(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 1379) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Carlier demande que le projet de loi sur les fraudes électorales contienne une disposition prescrivant que les scrutateurs seront désignés par le sort et pris parmi les membres des conseils communaux de l'arrondissement ou du canton ; qu'ils devront prêter le serment de remplir fidèlement leur devoir et qu'on désignera également un certain nombre de scrutateurs supplémentaires. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux fraudes électorales.
« Le sieur Masquelin demande que la loi établisse autant de collèges électoraux qu'il y a de membres de la Chambre à élire. »
- Même décision.
« Le sieur Galbert prie la Chambre de mettre une fin à la pression et à l'intimidation qu'on exerce, au moment des élections, sur les cabaretiers. »
- Même décision.
« Les membres de l'administration communale de Luttre prient la Chambre de donner la préférence au système qui consiste à remettre à chaque électeur, dans la salle du scrutin, un bulletin imprimé portant les noms des candidats déclarés, sur lequel il effacerait à la plume ceux qui ne lui conviendraient pas. »
- Même décision.
« Le sieur Clément prie la Chambre de décider la révision de la Constitution pour étendre le droit de suffrage à tous les citoyens et demande que le pays soit divisé en circonscriptions électorales de 40,000 habitants, que chaque circonscription élise un représentant, que deux circonscriptions soient réunies pour élire un sénateur et que les opérations électorales aient lieu au chef-lieu de chaque circonscription dans un seul bureau ouvert du matin au soir, pendant dix ou douze jours consécutifs. »
- Même décision.
« Le conseil communal de (erratum, page 1417) Mont demande que la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Frameries soit accordée aux péages les plus réduits et aux tarifs les plus avantageux que la concurrence pourrait faire obtenir. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer de Saint-Ghislain à Frameries.
MpVµ - Le bureau a reçu la lettre suivante :
« Bruxelles, le 8 juillet 1865.
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous informer qu'à l'occasion de l'anniversaire de l'inauguration du Roi, un Te Deum sera célébré le vendredi 21 de ce mois à midi, en l'église des SS. Michel et Gudule.
« Agréez, etc.
« Le ministre de l'intérieur,
« (Signé) Alp. Vandenpeereboom. »
La Chambre entend-elle se rendre en corps à cette cérémonie ?
- Cette question est résolue affirmativement.
MpVµ - M. Thibaut demande un congé pour cause d'indisposition.
- Accordé.
M. Thonissenµ. - Messieurs, dans la séance de samedi, l'honorable M. Delcour a manifesté le vœu de voir discuter, avec l'article premier, les amendements qu'il avait antérieurement déposés. La Chambre n'ayant formé aucune opposition à cette demande, je crois pouvoir m'y conformer.
En ce qui concerne les amendements de l'honorable membre qui ont pour but d'introduire la publicité et le débat contradictoire devant la députation permanente, je partage l'avis des honorables ministres de la justice et des finances. A mes yeux, ces amendements doivent être repousses par la question préalable. Ce système peut offrir des avantages sérieux, je n'entends pas le nier ; il mérite un examen attentif, j'en conviens volontiers ; mais, sous peine de nier l'évidence, il faut convenir que ces amendements n'ont aucun rapport direct et nécessaire avec la loi que nous discutons.
D'autre part, messieurs, tel qu'il nous est présenté, ce système, emprunté à la législation française, n'est ni assez complet ni assez mûri ; il n'est pas suffisamment approprié à la législation nationale. L'honorable M. Delcour veut la publicité, la plaidoirie, le débat contradictoire devant la députation permanente, c'est-à-dire en degré d'appel. Or l'honorable membre n'a pas pensé à ce que, dans ce système, il conviendrait de faire en première instance, c'est-à-dire devant l'autorité locale. Nous arriverions ainsi à la plus étrange anomalie. Nous aurions le débat contradictoire et la publicité en appel, nous aurions le huis clos et l'absence de contradiction en première instance. Evidemment cela ne se peut pas. Que l'honorable membre développe ses idées et présente un système complet, en usant de son initiative ; je l'examinerai avec la plus grande bienveillance et probablement j'y donnerai mon vote approbatif. Mais, il faut en convenir, aujourd'hui cette proposition est un véritable hors d'œuvre ; on ne peut pas la rattacher directement à aucun article de la loi.
Mais, messieurs, il y a un autre amendement de l'honorable M. Delcour, qui tend à déférer au jury la connaissance des infractions commises en matière électorale. Cet amendement-là, je le trouve juste et rationnel, et, à mon avis, il ne saurait être repoussé par la question préalable. D'un côté, il est en rapport direct et immédiat avec la loi que nous discutons ; de l'autre, il présente d'incontestables avantages. Je le crois non seulement utile, mais nécessaire et indispensable.
Cependant une fin de non-recevoir lui a été opposée par l'honorable ministre de la justice.
Si j'ai bien compris l'argumentation de M. le ministre de la justice, elle consiste à dire : Il faut placer les dispositions pénales dans les lois pénales, les règles de procédure dans les lois de procédure, les règles de compétence dans les lois de compétence.
En principe, M. le ministre de la justice a raison. Il importe que chaque espèce de lois soit, autant que possible, rangée dans une catégorie spéciale, et il en est généralement ainsi dans toute législation bien coordonnée. Mais M. le ministre de la justice sait aussi bien que moi, mieux que moi, que cette règle n'a rien d'absolu. Nous possédons peut-être une centaine de lois spéciales dans lesquelles on trouve en même temps des règles pénales, des règles de procédure et des règles de compétence.
Je ne ferai pas l'énumération de ces lois. Je me bornerai à en citer trois à la rédaction desquelles, si je ne me trompe, l'honorable ministre de la justice a concouru, ou qu'il a, tout au moins, appuyés de son vote. Nous avons la loi du 8 mai 1848 sur la garde civique, dans laquelle on prévoit les infractions que le garde peut commettre et où, en même temps, on règle la compétence du conseil de discipline et la procédure devant ce conseil. Nous avons la loi du 1er mai 1849 sur les tribunaux de police et les tribunaux correctionnels, dans laquelle on étend les pouvoir de ces tribunaux et où, en même temps, on abaisse les peines applicables à certaines infractions.
Nous avons la loi du 15 mai 1849 qui détermine la compétence de la cour d'assises et où, en même temps, on modifie largement l'article 463 du Code pénal. Evidemment la règle n'a donc rien d'absolu, et ce qui le prouve encore plus clairement, c'est que la disposition présentée par l'honorable M. Delcour n'est pas nouvelle.
MpVµ. - Mais, M. Thonissen, nous sommes dans l'article premier et l'amendement de M. Delcour est un article nouveau.
M. Thonissenµ. - Il aurait fallu le classer, M. le président.
(page 1380) MpVµ. - M. Delcour le placera où il voudra.
M. Delcourµ. - Je le rattache à l'article 32.
M. Thonissenµ. - Soit ; mais puisque j'ai commencé mon discours, autant vaut me le laisser continuer.
MpVµ. - La discussion est ouverte sur l'article premier et sur les amendements qui s'y rattachent. Or l'amendement de M. Delcour ne se rapporte pas à cet article.
M. Thonissenµ. - C'est un article nouveau, autant vaut que je parle maintenant que plus tard.
MpVµ. - Mais on va vous répondre.
M. Thonissenµ. - Tant mieux ; je suis au milieu de ma démonstration, il serait préférable de me laisser continuer.
M. Bouvierµ - Continuez, nous gagnerons ainsi la moitié d'un discours.
M. Thonissenµ. - J'ai donc prouvé qu'on introduit souvent dans une même loi des règles de droit pénal, des règles de procédure, et des règles de compétence. J'ai ajouté que la proposition faite par M. Delcour n'était pas nouvelle. On la trouve en effet dans la loi française du 15 mai 1849, qui a organisé le système électoral de la république de février.
Dans cette loi il y a tout un titre, le titre VI, consacré aux crimes et aux délits ayant pour but et pour résultat de porter atteinte à la liberté des électeurs et à la sincérité des opérations électorales. Or, à la suite de cette longue énumération, l'article 119 de la loi française portait : « Les crimes et délits prévus par la présente loi sont jugés par la cour d'assises. L'article 463 du code pénal leur est applicable. » Et à cet égard le citoyen Rillaut, rapporteur de la loi, disait que le jury était le protecteur naturel des citoyens qui se trouveraient en butte aux vexations résultant d'une plainte méchante et mal fondée.
Il est vrai que ce système n'a pas été maintenu en France. On l'a abrogé en 1852, quelques semaines après le coup d'Etat. Alors on a de nouveau pris pour règle de faire juger par les cours d'assises les crimes commis en matière électorale, et par les tribunaux correctionnels les délits proprement dits, quelle que soit leur nature. Mais quand a-t-on introduit cette innovation ? Elle date de l'époque où le régime parlementaire lui-même a sombré en France.
La règle invoquée par l'honorable ministre n'est donc pas une règle inflexible.
Sans doute, il faut en principe, je le répète, faire des lois séparées pour les matières pénales et ne pas y mêler des règles de compétence ; mais quand il y a eu un intérêt réel à ne pas procéder ainsi, on peut agir d'une autre manière. Dans le cas actuel, toute la question se réduit donc à savoir s'il y a ou non avantage à introduire dans la loi que nous discutons l'amendement de l'honorable M. Delcour.
Or, à cet égard, mon opinion est formée ; il me semble qu'il y a non seulement avantage mais nécessité à prendre ce parti.
L'honorable ministre de la justice nous a dit que déjà la lacune signalée par l'honorable M. Delcour est en partie comblée. Nous avons, disait-il, l'article 98 de la Constitution, suivant lequel les infractions politiques sont toujours soumises à l'appréciation du jury ; d'où il concluait avec raison que, si les infractions prévues par la loi actuelle sont des infractions politiques, elles seront nécessairement portées devant la cour d'assises.
L'honorable rapporteur, dans un passage très bien écrit de son rapport, a développé le même système ; l'honorable M. Giroul, à son tour, a parlé dans le même sens au sein de la Chambre.
Mais je ne sais, messieurs, si ces honorables membres se sont suffisamment préoccupés de l'embarras extrême qu'on rencontre à bien déterminer ce qu'il faut entendre par une infraction politique. C'est un des points les plus difficiles et les plus controversés de la science.
Suivant moi, messieurs, toute infraction quelconque ayant pour but de porter atteinte à la sincérité du système électoral, c'est-à-dire de l'une des bases de notre organisation politique, constitue un délit politique. Mais suivant beaucoup d'auteurs, et des plus éminents, il n'en est pas ainsi ; suivant plusieurs, d'entre eux, peut-être aucune des trente-cinq infractions prévues par le projet en discussion ne présenterait le caractère juridique requis pour l'existence de l'infraction politique.
L'honorable rapporteur nous a cité M. Dalloz ; de mon côté, je citerai deux hommes dont les noms jouissent, à juste titre, d'une autorité incontestée parmi les criminalistes, M. Haus et M. Ortolan ; et vous verrez immédiatement que les définitions qu'ils donnent du délit politique sont loin d'être identiques.
Voici la définition de l'infraction politique donnée par M. Haus, l'éminent professeur de l'université de Gand :
« Par infractions politiques, on entend les crimes et les délits, qui sont exclusivement dirigés contre l'ordre politique et qui tendent à le changer ou à le troubler. L'ordre politique comprend, à l'extérieur, l'indépendance de la nation et l'intégrité du territoire ; à l'intérieur, la forme du gouvernement établi par la Constitution et l'autorité constitutionnelle des pouvoirs politiques, c'est-à-dire, des Chambres et du Roi. »
En appliquant rigoureusement cette formule, on pourrait très bien soutenir que la plupart des infractions prévues par le projet de loi échappent à la définition du délit politique.
Voici, d'autre part, la définition donnée par M. Ortolan, professeur très distingué de la faculté de droit de Paris :
« Si l'on suppose que des actes soient commis ayant pour but, par des moyens contraires à la loi et frappés de peines par elle, soit de renverser ou de modifier l'organisation des grands pouvoirs de l'Etat, soit de détruire, d'affaiblir ou de déconsidérer l'un de ces pouvoirs ; soit d'étendre ou de restreindre la part que les divers membres de l'association sont appelés à y prendre ; soit d'exercer dans un sens ou dans un autre, une action illégitime sur le jeu de leur mécanisme ou sur la direction générale et suprême qui en résulte pour les affaires de l'Etat ; soit de détruire ou de transformer en quelques-uns de leurs éléments ou en tous les conditions sociales faites aux individus par la constitution... tous ces actes, puisés à une idée commune d'atteinte à l'ordre social ou à l'ordre politique établi, sont des délits politiques. »
Vous le voyez, messieurs, d'après cette définition, toutes les infractions, ou du moins le plus grand nombre des infractions prévues par la loi que nous discutons, sont des infractions politiques et par conséquent de la compétence des cours d'assises.
Quelle conclusion faut-il en tirer ? c'est que chaque fois qu'il est question de savoir si un délit est ou n'est pas politique, on peut rencontrer de longs débats et des difficultés sérieuses.
Eh bien, messieurs, ce sont ces débats que je veux éviter. Je veux que le caractère des infractions créées par la loi soit immédiatement et clairement fixé, de manière à éviter toute espèce de controverse. Je veux que ces infractions soient jugées par la cour d'assises, alors même qu'elles ne seraient pas, à proprement parler, des infractions politiques.
A mon avis, nous avons incontestablement le droit de prendre cette mesure. Aux termes de l'article 98 de la Constitution, le jury est obligatoire dans les matières politiques ; mais rien ne s'oppose à ce qu'on soumette à cette même juridiction du jury des délits qui n'auraient pas le caractère d'une infraction politique.
Nous ne trouvons pas davantage un obstacle dans les principes généraux du code d'instruction criminelle. Il est très vrai que ce code prescrit l'établissement d'un tribunal particulier pour chaque espèce d'infraction, mais, on ne doit pas l'oublier, le code d’instruction criminelle dans son article 365, n'en admet pas moins que la cour d'assises est compétente, non seulement pour les crimes proprement dits, mais aussi pour les délits et même pour les simples contraventions.
Ainsi, au point de vue de la Constitution, comme au point de vue du code d'instruction criminelle, rien ne s'oppose à ce qu'on fasse juger par le jury les infractions à la loi actuelle, alors même qu'elles ne seraient pas des infractions politiques.
Mais, messieurs, indépendamment de la question de droit, j'ai a faire valoir une considération de fait. Ici la discussion devient plus délicate, mais je m'exprimerai avec toute la modération possible.
Une partie de la magistrature inférieure intervient activement dans les luttes électorales. Des membres de tribunaux de première instance font partie des associations politiques ; on a même vu, dans un arrondissement, toute la magistrature locale, sauf un seul juge, adresser une circulaire à ses justiciables.
J'ai la pièce sous les yeux et je la communiquerai à la Chambre, si elle le désire. Le président, tous les juges, sauf un seul, le procureur, du roi, le substitut du procureur du roi, le juge de paix, le greffier, toute la magistrature prend une attitude politique, se déclare favorable à tel candidat et défavorable au candidat qui lui est opposé.
M. Allard. - Cela s'est fait à Tournai.
M. Thonissenµ. - Cela s'est fait à Tournai, dit l'honorable M. Allard ; il veut dire peut-être que cela s'est fait au profit de l'opinion conservatrice.
M. Allard. - Au profit de l'opinion catholique.
M. Thonissenµ. - Je n'en veux ni pour vous, ni pour nous ; je ne veux pas que les magistrats jouent un rôle militant dans les luttes politiques.
Je ne prétends pas, assurément, qu'ils n'aient pas le droit d'avoir une (page 1381) opinion politique ; je ne trouve pas même mauvais qu'ils manifestent hautement leur opinion et la défendent par des moyens loyaux ; mais ce que vous devez trouver mauvais avec moi, c'est qu'ils se fassent courtiers électoraux et agents actifs dans toutes les luttes électorales qui se produisent dans leur ressort.
Eh bien, messieurs, cela se fait et j'ai ici la preuve que plusieurs magistrats descendent de leur siège et se mêlent activement à toutes les luttes des partis.
M. Eliasµ. - Cela se voit de différents côtés.
M. Thonissenµ. - Donc mon amendement est bon ; plus l'abus est grand, plus il est nécessaire d'en prévenir les conséquences.
Eh bien, messieurs, je vous le demande, et j'en appelle à l'intelligence élevée, au caractère loyal et franc de M. le ministre de la justice, est-il possible d'admettre que les magistrats soient lutteurs la veille et que, le lendemain, ils soient les juges de ceux contre lesquels ils ont lutté ? Evidemment cela ne se peut pas. Que feriez-vous si un candidat conservateur l'avait emporté sur son concurrent, appuyé par le procureur du roi, par le juge d'instruction et par les autres magistrats du chef-lieu de l'arrondissement ?
Vous savez, messieurs, ce qui se passe et, sous ce rapport, tous les partis sont les mêmes : lorsqu'ils sont vaincus, ils attribuent toujours le succès de leurs adversaires à des manœuvres déloyales. Eh bien, le procureur du roi, lutteur vaincu, fera un réquisitoire, le juge d'instruction, lutteur vaincu, fera une enquête, et le tribunal, composé, lui aussi, en majorité de lutteurs vaincus, jugera ceux qui l'ont emporté la veille. Une situation pareille serait insupportable dans un pays libre, et je n'en vois le remède que dans l'intervention du jury.
Veuillez, messieurs, ne pas vous méprendre sur mes intentions, ni sur la portée réelle de mes paroles.
Je ne prétends pas du tout que, parce qu'un magistrat sera appelé à juger des adversaires politiques, il rendra un jugement injuste. Non, cette pensée, je la repousse de toutes mes forces ; mais je prends l'homme tel qu'il est, tel que nous sommes tous, tel que je suis moi-même, et je dis, qu'à notre insu, nous subissons tous l'influence de nos opinions, de nos sympathies, de nos passions, de nos intérêts. Je rappellerai à cet égard un mot prononcé par l'honorable M. de Brouckere ; dans une autre circonstance, il disait : « N'est pas impartial qui veut. » C'est là une parole ayant un sens profond.
C'est à ce point de vue, uniquement à ce point de vue, que je parle du danger de confier aux magistrats locaux la connaissance de délits ayant un caractère politique. Il n'y a pas là une atteinte quelconque portée à l'honneur de la magistrature. Est-ce que, par hasard, le code de procédure civile porterait atteinte à l'honneur des membres des tribunaux, lorsqu'il permet de récuser un juge, par cela seul qu'il a bu ou mangé aux frais de l'une des parties ? Evidemment non.
Le régime parlementaire est un régime de défiance et de surveillance. Les Chambres surveillent les ministres, le corps électoral surveille ses mandataires, et, dans toutes les branches de l'administration, on trouve un système de surveillance organisé depuis le sommet jusqu'aux rangs les plus inférieurs.
- Un membre. - Et les prêtres !
M. Thonissenµ. - Vous parlez des prêtres et vous en parlez souvent ; mais quand j'ai besoin d'un prêtre, je puis choisir entre les 400,000 prêtres de toute la chrétienté.
Si, au contraire, une poursuite est dirigée contre moi, je n'ai pas le choix de mon juge ; mon juge m'est assigné par la loi, je dois passer par ses mains ; il ne faut donc pas que ce juge puisse être mon adversaire de la veille. Il n'y a aucun rapport entre la juridiction libre et facultative du prêtre et la juridiction forcée du magistrat.
Je crois vous avoir prouvé, messieurs, qu'en droit et en fait il convient d'attribuer au jury seul la connaissance des infractions qui nous occupent.
Une objection peut m'être faite et je vais y répondre à l’avance.
On me dira : Devant le jury aussi, vous pouvez trouver des adversaires politiques. Cela est vrai, mais je trouve ici des garanties que je n'ai pas devant les tribunaux correctionnels.
S'il y a 28 jurés présents, je puis en récuser 8 pour ma part. S’il y en a 30, je puis en récuser 9.
J'ai de plus devant le jury des garanties solennelles que je n'ai pas devant le tribunal correctionnel. Et puis, messieurs, je n'ai pas peur du jury. Je crois que, dans les régimes démocratiques, il importe d'élargir la mission autant que possible.
Nous n'avons, du reste, pas vu qu'en Belgique le jury ait abusé de ses pouvoirs, qu'il ait flétri des innocents. Le jury, c'est le pays lui-même jugeant les citoyens accusés.
Du reste, si cet argument était sérieux, il faudrait enlever au jury l'appréciation de toutes les infractions politiques, car si le jury est dangereux en cette matière, qui est en quelque sorte d'une nature mixte, il le serait à plus forte raison dans les matières exclusivement politiques.
Messieurs, des motifs analogues me font désirer que pour les trente-cinq infractions prévues par le projet de loi, on n'admette pas la détention préventive lorsque les faits ne sont pas punissables de peines criminelles proprement dites.
Vous devez le comprendre, messieurs, dans les petits arrondissements où les magistrats eux-mêmes deviennent des lutteurs...
MpVµ. - M. Thonissen, vous n'êtes pas dans l'article premier.
M. Thonissenµ. - Je vais avoir fini, M. le président.
Je désire donc, pour les mêmes raisons, qu'aussi longtemps que le délit électoral n'est punissable que de peines correctionnelles, la détention préventive ne puisse avoir lieu.
Les motifs que j'ai allégués en faveur de la compétence du jury peuvent être également invoqués ici.
Dans certains arrondissements, où l'on verrait le procureur et le juge d'instruction figurer parmi les agents les plus actifs des partis, la détention préventive en matière électorale pourrait faire naître des inconvénients de toute nature.
Supposons, ce n'est qu'une supposition, que ces messieurs, usant de leur pouvoir, fassent subir une détention préventive à des courtiers électoraux influents de l'une des deux opinions politiques.
Le lendemain il y aurait une terreur générale et votre loi serait bien réellement une loi d'intimidation.
Je ne suis pas adversaire systématique du projet. Je suis prêt à répondre à l'appel de M. Crombez. Je suis disposé à voter la loi, mais je demande qu'on y introduise des garanties sérieuses pour toutes les opinions politiques.
Nous avons tous le même intérêt à ce que les élections soient sincères et loyales, à ce qu'il n'y ait de pression ni d'un côté ni de l'autre, à ce que toutes les opinions soient placées sur le même rang.
Donnez-nous les garanties sérieuses de l'intervention du jury, et je ne verrai aucun motif sérieux de rejeter votre projet.
MjTµ. - Je n'ai qu'une seule observation à faire, c'est qu'il est impossible de discuter toutes les questions à la fois.
Je répondrai à l'honorable M. Thonissen lorsque viendra l'article 32 : pour le moment je me borne à protester contre les insinuations qu'il a adressées à la magistrature.
M. Thonissenµ (pour un fait personnel). - M. le ministre parle d'insinuations contre la magistrature. C'est un mot que je repousse de toutes mes forces. Je n'ai rien insinué. J'ai les pièces sous les yeux, et je prouverai, si l'on veut, qu'au lieu d'insinuer, je n'ai fait qu'avancer des faits dont j'ai les preuves en mains.
MjTµ. - Quand nous discuterons l'article 32, l'honorable M. Thonissen dira tout ce qu'il voudra ; s'il y a des abus, il les dévoilera, et je lui déclare que je ne les approuverai pas. Mais je crois impossible de discuter ici l'article 32 et toutes les questions à la fois.
MpVµ. - La parole est à l'honorable M. Delcour. Je l'invite à se renfermer dans l'article premier.
M. Delcourµ. - C'était mon intention, M. le président ; j'ai eu l'honneur de vous dire que je rattacherais à l'article. 32 l'amendement relatif à la poursuite des délits prévus par le projet de loi que nous discutons. Je ne parlerai que du premier amendement, de celui que j'ai soumis à la Chambre, conjointement avec quelques-uns de mes honorables collègues.
L'honorable préopinant a critiqué ce dernier amendement à trois points de vue différents.
Il a dit d'abord qu'il était inopportun ; il lui a reproché, en second lieu, d'être incomplet ; enfin, il a affirmé qu'il ne s'harmonisait pas avec l'ensemble de notre législation.
J'espère vous démontrer qu'aucune de ces critiques n'est fondée.
Il est inopportun, dit on ; examinons ce premier grief.
Vous vous rappelez, messieurs, quelle a été la cause de mon amendement.
Vous n'avez pas oublié, messieurs, que la question qui fait l'objet de mon amendement a été soulevée dans cette Chambre lors de la discussion générale du budget de l'intérieur ; sur l'observation de l'honorable ministre de l'intérieur qu'il conviendrait d'examiner la question dans (page 1382) une autre circonstance, je consentis à l'ajournement, mais en déclarant que je reviendrais sur ce point pendant la discussion du projet de loi sur les fraudes électorales. C'est donc pour remplir cet engagement que, de commun accord avec mes honorables collègues, nous avons déposé l'amendement.
Je dis que notre proposition est conforme en tout point à l'esprit du projet de loi dont nous sommes saisis.
L'honorable M. Crombez a dit avec beaucoup de raison, dans le rapport de la section centrale, que les atteintes portées à la sincérité du vote provenaient de plusieurs causes.
Il en est, dit-il, qui se rattachent à la formation des listes électorales ; il en est d'autres qui ne se manifestent qu'après.
Eh bien, c'est à cette considération que je me suis d'abord arrêté : je me suis dit : Si la sincérité des élections dépend avant tout de la sincérité des listes électorales, n'est-il pas de notre devoir de faire tout ce qui dépend de nous afin d'assurer ce résultat ? Voilà la première idée qui m'a préoccupé.
Comment ose-t-on dire que ma proposition est inopportune ! inopportune, une proposition qui tend à prévenir les faux électeurs, et au moment où on nous demande de décréter des peines contre ceux qui usurpent les droits électoraux !
Si je voulais, messieurs, entrer dans des détails, si je voulais produire devant la Chambre les faits particuliers qui sont en ma connaissance, vous seriez aussi convaincus que je le suis de la nécessité de la mesure que nous vous proposons.
Je connais des arrondissements dans lesquels, grâce à l'absence de publicité, on a vu des individus inscrits à la fois sur deux listes électorales, et cela malgré les réclamations réitérées adressées à l'autorité communale et à la députation permanente. Je pourrais vous citer plusieurs villes où le bourgmestre s'est obstiné à refuser des extraits des registres de la population afin d'empêcher l'efficacité des réclamations en matière électorale.
Voilà certainement des abus. Or, ces abus seraient impossibles, s'il était permis aux intéressés d'engager sous les yeux du public et devant le juge d'appel, une discussion sérieuse et approfondie des faits.
En révélant ainsi au pays les fraudes pratiquées, je dis que nous aurons fait une chose utile et efficace, que nous aurions garanti la sincérité des listes mieux que par tout autre moyen.
Dira-t-on encore maintenant que ma proposition n'est point dans l'esprit du projet de loi ?
Vraiment, messieurs, je suis étonné que l'honorable membre ait pu produire une telle assertion dans cette enceinte !
En France, ce ne sont pas les conseils de préfecture qui jugent les réclamations auxquelles les listes électorales donnent lieu. Les réclamations sont jugées, en premier ressort, par une commission choisie dans le sein du conseil communal, et, en appel, par les juges de paix. Et si la réclamation soulève une question d'état, la législation française établit une garantie nouvelle et prescrit au juge de paix d'ordonner le renvoi devant le tribunal d'arrondissement.
Oui, je tiens à le répéter, lorsque nous demandons d'appliquer le principe de publicité aux audiences des députations permanentes, nous demandons une chose qui est inscrite dans la Constitution. Je puis donc dire, avec vérité, que la législation est insuffisante et incomplète ; ma proposition a un caractère d'opportunité qu'on ne peut sérieusement contester.
Messieurs, ces observations ont répondu, j'espère, à la première critique que vous avez entendue.
J'arrive maintenant à la seconde partie de la critique. On a dit que ma proposition est incomplète, et, pour donner à cette accusation une apparence de raison, on m'a prêté des paroles que je n'ai pas prononcées. Non, messieurs, ce n'est pas à la législation française que nous avons emprunté le système que nous avons eu l'honneur de vous proposer. Voici ce que j'ai dit, et les Annales parlementaires en font foi : En France, la publicité ni le débat oral n'étaient point admis devant la juridiction contentieuse administrative, le conseil de préfecture et le conseil d'Etat jugeaient à huis clos.
C'est seulement après un demi-siècle de luttes et d'efforts que les lois ont consacré ces principes éminemment protecteurs de la justice. Mais je répète qu'en France, les contestations relatives aux droits électoraux ne font pas partie du contentieux administratif.
Je me suis demandé, messieurs, si sous notre régime constitutionnel qui repose tout entier sur la publicité, nous n'avions pas le droit d'exiger pour les justiciables des garanties qu'on ne leur refuse nulle part.
Vous voyez donc, messieurs, que mon amendement ne reproduit pas la législation française ; si j'avais voulu reproduire cette législation, je vous aurais demandé de renvoyer aux tribunaux les contestations relatives aux listes électorales.
Mon amendement est incomplet, dit-on encore, à un autre point de vue ; pour être conséquent, j'aurais dû demander la publicité des audiences des autorités communales lorsqu'elles jugent en matière électorale.
Ah ! messieurs, si j'avais osé produire cette proposition, soyez persuadés que je n'aurais pas attendu un instant ; mais en présence de l'opposition que rencontre déjà ma proposition appliquée seulement aux audiences des députations permanentes, ne devais-je pas me dire que j'en compromettrais le résultat en allant au delà de ce qui est indispensable ? A cette première considération, j'en ajouterai une seconde.
Là publicité des séances des députations permanentes dans le sens absolu qu'a donné à ce principe le conseil provincial de Liège me paraît dangereuse.
La Chambre se rappelle que j'ai combattu la publicité dans les affaires administratives proprement dites ; je ne la veux que là où je rencontre une contestation qui a pour objet un droit politique, un droit que la Constitution a placé sous la sauvegarde des tribunaux ordinaires, et que, par exception, la loi peut confier à d'autres pouvoirs.
L'objection la plus grave qui puisse être faite contre ma proposition c'est qu'elle donnera lieu à des lenteurs qui ne laisseront plus aux députations assez de temps pour juger les réclamations dans les délais très courts qu'établit la loi. Si cette objection était vraie, elle le serait bien plus encore si j'avais appliqué la publicité aux audiences des autorités communales et demandé le débat contradictoire.
Non, messieurs, je n'ai pas voulu m'exposer à ce reproche, j'ai voulu vous faire une proposition acceptable et utile. Les listes électorales sont formées, chaque année, par les autorités communales ; si des réclamations sont déférées à l'autorité communale, celle-ci, en portant une décision qui a les caractères d'un véritable jugement, procède, en quelque sorte, à un acte de révision de la liste.
Les besoins de la publicité ne commencent véritablement que devant la députation permanente ; c'est-là que se produit le véritable débat ; cela est si vrai, que la loi électorale a accordé aux agents du gouvernement des pouvoirs spéciaux.
En effet, le droit d'appel peut être exercé d'office par les commissaires d'arrondissement, et la faculté de se pourvoir en cassation appartient aux gouverneurs.
C'est donc bien à tort qu'on accuse mon amendement d'être incomplet. Si je n'ai pas appliqué la publicité au jugement des autorités communales, c'est que j'ai dû tenir compte des besoins du service, des difficultés nombreuses qu'aurait rencontrées l'application du principe.
Messieurs, je ne chercherai jamais à introduire dans nos lois des principes contraires à l'économie générale de la législation. En législateur consciencieux, je maintiendrai les précédents, car je n'appartiens pas à cette école qui veut tout renverser. Mais aussi, lorsque je serai convaincu de l'utilité d'une amélioration, je ne reculerai jamais devant la difficulté de la position.
J'arrive enfin à la dernière critique qu'on a faite à ma proposition, on a dit : Mais votre amendement n'est pas en harmonie avec l'ensemble de notre législation. J'ai beau chercher, je ne trouve pas une loi, je ne trouve pas un principe juridique auquel mon amendement fait violence. Voilà donc encore un reproche tout à fait immérité. Je me demande en vain qu'elle loi j'ai violée.
Ce n'est évidemment pas la loi communale ; ce n'est pas non plus la loi provinciale ; car, selon la loi provinciale sainement entendue, le gouvernement lui-même a le pouvoir d'approuver les règlements des députations qui admettraient la publicité des séances. Je vous ai cité un précédent remarquable dans ce qui s'est passé au Conseil provincial de Liège ; ce précédent est d'autant plus grave que la résolution du Conseil provincial a été approuvée par l'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, après avoir pris l'avis du conseil des ministres.
Je crois pouvoir m'arrêter ici. J'ai prouvé que la proposition que nous avons faite avec mes honorables collègues, n'est contraire à aucune loi, qu'elle n'est en opposition à aucun principe de la législation. Ces considérations succinctes auront répondu aux reproches inconsidérés qui m'ont été faits.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne veux pas examiner en ce moment la question si importante de la publicité des séances des députations permanentes des conseils provinciaux et des débats oraux devant les collèges ; en principe général, la publicité des séances des corps délibérants a des avantages incontestables, (page 1383) mais il faut que ce système qui est nouveau encore pour notre pays, soit organisé et réglé et qu'il soit mis en harmonie avec l'ensemble de notre législation ; c'est là un principe qui ne peut être introduit incidemment, cette question doit être réservée.
La proposition de M. Delcour ne peut donc trouver sa place ici et l'honorable membre paraît l'avoir compris lorsqu'il a rédigé son amendement. Nous faisons une loi pour prévenir et réprimer les fraudes électorales, et nous admettons tous les amendements qui se rapportent à cette loi, mais nous ne pouvons admettre des amendements ayant pour but de modifier profondément des lois organiques qui ne sont pas en discussion, et pour ce motif nous devons opposer à l'amendement de M. Delcour la question préalable.
En effet, M. Delcour a présenté lui-même son amendement comme une modification à l'article 13 de la loi électorale et à l'article 17 de loi communale.
M. Delcourµ. - C'était pour le faire comprendre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Si j'oppose la question préalable à la proposition de l'honorable membre, je ne le fais certes pas pour le simple plaisir de repousser une proposition qui peut avoir son utilité, et qui a été développée par son honorable auteur avec un talent et une conviction auxquels je rends du reste hommage.
Mais on ne peut, à propos d'une loi spéciale, toucher à toutes nos lois organiques ; si l'on continue de proposer à la loi sur les fraudes électorales des amendements sans fin et de toute nature, il nous sera impossible de faire une bonne loi sur la matière et nous nous exposons à troubler l'harmonie de plusieurs de nos lois organiques.
Je ne discuterai donc pas l'amendement de M. Delcour, je me bornerai à dire que s'il était admis en principe, il devrait d'abord être examiné sérieusement, afin que dans la pratique on ne vienne pas échouer contre des impossibilités. Or, messieurs, c'est ce qui arriverait si l'amendement était adopté. Vous savez tous que les délais pour la vérification des listes électorales sont de rigueur, et que ces délais sont extrêmement rapprochés. C'est le 1er avril que commencent les opérations. Or quelque célérité qu'on y mette avec les délais de publication et d'appel, elles ne peuvent être terminées, quand il y aura des réclamations avant le 1er juin.
Les députations, d'après la loi, n'ont que 10 jours pour statuer. Or, dans certaines provinces il y a parfois de 275 à 300 appels devant la députation. Eh bien, je vous le demande, si la proposition de M. Delcour était votée, si le débat oral était admis, serait-il possible de statuer dans un délai aussi limité sur toutes les réclamations qui lui seraient adressées. Je ne le crois pas. Dès lors comme conséquence de l'amendement, il y aurait lieu d'examiner s'il ne faudrait pas prolonger les délais, retarder l'époque fixée par les lois pour les élections législatives et provinciales.
Cette question a déjà été soulevée dans diverses circonstances et l'on se demande si l'on ne devrait pas fixer ces élections au mois d'octobre, par exemple, après la moisson.
Si l'amendement de M. Delcour était admis, il faudrait encore le mettre en harmonie avec l'ensemble de nos lois électorales, et modifier surtout les délais et les dates fixés par les lois.
Introduire brusquement un amendement dans notre législation générale, serait nous exposer à nuire à l'économie de cette législation.
La Chambre, messieurs, ne peut se dissimuler que si les débats oraux ont lieu devant les députations permanentes, si des avocats peuvent y venir plaider, ces débats seront nécessairement assez longs et l'examen des réclamations occupera plus de temps qu'aujourd'hui.
D'un autre côté, il semblerait juste aussi (c'est encore une question à examiner) de constituer une espèce de ministère public pour défendre les actes des autorités communales et des citoyens qui seraient attaqués.
Qui nommera cette espèce de ministère public ? Sera-ce le gouvernement ? Confiera-t-il cette mission délicate à un fonctionnaire nommé par lui ?
Mais vous savez que le gouvernement jusqu'ici n'a jamais été autorisé à intervenir eu matière de formation des listes électorales. Tout se fait en dehors du gouvernement et même je pourrais dire, en défiance du gouvernement. Or, je ne crois pas que l'honorable M. Delcour ait prévu ce cas, et je ne sais pas qui pourrait défendre les intérêts des communes et les citoyens attaqués.
Quoi qu'il en soit, je pense que la proposition est inopportune et qu'elle pourrait difficilement être examinée d'une manière complète et sérieuse en ce moment.
J'ai eu l'honneur de dire, dans une discussion récente, que la question de la publicité des séances des députations permanentes et d s débats oraux devant les collèges, faisait 1 objet des préoccupations du gouvernement ; ces principes doivent-ils être introduits dans nos lois ? Peuvent-ils, doivent-ils être appliqués non-seulement à la matière électorale, mais encore à d'autres matières ?
Ce sont là des problèmes difficiles à résoudre, je les ferai examiner et je rendrai compte de cet examen, quand il sera complet, et dès que mon opinion sera fixée ; mais, pour le moment, les débats sur cette question ne pourraient qu'embrouiller la discussion et faire naître de graves inconvénients. C'est pour ces motifs, messieurs, que nous croyons devoir proposer la question préalable sur la première partie de l'amendement de M. Delcour.
MpVµ. - M. le ministre en fait-il une proposition formelle ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, M. le président.
MpVµ. - La parole est à M. Dumortier sur la question préalable.
M. Dumortier. - Je désire parler sur l'article, sans cela on m'objectera tout à l'heure que la discussion est close.
MpVµ. - Du tout ! du tout !
M. Dumortier. - Je demanderai d'abord si M. le ministre de l'intérieur se rallie à l'article premier du projet de la section centrale.
M. de Brouckere. - Vidons la question préalable.
MpVµ. - La question préalable est seule en discussion.
M. Dumortier. - Dès l'origine M. le président a demandé au gouvernement s'il se ralliait au projet de la section centrale, et le gouvernement a déclaré qu'il ne s'opposait pas à ce que la discussion générale s'établît sur le projet de la section centrale, mais qu'il ferait connaître ses intentions à mesure qu'on discuterait les articles. Eh bien, nous allons arriver à chaque article sans savoir sur quoi nous discutons.
Il serait à désirer que le gouvernement fît parvenir à M. le président une note indiquant les articles du projet de la section centrale auxquels il se rallie et ceux qu'il repousse.
Maintenant je rentrerai dans l'objet qui vient d'être traité par l'honorable M. Delcour.
M. le ministre de l'intérieur oppose à l'amendement proposé par l'honorable membre la question préalable et cela, dit-il, parce que l'article nouveau qui est proposé ne constitue pas un amendement à la loi.
Mais, messieurs, si cette opinion pouvait prévaloir, ce serait l'atteinte la plus grave à l'initiative parlementaire consacrée par la Constitution. (Interruption.)
Quoi, messieurs, je défends ici les droits de la Chambre et c'est la moitié de la Chambre qui s'élève par ses murmures contre la défense de nos propres prérogatives.
Eh bien, messieurs, quand vous serez dans l'opposition, vous défendrez vous-mêmes ce que je soutiens en ce moment. (Interruption.)
MfFOµ. - Mais non, on ne soutiendra jamais cela.
M. Dumortier. - Il faut que je me sois bien mal exprimé pour n'avoir pas eu l'honneur d'être compris. Est-ce que M. le ministre de l'intérieur ne vient pas de demander la question préalable en disant que l'article proposé par l'honorable M. Delcour était étranger au projet ?
MfFOµ. - Certainement.
- Un membre. - M. Thonissen l'a soutenu également.
M. Dumortier. - Je ne m'enquiers pas si M. Thonissen a soutenu la même chose.
M. Hymans. - Vous parlez, dites-vous, dans l'intérêt des droits de la Chambre entière.
M. Dumortier. - Je dis que je m'oppose à la question préalable, et comme elle est proposée par le gouvernement, j'ai le droit de dire que son interprétation de la Constitution porte l'atteinte la plus grave à l'initiative parlementaire.
MfFOµ. - Aucune.
M. Dumortier. - Aucune, me dit M. le ministre des finances ; je le crois bien : l'initiative parlementaire consiste uniquement à dire que tout ce qu'il fait est parfait ; je ne répéterai pas le mot qui court le pays, mais voilà comment le ministère comprend l'initiative parlementaire.
Je dis donc que tout membre de cette Chambre a le droit d'amender les lois, et par amendement il faut comprendre non seulement de (page 1384) simples modifications aux termes d'un projet de loi, mais de tonte proposition qui se rattache directement au texte et à l’esprit de ce projet.
Je conçois que si quelqu'un venait ici proposer une disposition concernant les chemins de fer, les ponts et chaussées ou toute autre chose de ce genre, je conçois qu'on y opposât la question préalable. Mais l'amendement de l'honorable M. Delcour se rattache directement à l'article premier. En effet, cet article a pour but de garantir la sincérité dans la formation des listes électorales ; et l'amendement a précisément pour objet d'obtenir ce résultat ; car enfin, répondez, je vous prie, à cet argument : La confection des listes est exclusivement confiée à des pouvoirs politiques et ces pouvoirs politiques sont absous par le projet de la section centrale, comme par celui du gouvernement, des erreurs calculées qu'ils pourraient commettre dans les formations des listes.
Quelle est donc la seule garantie qui reste au parti qui n'est pas en majorité au sein de l'administration communale, si ce n'est la publicité ? Ce sont des corps politiques qui sont chargés de former les listes électorales, de les réviser, de juger en appel ; il faut donc une garantie de la sincérité des listes électorales. Or, où est cette garantie ? Je ne la trouve nulle part et les autorités communales sont parfaitement libres de créer autant d'électeurs qu'elles le veulent, sans que personne ait le droit de faire entendre une protestation devant un tribunal quelconque.
Convenez, messieurs, que c'est un peu fort et que j'ai le droit d'être surpris d'entendre M. le ministre de l'intérieur demander si les communes ont, oui ou non, un intérêt à intervenir dans la formation des listes électorales pour les élections générales, provinciales ou communale C'est un droit qu'on leur concède, mais qui n'est évidemment pas dans leurs attributions ; on le leur a donné parce qu'il faut bien le remettre aux mains d'une autorité quelconque et qu'on a dit au Congrès que nul n'était plus propre à faire un tel travail que les autorités communales.
Mais de quel droit les autorités pourraient-elles se prévaloir pour plaider devant la députation permanente le bien jugé de leurs propres décisions. Vraiment, messieurs, cela ne s'est jamais vu nulle part ; c'est le renversement de tous les principes consacrés en matière de juridiction.
Maintenant on dit que la mesure proposée par l'honorable M. Delcour pourrait occasionner des retards. Et bien, il y a un moyen bien simple d'éviter tout retard en matière de confection de listes électorales : c'est de faire remettre les listes des contribuables, non pas au mois de janvier, mais en janvier, mais en janvier, d'après les payements effectués au 31 décembre précédent ; alors vous aurez tous les délais nécessaires pour la révision des listes électorales.
De cette manière, les documents envoyés par l'administration financière seraient infiniment plus corrects.
Il suffira tout simplement que lors de la confection des listes électorales, il soit envoyé une note des mutations opérées pendant l'exercice actuel. Mais comme les neuf dixièmes des impôts restent les mêmes, ce sera un travail des plus simples et des plus faciles ; d'un autre côté, vous aurez pour les réclamations des délais beaucoup plus longs que ceux qui existent aujourd'hui.
En résumé, la proposition de l'honorable M. Delcour me paraît tellement rationnelle qu'il n'est pas possible, à mon avis, de ne pas y adhérer.
Dire que cette proposition est étrangère à la loi, c'est une erreur, puisque l'article premier tend à assurer la sincérité des listes électorales ; or, l'amendement de l'honorable M. Delcour tend au même but ; or, prononcer la question préalable sur un amendement qui est le complément nécessaire, c'est déclarer, selon moi, qu'il n'y aura pas d'amendements, qu'il faut prendre la loi telle qu'elle est proposée, et que, sans la permission des ministres, la Chambre n'aura plus le droit d'initiative.
M. de Brouckere. - Messieurs, voici huit jours que nous discutons le projet de loi sur les fraudes électorales ; je crois pouvoir dire que nous ne sommes guère plus avancés aujourd'hui que le premier jour.
Si nous voulons aboutir, il est indispensable que nous mettions de l'ordre dans la discussion et que nous ayons égard aux avertissement que nous donne notre honorable président.
Sur quoi la Chambre .délibère-t-elle en ce moment ? Sur l'article premier ou sur les amendements qui s'y rattachent.
Or, qu'est-il arrivé ? on s'est occupé, dès l'ouverture de la séance des amendements de l'honorable M. Delcour, amendements qui oui, je l'avoue, une très grande importance, mais qui ne se rattachent pas à l’article premier ; l'honorable M. Delcourt l'a reconnu lui-même.
Messieurs, nous n'avons qu'une chose à faire : c'est de voter sur la question préalable proposée par M. le ministre de l'intérieur ; de cette manière, nous déblaieront le terrain.
Si la question préalable n'est pas adoptée, nous continuerons la discussion ; mais si la question préalable doit être adoptée, ce serait perdre notre temps que de continuer le débat sur les amendements de l'honorable M. Delcour.
Messieurs, on vient de répéter une chose qu'on a déjà dite plusieurs fois, savoir, que la question préalable porte atteinte à notre droit d'initiative. Il n'en est absolument rien. On ne peut pas enter sur une loi tous les amendements quelconques qu'on désire faire adopter. Je suppose, par exemple, que nous discutions une loi sur la contribution foncière et que quelqu'un vienne présenter un amendement concernant la loi sur l'enregistrement. Est-ce que la question préalable ne devrait pas être adoptée ?
M. Dumortier. - Evidemment.
M. de Brouckere. - Evidemment, dites-vous ; cependant celui qui présenterait cet amendement pourrait objecter, comme vous objectez aujourd'hui : « Il s'agit de notre organisation financière, il s'agit de nos impôts ; donc, à l'occasion d'une loi sur un de ces amendements, nous pouvons présenter des amendements qui se rattachent à nos lois d'impôts. »
Messieurs, de cette manière nous n'en finirons jamais ; nous compliquerions la discussion, loin de la simplifier.
Nous portons, par la question préalable, si peu atteinte au droit d'initiative, droit que je respecte autant que qui ce soit, mais nous portons si peu atteinte à ce droit, que si la Chambre vient à voter la question préalable sur les amendements de l'honorable M. Delcour qui ont été discutés en dernier lieu, l'honorable membre est parfaitement libre d'en faire à l'instant même l'objet d'une loi spéciale.
Je comprends que l'amendement vaille la peine de faire l'objet d'un projet de loi spécial ; eh bien, je le répète, l'honorable M. Delcour conserve si bien dans toute son intégrité son droit d'initiative, qu'il peut immédiatement, en cas d'adoption de la question préalable, proposer un projet de loi qui sera renvoyé aux sections et qui sera ensuite discuté ici avec tout l'intérêt que la matière comporte.
Mais l'honorable membre reconnaîtra que nous ne pouvons pas, à l'occasion d'un projet de loi sur les fraudes électorales, examiner successivement tous les amendements qui se rapportent, non pas au projet de loi sur les fraudes électorales, mais à notre système électoral lui-même.
Si vous voulez discuter à fond tous les amendements qu'on présentera à notre système électoral, vous aurez fini, non pas dans quinze jours, mais dans trois mois ; je ne crois pas qu'il soit dans l'intention de la Chambre, ni dans celle d'aucun membre de l'assemblée, de prolonger indéfiniment une discussion comme celle-ci.
Je demande donc qu'on mette aux voix la question préalable sur les amendements de l'honorable M. Delcour ; et que, si la question préalable est adoptée, on ouvre la discussion sur l'article premier et sur les amendements, sans qu'il soit permis de s'occuper d'objets étrangers à l'article premier et aux amendements qui s'y rapportent.
- La clôture de la discussion sur la question préalable est mise aux voix et prononcée.
- Des membres. - L'appel nominal !
M. Orts. - Je demande la traduction de la question préalable qui est demandée.
MpVµ. - La question préalable porte sur l'amendement proposé par M. Delcour et collègues à l'article premier et sur tout le système de cet amendement qui se compose de six articles.
- Des membres. - Aux voix ! l'appel nominal.
- La question préalable est mise aux voix par appel nominal et adoptée par 48 voix contre 23.
Ont voté l'adoption :
MM. De Fré, de Macar, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Funck, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Rosier, Sabatier, Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Nieuwenhuyse, Vleminckx, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere et Ernest Vandenpeereboom.
Ont voté le rejet ;
MM. de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dumortier, (page 1385) Janssens, Julliot, Lelièvre, Magherman, Nothomb, Rodenbach, Schollaert, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Wambeke, Wasseige et de Decker.
M. Vander Donckt dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur le payement effectif du cens électoral.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. Lelièvre. - Je ne m'occuperai de l'amendement de l'honorable M. Delcour, en ce qui concerne les délits politiques, que pour autant qu'il se rattache à l'article premier actuellement en discussion. Or, je pense que l'honorable M. Delcour devrait énoncer formellement quels délits prévus par la présente loi il entend déférer au jury. Dans cet ordre d'idées, il devrait excepter de sa proposition l'article premier. En effet, il est à remarquer qu'un délit n'est pas politique par cela seul qu'il est inspiré par une pensée politique, c'est la nature de l'acte qu'il faut examiner.
C'est ainsi que, lors de la discussion du projet de loi sur les enquêtes parlementaires, il a été entendu qu'un faux témoignage commis dans l'information ne devait être considéré que comme un délit du droit commun.
C'est ainsi également que le meurtre, l'assassinat inspirés par une pensée politique, restent des crimes de droit commun. Il en est certainement de même d'un faux ou de tout autre acte contraire à l'ordre public, quelle que soit la pensée qui l'ait dicté. Or, l'article premier punit celui qui sciemment a fait de fausses déclarations, produit des actes qu'il sait être simulés. Ce sont là des actes répréhensibles par eux-mêmes et susceptibles d'être réprimés, abstraction faite du motif qui en a été le mobile. Ce sont des actes contraires à l'ordre public que la loi doit punir, sans prendre égard au but qui a dirigé l'agent. Il en est ainsi d'autres articles du projet, notamment des articles 29 et 30 relatifs à des mesures de police.
On devrait certainement émettre la même opinion à l'égard de celui qui, dans le cas prévu par l'article 22, outragerait, par exemple, le magistrat civil présidant aux opérations, outrage qui peut être étranger aux fonctions exercées lors de l'élection.
Or, à mon avis, il est contraire à la Constitution de déférer au jury la connaissance de délits non politiques.
L'article 98 de la Constitution porte :
« Le jury est établi en toutes matières et pour délits politiques et de la presse. »
Voilà les seuls délits que la Constitution a déférés au jury, donc les autres délits rentrent dans les dispositions de la Charte qui règlent la compétence des tribunaux ordinaires. Nous ne pouvons sortir de ces prescriptions si claires et si précises.
Je pense donc qu'il est impossible d'attribuer au jury les délits prévus par le projet, qui ne peuvent être considérés comme délits politiques.
Au nombre des délits que l'on doit maintenir comme faits du droit commun, se trouvent, à mon avis, les actes de fraudes réprimés par l'article en discussion.
MpVµ. - Des orateurs ont demandé si le gouvernement se ralliait à la rédaction de la section centrale pour l'article premier.
MjTµ. - Le gouvernement ne se rallie pas à tous les amendements proposés par la section centrale à l'article premier. En ce qui concerne le paragraphe premier, le gouvernement croit qu'il n'est pas nécessaire de comprendre dans la disposition les inscriptions sur les listes d'éligibles en même temps que les inscriptions sur les listes d'électeurs.
Quant au dernier paragraphe, lorsque nous serons véritablement à la discussion de l'article premier, j'aurai à demander quelques explications à la section centrale, afin de déterminer le sens de cette disposition.
Je pense, messieurs, que, pour mettre de l'ordre dans la discussion, nous ferions bien, avant d'aborder l'article premier, de prendre une décision sur les amendements qu'on a rattachés à cet article, mais qui y sont étrangers. Il y a les amendements qui ont été déposés par les honorables MM. Giroul et Jacobs.
Je ne sais pas si l'amendement proposé par l'honorable comte de Theux se rattache à l’article premier.
M. de Theuxµ. - Oui.
MjTµ. - Il me semble utile de déblayer le terrain avant d'aborder la discussion de l'article premier.
MpVµ. - Le premier amendement est celui de M. Giroul. Il est ainsi conçu :
« Pour être inscrit sur les listes électorales, il faut être âgé de 21 ans accomplis et remplir les autres conditions requises par la loi.
« L'article premier de la loi électorale et l'article 5 de la loi provinciale sont modifiés en ce qu'ils ont de contraire au présent amendement. »
Je mets cet amendement en discussion.
M. de Macarµ. - Le signataire de l'amendement n'est pas ici. Je demande qu'on veuille bien réserver la discussion de cet amendement jusqu'à demain.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
MpVµ. - Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'amendement ?
MjTµ. - Nous opposons aussi à cet amendement la question préalable.
Cet amendement a pour objet une modification à l'article premier de la loi électorale et à l'article 5 de la loi provinciale ; il ne se rattache pas à l'article premier de la loi en discussion ; l'article premier du projet ne s'occupe pas des conditions d'éligibilité. Je demande que cet amendement soit écarté comme la proposition de l'honorable M. Delcour.
M. Guillery. - J'ai voté la question préalable tout à l'heure, parce qu'il était bien entendu que la proposition faite par M. le ministre de l'intérieur ne contestait en rien le droit de la Chambre. Seulement M. le ministre disait : Ce n'est pas le cas de faire usage de ce droit.
Mais il me semble que l'amendement de M. Giroul se rattache beaucoup plus intimement à la loi et que rien n'empêche que la Chambre vote par oui ou par non.
La proposition de l'honorable M. Delcour constituait tout un système, et comme vous l'a dit M. le ministre de l'intérieur, il faut organiser complètement la juridiction devant la députation permanente. C'est toute une étude à faire.
Mais ce n'est pas le cas pour l'amendement de l'honorable M. Giroul. Il peut être adopté sans inconvénient.
M. Dumortier. - Je voterai pour la question préalable, précisément par les motifs que j'ai donnés tout à l'heure, parce que l'amendement ne s'occupe, ni directement ni indirectement d'une fraude électorale, et que nous faisons une loi sur les fraudes électorales.
L'amendement de l'honorable M. Delcour tendait à empêcher une fraude. Celui de l'honorable M. Giroul n'a rien de commun avec les fraudes en matière électorale.
Je conçois donc que la question préalable soit opposée à cet amendement.
- La question préalable est mise aux voix et prononcée.
MpVµ. - Vient l'amendement de M. de Theux ; il est ainsi conçu :
« Toute réduction de patente, opérée d'office, devra être, dans les huit jours, notifiée par écrit à l'électeur inscrit sur la liste de l'année précédente.
« Le patentable pourra réclamer contre cette réduction, dans les formes voulues pour les instances en dégrèvement. »
MfFOµ. - Messieurs, tel qu'il est formulé, il est clair, je pense, pour tout le monde, que l'amendement ne se rattache à aucune des dispositions de la loi.
Abstraction faite de toute imputation de fraude, il autorise une procédure spéciale en matière de patentes, pour le cas d'un dégrèvement ou d'une classification dont on a à se plaindre. L'intéressé dûment averti pourra se pourvoir d'une façon déterminée.
Si la pensée de l'honorable M. de Theux était autrement exprimée, si l'on disait, par exemple : toute réduction de patente frauduleusement opérée, en vue de priver un citoyen de son droit électoral, sera punie d'une amende de..., on présenterait alors un véritable amendement à l'article.
Mais cette proposition offrirait certaines difficultés. II y aurait lieu à un sérieux examen.
M. de Naeyer. - Donc il faut examiner la proposition.
MfFOµ. - Sans doute il faut examiner. Mais je ne sais pas si l'on a suffisamment réfléchi à toutes les questions que l'on soulève. Les objections qui se présente contre les amendements permettent de penser que plusieurs d'entre eux n'ont pas été suffisamment médités.
On s'est plaint de faits du genre de ceux qui motivent l'amendement de M. de Theux et qui auraient été pratiqués, pour le dire en assaut, au préjudice d'électeurs libéraux.
(page 1386) D'autres faits ont été dénoncés au préjudice d'électeurs d'une autre opinion. Je n'ai pu obtenir la preuve d'intentions répréhensibles. Si l'intention frauduleuse avait existé, j'aurais puni ceux qui auraient été reconnus coupables.
J'ai des doutes au surplus sur le point de savoir si la lacune que l'honorable M. de Theux signale dans notre législation existe réellement. Je ne sais pas si un patentable qui aurait intérêt à être maintenu dans une classe et que l'on voudrait placer dans une autre, ne serait pas fondé à porter sa réclamation devant la députation permanente.
Voici ce qui fait naître un doute dans ma pensée.
Il est clair que le législateur n'a pas supposé qu'un citoyen réclamerait, parce qu'il serait dégrevé ; aussi l'article 28 de la loi sur les patentes dit :
« Art. 28. Ceux qui se croiront grevés par leur cotisation pourront présenter leurs réclamations, en observant à cet égard la marche prescrite par les règlements en vigueur en matières de contributions directes.
« Lorsque les réclamations auront été instruites, les états députés de la province prononceront ainsi qu'il appartiendra, conformément aux principes de la présente loi. »
Puis vient une disposition en termes plus généraux :
« Les contribuables qui, d'après les dispositions de la présente loi, peuvent être rangés dans des classes différentes, sans que des bases fixes soient indiquées pour cette classification, pourront fonder leur réclamation sur la comparaison de leur cote avec celle des autres contribuables qui, d'après les dispositions de la présente loi, doivent leur être assimilés.
« Tout réclamant pourra faire constater de l'étendue de sa profession par ses livres et ses journaux, registres, etc. »
Bien que je reconnaisse que la pensée du législateur n'a pas été qu'on réclamerait parce qu'on était dégrevé, je me demande cependant si les termes généraux de la disposition n'autoriseraient pas à se pourvoir devant la députation dans l'hypothèse que suppose l'amendement. C'est une question que je ne veux pas résoudre, mais qu'il serait utile d'examiner avant tout.
D'un autre côté, ce n'est pas seulement en matière de patentes que des classifications sont faites par des répartiteurs. Il en est de même par exemple pour les débits de boissons distillées et de tabacs.
La disposition ne s'appliquerait donc qu'à certaines catégories d'impôts et elle ne s'appliquerait pas à d'autres.
Dans la loi sur le débit des boissons distillées applicable en ce point au débit de tabacs, il est dit :
« Art. 8. Les débitants peuvent se pourvoir en réclamation contre leur classement auprès de la députation permanente du conseil provincial qui décide en dernier ressort... »
La disposition est également générale. On peut donc demander si la nécessité de l'amendement de l'honorable M. de Theux se présente dans le sens où il l'a formulé.
Je verrais des inconvénients à décider, sans plus ample examen, qu'on punira d'une peine les répartiteurs qui auraient dégrevé un contribuable. Je pense qu'il faut y prendre garde. Sans doute, l'intention frauduleuse serait requise. Mais déjà, l'on ne trouve pas très facilement des personnes disposées à remplir cet office assez désagréable pour faire la classification des contribuables...
M. Dumortier. - Il n'y a pas de pénalités dans l'amendement.
MfFOµ. - Je le sais parfaitement. Mais alors on ne conçoit pas que l'on veuille rattacher l'amendement à l'article de la loi. On se borne à organiser un mode de réclamation en matière de patente, en l'absence de toute imputation d'une fraude en matière électorale. Je conçois qu'on puisse formuler la disposition de manière à la rattacher à la loi, mais en caractérisant une fraude et en stipulant une pénalité.
M. Dumortier. - Il n'y a pas de pénalités pour une foule d'articles.
MfFOµ. - Il n'y a pas de pénalités pour une foule d'articles qui s'expliquent et se justifient sans cela.
Mais vous ne pouvez m'expliquer comment vous rattacheriez à l'article premier une disposition qui dit que le patenté dégrevé pourra réclamer. Cela ne se rapporte en aucune manière à cet article premier. S'il était démontré que la disposition est utile, il serait encore certain qu'elle n'est point à sa place. Mais je continue à douter qu'il y ait nécessité de l'introduire, et, en tous cas, si ce doute n'était pas fondé c'est par une modification à la loi des patentes qu'il faudrait pourvoir au vice qui existerait dans la législation.
M. Rodenbach. - J'appuie l'amendement de l'honorable M. de Theux.
Il est à ma connaissance que certains contrôleurs sont animés de trop de zèle. Car j'ai vu très souvent que lorsque des contribuables se plaignaient de la majoration que les contrôleurs faisaient subir aux patentes, presque toujours on donnait tort aux contribuables.
Il en a été de même quant à la classification pour le débit des boissons distillées.
Quand on faisait des réclamations, lorsqu'on s'adressait à la députation permanente, elle était presque toujours de l'avis du contrôleur.
Je dis que de cette manière un contrôleur politique passionné pourrait fabriquer des électeurs ou ravir leur droit à d'autres. Il suffira pour cela d'augmenter ou de diminuer l'impôt direct. C'est là le motif qui m'engage à appuyer l'amendement de l'honorable comte de Theux.
M. Dumortier. - L'amendement de mon honorable ami M. de Theux me paraît tout à fait fondé et il se rapporte parfaitement à l'article premier de la loi, car il a pour objet d'empêcher une fraude qui pourrait être commise par des agents du ministère des finances dans le but de faire effacer certains électeurs des listes électorales. Déjà à plusieurs reprises, la Chambre a été saisie de pétitions dans lesquelles on disait, à tort ou à raison, qu'une quantité considérable d'électeurs, de telles et telles localités, avaient été rayés des listes parce que dans les révisions des cotes de la patente, par exemple, on les avait diminués de quelques centimes.
Il y a un grand nombre d'électeurs qui ne payent que 25 c., 50 c, un franc de plus que le cens électoral, et si les répartiteurs, d'accord avec le contrôleur, opèrent sur ces côtes de légères réductions, ils peuvent ainsi modifier en un jour tout le corps électoral d'un arrondissement ; c'est ce que mon honorable ami veut empêcher.
Mais dit M. le ministre des finances, s'il y avait une pénalité l'amendement se rapporterait à l'article premier.
J'ai déjà répondu qu'il y a dans la loi une foule de dispositions qui ne contiennent pas de pénalités ; j'ai fait observer qu'une mesure préventive peut très bien être placée a côté d'une mesure répressive. Cela se voit tous les jours et ce n'est très souvent qu'à la suite des mesures préventives qu'arrivent les mesures répressives.
En fait, messieurs, dans un pays où l'impôt sert de base à la formation des listes électorales, ce sont les répartiteurs des contributions qui dressent en réalité les listes électorales et le collège des bourgmestre et échevins se borne à leur donner un caractère officiel.
Tout repose sur les documents fournis par les agents du fisc. Eh bien, messieurs, pouvez-vous admettre que ces agents, dans un intérêt de parti, soit au profit de la droite, soit au profit de la gauche, viennent modifier les listes électorales en réduisant la contribution de 25, 50 ou 100 électeurs ? Alors il vaudrait mieux confier directement aux agents du ministère des finances la confection des listes électorales.
Je dis, messieurs, que c'est là un fait d'une extrême gravité et je dois appuyer très fortement la proposition de l'honorable comte de Theux que je considère comme une des principales garanties de la sincérité des listes électorales. Que demande mon honorable ami, c'est que, lorsqu'on a enlevé à un électeur une certaine somme d'impôt dont il était débiteur, l'année précédente, cet électeur soit averti assez à temps pour qu'il puisse réclamer. M. le ministre des finances a reconnu qu'il doit en être ainsi, mais puisqu'il y a des doutes et puisqu'on agit contrairement à ce principe, il faut l'inscrire dans la loi. Je ne comprendrais donc pas que l'amendement de mon honorable ami fût écarté par la question préalable.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je n'ai pas proposé de pénalité, parce que la pénalité serait d'une application extrêmement difficile. Un comité de répartiteurs est, en quelque sorte, un tribunal administratif ad hoc.
Comment rendre ce tribunal responsable, lui intenter un procès correctionnel ou criminel ? C'est d'une difficulté pratique extrême, mais il n'en est pas moins vrai que mon amendement se rattache au système général de loi présentée. Il a pour effet non seulement de prévenir les fraudes électorales, mais aussi de les empêcher.
Quoi de plus simple ? Un patentable s'aperçoit trop tard que par la rédaction des listes il a perdu ses droits. Il le regrette, mais il est trop tard. Et quand même il s'en serait aperçu de prime-abord, il ne peut faire revenir sur la décision prise.
Je n'ai sous ce rapport rien trouvé dans la loi qui me satisfît.
J'en ai parlé à des personnes qui ont la pratique de ces matières et (page 1387) aucune d'elles n’a trouvé qu'il y eût un recours administratif contre la réduction d'une patente. Il faut cependant convenir que ce serait une mesure pour écarter un électeur.
Supposons qu'on veuille écarter un membre du Sénat du chef de la patente ; on réduit sa patente ; il cesse d'être éligible et il est rayé de la liste des éligibles. C'est une matière très grave. M, le ministre des finances n'a pas même critiqué ma proposition au fond. Quant à moi, je n'y vois aucun inconvénient mais au contraire de grands avantages pour les deux opinions. Je ne dis pas que cela été fat exclusivement contre nous, pas plus que l’honorable ministre des finances n'a pu dire que cela avait été exclusivement pratiqué contre son opinion. C'est une mesure de justice et je regretterais que la Chambre ne l'adoptât pas, parce que je la trouve très équitable et très sage.
MfFOµ. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de dire tout à l'heure à la Chambre que ce n'est pas seulement en matière de patente que pareil cas peut se présenter, mais que cela peut ce produire aussi pour d'autres impôts, pour le débit des boissons et pour le débit de tabac.
Jusqu'à quel point même cela n'est-il pas possible en matière de contributions personnelles ? Puisque vous êtes en veine de soupçons, ne pourriez-vous dire que les agents de l'administration pourront établir la taxe en matière de contributions personnelles de telle sorte qu'un individu ne puisse plus être porté sur la liste électorale ?
- Un membre. - C'est très difficile.
MfFOµ. - Dans le cas qui nous occupe, il y a un collège de répartiteurs composé de trois personnes qui devraient être d'accord pour commettre la fraude, tandis que le receveur des contributions est seul et pourrait être bien plus aisément accusé.
Je veux bien que l'on étudie ces choses-là, je ne dis pas qu'il n'y a rien à faire, on a signalé certains abus et il serait bon de les faire disparaître, mais le moyen que l'on veut employer ne vaut rien.
Et puis, il n'y a pas que ce genre d'abus.
Vous savez, messieurs, qu'en ces matières, si la fraude peut se commettre par suite de dégrèvement, elle peut se commettre aussi par des déclarations faites uniquement en vue d'être électeur.
- Un membre. - Cela est prévu.
MfFOµ. - Pas précisément. On prévoit le cas d'une déclaration frauduleuse, c'est-à-dire faite sans que l'on possède les bases du cens. Mais, vous savez que les déclarations en matière de contribution personnelle ne sont pas rigoureusement exactes. La généralité ne déclare pas exactement et absolument tout ce qu'il y aurait à déclarer pour foyers et pour fenêtres par exemple.
Qu'arrive-t-il ? Un individu constate ou l'on constate pour lui, qu'il lui manque quelques francs pour devenir électeur. Il ajoute quelque chose à la déclaration.
Je pourrais citer tel arrondissement dans lequel 40 curés sont devenus récemment électeurs, en augmentant tout à coup leur déclaration de contribution, en accusant, par exemple, des foyers en plus.
M. Wasseige. - Avaient-ils ou non ces foyers ?
MfFOµ. - Voilà précisément la question. Ils ne tombent pas sous l'application de la loi s'ils possèdent les bases, mais antérieurement ils ne les déclaraient pas et l'on soupçonne fort qu'ils ne l'ont fait qu'en vue d'acquérir le droit électoral.
M. de Naeyer. - S'ils possédaient les bases.
MfFOµ. - Je dis que tout cela mérite d'être examiné, et je m'engage volontiers à soumettre à mon administration la question de savoir quelles sont les mesures à prendre à cet égard pour toutes nos contributions personnelles, patentes, débit de boissons et débit de tabac, etc., afin d'éviter les abus, mats n'introduisons pas dans la loi une proposition non suffisamment étudiée, dont l'utilité est douteuse et qui ne serait pas à sa place. L'article premier dit :
« Quiconque, pour se faire inscrire sur une liste électorale, se sera attribué frauduleusement une contribution dont il ne possède pas les bases, etc. »
Et puis vous viendriez dire après cela :
« Toute réduction de patente opérée d'office devra être dans les huit jours notifiée par écrit à l'électeur inscrit sur la liste de l'année précédente. »
Il n'y a là aucune liaison raisonnable. Ce sont des idées différentes, et l'article premier aurait un caractère bizarre s'il était amendé, comme on propose de le faire.
Nous ferons une loi, s'il y a lieu, lorsque la question aura été examinée ; mais introduire l'amendement dans le texte qui vous est soumis, cela ne me paraît pas admissible.
M. de Theuxµ. - Je ne m'oppose nullement à ce que la disposition faite spécialement en vue des patentes soit généralisée, au contraire cela rentre tout à fait dans ma pensée, et je n'hésite pas à proposer un changement de rédaction dans ce sens et dire :
« Toute réduction de contribution opérée devra être, dans les huit jours, notifiée par écrit au contribuable inscrit sur la liste électorale du l'année précédente.
« Le contribuable pourra réclamer contre cette réduction dans les formes voulues pour les instances en dégrèvement. »
MfFOµ. - La nouvelle formule est absolument impraticable.
Prenons le premier point : « Toute réduction d'impôt direct devra être notifiée... »
M. de Naeyer. - Toute réduction opérée d'office.
MfFOµ. - Toute réduction opérée d'office devra être notifiée dans les huit jours. En matière de contribution foncière, l'on opère des réductions d'office et il faudra notifier à tous les propriétaires qu'une réduction a été opérée d'office, d'un centime, de deux centimes...
M. de Naeyer. - Laissons de côté l'impôt foncier...
MfFOµ. - Ah ! vous le voyez, messieurs, la proposition qui vous est soumise est à ce point étudiée, qu'à une simple audition on y présente des objections sérieuses. Continuons, cependant : Toute réduction devra être notifiée dans les huit jours à l'électeur. Mais notifiée par qui ? Est-ce par le collège répartiteur ? Est-ce par le contrôleur ou le receveur des contributions ? Est-ce par l'autorité locale qui ne connaît pas même le fait ? Qui donc notifiera ? comment notifiera-t-on ? Dans le délai de huit jours. Qu'est-ce que ce délai de huit jours ? Quand commence-t-il à courir ? Dans la pensée de l'auteur de l'amendement, ce délai prend-il cours au moment de la révision des listes électorales ?
Il est impossible de faire des lois sérieuses en procédant comme on veut le faire. Ce n'est pas en nous présentant des propositions qui ne sont pas étudiées que nous ferons des lois exécutables.
M. de Theuxµ. - Je crois que l'honorable ministre des finances avait tort de critiquer mon premier amendement, car il se rattache à des actes spéciaux connus de tout le monde. Déférant à son invitation, j’ai généralisé ma proposition ; il trouve maintenant que la mesure généralisée présente des difficultés. Je reprends donc ma première proposition .
MfFOµ. - Si la Chambre veut discréditer le droit d'amendement et même le droit d'initiative, elle n'a pas autre chose à faire qu'à admettre le système de M. de Theux.
M. de Naeyer. - Mais du tout.
MfFOµ. - Il n'y a rien de difficile à faire comme un bon texte de loi, rien qui exige plus de méditations, plus de discussions avec des hommes spéciaux ; c'est par la contradiction seulement qu'on arrive à se former une opinion sérieuse. Les textes improvisés présentent de véritables dangers. Je reconnais qu'il y a des inconvénients possibles, des inconvénient qui ne sont pas toutefois considérables.
M. de Theuxµ. - Ils peuvent le devenir.
MfFOµ. - Oui, mais en réalité, il ne s'agit que de quelques faits isolés ; on m'en a signalé quelques-uns, on en a signalé également quelques-uns à l'attention de l’honorable comte de Theux. Mais il ne s'agit pas ici d'un fait général présentant de grands dangers. Et qu'est-ce que je propose cependant ? Je m'engage à étudier la question, à préparer des proposions de nature à faire cesser les abus que je suis le premier à condamner, s'ils existent. Mais pourquoi tant de hâte ; vous aurez des propositions en temps opportun, des propositions sérieusement élaborées, pourquoi vouloir en introduire d'impraticables dans la loi que nous discutons ?
M. Dumortier. - Je ne conçois pas, en vérité, ce que devient le droit d'amendement avec la manière dont l'interprète M. le ministre des finances.
M. le comte de Theux présente un amendement. M. le ministre des finances le trouve fondé en fait, mais selon lui, il a besoin d'être (page 1388) généralisé. Mon honorable ami le généralise et le voilà devenu mauvais au dire de M. le ministre des finances, et comme l'auteur reprend alors son premier amendement, M. le ministre des finances vient nous dire qu'en procédant de la sorte, ou déconsidère le droit d'amendement. Cela se réduit dire, si vous voulez déconsidérer le droit d'amendement, présentez des amendements.
Il est reconnu par tout le monde que les fraudes indiquées par M. le comte de Theux ont lieu, et je connais pour ma part des districts où des répartiteurs se sont permis, peu importe de quel côté, de diminuer les cotes d'électeurs qu'ils savaient contraires à leur opinion et à augmenter la cote de certains électeurs qui lui étaient favorables.
Or, de pareils faits ne doivent pas se produire, il faut que l'électeur qui a payé le cens électoral pour les deux années précédentes ne puisse pas au dernier moment se voir refuser le droit électoral qu'il possède de fait.
M. le ministre des finances vous a dit qu'on voyait rarement des personnes réclamer conte un dégrèvement. C'est tout simple, mais le jour où un citoyen ne voit plus figurer son nom sur les listes, il est en droit de réclamer, de demander même à payer l'impôt, comme les années précédentes, afin de jouir de son droit.
Encore si on vous avait dégrevé de plusieurs années, mais on vous a dégrevé depuis la veille et on vous exclut des listes. Je ne connais pas d'autre fraude que celle-là, parce qu'elle est faite par des agents du pouvoir, parce que personne ne la soupçonne, et qu'il n'y a là ni publicité, ni contrôle.
II faut laisser à l'électeur le droit de dire : Je veux continuer à payer mon impôt. Maintenant si la rédaction de l'amendement de M. de Theux laisse quelque chose à désirer, qu'importe ! Nous avons un second vote, et d'ici là M. le ministre aura le droit de l'examiner et de la modifier ; quant à nous, notre devoir est de la voter.
MpVµ. Je vais mettre aux voix l'amendement de M. de Theux.
- Plusieurs voix. - L'appel nominal !
Il est procédé à l'appel nominal.
72 membres y prennent part.
22 répondant oui.
49 répondent non.
1 (M. de Smedt) s'abstint.
En conséquence, la chambre n'adopte pas.
Ont répondu non :
MM. De Fré, de Macar, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewrandre, Dolez. Elias, Frère-Orban, Funck, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Rogier, Sabatier, Tesch, Thonissen, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Nieuwenhuyse, Vleminckx, Waroqué, Allard, Bara, Bouvier, Carlier, Crombez, de Bast, de Florisone et E. Vandenpeereboom.
Ont répondu oui :
MM. de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Dumortier, Jacobs, Janssens, Magherman, Nothomb, Rodenbach, Schollaert, Tack, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Wambeke, Wasseige et de Decker.
MpVµ. - M de Smedt est prié de faire connaître Ici motifs de son abstention.
M. de Smedt. Je n'ai pas voté pour l'amendement, parce que j'étais d'accord avec le ministre des finances qu'il devait être généralisé, et que j'avais confiance dans la promette qu'il avait faite en quelque sorte de remédier le plus promptement possible à ce genre de fraudes. Je n'ai pas voté contre l'amendement, parce que je n'ai pas voulu que ce vote fût interprété comme étant hostile au but que se proposait l'honorable comte de Theux.
MpVµ. - Il vient de parvenir au bureau un amendement qui se rattache à l'article 10 ; il est ainsi conçu :
« Tout électeur domicilié à à une distance de 8 kilomètres du chef-lieu d'arrondissement peut réclamer une indemnité pour son déplacement. Elle est fixée à six francs pour chaque électeur, quelle que soit la distance. Le mode de payement de cette indemnité sera réglé par arrêté royal.
« (Signé) Bouvier. »
- Cet amendement sera imprimé et distribué.
La séance est levée à 4 3/4 heures.