(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 770) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« La dame Verbert réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir l'exécution de jugements rendus contre l'Etat. »
M. De Fré. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Kok réclame l'intervention de la Chambre pour faire rapatrier son fils mineur Henri-Joseph, maréchal des logis fourrier volontaire au 2ème régiment d'artillerie, qui s'est engagé dans la légion mexicaine sans avoir obtenu ni demandé le consentement paternel. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lambert demande que la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics l'entende sur le travail relatif à l'assainissement de la Senne, qu'il a soumis à la Chambre et qui nécessiterait une dépense considérablement moins élevée que le projet du gouvernement. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.
MpVµ. - La 2ème section a rectifié l'erreur signalée hier ; ont été nommés : vice-président, M. Janssens, rapporteur, M. Thienpont.
M. Jamar dépose le rapport de la section centrale qui a examiné les articles 4 et 5 du projet de loi sur les travaux publics.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. De Fré. - Messieurs, dans la séance du 24 mars dernier, M. Debaets a lu devant cette assemblée un article du Bien public. Cet article accusait l'administration communale de Gand d'avoir commis une profanation dans le cimetière de la fabrique de Saint-Bavon. Voici l'article que M. Debaets nous a lu :
« La commission du cimetière est dans l’habitude de faire construire d'avance un certain nombre de caveaux, en vue des demandes de concession de sépulture qui pourraient se produire. Cinq de ces caveaux sont en voie de construction ; un sixième vient d'être achevé et l'on y avait déposé, lundi dernier, le cercueil de M. L.... Mardi, un commissaire de police s'est présenté au cimetière pour demander qui avait donné l'ordre de faire construire lesdits caveaux. Les ouvriers répondirent qu'ils avaient reçu leurs ordres de la commission représentant les fabriques propriétaires du cimetière.
« L'agent de police partit et revint, hier après-midi, avec une escouade d'ouvriers aux ordres de la ville. Cette bande se précipita sur les caveaux en construction et se mit à les démolir ; le caveau où reposait le corps de M. L... ne fut t pas même respecté ; des coups de pioche furent donnés sur la voûte qui s'effondra en partie, laissant à découvert le cercueil qui demeure en ce moment encore exposé aux regards du public. »
M. Debaets, après avoir cité cet article du Bien public, ajoute :
« Je m'abstiens pour le moment de qualifier le fait. »
Il demanda des renseignements à M. le ministre de l'intérieur qui répondit n'en avoir aucune connaissance, mais qu'il s'engageait à prendre des informations.
Je crois qu'on peut opportunément demander aujourd'hui à M. le ministre si le fait de profanation signalé par M. Debaets à la Chambre est exact.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ainsi que j'ai eu l'honneur de le promettre à la Chambre, je me suis empressé de prendre des renseignements sur le fait signalé à notre séance de samedi 24 mars dernier, par M. Debaets, d'après une feuille de Gand.
Voici, d'après ce qui m'a été transmis par M. le gouverneur de la province, les faits qui se sont passés.
La police de la ville de Gand ayant eu connaissance, le 29 mars, que l'on construisait dans un cimetière différents caveaux, en a donné connaissance à l'administration locale ; le fait fut confirmé le lendemain par un nouveau rapport constatant que les travaux étaient exécutés par ordre de la commission des fabriques et sans autorisation de l'autorité communale ; que le fossoyeur entendu avait déclaré qu'il avait été déposé dans un des caveaux nouvellement construits, le corps d'une personne qui lui était inconnue ; que, des explications ayant été demandées au sacristain d'une des églises pour savoir quel était ce corps, en vertu de quelle autorisation il avait été iuhumé là, il fut répondu que c'était le corps du nommé L,, pharmacien, que cette inhumation avait été faite en vertu d'un ordre de la fabrique, à certaines conditions et moyennant le payement d'une somme d'argent.
Ces renseignements ayant été portés à la connaissance de l'administration, celle-ci donna ordre à la police de prévenir l'entrepreneur que les travaux avaient été exécutés illégalement et qu'ils ne pouvaient pas être continués. Le fils de l'entrepreneur, en l'absence de son père, déclara que celui-ci avait reçu des instructions des conseils de fabrique et qu'il se croyait obligé de continuer les travaux jusqu'à ce qu'il eût reçu une défense par écrit signée par le bourgmestre ou par l'échevin délégué.
Appelé plus tard dans le bureau du commissaire de police, l'entrepreneur, sur les observations qui lui furent faites, consentit à ne pas faire reprendre provisoirement les travaux, interrompus d'ailleurs par la gelée. On croyait dès lors que l'affaire serait terminée, mais il n'en fut rien ; les travaux furent repris et même poussés avec plus d'activité qu'ils ne l'avaient été jusqu'alors. En présence de cette circonstance, l'échevin chargé de la police, en l'absence du bourgmestre, donna l'ordre d'empêcher la continuation de travaux, de faire démolir ceux qui étaient illégalement exécutés et de rétablir les choses dans l'état où elles se trouvaient avant l'exécution des travaux. Le commissaire, agissant en exécution de cet ordre, se rendit au cimetière accompagné d'ouvriers et leur enjoignit de démolir cinq des six caveaux construits ; il avait reçu l'ordre de respecter le sixième dans lequel, disait-on, un cadavre avait été déposé.
Les travaux de démolition des 5 caveaux étant terminés, le commissaire de police allait se retirer, quand on lui fit observer qu'il restait encore à démolir un caveau dans lequel aucun cadavre n'avait été déposé ; soupçonnant une supercherie, le commissaire de police fit enlever une ou deux pierres de la voûte du caveau qu'on lui indiquait afin de s'assurer si, oui ou non, ce caveau était vide ; mais ayant reconnu qu'il ne l'était pas, il s'empressa de le faire refermer avec le plus grand soin, et l'opération fut ainsi terminée.
Vous voyez donc, messieurs, qu'il n'y a pas eu là la moindre violation de sépulture, ainsi que l'avait annoncé la feuille gantoise dans les termes les plus formels et les plus indignés.
Du reste, je le constate, cette feuille qui avait flétri cette prétendue violation, a reconnu dès le lendemain qu'elle avait été induite en erreur ; depuis, il est vrai, elle avait publié une lettre de l'entrepreneur des travaux constatant que la police avait fait pratiquer, comme je viens de le dire, une ouverture dans le sixième caveau où le cadavre avait été déposé, et ceci s'explique parfaitement par le motif que je viens de faire connaître : on avait, je le répète, voulu s'assurer s'il était vrai, oui ou non, que ce caveau fût occupé, et la preuve ayant été acquise qu'un cercueil y avait été déposé, l'ouverture avait été immédiatement fermée. Tout s'est donc passé dans l'ordre le plus parfait, et il n'y a eu ni scandale ni violation de sépulture.
Voilà, messieurs, les faits tels qu'ils m'ont signalés, et je pense que les rapports qui m'ont été faits sont en tous point conformes à la vérité.
M. de Kerchoveµ. - Le fait signalé à la Chambre par l'honorable M. Debaets devait nécessairement provoquer une certaine émotion. On devait supposer, en effet, qu'un fait de cette nature devait être réel, sans quoi il n'aurait pas été porté à la connaissance de cette Chambre, et que l'honorable membre se serait bien gardé d'en saisir la Chambre s'il n'avait pas été bien renseigné. Je regrette que l'honorable M. Debaets ne (page 771) ne soit pas adressé à l'administration communale de Gand, on lui aurait prouvé qu'il n'y avait pas eu de violation de sépulture.
M. le ministre de l'intérieur vient de vous faire connaître comment les faits se sont passés et vous devez être convaincus qu'il n'y a pas eu violation de sépulture.
Lorsque les ouvriers eurent achevé leur travail, l'entrepreneur, qui était présent, fit observer au commissaire de police qu'il y avait encore un caveau vide. Le commissaire de police voulut vérifier lui-même le fait et il fit détacher de la voûte deux ou trois briques pour s'assurer si le caveau était occupé. Ayant vu qu'il s'y trouvait un cercueil, il donna l'ordre immédiatement de replacer les pierres enlevées de la voûte. La version donnée par l'entrepreneur et que le Bien public a reproduite dans son numéro du 27 mars dernier était donc complètement erronée. J'ai ici, devers moi, un procès-verbal qui le constate.
Maintenant, messieurs, on fait le reproche à l'administration d'avoir agi sans prévenir les fabriques d'église. Il n'en est rien, messieurs, et je vais vous le démontrer.
En 1834, en vertu d'une circulaire de M. le gouverneur de la province, le bourgmestre de Gand écrivit le 29 avril aux conseils de fabrique qu'elles étaient sans droit de faire des concessions dans les cimetières et pour leur rappeler que ces concessions ne peuvent se faire valablement que dans les formes tracées par le décret du 23 prairial an XII.
Comme on avait accordé des concessions illégales avant cette lettre, on continua à en faire après. Le 26 septembre 1834, par une nouvelle lettre l’administration communale rappela aux conseils de fabrique qui sont propriétaires du cimetière dont nous nous occupons, que la concession qu'elles venaient d'accorder à un M. de Greut avait été faite illégalement et qu'elle devait être annulée.
De là, réclamation de la fabrique d'église. On soumet le tout à M. le gouverneur de la province ; et les états députés, sous la présidence de l'honorable M. Charles Vilain XIIII, dressèrent un tableau des diverses aliénations de terrains, en y comprenant celle sollicitée par M. Degraeve ; et sur un rapport favorable, l'honorable M. de Theux, alors ministre de l'intérieur, soumit le 11 avril 1835, à la sanction royale, un arrêté qui substituait, au profit du sieur Degraevc, une concession régulière à celle de la fabrique, c'est-à-dire qu'on décida alors, comme on l'a fait depuis, que c'était à l'autorité communale à concéder des terrains dans les cimetières, même quand ces cimetières n'appartenaient pas à la commune. De nouveaux abus se glissèrent cependant dans les concessions qui se firent par les fabriques chaque fois que les parties dans l'ignorance de la loi s'adressèrent à elles.
Le 24 mai, une circulaire, émanée de M. de Haussy, ministre de la justice, fut adressée aux administrations communales et aux fabriques. La dernière partie de cette circulaire dénie aux fabriques le droit de faire des concessions alors même que la fabrique aurait établi le cimetière.
Malheureusement les fabriques continuèrent toujours le même système en continuant à concéder illégalement des terrains dans les cimetières.
Le 12 août 1858, les fabriques reçurent une nouvelle circulaire de l'administration de Gand qui leur rappelait de nouveau : « Que le décret de l'an XII plaçait les concessions dans les attributions de l'autorité qui avait la police des cimetières. »
Cette nouvelle circulaire de l'administration commun de de Gand se basait sur une dépêche écrite à M. le gouverneur (erratum, page 790) de la province de Liége, sous la date du 6 juin 1856, par le ministre de la justice de l'époque, l'honorable M. Nothomb. Cette dépêche était ainsi conçue :
« Bruxelles, le 6 juin 1856.
« Monsieur le gouverneur,
« J'ai pris communication des pièces qui étaient jointes à votre lettre du 29 mai dernier, 2e division, n°5235, concernant le produit d'une concession de sépulture dans le cimetière de Stavelot, réclamé par la fabrique de l'église de cette localité.
« Je vous prie, M. le gouverneur, de faire connaître au conseil de fabrique de cette église, qu'il n'y a pas lieu d'attribuer à la fabrique de ladite église, ni le droit d'accorder des concessions dans ce cimetière, ni celui de profiter des sommes qui sont données par le concessionnaire de terrains pour sépulture. Le décret du 23 prairial an XII, article 11, s'y oppose formellement ; car, il dispose que des concessions ne sont accordées qu'à ceux qui font des donations aux pauvres et à la commune. Aucune loi n'attribue aux fabriques une part dans le produit des concessions ; au contraire, du chef des cimetières, le décret du 30 décembre 1809, article 36 4°, ne leur accorde que le produit spontané des terrains qui servent à cet usage.
« La question de propriété est ici indifférente puisqu'il ne s'agit pas d'une aliénation du fonds ; la concession perpétuelle n'est qu'un privilège pour les concessionnaires que leur sépulture sera recelée lors du renouvellement des fosses ; au surplus, le terrain concédé reste partie intégrante du cimetière.
« Le ministre la justice,
« (Signé) Alp. Nothomb. »
Vous voyez donc bien que, sous en rapport, l'administration communale de Gand était parfaitement d'accord avec l'honorable M. Nothomb.
Néanmoins, messieurs, les fabriques d'église continuèrent non seulement à donner des concessions de sépulture ; maïs elles exigèrent uuo rétribution des personnes qui plaçaient des croix ou autres signes mortuaires sur les tombes, et cela nonobstant l'article 12 du décret de l'an XII qui porte : « Il n'est pas dérogé, par les deux articles précédents, au droit qu'à chaque particulier, sans besoin d'autorisation, de faire placer sur la fosse de son parent ou de son ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture ainsi qu'il a été pratiqué jusqu'à présent. »
Le conseil communal, pour mettre un terme à ces actes, actes que je ne qualifierai pas, a été obligé de faire un règlement communal, punissant les contrevenants de peines de. simple police.
Nonobstant cela et malgré de nouvelles circulaires, les fabriques d'église persévérèrent dans leur manière d'agir.
Dernièrement, on vint prévenir l'autorité communale qu’on construisait de nouveaux caveaux.
Après avoir notifié trois fois à l'entrepreneur qu'il avait à cesser les travaux, l'administration communale, pour faire respecter la loi, ordonna de les démolir. Je crois que c'était son devoir. Je dirai plus : elle avait le droit de faire exhumer le cadavre déposé illégalement dans le sixième caveau, de le faire enterrer à sa place et de faire démolir ce caveau. Mais on a encore voulu user de tolérance.
Vous voyez bien, messieurs, que les fabriques d'église n'ont pas été prises au dépourvu, que depuis 1834, elles ont été constamment prévenues qu'elles agissaient illégalement. L'administration communale de Gand, en agissant ainsi, n'a fait que son devoir.
M. Rodenbach. - Je pense que l'honorable M. De Fré aurait bien fait d'attendre que celui qui a fait la motion d'ordre fût présent. L'honorable député, M. Debaets, n'est pas ici aujourd'hui, mais il y était hier.
Je dirai quelques mots de cette affaire.
Puisque la fabrique est propriétaire du cimetière, je crois que l'administration communale de Gand, au lieu de faire détruire des travaux, aurait fait chose prudente, sage et peut-être légale de se borner à dresser procès-verbal et de soumettre la question aux tribunaux. Car cette question, selon moi, aurait dû être décidée par les tribunaux et sans être jurisconsulte, je n'ignore pas qu'un arrêt isolé ne fait pas jurisprudence. Je n'aime pas cette manière brutale de venir démolir des caveaux ; c'est de la police un peu trop à la turque.
Je n'ai pas l'insigne honneur d'être bourgmestre d'une grande ville comme Gand, je ne suis que bourgmestre d'une commune de 6,000 âmes. Mais je déclare que j'aurais agi avec plus de modération, avec plus de circonspection. J'aurais voulu savoir, lorsqu'un cimetière appartient à une fabrique d'église, si c'est à la police seule à décider de semblables questions. J'en aurais donc appelé à la justice et j'aurais laissé la décision aux tribunaux. Il est plus que temps, messieurs, que l'on fasse disparaître cette question des cimetières ; ne divisons pas davantage le pays ; il n'est déjà que beaucoup trop divisé.
M. Van Overloopµ. - Je regrette que la motion de l’honorable M. De Fré ait été faite en l'absence de M. Debaets.
Il y a, dans l'incident qui vient de se produire, deux choses : les faits qui se sont passés à Gand et, à ce qu'il semble, la conduite tenue par un honorable collègue.
Je n'ai pas à m'occuper des faits. Je ne les connais pas. Je ne veux m'occuper que da second point.
Si j'ai bien compris l'honorable M. de Kerchove, son début était, pour ainsi dire, une plainte de la conduite tenue par M. Debaets. Or toute la Chambre se rappellera que l'honorable M. Debaets s'est borné à donner lecture de l'article de journal que M. De Fré vient de nous rappeler.
- Un membre. - Il a eu tort.
M. Van Overloopµ. - Il a eu tort ; je n'ai pas à me prononcer à cet égard ; c'est à lui d'apprécier l'usage qu'il a fait de son droit.
M. Bouvierµ. - Il devrait être ici.
M. Van Overloopµ. - M. Debaets a déjà répondu à cette observation, et j'espérais qu'après sa réponse, M. Bouvier n'aurait pas reproduit ce reproche d'absentéisme.
Je ne comprends pas, messieurs, qu'on blâme un collègue absent ; je ne crois pas que ce soit digne ; à coop sûr, ce n'est pas généreux. Mais je défends un absent.
M, Debaets s'est borné à donner lecture de l’article de journal dont il (page 772) s'agit, et il a ajouté qu'il ne garantissait aucunement les faits, mais qu'ils lui avaient paru assez graves pour faire l'objet d'une interpellation.
Je crois, messieurs, qu'il faut réserver à M. Debaets la faculté de s'expliquer sur les faits et je dis que personne ne peut le blâmer d'avoir fait ce qu'il a fait, car il a itérativement déclaré qu'il ne se portait nullement garant des faits cités par le journal.
Comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, le lendemain le journal dont M. Debaets avait cité un article, a reconnu que cet article était erroné ; mais le surlendemain, il est revenu à la charge en donnant une déclaration de l'entrepreneur portant que les faits avaient été exactement narrés le premier jour.
M. de Kerchoveµ. - Messieurs, je ne crois pas avoir blâmé M. Debaets d'avoir porté cette accusation à la tribune de la Chambre. J'ai seulement exprimé le regret que M. Debaets, qui habite Gand, ne se fût pas enquis préalablement des faits auprès de l'administration communale ; là il aurait appris qu'ils étaient complètement faux.
L'honorable M. Rodenbach a dit qu'il ne comprenait pas qu'un fait pareil se fût passé dans un cimetière, propriété d'une fabrique d'église. L'honorable membre ne se souvient donc pas qu'un arrêt de la cour d'appel rendu le 27 juillet 1864, ensuite d'un arrêt de la cour de cassation, décide que, quel que soit le propriétaire d'un cimetière, c'est l'administration communale seule qui a le droit de donner des concessions et d'en percevoir le prix.
L'honorable membre a dit ensuite que procès-verbal aurait dû être dressé et que la question aurait dû être décidée par les tribunaux ; eh bien, messieurs, il est encore une fois dans l'erreur, et pour le lui prouver, je me permettrai de faire une seule citation. Voici, messieurs, quel a été l'objet d'un arrêt de la cour de cassation de France :
« Un enterrement avait été fait en contravention aux lois et règlements. Le ministère public poursuivit les contrevenants devant le tribunal d e simple police, et requit 1) l'application de la peine : 2) il demanda que le tribunal ordonnât l'exhumation des corps indûment inhumés et leur transport dans un autre lieu aux frais des délinquant. Le tribunal appliqua les peines, mais sur la seconde réquisition du ministère public il déclara n'avoir à statuer. Sur le pourvoi en cassation du ministère public, la cour décida qu'aux termes de l'article 16 du décret de 23 prairial an XII, le maire ayant l’autorité, la police et la surveillance du lieu de sépulture, le tribunal devait se refuser d'obtempérer aux réquisitions du ministère public ; toutefois la cour cassa le jugement, par la raison que le tribunal aurait dû faire plus que de refuser de statuer sur les conclusions du ministère public, qu'il aurait dû les rejeter formellement. »
Vous voyez donc, messieurs, que dans le cas présent l'administration communale avait parfaitement le droit d'agir comme elle a agi.
M. Bouvierµ. - L'honorable M. Debaets s'est rendu l'écho dans cette enceinte d'allégations qui se trouvaient dan3 le journal le Bien public. Aujourd'hui ces allégations sont tout à fait controuvées et je pense que l'honorable M. Debaets aurait dû déclarer à la Chambre qu'il avait été induit en erreur. Je considère comme un devoir pour un représentant surtout quand il a accusé, d'être à son banc pour répondre de ses actes ou tout au moins déclarer qu'il s'est trompé de bonne foi.
M. De Fré. - M. Debaets, je le reconnais avec l'honorable M. Van Overloop, s'était borné à donner lecture d'un article du Bien public, qui est reconnu inexact. M. Debaets n'a affirmé aucun fait. Il ne s'est pas mis en cause. Aussi je ne l'ai point attaqué. J'ai demandé au ministre les explications promises, afin que l'impression fâcheuse produite sur la Chambre par la lecture de cet article pût être détruite. M. Debaets ne devait donc pas être présent pour que je fisse mon interpellation.
Remarquez d'ailleurs, messieurs, que nous sommes à la veille des vacances, que dans trois jours nous allons nous séparer et que si M Debaets ne revient pas avant dimanche, l'administration communale de Gand reste pour longtemps sous le coup de l'accusation produite contre elle.
Maintenant, messieurs, il résulte des explications données par M. le ministre de l'intérieur que si une administration a manqué à la loi ce n'est pas l'administration communale, mais la fabrique d'église de Gand, qui, contrairement à la loi que l'honorable M. de Theux lui-même a rappelée, contrairement à la jurisprudence, contrairement à toutes les traditions administratives, persiste à contester aux communes des droits incontestables.
Aujourd'hui la question a été décidée d'une manière solennelle ; après avoir été jugée différentes fois par les tribunaux inférieurs, la question a été résolue par la cour de cassation de Belgique qui a cassé un arrêt de la cour d'appel de Liège.
La cour d'appel de Bruxelles, chambres réunies, a confirmé la doctrine de la cour de cassation ; les fabriques n'ont pas le droit de construire des caveaux sur des cimetières dont elles auraient la propriété ni d'y accorder des concessions.
Et, pour ajouter aux autorités que vous a citées l'honorable M. de Kerchove, permettez-moi de vous donner lecture de l'arrêt de la cour de cassation de Belgique :
« Sur le moyen consistant dans la fausse application de l'article 547 du code civil, dans la violation des articles 537 et 538 du même code, dans la violation des articles 10,11, 7, 15, 16 et 17 du décret du 25 prairial an XII et de l'article 36 du décret du 30 décembre 1809, en ce que, même dans la supposition que le cimetière de Stavelot appartienne à la fabrique défenderesse, celle-ci n'a aucun droit aux sommes données pour concessions de terrains :
« Attendu que pour apprécier ce moyen, il est essentiel de déterminer le caractère et les effets des concessions autorisées par le décret du 23 prairial an XII ;
« Attendu que les terrains affectés au service public des inhumations sont hors du commerce aussi longtemps qu'ils conservent leur destination ; qu'ils sont soumis, quant à leur usage, aux lois et règlements administratifs, et doivent sous ce rapport être considérés comme choses du domaine public ;
« Attendu que l'article 16 du décret prémentionné place les cimetières sous l'autorité, police et surveillance des administrations locales ;
« Attendu qu'en vertu de cette attribution, les administrations communales ont seules le droit de régler, conformément au décret, l'usage du cimetière, et par conséquent, peuvent seules accorder des concessions de terrains dans les limites et aux conditions fixées par les articles 10 et 11 du même décret ;
« Que ces concessions sont donc des actes purement administratifs, qui n'ont aucun rapport avec l'exercice du droit de propriété ;
« Attendu que la concession n'affectant l'usage du terrain concédé qu'en ce qui concerne sa destination publique, le droit du concessionnaire vient à cesser du moment où le cimetière est légalement supprimé et où le terrain sur lequel il était établi est rendu au commerce ;
« Attendu que les sépultures particulières dans les terrains concédés ne constituent, pas plus que les inhumations dans toute autre partie du cimetière, un démembrement de la propriété du sol ;
« Que cette propriété reste intacte, que seulement elle est vinculée dans l'exercice des droits privés qui en dérivent, par son affectation au service public des inhumations ;
« Attendu que les concessions ne transférant à ceux qui les obtiennent aucun droit de propriété ou de jouissance proprement dite, il en résulte qu'une fabrique d'église, fût-elle propriétaire du terrain sur lequel est établi le cimetière, ne peut n'en réclamer à ce titre ;
« Que les prétentions élevées par la fabrique défenderesse contre la commune de Stavelot ne pouvaient donc être accueillies, à moins qu'un texte exprès de la loi ne lui accordât une somme quelconque du chef de concessions de terrains ;
« Attendu que l'article 11 du décret, qui détermine les obligations mises à la charge du concessionnaire, ne lui en impose aucune envers la fabrique ;
« Que, d'après cet article, les concessions ne sont accordées qu'à ceux qui offrent de faire des fondations ou donations en faveur des pauvres et des hôpitaux, indépendamment d'une somme qui sera donnée à la commune ;
« Attendu que les termes de l'article 11, comme la nature même des prestations qui y seront énumérées, écartent toute idée d'un acte se rattachant à l'exercice du droit de propriété ;
« Que les auteurs du décret ont voulu avant tout que le droit à une sépulture distincte et séparée ne pût s'obtenir que sous la condition d'œuvres de bienfaisance ;
« Qu'il était équitable aussi qu'une somme donnée à la commune l’indemnisât du surcroît de charges que devaient entraîner pour elles les concessions de terrains ;
« Qu'en effet celles-ci restreignant nécessairement l'usage du cimetière ont pour résultat de rapprocher l'époque où il devra être supprimé et aggravent ainsi l'obligation que l'article 7 impose aux communes en ce qui concerne l'établissement de nouveaux cimetières, obligation devenue d'autant plus onéreuse que des terrains doivent être réservés dans le nouveau cimetière aux concessions qui avaient été octroyées dans celui qui a dû être abandonné ;
« Attendu que si la législateur avait voulu qu'une somme fût donnée aux fabriques, il s'en serait expliqué dans le décret du 23 prairial an XII, comme il s'est expliqué dans l'article 36 du décret du 30 décembre 1809, en attribuant aux fabriques le produit spontané des terrains servant de cimetières ;
« Que cette disposition du décret de 1809 et celle de l'article 37, paragraphe 4, du (page 773) même décret, relatif à l'entretien des cimetières, fournissent une nouvelle preuve que la loi n'a pas eu égard en cette matière aux principes qui régissent la propriété privée, puisque les articles 30 et 37 prémentionnés s'appliquent à tous les cimetières sans distinction, même à ceux que la fabrique défenderesse reconnaît appartenir aux communes ;
« Attendu qu'il suit de tout ce qui précède que l'arrêt attaqué, en condamnant la commune demanderesse à remettre à la fabrique de l'église, paroissiale de Stavelot les sommes que ladite commune a touchées de différents particuliers pour les concessions accordées dans le cimetière, a méconnu le caractère légal des concessions et a contrevenu expressément aux articles 16, 10 et 14 du décret du 23 prairial an XII.
« Par ces motifs, la cour, ouï en son rapport M. le conseiller Van Hoegaerden et sur les conclusions conformes de M. Leclercq, procureur général, casse l'arrêt rendu par la cour d'appel de Liège, le 2 août 1862 ; condamne la fabrique défenderesse aux dépens de cassation et à ceux de l'arrêt annulé ; ordonne la restitution de l'amende, ordonne que le présent arrêt sera transcrit sur les registres de ladite cour et que mention en sera faite en marge de l'arrêt annulé ; renvoie la cause devant la cour d'appel de Bruxelles pour y être fait droit sur l'appel interjeté par la commune de Stavelot contre le jugement du tribunal de Verviers, du 26 décembre 1860... »
Par suite du renvoi ordonné par cet arrêt, la cour d'appel de Bruxelles a jugé, chambres réunies, que bien qu'un cimetière appartienne à une fabrique d'église, l'administration communale seule a le droit d'autoriser des concessions (Belgique judiciaire, XXII, page 391 et 1404).
Voilà la loi telle qu'elle est appliquée non seulement par l'administration mais par tous les tribunaux, et c'est contrairement à cette loi que la fabrique d'église de Gand se permet de faire des concessions dans un cimetière et d'y construire des caveaux !
Je proteste contre cette violation de la loi, qu'il faut dénoncer à la Chambre afin d'en prévenir le retour.
Qu'arrive-t-il lorsque des administrations communales manquent d'énergie et ne comprennent pas leurs devoirs ?
Il arrive que la loi est violée parce que les bourgmestres provoquent par leur propre conduite à la désobéissance de la loi. Aussi, si d'un côté je blâme les fabriques qui se permettent de violer la loi, de l'autre, je loue, je glorifie les administrations laïques qui font respecter la loi. Dans ce débat, ce n'est pas l'administration communale de Gand que je blâme ; je la loue pour son énergie. Ce que je blâme, c'est la fabrique d'église au nom de laquelle on a dénoncé une violation, une profanation de cimetière.
M. de Brouckere. - Si l'honorable député de Saint-Nicolas s'était borné à défendre un de ses collègues absents, je ne me serais pas mêlé de la question ; mais il a émis l'opinion qu'il était parfaitement convenable qu'un représentant ayant lu un fait quelconque...
M. Van Overloopµ. - Je n'ai pas employé ce mot.
M. de Brouckere. - Quel mot avez-vous employé ?
M. Van Overloopµ. - Je n'en sais rien ; j'ai dû dire que je comprenais qu'un représentant entretînt la Chambre d'un fait qu'il avait lu...
M. de Brouckere. - Vous avez dit qu'il était... quel mot voulez-vous que j'emploie ? qu'il était convenable qu'un député ayant lu un fait quelconque dans un journal vînt en entretenir la Chambre.
C'est contre cette opinion émise d'une manière générale que je viens protester. Selon moi, un représentant ne doit entretenir la Chambre d'un fait particulier que quand ce fait est grave d'abord, et, en second lieu, quand il lui est connu personnellement, ou au moins, quand il a reçu, sur l'existence de ce fait, des renseignements plus ou moins certains. Si nous allions admettre la doctrine de M. Van Overloop, qu'un membre de la Chambre peut très convenablement l'entretenir de chacun des faits qu'il a lus le matin dans un journal, quel qu'il soit, il n'y aurait pas un seul jour de l'année où l'on ne fît au gouvernement des interpellations comme celles dont nous nous occupons en ce moment.
Or, je prie de remarquer que ces interpellations font perdre beaucoup de temps à la Chambre ; elle perd du temps, non seulement au moment où l'interpellation se produit et au moment où la réponse est donnée, mais il faut prendre des renseignements, faire vérifier les faits, on revient sur l'affaire.
Voilà deux fois que nous discutons sur un fait qui a été rapporté à la Chambre d'une manière inexacte sans mauvaise volonté de la part de M. Debaets mais parce qu'il a eu le tort de se fier au simple dire d'un journal qu'il avait lu. On vous l'a dit, le journal lui-même s'est rétracté deux ou trois jours après. Et ne voyons-nous pas tous les jours des journaux annoncer des faits qu'ils rectifient le lendemain ?
Je répète donc que je proteste contre cette doctrine émise d'une manière générale qu'un représentant peut convenablement entretenir la Chambre de tout fait quelconque qu'il a lu dans un journal,
M. Van Overloopµ. - Je demande la parole.
- Plusieurs membres. - Assez ! assez !
M. Bouvierµ. - C'est une tactique.
M. le président. — Il y a d'autres membres inscrits.
M. Van Overloopµ. - Un mot seulement.
MpVµ. - Je vous inscris, mais d'autres membres sont inscrits avant vous.
M. Van Overloopµ. - Eh bien, je demande la parole pour un fait personnel.
MpVµ. - Dans ce cas, vous avez la parole.
M. Vau Overloopµ. - Messieurs, si j'avais émis la doctrine absolue que m'attribue l'honorable M. de Brouckere, je déclarerais sans hésitation que je me suis trompé ; mais je ne crois pas m'être exprimé comme le suppose l'honorable membre.
Si je l'avais fait, ma parole aurait bien certainement excédé ma pensée.
Je crois avoir dit uniquement que je comprenais qu'un représentant, ayant lu dans un journal un fait qui lui paraît grave, le défère au jugement de la Chambre. Mais entre cette opinion et la doctrine générale qu'un représentant pourrait à tort et à travers entretenir la Chambre de tous les faits qui parviennent à sa connaissance, il y a une différence sur laquelle il me parait inutile d'insister.
En deux mots donc je partage sur ce point l'opinion de l'honorable M. de Brouckere. Nous voilà donc parfaitement d'accord.
- Voix nombreuses. - Assez ! assez !
MpVµ. - Il y a encore des inscrits ; insistent-ils pour avoir la parole.
- Voix diverses. - Assez ! assez !
MpVµ. - Plus personne ne demandant la parole, l'incident est clos.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Jamoigne, le 24 janvier 1865, des employés des douanes, pensionnés, demandent leur rentrée en jouissance du fonds créé en commun sous le gouvernement des Pays-Bas pour le service des pensions des employés inférieurs des contributions.
Cette pétition ayant été l'objet d'un rapport présenté par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, qui concluait au renvoi à M. le ministre des finances, votre commission, se ralliant à ces conclusions, vous propose e même renvoi.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Molenbeek-Saint-Jean, le 26 janvier 1865, le sieur Joostens demande des modifications à la loi sur la contrainte par corps.
Messieurs, je me proposais, à l'occasion du projet de loi sur le prêt à intérêt, de soumettre aux délibérations de la Chambre un amendement conçu en ces termes :
« La contrainte par corps, tant en matière civile qu'en matière commerciale, est abolie. »
Mais je me suis arrêté devant cette considération que mon amendement ne se rattachait pas d'une manière assez intime au projet de loi en discussion et aussi devant la déclaration de M. le ministre des finances qu'il repoussait systématiquement tout amendement. J'ai en conséquence attendu le moment favorable pour traduire ma pensée par un acte. La pétition demandant l'abolition de la contrainte par corps sur laquelle votre commission m'a chargé de frire un rapport m'en fournit l'occasion.
Je suis heureux de pouvoir annoncer à l'assemblée que cette commission partage la manière de voir de son rapporteur lequel a l'honneur de vous présenter quelques considérations à l'appui de sa thèse.
La contrainte par corps, l'emprisonnement pour dettes, ancien débris de la législation de Rome, est la violation la plus audacieuse de la liberté humaine au profit du capital ; c'est la consécration du droit de propriété de l'homme sur l'homme ; c'est, en un mot, la glorification de l'argent sur la dignité humaine.
C'est un moyen rigoureux de coercition pour l’exécution des engagements dont Montesquieu a expliqué la nécessité en se fondant sur cette seule considération, que les négociants étant obligés de confier de grandes sommes pour des temps fort courts, de les donner et de les reprendre, il faut que le débiteur remplisse toujours à temps fixe ses engagements : ce qui suppose la contrainte par corps.
Dans les affaires qui dérivent des contrats civils ordinaires la loi ne (page 774) doit pas donner la contrainte par corps parce qu'elle fait plus de cas de la liberté d'un citoyen que de l'aisance d'un autre. Mais dans les conventions qui dérivent du commerce, la loi doit faire plus de cas de l'aisance publique que de la liberté des citoyens.
Mais qu'est-ce qui constitue l'aisance des peuples ? C'est le travail, source de la production des richesses.
Or, la contrainte par corps tarissant le travail dans sa source puisqu'elle met un obstacle à cette création va puissamment à l’encontre du but que Montesquieu désire atteindre à l'aide de celle-ci.
Si le raisonnement de Montesquieu était juste, il fausrait rattacher la contrainte par corps à toute espèce de dettes sans exception d'origine, la loi devant faire plus de cas de l'aisance publique que de la liberté des citoyens,
D'après nous, c'est la liberté seule, la liberté civile et politique, la liberté du citoyen qui fait la grandeur et la prospérité des nations.
Les idées de Montesquieu ont servi de base au système des Codes qui nous régissent, système plus rigoureux que celui des ordonnances de 1667,1673, 1681, sous l'empire desquelles les juges avaient seulement la faculté de prononcer la contrainte par corps en matière commerciale.
Cette législation, confirmée par la loi du 24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, porte, titre XII, article 5, que la contrainte par corps continuera d'exister pour l'exécution des jugements de la juridiction consulaire. Elle fut abolie le 9 mars 1793, rétablie le 24 ventôse an V et confirmée les 18 germinal et 4 floréal an VI. D'après ces dernières lois, la contrainte par corps n'est plus facultative ; elle est obligatoire, en matière civile dans la plupart des cas, elle l'est toujours à l'égard des débiteurs étrangers et de ceux qui ont contracté un engagement commercial.
C'est sous l'empire de ces dernières dispositions qu'ont procédé les tribunaux de commerce jusqu'au 21 mars 1859, époque à laquelle fut promulguée une loi qui réalisa un grand progrès et améliora, d'une manière heureuse, la législation belge existante. La loi du 21 mars posait déjà le jalon qui doit amener à l'abolition de la contrainte par corps, qui ne s'exerce, comme le disait l'honorable sénateur, M. Forgeur, à l'occasion de la discussion de cette loi, que contre des malheureux ; ce n'est pas le haut commerce, ce n'est pas pour de grandes opérations qu'on l'applique, ajouta-t-il.
Les statistiques le prouvent. C'est pour de petites dettes qu'en général on fait usage de la contrainte par corps et qu'on l'exécute avec la dernière inhumanité. La légitimité de la contrainte par corps d'ailleurs est jugée quand elle donne lieu à des souscriptions publiques pour aider le prisonnier pour dettes à sortir des mains sordides de son créancier. Elle est jugée encore cette loi qui ne distingue pas entre le débiteur de bonne et de mauvaise foi, qui applique à un honnête homme malheureux la plus dure de toutes les peines, la privation de sa liberté avec la perte de son honneur. Elle est jugée cette loi qui accorde une sanction pénale froide et rigoureuse à une dette qui peut avoir eu pour mobile une action honnête et morale. Mais, réplique-t-on, c'est une dernière épreuve de sa solvabilité ; c'est une grande erreur. La contrainte par corps est, à mon avis, une lettre de change tirée à vue sur la sainte affection de la famille, sur les plus pures et les plus nobles aspirations du cœur humain, sur l'amour de la femme, sur celui des parents et quelquefois aussi sur l'amitié ; elle met à la merci d'un impitoyable créancier la plus grande richesse que l'homme puisse posséder en ce monde, la possession de son corps.
Elle enlève le débiteur à sa famille dont il est l'unique soutien ; elle fait souffrir des êtres infortunés qui n'ont aucune faute à se reprocher pour satisfaire peut-être la rancune, la haine du créancier ou d'autres mauvaises passions.
Mais que devient le débiteur sorti de prison, libéré ou non ? Pour la société c’est une non-valeur. Le crédit, pour lui, est anéanti. Souvent il sort de la prison démoralisé, ayant perdu l'aptitude et, ce qui est pis encore, l'habitude et le goût du travail, incapable de lutter à nouveau pour gagner les faveurs de l'inconstante fortune. En punissant l'insolvabilité honnête, vous condamnez toujours un innocent, vous donnez une prime d'encouragement à l'usurier, prime d'autant plus belle et plus forte que l'abandon de la limitation du taux de l'intérêt lui rend la position plus douce et facile, n'ayant plus à lutter contre la loi de 1807 qui punissait ses mauvaises habitudes ; vous le protégez vis-à-vis des prodigues, des étourdis, des faibles d'esprit, eu un mot à l'égard de tous ceux qui ont besoin de la protection de la loi.
Quelles sont donc les personnes qui peuples les prisons pour dettes ? Sont-ce des négociants. Non, messieurs. Vous y rencontrez quelques jeunes dissipateurs, quelques malheureux pères de famille dans la détresse, des hommes appartenant à toutes les industries, sauf celle des commerçants, qu'un Shylock quelconque, suintant l’usure par tous les pores, a conduits en prison au moyen de la lettre de change, arme terrible entre leurs mains ; mais de véritables négociants, vous ne les rencontrerez jamais. De commerçant à commerçant, on n'emploie pas cette voie barbare de coaction. Ce moyen rigoureux va à rencontre des intérêts des négociants, qui aideront le plus souvent leur débiteur, quand il est malheureux et de bonne foi, à sortir d'une situation difficile et précaire. La prison, pour eux, c'est la perte certaine de leurs créances. Le commerçant ne craint pas la contrainte par corps, ce qui lui fait peur c'est sa signature protestée, c'est quand l'horrible faillite se dresse devant ses yeux, c'est alors qu'il a peur, car la faillite c'est son crédit anéanti, son honneur flétri, sa famille en larmes ; c'est la consommation de la ruine matérielle avec la ruine morale ; voilà ce que craint l'honnête commerçant, et cependant, la déclaration de faillite qui doit lui ouvrir les portes de la prison, lui donne la liberté ; maïs devant cette liberté il recule, car c'est la liberté de la honte et du désespoir.
La contrainte par corps a fait son temps. C'est la fortune et non le corps du débiteur qui doit répondre de sa dette, a dit l'empereur des Français dans son discours à l'occasion de l'ouverture de la session législative de 1865. Eu Angleterre, le lord chancelier a déposé le 9 mars dernier sur le bureau de la chambre des lords un projet de loi tendant à l'abolition de l'emprisonnement pour dettes (loi de 1807).
La contrainte va disparaître des législations de ces deux peuples.
En Belgique, dont l'éducation politique et plus avancée que celle de la France, la conservation de la contrainte par corps serait considérée comme un véritable anachronisme ; d'ailleurs les hommes qui ont une longue pratique des affaires commerciales, tels que MM. Fortamps, Léon Cans et notre honorable collègue M. Jamar en ont déjà fait justice en la déclarant inutile au commerce.
Je ne puis d'ailleurs mieux et plus heureusement terminer mon rapport qu'en lisant l'extrait du discours qu'a prononcé devant l’assemblée des commerçants notables, le 7 mars dernier, notre honorable collègue, M. Jamar, en sa qualité de président du tribunal de commerce :
« Parmi les causes jugées contradictoirement en dernier ressort, deux ont fait éprouver les plus pénibles sentiments aux juges devant lesquels se sont déroulés les épisodes auxquels ces débats ont donné lieu.
« Deux détenus pour dettes, voulant profiter du bénéfice de l'article 35 de la loi du 21 mars 1859, ont demandé à prouver qu'ils étaient dépourvus de tout moyen de s'acquitter vis-à-vis de leurs créanciers.
« Les enquêtes qui eurent lieu pour leur permettre d'établir certains faits dont la preuve devait amener leur élargissement, amenèrent les plus tristes révélations sur les funestes conséquences qu'entraîne quelquefois l'exercice de la contrainte par corps.
« Ces deux hommes, contre lesquels on n'articulait aucun autre grief que l'impossibilité où ils se trouvaient d'acquitter des engagements, peu importants au surplus, étaient depuis deux années en prison, réduits à l'insuffisante pension alimentaire de 50 francs.
« La mère de l'un d'eux, qui n'avait pour toute ressource qu'une modique pension du gouvernement, se privait du nécessaire pour arriver à rendre la liberté à son enfant. Elle mourut à la peine, et la charité d'un ami fournit seule au prisonnier les moyens de faire inhumer convenablement la malheureuse femme.
« Des faits de cette nature ne condamnent-ils pas la législation qui fait du corps même du débiteur le gage de son créancier ? et ne pensez-vous pas, messieurs, que l'heure est venue de faire disparaître du code des nations civilisées un principe qui n'est plus en rapport avec le progrès de la civilisation et qui ne s'appuie, du reste, que sur des considérations dont l'expérience n'a point confirmé la valeur ?
« Si la contrainte par corps, en matière civile, n'a lieu que dans un nombre de cas très restreint que la loi a déterminés avec soin, en considération de la mauvaise foi du débiteur ou en raison de l'intérêt public, elle est pour ainsi dire de droit commun en matière commerciale.
« On a prétendu, pour établir cette distinction, qu'il s'agissait de sauvegarder non l'intérêt d'un créancier isolé, mais celui du commerce en général, qui veut que l'on affermisse le crédit en accordant au préteur toutes les garanties possibles de remboursement.
« On ajoutait qu'un seul engagement non observé pouvait entraîner la violation d’une foule d'autres et ruiner ainsi le crédit de toutes une place, de tout un pays.
« C'était attribuer à la contrainte par corps une influence qu'elle ne saurait avoir : l'expérience atteste que cette arme, délaissée depuis longtemps par le commerce honorable et sérieux, n'a servi le plus souvent qu'à ceux qui, spéculant sur l'imprudence et la prodigalité de l'emprunteur, ne méritent point la garantie spéciale que la loi leur accorde.
« S'il nous fallait, au reste, une preuve des tendances du commerce à condamner ce principe, nous la trouverions dans les délibérations des assemblées des créanciers appelés à se prononcer sur l'excusabilité du failli.
(page 775) « Chaque fois que la faillite est le résultat d'opérations malheureuses et qu'aucun fait de mauvaise foi, de fraude ou de dol n'est rapproché au failli, presque toujours l'unanimité des créanciers est d'avis qu'il y a lieu de le déclarer excusable, et de le mettre ainsi à l'abri de cette cruelle éventualité de la perte de sa liberté, châtiment terrible que la gravité d'un crime ou d'un délit peut seule justifier.
« La contrainte par corps est en fait très peu usité dans les relations vraiment commerciales. C'est ce que constatent à diverses époques, pour Paris et pour Londres, des recherches statistiques et des documents parlementaires, qui établissent que la presque totalité des détenus pour dettes n'étaient point commerçants et qu'en outre la plupart avaient été incarcérés pour de très faibles sommes.
« On peut donc affirmer que la contrainte par corps n'a point sur les affaires commerciales l'influence que lui attribue te législateur et que son attribution ne compromettrait pas l'essor du crédit.
« L'expérience va être tentée dans un pays voisin. La contrainte par corps, en matière civile et commerciale, est sur le point d'être supprimée en France. Espérons que cet exemple trouvera bientôt de nombreux imitateurs et qu'en Belgique la loi ne tardera pas à montrer plus de souci de la liberté d'un citoyen que de la perte d'argent à laquelle s'est exposé un créancier, resté maître de mesurer les risques d'une opération aux profits qu'elle peut rapporter. »
Espérons, avec l'honorable orateur, que cette législation disparaîtra bientôt de nos codes et que nous n'aurons pas besoin, en présence d'un gouvernement libéral, de faire usage de notre initiative pour faire la proposition de l'abolition de la contrainte par corps. C'est, guidée par ces sentiments, que la commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.
M. Lelièvre. - J'appuie les observations de l'honorable rapporteur et j'appelle l'attention particulière du gouvernement sur la pétition.
La loi de 1859 a été un progrès. Je pense que le moment est favorable pour adopter un système plus radical. La contrainte par corps est une voie d'exécution qui a son origine dans des temps qui n'ont plus rien de commun avec les nôtres. En France on songe sérieusement à la supprimer. Je pense qu'on pourrait également sans inconvénient la faire disparaître de notre législation. Je crois donc devoir engager le gouvernement à s'occuper de cette question importante.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Huy, le 9 mars 1865, des secrétaires communaux de l'arrondissement de Huy demandent une loi fixant les traitements des secrétaires communaux.
Votre commission a examiné avec une bienveillante attention la pétition d’un certain nombre de secrétaires communaux de l'arrondissement de Huy, sur laquelle elle appelle toute la sollicitude du gouvernement. Depuis longtemps les autorités publiques ont reconnu le fondement de ces justes réclamations. Toutes reconnaissent et proclament que les traitements de ces utiles et modestes employés ne sont nullement en rapport avec l'importance de leurs foncions et les services de tous les jours qu'ils rendent à la société. Ils se plaignent de ce qu'au lieu d'augmenter leurs traitements, le gouvernement s'applique à donner plus d'importance à leurs fonctions, grâce aux renseignements de toute nature qu'on leur demande et que la caisse de prévoyance instituée en leur faveur a pour effet de diminuer encore leur modique traitement.
Les pétitionnaires réclament l’intervention de la Chambre pour obtenir d'elle, à la faveur d'une loi, que leur traitement soit proportionné au chiffre de la population de la commune qu'ils desservent, et que l'Etat et la province contribuent à cette majoration en raison du travail que ces pouvoirs exigent d'eux.
La commission, mue par ces considérations, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.
M. de Macarµ. - Je me rallie aux conclusions de la commission ; mais je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien nous promettre de s'occuper prochainement de l'affaire qui va lui être renvoyée.
Depuis quelques années, les travaux que le gouvernement et les provinces imposent aux secrétaires communaux deviennent extrêmement considérables. Ce sont des statistiques de toute espèce, des rapports sur la milice, la population, etc. ; et telle est l'étendue de ces travaux que les secrétaires communaux doivent y consacrer une à deux heures par jour pour fournir des renseignements sérieux et précis.
Il est peu digne, ce me semble, du gouvernement, d’accepter l’aumône du travail de ces modestes et utiles fonctionnaires, de ne pas leur accorder une rémunération convenable, cela est d'autant moins bien, qu'ils sont moins que d'autres en position de faire des cadeaux.
Ce que je dis pour l'Etat, je le dis également pour les provinces, qui, elles aussi, réclament souvent le concours des secrétaires communaux.
Je sais qu'où pourra m'objecter que la plupart des secrétaires communaux cumulent divers emplois avec leurs fonctions principales ; plusieurs d'entre eux sont instituteurs, trésoriers, etc., etc.
Or, les instituteurs sont plus ou moins à la merci des communes ; celles-ci peuvent donc se montrer plus ou moins généreuses envers leurs subordonnés et malheureusement elles usent trop fréquemment de ce droit.
Il serait donc indispensable de prendre une mesure générale pour venir sérieusement en aide aux secrétaires communaux.
Au reste je ne suis pas partisan du cumul ; la plupart du temps l'exercice de plusieurs foncions est un obstacle à ce qu'elles soient remplies ; c'est un motif de plus, pour moi, de soustraire les secrétaires à la nécessité où ils sont aujourd'hui d'exercer plusieurs emplois pour pouvoir vive à peu près convenablement.
J'attendrai volontiers le travail que M. le ministre voudra bien nous promettre à cet égard, j'espère, mais j'insiste pour qu'on fasse quelque chose pour les secrétaires communaux.
Il me semble, du reste, d'intérêt général que le gouvernement intervienne en faveur des secrétaires communaux, car, bien qu'ils n'aient pas un titre officiel, ils exercent cependant une grande influence sur la bonne administration des communes ; mes honorables collègues qui remplissent les fonctions de bourgmestre pourront confirmer ce que je dis ; ils pourront attester même que bien souvent le secrétaire communal supplée à l'insuffisance du bourgmestre, lequel se borne à signer le travail élaboré par le secrétaire.
A ce point de vue même, je crois qu'il serait utile que les secrétaires communaux fussent convenablement rétribués. Enfin abstraction faite de toute autre considération, il est de la dignité du gouvernement de ne pas accepter des services sans les rémunérer.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La question que vient de soulever l'honorable M. de Macar a été très souvent débattue dans cette enceinte, et le gouvernement a eu fréquemment l'occasion de faire connaître sa manière de voir à cet égard.
Les secrétaires communaux, messieurs, sont avant tout, - leur titre l'indique assez, - des fonctionnaires communaux ; ils sont nommés par les communes ; c'est aux communes à les rétribuer convenablement.
Je crois, messieurs, que cet état de choses doit être maintenu et que le gouvernement ne doit pas plus intervenir dans la fixation des traitement des secrétaires communaux que dans leur nomination.
C'est aux communes que ce soin incombe exclusivement ; c'est leur droit et c'est leur devoir.
On a dit parfois que le gouvernement devait intervenir ; qu'il devait fixer une espèce de minimum de traitement, eu égard à la population des communes. Messieurs, une telle mesure pourrait être prise, mais je la considérerais comme un empiétement sur les prérogatives communales et je suis d'avis que le gouvernement ne doit pas prendre une pareille mesure.
On nous dit : Mais vous recevez une aumône des secrétaires communaux ; ils rendent des services à l'Etat et l'Etat ne les rétribue pas.
Je ferai remarquer que, dans certaines circonstances, les secrétaires communaux reçoivent une indemnité sur le trésor public, lorsqu'ils rendent des services à l'Etat. Ainsi, lorsqu'il s'est agi du recensement général de la population, les secrétaires communaux ont été indemnisés ; il en sera encore de même lorsque, l'année prochaine, il sera procédé à un nouveau recensement.
D’un autre côté, si les secrétaires communaux sont obligés de faire certains travaux, concernant, par exemple, la milice, les listes électorales, la population, etc., c'est que les communes ont le plus grand intérêt à ce que ces actes et d'autres encore du même genre soient accomplis d'une manière convenable.
Si les travaux de cette nature devaient être rétribués par l'Etat, l'Etat aurait le choix d'en surveiller l’exécution, et d'intervenir dans ce qui doit être fait sous la direction et surveillance des administrations communales. En effet, celui qui paye, doit être armé du droit de contrôle.
Il serait donc dangereux, au point de vue de la liberté communale, d’entrer dans une pareille voie.
Du reste, le gouvernement n'a cessé de montrer de la sympathie pour les secrétaires communaux ; il n'a pas perdu de vue leurs intérêts. Depuis plusieurs années, il a recommandé plus d'une fois aux (page 776) administrations communales et aux commissaires d'arrondissement de faire tous leurs efforts pour arriver à l'amélioration de la position des secrétaires communaux. Des résultats importants ont déjà été obtenus. J'ai pu constater qu'à la suite d'une première circulaire que j'ai adressés à MM. les gouverneurs, lors de mon arrivée au ministère, l'ensemble des traitements des secrétaires communaux du royaume avait été augmenté, en une seule année, de plus de soixante mille francs.
Cette amélioration se trouvait réalisée en 1862 ; je suis certain que, depuis lors, l'ensemble des traitements s'est encore accru dans de notables proportions.
Il y a plus : le gouvernement a pris une autre mesure dans l'intérêt des secrétaires communaux. Une caisse centrale de prévoyance a été établie en leur faveur ; le gouvernement intervient dans les revenus de cette caisse par un subside assez considérable.
L'honorable M. de Macar me demande de prendre des engagements ou du moins de faire des promesses. Tout ce que je puis promettre, et je ne puis promettre que ce que je puis tenir, c'est de redoubler d'efforts pour amener les administrations communales à mettre les traitements des secrétaires communaux en rapport avec l'importance de leurs fonctions et de saisir toutes les occasions d'améliorer leur position. Mais je crois que ce serait aller à l’encontre de tous les principes et de toutes les idées saines d'administration, si l'Etat intervenait directement en cette matière, d'une façon quelconque, soit pour fixer leurs traitements à charge des budgets communaux, soit pour leur allouer un traitement, même partiel, sur les fonds de l'Etat.
M. Vermeireµ. - Messieurs, je viens appuyer les considérations qui ont été émises par l'honorable M. de Macar au sujet de la nécessité d'améliorer la position des secrétaires communaux.
Ainsi que l'a très bien dit M. le ministre de l'intérieur, les traitements des secrétaires communaux doivent être fixés et payés par les administrations communales ; voilà la règle ; c'est l'administration communale qui nomme, c'est donc l'administration communale qui doit payer.
Cependant, nous ne pouvons perdre de vue qu'en dehors de la besogne proprement dite des secrétaires communaux, ceux-ci sont chargés de travaux qui ont bien plus un caractère gouvernemental que communal.
L'honorable ministre de l'intérieur a déjà fait allusion à un travail de ce genre qui a une grande importance, il s'agit du recensement général de la population du royaume.
Le gouvernement croit devoir allouer aux secrétaires communaux une indemnité, de ce chef, sur les fonds de l'Etat.
En ce qui concerne les travaux préparatoires à la milice nationale, c'est encore là un travail très considérable dont la rétribution, aux yeux de M. le ministre de l'intérieur, appartient plus aux administrations communales qu'à l'administration centrale. Je ne veux pas examiner à qui incombe cette obligation. Je dirai seulement qu'en dehors de tous ces travaux, il en est encore d'autres, de statistique générale, qui ont un caractère tout à fait gouvernemental.
Je m'expliquerai avec franchise sur ces travaux qui ne me paraissent pas avoir un degré d'utilité suffisante et qu'on pourrait facilement supprimer. Il y en a au moins plusieurs de ce genre.
A quoi sert, par exemple, que les administrations communales soient obligées de donner annuellement une statistique agricole, commerciale et industrielle des communes, alors que d'autres corps donnent au gouvernement la même statistique et sont spécialement chargés de l'accomplissement de cette mission ?
Il y a encore beaucoup d'autres statistiques, et le nombre en est trop grand pour les énumérer, que le gouvernement demande aux administrations communales et qui nécessitent de nombreux travaux.
En résumé, je voudrais d'abord que l'on réduisît dans la mesure du possible le travail imposé aux secrétaires communaux, en dehors de leurs fonctions proprement dites ; ensuite que le gouvernement les indemnisât à raison du travail qu'ils sont obligés de faire pour le gouvernement lui-même.
M. Giroulµ. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur, pour éviter de donner une réponse favorable à nu honorable collègue, M. de Macar, fait demander par les secrétaires communaux... une foule de choses auxquelles ils n'ont pas pensé.
Ainsi, il s'est élevé très vivement contre l'idée de vouloir attribuer au gouvernement la nomination et la révocation des secrétaires communaux ; il a dit avec infiniment de raison qu'il considérait une semblable mesure comme contraire à l'indépendance des communes ; que ce serait changer complètement les bases de notre législation, et qu'il n'y a pas lieu de songer à cette modification.
Je partage complètement sa manière de voir à cet égard, mais j’ajoute que les secrétaires communaux de l'arrondissement de Huy, dans leur pétition, ne demandent pas tout ce que combat M. le ministre de l'intérieur ; ils ne prétendent pas non plus demander au gouvernement de fixer un minimum de traitement à imposer à toutes les communes, quelle que soit leur population, quelle que soit leur situation financière, quels que soient les travaux que les secrétaires communaux ont à faire.
Ils demandent simplement l'une ou l'autre de ces deux choses : si on entend les considérer exclusivement comme des fonctionnaires communaux, qu'on ne leur impose que des travaux communaux ; ou bien, si l'on veut continuer à suivre les errements actuels, c'est-à-dire si on continue d'exiger des secrétaires communaux qu'ils interviennent dans des travaux qui concernent l'administration publique, qu'une indemnité soit alors allouée aux secrétaires communaux en dehors du traitement fixé par le conseil communal dans la plénitude de son indépendance ; et que cette indemnité soit déterminée d'après l'importance des travaux dont ils sont chargés, soit pour les provinces, soit pour l'Etat.
Or, je pense que, libellée dans ces termes, et réduite à cette seule conséquence, la demande des secrétaires communaux de l'arrondissement de Huy ne touche en rien à notre organisation communale, ne porte aucune atteinte à l'indépendance des communes et mérite d'être prise en sérieuse considération.
Evidemment si l'on part du principe posé d'abord par M. le ministre de l'intérieur, à savoir que les secrétaires des communes sont des fonctionnaires exclusivement communaux, on n'a pas le droit de leur imposer des travaux autres que ceux qui ressortissent à la commune.
Mais, nous dit-on, lorsque des travaux spéciaux leur sont imposés, le gouvernement accorde des subsides à répartir selon l'importance des travaux effectués par chacun des secrétaires communaux. Cela a lieu notamment lorsqu'un recensement général est opéré, c'est-à-dire tous les dix ans.
Mais, messieurs, il est d'autres travaux qui ont été demandés aux secrétaires communaux et dont le gouvernement n'a pas tenu compte. On a fait une enquête très volumineuse sur la bienfaisance. Les secrétaires communaux, dans toutes les communes, ont été chargés seuls de recueillir les renseignements, de répondre aux nombreuses questions qui étaient posées, de faire en un mot tout le travail. Je faisais alors partie d'un bureau de bienfaisance et je puis assurer que ce travail a été excessivement long, excessivement considérable. Eh bien, de ce chef, les secrétaires communaux n'ont reçu aucune espèce de subside.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce travail a été fait pour la ville d'Ypres en six heures.
M. Giroulµ. - Il est possible que dans une administration comme celle de la ville d'Ypres, ayant tous les renseignements sous la main, on ait pu résoudre en six heures toutes les questions qui étaient posées. Mais je pose en fait qu’un secrétaire communal, dans une commune où tous les renseignements sont à recueillir et où le secrétaire communal a tout à faire par lui-même, cette enquête sur la bienfaisance a été un travail excessivement pénible pour eux.
Dans tout le cours de l'année, 'des travaux sont demandés aux secrétaires communaux pour l'Etat et pour la province. N'est-ce pas une question de justice distributive, une question d'équité que de leur accorder soit une indemnité, soit un tout autre mode d'allocation pour les travaux qu'ils effectuent, soit dans l'intérêt de l'Etat, soit dans l'intérêt des provinces ?
Je n'ai pas à formuler ici une proposition ; je n'ai pas à formuler un projet de loi, mais je livre à l'honorable ministre de l'intérieur cette idée qui peut-être pourrait aboutir.
Ne croit-il pas que pour ces travaux que les secrétaires communaux doivent faire exclusivement pour l'Etat, il y aurait possibilité d'établir une centralisation entre plusieurs communes ? Un secrétaire communal déterminé aurait une certaine circonscription pour la recherche et la confection de ces travaux et un traitement lui serait alloué de ce chef. Ce serait peut-être un moyen de concilier l'indépendance complète de la commune et l'équité et la justice distributive qui, dans la situation actuelle, se trouvent lésées au détriment des secrétaires communaux.
- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
MpVµ. - M. le ministre de l'intérieur se rallie-t-il aux amendements présentés par la section centrale ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Non, M. le président.
(page 777) MpVµ. - La discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement.
M. Delcourµ. - Je n'entretiendrai pas la Chambre très longtemps. Je me bornerai à présenter quelques idées générales et surtout à appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur deux points spéciaux qui, je pense, demanderont quelques éclaircissements.
Le projet de lui a été accueilli, dans toutes les sections, de la manière la plus favorable. Il est inutile, par conséquent, de m'étendre sur les motifs que vous connaissez et qui ont été longuement développés par l'honorable ministre de l'intérieur.
Lorsqu'on étudie le projet de loi avec attention, on voit que M. le ministre de l'intérieur a été dirigé par deux ordres de considérations.
D'abord il a voulu faire une loi favorable aux professeurs de l'enseignement moyen. Il a voulu, en second lieu, prendre certaines mesures dans l'intérêt de l'enseignement lui-même.
C'est à ce double point de vue, messieurs, que nous devons nous placer pour nous rendre un compte exact du projet de loi.
Dans l'intérêt des professeurs, le projet de loi apporte des modifications importantes à la loi générale des pensions. Il leur accorde la faculté de demander la mise à la pension à l'âge de 55 ans : c'est bien là une mesure toute dans leur intérêt.
Relativement à la liquidation de la pension, le projet établit également une base plus favorable que la base admise par les fonctionnaires et autres employés de l'Etat. A la base d'un 65ème de la moyenne du traitement dont l'intéressé aura joui pendant les cinq dernières années, il substitue celle d'un 60ème.
Mais le gouvernement a pensé qu'un professeur, arrivé à l'âge de 60 ans, est dans des conditions telles qu'il ne peut plus guère répondre aux fatigues de la noble mission qui lui est confiée et demande l'autorisation de pouvoir par mesure d'office le mettre à la pension.
Le gouvernement fait même quelque chose de plus dans l'intérêt du professorat. Il fait compter, pour 4/60 dans la liquidation de la pension certains diplômes, tels que le diplôme de docteur en philosophie, celui de docteur en sciences physiques et mathématiques, le diplôme de docteur en sciences naturelles, le diplôme de professeur agrégé de l'enseignement moyen et, pour 2/60, le diplôme de capacité pour l'enseignement des langues vivantes, le diplôme de professeur agrégé de l'enseignement moyen du degré inférieur et le diplôme d'instituteur primaire.
Ici, messieurs, se présente une observation.
MM. Thonissen et Lelièvre ont proposé l'amendement suivant. Ils demandent que le même avantage soit accordé aux professeurs qui ne sont pas munis des diplômes ci-dessus désignés, mais qui faisaient partie du corps enseignant des athénées et des collèges communaux à l'époque de a promulgation de la loi du 1er juin 1850, et qui ont été maintenus dans les établissements de l'Etat, ainsi qu'à tous les titulaires qui ont été nommés dans le délai indiqué à l'article 10 de la loi du 1er juin 1850.
Cet amendement dépasse le but de la loi. Je comprends parfaitement que le gouvernement tienne compte des diplômes dont je viens de parler dans la liquidation des pensions des professeurs de l'enseignement moyen et qu'il y voie une preuve de leur capacité. C'est un encouragement et une récompense tout à la fois accordée aux membres du corps enseignant qui se sont livrés à des études dont l'Etat a profité en dernier lieu.
Mais je ne comprends pas que l'on veuille assimiler au professeur diplômé celui qui n'a pas reçu de diplôme. Il y a là une exagération évidente d'un principe vrai. Dans la pensée du gouvernement, le professeur qui a obtenu un diplôme est considéré comme ayant rendu un service à l'Etat, comme ayant rendu un service à l'enseignement public. Je pense donc que la Chambre ne peut pas sortir des propositions du gouvernement sans entrer dans une voie qui pourrait l'entraîner trop loin.
Voici, messieurs, un point qui m'a été signalé et dont je tiens à entretenir un instant la Chambre.
Le projet de loi prévoit le cas où un professeur passe de l'enseignement communal ou provincial dans un établissement de l'Etat, et décide qu'il lui sera tenu compte, dans la liquidation de sa pension, des années qu'il a passées dans l'enseignement communal ou provincial. Cette disposition est de toute justice, et je suis persuadé qu'elle ne rencontrera pas de contradicteur dans cette enceinte. Mais le projet de loi garde le silence sur le cas où un professeur, passant d'un établissement communal dans un établissement de l'Etat, a commencé par être attaché à l'enseignement primaire. La loi, pour être équitable, doit lui compter ces années et dans les mêmes conditions.
Je me proposais, messieurs, de présenter un amendement à ce sujet ; j'y ai renoncé parce que je suis convaincu qu'une simple explication de M. le ministre suffira pour faire cesser les incertitudes et tranquilliser les membres du corps enseignant qui se trouvent dans le cas que je prévois. Leur nombre n'est pas très considérable, mais quelque minime qu'il soit, vous ne voudriez pas être injustes à leur égard.
Un professeur appartenant aujourd'hui à l'enseignement moyen, a passé huit années dans l'enseignement primaire, je demande que ces années lui soient comptées ; le gouvernement ne saurait le refuser sans commettre une injustice. Les services rendus dans l'enseignement primaire sont aussi digues de notre bienveillance et de celle du gouvernement que les services rendus à l’enseignement moyen.
Je désire appeler l'attention de M. le ministre sur un autre point. Il s'agit des traitements des professeurs de l'enseignement moyen, et particulièrement du traitement des professeurs des athénées. Vous n'ignorez pas, messieurs, que les traitements sont établis avec un minimum et un maximum, et que, pour profiter du maximum, il faut avoir passé six années dans la même chaire. Ce principe ne rencontre aucune difficulté lorsqu'il s'agit d'un professeur enseignant l'histoire, les mathématiques ou les sciences, mais il a donné lieu à de justes plaintes de la part des professeurs chargés d'enseigner le latin. Pour eux la mesure es1 préjudiciable. Ordinairement le professeur de latin commence par la classe inférieure ; trois ou quatre ans après, il passe à une classe supérieure et il arrive ainsi presque à la fin de sa carrière sans avoir pu profiter du maximum du traitement, tandis que ses collègues qui sont restés attachés à la même chaire profitent du maximum du traitement après six années.
Il y a là quelque chose à faire. M. le ministre de l'intérieur a sous la main tous les éléments pour étudier cette question ; je ne veux pas m'y arrêter aujourd'hui, car nous ne sommes pas appelés à fixer les traitements.
Cependant, comme nous discutons une loi relative aux bases des pensions des membres du corps enseignant, j'ai cru pouvoir présenter ces observations à M. le ministre de l'intérieur, sans sortir de la discussion. Je le fais dans l'intérêt de l'enseignement, désirant autant que personne que les membres du corps enseignant soient équitablement récompensés pour les immenses services qu'ils rendent à l'Etat et à la société.
Appartenant moi-même à l'enseignement, ils peuvent compter que je défendrai leur cause en toute circonstance.
M. Thonissenµ. - La loi actuelle a eu le privilège assez rare de ne rencontrer aucune voix hostile au sein des diverses sections de la Chambre. Aussi, en venant, d'accord avec l'honorable M. Lelièvre, déposer des amendements destinés à modifier la plupart de ses articles, n'ai-je nullement l'intention de la combattre dans son principe et dans son but. Je viens, au contraire, prier le gouvernement d'aller un peu plus loin dans la réalisation des idées généreuses qui ont présidé à la rédaction du projet. Je crois que nous pouvons, que nous devons même accorder aux professeurs de l'enseignement moyen des avantages plus considérables.
L'exposé des motifs et le rapport de la section centrale sont d'accord pour admettre que, dans la matière qui nous occupe, les membres du corps enseignant doivent être placés dans une position exceptionnelle. Je ne pense pas qu'un seul d'entre nous veuille révoquer cette vérité en doute.
La Chambre, d'ailleurs, ne pourrait le faire sans renier ses propres antécédents, sans répudier le texte de la loi du 21 juillet 1844, qu'elle a votée une très grande majorité.
Quel est, en effet, le système de cette loi et de celle du 17 février 1849 qui est venue la compléter ?
Les magistrats, les fonctionnaires et les employés en général peuvent être mis à la pension, après soixante-cinq ans d'âge et trente-cinq années de service. Leur pension est alors liquidée sur le pied d'un soixante-cinquième du traitement moyen des cinq dernières années de service, multiplié par le nombre des années de service.
Voilà la règle ; mais immédiatement après, arrive une exception au profit des professeurs des universités. Ceux-ci peuvent obtenir l'éméritat avec jouissance intégrale du traitement, après trente années d'enseignement, quel que soit leur âge ; ils peuvent également, quel que soit leur âge, être pensionnés pour cause d'infirmités, après cinq années de service ; enfin, quand on les pensionne, on prend pour base un sixième du traitement moyen des cinq dernières années, et on leur accorde en outre un trente-cinquième du ce traitement pour chaque année de service dépassant le nombre de cinq.
Il est vrai que la loi de 1844, de même que la loi de 1849, garde le silence sur la pension des professeurs de l'enseignement moyen ; mais la raison est facile à saisir. Les professeurs de l'enseignement moyen n'étaient pas à cette époque des fonctionnaires de l'Etat. L'enseignement (page 778) moyen de l'Etat n'a été organisé que par la loi de 1850, et il est bien certain que, sans cette circonstance, on aurait fait une exception pour les professeurs de l'enseignement moyen, comme on en a fait une pour les professeurs de l'enseignement supérieur.
Aujourd'hui le gouvernement se propose de combler la lacune. Je l'en félicite très vivement ; mais, à mon avis, il ne fait pas assez. Je crois qu'il faudrait prendre, pour la liquidation de la pension des professeurs de l'enseignement moyen, les bases adoptées pour la liquidation de la pension des professeurs de l'enseignement supérieur.
Je ne veux pas, messieurs, remarquez-le bien, qu'on accorde h même pension aux professeurs des athénées et aux professeurs des universités ; je tiens compte des conditions hiérarchiques ; je demande des conditions analogues, mais non pas des conditions identiques.
Les professeurs de l'enseignement supérieur peuvent être pensionnés, pour cause d'infirmités, après cinq années de service. Je demande la même faveur pour les professeurs de l’enseignement moyen.
Aux professeurs de l'enseignement supérieur on accorde un sixième du traitement moyen des cinq dernières années. Je demande qu'on suive le même système pour la liquidation de la pension des professeurs de l'enseignement moyen.
Après avoir accordé aux professeurs de l'enseignement supérieur un sixième du traitement moyen des cinq dernières années, on y ajoute un trente-cinquième pour chaque année au delà de cinq. Je pourrais demander la même base pour la liquidation de la pension des professeurs de l'enseignement moyen ; mais je ne vais pas jusque là, et, au lieu d'un trente-cinquième, je me contenterai d'un quarante-cinquième.
Je ne crois pas, messieurs, que ce système puisse être sérieusement combattu. Dès l'instant qu'on croit devoir faire une exception pour les membres de l'enseignement supérieur, il n'y a aucune raison de ne pas faire une exception analogue en faveur des professeurs de l'enseignement moyen.
Les professeurs de l'enseignement supérieur doivent sans doute se livrer à des études étendues et approfondies ; s'ils veulent rester à la hauteur de leurs fonctions, s'ils veulent se tenir au courant des progrès chaque jour plus rapides de la science, ils doivent s'imposer sans cesse des sacrifices considérables de temps et d'argent. La même obligation ne pèse pas, il est vrai, dans la même mesure, sur les professeurs de l'enseignement moyen ; mais par contre, il y a pour eux des désagréments, des labeurs et même des souffrances qu'on ne rencontre pas dans les chaires des universités.
Le nombre de leurs leçons est triple ou quadruple ; ils sont en présence de jeunes gens dont l'intelligence n'est pas formée, qui ne sont plus des enfants, qui ne sont pas encore des hommes et qui tiennent rarement compte des services qu'on leur rend ; ils ont à maintenir dans leurs classes une discipline qui demande des efforts incessants et une vigilance presque toujours pénible ; en un mot, ils sont obligés de faire une dépense de forces bien plus considérable que celle que requiert l'accomplissement des devoirs de l'enseignement supérieur.
Sous ce rapport, l'exposé des motifs dit avec beaucoup de raison :
« Le professeur de l'enseignement moyen fait, en classe, une dépense de forces qui l'épuise. Constamment obligé de parler, de soutenir son attention, de déployer une volonté qui s'impose autour de lui, il doit posséder beaucoup de vigueur physique, beaucoup d'énergie morale pour ne pas trahir la fatigue.
Déjà, antérieurement, le rapport triennal sar l'enseignement moyen exprimait la même pensée en d'autres termes.
« On a demandé, disait ce rapport, que la législation sur les pensions fût modifiée en faveur des professeurs de l’enseignement moyen de l’Etat. Le conseil de perfectionnement, à l'unanimité, a reconnu la légitimité de cette réclamation. Personne ne contestera que l'exercice du professorat use la vie de l'homme beaucoup plus que ne peut le faire, par exemple, la carrière administrative en général. »
Rien n'est plus vrai, et pour en avoir la preuve la plus évidente, on n'a qu'à consulter la statistique des décès par profession. On y verra que les membres de l'enseignement public, et spécialement ceux de l'enseignement moyen, n'arrivent que très rarement à un âge avancé. Permettez-moi de vous citer deux faits :
De 1858 à 1860, l'athénée royal de Hasselt a perdu trois professeurs dont le plus âgé n'avait que 45 ans. Des six jeunes gens sortis, en 1853, de l'école normale annexée à 1 Université de Gand, quatre ont déjà succombé.
Or, s'il en est ainsi, je ne vois vraiment pas pourquoi on ne voudrait pas appliquer aux membres de l'enseignement moyen les règles qui ont été trouvées justes et équitables pour les membres de l'enseignement supérieur. C’est pour ce motif que, d'accord avec l'honorable M. Lelièvre, nous avons déposé un premier amendement ainsi conçu :
« Les professeurs reconnus hors d'état de continuer leurs fonctions par suite d'infirmités, pourront être admis à la pension, quel que soit leur âge, après cinq ans au moins de service dans l'enseignement. La pension sera liquidée à raison de 1/6 du taux moyen de leur traitement effectif pendant les cinq dernières années. Chaque année au delà de cinq leur sera comptée pour 1/15 de traitement en sus. »
Ici je dois fournir à la Chambre deux explications. La première porte sur la substitution du mot « effectif » au mot « fixe. » Nous avons fait cette substitution, parce qu'on aurait pu supposer que notre intention était d'exclure des bases de la liquidation le minerval dont la moyenne est fixée, tous les trois ans, par un arrêté royal.
La deuxième explication est devenue nécessaire par suite d'une conversation que j'ai eue avant-hier avec l'honorable ministre de l'intérieur.
M. le. ministre croyait que nous voulions seulement prévoir le cas d'une fixation de pension devenue nécessaire pour cause d'infirmités. Telle n'est pas notre intention ; nous avons en vue tons les cas possibles, et par conséquent la retraite pour cause d'âge aussi bien que la retraite pour cause d'infirmité.
Le premier paragraphe, il est vrai, ne prévoit que la pension accordée pour cause d'infirmité ; mais le deuxième paragraphe, conçu en termes généraux, prévoit indistinctement tous les cas où une pension est accordée. Dans tous ces cas nous proposons 1/6 pour les cinq dernières années et 1/45 pour les années au-delà de cinq.
De cette manière, les pensions des professeurs seront convenablement et dignement réglées, tandis que, dars le système du gouvernement, la position de ceux qu'on prétend favoriser ne serait pas sensiblement modifiée. Il y a même des cas où le système proposé leur serait désavantageux.
Je vais en fournir la preuve.
On diminue le nombre des années d'âge requises pour être admis à la pension ; ensuite on prend pour base un soixantième du traitement moyen des cinq dernières années, multiplié par les années de professorat. Cela revient à changer les deux facteurs d'une multiplication, à diminuer l'un pour augmenter l'autre ; de sorte que le résultat reste en définitive à peu près le même.
Il se peut donc que, dans certains cas, il y ait désavantage évident pour le professeur. Prenons un exemple. Un professeur jouissant finalement d'un traitement de 3,000 fr., est entré en fonctions à vingt-cinq ans ; il est pensionné à soixante. Il obtiendra d'après la loi actuelle 35/60 de 3,000 francs, c'est à-dire 1,750 fr. Eh bien, sous le régime qu'on prétend améliorer, le même professeur aurait obtenu 40/65 de 3,000 fr., c'est-à-dire 1,846 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous ne tenez pas compte du diplôme ; ajourez quatre années.
M. Thonissenµ. - J’y viendrai... Le professeur dont je parle obtiendrait dans le système nouveau 1,750 fr., tandis que, sous le régime de la loi ancienne, il aurait eu 1,846 francs, sans compter que, pendant cinq années de plus, il aurait joui du traitement intégral attaché à ses fonctions, y compris le minerval.
Le deuxième amendement déposé par l'honorable M. Lelièvre et moi se rapporte à l’article 3 de la loi. Cet article tient compte des diplômes accordés aux professeurs de l'enseignement moyen ; il compte pour 4/60 le diplôme de professeur agrégé de l'enseignement moyen du degré supérieur, et les diplômes de docteur en philosophie et lettres, en sciences physiques et mathématiques et en sciences naturelles ; il compte pour 2/60 le diplôme de capacité exigé pour l'enseignement des langues vivantes, le diplôme de professeur agrégé de l'enseignement moyen du degré inférieur et enfin le diplôme d'instituteur primaire.
Nous proposons d'accorder des avantages analogues aux professeurs qui ne sont pas pourvus de diplôme, nuis qui, en 1850, ont été maintenus en fonction et, par suite, reconnus aptes à enseigner par le gouvernement lui-même.
M. Delcour, combattant mon amendement par anticipation, et avant même qu'il fût développé, vous a dit que je me rendais coupable d’exagération et qu'il cherchait vainement les motifs sur lesquels ma prétention était fondée.
Je n'aurai pas de peine à éclairer I honorable membre, car j'invoque précisément la raison qu'il a lui-même mise en avant pour appuyer le système du gouvernement. L’honorable membre nous a dit : Qu'est-ce qu'on diplôme ? Une attestation de capacité, une attestation d'études antérieures.
(page 779) L’honorable M. Lelièvre et moi, nous ne produisons pas d'autre argument que celui-là, et nous disons à notre tour : Qu'est-ce qu'un diplôme ? Et nous répondons : Une attestation de capacité, une attestation d'études antérieures.
Mais n’est-il pas évident que par cela seul que le gouvernement, en 1850, a nommé des personnes qui n'avaient pas de diplôme, que, par cela seul qu'il n'a pas exigé la production d'un diplôme, il croyait ces personnes capables d'enseigner et, que, par conséquent, il a reconnu qu'elles possédaient les qualités requises et qu'elles avaient fait les études que suppose le diplôme produit par les professeurs qui, depuis 1850, ont été admis dans l'enseignement de l'Etat ?
II me semble qu'il serait souverainement injuste de ne pas accorder aux professeurs maintenus en 1850, les avantages qu'on accorde à leurs confrères qui sont entrés plus tard dans la carrière. Ils n'ont pas eu pour leurs études les facilités qu'on rencontre aujourd'hui ; ils ont eu à traverser des années bien pénibles avant l'organisation actuelle, et, s'il y a parmi eux quelques médiocrités, on trouve aussi dans leurs rangs un grand nombre d'hommes qui honorent le pays, non seulement par leur enseignement, mais aussi par des publications réellement distinguées.
Un troisième amendement, déposé par l'honorable M. Lelièvre et par moi, se rapporte aux années antérieures à la loi du 1er juin 1850.
Je rends hommage aux intentions généreuses du gouvernement. A l'article 5 il propose de prendre pour base de la liquidation de la pension un soixantième au lieu d'un soixante-cinquième. C'est quelque chose ; je dirai même que c'est beaucoup, mais j'ajouterai que ce n'est pas assez. On n'a qu'à jeter les yeux sur quelques colonnes du Moniteur et l'on sera immédiatement convaincu qu'avec ce système on ne donnera encore que des pensions insuffisantes à des fonctionnaires qui, pendant une carrière souvent très longue, ont rendu d'éminents services au pays.
Permettez moi, messieurs, de vous citer deux exemples puisés dans le Moniteur.
M. Henriquet, professeur de rhétorique française à l'athénée d'Arlon, devenu infirme après vingt années de service, a obtenu une pension de 850 francs !
M. Bouvierµ. - C'est une aumône.
M. Thonissenµ. - Je me borne à signaler le fait.
Un autre professeur, M. Vaudremer, ancien préfet des études à Arlon, professeur de rhétorique française à l'athénée royal de Namur, a obtenu, après vingt années de service, une pension de 1,000 à 1,100 francs !
Je dis, messieurs, que cela est mesquin, que cela est indigne du pays et qu'il est impossible que cet état de choses dure plus longtemps.
L'honorable ministre de l'intérieur croit que tous les griefs disparaîtront en remplaçant la base d'un soixante-cinquième parcelle d'un soixantième. Il se trompe, et je suis convaincu que, pour arriver à une pension convenable, il faut prendre la base d'un cinquantième, comme nous le proposons.
Cependant, il ne faut pas non plus s'exagérer les conséquences financières de notre amendement. Supposons (car ici les chiffres sont plus éloquents que tous les arguments) un professeur entré en fonctions en 1835, c'est-à-dire il y a trente ans ; admettons qu'il ait joui pendant les cinq dernières années d'un traitement moyen de 3,000 francs. Qu'est-ce qu'il obtiendra, d'après le projet du gouvernement, pour toutes les années antérieures à 1850 ? Il obtiendra une pension de 750 francs.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est une erreur ; vous ne comprenez pas la loi.
M. Thonissenµ. - Je crois, au contraire, que je la comprends parfaitement.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce n'est pas cela du tout.
M. Thonissenµ. - Je l'ai parfaitement comprise ; permettez-moi de continuer.
Nous proposons donc, l'honorable M. Lelièvre et moi, de remplacer la base d'un soixantième par celle d'un cinquantième, et alors ce même professeur obtient 900 francs au lieu de 750 francs, soit une augmentation de 150 fr. : sacrifice d'autant moins considérable que le nombre des professeurs de l’enseignement moyen entrés en fonctions en 1835 ne tardera pas à devenir excessivement rare.
Je passe, messieurs, à un autre ordre de considérations.
La loi actuelle ne s'occupe que des professeurs appartenant à l'enseignement dirigé par l'Etat. Le projet garde donc naturellement le silence sur les professeurs des collèges communaux et des collèges patronnés.
Cependant, il ne serait ni juste, ni équitable de ne pas améliorer leur position, après avoir amélioré celle de leur collègues appartenant à l'enseignement dirigé par l'Etat.
Voici encore un exemple, messieurs, qui atteste la position vraiment misérable oh quelques-uns de ces professeurs peuvent se trouver après les services les plus longs et les plus méritants.
Un homme très distingué, connaissant les langues anciennes à un degré qu'on rencontre rarement, même en Allemague ; un homme que je me félicite d'avoir eu pour maître, M. Koenders, ancien professeur de rhétorique au collège communal de Huy, entré dans l'enseignement en 1814 et pensionné en 1864, par conséquent après cinquante années de service, a obtenu une pension de 1,100 francs ! Et c'est de cette pension, messieurs, qu'il doit faire vivre lui, sa femme et sa nombreuse famille ! Encore une fois, je dis que cela est mesquin, que cela est indigne du pays.
Les professeurs des collèges patronnés et des collèges communaux sont assujettis aux mêmes travaux que leurs collègues des athénées ; ils sont soumis au même régime d'inspection ; ils rendent les mêmes services, et je puis ajouter qu'ils enseignent avec le même succès ; car, dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter ici, le seul collège patronné de Saint-Trond a obtenu plus de cent nominations dans les concours généraux.
On peut même ici raisonner à fortiori. Les professeurs des collèges communaux et patronnés reçoivent des appointements moins élevés que ceux des professeurs des athénées ; on ne trouve pas dans ces établissements des bibliothèques généreusement pourvues par l’Etat ; le personnel est moins considérable, et j'en connais qui ont vingt-cinq à trente heures de leçon par semaine et qui de plus sont très souvent obligés de faire eux-mêmes un service de surveillance.
La section centrale recommande leur position à l'attention bienveillante du gouvernement. J'appuie cette recommandation de toutes mes forces et j'adjure M. le ministre de l'intérieur d'examiner la question de savoir s’il ne convient pas de réviser les statuts de la caisse de prévoyance des professeurs urbains, afin d'admettre pour la liquidation de leur pension les bases admises pour la liquidation de la pension des professeurs de l'enseignement moyen dirigé par l'Etat,
Messieurs, je n'ai pas besoin de vous le dire, quoique professeur moi-même, je suis tout à fait désintéressé dans la question ; mais il ne me semble pas que mon titre de professeur doive m'empêcher d'avoir le cœur plein de sympathies pour tous ceux qui vouent leur existence à la diffusion des sciences et des lettres, pour tous ceux qui usent leur vie, oui, qui usent leur vie à répandre dans des centaines, dans des milliers d'intelligences, des richesses intellectuelles acquises par de longues et pénibles études.
Je crois qu'il y a pour la Chambre et pour le pays une obligation d'honneur de leur accorder une pension convenable pendant les dernières années de leur carrière.
Je crois que, sous ce rapport, nous devons aller aussi loin que le permet la situation prospère du trésor, et j'espère que la Chambre ne sera pas moins généreuse pour les professeurs dont je plaide ici la cause, qu'elle ne l'a été pour ceux de l'enseignement supérieur.
M. Lelièvre. - Nous applaudissons au projet de loi présenté par le gouvernement ; il avait été réclamé, à l'unanimité, par le conseil de perfectionnement comme devant décréter des mesures équitables qu'exigent les intérêts de l'enseignement public non moins que ceux des professeurs.
Il aura pour résultat d'améliorer la position de fonctionnaires qui rendent des services éminents à la chose publique.
Toutefois, M. Thonissen et moi, avons cru devoir déposer certaines propositions qui, conformes à la pensée du projet, en complètent les dispositions.
C'est ainsi que nous avons cru devoir assimiler aux professeurs désignés au paragraphe 2 de l'article 2, ceux qui, n'étant pas munis de diplôme, faisaient partie des athénées ou collèges communaux à l'époque de la loi du 1er juin 1850 et ont été maintenus dans les établissements de l'Etat.
Le projet du gouvernement laissait, à cet égard, une lacune qu'il est nécessaire de combler.
En effet ceux qui, faisant partie du corps enseignant des athénées ou collèges communaux, ont été jugés capables d'être maintenus dans ces établissements sont réputés avoir un diplôme de professeur.
L'arrêté de nomination émané du gouvernement en tient lieu.
Il reconnaît leur capacité, et il est à remarquer que les professeurs qui ont été maintenus ont même dû subir un examen devant une commission spéciale.
(page 780) Dès lors leur position doit être la même que celle des autres professeurs.
La disposition que nous proposons est d'autant plus équitable, que si les professeurs dont nous nous occupons ne sont point porteurs de diplômes, c'est que les écoles normales où ils auraient dû les obtenir n'étaient point créées.
Sous d autres rapports, la position de ces professeurs est digne d'intérêt ; pendant longtemps ils n'ont joui que de traitements bien inférieurs au taux auquel ils ont été portés depuis.
Ils ont dû pendant de longues années contribuer aux versements à la caisse des veuves et des orphelins et subir de ce chef des retenues qui s'élevaient jusqu'à 6 p. c. de leurs traitements, tandis qu'aujourd'hui les prélèvements de ce chef n'excèdent pas 3 1/2 p. c. Ils ont dû aussi traverser les phases les plus pénibles de la carrière de l'enseignement.
L'équité exige qu'ils soient placés sur la même ligne que les jeunes professeurs nommés depuis que la carrière s'est améliorée.
La Chambre ne perdra pas de vue que les professeurs désignés dans notre amendement ont dû subir des examens spéciaux. Plusieurs étalent élèves ingénieurs des mines ou des ponts et chaussées. Ces titres, qu'ils avaient obtenus par concours, étaient équivalents à ceux du doctorat que d'autres s'étaient fait conférer.
Le gouvernement ayant jugé qu'à raison de leur mérite constaté, ils devaient être assimilés aux professeurs munis de diplôme, il est évident qu'au point de vue de la pension, l'on ne peut les placer dans une position inférieure.
Ils ont été jugés par le gouvernement aussi capables que ceux munis d'un diplôme, il est donc clair qu'au point de vue des avantages, ils doivent jouir des mêmes droits. Rien ne justifierait une différence de position sous ce rapport.
- La séance est levée à 5 heures.