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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 17 février 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 519) M. Dupontµ procède à l'appel nominal à deux heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

MpVµ. - Y a-t-il des réclamations contre la rédaction du procès-verbal ?

M. Delaetµ. - Je demande l'appel nominal sur l'approbation du procès-verbal afin de constater si la Chambre est en nombre.

MpVµ. - Le bureau a constaté qu'elle était en nombre, comme c'est son droit.

M. Delaetµ. - Je ne le conteste pas, mais je demande l'appel nominal pour constater si elle l'est encore.

MpVµ. - Cette demande n'a pas de raison d'être ; d'ailleurs une section centrale, qui est encore réunie en ce moment, va bientôt avoir terminé ses travaux. Le bureau a jugé que la Chambre était en nombre.

- Une voix à droite. - On a le droit de demander l'appel nominal pour l'approbation du procès-verbal.

M. Delaetµ. - Ceci n'est pas une question de parti, car je constate qu'il y a relativement moins de membres à droite qu'à gauche.

MpVµ. - Le procès-verbal a été approuvé.

- Voix à droite. - Non ! non !

MpVµ. - Il n'est pas dans les usages de la Chambre de demander l'appel nominal sur la rédaction du procès-verbal.

M. Landeloos. - Peu importe ; nous le demandons.

MpVµ. - Avez-vous une réclamation à présenter ?

M. Coomans. - Je n'ai pas pris l'initiative de l'incident, mais je crois que chaque fois qu'un membre fait observer que la Chambre n'est pas en nombre, il y va de la dignité de la Chambre et de l'impartialité du président de faire constater le fait. Mon honorable ami M. Delaet propose le moyen le plus simple de s'assurer si la Chambre siège légalement, c'est de procéder à l'appel nominal pour l'approbation du procès-verbal.

Je ne comprends pas quel motif un seul membre de la Chambre pourrait avoir à ce que la Chambre siège quand elle n'est pas en nombre.

Nous devons être 59 et nous ne sommes que 48.

M. Pirmez. - Je crois que la théorie de M. Coomans est complètement erronée. On constate à l'ouverture de la séance que la Chambre est en nombre ; il peut arriver que dans le cours de la séance à propos d'un appel nominal, on s'aperçoive que la Chambre n'est pas en nombre ; alors la séance est levée. Mais il est impossible d'admettre que tout membre de la Chambre puisse à chaque instant demander un appel nominal pour contrôler si la Chambre est en nombre. Cette théorie est inadmissible, il n'y a pas de précédents qui l'autorisent ; elle serait, au surplus, contraire à la dignité de l'assemblée.

Je reconnais cependant que l'observation de M. Delaet pouvait être fondée, je reconnais qu'il avait le droit de demander l'appel nominal sur le procès-verbal. bien que ce ne soit qu'un moyen de faire perdre du temps à la Chambre.

Mais il y a ici une question de fait. Le procès-verbal était-il adopté oui ou non quand la demande d'appel nominal a été faite ? Je n'en sais rien, mais M. le président déclarant que le procès-verbal était approuvé...

M. Coomans. - Par qui ?

MpVµ. - J'ai demandé s'il y avait une réclamation contre l'adoption du procès-verbal ; aucune ne s'est produite ; je me suis même adressé à M. Delaet pour savoir s'il avait quelque observation à présenter contre la rédaction ; il m'a répondu que non, mais qu'il demandait l'appui nominal pour constater si la Chambre était en nombre. Je lui ai répondu que le bureau avait constaté qu'elle l'était.

M. Pirmez. - Il s’agit d'une question de fait à résoudre. Depuis 30 uns, tous les jours le procès-verbal est approuvé par la même formule ; or d'après la déclaration de M. le président, le procès-verbal ayant été adopté, il est impossible d'admettre qu'on soit en droit de réclamer l'appel nominal.

Si M. Delaet veut absolument un appel nominal qu'il présente une proposition ; quelque saugrenue qu'elle soit il aura le droit de réclamer qu'elle soit mise aux voix par appel nominal.

M. Delaetµ. - Je n'ai pas l'habitude de faire des propositions saugrenues. Je ne sais si l'adjectif est de bon goût ailleurs qu'ici ; je ne l'emploierai jamais, pour ma part, dans cette enceinte.

M. Pirmez. - Je n'ai parlé que par hypothèse.

M. Delaetµ. - En demandant l'appel nominal, je ne fais pas perdre de temps à la Chambre. Il y a une chose réellement regrettable, c'est l’absentéisme qui fleurit et gagne depuis quelque temps.

Le pays le voit, et notez que le pays n'est pas du tout satisfait de l'assiduité que mettent beaucoup de membres de la Chambre à remplir leurs devoirs. Ici, il ne peut pas y avoir, je le répète, de question de parti puisque les bancs de la droite sont relativement plus dégarnis que ceux de la gauche.

M. Bouvierµ. - Excitez donc le zèle de vos propres amis.

M. Delaetµ. - Maintenant, M. le président, je constate que j'ai réclamé l'appel nominal quand vous avez demandé s'il y avait quelque observation sur la rédaction du procès-verbal.

MpVµ. - Tous les jours le procès-verbal est approuvé de la même manière, c'est-à-dire que, quand il n'y a pas de réclamation, le procès-verbal est approuvé. Or, vous avez reconnu vous-même que vous n'aviez pas d'observation à faire sur le procès-verbal.

M. Delaetµ. - Je crois que l'appel nominal peut toujours être réclamé ; je n'ai donc fait qu'user de mon droit en demandant qu'il fût procédé à un appel nominal, et je déclare qu'en agissant ainsi je n'ai été guidé par aucun sentiment d'hostilité envers le bureau. J'ai voulu simplement faire constater si la Chambre était en nombre, parce que j'étais convaincu qu'elle ne l'était pas.

MpVµ. - Je répète que le bureau a constaté et constate que la Chambre est en nombre.

M. Delaetµ. - Maintenant, c'est possible.

M. Pirmez. - Je tiens à constater une seule chose, c'est que la proposition qu'avait faite l'honorable M. Delaet aurait eu pour résultat de faire perdre à la Chambre une séance. S'il avait été fait droit immédiatement à sa proposition, en supposant toutefois qu'elle fût fondée en fait, nous n'aurions pas siégé aujourd'hui.

Si le pays a lieu de ne pas être satisfait de ce que ses affaires ne se traitent pas assez vite, l'honorable député d'Anvers aurait pu ajouter à la part qui lui revient, à cause de cette question d'Anvers toujours renouvelée, le résultat négatif qu'il aurait obtenu aujourd'hui.

MpVµ. - Nous allons passer à l'ordre du jour.

M. Delaetµ. - Permettez, M. le président, je demande la parole pour un fait personnel. Je ne permets à personne de dire que ma proposition avait un autre but que celui que j'y ai assigné moi-même. Mon intention n'a nullement été de faire perdre du temps à la Chambre ; loin de là, j'ai voulu empêcher que nous n'en perdions beaucoup dans l'avenir ; j'ai voulu empêcher que par un absentéisme chronique, nous ne perdions quelque chose dans la considération du pays. Voilà ce que j'ai voulu.

M. Bouvierµ. - Alors, il ne fallait pas déserter l'année dernière.

MpVµ. - L'incident est clos ; il va être donné communication des pièces à la Chambre.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Claes se plaint d'avoir été démissionné de son emploi de garde-convoi au chemin de fer de l'Etat par arrêté portant une date antérieure à sa démission. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bonnevie présente des observations contre la pétition du sieur Vander Kerkhove relative aux enrôlements, sans l'autorisation du pouvoir légitime, de corps de troupes pour le service militaire étranger. »

M. Bouvierµ. - Cette pétition se rattache à la question de l'expédition du Mexique. Je demande que la commission des pétitions soit invitée à en faire l'objet d'un prompt examen, afin que la discussion en ait lieu en même temps que sur celles au sujet desquelles il doit nous être fait rapport vendredi prochain, de manière que la Chambre soit saisie du même coup du pour et du contre ; car, d'après ce que je viens d'entendre, la pétition qui vient de nous être adressée a pour objet de combattre celles qui nous ont été précédemment envoyées.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Gand demandent le suffrage universel pour les élections au conseil provincial et au conseil communal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

(page 520) « Des habitants d'Anvers présentent des observations contre le projet de loi relatif aux étrangers. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l’instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire du sieur Schifs. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Giroul, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé,

Projet de loi relatif à l’exercice du droit d’enquête en fait de vérification des pouvoirs des membres de la représentation nationale

Discussion des articles

(page 532) MpVµ. - La discussion des articles s'engage sur le projet de la section centrale, sous la réserve faite hier par M. le ministre de la justice.

Articles 1 et 2

« Art. 1er. L'exercice du droit d'enquête conféré aux Chambres par les articles 34 et 40 de la Constitution pour la vérificaton des pouvoirs de leurs membres, est réglé par les dispositions suivantes. »

- Adopté.


« Art. 2. Chaque Chambre exerce ce droit par elle-même ou par une commission formée dans son sein. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Il est procédé à l'enquête et aux délibérations qu'elle nécessite, conformément aux règles établies par la Chambre.

(page 502) M. Thonissenµ. - Messieurs, je suis du nombre de ceux qui, au sein de la section centrale, ont émis l'opinion que le droit des membres de la Chambre d'assister aux opérations des commissions d'enquête ne doit pas être consacré par un texte formel de la loi qui nous occupe. Je vais indiquer les motifs qui ont déterminé ma conduite et mon vote.

La section centrale a été guidée par une question de principe. Elle a cru que nous ne devions pas faire régler par la loi ce que nous pouvons régler nous-mêmes ; elle a pensé que nous ne devions pas demander au Sénat et au Roi l'autorisation de faire ce que nous avons le droit de faire en vertu de notre propre autorité, ou, si vous l'aimez mieux, en vertu de notre part de souveraineté ; elle a jugé dès lors que toute autre manière de procéder aurait pour conséquence inévitable l'abaissement des prérogatives constitutionnelles de la Chambre.

L'honorable M. Wasseige a annoncé hier qu'il présenterait un amendement destiné à faire consacrer par la loi même le droit pour chaque membre de la Chambre d'être présent aux opérations des commissions d'office...

M. Wasseige. - Pardon, l'amendement que j'ai annoncé tend à consacrer ce droit pour les membres dont l'élection est contestée...

M. Thonissenµ. - C'est une autre question, et j'y arriverai bientôt. En attendant, comme l'exigence à laquelle je fais allusion s'est produite au sein de la Chambre, je la prie de me laisser continuer, en expliquant les motifs pour lesquels la section centrale n'a pas cru convenable d'insérer dans la loi le droit, pour chaque membre de l'assemblée, d'être présent aux opérations des commissions d'enquête.

En vérité, je ne vois pas pourquoi il faudrait insérer cette règle dans un texte de loi. Assurément la Chambre possède le droit d'autoriser chacun de ses membres à être présent aux opérations des commissions d'enquête qu'elle forme dans son sein. Nous sommes tous d'accord sur ce point, et, d'ailleurs, tout doute est ici complètement impossible. Or, si nous sommes tous d'accord à cet égard, je ne vois pas pourquoi nous devrions demander au Sénat et au Roi la permission d'assister aux enquêtes que nous ordonnons nous-mêmes.

Tous nous voulons que chaque membre de la Chambre puisse être présent aux opérations des commissions d'enquête ; la section centrale le désire de son côté ; vous n'avez qu'à lire son rapport pour en avoir la preuve. Le gouvernement le veut aussi, et hier l'honorable ministre de la justice a déclaré qu'il lui semblait indifférent de faire consacrer le droit des membres de l'assemblée, soit par un règlement, soit par la loi. Enfin, la Chambre elle-même a deux fois manifesté son opinion de la manière la plus solennelle, dans les lois relatives aux enquêtes parlementaires de Louvain et de Bastogne.

Or, messieurs, si nous sommes tous d'accord sur ce point, nous n'avons qu'une seule chose à faire, c'est de constater cotre volonté unanime dans un règlement qui deviendra inévitablement le corollaire de la loi que nous allons voter.

D'ailleurs, si un amendement était présenté dans ce sens, je devrais le combattre encore pour un autre motif.

Cet amendement serait complètement inutile ; car déjà, dans la loi même, telle qu'elle est formulée par la section centrale, le droit des membres de la Chambre d'assister aux opérations des commissions d'enquête se trouve implicitement consacré. Pour en avoir la preuve, vous n'avez qu'à lire l'article 4 du projet de loi.

A l'article 4, il est question du cas où la commission d'enquête délègue un juge pour aller procéder à l'interrogatoire d'un témoin malade ou empêché. Eh bien, le paragraphe 2 porte : « Les pouvoirs de la commission peuvent être délégués, en cas de nécessité, à des magistrats inamovibles, sans préjudice du droit réservé à chacun des membres de la Chambre d’assister à l’enquête. »

Voici donc les droits des membres de la Chambre formellement réservés, et il est évident qu'en accordant aux membre de la Chambre le droit d'être présents aux opérations des délégués de la commission d enquête, on ne pourrait pas, sans une inconséquence énorme, refuser aux mêmes membres le droit d'assister aux opérations de leurs5 propres commissaires.

On objectera peut-être que, dans cet article 4, nous consacrons le droit des membres de la Chambre d'être présents aux opérations de la commission d'enquête, et l'on nous demandera pourquoi à l'article 3 nous ne faisons pas la même chose.

Nous ne l'avons pas fait, messieurs, par l'application des mêmes principes. La Chambre a le droit de faire des règlements obligatoires pour ses membres ; mais elle ne peut, à elle seule, faire des règlements obligatoires pour des tiers. Dès qu'il s'agit de faire un règlement obligatoire pour des tiers, il nous faut le concours des deux autres branches du pouvoir législatif, et c'est ici le cas.

Prenons un exemple. Supposons qu'un témoin important soit malade et qu'on délègue un juge d'instruction pour aller recevoir sa déposition à domicile. Des membres de la Chambre désirent assister à son interrogatoire. Eh bien, ce témoin pourrait leur dire : Vous n'avez pas le droit de pénétrer chez moi, mon domicile est inviolable ; nul ne peut y pénétrer que dans les cas prévus par la loi. Aucune loi ne prévoit le cas actuel. Vous n'avez donc pas le droit d'entrer chez moi !

A l'avenir, ce langage ne sera pas possible. Les membres de la Chambre pourront répondre que la loi leur donne le droit de pénétrer partout où peut pénétrer le juge d'instruction agissant comme délégué de la commission d'enquête.

Vous voyez donc qu'ici le règlement ne suffit plus ; nous avons voulu parer par un texte de loi à une difficulté réelle. A cet égard donc tout reproche d'inconséquence doit être écarté.

Il importe, messieurs, que, dans l'espèce, nous n'exagérions pas les attributions du pouvoir législatif. Que devons-nous faire par une loi réglant les opérations d'une commission d'enquête ? Cette loi a une limite nettement indiquée, et l'honorable M. Pirmez, dans un rapport du 6 janvier 1861, a parfaitement indiqué cette limite. Il a dit :

« Rien de plus simple que de donner au droit d'enquête la sanction dont il a besoin pour être exercé dans la plénitude de l'indépendance et de l'autorité qu'il réclame ;

« On peut, en effet, réduire à trois dispositions celles qui sont nécessaires pour atteindre ce résultat :

« 1° Protéger la dignité des commissions d'enquête contre les attaques dont elles peuvent être l'objet ;

« 2e Contraindre les individus appelés devant la commission d'enquête à comparaître et à déposer ;

« 3° Punir le faux témoignage. »

Voilà, messieurs, le véritable objet de la loi actuelle.

Réglons ces trois points, et notre mission sera nettement et complètement remplie. Tout le reste trouvera sa place dans un règlement postérieur qu'il faudra faire inévitablement à la suite du vote de la loi.

J'arrive maintenant à l'amendement que l'honorable M. Wasseige a l'intention de présenter... (Interruption.) J'ai le droit d'en parler, puisque la question a été posée au sein de la section centrale. On a demandé : « Faut-il accorder au député dont les pouvoirs sont contestés l'autorisation d'assister aux opérations de la commission d'enquête, soit en personne, soit par un mandataire ? » A mon avis, cette question doit être résolue affirmativement. L'expérience que j'ai acquise dans les longues opérations de l'enquête de Bastogne m'a démontré que la présence du député dont les pouvoirs sont contestés, soit en personne, soit par un mandataire, présenterait des avantages incontestables. J'y vois un des moyens les plus efficaces d'éclairer la marche de l'enquête et de fournir à la commission les renseignements qui lui sont nécessaires. Cependant, ici encore, je suis de ceux qui n'ont pas voulu que ce principe fût consacré par une loi, et en voici la raison. C'est toujours l'application du même principe. La Chambre possède incontestablement le droit (page 521) d'accorder au député dont les pouvoirs sont contestés l'autorisation de pénétrer au sein de la commission d’enquête, et, par conséquent, sous ce rapport encore, nous n'avons pas besoin du concours du Roi et du Sénat.

- Un membre. - C'est une subtilité.

M. Thonissenµ. - Pas le moins du monde ; c'est un principe rigoureusement applicable et parfaitement rationnel. J'écarte complètement l'arbitraire ; je trace une règle fixe, une règle incontestablement juridique.

Je veux que la loi règle tout ce qui est de la compétence du pouvoir législatif, ou, pour mieux dire, toutes les choses pour lesquelles la Chambre a besoin du concours du Sénat et du Roi ; mais je veux aussi que la Chambre règle à elle seule tout ce qui est dans les limites de son pouvoir. Où arriveriez-vous avec le système contraire ?

Vous voulez mettre dans la loi que les membres de la Chambre ont le droit d'assister aux enquêtes. Mais que diriez-vous si le Sénat nous répondait qu'il n'est pas de cet avis ? Vous ne seriez pas désarmés, je le sais, par l'opposition du Sénat, ni même par l'opposition du pouvoir royal ; vous pourriez, vous Chambre, en vertu de votre prérogative, décider encore que les membres de l'assemblée ont le droit d'assister aux opérations de l'enquête.

Par conséquent, que voulez-vous, que faites-vous ? Vous allez soumettre votre propre prérogative à la volonté du Sénat et à la décision du pouvoir royal. N'est-ce pas demander au Roi et au Sénat la permission de faire ce que vous pouvez faire sans permission aucune ? Où est ici la subtilité ? Evidemment elle n'est pas chez moi.

Messieurs, hier on a parlé également de la question du serment. Cet objet se rattache à l'article 8, mais je prie la Chambre de m'en laisser dire quelques mots en ce moment ; on y gagnera du temps, en me dispensant de l'obligation de prendre de nouveau la parole.

On a demandé à M. le ministre de la justice si le témoin parlant sous la foi du serment peut être obligé de répondre sur des faits personnels.

MjTµ. - Sur des faits délictueux.

M. Thonissenµ. - Alors j'avais mal compris votre réponse. Votre réponse est donc celle-ci :

« Le témoin ne doit pas répondre sur des faits qui pourraient l'exposer à des poursuites. »

Cela est élémentaire, tellement élémentaire que, comme vous le savez messieurs, il y a une foule d'arrêts qui décident que si même, dans cette position, un témoin commet un parjure, il n'est pas punissable.

Il est donc bien entendu, je pense, d'accord avec l'honorable ministre, que le témoin doit répondre même sur les faits personnels qui ne sont ni crimes ni délits

MjTµ. - Certainement.

M. Thonissenµ. - Ceci est de la plus haute importance et en voici la preuve. Dans les opérations de la commission d'enquête de Bastogne, j'en appelle aux souvenirs des membres qui ont fréquenté nos séances, les neuf dixièmes des interrogatoires ont roulé sur des faits personnels aux individus appelés devant la commission d'enquête.

Quant aux demandes qui auraient pour objet un fait délictueux, évidemment le témoin peut répondre qu'il refuse de donner une explication quelconque à cet égard.

Je crois en avoir dit assez pour prouver que la section centrale ne mérite pas les reproches qu'on nous adressait hier. Elle est restée parfaitement logique et conséquente avec elle-même. Elle a voulu régler par la loi ce que la loi doit régler, mais elle a élagué de la loi les dispositions que la Chambre peut mettre en vigueur par son propre règlement, règlement que nous devrons élaborer dès l'instant où. la loi actuelle aura reçu l'assentiment des trois branches du pouvoir législatif.

- M. Hymans, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé.

Accordé.

M. de Theuxµ. - Messieurs, en demandant avant-hier une explication à M. le ministre de la justice sur la portée pratique du serment, je n'ai en aucune manière entendu parler de faits personnels aux témoins.

MjT. - Ni moi non plus.

M. de Theuxµ. - Je n'ai parlé que de faits qui exposeraient à des poursuites judiciaires. C'est dans ces termes que des explications ont été échangées.

J'en reviens, messieurs, à l'opinion que j'ai émise hier, que le projet du gouvernement me semble préférable à celui de la commission en ce qui concerne l’article 3.

Le projet du gouvernement ne porte pas la moindre atteinte aux droits de la Chambre. Au contraire, il garantit par la sanction de la loi le droit pour les membres de chique Chambre d'assister aux enquêtes qu'elle ordonne.

Cette disposition, messieurs, a été déjà deux fois adoptée par le Sénat et sanctionnée par le gouvernement et c'est le gouvernement lui-même qui prend l'initiative de la proposition.

Je ne puis donc voir en rien dans le projet du gouvernement l'intention de porter atteinte aux prérogatives des Chambres mais quant à moi, je préfère beaucoup le texte formel et invariable d'une loi à une disposition de règlement toujours variable de sa nature, et c'est pour ce motif que j'ai demandé hier, que je demande encore, et j'en ferai s'il le faut l'objet d'un amendement, le maintien de la proposition de M. le ministre de le justice consacrant d'une manière formelle, irrévocable le droit des membres de la Chambre d'assister aux opérations de l'enquête.

Je crois qu'il est inutile de s'étendre davantage sur cette question qui peut être facilement comprise.

M. Wasseige. - Je demande que la Chambre se prononce sur la proposition de l'honorable M. de Theux. Ce n'est qu'après qu'elle se sera prononcée sur le paragraphe 2 de l'article 3 que je pourrai déposer un amendement qui constituerait un paragraphe 3°.

MpVµ. - Je dois faire remarquer à l'honorable membre qu'il n'y a pas d'amendement déposé.

M. Wasseige. - C'est le projet du gouvernement qui fait l'objet de l'amendement énoncé par l'honorable M. de Theux.

M. Van Overloopµ. - M. le ministre a déclaré au commencement de la discussion qu'il consentait à ce que la discussion s'ouvrît sur le projet de la section centrale.

Je demande quelle est l'opinion du gouvernement sur l'article 3 ; préfère-t-il la rédaction de la section centrale ?

MjTµ. - La Chambre comprend que le gouvernement, comme gouvernement, est parfaitement désintéressé dans cette question.

J'avais formulé dans l'article 3 le droit pour les membres de la Chambre d'assister à toutes les réunions des commissions d'enquête parce que dans la loi de 1859 la Chambre avait manifesté son intention à cet égard et avait introduit d'office, par voie d'amendement, la disposition que j'ai reproduite : je croyais que les intentions de la Chambre étaient encore les mêmes.

Je ne puis cependant pas méconnaître que les observations faites par la commission ont quelque chose de très fondé. On peut se demander si, en introduisant cette disposition dans la loi, on ne va pas à rencontre de l'article 46 de la Constitution.

Cet article porte : « Chaque Chambre détermine par son règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions. »

Or, il me paraît évident que décider que les membres de la Chambre assisteront ou n'assisteront pas aux séances de la commission d'enquête, c'est régler le mode suivant lequel la Chambre exerce ses attributions. Pouvons-nous faire par une loi ce que la Constitution déclare devoir être fait par le règlement ? Cette question me paraît digue de l'attention de la Chambre.

Il y a une autre observation à faire : Pouvons-nous lier le Sénat ? Remarquez que le Sénat peut ne pas partager l'opinion de la Chambre...

- Une voix. - Il amendera.

M. Bouvierµ. - C'est inutile.

MjTµ. - ... Vous en arriveriez à l'obligation d'avoir à peu près le même mode pour les deux branches du pouvoir législatif. (Interruption.)

Si on admettait la disposition du projet primitif, aucune des Chambres ne pourrait plus la changer sans l'assentiment des deux autres branches du pouvoir législatif.

Voilà la difficulté que je prévois. Je me demande s'il ne vaut pas mieux laisser à chaque Chambre, comme le veut la Constitution, le soin de déterminer par son règlement le mode suivant lequel elle veut exercer ses attributions.

Au fond il est impossible de refuser aux membres de la Chambre le droit d'assister aux délibérations des commissions d'enquête ; tout le monde est d'accord sur ce point. Mais, il pouvait y avoir une difficulté en ce qui concerne leur droit d'assister aux séances qui auraient lieu par suite de délégation. On pouvait prétendre jusqu'à un certain point que l'article 46 donnait à chaque Chambre le droit de faire une loi spéciale. Il s’agit ici d'une prérogative de la Chambre. Mais la Chambre peut-elle lier le Sénat par une loi ?

(page 522) Je me borne à poser la question, je laisse à la Chambre le soin de la résoudre ; mais je crois qu'il serait conforme à la Constitution de ne pas inscrire dans la loi le droit des membres de la Chambre d'assister aux séances lorsque l'enquête est faite par la Chambre ou par une commission.

M. Dumortier. - Ainsi que vient de le dire M. le ministre de la justice, c'est la Chambre elle-même qui, dans deux circonstances précédentes, a introduit le second paragraphe dans la loi. Il me semble que la Chambre ne peut pas se déjuger.

M. le ministre de la justice soulève la question de savoir si cette disposition ne constitue pas une atteinte à la Constitution, qui stipule que chaque Chambre exerce ses attributions en vertu de son règlement. C'est une grave question. Dans bien des circonstance, lorsqu'il s'est agi d'enquête (j'ai été rapporteur de la première commission d'enquête en 1831 ou 1832, je puis donc en parler en connaissance de cause), des jurisconsultes de première force étaient d'avis que la Constitution investissait la Chambre des droits que nous lui donnons par la loi actuelle. (Interruption.) D'autres avaient peut-être une autre opinion.

Je ne prétends pas que la Constitution doive être résolue dans tel ou tel sens, mais il est certain que les opinions étaient très partagées sur ce point. Il est évident, disaient les orateurs qui soutenaient la thèse que je viens d'indiquer, il est évident que la Constitution, en donnant le droit d'enquête à chaque Chambre, n'a pas voulu subordonner ce droit à l'exercice d'un pouvoir quelconque.

Je le répète, beaucoup de jurisconsultes de première force ont soutenu cette thèse. Mais, dit-on, vous ne pouvez admettre la disposition ; elle doit être renvoyée au règlement. Cet argument n'en est pas un, car la loi qui nous est soumise n'est, dans beaucoup de ses parties, qu'une loi à règlement. Je reconnais avec M. Pirmez qu'il n’en est pas ainsi quand il s'agit de faire venir des témoins, mais dans les articles 2 et 3 on ne pose que des dispositions purement réglementaires, et qui n'auraient pas dû se trouver dans la loi, en vertu des principes que l'on invoque.-

Par conséquent l'objection tirée de l'article de la Constitution qui porte que chaque Chambre détermine par son règlement le mode suivant quel elle exerce ses attributions n'est pas plus applicable à cet article qu'aux articles déjà votés.

L'article premier, l'article 2 ne lient pas des tiers, ils ne lient que la Chambre elle-même. Mais, à côté de l'article que l'on invoque pour s'opposer à la disposition, il y a un article de la Constitution qu'il ne faut pas perdre de vue ; c'est celui qui porte que le droit d'enquête n'est pas conféré à une commission mais à la Chambre. Chaque Chambre a le droit d'enquête, or, lorsque ne pouvant l'exercer elle-même, elle le délègue, il est légitime et naturel que tous ceux des membres qui veulent y assister en aient le droit.

Je ne comprends pas comment on pourrait mettre en doute la nécessité d'introduire dans la loi la disposition que la Chambre a votée plusieurs fois.

L'honorable M. Thonissen nous dit : « Nous devons stipuler tout cela dans notre règlement ; à quoi bon, dès lors, rappeler ces principes dans une loi ? » Messieurs, les lois ont une durée que n'a point un simple règlement ; et, d'un autre côté, les dispositions sacramentelles de l'enquête ne peuvent pas être rejetées dans un règlement. Tout ce qui est sacramentel en matière de droits et de prérogatives des membres des Chambres, en matière de droits et de devoirs des témoins, tout cela doit être réglé par la loi, parce que la loi présente infiniment plus de garantie qu'un simple règlement, qui est plus ou moins passager et qui est moins connu que la loi.

Vous avez maintenant à faire une loi sur les enquêtes parlementaires ; eh bien, pourquoi donc ne pas y insérer une disposition que vous avez votée à deux reprises déjà ?

Pourquoi vous exposer à un reproche d'inconséquence en supprimant aujourd'hui cette disposition d'une loi de principe comme celle que nous faisons aujourd'hui ?

M. de Theuxµ. - Mon amendement consiste dans le maintien de la proposition du gouvernement. Or, les objections qu'on y oppose sont en contradiction manifeste avec le vote émis déjà par la Chambre sur les articles 1 et 2, car l'article ne fait que consacrer le droit d'enquête, et consacré déjà par la Constitution, puisque le droit pour la Chambre de vérifier les pouvoirs de ses membres résulte de la Constitution.

Maintenant, l'article 2 dit : « La Chambre exerce ce droit par elle-même ou par une commission qu'elle institue dans son sein. » On objecte qu'une loi n'est pas nécessaire pour consacrer ce droit. Je le veux bien ; mais quel inconvénient y a-t-il à insérer dans la loi une garantie réelle et sérieuse contre les variations des majorités ? Pourquoi ne pas insérer dans cette loi une disposition que la Chambre, et après elle, le Sénat et le gouvernement ont admise dans deux lois spéciales ? Ne nous mettons pas en contradiction avec nos propres précédents.

M. Bara. - Les arguments présentés par l'honorable M. Thonissen sont beaucoup plus spécieux qu'ils ne sont sérieux au fond.

Est-ce que, lorsqu’on proclame dans une loi une prérogative quelconque, on met en doute cette prérogative ? Evidemment non. On affirme ce qui existe. Cela est tellement vrai, que si le raisonnement de l'honorable M. Thonissen devait s'appliquer à la loi, mais les articles 2 et 3 seraient complètement inutiles, comme vient très bien de le démontrer l'honorable M. de Theux.

M. Thonissenµ. - C'est un simple rappel.

M. Bara. - En effet, messieurs, l'article 2 dit : Chaque Chambre exerce ce droit par elle-même ou par une commission qu'elle institue dans son sein. Mais cela va de soi ; cela résulte de la Constitution, puisque la Constitution proclame le droit pour chaque Chambre de faire des enquêtes, évidemment soit par elle-même, soit par une commission.

L'article 3 porte : « Il est procédé à l'enquête et aux délibérations qu’elle nécessite, conformément aux règles établies par la Chambre. » Mais encore une fois, cela est également tout à fait inutile.

J'admets que l'observation de l'honorable M. Thonissen soit sérieuse ; il est certain que c'est un droit pour les membres de la Chambre d'assister aux enquêtas ; il est certain que c'est là une prérogative inhérente à la qualité de membre de la Chambre. Mais est-ce que vous l'amoindrissez, est-ce que vous la mettez en question ; est-ce que vous la menacez en l'affirmant dans un projet de loi ? Si le Sénat, si le pouvoir exécutif se refuse à voter et à sanctionner la loi, est-ce que la moindre atteinte sera portée à nos droits ? Nullement, messieurs, ils n'en subsisteront pas moins, parce que nous les tenons de la Constitution.

En conséquence, ce que vous rappelez par les articles 2 et 3 n'est ni plus ni moins qu'un luxe de législation, et vous ne devez pas rejeter ce luxe pour l'article qui nous occupe. Vous voulez, au sujet de cet article, être tellement concis que vous finiriez par rendre la loi incertaine. Pour ma part, je n'ai pas peur des redondances quand elles ont pour effet de rendre une loi plus claire. Vous pouvez hardiment dans la loi affirmer une prérogative de la Chambre, même incontestable, mais sur laquelle quelques personnes paraissent avoir des doutes. Toute incertitude disparaît ainsi.

En outre, je ferai remarquer que l'article 4 jure quelque peu avec l'article 3.

En effet, on voit dans l'article 4 que lorsque l'enquête a lieu par un magistrat délégué, c’est sans préjudice du droit réservé à chacun des membres de la Chambre d'assister à l'enquête. L'honorable M. Thonissen nous dit que cela est nécessaire parce que là il faut forcer le magistrat à admettre la présence des membres de la Chambre tandis qu'il pourrait ne pas les admettre à l'enquête s'il n'y était pas contraint par la loi.

L'honorable membre verse ici dans une erreur. Le second paragraphe de l'article dit : « Elle (la Chambre) ne peut les déléguer (les pouvoirs) qu'à des magistrats inamovibles de l'ordre judiciaire et que dans le cas de nécessité... »

Eh bien, ce magistrat doit lui-même instruire selon le règlement de la Chambre et par conséquent il est obligé de respecter les prérogatives des membres des Chambres.

M. Thonissenµ. - Je demande la parole.

M. Bara. - Faites bien attention, messieurs, que ce tiers n'est pas le moins du monde...

MjTµ. - Il ne s'agit pas de ce tiers là ; il s'agit du tiers chez lequel on se présente.

M. Bara. - Il s'agit d'assister à l'enquête. C'est le texte de l'amendement de la section centrale ; il s'agit donc du droit de présence là où le magistrat délégué fait l'enquête.

Si maintenant vous voulez, par les mots « assister à l'enquête », parler du droit de pénétrer dans le domicile des particuliers, cette rédaction est incomplète et obscure.

Ce droit d'assister à l'enquête, même lorsqu'elle est faite par un magistral délégué, existe indépendamment de toute stipulation parce que, quand un magistrat fait l'enquête, il n'est que le délégué, le représentant de la commission parlementaire et qu'il doit nécessairement agir selon les règles tracées à la commission parlementaire ; sinon, c'est-à-dire, si le magistrat délégué ne représentait pas la Chambre, ce serait un empiétement du pouvoir législatif sur le pouvoir judiciaire.

Le magistrat chargé de faire l'enquête n'est que le délégué de la commission parlementaire ; c'est un droit nouveau, un droit sui generis (page 523) qu'on donne à la Chambre sur les membres de l'ordre judiciaire et une obligation nouvelle qu'on crée pour ceux-ci.

Au surplus, messieurs, pourquoi cette résistance de la section centrale ? N'est-il pas un grand nombre de lois dans lesquelles on affirme des droits qui existent incontestablement de par la Constitution ? Ouvrer la loi communale, la loi électorale et bien d'autres, vous y trouverez des principes constitutionnels reproduits en toutes lettres. Ainsi, pour la vérification des pouvoirs des membres de la Chambre, l'article 40 de la loi électorale stipule que la Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres.

MjTµ. - La loi électorale reproduit textuellement l'article de la Constitution relatif à la vérification des pouvoirs des membres des Chambres.

M. Bara. - Donc, en faisant la loi électorale, la Chambre a soumis au Sénat et au pouvoir exécutif la sanction d'une de ses prérogatives parlementaires.

Cela prouve, messieurs qu'il ne faut pas être trop minutieux ; et puisqu'on a introduit deux fois déjà la déposition dont nous nous occupons dans des lois d'enquête pour des cas spéciaux, je crois que nous pouvons parfaitement l'introduire encore dans celle-ci et que nous ne ferons pas de pléonasme. Je propose donc à la Chambre de repousser l'amendement de la section centrale et de voter l'article tel qu'il a été proposé par le gouvernement.

M. Thonissenµ. - Il me sera facile de répondre aux arguments de l'honorable M. Bara.

L'honorable membre m'a demandé d'abord, pourquoi la section centrale a voté les trois premiers articles de son projet, puisque, dans mon système, nous pouvions nous en passer.

Messieurs, il suffit, pour répondre à cotte objection, de rappeler un fait extrêmement simple. L'article premier du projet du gouvernement reproduisait textuellement l'article 40 de la Constitution. Eh bien, nous nous sommes dit qu'il était inutile de mettre aux voix une disposition constitutionnelle, et nous avons en conséquence remplacé l'article 40 de la Constitution par quelques lignes indiquant ce que nous allions faire.

Cet article n'est donc pas inutile ; il indique l'objet de la loi. Est-ce là un fait anomal, messieurs ? Mais ouvrez donc l'immense recueil de nos lois, et vous en trouverez des centaines dont le premier article ne fait pas autre chose, et cela n'a jamais été considéré comme une redondance.

Si on veut interdire une chose aussi simple, on arrivera à une sévérité par trop rigoureuse.

Je passe aux articles 2 et 3.

L'article 2 est-il complètement inutile ? Lisez l'article 40 de la Constitution, et vous vous convaincrez qu'il a sa raison d'être. Que porte l'article 40 de la Constitution ? « Chaque Chambre a le droit d'enquête. » Il s'agit de savoir si la Chambre doit exercer ce droit par elle-même ou si elle peut également l'exercer par une commission formée dans son sein. Cette question a été soulevée. On peut dire que cette question est excessivement simple et claire ; je le sais, mais, d'un autre côté, rien n'empêchait que l'opinion générale de la Chambre fût constatée. Or, tel a été le but de l'article 2.

Maintenant, quant à l'article 3, que porte-t-il ?

« Il est procédé à l'enquête et aux délibérations qu'elle nécessite conformément aux règles établies par la Chambre. »

Quel mal y a-t-il à rappeler ce principe ? N'est-il pas incontestable ? Nous aurions pu le supprimer à la rigueur ; mais nous avons cru qu'il n'était pas complétement inutile de rappeler ici un droit incontestable de la Chambre. D'ailleurs, ne l'oublions pas, le gouvernement ajoutait à cet article un deuxième paragraphe ainsi conçu : « La commission procède à l'enquête sans préjudice du droit d'y assister, réservé à chacun des membres de la Chambre. »

Ce paragraphe, nous l'avons supprimé, par les motifs que j'ai développés tout à l'heure et sur lesquels je ne reviendrai pas.

Vient l'article 4. Evidemment l'honorable M. Bara nous a mal compris. Il a raisonné en dehors de l'hypothèse que nous avons prévue ; il a imaginé un cas auquel nous n'avons pas songé. Voici le fait que nous avons en vue.

Dans l'enquête relative à l'élection de Bastogne, il y avait une femme mariée qui devait comparaître devant la commission ; étant malade et alitée, elle ne put pas se rendre à l'appel et nous fûmes obligés de déléguer un juge d'instruction.

Le mari de cette personne aurait pu dire aux membres de la Chambre qui auraient accompagné ce magistrat : « Où est le texte de loi qui vous autorise à entrer dans mon domicile ? Je m'y oppose. » Ce langage eut été irréfutable en droit.

Or, à l'avenir on ne pourra plus tenir ce langage, la loi disposant que les membres de la Chambre ont le droit d'assister aux opérations des délégués de la commission d'enquête.

L'honorable M, Bara a dit qu'il y avait là un empiétement sur les droits du pouvoir judiciaire. J'avoue que je cherche en vain cet empiétement. Il est évident que la commission d'enquête doit avoir le droit de déléguer.

Nous sommes d'accord, je pense, sur ce point. L'honorable M. Bara ne veut pas sans doute que la commission d'enquête voyage à travers le pays, qu'elle aille dans une foule de villages comme elle aurait été obligée de le faire dans l'enquête de Bastogne.

Mais quels délégués faut-il prendre ? Des délégués qui offrent toutes les garanties désirables, et le paragraphe 2 de l'article 4 porte qu'on ne pourra prendre pour délégués que des magistrats inamovibles.

E-t-ce qu'il y a là empiétement sur les droits du pouvoir judiciaire ? Le magistrat inamovible que fait-il ? Il se présente, par exemple, au domicile de la femme malade dont je parlais tout à l'heure ; il y peut pénétrer en vertu du paragraphe 2 de l'article 4 qui lui reconnaît ce droit de la manière la plus expresse ; de plus, tout membre de la Chambre qui désire assister aux travaux du juge, peut s'y rendre en vertu du même paragraphe 2.

Les reproches de l'honorable membre me semblent mal fondés.

M. de Brouckere. - Messieurs, j'ai beau étudier, je ne parviens pas à saisir l'importance de la discussion qui a été soulevée primitivement entre les deux honorables députés de Hasselt et à laquelle plusieurs membres ont pris part. En effet, nous sommes tous d'accord pour reconnaître aux membres de la Chambre le droit d'assister aux enquêtes que la Chambre ordonne. (Interruption.)

L'honorable M. Pirmez ne le reconnaît pas. Nous sommes donc d'accord pour reconnaître aux membres de la Chambre ce droit, sauf cependant l'honorable M. Pirmez.

Eh bien, quelle importance peut-on attacher à ce que ce droit soit inscrit dans une loi, ou qu'il le soit dans un règlement que vous feriez postérieurement ? Je n'en vois aucune.

Que dit l'honorable M. Thonisseen ? « Quoi ! vous inscririez ce droit dans une loi et vous vous exposeriez à ce que le Sénat rejette la disposition que vous auriez votée et à ce que le gouvernement ne la sanctionne pas ? »

Nous ne nous exposons à aucun de ces grands dangers !

Pourquoi voulez-vous que le Sénat ne se reconnaisse pas le même droit que nous nous reconnaissons ? Il a le même intérêt ; il a voté sans la moindre observation des lois dans lesquelles ce droit était inscrit ; vous ne vous exposez donc à aucun danger, en ce qui concerne le Sénat. Et avez-vous quelque chose à craindre de la part du gouvernement ? Pas le moins du monde ; M. le ministre de la justice vient de déclarer, au nom du gouvernement, qu'il n'attachait pas plus d'importance à la disposition que moi-même.

Que le droit soit inscrit dans la loi, ou qu'il soit inscrit dans un règlement, je vais plus loin : que le droit ne soit inscrit nulle part, ce droit n'existera pas moins.

Quand vous ordonnerez une enquête, le droit ne fût-il inscrit nulle part, comment s'y prendrait-on pour empêcher les membres de la Chambre d'assister aux travaux de l'enquête ? Douter de ce droit, serait une absurdité.

M. Thonissenµ. - Il est donc inutile de l'inscrire dans la loi.

M. de Brouckere. - D'accord ; mais il me suffit à moi que quelques membres de la Chambre éprouvent un scrupule sous ce rapport, pour que je contribue à le dissiper, en inscrivant le droit.

M. Mullerµ. - J'ai des scrupules, mais d'une autre nature que ceux qui ont été exprimés.

M. de Brouckere. - J'attendrai les observations de l'honorable M. Muller.

En terminant, je déclare qu'à mon avis il n'y a aucun inconvénient à accueillir la proposition de M. de Theux.

M. Pirmez. - Messieurs, il me paraît que, dans fa question que nous agitons en ce moment, il n'y a aucun argument à tirer de ce qui a été fait dans les deux lois relatives aux élections de Louvain et de Bastogne. Il est évident qu'à ces époques nous n'avions pas le temps de faire un règlement pour compléter la loi. Celle-ci devait tout comprendre. Mais aujourd'hui que nous pouvons organiser avec maturité l'exercice du droit d'enquête parlementaire, nous devons nous attacher à ce qui est conforme aux prescriptions de la Constitution et aux principes.

L'argument qu'on a tiré de ce précédent tombe donc complètement.

Mais, messieurs, le système que l'honorable M. de Brouckere vient de défendre, soulève chez, moi un scrupule assez grave.

(page 524) Remarquez que le projet de loi, tel qu'il est présenté par le gouvernement, n'accorde pas le droit d'assister aux enquêtes ; il suppose que chaque membre de la Chambre a le droit d'assister à toutes les enquêtes ordonnées par la Chambre, et l'honorable M. de Brouckere dit que douter de ce droit, c'est tout simplement une absurdité.

Eh bien, je prétends que ce droit n'existe pas ; je prétends que ce que l'honorable M. de Brouckere donne comme une absurdité est la vérité.

J'admets parfaitement que dans une enquête parlementaire relativement à une vérification de pouvoirs, il n'y aura jamais de difficulté à ce que tous les membres de la Chambre assistent aux opérations de la commission d'enquête. Mais si j'admets cela en matière de vérification de pouvoirs, je ne l'admets pas, parce que c'est un droit inhérent au mandat de membre de la Chambre, je l'admets, parce qu'en raison de la matière il ne peut pas y avoir inconvénient.

Mais ici vous affirmez de droit d'une manière absolue, quelle que soit l'enquête.

M. de Theuxµ. - C'est autre chose.

M. Thonissenµ. - Le projet ne le dit pas.

M. Pirmez. - Ce n'est pas autre chose ; vous allez le voir.

Je m'explique. Si le projet de loi ne faisait qu'accorder ce droit en matière de vérification des pouvoirs, il n'y aurait pas de difficulté, mais le projet de loi fait plus. Il suppose que ce droit existe indépendamment de tout octroi. Il suppose que le droit d'assister à une enquête existe pour tout membre de la Chambre indépendamment du règlement, indépendamment de la loi, et quel que soit l'objet de l'enquête.

C'est ce droit que je nie. Vous pouvez avoir des enquêtes sur des matières extrêmement graves, et d'une nature telle qu'il soit impossible de les conduire avec publicité.

Je suppose qu'un fait très grave à charge d'un ministre soit signalé, qu'avant de mettre le ministre en accusation, il faille procéder à une enquête. Vous pouvez voir votre investigation, votre enquête complètement échouer parce qu'on aura pu avertir le ministre qu'il s'agit de mettre en accusation de tout ce qui se sera produit dans la commission d'enquête. Je demande si, dans un cas pareil, la Chambre décidait que l'enquête se fera par 3 ou 5 membres choisis dans son sein et qu'on n'y admettra pas les autres membres, il y aurait une méconnaissance d'un droit ?

Non sans doute, je le dis en invoquant la pratique constante de la Chambre.

Je suppose que je veuille m'introduire dans une commission ou une section centrale dont je ne suis pas membre ; ne me mettrez-vous pas à la porte ?

Vous aurez raison, parce que, quand je ne fais pas partie d'une commission de la Chambre, d'une délégation de la Chambre, je n'ai pas le droit de m'y trouver.

M. Coomans. - Vous avez raison.

M. Pirmez. - Si dans le cas que j'indique et qui est très invraisemblable, mais que je cite pour bien faire comprendre toute la portée de la question, la Chambre décide que 3 ou 5 membres procéderont à l'enquête et que les autres membres ne pourront y assister pour qu'on ne puisse divulguer à l'accusé tout ce qui sera produit à sa charge, pour qu'on ne puisse influencer les témoins et les empêcher de se contredire en leur faisant connaître les dépositions déjà faites, je crois que la Chambre prendrait une mesure très sage, très raisonnable et qui ne serait nullement contraire aux droits des membres de la Chambre.

Je crois qu'à ce point de vue il ne faut rien préjuger.

Maintenant s'élève la question de savoir si d'autres personnes ne pourront assister à l'enquête, si l'élu ou le candidat évincé ne pourront pas y assister.

- Un membre. - Il n'y a pas d'amendement à cet égard.

M. Pirmez. - C'est une question connexe qui doit être résolue en même temps ; il faut déterminer les personnes qui peuvent assister à vos enquêtes, si vous adoptez l'opinion de l'honorable M. de Brouckere, vous aurez jugé la question pour les uns, sans la juger pour les autres.

Laissons donc toute cette matière pour la placer où elle doit être, dans les dispositions réglementaires des Chambres.

M. Mullerµ. - Tantôt, lorsque l'honorable M. de Brouckere a dit que certains membres de la Chambre avaient des scrupules quant au point de savoir s'il était utile d'inscrire dans la loi le droit de tous les membres d'assister aux enquêtes, j'ai déclaré que chez moi il y avait un autre scrupule qui s'opposait à ce que j'acceptasse cette proposition, et ce scrupule n'est pas du tout de la nature de celui que vient d'indiquer l'honorable M. Pirmez. Pour moi, c'est un scrupule constitutionnel en ce sens que je crois parfaitement inutile de faire, sur les enquêtes en matière de vérification des pouvoirs des membres de la Chambre, une loi qui renferme autre chose que ce dont nous avons besoin pour rendre ces enquêtes efficaces.

Quant au droit des membres de la Chambre d'assister aux séances des commissions d'enquête, droit que j'admets, quant à la question de savoir si le membre élu qui n'a pas encore prêté serment et si le candidat évincé pourra y assister, je dis que nous n'avons pas à nous en occuper dans la loi. Nous ne faisons une loi que pour nous permettre d'exercer avec efficacité notre droit d'enquête parlementaire.

Partant de ce principe, j'écarte de la loi tout ce qui est inutile, d'autant plus que sur des points de détail vous pourriez vous trouver en désaccord avec le Sénat, qui envisagerait les choses sous un autre point de vue que le vôtre.

Je n'admets pas l'argument tiré de ce que nous avons fait lors de l'enquête sur les élections de Louvain et lors de l'enquête sur les élections de Bastogne, par une raison toute simple : c'est qu'alors nous n'avions aucune disposition, ni législative ni réglementaire. Mais j'entends qu'à la suite de cette loi, nous fassions un règlement sur les enquêtes parlementaires, en matière de vérification des pouvoirs, et c'est dans ce sens qu'au sein de la section centrale, j'ai voté les modifications proposées. Je m'en réfère complètement à ce que vous a dit l'honorable M. Thonissen à cet égard.

MjTµ. - Nous pourrions peut-être concilier toutes tes opinions en chargeant dès aujourd'hui le bureau de préparer une modification au règlement, qui consacrerait le droit pour tous les membres de la Chambre d'assister aux enquêtes parlementaires ordonnées en matière de vérification des pouvoirs. Tout le monde aurait dès maintenant la certitude que la disposition sera insérée dans le règlement.

C'est une observation que je fais et qui me paraît de nature à concilier toutes les opinions. Car tantôt on semblait croire que le règlement ne serait peut-être jamais modifié en ce sens. De cette manière nous éviterions tous les inconvénients et nous respecterions tous les scrupules.

M. de Brouckere. - Je suis un peu embarrassé. J'avais demandé la parole pour inviter la Chambre à faire droit aux scrupules de l'honorable M. de Theux. Me voilà maintenant placé en présence des scrupules de l'honorable M. Pirmez et de ceux de l'honorable M. Muller, et il est impossible de faire droit aux scrupules de tous les trois, car ils sont contradictoires.

Je ne fais que répéter ce que j'ai dit en commençant. J'attache, quant à moi, très peu d'importance à ce que le droit des membres de la Chambre d'assister aux enquêtes, droit que je maintiens, figure dans la loi ou figure dans un règlement.

L'honorable M. Pirmez qui nie le droit des membres de la Chambre en dehors de ce que décréterait une loi ou un règlement, croit nous embarrasser beaucoup en disant que l'on pourrait prescrire une enquête confidentielle, par exemple, avant de mettre un ministre en accusation, et l'honorable membre décide la question par la question.

Vous dites : En pareil cas, les membres de la Chambre n'auraient pas le droit d'assister à l'enquête. Moi, je vous réponds avec la même assurance : Ils auraient le droit d'y assister.

M. Pirmez. - Quand un tribunal délègue un juge pour faire une enquête, les autres membres du tribunal ne peuvent assister à cette enquête.

M. de Brouckere. - Nous ne sommes pas un tribunal, et je n'admets pas la comparaison. Je maintiens que chaque fois que la Chambre nomme une commission d'enquête, il va de soi que les membres de la Chambre peuvent silencieusement assister à l'enquête.

M. de Naeyer. - Cela dépend du règlement.

M. de Brouckere. - Il est évident que si vous faisiez un règlement décidant le contraire, les membres n'auraient plus ce droit ; mais je dis que tant que vous n'aurez pas fait un tel règlement, le droit existe, soit que vous l'inscriviez, soit que vous ne l'inscriviez pas dans la loi.

J'avais demandé la parole, messieurs, dans l'unique but de mettre un terme à la discussion qui me semblait se prolonger outre mesure ; mais au lieu de cela je vois que je prolonge la discussion ; j'ai fait surgir deux nouvelles observations. Dès lors, je déclare, en finissant, que je n'attache pas plus d'importance en ce moment-ci, que je n'en attachais dans le principe, à la décision que prendra la Chambre.

M. Dumortier. - Il me semble qu'il est très facile de lever les scrupules de tout le monde. M. de Theux demande le maintien de la disposition qui autorise les membres de la Chambre à assister à l'enquête ; (page 525) l'honorable M. Pirmez voit dans la rédaction présentée quelque chose qui va au-delà du but que se propose M. de Theux, eh bien, il suffit de modifier le texte. (Interruption.)

Il est mis en tête de la loi qu'elle n'est faite que pour les vérifications des pouvoirs. Si les mots : « sans préjudice au droit, etc., » paraissent trop étendus, qu'on les supprime et qu'on dise simplement : « Chaque membre de la Chambre a le droit d'assister à l'enquête », de cette manière tout le monde sera d'accord.

Je crois, messieurs, qu'une disposition est d'autant plus nécessaire que l'honorable M. Pirmez, et peut-être après lui M. Muller, ont contesté...

M. Mullerµ. - Pas moi.

M. Bouvierµ. - Vous voyez que vous ne mettez personne d'accord, vous ne levez aucun scrupule,

M. Dumortier. - Il me semble que rien ne prouve mieux la nécessité d'une disposition, que l'argumentation de l'honorable M. Pirmez. Je suis de l'avis de M. de Theux, je crois que l'enquête doit être faite en présence des membres de la Chambre, pourquoi ? Parce que la Constitution donne le droit d'enquête à la Chambre ; par conséquent, tous les membres doivent pouvoir assister à l'enquête.

Je n'ai aucune peur de la publicité ; la publicité, c'est la sauvegarde des gouvernements représentatifs. Mais rien que le doute établi par M. Pirmez sur le droit des membres de la Chambre prouve qu'il est indispensable d'inscrire ce droit dans la loi.

Maintenant, je le répète, si la disposition primitive vous semble trop étendue, mettez simplement : « Chaque membre de la Chambre a le droit d'assister à l'enquête. »

M. Bara. - Messieurs, par suite du discours de l'honorable M. Pirmez, la question est un peu plus importante qu'elle ne l'était d'abord. M. Pirmez vient de dire qu'il ne reconnaît pas le droit des membres de la Chambre d'assister à l'enquête.

M. Pirmez. - Indépendamment de la loi.

M. Bara. - Ainsi d'après M. Pirmez, la Chambre aurait le droit, dans les enquêtes parlementaires, de faire un règlement qui nous interdirait d'assister aux opérations de l'enquête.

M. Pirmez. - Sans doute.

M. Bara. - Eh bien, la thèse de M. Pirmez est tout à fait contraire aux usages parlementaires et au texte même de la Constitution. En Angleterre on n'a jamais écarté des enquêtes aucun membre du parlement ; seulement on a écarté les membres des délibérations des commissions d'enquête, ce qui est tout autre chose. Chez nous, le droit des membres d'assister aux enquêtes existe en vertu de l'article 40 de la Constitution qui déclare que les Chambres ont le droit d'enquête ; cela implique pour tous les membres le droit d'assister aux enquêtes.

Vous pouvez leur interdire de prendre part aux délibérations de la commission d'enquête et je vais vous dire pourquoi : Les délibérations de la commission n'ont aucune portée ; ce n'est pas l'enquête ; c'est une opinion sur les résultats de l'enquête, opinion qui doit être contrôlée par la Chambre. Mais quant à l'enquête même, elle est définitive ; les interrogatoires sont définitifs, ce sont des actes sur lesquels vous n'avez plus de contrôle, sur lesquels vous ne pouvez plus revenir.

Voilà pourquoi vous pouviez ne pas prendre part aux délibérations de la commission d'enquête et pourquoi vous devez pouvoir assister aux autres opérations, notamment aux interrogatoires des témoins.

Vous n'assistez pas aux séances des sections centrales, pourquoi ? Parce qu'il s'agit ici d'un acte préalable qui est soumis tout entier à l'approbation de la Chambre et sur lequel vous pouvez parfaitement revenir.

Quant à l'interrogatoire des témoins, évidemment vous devez voir si la commission d'enquête a parfaitement suivi les règles de l'impartialité, et pour cela vous devez avoir le droit d'assister à ses opérations.

Maintenant je crois que du moment qu'il y a des scrupules dans la Chambre contre ce droit, nous devons le maintenir dans la loi. Ceux qui déclaraient qu'il n'était pas nécessaire d'inscrire ce droit dans la loi parce qu'il est incontestable, doivent maintenant être soucieux de les proclamer, précisément parce qu'on le conteste.

MpVµ. - L'amendement suivant est parvenu au bureau :

« Je propose le maintien du paragraphe final du projet du gouvernement.

« (Signé) De Theux. »

MjTµ. - J'ai déclaré tantôt que j'attachais peu d'importance à la question et que je me ralliais à l'amendement de la section centrale ; mais je dois faire observer à la Chambre que puisqu'il faut voter sur l'amendement de M. de Theux, il est indispensable de mettre aux voix l'article du projet primitif, car le deuxième paragraphe de ce projet ne concorderait pas avec la rédaction proposée par la section centrale.

- L'article 3 du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.

M. Wasseige. - C'est ici, messieurs, le moment de déposer l'amendement que j'avais annoncé hier à la Chambre et qui formerait le paragraphe 3 de l'article 3, soit un article 4 nouveau. Cet amendement est ainsi conçu :

« Le membre élu dont les pouvoirs sont contestes a le droit d'assister à l'enquête ou de s'y faire représenter.

« Il a le droit de faire entendre les témoins qu'il désignera et d'adresser à la commission d'enquête les réquisitions qu'il t croira utiles à la découverte de la vérité. »

Messieurs, cet amendement est la reproduction de celui que j'ai déjà eu l'honneur de présenter à la Chambre en 1859, lors de l'enquête sur les élections de Louvain, que j'ai reproduit encore en 1864, lors de la discussion sur les élections de Bastogne.

Vous le voyez, messieurs, je suis opiniâtre. Malgré deux échecs, je ne me décourage pas parce que je crois être dans le vrai, et je viens encore, au moment où nous faisons une loi générale sur les enquêtes parlementaires en fait de vérification de pouvoirs, vous demander de consacrer un principe que je crois juste.

J'avouerai même, messieurs, que cette fois-ci j'ai plus d'espoir de le voir triompher, car il me paraît que mon opinion a fait des progrès sensibles.

En effet, messieurs, la sixième section a fait sien cet amendement ; elle l'a proposé à la section centrale, et la section centrale elle-même a reconnu qu'en principe il était bon. Elle l'aurait même admis, dit le rapport, si elle n'avait été dirigée par les mêmes scrupules qui lui avaient fait retrancher également l'amendement qui vient d'être adopté par la Chambre.

Vous le voyez donc, messieurs, je suis en progrès. Ces scrupules vous les connaissez, c'est que la Chambre ayant le droit de faire par son règlement ce qu'on lui propose de faire par la loi, il vaut mieux s'en référer à ce premier mode, mais si les scrupules de la section centrale, par rapport à l'amendement qui vient d'être adopté, avaient au moins une apparence de fondement, quant à celui-ci, cette apparence même lui manque.

En effet, si l'on peut dire que la Chambre a le droit de déterminer, par son règlement, les prérogatives de ses membres, il ne peut en être de même pour ce qui regarde des tiers.

Or, je ferai remarquer que ce n'est pas comme membre de la Chambre que je réclame pour l'élu dont l'élection est contestée, non seulement le droit d'assister aux réunions de la commission, mais aussi le droit bien plus important de s'y faire représenter, de poser des questions et d'indiquer des témoins, en un mot, de faire toutes les réquisitions qu'il jugera utiles à la constatation de la vérité. Toutes ces choses, les membres de la Chambre qui ont le droit d'assister à l'enquête ne peuvent se les permettre ; c'est donc comme partie intéressée aux débats de l'enquête que je réclame pour l'élu ce droit. Vous le voyez donc, ce sont deux ordres d'idées tout différents, et je ne pense pas que le règlement de la Chambre puisse venir ici suppléer la loi. Ce n'est pas le droit d'assister à l'enquête d'une manière silencieuse, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. de Brouckere, que je veux faire proclamer, c'est celui d'y prendre une part active comme partie intéressée.

Je ne reviendrai pas, messieurs, sur tous les arguments que j'ai fait valoir devant la Chambre déjà à deux reprises. J'aime à croire qu'ils sont encore présents à l'esprit de la plupart d'entre vous, ainsi que les objections qui y ont été faites.

A mon avis, une enquête ne peut se faire complètement et d'une manière impartiale sans que la partie contre laquelle elle est dirigée, y assiste pour faire valoir les droits qu'on lui conteste.

Il y a pour le membre élu une présomption que son mandat est valable tant qu'il n'a pas été déclaré nul. Il y a pour lui une présomption de fait et une présomption de droit. Il a donc intérêt à défendre des droits qu'il peut considérer comme acquis, et pour lui-même qui doit désirer remplir ce mandat qui l'honore et pour la majorité du corps électoral qui lui a confié ce mandat.

Vous remarquerez, messieurs, que c'est au moment où nous faisons une loi générale qu'il importe de décider ces principes généraux, car lorsqu'il s'agit d'une élection spéciale, on peut craindre que la passion politique n'agite et n'agasse la majorité ; ce qui n'est pas à craindre lorsque nous discutons des principes à appliquer dans des lois générales.

C'est une garantie pour les minorités, messieurs, c'est une garantie que vous pouvez avoir autant d'intérêt, que nous à voir insérer dans la (page 526) loi parce qu'il peut parfaitement arriver encore, croyez-le bien, que vous redeveniez un jour minorité.

Un fait me frappe surtout dans la question qui nous occupe, et je prie la Chambre d'y faire attention. Si l'élection contestée, au lieu d'aboutir à une enquête, provoquait une discussion immédiate devant la Chambre, si tous les faits articulés étaient produits, affirmés directement devant la Chambre, le membre élu aurait le droit de participer à nos délibérations, il aurait le droit de se défendre, de repousser les accusations dont il est l'objet, d'en établir la fausseté et même de voter dans sa propre cause. Ce même membre, parce que vous n'auriez pas jugé les mêmes faits assez éclaircis, parce que vous en auriez renvoyé l'examen à une commission, serait privé de ce droit ? Cela est impossible, cela serait tellement injuste qu'il est impossible de l'admettre.

J'espère donc que dans cette loi générale, qui est une garantie pour toutes les minorités présentes et futures, tout le monde sera d'accord pour admettre la proposition que j'ai l'honneur de vous soumettre.

- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.

MjTµ. - Messieurs, je ne puis que reproduire aujourd'hui, au sujet de cet amendement, l'observation que j'ai déjà faite hier, c'est qu'il est évidemment contraire à votre règlement.

Le règlement porte qu'un membre dont l'élection a été ajournée ne peut assister aux débats, ni prendre part aux délibérations de la Chambre.

Eh bien, quoi qu'on dise, de quelque manière que l'on veuille expliquer cet amendement, il est évident qu'il introduit dans la Chambre et qu'il fait assister aux délibérations, un membre dont l'élection est ajournée.

La disposition proposée doit faire partie de votre règlement et non pas être inscrite dans la loi. Vous aurez à voir dans quelles limites vous admettrez le membre dont l'élection est ajournée ; vous aurez aussi à examiner s'il n'y a pas lieu de donner quelques garanties au candidat qui aura été le concurrent de celui dont l'élection est débattue.

S'il faut de l'impartialité pour l'un, il en faut aussi pour l'autre. Il peut arriver qu'un candidat soit élu à une voix de différence. Sera-ce de l'impartialité que de l'admettre et d'exclure son concurrent qui n'aura eu qu'une voix de moins ?

C'est une simple observation de fait, messieurs, mais il est évident que vous détruiriez par là ce que vous aurez fait par votre règlement.

Je demande donc que cet amendement soit rejeté, sauf à charger le bureau de préparer telle modification au règlement que la Chambre croira devoir adopter.

M. Wasseige. - Messieurs, je ferai observer à M. le ministre de la justice qu'un règlement n'est pas la Constitution. Un règlement est une chose que la Chambre peut changer implicitement ou explicitement. Il doit être d'accord avec la loi, et il est positif que si aujourd'hui la Chambre adopte mon amendement, elle aura virtuellement voté un changement dans son règlement, voilà tout ; et c'est précisément pour cela que je trouve plus de garanties dans une loi émanant des trois branches du pouvoir législatif que dans un règlement que la Chambre peut faire et défaire lorsqu'elle le juge convenable, et selon les caprices ou les intérêts des majorités.

Que le règlement déclare aujourd'hui que l'élu, dont les pouvoirs sont contestés, aura le droit d'assister aux séances de la commission d'enquête, avec les conditions que j'indique dans mon amendement, c'est bien si vous croyez que la Chambre puisse le faire, ce dont je doute, maïs vous devez convenir que si elle peut le faire, elle peut également le défaire ; et il est bien à craindre que cela n'arrive, parce que les majorités politiques sont fatalement intolérantes et partiales.

Lorsqu'il faudra le concours des trois pouvoirs, le changement sera beaucoup plus difficile, et voilà pourquoi, je le répète, je préfère beaucoup que le principe que je crois juste soit inscrit dans la loi plutôt que dans le règlement.

Quant à l'objection soulevée par M. le ministre, que dans le cas où mon système serait admis, il y aurait justice à donner aussi entrée dans la commission d'enquête à la partie adverse, je répondrai que les conditions ne sont pas égales, que la partie adverse n'a pour elle ni titres ni droits acquis, que d'ailleurs dans la plupart des cas, la partie adverse est plaignante, qu'elle a pu examiner minutieusement ses griefs, les coordonner, rechercher ses preuves ; qu'en un mot elle a fait elle-même son enquête.

C'est sa plainte qui vous met en mouvement, c'est sur ses indications vous que instruisez, et vous refuseriez à la partie contre laquelle l'enquête est dirigée le droit de repousser les accusations en vous éclairant, en vous fournissant les moyens de défense. Cela n'est pas possible.

Mais soit, admettons les deux parties a surveiller, à diriger l'enquête, si quelqu'un de vous le propose, ce n'est pas moi qui m'y opposerai, et je suis tellement convaincu que la présence des intéressés est la meilleure condition d'impartialité et de bonne justice électorale, que j'irais jusqu'à admettre la législation anglaise qui procède en cette matière comme pour les procès civils, et qui autorise toutes les parties à comparaître et à exercer tous leurs droits, soit par elles-mêmes, soit par des fondés de pouvoirs, comme devant un tribunal civil.

En résumé, je pense que c'est dans la loi que la disposition que je réclame doit se trouver, parce que la loi offre plus de garanties que le règlement de la Chambre qui est variable selon la circonstance et les majorités, et je doute même que le règlement puisse accorder à des tiers qu'elle ne considère pas comme membres de la Chambre les droits que je réclame et qui sont beaucoup plus importants que ceux qui viennent d'être accordés à ceux-ci par l'article que vous venez de voter.

MjTµ. - Les paroles que vient de prononcer M. Wasseige sont, à mon avis, un motif péremptoire pour repousser son amendement.

Pourquoi M. Wasseige veut-il introduire cette disposition dans la loi ? Pour limiter les pouvoirs de la Chambre ; il a, dit-il, beaucoup plus de garanties dans la loi que dans le règlement. Mais la Constitution a-t-elle voulu, oui ou non, que la Chambre déterminât par son règlement la manière dont elle exercera ses prérogatives ? (Interruption.)

Si la Constitution dispose que c'est à la Chambre à régler l'exercice de ses attributions, ne venez donc pas demander aux trois branches du pouvoir législatif de vous donner un droit qui vous appartient exclusivement.

Remarquez, d'ailleurs, qu'il y a des raisons sérieuses de maintenir les prérogatives de la Chambre.

Je suppose qu'après avoir admis la présence dans le sein de la commission de membres dont l'élection fait l'objet de l'enquête, on reconnaisse les inconvénients de cette manière de procéder ; il faut réserver à la Chambre le droit de modifier ce qu'elle aura fait. Or l'amendement de M. Wasseige lie la Chambre de telle façon qu'elle ne pourrait plus régler autrement le mode suivant lequel elle exerce son droit d'enquête, alors même qu'il serait reconnu qu'il en résulte de sérieux inconvénients.

On ne peut pas, je le répète, donner d'argument plus puissant pour faire rejeter la proposition de M. Wasseige.

La Chambre doit rester maîtresse d'apporter à son règlement les modifications dont l'expérience lui aura démontré la nécessité.

- Aux voix ! aux voix !

M. Dumortier. - Je ne vois pas en quoi le règlement de la Chambre est obstatif de l'amendement de M. Wasseige. S'il y a dans le règlement un article en vertu duquel les membres ajournés ne prennent pas part aux délibérations, il y en a aussi un qui porte que lorsque les Chambres sont renouvelées par moitié ou intégralement, tous les membres pourront participer à la vérification des pouvoirs.

Il ne me paraît pas juste de procéder à une enquête, à la demande d'un candidat évincé contre le membre élu sans que celui-ci, qui possède un titre, ait le droit de connaître l'enquête, et de fournir au besoin des témoins pour détruire des témoignages qu'on invoque contre lui.

Il n'existe pas de pays où la justice soit rendue inaudita parte, et ici vous irez faire une enquête contre un membre sans lui permettre de connaître les témoignages portés contre lui, de répondre à ses accusateurs, de repousser des témoignages par d'autres témoignages. Cela n’est pas possible, c'est contraire à tout élément de droit. L'accusé doit être entendu.

Sans cela vous faites de la commission d'enquête un tribunal vénitien qui condamne les gens sans les entendre et je crois que pas plus sur les bancs de la gauche que sur ceux de la droite on ne veut arriver à un pareil résultat.

Il faut que l'homme accusé d'un acte répréhensible puisse avoir connaissance des faits qu'on lui impute, afin d'être à même de se justifier.

Si vous ne voulez pas admettre qu'il soit présent, reconnaissez-lui au moins le droit de se faire représenter, admettez du moins qu'il ait un mandataire pour produire des témoins à décharge et le justifier des accusations dont il est l'objet. Procéder autrement serait exorbitant, ce serait fouler aux pieds toute espèce de principe d'équité et de justice. (Interruption.)

Quand un individu est accusé d'un acte malhonnête et ce n'est qu'un acte malhonnête qui puisse occasionner l'annulation d'une élection, il faut qu'il ait le droit de prouver son innocence vis-à-vis du pays. Faire une enquête contre un membre sans lui donner connaissance des (page 527) témoignages invoqués contre lui, sans lui communiquer les dossiers, serait posés un acte contraire à toute loyauté.

Il faut que la loyauté soit respectée. Je maintiens donc qu'il est nécessaire que des mesures que je n'indiquerai pas, je ne suis pas jurisconsulte et je me laisse guider ici par le sens commun, que des mesures quelconques soient prises jour mettre l'accusé à même de se défendre.

M. De Fré. - L’honorable M. Wasseige veut que les commissions d'enquête soient impartiales. C'est là le but de son amendement. Messieurs, nous avons eu deux enquêtes parlementaires en matière de vérification de pouvoirs ; et chaque fois, les commissions ont été composées de façon que les deux côtés de la Chambre y fussent représentés ; chaque fois le bureau a eu soin de choisir les membres de ces commissions de manière à donner à tout le monde des garanties complètes d'impartialité. L'amendement ne répare donc aucun abus. Il est inutile.

L'honorable M. Dumortier vient nous dire : Mais l'élu doit être présent.

M. Dumortier. - Ou représenté.

M. De Fré. - Soit. Le mandat de l'élu est contesté et la commission d'enquête est instituée précisément pour examiner si le citoyen dont l'élection est contestés est élu ou ne l'est pas. Il n'a aucun droit à défendre. D'ailleurs, il ne s'agit pas ici de droits civils qu'un individu vient défendre devant un tribunal ; il ne s'agit pas non plus d'une instruction qui est dirigée contre la personne de l'élu. Jamais nous n'avons vu une enquête se faire contre l'élu, mais sur des faits signalés par l'opinion publique et dont la dignité parlementaire exigeait la vérification.

Maintenant, cet élu est suffisamment représenté dans la commission d'enquête par les membres de cette assemblée appartenant à son opinion. En fait, nous avons toujours vu que les intérêts de l'élu qui avaient été attaqués ont été parfaitement défendus, d'abord dans la commission et plus tard dans la Chambre.

J'ai eu l'honneur de faire partie d'une commission de ce genre et jamais il n'est arrivé qu'on ait refusé de faire droit aux réclamations que les amis de l'élu avaient produites à son profit.

Les dangers que signale l'honorable M. Dumortier sont donc purement imaginaires.

Maintenant, messieurs, si vous permettez à l'élu d'assister à l'enquête, il faut nécessairement accorder le même pouvoir à son concurrent .

M. de Moorµ. - C'est évident !

M. De Fré. - Et qu'aurez-vous alors, messieurs, devant la commission d'enquête ? Vous aurez entre deux concurrents un débat passionné. Ils lutteront devant la commission d'enquête avec la même ardeur qu'ils auront déployée devant le corps électoral.

Il se peut fort bien que l'élu ne soit pas au courant de la procédure particulière aux commissions d'enquête ; il se peut aussi qu'il ne soit pas à même de s'expliquer convenablement ; il demandera donc l'assistance d'un conseil ; l'adversaire fera de même, et alors vous aurez des débats qui pourront s'éterniser et qui prolongeront indéfiniment une instruction urgente de sa nature et qui exige une solution immédiate. Car, messieurs, il importe que l'arrondissement auquel appartient l'élu soit représenté le plus tôt possible. C'est ce que vous avez soutenu vous-mêmes dans l'affaire de Louvain ; vous vous êtes récriés alors contre la longueur de cette enquête.

Et aujourd'hui, par votre motion, vous arrivez précisément au résultat contre lequel vous vous êtes récriés jadis, celui de rendre les enquêtes non seulement longues, niais interminables.

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. De Fré. - Permettez. Il pourra arriver qu'après une audition de témoins, qui aura été très longue, des plaidoiries s'engagent de part et d autre. Voila, messieurs, à quoi aboutira l'amendement que nous discutons ; il transformera une enquête parlementaire en un débat judiciaire, comme si le débat ne devait pas se produire plus tard devant la Chambre.

M. Dumortier. - Pas du tout ; je n'ai pas parlé de débats.

M. De Fré. - Je demandé enfin que l'amendement de l'honorable M. Wasseige soit rejeté afin que les témoins cités jouissent de toute leur indépendance.

Comment ! On nous aura signalé un grand nombre d'électeurs ayant voté en faveur de l'élu par suite d'une pression à laquelle ils n'ont pu se soustraire, et vous iriez mettre ces témoins en présence de l'homme dont ils auront subi l'influence !

Messieurs, cela n'est pas possible ; vous enlèveriez à ces témoins l'indépendance que vous devez leur assurer dans l'intérêt de la justice et de la vérité.

Par ces motifs, je crois, messieurs, qu'il y a lieu de rejeter l'amendement de l'honorable M. Wasseige.

- Plusieurs membres. - Aux voix.

M. Nothomb. - La question me paraît assez importante, messieurs, pour que la Chambre y consacre encore quelques instants.

L'honorable préopinant combat la proposition de l'honorable M. Wasseige pour trois motifs.

Le premier, c'est que si l'on permet à l'élu ainsi qu'à son adversaire (ce que j'admets parfaitement) d'assister aux séances de la commission d'enquête, on éternisera les investigations auxquelles la commission doit se livrer ; c'est la longueur qu'il redoute. L'argument me touche peu ; le but de toute commission d'enquête est d'arriver à la découverte de la vérité, voilà le point qui domine tout ; l'objection n'est donc pas sérieuse en présence du résultat à atteindre.

C'est à la vérité, à la lumière qu'il faut arriver, et vous n'y arriverez, - à part même la question de justice, - qu'en appelant devant la commission les personnes qui sont essentiellement à même de lui fournir les renseignements dont elle a besoin.

La seconde objection de l'honorable M. De Fré, c'est la lutte qu'on introduirait dans la commission. Quant à cela, pourquoi ressentir cette crainte ! Cette lutte ne peut être un mal : il y aura en présence deux intérêts contradictoires, la commission écoutera ces intérêts et elle prononcera comme un véritable juge, ce qu'elle est effectivement quand elle remplit sa mission.

Vous effaroucherez les témoins, nous dit enfin l'honorable M. De Fré, ce sont les expressions dont il s'est servi, en les mettant en présence des parties intéressées. Je crois, au contraire, messieurs, que vous empêcherez par là les témoins de sa livrer à des appréciations erronées et passionnées et que la présence des intéressés produira l'effet d'un contrôle salutaire et particulièrement favorable à la découverte de la vérité.

Au fond, messieurs, on n'a rien articulé de bien concluant, d'ailleurs, contre les arguments d'équité et de justice qu'ont fait valoir les honorables MM. Wasseige et Dumortier.

Ils vous ont parfaitement démontré qu'il est moralement impossible qu'une commission d'enquête statue en l'absence de l'élu et même du candidat qui a succombé, et décide de leur sort sans même les avoir entendus sur des faits dont la rectification verbale et instantanée aurait souvent déterminé un jugement contraire. Cela me paraît tellement vrai, tellement équitable, à ce point conforme à la justice et au bon sens que je comprends qu'on n'ait pas pu y opposer une seule objection sérieuse.

Une seule, mais plus spécieuse que réelle, a été produite par M. le ministre de la justice.

Du moment qu'un candidat est ajourné, nous a-t-il dit, il ne peut plus prendre part aux décisions de la Chambre ; il est par cela même exclu de toute participation à ses délibérations et placé sous interdit. Cela est vrai en général, mais ici, remarquez-le, il s'agit de tout autre chose.

L'enquête n'est que la continuation de la discussion qui a eu lieu à la Chambre, discussion à laquelle le candidat suspecté a pu prendre part. Il a agi, parlé, pu voter même comme membre de la législature, mais à la suite de la discussion qui a eu lieu sur son élection, la Chambre a rendu une sorte de jugement interlocutoire et elle a renvoyé le jugement de la cause à la commission d'enquête.

Par conséquent l'enquête qui a eu lieu constitue, en réalité, la suite de la discussion qui a commencé au sein de la Chambre ; la commission continue la Chambre, le débat reste le même ; c'est la même question personnelle et il serait d'une souveraine inconséquence d'empêcher de porter devant une commission le même homme qui a pu parler et agir devant le corps dont cette commission est l'émanation.

Mais, ajoute-t-on, il faut prévoir l'avenir ; et si la mesure nouvelle, votée par une loi, présentait plus tard des inconvénients, on ne pourrait plus la changer ou défaire que par une loi nouvelle. Soit. Mais pourquoi pas ? Si l'argument est fondé ici, il l'était bien plus tantôt contre la disposition qui a été inscrite dans l'article 3, et que le gouvernement avait proposée lui-même. Là aussi il peut y avoir des inconvénients, par suite de la présence des membres de la Chambre, et cependant la Chambre a adopté le principe que M. le ministre de la justice combat en ce moment.

Je persiste à penser qu'on n'a pas produit de bonnes raisons contre la proposition de l'honorable M. Wasseige et je l'appuie au nom des principe de justice, d'équité et par respect de la vérité qu'il faut ici plus que jamais prendre en considération. Se présenter devant la commission est, pour le candidat élu et ajourné comme pour son concurrent, une question (page 528) d'honneur et presque de légitime défense, et ce droit, je ne veux pas le lui enlever.

M. Bara. - Par ma part, il m’est impossible de me rallier à la proposition de l’honorable M. Wasseige. Je ne dis pas qu’il n’y aurait pas quelque chose à faire en faveur de l’élu, mais je dis qu’il faudrait aussi faire quelque chose en faveur de son concurrent.

M. Nothomb. - Nous y consentons.

M. Wasseige. - J'ai dit que j'y consentais. Proposez une modification dans ce sens à mon amendement ; je la voterai.

M. Bara. - Je ne puis pas le faire et je dis que la question que vous avez soulevée est trop grave pour la résoudre à la légère.

Ainsi, vous dites que l'élu viendra faire une foule d'actes de procédure, pourra adresser des réquisitions à la commission ; mais vous ne pouvez pas donner à l'élu des droits qui pirateraient pour ainsi dire l'action de la commission d'enquête.

A mon avis, messieurs, c'est là une question qui doit être écartée ; elle peut être décidée par le règlement ; mais je ne pense pas qu'il y ait lieu d'adopter cette disposition actuellement.

On parle bien à l'aise des droits de l'élu. Oui, il y a une présomption de droit en sa faveur, il est présumé être député. Mais notez que son concurrent peut voir son élection validée par les délibérations de la Chambre.

Ainsi il a été décidé bien souvent dans les assemblées législatives françaises, que l’assemblée était souveraine, qu'elle pouvait prononcer que celui qui avait été proclamé député par le bureau électoral ne l'était pas ; que c'était son concurrent... (Interruption). L'honorable M. de Brouckere me dit que le Sénat s'est prononcé dans le même sens.

Du reste, la jurisprudence française est constante dans ce sens.

Ainsi donc, au point de vue de la présomption de droit, le concurrent est à peu près sur la même ligne que l'élu ; et au point de vue de l'équité, il doit être traité de la même manière.

Lors de la vérification de l'élection de Bastogne, on a fait entendre beaucoup de témoins contre le concurrent de l'honorable député de Bastogne.

L'honorable M. Nothomb dit que ce qui se passe dans l'enquête est la continuation de ce qui s'est passé à la Chambre.

En admettant ce point, vous devriez encore réformer le règlement. Il peut se présenter des hypothèses. Ou bien, il s'agit d'un renouvellement intégral de la Chambre, ou d'un renouvellement partiel par moitié ; ou bien il s'agit de remplacer un membre démissionnaire ou décédé.

Dans le premier cas, les membres élus prennent part à la vérification des pouvoirs ; mais dans l'autre cas, le membre élu ne prend pas part à la vérification de ses pouvoirs. Eh bien, je suppose, dans ce dernier cas, une enquête ordonnée par la Chambre ; d'après le principe que l'on soutient, le membre dont l'élection est ajournée et qui n'a pu prendre part à la délibération concernant la vérification de ses pouvoirs, pourrait prendre part aux travaux de la commission d'enquête ! Mais cela n'est nullement admissible.

Si cette disposition pouvait être adoptée, vous seriez obligés de la mettre en harmonie avec votre règlement qui lui est complètement hostile.

Il me semble que la droite devrait être satisfaite par la déclaration que cette question pourra être traitée lorsqu'on révisera le règlement, s'il y a lieu. Mais il me paraît extrêmement dangereux d'introduire l'amendement de l'honorable M. Wasseige dans le projet de loi dont nous nous occupons.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne vois pas dans cette question une question de droite ou de gauche ; je n'y vois qu'une question de justice. Le point dont il s'agit se réduit à des termes bien simples ; est-il possible qu'on fasse une enquête à huis clos sans qu'on donne une connaissance quelconque de l'enquête à celui qui est exposé à être frappé par cette enquête ? Voilà la question.

Voulez-vous ordonner qu'avant la fin de l'enquête tous les interrogatoires seront soumis à l'élu pour qu'il puisse faire entendre des témoins et combattre les interrogatoires ? Ce sera déjà quelque chose. Voulez-vous lui donner la faculté d'assister aux opérations de la commission d'enquête ? Cela sera mieux.

L'argumentation qu'on nous oppose pèche par sa base. S'il s'agissait de donner à l'élu voix délibérative dans l'enquête, je comprendrais cette argumentation ; mais tel n'est pas le but de l'amendement présenté par l'honorable M. Wasseige ; ce n'est pas le sens qu'il faut y attacher, on demande seulement que l'élu qui arrive avec le titre électoral, ait le droit d’assister aux opérations de la commission d’enquête ou de s’y faire représenter.

Quel danger y a-t-il à cela ? Dans quel but réclame-t-on cette faculté pour l'élu ? Afin qu’il soit informé des accusations portées contre lui et qu’il puisse y répondre.

Si vous ne lui accordez pas cette faculté, vous déclarez par cela même qu'on peut accuser l'élu, et que l'élu n'est pas admis à répondre à ces accusations. Ce serait là une véritable iniquité.

Je le répète, il ne s'agit pas ici d'une question de droite ou de gauche ; il s'agit d'une simple question de justice, que tout le monde comprend et peut apprécier parfaitement.

L'enquête est, en réalité, la continuation de la vérification des pouvoirs.

Pourquoi refuseriez-vous à l'élu, dans la continuation de la vérification des pouvoirs, ce que vous lui avez accordé dans la vérification des pouvoirs ? Ce serait là une contradiction à la fois choquante et inique.

Je conjure donc la Chambre d'accueillir l'amendement, qui n'est qu'un acte de simple justice : peut-on refuser à l'élu le droit de répondre aux accusations qui sont portées contre lui devant la commission d'enquête ?

- La discussion est close.

M. Wasseige. - M. le président, puis-je faire un changement à mon amendement ?

MpVµ. - Non, M. Wasseige ; la discussion est close ; je dois soumettre au vote l'amendement, tel qu'il est formulé en ce moment.

M. Coomans (sur la position de la question). - Messieurs, je me borne à demander la division. Je suis favorable au premier paragraphe ; mais je crois que le second paragraphe a une portée trop étendue. Il me semble impossible de refuser un vote affirmatif sur le paragraphe premier, mais, selon moi, il serait dangereux d'accepter le second paragraphe.

Je demande la division.

MpVµ. - Elle est de droit.

M. de Theuxµ (sur la position de la question). - Messieurs, je voulais faire la même objection que l'honorable M. Coomans. Il me semble qu'il suffit d'accorder à l'élu le droit d'assister aux séances de la commission d'enquête.

- Un membre. - C'est de la discussion.

M. de Theuxµ. - C'est pour arriver à la division. Nous avons le droit de diviser les propositions.

Or, le premier principe de l'amendement de l'honorable M, Wasseige est le droit au membre dont l'élection est contestée d'assister aux opérations de la commission d'enquête ; c'est sur ce droit que je demande que la Chambre vote par division.

MpVµ. - Je mets aux voix la première partie de l'amendement, concernant le droit pour le membre dont l'élection est contestée d'assister aux séances de la commission d'enquête ou de s'y faire représenter.

- Des membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

67 membres prennent part à cette opération.

27 membres répondent oui.

39 répondent non.

1 membre (M. de Naeyer) s'abstient.

En conséquence la Chambre n'adopte pas.

Ont répondu oui :

MM. Coomans, de Conninck, de Haerne, Delaet, Delcour, de Mérode, de Ruddere te Lokeren, de Smedt, de Theux, de Woelmont, Dumortier, d'Ursel, Jacobs, Janssens, Landeloos, Magherman, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige et Beeckman.

Ont répondu non :

MM. Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove, de Macar, de Moor, de Rongé, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Grosfils, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, Thonissen, T’Serstevens, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Bricoult et E. Vandenpeereboom.

(page 529) MpVµ. - Le membre qui s'est abstenu est invité à donner les motifs de son abstention.

M. de Naeyer. - Je ne suis pas contraire à la disposition dont il s'agit ; mais je pense qu'aux termes de l'article 40 de la Constitution, c'est par notre règlement que nous devons déterminer le mode suivant lequel nous exerçons ses attributions.

J'ai donc cru devoir m'abstenir.

M. Wasseige. - Je déclare retirer la seconde partie de mon amendement.

Article 4

MpVµ. - Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'article 4 ?

M. Nothomb. - A propos du paragraphe 2 de cet article, qui consacre le droit de délégation, j'interprète la disposition en ce sens que cette délégation donnée au magistrat lui sera personnelle et qu'il n'aura pas le droit de sous-délégation.

S'il y a une matière où il faut se renfermer dans des limites étroites, c'est celle des enquêtes parlementaires.

MjTµ. - Nous examinerons ce point demain.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.