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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 20 mai 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 988) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres de l'administration communale de Jemmapes prient la Chambre d'autoriser la concession du chemin de fer de Saint-Ghislain à Ath, avec embranchement sur Jemmape. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi des travaux publics.


« Des habitants de Nederockerzeel demandent le prompt achèvement du chemin de fer de Bruxelles à Louvain. »

- Même disposition.


« Le sieur Henroz, président de la société agricole du Luxembourg, appelle l’attention de la Chambre sur les pétitions ayant pour objet la construction d'un chemin de fer d'Arlon à Montmedy par Virton. »

- Même disposition.


« Le sieur Blanckx, ancien gendarme, demande la révision de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi relatif aux délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions

Discussion générale

M. Coomans. - Messieurs, si l’honorable M. Orts n'avait pas improvisé hier sa proposition, il en aurait mieux mesuré la portée et les conséquences. Plus j'y réfléchis, plus il me devient difficile d'y adhérer.

On a fait observer déjà avec raison qu'il y va de la dignité de la Chambre.

Quel argument a-t-on opposé depuis six semaines à l'opinion publique pour expliquer, sinon par justifier l'espèce d'impunité qui paraissait assurée à l'acte du 8 avril ? Il y avait impossibilité de poursuivre ; la sanction légale faisait défaut ; le procureur général, approuvé par le gouvernement, croyait qu'il n'y avait pas lieu de sévir. En conséquence, a-t on dit, il faut une loi.

Voilà pourquoi une commission spéciale a été créée contre mon avis, contre celui de beaucoup d'autres membres de cette Chambre. Je constate un fait que vous reconnaîtrez tous exact, que la grande majorité de la Chambre a cru, après le 8, qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre en l'absence d une loi spéciale.

Il fallait une raison aussi forte pour justifier la réserve opposée par la justice à l'accomplissement d'un grand devoir social.

Or, que vient nous proposer l'honorable député de Bruxelles ? Il vient nous proposer de nous démentir, de déclarer que nous nous sommes presque tous trompés, que nous avons fait fausse route en nommant une commission spéciale, que nous avons discuté dans les nuages pendant plusieurs jours ; bref, que nous avons à effacer les dernières pages de nos Annales parlementaires.

J'avais donc raison de dire qu'il y va de la dignité de la Chambre.

Pourquoi, si telle était la conviction de l'honorable membre, ne nous a t-il pas présenté sa motion d'ordre sous forme de question préalable à l'ouverture du débat ; je l'aurais comprise alors ; aujourd'hui elle me paraît tardive.

Messieurs, il y va aussi de la fidélité à notre serment à la Constitution. L’honorable M. Orts, comme moi-même, a déjà maintes fois prêté serment a la Constitution. J'entends ce serment en ce sens que nous devons nous conformer aux dispositions formelles de la Constitution.

Or, il n'y en a pas de plus formelle que celle qui nous ordonne de faire une loi sur la responsabilité ministérielle ; et nous reculerions alors que le cri public nous convie à nous exécuter, à rester fidèles à notre serment, à prouver que nous ne faisons pas tous les quatre ans, et quelquefois tous les deux ans, un serment pour la forme.

Quant à moi, lorsque j'insiste sur la nécessité de la rédaction la plus prompte possible d'une loi sur la responsabilité ministérielle, je m'inspire principalement du désir que j'ai de remplir un serment constitutionnel.

Messieurs, ai-je besoin de vous faire remarquer qu'il y va aussi de la dignité de la magistrature debout ? En renvoyant aujourd’hui devant la cour de cassation un ministre et trois de nos collègues, que faisons-nous d'abord ? Nous disons au procureur général qu'il s'est trompé, qu'il a eu tort de ne pas nous demander tout d'abord l'autorisation de poursuivre les membres de la Chambre, afin de nous forcer ainsi à mettre en accusation le ministre de la guerre.

La proposition de l'honorable M. Orts me paraît donc contenir un blâme formel contre le procureur général. En effet, si l'honorable M. Orts a raison, l'honorable M. de Bavay a tort, et une part de ce tort revient évidemment à M. le ministre de la justice, qui a donné raison à l’honorable M. de Bavay.

Du reste je n'insisterai guère sur la dignité gouvernementale ; l'honorable ministre n'a qu'à la sauvegarder lui-même.

MjTµ. - Je n'ai pas l'habitude de laisser ce soin à d'autres.

M. Coomans. - C'est le plus sûr. On insiste sur le danger de créer un conflit entre la Chambre et le Sénat. Je déclara avec l'honorable M. de Brouckere et d'autres membres, que je ne conçois pas l'existence d'un conflit possible dans le cas qui nous occupe. Il n'y a pas conflit parce que deux des grands pouvoirs de l'Etat sont en dissidence. Chacun exerce naturellement son droit.

Messieurs, ce que nous devons empêcher avant tout, c'est peut-être un conflit avec nous-mêmes, et c'est à quoi nous expose l'honorable M. Orts. En nous mettant en contradiction avec nous-mêmes, en nous faisant dire aujourd'hui le contraire de ce que nous disions il y a cinq ou six semaines, l'honorable M. Orts crée un conflit des plus graves dans le sein même du parlement.

Messieurs, dans ma conviction profonde, la cour de cassation se déclarera incompétente. Elle embrassera l'opinion émise par des membres éminents de cette assemblée et de la magistrature.

Je vous le demande, n'est-il pas évident que, dans cette hypothèse, nous aurons nui à la dignité des grands pouvoirs de l'Etat et à la nôtre en particulier.

Messieurs, s'il entrait dans la pensée de l'honorable M. Orts et des partisans de sa proposition, de ne pas nous dessaisir du projet de loi sur la responsabilité ministérielle, d'en continuer la discussion et surtout de le compléter, afin d'obtenir une application sérieuse des articles de la Constitution traitant de la responsabilité ministérielle, je pourrais, dans une certaine mesure et sous toute réserve, accepter la proposition de l'honorable membre.

M. Orts. - C'est mon intention.

M. Coomans. - Il reste à savoir si l'intention de l'honorable M. Orts sera celle de la majorité.

Il faudrait donc que la Chambre déclarât qu'elle reste saisie du projet de loi et qu'ayant tout le temps de le compléter, elle le complétera.

Je considère comme très urgente l'exécution du principe constitutionnel de la responsabilité ministérielle.

Mais si, comme je le croyais d'abord, le but de l'honorable M. Orts n'a été que de débarrasser la Chambre d'une discussion difficile, je ne pourrais pas souscrire à sa proposition.

Après tout, ce qu'il y a ce plus urgent, ce n'est pas la poursuite de l'honorable général Chazal et de plusieurs de nos honorables collègues. Ils ont posé un fait très regrettable, que je n'hésite pas à qualifier de sottise, mais ce fait n'est pas déshonorant. Je reconnais que la plupart d'entre nous, dans les mêmes circonstances, le commettraient également, excepté peut-être l'honorable chanoine de Haerne et moi. Je ne suis donc pas pressé le moins du monde de voir paraître ces messieurs en cour de cassation ou ailleurs. Nous savons bien, du reste, ce qui en résultera en fin finale, comme on dit. Mais ce qui est urgent, c'est un haut témoignage de respect de notre part pour la Constitution, c'est de rédiger une bonne loi sur la responsabilité ministérielle dans toutes ses applications possibles ; c'est là le but principal des observations que j'ai eu l’honneur de vous soumettre.

J'avais encore une ou deux remarques à faire, elles m'échappent en ce moment ; je demanderai la permission de les produire quand elles me reviendront, si l'à-propos m'en est démontré.

M. Guillery. - Un honorable membre de la commission disait hier que si la question n'est pas étudiée, chacun de nous doit chercher à apporter son tribut de lumières et faire des propositions qui puissent (page 989) faciliter le travail de la Chambre, c'est ce que je vais m’efforcer de faire autant que cela dépend de moi. J'ai l'honneur de présenter deux amendements. Le premier, qui s'applique à l'article premier, est ainsi conçu :

« Ajouter à l'article premier, la disposition suivante :

« Hors le cas prévu par le paragraphe premier, nul ne peut être distrait de la juridiction du jury, en toutes matière, criminelles et pour délits politiques et de la presse. »

Vous savez tous, messieurs, que le paragraphe premier est conçu en ces termes : « Les crimes et délits commis par un ministre lors de l'exercice de ses fonctions, sont déférés à la cour de cassation, chambres réunies. »

Le deuxième amendement modifie, de la manière suivante, l'article 7 :

« L'action civile résultant du crime ou du délit peut être poursuivie devant la cour de cassation en même temps que l'action publique ou devant les tribunaux civils, conformément à l'article 3 du Code d'instruction criminelle. »

Vous le voyez, messieurs, ces deux amendements supposent l'adoption du principe fondamental du projet de loi. Je crois, quant à moi, que le Congrès, par l'article 90 de la Constitution, a laissé entière la question que nous avons à résoudre. Je crois que le Congrès, comme la Charte française de 1830, ainsi que l'a rappelé très judicieusement l'honorable M. Van Wambeke, que le Congrès a décidé une seule question, qu'il s'est borné à déterminer la juridiction devant laquelle devraient comparaître les ministres pour les délits commis dans l'exercice de leurs fonctions ; cet article laisse une latitude complète au législateur.

Il y avait deux questions à résoudre ; de ces deux questions, une seule a été résolue :

« La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation qui, seule, a le droit de les juger, sauf ce qui concerne les délits commis par les ministres hors de leurs fonctions. »

C'est ce point que nous avons à régler.

Mais, messieurs, la question restant entière, nous pouvons certainement attribuer à la cour de cassation le jugement du délit commis par le ministre en dehors de l'exercice de ses fonctions nous pouvons l'attribuer à la cour de cassation comme nous pouvons l'attribuer aux tribunaux ordinaires.

Nous avons le choix et je crois que la commission a eu raison de choisir la cour de cassation. Elle l'a fait par des motifs analogues à ceux qui ont amené le législateur à confier le jugement des magistrats, des officiers de police judiciaire et des autres fonctionnaires, soit à la cour d'appel, soit à la cour de cassation elle-même.

Je ne crois pas qu'il soit convenable qu'un ministre de la justice, par exemple, puisse comparaître devant un tribunal correctionnel. Ce n'est pas que je veuille mettre en doute en quoi que ce soit l'indépendance de notre magistrature.

Je respecte autant, je prise aussi haut l'indépendance du juge de paix et du juge de première instance, que celle du magistrat de l'ordre le plus élevé, mais je dis que chacun d'eux a des fonctions d'une nature spéciale.

Je dis qu'il ne faut pas seulement que le bien se fasse, mais encore qu'il se fasse dans des termes qui inspirent toute confiance au public et qui par elles-mêmes soient en rapport avec le fond.

Ainsi, je ne considérerais pas comme convenable qu'un ministre de la justice, qui a pu nommer hier un juge, qui pourrait lui donner demain de l'avancement, comparût devant lui comme prévenu.

Je suis convaincu qu'il ne peut en résulter aucun abus, mais il ne faut pas que le publie puisse supposer que des abus semblables sont possibles.

La cour de cassation est évidemment le tribunal qui offre le plus de garanties pour un pareil jugement. Les membres sont assez haut placés pour que personne ne puisse se croire et ne soit en réalité au-dessus d'eux dans l'ordre social.

J'admets donc le jugement, par la cour de cassation, pour les ministres du chef de délits commis en dehors de leurs fonctions ; mais pour les citoyens, messieurs, le rapport de la commission nous dit en quelques mots et, comme résolvant une question de toute évidence, que les complices du ministre devront nécessairement être jugés par la cour de cassation, que tous les délits connexes au délit commis par le ministre devront être jugés par la même cour.

La commission s'en est référée aux principes généraux du droit.

J'avoue, messieurs, que les principes généraux du droit sont tels que les indique l'honorable rapporteur de la commission, et l'on comprend assez que dans l'intérêt de l'administration d'une bonne justice il faut que les complices, que les délits connexes soient jugés par le même tribunal.

Il faut qu'un seul et même jugement décide de faits qui ont un rapport intime afin que l'instruction soit plus complète et qu'on ne soit pas expo s à voir une contrariété de jugement, à voir condamner l'un et acquitter l'autre pour des motifs contradictoires.

L'intérêt d'une bonne justice l’exige, mais elle ne l'exige que lorsque en soumettant au même tribunal des délits connexes et les complices, on ne viole aucun des principes fondamentaux en matière de juridiction.

Ainsi quel que soit l'intérêt qu'il y ait à voir décider par un seul et même jugement les faits connexes, cet intérêt ne peut aller jusqu'à soumettre à un tribunal d'exception des personnes qui relèvent des tribunaux de droit commun, jusqu’à soumettre, par exemple, un particulier non militaire aux tribunaux militaires, jusqu'à soumettre en matière civile un non-commerçant à une juridiction commerciale, à moins qu'il ne se soit soumis par ses actes à cette juridiction exceptionnelle.

Je reconnais donc qu'en règle générale la complicité et la connexité sont suffisantes pour attribuer à un seul et même tribunal la connaissance de délits connexes. C'est ce que décident les articles 501, 555, 433, 526 et 527 du Code d'instruction criminelle.

L'article 227 détermine ce qu'on entend par délit connexe, c'est ce que décide l'article 14 du Code pénal militaire, la loi des 19 octobre 1791, 22 messidor an IV, du 29 février 1832, article premier et bien d'autres qu'il est inutile de citer.

Voilà donc un principe général, mais quelle est l'application de ce principe ? C'est que lorsque l'un des inculpés est justiciable d'un tribunal d'exception et qu'il est prévenu d'un délit de complicité avec un inculpé justiciable du droit commun, c'est le dernier qui entraîne le premier devant les tribunaux de droit commun, parce que jamais un particulier justiciable de ces derniers tribunaux ne peut être soumis à une juridiction spéciale, parce que jamais, par exemple, un individu non militaire ne pourrait être soumis à un tribunal militaire.

En cas de délit commis de complicité entre un bourgeois et un militaire, c'est le bourgeois qui entraîne celui-ci devant les tribunaux correctionnels ou la cour d'assises. Cela se comprend, et Napoléon lui-même ne voulait pas, ce que l'on a fait depuis probablement parce que nous sommes plus militaires que lui, Napoléon lui-même ne voulait pas qu'un militaire, qui avait commis un délit commun, fût traduit devant les tribunaux militaires. Nous sommes citoyens, disait Napoléon, avant d'être militaires et lorsqu'un militaire commet un délit de droit commun, il a le droit de réclamer la juridiction ordinaire. Ce principe est vrai. Nous sommes citoyens avant d'avoir telle ou telle qualité accessoire à la qualité des citoyens ou restrictive de ses droits.

Les personnes soumises aux tribunaux spéciaux n'ont pas à se plaindre lorsque par suite de la connexité, elles sont traduites devant un tribunal de droit commun. Le tribunal de droit commua est jugé offrir plus de garanties que les tribunaux d'exception.

Si, pour un motif de connexité ou de complicité, on veut soustraire un citoyen à un juge de droit commun pour le traduire devant un tribunal d'exception, la question est-elle la même ? Evidemment non. Le citoyen a toujours le droit de dire : Je ne suis pas militaire, je ne serai pas jugé devant un tribunal militaire ; je ne suis pas ministre, je ne serai pas jugé par un tribunal d'exception désigné pour juger les ministres.

M. Delcour disait avec beaucoup de raison : Pour les ministres, et lorsqu'il s'agit de délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, le tribunal de droit commun, c'est la cour de cassation.

Mais pour les délits commis par les ministres en dehors de l'exercice de leurs fonctions, le droit commun sera la cour de cassation. Si nous le décidons ainsi, je le veux bien. Mais pour les particuliers, la cour de cassation n'est pas un tribunal de droit commun, ce sera toujours un tribunal d'exception, et si l'on voulait attribuer à la Cour de cassation le jugement des délits commis par des particuliers, ce serait le tribunal spécial qui l'emporterait sur la juridiction ordinaire. C'est ce qui ne peut pas arriver.

La cour de cassation elle-même a eu à se prononcer sur un fait semblable bien qu'il s'agît de matière commerciale. La question en droit pur était celle-ci : Par suite de la connexité un justiciable peut-il être distrait de son juge naturel pour être traduit devant un tribunal incompétent à raison de la matière ?

Lorsque le tribunal n'est incompétent qu'à raison de la personne seulement, comme par exemple lorsqu'il s'agit du tribunal d'un autre arrondissement, il n'y a pas grand inconvénient à ce que la connexité entraîne quelquefois un justiciable devant un juge qui n'est pas celui du lieu.

Mais lorsque le tribunal est incompétent à raison de la matière, la connexité peut-elle avoir cette force de soumettre un justiciable à un (page 990) tribunal dont il ne relève pas ? La cour de cassation s’est prononcée pour la négative, et voici comment son arrêt est résumé dans le bulletin de ses décisions :

« L'attribution d'une juridiction, à raison de la connexité, n'existe qu'en cas où le juge est compétent à raison de la matière pour prononcer sur toutes les actions portées devant lui. »

Donc, lorsque le juge est incompétent à raison de la matière, quel que soit ce rapport qu'il peut y avoir entre les différentes parties d'un procès, entre les différents faits sur lesquels roule un procès, il ne peut jamais y avoir attribution de juridiction à un autre. Je cite cet exemple pour répondre à ce qui a été dit que le principe de l'attribution d'une juridiction à raison de la connexité et de la complicité était un principe fondamental dont on ne pouvait s'écarter en aucune circonstance. C'est une erreur ! C'est un principe de droit qui existe depuis longtemps, qui trouve sa source dans la loi romaine, je dirai même qu'il trouve sa source dans la nature des choses ; mais il n'est en définitive formulé dans aucune de nos lois.

Je ne connais que l'article 220 du code d'instruction criminelle lequel prescrit à la chambre des mises en accusation de connaître à la fois de tous les délits connexes, mais de tous les délits connexes dont les pièces lui sont soumises. En dehors de cela, vous avez la disposition qui attribue à une juridiction générale des faits d'une juridiction spéciale, à propos de la complicité ; vous n'avez pas de prescription générale et absolue.

Et cette disposition serait inutile parce que, comme je viens de le dire, elle résulte de la nature des choses. C'est donc au juge, d'après les circonstances, à décider quels sont les principes qui doivent être appliqués.

Mais, messieurs, ce principe, quelque important qu'il soit, n'est jamais qu'un principe de procédure ; il s'agit de faciliter la procédure, de la rendre la meilleure possible, de n'avoir pas de contrariété de jugement quand on peut l'éviter ; car il est bien des circonstances où, malgré la complicité et la connexité, il faut bien qu'il y ait différents juges pour juger les différents complices, lorsque par exemple ils ne sont arrêtés que successivement ; la force des choses est là, dans ce cas, qui s'oppose à ce qu'ils soient jugés on même temps.

Eh bien, dans le cas qui nous occupe, étant posée la question de savoir si un ministre peut entraîner ses complices devant la cour de cassation ; si le ministre complice, alors qu'un simple particulier est auteur principal, doit entraîner l'auteur principal devant la cour de cassation et si, dans ce cas, l'accessoire doit prévaloir sur le principal, cette question est résolue par la Constitution ; car là, à cause de la connexité, pour appliquer les principes généraux du droit, on violerait un principe beaucoup plus important que tous les principes de droit possibles ; c'est une disposition constitutionnelle.

L'article 8 de la Constitution porte : « Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge qui lui est assigné. » Et l'article 98 : « Le jury est établi en toute matière criminelle et pour les délits politiques et de presse. » Eh bien, messieurs, en présence d'une disposition aussi formelle que celle-là, il est impossible qu'en matière criminelle, en matière politique et de presse un citoyen soit distrait de la juridiction du jury.

Je n'examine pas si la cour de cassation est une juridiction de formes ; je n'examine pas si ceux qui la considèrent comme une faveur pour les ministres ou ceux qui la considèrent au contraire comme une juridiction de rigueur contre les ministres, ont raison ; peu m'importe ; ce que je sais, c'est que le législateur constituant a considéré le jury comme une garantie et c'est comme une garantie qu'il a été institué en 1830. C'a été une disposition hostile au système hollandais, d'après lequel les crimes étaient jugés par les cours d'assises composées de magistrats.

Le jury a été considéré comme une garantie, parce que le jury ne statue pas en droit ; le jury est composé de douze hommes choisis au hasard dans la société, tirés au sort et venant exprimer à la cour d'assises le sentiment public. Le jury statue d'après sa conscience ; il est la conscience de la société.

Voilà la juridiction à laquelle le législateur constituant a décidé que seraient déférés les matières criminelles, les délits politiques et les délits de presse.

Et l'on irait, par le motif que des particuliers qui ont commis un délit de presse sont complices d'un ministre, on irait attribuer la connaissance d'un délit de presse à la cour de cassation ! C'est la violation directe de l'article 98. La disposition est générale, absolue, et elle ne comporte aucune exception.

Mais, dira-t-on, le particulier n'a qu'à s'imputer de s'être associé à un ministre ; il devait savoir que la loi l'exposait à être jugé par la cour de cassation ; il n'a qu'à s'imputer à lui-même les conséquences de son fait.

Messieurs, lorsqu'un particulier s'associe à un ministre pour commettre un délit, y a-t-il lieu pour cela de le renvoyer devant une juridiction spéciale ?

Vous avez bien le droit de dire à un particulier : « Vous avez commis un délit, vous en êtes responsable. »

Sans doute, lorsqu'un homme a commis un crime ou un délit, il est mille fois dans son tort ; mais il a un droit, celui d'être jugé par les juges que la Constitution désigne.

Peu importe donc que le particulier, que l'accusé, que l'inculpé se soit mis dans son tort, ce qu'il y a de certain, c'est que la disposition de l'article 98 de la Constitution est générale, absolue.

Messieurs, il ne s'agit pas seulement ici d'une incompétence à raison de la matière, ce qui serait déjà suffisant pour faire céder le principe de la connexité, de la complicité ; non seulement la cour de cassation est incompétente à raison de la matière, pour juger les crimes d'un particulier, les délits politiques et les délits de presse, mais nous nous trouvons encore devant une prescription absolue de la Constitution. Il n'y a pas de loi, selon moi, qui puisse prévaloir contre une pareille disposition ; mais je me demande quelle sera la position du juge qui se trouve à la fois en présence d'une disposition de la Constitution qui lui défend de juger un particulier dans telles ou telles circonstances, ou en présence d'une loi postérieure, à la vérité, qui lui dit le contraire.

Mais une loi ne peut pas abroger la Constitution ; on ne peut donc appliquer ici le principe général qu'une loi postérieure abroge une loi antérieure. S il en est ainsi, et si le texte de l'article 98 de la Constitution dispose d'une manière absolue que le jury est établi en toutes matières criminelles et pour délits politiques et de la presse, comment pourrait-on déférer la connaissance de ces matières et de ces délits à la cour de cassation ?

Je termine ici ce que j'avais à dire sur mon premier amendement.

Le second amendement est bien simple. Lorsqu'un ministre sera poursuivi devant la cour de cassation, l'action civile sera poursuivie accessoirement devant la même cour ; lorsque au contraire il ne sera pas poursuivi, on pourra intenter séparément l'action civile, conformément à l'article 3 du code d'instruction criminelle. Vous connaissez les prescriptions de cet article ; il donne le choix aux particuliers. (L'orateur donne lecture de cet article.)

Ce qu'on a dit de la contrariété possible dans les jugements existe dans le droit commun ; les inconvénients sont les mêmes. Sans doute, il serait très regrettable de voir une contrariété de décision entre le tribunal de première instance, la cour d'assises et la cour de cassation. Cela peut se présenter ; on laisse alors à la prudence des juges de statuer sur ces questions. Nous ne devons donc pas nous arrêter devant ces craintes.

S'il s'agissait d'un délit commis par un ministre dans l'exercice de ses fonctions, la question est beaucoup plus grave, et je comprends alors qu'on s'en occupe.

On a produit un argument qui mérite réflexion ; on a dit qu'un ministre va être assigné, à chaque instant, par le premier venu, en réparation d'un délit commis prétendument par lui dans l'exercice de ses fonctions. Il y a là, je le répète, matière à réflexion ; je ne me prononce pas sur ce point. Je me borne à faire remarquer qu'il ne s'agit pour le moment que de délits commis par un ministre en dehors de l'exercice de ses fonctions.

Messieurs, lorsqu'il s'agit d'un délit du droit commun, un ministre sera-t-il assigné à tout moment ? Pourquoi un ministre plutôt que d'autres citoyens ? Les ministres peuvent sans doute avoir des ennemis ; mais ils ne sont pas les seuls ; de simples citoyens peuvent avoir plus d'ennemis que les ministres. Mais pense-t-on qu'on aille intenter des procès à un ministre à tort et à travers ? Cela coûte très cher ; quand on perd son procès, on est condamné aux dépens. On ne va donc pas intenter de procès sans aucune espèce de motifs.

Il n’y a donc pas de raison pour nous écarter du droit commun.

Messieurs, le citoyen a un droit plus important que celui d'intenter un procès à un ministre comme simple particulier, c'est d'intenter un procès à un ministre en sa qualité de ministre. Tout le monde peut assigner le ministre des travaux publics, et l'on ne s'en fait pas faute, pour des faits qu'on prétend dommageables. Lorsque mon champ est inondé j'assigne le ministre des travaux publics, en réparation du dommage causé.

Voilà une action plus importante que celle qui résulte de faits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions. Messieurs, dans d'autres pays, on s'est aussi effrayé de cette (page 991) possibilité ; on y a voulu une juridiction spéciale ; on a craint qu'il n'y eût une foule de procès intentés injustement, si on pouvait assigner les ministres sans l'autorisation du conseil d'Etat.

En Belgique où depuis 1830 une pareille autorisation n'est pas requise, a-t-on vu depuis cette époque plus de légèreté et plus d'âpreté dans les procès intentés aux membres du gouvernement par des particuliers ? Nullement ; la difficulté dont on parle ne doit donc pas nous préoccuper, nous n'avons aucune crainte à avoir.

- Les amendements sont appuyés. Ils feront partie de la discussion.

M. Lelièvre. - En ce qui me concerne, je voterai la proposition de l'honorable M. Orts qui demande le renvoi de l'affaire devant la cour de cassation. D'abord par l'adoption de cette proposition la Chambre satisfait à ce qu'on peut raisonnablement exiger. Elle prouvera qu'elle n'entend couvrir qui que ce soit du privilège de l'impunité et qu'elle entend laisser libre le cours de la justice. Sa dignité sera ainsi sauvegardée.

Que fera la cour de cassation ? Si elle se déclare compétente, elle restera saisie de l'affaire et prononcera. Alors la justice sera satisfaite.

Si elle se déclare incompétente, en ce cas au moins dans les motifs de son arrêt, elle indiquera le juge qui, dans son opinion, est compétent pour statuer. Ce juge sera ensuite saisi de la cause et encore, dans cette hypothèse, la justice aura son cours.

Ainsi, à mon avis, le renvoi à la cour de cassation aura nécessairement pour résultat de conduire à fin l'affaire dont nous nous occupons.

La décision qui interviendra aura aussi une conséquence conforme aux règles de la justice. Par suite de la décision de la cour de cassation, la cause sera décidée par le juge qui sera reconnu être le juge compétent au moment où le délit a été commis.

Nous aurons l'avantage de ne pas avoir fait une loi ayant effet rétroactif. C'est toujours une chose extrêmement grave de faire une loi concernant des faits accomplis antérieurement. N'est-il pas plus raisonnable de chercher à éviter cet écueil ? La proposition me semble un moyen propre à atteindre ce but. D'abord elle sauvegarde la dignité de la Chambre, à laquelle on ne pourra adresser le moindre reproche de vouloir amnistier un délit quelconque ; en second lieu, on appelle la justice elle-même à reconnaître quel est le tribunal compétent pour statuer.

Ce sont ces considérations qui m'engagent à voter la proposition de M. Orts.

MjTµ. - Messieurs, je dois combattre la motion de l'honorable M. Orts, et je pense qu'il faut vider l'incident avant d'aborder les questions de fond qui ont été soulevées pendant ces derniers jours.

Je combats la motion de l'honorable M. Orts, parce que l'adoption de cette motion imprimerait, me semble-t-il, aux discussions de la Chambre un caractère peu sérieux.

En effet, reportons-nous au début de la discussion sur le fait du 8 avril. Lorsque, pour la première fois, la Chambre a eu à s'en occuper, une très grande divergence d'opinion s'est manifestée parmi nous. Tandis que les uns se demandaient quelle était la juridiction compétente pour connaître de ce fait, d'autres s'étonnaient qu'il n'eût pas déjà été déféré aux tribunaux. Les uns ont soutenu que la cour de cassation était compétente ; les autres ont prétendu que c'étaient les tribunaux ordinaires qui devaient être saisis.

Il y a une troisième opinion, qui est adoptée, ainsi que je l'ai dit alors, par des jurisconsultes très sérieux et des hommes très impartiaux. D'après cette opinion, dans l'état actuel de la législation, et avant que le pouvoir législatif ait fait la loi que prévoit l'article 90 de la Constitution, le pouvoir judiciaire, à aucun degré, ne peut connaître du fait du 8 avril : il faut une loi organique pour qu'un ministre puisse être poursuivi pour un fait de ce genre et tant que cette loi organique n'existe pas, la Chambre ne peut saisir aucun tribunal de la connaissance de ce fait.

M. Dumortier. - Et l'article 134 de la Constitution ?

MjTµ. - Veuillez me permettre. Dans cette opinion, l'article 134 a été fait exclusivement pour les délits politiques. (Interruption.)

Mais permettez ; je ne dis pas que cette opinion soit incontestable ; j'ai dit, au contraire, que je suis d'avis que les ministres pouvaient et devaient être renvoyés devant la cour de cassation. Mais je ne puis pas empêcher que d'autres personnes, très versées dans la matière, ne soutiennent une opinion contraire à la mienne.

Les partisans de cette opinion disent que l’article 134 n'a été fait que pour les délits politiques exclusivement, et ils donnent pour preuve que cet article n'était que le corollaire du premier paragraphe de l’article 90, qu’il a été rédigé en même temps que le premier paragraphe de l’article 90. Or, on a ajouté à l'article 90 : « Sauf ce qui sera statué par la loi quant à l'exercice de l'action civile et aux crimes et délits, que des ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions », et l'on n'a pas modifié le moins du monde l'article 134.

D'où l'on conclut que dans la pensée du Congrès il n'y a pas eu extension de cet article aux réserves de l'article 90, et que la disposition qu'il contient ne s'applique qu'au premier paragraphe de l'article 90.

Comprenez-vous maintenant ? Vous voyez qu’il y a un doute sérieux et très sérieux.

M. Dumortier. - Cela n'est pas soutenable.

M. Delaetµ. - Dans ce système c'est l'impunité ou le droit commun.

MjTµ. - Je demande à l'honorable M. Dumortier, qui n’est pas jurisconsulte, de ne pas trancher aussi facilement des questions difficiles, de ne pas dire que cela n'est pas soutenable, quand des hommes qui ont consacré leur vie à l'étude des lois trouvent que cela est très soutenable et se sont formé à cet égard une conviction profonde et raisonnée.

Il ne suffit pas de dire : Cela n'est pas soutenable ; si la question était soumis la à la cour de cassation (ce qui, j'espère, n'arrivera pas), je ne sais pas dans quel sens la question serait résolue.

M. de Naeyer. - Probablement dans le sens que vous avez indiqué en dernier lieu.

MjTµ. - Vous l'entendez, M. Dumortier, et c'est un de vos amis qui le proclame.

M. de Naeyer. - C'est mon opinion.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

MjTµ. - Je répète que ce n'est pas mon opinion. Je crois que ceux qui ont voté l'article 134 lui ont nécessairement, dans leur pensée, donné l'extension qui était rendue nécessaire par les additions faites à l'article 90. Mais j'admets parfaitement une opinion contraire et je dis qu'il ne faut pas trancher ces questions avec cette facilité qu'on y met aujourd'hui.

Je disais donc, messieurs, que lorsqu'une première fois nous nous sommes occupés du fait du 8 avril, trois opinions se sont trouvées en présence, opinions très respectables, opinions parfaitement soutenables. Sous l'empire de quel sentiment la Chambre a-t-elle alors nommé une commission et a-t-elle renvoyé à son examen toutes les questions qui se rattachent à cet incident ? La Chambre s'est déterminée par ce motif qu'il fallait éviter un conflit entre deux grands pouvoirs de l'Etat, entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

Si tel n'avait pas été le motif, si une décision avait été chose aussi simple, aussi indifférente qu'on semble le croire aujourd'hui, mais immédiatement, afin que la justice pût suivre son cours ordinaire, la Chambre eût pris la résolution que l'honorable M. Orts propose de prendre aujourd'hui.

M. Orts. - Je demande la parole.

MjTµ. - Mais ce qu'on a voulu, c'était éviter un conflit et l'on comprenait parfaitement alors la gravité de la situation qui serait créée par une divergence d'opinion entre la Chambre et le pouvoir judiciaire. Messieurs, ces questions sont-elles complètement élucidées ? La situation a-t-elle changé sous ce rapport ? Nullement ; la commission les a examinées et qu'est-il résulté de ses délibérations ? La commission a fait connaître son opinion, mais elle a compris parfaitement qu'une opinion différente pouvait être admise, et c'est parce qu'elle s'est rendu compte de la gravité des questions à résoudre, et de la possibilité d'une solution différente par deux grands pouvoirs de l'Etat, qu'elle a dit : Mieux vaut dès maintenant résoudre les difficultés que soulève l'article 90 de la Constitution et régler par la loi l'action contre les ministres pour les délits commis en dehors de l'exercice de leurs fonctions.

Elle a donc présentê un projet de loi. Ce projet nous le discutons depuis huit jours, et l'on vient nous replacer tout d'un coup au point de départ, on vient nous dire : Vous avez craint un conflit ; il est inutile de s'en préoccuper. Vous avez rédigé un projet de loi, mettons-le de côté. Nous discutons depuis huit jours, la chose était inutile. Vous aurez perdu votre temps ; cela est parfaitement indifférent.

Et quel motif nous donne-t-on de revenir ainsi sur nos pas ?

Le projet de loi que vous présentez, nous dit-on, soulève des questions sérieuses. Je vois, quant à moi, beaucoup de questions à résoudre. Mais je n'en vois aucune qui soit aussi sérieuse, que celle qui est comprise dans la proposition qu'on vous fait.

(page 992) Il n'en est pas une seule qui soit, à beaucoup près, aussi grave que celle que soulève la proposition de l'honorable M. Orts.

La première question qui se présente, c'est la question de la juridiction. Mais nous sommes à peu près tous d'accord ; je crois que la grande majorité de la Chambre est d'avis de renvoyer devant la cour de cassation. Dans tous les cas, cette question n'est pas une question aussi importante que celle que fait naître la proposition de l'honorable M. Orts.

La deuxième question, c'est celle de la procédure à organiser pour l'exercice de l'action civile. D'abord, messieurs, cette question ne se présente pas dars le cas actuel, et il est très probable qu'elle ne se présentera pas d'ici à trois ans, délai endéans lequel la lui doit être révisée.

Ainsi, pour n'avoir pas à prendre à cet égard une décision qui, selon toute probabilité, n'aura aucun inconvénient, et que l'on pourrait, du reste, discuter en une seule séance, on veut bien courir le danger de soulever un conflit entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif. Mais cela est-il sérieux ? Je le demande, n'y a-t-il pas dix fois plus de raisons de vider une simple question de procédure que de courir des dangers comme ceux auxquels nous aboutissons ?

L'honorable M. Orts qui aujourd'hui semble traiter avec assez d'indifférence cette question de conflit, ne l'a pas envisagée de la même manière lorsqu'elle s'est présentée la première fois devant la Chambre.

Que disait a cette époque l'honorable M. Orts ?

« La cour de cassation est juge de sa compétence et peut se déclarer incompétente ? Admettons-le. Qu'arrivera-t-il ? Un conflit entre la Chambre et le pouvoir judiciaire dans son expression la plus élevée.

« Si cette éventualité fatale surgissait, resterait pour la Chambre à se recueillir et à voir ce qu'il y aurait à faire pour concilier le maintien de l'ordre avec le respect de la Constitution. Mais je ne puis admettre qu'un décret d'accusation émanant de la Chambre n'ait que la valeur d'un simple avis. »

Ainsi c'était « une chose fatale » qu'un conflit semblable. « La Chambre aurait à se recueillir, elle aurait à rechercher les moyens de faire respecter à la fois l'ordre et sa dignité », et aujourd'hui la possibilité d'un conflit est considérée comme une chose peu importante. On trouve qu'il vaut mieux s'y exposer que d'aborder les difficultés d'une question de procédure ! Evidemment, messieurs, vous ne sauriez admettre un semblable système.

La question de juridiction n'est pas la seule qui soit engagée dans la proposition de l'honorable M. Orts : il y a encore la question de savoir si lorsque vous avez mis en accusation, une cour peut examiner sa compétence, et cette question, qui est des plus grave, on veut bien la vider ; mais quant à la question de procédure on veut vous faire déclarer que la Chambre est impuissante pour faire une loi ! je le répète, cela n'est pas sérieux, cela ne saurait être admis par la Chambre.

La résolution que l'on vous engage à prendre pourrait avoir pour conséquence de perpétuer cette impunité que l'on prétend vouloir faire cesser.

Supposez le conflit entre la Chambre et la cour de cassation : qu'adviendra-t-il ? Est-ce que la Chambre reviendra sur tout ce qu'elle a fait ? Le conflit aura pour résultat l'impunité et l’on se demandera si vous n'avez pas renoncé à faire votre loi précisément pour aboutir à ce résultat ? On dira : Vous aviez un moyen bien simple de résoudre la difficulté, vous aviez discuté toute une semaine, vous étiez à la veille de terminer vos débats et de donner au pays cette loi qui évitait toute difficulté ultérieure, vous saviez qu'un conflit était possible. Pourquoi vous êtes-vous arrêté ? En ajournant le vote de la loi, vous avez assuré l'impunité.

Voilà, messieurs, ce qui peut résulter de la proposition de l'honorable M. Orts.

L'honorable M. Lelièvre appuie la proposition de M. Orts par une raison que je ne puis admettre. M. Lelièvre dit : La cour de cassation, si elle se déclare incompétente, nous dira quel est le juge compétent. Cela n'est pas certain. La cour de cassation, lorsqu'elle est saisie de la décision d'une cour ou d'un tribunal, déclare quel est le juge qui aura à s'occuper de nouveau de l'affaire, mais si la cour de cassation est saisie directement, elle peut se déclarer incompétente sans indiquer une autre juridiction. Et si la cour de cassation déclare que, dans le cas actuel, aucune procédure ne peut être introduite avant qu'une loi n'ait été faite, avant que la loi organique prévue par l'article 90 n'ait été promulguée... (Interruption.)

Messieurs, je ne puis pourtant pas répéter toujours la même chose ; j'ai dit tantôt à la Chambre de quelle manière l'article 134 pouvait être interprété ; je n'ai donc pas à répondre à l'interruption de l'honorable M. Dumortier. Je continue.

Si la cour de cassation dit : Il faut avant tout que la loi organique prévue par l'article 90 ait été promulguée, elle ne pourrait pas indiquer une juridiction, puisque ce serait au législateur que la Constitution aurait réservé le droit d'indiquer la juridiction compétente.

L'argument de M. Lelièvre n'est donc pas admissible. La cour de cassation n'éclairera pas le moins du monde, les délibérations de la Chambre ; elle pourra se déclarer incompétente sans indiquer de tribunal et elle pourra encore, sans se déclarer incompétente, dire que dans l'état actuel de la législation elle ne peut pas être saisie.

Mais supposons que la majorité de la Chambre soit convaincue que dans l'état actuel de la législation (et je le répète pour la troisième fois, c'est mon opinion), que dans l'état actuel de la législation, c'est à la cour de cassation à juger, et que la cour de cassation, contrairement à l'opinion de la majorité de la Chambre, déclare que ce sont les tribunaux qui doivent juger ; dans cette hypothèse, reviendrons-nous sur notre décision ? Décréterons-nous une nouvelle accusation et renverrons-nous devant les tribunaux correctionnels ? Voilà le conflit.

L'honorable M. Lelièvre dit qu'alors il reviendra de son opinion, j'en doute ; en tout cas il examinera ce qu'il doit faire ; mais, quant à moi, convaincu que c'est à la cour de cassation de juger, je maintiendrai mon opinion et je ne renverrai pas devant les tribunaux correctionnels.

Et si la Chambre maintient sa décision, vous aboutissez à l'impunité dont vous ne voulez pas.

Voilà la voie dans laquelle on veut vous engager.

M. De Fré. - Messieurs, je ne compte pas faire un discours ; mais pour abréger cette discussion, je propose de mettre dans la loi, au lieu des mots : « sera révisée dans les trois ans, » ceux-ci : « sera révisée dans l'année. »

Messieurs, à mesure que la discussion avance, vous voyez surgir de nouveaux amendements.

Si la discussion continue et elle peut continuer pendant dix jours, vous verrez chaque jour de nouvelles propositions se produire, parce que la matière est excessivement délicate, excessivement compliquée.

Quand on consulte les annales parlementaires françaises, on reste convaincu de la difficulté de résoudre toutes les questions qui se rattachent à la responsabilité ministérielle- Les chambres françaises se sont souvent occupées de cet objet et jamais un projet de loi n'a été voté. Craignons aussi de ne pas aboutir en discutant trop de questions. Je crois qu'en procédant comme nous l'avons fait jusqu'à présent, on s'écarte du but de la loi.

Qu'est-ce que c'est que cette loi ?

Ce n'est qu'un moyen par lequel la Chambre arme la justice, c'est une loi transitoire, une loi d'expédient, une loi pour un cas prévu. M. le procureur général a écrit à M. le ministre de la justice que dans son opinion, en l'absence de toute loi organique, le parquet est désarmé.

Qu'a voulu la Chambre ?

La Chambre a voulu armer le parquet afin que dans un pays d'égalité on ne pût pas dire qu'il y a des privilégiés, et que les membres de la Chambre qui font la loi, ont le droit de la violer !

Voilà l'enseignement que nous avons voulu donner au pays en nommant la commission et la commission s'inspirant de cette pensée a écarté toutes les autres question de responsabilité, ministérielle, politiques et juridiques et n'a fait qu'une loi à l'effet d'atteindre le but que nous voulons atteindre, à l'effet d'armer dans l'espèce actuelle la justice pour faire cesser cette impunité.

Maintenant en discutant ainsi toutes sortes de questions dont la solution est indifférente au cas dont il s'agit et au but que nous voulons atteindre par le projet de loi, nous prolongeons l'impunité, et le pays pourrait nous accuser de vouloir empêcher la poursuite.

La proposition de l'honorable M. Orts est née de l'impatience que la Chambre a éprouvée par la longueur de ses débats, et l'honorable membre a dit : Ce spectacle n'est pas édifiant pour le pays, je vais le finir. Et il a fait sa motion.

Oui, le pays veut que nous agissions, et nous discutons. Le pays s'est demandé : Y a-t-il en Belgique des hommes qui jouiront de l'impunité ? Y a-t-il en Belgique des privilégiés ? A cette question que le pays vous fait il faut répondre par le vote immédiat de la loi.

En réservant toutes les questions importantes qui ont été soulevées pour un projet de loi définitif, je crois que nous atteindrons le but que nous voulons atteindre et que le pays sera satisfait. Si nous ne votons pas la proposition de l'honorable M. Orts, dont je reconnais les inconvénients, votons la loi ; car ce que l'honorable ministre de la justice a dit est très exact ; il est certain que la loi ne servira qu'au cas dont il (page 993) s’agît, et enfin qu'il ne puisse pas en être autrement, disons qu'elle ne sera obligatoire que pour un en.

Dans un an nous ferons une loi complète et générale et nous résoudrons alors les questions soulevées par les différents amendements.

Aujourd'hui la seule question à examiner, c'est de savoir si le projet atteint le but que la commission veut atteindre. Evidemment, oui, car vous avez dans la loi la juridiction qui doit juger, et la procédure dont la Constitution a exigé l'organisation. Il y a d'un autre côté une loi qui fixe la peine. Vous avez donc tout.

J'ai l'honneur da proposer à la Chambre pour arriver à un résultat pratique immédiat, de remplacer à l'article10 les mots « trois ans », par ceux « un an ».

Votons donc la loi telle qu'elle est, puisqu'elle atteint le but proposé.

M. Orts. - Messieurs, je désire répondre quelques mots aux observations de l'honorable ministre de la justice et dire à la Chambre pourquoi, malgré la critique de ma proposition/je crois devoir la maintenir et demander un vote.

L'honorable ministre de la justice a débuté en disant que ma proposition est peu ou point sérieuse.

MjTµ. - Du tout. J'ai dit qu'elle imprimait aux débats de la Chambre un caractère peu sérieux.

M. Orts. - .... Qu'elle imprime aux débats de la Chambre un carrière peu sérieux. Je tiens à vous prouver que ma proposition a quelque chose de très sérieux.

M. Coomans. - De trop sérieux.

M. Orts. - Mettons « trop » si cela vous convient, mais permettez-moi en attendant de dire ce qu'elle a de très sérieux ; je désire que de mes paroles et de ma proposition il ressorte cette chose également très sérieuse, c'est que le duel du 8 avril soit poursuivi le plus vite et le plus rapidement possible.

Je crois que le seul moyen de faire cette chose sérieuse, chose que le pays attend, c'est d'adopter la proposition que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre.

L'honorable M. Coomans d'une part et l'honorable ministre de la justice de l'autre, ont voulu rendre ma proposition suspecte à une sorte d'amour-propre qui devrait exister au sein de la Chambre.

On nous dit : Voyez ce que vous allez faire. Vous avez nommé une commission. Cette commission a fait son travai1, ce travail, vous l'avez discuté pendant plusieurs jours, et vous viendriez aujourd'hui dire qu'un moyen qui existait lorsqu'on a parlé pour la première fois au sein de cette Chambre, est le seul moyen de sortir de la difficulté.

Messieurs, je ne crois pas, alors même que la chose serait telle que l'honorable M. Coomans et l'honorable ministre de la justice l'ont présentée, que la Chambre, par un mesquin et puéril amour-propre, devrait reculer devant la nécessité de donner à la question délicate qui nous occupe une bonne et utile solution.

Nous mettons les grands intérêts qui nous sont confiés au-dessus de toute espèce de préoccupation d'amour-propre et l'argument, sous ce rapport, nous touchera très peu, j'en suis sûr. Nous n'avons, en réalité, aucune espèce d'amour-propre engagé dans cette question. C'est précisément parce que nous avons nommé une commission, c'est parce que cette commission a travaillé, c'est parce qu'elle nous a apporté un rapport qui est, à mon avis, une œuvre très remarquable, très complète, que je me crois autorisé à lui proposer aujourd'hui devant une question parfaitement élucidée, une solution qui aurait pu, peut-être, à une autre époque, lorsque la Chambre n'était pas préparée, l'effrayer sur son principe et sur ses conséquences.

En effet, messieurs, la commission a été saisie de toutes les difficultés de la matière par le moyen que la Chambre lui a donné. Elle est venue nous proposer l'adoption d'un principe sur lequel les six hommes éminents qui la composaient s'étaient mis d'accord ; à savoir le droit pour la Chambre d'accuser un ministre pour les délits et crimes commis hors de leurs fonctions et pour la cour de cassation celui de les juger.

Ce principe est le point de départ de tout le projet.

Le rapport dans ses conclusions soulève des difficultés à d'autres points de vue et c'est là que les conclusions sont le plus énergiquement combattues. Que faire ? Je m'empare de ce point fondamental sur lequel la commission est d'accord avec ce que je crois pouvoir appeler la majorité de cette Chambre : la compétence de la cour de cassation et le droit d'accusation entre les mains de la Chambre, et je dis : Prenons le point fondamental aujourd'hui éclairci et sur lequel nous sommes presque tous d'accord et faisons-en la base de notre solution pour sortir de l'inconvénient actuel.

Nous n'avons pas ainsi à nous occuper des complications entre la juridiction du jury et celle de la cour de cassation ; nous n'avons pas à désigner un juge qui connaîtra d'un crime ; nous n'avons pas à nous préoccuper de ces difficultés qui résultent de l'exercice de l'action civile parce que, dans le cas actuel, il n'y a pas d'action civile possible. (Interruption.)

Il n'y en aura pas, et c'est la conviction de tous les membres de cette Chambre. Nous n'avons pas à nous occuper des questions excessivement graves soulevées par M. Vleminckx, et qui, à peine effleurées, ont déjà soulevé des protestations en sens divers.

La question de l'arrestation d'un ministre en cas de flagrant délit est une question immense.

M. Coomans. - Oh !

M. Orts. - Oui, une question immense, en ce sens qu'elle divise profondément les plus grands criminalistes et qu'elle a été résolue contre l'opinion que vous soutenez, par la chambre des pairs dans l'affaire du duc de Prasinn à la suite du rapport de M. de Portalis, chef de la cour de cassation de France.

Il a été décidé qu'en cas de flagrant délit il n'y a de privilège pour personne.

- Une voix. - C'est cela.

M. Orts. - C'est mon opinion-

M. Coomans. - C'est le droit belge depuis cinq siècles.

M. Orts. - Oui, mais ce droit a été contesté et par d'excellentes raisons.

M. Coomans. - Il n'y a pas d'excellentes raisons contre la vérité.

M. Orts. - Je suis jurisconsulte, M. Coomans ; je connais les difficultés des questions de droit et je ne fais pas bon marché des opinions d'hommes comme M. Delcour.

M. Delcour vous a dit hier, avec une profonde conviction, qu'il ne voterait jamais une loi qui donnerait, en cas de flagrant délit d'un ministre, le droit d'arrestation au premier officier de police venu.

Le flagrant délit d'un ministre étant mis sur la même ligne que le flaigrant délit d'un particulier, je vais plus loin et je dis que dans ce cas il y a le droit d'arrestation pour le premier venu.

Ai-je besoin d'insister pour vous montrer combien ces questions sont difficiles, ai-je besoin de vous rappeler que ma proposition a cet excellent effet de les écarter ?

Si ma proposition est adoptée, nous n'avons pas à discuter la question de l'arrestation d'un ministre, nous n'avons besoin de toucher aux scrupules de personne.

Mais, dit-on, et ici on fait encore une fois appel à ce mauvais sentiment, l'amour-propre froissé ; mais, dit-on, votre proposition c'est un aveu d'impuissance, c'est l'aveu que la Chambre est incapable de faire la loi dont elle s'occupe. Cela serait vrai si je n'avais pas pris besoin de dire et si je ne prenais pas celui de répéter que mon intention n'a jamais été d'empêcher la Chambre de continuer l'œuvre qu'elle a entreprise.

Ce que je veux, c'est permettre à la Chambre de reprendre cette œuvre avec toute la maturité d’esprit qu'elle exige, de la reprendre en l'absence de toute préoccupation de personne, de faire de la théorie pure et de la faire à tête reposée, et alors que l'impatience de l'opinion publique ne nous forcera pas à arriver immédiatement à une solution. En terminant je dirai sous ce rapport qu'au lieu de demander que la Chambre passe à l'ordre du jour, je demanderai que la Chambre ajourne la discussion de la loi à la prochaine session, attendu qu'il serait inutile de l'ajourner à cette session.

Ma proposition n'est donc pas un aveu d'impuissance. Je reconnais que la Chambre peut faire une loi ; je reconnais plus, je reconnais qu'elle doit faire une loi et je ne serais pas même éloigné de reconnaître qu'il serait désirable et utile qu'elle s'occupât d'une loi sur la responsabilité ministérielle. Ce sera une bonne occasion d'aborder cette tâche, d'en mesurer l'étendue et les difficultés. Au bout de ma proposition, qu'y a-t-il ? dit M. le ministre de la justice.

II y a ce que M. Lelièvre vous a démontré être un fantôme, une chimère ; c'est l'inconvénient énorme d'une différence d'opinion entre la cour de cassation et la Chambre sur une question de compétence que nous préjugeons par notre mise en accusation. M. Lelièvre nous disait : Mais en admettant que la cour de cassation ait sur un point de droit une autre opinion que la Chambre, la cour de cassation nous éclairera ; elle nous dira par son arrêt pourquoi elle n'est pas compétente et en nous le disant elle nous laissera aisément préjuger qui dans son opinion est compétent. (Interruption.)

Mon Dieu ! que cela ne vous effraye pas ; vous êtes coutumiers du fait. Lorsque la cour de cassation vous a résisté dans l'interprétation de l'article 84 (page 994) de la loi communale, vous avez fail une loi interprétative pour combler la lacune que la cour de cassation vous avait signalée.

Au bout de ma proposition il y a donc cet immense danger d'un conflit avec la cour de cassation. Mais, messieurs, le danger est-il bien sérieux ? Il pouvait vous effrayer lorsque la question n'avait pas été discutée, et alors je pouvais concevoir vos craintes, mais je ne puis plus les concevoir aujourd'hui.

Que vois-je, en effet ? Je vois dans cette Chambre un grand nombre de jurisconsultes qui partagent ma manière de voir et qui sont d'avis que l'article 90 de la Constitution permet ce que je viens demander de faire. Le rapport de M. Delcour même le prouve par toutes les démonstrations possibles. Il y a dans ce rapport un accord presque complet entre les hommes compétents de cette Chambre.

Pourquoi donc craindrais-je si fort un conflit avec la cour de cassation ? Mais ces conflits ne sont pas habituels et ils ne sont pas probables lorsque parmi les hommes dont le droit est la profession et l'étude spéciale, il y a un si grand accord que celui qui se manifeste aujourd'hui.

Maintenant je ne veux pas insister, mais dans le système qu'on nous propose vous avez le même inconvénient. Dans ce système vous avez un conflit possible avec le Sénat, et remarquez-le, les divergences d'opinion avec le Sénat sont excessivement fâcheuses pour la Chambre quand elles ont lieu sur des matières où il est dangereux qu'elles se produisent, parce qu'elles froissent l’amour-propre, ainsi lorsqu'ils s'établissent sur une question de prérogative personnelle de la Chambre que le Sénat viendrait à lui dénier.

Ces conflits-là sont tirs-graves, ces dissentiments sont bien autre chose que des dissentiments qui naissent de l'appréciation d'un texte de loi dans des sens différents.

On dirait à la Chambre, on lui dira peut-être que constitutionnellement elle n'a pas le droit, et par conséquent qu'elle ne peut s'attribuer le droit de mise en accusation des ministres pour des délits communs.

Si maintenant on renvoyait cette affaire devant les tribunaux ordinaires, comme paraît le désirer l'honorable M. Coomans, qui s'effraye d'un conflit possible avec la cour de cassation, mais ce conflit peut se produire aussi bien avec les tribunaux ordinaires qu'avec la cour de cassation ; car si le tribunal correctionnel de Bruxelles était de l'avis de l'honorable M. Coomans sur l'article 90 de la Constitution, il dirait qu'il est incompétent pour juger l'honorable général Chazal.

Il faudrait donc, dans ce cas, que la cour de cassation intervînt pour décider sur cette question de compétence, et si la majorité des magistrats de cette cour partageait l'opinion de l'honorable M. Coomans, nous nous trouverions précisément dans la position qu'on redoute, c'est-à-dire en présence d'un dissentiment avec la cour de cassation.

M. Dolezµ. - C'est pour cela qu'il faut une loi.

M. Orts. - Sans doute, avec une loi il n'y a pas de conflit possible avec la cour de cassation, mais avec une loi vous pouvez vous trouver en conflit avec le Sénat (Interruption.) Comment ! quand le Sénat vous dira : Vous revendiquez une prérogative que la Constitution ne vous accorde pas, vous prétendrez qu'il n'en résultera pas un conflit entre la Chambre et le Sénat ? Mais c'est le conflit le plus grave qui puisse surgir entre les deux branches du pouvoir législatif ; il n'est pas de conflit plus grave que celui qui a pour cause une question de prérogative ; car il met en question vos rapports de Chambre à Chambre, vos rapports de tous les jours, vos prérogatives respectives.

Messieurs, permettez-moi de vous montrer ce qu'il y a derrière le sujet de ma proposition et ce qu'il peut y avoir derrière son adoption.

Voici ce qui peut arriver, et c'est un résultat dont je ne veux pas, que je veux prévenir. Nous sommes ici à faire une loi ; nous la faisons aux derniers jours de notre session... (interruption.) Franchement, messieurs, croyez-vous que la session dure encore plus de six semaines... (interruption), mettons deux mois... (Interruption.)

Evidemment, la Chambre a le droit et le devoir de rester en séance aussi longtemps qu'elle le croit utile aux grands intérêts du pays et si je tiens ce langage c'est pour mes collègues de provinces, car, pour moi, le sacrifice ne serait pas lourd.

Je reprends mon argumentation : nous sommes à la fin plus ou moins prochaine de la session ; le Sénat va recevoir une loi qui, vous le voyez par les nombreux arguments qu'elle soulève, provoquera la discussion d'une très grande quantité de questions constitutionnelles et je ne crois pas que le Sénat examine une pareille loi à la légère. Il n'est pas impossible sans doute que le Sénat amende cette loi ; il serait évidemment dans son droit en le faisant et, par conséquent, il se peut que la loi nous soit renvoyée par le Sénat.

Voilà donc la loi qui nous revient à une époque où la Chambre a terminé ses travaux ordinaires et où il sera bien difficile de parvenir à la réunir de nouveau. (Interruption.) Soit ! On la réunit de nouveau et la Chambre persiste. Il va donc falloir renvoyer de nouveau la loi au Sénat. Mais la session est close, et qu'arrive-t-il ? Il arrive ceci : c'est que le ministère public, auquel on a tant reproché de ne pas avoir agi, qui a été en quelque sorte blâmé de son attitude dans ce débat, qui a fait surgir tant d'opinions dans la presse plus encore qu'ici, le ministère public pourra fort bien traduire devant les tribunaux, la session étant close, les trois membres de cette Chambre impliqués dans cette affaire du 8 avril.

- Un membre. - Et le ministre.

M. Orts. - Et le ministre. Mais voici ce que pourra dire le ministre : c'est que l'article 90 de la Constitution ne permet qu'à la Chambre des représentants de le poursuivre. Il devra donc être mis hors de cause, tandis que les cinq autres personnes impliquées dans cette affaire seront condamnées. (Interruption.)

Voilà, messieurs, l'éventualité qui peut se produire et qui est certainement tout aussi vraisemblable que celle que vous avez vue derrière l'adoption de mon projet. Par conséquent, comme je veux que l'on juge vite et équitablement, je maintiens ma proposition et je demande qu'on la soumette au vote.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! Aux voix !

MjTµ. - Je ferai remarquer que l'hypothèse que vient de po-er l'honorable M. Orts est radicalement impossible : la poursuite par le parquet après que le parquet a fait connaître son opinion et déclaré qu'il ne lui appartenait pas de poursuivre, en cette occurrence ; cette poursuite, dis-je, est absolument impossible. L'hypothèse de l'honorable M. Orts est une hypothèse toute gratuite et qui ne peut se réaliser.

Je dois ajouter que si la motion d'ordre de l'honorable M. Orts n'est pas écartée par la question préalable, je demanderai qu'elle soit renvoyée aux sections et que la discussion continue.

M. Orts. - M. le ministre de la justice, répondant à l'hypothèse que j'ai posée en terminant, nous dit qu'une poursuite serait impossible dès que la session serait close, parce que le ministère public, d'accord avec le gouvernement, n'entend pas poursuivre. Eh bien, je dis que si le ministre qui est investi du droit de poursuite ne l'exerçait pas dans un cas comme celui-ci et se rendait responsable d'une impunité qui soulève tant l'indignation du pays, il y aurait une autorité qui saisirait d'office, c'est la cour d'appel de Bruxelles. Elle évoquerait la poursuite et celle-là, vous ne pourriez pas l'arrêter.

MjTµ. - Je crois que l'opinion publique est parfaitement tranquille ; l'opinion publique...

M. Orts. - Mais, une fois la session close...

MjTµ. - L'opinion publique sera aussi tranquille alors que maintenant. L'opinion publique sait parfaitement que s'il n'y a pas eu de poursuite dirigée contre les auteurs du fait qui nous occupe en ce moment, c'est parce qu'il y a un ministre impliqué dans cette affaire et que ce ministre doit entraîner devant une juridiction spéciale toutes les personnes qui ont coopéré à ce fait. Ainsi, l'opinion publique est parfaitement rassurée. La, Chambre a donné la preuve la plus manifeste, et nos débats en sont un témoignage évident, qu'elle n'entend couvrir personne d'impunité ; et tout le monde est parfaitement convaincu que si des poursuites n'ont pas encore eu lieu, c'est parce qu'il y a une lacune dans la législation ; c'est parce qu'il s'agit de déterminer quelle est la juridiction devant laquelle l'affaire doit être poursuivie.

Mais, messieurs, la hâte que l'on met à discuter cette question, n'est-elle pas un autre témoignage encore du respect de la Chambre pour le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi ? Comment donc prétendre que l'opinion publique puisse sérieusement accuser la Chambre, le ministère et le parquet de vouloir couvrir quelqu'un de l'impunité ?

Vraiment, messieurs, cela n'est pas sérieux. On a dit tantôt que nous cherchions par différents moyens à écarter cette proposition ; mais les considérations que l'on invoque pour la faire adopter ne sont guère décisives, et je suis bien convaincu que la Chambre n'adoptera pas une proposition qui s'appuie sur de telles considérations.

M. Bara. - Je tiens à justifier en quelques mots le vote négatif que j'émettrai sur la loi, si cette loi doit rester dans notre législation jusqu'à sa révision qui ne se fera pas de sitôt.

- Un membre. - Il faut vider l'incident.

M. Bara. - Messieurs, si l'honorable M. Orts se rallie à la proposition (page 995) que je vais faire, il n'est pas impossible que nous arrivions plus vite au résultat.

Voici ce que je propose : je demande que la loi actuelle ne soit applicable qu'aux faits antérieurs au 10 avril.

En vertu de cette proposition, la loi que nous discutons ne serait applicable qu'au duel de MM. Chazal et Delaet.

Messieurs, il faut être franc ; la loi actuelle n'est qu'une loi d'expédient, il serait même contraire à la dignité de la Chambre de prétendre qu'elle fait une œuvre parfaite, il serait contraire à sa dignité de dire que la loi pourra, en dehors de la nécessité actuelle, recevoir son application.

Je comprends que le législateur, sous l'empire de circonstances impérieuses et extrêmement urgentes, cherche à sortir de la difficulté, en faisant une loi d'expédient. Mais devons-nous aller au-delà ! Dès que nous avons satisfait à cette nécessité de la justice, dont nous avons à nous préoccuper aujourd'hui, n'avons-nous pas fait tout ce qu'on peut exiger de nous pour le mieux ?

Messieurs, quelles sont les deux propositions en présence ? La première proposition, celle de M. Orts, a pour but de renvoyer l'affaire à la cour de cassation en vertu des articles 90 et 134 de la Constitution.

La seconde proposition est celle qui vous est faite par la commission d'après cette proposition, il s'agit de faire une loi, non seulement pour le fait du 8 avril, mais pour l'avenir ; seulement elle stipule que la loi devra être révisée dans le délai de trois ans, délai que l'honorable M. De Fré réduit à un an.

Mais il est à remarquer que si la loi n'est pas révisée dans le délai de trois ans, suivant la commission, ou dans celui d'un an, suivant l'honorable M. De Fré, elle restera inscrite dans le Code de nos lois et il se passera bien des années avant qu'elle soit réformée. Il ne faut donc pas plus se préoccuper de l'amendement de l'honorable M. De Fré, que de la proposition de la commission ; le délai d'un an n'est pas plus sérieux que le délai de trois ans.

La loi ne sera pas révisée, à moins que la législature ne se trouve dans l'impérieuse nécessité de procéder à cette révision..,

- Un membre. - Si la loi n'est pas révisée dans le délai fixé, elle tombe par cela même à l'expiration du délai.

M. Bara. - Pardon, elle ne tombe pas ; si la loi n'est pas révisée dans le délai fixé, elle ne cesse pas pour cela de continuer à être obligatoire.

M M. De Fré). - Mon intention est que la loi ne soit obligatoire que pendant une année à dater de sa publication.

M. Bara. - C'est alors une autre proposition que celle que vous avez faite et si vous modifiez la vôtre dans ce sens je m'y rallie. Elle sera alors au fond la même chose que ma proposition. Car il n'est pas à prévoir que d'ici à un an nous ayons un nouveau délit commis par un ministre. Au moins je ne le souhaite pas.

La durée de la loi ainsi restreinte, nous éviterons des difficultés et de longs débats.

Le Sénat discutera-t-il un pareil projet avec autant de soin qu'il le ferait, s'il s'agissait d'une loi qui doit rester inscrite pendant longtemps dans notre code ? Evidemment, non. Un grand nombre de membres de la Chambre semblent persuadés que les discussions cesseront dans cette assemblée, du moment qu'il est admis que la loi est décrétée uniquement pour assurer les poursuites du fait du 8 avril.

Je pense donc que nous devons nous en tenir à ce système, d'autant plus que nous nous trouvons en présence de difficultés extrêmement sérieuses et très nombreuses que soulèvent successivement et sans interruption tous les orateurs ; il en est bien d'autres qui n'ont pas été signalées.

Ainsi, l'honorable M. Guillery a parlé de cas de connexité, on pourrait aller jusqu'à prétendre que dans le cas actuel, la cour de cassation n'est pas compétente, que les tribunaux ordinaires sont seuls compétents.

Ecoutez ce que dit M. Dalloz.

« Les tribunaux d'exception ne peuvent statuer que lorsque la loi de leur institution leur en confère expressément le pouvoir. Telle est la règle générale.

« II s'ensuit que lorsque leur compétence a pour fondement la qualité d'une personne, tous ceux qui n'ont pas cette qualité restent étrangers à leur juridiction. S'il y a nécessité de réunir tous les prévenus dans une même procédure et un même jugement, pourquoi préférerait-on le tribunal d'exception ? Il a seul la compétence pour juger certaines personnes. Cela est vrai. Mais les tribunaux ordinaires peuvent seuls juger les délits communs. Dans un pareil conflit la préférence doit appartenir à ceux-ci.

« La loi doit toujours favoriser le retour au droit commun. S'il est d'intérêt public que les tribunaux d'exception ne soient pas dépouillés de leur juridiction, il l’est également que les citoyens ne soient pas distraits de leur juge naturel.

« Entre ces deux compétences contraires, il est rationnel de se décider d'après la règle générale du droit qui interdit d'étendre les dispositions défavorables. »

Dans l'espèce actuelle les coauteurs et les complices pourraient demander le renvoi devant le tribunal correctionnel. (Interruption.)

Oui, messieurs, on pourrait en arriver là, et en droit la thèse a ses arguments.

Mais je le sais, on trouvera des criminalistes parmi lesquels se rangera M. Dalloz, qui diront que la cour de cassation est plus favorable que les tribunaux correctionnels ; et que dès lors la cour de cassation doit se déclarer compétente.

Mais c'est précisément à raison de toutes ces difficultés que je ne veux pas faire une loi définitive ; ce qui est, je crois, dans les désirs de la Chambre, c'est de faire une loi d'expédient, et c'est pour cela que je propose que l'article dernier de la loi soit rédigé ainsi qu'il suit :

« La loi actuelle ne sera applicable qu'aux faits antérieurs au 10 avril. »

MpVµ. - M. De Fré a modifié sa proposition de la manière suivante :

« La présente loi ne sera obligatoire que pendant une année à dater de sa publication. »

M. Orts. - Messieurs, je demande la parole pour la troisième fois, parce que je suis interrogé par l'honorable M. Bara ; l'honorable membre me demande si je retire ma proposition pour me rallier à la sienne. Je ne retire pas ma proposition, parce que celle de l'honorable M. Bara ne présente pas moins d'inconvénients que la mienne, et qu'elle n'offre pas l'avantage d'une solution immédiate sans le concours du Sénat.

M. Pirmez. - Messieurs, les orateurs qui ont pris la parole hier et aujourd'hui, et qui ont présenté des propositions dans le but de simplifier le débat, l'ont singulièrement allongé et compliqué. Mous touchions au port, la discussion de principe allait être close et nous n'avions plus à examiner que des questions de détail, lorsque l'honorable M. Orts est venu rouvrir la discussion sur toutes les grandes questions qui semblaient résolues.

Si les propositions qui nous sont faites ont dans la pratique le même succès qu'elles ont ici, elles conduiront très loin du but que leurs auteurs ont en vue.

L'honorable M. Bara vient nous proposer un autre système. J'avoue que la proposition de cet honorable membre me semble avoir quelque chose de très particulier. J'ai toujours entendu dire que les lois n'avaient pas d'effet rétroactif ; je sais qu'on admet par exception que les lois de procédure régissent les faits passés avec les faits futurs. Mais je n'ai jamais vu qu'une loi statuât uniquement pour le passé et disposât qu'elle ne régit pas l'avenir. C'est cependant ce que l'honorable M. Bara propose de décider.

Messieurs, quand on n'examine qu'à la surface les propositions qui nous sont soumises par les honorables MM. Orts et Bara, on est tenté de croire qu'elles simplifient le débat, en ce décidant absolument rien, car l'intention de mes honorables amis est de ne rien décider.

Eh bien, c'est là une profonde erreur. Si vous rejetez le projet de la commission, et si vous adoptez l'une ou l'autre des deux propositions, vous décidez une foule de questions, et vous les décidez précisément dans un sens contraire aux observations qui ont été faites contre le travail de la commission.

Ainsi, par exemple, la plus grosse question qui ait été soulevée, est la question de l'action civile, la question de savoir si les parties lésées auraient un recours direct, pourraient elles-mêmes saisir la justice de leur réclamation d'intérêt privé.

Eh bien, nous sommes arrivés à un arrangement, qui, je croîs, a satisfait presque toutes les opinions de la Chambre.

Que faites-vous par la proposition de l'honorable M. Orts et par celle de l’honorable M. Bara ? Vous décidez la question de l'action civile ; vous décidez qu'il n'y a aucune espèce de recours pour les parties lésées contre les délits commis par les ministres en dehors de l'exercice de leurs fonctions.

- Plusieurs membres. - Non, non !

M. Pirmez. - Vous décidez la question, vous la décidez par le fait même, parce que, sans qu'une loi intervienne, les parties lésées n'ont pas d'action.

M. Bara. - Nous décidons que nous ne voulons pas faire une loi au galop, et voilà tout.

M. Pirmez. - Parfaitement ; vous décidez que vous ne voulez pas (page 996) faire une loi au galop ; c'est votre motif, c'est le motif de la proposition de l'honorable M. Orts ; mais je vous signale qu'en refusant de voter la loi qui vous est soumise, vous décidez formellement la question.

- Des membres. - Pas du tout.

M. Pirmez. - A l'heure qu'il est, un particulier peut-il saisir la justice d'une demande de dommages-intérêts du chef d'un délit commis par un ministre ?

M. Orts. - Oui.

M. Pirmez. - Evidemment non.

M. Orts. - Evidemment oui.

M. Pirmez. - Pas le moins du monde. L'article 90 de la Constitution subordonne à une loi future l'exercice de l'action civile. Vous allez donc décider la question.

Vous allez décider de la même manière la question de l'arrestation en cas de flagrant délit. Il y a impossibilité aujourd'hui d'arrêter un ministre en cas de flagrant délit. Cette impossibilité continuera. On a fait remarquer, et c'est, je pense, l'observation pratique la plus importante de la discussion, que les ministres ne sont pas disposés à commettre des crimes et des délits tous les quinze jours. Tenons cela pour sûr et ne effrayons pas outre mesure d'inconvénients, de faits qui ne se réaliseront pas. Nous aurons donc tout le temps de réviser la loi. Mais si, contre toute attente, un cas se présentait qui offrît des inconvénients, en votant la loi nous ne nous terons pas désarmés. Une loi nouvelle pourrait modifier la loi, même pour des faits passés.

A diverses reprises, dans cette discussion, on a réclamé une loi sur la responsabilité ministérielle ; nous sommes saisis d'une loi qui a été élaborée par la commission et qui tranche, au moins en partie, la question que soulève cette responsabilité.

Faisons, messieurs, cette loi, et si nous nous apercevons plus tard qu'elle contient des dispositions défectueuses, nous la réviserons.

Maintenant, je dois faire quelques questions à l'honorable M. Orts au sujet de la proposition.

Pour ne pas faire une loi au galop, comme le dit l'honorable M. Bara, nous allons, paraît-il, mettre un ministre en accusation au triple galop. La loi au moins a été soumise à une commission qui l'a élaborée, qui l'a discutée, qui a fait un rapport sur la proposition, nous n'avons rien. Elle est présentée ex abrupto, et nous devons la voter sans nous rendre compte des dispositions qu'elle consacre.

Eh binu, nous lisons dans cette proposition que la cour de cassation connaîtra non seulement du délit imputé au ministre de la guerre, mais aussi de délit imputé à ses co-délinquants. Je demande si cette disposition de la mise en accusation du ministre contient en même temps une autorisation de poursuivre trois membres de la Chambre.

Remarquez que la proposition n'en dit pas un mot. Elle ne dit pas les noms des prévenus éventuels dans l'affaire. Qu'arrivera-t-il ? Pourra-t-on poursuivre ces représentants !

M. Orts. - Evidemment.

M. Pirmez. - Je crois qu'il importe que la Chambre sache si elle met simplement le ministre en accusation ou si elle autorise en même temps des poursuites contre ses membres.

M. Mullerµ. - Elle n'a pas le droit d'autoriser des poursuites sans réquisition. (Interruption.)

M. Pirmez. - C'est possible ; mais je crois que, sur ce point, il y aura autant de divergence que sur tous les autres qui ont été soulevés.

La proposition de l'honorable M. Orts soulève encore une autre question.

Elle charge le procureur général de la cour de cassation de la poursuite. Ce magistrat est-il obligé d'obtempérer aux instructions que lui donnerait la Chambre ?

C'est encore une question qui mérite examen. Si M. le procureur général près la cour de cassation, partageant une autre opinion que la nôtre, s'abstenait de toute poursuite, combien ne serait pas singulière votre position ? Par quels moyens contraindriez-vous ce fonctionnaire à agir ? Il vous répondrait qu'il obéit à la loi, il n'est pas obligé d'obéir aux instructions de la Chambre.

Toutes ces questions, messieurs, méritent examen. Si donc la Chambre croyait que le principe de la proposition de l'honorable M. Orts peut être admis, elle devrait, me paraît-il, la renvoyer à une commission qui en examinerait les termes et en pèserait la portée.

C'est-à-dire que nous recommencerions tout.

- La clôture est demandée.

M. Guillery (contre la clôture). - J'ai proposé avant-hier d'ajourner la discussion parce qu'il me paraissait que les études n'étaient pas complètes.

Je crois que, depuis lors, l'événement a prouvé la justesse de ce que j'avançais.

Aujourd'hui nous voulons répondre à l'invitation qu'on nous a faite pour suppléer, par la discussion, à l'insuffisance des études du cabinet et quand quelqu'un demande la parole pour discuter une des plus graves questions que la Chambre ait à résoudre, on demande la clôture.

Mais nous discuterions pendant quinze jours que je ne trouverais pas que nous allons au-delà du temps qu'exige le sujet. Je pense que cette discussion est plus importante que la discussion d'un projet de loi de travaux publics qui nous prendra plus de quinze jours.

M. Bara. - Je demande la parole pour retirer mon amendement. L'amendement de l'honorable M. De Fré est le même que le mien, puisqu'il dit que la loi ne sera obligatoire que pour une année. Je m'y rallie donc.

MpVµ. - M. le ministre de la justice a demandé la question préalable sur la proposition de M. Orts.

M. Dumortier. - Je demande la parole sur la question préalable.

MpVµ. - La clôture a été demandée, vous avez la parole contre la clôture.

M. Dumortier. - Aux termes du règlement, la question préalable a pour signification qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Je suis vraiment étonné de voir un membre du cabinet venir demander la question préalable, c'est-à-dire faire déclarer par la Chambre qu'il n'y a pas lieu à délibérer dans l'espèce sur la mise en accusation d'un ministre. (Interruption.) Ce n'est pas autre chose. Je crois que la question préalable est le vote de l'impunité du ministre. (Nouvelle interruption.)

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. Guillery. - Je demande la parole sur la position de la question.

Je ne m'attendais pas à ce qu'on opposât la question préalable à la proposition de l'honorable M. Orts. Cette question n'a pas été discutée. On a discuté sur la proposition de l’honorable M. Orts, mais non sur la question préalable. Je puis vouloir voter contre la proposition de l'honorable M. Orts et ne pas admettre la question préalable.

MfFOµ. - Messieurs, il ne peut y avoir de doute sur la portée de la proposition faite par M. le ministre de la justice ; la question préalable opposée à la motion de M. Orts ne peut avoir évidemment qu'une seule signification ; en l'adoptant, la Chambre décidera qu'elle entend continuer l'examen du projet de loi.

Il y a un motif péremptoire pour la Chambre de se prononcer quant à la question préalable ; c'est de se réserver le droit de soumettre la proposition de l'honorable M. Orts à un examen complet, dans le cas où la question préalable ne serait pas admise. M. le ministre de la justice vous a dit que si cette éventualité se produisait, il demanderait le renvoi de la proposition soit à la commission, sait aux sections, afin de faire étudier toutes les questions qu'elle soulève et que son adoption pure et simple trancherait d'une manière assurément très hasardée.

Ainsi, par exemple, la proposition implique la solution de la question de connexité, puisqu'elle renvoie également les complices du ministre de la guerre devant la cour de cassation. C'est cependant là, messieurs, un point à examiner et sur lequel on ne saurait se prononcer qu'après une étude des difficultés que peut soulever si solution dans un sens ou dans l'autre.

Donc la question préalable n'a pas d'autre signification que celle que je viens d'indiquer ; il s'agit de demander à la Chambre de continuer la délibération sur le projet de loi, et si la question préalable n'est pas admise, nous demanderons un examen ultérieur de la proposition de l'honorable M. Orts.

M. Guillery. - Si c'est ainsi entendu, je n'insiste pas.

- La question préalable est mise aux voix par appel nominal et adoptée par 47 voix contre 38. Ont voté l'adoption :

MM. Bara, Crombez, David, de Baillet-Latour, C. de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove, Delcour, de Moor, de Vrière, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Pirmez, Rogier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Renynghe, Warocqué et E. Vandenpeereboom.

(page 997) Ont voté le rejet :

MM. Bricoult, Coomans, Couvreur, de Borchgrave, de Conninck, Delaet, de Liedekerke, de Naeyer, de Ruddere de le Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, d'Ursel, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Landeloos, Laubry, Lelièvre, Moncheur, Nothomb, Orts, Reynaert, Rodenbach, Sabatier, Schollaert, Tack, Thibaut, Thonissen, Van Hoorde, Van Overloop, Van Wambeke, Ver<ilghen, Vilain XIIII et Vleminckx.

MpVµ. - Si personne ne demande la parole, je déclarerai la discussion générale close.

- Plusieurs membres. - A mardi !

M. Coomans. - Je satisfais à un vœu que j'entends exprimer autour de moi, en proposant de lever la séance et de la remettre à lundi.

- Un membre. - Il y a des élections provinciales lundi.

MpVµ. - Quelqu'un s'oppose-t-il à la clôture de la discussion générale ?

- Plusieurs membres. - A mardi ! à mardi !

M. Van Overloopµ. - On se réunit le samedi à une heure afin de finir plus tôt et de permettre aux me nbres qui habitent la province de retourner dans leur famille.

- De toutes parts. - A mardi ! à mardi !

MpVµ. - La discussion générale reste ouverte.

La séance est renvoyée à mardi à 2 heures.

- La séance est levée.