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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 mai 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 975) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Seys demande que son fils Norbert, soldat au 2ème régiment de ligne, soit congédié du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal d'Ixelles demande un subside pour l'achèvement du Quartier Marie-Henriette. »

M. De Fré. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de renvoyer cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.

MpVµ. - La section centrale a terminé ses travaux. J'allais proposer le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

M. Hymans. - La question dont il s'agit se rattache directement à l’un des articles du projet de loi de travaux publics. La section centrale a terminé ses travaux, mais je crois qu'il n'y aurait pas grand inconvénient à ce que cette pétition lui fût renvoyée et à ce qu'elle délibérât sur l’objet auquel elle se rapporte.

Cette affaire ne se présentera qu'assez tard dans la discussion. Nous aurions donc le temps de délibérer et de présenter un rapport à la Chambre.

M. Bouvier.µ. - Je demanderai que d'autres pétitions, qui ont pour objet des demandes de concessions de chemin de fer, soient également renvoyées à la section centrale pour examen.

MpVµ. - Vous voyez que la proposition prend de l'extension. M. Bouvier demande le renvoi à la section de toutes les pétitions relatives à des travaux publics. Il avait été décidé que ces pétitions seraient déposées sur le bureau, pendant la discussion du projet.

M. Hymans. - S'il y a eu décision antérieure de la Chambre relativement à d'autres pétitions, je ne pu is pas insister pour celle-ci. Je me rallie au dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

MpVµ. - M. De Fré, insistez vous ?

M. De Fré. - La Chambre statuera. Je fais remarquer que l'honorable M. Hymans, qui est rapporteur de la section centrale, ne trouve pas d'inconvénient au renvoi que je propose.

- La proposition de renvoyer la pétition à la section centrale est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

Le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les travaux publics est adopté.


« Des habitants de Noville-les-Bois prient la Chambre d’introduire dans la loi électorale le vote par ordre alphabétique, d'accorder une indemnité à l'électeur et de rendre le vote obligatoire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les fraudes électorales.


« Des habitants d'une commune non dénommée demandent la révision de la loi sur les conseils de prud'hommes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Prompts rapports de pétitions

M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée de Spalbeek, le 7 mai 1865, les membres du bureau de bienfaisance de Spalbeek réclament l'intervention de la Chambre afin qu'il soit statué sur un partage de la dotation indivise avec la commune de Stevoort.

Les pétitionnaires exposent que depuis plus de deux ans un projet de partage a été transmis à l'autorité supérieure afin d'obtenir l'approbation du Roi.

Des démarches nombreuses ont été faites, disent-ils, au département de la justice et auprès de l'administration provinciale, à l'effet d'obtenir justice, mais toutes ces démarches seraient restées sans résultat.

La pétition dont il s'agit contient encore d'autres allégations que votre commission s'est trouvée dans l'entière impossibilité de vérifier, mais qui cependant lui ont paru assez graves pour conclure au renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice avec demande d'explications.

M. Thonissenµ. - Messieurs, les bureaux de bienfaisance des deux communes du Limbourg, Spalbeek et Stevoort, possèdent par indivis un certains nombre d'immeubles. Ces immeubles sont administrés par le bureau de bienfaisance de Stevoort. Celui-ci en perçoit les revenus et en fait la répartition entre les indigents des deux localités intéressées.

Il y a deux ans, voulant mettre un terme aux inconvénients qui doivent inévitablement résulter d'un pareil état de choses, les deux communes convinrent de procéder au partage. Ce partage fut fait sur des bases agréées par l'une et par l'autre, et l'acte fut envoyé à l'approbation royale.

Or, depuis ce jour, l'approbation se fait toujours attendre. Cependant aucune réclamation n'a été formulée, et tout s'est passé avec autant de loyauté que de régularité.

J'appuie donc les conclusions de l'honorable rapporteur et je désire également que la pétition soit renvoyée à M. le ministre de la justice avec demande d'explications.

- Les conclusions de la commission et la proposition de M. Thonissen sont mises aux voix et adoptées.


M. Vleminckx, rapporteurµ. - Messieurs, des officiers pensionnés, au nombre de 142, depuis le grade de sous-lieutenant jusques et y compris celui de lieutenant général, demandent que les règles suivies pout la collation des pensions civiles soient rendues applicables d'une manière générale et absolue à toutes les pensions militaires.

Ils exposent à la Chambre que, depuis la promulgation de la loi du 24 mars 1838, tous les ministres qui se sont succédé au département de la guerre, pendant la longue période de 27 ans, sont unanimes pour reconnaître que les pensions sont devenues de plus en plus insuffisantes grâce à l'augmentation toujours croissante du prix des denrées indispensables à la vie.

Un ministre du Roi, feu le lieutenant général Prisse, tenait déjà, le 20 juin 1847, dans un document officiel rédigé en vue de créer une caisse supplémentaire de retraite, tenait déjà, dis-je, le langage suivant : « Les pensions militaires sont encore telles, qu'elles réduisent l'officier à une situation mesquine, relativement à son grade ; elles n'atteignent même pas, comme les pensions civiles, les deux tiers des traitements d'activité. »

Les choses se sont bien empirées depuis ; on peut affirmer aujourd'hui non seulement que la situation de tous les officiers pensionnés est mesquine, mais que la misère règne au sein de bien des familles, et que d'ailleurs, depuis la récente augmentation des traitements, commandée par d'impérieuses nécessités, ce n'est plus les deux tiers ou à peu près des traitements d'activité qu'atteignent les pensions militaires, mais beaucoup moins que la moitié, tandis que les fonctionnaires civils ont vu s'accroître le taux des leurs, en raison de l'augmentation de leurs appointements.

Les pétitionnaires espèrent que la Chambre fera disparaître cette inégalité qui ne repose sur aucune considération sérieuse, et que voulant donner à l'armée une nouvelle preuve de sa sollicitude, elle n'hésitera pas à procurer un peu de bien-être à ceux qui ont vieilli au service du pays et qui d'ailleurs n'ont plus que quelques années à vivre.

Le sacrifice pour le trésor ne serait pas bien lourd, ajoutent-ils, car les extinctions annuelles sont nombreuses et s'accomplissent avec une régularité mathématique.

Messieurs, la commission des pétitions ne peut se défendre de reconnaître que la position du plus grand nombre de nos officiers pensionnés est des plus défavorables, et qu'il en est incontestablement parmi eux qui sont, pour ainsi dire, réduis à la mendicité. Faire quelque chose d'efficace en leur faveur, est, à ses yeux, un devoir pour l'Etat ; l'humanité le réclame, l'équité le commande. Quoi qu'on ait pu dire, la dépense ne serait guère considérable ; il doit être bien entendu d'ailleurs que les augmentations ne profiteraient qu'à ceux dont la pension serait inférieure au maximum des pensions civiles.

La commission s'est occupée, comme elle devait le faire, de la question (page 976) très importante de l’inégalité qui existe dans nos lois entre les pensions civiles et les pensions militaires. L'étude qu'elle en a faite l'a conduite à reconnaître que rien ne justifie cette distinction et que rien ne s’oppose à ce qu'on la fasse disparaître au plus tôt. « Tout le monde ne serait pas satisfait de l'adoption de ce principe d'égalité », disait l'honorable ministre des finances dans la séance du 19 novembre dernier. Tout le monde, c'est possible ; mais le plus grand nombre, incontestablement. L'inégalité ne profite aujourd'hui qu'à de très rares exceptions ; l'égalité présenterait, au contraire, le grand avantage d'améliorer la position du plus grand nombre.

Nous tenons d'ailleurs à vous faire connaître tout de suite qu'au nombre des officiers pensionnés qui s'adressent à vous, pour réclamer cette égalité, se trouvent cinq officiers généraux, et vous savez que c'est aux officiers généraux exclusivement que profite la tout insignifiante inégalité dont l'honorable ministre des finances se faisait naguère une arme contre ceux qui réclamaient l'adoption du principe d'égalité.

Cette inégalité, messieurs, entre les pensions des deux ordres de fonctionnaires se présente sous un aspect bien plus saisissant encore, si l'on veut se donner la peine de comparer les situations qui sont faites à l'un et à l'autre, pendant la durée de l'activité.

Aux fonctionnaires civils, la stabilité, et, par conséquent, les facilités de la vie et spécialement de la vie de famille ; peu ou point de changement de résidence ; peu ou point de représentation ; pas de dépenses d'uniforme ; possibilité d'économiser, pourvu qu'on soit arrivé à un grade assez élevé. Pour les officiers, au contraire, jamais de repos ; la vie errante avec ses inconvénients et ses soucis ; renouvellement incessant d'objets d'équipement et de tenue ; impossibilité absolue d'économiser à quelque degré de la hiérarchie qu'on soit parvenu, pour peu qu'on obéisse, comme c'est un devoir, aux nécessités de sa position.

Est-ce tout ? Non, malheureusement.

C'est à l'âge de 55 ans que les deux tiers des membres de l'armée sont obligés de quitter le service, depuis la promulgation de l'arrêté de 1855, arrêté qui fut naguère l'objet de si vives critiques dans cette Chambre et qu'elle laisse exécuter maintenant sans réclamation aucune ; c’est à 55 ans, par conséquent, que les deux tiers de l'armée sont réduits à beaucoup moins que la moitié de leur traitement d'activité, tandis que les fonctionnaires de l'ordre civil servent, jusqu'à 65, 70 et même 75 ans, et jouissent, par conséquent, à moins d'infirmités, de leur traitement intégral d'activité, presque jusqu'à la fin de leurs jours.

La pétition qui vous est adressée, messieurs, prouve surabondamment que nos calculs sont exacts, en ce qui concerné le nombre des officiers écartés à 55 ans, comparé à celui des officiers qui ne sont pensionnés qu'après cet âge. Sur 142 signatures, nous en trouvons 89 appartenant à des capitaines, lieutenants et sous-lieutenants, faisant tous partie de la catégorie des écartés à 55 ans.

La position respective des fonctionnaires civiles et militaires envisagée exclusivement sous le rapport des traitements d'activité et des pensions de retraite, se résume donc dans ce double fait que les premiers peuvent jouir du traitement intégral de leur fonction, 10, 15 et 20 ans de plus que les autres, et qu'arrivés au terme de leur activité, ils obtiennent une pension de retraite non pas fixée à un chiffre invariable et infranchissable, mais s'élevant d'autant plus que le traitement lui-même à été plus considérable.

Est-ce raisonnable ? Et n'est-il pas vrai qu'en rigoureuse justice, c'est le contraire qui devrait avoir lieu, c'est-à-dire, que si, à raison des différences énormes que présentent les deux positions, il pouvait y avoir lieu à créer des inégalités dans les pensions, c'est au profit des positions militaires qu’elles devraient être instituées ?

La Chambre n'hésitera pas à conclure qu'en présence des considérations qui viennent d'être produites, nous n'avons pas pu ne pas donner notre appui à la pétition des officiers pensionnés qui fait l'objet du présent rapport.

Nous nous plaisons à reconnaître, au surplus, que cet appui, les pétitionnaires sont certains de le rencontrer également au sein du gouvernement. Nous en trouvons la preuve dans le langage tenu par l'honorable ministre de la guerre à une commission d'officiers pensionnés, reçue par lui le 5 février dernier.

« Soyez certains, messieurs, leur disait-il, que je continuerai à prendre chaleureusement vos intérêts, et c'est surtout depuis l'augmentation des traitements et soldes de l'armée que des modifications au tarit de la loi sur les pensions sont devenues indispensables ; vous pouvez compter, messieurs, que je ferai tout ce qui dépendra de moi (vous savez que je ne suis pas seul) pour redresser un état de choses que je regarde comme une injustice. Dans le rapport que je dois présenter aux Chambres sur l'organisation de l'armée, j'insisterai avec énergie sur la nécessité de modifier la loi sur les pensions, dans un but qui vous soit favorable.»

Ce qui est « injuste » doit être réparé au plus tôt. La Chambre, nous en sommes convaincus, se fera un devoir de l'exiger.

Messieurs, vous avez déjà pu prévoir quelles seraient les conclusions que nous allons avoir l'honneur de vous apporter. Nous vous demandons de renvoyer la pétition des officiers pensionnés non pas à M. le ministre de la guerre seulement, dont les sympathies et le concours ne sont plus douteux, mais à tous les ministres, pour qu'ils en fassent l'objet d'un sérieux et bienveillant examen.

M. Bouvierµ. - Messieurs, j'appuie les considérations développées dans le rapport dont on vient d'entendre la lecture.

Elles répondent à des sentiments d'équité et de justice trop longtemps méconnus. Il ne faut pas qu'il soit dit qu'en Belgique l'officier pensionné a trop pour mourir, trop peu pour vivre.

Quand dans un intérêt de nationalité et d'indépendance notre pays s'impose un budget annuel de 35 millions de francs, est-il convenable de lésiner sur quelques misérables mille francs pour améliorer la position de la classe la plus importante et la plus éclairée de nôtre armée ? L'officier belge, en activité de service, jouit d'un certain confort ; mis à la pension, en contact avec les premières nécessités de la vie, la loi actuelle sur les pensions le place dans une position presque humiliante. Cela est-il digne, cela est-il convenable ? Personne, dans cette assemblée, n'oserait le soutenir, Il faut que cette situation douloureuse pour les officiers pensionnés prenne un terme dans le délai le plus rapproché.

Si vous avez jugé convenable d'augmenter d'une manière générée les traitements des fonctionnaires civils, et partant leurs pensions, et je vous en félicite, il est juste que vous accordiez la même faveur aux pensionnés militaires ; car le même motif qui vous a déterminés à cet acte d'équité, existe pour eux... Les conditions d'existence matérielle sont aussi onéreuses pour les fonctionnaires militaires que pour les fonctionnaires civils.

Il est indispensable, dans notre pays de suprême égalité, que l'élément civil et l'élément militaire aient les mêmes droits, jouissent des mêmes faveurs ; sinon vous serez taxés d'injustice, et cependant les fonctionnaires militaires et les fonctionnaires civil sont les enfants d'une même patrie et, partant, dignes de la modeste pension que leurs services rendus leur ont méritée.

J'espère, en conséquence, que MM. les ministres voudront bien venir en aide à ces intéressants pétitionnaires, et tout spécialement aux officiers qui ne sont pas arrivés à un grade supérieur, et leur donner une monnaie plus courante que d'éloquentes promesses et plus propres à creuser davantage leur malheureuse position qu'à leur fournir une situation meilleure et plus durable.

M. Lelièvre. - La pétition me semble également fondée sur les motifs les plus sérieux. Les officiers pensionnés ne demandent qu'une chose, c'est que les règles suivies pour la collation des pensions civiles, soient applicables à toutes les pensions militaires. Or, cette mesure me semble de toute justice. Il s'agit d'établir un système d'égalité que les principes d'équité réclament. Je me joins donc à l'honorable rapporteur et à M. Bouvier pour prier le gouvernement de faire droit à la réclamation.

M. Van Overloopµ. - Messieurs, il me semble qu'un simple renvoi aux ministres de la guerre et des finances, avec demande d'explications, serait préférable.

De cette manière nous saurions à quoi nous en tenir. Le gouvernement nous fera connaître sa manière de voir relativement à la position de ces pauvres officiers pensionnes. Il me semble qu'ils méritent bien ces égards. Ils ont servi le pays avec zèle, ils sont dans le besoin ; il est donc tout naturel que l'on s'intéresse à leur sort.

MpVµ. - M. Van Overloop propose d'ajouter aux conclusions de la commission : « avec demande d'explications. »

M. Bouvierµ. - A tous les ministres ?

M. Vleminckxµ. - Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire dans mon rapport, la demande d'explication est complètement inutile. D'après les 'explications fournies par M. le ministre de la guerre à la commission des officiers qu'il a reçue en audience.

MfFOµ. - Ce ne sont pas là des actes du gouvernement.

M. Vleminckxµ. - M. le ministre de la guerre à promit d'insister, dans son rapport sur l'organisation de l'armée, pour que la position des officiers pensionnés soit améliorée.

(page 277) MfFOµ. - Messieurs, je dois signaler à la Chambre le procédé insolite de l'honorable rapporteur de la commission des pétitions. On se fonde sur les sympathies exprimées par le ministre de la guerre dans une conversation qu'il a eue avec les pétitionnaires, pour en induire que le gouvernement aurait pris l'engagement de faire droit à leur réclamation.

M. Vleminckxµ. - Je n'ai pas d.t cela.

MfFOµ. - ... Que, dès lors, les intentions du gouvernement sont connues, et qu'il ne reste plus qu'à les traduire en fait.

C'est là, messieurs, une interprétation que je ne puis admettre. Le gouvernement ne s'est nullement prononcé sur les questions très importants que soulève la pétition. Il s'agit, en effet de savoir d'abord si les faits allégués par les pétitionnaires sont exacts ; par exemple, s'il est vrai, en thèse générale, que les pensions militaires sont inférieures aux pensions civiles. Il y a lieu d'examiner ensuite s'il convient de procéder à une révision générale des pensions. Enfin, il y a encore la question de savoir ce qu'il y aurait à faire pour l'avenir.

Si des explications nous sont demandées, nous sommes prêts à les donner. Le renvoi peut être fait aux ministres de la guerre et des finances, car le ministre des finances a sans doute aussi quelque chose à dire en cette matière.

Nous acceptons donc le renvoi au gouvernement, mais sans rien préjuger et sans prendre aucune espèce d'engagement.

M. Van Overloopµ. - En présence des explications de M. le ministre des finances, je crois qu'on pourrait se borner à demander le renvoi à M. le ministre des finances.

M. Vleminckxµ. - Je tiens cependant à donner une explication à M. le ministre des finances.

Ce n'est pas à une conversation en l'air, entre M. le ministre de la guerre et des officiers pensionnés que j'ai fait allusion dans mon rapport.

J'ai ici dans le dossier une pièce imprimée et signée par un grand nombre d'entre eux. Or, il est impossible que l'on prétende un seul instant que ces officiers auraient inexactement rapporté là conversation qu'ils auraient eue avec M. le ministre de la guerre.

Je ne prétends pas que ce soit un engagement de la part du gouvernement. J'ai soutenu seulement que M. le ministre de la guerre était sympathique à la demande des pensionnés, et j'ai ajouté que ce ministre a allégué lui-même qu'il n'était pas, seul, le gouvernement, qu'il avait des collègues et que si ceux-ci ne partageaient pas son opinion, il ne pourrait rien faire pour eux.

Je me rallie du reste à la demande de renvoi à MM les ministres de la guerre et des finances.

M. de Naeyer. - Avec demande d'explications.

M. Bouvierµ. - Je demanderai également que l'honorable ministre des finances nous donne la statistique des officiers pensionnés avec l'indication du montant de leurs pensions.

M. Mullerµ. - Et celui des pensionnés civils.

MpVµ. - On propose de renvoyer la pétition à MM. les ministres des finances et de la guerre, avec demande d'explications.

- Adopté.


M. Delaet, rapporteurµ. - Par pétition datée de Châtelet, le 25 avril 1865, des habitants de Châtelet demandent l'abrogation de la contrainte par corps pour dettes.

La commission conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.

Comme rapporteur, je crois pouvoir me référer, pour appuyer ces conclusions, aux considérations que l'honorable M. Bouvier a si amplement et si lumineusement développées à cette tribune dans le rapport qu'il a fait dans une récente séance sur une pétition qui avait le même objet.

M. Bouvierµ. - Une erreur s'est glissée dans la pièce imprimée qui nous a été adressée. Je lis dans l'analyse de la pétition : Des habitants de Châtelet demandent l'obligation de la contrainte par corps.

M. Delaetµ. - Je ne puis être responsable d'une erreur d'impression ; je n'ai pas reproduit cette erreur à la tribune.

M. Bouvierµ. - Je suis alors d'accord avec l'honorable membre. Sinon j'aurais protesté.

M. Lelièvre. - La pétition sur laquelle il vient d'être fait rapport est faite dans l'intérêt d’un malheureux père de famille de Châtelet qu'un créancier détient dans la prison de Charleroi pour dette commerciale. Je pense qu’une loi supprimant la contrainte par corps devrait être proposée à la Chambre pendant la présente session.

Cette mesure rigoureuse est contraire à nos mœurs et à l'humanité ; bientôt elle cessera d'être appliquée en France.

J'appelle l'attention de M. le ministre de la justice sur la nécessité de la supprimer également eu Belgique.

- Les conclusions qui sont le renvoi au ministre de la justice, sont mises aux voix et adoptées.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Hymans. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation.

- Impression et distribution.

Projet de loi relatif aux délits commis par les ministres hors de l’exercice de leurs fonctions

Discussion générale

M. Mouton. - Messieurs, je n'ai pas l'intention d'aborder l'examen des questions importantes ce droit constitutionnel qui se rattachent au projet de loi et dont quelques-unes ont été soulevées dans les séances précédentes.

Je me bornerai à demander une explication à l'honorable rapporteur de la commission sur deux points qui me paraissent devoir être éclaircis afin de bien déterminer le sens de la loi.

D'après le projet, il peut y avoir une instruction préliminaire : la cour désignera un on plusieurs de ses membres pour l'audition des témoins et tons autres actes d'instruction (article 5). Je demande si ce mode de procéder est prescrit dans tous les cas, s'il est exclusif du droit qui, en matière ordinaire, appartient au ministère public de saisir directement le tribunal de répression en assignant le prévenu et les témoins ? En un mot dans la poursuite organisée par le projet de loi, faut-il toujours avoir recours à une instruction préalable ?

En outre, dans le cas où cette instruction a eu lieu, la cour de cassation aura-t-elle encore le droit d'appeler devant elle les témoins qui ont été entendus par le magistrat délégué ?

Voilà les deux points sur lesquels je désire que l'honorable M. Delcour donne un mot d'explication à la Chambre.

Il y a, messieurs, un autre article du projet de la commission qui me semble très grave, c'est l'article 7, aux termes duquel l'action civile résultant du crime ou du délit ne peut être poursuivie que devant la cour de cassation et en même temps que l'action publique. Ainsi, l'action civile se trouve liée d’une manière intime à l'action publique ; et elle est en fin de compte subordonnée à l'autorisation de la Chambre qui peut seule mettre en mouvement l'action publique.

Cette dérogation aux principes, signalée déjà par MM. Lelièvre et Van Overloop, me paraît susceptible de produire des inconvénients réels.

Et en effet, supposez que pour un motif quelconque, politique ou autre, dont elle est juge, la Chambre refuse l'autorisation, il va en résulter que le droit de la partie lésée est complètement paralysé. Pourquoi en serait-il ainsi ? Pourquoi dans l'hypothèse d'un préjudice causé à. un particulier, son droit à la réparation lui serait-il enlevé, alors qu'en définitive il ne s'agit pas d'actes posés par le ministre comme ministre, mais de faits dommageables posés par lui en dehors de l'exercice de ses fonctions ?

La poursuite de la partie lésée, dans ce cas, n'est pas de nature à compromettre les grands intérêts de l'Etat confies aux chefs des départements ministériels.

Lui refuser la faculté d'agir, c'est l'exproprier sans indemnité d'un droit tout aussi respectable que les autres droits civils.

Remarquez, messieurs, que le rapport de la commission ne s'opposa à l'exercice séparé de l'action civile qu'afin d'empêcher que l’on ne renouvelle devant une juridiction inférieure, par des motifs peu louables, un procès qui a été juge avec la plus grande solennité par la cour suprême.

Il suppose donc que la poursuite a été autorisée, que l'action civile, par contre, a pu être intentée et que la cour a statué sur les dommages-intérêts réclamés.

Mais ces considérations ne s'appliquent pas au cas qui nous occupe : il ne s'agit pas ici de renouveler sous une forme une action qui a été jugée d'une autre manière, il s'agit simplement de faire reconnaître pour une première fois le droit incontestable à la réparation du dommage causé, et c'est ce droit que l'absence d'autorisation met dans l'impossibilité d'exercer.

Il y a donc, à won avis, une lacune dans le projet ; il aboutit à quelque chose d'exorbitant qui froisse les sentiments de justice et qui doit engager la commission de la Chambre à apporter une modification à cet article.

M. Dupontµ. - Le projet de loi est destiné à régir deux ordres de faits différents. Il s'occupe d'abord d'un intérêt social, l’action publique : il statue ensuite sur un intérêt particulier, l'action civile.

(page 978) C'est à ce dernier point de vue que vient de se placer l'honorable M. Mouton. J'examinerai d'abord la partie du projet qui concerne l'action publique.

L'ordre public et l'intérêt social exigent que lorsqu'un ministre commet un délit, ce délit soit puni.

Quelle est la juridiction compétente pour juger les délits ordinaires des ministres ? Telle est la première question qui nous est soumise : faut-il soumettre les poursuites à la condition d'une autorisation préalable ? Y a-t-il lieu d'admettre les principes qui ont été développés par l'honorable M. Jacobs, en ce qui concerne cette autorisation ? Voilà ce qu'il faut rechercher ensuite.

Je veux m'occuper d'abord de la juridiction.

Je crois, avec l'honorable rapporteur de la commission spéciale, que la juridiction compétente pour juger les ministres, même lorsqu'il s'agit de délits commis par eux hors de l'exercice de leurs fonctions ; que cette juridiction, dis-je, est la cour de cassation, et à cet égard je conçois difficilement qu'un doute sérieux puisse se produire. Telle n'est pas cependant l'opinion d'honorables collègues qui ont tout d'abord battu en brèche le projet de loi.

En effet, lorsqu'on examine l'article 90 de la Constitution, on doit reconnaître que cet article, par son texte seul, tranche la question.

L'honorable M. Van Overloop, s'attachant à l'étude de ce texte, a passé successivement en revue les deux parties dont il se compose, la première partie qui traite du principe général, et la seconde partie qui traite de l'exception. « Il s'agit tellement d'une exception, nous disait l'honorable M. Van Overloop, que cette seconde partie de l'article commence par le mot « sauf » ; et le sens de ce mot est déterminé par d'autres articles du pacte fondamental, notamment par les articles 24 et 95.

L'article 24 porte que nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics, pour faits de leur administration « sauf ce qui est statué à l'égard des ministres. »

L'article 95 s'occupe de la cour de cassation ; il dit qu'il y a pour toute la Belgique une cour de cassation ; que cette cour ne connaît pas du fond des affaires, sauf le jugement des ministres.

Or, ajoute-t-on, il est évident que dans ces deux articles le mot « sauf » annonce une exception ; la portée des réserves qui y sont indiquées est d'empêcher l'application du principe général aux hypothèses qu'elles prévoient ; dès lors il est certain aussi que les faits dont il est question dans la seconde partie de l'article 90 échappent à la règle contenue dans sa première partie, c'est-à-dire à la juridiction de notre cour suprême. Les ministres ne sont donc pas justiciables de cette cour quand il s'agit de délits communs ou de l'action civile de la partie lésée.

Telle est bien la portée de l'argument qu'on nous a opposé.

Eh bien, on a perdu de vue, me semble-t-il, que les deux articles 24 et 95, de même que l'article 90, commencent par poser un principe et que si, à côté de ce principe, ils formulent des exceptions, il en résulte la preuve que, dans l'esprit du Congrès, ces exceptions eussent été régies par principe général si une réserve formelle n'avait été faite pour les y soustraire.

Ainsi, par exemple, l'article 24 permet d'assujettir les poursuites contre les ministres à une autorisation ; en l'absence d'une disposition de ce genre, le principe se fût appliqué d'une manière complète même aux poursuites contre les ministres.

En un mot, l'exception démontre que les cas spéciaux dont elle s'occupe sont des faits du même genre que ceux soumis à la règle, mais qui à raison de motifs particuliers y échappent en tout ou en partie.

S’il en est ainsi, la règle doit s'appliquer toutes les fois que l'on ne se trouve pas identiquement et complètement dans l'hypothèse de l'exception, tous les faits punis par la disposition législative ou constitutionnelle sont régis par le principe et il n'y a d'autres réserves à faire que dans les limites de l'exception que l'on ne peut étendre : en d'autres termes l'exception confirme la règle dans tous les cas qu'elle ne prévoit pas expressément.

S'il en est ainsi, il est certain que, d'après l'état actuel de la législation, les ministres doivent être jugés par la cour de cassation, même pour les délits communs ; c'est la première partie de l'article 90, c'est le principe général qu'il faut leur appliquer.

En effet, messieurs, quelles sont les limites apportées au principe général posé dans la première partie de l'article 90 ? Ces limites sont circonscrites dans les termes suivants. La cour de cassation est seule compétente, dit l'article 90 ; toutefois, il y a une exception, c'est que le législateur pourra soumettre à un autre tribunal, s'il le juge convenable, les délits commis par les ministres en dehors de l'exercice de leurs fonctions, ains que l'examen de l'action civile naissant de toute espèce de délit commis par un ministre.

Le législateur constituant ne s'est pas expliqué ici d'une façon aussi complète que dans les articles 28 et 95 de la Constitution. Dans ces articles, les exceptions sont immédiates ; elles existent en vertu du pacte fondamental lui-même, tandis que, dans l'articles 90, les exceptions ne sont pas établies immédiatement, ne sont pas formulées par le législateur constituant. Le législateur constituant laisse les exceptions sous l'empire de la première partie de l'article 90, et il réserve seulement au législateur ordinaire le soin d'examiner plus tard s'il y a lieu d'apporter une dérogation au principe qu'il a posé.

Je crois donc que lorsqu'on pèse, en se servant des règles de l'interprétation des lois, les termes de l'article 90, on ne peut s'empêcher de reconnaître que cet article pose le principe de la juridiction de la cour de cassation et qu'actuellement encore, en ce moment même, la juridiction compétente pour statuer sur le fait du 8 avril, pour juger ce délit commis par un ministre en dehors de l'exercice de ses fonctions, est la cour de cassation.

Messieurs, je ne m'engagerai pas dans l'examen d'autres articles de notre pacte fondamental que l'on a cités, et d'où l'on a essayé de tirer argument par diverses inductions plus ou moins éloignées. Nous sommes ici dans le siège de la matière et je crois trouver dans l'article lui-même la solution de la question qui nous divise. Je m'abstiendrai également d'analyser tout ce qui peut s'être dit au Congrès et qui touche de près ou de loin à notre sujet.

Toutefois, deux choses m'ont frappé dans le raisonnement que j'ai entendu développer à cet égard dans les deux dernières séances.

On a beaucoup parlé des discussions préliminaires. Or, j'ai remarqué que deux membres, dans le Congrès, s'étaient fait les interprètes de l'opinion qui a réuni les suffrages de plusieurs de nos collègues. Ces deux membres sont M. François et M. Beyts.

M. François avait déposé un amendement dans lequel il distinguait différents cas qui pouvaient se présenter à l'occasion de la responsabilité ministérielle et M. Beyts avait également proposé un amendement sur cet objet.

Ces deux membres proposaient formellement que la cour de cassation n'eût pas à juger les délits commis par les ministres en dehors de l'exercice de leurs fonctions.

Eh bien, qu'est-il arrivé de ces deux amendements qui reflétaient la pensée des orateurs auxquels je réponds ?

Le premier de ces amendements a été renvoyé aux sections. Nous n'avons pas leurs procès-verbaux, mais ce que nous savons, c'est que M. Raikem a fait le rapport sur cet amendement de M. François, et ce que nous savons encore, c'est que la section centrale ne l'a pas adopté ; en effet, M. Raikem, présentant son rapport, a proposé seulement d'ajouter à la rédaction primitive de l'article 90 qui se bornait à dire que la Chambre peut traduire les ministres devant la cour de cassation laquelle est seule compétente pour les juger, cette simple mention que le législateur pourra apporter plus tard des restrictions au principe, lorsqu'il s'agira de l'action civile ou des délits commis par les ministres en dehors de l'exercice de leurs fonctions.

Il est donc bien certain qu'un amendement qui était de tous points conforme à l'opinion de l'honorable M. Van Overloop et de l'honorable M. Lelièvre, n'a pas reçu un accueil favorable de la section centrale du congrès.

il n'a pas passé dans la Constitution et cependant il est clair que si la section centrale avait partagé l'avis de cet honorable membre, le texte qu'il proposait aurait passé dans l'article 90.

L'amendement de M. Beyts a été également rejeté, non plus cette fois par la section centrale, mais par le Congrès tout entier.

Ce sont là deux faits qui se dégagent d'une façon très lumineuse de toutes les autres circonstances qui ont été citées, et qui me semblent démontrer d'une manière évidente que jamais la pensée du Congrès n'a été d'entendre l'article 90 comme l'entendent quelques-uns de nos honorables collègues.

Ainsi, au point de vue du texte et des discussions préparatoires, je crois que l'opinion soutenue par l'honorable rapporteur et partagée par tous les membres de la commission dans laquelle siégeaient deux anciens membres du Congrès, est en quelque sorte indiscutable.

On a, il est vrai, cherché à énerver la portée de cet article 90 à l'aide d'autres articles de notre pacte fondamental.

On a invoqué l'article 94 qui défend d'établir des commissions extraordinaires. Mais (erratum, page 987) je ne pense pas que cet article 94 puisse exercer la moindre influence sur la question ; il ne s'agit pas ici d'une commission extraordinaire ; il s'agit d'une juridiction spéciale qui a été instituée par la Constitution elle-même et à laquelle l'article 94 ne peut s'appliquer.

On a encore invoqué d'autres dispositions, notamment l'article 95 qui (page 979) porte que la cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, sauf le jugement des ministres, et l'on a cru y trouver par induction un argument en faveur de la thèse qui a été soutenue.

Lorsqu'on examine la discussion qui s'est élevée à propos de cet article 95, on s'aperçoit que les paroles qu'a prononcées l'honorable M. Raikem ne peuvent encore une fois confirmer l'opinion des adversaires du projet de loi.

M. de Robaulx avait en quelque sorte proposé que la cour de cassation jouât le rôle d'un tribunal civil a l'égard de certaines affaires, à l'égard des affaires du domaine, à l'égard des affaires qui intéressaient la famille royale, la liste civile.

M. Raikem a répondu que la cour de cassation ne devait pas juger ces sortes d'affaires et que depuis le chef de l'Etat jusqu'au dernier des citoyens, tout le monde devait être justiciable des tribunaux ordinaires. Il est certain que la discussion roulait dans un ordre d'idées tout différent de celui dont nous nous préoccupons en ce moment.

Maintenant que je crois avoir démontré que la cour de cassation est, dans l'état actuel des choses, la juridiction compétente pour statuer sur les délits commis par les ministres en dehors de l'exercice de leurs fonctions, je me demande s'il y a lieu d'user de la faculté que le Congrès nous a accordée de déroger a ce principe qu'il avait posé ? Pour ma part, je ne le pense pas et je ne le pense pas surtout en ce qui concerne les délits.

En ce qui concerne les crimes, je conçois que des scrupules se produisent. L'article 98 de la Constitution porte en effet que le jury est établi en toutes matières criminelles. Mais quant aux délits, je ne puis admettre que nous dérogions à la juridiction établie par l'article 90. Et, en effet, le législateur constituant a voulu, non pas établir une juridiction favorable aux ministres, mais assurer avant tout une répression exacte, une répression sincère.

Je sais parfaitement bien que, dans notre pays, tous les tribunaux, sans distinction, sont indépendants du pouvoir, et qu'on ne peut assez rendre hommage à leur haute impartialité.

La magistrature belge donne, à cet égard, un grand exemple, que l'on ferait bien d'imiter ailleurs.

Mais il est certain cependant qu'un tribunal qui, comme la cour de cassation, est placé au haut de l'échelle sociale, un tribunal dont les membres n'ont plus rien à attendre du gouvernement, est placé dans une position plus favorable pour apprécier les actes commis par les ministres qu'un tribunal ordinaire.

J'ajouterai que si, au fond des choses, cela ne peut exercer aucune espèce d'influence, au moins au point de vue de l'opinion publique, cela a une certaine gravité. Il ne faut pas que la femme de César puisse même être soupçonnée. S'il en est ainsi, la cour de cassation est la juridiction qui peut le mieux apprécier les faits posés par les ministres, parce que si elle les acquitte, personne, même les plus incrédules, ne pourra la soupçonner d'un excès de bienveillance.

J'ajoute que le système que je soutiens n'est pas, comme on l'a prétendu, le système de l'irresponsabilité des ministres, et que s'il y a un système qui mène à l'irresponsabilité, même à l'impunité des agents du pouvoir, c'est celui qui tend à laisser, quant à la juridiction, les ministres dans le droit commun.

En effet, supposons qu'on décide que les ministres sont exactement dans le même situation que le dernier des citoyens, quel en sera le résultat ? C'est que le procureur du roi aura la mission de mettre en mouvement l'action publique et que, à défaut du procureur du roi, la partie lésée pourra le remplacer en ce qui concerne les tribunaux correctionnels.

Vous concevez, messieurs, que le procureur du roi ne sera guère tenté de commencer une poursuite.

Il y a plus : on veut se mettre en garde contre une hypothèse qui, je l'espère, ne se réalisera jamais, celle de ministres voulant se soustraire a un jugement régulier de leurs actes.

Dans ce cas, le ministre de la justice qui est le chef de tous les membres des parquets du royaume, qui est en définitive le dépositaire suprême de l'action publique, n'aura qu'à donner à ses subordonnés l'ordre de s'abstenir, et cet ordre ils sont tenus de le respecter parce qu'il sera donné conformément à la loi et aux attributions qu'elle confère au ministre de la justice.

Il restera, il est vrai, la partie lésée qui a devant les tribunaux correctionnels le droit de citation directe, mais elle sera désarmée quand il s'agira d'un crime, puisqu'elle ne peut intenter d'action que devant le tribunal correctionnel.

Par suite de ce qui précède, je me crois autorisé à dire que le système qui consiste à prétendre que les ministres doivent être assimilés complètement aux citoyens ordinaires, que ce système conduit directement à l'irresponsabilité des ministres.

J'en conclus encore que la Chambre doit avoir le pouvoir de mettre les ministres (erratum, page 987) en accusation même pour les délits communs ; et si vous voulez avoir cette garantie, conforme à la Constitution, vous ne pouvez pas admettre le renvoi devant un tribunal correctionnel ; lorsque c'est la Chambre, lorsque c'est le pays lui-même qui accuse, il faut que la juridiction appelée à statuer soit en quelque sorte proportionnée au rang de l'accusateur. C'est donc à la cour de cassation que l'affaire doit être déférée.

Je signale ici, messieurs, une contradiction de certains adversaires du projet. Ces honorables membres proposent à la Chambre d'établir une juridiction exceptionnelle pour les ministres, qui ne sera pas celle de la cour de cassation.

Je conçois sans la partager une opinion radicale, je conçois que l'on puisse soutenir que les ministres doivent être complètement assimilés aux citoyens ordinaires, mais je ne conçois pas qu'on vienne nous reprocher de créer une juridiction exceptionnelle et qu'on propose en même temps de remplacer cette juridiction que l'on combat par une autre juridiction exceptionnelle, qui ne présente pas les mêmes garanties. Du moment que vous admettez qu'il faut un tribunal spécial et vous êtes bien forcés de l'admettre, conservez la juridiction qui est indiquée par la Constitution elle-même, renvoyez les ministres devant la cour de cassation, et vous aurez ainsi une législation harmonique, puisque la même autorité judiciaire prononcera sur les délits communs et sur les délits commis par le ministre dans l'exercice de ses fonctions.

Tels sont les motifs, messieurs, qui me déterminent à adopter, en ce qui concerne les délits, le principe posé dans le rapport de la commission spéciale. Je ne conserve qu'un scrupule ; c'est celui-ci : Faut-il également déférer à la cour de cassation les crimes commis par des membres du cabinet ? Je reconnais que cette question mérite un sérieux examen ; toutefois je ne puis m'empêcher de constater que le législateur constituant nous a ici en quelque sorte tracé la marche à suivre. En effet, messieurs, les ministres qui se rendent coupables d'un délit dans l'exercice de leurs fonctions devraient, aux termes de l'article 98 de la Constitution, être traduits devant le jury ; cependant le Congrès n'a pas pensé qu'il fallût en agir ainsi.

Il avait cependant l'exemple d'autres législations ; il existe des constitutions où l'on a établi une espèce de haut jury national devant lequel on fait comparaître les ministres lorsqu'ils se sont rendus coupables de faits répréhensibles.

Le législateur constituant a préféré au Sénat, à un jury national, une juridiction tout à fait indépendante qui devait donner des garanties complètes à tous les intérêts engagés dans la question. A ce point de vue, je crois que l'on peut encore soutenir que les ministres doivent être privés de cette garantie que la Constitution a donnée aux citoyens.

Je le crois, parce que cette garantie, qui est réelle pour les uns, n'en est peut-être pas une pour les ministres : dans la situation où ils se trouvent placés, à raison même de la haute position qu'ils occupent dans le pays, à raison de la direction politique qu'ils impriment aux affaires, les ministres soulèvent contre eux des inimitiés, des haines personnelles ; ils peuvent se trouver, lorsqu'ils sont en présence du jury, en face de gens prévenus, en face d'adversaires et il peut être juste et opportun, pour éviter un aussi déplorable résultat, de les traduire devant la cour de cassation qui du moins les jugera avec impartialité.

Je le répète, messieurs, si nous suivons à cet égard le système de la commission spéciale, nous marchons dans la voie tracée par le Congrès.

Toutefois, je crois, en ce qui concerne ce point, devoir réserver dans certaines limites mon opinion, parce je reconnais que ce n'est pas sans motifs sérieux que des doutes ont pu surgir dans l'esprit des membres de cette Chambre.

Ces observations faites, je passe à la deuxième question que j'avais annoncée au commencement : Faut-il admettre la nécessité d'une autorisation préalable de la Chambre, sans laquelle le ministre ne peut être poursuivi ? On s'est fortement élevé contre la nécessité de cette autorisation, et on a donné, pour la combattre, ce motif principal que la disposition est contraire au principe de la séparation des pouvoirs.

(erratum, page 987) Il m'est impossible de comprendre en quoi il serait porté atteinte à ce principe qui est la base de notre Constitution. Sans doute les membres du gouvernement pourront échapper à une poursuite, mais en agissant ainsi dans un intérêt général, la Chambre assurera au contraire l'indépendance respective des pouvoirs et empêchera que le pouvoir judiciaire n'absorbe et n'annihile le pouvoir exécutif.

(page 980) Peut-on admettre notamment qu'un simple particulier puisse saisir un tribunal correctionnel ou même, d'après nous, la cour de cassation et forcer un ministre, investi de la confiance du Roi et des Chambres à venir se défendre contre une accusation sans base sérieuse ?

Ce serait permettre, de gaieté de cœur, l'abaissement des plus hautes fonctions du pays.

On est quelque peu embarrassé, cependant, en présence de l'article 45 de la Constitution ; il est difficile de ne pas admettre qu'un privilège analogue à celui des membres de la Chambre doive être accordé aux membres du cabinet. On prétend, toutefois, le leur refuser, parce que les mêmes motifs n'existeraient pas.

On comprend très bien, dit-on, que le Congrès ait établi cette exception consacrée par l'article 45, lorsqu'il s'agit des membres des Chambres, parce qu'il dépendrait d'un juge d'instruction ou d'un procureur du roi de déplacer la majorité.

Je ne crois pas, messieurs, que ce motif soit jamais entré dans la pensée du Congrès ; je crois que la pensée du Congrès a été tout autre : c'est que les membres de la Chambre sont investis d'un mandat public et que l'intérêt général exige avant tout que ce mandat soit rempli ; dès lors il doit être permis de surseoir pendant quelque temps aux poursuites. Voilà, selon moi, le véritable motif. Eh bien, messieurs, si nous nous plaçons au point de vue des intérêts généraux du pays, nous devons, à fortiori, reconnaître la nécessité d'une autorisation de la Chambre lorsqu'il s'agit de membres du cabinet. Aussi j'appuie entièrement la disposition contenue dans le projet.

J'arrive, enfin, messieurs, à l'action civile.

L'action civile est régie dans le projet de loi par l'article 7 et les honorables membres de la commission ont cru devoir enchaîner d'une façon radicale l'action civile à l'action publique. Je ne puis pas, je l'avoue, partager leur manière de voir à cet égard. En effet, je ne vois pas de motif sérieux pour renoncer ici aux dispositions de droit commun. D'après ce droit commun, la partie lésée pourra aussi longtemps que la Chambre n'aura pas traduit le ministre devant la cour de cassation, le poursuivre devant le tribunal civil ; dès que la cour de cassation sera saisie, le cours de l'action civile sera suspendu jusqu'à là décision définitive sur l'action publique.

La partie lésée pourra aussi se joindre à l’instance pendante devant la cour de cassation ; enfin elle pourra attendre le résultat de cette instance, puis se pourvoir après devant les tribunaux ordinaires.

Je le répète, je ne vois dans cette marche aucune espèce d'inconvénient, et je vois, au contraire, des dangers sérieux dans l'adoption de l'article 7.

L'honorable rapporteur a reconnu lui-même qu'il n'y a pas ici un intérêt social analogue à celui qui est en jeu dans l'action publique ; il ne s'agit pas ici d'arracher un ministre à son banc, il s'agit d'une action civile et il est fort indifférent au pays qu'un ministre dans un procès civil vienne à gagner où à perdre sa cause.

Ainsi l'intérêt général est complètement dégagé dans cette question.

L'honorable rapporteur (erratum, page 987) invoque un autre motif pour lequel cette disposition doit passer dans la loi. C'est que la juridiction suprême de la cour de cassation a été saisie et qu'on ne peut demander qu'une autre juridiction, une juridiction inférieure soit saisie après elle.

Messieurs, ce motif prouve trop. S’il était vrai, il est beaucoup de choses dans notre législation qui n'existeraient pas. Ainsi lorsqu'un accusé a comparu devant une cour d'assises qui est, en définitive, une des juridicions les plus élevées de notre pays puisqu'elle représente en quelque sorte la souveraineté populaire, cet individu peut encore être poursuivi devant le tribunal civil à raison de ces faits et une juridiction complètement inférieure, une chambre d'un tribunal civil aura à apprécier ces faits qui auront déjà (erratum, page 987) été l'objet, à un autre point de vue, de l'examen d’une cour supérieure.

Dès lors je ne vois pas pourquoi lorsque la cour de cassation aura statué au point de vue de la criminalité sur des actes imputés à un ministre, une autre juridiction inférieure ne pourrait pas statuer sur les mêmes faits à raison uniquement des intérêts civils qui peuvent y être engagés.

Ainsi le motif que l'on a donné prouve trop.

Il prouve trop encore si nous nous rappelons les dispositions du code d'instruction criminelle et de la loi de 1810, relatives à certains hauts fonctionnaires.

Il y a là aussi des personnes justiciables d'une juridiction spéciale, et cependant si quelqu'un a éprouvé de la part de ces personnes une lésion civile, il pourra, je pense, en poursuivre la réparation à leur charge devant les tribunaux civils.

Je ne vois donc aucune espèce de difficulté à admettre le droit commun, et ce droit commun est conforme aux discussions préparatoires du Congrès.

L'honorable M. Tielemans qui a dans son Répertoire traité cette question d'une manière remarquable, et qui soutient avec énergie les mêmes conclusions que celles contenues dans le rapport pour l'action publique, déclare qu'après avoir examiné les discussions du Congrès national, il reconnaît que le législateur est libre d'enlever l'action civile aux tribunaux ordinaires, mais il ajoute que l'opinion du Congrès était contraire à une dérogation semblable aux principes généraux du droit et qu'il pensait que l'action civile devait être intentée devant les tribunaux ordinaires.

S'il en est ainsi, nous devons, je pense, nous conformer à l'opinion unanime du Congrès dont nous tenons essentiellement à garder fidèlement l'esprit en toutes matières.

Quant aux dangers que présente la disposition de l'article 7 du projet de loi, ils viennent d'être signalés par l'honorable M. Mouton. En effet, le seul exemple qu'il à cité suffit pour condamner la disposition.

On ne peut admettre qu'un individu lésé par un délit commis par un ministre en dehors de l'exercice de ses fonctions, puisse être exproprié d'un droit civil, parce que la Chambre, dans un intérêt public, dans un intérêt national, par exemple, jugera convenable de ne pas poursuivre le ministre.

Cela ne pourrait être admis, messieurs, que pour autant que la Chambre votât en même temps une indemnité en faveur de la partie lésée. Sans cela ta disposition serait inique au plus haut degré.

La disposition est encore mauvaise à un autre point de vue, c'est que la plupart du temps la partie lésée reculera devant une instance devant la cour de cassation.

Elle ne voudra pas s'exposer à supporter les frais considérables qui peuvent, en cas d'acquittement, résulter d'une semblable poursuite. La Chambre n'ignore pas que le procès des ministres de Charles X a coûté une somme de 80,000 à 100,000 fr.

Enfin, l'honorable M. Van Overloop nous à fait remarquer que la disposition du projet entraînait l'extinction de l'action civile par la mort du coupable, de sorte que si le ministre venait à se suicider, ses représentants ne seraient plus responsables du dommage qu'il aurait causé.

Tels sont, messieurs, les motifs qui nie détermineront à voter contre l'article 7 du projet de loi, si toutefois la commission le maintient, si elle persiste à vouloir faire dépendre complètement le sort de l'action civile de celui de l’action publique.

Messieurs, en Suisse, où l'on s'est également occupé de la question, lorsqu'il s'agit dès actions civiles dirigées à raison de crimes et délits ordinaires contre les hauts fonctionnaires de la confédération, les tribunaux civils sont compétents ; c'est le régime du droit commun.

Lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit commis dans l'exercice des fonctions publiques, la partie lésée doit demander l'autorisation de l'assemblée fédérale.

Mais si celle-ci juge convenable de ne pas autoriser les poursuites, l'Etat se rend solidaire des fonctionnaires qu'il couvre de sa protection et la partie lésée a le droit d'actionner l’Etat lui-même. De cette manière les intérêts de tout le monde sont sauvegardés.

Ces dispositions me paraissent sages et de nature à être imitées en Belgique.

En résumé j'approuve et je voterai la plupart des dispositions du projet qui sont relatives à l'exercice de l'action publique, mais je me vois dans la nécessité de refuser mon assentiment à l'article 7 qui crée un état de choses contraire aux principes généraux du droit, sans que cette dérogation se justifie par des raisons d'intérêt général.

M. Vleminckxµ. - Messieurs, je ne viens pas examiner devant vous si la cour de cassation est seule compétente pour connaître des crimes et délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions. Vous me déclareriez incompétent et vous auriez raison.

Je comprends très bien néanmoins que l'on soutienne cette opinion, de même que celle qui défère les mêmes, crimes et délits aux tribunaux ordinaires ; opinion bien plus démocratique et plus confirme à l'esprit de nos institutions, mais il est un point qui doit être réglé et mis hors de doute par la loi, quelle que soit celle de ces opinions que l'on adopte.

L'honorable M. Dumortier vous disait hier que la loi que nous discutons pourrait bien s'appeler la loi d'impunité des ministres. Je ne puis me défendre de reconnaître que cette appellation n'est pas tout à fait erronée, sous certains rapports.

Voyons un peu. Qu'a donc stipulé le projet de la commission pour les cas de flagrant délit ! Rien, absolument rien.

M. Lelièvre. - L'arrestation est toujours de droit en cas de flagrant délit.

(page 981) M. Vleminckxµ. - Pourquoi cette abstention ? La supposition du crime flagrant est-elle donc inadmissible ? Nullement. N'avons-nous pas vu, en France, un pair tuer sa femme ? N'avez-vous pas tous encore présente à la mémoire, la triste et lugubre histoire Praslin ? Je supposé que ce cas se présente ; que la commission veuille bien nous dire ce qui adviendra ? Au moins, pour les membres des deux Chambres, la chose est prévue. L'article 5 de la Constitution s'en expliqué formellement.

Voici cet article :

« Aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière de répression, qu'avec l'autorisation de la Chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit. »

Pourquoi donc n'y a-t-il rien de semblable dans le projet de loi, quant aux ministres ? Voici ce qui peut arriver :

Un ministre commet un crime, hors de l'exercice de ses fonctions.

Pour qu'il y ait instruction et poursuite, il faudra l'autorisation de la Chambre des représentants.

Mais la session est close ; la Chambre n'est pas assemblée ; elle est dissoute même, et grâce à votre loi, le ministre criminel...

M. De Fré. - La question est de savoir s'il est criminel.

M. Vleminckxµ. ... restera en liberté, et s'il le veut, tranquillement et sans se gêner, il pourra se soustraire à la peine qui l'attend, en s'expatriant.

Est-ce que cet état de choses est avouable et n'est il pas vrai qu'il est de nature à jeter l'alarme dans la société que votre loi n'aura pas suffisamment sauvegardée ?

Je pourrais étendre ces considérations, mais elles me semblent suffire pour légitimer l'amendement que j'ai l'honneur de vous proposer : il consiste dans l'adjonction au deuxième paragraphe de l’article 2, des mots suivants : « Sauf le cas de flagrant délit. »

Le troisième paragraphe serait conçu comme suit :

« Si le ministre est membre du sénat, la poursuite ne pourra avoir lieu, pendant la durée de la session, qu'avec l'autorisation de cette assemblée. »

Cette disposition sauvegarde, dans tout état de cause, les droits de la société. Ministre non représentant ou sénateur, ministre représentant, ministre sénateur ; tous pourront être arrêtés préventivement en cas dé flagrant délit.

Il n'y a pas d'intérêt supérieur à cet intérêt-là,

Il va de soi que le minière une fois arrêté il serait sursis à l'instruction et à la poursuite jusqu'à ce que l'autorisation de la Chambre eût été accordée. (Interruption.) C'est possible, mais en attendant le criminel se promènera librement dans les rues.

Il est un autre point sur lequel j’hésite à émettre un vote. L'article 3 de la loi statue que même pour les crimes et délits, commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions, la Chambré peut déléguer pour les poursuites un ou deux commissaires. J'ai vainement cherché dans le rapport les motifs de cette disposition. Voici tout ce que j'y ai lu : « L'article 3 du projet confie la poursuite aux soins du procureur général près de la cour de cassation ; toutefois la Chambre des représentants peut, en autorisant la poursuite, en charger un ou plusieurs délégués. »

Ces mots ne sont que l'indication de la disposition, mais ils ne la justifient pas. A mon avis, c'est là une véritable confusion d'attributions de pouvoir. Il y a près de la cour de cassation un parquet chargé de poursuivre : pourquoi voulez-vous dans les cas de crimes et délits non politiques, le remplacer ou l'aider par des délégués de la Chambre, corps essentiellement politique ?

Je comprendrais jusqu'à un certain point la disposition pour les crimes et délits commis dans l'exercice des fonctions ; que la Chambre intervienne alors, qu'elle charge des délégués de la poursuite ; Cela peut s'expliquer ; mais évidemment il n'en est plus de même, lorsqu'il s'agit des faits pour lesquels a été fait le projet qui nous est présenté. (Interruption.)

Comment voulez-vous que le procureur général près la cour de cassation, le plus haut magistrat du royaume, connaissant un crime, ne le poursuive pas ? L'opinion publique est là qui l'obligerait à poursuivre ; il se rendrait coupable d'un crime lui-même s'il ne poursuivait pas. Il ne me semble pas qu'on puisse mettre en doute la probité du procureur général de la cour de cassation ; le procureur général poursuivra.

M. Dolezµ. - Et si ce n'est pas son avis.

M. Vleminckxµ. - Je parle de crimes et de délits.

- Un membre ; Et si le crime ou le délit n’est pas démontré ?

M. Vleminckxµ. - Mais il est flagrant.

MfFOµ. - Vous supposez le crime existant et prouvé, mais il peut être contesté.

M. Vleminckxµ. - Mais encore une fois il s'agit d'un crime flagrant.

L'article, tel qu'il est conçu, présente donc à mes yeux le double inconvénient d'établir une confusion d'attributions de pouvoirs et de ne présenter aucune utilité. Je crois que le législateur doit s'abstenir de prendre des dispositions pareilles. C'est pour ce motif que je propose de rayer de l'article 3 les mots : « à moins que, etc. »

M. Pirmez. - Plusieurs des honorables membres qui viennent de prendre la parole ont fait la critique de la disposition qui concerne l'exercice de l'action civile.

Je crois que cette disposition dépasse le but que s'est proposé la commission et je soumets à la Chambre un amendement qui me paraît concilier les idées à la commission avec les observations de MM. Mouton et Dupont.

Il est impossible, lorsque la cour de cassation a statué sur l'action publique, de faire recommencer le procès devant une juridiction ordinaire. Il y a là un fait trop grave, un intérêt trop élevé, pour qu'on permette à un tribunal inférieur de réviser ce qu'aura fait la cour suprême. Ces inconvénients ne seraient pas compensés par des avantages équivalents.

Lorsque la cour de cassation sera saisie du jugement d'un ministre, le fait sera tellement notoire que les parties lésées se trouveront en demeure d'intenter leur action. Il n'y a donc pas le moindre inconvénient à déclarer qu'après le jugement de la cour de cassation, il n'y aura plus d'action civile possible. En cela je suis d'accord avec la commission. Mais il peut arriver qu'il n'y ait pas d'action publique ; dans ce cas, les tribunaux ordinaires doivent pouvoir être saisis, Sauf, si, après l'action civile intentée, l'action publique est mise en mouvement, à joindre l'action civile à l'action publique. Ainsi donc, s'il n'y a pas d'action publique, les tribunaux ordinaires doivent connaître de la demande de la partie lésée ; s'il y a action publique avant que l'action civile soit terminée, l'action civile sera jointe comme accessoire à l'action publique.

En adoptant ce système, tous les inconvénients signalés seront évités.. Je me trompe : il y a encore une objection de M. Dupont. M. Dupont nous a dit : Voulez-vous obliger les personnes qui auront à se plaindre d'un délit de droit commun commis par un ministre à supporter tous les frais de l’instance en cassation ?

Il faut introduire dans la loi une disposition qui exemptera la partie lésée des frais de l'action publique. Il est juste que tous les frais de l'action publique demeurent à la charge de l'Etat. (Interruption.)

Comme les parties privées n'ont aucune influence sur l'action publique, il n'y a pas le moindre inconvénient à lui attribuer seulement les frais de l'action qu'elle aura intentée.

Voici comment je propose de consacrer les différentes propositions que je viens d'énoncer :

« Lorsqu'un ministre aura été mis en accusation, l'action civile résultant du crime ou du délit ne peut être poursuivie que devant la cour de cassation et en même temps que l'action publique. Si l'action civile a été portée antérieurement devant les tribunaux civils ordinaires et qu'elle ne soit pas définitivement jugée, elle sera dévolue à la cour de cassation. La partie civile ne pourra être condamnée aux frais de l'action publique. »

Maintenant, puisque j'ai la parole, j'appelle l'attention de la Chambre et spécialement celle de la commission sur la difficulté d'observer les dispositions de la loi de 1832 sur le nombre des magistrats qui composent la cour de cassation. Cette cour se compose de 17 conseillers, y compris les présidents ; or, la loi de 1832 exige que 16 conseillers soient au siège pour que la cour soit régulièrement composée.

D'autre part, il peut arriver, d'après le projet de loi même, que la Cour de cassation délègue un du plusieurs conseillers pour faire l’instruction. Si elle le fait, le conseiller délégué, au moins d'après le rapport, ne pourra plus faire partie du siège, de sorte qu'il faudra que tous les conseillers de la cour de cassation prennent part à la connaissance de l'affaire.

Or, il faut remarquer que les conseillers de la cour de cassation sont fort âgés pour la plupart, qu'ils sont par conséquent plus sujets que les autres magistrats à des indispositions, et vous savez, messieurs, que dans les autres tribunaux les maladies sont un obstacle assez fréquent à la composition du siège.

D'un autre côté, les conseillers à la cour de cassation peuvent avoir à se récuser. Dans le procès actuel il y aura un grand nombre d'accusés et je ne sais pas si, parmi les membres de la cour de cassation, il (page 982) n'en est pas qui sont parents de quelqu'un des nombreux prévenus possibles. Il pourrait donc arriver que le procès ne pût pas aboutir.

Enfin, il peut se faire que les procès doivent durer assez longtemps. Quand il s'agit d'affaires criminelles déférées à la cour d'assises, si l'on prévoit que le procès doit prendre certaines proportions, on adjoint des jurés supplémentaires. Semblable disposition serait impossible ici.

Je signale ce point à la commission qui verra ce qu'il y a lieu de faire pour parer à la difficulté que je signale.

M. Lelièvre. - Je désire avoir une explication de l'honorable rapporteur, relativement à la portée de l'article 2. En cas de flagrant délit, si le fait donne lieu à l'application d'une peine afflictive ou infamante, le ministre pourra-t-il être arrêté ?

Je suppose un assassinat ou tout autre fait entraînant une peine criminelle, l'inculpé ne pourra-t-il être saisi qu'avec l'autorisation de la Chambre, si le délit est flagrant ?

J'aurai l'honneur de faire observer à la Chambre qu'en cas de flagrant délit l'arrestation est de droit, et que cette hypothèse n'est jamais tombée sous l'application de la loi qui requiert le consentement d'un corps quelconque pour commencer une poursuite.

Ainsi, lors de l'assassinat imputé au duc de Praslin, les magistrats instructeurs avaient cru ne pouvoir arrêter l'inculpé, parce qu'aux termes de la charte française aucun pair ne pouvait être arrêté qu'avec le consentement de la chambre des pairs. Eh bien, lorsque l'affaire fut portée devant la cour des pairs, l'archichancelier, M. Pasquier établit de la manière la plus positive qu'en cas de flagrant délit, l'arrestation est toujours de droit et que jamais elle ne peut être entravée par une position privilégiée.

En conséquence, le président de la cour des pairs n'hésita pas à blâmer la conduite des magistrats qui n'avaient pas procédé à l'arrestation. Il est donc évident que si la Chambre voulait admettre un système prohibant l'arrestation en cas de flagrant délit, il faudrait nécessairement énoncer dans le projet de loi une disposition formelle sur ce point. Je n'hésiterais pas du reste à considérer semblable disposition comme une énormité.

En effet, l'arrestation en cas de flagrant délit est un acte de défense de la société qui ne peut jamais rester désarmée. Cet acte de défense ne peut être entravé par aucun privilège quelconque. Je prie donc M. le rapporteur de vouloir nous dire quel est la portée de l'article 2 au point de vue que j'ai signalé.

- L'amendement de M. Pirmez est appuyé ; il fait partie de la discussion.

M. Delcour, rapporteurµ. - Je ne reviendrai pas, messieurs, sur les questions générales qui ont été discutées hier d'une manière très longue et approfondie.

Je vais me borner à répondre aux diverses questions qui m'ont été adressées, et vous donner quelques explications sur l'ensemble du projet que nous avons eu l'honneur de vous présenter.

L'honorable M. Mouton m'a posé deux questions.

Voyons d'abord quelle est l'organisation que la commission vous propose.

La Chambre des représentants intervient pour autoriser la poursuite ; mais, une fois l'autorisation accordée, le procureur général près la cour de cassation exerce toutes les attributions qui appartiennent au ministère public.

Il est donc incontestable que le procureur général devra poursuivre l'action publique ; et qu'il aura à accomplir tous les devoirs que la loi impose au ministère public dans les cas ordinaires.

La loi prévoit deux hypothèses. Elle prévoit le cas où un ministre se rend coupable d'un crime et le cas où il se rend coupable d'un délit. Il ne peut guère se présenter de difficulté, si le ministre s'est rendu coupable d'un délit. D'après le code d'instruction criminelle, le tribunal correctionnel peut être saisi même sans qu'il y ait eu une instruction préparatoire ; et le projet décide que la cour de cassation suivra les formes ordinaires établies par le code d'instruction criminelle. Nous avons donc déjà répondu à ce point par la disposition générale que je viens de citer.

Mais il peut arriver qu'à l'occasion de la poursuite d'un crime et même à l'occasion de la poursuite d un délit, il soit nécessaire de se livrer à une instruction préparatoire.

C'est dans ce cas que la cour de cassation déléguera un ou plusieurs de ses membres pour procéder à l'instruction préparatoire. L'instruction préparatoire terminée, se présente la question suivante : Que fera-t-on ? Etablira-t-on une chambre du conseil ? Etablira-t on une chambre des mises en accusation ? Nous ne l'avons point pensé ; c'est pourquoi le projet décide que le procureur général saisira directement la cour et lui fera telle réquisition qu'il jugera convenable.

Je crois, messieurs, que ces explications répondent à la première demande de l'honorable M. Mouton.

L'honorable membre m'a posé une seconde question : Supposons qu'un témoin ait été entendu dans l'instruction préparatoire par le conseiller délégué ? Ce témoin pourra-t-il être appelé de nouveau devant la cour de cassation ? Oui, messieurs, et, en procédant ainsi, on applique le droit commun ; le conseiller instructeur remplit les fonctions ordinaires de juge d'instruction.

Le véritable débat se fera devant la cour de cassation qui, encore une fois, suivra les formes ordinaires, telles qu'on les observe devant les tribunaux ordinaires. Ces explications satisferont, j'espère, complément l'honorable M. Mouton.

Un point délicat, c'est celui qui concerne l'action civile. Plusieurs propositions vous ont été faites. D'après l'honorable M. Dupont, il faudrait supprimer l'article 7 du projet de loi ; l'honorable membre demande de revenir aux principes généraux du droit pénal.

L'honorable M. Pirmez n'est pas allé aussi loin : il est resté dans les principes mêmes du projet de loi, son amendement tend à sauvegarder l'action civile dans tous les cas.

La commission, messieurs, adhère à la proposition ; en voici la raison. Il est certain que le système adopté d'abord par votre commission, beaucoup plus radical que la proposition de l'honorable M. Pirmez, a rencontré une forte opposition sur tous les bancs de la Chambre.

En vous en faisant la proposition, votre commission avait cédé à des considérations d'un ordre supérieur. J'ai eu l'honneur de le dire à la Chambre dans le cours de cette discussion, votre commission avait pensé qu’une fois le procès jugé par la cour de cassation et avec les plus grandes solennités judiciaires, il n'était plus possible de le reproduire sous une forme nouvelle devant une juridiction inférieure.

Mais après les explications de l'honorable M, Pirmez, votre commission n'insiste plus sur sa proposition.

En faisant cette concession, messieurs, votre commission prouve une fois de plus qu'elle n'a voulu qu'une chose : arriver à une solution équitable qui concilie, autant que les circonstances le permettent, les divers intérêts engagés dans cette grave question.

Lorsque la majorité de votre commission vous a proposé, messieurs de procéder à la révision dans le délai de trois ans, à partir du jour de la publication de la loi, elle a eu en vue deux choses ; en premier lieu de constater qu'elle ne vous présentait pas un travail parfait ; et en second lieu, d'obliger le législateur à reprendre, dans un délai déterminé, l'étude d'un projet de loi sur la responsabilité ministérielle.

Pendant ces trois années, chacun de nous pourra étudier la question, apporter des éléments nouveaux ; et, si les circonstances nous le permettent, aborder une bonne fois l'examen d'une question dont, depuis 34 ans, la solution est demandée à la législature.

Messieurs, l'honorable M. Vleminckx a critiqué le projet à un autre point de vue ; il ne comprend pas pourquoi la Chambre se réserve la faculté de déléguer des commissaires spéciaux,

Si j'ai bien compris les motifs de l'honorable M. Vleminckx, je pense qu'il s'est fait une fausse idée du projet de loi.

Il n'est point entré dans notre pensée d'adjoindre, dans tous les cas, des commissaires spéciaux au procureur général près la cour de cassation. C est le contraire qui est vrai.

Le procureur général conserve le droit d'exercer les poursuites, c'est à ses soins que le projet abandonne l'exercice de l'action publique. Mais, messieurs, il peut se présenter des circonstances oh l'administration de la justice elle-même se trouvera plus ou moins gênée dans son action. Ou a prévu plusieurs cas dans la discussion, je ne les rappellerai pas. Cependant le cours de la justice ne peut être suspendu. Si donc de telles circonstances, que nous aimons à éloigner, se présentaient, le projet accorde à la Chambre le droit d'ordonner d'office la poursuite du ministre.

Non, messieurs, la proposition de faire nommer par la Chambre des commissaires n'est point une proposition inconstitutionnelle ; elle découle de la nature même du pouvoir que la Constitution accorde à la Chambre.

L'honorable M. Vleminckx sera convaincu, j'espère, qu'il n'est point entré dans la pensée de la commission de consacrer un empiétement de la Chambre sur le pouvoir judiciaire.

Votre commission n'ignore pas que la séparation des pouvoirs est une des bases essentielles du gouvernement constitutionnel.

J'arrive maintenant à une autre question qui m’a été adressée. On m’a (page 983) demandé si l'article 2 du projet doit s'appliquer au cas de flagrant délit.

Je réponds sans hésiter que votre commission a établi un principe absolu. Un ministre donc ne peut être arrêté, même en cas de flagrant délit, sans l'autorisation delà Chambre. (Interruption.)

Je sais bien que ce principe peut déplaire a quelques membres de la Chambre ; mais je vous prie de ne pas perdre de vue le caractère particulier du ministre.

Un ministre n'est point un fonctionnaire ordinaire, il représente le gouvernement. Oui, messieurs, quel que soit l'acte qu'il pose, quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir sur telle ou telle individualité ministérielle, je dis que nous devons maintenir le ministre dans des conditions qui répondent à son rang et aux besoins du gouvernement.

M. Lelièvre. - En serait-il donc ainsi si, par exemple, un ministre était saisi en flagrant délit du crime d'assassinat ?

M. Delcourµ. - J'arrive maintenant à une autre observation qui a été présentée par l'honorable M. Pirmez.

La loi de 1832 sur l'organisation judiciaire établit que la cour de cassation est composée d'un premier président, de deux présidents de chambre et de seize conseillers. Plus tard, le nombre des conseillers a été réduit à 14. La loi de 1832 établit en outre que la cour siège au nombre de seize conseillers pour juger les ministres.

En présence de la réduction du personnel de la cour, il pourrait être difficile de trouver dans son sein le nombre de juges prescrit par la loi. On pourrait, je pense, se contenter de quatorze conseillers et insérer dans la loi une disposition dans ce sens.

Avant de finir, messieurs, j'aurai l'honneur de déposer sur le bureau divers amendements qui ne modifient pas le fond du projet de loi. Ce sont de simples changements de rédaction.

Une lacune existe dans le projet, lacune qu'il faut attribuer à la célérité que votre commission a apportée dans la présentation de la loi. Elle concerne les commissaires que la Chambre peut déléguer pour exercer la poursuite. Votre commission a complété le projet sous ce rapport.

La commission vous propose de modifier également la rédaction de l'article 5 et de mettre cette disposition en rapport avec les précédentes.

MpVµ. - Ces amendement seront imprimés et distribués.

M. Orts. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la commission a insisté sur cette pensée que, dans son intention, le but qu'il poursuivait était de faire que l'opinion publique obtînt prompte et immédiate satisfaction.

Je suis convaincu, messieurs, que tel a été le but que s'est proposé la commission. Je suis convaincu que ce but, elle l'a consciencieusement poursuivi, et qu'elle le poursuit encore consciencieusement aujourd'hui. Mali je suis convaincu de mon côté qu'elle se trompe et qu'en le suivant sur le terrain où la question est posée, nous faisons fausse route.

Je demande à la Chambre de vouloir bien abandonner la voie dans laquelle nous sommes entrés et de réfléchir à un expédient, à un moyen bien simple de donner satisfaction à des intérêts engagés aujourd'hui dans le débat dont il est question, sans compromettre en quoi que ce soit des intérêts non moins graves, non moins respectables, des prérogatives extrêmement importantes au point de vue politique comme au point de vue des droits de la Chambre, en un mot, de nous renfermer dans le cas présent et de ne pas faire au pas de course une des lois les plus difficiles à faire.

Je demande donc, et j'en donnerai les motifs, ce que j'avais l'intention de demander le jour où l'honorable M. de Brouckere a présenté sa motion, que la Chambre se borne aujourd'hui, sans rien préjuger, sans faire de loi, a renvoyer M. le ministre de la guerre et les personnes impliquées par lui dans le fait du 8 avril, devant la cour de cassation pour y être jugés sur la poursuite du procureur général conformément à la loi.

Plus tard, lorsque nous aurons pu examiner les graves questions qui surgissent à chaque instant et de la part de tous les orateurs qui prennent part à cette discussion, lorsque nous aurons eu le temps d'examiner toutes ces questions avec maturité, avec calme et sans préoccupation aucune, nous ferons une bonne loi, une loi que je désire, une loi que j'appelle et que je suis prêt à contribuer à faire, une loi destinée à combler une lacune sur l'existence de laquelle nous sommes tous d'accord.

La mise en accusation du ministre de la guerre que je propose écarte immédiatement toutes les questions capitales qui viennent d'être soulevées et par le rapport de la commission et par les observations que ce rapport a provoquées.

En effet, messieurs, depuis que nous discutons, il s'est formé, dans cette Chambre, ce que je puis appeler une opinion moyenne sur la seule question que je vous demande de trancher. Presque tous les orateurs qui ont pris part à la discussion se sont rangés à l'opinion qui est le point de départ du rapport du l'honorable M. Delcour ; c'est qu'aux termes de l'article 90 de la Constitution, la Chambre peut déférer a la cour de cassation la connaissance du fait du 8 avril.

Je sais bien que des opinions très respectables combattent ce principe et croient que, constitutionnellement, les tribunaux ordinaires sont seuls compétents. Je pense qu'un membre s'est fait l'organe de cette opinion dans cette enceinte, dans le discours qu'il a prononcé hier.

M. Coomans. - Il y en a beaucoup d'autres.

M. Orts. - Beaucoup d'autres ont dit que cela n'était pas convenable, mais du moins ils ont concédé qu'il était possible de le faire, et les inconvénients qu'ils voyaient à décréter ce renvoi à la cour de cassation pour des crimes ou délits, venaient précisément de ce que ce serait une règle générale pour l'avenir, bien plus que pour l'appréciation du fait spécial du 8 avril.

En effet, plusieurs membres de cette Chambre vous ont dit, et c'est encore une des graves questions que la loi soulève : nous comprenons que la cour de cassation, qui est en définitive un tribunal, juge sur ce que les tribunaux ordinaires jugent dans les circonstances ordinaires, sur des délits, sur des contraventions. Mais s'il s'agissait d'un crime (et lorsqu'on fait une loi pour l'avenir, il faut prévoir les crimes comme les délits), vous avez une disposition constitutionnelle qui proclame la compétence absolue du jury en matière criminelle, et votre loi générale va froisser ce grand principe.

Je n'examine pas si l'objection est fondée ou si elle ne l'est pas, je ne veux pas la discuter, et c'est pour qu'on ne la discute pas, ainsi que bien d'autres, que je fais ma motion ; mais je dis : Puisque, dans le cas présent, il ne s'agit que d'un simple délit, cette question constitutionnelle ne se présente pas en face de ma proposition.

On a beaucoup parlé de l'égalité des citoyens devant la loi, de leur droit d'être renvoyés devant le juge commun. Eh bien, je dis que, dans le cas spécial qui nous occupe, nous avons en face de nous des citoyens privilégiés qu'il s'agit de renvoyer d'une juridiction privilégiée à une autre.

Il y a un ministre, et la grande majorité des opinions qui se sont exprimées sont d'accord que le ministre doit être nécessairement privilégié au point de vue de l'autorisation de la poursuite et qu'il ne convient pas de le renvoyer devant un tribunal comme le premier venu. II s'agit de militaires qui sont soumis à une juridiction privilégiée. II s'agit de membres de la Chambre que l'on ne peut poursuivre sans autorisation.

J'ajoute que l'article 7 de la loi est un des plus difficiles à rédiger. Vous avez des opinions très divergentes quant à l'action civile naissant d'un délit commis par un ministre : les uns veulent que cette action privée appartienne toujours aux tribunaux ordinaires, les autres veulent qu'elle soit portée devant la cour de cassation, bien que la Constitution défende à cette cour, au moins en matière civile, de jamais connaître du fond des affaires.

Avec ma proposition il n'y a pas de difficulté possible quant à l'action civile ; il n'y en a pas dans l'espèce, il ne peut pas y en avoir.

Vous voyez donc que toutes les grosses questions du débat sont écartées et qu'il ne reste, en définitive, qu'à traduire en vote ce qui est dans la pensée de tout le monde, c'est-à-dire, le moyen de faire en sorte que le fait du 8 avril ne soit pas couvert par l'impunité.

J'ajoute une dernière considération.

En adoptant ma proposition, la Chambre évite encore un inconvénient grave.

Si nous faisons une loi générale, il nous faut le concours des trois branches du pouvoir législatif. Or, sur des questions de droit aussi gravée que celles que vous êtes appelés à trancher par les différents articles du projet, n'est-il pas possible que les éminents jurisconsultes qui siègent au Sénat aient une autre conviction que celle de la majorité de cette Chambre ?

Ne serait-il pas possible que des amendements fussent introduits à notre œuvre, et ces amendements, s'ils étaient dans la conscience de ceux qui voudraient les proposer au Sénat, devraient être proposés par eux. Car il s'agit de réglementer l'avenir, de faire une loi non pour le fait du 8 avril, mais pour toutes les poursuites qui, d'ici à longtemps peut-être, pourront être dirigées en vertu des mêmes principes et dans les mêmes circonstances.

De cette façon, nous pourrions arriver, malgré notre désir que le fait du 8 avril ne soit pas impuni, à une impunité qui serait fatale pour la Chambre vis-à-vis de l'opinion du pays tout entier.

(page 984) Voici, messieurs, ma proposition :

« Vu l'article 90 de la Constitution ;

« Attendu qu'il existe des charges suffisantes que 8 avril 1865 le ministre de la guerre a commis à Bruxelles un fait qualifié délit par la loi du 8 janvier 1841 ;

« La Chambre renvoie devant la cour de cassation, pour y être jugés conformément à la loi, M. le ministre de la guerre et ses codélinquants ou complices ;

« Charge M. le procureur général près cette cour de l'exécution de la présente décision et passe à l'ordre du jour. »

(page 987) M. Coomans. - Messieurs, j'apprécie l'intention de l'honorable M. Orts, qui est à la fois d'ajourner la confection d'une loi très difficile... et de hâter la reprise du cours de la justice.

L'intention est, certes, louable ; mais il se présente des objections assez graves à l'adoption de la proposition.

D'abord, messieurs, ainsi que l'honorable membre le reconnaît, beaucoup d'entre nous croient qu'une autorisation de la Chambre n'est pas nécessaire pour la poursuite des ministres, quant aux crimes et délits commis eu dehors de l'exercice de leurs fonctions ; à ces membres, il serait assez difficile de se rendre au désir de l'honorable M. Orts, a moins que la Chambre ne soit unanime à déclarer que ce vote est émis sous toutes réserves qu'il puisse faire précédent.

Deuxième objection. Avons-nous, Chambre isolée, le droit de prescrire à la cour de cassation une interprétation des lois pour sa gouverne. L'honorable membre veut que justice soit rendue le plus tôt possible. C'est notre désir à tous ; mais n'aura-t il pas manqué son but, si la cour de cassation se déclare incompétente ? Et je crois qu'elle le fera, étant obligée à le faire. (Interruption.)

- un membre. - Elle se conformera à notre loi.

M. Coomans. - Mais non, il n'y a pas de loi ; c'est, dans la pensée de AI. Orts, un simple renvoi du ministre devant la cour de cassation. Il n'y aura donc point de loi, et l'interruption est faite à tort.

Eh bien, messieurs, si la cour de cassation se déclare incompétente, et je crois qu'elle devrait le faire...

- Un membre. - On fera une loi après.

M. Coomans. - Mais alors le but de l'honorable M. Orts est manqué.

Autre souci qui me vient, messieurs. Je crains fort que l'ajournement proposé par l'honorable membre ne soit indéfini. Si nous laissons échapper cette occasion de résoudre au moins la moitié des questions qui se rattachent au vaste problème de la responsabilité ministérielle, se présentera-t-elle encore ? J'en doute fort. J'aurais voulu ne pas laisser échapper cette occasion, non seulement pour faire la loi restreinte qui nous occupe, mais pour faire une loi complète, que nous désirons tous, et que notre devoir était de faire depuis longtemps.

Quoi ! nous parlons sans cesse du respect qui est dû à la volonté du congrès national ; nous cherchons, dans de longs discours, à éclaircir les doutes les plus obscurs qui ont pu se former sur la volonté du Congrès et sur celle de quelques-uns de ses membres, et nous manquons depuis trente-quatre ans à une prescription formelle du Congrès, qui est de rédiger une loi sur la responsabilité ministérielle.

Je voudrais donc, comme après tout, il n'y a pas péril en la demeuré, que nous nous imposions le strict devoir de résoudre, sans aucun retard, toutes les questions qui se rattachent à ce projet de loi.

Messieurs, je vous avoue que j'ai surtout pris la parole afin de protester, c'est le mot propre, contre l'espèce de doctrine que mon honorable ami M. Delcour vient de nous soumettre à propos de la grave innovation qu'il voudrait introduire dans notre droit national en matière d'arrestation des ministres en cas de flagrant délit.

L'honorable membre ne consentira jamais, dit-il, à ce qu'on arrête un ministre en cas de flagrant délit, le crime ou le délit fût-il des plus scandaleux, et cela afin de sauvegarder la dignité des plus hauts agents du pouvoir.

Il me semble, messieurs, que la vraie dignité de gouvernement et de ses agents même les plus haut placés est de respecter les lois et les mœurs, et ce ne serait pas du tout sauvegarder cette dignité que de laisser impuni et scandaleusement impuni un acte aussi grave que celui que l'on peut supposer.

Nous sommes tous passibles de l'arrestation préventive, nous qui ne représentons pas seulement la dignité de la législature, mais qui représentons aussi les intérêts de tiers très respectables, ceux de nos commettants. Je suis très persuadé que l'exception grave introduite dans la Constitution en notre faveur, exception qui porte qu'un membre de la Chambre ne peut être arrêté qu'après l'autorisation de cette assemblée, n'a été dictée que dans l'intérêt des arrondissements que nous représentons. Ce n'a pas été dans notre intérêt. Le Congrès s'est dit avec raison qu'il fallait pourvoir au grand intérêt social de la représentation équitable de toutes les parties du pays, S'il n'y avait eu que notre intérêt personnel en jeu, le Congrès n'eût pas adopté cette exception. Aussi, me semble-t-il que s'il y avait lieu d'étendre cette exception, il faudrait le faire en faveur des représentants bien plutôt qu'en faveur des ministres. Ainsi que je me suis permis de le dire dans une interruption l'autre jour, il est bien plus facile de remplacer un ministre que de remplacer un membre de la Chambre, en ce sens qu'un ministre peut être remplacé en cinq minutes, tandis qu'un membre de la Chambre ne peut l'être qu'au bout d'un certain temps ; et encore le gouvernement peut retarder la convocation des électeurs.

- Un membre. - Il y a un délai légal.

M. Coomans. - Une exception a donc été introduite en faveur des représentants.

Eh bien, cette exception, qui se justifie à certains égards, on veut l'étendre, on veut y donner des proportions plus grandes en faveur des ministres ; on ne veut pas qu'un ministre puisse être arrêté en cas de flagrant délit.

J'avoue, messieurs, qu'il m'est impossible de voir là une pensée libérale lorsque nos Joyeuses Entrées, qualifiées de rétrogrades et de barbares par des ignorants qui ne les ont jamais lues, disaient que jamais le cours de la justice ne pouvait être interrompu en faveur d'aucun agent du pouvoir. Dans nos anciennes Constitutions, il est dit que les ministres, les représentants les plus directs des souverains qui étaient parfois des empereurs et des impératrices, ne pouvaient pas être soustraits à l'action directe et immédiate de la justice. Voilà ce qu'avaient fait nos pères, et ici nous plaçons les mimstres de 1865 bien plus haut que les ministres de 1317 et de 1790.

Messieurs, un mot encore à ce sujet.

Les honorables membres qui croient sauvegarder la dignité du pouvoir royal en permettant à un ministre de conserver la liberté après un crime, ces honorables membres se trompent.

Je suis convaincu que vous enlèverez à l'inviolabilité toutes les garanties que vous enlèverez à la nation contre les ministres.

Voulez-vous garantir pleinement l'inviolabilité royale, garantissez-nous pleinement la responsabilité ministérielle.

Les deux ne font qu'un. La responsabilité ministérielle est le corollaire, la conséquence obligatoire et je le dirai nettement, la condition sine qua non de l'inviolabilité royale.

Ce sine qua non est encore un vieux mot prononcé non seulement en Espagne, il y a sept ou huit siècles, mais aussi dans les provinces belges à la même époque.

Ainsi donc, dans l'intérêt de l'inviolabilité royale garantissez-nous la responsabilité ministérielle. Ne nous marchandez pas cette garantie.

Les cas d'application, je l'espère, ne se présenteront point, du moins avec la gravité qu'on peut supposer en théorie, mais respectons au moins les principes.

Un dernier mot.

Il me paraît que, dans tous les pays libres, la compétence est réglée d'après la nature des choses plutôt que d'après la qualité des personnes.

Anciennement dans beaucoup de cas c'était le contraire. La compétence des tribunaux était réglée d après les personnes et cela s'expliquait jusqu'à un certain point ; la distinction des classes était une des bases de la société féodale. Là, il fallait, pour être logique, régler la compétence d'après la qualité des personnes,

Aujourd'hui, Dieu merci !, que nous avons déclaré que tous les citoyens jouissent des mêmes droits, que la dignité de tous citoyens est la même, restreignons au cas de nécessité absolue les exceptions de la nature de celle qui vous est soumise.

Bornons-nous à les subir et ne les créons pas arbitrairement et capricieusement.

(page 984) M. Dumortier. - Messieurs, je crois que la proportion de l'honorable M. Orts est le seul moyen de sortir de la difficulté dans laquelle nous sommes placés et j'avais déjà eu l'honneur de vous signaler cette difficulté hier. Je le remercie de nous avoir présenté ce moyen.

Il est un fait certain, c'est que le projet de loi qui vous est soumis présente de telles difficultés d'examen, surtout par suite des principes adoptés par la commission, que je ne pense pas que d'ici à bien longtemps une loi basée sur de pareils principes puisse être votée par le parlement.

Je crois, messieurs, qu'il est facile de répondre au scrupule que vient de vous exposer mon honorable ami M. Coomans.

Mon honorable ami présente deux objections principales. Suivant lui, dans toutes les hypothèses, les cas posés par les ministres en dehors de l'exercice de leurs fonctions doivent être déférés aux tribunaux ordinaires.

D'autre part, il soulève cette question : Qu'arrivera-t il si la cour de cassation se déclarait incompétente ?

Je crois que l'examen attentif du texte de la Constitution peut donner satisfaction à mon honorable ami.

D'abord il se demande si, dans toute hypothèse, un ministre ne doit pas être traduit devant les tribunaux ordinaires pour les délits commis en dehors de ses fonctions politiques.

Je répondrai à mon honorable ami que je partage complètement son opinion, que tel doit être l'état des choses quand la loi sera faite, mais que le texte de la Constitution est formel, qu'il ne distingue pas et que jusqu'à ce que la loi soit faite il est interdit de distinguer.

L'article 90 de la Constitution porte :

- « La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour d- cassation qui seule a le droit de les juger, chambres réunies. »

Veuillez remarquer, messieurs, que dans cette partie de l'article il n'est pas du tout stipulé que les ministres doivent être traduits devant la cour de cassation, ni pour les délits politiques, ni pour les délits privés.

C'est une disposition générale. Mais elle ajoute : « Sauf ce qui sera statué par la loi quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée, et aux crimes et délits que les ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions. »

Je demeure profondément convaincu que ce qui ne se trouve pas dans le premier membre de l'article est clairement exprimé par les mots : « sauf ce qui sera statué. »

Le Congrès a voulu par là dire que les crimes et délits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions sont du ressort de la cour de cassation ; mais l'article ajouta :

« Sauf ce qui sera statué par la loi. »

Or, la loi n'existant pas, cette volonté constitutionnelle est encore suspendue.

Mais à côté de cela vient un autre article de la Constitution, l'article 134 qui dit :

« Jusqu'à ce qu'il y soit pourvu par une loi, la Chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre et la cour de cassation pour le juger en caractérisant le délit et en déterminant la peine. »

Vous le voyez, messieurs, ici il est pourvu à toutes les difficultés. C'est donc dans tous les cas, lorsqu'un ministre est mis en accusation par la Chambre, la cour de cassation qui doit le juger.

Jusqu'à ce que la loi soit faite qui établira la distinction prescrite par l'article 90 entre les délits qui seront du ressort de la cour de cassation et ceux qui seront du ressort des tribunaux ordinaires, nous avons plein et entier pouvoir. Maintenant est-il possible que la cour de cassation se déclare incompétente ? Je ne le pense pas ; l'article 134 est tellement clair, tellement impérieux, que le doute ne paraît pas possible. Mais supposons qu'elle se déclare incompétente : qu'en résultera-t-il ? C'est que nous aurons dégagé notre responsabilité et c'est déjà un grand point.

Je crois donc que nous pouvons adopter la proposition de M. Orts ; seulement comme l'heure est un peu avancée, je crois que nous devrions remettre notre discussion à demain.

MjTµ. - Cette proposition devrait être renvoyée à l'examen de la commission.

M. Dumortier. - Ce ne serait pas un mal.

M. Bara. - La commission a déjà eu à se prononcer sur une proposition semblable et l'a rejetée.

M. Dumortier. - Je n'insiste pas. Je crois avoir démontré à mon honorable ami que ses scrupules ne sont pas fondés, que la cour de cassation doit nécessairement se déclarer compétente et que si par impossible elle se trouvât incompétente la Chambre des représentants aura dégagé sa responsabilité.

M. Delcourµ. - Je ne serai pas long : je dirai seulement deux mots pour expliquer ce qui s'est passé au sein de la commission.

La question soulevée par la proposition de M. Orts y a été examinée ; je dirai même que plusieurs membres de la commission étaient assez disposés, dans le principe, à vous proposer la mise en accusation immédiate du ministre de la guerre.

Mais, après y avoir longtemps et mûrement réfléchi, nous avons été arrêtés par des considérations majeures que je désire faire connaître à la Chambre avant de voter la proposition qui lui est soumise.

Il est incontestable que l'article 90 de la Constitution présente un doute. (Interruption.) Dans ma pensée, messieurs, cette disposition est claire, mais elle ne l'est plus pour plusieurs de nos honorables collègues ; c'est ce que j'ai développé dans le rapport de la commission. Des jurisconsultes d'un grand mérite donnent à l'article 90 une interprétation différente de la nôtre.

Eh bien, qui nous répond que la cour de cassation interprétera la Constitution comme nous ?

Voici la situation dangereuse que l'adoption de la proposition de M. Orts peut créer. Elle peut amener un conflit redoutable entre deux grands pouvoirs de l’Etat. Je suppose que la Chambre des représentants,, usant de sa prérogative constitutionnelle, traduise le ministre de la guerre devant la cour de cassation et que la cour de cassation se déclare incompétente.

M. Coomans. - Voilà le danger.

M. Delcourµ. - Sans doute, nuis qu'arrivera t-il ? Il arrivera, messieurs, que la cour aura infligé une censure à la décision prise par la Chambre des représentants.

- Des voix. - Non, non,

- D'autres voix. - Si, si.

M. Delcourµ. - Je répète qu'aux yeux de tout le monde la décision de la cour sera considérée comme une censure ; la cour dit implicitement que la Chambre a excédé ses pouvoirs.

La plus précieuse peut-être de vos prérogatives constitutionnelles se trouvera compromise aux yeux du pays.

Je crois que quand il s'agit de la dignité de la Chambre, quand il s'agit de nos prérogatives constitutionnelles, nous ne pouvons admettre le contrôle, la censure d'un un autre pouvoir ; nous devons tenir à l'observation pleine et entière de nos droits constitutionnels. Je ne veux pas que l'usage que nous aurons fait de notre droit puisse être contesté, qu'il puisse être arrêté dans ses effets par un pouvoir étranger.

Il est évident pour moi qu'un conflit peut s'élever entre la Chambre et la cour de cassation et qu'il est de notre devoir de le prévenir. Non, vous ne pouvez pas nier qu'un tel conflit ne compromette gravement la dignité de la Chambre.

Voilà, messieurs, la considération qui nous a arrêtés. Je tiens a la produire devant vous afin de dégager la responsabilité de la commission.

Un mot encore sur un point particulier. Tout à l'heure, en parlant du flagrant délit, on m'a considéré comme professant une doctrine de nature à compromettre la sécurité des citoyens.

Il n'en est rien, messieurs ; je me trouve sur ce point en parfaite compagnie. car j'ai reproduit l'opinion de la commission du Sénat sur le titre II, livre 2 du Code pénal.

La commission de la justice du Sénat a rédigé l'article 183 du Code pénal en ces termes :

« Seront punis d'une amende de 200 francs à 2,000 francs et de l'interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, conformément à l'article 45, tous juges, tous officiers du ministère public ou de la police judiciaire, tous autres officiers publics qui auront provoqué, donné, signé un jugement, une ordonnance, un mandat, tendant à la poursuite, à l'accusation d'un ministre, ou, pendant la durée de la session, (page 985) d’un sénateur ou d'un représentant, sans les autorisations prescrites par les lois de l'Etat, ou qui auront, dans les mêmes circonstances donné ou signé l'ordre ou le mandat de saisir ou arrêter soit un ministre, soit un sénateur, soit un représentant, sauf, quant à ces deux derniers, le cas de flagrant délit. »

Cette déposition est claire ; elle punit celui qui a donné l'ordre d'arrêter un ministre, même en cas de flagrant délit. Voici comment ta commission du Sénat justifie la disposition : « Cet article punit le fonctionnaire qui aurait poursuivi un minstre ou un membre des Chambres, sans les autorisations prescrites par les lois de l'Etat.

« Quant aux ministres, la disposition est commandée par l'article 90 de la Constitution ; mais, quant aux membres des Chambres, la disposition est trop générale, elle doit être limitée au temps de la session (article 45 de la Constitution).

« En cas de flagrant délit, les membres des Chambres peuvent être arrêtés pendant la durée de la session (article 45 de la Constitution), même sans autorisation préalable.

« Le projet étend cette disposition aux ministres. Cela paraît inadmissible en l'absence d'une loi réglant la responsabilité ministérielle, et la poursuite à exercer contre les ministres à raison de crimes ou délits commis hors de l’exercice de leurs fonctions.

« Tout officier de police judiciaire, compétent pour opérer l'arrestation d'un citoyen, pourra-t-il arrêter un ministre ? L'arrestation opérée, où le déposera-t-on ? Qui l'interrogera ? qui le poursuivra ? Devant quelle juridiction sera-t-il renvoyé ?

« Ce sont là des questions très graves qu'il ne convient pas de trancher incidemment.

« Dans tous les cas, il importe de préciser ce qu'il faut entendre par flagrant délit. Votre commission partage l'opinion exprimée dans l'exposé des motifs, que cette expression ne comprend que le flagrant délit proprement dit.

« Des considérations d'ordre publie ont pu engager les auteurs de la Constitution à déroger au principe de l'inviolabilité du député, en cas de flagrant délit, parce que, dans ce cas, une autorisation préalable est impossible à obtenir ; mais il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit d'une arrestation opérée par suite d'indices recueillis après le fait consommé. Ces indices ont bien pu être assimilés par le Code d'instruction criminelle (article 41) au flagrant délit, pour faciliter les poursuites dans les cas ordinaires ; mais ces indices, qui n'ont jamais l'évidence du flagrant délit, et qui, s'étant produits plus tard, ont laissé le plus souvent le temps de demander l’autorisation voulue, ces indices, disons-nous, ne peuvent pas faire fléchir le grand principe de l'inviolabilité parlementaire.

« Enfin, votre commission pense qu'il est inutile de dire : arrêter un ou plusieurs ministres. Si l'arrestation d'un ministre est punie, celle de plusieurs ministres ne peut évidemment échapper à la peine. »

Je n'en dirai pas davantage ; ces citations justifient pleinement la décision de votre commission spéciale.

M. Orts. - Je ne dirai que quelques mots pour répondre aux craintes qui me paraissent avoir arrêté la commission chargée de préparer le projet qui nous est soumis et qui effrayent encore si fort l'honorable rapporteur, son organe.

On nous dit : La proposition de mise en accusation présente un inconvénient colossal : la dignité de la Chambre peut être compromise et compromise bien facilement par cette mesure ; c'est ce qui vous a fait reculer.

La cour de cassation, dit-on, pourrait fort bien croire que l'article 90 de la Constitution permet pas à la Chambre de meure les ministres en accusation devant elle pour des délits commis en dehors de l'exercice de leurs fonctions. Je le sais bien.

Mais est-ce une raison pour ne rien faire ou pour faire autre chose ? Voilà la question.

M. Delcourµ. - Nous faisons une loi.

M. Orts. - Mais en faisant votre loi, vous vous trouverez en face d'un conflit possible aussi dangereux, aussi capital que le conflit d'opinion sur un point de droit entre la Chambre des représentants et la cour de cassation. Si par hasard le Sénat croit que les tribunaux ordinaires sont seuls constitutionnellement compétents pour connaître des crimes et des délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions, vous aurez un conflit avec le Sénat. (Interruption.)

Ne jouons pas sur les mots. Si vous n'aimez pas le mot « conflit », je dirai « dissentiment ». Vous aurez donc un dissentiment entre la Chambre et le Sénat, sur une question de prérogatives constitutionnelles de la Chambre. Eh bien, je le demande : n'est-ce pas plus dangereux pour nos institutions, pour la considération parlementaire, d'avoir un conflit sur l'étendue des prérogatives constitutionnelles de la Chambre entre les deux Chambres législatives que d'avoir un conflit d'appréciation en droit sur l'article 90 de la Constitution avec la cour de cassation ?

Et votre conflit, votre divergence d'opinion entre le Sénat et la Chambre des représentants aura cet immense inconvénient d'empêcher qu'une solution ne soit donnée à cette affaire ; tandis que si nous n'avons de conflit qu'avec la cour de cassation, eh bien, le lendemain de l'arrêt de cassation par lequel cette cour se sera déclarée incompétente, nous pourrions en revenir à une loi. (Interruption.)

Mais, messieurs, est-ce que je présente mon système comme n'étant susceptible d'aucune difficulté d'application, est--ce que je le présente comme quelque chose d'irréprochable, comme quelque chose au dessus de toute espèce d'objection ou d'inconvénient ? Nullement, messieurs, mais ce que je dis, c'est que vos systèmes contraires n'évitent pas ces inconvénients, mais ils les aggravent et nous donnent cette détectable position vis-à-vis du pays de vouloir établir des privilèges et l'impunité dans une matière qui, précisément, nous touche en quelque sorte personnellement.

M. de Brouckere. - La proposition de l'honorable M. Orts met la Chambre dans une position très délicate, dans une situation entièrement nouvelle, et sans aucun antécédent. Que demande l'honorable M. Orts ? Je va tâcher de vous l'expliquer.

Vous êtes saisis, messieurs, et saisis régulièrement d'un projet de loi.

L'honorable M. Orts propose-t-il des amendements à ce projet de loi ? Non. Propose-t-il même de substituer à ce projet de loi un autre projet de loi ? Non. Il vous propose de passer à l'ordre du jour sur le projet qui vous est soumis et que vous avez discuté pendant trois séances.

Je demande à la Chambre si elle se souvient d'avoir jamais été saisie d'une proposition d'ordre du jour sur un projet de loi.

M. Orts. - C'est une question préalable opposée au projet de loi en termes polis.

M. de Brouckere. - Mais la question préalable n'a rien n'impoli et ce n'est point ce motif qui devait vous faire préférer l'ordre du jour.

J ai pris votre proposition telle qu'elle est formulée ; la voici : L honorable M. Orts propose de passer à l'ordre du jour sur le projet de loi que a commission spéciale, nommée par vous, vous a présenté, et puis d'adopter une motion qui n'est pas du tout un projet de loi, qui est tout bonnement une résolution à prendre par la Chambre, en laissant à l'écart les deux autres branches du pouvoir législatif.

M. Orts. - C'est une mise en accusation.

M. de Brouckere. - Vous proposez à la Chambre de prendre une résolution de mise en accusation ?

M. Orts. - Comme vous l'avez fait, je crois, une fois en votre vie.

M. de Brouckere. - J'ai peut-être eu tort, bien que ce fût dans d'autres circonstances.

Maintenant, messieurs, permettez-moi quelques observations.

Pourquoi l'honorable M. Orts vous présente-t il sa motion ? Parce que la loi que nous discutons est tellement difficile, tellement compliquée que nous ne parviendrons probablement pas à un bon résultat.

Et pourquoi, messieurs, n'arriverions-nous pas à un résultat satisfaisant ? La commission ne prétend pas vous avoir présenté une œuvre parfaite, ni une œuvre complète : elle a si bien compris même l'imperfection du travail, qu'elle vous a proposé d'en borner la durée à trois ans.

Mais si ce projet laisse à désirer, formulez des amendements, améliorez-le, invitez la commission à délibérer, si vous le voulez, sur les améliorations et les amendements que vous présenterez ; je ne sais vraiment pas pourquoi cette lot dont nous nous occupons serait la seule que la Chambre ne serait pas à même de faire.

Nous avons fait des lois plus difficiles que celle-ci et je crois que tout le monde y mettait du sien comme on le fait, nous pourrons arriver à faire une loi très acceptable,

C'est un expédient que présente l'honorable M. Orts, et si cet expédient ne présentait aucune espèce de difficulté, aucune espèce de danger, je l'accepterais, car je n'ai aucune raison personnelle de ne pas l'accepter. Mais, messieurs, la motion de l'honorable M. Orts présente plus de difficultés que le projet de loi lui-même.

MjTµ. - Certainement.

M. de Brouckere. - On nous demande de décréter d'emblée, sans examen préalable, sans renvoi en sections, sans renvoi tout au moins à une commission, sans rapport, sans procès-verbal, sans pièce aucune, on nous propose de mettre un ministre eu accusation !

Evidemment, messieurs, la Chambre ne pourra pas prendre une semblable résolution ; cela est de toute impossibilité.

Mais ce n'est pas tout ; on vous propose autre chose, on vous propose de décréter en outre la mise en accusation de qui ? De trois membres de la Chambre et de deux officiers.

(page 986) M. Van Overloopµ. - C'est ce que la commission a fait.

MjTµ. - La commission n'a mis personne en accusation.

M. Van Overloopµ - Cela revient exactement au même.

M. de Brouckere. - Où donc allons-nous, messieurs, puiser le droit de renvoyer deux simples citoyens et trois membres de la Chambre devant la cour de cassation ?

Mais on ne se donne la peine de rien justifier. On dépose une proposition comme si elle ne présentait aucune gravité et puis on veut que vous vous prononciez pour ainsi dire sans hésitation.

Supposons pour un moment la proposition admise : voilà donc un ministre, trois membres de la Chambre et deux officiers renvoyés par nous devant la cour de cassation. La cour de cassation, personne ne le contestera, aura le droit d'examiner d'abord si elle est compétente.

Elle aura le droit d'examiner si elle est compétente, et du moment qu'elle a le droit d'examiner si elle est compétente, elle a le droit de déclarer qu'elle est incompétente.

Messieurs, la Constitution nous a réservé le droit de faire une loi de compétence, relativement aux ministres prévenus de délits communs. Cette loi n'existe pas, c'est cette loi que nous vous proposons de faire. Lorsqu'une loi existera, la cour de cassation ne pourra plus se déclarer incompétente, car nous aurons voté une loi en vertu de la délégation qui nous a été faite par la Constitution.

Mais en l'absence de toute loi, la cour de cassation pourra parfaitement discuter notre droit de renvoyer devant sa juridiction soit un ministre, soit un membre de la Chambre, soit un simple particulier, et si la cour de cassation se déclarait incompétente, voyons dans quelle position la Chambre se serait placée ; à coup sûr, l’honorable M. Delcour vous l'a déjà dit, sa dignité en souffrirait et en recevrait une grave atteinte. Et je vous le demande, ne serait-ce pas une chose excessivement fâcheuse que ce conflit qui s’établirait entre la Chambre des représentants et le premier corps judiciaire... ?

M. Orts. - Et le Sénat ?

M. de Brouckere. - En effet, l'honorable M. Orts nous a dit : « Vous craignez un confit avec la cour de cassation ; mais dans votre projet de loi, vous vous exposez à un conflit avec le Sénat. »

Mais, messieurs, nous nous exposons à un conflit avec le Sénat, chaque fois que nous faisons un projet de loi, car tous les projets de loi que nous votons doivent lui être transmis. Ce sont des jeux de mots.

Je ne vois pas de conflit entre la Chambre des représentants et le Sénat, parce que le Sénat rejette un projet de loi adopté par nous, pas plus qu'il n'y a conflit entre la Chambre et le Sénat, lorsque le Sénat nous transmet une proposition acceptée par lui et que nous ne votons pas. Il faut le concours des trois pouvoirs pour qu'une résolution ait le caractère d'une loi. Eh bien, si l'un des trois pouvoirs n'accepte pas la résolution, la loi n'existe pas.

Mais si un conflit s'élevait entre la cour de cassation et la Chambre, la gravité de la situation serait tout autre : de plus, le délit qu'on veut atteindre resterait donc impuni.

La cour de cassation se déclarant incompétente, aucune juridiction ne serait compétente pour connaître du fait ; et il est certain que le délit dont on a en vue d'assurer la répression resterait sans poursuite aucune, « Du tout, répond l'honorable M. Orts, dans ce cas-là nous ferions une loi. »

Eh bien, commençons par faire une loi ; c'est plus simple, au lieu de faire tout ce circuit qui compromettrait singulièrement et la dignité de la Chambre et la dignité de la cour de cassation, qui nous exposerait à laisser impuni, par l'attitude que nous aurions prise, un fait qui a ému l'opinion publique ; au lieu de tout cela, formulons une loi, et si le projet que nous vous présentons offre des imperfections, je le répète, améliorons-le, mais ne nous décourageons pas et ne nous déclarons pas impuissants.

Quant à la commission, elle se prêtera à examiner tous les amendements que des membres de la Chambre déposeront sur le bureau.

Peut-être demandera-t-on le renvoi de la proposition de l'honorable M. Orts à la commission. Je dois déclarer que ce renvoi serait complètement inutile. L'honorable M. Delcour vous l'a déjà dit : la commission a examiné d'avance la proposition de M. Orts et elle l'a jugée inadmissible.

- La suite de la discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 5 heures.