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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 8 juillet 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1369) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Le sieur Beeckman prie là Chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir l'autorisation d'exposer sous le vestibule du Palais de la Nation, son appareil à voter. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Nechelput demande que le projet de loi en discussion prévoie le cas où des étrangers se rendraient coupables de fraudes électorales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux fraudes électorales.


« Le sieur Ed. Calmels fait hommage à la Chambre d'un exemplaire de l'ouvrage qu'il vient de publier au sujet du projet de loi relatif au droit de propriété des modèles et dessins de fabrique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Le gouverneur de la Flandre orientale transmet à la Chambre 116 exemplaires de l'Exposé de la situation de la province pour 1865. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« M. E. Pirmez, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

« M. Julliot, rappelé chez lui par des affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé.


« M. de Macar, obligé de s'absenter, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi relatif aux fraudes électorales

Discussion générale

M. Van Hoordeµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je n'ai pas entendu le discours que l'honorable M. Hymans a prononcé hier ; j'avais dû quitter la salle vers le milieu de la séance, et je n'ai pas connaissance du texte de ce discours, qui n'a point paru ce matin aux Annales parlementaires. Mais on vient de signaler, à l'instant, à mon attention, en m'affirmant qu'elles sont conformes à la vérité, quelques lignes de l’Echo du parlement qui rendent compte de ses paroles.,

« Il a dit, écrit ce journal, ce qu'on a trouvé dans l'enquête sur les élections de Bastogne : la pression du séminaire et des ecclésiastiques. » Et, effectivement, je rencontre dans sa sténographie la phrase suivante : « Pour peu que vous désiriez que nous publiions le résultat de l'enquête, vous verrez quelle a été la conduite des nombreux ecclésiastiques mêlés à cette affaire. »

Eh bien, messieurs, cette publication je la désire, et je vous demandé de l'ordonner. Elle sera une réponse complète à une appréciation, contre laquelle la réalité proteste, quoiqu'elle ait été produite ici par l'honorable M. Hymans.

L'honorable membre, à la loyauté duquel personne ne rend hommage plus sincèrement que moi, a été singulièrement trahi par ses souvenirs, Il a commis une erreur véritable, et d'autant plus regrettable que sa qualité de membre de la commission d'enquête donne plus de poids à son opinion.

Il a perdu de vue le résultat final de cette enquête de Bastogne, si longue, si diffuse, et aux dernières opérations de laquelle il n'a pas eu, je pense, le courage d'assister. C'étaient les opérations décisives. C'est sans doute à cette circonstance que nous devons attribuer la conclusion erronée qu'il tire de l'ensemble, et qui est manifestement contredite par la conclusion que contient le rapport de la commission. Ce rapport examine un à un tous les faits, au nombre d'une vingtaine, signalés à charge du clergé de l'arrondissement, par la plainte de ridicule mémoire qui a provoqué l'enquête, et voici en quels termes il en constate le misérable avortement : « La commission ne trouve donc aucun motif d'annuler l'élection de Bastogne dans les faits dans lesquels s'est signalée l'intervention du clergé dans la lutte électorale. »

Tous les griefs ont été étudiés successivement ; jetez les yeux sur le résumé officiel de cette étude : presque tous les alinéas se terminent de la même manière :

« Dans ces circonstances, la commission d'enquête n'a pas cru que ces deux premiers faits pussent être considérés comme établis...

« La commission écarte donc également ce fait...

« En l'absence de tout élément de preuve, la commission d'enquêté a cru que le cinquième fait de la réclamation devait être écarté...

« Rien n'est venu établir la réalité des allégations renfermées dans le libellé du huitième fait, que la commission a cru, par conséquent, devoir écarter...

« Le fait 15 doit donc être écarté...

« Ce fait n° 26 doit donc être écarté comme étant sans rapport aucun avec l'élection.. »

Deux fois seulement le refrain varie un peu.

MpVµ - M. Van Hoorde, nous n'avons pas encore le compte rendu des Annales parlementaires. Vous feriez mieux d'attendre qu'elles aient paru pour présenter vos observations.

M. Van Hoordeµ. - Elles tendent exclusivement à la publication de l'enquête, ou tout au moins à l'impression des dépositions relatives aux hommes qui ont été attaqués hier. Je suis en présence d'une allégation que je ne puis pas laisser se répandre et se perpétuer, et, d'autre part, il est impossible qu'on refuse aujourd'hui ce qu'on a offert la veille, à moins qu'on n'admette comme justification suffisante le rapport que je viens de parcourir.

M. Hymans. - Les Annales parlementaires n'ont pas paru, c'est vrai. Quand elles paraîtront, l'honorable M. Van Hoorde y verra d'abord que je n'ai rien allégué de spécial et, qu'entre autres, je n'ai pas prononcé le nom du séminaire de Bastogne. Il n'en a pas été un seul instant question ; s'il en est parlé dans la sténographie d'un journal, l’honorable membre n'en trouvera rien dans la sténographie du Moniteur.

Je me suis borné à répondre à. M. Dumortier, qui avait prétendu qu'il était résulté de l'enquête de Bastogne qu'une pression scandaleuse avait été exercée dans cet arrondissement par des fonctionnaires publics. J'ai formellement nié ces faits.

L’enquête a constaté, en effet, le zèle peut-être exagéré d’un magistrat (page 1370) inamovible en faveur d'un candidat de son opinion, mais elle a constaté aussi l'intervention et la pression des membres du clergé.

M. Van Hoordeµ. - Je demande la parole.

M. Hymans. — Cela est incontestable, et il n'est pas nécessaire de publier l'enquête de Bastogne pour s'en convaincre. Cette enquête a été déposée sur le bureau ; elle doit être aujourd'hui au greffe, à la disposition de tous les membres de la Chambre.

M. Van Hoorde vient de reconnaître lui-même que la commission n'a pas proposé l'annulation de l'élection parce qu'elle n'avait pas trouvé de preuves suffisantes de corruption. Peut-être, en ce qui me concerne, si j'avais eu à me prononcer seul, comme un juré se prononce en matière criminelle, j'aurais pu, en parfaite tranquillité de conscience, proposer l'annulation de l'élection. Et il n'est pas vrai, comme l'a dit M. Van Hoorde (c'est de sa part un défaut de mémoire), que je n'aie pas assisté à toute l'enquête. J'ai manqué pendant deux ou trois séances au plus et pour un motif assurément très respectable en soi, puisque c'était pour me marier, mais aussitôt revenu à Bruxelles, je me suis rendu à la commission ; j'ai assisté à ses dernières et à ses plus importantes réunions, j'ai pris part à la délibération définitive et j'ai émis mon vote.

Nous sommes convenus de commun accord qu'il fallait renvoyer les parties dos à dos. Voilà la véritable solution de l'enquête. Les membres du parti auquel appartient M. Van Hoorde passant l'éponge sur des faits posés par nos amis, nous avons passé l'éponge sur les faits posés par les siens. On a donc renvoyé les parties dos à dos et si M. Van Hoorde se donne la peine de lire l'enquête, il pourra se convaincre de l'exactitude de ce que j'avance.

M. Van Hoordeµ. - Deux mots seulement...

MpVµ. - Mais, monsieur Van Hoorde, nous ne sommes pas dans l'enquête de Bastogne. Quant à la rectification que vous réclamez, je dois vous rappeler que les Annales n'ont pas paru.

M. Van Hoordeµ. - Peu importe, c'est aux explications de M. Hymans que je désire répondre, Il s'obstine à parler d'une pression qu'il a constaté lui-même n'avoir jamais existé. Le rapport de l'honorable M. Van Humbeeck dont j'ai lu quelques mots tout à l'heure a été adopté a l'unanimité, par toute la majorité libérale dont l'honorable M. Hymans faisait partie, et par toute la minorité catholique, sauf quelques réserves de celle-ci à un autre point de vue. Ses paroles d'aujourd'hui et son vote d'alors sont donc en opposition.

En définitive quel inconvénient voit-on à publier tous les documents relatifs à l'enquête de Bastogne ? Un refus, je le constate, ne peut avoir qu'une signification : il prouve que les extraits du rapport cités par moi établissent à eux seuls une justification complète.

MfFOµ. - On constatera le contraire d'un autre côté.

M. de Smedt. - Fidèle à l'engagement que j'ai pris hier, j'ai déposé sur le bureau une série d'amendements destinés à faire fonctionner le système que j'ai développé. Je demanderai à la Chambre si elle ne croirait pas utile d'ordonner l'impression de ces amendements ou tout au moins de les renvoyer à l'examen de la section centrale.

MpVµ. - L'impression est de droit s'il n'est pas statué sur les amendements dans la séance d'aujourd'hui.

M. de Smedt. - Alors je demanderai à la Chambre, si elle ne jugerait pas convenable d'envoyer mes amendements à la section centrale.

- Voix à gauche. - On ne les connaît pas !

M. de Smedt. - Messieurs, je n'ai pas la prétention de présenter un système complet et à l'abri de tout reproche. J'ai voulu détruire des abus que le projet de loi ne fait pas complètement disparaître. Et c'est pour ce motif que je demande seulement que la Chambre veuille bien l'examiner avec bienveillance.

MpVµ. - La parole est à M. Jouret.

M. de Naeyer. - Est-ce sur l'incident ?

M. J. Jouret. - M. le président, je demande que la parole me soit maintenue.

M. de Naeyer. - Il importe cependant de statuer sur la demande de renvoi des amendements de l'honorable M. de Smedt à la section centrale.

M. de Brouckere. - Alors, il faudra aussi renvoyer tous les amendements qui sont ou seront encore présentés.

M. de Naeyer. - Dans l'intérêt de la discussion, je persiste à croire qu'il serait utile de renvoyer ces amendements à la section centrale ; et voici pourquoi : le système de l'honorable M. de Smedt tend à extirper dans leur racine les abus dont on se plaint.

Nous aurons beau prendre les dispositions répressives les plus rigoureuses et multiplier les formalités, si nous ne parvenons pas à rendre impossible l'emploi de billets marqués, tout ce que nous ferons sera parfaitement inutile. La fraude sera peut-être plus difficile ; il faudra plus d'habileté, plus d'adresse, plus d'astuce ; mais la fraude se produira néanmoins et je crois que ce ne sera pas un progrès, car sous le rapport de la moralité publique une corruption plus raffinée ne saurait certainement être considérée comme un progrès.

La section centrale, messieurs, s'est occupée spécialement des mesures à prendre pour rendre impossible l'emploi de billes marqués et elle a dû reconnaître que malheureusement ce résultat ne serait obtenu ni par les dispositions du projet de loi, ni par les modifications qui y ont été apportées.

En effet, aussi longtemps que l'on devra admettre les bulletins écrits à la main, il sera possible de reconnaître le vote des électeurs, car enfin l'écriture est la marque la plus facile à constater : c'est en quelque sorte la physionomie du votant.

Or, les amendements proposés par l'honorable M. de Smedt tendent absolument à exclure les bulletins écrits à la main, et à ne plus admettre que des bulletins imprimés d'après un type uniforme pour tous les électeurs. Je n'ai pas suffisamment étudié ce système pour pouvoir me prononcer sur son mérite en ce qui concerne le côté pratique mis si l'idée mise en avant par l'honorable M. de Smedt peut être réalisée, évidemment le billet marqué, le billet reconnaissable devient une impossibilité, et je ne crains pas de dire que c'est là le seul résultat sérieux, et voilà pourquoi le renvoi à la section centrale est indispensable.

Maintenant, messieurs, permettez-moi de faire remarquer qu'il n'en résulterait aucun retard quelconque dans la discussion.

En effet, si le renvoi à la section centrale est ordonné, demain et après-demain les membres de cette section auront chacun le temps d'examiner mûrement les amendements de l'honorable M. de Smedt et il leur suffira de se réunir mardi une heure ou deux heures avant la séance pour que M. le rapporteur puisse, à l'ouverture de cette séance, présenter un rapport, fût-il verbal ; de sorte que la discussion n'éprouvera pas une heure de retard par suite du renvoi que nous demandons.

J'insiste, messieurs, pour que ce renvoi soit prononcé, parce que ces amendements ont un caractère tout spécial ; ils se rattachent à l'essence même du projet.

Je le répète, en ma qualité de membre de la section centrale, j'ai eu à m'occuper assez sérieusement du projet de loi et je dois faire cet aveu que dans toutes les dispositions que nous proposons il n'y a pas de garanties sérieuses contre les fraudes qui ont lieu aujourd'hui. Les promesses et les menaces par lesquelles on exerce une influence illégitime sur les électeurs seront employées aussi longtemps qu'elles auront une sanction.

Or cette sanction est évidemment le billet marqué, le billet reconnaissable. Dans l'ordre des dispositions contenues dans le projet de loi, c'est là le mal caractéristique de la situation.

Nous devrions donc être tous d'accord pour faire des recherches aussi consciencieuses que possible afin de trouver un remède à ce mal. Or, tel est l'unique objet du système proposé par l'honorable M. de Smedt.

Je crois qu'il y a lieu, de la part de la Chambre, d'en ordonner un nouvel examen ; et quand je dis un nouvel examen, je vais trop loin ; c'est la première fois que le système a été proposé tel qu'il est formulé par l'honorable M. de Smedt.

J'engage donc vivement la Chambre à vouloir bien ordonner le renvoi qui, je le répète, ne peut occasionner aucun retard dans la discussion.

MpVµ. - Le bureau est saisi d'une proposition formelle tendante au renvoi des amendements de M. de Smedt à l'examen de la section centrale.

Il faut que je donne lecture de ces amendements qui sont ainsi conçus :

(page 1402) « Art. premier (comme au projet de loi).

« Art. 2. Les votes seront donnés par bulletins imprimés renfermés dans une enveloppe. Ces enveloppes et ces bulletins servant à l'impression des suffrages seront fournis par le gouvernement qui en fixera le prix.

« Ils seront uniformes pour tout le pays et revêtus d'un même timbre.

« Ils seront débités par les agents de l'administration du timbre et par toutes les autres personnes qui en demanderaient pour les vendre. Il y aura au moins un dépôt par canton.

« (ou cinq) enveloppes seront remises à chaque électeur en même temps que la lettre de convocation.

« Art. 3. Chaque bulletin ne portera que le nom d'un seul candidat.

« Immédiatement après la lecture prescrite par l'article 22 de la loi électorale, il sera remis au président de chaque bureau, par le candidat lui-même ou un électeur appartenant à cette section, deux bulletins-types identiques, revêtus chacun de la signature du candidat et auxquels devront être conformes, sous peine d'annulation, tous les bulletins portant le nom de ce candidat.

« Immédiatement après leur dépôt ces bulletins-types seront lus à haute voix par le président du bureau.

« Un de ces bulletins-types sera déposé en évidence sur le bureau pendant toute la durée des opérations électorales ; l'autre bulletin-type sera affiché dans la salle de manière que chaque électeur puisse en prendre connaissance.

« En cas de contestation sur la validité des bulletins ou suffrages, le bulletin-type et les bulletins contestés seront parafés par les membres du bureau et annexés au procès-verbal.

« Art. 4. Les enveloppes qui portent à l'extérieur des signes distinctifs quelconques seront refusées par le président du bureau électoral ; l'électeur dont l'enveloppe aura été refusée pour ce motif pourra la remplacer par une autre, sans interrompre la suite des opérations. En cas de contestation, le bureau décidera.

« Art. 5. Comme à l'article 4 du projet de la section centrale, moins le dernier paragraphe de cet article. L'article 5 du gouvernement et de la section centrale est supprimé.

« Art. 6. La majorité absolue sera fixée d'après le nombre d'enveloppes reconnues valables.

« Art. 7 (remplaçant l'article 7 du gouvernement). Sont nulles :

« l° Les enveloppes qui ne contiennent aucun suffrage valable.

« 2° Les enveloppes qui renferment un nombre plus considérable de bulletins qu'il n'y a de membres à élire.

« 3° Les enveloppes portant à l'intérieur des désignations, marques ou signes distinctifs quelconques de nature à violer le secret du vote.

« Art. 8. Sont nuls :

« 1° Les bulletins qui ne seraient pas conformes au bulletin-type.

« 2° Les bulletins portant des marques d'écriture ou signes distinctifs de nature à violer le secret du vote.

« 3° Les bulletins qui ne seraient pas timbrés ou dont les formes ou dimensions auraient été altérées.

« Eh cas de contestation, le bureau décidera, sauf réclamation. »

(page 1371) M. J. Jouret. - Messieurs, ces amendements me paraissant excessivement compliqués. Je ne verrais pas, d'après ce qu'a dit l'honorable M. de Naeyer, de difficulté au renvoi à la section centrale, mais je crains de voir demander absolument la même chose pour toutes les propositions étrangères au projet de loi, qui se sont produites, ce qui entraînerait l'impossibilité de discuter le projet de loi, et dans cette prévision, malgré le désir que j'aurais de renvoyer les amendements de l'honorable M. de Smedt à la section centrale, je ne puis consentir parce que je considérerait ce renvoi comme l'échec complet du projet de loi.

Je ne puis donc, pour ce qui me concerne, consentir à ce renvoi.

M Dumortier. — Si la proposition de l'honorable M. de Smedt se bornait à un simple amendement à un article, je comprendrais ce que vient de dire l'honorable M. Jouret ; mais c'est tout un système qui est présenté et je dois dire qu'en l'entendant lire, j'y ai remarqué beaucoup de choses qui me séduisent. Le meilleur moyen d'abréger le débat, c'est évidemment d'avoir un rapport de la section centrale. Si le système est inexécutable, la section centrale viendra nous le dire et nous éviterons ainsi une longue discussion.

M. Orts. - Messieurs, je ne sais pas ce que la Chambre fera en définitive de la proposition de renvoi à la section centrale, mais je déclare pour ma part et comme auteur d'un amendement, que si la Chambre décide le renvoi de l'amendement de M. de Smedt, je la supplie de ne pas renvoyer le mien.

Je vois parfaitement bien où ces renvois vont nous mener. Il arrivera des amendements tous les jours, on les renverra à la section centrale et il nous sera impossible d'arriver au vote du projet de loi. Je demande donc qu'on ne me renvoie pas à la section centrale. Qu'on me rejette si on le veut, ce sera l'affaire de ceux qui m'auront rejeté, mais je ne veux pas être cause involontaire d'un ajournement de la loi.

Maintenant je crois que le renvoi des amendements de M. de Smedt est, dans tous les cas, prématuré. En effet, si je l'ai bien compris, le point de départ du système de l'honorable membre est l'admission du bulletin imprimé ; or la section centrale et le gouvernement repoussent le bulletin imprimé et ils donnent leurs raisons. Il ne sera donc utile de délibérer sur le renvoi que lorsque la Chambre aura décidé que les bulletins pourront être imprimés, question qui a été examinée par la section centrale et résolue négativement.

Je pense donc, messieurs, qu'il faut continuer la discussion, imprimer les amendements, et après que nous aurons décidé que les bulletins pourront être imprimés, si toutefois la majorité le veut, nous pourrons renvoyer, comme étude d'application, les amendements de l'honorable M. de Smedt à la section centrale.

M. de Naeyer. - Messieurs, je commencerai par protester, en ce qui me concerne, contre toute idée quelconque d'avoir voulu entraver en quelque sorte la discussion et rendre la solution impossible. Cela n'est pas entré dans ma pensée.

M. Orts. - Ce n'est pas votre intention, mais c'est le résultat de votre proposition.

M. de Naeyer. - Cette appréciation est tout à fait erronée et c'est pour empêcher qu'on n'en tire, surtout en dehors de cette Chambre, la conclusion que j'aurais voulu faire traîner l'examen du projet de loi en longueur, que j'ai fait ma protestation qui ne s'adresse en aucune manière aux intentions de mes honorables contradicteurs, mais qui est dirigée contre les conséquences qu'on aurait pu induire de leurs paroles.

L'honorable M. Jouret a dit que ces amendements paraissent assez compliqués ; j'en conviens ; au premier abord, ils paraissent assez compliqués, et cela n'est pas étonnant puisqu'il s'agit d'un système tout à fait nouveau et qui n'a pas encore été produit jusqu'ici. C'est une raison de plus pour les faire examiner par la section centrale.

M. Bara. - Laissez-les lire par les membres de l'assemblée d'abord.

M. de Naeyer. - L'un n'empêche pas l'autre. Vous craignez qu'on ne fasse la même motion pour tous les amendements. Cette crainte est chimérique.

Toutes les autres propositions qui se sont produites jusqu'ici sont des propositions connues et même examinées. Presque tous les amendements proposés occupent une place dans le rapport, et la section centrale s'est déjà prononcée à cet égard.

MfFOµ. - Non. Je demande la parole.

M. de Naeyer. - La proposition de M. Orts a été examinée.

MfFOµ. - Celle-là, oui ; mais il peut s'en produire d'autres.

M. de Naeyer. - Il y a dans le rapport une ou deux pages sur cette question. Il en est de même de l'ordre alphabétique proposé par l'honorable M. de Macar et d'autres propositions encore. Et quand même elles ne seraient pas examinées dans le rapport, elles ne sont pas neuves ; elles font depuis longtemps l'objet des discussions politiques ; elles ont été examinées dans les journaux et partout où l'on s'occupe de politique.

Vous voyez donc, messieurs, que cette crainte est chimérique.

Je propose le renvoi des amendements de l'honorable M. de Smedt à la section centrale pour deux motifs, d'abord parce qu'il ne doit en résulter aucun retard quelconque dans la discussion, ensuite parce que c'est un système tout à fait nouveau qui tend à réaliser un résultat très désirable et vainement recherché jusqu'ici.

L'honorable M. Orts a dit que déjà la section centrale s'était occupée des bulletins imprimés.

C'est vrai, mais il s'agissait de savoir s'ils seraient admis conjointement avec les bulletins écrits. Le système qui est proposé aujourd'hui est tout autre. Il demande que les bulletins imprimés soient seuls admis, qu'ils soient conformes à un type donné d'avance, qu'il n'y ait qu'un vote unique sur chaque bulletin et que les bulletins soient renfermés dans une enveloppe.

L'honorable M. Orts a pu lire tout ce qui a été écrit sur cette matière et il devra reconnaître que ce système n’a encore été indiqué nulle part. A ce point de vue donc, il me paraît digue d'un examen sérieux.

S'il peut être examiné sans retarder la discussion, pourquoi refuseriez-vous de faire procéder à cet examen ?

Il faut que personne ne puisse soupçonner que nous avons en quelque sorte notre siège fait d'avance et que la discussion à laquelle nous nous livrons n'est qu'une affaire de forme qui ne doit amener aucun changement réel aux propositions du ministère.

Il est de notre devoir de rechercher sérieusement tout ce qui peut réellement rendre les élections sincères et sérieuses, et, je le répète, si vous ne rendez pas impossibles les billets marqués, tout ce que vous aurez fait sera vain et stérile. Vous n'aurez fait que multiplier inutilement les formalités ou plutôt les tracasseries pour les électeurs.

J'appuie de tout mon pouvoir le renvoi à la section centrale du système proposé.

Je ne dis pas qu'il est à l'abri de tout reproche. Je le trouve assez compliqué, mais j'espère qu'après un examen sérieux on pourra le simplifier et je persiste à demander le renvoi à la section centrale de l'amendement de l'honorable M. de Smedt.

MfFOµ. - Messieurs, je rends hommage aux intentions de l'honorable M. de Naeyer. Je suis convaincu qu'il n'est nullement entré dans sa pensée d'entraver la discussion du projet de loi, et qu'il veut très sérieusement, comme nous le voulons tous sans doute, arriver à déraciner autant que possible les fraudes électorales.

Mais, contre son gré, et nonobstant son désir incontesté d'atteindre ce but si désirable, l'adoption de sa motion aurait inévitablement pour résultat d'entraver la discussion du projet de loi qui est soumis aux délibérations de la Chambre.

En effet, messieurs, n'est-il pas évident que si la Chambre accueille cette motion de renvoi à la section centrale en ce qui concerne les amendements de l'honorable M. de Smedt, il sera impossible de ne pas agir de même à l'égard de la plupart des autres amendements ?

L'honorable M. de Naeyer, il est vrai, a cherché à détruire d'avance cette objection. Parmi les amendements présentés, il en est, a-t-il dit, qui nous sont bien connus, qui ont même déjà été examinés par la section centrale, et à l'égard desquels il y a par conséquent une fin de non-recevoir manifeste à opposer à toute proposition de renvoi à la section centrale.

L'honorable membre sera cependant obligé de reconnaître aussi qu'il a été déposé plusieurs amendements qui n'ont pas été examinés par la section centrale, et auxquels devrait par conséquent s'appliquer la motion de renvoi, si elle était accueillie quant à ceux dont l'honorable M. de Smedt est l'auteur. Je citerai par exemple les propositions de l'honorable M. Delcour.

M. de Naeyer. - Ce sont des questions connues.

MfFOµ. - Oh ! s'il suffit pour ne pas admettre le renvoi à la section centrale, de dire : question connue, affaire connu, je répondrai également, quant aux amendements de l'honorable M. de Smedt : affaire connue, question connue !

(page 1372) M. de Naeyer. - Mille fois non.

MfFOµ. - Que vous le niiez pour ce qui vous concerne personnellement, je le veux bien, mais souffrez qu'à mon tour je dise que j'ai eu une connaissance suffisante de ces amendements, par les développements qui ont été donnés hier. J'ai pu les apprécier encore aujourd'hui, quand j'en ai entendu la lecture et je les connaîtrais mieux sans doute après leur impression et leur distribution, c'est-à-dire quand j'aurai été mis à même de les étudier. (Interruption.)

Mais, messieurs, je réponds ici à l'objection qui m'a été faite par l'honorable M. de Naeyer. Je dis que cette objection n'a pas de valeur, qu'elle sera insuffisante pour justifier le non-renvoi à la section centrale de la plupart des propositions déposées ou annoncées, alors que l'on aurait admis le renvoi des amendements de M. de Smedt ; que dès lors, la motion que je combats aurait pour conséquence d'empêcher l’adoption de la question préalable, que nous avons annoncé l'intention d'opposer à une partie des propositions...

- Une voix. - Il n'y a donc pas de question préalable possible.

MfFOµ. - Donc, si vous décidez le renvoi à la section centrale de ces amendements, il en résultera un travail très long, qui nous conduira fort loin, parce que l'examen s'étendra non seulement aux propositions qui se sont déjà produites, mais encore et nécessairement à toutes celles qui pourront se produire encore.

L'honorable M. de Naeyer ne voit pas d'obstacle à ce que l'on propose ainsi des systèmes entièrement nouveaux, et il ne veut pas convenir des inconvénients graves, des embarras inextricables auxquels donnerait lieu l'examen complet et approfondi de tous les systèmes qu'il pourrait plaire à chacun de nous d'imaginer. Quant à moi, messieurs, je crois qu'il est impossible d'entrer dans cette voie. La Chambre ne doit pas s'engager ainsi à priori sur de pareilles questions.

Ce que nous demandons, c'est que l'assemblée examine au moins si elle reconnaît aux propositions un caractère tel, qu'il y ait utilité à les renvoyer en section centrale. Elle aura ainsi deux questions à examiner : tout d'abord, la première, celle de savoir si ce que l'on propose sous forme d'amendement est véritablement un amendement ; et la seconde s'il y a lieu de renvoyer les propositions à la section centrale.

Mais en adoptant l'opinion émise par l’honorable M. dé Naeyer, on préjuge ces deux questions, et la Chambre s'oblige ainsi à examiner et à discuter des propositions qui ne sont rien moins que des amendements au projet de loi.

Je demande donc que l'on suive la marche que j'indique, qui est la seule rationnelle et qui est conforme aux usages de la Chambre. On statuera, quant au renvoi à la section centrale, lorsque l'on en sera arrivés aux articles, et à mesure que les diverses propositions seront indiquées comme.se rattachant à ceux dont la discussion aura été entamée.

M. Dumortier. - Je suis vraiment étonné de voir qu'en voulant arriver au même but, nous arrivions à des conséquences diamétralement, opposées ; quant à moi, je désire que la. discussion se prolonge le moins possible et c'est dans ce but que j'ai appuyé le renvoi à la section centrale.

Mais il ne faut pas conclure de là que je voudrais appuyer le renvoi de tous les amendements à la section centrale. Je suis d'accord avec M. le ministre des finances que, si une proposition doit être frappée de la question préalable, vous ne devez pas la renvoyer à la section centrale ; ce serait un temps perdu inutilement. Si d'un autre côté une proposition est un simple amendement, serait-ce encore une fois prolonger inutilement le débat que de la renvoyer à la section centrale. Mais voici comment j'envisage la question : Un système complet vous a été présenté pour être substitué à celui de la section centrale, Ce système se compose, non d’une disposition en quelques mots ; mais de dispositions énoncées en cinq ou six articles. Or, nous pouvons rester quatre ou cinq jours à discuter.

M. Orts. - Il n'y a qu'une question, c'est celle du bulletin imprimé.

M. Dumortier. - Permettez-moi. Quelles objections fait-on contre le bulletin imprimé ?. C'est que l'on peut employer diverses espèces de caractères d’impression et avoir ainsi un moyen de reconnaître les bulletins. J’ai écouté avec soin les propositions de l'honorable M. de Smedt. Il veut que les bulletins ne puissent être imprimés autrement qu’en bulletin type* L'objection ne vaut donc pas.

Je pense que, pour abréger, cette discussion, le mieux est que les sept membres de la section centrale délibèrent sur ces amendements, en examinent les avantages et les désavantages et viennent nous faire un rapport. Nous économiserons ainsi peut-être une ou deux séances, et cela ne préjugerait en rien le renvoi des autres propositions aàla section centrale. Quant à moi, je déclare qu'à moins qu'on ne vienne avec un système complet à opposer à celui de la section centrale, je ne suis pas du tout disposé à appuyer le renvoi des amendements à la section centrale.

- Le renvoi à la section centrale est mis aux voie par appel nominal.

61 membres prennent part au vote.

26 votent pour le renvoi ;

35 votent contre.

En conséquence le renvoi à la section centrale n'est pas prononcé.

Ont voté pour le renvoi :

MM. de Borchgrave, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Woelmont, d’Hane-Steenhuyse, Dumortier, Jacobs, Janssens, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Snoy, Tack, Thibaut, Thonissen, T'Serstevens, Vander Donckt, Van Hoorde et Verwilghen.

Ont voie contre le renvoi :

MM. Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, Camille de Bast, de Brouckere, de Florisone, de Rongé, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Giroul, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Lippens, Moreau, Muller, Orban. Orts, Rogier, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Nieuwenhuijze, Vleminckx, Allard, Bara et E. Vandenpeereboom.

MpVµ. - Nous reprenons la discussion générale.

La parole est à M. Joseph Jouret.

M. J. Jouret. - Je vous avais prié de m'inscrire, M. le président, dans l'intention de combattre la proposition de M. Orts que je considère, sinon comme radicalement inconstitutionnelle, du moins comme opposée aux principes qui, en cette matière, ont présidé à la rédaction de la Constitution et de la loi électorale. Mais quelques-uns de mes amis me font observer qu'il était entendu que la discussion de cette proposition aurait lieu lors de la discussion des articles.

S'il en est ainsi, je n'insiste pas pour parler en ce moment ; j'ai voté, au reste, la motion de M. Bara et pour me montrer conséquent avec moi-même, je crois qu'il est plus convenable de présenter mes observations au moment où la discussion des articles amènera la discussion de l'amendement de M. Orts.

M. Thibaut. - Messieurs, je trouve que le projet de loi est incomplet ; je m'efforcerai de le démontrer en peu de mots.

Que faut-il entendre par fraudes en matière électorale ? Les manœuvres par lesquelles on cherche à augmenter frauduleusement le nombre des électeurs ; la corruption, l'intimidation, les menaces employées pour obtenir des suffrages ; la surveillance incessante qui prive les électeurs de leur libre arbitre, tout cela, j'en conviens avec l'auteur de l'exposé des motifs, rentre sous la dénomination de fraudes eu matière électorale.

Mais n'y a-t-il pas d'autres fraudes ? Et si MM. les ministres de l'intérieur et de la justice n'ont ni prévu ni empêché les plus pernicieuses, si la section centrale ne les a ni découvertes ni réprimées, il doit nous être permis de chercher à amendée, à corriger, à compléter le travail qui nous est soumis, sans craindre d'être ultérieurement entravés par la question préalable.

Dans notre régime constitutionnel et représentatif, le pouvoir n'appartient pas « nécessairement », comme l'affirme l'honorable rapporteur, à l'opinion qui est en majorité dans le pays. Le pouvoir devrait toujours lui appartenir, mais il arrive qu'il lui est frauduleusement enlevé ou refusé ; ou plutôt, je dirai, pour éviter de soulever des discussions irritantes sur des faits passés, qu'il peut résulter de l'ensemble des lois qui influent sur la composition et sur l'action du corps électoral, que l'opinion dominante dans le pays ne parvienne pas à la possession du pouvoir qui lui est légitimement dû.

L'application de ces lois ne devient-elle pas alors la plus grande, la plus dangereuse de toutes les fraudes en matière électorale ? Et siérait-il à une majorité parlementaire qui se respecte, de se borner à porter des peines contre des atteintes légères à la liberté du vote ou à la sincérité du vote de quelques électeurs, lorsqu'on lui signale des dispositions législatives qui violent directement les principes de justice et d'égalité à l'égard de la grande majorité des électeurs ou qui les privent de garanties ou qui violent le corps électoral en y introduisant des éléments que le droit commun repousse ?

(page 1373) Je ne m'occuperai pas, messieurs, de toutes les lois dont la révision, sous ce rapport, est indispensable ; je m'arrêterai à celle qui concernent plus spécialement les bases de notre système électoral.

Je crois, messieurs, que notre système électoral actuel est défectueux ; qu'en droit il établit un régime de privilège pour les villes et d'oppression pour les campagnes.

En combinant les dispositions de la Constitution et de la loi électorale du 3 mars 1831, nous trouvons que le système électoral établi par le Congrès reposait sur les bases suivantes :

1° Un cens, en impôts directs, patentes comprises, c'est-à-dire supposant un certain degré de fortune, uniforme pour les campagnes, variable pour les villes, en raison de leur population ;

2° l'élection directe ;

3° le vote secret ;

4° le vote au chef-lieu de district ;

5° la majorité absolue et, à son défaut ; le ballottage ;

6° le nombre des membres des deux Chambres mis en rapport avec la population du royaume.

De ces six bases, la première seule a été profondément modifiée, et l'harmonie de l'ensemble a disparu.

En 1848, le cens a été réduit pour toutes les villes au taux fixé par le Congrès pour les campagnes.

En 1849, le droit sur le débit de boissons alcooliques a été assimilé à l'impôt direct devant compter pour le cens électoral.

Il en résulte que les villes ont aujourd'hui plusieurs privilèges. Aux avantages que le Congrès leur avait accordés, les lois de 1848 et 1849 en ont ajouté d'autres, et les campagnes se sont trouvées déchues du rang d'égalité, quant à la seule base et à la base principale où le Congrès l'avait établi.

Le Congrès avait donné aux villes le privilège de former le centre de tous les collèges électoraux ; il leur avait donné un second privilège en prenant le district administratif pour former le district électoral, d'où résulte le scrutin de liste.

Mais, grâce au cens différentiel et à la spécialité des impôts admis pour la formation du cens, les deux privilèges n'offraient pas alors de grands inconvénients. Aujourd'hui et par l'effet, tant de l'uniformité du cens que de l'admission du droit de débit des boissons alcooliques dans la catégorie des impôts directs, ces deux privilèges sont devenus exorbitants. L'accroissement rapide de la population dans quelques-unes de nos villes a même rendu ces privilèges presque dangereux pour le pays.

L'uniformité du cens électoral constitue elle-même un privilège en faveur des villes, parce qu'il est plus facile, avec un capital donné, d'atteindre au cens électoral en ville qu'à la campagne. En d'autres termes, l'uniformité du cens élève à la dignité d'électeurs une catégorie d'habitants des villes, qui, avec le capital dont ils disposent, ne pourraient être électeurs à l'a campagne. Ce point a été mis en lumière dans la séance d'hier par l'honorable M. Dumortier.

Le droit sur le débit des boissons distillées, qu'il ne faut pas confondre avec la patente de cabaretier et qui a principalement un but moral, qui a pour but de modérer la consommation du genièvre, ce droit a été considéré, depuis 1849, comme un impôt direct. Il a servi à faire entrer dans le corps électoral une foule de petits débitants, dont le cens n'est une présomption ni de fortune ni de capacité ; cette classe d'électeurs jouit donc d'un véritable privilège à l'égard de toutes les autres classes, et comme elle se trouve principalement dans les villes, c'est un privilège qui leur profite beaucoup plus qu'aux campagnes.

Voilà donc, messieurs, la situation établie après les événements de 1848 : privilège pour les électeurs des villes qui votent à la commune, tandis que les autres doivent se déplacer et faire quelquefois 20 lieues pour accomplir leur devoir électoral ; privilège excessif surtout, l'honorable comte de Theux l'a démontré, en cas de ballottage ; privilège pour les électeurs des grandes villes qui nomment jusque 5, 7 et 11 députés ; privilège pour les électeurs des villes par l'uniformité du cens qui correspond en ville à une fortune moindre que celle qui est nécessaire pour donner le cens à la campagne ; privilège enfin pour les villes par la conversion en impôt direct du droit de débit des boissons alcooliques.

Avec un pareil système, vous ne pouvez être certains d'obtenir, dans les élections, l'expression sincère de la volonté de la nation. Une minorité du corps électoral peut se composer d'éléments tels, qu'elle réussi a toujours à opprimer la majorité. Voilà, messieurs, la grande fraude, la fraude capitale qu'il faut prévenir et empêcher.

Quel est donc le devoir du gouvernement et des Chambres ? Il me paraît tout tracé. Je ne dirai pas si vous voulez être justes, mais si vous voulez préserver nos institutions d'un danger dont l’avenir les menace, vous ferez disparaître les privilèges que je viens d'énumérer.

Les électeurs des villes votent à la commune. Vous pouvez généraliser cette mesure, en faire le droit commun. Y trouvez-vous des inconvénients ? Indemnisez l'électeur qui n’habite pas le chef-lieu de district de ses frais de déplacement et de séjour, et supprimez le ballotage.

Les électeurs des grandes villes nomment 5, 7, 11 députés. Fractionnez ces grands collèges ; imitez de loin ce qui se fait en Angleterre et en Hollande.

L'uniformité du cens a rendu électeurs, en ville, une classe de citoyens dont la fortune serait loin d'être suffisante à la campagne pour atteindre le cens électoral ; faites quelque chose pour les campagnes ; appelez aussi à prendre part à la direction des affaires une classe d'agriculteurs qui ont tous les titres possibles pour devenir électeurs, moralité, capacité et fortune, la classe des fermiers locataires. L'impôt foncier pour les domaines ruraux est assis non seulement sur le capital terre, mais sur le capital d'exploitation qui appartient au fermier. Comptez-lui la part de l'impôt foncier à laquelle il peut légitimement prétendre. L'article 8, paragraphe 4, de la loi communale nous offre à cet égard un précédent utile à consulter.

L'assimilation du droit de débit de boissons à l'impôt direct a fait entrer dans le corps électoral un élément que je considère et que vous devez considérer comme funeste ; le petit débitant, dont l'industrie favorise l'ivrognerie, détruit trop souvent la santé des hommes et ruine les familles. N'hésitez pas, messieurs, rétablissez le paragraphe 2 de l'article 2 de la loi du 18 mars 1838, ou bien supprimez le droit et reportez-le sur l'accise.

Voilà, messieurs, de la matière pour un nouveau chapitre à la loi que nous discutons.

Si vous entrez dans cette voie, vous accomplirez un grand acte de justice, vous réveillerez, et il est temps, les sentiments d'union et de concorde dans le pays ; vous enlèverez tout prétexte à la fraude individuelle, et vous aurez le droit de la punir.

Messieurs, je ne veux pas fatiguer la Chambre, et je n'entreprendrai pas l'examen du projet de loi lui-même ; Je dirai cependant que je ne comprends pas comment le gouvernement, en maintenant le système électoral tel que je l'ai analysé tantôt, a pu proposer de proscrire toute dépense électorale, autre que celle du transport, faite dans le but d'éviter aux électeurs éloignés, des sacrifices personnels en argent. Pénétrons dans la réalité des faits. Beaucoup d'électeurs ne se rendront jamais spontanément, et à leurs frais, aux élections, si ce n'est dans des circonstances suprêmes. L'une de leurs vertus, c'est l'économie quelquefois poussée à l'excès, j'en conviens. Mais, enfin, ont-ils absolument tort, quand ils vous disent : Mettez-nous sur un pied d'égalité, quant à la dépense, avec les électeurs des villes, et nous ferons le sacrifice de notre temps, nous prendrons part au vote ; pourquoi nous imposerions-nous, non seulement des fatigues, mais des frais qui sont épargnés à d'autres ?

Ces réclamations ne sont pas déraisonnables et aussi longtemps que la loi ne les aura pas accueillies, il est à désirer que des citoyens zélés et dévoués à l'intérêt public se cotisent et fassent les dépenses nécessaires pour déterminer cette catégorie d'électeurs à se rendre au scrutin. C'est là, messieurs, du patriotisme digne des plus grands éloges. Ce n'est pas un abus, c'est un remède contre une injustice. Substituez-en un autre, je le veux bien et je vous y convie, mais né flétrissez pas ceux qui cherchent à faciliter aux électeurs ruraux l'accès de l'urne électorale. Les repas publics le jour des élections, que le gouvernement considère comme une fraude électorale et que la section centrale tolère, l'indemnité de déplacement que le gouvernement et la section centrale proscrivent sont, dans la situation actuelle, parfaitement légitimes, en principe, comme les moyens de transport qui, d'après le projet du gouvernement ou du consentement de la section centrale, peuvent être mis à la disposition des électeurs. Il n'y a aucune raison sérieuse de différence. Mais je le répète, substituez l'intervention de l'Etat à l'intervention des particuliers ; nulle part elle ne sera plus légitime, et je vous approuverai.

Un dernier mot, messieurs, sur l'amendement de la proposition de l'honorable M. Orts et je termine. Je ne parlerai pas de la nouvelle condition qu'il voudrait imposer à l'électeur, celle de prouver qu'il sait lire et écrire, si quelques membres de la droite ne s'y étaient montrés sympathiques. Pour moi, je la repousse et j'ai pour cela deux motifs. Le premier, c'est l'impossibilité de la mettre en pratique Le second, c'est que cette proposition doit avoir pour effet ou de diminuer le nombre des électeurs, ou de préparer la suppression du cens électoral et le suffrage universel. Or, je ne veux accepter ni l'une ni l'autre de ces alternatives. Je ne veux ni me montrer plus exigeant que le Congrès ni faciliter une révolution au profit de l'inconnu.

M. Crombez, rapporteur. - Je prie la Chambre de vouloir bien, avant de clore la discussion générale, entendre le rapporteur de la section centrale.

(page 1374) Les orateurs qui m'ont précédé se sont beaucoup plus occupés de ce qui ne se trouve pas dans la loi que de ce qui s'y trouve. Il ne faut pas s'en étonner, et chaque fois qu'on voudra modifier ou améliorer notre système électoral, nous nous trouverons en présence des propositions les plus diverses et les plus contradictoires. Cette confusion d'idées tient surtout à l'état d'incertitude qui règne sur les principes qui doivent régler cette matière délicate. Tout ici est encore à l'état de problème, problème dont nous ne connaissons pas une solution suffisante.

Je m'en réfère à cet égard et pour ne pas prolonger le débat aux observations contenues dans le rapport de la section centrale. Je ne répondrai pas non plus aux critiques de détail adressées au projet de loi ; la réfutation serait prématurée ; elle trouvera sa place tout naturellement dans la discussion des articles. Quant aux critiques générales, elles se résument en ces trois points principaux : la loi ne renferme que de petits moyens ; elle ne réprime pas l'action du gouvernement dans les élections ; enfin la loi est une œuvre de parti, elle est une loi d'intimidation.

Au sujet de la première critique adressée au projet de loi, permettez-moi de vous rappeler dans quelles circonstances le projet a été présenté. Vous vous souvenez tous, messieurs, qu'à l'ouverture de la session législative 1861-1862, le gouvernement fit la promesse d'apporter à la législature un projet sur les fraudes électorales. En 1862, un premier pro et a été présenté ; si mes renseignements sont exacts, il est l'œuvre de trois hommes qui jouissent d'une grande autorité en Belgique, MM. Liedts, Ch. Faider et Tielemans.

Ce projet ne comprenait qu'un petit nombre d'articles, 12, si ma mémoire est fidèle.

Quel effet ce premier projet a-t-il produit sur l'opinion publique ? Dans la presse, dans les associations politiques, dans les pétitions, on a accusé le gouvernement de ne pas vouloir sérieusement prévenir et réprimer les fraudes électorales ; on lui a indiqué une foule de moyens : le papier électoral, l'ordre alphabétique, et le papier électoral a été recommandé par la presse, par des pétitions, par des associations politiques. Le couloir ! Il a été préconisé dans des réunions politiques et j'ai ici les débats qui se sont produits au meeting libéral de Bruxelles où il est recommandé comme une des meilleures mesures pour prévenir les fraudes. Il en est de même de l'ordre alphabétique qui n'a été adopté ni par le gouvernement ni par la section centrale.

Quant à la sincérité du vote, aux moyens de prévenir et de réprimer la corruption, on nous a dit de tous côtés : Voyez les lois anglaises ; elles contiennent une série de pénalités les plus sévères contre ceux qui se livrent à des manœuvres de corruption. Pourquoi n'avez-vous pas adopté ces mesures ? nous a-t-on dit. Vous ne voulez donc pas sérieusement la répression des fraudes électorales !

C'est au milieu de tous ces débats qui se sont produits en dehors de cette Chambre que le projet de loi de 1862 fut livré à l'examen des sections. J'ai sous les yeux les procès-verbaux de ces sections et je constate que toutes les mesures qui nous sont présentées aujourd'hui ont été recommandées par toutes les sections.

Quelque temps après, le projet fut examiné en section centrale ; de longues séances furent consacrées à cet examen.

Nous avons débattu toutes les propositions, et je l'avouerai, au premier abord, elles n'ont pas suscité chez moi un grand enthousiasme. Le papier électoral, notamment, avait été rejeté par la première section centrale ; le couloir avait été mieux accueilli, mais enfin un état d'incertitude régnait sur toutes les questions. La dissolution de la Chambre avait fait tomber le premier projet et le gouvernement dût présenter un nouveau projet de loi. Qu'a fait alors le gouvernement ? A-t-il maintenu purement et simplement son premier projet ? Non : il a tenu compte des manifestations de l'opinion publique et il a présenté à la Chambre un projet plus complet et qui comprenait presque toutes les mesures qui avaient été recommandées tant dans la Chambre qu'en dehors de cette enceinte.

Voilà, messieurs, l'origine du nouveau projet de loi. Il y est tenu compte de ces manifestations de l'opinion publique, dont je viens de vous parler. Toutes les mesures proposées par le gouvernement, dans ce nouveau projet, ont été acceptées par la section. Le papier électoral, le couloir, la nullité des bulletins, la répression de la corruption, l'interdiction des repas, tout cela a été plus ou moins accepté par les sections.

Eh bien, il s'est produit alors une chose singulière et que je veux signaler à l'attention de la Chambre et du pays. Aussitôt que le gouvernement eut présenté les mesures qui étaient si vivement réclamées, aussitôt que la section centrale les eut adoptées, il s’opéra dans le pays un revirement complet et ces mesures qu'on considérait comme excellentes auparavant furent combattues par ceux-là mêmes qui les avaient préconisées. Je tiens à signaler ce fait afin de montrer que le gouvernement et la section centrale ne se sont pas opposés d'une manière systématique au désir de l'opinion publique et que l'opposition est venue des promoteurs mêmes des mesures.

Examinons maintenant le projet dans son ensemble comme il convient dans une discussion générale.

On dit que nous proposons de petits moyens. Mais ouvrons la loi de 1831 dont M. le comte de Theux a été le rapporteur et qui est tout empreinte de l'esprit de la Constitution. Voici ce que nous y trouvons :

« Chaque électeur, après avoir été appelé, remet son billet écrit et fermé au président, qui le dépose dans une boîte à deux serrures dont les clefs seront remises l'une au président et l'autre au plus âgé des scrutateurs. »

Voilà, j'espère, des détails et de bien petits moyens, des détails bien prosaïques, et cependant le Congrès ne les a pas dédaignés, car il a pensé que, dans une loi électorale, il fallait bien entrer dans ces minuties.

Sans doute, messieurs, il nous serait à tous beaucoup plus agréable de n'avoir à nous occuper dans cette enceinte que des grands principes de l'humanité et de la politique ; et cela serait certainement beaucoup plus intéressant pour le public qui nous écoute et pour nous-mêmes qui devons prendre la parole.

Mais quand il s'agit de parvenir à réprimer les fraudes électorales, n'est-on pas forcé, entraîné par la nature même des questions à résoudre, d'entrer dans ces petits détails et de suivre l'exemple que le Congrès lui-même nous a donné ?

Vous n'échapperez pas à ces détails, quelque décision que vous preniez, quelque principe que vous adoptiez : adoptez le suffrage universel, l'obligation pour l'électeur de savoir lire et écrire, le vote par ordre alphabétique, toutes les mesures que vous voulez, toujours vous devrez entrer dans des détails, toujours, en un mot, vous devrez vous occuper du ménage électoral.

Deux grandes questions, messieurs, dominent tout le projet de loi : Garantir le secret du vote, assurer la sincérité des élections.

Dans quelles conditions ces questions se posent-elles ? Avons-nous un terrain libre sur lequel nous puissions, construire un édifice complet ? S'agit-il de donner à la Belgique des institutions nouvelles, de fonder une organisation politique nouvelle comme au lendemain de notre révolution ?

Non, messieurs ; nous avons en face de nous notre Constitution et nos lois organiques.

La Constitution, qui songe à en demander la réforme ? Quel est l'insensé, selon l'expression employée par l’honorable M. Guillery dans une de nos dernières séances, qui songe réellement à y toucher ?

Nos lois organiques, mais dans quels rangs trouvons-nous leurs plus grands défenseurs ? C'est sur les bancs de la droite que nous les rencontrons ; c'est M. Malou, c'est M. Dechamps, c'est M. J.-B. Nothomb qui, dans cette enceinte, ont le plus énergiquement insisté sur la nécessité de respecter nos lois organiques, de ne pas les changer continuellement.

Ainsi, messieurs, dans l'examen de la loi qui nous occupe, nous avons, avant tout à nous préoccuper du respect dont nous devons entourer la Constitution et nos lois organiques.

Eh bien, le gouvernement et la section centrale ont été dominés par ce sentiment ; ils ont pensé qu'il importait de n'apporter aucune modification, je ne dirai pas à la Constitution, cela va de soi, mais à nos los organiques ; ils ont voulu, autant que possible, rester fidèles à ces lois anciennes.

Maintenant, avons-nous résolu le problème ; avons-nous fait une bonne loi ?

Tout ce que je puis dire à présent, c'est que la section centrale n'a pas la moindre prétention à l'infaillibilité, et qu'elle est la première à solliciter la discussion. Nous ne demandons qu'une chose, c'est de nous entendre pour trouver le meilleur moyen de réprimer les fraudes électorales, de corriger les imperfections, les erreurs, les vices qui ont été signalés dans la pratique.

On s'est beaucoup élevé contre le silence du projet de loi quant à l'intervention du gouvernement dans les élections. L'honorable M. Hymans a déjà fait justice de ce reproche ; il lui a suffi, pour cela, de citer l'article relatif aux fonctionnaires publics.

Pour ma part, je n'ai qu'un renseignement à fournir à la Chambre pour compléter son éloquent discours.

L'honorable M. Dumortier vous a parlé de l'Angleterre ; il vous a dit : (page 1375) Suivez l'exemple de ce grand pays ; là jamais le gouvernement n'intervient dans les élections. Eh bien, l'honorable membre est dans une erreur complète.

La section centrale a cité, dans son rapport, des faits qui ont été établis à la charge d'un premier ministre d'Angleterre, lord Melbourne.

Voici, à ce propos, un passage de l'enquête parlementaire à laquelle cette affaire a donné lieu :

« D. N'y a-t-il pas eu des électeurs enfermés (cooped) ?

« R. Oui, il y en a eu qui ont été enfermés, non pas à Nottingham, mais à douze mille de là, dans des maisons.

« D. Pourriez-vous dire dans quelles maisons ?

« R. Dans celle de lord Rancliffe, etc., et aussi dans les jardins de lord Melbourne, à Melbourne. Ils ont été parqués dans les jardins de lord Melbourne, à Melbourne trois ou quatre jours avant l'élection ; ils couchaient comme ils pouvaient dans les auberges du voisinage ; le matin on les emmenait dans les jardins, on les y gardait toute là journée, et on les faisait boire pour pouvoir les garder la nuit. »

Voilà, messieurs., ce que faisait un premier ministre d'Angleterre. Mais ce n'est pas tout.

M. Jacobsµ. - A quelle époque cela a-t-il eu lieu ?

M. Crombez, rapporteur. - En 1844 ; ce n'est pas plus ancien que cela.

Je le reconnais, il s'agit ici d'un fait tout personnel ; d'un ministre agissant comme simple citoyen et l'honorable M. Dumortier pourra me dire que cela ne répond pas à son observation. Mais voici qui est mieux ; voici ce que je trouve dans un « Essai sur l'histoire du gouvernement et de la constitution britanniques », par lord John Russell, qui est encore ministre d'Angleterre :

« Pendant l'administration de lord North, l'influence de la Couronne agit de la manière la plus effrénée, la plus honteuse, la plus dégradante. On accordait aux amis et aux favoris des ministres leur part sur l'emprunt, qu'ils revendaient sur-le-champ avec un bénéfice de dix pour cent. M. Fox, dans ses discours, accuse plus d'une fois lord North d'avoir employé 900,000 livres d'un emprunt à se procurer des votes. Il est à remarquer que M. Fox regarde en même temps comme naturel qu'un ministre qui fait un emprunt favorise ses amis, et il dit qu'il ne faut pas s'attendre à ce qu'aucun ministre agisse autrement. Il ne blâme pas lord North d'avoir fait usage de cette faculté, mais d'en avoir abusé. Quelques membres du parlement reçurent, en effet, une somme d'argent qui leur fut offerte, pour les engager à voter en faveur du ministère. Toutes les places à la nomination du gouvernement étaient autant de théâtres de confusion, de dissipation, de prodigalité tout à fait convenables aux intérêts de tous ceux qui désiraient s'enrichir aux dépens de l'honneur, du patriotisme et de la conscience. »

« Le ministère, comprenant ses intérêts, a, depuis quelques années, organisé plus complètement et perfectionné cette espèce de patronage dans un but d'influence parlementaire. Quand un emploi est vacant au Timbre ou à la Poste, la Trésorerie écrit au député du comté ou du bourg qui vote avec le gouvernement, et lui demande de recommander quelqu'un. Les constituants lui adressent plusieurs demandes, qu'il transmet au premier lord de la Trésorerie. Qu'il me soit permis toutefois d'observer, avec impartialité, qu'il ne faut pas supposer que les gentilshommes d'une fortune indépendante prostituent leur conscience à la misérable considération de ce petit patronage. Mais ceux qui sont complètement favorables au gouvernement peuvent, par ce moyen, conserver leur position, et l'habitude de demander leur crée avec le ministre des relations plus secrètes et moins honorables qu'elles ne le seraient autrement. C'est à cette dangereuse pratique qu'on peut attribuer la conduite glissante et tortueuse de quelques gentilshommes de province dont les prédécesseurs se signalaient par leur fermeté et leur honnête obstination. »

« Si nous résumons ici, en peu de mots, l'influence de la Couronne, nous aurons à compter de nouvelles pairies et des degrés dans la pairie, accordés en grande profusion ; des rubans bleus, rouges et verts ; six archevêchés, et quarante-deux évêchés, dont quelques-uns sont de 20,000 livres, et dont beaucoup rapportent plus de 8,000 livres par an, des fonctions supérieures militaires et civiles en Finlande, dans l'Inde, aux îles Ioniennes, à Gibraltar, à la Jamaïque, à la Barbade, à la Trinité, au Cap de Bonne-Espérance, au Canada, etc., etc. ; des ambassades à Paris, à Vienne, à Pétersbourg et à Bruxelles, valant 12,000 livres. par an ; beaucoup d'autres 7,000, 6,000 et 5,000 ; quelques-unes 3,000 et 2,000 ; des régiments dans l'armée, des navires dans la marine ; des emplois de tout genre dans le pays et à l'étranger ; plus d'un million pour la liste civile, embrassant le traitement du lord chambellan, du lord intendant, et de nombreux offices inférieurs, de riches bénéfices arrivant toutes les semaines ; des nominations à des postes importants dans l'Inde, dont le nombre s'est grandement accru ; environ deux millions pour le payement des emplois affectés à la perception des revenus, et deux millions en plus pour les dépenses ; les pensions de retraite pour un dixième de cette somme ; des emplois secondaires des hôpitaux, les contrats, et un budget s'élevant en tout à 18,000,000 de livres par an.

« Malgré cela, il y a des gens qui soutiennent encore que l'influence de la Couronne ne s'est pas accrue ; mais on pourrait croire que ceux-là ferment les yeux pour se hasarder à défendre un paradoxe si extraordinaire. »

Vous voyez donc, et je l'avais déjà prouvé un peu dans le rapport de la section centrale ; vous voyez qu'il ne faut pas aller chercher en Angleterre des exemples à suivre. Cherchons à améliorer notre législation, et ne mettons pas toujours en avant l'Angleterre comme un paradis terrestre dans lequel nous devons aller puiser tous nos enseignements.

J'ai oublié de faire une autre observation. En Angleterre il y a quelque chose comme 65,000 à 70,000 employés, à la nomination du gouvernement, et le gouvernement sans doute exerce de l'influence sur tous ces employés. Ce sont des employés aux Indes.

MfFOµ. - Vous êtes dans une erreur complète, il s'agit d'emplois dont les titulaires sont en Angleterre. Cela résulte d'une enquête.

M. Crombez, rapporteur. - Vous dites que ce sont des employés aux Indes. Mais où prend-on ces employés ? Est-ce dans les Indes ? Non : on les prend en Angleterre ; on les choisit dans les familles anglaises, ce qui donne au gouvernement de l'influence en Angleterre.

Du reste, je ne veux pas discuter ici la question de l'intervention du gouvernement, ni justifier cette intervention. La question a été traitée dans cette Chambre en d'autres temps. Je trouve dans les Annales parlementaires un discours assez curieux qui a été prononcé dans la séance du 28 janvier 1843 par l'honorable M. Dumortier.

M. Dumortier. - Lisez le discours tout entier.

M. Crombez, rapporteur. - Je ne le lirai pas tout entier, je ne veux pas fatiguer la Chambre ; je me bornerai à en citer quelques passages :

« Nous avons, messieurs, dans ces deux années, usé infiniment de popularité en faveur de M. le ministre de l'intérieur. La majorité a voté pour lui, et en sa faveur, des lois qui nous répugnaient, que jamais elle n'eût votées, et que, pour mon compte, je n'aurais jamais votées si ce n'avait été pour le maintenir au pouvoir.

« Nous avons voté la loi relative à la British-Queen ; nous avons voté la loi sur les indemnités, la loi sur les pillages, la loi sur l'entrepôt d'Anvers, et encore beaucoup d'autres dont personne ici ne voulait. Mais nous avons sacrifié nos répugnances pour sauver le ministre. En cela, encore une fois, nous avons usé beaucoup de popularité au service de M. Nothomb.

« Nous avions le droit d'attendre, nous, la majorité, que le lendemain nous trouverions en lui une légitime réciprocité. Le jour des élections approche. Que fait M. le ministre de l'intérieur ?

« Nous avions un ministère pour lequel nous avions fait de grands sacrifices, un ministère que, pendant deux ans, nous avions vivement, chaudement défendu. Ce ministère devait nécessairement nous rendre, au jour des élections, les services que nous lui avions rendus. Je ne parle pas ici, messieurs, de violence, de moyens pervers ; mais puisque enfin, il est admis qu'une influence raisonnable du gouvernement peut avoir lieu dans les élections (je ne prétends pas justifier le principe, je parle du fait), je dis que la majorité, qui avait tout sacrifié pour soutenir M. Nothomb et son ministère, était en droit d'attendre de lui un appui au jour des élections. Ce n'était, messieurs, que de la légitime réciprocité. »

Ainsi, l'honorable M. Dumortier reprochait alors à ses amis politiques qui étaient au pouvoir, de ne pas user de leur influence...

M. de Borchgraveµ. - Légitime. Il y a une énorme différence.

- Un membre. - Les citations font rire et amusent.

M. Thonissenµ. - C'est ancien.

M. Crombez, rapporteur. - Oui, mais c'est toujours bon. M. Dumortier, en cette matière, est comme un auteur ancien qu'on cite à chaque instant et qu'on relit toujours avec le plus vif plaisir.

Du reste, je n'ai nullement l’intention de dire quoi que ce soit de (page 1376) désagréable à l'honorable M. Dumortier, en citant ce passage de son discours de 1843.

M. de Borchgraveµ. - Au contraire, c'est pour lui faire plaisir.

M. Crombez, rapporteur. - Messieurs, je n'ai plus qu'un mot à ajouter pour finir.

On a aussi reproché au projet d'être une loi d'intimidation, une œuvre de parti. Je n'ai pas besoin de défendre le gouvernement ; le cabinet est composé d'hommes parfaitement capables de donner, à cet égard, toutes les explications nécessaires.

Mais quant à la section centrale, je crois qu'aucun reproche de pareil chef ne peut lui être adressé, et ici je fais un appel à tous mes collègues de la droite comme de la gauche ; je crois pouvoir dire que la Chambre tout entière doit rendre cette justice à la section centrale, qu'elle n'a pas fait une œuvre de parti, qu'elle est restée dans les bornes de la plus grande modération et qu'elle a rejeté toutes les propositions qui avaient un caractère d'hostilité contre la droite.

Ainsi, elle n'a pas adopté l'ordre alphabétique ; je me borne à dire que la section centrale l'a repoussée par deux motifs : parce que nous avons cru que cette mesure était inutile par suite de l'adoption du couloir. Et il nous a été d'autant plus agréable de pouvoir le repousser sans amoindrir la valeur du projet de loi, que ce moyen est, à tort, selon nous, qualifié par la droite de moyen révolutionnaire proposé pour assurer la prépondérance de notre parti.

Eh bien, nous avons voulu faire une loi qui dans notre opinion peut recevoir l'assentiment de tous, une loi qui n'est une arme de lutte contre personne, une loi qui n'offrira aucun avantage à un parti plutôt qu'à l'autre. Et pour mon compte, je considère ce résultat comme heureusement obtenu. J'ai l'espoir qu'un grand nombre de membres de la droite voteront cette loi, et je ne puis m'expliquer qu'ils la repoussent dans l'intérêt de leur opinion. J'eusse été au regret de voir mes amis proposer des dispositions qui eussent eu pour but de mettre nos adversaires sur un pied d'inégalité vis-à-vis de nous dans les luttes électorales.

Si l'on avait agi ainsi, nous aurions amoindri la valeur de nos succès futurs, si nous en obtenons. Car on aurait dit que nous les devions non aux sympathies publiques, mais aux avantages que nous aurait donnés la loi.

Messieurs, je déclare que je n'ai apporté dans l'examen de ce projet aucun esprit de parti : Si je me laissais guider, dans un pareil débat, par des préoccupations personnelles, je me condamnerais moi-même. J'ignore si le parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir doit gagner ou doit perdre quelque chose à ce projet. Je ne considère que l'intérêt du pays. Je ne vois que la nécessité d'assurer l'exécution sincère et sérieuse des lois électorales et de conserver intactes nos libertés.

M. Dumortier. - Je commence par applaudir vivement aux nobles paroles par lesquelles l'orateur qui vient de se rasseoir a terminé son discours. C'est là une noble et grande pensée et je suis heureux, moi qui siège sur des bancs opposés aux siens, de lui rendre cet hommage.

Mais aussi l'honorable membre me permettra sans doute de répondre quelques mots à la citation qu'il a bien voulu faire de mon discours. C'est peut-être la vingtième fois qu'elle arrive, c'est du réchauffé et c'est le cas de se rappeler :

Qu'un dîner réchauffé ne valût jamais rien.

M. Orts. - Cela se mange froid.

M. Dumortier. - Non, vous le tenez toujours de côté dans votre réchaud.

La phrase essentielle de mon discours, celle qui donne l'expression de ma pensée, c'est : « je n'approuve pas le principe ». Comment, après que je me sois exprimé ainsi, pouvez-vous venir m'opposer que j'approuve le principe de l'action du gouvernement dans les élections et que je suis en opposition avec moi-même ?

Je n'approuve pas le principe, voilà la pensée.

M. Bara. - Mais vous en acceptez les bénéfices.

MfFOµ. - C'est encore plus mauvais.

M. Dumortier. - J'ai déclaré et je déclare que je n'approuve pas le principe, et par conséquent l'on ne peut me mettre en opposition avec moi-même. Mais, ajoutais-je, puisqu'il est admis par vous qui l'approuvez, puisque vous admettez que le gouvernement doit exercer une certaine influence dans les élections, je suis en droit de reprocher au ministère d'avoir cherché à faire tomber et d'avoir fait tomber mes amis intimes MM. du Bus et Raikem. J'avais la conviction profonde que c'était par les efforts du ministère d'alors que ces deux honorables membres avaient échoué et voilà ce qui justifiait mes paroles.

Loin d'être l'objet de critiques, mes paroles auraient dû avoir l'approbation, comme elles ont eu alors l'approbation de toute la gauche. Car l'honorable M. Verhaegen, qui était de la gauche, disait le lendemain : Le discours de l'honorable M, Dumortier est un événement. Il ne trouvait pas que mes paroles fussent si regrettables.

Je me borne à ce peu de mots. Je le répète, c'est du réchauffé. Cela reviendra probablement encore. Il faut laisser à ces messieurs le plaisir de chercher à me mettre en opposition avec moi-même. Il faut croire que mes critiques ont porté assez juste pour les faire revenir sur d'aussi anciennes affaires.

Toutefois, je dois ajouter que j'avais voté contre les lois citées dans ce discours et que par conséquent ce que je disais de ces votes ne s'appliquait nullement à moi, mais à ceux qui les avaient votées.

MfFOµ. - Messieurs, la discussion que le règlement qualifie de générale, a porté cette fois presque toujours à côté du projet de loi. Nous l'avons fait remarquer à diverses reprises dans le cours des débats.

Nous ne voulons donc pas nous mettre en contradiction avec nous-mêmes en entamant à ce moment une discussion sur ce que nous avons considéré comme des hors-d'œuvre. Nous nous bornons à faire des réserves. Nous discuterons en temps opportun les théories qui ont été produites et les arguments au moyen desquels on a cru pouvoir les soutenir. Quant à présent, nous nous bornons à annoncer la firme intention de discuter le projet de loi et de nous maintenir dans le cercle des questions qu'il a pour but de trancher.

Les observations en petit nombre qui ont été faites sur ce projet même se rapportent uniquement aux articles. C'est donc dans la discussion des articles que nous aurons à nous en expliquer.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

MpVµ. - La discussion est ouverte sur l'article premier.

M. de Theuxµ. - Messieurs, l'article premier du projet du gouvernement a pour objet d'empêcher les inscriptions indues. Dans la discussion générale, j'ai indiqué les moyens dont on prétend qu'il a été abusé, dont, dans tous les cas, il serait facile d'abuser, et pour compléter le projet du gouvernement, je produis ici un moyen qui tend à empêcher cette fraude.

Voici ce que je propose à l'article premier :

(page 1402) « Toute réduction de patente, opérée d'office, devra être, dans les huit jours, notifiée par écrit à l'électeur inscrit sur la liste de l'année précédente.

« Le patentable pourra réclamer contre cette réduction, dans les formes voulues pour les instances en dégrèvement. »

« Art. 2 nouveau : Le gouvernement prescrira les mesures nécessaires pour que les électeurs puissent prendre connaissance des rôles des contributions directes, soit dans les bureaux des receveurs des contributions, soit au secrétariat de la maison communale, soit dans les bureaux du commissaire d'arrondissement.

« Il en sera de même des documents fournis pour être admis sur les listes électorales. »

(page 1376) Ces mesures sont extrêmement simples et ne peuvent rencontrer d'opposition.

A l'article 2, je reproduirai l'amendement proposé par la deuxième section pour la composition des bureaux, amendement qui tenu aussi à réprimer une fraude qui pourrait être commise, et surtout à garantir le secret du vote.

« Le président du tribunal de première instance, ou, à son défaut, celui qui le remplacera dans ses fonctions, préside le bureau principal.

S'il y a plusieurs sections, la seconde et les suivantes sont présidées par l'un des juges ou juges suppléants, suivant le rang d'ancienneté, et, au besoin, par les personnes que le président du bureau principal déléguera parmi les électeurs qui ne, sont pas fonctionnaires amovibles.

« Sont appelés aux fonctions de scrutateurs, dans les diverses sections, les bourgmestres et les membres des conseils communaux des communes formant chaque district électoral.

« Quinze jours au moins avant l'élection, le gouverneur transmettra au président du tribunal de première instance, une liste indiquant le nom, le domicile et l'âge des bourgmestres et des membres des conseils communaux composant le district ; l'inscription sera faite, d'après l'âge, en commençant par les plus jeunes.

« Le président désignera pour chaque bureau quatre scrutateurs. La désignation sera faite de la manière suivante : Le plus jeune de la liste fera partie du premier bureau, et ainsi de suite, d'après l'ordre numérique des bureaux ; il sera procédé de même pour chacun des autres scrutateurs. La désignation des suppléants sera faite ensuite de la même manière et dans le même ordre.

« Le président du tribunal, dix jours au moins avant l'élection, convoquera les présidents des sections. Chaque président invitera sans délai les scrutateurs désignés pour sa section à venir au jour de l'élection remplir ces fonctions ; il invitera également les suppléants à se rendre dans la section, à l'effet de remplacer au besoin les titulaires.

« Le scrutateur, ainsi désigné comme titulaire ou comme suppléant, sera tenu, en cas d'empêchement, d'en informer, dans les quarante-huit heures, le président de la section.

« La composition des bureaux sera rendue publique trois jours au moins avant l'élection.

« Si, à l'heure fixée pour les élections, tous les scrutateurs ne sont pas présents, le président de la section complétera le bureau, d'office, parmi les présents, en se conformant aux dispositions qui précèdent.

« Nul ne peut remplir les fonctions de scrutateur s'il n'est électeur.

« Le secrétaire sera nommé par chaque bureau parmi les électeurs présents. »

La même proposition avait été faite dans la section centrale, nommée en 1863, pour l'examen du projet de loi qui avait été présenté par le gouvernement et qui est tombé par suite de la dissolution.

Elle avait, après mûr examen, et une longue discussion, été adoptée par la section centrale. L'honorable M. Allard, rapporteur de la deuxième section, a bien voulu présenter cet amendement à la section centrale qui ne l'a pas adopté.

Je le regrette, parce que cette proposition était de nature à donner satisfaction à tous les intéressés et était surtout de nature à diminuer de beaucoup le contrôle très difficile et je dirai très désagréable, qui s’exerce souvent derrière le bureau qui dépouille le scrutin.

Par cette déposition, qui admet un contrôle sérieux dans la composition même du bureau, on obvie à beaucoup d'incertitudes, à beaucoup de critiques, quelquefois à des calomnies, et je crois que la Chambre ferait bien de l'adopter.

Il n'y a, dans cette mesure, absolument rien de politique.

A l'article 3, je propose cette disposition :

« Les élections se font par scrutin de liste et à la pluralité des voix. »

J'ai, dans la discussion générale, donné les motifs de cette disposition, au point de vue des élections pour les Chambres. Mais je puis dire qu'il y a aussi des raisons très pressantes pour adopter cette mesure quant aux élections communales, surtout dans les grandes communes.

Il y a ordinairement un grand nombre de conseillers à élire et quand il y a lieu à un scrutin de ballottage, ce ballottage doit se faire dans la nuit et il est plein d'inconvénients. Il est bien évident qu'on n'est pas sûr d'avoir la volonté du collège électoral ; on en est beaucoup moins sûr qu’avec le cote par scrutin de liste et à la pluralité des voix.

Dans beaucoup d'élections, il y a des rixes et des voies de fait, et (page 1377) quand cela se produit-il ordinairement ? Au ballotage lorsque les esprits sont échauffés par la lutte, aigris par des discussions violentes et quelquefois aussi lorsque le vin a fait un peu fermenter les têtes.

Je crois donc, messieurs, que la moralité de certaines élections gagnerait beaucoup à la suppression du ballottage pour toutes les élections sans distinction. Cela simplifierait beaucoup la question des dépenses électorales.

M. Hymans. - Messieurs, j'ai un amendement à proposer à l'article 2 ; je le développerai dans la discussion de cet article, mais je désire qu'il soit imprimé et distribué. Mon amendement est subordonné à la non-adoption de l'amendement de M. Orts. Il est ainsi conçu :

(page 1402) « Les votes seront donnés par écrit, ou autographiés à l'encre noire, ou imprimés conformément à un type officiel, sur des bulletins de forme carrée, etc. »

M. Delcourµ. - J'ai présenté, de commun accord avec quelques-uns de mes collègues, un amendement à l'article premier. Je prierai la Chambre de vouloir s'en occuper à l'occasion de cet article.

M. Giroulµ. - Puisqu'on semble d'accord pour déposer tous les amendements aujourd'hui, j'ai l'honneur, en l'absence de M. de Macar, de déposer l'amendement que j'ai signé avec lui et M. Elias, relativement au vote par ordre alphabétique. Cet amendement se rattache à l'article 2. Il est conçu comme suit :

(page 1402) « Chaque année, après la clôture des listes électorales, le commissaire d'arrondissement répartit les électeurs généraux et provinciaux dans les différents bureaux d'après l'ordre alphabétique de leurs noms, sans tenir compte du lieu de leur domicile.

« L'appel des électeurs sera fait suivant cet ordre.

« L'article 18 de la loi électorale du 1er avril 1843 est abrogé. »

(page 1377) MpVµ. - Voici des amendements qui sont parvenus au bureau ; ils sont signés par M. Jacobs :

(page 1402) « Ajouter à l'article premier :

« Sera puni de la même peine quiconque, pour faire inscrire ou pour maintenir un citoyen sur les listes d'électeurs ou d'éligibles, aura payé ses contributions en tout ou en partie. La poursuite sera prescrite trois mois après le payement. »

« Art. 9. Intercaler entre les paragraphes 3 et 4, cette disposition :

« Sera puni d'une amende de 26 à 200 fr. et de l'interdiction des droits de vote et d'éligibilité pendant deux ans au moins et cinq ans au plus, celui qui aura fait la promesse d'accorder ou de faire obtenir, en cas d'élection ou d'échec d'un candidat, un avantage quelconque à la circonscription électorale ou à une partie de la circonscription qui doit procéder à l'élection. »

« Art. 10. Ajouter au paragraphe premier les mots : « ou le concours d'une personne pour influencer un ou plusieurs électeurs ».

« Art. 12. (Disposition additionnelle) :

« Sera puni des mêmes peines celui qui aura menacé de causer ou de faire causer un préjudice, en cas d'élection ou d'échec d'un candidat, à la circonscription électorale ou à une partie de la circonscription qui doit procéder à l'élection. »

« Art. 16. (Disposition additionnelle) :

« Le bourgmestre ou celui qui le remplace, qui ne prendrait pas les mesures nécessaires pour protéger les électeurs, les agents de la police et de la force publique qui n'exécuteraient pas ces mesures, seront punis, le premier d'un emprisonnement de quinzej ours à un mois et d'une amende de 26 à 500 francs, les seconds d'un emprisonnement de huit à quinze jours et d'une amende de 26 à 200 fr. »

« Art. 23. (Disposition additionnelle) :

« Seront punis des mêmes peines les membres des bureaux électoraux qui donneraient connaissance à d'autres personnes des indications, de nature à faire reconnaître les votants, dont ils se seraient aperçus dans l'exercice de leurs fonctions et qu'ils n'auraient pas signalées au bureau. »

« Art. 35bis :

« Le ballottage est supprimé. Les nominations ont lieu à la pluralité des votes ; en cas de parité, le plus âgé des candidats est préféré. »

(page 1377) M. Jacobsµ. - Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer à l'article premier est en rapport avec le projet de loi qui nous a été envoyé par le Sénat relativement au payement effectif du cens électoral. On a fait valoir que, moyennant le payement de l'impôt sur le débit des boissons distillées ou d'autres encore, il se fabriquait des électeurs d'une manière plus ou moins frauduleuse ; je crois que cela n'arrive guère que lorsque l'association électorale ou un particulier prend l'engagement de payer le cens en tout ou en partie à la décharge de l'électeur. C'est ainsi qu'on citait tantôt l'augmentation de la patente faite dans le but électoral de parfaire le cens ; l'électeur s'en plaindrait si l'on ne prenait l'engagement à son égard de payer pour lui l'excédant.

Pour empêcher cette fraude, pour empêcher qu'on ne fabrique des électeurs au rabais, en les désintéressant par la promesse de payer le surplus d'impôt à leur décharge, c'est pour atteindre ce but que le projet de MM. Malou et d'Anethan a été présenté, c'est aussi le but de mon. amendement.

Le droit électoral suppose deux choses : la possession des bases de l'impôt et le payement effectif ; il ne peut pas reposer sur un impôt simulé payé par un tiers, autre que l'électeur.

M. Hymans. - Messieurs, j'ai encore deux amendements à présente : l'un à l'article 10, l'autre à l'article 36bis. Je demande la permission d'attendre pour celui qui se rapporte à l'article 10 et qui est relatif aux dîners électoraux, attendu qu'il a besoin d'être assez longuement expliqué et que d'un autre côté sa présentation dépendra aussi des explications à donner par le gouvernement.

Voici mon amendement à l'article 36bis.

(page 1402) « Art. 36bis : Les condamnations prononcées depuis la dernière élection seront affichées dans tous les bureaux de la commune, du canton et de l'arrondissement. »

(page 1376) M. Sabatier. - On fait appel à tous les membres de la Chambre qui ont des amendements à présenter.

Je proposerai de substituer dans l'article 10, aux mots : « dans le but d'influencer les élections, » ceux-ci : « dans un intérêt électoral. »

MpVµ. - Je dois faire remarquer que je n'ai pas fait appel à de nouveaux amendements.

M. Dumortier. - Il est désirable que les amendements soient déposés maintenant.

Le bureau pourra les faire imprimer et distribuer, et nous pourrons de cette manière les étudier et les discuter en même temps que les articles auxquels ils se rattachent.

J'ai également à présenter un amendement sur la formation du bureau. Cet amendement se rapporte à l'article 2 ; il est ainsi conçu ;

« Les scrutateurs seront nommés par le président sur des listes triples d'électeurs proposés par les candidats et en faisant en sorte que tous les partis soient représentés dans le bureau électoral. »

M. Giroulµ. - J'avais annoncé que je déposerais éventuellement un amendement pour faire fixer à l'âge de 21 ans le droit d'être électeur en matière d'élections législatives et provinciales. Puisque la Chambre décide que tous les amendements seront déposés aujourd'hui, tout en (page 1377) réservant le point de savoir si la question préalable ne sera pas opposée à ces propositions, je dépose donc également le mien qui se rattache à l'article premier.

(page 1402) « Pour être inscrit sur les listes électorales, il faut être âgé de 21 ans accomplis et remplir les autres conditions requises par la loi.

« L'article premier de la loi électorale et l'article 5 de la loi provinciale sont modifiés, en ce qu'ils ont de contraire au présent amendement. »

(page 1476) M. Eliasµ. - Un amendement a été produit dans la sixième section. Je demande à la Chambre la permission de le reproduire. C'est un complément de l'article 5. Il est ainsi conçu :

« Les urnes seront portées au bureau principal, aussitôt après la clôture des scrutins, et sans que les bulletins aient été comptés ; le bureau principal versera le contenu de toutes les urnes dans une seule, où les bulletins seront mêlés ; on comptera ensuite les bulletins ainsi réunis de tous les bureaux ; les bulletins seront de nouveau remis dans l'urne, et l'on procédera au dépouillement général. »

Cette proposition sera développée ultérieurement.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je crois qu'il n'est pas dans les intentions de la Chambre de passer au vote aujourd'hui.

MfFOµ. - On pourrait examiner l'amendement de l'honorable M. Delcour comme amendement connu.

M. de Theuxµ. - Je voudrais adresser une question à l'honorable ministre des finances. Je lui demanderai si dans son opinion les listes que les receveurs des contributions fournissent aux administrations communales peuvent être faites avec toute l'exactitude désirable avant le 1er avril.

Je pense que cette question avait été examinée par l'honorable ministre et qu'il trouvait que dans la pratique une rédaction bien exacte et bien parfaite présenterait des difficultés.

Je désirerais qu'il voulût bien communiquer quelques explications à la Chambre pour que nous ayons le temps d'étudier la question d'ici à mardi.

MfFOµ. - Messieurs, le terme assigné pour la remise des doubles des rôles, qui doivent être transmis par les receveurs de contributions aux administrations locales, concorde précisément avec les travaux les plus considérables dont ces agents aient à s'occuper pour la mise en recouvrement de ces rôles, au commencement de l'année. Ce terme est très court. C'est en janvier que la plupart des rôles doivent être arrêtés. Ceux qui concernent la contribution foncière, ne sont remis aux receveurs qu'à la fin de ce mois, et même en février ; or, c'est pour le 1er avril que les doubles des rôles doivent être transmis aux administrations communales.

Ces rôles sont distincts pour chacune des contributions directes. Par conséquent il y en a cinq. Il y a le rôle de la contribution foncière, de la contribution personnelle, du droit de patente, du débit de boissons et du débit de tabac.

Il arrive qu'un citoyen peut être électeur en payant une fraction du cens sur chacune de ces contributions. Il faut donc que les administrations communales recherchent dans chacun des rôles la quotité de contribution payée par chaque citoyen, pour connaître s'il acquitte ou non le cens exigé par la loi pour être électeur.

Tout cela doit être fait du 1er au 15 avril, et par conséquent il y a là, eu égard surtout au temps très court dont on dispose, des difficultés matérielles que l'on ne peut méconnaître.

Je déclare, quant à moi, que je doute de la bonne révision des listes électorales, et cela abstraction faite de toute espèce d'intention de fraude, Cette opinion est basée sur quelques faits qui m'ont été signalés. Ainsi, l'on m'a indiqué telle commune où les listes électorales ayant été affichées, le receveur des contributions a eu l'idée de vérifier si elles concordaient avec les rôles des contributions dont il avait transmis les doubles aux administrations locales, et il a constaté qu'un certain nombre d'électeurs continuaient de se trouver sur ces listes, bien qu'ils n'eussent plus le droit d'y être maintenus, alors que d'autres, qui avaient le droit d'y figurer, mais qui ne réclamaient pas l'exécution de ce droit, n'y étaient pas portés.

Cela s'est fait, j'en suis convaincu, sans aucune intention de fraude, et uniquement parce qu'il s'agit là d'un travail très long, très compliqué, pour la bonne exécution duquel le temps accordé est insuffisant.

Je me suis demandé s'il n'y aurait pas un moyen d'arriver à une meilleure confection des listes électorales. Certains receveurs tiennent ce qu'ils nomment un sommier. Ce sommier résume, pour chaque contribuable, les diverses contributions auxquelles il est imposé, de telle sorte qu'il représente le travail à faire par les administrations locales, qui doivent compulser chacun des rôles séparés.

(page 1378) Je me suis donc demandé si l'on ne pourrait prescrire dans tout bureau de contribution la tenue d'un sommier de l'espèce et rendre ce sommier légal.

M. Thibaut. - Il ne sera pas exact non plus.

M. de Theuxµ. - Il peut dans tous les cas être contrôlé.

MfFOµ. - Il pourrait, comme le dit l'honorable comte de Theux, être contrôlé.

Ce sommier permettrait de vérifier facilement ceux qui ont le droit d'être maintenus ou inscrits sur les listes électorales, et ceux qu'il faut en rayer.

L'honorable M. Thibaut dit que ce sommier ne pourra pas être établi avec une exactitude suffisante. Evidemment, on ne pourra obtenir une exactitude rigoureuse, parce que les receveurs devront faire le travail qui incombe aujourd'hui aux administrations locales, et que là des erreurs sont possibles de leur part.

Mais si un délai plus long leur était donné, si le travail pouvait être fait à une époque de l’année où ils ne sont pas surchargés de besogne, si, au lieu de prendre le rôle de l'année courante, ils prenaient par exemple celui de l'année antérieure, en d'autres termes : le rôle au 31 décembre au lieu du rôle au 1er janvier suivant, on aurait l'espoir d'obtenir un travail fait avec soin, et les administrations communales auraient également le temps nécessaire pour le contrôler.

Ce sont là des questions qui doivent être mûries. Jusqu'à présent je n'ai rien d'arrêté à cet égard ; j'examinerai ce qui concerne les sommiers, et il se peut que, pour la formation des listes prochaines, je les présente administrativement aux receveurs des contributions, sauf à envoyer aux autorités locales ces sommiers et les doubles des rôles pour qu'elles puissent les examiner, et, s'il y a lieu, rectifier les erreurs qui s'y seraient glissées. Cette question sera résolue suivant l'utilité que l'on reconnaîtra à la mesure, en tenant compte des difficultés qui pourraient se produire dans l'exécution.

M. de Theuxµ. - Il me semble que ce serait là un travail préparatoire, fort utile aux administration* communales. Cela leur faciliterait beaucoup le travail.

Je n'y vois pas d'inconvénient, mais il faut qu'il soit entendu que l'administration communale serait toujours tenue, sous sa responsabilité, de contrôler l'exactitude de ces sommiers.

MfFOµ. - Evidemment.

M. de Theuxµ. - Et de comparer ces sommiers avec les listes de contributions de l'année courante.

C'est dans cet ordres d'idées que la mesure proposée pourrait présenter des avantages.

M. Thibaut. - Je pense que le sommier dont a parlé M. le ministre des finances pourrait offrir certaine utilité aux administrations communales. Il faut cependant se garder de lui attribuer une trop grande autorité. Ce sommier contiendra nécessairement des inexactitudes ; la raison en est simple. Il y a souvent des cotes à diviser, des cotes portées erronément à tel nom, tandis qu'elles doivent figurer sous tel autre. Les administrations communales peuvent seules connaître exactement ces circonstances. De façon que ces sommiers ne peuvent jamais servir d'indication aux administrations communales ; c'est un travail préparatoire.

MfFOµ. - Ce ne peut jamais être autre chose ; on ne peut faire confectionner les listes électorales par les receveurs.

Observations faites par M. Tack dans la séance du 8 juillet (voir page 1378, 2e colonne).

(page 1388) M. Tack. - Messieurs, je voulais présenter l'observation par laquelle M. Thibaut a fini. D'après moi, il serait très utile que les sommiers des receveurs des contributions soient mis à la disposition des administrations communales qui désirent les consulter ; mais ces documents ne doivent servir que de renseignement et ne peuvent former un titre absolu à l'inscription sur les listes électorales pour le contribuable ; c'est l'administration communale qui seule est chargée de la révision annuelle ; cette tâche ne peut être confiée aux agents du fisc. Mais ce serait, selon moi, une bonne chose que les autorités communales aussi bien que les électeurs aient le droit de prendre communication des sommiers, ce qui jusqu'à présent leur a été refusé.

(page 1378) - Voix nombreuses. - A mardi !

MpVµ. - Etes-vous prêt, M. Delcour, à développer votre amendement ?

M. Delcourµ. - Je l'ai développé dans la discussion générale, M. le président ; j'ai répondu à quelques critiques dont il a été l'objet ; j'attendrai, pour reprendre la parole, que de nouvelles observations soient présentées. (A mardi ! A mardi !)

- La séance est levée à 3 3/4 heures.