(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 1297) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Brasseur demande la libre entrée du carbonate de soude et subsidiairement l'application de l'article 40 de la loi sur les entrepôts à l'exportation du bleu d'outremer artificiel. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la réforme douanière.
« Des habitants de Campenhout demandent que le droit d'électeur soit étendu à tous les citoyens belges âgés de 25 ans, sachant lire et écrire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les fraudes électorales.
« Par messages, en date du 28 juin 1865, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux quatre projets de loi suivants :
« 1° Allouant au ministère de l'intérieur des crédits spéciaux s'élevant ensemble à 300,000 fr. ;
« 2° Prorogeant le mode de nomination des jurys d'examen universitaires ;
« 3° Prorogeant le terme fixé pour la réduction du personnel du tribunal de première instance de Tournai ;
« 4° Approuvant le traité de commerce conclu le 22 mai 1865 entre la Belgique et la Prusse. »
- Pris pour notification.
« M. Anciaux, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé dé quelques jours. »
- Accordé.
MpVµ. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition qui a été déposée hier. La voici :
« Les soussignés ont l'honneur de proposer à la Chambre d'adopter les dispositions suivantes :
« Art. 1er. L'amende énoncée aux articles 419 et 420 du code d'instruction criminelle et celle mentionnée au paragraphe final de l'article 101 de la loi du 8 mai 1848 sur la garde civique sont réduites à vingt francs, le taux de ces amendes est fixé à dix francs, si la décision contre laquelle le pourvoi est dirigé a été rendue par défaut.
« Art. 2. Par dérogation à l'article 421 du Code d'instruction criminelle, les condamnés à l'emprisonnement ne devront se constituer que dans le cas où cette peine aura été prononcée pour un terme excédant six mois.
« Bruxelles, le 27 juin 1865.
« (Signé) Emile Dupont, X. Lelièvre. »
Les auteurs de la proposition demandent à la développer mardi prochain. Elle sera mise en tête de l'ordre du jour de mardi.
M. J. Jouret. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget du département de la justice pour l'exercice 1866.
M. Eliasµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné des demandes de crédits spéciaux au département des travaux publics.
- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Hymans. - Messieurs, dans la séance d'avant-hier, l'honorable M. Couvreur, en combattant la loi de 1835, s'est prévalu des manifestations de l'opinion publique et il a prononcé les paroles suivantes :« On a contesté que l'opinion publique fût hostile à la loi, et je m'appuie sur les manifestations qui ont eu lieu dans la presse et dans les meetings pour prouver que l'opinion publique en est émue. »
L'honorable ministre des finances, interrompant l'honorable M. Couvreur, lui dit : « Cela peut être l'opinion publique comme cela peut ne pas être l'opinion publique >, et j'ajoutai, complétant l'interruption de M. le ministre des finances : « Voulez-vous engager une élection là-dessus, vous et moi ? Je suis prêt ! »
Cette interruption, messieurs, était l'affirmation nette, catégorique d'un sentiment bien naturel et que la Chambre comprendra.
Ayant à me prononcer sur une question à propos de laquelle les députés de l'arrondissement que je représente sont complètement divisés, j'ai cru de mon droit et de mon devoir d'invoquer l'opinion publique comme elle avait été invoquée par mes honorables collègues.
Tout le monde, messieurs, a entendu cette interruption, et en ne la voyant pas figurer ce matin aux Annales parlementaires, on aura pu considérer mes paroles comme une espèce de fanfaronnade que j'ai retirée après réflexion.
Je ne veux pas qu'il en soit ainsi. J'ai prononcé ces paroles, je les maintiens et je suis prêt à joindre l'acte à la sommation.
Cependant mon interruption ne figure pas dans les Annales parlementaires de ce matin. J'étais certain cependant qu'elle devait s'y trouver, car à la fin de la séance d'avant-hier un de MM. les sténographes m'avait soumis sa copie en me demandant s'il avait exactement reproduit mes paroles, elles étaient dans la sténographie et elles ne se trouvent pas au Moniteur. Je me hâte de déclarer que j'ai trop d'estime pour l'honorable M. Couvreur pour avoir pu supposer un instant qu'il fût capable d'expulser arbitrairement, pour me servir du langage de la discussion qui nous occupe depuis quelques jours, d'expulser arbitrairement du Moniteur les paroles d'un de ses collègues ; je l'en crois d'autant moins capable en ce qui me concerne personnellement, que j'ai eu avec l'honorable membre de longues et bonnes relations d'amitié que rien n'est venu interrompre. L'honorable membre, j'en suis certain, n'a pu songer un instant à me causer préjudice. Ne pouvant attribuer à M. Couvreur la suppression de l'interruption dont je parle, j'ai supposé qu'il y avait eu une erreur de la part de la sténographie ; j'ai donc fait demander au directeur du Moniteur la copie du discours de M. Couvreur et j'ai pu constater que mon interruption y figure. Ce fait s'explique d'une façon très simple.
La fin du discours de M. Couvreur n'a pas été imprimée sur la copie des sténographes ; l'honorable membre a communiqué à la sténographie un manuscrit de sa main, qui a remplacé probablement la fin de Ssn discours, et par malheur l'interruption à laquelle je tenais ne se trouve pas dans la partie de discours que l'honorable membre a refaite. Je ne lui conteste pas le droit de refaire une partie de son discours, j'ai moi-même usé de ce droit comme tous nos collègues en usent, mais jamais je n'ai songé à modifier les paroles de mes collègues ; je suis convaincu que l'honorable M. Couvreur, non plus, n'a pas eu cette idée, et si je fais ma motion, c'est uniquement afin que mon interruption soit rétablie dans les Annales ; elle le sera par le fait de mes observations ; je n'ai pas à insister autrement.
M. Couvreurµ. - Je n'ai pas besoin, je pense, après les paroles que vient de prononcer M. Hymans, après qu'il a constaté les bonnes relations qui ont toujours excité entre nous, et son estime pour mon caractère, je n'ai pas besoin, je pense, de me défendre du soupçon même d'avoir voulu écarter de mon discours une interruption quelconque (Non ! non !) On m'a fait l'honneur de m'interrompre beaucoup ; j'ai eu à répondre à un grand nombre d'interpellations ; le Moniteur en a rapporté quelques-unes, que je n'ai pas entendues.
L'interruption dont vient de parler l'honorable M. Hymans est du nombre.
En ce qui concerne le fait en lui-même, voici l'explication que je crois pouvoir donner.
(page 1298) J'ai reçu du Moniteur la sténographie de mon discours jusqu'à une page déterminée. Elle se terminait par une interruption qui m'avait été adressée par l'honorable M. Lebeau et qui avait été omise. Je l'ai rétablie parce que la partie de mon discours où je répondais à l'observation de M. Lebeau, n'aurait pas eu de sens si son interruption n'avait pas été maintenue. Là s'arrêtait la copie qui m'a été envoyée du Moniteur, j'ai été obligé de rétablir la fin de mon discours sans avoir en main la copie des sténographes, et l'on pourra constater que les derniers paragraphes contiennent d'autres paroles que celles dont je me suis servi.
Il est probable que l'interruption de M. Hymans se trouvait dans les feuillets que je n'ai pas reçus. Je ne puis attribuer à une autre cause la non-reproduction de cette interruption dans les Annales. En relisant ce matin dans les Annales le discours que j'avais prononcé, j'ai trouvé des interruptions qui ne figuraient pas dans la copie revue par moi. Cette circonstance a la même cause. Voilà l'explication du fait dont il vient d'être question.
Je respecte trop la Chambre, je me respecte trop moi-même pour songer à expulser arbitrairement une interruption quelconque qui aurait pu m'être adressée.
MpVµ. - Les explications qui viennent d'être données serviront de rectification.
M. Bara. - A la fin de mon discours d'hier, je demandais au gouvernement s'il ne serait pas d'avis d'insérer dans la loi une disposition portant que les arrêtés royaux pris pour expulser les étrangers lorsqu'ils troubleraient la tranquillité publique seraient délibérés en conseil des ministres.
Je crois que le gouvernement ne s'opposera pas à l'adoption de cet amendement.
Dans cet amendement il n'y a évidemment aucun blâme adressé aux actes posés par l'honorable chef du département de la justice. En effet, l'on sait parfaitement que l'honorable ministre a usé de la loi d'une manière très modérée, et même il n'a pas usé de la loi pendant les trois dernières années. Ce ne peut donc être en aucune façon une manifestation contre les actes posés pendant son passage aux affaires.
L'amendement que nous avons l'honneur de proposer serait porté à l'article premier. Il serait ainsi conçu :
« L'arrêté royal enjoignant à un étranger de sortir du royaume parce qu'il compromet la tranquillité publique, sera délibéré en conseil des ministres. »
C'est une disposition analogue à peu près à celle de la loi anglaise faite en 1848. Elle prouve combien la Chambre est attentive au respect de l'hospitalité ; elle est une satisfaction donnée à l'opinion publique, quoiqu'elle n'ait en définitive aucun acte particulier à reprocher au gouvernement relativement à l'usage qu'il a fait de la loi.
Il est à croire que la loi sera ainsi plus forte, elle pourra être moins soupçonnée ; car il est évident, que quand les ministres réunis en conseil auront décidé que la tranquillité publique exige l'expulsion d'un étranger, on ne pourra adresser à cet acte aucun reproche, on ne pourra l'accuser d'être le résultat de trop de précipitation ou de complaisance, Ce sera un acte sur lequel l'attention du gouvernement entier aura été appelée et au sujet duquel l'opinion publique pourra être tranquillisée.
MpVµ. - La discussion est ouverte sur l'article premier.
M. Nothomb. - Messieurs, je n'assistais pas à la séance du 27 de ce mois, dont le compte rendu ne nous a été distribué que ce matin.
J'y ai trouvé, dans le discours de l'honorable M. Van Humbeeck, l'appréciation d'un acte de mon administration. J'y lis en effet ceci : « En 1856, sous le ministère de l'honorable M. Nothomb, un individu est expulsé du pays et conduit par la gendarmerie à la frontière hollandaise qu'il a franchie ; en Hollande, on refuse de le recevoir ; on lui dit qu'il est Belge ; il revient en Belgique ; il est livré aux autorités judiciaires, traduit devant les tribunaux ; là il établit qu'il est Belge ; il est acquitté. Que fait le pouvoir exécutif ? II reprend l'expulsé après son acquittement et le fait reconduire à la frontière au moyen de la gendarmerie. »
Bien que dans les termes dont l'honorable M. Van Humbeeck s'est servi, je n'aie rien trouvé que de courtois, j'éprouve cependant le besoin, la Chambre le comprendra, vis-à-vis d'un fait qui, s'il était tel que l'honorable membre l'a présenté, aurait une véritable gravité, de donner quelques courtes explications.
L'individu dont il s'agit figurait, en 1856, sur les registres de l'administration de la police comme étranger. Il y était indiqué comme tel depuis plus de 12 ans.
Cet individu, né en Hollande, avait été condamné en 1845 en Belgique à dix ou douze jours d'emprisonnement. Son bulletin comme étranger, conformément aux instructions administratives, était parvenu au département de la justice. Il n'avait jamais contesté sa qualité d'étranger. Partout, dans tous les actes, il était constant pour l'administration, pour l'autorité communale du lieu où résidait l'individu et pour lui-même qu'il n'était pas Belge.
Pendant douze ans, cet état de choses a duré. En 1856, cet homme fut de nouveau condamné pour vol de bois, si je ne me trompe. Vers le milieu de l'année 1856, je provoquai contre lui un arrêté d'expulsion. Nulle réclamation de personne, ni de l'individu lui-même, ni des autorités.
L'autorité d'expulsion suit son cours.
La qualité d'étranger n'est pas mise en doute, ni surtout celle de régnicole élevée.
Il rentre dans le pays au mois d'octobre de la même année ; il est poursuivi du chef d'infraction à la loi pour rupture de ban et traduit devant le tribunal de Gand.
Ce tribunal reconnaît que cet individu jouit de la qualité de Belge. Mais ainsi que je l'ai établi en 1856, quand cette question a été discutée ici, le département de la justice n'a été informé de cette décision judiciaire qu'après que l'arrêté d'expulsion eût été notifié à l'intéressé.
Les dates sont certaines, je les ai vérifiées ce matin en consultant rapidement les Annales parlementaires de 1856, l'arrêté d'expulsion a été signifié à l'individu vers la fin de novembre ; j'affirme, comme je le prouvais à cette époque, alors que j'avais les documents sous les yeux, j'affirme que le département de la justice n'a été informé du jugement du tribunal que le 2 décembre, c'est-à-dire 3 ou 5 jours après la mesure d'expulsion.
Il n'y aurait donc eu de ma part, dans le fait d'avoir expulsé un régnicole, tout au plus qu'une erreur qui s'explique parfaitement et que je n'ai pu éviter ; ma bonne foi a été entière ; je ne pense pas que l'honorable M. Van Humbeeck, pas plus que la Chambre, veuille attacher à cet incident une signification qui puisse m'être désagréable.
J'ajoute que la nationalité de cet homme est restée fort douteuse et très contestable ; il me souvient même en ce moment qu'un jour un magistrat haut placé de Gand, me parlant de cette affaire, me dit qu'on avait depuis lors constaté que cet individu était bien et dûment étranger.
Voilà ce que j'avais à dire quant à ce fait ; et puisque je suis en voie de rectification, que la Chambre me permette encore d'en présenter une seconde.
J'ai appris tout à l'heure d'un ami, qu'un grand journal de la capitale qui défend habituellement la politique du cabinet, énonçait, dans un récent article, que le colonel Charras avait été expulsé sous mon administration.
Ce journal est mal informé. C'est une erreur complète. Le contraire serait plutôt vrai. M. le colonel Charras a été expulsé sous le ministère qui a précédé celui dont j'ai fait partie. Je n'examine pas, je ne discute pas, je ne blâme pas l'acte. Je le constate. Mais tout ce que je puis dire, c'est que, sous mon administration, j'ai autorisé M. le colonel Charras à rentrer deux fois en Belgique, et à y séjourner. Cet homme honorable se trouvait encore en Belgique, lorsque j'ai quitté le ministère.
Permettez-moi encore ce détail, c'est un souvenir personnel agréable, tel qu'on en emporte rarement du ministère de la justice. En quittant le ministère, j'ai reçu la visite de plusieurs réfugiés des plus honorables ayant à leur tête un homme éminent que nous avons tous estimé, et que le regret de la patrie retrouvée trop tard, a conduit peut-être prématurément au tombeau ; un autre de ces hommes habite encore Bruxelles et y est bien connu.
Ils sont venus me remercier, en leur nom et au nom des réfugiés, des égards que je leur avais témoignés pendant mon administration.
Après cette courte digression personnelle, pour laquelle je vous demande pardon, mais à laquelle je devais attacher quelque prix, je vais sommairement, à propos de l'article premier, dire mon sentiment sur le projet de loi lui-même et rentrer pour un instant dans la discussion générale.
Messieurs, j'ai passé au pouvoir. J'en ai ressenti et parfois subi les nécessités. Elles sont souvent pénibles ; elles le sont surtout dans l'exécution d'une loi concernant les étrangers. L'application de cette loi est une des attributions les plus délicates, les plus désagréables que le ministre de la justice puisse rencontrer sur son chemin.
Il n'expulse certainement pas à plaisir ; il est bien plus commode d'ailleurs, de ne pas expulser.
(page 1299) Aussi, n'est-il pas de ministre qui ne reconnaisse que c'est une des parties les plus ardues de sa tâche.
Du reste, de tous les ministères le plus désagréable, je le dis en passant, est le ministère de la justice, auquel viennent aboutir, en définitive, toutes les misères humaines.
J'ai donc eu à appliquer cette loi ; je me suis trouvé devant cette nécessité cruelle souvent ; et c'est assez vous dire que je ne viens pas y faire une opposition absolue, radicale.
C'est bien loin de ma pensée.
Je suis, d'ailleurs, le premier à rendre à M. le ministre de la justice, un hommage sincère, tant pour le remarquable talent que pour le patriotisme viril dont il a fait preuve dans cette discussion.
L'honorable ministre part de cette idée que rien ne peut être changé à la loi, qu'elle doit être votée dans son texte le plus rigoureux. Tout en partageant son opinion sur la nécessité absolue d'une loi restrictive vis-à-vis des étrangers, je ne puis cependant le suivre jusqu'au bout, et je n'admets pas que le projet en discussion puisse recevoir quelque amélioration.
De notre temps, depuis trente ans, depuis dix ans surtout, il est évident que de grands changements se sont opérés dans l'esprit public, dans la marche générale des idées. On envisage les choses d'une manière plus intelligente, plus juste, plus libérale, et, reconnaissons-le, l'humanité est en progrès aussi bien dans le domaine moral que dans le matériel,
Je ne partage pas, sous ce rapport, l'avis de l'honorable M. Hymans qui nous faisait, me semble-t-il, hier un tableau trop sombre de notre époque. Pour moi, il me semble manifeste que des modifications heureuses s'accomplissent dans le développement des idées générales, développement plus conforme, dans son ensemble, aux lois de justice et de vérité sociale.
Il y a surtout une chose qui me frappe ; c'est ce respect de plus en plus grand qui se manifeste pour la liberté individuelle et en même temps pour la dignité humaine. Partout, l'on s'attache à mieux garantir cette liberté individuelle. Tous les gouvernements, tous les parlements s'ingénient à mieux assurer, à fortifier cette liberté et partout aussi il me semble que la dignité humaine trouve une protection plus efficace.
L'esprit de rivalité entre les nations, je ne veux pas dire précisément entre les gouvernements, l'esprit de rivalité s'efface, s'affaiblit tout au moins, et fait place à un esprit plus sympathique, à un esprit de fraternité, non pas qu'il n'y ait des exceptions, mais l'ensemble me paraît tel.
Nous en avons la preuve sous les yeux ; c'est à la fois aussi le fait le plus considérable peut-être de notre époque ; je veux parler des relations entre la France et l'Angleterre, cette concorde remplaçant des haines séculaires, s'établissant entre les deux grandes nations sur l'accord desquelles reposent incontestablement le progrès et la liberté du genre humain.
Partout aussi les barrières fléchissent si elles ne disparaissent pas encore complètement. Les traités de commerce entre les nations, qui les relient, qui les unifient au point de vue matériel. ; l'abolition des droits d'aubaine et enfin les passeports à peu près supprimés partout ; voilà des faits immenses qui méritent d'être médités et dont me paraît découler, comme conséquence obligée, la nécessité d'améliorer aussi la position des étrangers. Il faut bientôt cesser de professer à leur égard cet esprit de défiance et de suspicion qui a existé jusqu'ici.
On nous dit, de très bonne foi : Si vous modifiez la législation actuelle, vous exposez la Belgique à de grands dangers. Mais, messieurs, avec cet argument on n'aurait jamais rien changé, rien amélioré. Si on était venu nous dire, il y a dix ans : Supprimez complètement les passeports, il est indubitable que l'on aurait tenu à l'endroit des passeports le même langage que l'on tient aujourd'hui quant aux étrangers.
M. Coomans. - On l'a tenu. On a voulu m'expulser aussi de la Belgique parce que je n'avais pas de passeport.
M. Nothomb. - Je dis donc, messieurs, que, dans ma pensée, dans ma conviction, il est bon, il est juste de tenir compte de ces transformations que je signale à larges traits.
N'oublions pas que la position de l'étranger s'améliore partout, il est de moins en moins suspecté. Dans les pays où naguère il ne pouvait pas posséder, il peut acquérir ; ailleurs, où il ne pouvait pas professer son culte, il peut le professer.
Ne restons pas en arrière et faisons quelque chose, nous aussi, en faveur des étrangers.
A mon sens, messieurs, voici comment je comprends la loi à faire, et pour être court, pour être mieux compris, j'ai formulé quelques dispositions dont je me permettrai de vous donner l'explication en quelques mots.
Je prends l'article premier tel que l'honorable M. Van Humbeeck l'a proposé. C'est à peu près la reproduction du texte de la loi qu'il s'agit de renouveler.
« Art. 1er. L'étranger, résidant en Belgique, peut être contraint par le gouvernement de s'éloigner d'un certain lieu, d'habiter dans un lieu déterminé et même de sortir du royaume dans les cas suivants :
« 1° S'il a été condamné à l'étranger ou s'il y est poursuivi, soit pour les crimes et délits qui donnent lieu à l'extradition, conformément à la loi du 1er octobre 1833, soit pour filouteries, abus de confiance, attentat aux mœurs. »
C'est mon numéro un. Il s'applique à l'étranger qui est condamné à l'étranger et qui réside en Belgique.
Dans ce cas, j'admets l'expulsion pure et simple, pourvu que le fait dont il s'agit rentre dans les termes de la loi de 1833 sur l'extradition et j'y comprends en outre les filouteries, l'abus de confiance et l'attentat aux mœurs.
Ici je m'éloigne un peu de la rédaction de l'honorable M. Van Humbeeck, qui comprenait les larcins, la mendicité et la banqueroute simple. Je trouve cela un peu rigoureux et j'efface ces trois incriminations, me bornant à ajouter aux faits prévus par la loi de 1833 les faits de filouterie, d'abus de confiance et d'attentat aux mœurs.
C'est la première catégorie, celle des étrangers condamnés à l'étranger.
Il y en a une seconde, c'est celle des étrangers condamnés en Belgique, et voici ma rédaction :
« 2° S'il est condamné en Belgique à raison de crimes et délits quelconques. »
Ici il faut être plus rigoureux, et dès qu'il y a infraction à une loi pénale criminelle ou correctionnelle du pays, j'admets que le gouvernement soit investi du droit d'expulser purement et simplement l'individu condamné.
Reste une troisième catégorie.
C'est ici que naît le désaccord. C'est la classe des étrangers trouvés en Belgique, et qui par leur conduite compromettent la tranquillité publique sans poser un fait matériel qui tombe sous l'application de la loi pénale.
Je propose la rédaction suivante :
« 3° La disposition qui précède n'est applicable à l'étranger résidant en Belgique, qui compromet la tranquillité publique, qu'après qu'il aura été pris l'avis de la Chambre du conseil du tribunal de l'arrondissement dans le ressort duquel il aura été trouvé. »
Je demande aussi pour ce cas que le gouvernement ne puisse expulser l'étranger qui se trouve dans cette catégorie spéciale qu'après avoir pris l'avis de la chambre du conseil, je dis l'avis et ne dis pas l'avis conforme. Le gouvernement reste libre dans son action de se ranger ou non à l'avis de la chambre du conseil.
Je sais parfaitement que le moyen que je propose n'est pas nouveau. Il s'est fait jour plusieurs fois tant ici qu'au dehors et cela prouve déjà quelque peu en sa faveur.
Je sais aussi l'objection que l'on y fait ; elle est sérieuse. M. le ministre l'a développée habilement, je le reconnais. Il a dit :Vous introduisez la magistrature dans la politique, vous appelez l'immixtion d'un pouvoir qui n'est pas responsable, vous provoquez l'anarchie.
C'est, selon moi, aller trop loin ; c'est exagérer les inconvénients que du reste je ne nie pas. Il est impossible de faire une loi de ce genre sans tomber dans quelques inconvénients. Moins ici qu'en toute autre matière on ne peut faire une loi parfaite. Là elle sera toujours trop rude ou trop molle, elle oscillera d'un défaut à l'autre, tantôt elle froissera le droit de l'individu, tantôt elle affaiblira celui du gouvernement.
Ne nous imaginons donc pas de faire une loi irréprochable. Contentons-nous de lui ôter le plus d'inconvénients que nous pouvons.
Quant à moi, je n'entrevois pas comme si graves les inconvénients de l'intervention de la chambre du conseil sous forme d'avis dans des questions de ce genre. Il y a déjà un précédent dans la loi sur les extraditions. Là aussi le pouvoir judiciaire intervient sous forme d'avis qui laisse le gouvernement parfaitement libre. On me répondra, je le prévois, que ce n'est plus la même chose ; ici, il peut s'agir de faits exclusivement politiques, tandis que, dans les cas d'extraditions, il s'agit de faits frappés par la loi pénale.
Et encore l'on devra bien m'accorder que dans les cas qui donnent lieu à extradition, il s'est rencontré, comme il se rencontrera, des circonstances politiques que l'autorité judiciaire, a dû apprécier sans qu'il en (page 1300) soit résulté jusqu'à ce jour le moindre péril pour le pays ; l'extradition est un acte qui est essentiellement du ressort du pouvoir exécutif ; cependant le pouvoir judiciaire y coopère, et, je le répète, nul embarras n'en est encore résulté pour le gouvernement.
Cette intervention judiciaire, que je conseille ici, trouve d'ailleurs une double garantie : celle de l'indépendance et du patriotisme de la magistrature. On ne peut suspecter ni l'une ni l'autre, et la magistrature belge saura s'inspirer de ce double esprit quand il s'agira pour elle de se prononcer dans les cas graves, sérieux, qui intéressent le repos et la dignité du pays.
Si l'on craint que l'intervention de la chambre du conseil, qui est un corps constitué, ne présente des inconvénients, je me demande si l'on ne pourrait, sous aucune autre forme, retrouver la garantie que nous recherchons. Ne pourrait-on pas, c'est une idée que je soumets à la Chambre et à M. le ministre de la justice, constituer une commission consultative ?
On en fait pour d'autres objets moins importants. J'en vois une toute prête, au besoin, que j'indique à M. le ministre de la justice ; ce sont les trois procureurs généraux des cours d'appel. J'ai assez de confiance dans ces magistrats, dans leur caractère, leur impartialité et quoique fonctionnaires amovibles, dans leur indépendance, pour croire que dans leur avis ils sauraient concilier les intérêts de la justice comme ceux de l'individu avec les véritables intérêts du pays.
Où serait donc l'embarras ou l'entrave pour le gouvernement ? Véritablement je ne le vois pas.
Si j'avais encore à exécuter la loi sur les expulsions, je crois que je serais plus à l'aise d'avoir devers moi l'avis soit d'une chambre du conseil soit d'une autre commission consultative. N'est-ce pas une force pour le gouvernement ? Sa position n'en est-elle pas rendue plus facile ?
C'est pour lui le moyen d'être éclairé ou d'être retenu, et, quand il lui faudra passer outre à ces mesures extrêmes, ce sera pour lui une situation meilleure que de pouvoir déclarer devant la Chambre et le pays qu'il a agi avec le concours d'un comité composé d'hommes haut placés, désintéressés, impartiaux et dévoués à leur patrie.
Enfin, je proposerais un dernier article portant que « chaque année le gouvernement rendra compte aux Chambres législatives de l'exécution de la présente loi. » C'est encore une garantie pour les étrangers et en même temps l'occasion naturelle d'appeler la discussion et le contrôle de l'opinion publique sur l'exécution d'une loi qui touche à d'aussi respectables intérêts.
Telle est, messieurs, l'opinion, rapidement tracée, que je me forme de la loi à faire.
Je reconnais cependant qu'il faut, pour arriver à ces modifications, le concours du gouvernement. On ne peut pas lui imposer, à lui responsable, une loi de ce genre : je prie donc M. le ministre de se joindre à nous, à la Chambre, pour améliorer cette législation, on y introduisant, sous une forme quelconque, une garantie pour l'étranger proscrit, pour l'étranger malheureux qui n'a pas commis en Belgique de fait délictueux, et dont la seule présence fait toute sa faute ; la Chambre comprend, tout le monde comprend de quelle espèce de réfugiés je veux parler.
Le désir de la Chambre est manifeste à cet égard, il s'est fait jour par la grande minorité dans le vote d'hier, et je n'hésite pas à dire que ce serait entrer dans les vœux du pays. (Interruption.) Qu'on essaye du moins. ce serait une chose digne de la Belgique que de faire un pas nouveau dans cette voie.
L'honorable ministre nous effrayait et nous disait, c'était un de ses grands arguments : Prenez garde, en touchant à cette loi, vous désarmez le gouvernement ; vous perdrez vos institutions dont des éléments délétères ne tarderont pas à miner la force.
Je ne puis à ce point partager les appréhensions de M. le ministre ; j'ai, quant à moi, meilleure confiance dans nos institutions. Elles sauront résister aux éléments dont parle M. le ministre. Mais ce qui est plus fondé que la crainte de l'honorable ministre, c'est que les institutions d'un peuple libre se perdent, se corrompent quand elles dévient de leur principe, quand elles s'altèrent dans leur essence.
Evitons qu'il en soit ainsi. Mettons toutes nos lois en harmonie avec ces principes, faisons-le dans l'occurrence présente.
Je reste convaincu, après avoir pratiqué la législation contre les étrangers, qu'elle peut être améliorée, adoucie, sans affaiblir sensiblement l'action du pouvoir.
Je reste surtout convaincu qu'un progrès dans la voie de la justice, dans la voie de l'humanité, ne peut plus, à l'époque où nous sommes, constituer un danger pour un pays libre, ni sérieusement compromettre la Belgique.
M. Bouvierµ. - Est-ce que vous formulez une proposition ?
M. Van Humbeeck. - L'honorable M. Nothomb m'avait bien compris lorsqu'il a interprété mes paroles dans un sens qui n'avait rien de désagréable pour lui ; je n'ai nullement entendu formuler un blâme contre la conduite qu'il a suivie dans les circonstances que j'ai rappelées.
J'ai fait la critique de la loi et j'ai donné un exemple des abus que cette loi pouvait engendrer ; j'ai trouvé déplorable que la loi donnât au gouvernement, pour l'exécution de son arrêté, d'autres moyens que ceux qui pouvaient résulter de condamnations judiciaires.
Mais ce n'est pas seulement de la loi que j'aurais dû faire la critique ; j'aurais dû faire également celle des usages suivis au ministère de la justice avant l'administration de l'honorable membre et peut-être depuis.
Lorsque l'administration de la sûreté publique invite les parquets à poursuivre l'étranger qui rentre en Belgique après expulsion, elle enjoint en même temps à la gendarmerie de conduire à la frontière l'individu en question, lorsqu'il aura vidé son débat avec l'autorité judiciaire, c'est-à-dire soit après son acquittement, soit après sa condamnation et l'expiration de sa peine.
On suppose que l'acquittement ne peut être prononcé que parce que l'étranger est rentré par force majeure ; mais d'autres cas peuvent se présenter, des Belges peuvent être expulsés par erreur, et alors les instructions que je viens d'analyser, d'après un discours de M. Nothomb du 5 décembre 1856, sont évidemment vicieuses.
Pour de tels abus l'administration ne peut pas en décliner la responsabilité.
Je me suis engagé à déposer une nouvelle rédaction du n° 2 de mon amendement à l'article premier, la voici :
« 2° S'il a été condamné en Belgique à une peine criminelle ou à un emprisonnement correctionnel de plus d'un mois, sans préjudice aux articles 272 du Code pénal et 3 de la loi du 3 août 1848. »
Je dépose cette modification en exécution d'une promesse que j'ai faite. Je ne crois pas nécessaire de rentrer à ce propos dans la discussion de tous les motifs qui me paraissent plaider en faveur de la justification des modifications que je propose à l'article premier. Je me réfère aux discours que j'ai prononcés dans la discussion générale.
MjTµ. - A l'article premier se rattachent deux amendements proposés par M. Guillery. L'un de ces amendements porte : « Tout étranger qui possède des moyens d'existence où qui peut s'en procurer par le travail, peut rester en Belgique à moins qu'il ne soit compris dans l'une des exceptions prévues par la présente loi. » L'autre est conçu comme suit : « Il jouit en Belgique de toutes les libertés consacrées par la Constitution tant qu'il ne compromet pas la tranquillité publique. »
En développant ces amendements, M. Guillery vous a dit que le premier n'était qu'un extrait de la loi hollandaise et que par conséquent il ne pouvait pas y avoir d'inconvénients à l'admettre en Belgique.
Si je comprends bien cet amendement, il signifie que tout individu qui a des moyens d'existence ou qui peut s'en procurer par son travail a le droit d'entrer en Belgique et d'y rester sans que le gouvernement puisse s'y opposer. Tel est bien, je pense, le sens de l'amendement de M. Guillery.
M. Guillery. - Si l'étranger ne trouble pas la tranquillité publique.
MjTµ. - Ainsi tout individu qui a des moyens d'existence ou qui peut s'en procurer par son travail peut entrer en Belgique et y résider sans que le gouvernement puisse l'en empêcher.
Eh bien, si c'est un extrait de la loi hollandaise qu'on prétend vous présenter, je dois dire qu'il est tout à fait incomplet et que telle n'est pas le moins du monde l'économie de cette loi. D'après la loi hollandaise, l'individu qui possède des moyens d'existence ou qui peut s'en procurer par le travail peut résider dans les Pays-Bas, mais à des conditions que la loi détermine : la loi ne contient pas une règle absolue comme celle que l'honorable M. Guillery vous propose. Que dit la loi hollandaise ?
Elle dit bien à l'article premier : « Tous les étrangers qui ont des moyens suffisants d'existence ou qui peuvent les acquérir par leur travail, sont admis dans les Pays-Bas », mais elle ajoute : « Sur le pied stipulé dans les quatre articles suivants. »
Or, voici le premier de ces articles suivants : « L'admission a lieu (il ne peut pas entrer et résider), l'admission a lieu sur la présentation d'un passeport étranger régulier. »
(page 1301) Les passeports étrangers sont réguliers, lorsqu'ils sont :
« a. Délivrés par le gouvernement ou de la part du gouvernement du pays auquel appartient l'étranger ;
« b. Visés pour le voyage vers ce pays par un agent diplomatique ou consulaire néerlandais auprès de ce gouvernement ;
« c. Non périmé. »
Voilà les étrangers qui peuvent entrer dans les Pays-Bas sans difficulté. Ce sont les étrangers qui ont un passeport régulier, délivré par leur gouvernement, visé pour le voyage par un agent diplomatique et non périmé.
Ceux-là ont un droit absolu de venir en Hollande et cela se comprend, lorsqu'un individu se présente muni d'un passeport de son gouvernement, visé pour le voyage, ce passeport atteste l'assentiment de ce gouvernement et jamais on n'a refusé à un individu l'entrée dans un pays dans ces conditions. Mais lorsque ces conditions ne sont pas remplies, le droit absolu d'entrer et de résider n'existe plus. Alors le gouvernement a la faculté de permettre ou de refuser l'entrée, et vous voyez, dans les articles suivants, comment cette faculté peut être exercée :
« Art. 3. La possession d'autres papiers de voyage peut également légitimer l'admission, s'il résulte de ces pièces qui en est le porteur, d'où il vient et pourquoi il vient dans ce pays.
« Art. 4. On pourra même admettre des étrangers sur la simple présentation de leurs personnes en déclarant qui elles sont, d'où elles viennent et dans quel but elles viennent.
« Dans ce cas, on peut exiger un certificat de notoriété, signé par une ou plusieurs personnes connues de la police.
« Art. 5. L'admission se fait par le chef de police de la commune aux frontières où à l'endroit de l'arrivée primitive, par la délivrance d'un permis de voyage ou de séjour, et contre la remise, s'il y a lieu, du passeport étranger ou des autres papiers exhibés. »
Telle est l'économie de la loi néerlandaise ; l'étranger qui est muni de papiers parfaitement réguliers, qui a l'assentiment de son gouvernement, qui est reconnu, protégé par ce gouvernement, a le droit d'entrer en Hollande et d'y résider s'il a des moyens d'existence ou s'il peut s'en procurer par son travail. Mais du moment où les papiers réguliers font défaut, le gouvernement rentre dans la plénitude de sa liberté et il peut accueillir ou ne pas accueillir, selon qu'il le juge convenable.
Voilà quel est le régime hollandais, et ce n'est pas du tout l'amendement de l'honorable M. Guillery qui pose une règle générale et absolue, applicable sans aucune exception à tous les étrangers, quels qu'ils soient et à quelque catégorie qu'ils appartiennent, qui voudraient établir leur résidence en Belgique.
Cette interprétation que je donne à la loi que l'on invoque, est l'interprétation donnée par le gouvernement hollandais lui-même dans la circulaire qu'il a adressée à ses agents immédiatement après l'adoption de la loi.
Voici comment le gouvernement néerlandais lui-même expliquait la loi aux fonctionnaires qui étaient chargés de l'exécuter :
« Lorsque l'étranger est porteur d'un passeport étranger régulier, il n'y a pas d'autre examen. La possession d'un tel passeport, dont les conditions sont mentionnées à l'article 2 de la loi, d'où il résulte naturellement qu'il est étranger et d'où il vient, l'exempte de l'obligation de rendre compte du but de son arrivée, même quand cela ne serait pas dit dans son passeport ; et lorsque pour le surplus il satisfait à la prescription de l'article premier de la loi, l'admission ne peut pas lui être refusée.
« Il n'est pas nécessaire de rappeler qu'il ne s'agit ici que du porteur légitime.
«A défaut d'un passeport étranger régulier, l'étranger peut se légitimer aussi par la possession d'autres papiers de voyage, c'est-à-dire de telles pièces et documents, d'où il résulte qu'il est, d'où il vient, et dans quel but il vient dans le pays (article 3 de la loi).
« Il ne sera peut-être pas superflu de faire remarquer que les passeports étrangers qui ne remplissent pas toutes les conditions de l'article 2 de la loi, peuvent, selon les circonstances, valoir aussi comme papiers de voyage.
« Le législateur a dû nécessairement laisser à la perspicacité et à la conscience des chefs de police l'appréciation de la valeur des pièces et des documents auxquels il a donné la dénomination générale de papiers de voyage.
« Ces fonctionnaires n'oublieront jamais que, dans l'application de cette loi, on doit partir du principe que les Pays-Bas sont ouverts à tous les étrangers à l’égard desquels il n'existe pas de raisons de croire que leur admission pourrait nous nuire sous le rapport social ou politique.
« D'un autre côté, l'on ne perdra pas de vue qu'il doit être procédé avec circonspection à la délivrance des permis de voyage ou de séjour, attendu que la possession d'une telle pièce, aussi longtemps qu'elle est valable, donne à l'étranger le droit d'invoquer son admission et de ne plus pouvoir être renvoyé que dans les formes et pouf les motifs déterminés par la loi. »
Vous comprenez, messieurs, l'économie de la loi hollandaise qui est peut-être plus rigoureuse que la loi de 1835.
Lorsque les étrangers sont nantis de papiers parfaitement réguliers, lorsqu'ils sont reconnus par leur gouvernement, lorsqu'ils sont protégés par leur gouvernement qui a visé leur passeport, les étrangers peuvent entrer et résider, sans difficulté. Mais lorsqu'ils ne se trouvent pas dans ces conditions, c'est avec la plus grande circonspection qu'il faut les admettre dans le pays ; il ne faut pas les admettre dans le cas où ils pourraient devenir un danger au point de vue politique ou social et il ne faut pas leur donner un permis de séjour, parce que ultérieurement ils ne pourraient être expulsés que pour les actes qui sont prévus dans la loi.
Tel est le régime hollandais. Est-ce là ce que nous propose l'honorable M. Guillery ? Non. Il nous propose purement et simplement l'admission, sans exception aucune, de tous les étrangers qui vous diront : J'ai des moyens d'existence eu je puis m'en procurer parle travail.
Je vous demande, messieurs, si ce système est admissible. Si nous proclamions le principe proposé par l'honorable M. Guillery, il est évident que la Belgique pourrait devenir, du jour au lendemain, le réceptacle de tous les réfugiés qui justifieraient qu'ils ont des moyens d'existence ou qu'ils peuvent s'en procurer.
Quelle sera la limite ? Il n'y en aura aucune. Tout le monde pourra pénétrer en Belgique. Je demande si c'est là une situation possible pour notre pays, je demande si ce ne serait pas nous créer les plus graves difficultés.
Vous n'ignorez pas que, depuis 1848, il s'est formé des gouvernements révolutionnaires qui se posent, en quelque sorte, comme adversaires des gouvernements réguliers. Ainsi pour la France, il y a un gouvernement révolutionnaire qui réside à Londres ; il y a des gouvernements révolutionnaires pour l'Italie, pour la Hongrie, pour la Pologne. Admettrez-vous que tous ces gouvernements révolutionnaires puissent venir s'établir en Belgique ?
Peut-on admettre que tous ceux qui se trouvent réfugiés dans les diverses parties du monde viennent s'installer à Bruxelles, en prouvant seulement qu'ils ont des moyens d'existence ? Je le répète, la Belgique ne tiendrait pas avec un pareil système. Votre loi n'aurait pas de durée, parce que la Belgique, placée au milieu de l'Europe, accessible de tous côtés, avec sa population restreinte, ne peut absolument pas recevoir dans son sein un nombre illimité de réfugiés étrangers qui, en définitive, sont, pour les gouvernements réguliers, de nature à compromettre la sécurité publique. L'on nous dit : « S'ils ne troublent pas la tranquillité publique ! » Mais, messieurs, en général on ne conspire pas sur les toits. Il .y a des gouvernements révolutionnaires que les polices les plus habiles ont poursuivis sans pouvoir les découvrir. On sentait parfaitement qu'ils existaient, mais on ne pouvait mettre la main sur les hommes qui les constituaient.
Si vous admettiez à Bruxelles les réfugiés en nombre illimité, vous devriez commencer par doubler la garnison de la capitale, car il n'est personne qui voulût répondre de la sécurité publique, si vous ne mettiez pas à sa disposition les moyens d'action nécessaires.
Vous devriez après cela avoir une police en rapport avec les dangers que vous ferait courir cette accumulation de réfugiés sur votre territoire ; vous auriez à décupler peut-être les fonds que vous mettez à la disposition de la police.
Donc à ce point de vue encore il est impossible d'admettre l'amendement.
Messieurs, quant au second amendement, il aurait pour effet de modifier la Constitution. Le paragraphe 2 de l'amendement porte :
« Il jouit en Belgique de toutes les libertés consacrées par la Constitution, tant qu'il ne compromet pas la tranquillité publique. »
Messieurs, la Constitution a réglé les droits des Belges, et elle a réglé les droits des étrangers ; elle a assuré aux Belges toutes les libertés qui lui ont paru compatibles avec leurs mœurs, avec leur caractère et avec leur esprit d'ordre ; elle les a mises à la disposition des Belges ; mais elle ne les a pas mises à la disposition des étrangers.
L'article 128 de la Constitution a réglé tout ce qui a rapport aux étrangers ; il leur a donné toutes garanties quant à leurs propriétés et à leurs (page 1302) personnes. Je ne pense pas qu'il y ait lieu d'étendre la Constitution, de la modifier sous ce rapport ; je ne pense pas que l'expérience que nous avons faite jusqu'à présent soit de nature à nous y engager le moins du monde. C'est le contraire qu'on pourrait à bon droit soutenir.
Ce ne serait pas sans danger pour la Belgique que toutes nos libertés seraient mises à la disposition de l'étranger, la liberté d'ouvrir toute espèce de cours, la liberté d'écrire tout ce qu'il leur convient.
Ce serait encore une fois subordonner les intérêts de la Belgique à l'arbitraire de l'étranger. Je le répète, cela ne me paraît pas admissible. C'est sacrifier les intérêts de la Belgique à l'étranger ; je préfère les intérêts de la Belgique à ceux de l'étranger.
L'honorable M. Nothomb a proposé lui-même quelques modifications à la loi de 1835 ; au moins il en a entretenu la Chambre ; il juge qu'il serait utile, raisonnable d'introduire dans la loi de nouvelles garanties.
Une de ces garanties consisterait dans l'obligation, imposée au gouvernement, de ne prononcer d'expulsion qu'après avoir pris l'avis de la chambre du conseil du tribunal dans le ressort duquel réside l'étranger.
Messieurs, j'ai déjà répondu aux propositions qui tendent à conférer au pouvoir judiciaire des attributions qui appartiennent par leur essence au pouvoir exécutif ; il est évident que c'est soumettre la police, la sécurité publique au pouvoir judiciaire.
Ce système porterait atteinte aux droits du pouvoir exécutif, et dénaturerait en même temps les véritables attributions de la magistrature.
Je crois qu'il serait déplorable pour la magistrature de la faire intervenir dans les affaires politiques.
En pratique même cela n'est pas admissible. Comment le gouvernement pourrait-il se mettre en rapport avec toutes les chambres de conseil du pays, les initier à toutes les difficultés de l'administration, leur communiquer même tous les éléments d'appréciation ? Cela est radicalement impossible.
L'honorable M. Nothomb, qui a été au pouvoir, doit comprendre que, sous ce rapport déjà, les difficultés seront très graves.
On a cité la loi sur les extraditions, et on vous a dit que la magistrature intervenait dans les questions d'extradition. Mais les choses sont tout à fait différentes. Quand il s'agit d'extradition, ce sont des faits déterminés sur lesquels la magistrature est appelée à donner son avis ; il est question de faits prévus par notre législation, et c'est précisément pour cela que la magistrature intervient, et en le faisant elle reste dans son rôle ; elle examine et déclare si le fait qu'on reproche à un étranger est bien un fait prévu par nos lois ; elle examine ensuite si toutes les formalités requises par la loi ont été remplies.
Mais faire intervenir la magistrature dans ces questions de sécurité publique, dans les questions de police, c'est dénaturer complètement son rôle, c'est transférer au pouvoir judiciaire ce qui appartient au pouvoir exécutif sous le contrôle des Chambres.
J'ai dit dernièrement, messieurs, que la magistrature était un corps entièrement irresponsable, et en le disant je parlais un langage constitutionnel. Je ne parlais pas de la responsabilité morale, tous nous avons une responsabilité morale.
La magistrature a une responsabilité morale.
Mais ce n'est pas là la responsabilité dont s'occupe la Constitution.
M. Guillery. - C'est ce que j'ai dit.
MjTµ. - Pardon. Je vous ai fait observer que la magistrature était un pouvoir irresponsable. Vous m'avez répondu que la magistrature n'était pas irresponsable, qu'elle avait sa responsabilité morale. Eh bien, je vous dis que ce n'est pas là la responsabilité constitutionnelle.
Il faut bien se pénétrer de l'esprit de la Constitution. La Constitution a, pour tous les pouvoirs administratifs et politiques, établi une responsabilité politique.
Cette responsabilité consiste pour les ministres, en ceci, qu'ils peuvent être renversés par les Chambres.
La responsabilité des Chambres consiste dans le jugement des électeurs qui peuvent les modifier ; c'est pour ce motif que l'on a prescrit des élections à de très courts intervalles.
Voilà la responsabilité qui assure véritablement la marche de nos institutions : c'est le renversement possible du ministère par les Chambres ; c'est le changement possible des Chambres par les électeurs, c'est, en dernière analyse, l'appel au pays qui permet de donner une solution à toute espèce de conflit qui peut naître.
Telle est la responsabilité constitutionnelle, la responsabilité politique dont je vous parlais.
Eh bien, je dis que la magistrature n'a pas cette responsabilité ; elle ne l'a à aucun degré, parce qu'elle est inamovible et que personne ne peut rien sur elle, et il est dès lors extrêmement dangereux d'exposer le pouvoir exécutif à un conflit avec la magistrature. Le pouvoir exécutif aura, en général, tort contre la magistrature, et il aurait même l'appui des Chambres qu'il aurait encore tort vis-à-vis du public. Vous créeriez ainsi le plus dangereux des conflits, un conflit sans issue.
Lorsqu'un conflit surgit entre le pouvoir exécutif et les Chambres, ce conflit se vide naturellement, et par le jeu seul de nos institutions.
Les Chambres renversent le ministère, émettent un vote qui le force à se retirer ; si le ministère ne veut pas se retirer, il dissout les Chambres ; il fait un appel au pays. C'est le pays qui décide, et le conflit est vidé.
Mais un conflit avec la magistrature est insoluble, parce que la magistrature est inamovible, et qu'elle est nommée à vie. Dans un conflit semblable, ce sont les pouvoirs soumis à réélection qui devront succomber.
Voilà pourquoi, si vous voulez respecter l'esprit de vos institutions, assurer la bonne marche du gouvernement, vous ne devez jamais rendre possible un conflit entre le pouvoir judiciaire et un autre pouvoir. Voilà pourquoi il faut maintenir strictement et toujours chacun des pouvoirs dans ses véritables attributions.
Messieurs, l'honorable M. Nothomb vous a parlé de la possibilité de constituer une commission. Trois procureurs généraux, vous a-t-il dit, pourraient parfaitement remplir cet office.
Voilà donc le ministre, le supérieur hiérarchique, en quelque sorte subordonné à l'avis de trois fonctionnaires d'un ordre inférieur et tous les trois amovibles. Je demande si, vis-à-vis du pays, cette commission présenterait la garantie dont parle l'honorable M. Nothomb.
M. Nothomb. - C'est quelque chose.
MjTµ. - Ce n'est pas quelque chose. Je ne puis admettre, sous ce rapport, votre opinion. Ce serait une entrave, et quant à l'opinion publique, on ne manquerait pas de dire : Il va de soi que vos procureurs généraux doivent être d'accord avec vous.
M. Nothomb. - Ils ne seraient pas toujours d'accord avec le gouvernement.
MjTµ. - Je suppose qu'ils ne le soient pas toujours, le public ne le croirait pas. N'accuse-t-on pas aujourd'hui les fonctionnaires des parquets, alors que l'indépendance, la liberté la plus complète leur est laissée, de suivre exclusivement les impulsions du gouvernement même pour des faits dont le gouvernement n'a aucune connaissance ?
Combien de fois n'ai-je pas lu, de mes propres yeux lu, que tel fait venait d'être poursuivi et que c'était par ordre du ministre que la poursuite a eu lieu ! Et il s'agissait d'un fait que j'ignorais complètement.
Cela arrive tous les jours. Je pourrais vous citer des cas qui ont donné lieu à de semblables assertions et qui ne m'ont été connus que lorsque l'affaire était déjà terminée.
Une commission ainsi composée n'offrirait donc aucune garantie.
M. Jacobsµ. - Prenez les trois premiers présidents.
MjTµ. - Je ne prendrai pas davantage les trois premiers présidents. Je vous en ai dit les motifs : c'est que je n'accepte pas un pouvoir inamovible pour remplir un office qui est exclusivement dans les attributions des pouvoirs responsables. Je ne puis admettre que je sois soumis, moi responsable, à l'appréciation de magistrats qui ne le sont pas. Je suis responsable, vis-à-vis des Chambres, de la sécurité intérieure du pays.
Le gouvernement est responsable, vis-à-vis des Chambres, du maintien de nos relations extérieures, et si vous voulez que cette responsabilité soit sérieuse, vous ne pouvez subordonner l'action du gouvernement à l'avis de magistrats qui ne sont responsables à aucun degré.
Je dis plus, c'est qu'un semblable système serait une véritable abdication des Chambres, parce que les Chambres seules (je laisse de côté la royauté) doivent avoir la direction politique et doivent faire et défaire les ministères. Si vous donnez au pouvoir judiciaire des attributions qui, directement ou indirectement, affaibliront le pouvoir, ce ne seront plus les Chambres qui feront les ministères, ce sera la magistrature qui les fera et les défera.
Qu'un gouvernement décide une expulsion, non pas une première fois, mais une seconde, une troisième fois, même avec l'assentiment des Chambres, contrairement à l'opinion de ceux qui sont mis à côté de lui, son (page 1303) pouvoir sera affaibli dans le pays et vous aurez un conflit permanent que la Chambre sera dans l'impossibilité de faire cesser.
Messieurs, on a parlé de garanties. L'honorable M. Bara vous a proposé de faire délibérer les arrêtés d'expulsion en conseil des ministres. Je ne fais pas opposition à cet amendement. Personne n'est plus désintéressé que moi dans cette question, et si la Chambre estime que ce soit une garantie plus grande, je veux bien l'admettre.
M. Coomans. - Nous n'y tenons pas.
MjTµ. - Vous n'y tenez pas ! Ainsi, on ne veut pas que les arrêtés d'expulsion soient délibérés en conseil des ministres et l'on admet qu'une commission de trois procureurs généraux donnerait plus de garanties. Cela est-il sérieux ?
On admet qu'un avis, qui ne doit pas même être conforme, de la chambre du conseil, est de nature à donner des garanties à l'étranger, et une délibération du conseil des ministres qui connaîtront les faits, qui jugeront les motifs d'expulsion, qui apprécieront la situation du pays, on n'y tient pas !
Cela prouve une chose, c'est qu'on ne tient pas à ce que le gouvernement propose ou admet, et qu'on ne tient qu'aux choses que le gouvernement croit ne pas pouvoir admettre. Voilà en quoi se résume ce que nous entendons aujourd'hui.
Messieurs, il ne faut pas vous préoccuper seulement de chercher des garanties pour l'étranger. Vous devez aussi chercher à mettre dans votre loi ce qui est une garantie pour le pays.
M. Dumortier. - Voilà ce qu'il faut avant tout.
MjTµ. - Il faut, avant tout, cette garantie.
Eh bien, je déclare que six ministres délibérant, connaissant parfaitement la situation du pays, donneront une garantie beaucoup plus grande que l'avis d'une chambre de conseil qui ne la connaîtrait souvent pas.
Je ne puis donc admettre davantage les propositions de l'honorable M. Nothomb.
L'honorable M. Nothomb nous dit qu'il voudrait également voir insérer dans la loi un article qui obligeât le gouvernement à rendre compte de l'exécution de la loi.
Je ne crois pas, messieurs, que cela soit admissible, et mon opposition se fonde beaucoup plus sur l'intérêt de l'étranger que sur l'intérêt du pays ou l'intérêt du gouvernement ; si le gouvernement, en pareille matière, pouvait jamais avoir un autre intérêt que l'intérêt du pays, ce que je dénie formellement... (Interruption.)
Je dénie qu'en pareille matière, quels que soient les hommes au pouvoir, le gouvernement puisse avoir un autre intérêt que l'intérêt du pays.
M. Coomans. - Vous n'êtes pas infaillible.
MjTµ. - Non, pas plus que vous ; personne ne l'est.
Non, nous ne sommes certainement pas infaillibles ; mais quand nous faillirions, nous ne ferions qu'une chose, c'est de nous tromper sur le plus ou moins d'intérêt du pays.
Eh bien, soyez tranquilles, les expulsions ne se font pas avec autant de facilité que vous le croyez : je vous souhaite seulement six jours de pouvoir et vous verrez si on en assume la responsabilité de gaieté de cœur.
On ne devient pas ministre sans qu'on ait donné quelques preuves de sens, de jugement, de prudence, et à moins de supposer qu'au ministère arrivent des hommes dépourvus de toute espèce d'intelligence, admettrez-vous qu'on ordonne légèrement des expulsions ?
Quels sont (permettez-moi cette expression) les « revenant-bons » d'une expulsion ? Mais ne savons-nous pas d’avance que dès le lendemain nous pouvons être interpellés ? Ne savons-nous pas que nous pouvons être obligés de venir vous rendre compte tous les jours ? Et vous croyez que l'on expulse de gaieté de cœur pour le plaisir de s'exposer à des attaques ? Je le répète, on n'expulse jamais que dans l'intérêt du pays, et quels que soient les ministres qui arrivent au pouvoir je ne crains pas qu'il y en ait jamais un seul qui expulse pour un autre motif.
Et, messieurs, puisque je suis à parler des expulsions et de l'arbitraire de la loi que l'on suppose si grand, je dirai un mot des faits dont l'honorable M. Couvreur entretenait dernièrement la Chambre. Il est extrêmement facile d'attaquer une administration quand on ne cite les faits que d'une manière tellement vague qu'il est impossible de les vérifier. L'honorable M. Couvreur a parlé d'une femme qui avait été expulsée pour un intérêt tout à fait privé, d'une femme qui avait eu des relations avec un fils, avec un mari, il n'a pas dit qui était cette femme, L'honorable M. Couvreur ne pourrait-il pas citer le nom ?
M. Couvreurµ. - J'ai cité ce fait comme un fait général.
MjTµ. - Eh bien, c'était un fait particulier. Je vous demande et je crois avoir le droit de vous demander si vous ne faisiez pas allusion à une dame Huguet.
M. Couvreurµ. - J'ai cité à titre général l'intervention de l'administration de la sûreté publique, dans un intérêt particulier, et à l'appui de ce fait général, j'ai rappelé un fait particulier qui s'est passé, je ne sais sous quel ministère ; mais il y a eu une intervention diplomatique et c'est la légation de Prusse qui est intervenue.
MjTµ. - Comment voulez-vous que je réponde ? Vous avez cité deux faits ; l'un était un fait particulier (interruption), je dénie le fait. Comment voulez-vous que je vienne me défendre ? (Interruption.)
Eh bien, le fait que vous citez concerne une femme, condamnée en France pour escroquerie.
M. Couvreurµ. - Il s'agit d'une Prussienne et non pas d'une Française.
- Plusieurs membres. - Quel est son nom ?
MjTµ. - Voici entre autres ce que disait M. Couvreur :
« Le fait que je vais rappeler n'est pas isolé.
« Une femme d'une conduite légère débauche un fils de famille, entraîne un mari. Croyez-vous qu'on s'adressera aux tribunaux s'il y a délit ou qu'on laissera faire ? Point ; il faut que la police se fasse la gardienne des mœurs, et qu'elle protège la paix des ménages, au risque de s'exposer aux plus grossières erreurs. »
C'est bien là un fait particulier.
Eh bien, j'ai fait faire des recherches, et je suis parvenu à savoir quelle est la personne à laquelle il se rapporte, c'est la femme Huguet condamnée en France pour escroquerie.
Après cela M. Couvreur cite un autre fait :
« Il y a quelques années une étrangère, une institutrice allemande arrive en Belgique avec d'excellents certificats de moralité et de capacité.
« Elle entre dans une famille et bientôt, je ne sais sous quels soupçons fondés ou non, un dissentiment éclate dans le ménage. L'institutrice est éloignée de commun accord.
« Cela ne suffit pas à la mère de famille inquiète et jalouse.
« Elle obtient, je ne sais par quelle protection... (Interruption.) Oh ! ne riez pas, messieurs, l'expulsion de l'institutrice. Pendant l'intervalle, pourtant, celle-ci avait trouvé une autre position dans une famille honorable de la même ville. Menacée dans tous ses intérêts, menacée dans son honneur, elle vient à Bruxelles et s'adresse au ministre de la puissance à laquelle elle appartenait. Ce diplomate prit chaudement en main la défense de sa compatriote.
« Il écrivit à cette époque, j'ai eu sous les yeux tout le dossier de cette affaire, pour réclamer contre les droits que s'arrogeait l'administration de la sûreté publique.
« Vous croyez peut-être que l'administration reconnut qu'elle avait eu tort d'intervenir dans une affaire qui ne la concernait en rien ; qu'elle avait cédé à des influences trop puissantes.
« Point : elle tint bon, elle prétendit maintenir son arrêté d'expulsion, et nous fûmes sur le point d'avoir un conflit diplomatique pour les beaux yeux d'une institutrice. »
Messieurs, ce fait est antérieur à mon administration ; il doit remonter à peu près à vingt ans. Comment voulez-vous que je vérifie si l'expulsion n'a pas été prononcée pour un autre motif que celui que l'on a indiqué ?
On a signalé une femme qui a débauché un fils et un mari. On a cru et vous avez cru vous-mêmes que c'est pour ce fait que l'expulsion a eu lieu.
- Un membre. - Et quel mal y aurait-il à cela ?
MjTµ. - Cependant ce n'est pas ce fait qui a motivé l'expulsion. Il a été prouvé que cette femme avait été poursuivie une première fois pour escroquerie et acquittée, qu'elle avait été poursuivie une deuxième fois pour escroquerie et condamnée.
M. Bouvierµ. - Elle était fort intéressante !
MjTµ. - On a lu une lettre d'un individu qui avait été expulsé en 1852. Il est très facile de parler en 1865 de ce qui s'est passé en 1852. L'honorable M. Couvreur ne se rappelle sans doute pas ces événements, mais je déclare que si jamais j'ai rendu des services au pays, c'est par la conduite que j'ai tenue en 1852.
(page 1304) A cette époque il nous arrivait des trains complets d'expulsés. On voyait arriver ici tous ceux qui, depuis dix-huit ans, avaient formé l'armée révolutionnaire en France. C'étaient les ouvriers de Lyon et de toutes les grandes villes de France qui nous arrivaient par bandes de 300 et 400 à la fois. Et, sur un chiffre de 3,000 ou 4,000 réfugiés, vous ne critiquez l'administration que pour un ou deux cas d'expulsion. Mais je m'étonne que vous n'en trouviez pas 200.
Jamais peut-être au point de vue de la matière dont nous nous occupons, le pays n'a traversé un moment plus difficile.
Ces hommes venaient-ils vous demander l'hospitalité ? Non, ils venaient avec la prétention de nous civiliser, de s'imposer au pays, et je pourrais vous en citer qui délibéraient sur la position qu'ils prendraient vis-à-vis le gouvernement belge.
Voilà ce qui se passait en 1852. Si l'on avait, à cette époque, toléré toutes les prétentions de ces étrangers, vous auriez eu à déplorer des événements graves qui ont évités grâce à l'administration.
Il est du reste facile, après 13 ans, quand les difficultés sont passées, de critiquer l'expulsion d'un homme qui vous a écrit en 1852 : « Je me réfugiai en Belgique et le lendemain je me trouvais transporté malgré moi sur le bateau à vapeur de Douvres.»
Il y en a eu à l'égard desquels on a pris de pareilles mesures, mais c'étaient ceux qui venaient nous dire, avec une forfanterie sans égale, avec une impudence incroyable, qu'ils entendaient imposer leurs lois au gouvernement belge et qu'ils examineraient quelle position ils avaient à prendre. Ils s'étaient réunis dans des cabarets pour délibérer. Je ne les ai pas laissé délibérer, je les ai fait expulser à l'instant.
Le lendemain ils se trouvaient en effet sur le bateau à vapeur de Douvres, et si c'était à recommencer, je le ferais de nouveau.
M. de Vrièreµ. - Et vous auriez raison.
M. Bouvierµ. - Ils viennent nous traiter de Béotiens ici.
MjTµ. - La loi existe depuis 30 ans. Nous avons pendant cette période passé par toutes les émeutes de la France sous Louis-Philippe.
Nous avons eu les événements de 1848 et ceux de 1852, nous avons, pour un pays situé au milieu de l'Europe, traversé les circonstances les plus difficiles et que trouve-t-on à critiquer ? 3 ou 4 faits. On a cité le colonel Charras, M. Versigny, M. Labrousse. On nous a parlé de quelques femmes de mœurs équivoques, et enfin d'un individu qui, venu à Bruxelles en 1852, s'est trouvé, le lendemain de son arrivée, sur le bateau à vapeur de Douvres.
Je dis, messieurs, que si vous aviez eu la législation qu'on vous propose, vous auriez vu la Belgique dix fois humiliée, dix fois compromise, tandis qu'avec la législation qui a fonctionné pendant trente ans et que nous vous demandons de sanctionner de nouveau, l'intérêt du pays est toujours resté sauf.
D'abord quant aux faits qui concernent MM. Labrousse et Versigny, l'administration de la sûreté publique y est complètement étrangère ; mais reportons-nous à l'époque où ces faits se sont passés.
Nous étions, messieurs, en 1852 et 1853, au moment de la plus grande réaction qui se soit produite en Europe, réaction amenée par les exagérations de toutes les doctrines anarchiques qui s'étaient fait jour dans les pays voisins.
Eh bien, à cette époque, quand un réfugié qui avait joué un certain rôle dans les assemblées venait demander l'autorisation d'ouvrir un cours en Belgique, croyez-vous qu'il eût été bien prudent de le lui permettre ?
Le grand mal que l'on ait refusé, en 1852 et 1853, pareille autorisation !
Nous savons parfaitement bien, messieurs, ce que l'on peut faire dans un cours. Il ne suffit pas de dire : « Je vais donner un cours de droit romain », pour que ce cours soit tout à fait inoffensif.
On peut dans un cours se livrer à toute espèce d'exagération. J'ai vu un cours de littérature dégénérer en diatribes politiques les plus caractérisées.
M. Coomans. - Les Belges peuvent le faire.
MfFOµ. - Oui, les Belges ont ce droit ; mais les Belges ont pour guide leur prudence et leur intérêt.
M. Dolezµ. - Ils ont leur amour pour leur pays.
M. Coomans. - Si une chose est mauvaise, il faut la leur interdire.
MjTµ. - C'est une erreur très grande. Je vous ai dit que chaque pays avait ses éléments d'ordre et de désordre et que vous ne pouvez accumuler sur un point tous les éléments de désordre.
M. Coomans. - On nous prêchait les mêmes doctrines avant 1830.
MjTµ. - Je ne sais pas si l'on prêchait les mêmes doctrines avant 1830, je ne veux pas faire de l'histoire rétrospective, mais je dis que vous ne pouvez admettre que les étrangers jouissent en Belgique des mêmes droits que les régnicoles. Pour cela il faudrait commencer par modifier la Constitution.
Je reviens à la proposition dont vous a entretenu l'honorable M. Nothomb ; le compte que le gouvernement devrait rendre aux Chambres de l'exécution de la loi ; en d'autres termes, le gouvernement devrait faire connaître aux Chambres toutes les expulsions.
Cette prescription serait extrêmement défavorable aux étrangers, parce que leurs noms seraient livrés à la publicité, et que ces gens, dont vous prétendez soigner les intérêts, seraient exposés à ne plus trouver d'asile nulle part.
Je citerai notamment les traditions de la Suisse. Il résulte d'un rapport que j'ai eu sous les yeux et qui nous a été adressé, que tout individu expulsé d'un pays n'est plus reçu en Suisse. Bien loin donc de protéger les intérêts de l'étranger, vous introduiriez dans la loi une disposition qui lui serait défavorable.
M. Guillery. - Et M. Charras ?
MjTµ. - M. Charras n'a jamais été expulsé.
MpVµ. - Il vient de parvenir au bureau les amendements suivants :
« Art. 1er. L'étranger, résidant en Belgique, peut être contraint par le gouvernement de s'éloigner de certain lieu, d'habiter dans un lieu déterminé et même de sortir du royaume dans les cas suivants :
« A. S'il a été condamné à l'étranger ou s'il y est poursuivi soit pour les crimes et délits qui donnent lieu à l'extradition, conformément à la loi du 1er octobre 1833, soit pour filouterie, abus de confiance, ou attentat aux mœurs.
« B. S'il a été condamné, en Belgique, à raison de crimes et délits quelconques.
« C. La disposition qui précède n'est applicable à l'étranger résidant en Belgique qui compromet la tranquillité publique qu'après qu'aura été pris l'avis de la chambre du conseil du tribunal de l'arrondissement dans le ressort duquel l'étranger a été trouvé.
« Signé : Nothomb, Debaets, Schollaert, Van Overloop, de Liedekerke, Thonissen.”
Cet amendement a été développé et n'a pas besoin d'être appuyé, attendu qu'il est signé par six membres. Cet amendement est suivi d'un amendement à l'article 7, ainsi conçu :
« Chaque année le gouvernement rendra compte aux Chambres législatives de l'exécution de la présente loi. »
M. Guillery. - Du moment que le colonel Charras n'a pas été expulsé, je comprends que les listes des expulsés ne soient pas longues.
MjTµ. - Le colonel Charras est parti volontairement.
M. Guillery. - Il est parti volontairement ; nous savons comment, par la correspondance dont feu M. Verhaegea nous a donné communication.
MjTµ. - Il n'y a pas eu d'arrêté d'expulsion.
M. Guillery. - Il n'y a pas eu pas d'arrêté d'expulsion. Non ! On dit aux réfugiés : Si vous ne partez pas, vous serez l'objet d'un arrêté d'expulsion...
MjTµ. - C'est dans leur intérêt.
M. Guillery. - ... et comme il y a peu de personnes qui aient le caractère assez mal fait pour faire prendre contre elles des mesures rigoureuses, elles partent volontairement et alors dans les comptes rendus faits à la Chambre, dans les réponses à la section centrale, les (page 1305) noms de ces personnes ne figurent pas parmi ceux des personnes à qui la loi de 1835 a été appliquée et alors on peut dire : Depuis 30 ans, on ne l'a appliqué qu'à un nombre très restreint de personnes. (Interruption.) O merveille des statistiques !
Ce n'est pas moi qui le dis, on vient de m'interrompre en disant que Charras n'a pas été expulsé.
Lorsque nous critiquons la loi de 1835, ses éloquents défenseurs qui ont tout à leur disposition, le talent, les études préliminaires, les documents administratifs, l'autorité de la position, ne peuvent cependant la défendre qu'en reconnaissant qu'elle est mauvaise. Il est donc désirable de l'améliorer ; cependant quand nous présentons des amendements dans ce but, il suffit qu'on y trouve une faute de rédaction pour que l'on convie la Chambre à les rejeter, et on y convie la Chambre au nom du salut du pays, qui serait compromis s'il pouvait être l'objet d'une invasion telle que celle dont il a été menacé en 1852. ^
Mais, y a-t-il dans une seule des propositions qui vous sont soumises, rien qui empêche le gouvernement d'agir comme il l'a fait en 1852 ? Quant à l'amendement que j'ai présenté et qui a été jugé trop sévèrement puisque M. le ministre de la justice a été jusqu'à dire que je voulais changer la Constitution, quant à mon amendement, il respecte l’article premier de la loi de 1835 et laisse au gouvernement le droit d'expulser toute personne qui par sa conduite compromet la tranquillité.
Dès que le gouvernement a ce droit, il me semble que les garanties qu'on introduiront dans la loi en faveur de l'étranger ne pourraient jamais compromettre le salut du pays.
Je le dis franchement, le principe de la loi de 1835 n'est pas le mien, mais je ne veux pas me retrancher dans un système absolu et déclarer que parce qu'on n'admet pas mon système je ne veux pas coopérer à l'amélioration de celui pour lequel la Chambre se prononce. Cette manière d'agir ne serait pas, suivant moi, favorable aux intérêts du pays. Nous devons tous travailler à améliorer les lois.
M. Bara a démontré, au commencement de la séance, qu'il est possible d'améliorer la loi de 1835, et il a proposé une amélioration qui ne déplaît pas à M. le ministre de la justice. Vous voyez donc bien que ceux qui proposaient le renvoi des amendements à la section centrale et qui croyaient qu'une discussion loyale et franche pouvait amener une solution utile au pays, que ceux, dis-je, qui proposaient ce renvoi n'étaient pas si dénués de raison.
Je loue beaucoup, quant à moi, M. Bara, d'avoir fourni un élément à la discussion, d'avoir apporté sa pierre à l'édifice.
Les amendements que j'ai présentés sont l'expression d'idées que j'ai eu l'honneur de développer devant la Chambre. Qu'ils soient mal rédigés, c'est possible ; si les lois sont souvent imparfaites, à plus forte raison des amendements en quelque sorte improvisés peuvent bien être imparfaits. Lorsque je cite la loi de 1839 de Hollande et que je dis que je m'inspire de l'idée du gouvernement hollandais, s'il y a quelque chose dans la rédaction de mon amendement qui ne rende pas bien ma pensée, qu'on l'améliore.
On me dit qu'il y a dans les articles suivants de la loi hollandaise des garanties qui ne se trouvent pas dans mon amendement. Eh bien, voyons s'il y a moyen de concilier mon amendement avec ces garanties. Si je n'ai pas parlé de l'article 2 de cette loi, c'est que les passeports sont supprimés dans ce pays.
Ce que j'ai voulu, ce que je demande à la Chambre de consacrer par un vote, c'est une garantie pour l'étranger, c'est une déclaration que les étrangers peuvent entrer en Belgique lorsque le gouvernement ne trouve pas qu'ils compromettent la tranquillité publique.
Lorsque je dis, sauf les exceptions prévues par les articles suivants, est-ce qu'il n'est pas évident que je laisse le gouvernement juge de la question ; que je n'affaiblis en rien l'autorité du gouvernement ? N'est-il pas évident que tout ce qui a été dit à cet égard, tout ce qui a entraîné la Chambre sous la parole éloquente de M. le ministre de la justice tombait à faux parce qu'on combattait ce que je n'avais pas dit ?
Mon second amendement se rapporte à un autre principe.
Je n'ai pas l'intention de changer la Constitution, et puisque M. le ministre de la justice paraît avoir des doutes à cet égard, je lui en donne l'assurance. Je tiens à la maintenir intacte, le plus longtemps possible, et je n'ai, ni dans mon présent ni dans mon passé, rien qui puisse faire supposer qu'un seul instant elle n'ait pas été pour moi la meilleure Constitution.
J'étais dans la presse en 1848, alors qu'il y avait beaucoup d'erreurs, beaucoup d'entraînements et beaucoup d'illusions, et j'ai de ma plume, avec toute l'énergie dont j'étais capable, défendu pied à pied la Constitution contre les insensés qui l'attaquaient.
Mais, messieurs, sans modifier en rien la Constitution, on peut vouloir perfectionner une loi, et je désire arriver au perfectionnement de la loi en introduisant, pour les étrangers, des garanties qui ne sont pas dans la loi actuelle. Depuis 1835, les hommes plus parmi les plus considérables dans cette Chambre, parmi les plus expérimentés, les plus honorables, ont appelé l'attention de la Chambre et du gouvernement sur les défauts de la loi, sur les ouvertures qu'elle offrait à l'arbitraire.
Mais, nous dit M. le ministre de la justice, pourquoi voulez-vous que le gouvernement fasse, de gaieté de cœur, des expulsions ? Peut-il avoir un autre intérêt que celui du pays ?
Non, messieurs, je ne soupçonne pas le gouvernement de pouvoir avoir en vue un autre intérêt que celui du pays, mais le gouvernement n'est pas infaillible. Le gouvernement peut se tromper et en croyant défendre l'intérêt du pays, aller au delà de ce que commande cet intérêt. J'ai confiance dans l'honorable ministre de la justice ; je l'ai prouvé par mes votes et par mes paroles. J'ai confiance dans ses appréciations, dans sa droiture, et je lui soumettrais les procès les plus considérables, j'aurais confiance dans son jugement et dans sa haute intelligence. Mais est-ce à dire pour cela que tous les Belges devraient abandonner à l'honorable ministre de la justice le soin de régler tous leurs intérêts ? Faudrait-il abandonner à un gouvernement, quelque dévoué qu'on le crût aux intérêts du pays, le soin de délibérer si des Belges, par exemple, doivent être expulsés du pays ?
Ce n'est donc pas par défiance contre les ministres, ce n'est pas parce qu'on les accuse d'obéir à d'autres intérêts qu'à ceux du pays, que l'on fait des lois, mais c'est parce que, dans un pays libre, la loi est la première, la plus grande, la véritable garantie. C'est donc à la loi qu'il faut demander de sauvegarder les intérêts de tout le monde.
Je l'ai dit samedi, à satiété, je l'ai répété hier, je le dis encore aujourd'hui, si l'on peut, sans affaiblir en rien les garanties de la loi de 1835, donner des droits aux étrangers, pourquoi ne le ferions-nous pas ?
Il est une chose que l'on ne peut contester, c'est que l'opinion publique réclame.
On a contesté ce mouvement de l'opinion publique. On a prétendu qu'il y avait dans le pays quelques personnes qui faisaient du bruit pour tout le monde et qu'elles ne représentaient qu'elles-mêmes. Mais vous avez eu un vote hier. Vous avez eu le vote de 37 membres qui, en se prononçant pour le renvoi à la section centrale, ont témoigné le désir qu'on y examinât de nouveau cette loi, que l'on vît s'il n'était pas possible de l'améliorer. Or une minorité de 37 voix, prise parmi les membres les plus considérables au nombre desquels figure le premier vice-président de la Chambre, est certainement une minorité respectable. Elle atteste que le pays est ému. Car, cette minorité elle-même ne s'émeut pas pour rien, et l'on ne peut l'accuser d'être guidée par quelques étrangers, par quelques commis voyageurs en meetings. Et pour le dire en passant, le libéralisme ne dédaigne pas les assemblées populaires, qu'elles s'appellent meetings ou qu'elles aient un autre nom.
Le congrès libéral, à qui l'on doit le grand mouvement libéral qui a amené au pouvoir la majorité actuelle, n'était autre chose qu'un grand meeting dans lequel étaient représentées toutes les provinces du pays. Cette assemblée était fille de l'Alliance. Et qu'était-ce que l'Alliance ? Un meeting qui avait des commis voyageurs allant dans tout le pays prêcher leurs doctrines et constituer des associations libérales, filles de l'Alliance. C'est ainsi que le mouvement libéral s'est propagé. J'en appelle au souvenir de tous ceux qui, en 1845, s'occupaient activement de politique à Bruxelles.
Ce sont ces hommes actifs et dévoués, ces jeunes gens, qui n'avaient pas l'approbation du gouvernement, que l'on raillait, que l'on dédaignait, qui ont fondé l'Alliance et c'est à l'Alliance qu'on doit le congrès libéral.
Lorsque s'est produit le grand mouvement libéral qui nous a préservés des orages de 1848, parce que l'opinion publique s'est fait jour en Belgique par les voies légales, avant qu'elle fit irruption chez un voisin par une émeute et une révolution ; lorsque le congrès libéral a été convoqué par l'Alliance, il y avait sur le trône, en France, le prince le plus sage et le plus éclairé qui ait jamais commandé le respect de tous des peuples et l'estime de la postérité. Il y avait un gouvernement compose des hommes les plus éminents qui puissent figurer dans un ministère. Après une séance du conseil des ministres, sur la table même du conseil, celui (page 1306) qui l'avait présidé écrirait en Belgique, que d'un avis unanime, le conseil avait décidé que si le congrès libéral belge se réunissait, la dynastie était perdue ; que l'on ne pouvait dans un pays permettre de semblables réunions sans compromettre le salut de l'Etat et de la société. Et le prince à qui s'adressaient ces conseils avait la pratique des pays libres ; il n'essaya pas un instant d'empêcher de pareilles réunions ; il resta paisiblement sur son trône, au moment où presque tous les trônes étaient renversés ou menacés.
N'est-ce pas un enseignement ? L'opinion publique doit avoir son autorité, doit être écoutée. Parce que l'opinion, par l'organe des personnes qui ne sont revêtues d'aucune autorité officielle, parce que les journaux peuvent écrire ce qu'ils veulent, parce que dans un meeting l'on peut dire ce qu'on veut, il n'en faut pas conclure que de pareils avertissements soient à dédaigner.
Si les journaux ont de l'autorité, c'est par leurs abonnés. Quand un journal a beaucoup d'abonnés, c'est qu'un grand nombre de personnes ont des sympathies pour les doctrines qu'il défend. Si les meetings ont de l'autorité, c'est moins par le nom de ceux qui parlent que par le nom de ceux qui écoutent.
Je dis donc qu'il y a, dans ce moment, en Belgique, une très grande émotion, et qu'un gouvernement sage doit en tenir compte.
Le gouvernement nous rendra cette justice que tous nous cherchons à améliorer la loi ; sans venir opposer système à système, sans venir poser des conditions absolues, nous cherchons à améliorer la loi dans tous les détails possibles, tout en tenant compte de l'opinion de la Chambre. Si le gouvernement veut s'y prêter, je suis convaincu que nous pourrons donner satisfaction à l'opinion publique, sans compromettre en rien le salut du pays.
M. Dumortier. - Messieurs, je suis du nombre de ceux qui ont voté la loi de 1835, et je demande la permission de dire quelques mots pour la défendre.
Tout ce qui s'est passé depuis trente ans ne m'a, en aucune manière, fait changer d'opinion ; je regarde cette loi comme étant une des plus grandes sauvegardes et de la tranquillité publique, et de la prospérité publique et de l'existence nationale.
Messieurs, la loi envisage deux cas dans lesquels elle permet l'expulsion de l'étranger.
Le premier, c'est lorsque cet étranger s'est rendu coupable de crimes, de délits ou de mauvais actes qui donnent lieu à l'extradition.
Le second, c'est lorsque, par sa conduite il compromet la tranquillité publique.
Eh bien, sur le premier point, nous sommes tous d'accord. Il est évident pour tous que lorsqu'un étranger s'est rendu, hors de la Belgique, coupable d'un crime ou délit qui donne lieu à l'extradition, cet homme est dangereux pour le pays, et tout le monde désire, sans doute, qu'on en débarrasse le pays.
La seconde question est celle de l'étranger qui, par sa conduite, compromet la tranquillité publique. C'est ce point qu'on voudrait améliorer.
Moi aussi, si je voyais la moindre possibilité d'améliorer ce système, je m'y prêterais de grand cœur ; mais je n'y vois aucune possibilité, à moins de confondre tous les pouvoirs en Belgique, de supprimer la différence des pouvoirs qui est la base de notre établissement politique, ou bien à moins de supprimer la responsabilité ministérielle.
Prévoir tous les cas dans la loi, c'est impossible. Il y a des cas que vous ne prévoirez pas, et les étrangers qui seront dans ces cas jouiront ici de l'impunité ; la Belgique pourra devenir alors le refuge de tout ce qu'il y aura de mauvais à l'étranger, et qui viendra conspirer ici soit contre l'étranger, soit contre la Belgique, ou infiltrer chez nous les détestables doctrines de socialisme dont le pays n'a que faire.
Je disais en 1835 cette phrase qui exprimait alors et qui exprime encore aujourd'hui ma pensée : J'ai toujours cru et je crois encore que la Belgique ne peut être mieux gouvernée que par les Belges eux-mêmes et que tous ces prêcheurs de doctrines étrangères ne sont pas du tout ce qu'il faut au bien-être de la Belgique.
Les étrangers peuvent venir paisiblement s'établir en Belgique, à l’ombre de l'arbre de la liberté, mais ils ne peuvent pas venir y porter le trouble, en cassant les branches de l'arbre de la liberté. J'ai toujours considéré un pays comme une famille. Or, quel est le père de famille qui ouvrirait ses portes à tout étranger qui viendrait lui demander l'hospitalité, sans savoir qui il est, et ce qu'il veut y faire.
Le pays est précisément dans le même cas ; le pays a le même droit que chacun de vous aurait de ne pas recevoir chez lui l'homme qui viendrait semer le trouble dans sa maison.
Il y a, dans cette affaire, une foule de choses que la loi ne peut apprécier.
J'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte depuis 35 ans ; dans ma carrière législative, j'ai pris quelquefois la défense de réfugiés politiques que je croyais sincèrement expulsés ou tracassés injustement par l'administration.
Eh bien, chaque fois que je suis venu dans cette Chambre prendre la défense de personnes qui avaient été expulsées, le ministre de la justice a produit un dossier qui prouvait que j'étais dans une complète erreur.
Je me le suis tenu pour dit, j'ai fait mon acte de contrition et je ne suis plus revenu à la charge.
Voilà pourquoi aussi je vote pour la loi présentée par le gouvernement.
Messieurs, la loi existe depuis 30 ans. Or, à combien de réclamations a-t elle donné lieu ? A une seule, tout au plus, à celle qui concerne M. le colonel Charras.
Il y a eu, il est vrai, quelques réclamations à propos de telles mauvaises femmes qui venaient jeter la perturbation dans les familles et que l'administration avait avec beaucoup de raison fait sortir du pays ; mais ces réclamations n'ont jamais rencontré les sympathies ni du pays, ni des pères de famille, ni même des députés siégeant dans cette Chambre.
Vous ne voudrez donc pas désarmer le pays, parce que pendant trente ans il y a eu une seule réclamation sérieuse.
Messieurs, vous avez la plus forte des garanties ; c'est la responsabilité ministérielle. Est-ce que le ministre ne doit pas vous rendre compte de tous ses actes ? Toute expulsion peut donner lieu à une interpellation dans cette enceinte. Le ministre doit justifier devant la Chambre toute mesure qui lui serait dénoncée.
Cette garantie est plus grande que celle des tribunaux, et elle suffit ; vous ne sauriez en trouver une autre qui lui fût comparable.
J'avoue que je regarde comme une chose incroyable l'intervention de la magistrature dans de pareils actes. Mais c'est renverser de fond en comble la division des pouvoirs qui est la base de nos institutions politiques !
Rappelons un fait pour montrer quel inconvénient il y aurait à faire intervenir le pouvoir judiciaire dans des actes de ce genre. Je veux parler de l'affaire Jacquin, dans laquelle je suis intervenu. Je m'étais rendu chez M. Vilain XIIII, alors ministre des affaires étrangères, et je lui demandai de ne pas expulser Jacquin.
Mon honorable ami voulut bien me dire : « Mon cher Dumortier, avant que nous causions de cette affaire, permettez-moi de vous confier le dossier qui s'y rapporte. » Je pris le dossier, et après l'avoir parcouru, je me retirai immédiatement sans insister sur ma demande.
Que serait-il arrivé si la loi que vous voulez substituer à la loi présentée par le gouvernement avait été en vigueur à cette époque ? Jacquin n'aurait été expulsé qu'après qu'un attentat contre un souverain aurait été accompli. Rappelez-vous l'affaire d'Orsini, rappelez-vous la machine infernale de Jacquin et vous ne voudrez pas que, par le renouvellement de pareils faits, la Belgique reste exposée à toutes les vengeances de l'étranger.
Je voterai donc pour la loi qui nous est présentée par le gouvernement.
Je voterai aussi pour l'amendement de l'honorable M. Bara ; c'est une garantie de plus ; ce sera une satisfaction donnée à la partie de l'opinion publique qui demande des modifications à la loi de 1835.
Les arrêtés royaux d'expulsion seront donc délibérés en conseil des ministres ; mais, je le répète, la plus forte garantie est celle qui résulte de l'obligation imposée au gouvernement de nous rendre compte de tous ses actes.
Jamais ministre de la justice, libéral ou catholique, n'a abusé de la loi de 1835 ; mon honorable ami, M. Nothomb, nous a appris tout à l'heure que des réfugiés sont venus le féliciter de la manière dont il avait exécuté la loi à leur égard. Je crois que cette loi n'est donc pas si mauvaise.
J'ai connu et je connais en Belgique beaucoup de réfugiés qui se sont toujours conduits paisiblement et que le gouvernement n'a jamais inquiétés ; mais s'il vient dans le pays des hommes de désordre, qui veulent y semer le trouble, j'approuve le gouvernement, quand il les éloigne du territoire. Mes sympathies sont, non pas pour eux, mais pour mon pays.
M. Couvreurµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.
MpVµ. - Il n'y a eu rien de personnel à M. Couvreur dans le discours de M. Dumortier.
(page 1307) M. Couvreurµ. - - On m'a accusé de me faire le chevalier....
M. Dumortier. - Pardon ; je n'ai rien dit qui vous fut personnel ; j'ai fait allusion à des faits dont il a été question dans cette Chambre longtemps avant que vous en fussiez membre. Il s'agissait d'une réclamation à propos d'une mauvaise femme qu'on avait expulsée, et la Chambre tout entière a donné raison au gouvernement.
- La discussion est close.
MpVµ. - Nous avons d'abord l'amendement de M. Guillery, qui est celui qui s'écarte le plus du projet.
« Art. 1err. Tout étranger qui possède des moyens d'existence ou qui peut s'en procurer par le travail peut résider en Belgique, à moins qu'il ne soit compris dans l'une des exceptions prévues par la présente loi.
« § 2. Il jouit en Belgique de toutes les libertés consacrées par la Constitution, tant qu'il ne compromet pas la tranquillité publique. »
- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'amendement de M. Van Humbeeck est ensuite mis aux voix ; il est ainsi conçu :
« Art. 1er. L'étranger, résidant en Belgique, peut être contraint par le gouvernement de s'éloigner d'un certain lieu, d'habiter dans un lieu déterminé et même de sortir du royaume dans les cas suivants :
« 1° S'il a été condamné à l'étranger ou s'il y est l'objet d'une poursuite non encore terminée, soit pour les crimes et délits qui donnent lieu à l'extradition, conformément à la loi du 1er octobre 1833, soit pour larcins ou filouteries, mendicité ou vagabondage, banqueroute simple, abus de confiance, attentat aux mœurs ;
« 2° S'il a été condamné en Belgique à une peine criminelle ou à un emprisonnement correctionnel de plus d'un mois, sans préjudice à l'application de l'article 272 du Code pénal et de l'article 3 de la loi du 3 août 1848.
« 3° Si, depuis l'établissement de sa résidence en Belgique, il a commis des actes directement hostiles à un gouvernement étranger, formellement prévus et punis par les lois répressives en vigueur sur le territoire de celui-ci et de nature à troubler la sécurité des relations de la Belgique avec ce gouvernement. »
- Cet amendement n'est pas adopté.
L'amendement de M. Nothomb est ensuite mis aux voix ; il n'est pas adopté.
MpVµ. - Vient à présent le paragraphe de l'article premier de la loi de 1835 :
« Art. 1er. L'étranger résidant en Belgique, qui, par sa conduite, compromet la tranquillité publique, ou qui a été poursuivi ou condamné à l'étranger pour les crimes ou délits qui donnent lieu à l'extradition, conformément à la loi du 1er octobre 1833, peut être contraint par le gouvernement de s'éloigner d'un certain lieu, d'habiter dans un lieu déterminé, ou même de sortir du royaume. »
- Ce paragraphe est adopté.
MpVµ. - L'amendement de M. Bara, formant le paragraphe 2, est ainsi conçu :
« L'arrêté royal enjoignant à un étranger de sortir du royaume, parce qu'il compromet la tranquillité publique, sera délibéré en conseil des ministres. »
- Cet amendement est adopté.
L'ensemble de l'article 1er, ainsi amendé, est adopté.
MpVµ. - Nous venons à l'article 2. M. le ministre te rallie-t-il à l'amendement de la section centrale ?
MjTµ. - La disposition que la section centrale propose de rétablir, figurait dans la loi de 1835 et elle a donné lieu à des inconvénients. Quant a moi, je n'ai pas mes apaisements sur les conséquences de ce vote et je suis convaincu que dans l'avenir de nouvelles difficultés se présenteront.
Mais enfin je ne m'y oppose pas, je veux bien qu'on fasse une nouvelle expérience et j'étais convaincu que cette nouvelle expérience fera un jour retirer la disposition qu'on propose de reprendre.
MpVµ. - L'article 2 est ainsi conçu :
« Art. 2. Les dispositions de l'article précédent ne pourront être appliquées aux étrangers qui se trouvent dans un des cas suivants, pourvu que la nation à laquelle ils appartiennent soit en paix avec la Belgique ;
« 1° A l'étranger autorisé à établir son domicile dans le royaume ;
« 2° A l'étranger marié avec une femme belge, dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa résidence dans le pays.
« 3° A l'étranger décoré de la croix de Fer. »
- Cet article est adopté.
MpVµ. - M. Guillery propose d'ajouter à cet article un 4° ainsi conçu :
« 4° A l'étranger qui a résidé cinq ans en Belgique. »
MpV. - Je ne puis accueillir cet amendement et je crois qu’il ne me faudra pas beaucoup d'efforts pour le faire repousser par la Chambre.
On ne peut admettre qu'un individu qui aura passé cinq ans en Belgique puisse être hors des atteintes de la loi. Il y a des gens qui ont passé dix ans, quinze ans en Belgique et auxquels l'on ne pourrait donner la latitude et les privilèges que la proposition tend a consacrer.
Messieurs, l'effet de cette loi doit être avant tout préventif ; il faut en définitive que les étrangers sachent que s'ils troublent la tranquillité publique, ils sont exposés à se voir refuser le séjour en Belgique.
Eh bien, du jour où vous aurez consacré par la loi qu'il suffit d'avoir résidé pendant 5 ans en Belgique pour pouvoir y faire tout ce que peut faire le régnicole, vous aurez créé la plus détestable des situations.
M. Guillery. - Je prie la Chambre de ne pas perdre de vue que les grands arguments employés pour défendre la loi de 1835 sont tirés du danger qu'il y aurait pour la Belgique à permettre à des étrangers soit de se réfugier en Belgique pour y combattre un gouvernement étranger, soit après un cataclysme politique d'y arriver en foule comme dans un asile où ils seraient inviolables.
Les articles que vous venez de voter vous donnent toute garantie à cet égard. Le gouvernement, d'après l'article premier, a le droit d'éloigner du pays tout étranger qui compromet la tranquillité publique.
Ces termes sont assez larges pour qu'il puisse repousser tout étranger dont la présence offrirait un danger quelconque. Mais, messieurs, l'étranger qui a résidé cinq ans en Belgique, est-ce bien l'étranger proprement dit ? Est-ce bien l'étranger qui n'est rien dans nos affections ? Est-ce bien l'étranger qui vient ici dans un but de trouble ? Mais on me citait un arrêté du pouvoir exécutif de la Suisse qui expulse toutes les personnes qui ont pris part à une insurrection dans le duché de aide.
Cela se comprend parce que dans l'effervescence de la lutte la présence de ces personnes pouvait compromettre les relations internationales de la Suisse. Le gouvernement de Bade pouvait dire à la Suisse : Vous permettez que des personnes qui ont commis des crimes politiques, puissent continuer la lutte en Suisse ; c'eût été le cas d'une personne qui, donnant asile à un assassin, lui permettrait de tirer sur les passants.
Vous comprenez que, dans cette circonstance, la Suisse avait à remplir un devoir de bon voisinage. Mais un tel exemple n'a rien de commun avec la position d'un étranger qui a séjourné 5 ans en Belgique : il y a ses intérêts et ses affections ;il a eu le temps d'être connu sous ses bons et sous ses mauvais côtés.
Il ne s'agit pas là d'étrangers qui arrivent par centaines. Ce n'est pas le cas d'étrangers qui arrivent, comme en 1852, après une grande commotion politique.
L'étranger qui a cinq ans de résidence n'est plus, à proprement parler, un étranger. II est venu dans un intérêt qui n'est pas un intérêt de trouble et de désordre. On ne reste pas cinq ans dans un pays pour des événements qui ne durent souvent que quelques jours.
On dit : L'étranger qui est depuis 5 ans en Belgique pourra donc faire tout ce qu'il voudra. Messieurs, dès le début de cette discussion, nous avons été témoins des exagérations les plus incroyables. N'y a-t-il donc pas de lois pénales ? N'y a-t-il plus de lois protectrices de l'ordre public ? Est-ce que les Belges peuvent impunément troubler l'ordre public ? N'y a-t-il plus de tribunaux en Belgique ? Et s'ils ne font qu'user de la liberté de la presse et du droit de réunion, de deux choses l'une : ou leurs paroles seront sages et alors il est bon et utile qu'ils usent de ces droits ; ou leurs paroles ne seront pas sages et alors ils ne seront pas écoutés. On n'a jamais trouvé qu'un seul remède aux abus de la presse, c'est l'indifférence du public.
Il ne s'agit pour personne de pouvoir faire tout ce qu'où veut ni de pouvoir impunément compromettre la tranquillité publique. Nous avons eu en Belgique des étrangers salariés qui ont abusé de la liberté de la presse en prenant des prête-noms, car il est facile à l'étranger d'écrire en Belgique, en prenant un prête-nom ; on a essayé de miner notre gouvernement par ce moyen et, sans la loi d'expulsion, la sagesse du pays a fait justice de ces tentatives.
Je me résume, messieurs, en disant que l'étranger qui a résidé cinq (page 1308) années en Belgique n'est pas un étranger proprement dit et que les arguments qu'on a fait valoir ne s'appliquent pas à lui.
J'aurais voulu proposer une autre catégorie, ce sont les étrangers qui ont occupé des fonctions publique». Il me semble que là encore il y aurait une garantie, mais on ne peut pas faire des amendements à l'infini.
M. Coomans. - Outre les bonnes observations que vient de présenter l'honorable M. Guillery, je désire soumettre encore une idée à la Chambre.
Je ne conçois vraiment rien à l'opposition acharnée que l'on fait à la moindre restriction que nous voulons apporter à l'arbitraire du gouvernement.
La demande de l'honorable M- Guillery est bien modérée : il voit qu'on affranchit de l'arbitraire un décoré, un étranger marié avec une Belge, dont il a des enfants, et il suppose tout naturellement qu'on peut affranchir de cet arbitraire l'étranger qui a donné des garanties de modération et de sagesse par un séjour de cinq années, séjour pacifique, car je serais prêt a ajouter à l'amendement cette clause qu'il faut que l'étranger n'a pas subi de condamnation pendant ces cinq années.
Eh bien, messieurs, on repousse cette demande si modérée. On oublie que la moitié de la population des Etats-Unis se compose d'étrangers, et que les Etats-Unis ne donneraient pas au monde le spectacle de la plus grande nation qui ait jamais existé, s'ils avaient eu une loi de 1835. Les Etats-Unis n'admettent pas seulement les étrangers de la façon que nous le désirons, mais ils accordent la naturalisation après un séjour moindre que celui qui est fixé par l'honorable M. Guillery.
L'étranger est naturalisé par le séjour, et j'avoue que je suis prêt à souscrire à une loi pareille, si on venait la présenter et si la Constitution ne nous en empêchait.
Pendant plusieurs siècles, messieurs, dans plusieurs de nos provinces, l'amendement de l'honorable M. Guillery était en pleine vigueur. Quand nos communes se formaient et cherchaient à se développer, elles faisaient publier partout cet amendement, elles faisaient savoir à tout étranger qu'un ouvrier qui travaillerait honnêtement, pendant un an ou deux ans, à un des métiers exercés dans la cité, serait inexpulsable. Eh bien, messieurs, c'est en grande partie à cette politique large que nous devons l'immense splendeur de quelques communes belges. Il est vraiment remarquable que l'on trouve au moyen âge tant de leçons de liberté données au XIème siècle et surtout à des libéraux, comme vient de le faire remarquer mon honorable ami.
Voilà, messieurs pour l'amendement de l'honorable M. Guillery.
Mais voici une autre observation. Au paragraphe 2 de l'article 2 je lis qu'il faut que l'étranger ait épousé une femme belge dont il a des enfants nés dans le pays pendant sa résidence. Et s'il n'a qu'un enfant ? (Interruption.)
Et s'il n'en a pas ? Vous l'expulserez.
Est-ce sa faute ? Voyez à quelles conséquences vous arrivez ! Un étranger parfaitement honnête épouse une Belge. Il n'en a qu'un enfant. D'après votre loi il est expulsable.
- Une voix. - Non.
M. Coomans. - Mais lisez donc la loi. Parlons français.
M. Goblet. - Et si les enfants meurent ?
M. Coomans. - S'il ne faut qu'un enfant, dites-le. Qu'on expulse l'arbitraire au moins de la loi.
Un autre étranger non moins honnête épouse une femme belge et il n'en a pas d'enfant, à son grand regret. Ce n'est pas pour cela que vous l'expulserez, j'espère ?
M. Allard. - Mais c'est déjà voté cela.
MpVµ. - M. Coomans, vous avez la parole pour parler sur l'amendement.
M. Coomans. - Je termine, M. le président, mais je ne maintiens pas moins mes observations.
MjTµ. - Messieurs, j'ai quelques mots à répondre aux honorables MM. Coomans et Guillery.
L'honorable M. Coomans ne comprend pas la portée des exceptions qui sont inscrites dans la loi et qui s'appliquent à l'étranger qui a épousé une femme belge dont il a des enfants. Ces enfants nés sur le sol belge peuvent revendiquer la qualité de Belges et l'on fait une exception parce qu'ils se trouveraient expulsés en même temps que l'étranger. Quant à l'étranger décoré de la croix de Fer, il est excepté parce qu'il a rendu des services au pays.
L'amendement de l'honorable M. Guillery ne serait pas avantageux pour l'étranger et c'est facile à comprendre. Si vous obligez le gouvernement à tolérer indéfiniment dans le pays ceux qui auront résidé pendant cinq ans, vous l'empêchez d'user de tolérance à l'égard de l'étranger.
Ainsi l'on tolère aujourd'hui de la part de l'étranger beaucoup de faits qu'on ne tolérerait pas si l'on savait qu'après 5 ans l'étranger aurait acquis un droit analogue à ce qu'on appelle en Suisse le droit de bourgeoisie et deviendrait inexpulsable.
On nous dit : Un étranger qui est ici depuis 5 ans a, en quelque sorte, adopté votre pays. C'est une très grande erreur, et je pourrais citer des faits qui répondent péremptoirement à cette observation de l'honorable M. Guillery. .
Rappelez-vous le temps qui s'est écoulé entre les faits qui ont motivé certaines expulsions et l'amnistie qui a été ensuite accordée.
Combien de réfugiés qui pendant ces dix années n'ont jamais songé à faire de la Belgique une seconde patrie et sont rentrés dans leur pays aussitôt qu'ils l'ont pu ! Ils n'ont apporté à la Belgique le tribut, ni de leur intelligence, ni de leur activité, et ils n'ont jamais eu d'autre pensée que celle de rentrer dans leur pays, quand les portes leur en seraient rouvertes.
Vous ne pouvez pas, après 5 ans de séjour, naturaliser en quelque sorte un étranger et lui donner une impunité qui pourrait tourner contre les intérêts du pays. Je demande donc le rejet de cette disposition.
- L'amendement de M. Van Humbeeck à l'article 2 est mis aux voix.
Il n'est pas adopté.
Art. 3. L'arrêté royal porté en vertu de l'article premier sera signifié par huissier à l'étranger qu'il concerne.
« Il sera accordé à l'étranger un délai qui devra être d'un jour franc au moins. »
MpVµ. - Il y a un amendement de l'honorable M. Van Humbeeck, ainsi conçu :
« Art. 3. Les mesures autorisées à l'article premier sont prises par arrêté du ministre de la justice, sauf les expulsions fondées sur les causes prévues au n°3 de l'article, qui ne peuvent être ordonnées que par arrêté royal.
« Tout arrêté porté en vertu de l'article premier est signifié par huissier à l'étranger qu'il concerne. Il est accordé à l'étranger un délai qui doit être d'un jour franc au moins.
« L'arrêté royal ordonnant une expulsion en vertu du n°3 du même article, est en outre publié au Moniteur le jour de la signification au plus tard ; il est motivé ; il indique succinctement les faits qui donnent lieu à l'expulsion, et l'époque à laquelle ils se sont accomplis ; il mentionne que l'expulsé a fourni ou a été invité à fournir ses explications au ministre de la justice ou à son délégué. »
M. Van Humbeeck. - Le vote qui est intervenu sur l'article premier m'oblige à modifier la rédaction de l'amendement que j'avais présenté d'abord.
Je propose de laisser subsister l'article 3 de la loi de 1835 et d'y ajouter un troisième alinéa ainsi conçu :
« L'arrêté royal ordonnant l'expulsion d'un étranger qui, par sa conduite, compromet la tranquillité publique, est en outre publié au Moniteur le jour de la signification au plus tard. » Le reste comme au troisième alinéa de mon amendement primitif.
M. Coomans. - J'adhère, faute de mieux, à l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck. Je n'y désire qu'une seule modification, c'est de fixer le délai franc de trois jours au lieu d'un.
L'article porte qu'il sera accordé à l'étranger un délai d'un jour au moins.
Je trouve cruel et inutile de forcer un homme à faire ses malles en un jour. Je demande qu'on lui laisse au moins trois jours pour les préparatifs de son voyage. On me fait remarquer qu'en Hollande il en a quinze ; je ramasse en passant cette observation.
MjTµ. - J'ai, à plusieurs reprises, exposé les motifs qui empêchent d'adopter cet amendement ; la publicité qu'on réclame tournerait contre l'étranger.
- L'amendement de M. Van Humbeeck est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
MpVµ. - Vient maintenant l'amendement de M. Coomans qui propose de fixer un délai de trois jours francs ; c'est un amendement au texte de la loi elle-même.
- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article 3 est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 4. L'étranger qui aura reçu l'injonction de sortir du royaume sera tenu de désigner la frontière par laquelle il sortira : il recevra une feuille de route réglant l'itinéraire de son voyage et la durée de son séjour dans chaque lieu où il doit passer. En cas de contravention à l'une on (page 1309) l’autre de ces dispositions, il sera conduit hors du royaume par la force publique.
MpVµ. - M. Van Humbeeck propose de supprimer la deuxième phrase ainsi conçue :
« En cas de contravention à l'une ou l'autre de ces dispositions, il sera conduit hors du royaume par la force publique. »
- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article 4 est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 5. Le gouvernement pourra enjoindre de sortir du territoire du royaume à l'étranger qui quittera la résidence qui lui aura été désignée. »
- Adopté.
« Art. 6. Si l'étranger auquel il aura été enjoint de sortir du royaume rentre sur le territoire, il pourra être poursuivi et il sera condamné, pour ce fait, à un emprisonnement de quinze jours à six mois ; et à l'expiration de sa peine, il sera conduit à la frontière. »
MpVµ. - Il y a à cet article des amendements de M. Van Humbeeck.
M. Van Humbeeck. - Ils tombent, M. le président, par suite du vote sur l'article 4.
- L'article 6 est mis aux voix et adopté.
MpVµ. - Nous avons maintenant un article proposé par M. Guillery et ainsi conçu :
« Toute personne qui se trouve l'objet d'un arrêté d'expulsion, et qui prétendra être Belge ou être protégée par l'une des dispositions de l'article 2, pourra se pourvoir en référé devant le président du tribunal de première instance de l'arrondissement où il se trouvera lors de la notification.
« Le président, par une ordonnance exécutoire sur minute, pourra, soit rejeter la demande, soit renvoyer devant la première chambre du tribunal, »
MfFOµ. - C'est de droit.
M. Guillery. - J'entends dire que c'est de droit ; si c'est de droit, je n'insiste pas ; mais je dois faire une observation, car je crains qu'il y ait un malentendu entre nous.
Voici ce qui est arrivé :
Une personne qui se trouve dans le cas prévu par mon amendement s'adresse à l'autorité judiciaire et dit : Je ne suis pas expulsé dans la forme voulue ; l'autorité judiciaire s'est déclarée incompétente, quant à l'expulsion qui a eu lieu ; elle ne s'est déclarée compétente que sur l'action en dommages-intérêts et encore parce que cette action était dirigée contre l'administrateur de la sûreté publique ; si l'action avait été dirigée contre le ministre, elle n'eut pas été déclarée recevable.
Autre cas : Un Belge est expulsé ; le tribunal déclare qu'il a la qualité de Belge ; néanmoins, l'expulsion est ordonnée par suite d'un malentendu parce que l'ordre d'expulsion avait été donné eu même temps que l'ordre d'introduire devant le tribunal. Eh bien, ce Belge devrait pouvoir s'adresser aux tribunaux, et les tribunaux ordonner que l'expulsion n'aurait pas lieu. Voilà le sens de mon amendement ; s'il est entendu qu'il en sera ainsi, nous sommes d'accord.
MjTµ. - Il n'est pas douteux qu'un individu frappé d'expulsion peut faire vérifier par les tribunaux s'il n'a pas la qualité de Belge. Mais les cas qui se sont produits n'ont aucune analogie avec celui dont nous nous occupons . L'affaire dont parle M. Guillery est l'affaire Jones ; or, il ne s'agissait pas de la question de savoir si l'expulsé était ou n'était pas Belge.
M. Guillery. - S'il était résident.
MjTµ. - Ce n'était pas même la question ; la question était de savoir si l'administrateur de la sûreté publique avait le droit d'ordonner son expulsion.
Le cas dont nous nous occupons n'a, je le répète, aucune espèce d'analogie avec celui-là. J'admets qu'un Belge expulsé peut faire vérifier sa qualité par le tribunal et s'il n'est pas dans un cas d'exception.
M. Guillery. - Il est donc entendu que toute personne qui prétendra être Belge ou se trouver dans un des cas d'exception mentionnés à l'article 2, pourra s'adresser à la justice ?
MjTµ. - Pour faire vérifier sa qualité ; mais quant à savoir jusqu'à quel point le pouvoir judiciaire peut réformer une ordonnance du pouvoir exécutif, c'est une autre question.
M. Guillery. - Il y a un malentendu et il faut que nous nous mettions d'accord.
M. le ministre de la justice nous dit ; Il est évident que l'on peut s'adresser au tribunal et que le tribunal peut déclarer si, oui ou non, la personne qui s'adresse à lui se trouve dans l'un des cas prévus par l'article 2 de la loi de 1835, mais il s'agit de savoir si les tribunaux peuvent arrêter l'expulsion ; voilà la question qui est soumise à la Chambre et sur laquelle je ne suis pas d'accord avec M. le ministre de la justice. Je propose à la Chambre de décider que lorsque l'autorité judiciaire décidera que l'individu qui est l'objet de l'arrêté est Belge ou qu'il se trouve dans un des cas d'exception prévus par la loi de 1835, l'autorité judiciaire ordonnera que l'expulsion n'ait pas lieu et elle ne pourra avoir lieu.
MjTµ. - C'est le cas de responsabilité ministérielle.
M. Guillery. - Vous voyez bien que nous sommes d'accord pour ne pas être d'accord.
C'est un cas de responsabilité ministérielle. Par conséquent vous prétendez que, malgré la décision de la justice, le ministre aura le droit d'ordonner l'expulsion sous sa responsabilité. Mais tout ce que font les ministres, ils le font sous leur responsabilité ; les pouvoirs conférés aux ministres, c'est sous leur responsabilité qu'ils les exercent.
C'est au ministre, me dira-t-on, à savoir s'il a le droit d'ordonner l'expulsion. Mais vous laissez donc le ministre juge de la question de savoir si les tribunaux ont raison ou ne l'ont pas.
Si le gouvernement pense que le droit que je veux donner au pouvoir judiciaire ne peut lui être accordé, qu'il le dise. C'est une théorie, un système à défendre. Mais il ne faut pas qu'il y ait de malentendu. (Interruption.)
Je vois que l'honorable M. Bara n'est pas de mon avis ; il est donc nécessaire que la Chambre se prononce.
Mon amendement ne tend pas à dire, ce qui va de soi, que l'on peut s'adresser aux tribunaux. Il consiste à dire que lorsque le tribunal décidera qu'un individu est Belge, ce jugement arrêtera l'expulsion. Je ne veux pas qu'un ministre, même sous sa responsabilité, puisse expulser un Belge, puisse venir dire à un individu : Je vous expulse parce que vous n'êtes pas Belge, alors que la justice a décidé le contraire. Je veux que celui qui est déclaré Belge par la justice ne puisse être expulsé. Je veux que la police s'arrête devant la décision du tribunal.
M. Bara. - Je n'ai qu'un mot à dire : cette question a été tranchée par la cour d'appel de Bruxelles en 1834.
C'est là une question constitutionnelle.
Les pouvoirs sont indépendants. Que font les tribunaux ? Ils peuvent refuser d'accorder leur concours au gouvernement, si celui-ci vient leur demander de prêter leur force à l'exécution de ses arrêtés, et d'un autre côté les tribunaux peuvent se refuser à l'exécution de ses arrêtés lorsqu'on vient, en les invoquant devant eux, réclamer des condamnations civiles.
Voilà le rôle des tribunaux.
Mais lorsqu'il s'agit de faire suivre à un acte du pouvoir exécutif son exécution, c'est au pouvoir exécutif seul à aller jusqu'au bout ; c'est lui seul qui exécute. (Interruption à droite.) C'est l'opinion défendue par l'honorable M. Thonissen dans son traité de droit constitutionnel.
M. Thonissenµ. - Pardon ; pas dans ce sens.
M. Bara. - J'ai invoqué hier un passage pris dans son traité.
M. Thonissenµ. - Cela est vrai en principe.
Un membre. - Vous voudriez accorder au pouvoir exécutif le droit de délivrer des lettres de cachet.
M. Bara. - Il ne s'agit pas de lettres de cachet. M. de Fernelmont qui parlait dans l'affaire à laquelle je fais allusion, disait que si l'on voulait éviter des difficultés inextricables, il fallait maintenir cette séparation des pouvoirs, que l'autorité judiciaire ne pouvait arrêter le pouvoir exécutif dans son action.
Mais si le ministre pose un acte contraire au droit, il est responsable, et devant les Chambres on peut le mettre en accusation.
MfFOµ. - Messieurs, il ne faut pas que l'on se méprenne sur la portée de l'article proposé par l'honorable M. Guillery. Cette disposition ne résout pas et ne peut pas résoudre la question qu'il voudrait faire trancher par la Chambre.
Que propose-t-on de décider ? Que tout individu auquel on aura signifié un arrêté d'expulsion, pourra recourir aux tribunaux pour faire vérifier sa nationalité. Mais supposez que le tribunal, ayant reconnu la qualité de Belge de l'expulsé, le gouvernement passe outre, nonobstant la décision des juges. Avez-vous un moyen d'empêcher cela ? Assurément non ; il n'en existe aucun. Et quelle sera pour le gouvernement la conséquence de l'acte qu'il aura posé dans de telles conditions ? Mais (page 1310) naturellement un cas de responsabilité ministérielle ; pas autre chose.
C'est ce qui peut se produire dans une foule de circonstances. Qu'il s'agisse, par exemple, d'un Belge arrêté et détenu illégalement, on aboutit encore à un cas de responsabilité ministérielle.
Je dis donc, messieurs, que le texte de l'amendement ne résout pas la question soulevée par l'honorable M. Guillery ; et j'ajoute que l'on ne saurait la résoudre dans le sens indiqué, sans tomber dans une confusion de pouvoirs.
- Des membres. - Aux voix ! aux voix !
- D'autres membres. - A demain !
M. Coomans. - Il s'agit d'une question très grave.
M. Guillery. - Je neveux pas prolonger inutilement la discussion, j'ai aussi mes occupations et je n'ai pas de temps à perdre. Mais il s'agit d'un intérêt assez précieux pour qu'il nous arrête un moment.
On dit que mon amendement ne résout pas la difficulté.
Un tribunal déclare que la personne qui est l'objet de l'expulsion est Belge. Le gouvernement passe outre et l'expulse. Que voulez-vous faire, me dit-on, pour l'en empêcher ? Je ne prétends pas que l'on doit donner à la justice les moyens de s'opposer par la force à ce que le gouvernement, qui est le pouvoir exécutif et qui a la force en main, abuse de ses pouvoirs. Si j'obtiens un jugement qui m'accorde un champ, et si le gouvernement envoie des gendarmes pour m'en expulser, je n'ai pas le moyen d'empêcher cela, c'est évident. Mais le gouvernement est dans son tort.
- Plusieurs membres. - C'est cela.
M. Guillery. - Il est évident que dans ce cas le gouvernement n'a aucun droit de méconnaître la chose jugée. De même si les tribunaux déclarent qu'une personne est Belge, je prétends que le gouvernement n'a plus le droit de l'expulser, et je demande que la loi le déclare pour cette personne comme la loi le déclare pour le propriétaire d'un champ.
MjTµ. - Votre amendement, sous ce rapport, n'empêche rien, car vous ne pouvez admettre qu'il suffira d'une simple opposition pour arrêter l'action du pouvoir exécutif. Si vous n'admettez pas cela, il est évident qu'un individu pourra être expulsé avant même qu'un jugement ait pu être rendu.
M. Guillery. - Je demande la parole.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. Guillery. - Comment ! il s'agit de savoir si un Belge peut être expulsé de son pays, et vous ne voulez pas délibérer !
MjTµ. - Il ne s'agit pas de cela.
M. De Fré. - Vous ne comprenez pas.
M. Guillery. - Je comprends parfaitement bien, M. De Fré, mon intelligence me permet de comprendre !
- Des membres. - A demain !
MpVµ. - On réclame la remise à demain, je consulte la Chambre.
- La Chambre décide que la séance continue.
M. Guillery. - Je disais qu'il y avait entre nous un malentendu.
Comment, dit M. le ministre, l'expulsion pourra-t-elle être arrêtée, puisqu'elle doit se faire dans les 24 heures ? Voulez-vous qu'une simple opposition arrête l'action du pouvoir exécutif ?
Messieurs, mon amendement dit précisément cela. Il dit que la personne qui est l'objet d'un arrête d'expulsion pourra se pourvoir en référé devant le président du tribunal de première instance. Or ce n'est pas en 24 heures, c'est au bout d'une heure qu'on peut se rendre en référé.
Lorsqu'une personne est l'objet d'une contrainte par corps, et qu'elle demande à aller en référé, combien de temps faut-il pour cela ? Un quart d'heure, le temps de se rendre à l'hôtel du président.
La personne menacée d'expulsion se rendra donc en référé et le président du tribunal décidera si l'exécution de l'arrêté d'expulsion doit être suspendue.
Si mon amendement ne dit pas ce que je veux dire, on peut mieux le rédiger. Mais je prie la Chambre de décider si, lorsqu'un tribunal aura décidé qu'un individu est Belge, le gouvernement pourra l'expulser, sous sa responsabilité.
MjTµ. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. Guillery n'a pas du tout la signification qu'il veut lui donner. Il ne s'agit pas de savoir ce qu'on fera lorsque le tribunal aura déjà pris une décision.
Mais l'amendement consiste à dire qu'au moyen d'une opposition ou d'une ordonnance sur référé, on pourra arrêter l'action du pouvoir exécutif. Ici on arrive encore à subordonner le pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire.
L'amendement me paraît inadmissible.
M. Pirmez. - Si vous votez l'amendement, vous adoptez une disposition qui renverse tout ce qu'ont consacré nos lois de séparation de pouvoir.
Jamais le pouvoir exécutif, comme pouvoir, ne peut être obligé de comparaître devant le pouvoir judiciaire, pas plus que le pouvoir exécutif ne peut juger le pouvoir judiciaire.
Et c'est ce que fait l'amendement.
Il ne s'agit pas de savoir si on peut expulser un Belge. On est d'accord que cela est aussi impossible que de faire arbitrairement emprisonner un citoyen.
Le gouvernement a la force, il a l'armée ; s'il veut commettre un attentat contre les lois, ce n'est pas un jugement qui l'empêchera.
Ce n'est pas là qu'il faut chercher la garantie, c'est dans les Chambres qui font et défont les gouvernements.
- L'amendement est mis aux voix et n'est pas adopté.
MpVµ. - Viennent maintenant les deux articles nouveaux présentés, l'un par M. Guillery, l'autre, par M. Nothomb et collègues.
M. Guillery propose :
« Art. 9. Le gouvernement rendra annuellement compte aux Chambres des expulsions ordonnées par arrêté royal ou sur l'invitation officieuse de l'administration de la sûreté publique. »
MM. Nothomb et collègues proposent :
« Art. 7. Chaque année le gouvernement rendra compte aux Chambres législatives de l'exécution de la présente loi. »
M. Guillery. - Je ne dirai qu'un mot ; Cette disposition se trouve dans la loi hollandaise.
- La discussion est close.
Les deux amendements, qui sont au fond les mêmes, sont mis aux voix ; ils ne sont pas adoptés.
« Art. 7 (du projet du gouvernement). La présente loi ne sera obligatoire que pendant trois ans, à moins qu'elle ne soit renouvelée. »
- Adopté.
MpVµ. - Il y a eu un amendement à l'article premier.
- Des membres. - Le gouvernement s'y est rallié.
MpVµ. - Mais ce n'est qu'en séance que le gouvernement s'y est rallié.
- La Chambre consultée décide qu'il sera procédé, séance tenante, au vote définitif du projet de loi.
L'amendement introduit au premier vote dans l'article premier est confirmé.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
75 membres répondent à l'appel.
49 répondent oui.
23 répondent non.
3 s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre adopte.
Le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. de Moor, de Terbecq, de Vrière, Devroede, Dewandre, Dolez Dumortier, Frère-Orban, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Lippens, Magherman, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Tack, Tesch, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Iseghem, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Crombez, de Baillet-Latour, C. de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Macar, de Mérode et E. Vandenpeereboom.
On répondu non :
MM. de Muelenaere, d'Hane-Steenhuyse, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery, Hayez, Jacobs, Laubry, Moreau, Reynaert, Schollaert, Van Humbeeck, Vermeire, Verwilghen, Vleminckx, Carlier, Coomans, Couvreur, David, Delaet, de Liedekerke.
Se sont abstenus :
MM. Dupont, Elias et Nothomb.
MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Dupontµ. - Messieurs, je reconnais qu'une loi spéciale sur la position des étrangers en Belgique est nécessaire, et je n'ai pas cru (page 1311) pouvoir assumer la responsabilité d'un vote entièrement hostile à la loi qui règle cet objet.
Je n'ai pas voté pour, parce qu'à mon avis une loi de ce genre doit donner certaines garanties aux étrangers, et qu'à ec point de rue, la loi actuelle est susceptible de notables améliorations.
M. Eliasµ. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.
M. Nothomb. - Je crois une loi nécessaire, mais je crois aussi que le projet actuel pourrait être amélioré dans l'ordre d'idées que j'ai développé.
MpVµ. - M. Delaet demande un congé de deux jours pour affaires de famille.
- Ce congé est accordé.
M. Dumortier. - Je demande que la Chambre laisse à M. le président le d'intervertir l'ordre du jour, en ce sens que demain nous discuterons les projets de loi d'intérêt secondaire dont le Sénat pourrait encore s'occuper dans sa présente session. Alors la Chambre aura à décider si, eu égard à la durée déjà si longue de la session, il n'y a pas lieu de renvoyer à la session prochaine le projet de loi sar la répression des fraudes en matière électorale.
M. Crombez. - Il y a décision de la Chambre, en ce qui concerne le projet de loi sur la répression des fraudes en matière électorale ; mais la Chambre pourrait renvoyer la discussion de ce projet à mardi.
M. Dumortier. - Je demande que la Chambre se prononce sur cette proposition de l'honorable M. Crombez, après qu'elle aura voté, dans la séance de demain, les petits projets à l'ordre du jour.
MpVµ. - La Chambre a déjà statué que le projet de loi sur la répression des fraudes électorales resterait à l'ordre du jour ; il n'y a donc qu'à intervertir l'ordre du jour pour demain : c'est ce qui sera fait, sauf à fixer ultérieurement le jour de la discussion du projet de loi sur la répression des fraudes en matière électorale. (C’est cela !)
- La séance est levée à cinq heures trois quarts.