(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 644) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la derrière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des fabricants de sucre de betterave indigène demandent des modifications au projet de loi réglant le régime de l'accise sur les sucres ou que le gouvernement leur accorde l'exercice facultatif, et appellent l'attention de la Chambre sur des mesures à prendre dans l'intérêt de leur industrie. »
M. Vleminckxµ. - Ne serait-il pas utile de donner lecture de cette pétition avant la continuation de la discussion sur le régime des sucres ?
MpVµ. - La Chambre entend-elle ordonner la lecture de cette pétition ?
- Voix nombreuses. - Oui ! oui !
MpVµ. - Il en sera ainsi.
« Les sieurs Vanderstraeten, André et autres membres de l'association libérale de l'arrondissement de Verviers présentent des observations sur le projet de loi relatif aux fraudes électorales. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Les sieurs de Leau, François et autres membres de l'association libérale de l'arrondissement de Verviers prient la Chambre de ne pas proroger la loi de 1835 sur les étrangers. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les étrangers.
« Des secrétaires communaux de l'arrondissement de Huy demandent une loi fixant les traitements des secrétaires communaux. »
M. de Macarµ. - Je crois qu'il est urgent que la Chambre s'occupe des pétitions de ces modestes et utiles fonctionnaires qui, depuis quelques années, sont surchargés de travaux supplémentaires sans recevoir de rétribution. Je demande donc un prompt rapport sur cette pétition.
- Le prompt rapport est ordonné.
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, une demande de naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Par message, en date du 15 mars, le Sénat informe la Chambre que le sieur Moïse Ficzlowicz, négociant à Bruxelles, lui a fait connaître qu'il retirait sa demande de naturalisation ordinaire. »
- Pris pour information.
« Par onze messages, en date du 14 mars 1865, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de loi de naturalisation ordinaire. »
- Pris pour notification.
« M. Van Hoorde, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
MpVµ. - Conformément à la décision de la Chambre, il va être donné lecture de la pétition des fabricants de sucre de betterave.
M. Delaetµ. - Je désirerais avoir la parole pour une interpellation lorsqu'un membre d'un cabinet sera à son banc.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
MpVµ. - Vous opposez-vous à la lecture de la pétition, M. Dumortier ?
M. Dumortier. - Non, M. le président, mais peut-être serait-il bon que M. le ministre des finances lui-même l'entendît.
M. Coomans. - Il faudrait au moins qu'un ministre quelconque fût présent à la séance.
M. Delaetµ. - Aurai-je la parole tout à l'heure, M. le président ?
MpVµ. - Oui, M. Delaet. Il va donc être donné lecture de la pétition des fabricants de sucre.
M. Van Humbeeck donne lecture de cette pétition ; elle est conçue en ces termes : (cette pétition n’est pas reprise dans la présente version numérisée).
MpVµ. - Cette pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion.
M. de Theuxµ. - Et imprimée au Moniteur…
MpVµ. - Et imprimée aux Annales parlementaires comme toutes les pièces qui font partie de la discussion.
M. Delaetµ. - Un fait nouveau dans la question du Mexique vient d'être signalé par la presse. Des journaux affirment que le gouvernement a mis à la disposition du corps mexicain à Audenarde, deux bâtiments appartenant à l'Etat, l'un, appelé le gouvernement, l'autre l'ancienne boulangerie militaire.
Je désirerais être éclaire sur la question de savoir si ce fait est réel.
Puisque j'ai la parole, je me permettrai aussi de demander au gouvernement si des mesures ont été prises par lui et par voie diplomatique pour le rapatriement du jeune Crimmces.
D'un autre côté, comme nous recevons du Mexique des plaintes des militaires qui y ont été expédiés, relativement à la solde, à la nourriture, au service qu'on leur fait faire, je désire savoir si le gouvernement est disposé à rapatrier par voie diplomatique ceux des militaires qui auraient à se plaindre au Mexique. Comme ils ont conserve la qualité de (page 645) Belge, je croîs que la protection diplomatique leur est due, et je voudrais que le gouvernement pût rassurer les familles en affirmant ici que cette protection diplomatique ne leur fera défaut en aucun cas.
MfFOµ. - Messieurs, l'honorable préopinant a posé trois questions au gouvernement. En premier lieu, il désire savoir s'il est vrai que le gouvernement a mis à la disposition des corps que l'on a organisés à Audenarde, des bâtiments appartenant à l'Etat.
Je ne puis lui répondre à cet égard. J'ignore complètement si ce fait, qui a déjà été signalé, est ou n'est pas vrai.
M. Coomans. - On avait parlé des casernes qui appartenaient à la ville. Il s'agit d'autres bâtiments.
MfFOµ. - Je pensais que l'on faisait allusion aux faits qui déjà ont été cités.
M. Delaetµ. - J'ai dit qu'il s'agissait d'un fait nouveau.
MfFOµ. - Vous avez déjà parlé de tant de faits anciens que vous avez présentés comme nouveaux ! Au surplus, je le répète, je suis sur ce point dans l'ignorance la plus complète, et je ne pourrais donner à l'honorable membre les explications qu'il réclame. Je ne sais même pas si le gouvernement a des propriétés à Audenarde, et si les propriétés dont on parle sont communales ou domaniales, ni qui les aurait mises à la disposition des particuliers dont on parle.
En second lieu, l'honorable M. Delaet désire savoir si le gouvernement a pris des mesures pour assurer le rappel du jeune Crimmers.
Je ferai d'abord remarquer à la Chambre que le gouvernement est absolument étranger à cette affaire. Le jeune Crimmers, un jeune homme mineur, a-t-on dit, s'est engagé dans le corps mexicain. Mais le gouvernement n'est pas plus responsable du départ de ce jeune homme, que du départ de tout autre Belge, majeur ou mineur, qui croirait convenable de s'engager dans une affaire quelconque et de s'en aller à l'étranger.
M. Coomans. - Il est militaire.
MfFOµ. - Il n'était plus militaire, s'il avait obtenu son congé.
Le gouvernement n'avait donc pas de surveillance à exercer sur le jeune Crimmers. Si, officieusement, dans l'intérêt des familles belges, on croyait que le gouvernement pût agir dans le sens indiqué par l'honorable préopinant, je n'y verrais pas, quant à moi, le moindre inconvénient. Mais je tiens à déclarer et à faire bien comprendre que le gouvernement n'est pas obligé d'agir.
Enfin, le troisième point indiqué est celui-ci : Le gouvernement va-t-il prendre des mesures pour faire cesser les doléances des Belges partis pour le Mexique, et qui se plaignent soit de n'obtenir qu'une solde trop minime, soit de ne recevoir qu'une nourriture insuffisante, et va-t-il réclamer des autorités mexicaines en faveur de ces individus une solde plus élevée, une nourriture plus abondante ?
Messieurs, nous ne savons pas s'il y a la moindre vérité dans les faits que l'on allègue, ni si les plaintes dont on se fait l'écho sont bien justifiées. J'ai ouï dire que l'on fabrique ici de prétendues correspondances du Mexique, contenant des plaintes extrêmement amères contre tout ce qui s'y passe ; mais, je le répète, on dit que ces lettres sont de pure invention. A la vérité, je ne suis pas très sûrement renseigné sur ce point ; mais ce qui semble établir que l'assertion n'est pas dénuée de tout fondement, c'est que, parmi les lettres prétendument arrivées en Belgique, il en est qui semblent avoir été expédiées par des navires qui n'ont point encore abordé en Europe.
Maintenant, si les Belges qui se trouvent au Mexique ont à se plaindre de quoi que ce soit, et s'ils ont continué de conserver leur qualité de Belge, ils sont naturellement toujours placés sous la protection de la loi belge et, par conséquent, ils ont droit de s'adresser à notre représentait à Mexico, pour lut faire entendre leurs griefs. Ces griefs seront examinés, appréciés, et si leur réalité est reconnue, l'agent du gouvernement interviendra pour faire tout ce qui est en son pouvoir en faveur des Belges qui se trouvent sur le territoire mexicain. Evidemment, c'est là tout ce que le gouvernement peut faire.
Messieurs, les circonstances m'obligent à faire à mon tour une motion d'ordre. Je prie la Chambre de me permettre de me rendre au Sénat, où ma présence est rendue nécessaire par un incident d'une haute gravité, qui a été soulevé au sein de cette assemblée. La Chambre pourrait néanmoins continuer la discussion de la loi sur les sucres.
M. Delaetµ. - L'incident du Sénat concerne M. le ministre de l'intérieur.
MfFOµ. - Cet incident concerne le cabinet tout entier. Je demande donc que la Chambre veuille bien continuer la discussion du projet de loi dont elle est saisie ; l'honorable rapporteur vaudra bien tenir note pour mon, des objections qui seront présentées ; je me rendrai au sein de la Chambre, dès que je le pourrai, pour venir prendre part aux débats.
M. Bouvierµ. - Messieurs, en ma qualité de rapporteur de la pétition adressée par le sieur Crimmers père à la Chambre, n'ayant pas vu figurer, sur la liste nominative des soldats partis pour le Mexique, le nom du jeune Crimmers, j'ai échangé une correspondance avec M. le ministre de la guerre.
Si la Chambre me le permet, je donnerai lecture de cette correspondance et je crois que la Chambre aura tous ses apaisements sur le sort du jeune Crimmers. Cette correspondance, d'ailleurs, est très courte. (Lisez ! lisez !)
La voici :
« Bruxelles, ce 10 mars 1865.
« Monsieur le ministre,
« Je viens d'examiner l'état nominatif de tous les individus partis pour le Mexique, récemment adressé à la Chambre. Je suis étonné de ne pas y voir figurer le nom du jeune Crimmers dont la Chambre s'est occupée à deux reprises et tout spécialement dans la séance d'hier à la suite de la pétition envoyée par le père de ce militaire, pétition sur laquelle la Chambre a statué par son renvoi à votre département.
« Je reste convaincu, M. le ministre, que cette omission donnera lieu à de nouveaux débats devant la Chambre et qu'en ma qualité de rapporteur sur cette pétition, je pourrais bien être appelé à fournir quelques explications. Dans cette occurrence, je vous prie, M. le Ministre, de bien vouloir me fournir quelques renseignements qui me paraissent d'ailleurs indispensables pour satisfaire aux légitimes exigences de la Chambre et du pays.
« Dans l'attente d'une prompte réponse, je vous présente avec une cordiale salutation, l'assurance de ma haute considération.
« Bouvier-Evenepoel. »
« Bruxelles, le 12 mars 1865.
« Monsieur le représentant,
« Le nom du jeune Crimmers ne se trouve effectivement pas compris dans les tableaux annexés aux arrêtés royaux qui autorisent un certain nombre de militaires belges à prendre du service au Mexique, par la raison toute simple que ce jeune homme n'a jamais obtenu cette autorisation.
« Crimmers a déserté de son régiment le 12 janvier pour se rendre à Audenarde, où il paraît s'être enrôlé.
« Comment s'y est-il pris pour se faire admettre ? Nul ne le sait. Le général Euchêne, à qui j'ai fait demander des explications, l'ignore complétement. ll a écrit au Mexique pour avoir des renseignements à ce sujet.
« Il est probable que Crimmers, déserteur depuis le 12 et parti le 14, c'est-à-dire deux jours après, a mis à profit le trouble et la précipitation inséparables de tout départ, pour se faire admettre en dissimulant sa position réelle.
« Dans tous les cas, le jeune Crimmers sera traduit devant le conseil de guerre à sa rentrée dans le pays.
« Je n'ai connu ce détail qu'après la discussion, alors que j'ai fait vérifier quelle était la position de ce jeune homme.
« Il est sans doute inutile de vous faire remarquer, monsieur le représentant, que je ne puis connaître le nom et la position de chaque militaire. J'ai donc raisonné en admettant comme fondée l'affirmation du père qui prétendait que le département de la guerre avait permis à son fils de se rendre au Mexique.
« Veuillez agréer, monsieur le représentant, l'assurance de mes sentiments les plus distingués.
« Le ministre de la guerre, Baron Chazal. »
Messieurs, en présence de cette correspondance, je crois qu'il n'y a plus rien à dire. Il en résulte que le jeune Crimmers a quitté les rangs de l'armée...
- Plusieurs membres. - Assez ! assez !
M. Bouvierµ. - ... sans autorisation aucune et qu'a l’heure actuelle il est déserteur.
MfFOµ. - Messieurs, le temps me presse ; je demande que la Chambre veuille bien accepter les explications que je lui ai données et me permettre de me rendre sur-le-champ au Sénat. Il est impossible que je sois à la fois dans les deux assemblées.
- Plusieurs voix. - Oui ! oui !
- M. le ministre des finances sort de la salle.
M. Van Overloopµ. - Je demande la parole pour adresser une interpellation au gouvernement.
(page 646) M. Bouvierµ. - C'est une tactique de la part de la droite.
M. Delaetµ. - C'est un manque de respect à la Chambre que de la faire discuter sans qu'un seul membre du cabinet soit présent à la séance.
M. Van Overloopµ. - Messieurs, le gouvernement pourra peut-être répondre demain à la question que je me proposais d'adresser à M. le ministre des finances, et que les Annales lui feront connaître.
Le gouvernement nous a communiqué trois arrêtés accordant à des soldats belges l'autorisation d'aller servir au Mexique.
M. Allard. - Vous voulez empêcher M. le ministre des finances de se rendre au Sénat.
M. Delaetµ. - Il faut que la Chambre réponde au départ de M. le ministre des finances en levant la séance.
M. Jacquemyns. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
M. Van Overloopµ. - Le nombre des soldats portés dans ces arrêtés s’élève à 832, et le corps mexicain atteint, je crois, le chiffre de 1,500 ou 1,600 hommes. Il y a donc 600 à 700 Belges non militaires qui sont allés s'incorporer dans le corps mexicain, à moins qu'on n'y ait incorporé des étrangers.
Eh bien, je demande, afin que les pièces soient complètes, qu'on veuille faire également imprimer, aux Documents parlementaires, l'arrêté qui donne à ces Belges l'autorisation d'aller servir au Mexique. Car, j'espère bien qu'après l'encouragement donné par le gouvernement à l'expédition, les Belges non militaires qui ont pris du service dans la légion mexicaine ne tombent pas sous l'application de l'article 21 du Code civil.
Je vous avoue que quand j'ai pris communication des arrêtés d'autorisation intégrés aux Documents parlementaires, et que j'ai vu qu'ils ne s'appliquaient qu'à des soldats, j'ai été stupéfait. Comment, me suis-je dit, il y a beaucoup de jeunes gens appartenant à l'ordre civil qui ont pris du service dans la légion mexicaine ; je ne vois nulle part qu'ils y aient été autorisés ; perdraient-ils, eux, leur qualité de Belges ?
Il est donc de la plus haute importance qu'on insère, sans retard, aux Documents parlementaires, les arrêtés d'autorisation relatifs aux Belges non militaires qui se sont enrôlés au service de l'empereur du Mexique. Il importe que la Chambre sache si les mesures nécessaires ont été prises pour prévenir qu'un grand nombre de nos compatriotes ne tombent sous le coup de l'article 21 du Code civil.
j'espère, quoique aucun de MM. h s ministres ne se trouve à son banc, que mon observation suffira pour déterminer le gouvernement à faire, au plus tôt, droit à ma demande.
Remarquez que les jeunes gens auxquels je fais allusion ne pourraient pas invoquer la protection de notre représentant à Mexico s'il n'a pas été mis d'arrêté d'autorisation relativement à eux.
MpVµ. - Pour lever toute difficulté, ne pourrions-nous pas aborder les rapports de pétitions qui sont aussi à l'ordre du jour ?
M. Jacquemyns. - J'ai demandé h parole pour une motion d'ordre.
MpVµ. - Il faut d'abord vider l'incident.
M. Jacquemyns. - C'est relativement à l'incident que je demande la parole.
MpVµ. - Vous avez la parole.
M. Jacquemyns. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour présenter une motion d'ordre, et voici mon but.
En Angleterre, lorsqu'un membre du parlement veut interpeller le ministère, il est dans les usages, si je ne me trompe, qu'il prévienne le gouvernement, parce qu'alors cette interpellation peut se faire utilement, parce qu'on peut donner, séance tenante, une réponse complète et satisfaisante.
Lundi dernier, l’honorable sénateur M. Osy a prévenu le gouvernement qu'il ferait une interpellation au ministre de l'intérieur. M. le ministre a déclaré qu'il était prêt à répondre sur-le-champ. Malgré cela, l'honorable sénateur a cru devoir se conformer aux usages reçus et fixer à un autre jour son interpellation.
Aujourd'hui que la Chambre sait que la plupart des membres du gouvernement tiennent à assister à la séance du Sénat, on arrive tout à coup avec une interpellation qui s'adresse à plusieurs ministres, et qui notamment s'adresse à M. le ministre de la guerre qui se rend rarement ici.
Est-il possible que semblable interpellation se fasse dans des conditions convenables et que, séance tenante, le membre qui fait l'interpellation, obtienne une réponse pertinente ? Je ne le pense pas.
Il me semble que quand il s'agit d'interpellations graves, qui s'adressent à divers ministres, il serait bon aussi de prévenir le gouvernement, (deux mots illisible) que la majorité de la Chambre est libre d’admettre ou de ne pas admettre une interpellation qui se présente ici à l'improviste et de fixer à un jour déterminé telle ou telle interpellation qu'on voudrait faire. (Interruption.)
Il est reçu dans tous les parlement que l'on fixe un jour déterminé pour discuter les interpellations. S'il n'en était pas ainsi, on aurait à tous moments le droit de venir interrompre nos discussions avec des interpellations.
En conséquence Je propose de fixer à un antre jour la discussion sur l’interpellation que vient de faire l'honorable M. Delaet.
M. Delaetµ. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Interruption) C'est un discours essentiellement personnel que l'honorable membre vient de prononcer.
MpVµ. - Il n'y a rien de personnel dans ce qu’a dit M. Jacquemyns, il a parlé des usages qu'il conviendrait d'établir dans l'exercice du droit d'interpellation.
M. Jacquemyns. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Je déclare avec empressement et avec plaisir que si l'honorable M. Delaet peut trouver un mot blessant dans ce que je viens d'avoir l'honneur de dire à cette assemblée, je le retire sur-le-champ.
M. Dumortier. - Nous voici, messieurs, dans une situation quelque peu étrange ; nous avons l'interpellation de M. Delaet ; l'interpellation de M. Van Overloop ; nous avons l'absence du ministre dont nous discutons le projet de loi ; nous avons la motion de M. Jacquemyns. Il m'est impossible, en présence de ce salmigondis, de savoir à quoi m'en prendre.
Quant au droit d'interpellation, il est incontestable, et je trouve que les observations de l'honorable M. Jacquemyns arrivent un peu trop tard après 35 ans de pratique du régime parlementaire.
Je trouve que M. Delaet était dans son droit. Peut-être eût-il bien fait d'attendre la présence de M. le ministre de la guerre, mais enfin si le banc ne peut pas répondre, cela ne porte pas atteinte au droit de faire des interpellations.
M. Bouvierµ. - On sait bien que les ministres sont au Sénat.
M. Dumortier. - Maintenant vient la question qui est à l'ordre du jour ; nous sommes appelés à discuter la loi des sucres.
J'ai commencé hier mon discours, je dois le continuer aujourd'hui, mais je ne crois pas qu'il me soit possible de prendre la parole sans que le ministre qui a présenté le projet de loi et qui a demandé la mise à l'ordre du jour malgré moi, sans que ce ministre soit présent. Quand j'ai demandé que la loi sur les modifications à la loi communale fût discutée avant la loi des sucres, quand je disais que les intéressés avaient l'intention de se réunir et de nous adresser une pétii'on, M. le ministre des finances s'est levé pour demander la mise à l'ordre du jour de son projet de loi et voilà qu'il s'en va.
M. Bouvierµ. - Ne connaissez-vous pas l'incident du Sénat ?
M. Dumortier. - Voilà donc le ministre qui s'en va et qui nous laisse seuls avec le projet de loi.
Quant à moi, je ne crois pas devoir prendre la parole en l'absence des ministres, c'est la première fois depuis 1830... (Interruption.)
Vous qui riez, messieurs, vous n'êtes ici que depuis un an. Vos rires sont vraiment un peu drôles, pour ne pas me servir d'une autre expression. C'est la première fois, depuis 1830, que dans cette Chambre une discussion s'engage sans que le ministre que la chose concerne soit à son banc. (Interruption.)
Je crois que ce que je dis n'est pas de nature à exciter l'hilarité des honorables députés de Liège qui tout à l'heure riaient en m'interrompant. Que faire maintenant ? Evidemment vous ne pouvez discuter en l'absence du ministre. Il est inutile de parler dans le désert.
M. Bouvierµ. - Et nous, sommes-nous le désert ?
M. Dumortier. - Il y a toute espèce de déserts ; il y a le désert intérieur et le désert extérieur. Je dis donc que dans une pareille situation il n'y a qu'une chose à faire, c'est de mettre un autre objet à l'ordre du jour.
Il y a un feuilleton de pétitions ; il y a aussi un projet de loi que M. le ministre des travaux publics peut défendre et qui est à l'ordre du jour.
Je suis prêt à parler, mais je crois que cela ne convient pas en l'absence du ministre.
MpVµ. - J'avais, pour éviter cette discussion, proposé à la Chambre de passer au troisième objet à l'ordre du jour qui est un feuilleton de pétitions.
- M. Vanderstichelen, ministre des travaux publics, entre dans la salle.
M. Delaetµ. - Messieurs, j'ai été d'autant plus étonné des observations de l'honorable M. Jacquemyns, bien qu'elles n'eussent rien de blessant, je le déclare, que je n'ai pas mérité cette leçon et que l'honorable M. Jacquemyns ne pouvait savoir (quelques mots illisibles).
(page 647) Je croîs avoir le droit d'adresser une interpellation au ministre quand il me convient de le faire, sauf au ministre à refuser de me répondre immédiatement.
Or, si M. le ministre avait refusé de répondre immédiatement, s'il avait dit avoir à prendre des renseignements, je me serais provisoirement déclaré satisfait et la discussion eût pu être remise à une autre séance.
Mon interpellation n'avait donc, pour le moment, d'autre caractère que celui d'un simple avis au gouvernement, l'informant que je serais revenu sur la question du Mexique.
Je ne veux pas pourtant, après la réponse que m'a faite M. le ministre des finances, que les Annales parlementaires paraissent sans apporter la réponse que je ferai à tous ses arguments. Cette réponse est tout simplement la circulaire adressée le 25 juillet dernier par M. le ministre de la guerre aux généraux commandant les divisions territoriales de cavalerie et d'infanterie, aux inspecteurs de l'artillerie et du génie et aux chefs des corps de l'armée.
M. le ministre de la guerre leur dit :
« J'ai l'honneur de vous prier de donner, sans aucun délai, à M. le lieutenant général pensionné Chapelié toutes les facilités qu'il réclamera de vous pour l'accomplissement de la mission dont il est chargé. »
C'est bien là une intervention directe, un ordre donné à l'armée et, par conséquent, le gouvernement belge se trouve vis-à-vis des Belges actuellement au Mexique dans l'obligation d'une double protection, protection diplomatique parce que les soldats du corps mexicain ont conserve la qualité de Belges, protection d'intervenant au contrat, parce que le ministère de la guerre a, par un ordre écrit, facilité au général Chapelié les contrats que ce général a fait avec nos compatriotes.
Le gouvernement est dès lors en quelque sorte le garant moral de ces contrats et s'ils ne sont pas exécutés sa responsabilité est engagée.
Pour le moment je n'en dirai pas davantage parce que nous aurons à revenir sur la question.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, tout le monde comprendra les motifs de l'absence momentanée de M. le ministre des finances.
M. Dumortier. - Moi, je ne les comprends pas.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je me lève, non pas pour expliquer les motifs de cette absence, mais pour y insister, car tout le monde, à l'exception peut-être de l'honorable M. Dumortier, puisqu'il l'affirme, les connaît.
Tout le monde, à l'exception cependant de l'honorable M. Dumortier, sait qu'il s'est élevé au Sénat un débat de la plus haute gravité.
Il s'agit d'une question à laquelle M. le ministre des finances attache la plus grande importance, et l'on comprend qu'il désire être présent à la discussion qui se poursuit en ce moment au Sénat.
M. Dumortier. - C'est une question qui concerne le ministre de l'intérieur.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Cette question intéresse non seulement le ministre de l'intérieur, mais tous les ministres.
L'absence de M. le ministre des finances se justifie donc parfaitement.
Qu'est-ce que la Chambre a à faire ?
Elle peut faire sans inconvénient deux choses, ou intervertir son ordre du jour, entamer par exemple un feuilleton de pétitions, ou continuer la discussion de la loi sur les sucres.
M. Dumortier. - Cela ne s'est jamais fait.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Cela peut se faire sans inconvénient, et voici pourquoi.
Si l'honorable ministre des finances avait en ce moment à prendre la parole, il est évident que la discussion devrait être interrompue ou que mon collègue devrait quitter la séance du Sénat ; mais des orateurs vont prendre la parole ; peut-être occuperont-ils toute la séance. Eh bien messieurs, dans ce cas je demande pourquoi la discussion ne continuerait pas.
Moi, en particulier, comme collègue de M. le ministre des finances, je puis prendre des notes, mais le Moniteur sera là qui avertira en tout cas M. le ministre des finances des points sur lesquels il pourrait avoir à répondre plus tard.
Je dis donc que la Chambre, si elle le désire, ne doit même pas interrompre son ordre du jour. Elle peut parfaitement continuer à discuter, sauf à voir, lorsqu'il n'y aura plus d'orateurs inscrits, si elle veut remettre la suite de la discussion à un autre jour.
M. Coomans. - Messieurs, nous sommes tous d'accord sur un point, c’est qu'il nous faut ajourner forcément l’examen des interpellations des honorables MM. Delaet et Van Overloop et de celle que j'avais à faire également.
Pour ma part je suis d'avis que non seulement il serait absurde, niais inconvenant de discuter l'important projet qui est à l'ordre du jour, en l'absence du ministre qui l'a présenté. Cela est surtout impossible au point de vue de la dignité de la Chambre. C'est ce qu'a parfaitement compris notre honorable président quand il a proposé d'interrompre l'ordre du jour.
Messieurs, on prendra note de ce que nous venons de dire pour le transmettre au ministre de la guerre. M. le ministre des travaux publics se chargera de ce soin.
Je tiens, messieurs, et c'est pour cela que j'ai pris la parole, à protester de toutes mes forces contre l'étrange théorie de l'honorable député de Gand. Il nous a proposé, sous forme de motion d'ordre, un changement au règlement de la Chambre ; il nous a proposé l'introduction dans le règlement du parlement belge d'un article du règlement du parlement anglais, si tant est que l'article dont il s'agit figure dans ce règlement.
Nous ne sommes pas forcés d'avertir les ministres des interpellations que nous jugeons bon de faire. Il est souvent convenable de le faire, mais je maintiens qu'il n'y avait, de ce chef, aucune espèce de reproche à adresser à mon honorable ami le député d'Anvers.
Ce qui m'a particulièrement froissé dans les assertions de l'honorable M. Jacquemyns, c'cst que, selon lui, la majorité a le droit d'empêcher une interpellation, ce qui reviendrait à dire que la majorité a le droit de suspendre la Constitution.
- Une voix. - Il n'a pas dit cela.
M. Coomans. - Mais l'interpellation est un droit élémentaire de tout parlement libre ; je ne dis pas libéral, mais de tout parlement libre, et il est vraiment étrange de venir soutenir ici que la majorité a le droit d'empêcher des interpellations.
Cette thèse serait déjà étrange de 1a part d'un ministre, maïs elle l'est bien plus encore de la part d'un représentant.
Je proteste donc de toutes mes forces contre la théorie de M. Jacquemyns ; nous avons le droit d'interpeller le gouvernement ; personne ne peut nous l'enlever et le gouvernement est obligé moralement de répondre.
M. Vilain XIIII. - La Chambre a le droit de forcer un ministre à parler.
M. Coomans. - C'est évident. J'espère donc que M. Jacquemyns abandonnera sa thèse.
- Une voix. - Il n'a pas dit ce que vous prétendez.
M. Coomans. - Je vous demande pardon ; j'ai pris exactement note des paroles de l'honorable membre et j'espère qu'elles figureront littéralement aux Annales afin qu'on ne m'accuse pas d'avoir combattu des moulins à vent.
On a donc posé des questions au gouvernement, il y répondra s'il le juge convenable, dans une prochaine séance.
Je ne ferai qu'une observation, et je finirai par là, sur les let'res que nous a lues M. Bouvier.
L'honorable ministre de la guerre vient d'apprendre à l'honorable M. Bouvier que le jeune Crimmers est un déserteur, que par conséquent le gouvernement n'a pas à s'en occuper.
Je ferai remarquer qu'il y a des irrégularités graves dans les déclarations du gouvernement, puisque le 24 février dernier, les Annales parlementaires en font foi, il a déclaré que le jeune Criuaniers avait reçu un congé pour faire tout ce qu'il voulait.
M. Bouvierµ. - Il ne le savait pas alors.
M. Coomans. - Pourquoi ne le savait-il pas ? Les Annales parlementaires attestent que le jeune Crimmers a obtenu un congé pour faire ce qu'il voulait, ce sont les paroles de M. le ministre de la guerre. Si le jeune Crimmers pouvait faire tout ce qu'il voulait, il n'était pas déserteur et il pouvait se rendre au Mexique. (Interruption.)
S'il n'eu est pas ainsi, que veut M. le ministre de la guerre ? (Interruption.) Mais le jeune Crimmers pouvait-il se rendre au Mexique même avec l'autorisation du gouvernement ? Je le nie. Le jeune Crimmers était un mineur à peine âgé de 17 ans qui avait été confié par son père à la tutelle du gouvernement belge.
Voilà la vérité et le gouvernement ne pouvait pas transformer en service au profit d'un prince étranger le service pris pour la défense de la patrie. Le jeune Crimmers ne pouvait pas se rendre au Mexique s'il était déserteur et j'ai le droit de m'étonner que la légion d'Audenaerde ait racolé à l'insu du gouvernement des déserteurs belges.
Il y aura à revenir sur ce point en temps et lieu. Mais dès maintenant je dois dire que si Crimmers n'est pas déserteur, il faut qu'il revienne, il faut que le gouvernement se hâte de prendre des mesures à cet effet.
(page 648) M. Bouvierµ. - M. Euchêne a donné des ordres dans ce but.
M. Coomans. - M. Euchêne n'est plus rien pour nous.
M. Hymans. - M. Jacquemyns n'a rien dit de ce que M. Coomans vient de lui attribuer...
M. Coomans. - C’est trop fort.
- A gauche. - Non, non.
A droite. - Si, si.
M. Hymans. - D'après l'honorable député de Turnhout, M. Jacquemyns aurait dit qu'on n'a pas le droit dans cette Chambre de faire une interpellation quand on le juge convenable...
M. Coomans. - ... que la majorité aurait le droit d'empêcher une interpellation.
M. Hymans. - La majorité peut empêcher un débat inopportun.
- Voix à droite. - Oh, oh !
M. Delaetµ. - C'est la violence dans la Chambre.
M. Hymans. - Je m'étonne de vos protestations. Eh quoi ! vous avez prétendu l'année dernière que la minorité pouvait tout empêcher ; vous avez fait plus, vous avez tout empêché, vous avez suspendu le gouvernement du pays pendant plusieurs semaines par votre désertion et vous oseriez soutenir que la majorité de cette Chambre n'a pas le droit de décider ce qu'elle croit conforme aux principes et au droit ; allons donc !
- Voix à droite. - Ah !
M. Hymans. - Le gouvernement constitutionnel n'est pas possible sans le respect des majorités, et c'est parce que vous n'avez pas respecté la majorité que vous avez essuyé votre échec électoral et que le pays vous a condamnés.
La majorité n'a pas le droit d'empêcher un membre de la Chambre d'interpeller un ministre. Je n'ai jamais prétendu cela ; au contraire ; mais la majorité a le droit de décider que l'interpellation aura lieu à un autre moment que celui que son auteur a choisi.
L'honorable M. Jacquemyns s'est borné à dire qu'il eût été convenable de prévenir le gouvernement de l'interpellation qu'on avait l'intention de lui faire, et ce qui se passe aujourd'hui le prouve suffisamment. L'interpellation de M. Delaet s'adresse d'une manière toute spéciale à M. le ministre de la guerre ; or le ministre de la guerre n'étant pas membre de la Chambre ne se rend parmi nous que lorsqu'il sait à l'avance que sa présence y est nécessaire.
Puisque l'interpellation s'est produite, il est utile que la discussion ait lieu le plus tôt possible et si je prends la parole, ce n'est pas pour demander qu'on l'ajourne indéfiniment, mais, tout au contraire, pour demander qu'elle soit portée à l'ordre du jour de la séance de demain. Il va de soi que M. le ministre de la guerre, prévenu qu'une interpellation lui sera adressée demain, sera à son poste.
Voilà pour la question du Mexique, et sur ce point tout le monde sera d'accord.
En ce qui concerne la question des sucres, je regrette infiniment que M. le ministre des finances ne puisse assister aujourd'hui à la séance, mais son absence ne peut être trouvée étrange par personne.
M. Coomans vient de dire que la question du Mexique intéresse tous les ministres, mais la question qui s'agite au Sénat intéresse également tous les ministres, et je comprends d'autant moins les observations de quelques honorables membres, que la Chambre elle-même a prononcé l'ajournement de la discussion relative aux modifications à apporter à l'organisation communale par le motif que M. le ministre de l'intérieur était retenu dans une autre enceinte.
Quelque regrettable que soit l'absence de M. le ministre des finances, je suis d'avis avec M. Dumortier qu'il n'est pas possible de discuter la loi si importante des sucres sans lui et je me rallie à la proposition de M. le président de passer au troisième objet à l'ordre du jour.
En ce qui concerne la question du Mexique, je propose formellement de la mettre à l'ordre du jour de demain.
- Appuyé.
M. Bara. - La conduite teinte par l'honorable M. Delaet est parfaitement constitutionnelle.
Il avait le droit de faire son interpellation et il était libre de choisir son moment.
Mais, messieurs, autre chose est le droit et autre chose est l'opportunité de l'exercice de ce droit.
L'honorable M. Delaet reconnaîtra que, quoique ministre, l'on ne peut pas être à deux endroits en même temps. Il reconnaîtra en outre que le gouvernement est parfaitement souverain dans l'appréciation de la question de savoir s'il doit être présent à une discussion qui a lieu dans une autre enceinte. L'honorable M. Delaet ne se croira pas, j'espère, le droit de distribuer aux membres du cabinet le rôle qu'ils auront à tenir et à leur assigner, à chaque séance, un poste dans telle ou telle enceinte.
Eh bien, tout le inonda sait parfaitement que la question soulevée au Sénat est de la plus haute importante et comme ce sont les amis politiques de l'honorable M. Delaet qui ont soulevé la question qui se débat au Sénat, je crois qu'il aurait dû, par convenance, s'entendre avec ses amis pour ne pas faire ici une interpellation qui nécessite aussi la présence des ministres. En ne respectant pas cette loi de convenance (et je n'emploie pas cette expression dans une mauvaise acception), vous êtes obligé de reconnaître que vous embarrassez le gouvernement, que vous l'empêchez de donner au Sénat les explications nécessaires et d'user dans cette enceinte de la légitime influence qu'il y peut avoir. Vous auriez dû dire le premier : Nous attendrons que vous puissiez venir.
M. Delaetµ. - C'est ce que nous avons fait. Le gouvernement pouvait refuser de répondre.
M. Bara. - Je réponds par-là aux agréables plaisanteries de l'honorable M. Dumortier qui dit : Les ministres sont absents : pourquoi ne sont-ils pas à leur banc ? M. le ministre de l'intérieur est seul nécessaire au Sénat. Les ministres ne sont pas à leur banc, M. Dumortier, parce qu'ils remplissent leur devoir ailleurs.
Messieurs, l'honorable M. Hymans nous propose de mettre à l'ordre du jour de demain l’interpellation de l'honorable M. Delaet. Je ne puis admettre cette proposition. Je le veux bien si la discussion qui occupe le Sénat est terminée. Mais si cette discussion n'est pas terminée, je ne puis consentir à ce qu'on mette à l'ordre du jour de demain la motion de l'honorable M. Delaet. Pourquoi ? Parce que la question du Mexique intéresse d'autres membres du cabinet que M. le ministre de la guerre. Ainsi l'honorable ministre de l'intérieur a tenu le portefeuille de la guerre pendant tout le mois de juillet et il a pendant ce temps signé beaucoup d'arrêtés.
Eh bien, si la question qui s'agite devant le Sénat y est encore pendante demain, il est évident que le banc ministériel sera vide de certains membres du cabinet qui peuvent désirer prendre part à la discussion sur l'affaire du Mexique.
Au surplus l'interpellation de l'honorable M. Delaet n'est pas susceptible d'une réponse immédiate. Elle comporte trois choses, dont une au moins exige une information. L'honorable membre demande en effet s'il est vrai qu'on a mis à la disposition des chefs de l'expédition certains locaux appartenant au gouvernement, M. le ministre des finances vient de vous dire qu'il ne savait même pas si le gouvernement était propriétaire de locaux à Audenarde, si ces locaux avaient été mis à la disposition de l'expédition et par qui ils y auraient été mis.
Des faits pareils nécessitent une information de la part du gouvernement et je crois dès lors que nous ne pouvons fixer à demain la discussion sur ce point. On peut attendre que le gouvernement ait pris ces renseignements et fixer ultérieurement le jour de cette discussion après le vote de la loi sur les sucres.
Maintenant que devons-nous faire ?
Je reconnais avec l'honorable M. Dumortier qu'il peut être désagréable pour un orateur de parler en l'absence du ministre qui doit lui répondre. Remettons à demain la discussion de la loi sur le régime des sucres et occupons-nous du feuilleton de pétitions qui est à l'ordre du jour.
- Plusieurs membres. - Tout le monde est d'accord.
M. Bara. - Permettez-moi encore de présenter une observation en ce qui concerne ce que vous a dit l'honorable M. Coomans au sujet des observations de l'honorable M. Jacquemyns.
L'honorable M. Coomans a prétendu que l'honorable député de Gand avait soutenu que la Chambre avait le droit d'empêcher un membre de faire une interpellation.
Cela est complètement erroné. L'honorable M. Coomans n'a pas compris. Voici ce qu'a dit M. Jacquemyns : Chaque membre a le droit de faire une interpellation ; mais l'interpellation faite, la Chambre a le droit de dire : Nos travaux ne seront pas interrompus et nous fixerons à un autre jour la discussion de cette interpellation. Voilà coque vous auriez dû comprendre. (Interruption.) Mais comment voulez-vous qu'on empêche une interpellation avant de la connaître ? Soyez donc logique. Un membre se lève, il fait une interpellation. Il use de son droit ; mais l'interpellation faite, on peut remettre à un autre jour la discussion sur cette interpellation. Si cette remise n'était pas admissible, qu'arriverait-il ? C'est qu'il serait libre à un membre d'interrompre à chaque instant nos travaux en venant jeter au milieu de nos discussions des interpellations. Il ne peut en être ainsi. Le droit de la Chambre est donc évident ; (page 649) elle peut écarter la discussion sur une interpellation et la remettre à un autre jour.
M. Hymans. - Je reconnais ce qu'il y a de juste dans les observations de l'honorable M. Bara, au sujet de la participation de M. le ministre de l'intérieur, aux actes qui concernent l'expédition du Mexique, et je suis obligé de me rendre, sur ce point, à son opinion.
Je crois qu'on pourrait tout concilier en renvoyant le débat sur cette affaire à mardi prochain, sauf à continuer notre ordre du jour en nous occupant aujourd'hui du feuilleton de naturalisations.
- Plusieurs membres. - Après la loi des sucres !
M. Delaetµ. - Je m'étonne du long discours que vient de faire l'honorable M. Bara sur un objet à l'égard duquel nous sommes tous d'accord.
L'honorable M. Hymans a bien voulu m'apprendre ce que j'ignorais, que mon interpellation s'adressait plus spécialement à M. le ministre de la guerre. J'ai fait mon interpellation au gouvernement tout entier et il y a là si peu de tactique, que je m'attendais à cette réponse de la part de l'un ou de l'autre ministre : Nous prendrons des renseignements et nous répondrons plus tard.
Voilà à quoi se réduit la tactique.
S'il y a discussion en ce moment, c'est que M. le ministre des finances a cru devoir me faire une réponse à laquelle je ne m'attendais pas du tout.
Je désire aussi que le débat soit remis, et je propose de le fixer à mercredi ou à jeudi prochain.
- Plusieurs membres. - Après la loi des sucres.
M. Delaetµ. - Après la loi des sucres, si on le désire.
- Plusieurs membres. - Il vaut mieux fixer un jour.
M. Debaets. - Je crois aussi qu'il vaudrait mieux fixer un jour, pour que M. le ministre de la guerre soit présent.
M. Delaetµ. - On pourrait fixer mercredi prochain, et si la discussion de la loi des sucres n'était pas terminée, mercredi en huit. Tous les jours me sont bons, sauf le samedi.
M. Dumortier. - On ne peut scinder la discussion de la loi sur les sucres.
M. Mullerµ. - Je désire donner un mot d'explication à l'honorable M. Debaets.
Si nous fixons la discussion immédiatement après la loi des sucres, M. le ministre de la guerre ou tout autre ministre sera prêt et saura qu'il doit être présent. Nous ne savons pas combien de temps peut durer la discussion de la loi des sucres et il y aurait inconvénient à l'interrompre.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, on pourrait concilier toutes les opinions, en fixant la discussion sur cette interpellation au lendemain du jour où la Chambre aura voté la loi des sucres,
- La Chambre consultée décide que l'interpellation sera fixée au lendemain du jour du vote de la loi sur les sucres.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je ne puis accepter silencieusement le blâme que l'honorable M. Hymans s'est cru en droit de nous infliger tout à l'heure. Ce n'est pas une minorité qui a résisté à une majorité, mais c'est une minorité qui a résisté à une autre minorité, et qui a résisté, parce que cette autre minorité voulait se faire majorité par des moyens arbitraires que nous ne pouvions pas, avec honneur, accepter.
M. Orts. - Messieurs, je ne sais pas s'il entre dans les intentions de l'honorable M. de Theux et de ses amis de discuter, dès à présent, la question qu'a soulevée l'honorable M. Hymans ; pour ma part, je suis tout disposé à entrer dans le débat ; mais je pense que la discussion sur ce point est assez grave, pour que nous choisissions un moment où le cabinet, qui a aussi sa part de responsabilité dans les événements auxquels on a fait allusion, pourra se trouver sur son banc pour s'expliquer et, au besoin, pour se défendre.
Mais je répondrai un seul mot à une observation de l'honorable M. de Theux, que ce qu'il qualifie d'arbitraire, de mesure violente, a été jugé par le pays ; et que le pays a condamné l'honorable M. de Theux et ses amis.
M. de Theuxµ. - Messieurs, j'accepte bien volontiers le jugement du pays en toutes circonstances ; mais je ne puis donner aux élections de 1864 la signification que leur donne l'honorable M. Orts.
Le pays n'a pas eu à se prononcer sur notre refus de concours amené par les procédés d'une minorité qui voulait se faire majorité à la faveur de moyens que j'ai toujours qualifiés et que j'ai toujours qualifiés d'arbitraires.
Le pays a subi une forte pression électorale, et voilà, dans, mon opinion, la cause de l'échec que nous avons essuyé,
M. Guillery. - Messieurs, j'aurais désiré, quant à moi, je l'avoue franchement, éviter cette discussion ; mais je ne veux pas, en présence de ce que vient de dire l'honorable M. de Theux, qu'on puisse nous reprocher d'avoir gardé le silence.
On a accusé la gauche d'avoir voulu, à l'aide d'une intrigue, se faire de minorité majorité par des moyens déloyaux.
D'après l'honorable M. de Theux, nous étions minorité avant les dernières élections, et nous voulions usurper le pouvoir contre les catholiques qui étaient majorité. (Interruption.)
Si nous étions minorité, vous étiez majorité. (Interruption.) Expliquez votre pensée. Il y avait deux minorités...
- Des membres à droite. - Voilà.
M. Guillery. - Il y avait donc deux minorités au sein de la Chambre, une minorité catholique est une minorité libérale. S'il en ainsi, mon embarras augmente ; car enfin pour réfuter un système il faut commencer par le bien comprendre et tâcher de voir quel est son côté faible ; mais ici je ne comprends pas du tout ; je ne comprends pas qu'il y ait deux minorités dans une Chambre ; je ne comprends pas comment une de ces minorités peut imposer la loi à l'autre.
La vérité est qu'il y avait une majorité libérale numériquement faible ; cette majorité a voulu quoi ? Elle a voulu, à la veille des élections, que le pays fût consulté dans toute la sincérité de la législation électorale ; elle a voulu que les principes fondamentaux posés par la Constitution en matière électorale fussent appliqués dans les dernières élections.
Voilà quel était le sens de la proportion de l'honorable M. Orts ; elle voulait que la loi fût la même dans tous les arrondissements électoraux ; elle voulait que tel arrondissement cessât d'être représenté, à raison d'un représentant par 60,000 habitants, alors que les autres arrondissements étaient représentés à raison d'un représentant par 40,000 habitants, comme le prescrit la Constitution. C'est cette injustice que la proposition a eu en vue de corriger. (Interruption.)
J'examine ce qui s'est fait avant les élections et je réponds à une accusation qu'on a lancée contre la gauche. Nous voulions la loi la plus loyale qui puisse être faite en matière électorale. A la veille du jour où on allait consulter le pays, nous avons voulu que tous les électeurs pussent légalement, complètement exprimer leur opinion.
Vous nous avez accusés d'agir ainsi, parce que nous ne pouvions pas gagner la majorité autrement qu'en augmentant le nombre des représentants dans les arrondissements où le libéralisme triomphait, vous nous avez accusés d'avoir fait un calcul d'après lequel nous aurions augmenté forcément la gauche au détriment de la droite.
Si ce calcul avait été fait, il était légitime, attendu que si, en réparant une injustice, on faisait une chose avantageuse à la gauche, la gauche avait le droit de réclamer la mesure, de même que la droite aurait parfaitement le droit de provoquer la réparation d'une injustice, alors que cette mesure doit lui être avantageuse.
On ne peut pas contester le droit de réclamer l'application des principes fondamentaux de la Constitution, de réclamer l'égalité de tous les arrondissements électoraux. Nous n'avons pas fait autre chose.
Vous avez prétendu que le pays était pour vous, vous avez prétendu qu'en faisant une opposition factieuse, qu'en vous retirant, qu'en refusant de remplir votre mandat législatif, qu'en désertant votre poste, vous nous empêcheriez de faire voter la loi et par là de conquérir une majorité plus complète.
Eh bien, le pays a prononcé. Vous avez triomphé dans cette Chambre, en ce que vous avez empêché le vote de la loi, mais le pays a été consulté. L'honorable M. de Theux dit que le pays n'a pas donné tort à la droite sur ce point, que le pays n'a pas condamné la retraite de la droite ; mais s'il n'a pas condamné la retraite de la droite, qu'est-ce que le pays a condamné ? Que le pays ait condamné votre retraite, ou les principes que vous défendiez avant votre nouveau programme, ou votre nouveau programme, toujours est-il que le pays s'est prononcé contre vous.
L'honorable M. de Theux dit qu'une pression gouvernementale a été exercée sur les élections. J'avoue que je ne me suis pas apercu de cette pression. J'en ai bien vu une autre ; mais je crois qu'en Belgique le gouvernement n'est pas assez puissant pour exercer une forte pression sur les élections. Je connais un pouvoir qui use illégitimement d'une grande influence morale et qui a abusé de sa position pour influencer à son profit les dernières élections comme jamais il ne l'avait fait. (Interruption.)
Il est avéré que jamais le clergé n'a été employé comme agent électoral au même degré qu'il l'a été dans les dernières élections.
Voilà où ont été les grandes influences ; et si vous aviez l'opinion publique pour vous, si, comme vous l'avez prétendu, les principes libéraux avaient fait leur temps, si, comme vous l'avez cru, à l'aide de votre (page 630) programme nouveau, on avait pu vous considérer comme les défenseurs de la liberté, comme étant ceux qui défendaient les principes sympathiques au peuple beige, vous auriez eu la majorité ; ce n'est pas la pression du gouvernement qui aurait pu empêcher l'opinion publique de se faire jour. A aucune époque de notre histoire, la pression du gouvernement dans notre pays n'a pu empêcher, lorsque ce gouvernement était antipathique, que les élections fussent contre lui.
Il y a donc un fait que vous ne pouvez modifier ; çc sont les élections. Elles ont donné la majorité au parti libéral, parce qu'il avait les sympathies du pays, et parce que le parti catholique, malgré les principes nouveaux qu'il arborait, bien qu'il eût répudié les anciens principes, qu'il eût pris une face plus jeune et plus riante, n'inspirait aucune confiance. Ce sac enfariné n'inspirait confiance à personne. Le pays a mis la sienne en ceux qui pratiquaient la liberté depuis longtemps, en ceux qui ont. toujours été ses défenseurs, et non en de nouveaux convertis.
Voilà le sens des élections de l'année dernière.
MpVµ. - Nous avons commencé par le Mexique et nous en voilà bien loin. L'incident du Mexique est clos ; veut-on commencer un autre incident ?
La parole est à M. de Theux.
M. de Theuxµ. - Je la cède à M. Dumortier.
M. Dumortier. - Je ne m'attendais pas à prendre part à ce débat, mais les expressions qui viennent de sortir de la bouche de l'honorable préopinant me forcent de rompre le silence. Je ne puis pas laisser qualifier la droite d'opposition factieuse, je ne puis pas la laisser accuser d'avoir manqué à ses devoirs sans protester de toute l'énergie de mes convictions et de ma conscience contre de pareilles expressions. Je conçois de pareilles paroles dans la presse quotidienne. Mais je n'aurais jamais cru qu'elles pussent sortir de la bouche d'un membre de cette Chambre qui viendrait qualifier ses collègues d'opposition factieuse.
Où est donc cette opposition factieuse ? Quelle a été la situation dans laquelle j'ai été délégué par mes honorables amis pour prendre la parole dans cette circonstance et c'est surtout ce qui me force à rappeler ici les faits.
Les deux partis se balançaient. Il n'y avait plus de majorité, comme vous l'a très bien dit mon honorable ami M. de Theux, ni à droite, ni à gauche.
Le ministère avait été démissionnaire parce qu'il n'avait plus de majorité. Il rentrait au pouvoir n'ayant pas la majorité. C'est dans cette situation que l'honorable M. Orts, usant de son initiative, est venu déposer sur le bureau, l'avant-veille de notre séparation, j'insiste beaucoup sur ces mots, l'avant-veille de notre séparation, alors qu'un grand nombre de membres de la droite étaient déjà retournés dans leurs foyers...
M. Allard. - Ils devaient rester à leur poste.
M. Dumortier. - ... convaincus qu'ils étaient, qu'il n'y avait plus à l'ordre du jour que des votes définitifs à émettre ; c'est alors, dis-je, qu'usant de son initiative, l'honorable M. Orts est venu présenter un projet de loi pour augmenter le nombre des députés.
Mais ce projet, quel était-il ? quel était-il dans le fond ? quel était-il dans la forme ?
Au fond, ce projet de loi n'était pas légal, puisqu'une loi votée, quelques années auparavant, ordonnait de déterminer le nombre des représentants après le recensement général. Le recensement général n'avait pas eu lieu. La base sur laquelle l'augmentation du nombre des députés devait se faire, manquait donc entièrement. Aussi, de ce côté, le projet ne reposait sur rien, il ne reposait que sur le caprice de ceux qui le présentaient.
M. de Mérode. - Il violait la loi.
M. Dumortier. - Il violait la loi, comme on le dit fort bien.
Quant à la forme, ce projet était composé de telle manière, que tel district, qui n'avait, je crois, que 58,000 habitants, obtenait deux représentants et un sénateur, en violation de la Constitution, et cela parce qu'on avait l'espoir que, dans ce district, on aurait obtenu une majorité libérale.
Eh bien, c'était là un très vilain acte de la part de la droite. Arriver, la veille d'une séparation, lorsque les membres de l'opposition étaient retournés dans leurs foyers, parce que tous nous étions convenus entre nous de partir deux jours après, lorsque vous étiez tous à vos bancs et que nous n'étions pus aux nôtres ; arriver avec un pareil projet, c'était un acte inqualifiable, c'était un acte malhonnête. (Interruption.)
MpVµ. - M. Dumortier, vous ne pouvez pas dire qu'un acte malhonnête ait été posé ici. Cela n'est pas parlementaire.
M. Dumortier. - Cela est très parlementaire. Quand je parle d'un acte, j'ai le droit de le qualifier. Ce que je dis de l'acte ne se rapporte pas à la personne. C'est dans mon droit et c'est très parlementaire de qualifier un acte.
MpVµ. - Vous ne pouvez suspecter les intentions de vos collègues.
M. Dumortier. - Je ne suspecte pas les intentions de mes collègues. Il n'y a rien contre les intentons, quand je déclare qu'un acte est malhonnête. Un acte est de sa nature malhonnête, quand il vient se poser l'avant-veille du départ de la Chambre, lorsqu'une grande partie de l'assemblée est rentrée dans ses foyers. J'aurais pu me servir d'une expression beaucoup plus forte.
Ce n'est pas tout.
Le projet de loi est présenté. Comment les choses se passent-ellcs ? A l'instant même, lorsque nos bancs étaient déserts, car la plupart d'entre nous n'y étaient pas, elle est prise en considération. Nous ne savions pas seulement que vous alliez présenter cette proposition de loi.
Vous aviez très bien gardé le secret. Personne de nous ne le soupçonnait.
Le lendemain le projet de loi est envoyé dans les sections, et qu'arrive-t-il ? C'est qu'en l'absence des nôtres, pas un seul membre de la droite n'est appelé à faire partie de la section centrale.
Vous constituiez la moitié de la Chambre et vous composez une section centrale à vous seuls. C'était le vendredi. Le samedi, la Chambre devait se retirer, et nous savions que le rapport était déjà fait, que dans la séance il serait déposé et que le lendemain la proposition de loi serait votée.
Dans une pareille situation, que devions-nous faire ? Nous ne pouvions qu'user d'un droit : la résistance à l'arbitraire. Vous parlez toujours des principes de 89. Savez-vous ce que proclame un de ces principes ? C'est que c'est un devoir pour tout homme libre de résister à l'arbitraire, et c'est ce que nous avons fait.
M. Bara. - Je ne puis m'empêcher de protester immédiatement contre les dernières paroles de l'honorable M. Dumortier. Il est vraiment inconcevable qu'un député qui ne cesse de se dire partisan du régime parlementaire, un homme qui est, comme il le prétend toujours, depuis trente ans dans les assemblées législatives, vienne dire ici que la résistance à l'autorité constituée est un devoir et que c'est là un principe de 89.
M. Dumortier. - La résistance à l'arbitraire.
M. Bara. - Vous confondez à dessein ; vous savez parfaitement que ce que vous appelez l'arbitraire était l'autorité constituée, la majorité légale.
- Plusieurs membres à droite. - Non ! non !
M. Bara. - Car quelle était la position de la Chambre ? Vous venez dire qu'il n'y avait plus que des minorités, une minorité libérale et une minorité catholique. Mais il y avait une Chambre, et aucun membre n'avait le droit de refuser sa présence et son vote. (Interruption.)
Vous n'avez pas le droit de diviser la Chambre en parti libéral et en parti catholique.
Vous êtes en dehors de la Constitution, tous les membres de la Chambre sont les représentants de la nation ; et nous ne serions ici que 59, que nous aurions parfaitement le droit de délibérer, la majorité serait alors bien moins grande que celle que nous avions avant la dissolution.
Ainsi donc, bien que l'opinion libérale n'avait pas eu une voix de plus que la moitié des membres de la Chambre, encore y avait-il une majorité légale qui lui appartenait.
Sinon, votre thèse revient à dire qu'il n'y a plus de Chambre dès que quelques membres viennent à mourir.
Il y avait donc alors une Chambre des représentants capable de délibérer et devant délibérer, et c'est par votre retraite illégale et inconstitutionnelle que vous avez empêché cette autorité de fonctionner, que vous avez empêché la Chambre de siéger. Et aujourd'hui vous voulez vous faire pour ainsi dire une gloire de vous être retirés en masse et avec préméditation, dans le but d'arrêter les travaux d'un pouvoir de l'Etat.
Ce n'est pas assez pour vous, le grand parti conservateur, d'avoir donné l'exemple de la désobéissance à la Constitution, il faut que vous veniez dans cette enceinte proclamer que la résistance à la majorité légale est un devoir. (Interruption.)
Et, pour excuser une pareille thèse, on avancera que nous avons opprimé la minorité et que la minorité avait dès lors le droit de venir refuser sen concours, comme s'il peut être question d'opprimé au sujet de l'exercice du droit d'initiative parlementaire.
(page 651) Mais vous avez été jugés. Quand l'honorable M. de Theux est venu dire tout à l'heure : « Ce n'est pas notre retraite qui a été jugée par le corps électoral », il a oublié, cet honorable chef de la droite, qu'il avait signé un manifeste dans lequel il justifiait cette retraite devant le corps électoral, et en faisait l'objet de la lutte. La droite s'était réunie à Bruxelles pour faire ce manifeste, où l'on disait qu'on avait voulu résister à la pression de la gauche, à l'arbitraire du gouvernement, et où on demandait le renversement de la majorité précisément à cause de l'acte qui avait prétendument justifié la désertion du parti clérical.
Eh bien, qu'a répondu le corps électoral ? Il a dit : Je ne veux pas de vos principes, je ne veux pas de votre résistance à la loi, j'approuve la majorité dans ce qu'elle a fait, et j'augmente le nombre de ses membres.
Il vous a condamnés, et vous vous êtes tus après cette condamnation. Vous avez eu bien souvent l'occasion de prendre la parole à ce sujet depuis l'ouverture de la session ; vous n'en avez rien fait ; aujourd'hui vous relevez la tête, espérant que le pays aura oublié vos actes.
Nous ne craignons pas la discussion sur les faits qui ont précédé la dissolution, et si nous n'en prenons pas l'initiative, c'est bien plutôt dans votre intérêt que dans le nôtre ; c'est surtout dans l'intérêt du pays : nous avons fait des lois utiles, et c'est vous qui soulevez les questions irritantes. Dans une autre enceinte il y a encore en ce moment une question irritante, ce n'est pas l'opinion libérale qui l'a fait naître. Il en est de même de ce débat dans cette Chambre. (Interruption.)
- Voix à droite. - Et M. Hymans !
M. Bara. - M. Hymans n'a fait qu'une simple observation, comme M. Bouvier en avait fait plusieurs sur ce même objet depuis l'ouverture de la session sans qu'on eût cru devoir soulever une discussion à cette occasion.
M. Guillery a dû protester contre les paroles de M. de Theux. Si M. de Theux ne s'était pas levé pour incriminer les actes de la gauche, pour dire que la gauche avait été, avant la dissolution, une minorité qui voulait par ses intrigues usurper le pouvoir, cet incident ne se serait pas produit.
Quoi qu'il en soit nous avons un enseignement à retirer de ce débat : nous constatons devant le pays que M. Dumortier considère comme un devoir pour un représentant de résister à la loi, de refuser l'exercice de son mandat quand le projet de loi ne lui plaît pas. L'honorable membre considère comme un devoir la résistance à l'autorité, et il invoque à ce sujet les principes de 89. Voilà la conduite des vétérans du grand parti conservateur !
M. Dumortier (pour un fait personnel). - Je ne puis pas comprendre que l'honorable membre qui vient de se rasseoir puisse interpréter, tourner ma pensée comme il vient de le faire. Suivant lui, j'aurais dit qu'il était du devoir de la minorité 'e résister à l'injonction de la loi, de résister à l'autorité de la majorité légale. Je n'ai rien dit de semblable ; j'ai dit que dans vos principes de 1789 que vous invoquez toujours, il est écrit que la résistance à l'arbitraire est le plus saint des devoirs. Voilà vos propres principes. La résistance à l'arbitraire, il ne s'agit pas ici de l'autorité ; il ne s'agit pas d'autre chose que de l'arbitraire. Eh bien, votre proposition c'était un acte arbitraire, un acte mauvais, et vous vouliez vous servir de nous pour faire passer une motion que vous ne pouviez pas faire passer sans nous.
M. Orts. - J'avais incontestablement le droit de prendre la parole pour un fait personnel, et cependant je n'ai pas réclamé lorsque M. D umortier l'a obtenue avant moi ; mais ce que je ne puis laisser passer sans le relever immédiatement, c'est l'expression que l'honorable M. Dumortier a cru pouvoir employer en caractérisant la proposition dont je suis l'auteur, et en l'appelant un acte malhonnête.
L'honorable M. Dumortier moins que personne devrait dans cette enceinte juger au point de vue de l'honnêteté es que certains membres se permettent d'y dire et d'y faire. L'honorable membre devrait se souvenir que, par une décision de la Chambre qui lui est spéciale et qui est sans précédents dans notre histoire parlementaire, il a été condamné à voir rectifier au Moniteur un discours qu'il y avait inséré et qu'il n'avait pas prononcé.
Après ce fait que je rappelle, je crois n'avoir plus besoin de m'inquiéter de la qualification de procédé malhonnête appliquée à ma proposition par l’honorable M. Dumortier.
Maintenant, messieurs, ma proposition était dans mon droit. En effet j'entendais tout à l'heure d'honorables membres de la droite s'insurger à l'idée seulement que quand un membre use de son droit d'interpellation, il pourrait appartenir à la majorité de décider simplement que cette interpellation sera discutée un jour plutôt qu'un autre, et moi je n'aurais pas pu choisir mon jour et mon heure pour user d'un droit parlementaire autrement important que le droit d'interpellation, c'est le droit d'initiative.
J'ai usé de ce droit le jour que j'ai choisi. Pourquoi ?
Parce que précisément l'abstention de la droite nous indiquait que si je ne me pressais point, je finirais par me trouver devant une assemblée qui ne serait pas en nombre pour discuter ma proposition.
Si les membres de la droite, dont l'absence vient d'être approuvée par M. Dumortier, avaient été à leur poste, comme c'était leur devoir d'y être jusqu'au dernier jour de la session, ils n'auraient pas eu à se plaindre de l'arrivée imprévue de ma proposition. Le premier tort était aux absents. Membres de la Chambre, acceptant le mandat d'y représenter le pays, nous devons être sur nos bancs jusqu'au jour où la clôture de la session nous décharge de notre mandat, et lorsque nous n'y sommes pas, nous manquons à nos devoirs de représentants.
La droite s'est plainte d'un premier manquement aux devoirs de plusieurs de ses membres pour justifier le manquement collectif bien plus grave, la désertion en masse.
L'honorable M. Dumortier reproche à la proposition de s'être présentée dans des conditions où l'absence d'une partie de la droite rendait l'opposition impossible.
L'honorable membre oublie une chose, c'est que lorsque la proposition a été examinée en sections, aucun reproche de ce genre n'a été fait.
Les collègues de l'honorable M. Dumortier assistaient aux sections. Il y a eu plusieurs critiques qui s'adressaient au fond, mais rien n'a été dit quant à la forme et au caractère intempestif que l'on attribue aujourd'hui au projet.
M. Coomans. - Je l'ai fait dans ma section.
M. Orts. - Vous avez dit, les procès-verbaux sont là, qu'on ne pouvait pas modifier la représentation de chacun des arrondissements du pays avant l'arrivée de l'époque du recensement, mais vous n'avez pas dit que la proposition que j'avais présentée était entachée d'un vice quelconque parce qu'elle avait été présentée ce jour-là plutôt que tel autre.
M. Coomans. - Nous avons proposé l'ajournement à six mois.
M. Orts. - Vous avez demandé l'ajournement jusqu'au moment où les tableaux de recensement auraient fourni la preuve que vous demandiez.
Vous avez eu le temps nécessaire pour vous préparer à venir combattre tous ensemble dans cette enceinte la proposition qui était faite.
Vous oubliez que lorsque la droite s'est mise en grève, la gauche, la majorité d'alors a donné l'exemple de l'accomplissement de ses devoirs jusqu'au bout. Après votre retraite, nous sommes venus ici pendant plusieurs jours vous attendre ; vous aviez eu le temps alors de grossir vos rangs et vous pouviez reprendre vos bancs. Il n'y avait de surprise pour personne.
Vous n'avez pas jugé convenable de discuter, parce que cette discussion ne pouvait pas vous être utile, parce que le pays aurait immédiatement compris que vous discutiez contre une justice réclamée en son nom, que vous repoussiez une mesure commandée par la dissolution même que vous appeliez de tous vos vœux.
Le caractère de la dissolution était évidemment faussé si cette mesure n'était pas accomplie avant les nouvelles élections ; le jugement du pays était faussé, puisque certains électeurs seraient représentés dans une proportion plus forte que d'autres.
Vous n'avez pas voulu de cette mesure, parce que la réparation qu'elle avait pour objet de consacrer ne vous profitait pas.
L'honorable M. Dumortier se lève et dit que l'opposition parlementaire a un devoir, c'est de résister à l'arbitraire, même en abandonnant son poste.
Ce devoir, messieurs, n'existe pas.
J'ai entendu proclamer parmi les principes de 1789, que rappelait l'honorable M. Dumortier, que l'insurrection est le plus saint des devoirs contre l'arbitraire ; mais jamais, pas plus en 1789 qu'à d'autres époques, ce principe n'a été invoqué pour justifier un refus de concours ou d'accomplissement de devoir ou de mandat de la part de ceux qui sont revêtus d'une qualité ou d'une fonction publique.
M. Van Overloopµ. - Il y en avait une masse qui fuyaient pour ne pas laisser leur tête sur l'échafaud.
M. Orts. - Les masses pensent user du bénéfice que réclame l'honorable M. Dumortier, mais ceux qui sont revêtus d'une fonction publique, qui ont un mandat légal à remplir n'ont pas à réclamer le bénéfice de l'insurrection.
Vous aviez une force légale, vous aviez un devoir à remplir, et ce devoir c'était non pas de fuir, mais de vous dresser devant la majorité, de (page 652) rendre le pays juge par vos discours, de protester de vos bancs, mais non pas au Parc en dehors de l'enceinte parlementaire.
Ce devoir vous ne l'avez pas rempli.
Je n'adresserai à votre conduite aucune qualification. Je n'ai pas l'habitude d'employer des termes désobligeants pour mes honorables collègues ; j'en suis, par parenthèse, assez peu récompensé, comme vous venez de l'entendre, mais je dis que vous n'avez pas accompli le mandat que le pays vous avait donné.
Si, comme vous le prétendez toujours, vous avez le pays derrière vous, vous auriez dû nous dire alors ce que disait un jour avec vérité cette minorité libérale de 5 membres qui a résiste longtemps aux exigences, aux prétentions de la majorité de la restauration qui partageait vos convictions politiques d'aujourd'hui. Nous ne sommes que cinq, mais derrière nous se trouve le pays.
Le pays a montré dans les élections qu'il était avec nous, car la minorité est rentrée ici amoindrie, décimée et décimée dans des proportions telles, que d'ici à longtemps elle ne récupérera pas la position qu'elle a perdue par sa désertion.
M. de Theuxµ. - Messieurs, il est dans les habitudes de plusieurs membres de la gauche de se glorifier beaucoup, de vanter tous les actes posés par la gauche et de les trouver à jamais irréprochables.
Partant de là, je dois rappeler au pays un fait, c'est qu'en 1856, plusieurs membres les plus notables de la gauche se sont retirés au moment d'un vote sur un crédit nécessaire pour l'exploitation des chemins de fer. (Interruption.)
C'était, messieurs, le dernier jour de la session, et le pays a été privé d'un élément de prospérité pendant plusieurs mois. (Interruption.)
Je n'ai point, à cette occasion, adressé de reproche aux membres qui se sont retirés. Ils étaient dans leur droit strict, je le reconnais, mais de quel droit venez-vous nous blâmer lorsque, par mesure défensive, nous avons imité l'exemple de vos chefs ?
Pour justifier, messieurs, la proposition dont il s'agit, on a dit qu'il s'agissait d'un droit constitutionnel pour tous les districts d'être représentés d'après leur population actuelle et qu'il fallait à toute force une réforme électorale. Cela conduit à dire que chaque année il faut une réforme électorale, mais cela n'est pas vrai, cela ne se trouve pas dans la Constitution.
Ce système est même condamné formellement par un article de la loi, loi de principe présentée par M. Rogier, aujourd'hui ministre des affaires étrangères, qui a demandé qu'il y eût une réforme tous les dix ans et qui s'est opposé à toute réforme arbitraire. Où en serions-nous si à chaque occasion, tantôt la droite, tantôt la gauche, venait bouleverser la situation parlementaire par une réforme électorale.
Dites qu'il en faut une tous les ans ou tenez-vous-en au principe que vous avez vous-mêmes proclamé.
Voilà ce que nous demandons, et je dis que la loi proposée dans l'état où étaient les deux Chambres était une loi intempestive.
Vous vous prévalez du résultat des dernières élections. Nous sommes tous exposés à les accidents, mais les élections aussi bien que les lois sont sujettes à l'appréciation de l'opinion publique.
Quel que soit le résultat des élections, les lois faites par une majorité sont des lois véritables, nous ne l'avons jamais contesté, et M. Dumortier n'a jamais soutenu qu'on avait le droit de s'insurger contre la loi. Mais nous disons que vous ne trouverez ni dans la Constitution, ni dans aucun règlement l'obligation pour les membres de la Chambre d'être constamment présents aux délibérations et de ne se retirer sous aucun prétexte.
C'est une question qui est soumise à notre libre appréciation, et notre appréciation en cette matière n'a pas d'autre règle que notre conscience.
Je crois pouvoir dire sans aucune espèce de jactance que j'ai été au congrès et depuis un des membres les plus assidus. Il n'y en a pas beaucoup d'autres qui ne peuvent se prévaloir de la même assiduité. Ne voyons-nous pas tous les jours une partie de nos bancs déserts, surtout à la fin des sessions ? Cela n'arrive-t-ii pas dans tous les pays représentatifs.
- Voix à gauche. - Cela n'a pas d'analogie.
M. de Theuxµ. - Le moment était extrêmement inopportun à la fin d'une session, de venir déposer une proposition de loi ; c'était un procédé qui ne pouvait nous convenir et auquel nous ne pouvions pas nous associer.
Il est parfaitement inutile de continuer cette discussion ; nous aurions beau nous vanter et protester, nous n'en serions pas plus avancés ; l'opinion publique jugera entre nous.
M. Nothomb. - Pour bien apprécier la position que nous avons cru devoir prendre l'année dernière à propos de la proposition de loi de M. Orts, il faut se rappeler quel est le caractère que l'honorable membre lui-même attachait à cette proposition, C'est dans ce caractère que se trouve non seulement la justification de notre acte, mais bien plus la preuve évidente qu'au point de vue du régime parlementaire, il y a eu pour nous une nécessité impérieuse de prendre cette résolution.
Comment s'exprimait l'honorable M. Orts, en défendait sa proposition ? Ce que je vous propose, disait-il, est in acte de parti ; je mets les intérêts de mon parti au-dessus des intérêts de la justice.
- Voix à gauche. - Non, non.
M. Nothomb. - Si ce n'est l'expression, c'est au moins d'après vous le sens. M. Orts a présenté sa proposition comme un acte de parti, j'en appelle au témoignage de tous les membres de cette assemblée.
M. Orts. - Mais pas comme un acte injuste.
M. Nothomb. - Comme un acte de parti, c'est tout un.
M. Orts. - Comme un acte juste. Relisez les Annales parlementaires.
M. Nothomb. - Laissez-moi m'expliquer.
M. Orts. - Ne défigurez pas ma pensée.
M. Nothomb. - Je maintiens que vous avez dit que votre proposition était un acte de parti, que vous placiez les intérêts de votre parti au-dessus de toute considération secondaire et que vous vouliez faire l'affaire de votre opinion. Je rappelle littéralement quelques-unes de vos propres expressions.
M. Orts. - Non.
M. Nothomb. - Les Annales sont là pour décider qui a raison. Vos paroles nous ont paru, au moment même, une telle énormité que nous les avons littéralement reproduites et conservées dans nos discours. C'était la réalité prise sur le fait.
Vous avez proclamé que votre proposition était un acte de parti. Cela suffit. C'est contre cette audacieuse déclaration que nous nous sommes élevés et c'est alors que notre conduite nous a été imposée.
M. de Moorµ. - Par qui ?
M. Nothomb. - Par votre procédé d'abord et puis par le respect pour la Constitution elle-même, car notre régime parlementaire serait faussé le jour où une majorité, que vous n'étiez plus d'ailleurs, pourrait imposer sa volonté au nom d'un intérêt de parti, pour faire les affaires de son parti.
- Voix à gaucheµ. - Vous deviez rester à vos bancs pour combattre cette proposition.
M. Nothomb. - Nous l'avons essayé, mais c'était peine perdue nous connaissions d'avance notre sort, il était décidé, nous étions condamnés et nous aurions rempli un rôle de dupe en consentant bénévolement à vous servir de lest pour accomplir ce que vous nommiez vous-même un acte de parti. C'eût été de la naïveté, de la niaiserie politique, c'eût été nous abaisser misérablement comme grande opinion politique. Un tel rôle était indigne de nous et vous eût permis de dénaturer de plus en plus le système parlementaire qui repose essentiellement sur la bonne foi et la loyauté.
Dans cette situation extrême, sans précédent, il ne nous restait qu'un moyen, un seul, de nous opposer par notre abstention à la perpétration d'un expédient de parti, d'un acte injuste.
M. Orts. - Non, d'un acte juste.
M. Nothomb. - Un acte de parti, dans ces conditions, est nécessairement un acte injuste, et la preuve palpable que votre proposition était injuste, c'est qu'elle n'est pas reproduite.
M. Orts. - Elle l'est.
M. Nothomb. - Pas sérieusement. Si la mesure que vous proposiez était si juste, si elle était réclamée, commandée par les intérêts sacrés des électeurs, comment se fait-il que vous l'abandonniez ? Soyez donc conséquents et sincères, et proposez-la de nouveau.
M. Guillery. - Soyez tranquille.
M. Nothomb. - Vous me donnez par là le droit de redire que votre proposition était non seulement un acte de parti, mais un acte inique.
M. Orts. - Non.
M. Nothomb. - C'était, dans tous les cas, un acte excessif et dépourvu de loyauté politique, une surprise à laquelle personne ne pouvait s'attendre, une manœuvre dont la violence le disputait à l'étrangeté, devant laquelle plusieurs de vos propres amis ont été alarmés et que le pays a réprouvée.
- Voix à gauche. - Oh ! oh ! Comment donc ?
M. Nothomb. - Oui, car nous sommes revenus ici en grand nombre, et s'il était vrai que nous aurions posé un acte inconstitutionnel, illégal, le pays aurait eu assez de bon sens pour ne pas renvoyer sur ces bancs des brouillons ou des factieux.
Nous avons rempli notre devoir, nous avons usé de notre droit, et je (page 653) déclare, quant à moi, que si pour préserver nos institutions menacées et résister à une prétendue majorité tyrannique et ouvertement partiale, il fallait encore recourir à la même extrémité pour la réduire à l'impuissance, je n'hésiterais pas un instant et que j'en appellerais sans crainte à la conscience du pays.
- Voix à droite. - Très bien !
M. Goblet. - J'ai éprouvé une grande satisfaction en entendant défendre par M. Dumortier le droit à l'insurrection.
- Voix à droite. - Il n'a pas défendu le droit à l'insurrection.
M. Goblet. - Permettez... (Interruption.) Vos rires ne me troubleront pas et je dirai ce que je pense, comme je le pense. Ainsi riez, si vous le voulez, mais vous finirez par rire jaune.
J'ai éprouvé, dis-je, une grande satisfaction, parce que cela m'a rappelé qu'un jour vous aviez une magnifique majorité, vous aviez 70 voix et vous aviez, pour vous conduire, des hommes que nous respections nous-mêmes, des hommes fidèles à leurs convictions, mais modérés dans leurs opinions. Vous aviez imposé, par votre fanatique intolérance, à ce ministère, la loi de la liberté de la charité, que le pays a qualifiée, en la flétrissant, de loi des couvents. C'était de l'arbitraire, et d'après la théorie de l'honorable M. Dumortier, nous aurions pu, nous aussi, nous mettre en grève. Nous ne l'avons pas fait ; nous n'avons pas fait désertion ; nous n'avons pas quitté notre poste. C'est vous qui encore une fois avez quitté le vôtre ; c'est vous qui n'avez pas su vous défendre avec votre majorité si puissante en apparence.
M. Thonissenµ. - Contre qui ?
M. Goblet. - Contre la minorité, qui n'a cependant fait aucun acte d'insurrection. (Interruption.) Je vous défie de citer un seul député libéral qui ait fait de la violence.
L'esprit public vous a blâmés et il vous l'a prouvé par les élections communales où le libéralisme a triomphé presque unanimement et à la suite desquelles votre ministère s'est retiré six mois après pour faire place à des ministres libéraux qui, eux, ont remporté une nouvelle victoire décisive par la dissolution des Chambres.
Vous parlez de votre courage. Mais vous étiez bien nombreux dans cette enceinte et vous n'avez pas ose faire appel au pays dont vous redoutiez l'irritation ? Les libéraux qui étaient minorité se sont toujours maintenus ici et n'allaient pas tenir des réunions au Parc, chez Velloni, comme vous l'avez fait en 1864.
Je ne connais pas d'acte d'intolérance politique plus grand que cette loi de la liberté de la charité, et vous arriveriez dix fois au pouvoir, que vous n'oseriez plus la présenter, ni défendre ces principes hostiles à nos institutions libérales.
La conduite que vous avez tenue en 1864 a été forcément la conséquence de celle dont vous avez donné le spectacle en 1857. Vous avez montré une faiblesse que je ne veux pas qualifier, parce qu'il est inutile, comme le dit l'honorable M. Orts, de dire des impertinences à ses adversaires et je vous laisse la liberté de qualifier votre désastreuse et ridicule retraite comme vous l'entendez.
M. Guillery. - Je ne suis pas de l'opinion de l'honorable M. de Theux, qui pense que cette discussion ne peut aboutir à rien.
Elle ne changera, dit-il, l'opinion de personne.
II me semble qu'elle aboutira au moins à une chose ; c'est à montrer une fois de plus quels sont les principes conservateurs de la droite. La droite, comme parti conservateur, a montré comment elle respecte les principes constitutionnels. Comme parti libéral, elle a montré plus d'une fois comment elle respecte les libertés.
D'après l'honorable chef de la droite, il n'y a rien dans la Constitution qui oblige un représentant à être assidu aux séances. C'est très vrai. Aussi je ne crois pas qu'un représentant qui s'absente parce qu'il a des affaires personnelles, urgentes, parce qu'il voit qu'il y a assez de ses collègues présents pour que les affaires soient expédiées, parce qu'il croit, en d'autres termes, que sa présence n'est pas indispensable, ait rien à se reprocher. Je suis prêt aussi à reconnaître que l'honorable chef de la droite est un des membres les plus assidus de cette Chambre.
Mais toute cette assiduité ne peut compenser sa retraite de l'an dernier. Ce qui n'est pas permis, c'est de former une coalition contre la loi. Ce qui n'est pas permis, c'est de se réunir, de prendre en commun une décision et de venir déclarer, au nom d'une fraction de la Chambre, qu'on s'absentera pour empêcher les délibérations. Tant que le Roi n'a pas clos la session, quand il nous convoque, notre devoir est de nous réunir et vous n'avez pas le droit, vous, comme membres de la droite, de prendre la décision de ne pas siéger, de même que nous tous, comme Chambre, nous n'avons pas le droit de ne pas nous réunir quand nous sommes convoqués en session ordinaire ou en session extraordinaire.
Si la Chambre décidait qu'elle ne se réunira pas, alors qu'elle eût convoquée, elle serait factieuse ; elle violerait la loi et l'on pourrait dire qu'il n'y a plus de liberté en Belgique, parce que la première condition de la liberté est le respect de tous pour la loi.
Le jour où les pouvoirs indépendants qui doivent coopérer au gouvernement du pays, qui ont chacun leurs prérogatives, méconnaîtraient réciproquement ces prérogatives ; le jour où le pouvoir exécutif méconnaîtrait les prérogatives de la Chambre, où la Chambre méconnaîtrait les prérogatives du Sénat, où le pouvoir judiciaire méconnaîtrait les prérogatives parlementaires, il n'y aurait plus de liberté ; nous n'aurions plus de refuge que dans le despotisme pour sortir de l'anarchie.
Eh bien, ce qu'a fait la droite est un commencement d'anarchie. Il ne s'agit pas ici de quelques représentants isolés qui s'absentent ; c'est une partie de la Chambre qui déclare que pour des motifs politiques, pour empêcher les délibérations du corps législatif, elle ne se réunira plus, qu'elle empêchera la volonté de la majorité de faire loi en Belgique.
Je le répète, ne confondez pas une semblable retraite avec l'absence plus ou moins volontaire de quelques membres qui ne fréquentent pas assidûment les séances. Il n'y a là aucune espèce de rapport.
L'honorable M. Nothomb nous disait que cette retraite n'était pas seulement un droit, que c'était un devoir, en présence de la déclaration qu'avait faite l'honorable M. Orts. Je veux, pour un instant, que ce fût là une déclaration coupable. Mais qui vous disait que pas un membre de la majorité ne se rendrait à de bonnes raisons, si vous aviez à en donner ? Qui vous dit que si l'honorable M. Orts avait fait une déclaration inconstitutionnelle, s'il avait déclaré qu'il voulait faire passer comme loi la volonté d'un parti, uniquement dans l'intérêt de ce parti, il ne se serait pas trouvé au moins un membre de la majorité qui n'aurait pas voulu participer à un pareil acte ?
Quand vous vous êtes retirés, je me rappelle avoir dit à la droite : Pourquoi vous retirez-vous ? Qui vous dit que la discussion ne portera pas ses fruits ? De quel droit venez-vous dire que pas un de nous ne se rendra à des arguments que vous considérez comme décisifs ?
II y avait de votre part un outrage à la majorité, comme il y avait une violation de tous les principes constitutionnels.
Mais qu'a dit l'honorable M. Orts ? On a abusé, dans cette Chambre et hors de cette Chambre, d'une expression dont il s'est servi, et l'on a traduit sa pensée de manière à la dénaturer complètement. On a abusé des mots « acte de parti » pour lui faire dire, comme vient de le lui faire dire l'honorable M. Nothomb, qu'il voulait le triomphe de son parti même contrairement à la loi, contrairement à la justice et à l'équité.
Or, jamais expression semblable n'est sortie et ne pouvait sortir de la bouche de l'honorable M. Orts. Ce qu'il a dit, et ce qui était clair, c'est que cet acte étant avantageux au parti libéral, il était naturel que ce fût un membre de la gauche qui en prît l'initiative, de même que si un acte était avantageux au parti contraire, il serait naturel qu'un membre de la droite en prît l'initiative.
Voilà le sens de la déclaration de l'honorable M. Orts. On a feint de la comprendre autrement. On voulait trouver un futile prétexte à une retraite inconstitutionnelle.
Voilà ce qui s'est passé, lorsque la droite s'est retirée.
Bien que je sache jusqu'où peut aller l'illusion des partis, j'avoue que j'ai été surpris d'entendre l'honorable M. Nothomb dire que le pays nous avait condamnés !
Comment ! lorsque les élections se sont faites principalement sur cette question, comme l'a rappelé tout à l'heure l'honorable M. Bara ; lorsque dans notre manifeste comme dans le vôtre, c'est à cette question que nous nous attachions avant tout ; lorsque nous avons déclaré, de part et d'autre, que nous la soumettions au jugement du corps électoral, vous venez dire que le pays nous a donné tort ; il nous aurait donné tort, alors qu'il nous a renvoyés dans cette enceinte avec une majorité suffisante pour gouverner, et tellement suffisante que la droite n'entame aucune espèce de discussion politique, car ce n'est qu'incidemment et comme par malheur que la discussion actuelle a été soulevée.
J'ai vu en effet le pays condamner un gouvernement. J'ai vu des actes arbitraires comme ceux dont a parlé l'honorable M. Dumortier ; j'ai vu un acte arbitraire d'une majorité arbitraire et tyrannique ; j'ai vu une majorité faible et violente à la fois ; faible, en ce qu'elle cédait à une pression, elle cédait aux hommes d'un pouvoir qui n'a pas qualité pour commander ici ; violente, en ce qu'elle voulait imposer au pays une loi qu'il repoussait de toutes ses forces.
J'ai vu un ministère plus faible encore subir les lois de ce pouvoir occulte, j'ai vu alors le pays se lever comme un seul homme et renverser une majorité catholique de 70 membres, pour la remplacer par une majorité libérale numériquement égale.
Voilà comment l'opinion publique vous a jugés et condamnés, le jour où vous avez été annelés devant elle, comme gouvernement, pour (page 654) soumettre vos actes à son appréciation souveraine ; voilà aussi comment elle vous a jugés et condamnés le jour où vous vous êtes présentés devant elle, comme parti d'opposition, avec votre programme libéral improvisé.
M. Bara. - Messieurs, l'honorable M. Nothomb a dit tout à l'heure que la minorité avait eu le droit de déserter la Chambre, parce que la proposition de M. Orts était un acte de parti.
J'admets pour un moment sa thèse ; et je demande à l'honorable M. Nothomb pourquoi la droite n'a pas déserté, lors de la discussion de la loi sur les fondations de bourses d'études, loi qu'elle a qualifiée aussi d'acte de parti.
Je demanderai encore à l’honorable membre si la droite a l'intention de déserter, le jour où viendra la discussion de la loi sur le temporel des cultes, loi qu'elle qualifie également d'acte de parti ? (Interruption.)
MpVµ. - Personne ne demandant plus la parole, l'incident est clos.
- Des membresµ. - A demain.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.