(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 949) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Petit-Roeulx-lez-Nivelles demandant que le chemin de fer direct de Charleroi à Bruxelles passe à Petit-Roeulx. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.
« Des habitants de Vellereille-lez Brayeux demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »
« Même demande d'habitants de Leval-Trahegnies, Waudrez, Wavre. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le sieur Le Lorrain se plaint d'une condamnation prononcée contre lui et prie la Chambre d'ordonner à la cour d'appel de Bruxelles de procéder à l'examen d'un réquisitoire qui lui a été signifié et de lui faire restituer l'argent que son fils a dû payer à l'autorité militaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. de Macarµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des non-valeurs et remboursements pour l'exercice 1866.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre de jour.
MpVµ. - Messieurs, nous sommes arrivés à l'article 2. Cet article a été modifié dans le paragraphe second. Il est maintenant conçu comme suit :
« Art. 2. Le mendiant ou vagabond invalide ou âgé de moins de quatorze ans pourra être arrêté et traduit devant le tribunal de police.
« Si le fait est constaté hors de la commune du domicile de secours du mendiant ou du vagabond, le bourgmestre, en cas de première contravention, lui enjoindra au préalable d'y retourner, sauf l'application, s'il y a lieu, des articles 12 et 17 de la loi du 18 février 1845.
« La poursuite n'aura lieu que sur le procès-verbal visé par le bourgmestre du lieu où le fait aura été constaté, tans préjudice de l'avis à donner, le cas échéant, conformément à l'article 14 de la même loi.
« Si le procès-verbal n'est pas visé dans les vingt quatre heures de sa confection, le visa sera censé refusé.
« Le délai fixé par l'article 3 de la loi du 1er mai 1849 ne courra que du moment où le visa aura été donné. »
M. Dewandre, rapporteurµ. - Messieurs, dans l’article premier que nous avons voté hier, nous avons dit que tout individu valide, âgé de moins de 14 ans accomplis, trouvé mendiant ou en état de vagabondage sera arrêté et traduit devant le tribunal de police, etc.
Le premier paragraphe de l'article 2 s'exprime ainsi :
« Le mendiant ou vagabond invalide ou âgé de moins de 14 ans pourra être arrêté et traduit devant le tribunal de police. »
Il y a donc entre ces deux articles une différence de rédaction, et il semblerait en résulter que les faits de mendicité et de vagabondage ne doivent pas être les mêmes dans le cas de l'article premier et dans le cas de l’article 2.
Il n'en est rien ; dans l'intention de la Chambre, ces faits sont les mêmes dans les deux cas. Il n'y a de différence que quant au point de savoir si l'individu qui a posé ces faits est valide ou ne l'est pas.
Pour qu'aucun doute ne puisse s'élever à cet égard, je crois qu'il serait bon de rédiger le premier paragraphe de l’article 2 comme suit :
« Tout individu non-valide ou âgé de 14 ans accomplis, trouvé mendiant ou en état de vagabondage, pourra être arrêté et traduit devant le tribunal de police. »
Le reste comme à l'article.
C'est une simple modification de rédaction pour qu'il n'existe aucun doute quant à la portée des deux articles.
MpVµ. - Je mets l'article aux voix, avec la modification proposée par l'honorable M. Dewandre au paragraphe premier, et le changement de rédaction apporté au paragraphe 2.
- L'article 2, ainsi rédige, est adopté.
« Art. 3. Lorsque le juge de paix décidera qu'un individu poursuivi sans que le procès-verbal ait été visé par le bourgmestre, a été considéré à tort comme valide, le juge pourra soit renvoyer l'individu poursuivi, soit ordonner que le procès-verbal sera soumis au visa du bourgmestre ; si ce visa n'est pas donné dans les vingt-quatre heures de l'ordonnance, il sera censé refusé et la poursuite sera abandonnée. »
- Adopté.
« Art. 4. Par dérogation à l'article 3 de la loi du 1er mai 1849, le ministère public devant lequel le prévenu sera amené, de même que le juge de paix, si le jugement n'est pas prononcé immédiatement, pourront ordonner que le prévenu soit mis provisoirement en liberté. »
- Adopté.
« Art. 5. Le père ou, en cas de décès ou d'absence du père, la mère qui tolérera habituellement la mendicité ou le vagabondage de son enfant âgé de moins de quatorze ans accomplis, sera puni par le tribunal de police d'un emprisonnement de un à sept jours. »
MjTµ. - Je propose d'ajouter un paragraphe à cet article, et de dire :
« Le père ou, en cas de décès ou d'absence du père, la mère qui tolérera habituellement la mendicité ou le vagabondage de son enfant âgé de moins de quatorze ans accomplis, sera puni par le tribunal de police d'un emprisonnement d'un à sept jours, et d'une amende de 1 à 15 francs ou de l'une de ces deux peines seulement. »
En général, les contraventions de simple police sont punies d'une amende ; je veux laisser au juge de paix la faculté de punir à la fois d'une amende et d'un emprisonnement ou de l'une de ces deux peines seulement.
- L'article ainsi amendé est définitivement adopté.
« Art. 6. Seront punis, par le tribunal correctionnel, d'un emprisonnement de huit jours à trois mois :
« 1° Celui qui fera mendier un enfant n'ayant pas quatorze ans accomplis ;
« 2° Quiconque, en vue d'exciter la commisération publique, se sera fait accompagner, pour mendier, d'un enfant de moins de quatorze ans ou d'un infirme qu'il se sera procuré pour cet usage ; le coupable sera, en outre, mis à la disposition du gouvernement pendant le terme que le juge fixera, dans les limites et suivant les distinctions établies aux articles 1er et 9 de la présente loi ;
« 3° Toute personne qui aura procuré, pour l'usage prévu par le paragraphe précédent, un enfant de moins de quatorze ans ou un infirme.
« En cas de récidive, la peine pourra être portée au double. »
MpVµ. - M. le ministre propose d'ajouter à l'article 6 :
« Si les circonstances sont atténuantes, le tribunal est autorisé à ne prononcer, en cas de première contravention, qu'une peine de police. »
MjTµ. - J'avais annoncé cette disposition lors de la première discussion ; je crois qu'il faut laisser au juge une certaine latitude. L'article prononce dans tous les cas un emprisonnement qui est de 8 jours à 3 mois ; mais il peut se présenter des circonstances atténuantes et il faut que dans ce cas le juge puisse prononcer une peine inférieure.
Je ferai une autre observation à propos de cet article. Quand nous arriverons aux articles 8, 9, 10, je proposerai de classer ces articles dans l’ordre suivant : l’article 9 deviendrait l’article 8 ; l’article 10 deviendrait l’article 9, et l’article 8 deviendrait l’article 10 ; c’est une simple interversion. Si cet ordre (page 950) était adopté, il faudrait dire au n°2 que nous discutons au lieu de : « les distinctions établies aux articles 1 et 9 de la présente loi », « les distinctions établies aux articles 1 et 8 de la présente loi. » Je fais une réserve à cet égard.
- L’article 6 ainsi amendé est mis aux voix et adopté.
« Art. 7. Si l’individu poursuivi, dans les cas prévus par les deux articles précédents, est indigent et n'est pas valide, il ne pourra être condamné que si le procès-verbal est visé par le bourgmestre du lieu où le fait aura été constaté. »
M. Dewandre, rapporteurµ. - Dans les articles 2 et 3 nous avons fixé des délais très courts endéans lesquels les bourgmestre doivent viser le procès verbal. Je crois qu'il importe de fixer les mêmes délais à l'article 7 ; en conséquence je propose de modifier l'article et de dire :
« Si l'individu poursuivi, dans les cas prévus par les deux articles précédents, est indigent et n'est pas valide, il ne pourra être condamné que si le procès verbal est visé dans les délais fixés dans les articles 2 et 3 par le bourgmestre du lieu où le fait aura été constaté. »
- L'article ainsi amendé est mis aux voix et adopté.
MpVµ. - M. le ministre a proposé d'intervertir l'ordre des articles suivants : l'article 8 deviendrait l'article 10, l'article 9 deviendrait l'article 8 et l'article 10 deviendrait l'article 9, Je mets cette proposition aux voix.
- Elle est adoptée.
L'article 8 (9 ancien) n'a subi aucun changement.
« Art. 9 (10 ancien). — Par dérogation aux articles premier et 9 ci-dessus les mendiants et vagabonds, placés dans les écoles de réforme, pourront y être retenus jusqu'à l'époque où ils auront accompli leur vingtième année. »
MjTµ. - Par suite de l'inversion d'articles qui vient d'être adoptée, il faut dire : « tar dérogation aux articles 1 et 8. » La même modification, comme je l'ai dit tout à l'heure, doit être faite à l'article 6.
- Cette modification est adoptée quant aux articles 9 et 6.
« Article 10 (8 ancien). L'administration d'une commune autre que celle du domicile de secours ne peut autoriser l'admission d'un individu non condamné, dans un des établissements mentionnés à l'article premier de la présente loi. »
MjTµ. - Dans le projet primitif, cet article était rédigé dans les termes suivants :
« L'autorisation requise par le paragraphe premier de l’article premier de la loi du 3 avril 1848 ne pourra être accordée que par le collège des bourgmestre et échevins de la commune du domicile de secours. »
On renvoyait donc à la loi du 5 avril 1848 relative au domicile de secours, pour déterminer le collège des bourgmestre et échevins qui pouvait donner aux individus qui la demandent l'autorisation d'entrer dans le dépôt de mendicité.
Sur la proposition de l'honorable M. Magherman, on a introduit dans la loi la disposition qui fait l'objet du paragraphe 2 de l'article premier de la loi du 3 avril 1848.
Mais, messieurs, ce paragraphe isolé ne rend pas bien ici la pensée qu'on a voulu exprimer et pourrait donner heu à diverses équivoques. Tel qu'il est rédigé, l'article 10 du projet de loi porte : « L'administration d'une commune autre que celle du domicile de secours ne peut autoriser l'admission d'un individu non condamné, dans un des établissements mentionnés à l'article premier de la présente loi. »
Ces mots : « ... d'un individu non condamné /.. » ne sont pas très intelligibles quand on les isole du paragraphe premier de l’article premier de la lui du 3 avril 1848 qui dispose pour les individus condamnés. Voici ce que porte cette disposition : « Les dépôts de mendicité continueront à recevoir, conformément aux lois en vigueur, les individus condamnés du chef de mendicité ou de vagabondage à l'expiration de leur peine. Quant aux individus non condamnés qui se présenteront volontairement aux dépôts, il n'y seront admis à l'avenir, etc. »
L'opposition entre les individus condamnés et les individus non condamnés est ici parfaitement intelligible, mais en présence de la disposition que nous discutons il n'en est plus de même et on peut se demander, en argumentant a contrario, si l'administration d'une commune autre que celle du domicile de secours pourra autoriser l'admission d'un individu condamné.
Or cela n'est pas admissible ; il ne peut pas plus autoriser l'admission d'un individu condamné que d'un individu non condamné.
Dans la généralité de ses termes, l’article 8 comprend les divers établissements dont il est fait mention à l’article premier du projet de loi. Parmi ces établissements se trouvent notamment les maisons pénitentiaires ; or, la commune ne pourra donner l'autorisation d'entrer dans une maison pénitentiaire.
Il serait préférable de revenir à la rédaction primitive qui entraînerait moins d'inconvénients et de difficultés que la rédaction qui est maintenant soumise au vote de la Chambre.
Je propose en conséquence de reproduire dans le projet de loi l'article 8 tel qu'il était rédigé primitivement.
M. Magherman. - Messieurs, lorsque j'ai proposé à l'article 8 l'amendement que la Chambre a adopté lors du premier vote, j'avais l'intention de rendre le texte plus clair et d'en faciliter ainsi l'application par les administrations communales mais comme il résulte des explications que vient de donner M. le ministre de la justice que la disposition, telle qu'elle a été amendée, pourrait entraîner des difficultés dans la pratique, je veux bien retirer mon amendement.
- L'article 8, tel qu'il était primitivement rédigé, est mis aux voix et adopté.
L'article 13, qui forme un amendement, est ensuite mis aux voix et définitivement adopta.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
En voici le résultat :
85 membres prennent part au vote.
79 répondent oui.
4 répondent non.
2 (MM. Magherman et Reynaert) s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Laubry, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Tesch, Thonissen, T’Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vleminckx, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Bast, de Borchgrave, de Brouckere, de Conninck, de Florisone, de Haerne, de Kerchove, Delcour, de Macar, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Terbecq, Devroede, Dewandre, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Dumont, d’Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Goblet, Grosfils, Hayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns et Ern. Vandenpeereboom.
Ont répondu non :
MM. Moncheur. Vilain XIIII, Delaet et Janssens.
MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Magherman. - Ainsi que je l'ai déclaré dans la discussion générale, le projet de loi introduit des améliorations réelles dans notre législation. J'étais donc disposé à le voter.
Mais le rejet de l'amendement de l'honorable M. Schollaert imprime à cette loi un caractère de sévérité, je dirai même d'injustice, auquel je ne peux pas m'associer.
Je me suis donc abstenu.
M. Reynaertµ. - Je n'ai pas voté pour le projet de loi parce qu'à mes yeux il est entaché d'un défaut capital, en ce qu'il décrète la condamnation obligatoire de la mendicité sans aucune espèce de distinction. Je pense avec les honorables orateurs qui ont pris part à la discussion de ce projet, que s'il est une mendicité que nous devons énergiquement flétrir et réprimer, parce qu'elle a sa source dans le vice, il en est une autre qui est éminemment respectable et sacrée, parce qu'elle est infligée par le malheur et qu'elle s'impose à l’individu comme la plus dure des nécessités.
L'amendement si opportun et si humain de l'honorable M. Schollaert devait remédier à ce vice radical.
Néanmoins je n'ai pas voté contre le projet de loi, parce qu'il constitue une amélioration sérieuse et notable du régime existant.
MpVµ. - La Chambre a demandé communication des dispositions existant dans d'autres pays sur la responsabilité ministérielle. M. le ministre des affaires étrangères a fait parvenir quelques-uns de ces documents. On n'a pas encore eu le temps de les traduire tous et de les imprimer.
(page 951) Je propose à la Chambre de déposer le dossier des documents déjà traduits sur le bureau pendant la discussion.
- Cette proposition est adoptée.
M. Thonissenµ. - On les imprimera ?
MpVµ. - Ces documents seront imprimés lorsqu'ils seront complets.
La discussion générale est ouverte.
M. Lelièvre. - Le projet de loi en discussion fait naître les questions de droit les plus importantes.
Il s'agit de savoir quelle sera la juridiction compétente pour connaître des crimes et délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions et quelles formes devront être observées dans la poursuite.
Cette matière présente de sérieuses difficultés. Pour les résoudre, nous devons nous inspirer des principes qui ont dicté l'article 90 de la Constitution.
A mon avis, il est évident que quand le législateur constituant a déclaré que la Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation qui seule a le droit de les juger, il s'agit des crimes et délits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions.
En veut-on une preuve décisive ? La seconds partie de la disposition la révèle de la manière la plus positive, puisque, relativement aux autres crimes et délits, elle réserve à la loi le droit de statuer ultérieurement. Donc ces faits ne tombent pas sous l'application de la première disposition.
Si on réserve à la loi le droit de statuer relativement aux crimes et délits que les ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions, il est évident, à mon avis, que ces fais sont entièrement étrangers à la première partie de l'article.
La dernière disposition ne se conçoit rationnellement qu'en ce sens, et l'interprétation contraire de la commission me paraît présenter un sens forcé qui n'est pas admissible.
L'article 90 a évidemment la portée de la charte française de 1814 (articles 55 et 56) et de l'acte de réformation du 7 août 1830. Or, jamais en France on n'a douté que ces dispositions fussent exclusivement applicables aux faits d'administration. C'est à ce point de vue seulement qu'on comprend l'intervention de la Chambre. Celle-ci n'intervient qu'à raison de la nature des crimes et délits et dans un intérêt gouvernemental ; elle ordonne la poursuite, parce que les faits délictueux intéressent l’Etat, ce qui ne peut s'entendre que des actes commis par les chefs des départements ministériels dans l'exercice de leurs fonctions.
Mais la juridiction de la cour de cassation ne se conçoit elle-même que dans cet ordre d'idées.
La cour de cassation qui ordinairement ne juge pas du fond des affaires, n'est appelée à connaître du jugement des membres qu'à raison des graves intérêts de l'Etat qui sont agités dans semblable débat. Ce n'est pas dans l'intérêt des ministres et par suite d'un privilège personnel à ceux-ci que cette juridiction a été établie, c'est dans l'intérêt de la chose publique et à raison du caractère spécial des faits. Dès lors, il est impossible de l’étendre aux actes commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions, à des faits tombant sous l'application du droit commun et qui n'ont pas une plus grande gravité parce qu'ils on été commis par des ministres au lieu de l'être par des citoyens ordinaires.
Il y a, d'ailleurs, une différence essentielle au point de vue du caractère d'importance et des conséquences des actes entre les délits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions et ceux commis hors de cet exercice, et si l'on comprend, à l'égard des premiers, la juridiction de la cour de cassation, on ne l'explique pas, en ce qui concerne ceux de la dernière catégorie. Aussi, c'est ce qu'a parfaitement compris le Congrès en édictant l'article 90, deux dispositions complètement différentes, l'une à l'égard des faits commis dans l'exercice des fonctions ministérielles, l'autre relativement aux faits commis hors de cet exercice.
Je ne suis pas frappé de l'argument déduit par l'honorable rapporteur des discussions du Congrès.
L'addition du dernier paragraphe de l'article 90, d'après le sens littéral des expressions, a nécessairement restreint la portée de la première disposition aux faits d'administration ministérielle. L'esprit de l'article conduit à la même conséquence. On a compris la nécessité d'établir une différence marquée entre les faits de différente nature. Telle est, à mon avis, la dernière pensée du Congrès.
Nous devons maintenant appliquer ces principes au projet de loi qui vous est soumis.
Nous pensons d'abord que le projet est fondé sur une base erronée. La commission estime que dans l'esprit de l'article 90 de la Constitution, on a établi la juridiction de la cour de cassation même pour les délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions.
C'est, à mon avis, une erreur, et je crois l'avoir démontré.
Du reste, je ne pense pas même qu'il convienne de déférer ces délits à la cour régulatrice.
Cette cour est une juridiction exceptionnelle, appelée à juger du fond de l'affaire quand il s'agit des graves intérêts de l'Etat, des faits d'administration ministérielle qui par leur nature ont toujours la plus haute portée, tandis que dans le cas ou il est question des délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions, il s'agit d'intérêts secondaires, de faits qui peuvent être sans portée ni gravité et même tout à fait insignifiants. Ils ne doivent pas dès lors être déférés à la juridiction la plus élevée, au corps le plus éminent de l'autorité judiciaire.
Dans cette hypothèse, il me paraît bien plus rationnel de procéder conformément à l'article 479 du code d'instruction criminelle et de porter la cause devant la cour d'appel, devant la Chambre qui, aux termes de l'article 10 de la loi du 20 avril 1810, est appelée à juger les délits commis par les hauts dignitaires de l'Etat, les grands officiers de la Légion d'honneur, ou en Belgique les grands officiers de l'ordre de Léopold, les généraux commandant une division ou une province, les archevêques, évêques, les présidents des consistoires, les membres de la cour de cassation, des cours d'appel et les gouverneurs.
Pour les délits commis hors de l'exercice de leurs fonctions, les fonctionnaires de l'ordre le plus élevé dont je viens de parler sont justiciables de la cour d'appel. Il en est de même des membres de la cour de cassation.
Je ne pense pas que des ministres, pour des délits étrangers à leur administration, puissent se plaindre d'être traduits devant la même juridiction, ni que l'intérêt public exige qu'on prenne d'autres dispositions.
Du reste, non seulement les principes mais les règles d'une saine politique et de la bonne administration de la justice demandent qu'au point de vue de la compétence on ne confonde pas des actes étrangers aux fonctions ministérielles, des actes commis par les ministres comme simples citoyens avec des faits d'une autre nature ; sous ce rapport, je repousse les dispositions générales de l'article premier qui vous est soumis.
Le projet contient d'autres erreurs que je dois signaler. Il statue non seulement quant aux délits proprement dits, mais même en ce qui concerne les crimes. On enlève ainsi aux ministres, pour des faits du droit commun, le bénéfice de la juridiction du jury. On le leur enlève même pour les délits politiques et de la presse.
Mais au point de vue des faits commis hors de l'exercice de leurs fonctions, les ministres sont des citoyens ordinaires et l'on ne peut avec fondement les priver des garanties constitutionnelles établies dans l'intérêt de la bonne administration de la justice et assurées à tous les citoyens. Donc en ce qui concerne les crimes, les délits politiques et ceux commis par la voie de la presse, les dispositions du projet sont inadmissibles.
Ce n'est pas tout : on investit la Chambre des Représentants du droit d'accusation et même de l'exercice de la poursuite.
Mais ce serait conférer à la Chambre, corps politique, un droit qui ne peut lui appartenir. Je comprends cette prérogative lorsque les intérêts de l'Etat sont en jeu, lorsqu’il s'agit d'actes rentrant dans les attributions ministérielles, et soumis au contrôle de la Chambre, mais celle-ci étrangère aux faits ordinaires, commis par les ministres comme simples citoyens, ne saurait être investie des attributions qui appartiennent aux officiers du ministère public. Les délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions ne concernent pas la Chambre, ils sont étrangers aux intérêts que celle-ci est appelée à sauvegarder.
Je ne comprends donc pas l'immixtion que le projet prétend lui attribuer sous ce rapport. C'est une erreur grave de faire intervenir la Chambre relativement à des faits que, d'après ses prérogatives constitutionnelles, elle n'est appelée ni a apprécier, ni même à contrôler. En ce qui concerne les délits du droit commun commis comme simples citoyens, les ministres ne relèvent pas de la Chambre, mais uniquement de la justice ordinaire.
Quant à l'action civile, le projet propose d'édicter qu'elle ne pourra être portée que devant le juge saisi de l'action publique, c'est-à-dire, devant la cour de cassation.
Or, semblable disposition non seulement déroge au principe du droit commun, mais introduit un régime injustifiable.
En effet, l'action civile a pour objet le payement d'une véritable créance au profit des parties lésées.
(page 852) Or, à quel titre entraverait-on le droit des individus à qui elle appartient et les forcerait-on, sous peine de la perdre, à se joindre à l'action publique ?
Pourquoi les exposerait-on à devoir, en cas d'acquittement, supporter même les frais faits par le ministère public pour la poursuite du délit ? Pourquoi ne pourraient-ils pas agir devant les juges ordinaires, alors qu'à leur égard il ne s'agit que d'un intérêt privé ?
Pourquoi les contraindrait-on à subir les phases d'une procédure en justice répressive dans laquelle l'action publique peut être écartée, alors qu'il existe des éléments suffisants pour justifier l'action civile ?
Enfin par quel motif sérieux peut-on leur enlever la faculté d'agir par action séparée, faculté que toutes les législations ont consacrée ?
D'un autre côté il est impossible de déférer la connaissance de l'action civile à la cour de cassation qui est, dans l'espèce, une juridiction exceptionnelle, qui ne connaît pas du fond des affaires et à laquelle le jugement des ministres n'est déféré que dans l'intérêt de l'Etat, de sorte que par l'essence même du jugement, la connaissance d'une action civile ne doit pas être déférée à semblable juridiction. Aussi la première partie de l'article 90 après avoir décrété la juridiction de la cour de cassation n'étend pas la compétence de celle-ci à l'action civile sur laquelle on réserve à la loi tout règlement ultérieur.
Ces principes sont du reste tellement vrais qu'en France lorsque la cour des pairs fut saisie de l'accusation contre les ministres du roi Charles X du chef de l'illégalité des ordonnances de juillet 1830, ce corps érigé en cour de justice déclara n'y avoir lieu à recevoir l’intervention des parties civiles.
Le 29 novembre 1830 intervint un arrêt, ainsi conçu :
« Considérant que dans le procès porté devant elle par la résolution de la chambre des députés, la Cour des pairs, à raison de la nature de l'action et des formes dans lesquelles cette action est poursuivie ne se trouve pas constituée de manière à statuer sur les intérêts civils.
« Déclare que dans les débats ne seront appelés ni reçus aucun intervenant, ni partie civile, tous leurs droits réservés pour se pourvoir, s'il y a lieu, ainsi qu'ils aviseront. »
Le projet, au contraire, non seulement propose l'admission des parties civiles devant une juridiction exceptionnelle qui jamais ne juge au fond quand il s'agit d'intérêts privés, mais va jusqu'à imposer à la partie lésée l'obligation de réclamer la réparation civile devant le corps spécial sous peine d'encourir la déchéance de la créance.
C'est là, à mon avis, une position intolérable pour un individu lésé par un délit commun et qui a bien le droit de déduire sa réclamation devant la justice ordinaire.
D'un autre côté, quand on se bornerait à déférer à la cour de cassation l'appréciation d'une action civile qui exige des enquêtes et des voies d'instructions étrangères aux fonctions habituelles de la cour régulatrice, je verrais déjà dans semblable disposition le renversement des principes relatifs à la juridiction de la cour de cassation ; à plus forte raison, ne puis-je consentir à ce qu'on enlève aux particuliers lésés le droit naturel de former leur demande par action séparée.
Je terminerai par une dernière observation.
Le projet de la commission tend à créer pour les chefs des départements ministériels une position spéciale qui paraît d'abord les protéger, mais qui, en réalité, leur enlève des garanties sérieuses sur lesquelles tous les citoyens ont droit de compter. Je pense au contraire qu'il faut autant que possible entrer dans les règles du droit commun et faire triompher la grande maxime de l'égalité de tous devant la loi.
La Chambre appréciera mes observations, mais, quant à moi, je considère le projet comme décrétant des dispositions inadmissibles, comme proposant des mesures empreintes d'hérésies constitutionnelles et contraire aux principes d'une saine législation. Je me vois obligé de lui refuser mon assentiment.
M. Van Overloopµ. - Malgré l'estime que j'ai pour les membres de la commission qui propose le projet de loi sur lequel vous êtes appelés à statuer, les dispositions de ce projet me semblent peu en harmonie sinon avec le texte, du moins avec l’esprit de notre Constitution.
Je tâcherai, messieurs, d'expliquer ou de justifier aussi brièvement que possible mon opinion. A cet effet, je dois demander à la Chambre l'autorisation d'insérer aux Annales parlementaires une quantité de notes de la lecture desquelles je voudrais la dispenser.
Messieurs, le projet de loi ne s'occupe pas de la responsabilité politique, c'est-à-dire de l'obligation des ministres de répondre des actes du gouvernement. Le rapport se contente de faire remarquer que la responsabilité politique est criminelle ou civile, et que cette responsabilité est une des bases du gouvernement représentatif.
Je regrette que la commission n’ait pas cru devoir nous soumettre un projet de loi général sur la responsabilité des ministres.
Je regrette qu'au bout de 35 ans, nous ne soyons pas encore parvenus à obéir ) cette prescription de l'article 139, n°5, de la Constitution, d'après laquelle il est nécessaire et urgent de formuler une loi sur la responsabilité ministérielle.
Je regrette surtout, messieurs, que la commission n'ait pas cru devoir proposer une disposition quelconque relativement à l'execice de l'action civile résultant d'actes posés par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions.
En présence de l'article 134 de la Constitution, qui donne à la Chambre un pouvoir discrétionnaire pour accuser les ministres, on peut comprendre que, sans de trop grands inconvénients, on tarde à faire une loi sur la responsabilité ministérielle criminelle ; mais, messieurs, il me semble que la circonstance qui s'est présentée il y a quelques années, l'affaire du colonel Hayez, aujourd'hui notre honorable collègue, devait déterminer la commission à ne point perdre de vue le soin de sauvegarder l'intérêt des citoyens, des particuliers contre les atteintes des ministres.
Ne croyez pas, messieurs, que je veuille blâmer la conduite tenue dans cette circonctance par l'honorable ministre de la guerre. J'ai dit autrefois, dans cette enceinte, ma manière de voir à ce sujet ; mais le fait s'est présenté et ce fait devait suffire pour déterminer la commission à prendre au moins une mesure quelconque pour permettre aux citoyens de demander répairtion du préjudice qui leur artait été causé par un acte ministériel.
Je ne tiens pas non plus, en ce qui me concerne, à voir condamner un ministre à une peine quelconque pour un acte mauvais qu'il aurait posé en sa qualité de ministre, mais ce à quoi je tiens, c'est qu'un particulier ne soit pas impunément lésé par un acte ministériel posé de mauvaise foi, c'est qu'un particulier puisse dans ce cas demander aux tribunaux la réparation du préjudice causé par le ministre.
En un mot, messieurs, je tiens à ce qu'un ministre, agissant comme ministre, reste soumis à l'application du principe de droit naturel consacré par les articles 1382 et suivants du Code civil et par les articles 1, 2 et 3 du Code d'instruction criminelle.
Je passe, messieurs, à l'examen du projet de loi.
Comme je l'ai déjà fait remarquer, il ne s'occupe que des crimes et des délits commis par un ministre hors de l'exercice de ses fonctions et des contraventions dont il pourrait se rendre coupable.
Il maintient le droit commun quant aux peines à encourir par suite de ces infractions ; quant aux dommages-intérêts qui pourraient en résulter ; quant à la compétence du juge, et aux poursuites de l'action publique et de l'action civile en cas de contraventions de police. Dans ces trois cas, le. projet maintient le droit commun. Mais il s'écarte du droit commun :
1° En ce qu'il défère à la cour de cassation les crimes et délits commis par un ministre « hors de l'exercice de ses fonctions. » (A. 1.)
2° En ce qu'il défère à la même cour la connaissance de « l'action civile » résultant du crime ou délit. (A. 7.)
3° En ce qu'il dispose que « l'action civil e» ne pourra être poursuivie « qu'en même temps que l'action publique. » (A. 7.)
4° En ce que la poursuite de « l'action publique et partant de l'action civile ne pourra avoir lieu qu'avec l'autorisation de la Chambre. » (A. 2.à
5° En ce que le ministre ne pourra être arrêté « préventivement qu'avec la même autorisation. » (A. 2.)
Je laisse de côté, messieurs, les autres dispositions qui ne concernent que des questions de forme.
Je me demande maintenant, messieurs, si ces dérogations au droit commun sont en harmonie avec le texte et surtout avec l'esprit de notre pacte fondamental.
La question principale, au point de vue où je me place, n'est pas, comme le dit le rapport de la commission, de savoir qui peut, sous l’empire de la constitution, poursuivre le ministre coupable d'un délit ordinaire et quel est le tribunal compétent pour le juger.
Je crois qu'il faut se demander : Peut-on, sous l'empire de notre Constitution, charger des poursuites le procureur général près la cour de cassation ou des commissaires de la Chambre des représentants et déférer le jugeaient à la cour de cassation ?
Le texte de la Constitution paraissant donner lieu à un doute, c'est nécessairement aux rapports et aux discussions relatifs à la matière qu'il faut recourir pour trancher ce doute.
En examinant, messieurs, les rapports et les discussions du Congrès (page 953) national, il ne faut jamais perdre de vue que le Congrès avait déjà adopté l’article 6, proclamant l'égalité de tous les Belges devant la loi.
En présence de cet article 6, les ministres sont nécessairement soumis au droit commun chaquc fois qu'une disposition formelle de la Constitution n'établit pas une exception en leur faveur.
S'il y a doute sur l'existence d'une telle disposition, ce doute, d'après les règles ordinaires de l'interprétation, doit nécessairement être tranché en faveur du droit commun.
C'est, messieurs, précisément le contraire que la commission chargée d'élaborer le projet de loi me semble avoir fait.
Dans la séance du 27 décembre 1830, MM. de Robaulx et Thorn avaient proposé une disposition additionnelle au titre 2 de la Constitution.
« Les Belges ont le droit de refuser leur obéissance et, au besoin, d'opposer la force à tout acte illégal des autorités et à tout acte illégalement exercé.
« Ils peuvent poursuivre, en réparation des atteintes portées à leurs droits, tous ceux qui ont sollicité, expédié, signé, exécuté ou fait exécuter les actes dont ces atteintes sont résultées, et ce, à partir de l'auteur immédiat de ces actes et sans avoir besoin d'obtenir aucune autorisation préalable. »
Cette disposition, messieurs, consacrait le droit de résistance aux actes illégaux des fonctionnaires ou agents de l'autorité publique, sans distinction aucune.
Elle fut renvoyée à l'examen des sections.
Dans la séance du 10 janvier 1831, M. Raikem fit le rapport de la section centrale sur le chapitre II, section 2 de la Constitution :
« Nous sommes arrivés à l'une des bases principales du système constitutionnel, la responsabilité des ministres.
« D'après une disposition précédente, le chef de l'Etat est inviolable, ses ministres sont responsables. Un ministre se rend responsable d'un acte du chef de l'Etat par cela seul qu'il l'a contresigné ; et, sans le contreseing d’un ministre, un tel acte ne peut avoir d'effet.
« Dans quels cas cette responsabilité aura-t-elle lieu ?
« La Constitution de 1791, dit-il, disposait (T. III, Ch. 2, s. 4, a. 5) :
« Les ministres sont responsables de tous les délits par eux commis contre la sûreté nationale et la Constitution ;
« De tout attentat à la propriété et à la sûreté individuelle ;
« De toute dissipation des deniers destinés aux dépenses de leur département. »
« Et l'article 6 portait :
« En aucun cas, l'ordre du Roi, verbal ou par écrit, ne peut soustraire un ministre à la responsabilité. » (Article 64 Const. B.)
« Les constitutions qui ont succédé à celle de 1791, avaient établi la république ; et, d'après l'article 152 de la constitution de l'an III, les ministres étaient respectivement responsables, tant de l'inexécution des lois que de l'inexécution des arrêtés du directoire.
« La constitution de l'an VIII s'était rapprochée du régime monarchique.
« L'article 69 disposait :
« Les fonctions des membres, soit du Sénat, soit du Corps Législatif, soit du tribunat, celles des consuls et des conseillers d'Etat, ne donnent lieu à aucune responsabilité. »
« Le gouvernement était confié à trois consuls, ou plutôt à un seul, le premier consul ; car les autres n'avaient que voix consultative dans les actes qui n'étaient pas dans les attributions du premier consul (a. 39 sqq.).
« Dans ce système, il était nécessaire que les actes du gouvernement fussent revêtus d'un contreseing.
« Et l'article 55 portait :
« Aucun acte du gouvernement ne peut avoir d'effet s'il n'est signé par un ministre.»
« Les cas étaient énumérés dans l'article 2 ainsi conçu :
« Les ministres sont responsables : 1° de tout acte du gouvernement signé par eux, et déclaré inconstitutionnel par le Sénat.
« 2° De l'inexécution des lois et des règlements d'administration publique ;
« 3° Des ordres particuliers qu'ils ont donnés, si ces ordres sont contraires à la constitution, aux lois et règlements.
« La charte financière de 1814 avait décrété (article 13) : «La personne c du Roi est inviolable ; ses ministres sont responsables, i
« Et l'art. 56 portait, à l'égard des ministres, la disposition suivante ;
« Ils ne peuvent être accusés que pour fait de trahison ou de concussion. Des lois particulières spécifieront cette nature de délits, et en détermineront la poursuite. »
« Telles ont été successivement les dispositions de la législation française sur la responsabilité ministérielle.
« Le projet de la commission s'est contenté d'énoncer, dans l'article 93, le principe que l'ordre du chef de l'Etat ne peut soustraire à la responsabilité. Et cette disposition a été unanimement adoptée par toutes les sections et par la section centrale.
« La Constitution doit se borner à établir le principe.
« Si l'on avait voulu déterminer maintenant tous les cas de la responsabilité, il eût été dangereux de les circonscrire. Et une loi organique sur la responsabilité des ministres est nécessaire. Mais jusqu'à ce qu'il y ait été pourvu par la loi, l'article 102 du projet de la commission attribuait aux autorités qu’il désignait, « un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre et pour le juger, en caractérisant le délit, et en déterminant la peine. » Cette disposition a donné lieu à dis observations de la part des sections. La section centrale a pensé qu'on devait la renvoyer aux dépositions transitoires.
« On a toujours reconnu la nécessité d'établir une juridiction particulière pour accuser et juger les ministres. La Constitution de 1791 avait disposé (t. III, ch. V, a. 23) : « Une haute cour nationale, formée de membres du tribunal de cassation et de hauts jurés, connaîtra des délits des ministres et agents principaux du pouvoir exécutif, et des crimes qui attaqueront la sûreté générale de l'Etat, lorsque le corps législatif aura rendu un décret d'accusation. »
« D'après cette Constitution, le corps législatif n'était composé que d'une Chambre.
» La Constitution de l'an III avait établi une haute cour de justice pour juger les accusations admises par le corps législatif, soit contre ses propres membres, soit contre ceux du directoire exécutif (article 265). Le conseil des Cinq Cents proposait la mise en jugement ; et le conseil des Anciens la décrétait.
« Et, comme alors les membres du directoire exécutif pouvaient être mis en jugement, il n'y avait pas d'inconvénients « à laisser les ministres justiciables des tribunaux ordinaires. »
« La constitution de l'an VIII avait donné plus d'étendue à la responsabilité des ministres. Leur mise en jugement était décrétée par le corps législatif ; et ils étaient jugés par une haute cour, composée de juges et de jurés (article 75).
« Et l'article 101 du sénatus-consulte du 18 floréal an IX avait attribué à une « hante cour impériale » la connaissance des délits de responsabilité d'office commis par les ministres. »
« La charte française de 1814 avait adopté un régime constitutionnel qui différait du régime précédent. Il y avait deux chambres. Le roi pouvait nommer les pairs à vie ou les rendre héréditaires (article 29). Une telle pairie pouvait être constituée en tribunal. Elle était inamovible. Et l'article 55 de cette charte avait disposé : « La chambre des députés a le droit d'accuser les ministres, et de les traduire devant la chambre des pairs, qui seule a le droit de les juger. »
« Dans la section centrale, on a été d'accord que le droit d'accuser les ministres devait être déféré à la Chambre des représentants.
« Ensuite, on s'est demandé à quelle autorité le jugement des ministres serait déféré : 1° Sera-t-il déféré aux tribunaux ordinaires ? 2° L'accusation sera-t-elle portée devant le Sénat ? 3° Ou bien devant un haut jury national ? 4° La cour de cassation sera t-elle appelée à juger les ministres ?
« En discutant ces questions, on a présenté les observations suivantes :
« 1° Lorsqu'un acte ministériel attaque la Constitution, il faut une réparation à la société ; c'est la Chambre des représentants qui la demande en son nom. Ira-t-elle, dans l'attitude d'un plaignant, demander justice à des tribunaux qui n'exercent qu'un pouvoir secondaire ? Non ; sa dignité en serait blessée : d'ailleurs le prévenu pourrait craindre que l'autorité d'un si puissant accusateur n'altérât l'indépendance de ses juges ?
« 2° Le Sénat étant électif, et les sénateurs étant nommés à terme, il eût été dangereux de leur confier le jugement des ministres. Les sénateurs n'auront pas l'inamovibilité que l'on désire dans des juges.
« 3° Un membre de la section centrale a demandé que l'accusation admise contre les ministres, par la Chambre des représentants, fût portée devant un haut jury national, et que la cour de cassation remplît, en ce cas, les fonctions de cour d'assises. On disait qu'en attribuant la décision du fait à la cour de cassation, c'était la faire sortir de ses attributions, ce qui était fort dangereux, que c'était s'exposer à attirer, en certain cas, l'animadversion publique sur une cour qui avait besoin de tant de confiance.
Dans le cas où un haut jury national aurait été appelé à connaître de l'accusation, les électeurs auraient nommé d'avance, et pour un terme (page 954) désigné, de hauts jurés dont les conditions d'éligibilité auraient été déterminées par la loi.
« 4° Dès que le Sénat ne peut pas être juge de l'accusation formés contre les ministres, on ne peut attribuer le jugement qu'à la cour de cassation. C'est le pays qui accuse. On ne peut donc porter l'accusation devant un haut jury national qui représente aussi le pays. On ne peut pas être à la fois accusateur et juge.
« Et la question étant mise aux voix, la section centrale a décidé, à la majorité.de 11 voix contre 1, que le jugement des ministres serait déféré à la cour de cassation, chambres réunies.
« Lorsqu'il intervient une condamnation contre un ministre, le chef de l'Etat peut-il user en faveur du droit de faire grâce ?
« L'ordre du chef de l'Etat, fût-il même par écrit, ne peut soustraire un ministre à la responsabilité. Il peut arriver qu'un ministre soit condamné, quoiqu'il n'ait agi que par ordre du chef de l'Etat, dès lors le droit de faire grâce ne pouvait exister sans condition... »
Ce rapport constate à mes yeux d'une manière évidente :
1° Que la section centrale n'avait eu vue que la responsabilité politique criminelle des ministres ;
2° Qu'elle n'entendait attribuer à la Chambre le pouvoir d'accuser les ministres que pour les faits relatifs à leurs fonctions, c'est-à-dire pour des faits politiques ;
5° Qu'elle n'entendait déférer que ces derniers faits à la cour de cassation.
C'est, messieurs, conformément à ce rapport de l'honorable M. Raikem que le Congrès a adopté le premier membre de l'article 90 de la Constitution :
« La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation qui seule a le droit de les juger, chambres réunies. »
Donc si rien n'avait été ajouté à cette disposition, en présence du rapport de M. Raikem et en présence du principe que les exceptions sont de stricte interprétation, les ministres seraient soumis au droit commun pour tout délit commis hors de l'exercice de leurs fonctions.
Dans la séance du 12 janvier 1831, M. Fleussu déposa le rapport de la section centrale sur la proposition de MM. de Robaulx et Thorn.
Il résulte de ce rapport que la section centrale trouvait inutile et même dangereux de sanctionner le principe de la résistance légale d'une manière générale et absolue, mais qu'elle voulait en même temps enlever à jamais au pouvoir tout moyen d'impunité contre les mesures vexatoires.
Ce sont les termes mêmes du rapport de l'honorable M. Fleussu. En conséquence la section centrale proposa une disposition additionnelle qui est devenue l'article 24 de la Constitution.
« Nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics, pour faits de leur administration, sauf ce qui est statué à l'égard des ministres. »
Donc, messieurs, en présence de l'article 24, les ministres ne sont exceptés que pour les faits de leur administration, c'est-à-dire pour les actes politiques ; et pour les délits ordinaires, encore une fois, les ministres sont mis sur la même ligne que les autres fonctionnaires, c'est-à-dire, qu'ils sont soumis au droit commun, et, partant, nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour les poursuivre en dommages-intérêts du chef de crimes ou de délits commis hors de l'exercice de leurs fonctions.
C'est la conséquence logiquement inévitable, me semble-t-il, de la disposition de l'article 24 de la Constitution.
Il est intéressant, messieurs, de lire ici un court passage du rapport de M. Fleussu parce qu'il prouve que le congrès avait en vue exclusivement de garantir les droits des particuliers contre les atteintes des fonctionnaires et qu'il ne se préoccupait aucunement de la dignité des ministres.
« Mais, dit le rapport, il est une autre espèce de résistance, c'est la résistance passive, par laquelle on proteste contre des abus, se réservant d'en demander la répression. C'est à cette résistance qu'en général la raison et la prudence conseillent d'avoir recours. Même sous l'empire, alors que les fonctionnaires publics étaient en quelque sorte des satellites de l'omnipotence, la loi avait prononcé des peines contre les vexations des agents du pouvoir. Le Code pénal renferme plusieurs dispositions à cet égard. Mais le remède serait souvent illusoire, si on laissait au ministère public seul le soin de provoquer l'application des peines comminées contre les abus des fonctionnaires. La partie lésée doit pouvoir solliciter une satisfaction, soit en agissant à fins civiles, soit en s'adressant à la justice répressive, se portant partie civile.
« Les gouvernements précédents, dans leur défiance ombrageuse, et pour que le zèle des fonctionnaires se pliât plus facilement à leur volonté, les avaient couverts d'un bouclier qui les rendait, pour ainsi dire, invulnérables. Pour pouvoir attraire en justice un agent du pouvoir, il fallait obtenir une autorisation préalable.
« Cette mesure était subversive de la responsabilité des personnes auxquelles l'autorité est confiée ; elle doit disparaître dans un gouvernement où toutes les libertés sont garanties par des institutions fortes et vraiment libérales.
« La section centrale a pensé, comme la plupart des sections, qu'il fallait enlever à jamais au pouvoir un moyen d'impunité contre les mesures vexatoires.
« Désormais il ne sera plus nécessaire d'obtenir de l'autorité supérieure une autorisation pour poursuivre en justice un de ses agents ; désormais, le retour d'une disposition qui rétablirait la nécessité de cette autorisation deviendra impossible, puisqu'un article de la Constitution autorisera les poursuites sans les soumettre à aucune formalité préalable.
« Il en résultera ce double avantage, que le pouvoir ne pourra plus encourager à des mesures vexatoires et illégales, en promettant l'impunité aux fonctionnaires publics, et que ceux-ci, mieux instruits de leurs devoirs, devront se renfermer dans le cercle de leurs attributions, sous peine de poursuites et de dommages-intérêts, que des juges indépendants ne manqueront point d'adjuger chaque fois qu'il y aura excès.
« En conséquence de ce qui précède j'ai l'honneur de proposer un article ainsi conçu :
« Nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics, pour faits de leur administration, sauf ce qui est statué à l'égard des ministres. »
« La réserve, à l'égard des ministres, a été commandée par la nécessité de mettre cette disposition en harmonie avec celles relatives à la responsabilité ministérielle. Le rapport fait à votre séance d'hier, par M. Raikem, vous a fait connaître que telle est l'économie de la loi en cette matière, que les poursuites contre les ministres devront être autorisées par une des branches du pouvoir législatif. Il fallait faire concorder ces différentes dispositions, et de là cette espèce d'exception. »
Il ne fallait donc pas une autorisation préalable pour poursuivre un ministre du chef de faits commis hors de l'exercice de ses fonctions.
Dans la séance du 20 janvier, eut lieu la discussion du projet de la section centrale sur la responsabilité ministérielle. Ce projet, comme j'ai eu l'honneur de le dire, ne se composait que d'une seule disposition : « La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation qui, seule, a le droit de les juger, chambres réunies. »
Il faut ne pas perdre de vue, en examinant cette disposition, que la section centrale proposait en même temps l'article 134 portant : « Jusqu'à ce qu'il y soit pourvu par une loi, la Chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le juger en caractérisant le délit et en déterminant la peine.
« Néanmoins la peine ne pourra excéder celle de la réclusion, sans préjudice des cas expressément prévus par les lois pénales. »
Comme nous l'avons dit tout à l'heure, la section centrale, en proposant ces deux dispositions, n'avait en vue que la responsabilité politique des ministres, que des actes posés par des ministres dans l'exercice de leurs foliotions.
Le texte de l'article 134 du reste confirme cette interprétation, puisqu'il attribue à la cour de cassation le soin de caractériser le délit, etc. S'il avait pu s'agir, dans la pensée du Congrès, de crimes ou de délits commis par des ministres hors de l'exercice de leurs fonctions, le Congrès n'aurait évidemment pas chargé la cour de cassation du soin de caractériser les délits, puisqu'ils étaient caractérisés par les lois pénales elles-mêmes.
Examinons maintenant ce qui se passa dans la discussion. M. François proposa un amendement qui se trouve mentionne à la page 8 du rapport de l'honorable M. Delcour. Cet amendement était ainsi conçu :
« Cependant lorsqu'un ministre s'est rendu coupable d'un crime ou d'un delit quelconque, commis hors de l'exercice de ses fonctions, il est justiciable des mêmes cours et tribunaux que les autres citoyens.
« Le ministre qui, dans l'exercice de ses fonctions, s'est rendu coupable d'un crime ou délit envers un ou plusieurs individus ou envers leurs propriétés, ne peut être traduit devant les tribunaux répressifs par l'individu lésé, qu'après l'autorisation à donner par l'une des chambres de la cour de cassation.
« La loi détermine le mode de procédure à suivre pour obtenir cette autorisation.
(page 955) « Lorsqu’un ministre est traduit devant la cour de cassation par la Chambre des représentais, ceux qui se prétendent lésés par les faits sur lesquels porte l'accusation, peuvent intervenir comme partie civile. »
Cet amendement laissait le ministre soumis au droit commun pour les délits ordinaires : il accordait aux parties lésées le droit d'intervenir comme partie civile lorsqu'un ministre aurait été traduit devait la cour de cassation à la suite d'un décret de mise en accusation de la Chambre ; il donnait enfin aux particuliers le droit de poursuivre un ministre en dommages-intérêts devant les tribunaux ordinaires du chef de crimes, délits ou quasi-délits.
Cet amendement, et j'appelle sur ce point l'attention de la Chambre, cet amendement fut renvoyé à l'examen des sections.
C'est après ce renvoi que M. Beyts proposa un amendement dont la commission argumente dans son rapport.
Cet amendement était ainsi conçu :
« La Chambre des représentants a le droit d'accuser un ministre pour des crimes ou délits commis hors de l'exercice de leurs fonctions ; elle les traduit devant la cour de cassation qui seule a le droit de le juger, chambres réunies. »
Cet amendement fut rejeté.
Mais ce rejet fixe-t-il, comme le dit le rapport de la commission, le sens de la proposition de la section centrale (premier membre de l'article 90, §1) ?
Je ne le pense pas.
Selon moi, le rejet de cet amendement ne jette aucune lumière sur la question à résoudre. Et la raison en est simple.
Pourquoi le Congrès a-t-il rejeté l'amendement de M. Beyts ? Pour fixer le sens de l'article 90 ? Pas le moins du monde ; mais parce qu'avant la présentation de cet amendement, le Congrès avait renvoyé aux sections un amendement de M. François, que l'amendement de M. Beyts aurait eu pour effet de détruire en partie, car il ne tendait à rien moins qu'à faire revenir le Congrès sur la détermination qu'il avait cru devoir prendre un instant auparavant.
Il suffit de mettre en regard la proposition de M. François et celle de M. Beyts, pour être convaincu que si l'amendement de M. Beyts a été rejeté, ce n'est pas pour fixer le sens du premier membre de l'article 90, mais uniquement parce qu'il eût été absurde de voter cet amendement, alors qu'on venait de renvoyer à l'examen des sections la proposition de M. François qui le comprenait.
Il est vrai que le Congrès aurait pu faire à M. Beyts la politesse de renvoyer également son amendement à l'examen des sections.
Aussi l'amendement de M. Beyts ayant été rejeté, l'honorable membre s'écrie-t-il : « Je m'y attendais », et un état de rire accueillit-il ces paroles.
Dans la même séance du 20 janvier, le Congrès avait adopté un amendement de M, Destouvelles qui constitue le paragraphe 2 de l'article 90.
L'ensemble de l'article 90 fut alors adopté de la manière suivante : « La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation qui seule a le droit de les juger chambres réunies.
« Une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux, soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. »
Si le texte était resté tel, il me semble clair que pour le délits ordinaires les ministres seraient restés soumis au droit commun, puisque dans ce texte il n'est évidemment question que de délits politiques.
La question de responsabilité des ministres fut encore agitée dans la séance du 21 janvier 1831, c'est-à-dire le lendemain du rejet de l'amendement de M. Beyts, à propos de la discussion du rapport de M. Fleussu sur les propositions de MM.de Robaulx et Thorn, relatives à la résistance légale.
On se rappelle que la section centrale avait proposé la disposition qui forme aujourd'hui l'article 24 de la Constitution.
Eh bien, que se passa-t-il lors de la discussion ?
M. de Theux proposa formellement la suppression des mots : « Tout ce qui est statué à l'égard des ministres. »
Il ne voulait pas faire exception en faveur des ministres, lorsqu'il s'agit de dommages éprouvés par des particuliers par suite des faits administratifs des ministres.
M. de Theux ne voulait donc pas admettre qu'il y eût nécessité d'une autorisation préalable pour intenter une action à un ministre du chef des faits qu'il aurait posés dans l'exercice de ses fonctions.
La manière de voir de M, de Theux était partagée par MM. Forgeur , Van Meenen, Fleussu, Jacques, Jottrand et Claus. Eux aussi voulaient que, pour les actions en dommages-intérêts, les ministres restassent soumis au droit commun.
MM. Lebeau, Devaux et Barthélémy, combattirent cette manière de voir et la majorité du Congrès leur donna raison.
L'article 24 resta donc tel qu'il avait été proposé par M. Fleussu.
Qu'en résulte-t-il ? C'est qu'aux termes de la Constitution, il faut une autorisation préalable pour intenter à un ministre une action en dommages-intérêts du chef des faits posés dans l'exercice de ses fonctions.
A coup sûr, on ne peut pas s'imaginer qu'il aurait pu entrer dans la pensée du Congrès d'exiger une autorisation pour intenter une action à un ministre du chef de faits, crimes ou délits posés hors de l'exercice de ses fonctions, alors que vous venez de voir, par ce qui s'est passé à propos de l'article 24, que ce n'est qu'avec une grande difficulté que le Congrès a consenti à exiger une autorisation préalable pour pouvoir assigner un ministre en dommages-intérêts du chef d'actes posés dans l'exercice de ses fonctions.
Donc, il n'est pas possible d'admettre un seul instant que le Congrès puisse avoir eu l'intention de laisser consacrer un principe tel que celui que tend à consacrer le projet de loi en discussion.
C’est, messieurs, dans la séance du 6 février 1831, que M. Raikem a fait son rapport sur l'amendement de M. Fleussu, renvoyé à l'examen de la section centrale dans la séance du 20 janvier, et que la dernière discussion a eu lieu.
L'article 134 fut adopté dans la même séance et sans la moindre discussion.
Or, messieurs, voici ce qui se passa dans cette séance du 6 février 1831.
« M. Raikem fait rapport, au nom de la section centrale sur les articles du titre III du projet de Constitution qui ont été laissés en blanc. « Il propose : 3° pour être, placée à la suite de l'article 66 du titre III, une disposition additionnelle conçue en ces termes : « Sauf ce qui sera statué par la loi quant à l'exercice de l'action civile, et quant aux crimes et délits que des ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions. »
« M. Jottrand fait observer qu'il ne faut pas que les parties lésées soient forcées d'intenter leurs actions devant la cour de cassation.
« M. Van Meenen propose d'ajouter après ces mots de l'article 66 : « La cour de cassation, » ceux-ci : « qui seule, en ce cas, a le droit de..., etc. »
« M. Jottrand. - Mais vous ne décidez point par là devant quel tribunal les parties lésées auront le droit d'intenter leur action, si c'est devant tous autres tribunaux que la cour de cassation. Pour garantir ce droit, il faut, me semble-t-il, conserver la rédaction primitive de la section centrale qui ferait suivre l'article 66 de ces mots : « sauf ce qui sera statué, etc. »
« Cette rédaction est mise aux voix et adoptée. »
Ainsi, messieurs, de l'observation de M. Jottrand, observation qui a été accueillie par le Congrès, puisque la rédaction proposée a été adoptée, il résulte clairement que même la cour de cassation est incompétente pour connaître de l'action civile à intenter à un ministre du chef de faits posés dans l'exercice de ses fonctions.
A fortiori ne pouvons-nous pas déférer à la cour de cassation la connaissance d'une action civile du chef de faits commis hors de l'exercice de ses fonctions.
Cela me paraît incontestable.
Après avoir parcouru ainsi les rapports et la discussion qui ont précédé l'adoption des articles 24, 90 et 134 de la Constitution, je passe à l'examen des questions spéciales que soulève le projet de loi.
Pouvons-nous, est-il dans notre droit, à nous législateurs, de déférer à la cour de cassation les crimes et délits commis par un ministre hors de l'exercice de ses fonctions ?
C'est une question excessivement grave, comme tout ce qui touche à la Constitution, et je suis heureux de rencontrer comme partageant mon opinion l'honorable M. Lelièvre, au talent de jurisconsulte de qui tout le monde dans cette Chambre rend hommage.
Le doute provient du deuxième membre de l’article 90 de la Constitution.
On prétend que par ces mots : « sauf ce qui est statué par la loi, quant aux crimes et délits commis hors de l'exercice de ses fonctions,» la Constitution a laissé le pouvoir législatif libre de déférer à la cour de cassation même les crimes et délits ordinaires.
(page 956) Je croîs, au contraire, que la pensée formelle du Congrès a été de dire : « Pour les délits politiques, la cour de cassation seule sera compétente ; quant aux délits ordinaires, je ne veux pas dire dans la Constitution quel sera le juge compétent : je laisse ce soin au législateur ; mais ce que je dis, c'est que ce ne pourra jamais être la cour de cassation. »
Je dis que la pensée exprimée par le Congrès dans l'article 90 de la Constitution a été de laisser le législateur libre de déterminer le juge compétent tout en lui interdisant de désigner comme juge compétent la cour de cassation.
Et cette conclusion, je la tire, comme l'honorable M. Lelièvre le faisait tout à l'heure, du mot « sauf, » qui est évidemment synonyme d’« excepté ».
La preuve de cette synonymie, je la trouve dans le second membre de l'article 90 ; je la trouve encore dam le paragraphe 2 de l'article 95 portant : « Cette cour (la cour de cassation) ne connaît pas du fond des faits, sauf le jugement des ministres. »
On ne prétendra certainement pas que le mot « sauf » n’est pas synonyme ici du mot « excepté. »
Eh bien, si cette synonymie existe dans l'article 95, peut-on sérieusement prétendre qu'il n'en est pas de même dans l'article 90 ? Cela me paraît impossible.
Les mots « sauf le jugement des ministres » que porte le second membre de l'article 95, signifient incontestablement : « sauf le jugement des ministres dans les cas déterminés par la Constitution. » C'est-à-dire dans les cas où il s'agit de délits politiques et non pas dans les cas où il s'agit de délits ordinaires.
En effet, ni dans les rapports, ni dans les discussions, il n'a jamais été question un seul instant de renvoyer à la cour de cassation la connaissance des crimes et délits ordinaires commis par des ministres.
Donc, messieurs faire une loi qui déférerait à la cour de cassation la connaissance des crimes et délits ordinaires des ministres serait, selon moi, violer l'article 95, paragraphe 2 de la Constitution.
Au moins serait-ce en violer l'esprit.
Ce serait également, comme l'a prouvé tout à l'heure l'honorable M. Lelièvre, méconnaître l'article 98 de la Constitution quia établit le jury en toute matières criminelles :
Quoi, messieurs, vous iriez par un projet de loi appuyé sur un article au moins douteux de la Constitution, soustraire à son juge naturel le jury, un ministre coupable d'un crime ! Non, messieurs, vous ne le ferez jamais.
Ce serait, en outre, violer l'article 6 de la Constitution qui proclame l'égalité des Belges devant la loi.
Du reste, messieurs, l'énormité des conséquences qu'entraînerait l'adoption du projet de loi est tel'l, qu'il suffit de les entrevoir pour reconnaître que le projet a une base fausse.
Que fait le projet de loi ?
Il rend la cour de cassation compétente pour connaître des crimes et des délits commis par un ministre même en dehors de ses fonctions.
Il va plus loin, messieurs, il va jusqu'à rendre la cour de cassation compétente pour connaître des faits de complicité et des délits connexes, c'est-à-dire pour juger les complices des délits commis par des ministres.
Ainsi, en vertu d'un simple projet de loi, alors que la Constitution (au moins me ferez-vous cette concession) ne vous reconnaît que le droit de déférer les ministres à la cour de cassation, vous étendriez cette disposition jusqu'aux complices ; vous iriez arracher à la juridiction du jury non seulement les ministres, mais encore des citoyens privés. Cela ne peut pas être ; vous ne le ferez pas, messieurs. (Interruption.)
Il est donc impossible de déférer à la cour de cassation les crimes et les délits ordinaires commis par les ministres.
Maintenant peut-on davantage déférer à la cour de cassation la connaissance de l'action civile résultant d'un crime ou d'un délit ?
A mon avis, moins encore, et puisqu'on argumente le texte, je tiens à faire remarquer que l'article 90 de la Constitution ne parle que de l'action civile résultant d'actes politiques, et qu'il ne dit rien de l'action civile résultant de délits ordinaires.
Et puis, ne résulte-t-il pas du discours de M. Jottrand dont j'ai eu l'honneur de donner lecture tout à l'heure, qu'indépendamment du texte, la volonté formelle du Congrès était de ne pas soumettre à l'appréciation de la cour de cassation l'action civile provoquée même par des faits ministériels ?
Je ne puis assez répéter que la volonté du Congrès a été que la cour de cassation ne pût jamais connaître de faits résultiant de crimes ou de délits ordinaires : puisqu'il est établi, par les citations que j'ai faites, que, dans la pensée du Congrès, les tribunaux ordinaires étaient seuls compétents pour apprécier même l'action civile, résultant de faits ministériels.
D'ailleurs, pourquoi irait-on, en faveur d'un ministre, priver un particulier du double degré de juridiction ? Je n'y vois aucun motif.
Ici, il ne s'agit plus de dignité ministérielle, il ne s'agit plus de la qualité de ministre ; il s'agit d'un droit civi1, d'un droit sacré que les ministres doivent les premiers faire respecter.
Et vous iriez ôter à un citoyen le droit de recourir aux deux degrés de juridiction qu'il peut invoquer dans toute autre circonstance, parce que c'est un ministre qui se serait rendu coupable d'un crime ou délit hors de l'exercice de ses fonctions !
Et puis ne perdez pas de vue les frais extraordinaires que peut entraîner une poursuite devant la cour de cassation.
Si, conformément au projet de loi, je porte une action civile simultanément avec l'action publique devant la cour de cassation, et que le ministre vienne à être acquitté, quelle en sera la conséquence ? C'e.t que je serai condamné à tous les dépens.
Voilà encore une des conséquences du projet de loi qui a été élaboré par la commission.
Du reste, quel motif y a-t-il, je le demande, pour distinguer entre un droit civil né d'un contrat, d'un testament, d'une donation entre-vifs, et un droit civil né du délit d'un ministre ?
Comment ! d'après le projet de loi, je puis assigner un ministre en dommages-intérêts devant les tribunaux ordinaires du chef de contraventions et le ministre, que vous prétendez garantir, n'est pas même garanti contre l'emprisonnement que peuvent prononcer les tribunaux de simple police ! Et quand il s'agit d'un fait plus grave, d'un délit, d'un crime, je ne pourrais pas poursuivre un ministre devant les tribunaux ordinaires !
Maintenant peut-on subordonner l'exercice de l'action civile, résultat d'un délit ordinaire, à l'exercice de l'action publique ? C'est une nouvelle question que le projet de loi soulève. A coup sûr, en le faisant, nous ne serions pas fidèles à l'esprit de la Constitution, à l'égalité qui est la base de notre pacte fondamental.
Quelles sont en Belgique les raisons de force majeure qui pourraient déterminer le législateur à prononcer une pareille dérogation à notre Constitution ?
D'après le droit commun, l'action civile peut être intentée séparément ou conjointement avec l'action publique.
Il y a plus : d'après le droit commun, l'action civile peut être intentée, non seulement contre le coupable, mais également contre les représentants du coupable.
Eh bien, messieurs, d'après le projet de loi de la commission, s'il est adopté, vous n'aurez plus de recours contre les représentants du coupable, car l'action civile ne pourrait être intentée que concurremment avec l'action publique. Or, on sait que l'action publique s'éteint par la mort du prévenu, supposons donc qu'un ministre ait commis un crime et que du chef de ce crime il soit traduit devant la cour de cassation ; supposons ensuite que, de mon côté, victime de ce crime, j'aie joint une action civile à l'action publique, conformément au système du projet de loi, supposons enfin que le lendemain de cet intentement, le ministre poursuivi vienne à mourir, soit par une attaque d'apoplexie, soit en duel, soit pour tout autre accident, qu'arrivera-t il ? C’est que moi, partie lésée, je n'aurai plus aucun recours contre les représentants du ministre.
Et voilà comment le projet de loi garantit les droits des citoyens belges contre les atteintes des ministres !
Si j'avais, moi, poiré une atteinte grave au ministre, et en supposant que je mourusse le lendemain, le ministre aurait une action contre mes représentants, ainsi que me le fait observer, avec raison?, mon honorable ami, M. Schollaert.
Voilà, messieurs, l'égalité devant la loi, d'après le projet de la commission !
Je regrette de devoir le dire, la commission semble, dans tout son projet, ne s'être préoccupée que des ministres et avoir mis complètement à l'écart les citoyens belges.
Evidemment cela est contraire à l'esprit de la Constitution ; car, dans l'esprit de la Constitution, tous les pouvoirs publics ont été précisément organisés en vue de sauvegarder les droits des particuliers.
Ce serait, d'ailleurs, contraire au texte de l'article 92 du la Constitution.
(page 957) D'après cet article, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.
Eh bien, si le projet de la commission est adapté, comme je ne pourrais intenter une action civile que concurremment avec l'action publique et comme l'action civile ne pourrait être intentée qu’avec l'autorisation de la Chambre, la Chambre, c'est-à-dire une majorité quelconque, serait juge de la question de savoir si une action civile est recevable ; de conséquence en conséquence, ce ne seraient plus les tribunaux qui seraient exclusivement juges de la contestation civile née du délit ordinaire d'un ministre.
Pouvons-nous, c'est encore une autre question, subordonner la poursuite de l'action publique, et partant celle de l'action civile, puisque les poursuites doivent être conjointes, à l'autorisation préalable de la Chambre, lorsqu'ils 'agit de crimes ou de délits commis hors de l’exercice des fonctions ministérielles ?
Je ne le pense pas quanta à l'action civile.
L'article 24 de la Constitution prohibe formellement l'exigence d'une autorisation préalable pour intenter une action en dommages-intérêts contre les fonctionnaires publics.
Les ministres ne sont donc exceptés que dans un seul cas : c'est dans le cas où ils ont posé des actes ministériels. Dans tous les autres cas, en présence de l'article 24, il faut reconnaître qu'en vertu et par application de cet article, le législateur ne peut pas imposer à un particulier l'obligation d'obtenir une autorisation préalable, avant de pouvoir intenter à un ministre une action civile en dommages-intérêts du chef de délits ordinaires.
On peut, il est vrai, m'objecter l'article 90, paragraphe 1 de la Constitution pour soutenir que le Congrès a laissé au législateur le soin de statuer s'il faut une autorisation pour poursuivir un ministre en dommages-intérêts du chef de délit ordinaire. Mais il est évident que l'article 90 paragraphe n'est relatif qu'à la compétence du juge.
Comme vous le savez, M. François avait proposé de soumettre tous les délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions à la compétence des tribunaux ordinaires. Le Congrès n'a pas voulu trancher cette question constitutionnellement ; mais s'il en a abandonné la solution au législateur, c'est qu'il avait probablement en vue les dispositions des articles 479 et suivants du code d'instruction criminelle, ainsi que l'article 10 de la loi du 20 avril 1810 sur l'organisation judiciaire et l'administration de la justice.
On ne peut pas davantage, me semble-t-il, invoquer le paragraphe 2 de l'article 90 pour soutenir que le Congrès a laissé au législateur la liberté de décider s'il faut ou s'il ne faut pas une autorisation.
Les discussions prouvent d'une manière évidente que le second paragraphe de l'article 90 ne s'applique qu'aux délits politiques.
Je reconnais que la Constitution ne défend pas de subordonner l'exercice de l'action publique aune autorisation, et de statuer qu'un ministre ne pourra être arrêté préventivement sans cette autorisation.
Je crois qu'aucune disposition de la Constitution ne l'interdisant, le législateur trouve, dans son droit de législateur, le pouvoir d'exiger que l'action publique soit subordonnée à une autorisation préalable.
Mais convient-il de faire cela ? C'est là une grave question.
Convient-il de donner à MM. les ministres une position privilégiée, une position préférable à celle de membre de la Chambre des représentants ou du Sénat ?
L'article 45 de la Constitution porte :
« Aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière de répression, qu'avec l'autorisation de la Chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit.
« Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre de l'une ou de l'autre Chambre durant la session, qu'avec la même autorisation.
« La détention ou la poursuite d'un membre de l'une ou de l'autre Chambre est suspendue pendant la session, et pour toute sa durée, si la Chambre le requiert. »
Je demande s'il est conforme à l'esprit de notre Constitution de donner à MM. les ministres une position préférable à celle de membre de la Chambre ?
J'en doute.
Je crois qu'un membre du pouvoir législatif mérite plus d'égards qu'un simple agent du pouvoir exécutif.
Nous ne parlons pas ici des ministres membres de la Chambre ; nous parlons des ministres en leur simple qualité de ministres. Nous croyons que les membres de la législature doivent jouir de prérogatives au moins égales, sinon supérieures, à celles des ministres, et ce serait le contraire que vous consacreriez par le vote du projet de loi, c'est-à-dire que vous accorderiez à un simple agent du pouvoir exécutif une position préférable à celle de membre de la Chambre.
M. Coomans. - Il est bien plus facile de remplacer un ministre qu'un membre de la Chambre.
M. Bouvierµ. - C'est une question.
M. Van Overloopµ. - Messieurs, l'article 45 de la Constitution s'occupe de la contrainte par corps. La commission (et je ne lui fais pas un reproche de cette omission, elle a travaillé avec rapidité) ne dit rien à cet égard. Ainsi un ministre aurait commis un assassinat ; il aurait commis le crime le plus odieux et il ne pourrait être arrêté, mais il pourrait être contraint par corps pour dettes !!
Je ne fais cette observation que pour vous faire comprendre que si la commission a voulu rendre hommage au cri du pays demandant que la loi soit égale pour tous, elle a peut-être travaillé avec un peu trop de rapidité pour élaborer son projet.
En résumé, je crois que, constitutionnellement, il est interdit au législateur de déférer à la cour de cassation un crime ou un délit commis par un ministre hors de l'exercice de ses fonctions.
Je crois qu'il est encore moins permis au législateur de déférer à la cour de cassation la connaissance des actions civiles nées des délits ordinaires des ministres.
En troisième lieu, je crois qu'il n'est pas permis au législateur de subordonner l'action civile née d'un délit ordinaire d'un ministre à une autorisation quelconque.
Enfin je crois qu'il est permis au législateur, mais qu'il n'est pas convenable de mettre les ministres dans une position meilleure que les membres de la Chambre des représentants et du Sénat.
Je termine, messieurs, par une observation générale.
La révolution de 1830 a été une réaction énergique contre les abus de l'autorité.
Le gouvernement provisoire, dont nous sommes tous heureux de voir encore parmi nous, plein de santé et de vigueur, un des membres les plus distingués, a débuté par proclamer les droits naturels des Belges, surtout ceux qui avaient été méconnus par le pouvoir exécutif.
La Constitution a fait plus ; elle a voulu mettre les droits des Belges même en dehors des atteintes du pouvoir législatif.
Et cela est tellement vrai que le Congrès constituant a remplacé, sur la proposition de M. Masbourg, les mots du projet de la Constitution : « le chef de l'Etat est inviolable », i par les mots : « la personne du chef de l'Etat est inviolable » pour déterminer ainsi que le Congrès laissait intacte la question de savoir si, conformément à nos anciennes joyeuses entrées, on pouvait prononcer la déchéance, même contre le chef de l'Etat.
Et bien, messieurs, quel est le caractère essentiel du projet de la commission ?
C'est, selon moi, de subordonner les droits des particuliers aux agents de l'autorité.
Le projet de la commission est donc, évidemment, incontestablement contraire à l'esprit de notre Constitution.
Par conséquent, quant à moi, il m'est impossible de donner un vote favorable à ce projet et je soumettrai à la Chambre une série d'amendements qui donneront, je l'espère, satisfaction aux légitimes exigences de l'opinion publique.
Afin que la Chambre puisse examiner ces amendements avec maturité j'aurai l'honneur de les lui faire connaître immédiatement.
Ils sont ainsi conçus :
« Art. 1er. Lorsqu'un ministre sera prévenu d'avoir commis, hors de ses fonctions, un délit emportant une peine correctionnelle, le procureur général près la cour d'appel le fera citer devant cette cour, qui prononcera sans qu'il puisse y avoir appel.
« Art. 2. S'il s'agit d'un crime emportant peine afllictive ou infamante, le procureur général près la cour d'appel et le premier président de cette cour désigneront, le premier, le magistrat qui exercera les fonctions d'officier de police judiciaire ; le second, le magistrat qui exercera les fonctions de juge d'instruction.
« Il sera statué sur la mise en accusation dans la forme ordinaire.
« Selon les circonstances, la chambre des mises en accusation renverra le prévenu soit à un tribunal de simple police, soit à la cour d'appel, soit à la cour d'assises. (Articles 230-231.)
« Art. 3. L'article 45 de la constitution est applicable aux ministres qui ne sont membres d'aucune des deux Chambres.
« Art. 4. L'action en réparation du dommage causé par un crime, par (page 958) un délit ou une contravention commis par un ministre hors de l’exercice de ses fonctions, reste soumise au droit commun.
« Art. 5. L'action en réparation du dommage causé par un acte posé par un ministre dans l'exercice de ses fonctions est de la compétence des tribunaux ordinaires.
« Toutefois, cette action ne pourra être intentée qu'avec l'autorisation préalable de la Chambre des représentants. »
Je crois, messieurs, que de cette manière tous les droits seraient garantis.
Je mets les ministres sur la même ligue que les membres de l'autorité judiciaire supérieure, et par conséquent ils n'ont pas lieu de se plaindre.
D'un autre côté, je garantis les droits des citoyens (et c'est de ces droits-là que je me préoccupe surtout) en déclarant formellement qu'il ne faut pas que l'action civile puisse dépendre de l'autorisation préalable de qui que ce soit.
Enfin, messieurs, il y a des faits ministériels qui peuvent porter atteinte aux droits d'un citoyen, je veux que les tribunaux ordinaires puissent connaître de l'action en dommages-intérêts qui serait intentée en pareil cas à un ministre ; mais comme cela pourrait donner lieu à des abus, et pour rester dans l'esprit de la Constitution, alors même que la Chambre trouverait qu'il n'y a pas lieu de décréter la mise en accusation du ministre, je veux cependant qu'un particulier puisse, avec l'autorisation de la Chambre, intenter à un ministre une action en dommages-intérêts du chef d'actes posés dans l'exercice des fonctions ministérielles.
La Chambre aura à examiner si le ministre a été plus ou moins de bonne foi et s'il y a lieu ou non de le décréter d'accusation. Mais il peut y avoir des circonstances où les faits ne seraient pas assez graves pour motiver une mise en accusation et où cependant il y aurait lieu d'autoriser l'action en dommages-intérêts.
J'ai dit.
MpVµ - Messieurs, vous avez entendu la proposition de M. Van Overloop. Je ne sais pas si la Chambre la considère comme un amendement ou si c'est un projet de loi nouveau qu'il faudrait renvoyer à la commission.
M de Brouckereµ. - Chacun de nous a le droit de présenter des amendements à un projet de loi en discussion, mais quant à substituer un projet entier au projet soumis à la Chambre, je ne crois pas que nous ayons ce droit-là. Evidemment l'honorable M. Van Overloop a le droit de décomposer son projet et de rattacher chacune de ses dispositions à un article du projet de loi en discussion. Ainsi, par exemple, quand nous serons à l’article premier, il détachera l’article premier de son projet et il proposera à la chambre de le substituer à l’article premier du projet que nous discutons.
Mais quant à présenter un nouveau projet en entier, il me semble impossible que la Chambre accepte cette manière de procéder, car nous pourrions, avec un pareil système, nous trouver eu présence de 7 ou 8 projets différents. Je demande donc que l'honorable M. Van Overloop, après avoir fait connaître son projet à la Chambre comme il vient de le faire, veuille bien se borner à en présenter les différentes dispositions à mesure que nous en serons à la discussion des articles auxquels chacune de ces dispositions se rattache.
M. Van Overloopµ. - Messieurs, j'avais tellement l'intention d'amender successivement les articles, que je ne comptais pas faire connaître mon projet immédiatement ; je me suis décidé à déposer toute cette série d'amendements sur le bureau, uniquement pour que la Chambre pût les apprécier à loisir après les avoir fait imprimer.
Je suppose que j'eusse suivi le système indiqué par l'honorable M.de Brouckere ; dans la discussion de l'article premier, j'aurais présenté mon premier amendement ; le lendemain, à l'occasion de l'article 2, j'aurais proposé mon deuxième amendement et ainsi de suite ; mais c'eût été faire perdre à la Chambre un temps précieux ; puis on n'aurait pas saisi l'ensemble de mes propositions.
En résumé, messieurs, je propose une série d'amendements dont l'un s'applique à l'article premier, l'autre à l'article 2, le troisième à l'article 3, etc. ; mais je les ai présentés en une fois, afin qu'on puisse mieux les apprécier. Je suis peut-être l'homme de la Chambre qui se croit le moins infaillible.
(page 959) M. Van Wambekeµ. - Je viens, messieurs, combattre le projet de loi soumis à vos délibérations, parce qu'il consacre, d'après moi, un principe exceptionnel en faveur des ministres pour les crimes et les délits qu'ils commettent hors de l’exercice de leurs foncions, principe que je ne veux, en aucun point, admettre. Je soutiens que l'article 90 de la Constitution, et dans son texte et dans son esprit, ne s'applique qu'aux cas de responsabilité politique proprement dit e et que, pour tous les autres délits étrangers à leurs fonctions, les ministres sont justiciables des tribunaux ordinaires ; j'ajoute qu'il ne peut entrer dans les attributions de la cour suprême de connaître de ces délits sans la faire dévier des bases de son organisation. Toute la question réside évidemment dans l'article 90 de la Constitution. Voyons donc d'abord son texte :
« La Chambre des représentants, dit l'article, a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation, qui seule a le droit de les juger chambres réunies, sauf ce qui sera statué par la loi quant à l'action civile par la partie lésée et aux crimes et délits que des ministres auront commis hors l'exercice de leurs fonctions. Une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux, soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. » (L'article 91....)
L'article 95 ajoute : « Il y a pour toute la Belgique une cour de cassation, cette cour ne connaît pas du fond des affaires, sauf le jugement des ministres. »
Ainsi, messieurs, d'après le texte de la loi, les ministres peuvent être traduits par la Chambre devant la cour de cassation, pour les crimes et délits commis par eux comme ministres, c'est-à-dire dans l'exercice de leurs fonctions ; mais pour les autres crimes ou délits, l'article 90 renvoie à une loi spéciale qui est encore à faire.
Il n'entre, je pense, dans la pensée de personne d'entre nous de prétendre que la loi n'étant pas encore faite, les ministres ne seraient point soumis au droit commun et pourraient impunément violer toutes nos lois. Ce serait là une iniquité et un privilège si exorbitant, que cette opinion ne peut prévaloir.
Tous les Belges sont égaux devant la loi, la loi n'a pu reconnaître à aucun des membres de la société la faculté de commettre impunément les actions qu'elle a défendues, et les ministres peuvent, moins que tout autre, violer les lois de leur pays.
Pour nous, messieurs, ce texte est clair. Voyons maintenant les motifs. La section centrale constate d'abord que l'article 66 du projet de la Constitution était conçu dans ces termes :
« La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation qui, seule, a le droit de les juger chambres réunies. »
Ce projet laissait donc complètement de côté et l’action civile ouverte aux parties lésées et la poursuite des délits ordinaires commis par les ministres. Cette lacune n'échappa pas à l'attention du Congrès ; un membre, M. François, proposa un amendement tout à fait relatif au cas qui donne lieu au débat actuel. Cet amendement stipulait : « Cependant, lorsqu'un ministre s'est rendu coupable d'un crime ou d'un délit quelconque, commis hors de l'exercice de ses fonctions, il est justiciable des mêmes cours et tribunaux que les autres citoyens. »
M. François admettait donc le droit commun pour les ministres, sauf les cas de responsabilité politique. Il ne fut, il est vrai, pas donné suite à cet amendement ; mais pourquoi ? Est-ce parce que telle n'était pas l'opinion du Congrès ? Nullement. On crut devoir ajourner cette proportion, qui devait trouver sa place dans la loi sur la responsabilité ministérielle.
Un autre membre, M. Van Snick, proposa une autre disposition qui, sans aller aussi loin que celle de M. François, admettait cependant la distinction capitale que nous faisons en ce moment.
M. Van Snick proposa de laisser à la loi le mode de poursuite des crimes ou délits commis par les ministres hors de leurs fonctions, ainsi que l'exercice des actions civiles résultant des faits relatifs à leurs fonctions.
M. le baron Beyts proposa alors un amendement conçu comme suit : « La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres pour crimes ou délits par eux commis dans l'exercice de leurs fonctions ; elle les traduit devant la cour de cassation qui, seule, a le droit de les juger, chambres réunies. » Cet amendement fut rejeté et d'après la section centrale, messieurs, il en résulte que l'article 66 (90) est général. Nous croyons, messieurs, que la section centrale se trompe. En effet, l'amendement ne fut rejeté que, parce que, dans la pensée du Congrès, il fallait laisser à la loi qui devait se faire dans le plus bref délai possible (et nous l'attendons depuis 34 ans) le soin de déterminer et le mode et la compétence quant aux crimes ou délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions, et ce qui le prouve à toute évidence, messieurs, c'est qu'immédiatement le Congrès le déclare dans le paragraphe suivant, paragraphe inconciliable avec le système qui consisterait à soutenir que l'article 90 est général et doit être entendu dans le sens le plus large.
Il n'y a donc, messieurs, ni dans le texte, ni dans l'esprit de l'article 90, pour nous, un seul motif d'hésitation.
Les ministres doivent être traduits devant la cour de cassation pour les délits politiques ; pour les autres crimes et délits, ils sont citoyens et doivent subir le droit commun.
Que la Chambre ordonne la poursuite des ministres pour délits politiques, cela se conçoit ; cette matière, en effet, est pour ainsi dire arbitraire et elle imposerait à la magistrature une appréciation très difficile sinon impossible ; mais quelles sont les raisons pour enlever à la juridiction ordinaire la connaissance des crimes ou délits commis par les ministres hors de leurs fonctions ?
On invoque seulement l'anomalie qui s'ensuivrait, puisque les magistrats de l'ordre judiciaire doivent être traduits devant la cour d'appel, tandis qu'un premier juge d'instruction pourrait amener devant lui un ministre ! Singulière raison !
Quelle assimilation y a-t-il entre les ministres et les magistrats de l'ordre judiciaire ? Les ministres sont nommés par le Roi, et dans un gouvernement représentatif ils doivent répondre de tous les actes du gouvernement, ils couvrent en un mot la royauté. Ils passent avec les majorités et sont les agents du pouvoir.
Les fonctionnaires de l'ordre judiciaire n3ssont point les agents du pouvoir exécutif, ils exercent un pouvoir indépendant et qui est placé en dehors de son influence, leurs actes n'engagent point sa responsabilité, ils ne sont les exécuteurs d'aucun de ses ordres. Les premiers ne doivent jouir d'un privilège que lorsqu'ils commettent des crimes comme agents du pouvoir, les autres en jouissent parce qu'il était à craindre que leur considération ne souffrît de l'application entière des règles de poursuite ordinaire, tout comme la justice même pouvait être blessée en leur personne par l'esprit de jalousie ou de faveur des juges inférieurs à leur égard. Cette considération ne signifie donc absolument rien. Et puis n'oublions pas que le code d'instruction criminelle date de l'empire, que l'empereur dans sa manière de voir voulait entourer la magistrature d'un grand prestige comme toutes ses institutions, que cela explique à certain égard les dispositions exceptionnelles, mais qu'aujourd'hui nous n'en sommes plus là, qu'au contraire il faudrait pour les magistrats également rejeter ces faveurs.
Et puis, messieurs, faut-il craindre cet abus signalé ? Nullement ; dans les cas des crimes ou délits commis par les ministres en dehors de leurs fonctions, le ministère public n'agira jamais sans l'avis de ses supérieurs. Enfin, messieurs, soyez convaincus que ces cas seront rares, très rares, et c'est justement pour cette raison qu'il faut démontrer au pays que l'égalité la plus complète règne dans nos lois.
Observons enfin que la section centrale dans le projet de loi, article 9, permet cependant au premier commissaire de police de traduire un ministre devant le tribunal de simple police, parce que les contraventions commises par les ministres seront jugées dans les formes ordinaires. Je suppose, messieurs, que cette disposition est ainsi conçue pour assimiler en tous points les ministres aux juges qui, eux aussi dans ce cas, sont dans le droit commun. Enfin, ce n'est pas comme ministre que celui qui a commis un crime ou délit aura à répondre, mais comme citoyen.
Cette question, au reste, messieurs, a été traitée par tous les auteurs français, d'une manière à ne laisser aucun doute.
La charte de 1830, dans son article 47, stipulait : La chambre des députés a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la chambre des pairs qui, seule, à celui de les juger ; et comme chez nous la charte dans l'article 69 déclarait qu'il serait pourvu dans le plus bref délai possible aux objets qui suivent : 1° et 2°, la responsabilité des ministres, mais en France comme en Belgique la loi n'a pas été faits, de sorte que la question est la même.
Faustin Hélie, Traité de l'action publique et de l'action civile, édition belge, 1853, paragraphe 1145.
Que faut-il donc statuer à l'égard des crimes et délits commis par les ministres « en dehors de leurs fonctions ? » Est-ce que ces infractions, dont notre loi constitutionnelle ne s'est pas occupée, pourront être poursuivies sans autorisation devant les tribunaux ordinaires ? On ne peut que se reporter, à et égard, à la législation antérieure ; car si la Charte (page 960) est muette sur ce point, il faut en induire que cette législation, n'ayant pas été abrogée, s'est maintenue en vigueur. Or, l’article 71 71 de la loi du 22 frimaire an VII soumettait à une délibération préalable du conseil d'Etat « la poursuite des ministres prévenus de délits privés, emportant peine afflictive ou infamante. » Cette disposition pourrait donc encore être invoquée ; mais elle ne s'applique « qu’aux délits privés emportant peine afflictive ou infamante. » Quant aux délits correctionnels qu'ils auront commis en dehors de leurs fonctions, il est clair qu'en l'absence de toute disposition exceptionnelle, et à moins qu'ils n'aient la qualité de pair ou de député, ces délits soit soumis à l'action publique, comme les délits commis par tous les autres croyons. Mangin propose de leur appliquer l'article 10 de la loi du 20 avril 1810, qui attribue à la première chambre civile des cours royales l'instruction des délits commis par les officiers de la Légion d'honneur, les généraux, les évêques, les membres de la cour de cassation, de la cour des comptes, de la cour royale et les préfets. Mais il suffit qu'ils ne soient pas comptés dans l'énumération que fait cet article pour qu'il leur soit inapplicable. Il est vrai que, s'ils n'y sont pas mentionnés, c'est parce que l'article 101 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII, les déclarait justiciables de la haute cour impériale, à raison de tous les délits dont ils pourraient se rendre coupables.
Mais l'abolition de cette juridiction exceptionnelle n'autorise point à lui en substituer une autre par voie d'interprétation.
Mangin, Traité de l'action publique, paragraphe 245.
Maïs que décider quant aux délits correctionnels commis par les ministres ou les conseillers d'Etat, hors de l'exercice de leurs fonctions, parce que l'article 70 de la Constitution de l'an VIII ne parle que des crimes ? L'article 101 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII les rendait justiciables de la haute cour impériale pour tous les crimes et délits indistinctement dont ils pourraient se rendre coupables, en sorte que la question que je viens d'indiquer ne pouvait pas se présenter.
Mais cette haute cour n'existe plus ; elle n'est remplacée par aucune autre juridiction ; quelques-unes de ses attributions ont été départies à la chambre des pairs ; mais celles qu'elle avait sur les conseillers d'Etat et les délits privés des ministres n'y sont pas comprimée.
« Il faut dire alors que les délits correctionnels commis par les ministres et les conseillers d'Etat hors de l'exercice de leurs fonctions, sont soumis à l'action publique et à l'action civile, comme les délits commis par tous les autres citoyens ; » sauf à les faire jouir des dispositions de l'article 10 de la loi du 20 avril 1810, qui attribue à la première chambre civile des cours royales la connaissance des délits correctionnels commis par les grands fonctionnaires de l'Etat. Si les ministres et les conseillers d'Etat ne sont pas dénommés dans cet article, c'est uniquement parce qu'ils étaient justiciables de la haute cour ; s'ils ne peuvent plus jouir de cette garantie, il semble qu'il faut leur assurer celle qui la remplace le mieux.
Rauter, paragraphe 277.
L'article 13 (précédemment l'article 18) de la Charte dit : ta personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables. Il est évident que cet article se rapporte à la disposition de l'article 47 cité dans le numéro précédent.
La responsabilité devait avoir son effet juridique et cet effet ne pouvait être un simple effet de droit civil, c'est-à-dire une obligation d'indemniser pécuniairement la partie lésée. La forfaiture, ou le délit d'office d'un ministre, devait être punie d'une peine publique. Sans cela le plus dangereux des criminels aurait été traité plus doucement que tout autre coupable. C'est dans cet esprit que l'article 47 parle de l'accusation des ministres, terme qui indique nécessairement la poursuite d'une punition quelconque. Mais qu’elle doit être cette punition ? La loi n'a pas voulu entreprendre de la spécifier, pas plus que les délits mêmes ; elle s'était donc référée au tribunal qu'elle a chargé du jugement de l'accusation, c'est-à-dire à la chambre des pairs, contre la décision de laquelle aucun recours n'est possible. Un ministre peut violer son pouvoir de tant de manières et sa position le rend si dangereux, s'il veut prévariquer, qu'il était impossible en bonne politique de préciser ses méfaits. On risquait de faire trop ou trop peu ; car il ne faut pas non plus que toute faute en la forme expose nécessairement le ministre à une punition ; il manquerait ainsi de cette liberté morale sans laquelle la conduite des affaires politiques est impossible.
L'on voit, d'après cela, que les délits d'office des ministres sont des délits propres, dans le sens le plus strict du mot (87) ; ils le sont même tellement qu'ils font exception à la règle qui veut que, pour qu'il y ait pénalité, il y ait définition légale du délit. Il est bien certain, en effet, que la chambra des pairs tant pour l'application de l'action imputée au ministre, que pour la détermination de la peine, a un pouvoir discrétionnaire.
Du reste, ce caractère propre des délits ministériels ne s’applique qu’aux véritables cas de responsabilité ministérielle, c’est-à-dire aux cas dans lesquels le ministre a mal usé du pouvoir légal qui lui était confié comme tel, ou dans lequel il a excédé son pouvoir légal à la faveur de son caractère public ; car quant aux actions semblables commises par lui et qu'il aurait aussi pu commettre s'il n’avait pas été ministre, elles rentrent évidemment dans la règle commune.
L'auteur cite ensuite un ouvrage de M. Benjamin Constant, de la responsabilité des ministres, de 1815, qui émet la même opinion relativement à la détention illégale par ordre d'un ministre.
Leg averend, t.1, p. 337.
Les ministres dont la charte, article 13, consacre la responsabilité doivent être considérés sous des aspects différents.
En ce qui concerne l'exercice de leurs fonctions, ils...
Mais les ministres qui commettraient des crimes ou des délits étrangers à leurs fonctions, seraient soumis, comme les simples particuliers, aux poursuites judiciaires et à l'action des lois criminelles... Et un peu plus loin il ajoute : La justice veut et l'intérêt même du gouvernement exige que la garantie consacrée par la loi, qui forme exception au droit commun (délits commis dans l'exercice de leurs fonctions), soit restreinte dans de justes bornes et ne dégénère pas en un privilège accordé aux fonctionnaires, d'abuser de leur autorité, de vexer leurs administrés.
Enfin M. Thonissen, dans la Constitution annotée, paragraphe 237, partage aussi cette opinion. Le passage de son ouvrage est transcrit par la section centrale.
Il nous paraît, messieurs, incontestable que le droit commun doit dominer, et que les ministres, s'ils commettant des crimes ou des délits hors de l'exercice de leurs fonctions, doivent être jugés par les tribunaux ordinaires comme tout autre citoyen. Cette considération à elle seule suffirait pour faire rejeter le. projet de loi qui consacre un privilège exorbitant ; mais il est une autre considération qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est le rôle que le projet donne à la cour suprême.
Pourquoi, messieurs, cette cour est-elle instituée ? L'article 95 de la Constitution le dit :
« Sauf le jugement des ministres traduits devant elle pour crime ou délit commis dans l'exercice de leurs fonctions, la cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires.
Et l'article 15 de la loi organique du 4 août 1832, ajoute : La cour de cassation prononce, etc. 6° sur les accusations admises contre les ministres, enfin, l'article 17, la cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, elle casse les arrêts et les jugements qui contiennent quelque contravention expresse à la loi ou qui sont rendus sur des procédures dans lesquelles les formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, ont été violées, elle renvoie le fond du procès à la cour ou au tribunal qui doit en connaître.
Voici ce que je lis dans la discussion du titre III du projet de constitution, des pouvoirs, lorsqu'il s'est agi de la cour de cassation :
M. Forgeur propose d'ajouter à l'article qu'il y aura, pour la cour de cassation, obligation de casser un arrêt lorsqu'elle reconnaîtra qu'il y a eu fausse application de la loi.
M. Raikem s'y oppose, il est appuyé par M. Lebeau ; ils soutiennent qu'il faut se borner à poser le principe sur lequel devait être basée la cour de cassation et à s'en rapporter à une loi organique pour tout le reste.
M. de Robaulx : Si vous adoptez le retranchement, prenez garde que vous astreignez la cour de cassation à ne connaître du fond des affaires que dans un seul cas, celui d'accusation des ministres. Il pourrait cependant vous convenir de leur attribuer la connaissance d'autres affaires, celles par exemple qui concerneront les princes, le domaine, la liste civile et quelques autres encore que vous pouvez avoir prévues et qui s'en trouveront exclues. Il me semble qu'il vaudrait mieux renvoyer l'article à la commission, qui tâcherait de classer dans l'article tous les cas où la cour de cassation pourrait connaître du fond des affaires.
M. Raikem, rapporteur : Messieurs, si nous avons une cour de cassation qui puisse connaître du fond de quelques affaires, nous n'avons plus de cour de cassation. Hors le cas d'accusation des ministres, il ne faut pas qu'elle puisse connaître du fond des affaires. Elle n'est pas instituée dans l'intérêt des particuliers, mais dans l'intérêt seul de la loi. On a dit qu'elle jugerait bien les conflits. Mais est-ce juger une affaire au fond ? Non, car juger un conflit, c'est régler devant quels juges on plaidera. Voudriez-vous que la cour de cassation pût juger les affaires où seront intéressé, les princes, les hauts fonctionnaires ? Mais alors vous détruisez (page 961) un des plus précieux principes de la liberté, celui de l'égalité devant la loi.
Non, messieurs, les tribunaux ordinaires sont seuls appelés à juger des intérêts civils de tous les citoyens de la Brique, depuis le chef de l'Etat jusqu'au dernier da ses sujets.
M. Forgeur ajoute : Il me semble impossible, comme l'a dit l'honorable préopinant, d'attribuer à la cour de cassation la connaissance du fond des affaires. Je suis tellement convaincu que ce serait fausser sa destination, que j'ai voté hier à regret pour lui attribuer le « jugement des ministres ; » je n'y ai consenti que parce que, dans le système constitutionnel que nous avons adopté, il n'était pas possible de l'attribuer à une autre cour. L'article est voté avec le retranchement proposé.
La cour de cassation, dont l'origine et l’historique sont si bien décrits par M. Dalloz, n'est qu'un perfectionnement de l'ancien conseil des parties mis en harmonie avec le système d'organisation moderne et avec le principe des garanties qui constituent le mérite fondamental des institutions libres qui nous régissent aujourd'hui. Elle n'est pas à proprement parler un degré de juridiction, ni une voie de ressort, mais un remède extrême qui ne peut avoir pour but que le maintien de la loi et l'uniformité de la jurisprudence, et qu'en fait-on dans le projet actuel ? Un véritable tribunal qui devra juger, instruire les faits, entendre les témoins et faire tous les actes d'instruction qui lui sont interdits de par son organisation ; et par une conséquence nécessaire, elle connaîtra directement de l'action civile, qui toutefois, d'après l'article 7, ne pourra être poursuivie devant elle que si elle est intentée simultanément. De sorte que vous enlevez encore, par mesure d'exception un droit à la partie lésée, qui peut, en vertu de l'article 5 du code d'instruction criminelle, intenter son action séparément. Il y aurai encore bien d'autres choses à dire sur ce sujet, mais je crois déjà abuser de la parole. Et vous faites tout cela pour donner aux ministres une faveur, une exception au droit commun.
Je ne veux pas d'une loi pareille. Je ne veux pas que les ministres qui sont les plus hauts fonctionnaires et qui jouissent déjà de tant de pouvoir, soient traités exceptionnellement devant la justice. A eux plus qu'à tout autre, il importe d'appliquer le principe de notre société moderne : égalité devant la loi.
Je voterai donc, messieurs, contre le projet de loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau :
1° Un projet de loi prorogeant la loi du ler mai 1857, sur les jurys d'examen ;
2° Un projet de loi qui rectifie les limites séparatives entre les communes de Florennes et de Saint-Aubin (province de Namur).
- Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur du dépôt de ces projets de lois. Ils seront renvoyés à l'examen des sections.
La séance est levée à 4 1/2 heures.