par les conseils communaux, soit par les députations permanentes, ainsi que les pièces et les renseignements y relatifs, seront transmis par le gouverneur au ministère public, qui pourra aussi les réclamer d'office.

« La poursuite sera prescrite après trois mois révolus à partir de la décision.

« La même peine sera appliquée aux membres des administrations communales qui, en opérant la radiation d'un électeur, lors de la révision annuelle des listes électorales, se seront abstenus frauduleusement de donner les avertissements prescrits par la loi du 25 juillet 1834 ou par la loi du 30 mars 1836.

« La poursuite sera prescrite, après trois mois révolus, à partir de la radiation. »

Dans le premier paragraphe M. le ministre propose de supprimer les mots : « ou d'éligibles au Sénat » ; il propose ensuite la suppression des mots : « ou d'éligibles » dans le second paragraphe. Enfin il propose la suppression des deux derniers paragraphes.

MjTµ. - Messieurs, la section centrale a en réalité proposé deux amendements à l'article premier ; je ne me rallie ni à l'un ni à l'autre.

Le premier amendement consiste à rendre applicable aux éligibles au Sénat qui commettraient le même fait, la peine comminée par le paragraphe premier de l'article premier contre ceux qui, pour se faire inscrire sur une liste électorale, se seront attribué frauduleusement une contribution dont ils ne possèdent pas les bases.

Je ne me rallie pas à cet amendement, parce qu'à mon avis, il y a une très grande différence entre une liste électorale et une liste d'éligibles au Sénat.

(page 1395) La liste électorale arrêtée confère des droits à celui qui y est inscrit ; une fois porté sur cette liste on a le droit de vote en vertu du principe de la permanence des listes.

En est-il de même de la liste des éligibles au Sénat ? Non : l'inscription sur cette liste ne constitue qu'une indication. Lorsque celui qui est inscrit sur la liste des éligibles au Sénat est nommé sénateur, le Sénat procède à une vérification.

II n'y a donc pas pour punir l'inscription frauduleuse sur la liste des éligibles au Sénat les mêmes motifs que pour punir l'inscription frauduleuse sur la liste électorale. On serait inscrit sur la liste des éligibles au Sénat, on serait même élu, que l'élection ne serait pas assurée : la vérification doit se faire et si le Sénat reconnaît que l'élu ne possède pas les bases du cens, il déclare nulle l'élection. Il faudrait, pour pouvoir assimiler la liste des éligibles au Sénat aux listes électorales, que le Sénat ne pût pas vérifier si réellement la personne inscrite paye ou ne paye pas le cens.

Tels sont les motifs qui me font repousser l'amendement proposé par la section centrale. Je pense que nous pouvons vider d'abord cette question, je dirai ensuite les raisons pour lesquelles, je ne me rallie pas au second amendement relatif aux peines qu'on propose d'appliquer aux administrations communales.

M. Sabatier. - L'honorable ministre de la justice nous dit qu'il ne se rallie pas à la proposition de la section centrale, laquelle consiste à ajouter le mot « éligibles » au mot « électeurs » dans le paragraphe premier de l'article premier.

Il fait valoir, à l'appui de son opinion, ce motif qu'il importe peu qu'une personne soit portée sur la liste des éligibles au Sénat, alors qu'elle n’en a pas droit, parce que le Sénat a toujours le droit d'annuler une élection, du moment qu'il est démontré que c'est indûment que l'élu a été porté sur la liste des éligibles.

Je crois que M. le ministre de la justice est dans le vrai, lorsque les personnes qu'on porte sur la liste des éligibles payent le cens de 1,000 fl. qui donne le droit incontestable d'être porté sur la liste des éligibles, mais je ne sais si M. le ministre de la justice a pensé au cas où l'on devait faire usage de l'article 42 de la loi électorale, c'est-à-dire du cas où il faut former des listes supplémentaires.

MfFOµ. - C'est la même chose.

M. Sabatier. - Je ne crois pas que ce soit la même chose et je vais en indiquer les motifs.

Je suppose qu'on soit dans le cas où il n'y ait pas un éligible sur 6,000 citoyens ; on forme une liste supplémentaire où le cens descend évidemment, au-dessous du 1,000 florins. Je suppose qu'il descende à 800 fr. et que la personne qui a usé de fraude se fasse porter sur la liste des éligibles à raison de 800 et quelques francs, il est évident que cette personne empêche de cette façon une autre personne qui paye réellement 800 fr. d'être portée sur la liste des éligibles.

Bien certainement la fraude que je signale cause un certain tort à la personne éliminée puisqu'elle met obstacle à la possibilité de voir le choix se porter sur elle, pour être candidat au Sénat. Je demande s'il ne faut pas punir cette fraude. Si la Chambre, comme je n'en doute pas, partage cet avis, il faut maintenir le mot « éligibles » dans l'article, comme le propose la section centrale.

M. Coomans. - Outre la raison très forte que vient de donner l'honorable M. Sabatier en opposition à l'argumentation de l'honorable ministre de la justice, voici encore une observation que je dois faire.

Il importe réellement beaucoup que les non-éligibles ne soient pas inscrits sur les listes électorales, non pas que cette inscription frauduleuse puisse obliger le Sénat à ratifier l'élection, mais parce qu'une élection nulle peut occasionner de grands dommages à un grand nombre d'électeurs.

Je suppose que le Sénat, usant de son droit constitutionnel, annule l'élection dont il s'agit. Il n'en est pas moins vrai que vous auriez imposé une corvée supplémentaire aux électeurs.

En conséquence nous avons raison de dire qu'il importe beaucoup de punir un fait dommageable, fait qui est l'inscription frauduleuse d'un non-éligible sur la liste.

Messieurs, contrairement à l'opinion émise par le gouvernement, je crois qu'il importe plus de prévenir l'inscription d'un non-éligible que l'inscription d'un électeur fictif, parce que le dommage causé par l'inscription illégale d'un électeur est on peut être beaucoup moins considérable que le dommage causé par l'élection d'un candidat non éligible.

Si je me suis bien fait comprendre, il me semble que l'amendement de la section centrale doit être adopté.

MjTµ. - L'honorable M. Sabatier m'a objecté que l'individu qui se ferait inscrire sur une liste d'éligibles au Sénat, pourrait, par ce fait, porter préjudice à une autre personne qui ne serait pas inscrite, bien qu'elle payât le cens voulu. Je ne pense pas que cela soit exact, une personne qui n'est pas inscrite sur la liste des éligibles peut se faire élire et être admise au Sénat, du moment qu'il est prouvé qu'elle paye la somme nécessaire.

C'est, je pense, une jurisprudence incontestable.

M. Guillery. - Du moment où l'on paye 1,000 florins.

M. Mullerµ. - La jurisprudence du Sénat a été en dernier lieu telle que vous le dites ; mais auparavant elle était autre.

MjTµ. - Je pense que la jurisprudence du Sénat est que celui qui ne figure pas sur la liste des éligibles peut être élu lorsqu'il établit qu'il paye une somme supérieure au cens du dernier inscrit.

M. Coomans. - Alors la liste des éligibles est fort inutile.

MjTµ. - Les listes des éligibles sont, comme je vous le disais, des indications.

Maintenant, faut-il multiplier les pénalités à l'infini ? Faut-il punir un fait qui, en lui-même, ne peut porter préjudice, un fait qui doit être vérifié avant que le Sénat prononce l'admission ? Je ne le pense pas.

M. Coomans. - Il y a préjudice quand l'élection est annulée.

MjTµ. - L'honorable M. Coomans a cité le cas où il faudrait procéder à une nouvelle élection. Ce peut être très désagréable pour les électeurs, mais il n'y a pas là une fraude que la loi peut réprimer, cela ne rentre pas dans la catégorie des faits dont nous nous occupons.

Je pense qu'on peut bien ne pas punir ce fait et laisser les choses dans l'état où elles se trouvent aujourd'hui. Ce fait n'a pas la même gravité que l'inscription sur la liste des électeurs qui confère un véritable droit.

M. Crombez, rapporteur. - Je crois que la question à résoudre n'est pas celle de savoir quelle est la valeur des listes des éligibles. Je sais très bien que ces listes ne sont qu'indicatives. La question est de savoir s'il faut punir le fait frauduleux qui a été posé, lorsque, pour arriver à se faire inscrire sur la liste des éligibles, on a fait de fausses déclarations, on a produit des actes qu'on savait être simulés. Je dis qu'un fait semblable doit être puni, et voilà pourquoi, à mon sens, la section centrale a bien fait d'admettre l'amendement.

M. Guillery. - Messieurs, le fait prévu par l'amendement de la section centrale me paraît tout aussi grave que celui qui est prévu par le projet du gouvernement.

Remarquez que le projet de loi, et avec raison, a caractérisé le fait de manière que l'article premier ne punisse qu'un fait véritablement coupable, comme vient de le faire remarquer l'honorable rapporteur. Il s'agit d'une contribution imputée frauduleusement à quelqu'un à l'aide de fausses déclarations ou de la production d'actes que l'on savait être simulés. Or, messieurs, ces actes peuvent induire en erreur le Sénat tout comme la députation permanente.

Il faut vous placer d'abord dans l'hypothèse où un homme, par exemple, s'attribue 1,000 florins de contributions au moyen d'actes qu'il sait être simulés. Il produit ces actes devant le Sénat comme il les a produits devant la députation permanente et le Sénat, trompé, à son tour, valide l'élection.

Voilà un cas qui peut se présenter et que le projet du gouvernement ne punit pas. Cependant il y aura bien là un homme qui figurera dans l'assemblée du Sénat sans en avoir le droit.

Je suppose un autre cas, celui qu'a prévu l'honorable M. Sabatier. Il s'agit d'une province dans laquelle il y a une liste supplémentaire d'éligibles au Sénat.

M. le ministre de la justice dit : le Sénat pourra parfaitement en vérifiant les contributions payées par l'Etat, se déclarer légalement élu, bien que la députation permanente ne l'ait pas porté sur la liste des éligibles. Soit ; quoique la jurisprudence du Sénat ait varié sur ce point, j admets cette jurisprudence. Mais si un citoyen n'est pas sur la liste des éligibles, personne ne songera à lui, et lui-même ne pensera pas à se mettre sur les rangs.

Je suppose que Jacques se soit fait porter sur la liste additionnelle en (page 1396) prétendant qu'il payait 800 fr. de contributions alors qu'il n'en paye que 500, (Je pense que dans la province de Liège on est descendu jusqu'à 800 fr.) Pierre qui ne paye que 700 fr., ne sera pas sur la liste additionnelle et il sera convaincu qu'il n'a pas le droit d'y figurer, parce qu'il se dit : Il y a un certain nombre de citoyens payant plus que moi, portés sur cette liste. Il ne pensera donc pas à sa faire inscrire et les électeurs ne penseront pas à le nommer. Cependant si Jacques ne s'était pas fait porter sur la liste des éligibles au moyen d'actes simulés et frauduleux, Pierre y aurait figuré avec ses 700 fr.

Vous voyez donc que cet acte frauduleux aura empêché non seulement l'inscription d'un citoyen qui avait le droit de figurer sur la liste, mais que celui qui s'est rendu coupable de cette fraude aura fait croire à tout le monde et au Sénat lui-même que ce citoyen n'était pas éligible.

Je suppose qu'il soit nommé et qu'il vienne au Sénat. Je suppose que le Sénat voie qu'il ne paye que 700 francs, bien que figurant sur une liste d'éligibles payant 800 francs, il ne peut vérifier la fortune de tous ceux qui se trouvent sur les listes ; il n'en aurait pas le droit ; car les particuliers pourraient se refuser à donner les renseignements qu'il demanderait. Le Sénat ne peut donc, en réalité, vérifier si l'élu possède les bases du cens ; il ne peut pas, comme la députation permanente, faire une liste additionnelle ; il n'a pas les renseignements nécessaires.

Ainsi voilà deux cas dans lesquels le projet du gouvernement ne réprimerait pas une fraude tout aussi coupable que celle de créer des électeurs. Ce serait le cas où le Sénat lui-même serait induit en erreur par des actes simulés ; ce serait, en second lieu, le cas où les électeurs et oh le contribuable lui-même qui aurait droit d'être porté sur la liste des éligibles, seraient trompés par l'inscription frauduleuse d'autres personnes qui n'ont pas le droit de figurer sur les listes et qui seraient supposées posséder une grande fortune.

M. de Naeyer. - J'admets parfaitement avec M. le ministre de la justice que la liste des éligibles n'a pas absolument le même caractère que la liste électorale proprement dite, en ce sens que l'inscription sur la liste des électeurs confère des droits et que la non-inscription en traîne une déchéance tandis qu'il paraît aujourd'hui admis, par la jurisprudence du Sénat, que la liste des éligibles n'est qu'indicative. Mais cette distinction est sans importance pour la question que nous avons à résoudre. Il s'agit de savoir si le fait, tel qu'il est caractérisé dans l'article et, en tant qu'il s'applique aux listes d'éligibles, présente tous les caractères nécessaires pour être érigé en délit.

Evidemment le fait est immoral ; c'est un acte de fraude et l'on peut dire que, sous ce rapport, il a un caractère de gravité tout spécial ; parce que, en général, il émane d'un homme qui a une position plus élevée dans la société que le simple électeur. Au point de vue de l'immoralité, ce fait est donc plus grave que la manœuvre pratiquée pour obtenir l'inscription frauduleuse sur la liste des électeurs.

Sans doute l'immoralité de l'acte ne suffit pas, je le reconnais, pour l'ériger un délit. Il faut qu'il en résulte un dommage que j'appellerai social ou politique. Eh bien, cette seconde condition nous la rencontrons également ici.

Quoique la liste des éligibles ne soit qu'indicative, il faut admettre cependant que si elle est fausse, elle est de nature à induire les électeurs en erreur, à jeter un véritable trouble, dans l'exercice des droits politiques. En effet, il arrivera ainsi que les électeurs perdront de vue un autre citoyen qui a le droit d'être élu ; c'est au moins un cas qui peut se présenter lorsqu'il s'agit de listes supplémentaires, parce qu'alors l'inscription de l'un a pour conséquence la non inscription de l'autre.

Il y aura encore dommage, parce que, comme vous l'a très bien expliqué l'honorable M. Guillery, le Sénat sera lui-même influencé par la production des listes d'éligibles. Il y a là une espèce de présomption qui souvent dispensera l'élu de faire une preuve directe, du moins une preuve aussi complète qu'il serait obligé de le faire, s'il n'était pas inscrit.

Je reviens, messieurs, à la considération principale que j'ai fait valoir en commençant : c'est que vous avez ici tous les caractères requis pour que le fait soit punissable. Vous avez un acte d'une immoralité en général plus grave que celui qui est puni par le projet du gouvernement, et cet acte est évidemment de nature à induire les électeurs en erreur, à troubler l'exercice régulier des droits politiques, et il peut avoir pour conséquence de faire siéger au Sénat un homme qui ne réunit pas, en réalité, les conditions d'éligibilité.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Dumortier. - Je viens défendre l'opinion de M. le ministre de la justice.

- Des membres. - On est d'accord.

M. Dumortier. - On n'est pas d'accord puisqu'on combat le projet de loi.

D'abord, je ne saisis pas du tout la comparaison qu'on a voulu établir entre l'inscription sur les listes électorales et l'inscription sur les listes des électeurs. M. le ministre de 1a justice a fait valoir cette considération décisive : c'est que l'inscription sur la liste des électeurs donne un droit, tandis que l'inscription sur la liste des éligibles au Sénat ne donne pas de droit.

Tous les orateurs qui ont parlé dans le sens de la section centrale me paraissent supposer que tout le monde va envoyer ses pièces pour se faire inscrire sur les listes électorales. Les choses ne se passent pas ainsi.

M. Crombez, rapporteur. - Alors l'article ne sera pas applicable.

M. Dumortier. - La plupart des inscriptions se font d'office par la députation permanente. Mais ce qui arrivera nécessairement, si l'amendement est adopté, le voici, et c'est sur quoi je voulais appeler votre attention : c'est que plus personne n'osera envoyer ses pièces de crainte de tomber sous le coup d'une pénalité, et dès lors, messieurs, vous finirez par ne plus avoir de listes d'éligibles au Sénat.

- La suppression des mots « ou d'éligibles » est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.


MpVµ. - Il s'agit maintenant de la suppression, demandée par le gouvernement, des deux derniers paragraphes.

MjTµ. - Messieurs, les deux derniers paragraphes me semblent consacrer un principe assez anomal, en comminant des peines contre des (erratum, page 1418) corps collecifs et contre des corps collectifs qui ne sont pas suffisamment désignés par la loi. En effet le dernier paragraphe porte :

« La même peine sera appliquée aux membres des administrations communales qui, en opérant la radiation d'un électeur, lors de la révision annuelle des listes électorales, se seront abstenus frauduleusement de donner les avertissements prescrits par la loi du 25 juillet 1834 ou par la loi du 30 mars 1836. »

A la lecture de ce paragraphe, je ne vois pas trop contre qui la peine pourra être prononcée. D'abord la révision des listes électorales pour les Chambres et les conseils provinciaux et la révision des listes électorales pour les conseils communaux ne se font pas par les mêmes autorités. La révision des listes électorales pour la Chambre et pour le conseil provincial se fait par le collège des bourgmestre et échevins, et la révision des listes électorales pour le conseil communal se fait par le conseil communal.

Maintenant, messieurs, qui sera puni dans les différents cas ? Je ne le sais pas. Punira-t-on tous les membres du collège échevinal quand il s'agira d'une radiation de la liste des électeurs pour les Chambres ? Punira-t-on tous les membres de l'administration communale qui en opérant la radiation n'auront pas fait la notification nécessaire ? Evidemment, messieurs, l'article tel qu'il est rédigé est d'une application impossible. Remarquez bien que quand il s'agit (erratum, page 1418)d'un corps collectif, il est impossible de saisir le vrai coupable ; il y a ordinairement une majorité et une minorité, et vous punirez tout le monde indistinctement

Lorsqu'il s'agit des listes électorales pour les Chambres, c'est l'administration communale qui doit faire les notifications ; l'administration dans ce cas-là, c'est le collège des bourgmestre et échevins. Quand il s'agit, au contraire, des listes pour les conseils communaux, la notification se fait à la requête du bourgmestre ; ce qui indique plus ou moins que le bourgmestre en est chargé.

Je demande qui sera véritablement responsable dans les différents cas où la notification doit être faite, car la rédaction proposée rend responsables tous les membres du conseil communal lorsqu'il s'agit des listes électorales pour les conseils communaux et tous les membres du collège lorsqu'il s'agit des listes électorales pour les Chambres.

Il me semble, messieurs, je le répète, qu'il n'est pas possible de comminer des peines contre (erratum, page 1418)des corps collectifs ; vous ne savez pas qui a voté pour, qui a voté contre, vous ne savez pas qui a commis la fraude, vous ne pouvez pas saisir le vrai coupable.

Cette disposition aura d'autres inconvénients encore. Je sais bien qu'il faut que l'on ait agi frauduleusement ; mais aujourd'hui déjà on ne trouve pas beaucoup de gens très désireux d'occuper des fonctions communales ; si vous les menacez encore de poursuites, je crains bien qu'on ne trouve plus personne.

(page 1397) Je demande donc, messieurs, que l'amendement soit supprimé ou, si la Chambre ne veut pas le supprimer, qu’il soit rédigé de telle façon que l'application en soit rendue possible.

M. Magherman. - Je crois que M. le ministre de la justice commet une erreur quand il dit que ce sont des corps différents qui sont chargés de la formation des listes, selon qu'elles se rapportent aux Chambres ou aux conseils communaux. C'est le collège des bourgmestre et échevins qui est chargé de la révision de toutes les listes. Il n'en est pas de même quant aux réclamations qui se font contre les listes ; les réclamations sont portées devant le conseil communal s'il s'agit des listes communales, et devant le collège échevinal s'il s'agit de listes pour les Chambres. Mais pour la révision des listes, c'est le collège des bourgmestre et échevins qui en est chargé dans les deux cas. Les articles 13 et 14 de la loi communale sont très formels à cet égard.

MjTµ. - C'est une erreur.

M. Magherman. - Voici l'article 13 :

« Du 1er au 15 avril de chaque année, le collège des bourgmestre et échevins procède à la révision des citoyens de la commune qui, d'après la présente loi, réunissent les conditions requises pour concourir à l'élection des membres du conseil communal, etc. »

MjTµ. - Lisez l'article 15.

M. Magherman. - Il est toujours vrai que c'est le collège échevinal qui procède à la révision de toutes les listes. Quant aux notifications à faire, il y a des systèmes différents pour les listes générales et les listes communales.

M. Dumortier. - Messieurs, il y a un moyen bien simple de lever les scrupules de M. le ministre de la justice et de faire droit aux observations de la section centrale, c'est de dire : « La même peine sera appliquée au bourgmestre qui, etc. » Qui est-ce, en effet, qui est chargé de faire les notifications ? C'est le bourgmestre.

Le conseil communal statue dans certains cas, le collège échevinal décide dans d'autres cas, mais lorsqu'il s'agit de notifier à l'électeur la décision qui à été prisé, c'est le bourgmestre qui est chargé de faire cette notification.

C'est le bourgmestre qui est le chef de l'administration communale et, en cette qualité, c'est lui qui doit faire la notification des actes posés par le conseil.

Pouvez-vous par hasard permettre la continuation de faits qui se sont déjà passés ? Une administration communale effacera les noms de 5 ou 6 électeurs et on ne les informera pas. Tout le monde ne va pas voir aux portes de la maison communale si l'on est ou si l'on n'est pas rayé. La loi a voulu la notification afin que l'on pût être informé.

L'autorité manque à ce devoir, si elle enlève à l'électeur la faculté de faire valoir ses droits, il y a une fraude électorale ; et dans mon opinion la section centrale a très bien fait de la punir.

Je sens fort bien qu'on ne peut punir les administrations communales, mais c'est le chef de l'administration communale qui est chargé de l'exécution de la loi.

- Une voix. - C'est le collège échevinal.

M. Dumortier. - Je sais bien que la loi dit que c'est le collège échevinal, mais c'est le bourgmestre qui, comme chef de l'administration communale est chargé de l'exécution des résolutions de cette administration.

M. Bouvierµ. - Vous ne reconnaissez plus votre enfant.

M. Dumortier. - C'est le bourgmestre seul qui doit signifier.

Dans tous les cas, ne permettez pas qu'on enlève aux électeurs leurs droits par une véritable fraude sans leur signifier leur radiation et leur donner les moyens de se défendre.

MjTµ. - Ce que j'ai dit tantôt est parfaitement exact et malgré les observations des honorables MM. Magherman et Dumortier, je maintiens que j'étais dans le vrai.

Lorsqu'il s'agit des listes électorales pour la Chambre, ce n'est pas, comme le dit l'honorable ., Dumortier, le bourgmestre qui est chargé de faire la notification.

L'article premier de la loi de 25 juillet 1834 est formel à cet égard. Il porte :

« Lorsqu'en exécution de l'article 7 de la loi du 3 mars 1831, les administrations communales, en procédant à la révision des listes électorales, raieront les noms d'électeurs portés sur les listes de l'année précédente, elles seront tenues d'en avertir les électeurs par écrit et à domicile, au plus tard dans les 48 heures, à compter du jour où les listes auront été affichées, en les informant des motifs de cette radiation ou omission. »

Ainsi ce n'est pas le bourgmestre, comme on le prétend, ce ne sont pas les administrations communales, car il est admis que les mots « administration communale » indiquent dans ce cas le collège échevinal.

M. Dumortier. - C'est le bourgmestre qui expédie.

MjTµ. - C'est le secrétaire qui d'ordinaire expédie. Vous ne pouvez, dans tous les cas, punir un corps entier, il faut un délinquant, et lorsqu'il s’agit d'une administration communale, vous devez spécialement indiquer quelqu'un qui sera chargé de la notification des radiations qui auront été faites.

Quand il s'agit de listes électorales communales, à qui appartient la révision définitive ou le jugement des réclamations ? Au conseil, dit l’article 15, et le même article indique également à la requête de qui sera faite la notification.

Voilà ce que j'ai dit et l'honorable M. Magherman n'a pu le contester. Quoique le bourgmestre soit indiqué, l'exécution de la loi est confiée en général au collège dès bourgmestre et échevins.

Il faut donc nécessairement que cet article soit modifié si on le maintient, d'autant plus qu'il fait peser la responsabilité plus spécialement sur les administrations communales, car il déclare :

« La même peine sera appliquée aux membres des administrations communales qui, en opérant la radiation d'un électeur, lors dé la révision annuelle dès listes électorales, se seront abstenus frauduleusement de. donner les avertissements prescrits, etc. »

De sorte que ce sont les administrations communales qui opèrent la radiation qui seront, en vertu de ce paragraphe, responsables de la notification. Cela n’est évidemment pas admissible. Il faut, je le répète pour la troisième fois, si l'on veut établir une pénalité contre les fonctionnaires qui n'aurait pas fait notifier la radiation des listes électorales, que la loi désigne les fonctionnaires qui seront chargés de cette mission spéciale.

M. de Naeyer. - Messieurs, je ne prétends pas que la rédaction adoptée par la section centrale soit à l'abri de tout reproche. Je crois d'abord qu'il faudrait au moins adopter ce changement-ci : « En opérant la radiation », il faudrait dire :« en cas de radiation », car la peine ne peut évidemment être infligée à raison de la décision prise relativement à la révision de la liste.

Je crois dans tous les cas qu'il s'agit de réprimer un fait frauduleux qui, d'après les renseignements fournis par certains membres de la section centrale, se pratique sur une échelle assez vaste. Ainsi, il arrive qu'on raye un certain nombre d'électeurs, qu'on ne leur donne aucune connaissance de leur radiation et que le jour de l'élection les électeurs sont tout étonnés de ne pas recevoir de billet de convocation.

On pourra me dire, je le sais : ils auraient pu vérifier les listes ; mais celui qui a figuré une première fois sur la liste des électeurs, peut, ce me semble, se dispenser de faire cette démarche, parce qu'il sait que la loi ne permet pas de le rayer, sans lui donner un avertissement, il y a au contraire négligence de la part de l'administration chargée de faire cette notification et cette négligence est grave puisqu'elle peut avoir pour conséquence de priver un citoyen de ses droits d'électeur. Elle est grave surtout lorsqu'elle est accompagnée d'une intention frauduleuse.

Le fait se pratique et je pense qu'il est bon de comminer une peine. Je crois que cette disposition pénale recevra très rarement son application. Elle agira suffisamment je pense, comme menace.

Quant à l'objection que nous fait M. le ministre, qu'on ne peut punir un corps collectif, je ferai remarquer d'abord que d'après le texte même de la loi communale qu'on nous a lu, cet argument tombe complétement en ce qui concerne la révision des listes pour les élections communales.

Il ne s'agit pas d'un corps collectif puisque le soin de notifier la décision de l'administration communale est formellement confié au bourgmestre, car surtout en présence de la modification que j'ai proposée, il ne s'agit aucunement de la résolution prise sur le point de savoir si tel où tel individu doit être maintenu ou rayé de la liste ; de ce chef, il ne peut être question d'infliger une pénalité ; il s'agit d'un fait tout matériel, celui de l'avertissement qui doit être donné à l'électeur. Eh bien, je dis que quand il s'agit d'élections communales, il n'y a pas la moindre difficulté.

MjTµ. - Il y en aura encore.

M. de Naeyer. - Laquelle ? Au moins celles que vous avez signalées n'existent pas.

(page 1398) MjTµ. - La loi dit : A la requête du bourgmestre. Cela signifie-t-il, c'est un doute que je soumets, que c'est le bourgmestre seul qui doit faire la signification, ou bien ce soin est-il confié aux collèges des bourgmestre et échevins ? Je crois que toute décision à prendre doit être délibérée en conseil échevinal. Or, je suppose qu'une partie du collège veuille faire une notification et que la majorité s'y oppose. (Interruption.) C'est une supposition, cela ne peut-il se présenter, c'est une question que je vous soumets. Nous faisons une loi pénale ; j'examine les questions qu'elle soulève, abstraction faite de toute idée préconçue. Je suppose un bourgmestre ou l'un ou l'autre membre du collège disant : Cette notification n'est pas faite, j'exige qu'elle le soit, et une majorité décidant qu'elle ne se fera pas ; il y aura délibération et vous ne pourrez pas poursuivre. Si vous voulez établir une pénalité pour ce fait, il faut décider qu'une personne spéciale sera chargée des notifications et que cette personne sera responsable.

M. de Naeyer. - J'admets qu'il serait plus régulier de désigner une personne chargée de la notification, mais il me semble que cette personne est suffisamment désignée par le texte de la loi communale. Veut-on une disposition plus spéciale, je ne m'y oppose pas, et ce serait peut-être le cas de présenter une nouvelle rédaction. Mais je ne crois pas que les objections de M. le ministre de la justice soient absolument péremptoires.

L'honorable ministre suppose qu'il y a délibération du collège pour savoir si la notification devra être faite oui ou non ; s'il a délibération il y aura un procès-verbal qui le constatera.

Le membre qui aura insisté pour que la notification soit faite ne sera certainement pas coupable, cela est clair, puisque nous exigeons qu'il n'y ait pas simplement négligence, mais que la négligence soit frauduleuse.

Quant à ceux qui auront voulu, contrairement au texte de la loi, que la notification ne soit pas faite, je ne vois pas pourquoi on ne les rendrait pas responsables ; s'il y avait en Belgique un collège échevinal qui pût prendre la résolution étrange indiquée par M. le ministre de la justice, on pourrait, ce me semble, faire fléchir ce principe qu'un corps collectif ne peut pas être puni, principe assez abstrait et qui certes n'est pas inscrit dans notre Constitution.

MjTµ. - Et quand il n'y aurait pas de délibération ?

M. de Naeyer. - Ceci n'aurait d'importance que pour la preuve du fait, mais il n'y aurait pas moins une véritable rébellion envers la loi, et il serait parfaitement juste de punir des administrateurs qui manqueraient d'une manière aussi scandaleuse à leurs devoirs dans l'intention évidemment frauduleuse de frustrer des citoyens de leurs droits politiques.

Je crois que le plus prudent serait d'ajourner en quelque sorte la solution de cette question afin de chercher une autre rédaction qui serait de nature à satisfaire tout le monde et, à cet égard, je ferai remarquer que si la Chambre adopte l'amendement que j'ai proposé au texte de la section centrale, il y aura lieu d'y revenir au second vote et nous pourrions d'ici là trouver une formule qui ferait droit aux scrupules exprimés par M. le ministre de la justice qui n'a pas nié que le fait que nous avons en vue peut constituer une véritable fraude électorale.

M. de Theuxµ. - Je crois qu'on a un peu perdu de vue les termes formels de l'amendement de la section centrale. Il faut qu'il y ait intention frauduleuse pour donner lieu à une pénalité ; une simple négligence, une distraction ne peuvent jamais être punies et jamais un procureur du roi ne poursuivra à moins que la fraude ne soit bien constatée. Pour ce dernier cas, je crois que la section centrale a raison de proposer des pénalités. En général la notification des actes de cette nature doit être faite par le bourgmestre aidé de son secrétaire. Le bourgmestre exécute ; il ne s'agit donc pas ici des membres qui prennent une résolution, il s'agit de celui qui est chargé de la notification.

Je comprends que dans une petite commune où il n'y aura qu'un petit nombre d'électeurs on puisse surveiller les listes, examiner s'il y a des noms omis et dans ce cas s'informer pourquoi ils sont omis. Mais prenons les choses telles qu'elles se passent dans une commune populeuse.

Qui donc ira rechercher les noms de tous les électeurs, surtout lorsqu'il s'agit d'élections communales, et notez que dans une élection communale le bourgmestre, qui est le principal personnage, peut avoir un intérêt personnel à rayer un certain nombre d'électeurs et à les mettre hors d'état de faire des réclamations.

M. Mullerµ. - Comme au sein de la section centrale je n'ai pas été favorable à l'adoption des deux derniers paragraphes de l'article premier, je tiens à dire succinctement à la Chambre les motifs qui ne m'ont pas permis de les accepter.

Je ferai remarquer d'abord qu'il y a une publication des listes que chaque électeur est sensé avoir examiné pour vérifier si son nom s'y trouve. C'est une première garantie.

Je ferai remarquer en second lieu que j'ai demandé en section centrale ce que l'on entendait par « administration communale », et si l'on entendait punir tout un collège échevinal parce qu'un secrétaire ou un garde champêtre n'aurait pas remis l'avertissement de radiation à l'électeur. (Interruption.) On m'a répondu qu'il ne pourrait s'agir que du cas de fraude. Mais remarquez que vous frappez la fraude dans l'administration communale, et que vous ne punissez pas l'agent subalterne qui peut seul quelquefois avoir commis la fraude.

Un troisième motif qui m'a déterminé à ne pas adopter les paragraphes dont il s'agit, c'est que les collèges échevinaux ne jouissent pas de l'impunité ; en effet, s'il était démontré qu'un collège échevinal, un bourgmestre ou un échevin qui se serait chargé de la notification, n'aurait pas accompli sa mission et s'en serait abstenu frauduleusement, il pourrait être suspendu, il pourrait même être cassé.

J'ai voté contre ces dispositions parce que je ne les considère pas comme pouvant être applicables, et parce qu'en second lieu elles ne sont nullement nécessaires pour donner aux électeurs vigilants la garantie que leur nom sera inscrit sur la liste électorale.

M. Delcourµ. - Je pense que la disposition proposée par la section centrale est réellement d'une grande utilité.

Tout à l'heure, on vous a démontré l'utilité de cette disposition sous plusieurs rapports ; en voici un qui me paraît mériter toute votre attention.

Il est certain que très souvent l'autorité communale néglige de notifier aux électeurs les radiations qui ont eu lieu. Cependant, messieurs, permettez-moi de vous rappeler la jurisprudence de la cour de cassation en cette matière.

Quoique la notification de la radiation n'ait point été faite à la partie intéressée, la cour décide que le délai pour réclamer continue à courir du jour de la publication des listes, et non du jour de la notification, d'où il résulte que la négligence du collège échevinal ou du bourgmestre met la personne dont le nom a été rayé de la liste, dans l'impossibilité de réclamer contre cette radiation.

Cette jurisprudence est aujourd'hui formelle en Belgique ; la cour de cassation l'a consacrée par plusieurs arrêts. Elle n'est pas suivie en France.

Il me semble donc qu'il est juste en pareille circonstance d'établir une sanction, sans cela vous livreriez les droits électoraux des citoyens au bon ou au mauvais vouloir des bourgmestres.

MfFOµ. - Lorsque des administrations communales opèrent la révision des listes électorales, elles ont deux choses à faire, rayer de ces listes ceux qui ne payent plus le cens voulu et y inscrire ceux qui ont le droit d'y être portés.

L'amendement considère comme un fait qui mérite d'être puni l'omission de la notification de radiation.

M. Delcourµ. - L'omission frauduleuse.

MfFOµ. - Sans doute ; mais si, frauduleusement, on omet d'inscrire sur les listes ceux qui ont le droit d'y figurer, il n'y aura pas de punition dans le système de l'amendement.

Ainsi on omet d'inscrire ceux qui, d'après les rôles, payent le cens exigé pour être électeurs ; cette omission est faite frauduleusement ; en ce cas la loi se taira : mais si l'on opère frauduleusement une radiation on sera coupable. Pourquoi cette différence ?

M. Delcourµ. - Il n'y a pas obligation comme dans le cas de radiation.

MfFOµ. - Il y a tout autant d'obligation dans un cas que dans l'autre. Voilà donc un fait frauduleusement accompli, qui cause exactement le même préjudice à l'électeur que la radiation ; au fond c'est tout à fait la même chose et cependant l'amendement propose de punir dans un cas et pas dans l'autre. Une pareille disposition ne semble pas admissible.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Coomans. - Je demande la parole.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Coomans. - Est-il donc de règle dans cette Chambre qu'on ne puisse plus prendre la parole après un ministre ?

(page 1399) MfFOµ. - C'est en effet un usage consacré ici ; il suffit de voir les Annales parlementaires pour s en convaincre.

MpVµ. - M. Coomans, vous avez la parole, la clôture n’a pas été demandée.

M. Coomans. - Messieurs, l'objection de M. le ministre des finances consiste tout simplement à dire que la disposition n'est pas assez sévère ; il faudrait, dit-il, punir aussi les omissions frauduleuses d'inscriptions légales. (Interruption.) Il est vrai qu'il est très fâcheux de voir omettre des listes électorales des noms qui devraient y figurer, et si M. le ministre des finances veut m'indiquer un moyen de remédier à ce mal, j'y adhérerai volontiers.

Mais, messieurs, il est à remarquer cependant que le citoyen qui, ayant le droit de figurer sur la liste, n'y est pas porté d'office, peut s'en prendre à sa propre négligence ; c'est d'abord à lui de réclamer son inscription, s'il ne l'a pas fait il est le premier coupable. Les autorités qui ne l'ont pas inscrit sont dans leur tort aussi, mais c'est au gouvernement à nous indiquer le moyen de punir ce fait.

Quant à la non-notification de la radiation, c'est un fait punissable dès qu'on peut supposer qu'il y a mauvaise intention ; et malheureusement il doit y avoir presque toujours mauvaise intention. Le fait est facile à constater, très facile à notifier et il est au moins entouré d'une présomption de fraude. Je ne conçois donc pas qu'on résiste à la demande de répression d'une fraude pareille qui est une des plus usitées.

Quand vous prierez un citoyen d'un droit acquis, le moins que vous puissiez faire, c'est de l'en avertir.

J'ajoute que, dans un pays libre, il est impossible qu'on punisse pour des faits qui ne soient pas placés en regard d'une responsabilité individuelle.

Je n'admets pas du tout la doctrine de M. le ministre de la justice que les corps collectifs ne puissent pas être punis pour des faits frauduleux et surtout que nous devions, nous législateurs, nous abstenir d'édicter des peines à cause de la difficulté de les appliquer à des membres de corps officiels.

Nous devons simplifier tous les actes gouvernementaux, nous devons préciser les faits et en regard de chaque fait placer une responsabilité personnelle. Si la responsabilité est indiquée, que ce soit celle du bourgmestre, je le veux bien, je le désire. En trouvez-vous une autre ? Mentionnez-la, nous nous y rallierons, mais ce que nous avons en vue ce sont des faits frauduleux. Eh bien, il faut nous donner la garantie d'une pénalité ; cette pénalité nous la demandons pour le respect des droits de tous et ce sera au bourgmestre de veillera l'observation de la loi.

- Plusieurs membres. - La clôture.

M. de Naeyer (contre la clôture). - La question me paraît assez importante pour mériter d'être élucidée. Pour ma part, j'aurais quelques observations à présenter et je voudrais surtout pouvoir répondre quelques mots à M. le ministre des finances.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

MpVµ. - Je mets aux voix la suppression des derniers paragraphes.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

MpVµ. - On demande l'appel nominal.

Je mets aux voix la suppression des deux derniers paragraphes de l'article premier.

M. Coomans. - Je crois que nous ferions mieux de mettre aux voix les amendements.

MpVµ. - Si on n'y fait pas opposition, je mets aux voix par appel nominal les deux amendements et le sous-amendement de M. de Naeyer.

- Il est procédé à l'appel nominal.

77 membres y répondent.

30 membres répondent oui.

47 membres répondent non.

En conséquence, la Chambre n'adopte pas.

Ont répondu oui :

MM. Magherman, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Schollaert, Tack, Thienpont, Thonissen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Wambeke, Verwilghen, Wasseige, Coomans, de Conninck, de Haerne, Delaet, Delcour, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dewandre, Dumortier, Funck, Jacobs, Janssens, et Kervyn de Lettenhove.

Ont répondu non :

MM. Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Rogier, Sabatier, Tesch, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Nieuwenhuyse, Vleminckx, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Crombez, de Baillet-Latour, de Bast, de Florisone, De Fré, de Macar, de Moor, de Rongé, de Vrière, Devroede, Dolez, Elias, Frère-Orban, Giroul, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Lange et Ernest Vandenpeereboom.

Rapport sur une pétition

M. Janssens. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, au nom de la commission permanente de l'industrie, un rapport sur des pétitions relatives aux distilleries agricoles.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux fraudes en matière électorale

Discussion des articles

Article premier

MpVµ. - Je dois faire remarquer que la Chambre a statué sur tous les amendements proposés à l'article premier. Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'article premier amendé ?

M. Dumortier. - Je la demande.

- Des membres. - A demain.

- La Chambre, consultée, décide que la discussion continue.

MpVµ. - La parole est à M. Dumortier.

M. Dumortier. - Messieurs, je dois combattre l'article premier, tel qu'il est conçu.

Mon opposition est dictée par un motif très simple : l'article premier érige en délit et punit la tentative d'un fait et il ne commine pas de peine contre celui qui a commis le délit.

Pourrait-on me citer une législation quelconque qui consacre un semblable principe ?

Si le fait de s'être frauduleusement fait inscrire sur la liste électorale devient un délit, il n'est pas possible que vous comminiez une peine contre celui qui a tenté de commettre ce délit, et que vous n'en comminiez pas contre celui qui est parvenu à le commettre.

De deux choses l'une : ou le fait est mauvais, ou il n'est pas mauvais.

Si le fait n'est pas mauvais, vous ne devez pas punir celui qui a tenté de le commettre ; et si le fait est mauvais, vous devez punir surtout celui qui est parvenu à le commettre.

Comment ! Vous punissez une tentative de vol, une tentative d'assassinat, et vous ne puniriez pas le vol, l'assassinat lui-même !

Je n'ai pas l'honneur d'être avocat, mais je dois le dire : depuis bientôt 35 ans que je siège dans cette enceinte, je n'ai jamais vu poser un semblable principe.

Si le fait d'avoir tenté de se faire inscrire sur la liste électorale doit être érigé en délit, à plus forte raison le fait d'être parvenu à se faire inscrire sur cette liste doit-il être érigé en délit. Mais non : vous voulez amnistier celui qui a perpétré le délit ; vous voulez lui accorder une faveur ! Cela est contraire à tous les principes.

On me dira : « La liste des électeurs est permanente. » Certainement, la liste des électeurs est permanente ; mais, malgré cette permanence des listes électorales, celui qui aura été rayé, par une députation permanente, s'il vient, le jour même de l'élection, armé d'une décision de a cour suprême, celui-là, dis-je, aura le droit de voter.

Je pense que la Chambre appréciera l'importance sérieuse de ces observations et elle reconnaîtra que j'ai bien fait d'insister pour pouvoir les lui présenter. (Aux voix ! aux voix !)

On crie : « Aux voix ! aux voix ! » Mais je n'ai pas terminé ; si on est si pressé, qu'on mette toute la loi aux voix, et tout sera fini. C'est un système fort commode ; mais ce n'est plus le gouvernement parlementaire.

J'en reviens à mon observation capitale : Comment ! un fait quelconque que vous érigez en délit sera punissable, quand il n'y aura eu qu'une tentative de le commettre, et il ne sera pas punissable, quand le délit aura été perpétré !

C'est là, messieurs, un fait inexplicable.

Je demande, quant à moi, à pouvoir amender cet article, de manière que le fait qui sera commis soit puni comme la tentative.

(page 1400) Je présenterai un amendement dans ce sens.

- Des membres. - Le fait se trouve discuté dans le rapport. (Aux voix !)

MpVµ. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole ?

M. Coomans - On fait observer que le point très grave traité par l'honorable M. Dumortier se trouve discuté dans le rapport de la section centrale. Je ne le nie pas, mais nous avons un faible espoir de convertir les membres de la section centrale, puisqu'ils viennent de rejeter eux-mêmes un amendement qu'ils avaient voté.

Laissez-nous donc discuter, et peut-être au bout de dix minutes aurons-nous le plaisir de faire changer d'opinion à MM. les membres de la section centrale.

M. Dumortier. - Je demande la suppression du troisième paragraphe de l'article de la section centrale.

M. Crombez, rapporteur. - L'honorable M. Coomans dit que nous venons de rejeter un amendement que nous avions accepté en section centrale.

D'abord il est parfaitement admis que le vote en section centrale n'oblige nullement les membres de la section. Mais le rapport n'indique nullement le nombre de membres qui ont voté pour et le nombre de ceux qui ont voté contre.

M. de Naeyer. - C'est une erreur.

M. Crombez. - Ce n'est pas une erreur, car le rapport ne constate aucun vote sur les deux derniers paragraphes de l'article premier.

M. Coomans. - Alors il n'y a pas d'amendement.

M. Crombez, rapporteur. - La majorité des membres de la section centrale s'est prononcée en faveur de l'amendement et l'on n'a pas constaté ceux qui votaient pour et ceux qui votaient contre. L'honorable M. Coomans ne peut donc dire que j'avais voté cet amendement.

M. Coomans. - Je n'ai pas parlé de vous. J'ai parlé des membres de la section centrale.

M. Crombez, rapporteur. - Mais vous venez d'entendre l'honorable M. Muller, membre de la section centrale, parler contre l'amendement.

Quant à l'observation de l'honorable M. Dumortier, je crois qu'elle n'est pas fondée. Si la Chambre veut m'entendre pendant quelques instants, il ne me sera pas difficile de lui démontrer que, dans le cas de l'article premier, il ne s'agit pas de punir une tentative, mai, bien un délit complet et consommé.

Cette question a été, d'ailleurs, discutée en section centrale et le rapport (pages 122, 123 et 124) rencontre les objections présentées par M. Dumortier.

L'article premier punit les fausses déclarations, la production d'actes simulés, qui précèdent et déterminent lés inscriptions. Ce qu'il réprime, ce n'est pas l'inscription frauduleuse sur les listes électorales, l'inscription étant un fait étranger à celui qui l'a provoquée, ce sont les fausses déclarations. Le délit existe donc en dehors de l'inscription.

Mais l'article premier n'admet la poursuite que dans le cas où la demande d'inscription a été rejetée par une décision devenue définitive et motivée sur des faits impliquant la fraude. Dans le cas, au contraire, où l’inscription a été admise par l’autorité compétente, il y a en quelque sorte chose jugée ; il y a au moins une présomption grave que l'électeur n'a commis aucune fraude, et que l'autorité compétente à trouvé les pièces régulières. Les listes, une fois arrêtées, sont réputées sincères.

Voilà pourquoi on ne poursuit pas l'électeur inscrit.

Si on entrait dans la voie qu'indique M. Dumortier, il arriverait ceci : C'est que la justice réviserait indirectement les listes électorales qui, d'après l'article 6 de la loi de 1831, sont permanentes. Des conflits naîtraient entre l'autorité administrative et la justice.

L'opinion de l'honorable membre n'est pas admissible dans notre système électoral.

M. Dumortier. - L'honorable rapporteur reconnaît que dans les deux cas, dans le cas où l'on tente de se faire inscrire sans réussir, et dans le cas où l'on tente de se faire inscrire et où l'on réussit, il y a un délit. Je dis qu'il faut punir ce délit, peu importe le cas dans lequel il se présente.

Mais, dit l'honorable rapporteur, vous allez introduire l'ordre judiciaire dans la loi et lui donner le droit de refaire en quelque sorte les listes électorales. Mais vous introduisez déjà l'ordre judiciaire dans plusieurs autres cas. Ainsi l'ordre judiciaire vous déclare en état de faillite ; il vous enlève le droit d'être électeur. Le tribunal condamne une personne à la perte de ses droits civils et politiques ; il lui enlève ses droits électoraux.

L'ordre judiciaire enlève les droits électoraux d'une foule de personnes. (Interruption.)

Messieurs, interrompez-moi tant que vous voudrez. Je suis prêt à parler. Si vous voulez que je parle pendant une heure ou deux, je le ferai. (Nouvelles interruptions.)

Vous voyez donc, messieurs, que dans l'une et l'autre hypothèse, monsieur le rapporteur l'avoue lui-même, le délit est le même. Celui qui a tenté de se faire inscrire et celui qui a réussi à se faire inscrire ont tous deux commis un délit. Alors pourquoi ne punissez-vous que celui qui a tenté de se faire inscrire ?

M. Coomans. - Parce que, dans l'autre cas, l'affaire est faite.

M. Dumortier. - C'est cela ; de manière que quand le voleur aura réussi à voler, il ne faudra plus le punir.

Cela me rappelle ce qui se faisait à Sparte. On punissait les jeunes Spartiates, non pour avoir volé, mais pour ne pas avoir su voler sans se faire connaître.

Vous faites ici ce que faisait cette loi sauvage et barbare : vous punissez celui qui a cherché à se faire inscrire frauduleusement. Mais celui qui a réussi, comme le Spartiate qui était parvenu à voler sans se faire voir, vous lui conférez des droits. C'est ainsi l'adresse que vous récompensez par votre loi. L'acte est mauvais, il est répréhensible ; c'est un délit, mais l'adressé est récompensée.

M. Wasseige. - Et peut-être la connivence.

M. Dumortier. - Messieurs, il y a encore un point qu'il ne faut pas perdre de vue, ce sont les conseils communaux, corps politiques qui forment les listes.

Maïs si un de ces corps politiques est en connivence avec un électeur frauduleux et s'il admet son inscription, voilà donc une connivence pour un fait mauvais, et ici encore pas de punition. Je vais plus loin. Veuillez voir le paragraphe 4 de l'article premier ; que porte-t-il ? Les décisions de cette nature rendues, soit par les collèges des bourgmestres et échevins, soit par les conseils communaux, soit par les députations permanentes, ainsi que les pièces et les renseignements y relatifs, seront transmis par le gouverneur au ministère public, qui pourra aussi les réclamer d'office.

Je conclus de cette disposition que le gouvernement seul pourra réclamer contre les fraudes dont il s'agit à l'article premier.

M. Crombez, rapporteur. - C'est une erreur. Le ministère public a le droit de réclamer d'office.

M. Dumortier. - Cela n'est pas dit en termes exprès. Dans le système que l'on introduit, ce sera le gouverneur qui devra demander la poursuite ; et comme le gouverneur est un homme politique, il est évident qu'il ne poursuivra pas ses amis politiques et qu'il poursuivra soigneusement ses adversaires politiques.

Voilà, messieurs, le système dans lequel on entre, quand on fait des lois de parti.

M. le rapporteur, parlant admirablement à la fin du discours qu'il a prononcé dans la discussion générale, nous a convié à voter la loi ; il a émis le vœu que la loi soit votée par une partie de la droite. Pour que cette loi ait une force morale, nous a-t-il dit, il faut qu'une grande partie de la droite la vote.

Eh bien, qu'avons-nous vu depuis ces nobles paroles ? C'est que pas un amendement de la droite n'a obtenu l'appui d'un seul membre de la gauche.

Et vous croyez que les membres de la droite vont venir à vous pour voter votre projet de loi !

Vous croyez que les membres de la droite se nourrissent de pareilles graines. (Interruption.) Vous avez abattu tous nos amendements, vous avez écarté toutes nos observations ; vous ne nous laissez pas même le droit de parler. (Interruption.) Pas un seul membre de la gauche n'a appuyé un seul amendement présenté par la droite ; je demande si c'est par de semblables moyens qu'on prétend obtenir nos votes en faveur de la loi.

Je rentre, messieurs, dans les modifications proposées par l'article premier.

Je dis qu'il n'est pas possible de comminer une peine contre celui qui a fait une tentative, alors que vous ne comminez aucune peine contre celui qui a consommé le délit. Comment ! si un électeur découvre après l'élection qu'un autre (page 1401) électeur s'est fait porter sur la liste au moyen d'une déclaration frauduleuse, par cela seul qu'il n'a pas connu ce fait à un moment donné, il ne lui sera plus permis de réclamer ! D'un autre côté, voici un électeur qui n'a pas été admis et qui, par conséquent, n'a point participé à l'élection, celui-là, vous le punissez et vous ne punissez pas celui qui a vicié l'élection. Je dis que c'est contraire à tout les principes ; on n'a jamais vu aucune loi punir la tentative avortée et ne pas punir le délit consommé !

MpVµ. - Je mets aux voix l'article premier amendé. Que ceux qui sont pour veulent bien se lever.

M. Jacobsµ. - Je demande la parole sur la position de la question.

MpVµ. - L'épreuve est commencée. (Interruption.) On ne prend pas la parole quand l'épreuve est commencée. (Interruption.) Je fais observer le règlement. Je ne fais pas faire autre chose. J'ai demandé que ceux qui adoptent l'article premier amendé veuillent se lever....

M. Coomans. - Ce n'est pas la question. (Interruption.) La question, c'est l'amendement.

MpVµ. - Je n'ai pas reçu d'amendement.

Je continue l'épreuve ; que ceux qui sont pour l'article premier amendé veulent bien rester levés.

Que ceux qui sont d'un avis contraire veulent bien se lever.

- L'article premier amendé est adopté.

La séance est levée à 5 heures 1/4.