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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 27 janvier 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 381) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la dernière séance, la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Steynockerzeel-Humelghem demandent la diminution du droit d'accise sur la bière indigène. »

« Même demande d'habitants de Boussu, Bruxelles, Steynockerzeel. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le sieur Nicaise-Pierard propose de substituer au droit d'accise sur la bière, un droit de 8 fr. par 100 kilogr. de farine employée dans la fabrication de la bière. »

« Même demande des sieurs Mahoux, Oenraets, Maréchal-Delperdange, De Bie, Siville. »

- Même renvoi.


« Des brasseurs à Resteigne proposent de remplacer par une augmentation de la contribution foncière le droit d'accise sur les bières ou du moins de diminuer ce droit. »

- Même renvoi.


« Des employés des douanes, pensionnés, demandent leur rentrée en jouissance du fonds créé en commun sous le gouvernement des Pays-Bas pour le service des pensions des employés inférieurs des contributions. »

M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Bruges demandent la traduction des Annales parlementaires en langue flamande. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent que le cens électoral pour les Chambres soit réellement fixé au minimum constitutionnel ; que tous les citoyens belges, majeurs, sachant lire et écrire, soient portés sur les listes électorales pour la commune et la province ; que l'instruction primaire soit mise à la portée de tous. »

- Même renvoi.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1865

Discussion générale

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, la séance d'hier a été occupée tout entière par des orateurs qui combattent les principes que je défends ; je leur dois un mot de réponse. Je tâcherai d’être bref, afin de ne pas abuser des moments de la Chambre et pour ne pas prolonger le débat.

L'honorable M. Le Hardy n'a produit aucun argument nouveau à l'appui de la thèse qu'il soutient.

Il s'est borné à affirmer son admiration pour le self-government, malgré tous les désastres que ce système de gouvernement a produits aux Etats-Unis, malgré les luttes sauvages dont ce pays est le théâtre, malgré les dépenses dont les citoyens sont chargés, dépenses tellement exorbitantes qu'elles pèseront éternellement sur les Etats-Unis et qu'elles les déshonoreront s'ils ne les payent pas.

Je préfère, messieurs, et je crois que tout le monde sera de mon avis, je préfère le gouvernement calme, sage et régulier de mon pays, au système qui régit le self-government de l'Union américaine.

Si l'on envisage la situation de chacun des pays qui composent cette Union, on est beaucoup plus alarmé, beaucoup plus effrayé des conséquences de ce gouvernement.

Il n'y a qu'un instant, je lisais ce qui suit dans un journal dont on ne suspectera pas l'impartialité :

Voici le bilan du crime à New-York. Il n'est pas consolant :

« Il résulte d'un rapport émanant du bureau des coroners qu'il a été constaté juste cent homicides commis à New-York dans le courant de l'année 1864 sur des personnes dont l'identité a été reconnue. Or, il est démontré par le même document que deux cent trente-sept autres personnes restées inconnues ont péri de mort violente, ce qui porte le bilan de l'année à 357 assassinats, ou à peu près un par jour. Dans ce nombre ne sont pas compris, bien entendu, les crimes restés ignorés, et dont le nombre est indubitablement considérable, ainsi qu'il appert des disparitions mystérieuses dénoncées journellement à la police. Dieu sait ce que révéleraient les rivières et la baie, si leurs eaux s'entrouvraient un jour, ou rejetaient sur les grèves les cadavres auxquels elles servent de tombeau. »

Voilà, messieurs, la situation de ce gouvernement sans police et sans armée.

Après l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, l'honorable M. Coomans a fait un long discours qui m'a fait éprouver une foule de sensations pénibles. Ce discours ne présente que des contradictions depuis le commencement jusqu'à la fin.

L'honorable M Coomans soutient les thèses les plus opposées ; il les soutient, avec sa verve habituelle qui fait que souvent la forme fait oublier le fond.

Messieurs, je vous demande la permission de faire une courte analyse de son discours.

En débutant, l'honorable M. Coomans m'a dit que j'avais enfoncé une porte ouverte en venant défendre les armées permanentes, attendu que tout le monde est partisan de ces armées.

Je ferai cependant observer à l'honorable membre que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu et les économistes de son école ne sont pas de son avis, puisqu'ils combattent les armées permanentes. J'ai une haute opinion des économistes et je trouve que quand ils tiennent une porte fermée, ils y mettent beaucoup de vigueur.

Si donc, en discutant avec les économistes, j'ai enfoncé une porte, ce dont je serais heureux, je constate que cette porte était bien fermée et bien défendue.

L'honorable M. Coomans, après avoir également dit que j'avais lutté contre des moulins à vent, est venu protester de son amour est de sa tendresse excessive pour l'armée, qu'il a défendue dans toutes les circonstances, qu'il n'a jamais attaquée, et dont il s'est toujours montré le partisan le plus dévoué ; c'est d'abord sur le soldat qu'il a porté sa sollicitude, parce qu'étant excessivement généreux, c'est toujours l'opprimé ou le faible qu'il défend le premier. Je l'ai si bien défendu, a dit M. Coomans, que j'ai demandé pour lui de bons vêtements, du bon pain, de l'excellente nourriture ; j'aurais même voulu lui faire donner des biftecks.

Eh bien, j'espère, à mon tour, prouver à l'honorable membre qu'il a enfoncé une porte ouverte. Bien avant qu'il ne prît la défense du soldat, celui-ci avait de bons vêtements et une excellente nourriture ; s'il n'a pas encore de biftecks, il a du moins du bœuf bouilli qui est aussi très nutritif, et qu'il n'a pas toujours chez lui.

Messieurs, cet amour extraordinaire de l'honorable M. Coomans pour les soldats me cause autant de surprise que de satisfaction. Mes souvenirs me donnaient lieu d'en douter, car je ne me rappelle pas que M. Coomans ait jamais formulé une proposition d'augmentation de solde, sans laquelle les vœux et les bonnes intentions restent stériles.

Une seule fois l'honorable membre s'est levé pour demander, non pas une augmentation de solde, mais bien l'augmentation de l'indemnité pour frais de logement chez les habitants.

Or, comme les troupes d'infanterie ne voyagent à pied que dans les environs du camp de Beverloo, on voit qu'il s'agissait surtout de faire un avantage aux habitants de la Campine.

M. Coomans. - Pas un avantage, une justice.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - L'honorable M. Coomans tenait absolument à ce que l'indemnité de logement fût portée de 74 centimes à 1 fr. 50 c.

La Chambre a trouvé ce chiffre exagéré et a accordé 1 fr. 25 c.

C'est la seule augmentation que l'honorable M. Coomans ait fait obtenir non pas aux soldats, mais aux particuliers. Je ne l'en blâme pas ; mais je précise les faits.

Après avoir prétendument défendu les soldats, l'honorable M. Coomans a protesté de son bon vouloir pour les sous -officiers et il en a donné la preuve, dit-il, en demandant qu'on leur assurât de l'avancement et qu'on ne les sacrifiât pas aux élèves de l'école militaire. Eh bien, si l’honorable membre a fait cette demande, c'est encore une porte ouverte qu'il a enfoncée.

La loi dit que les sous-officiers auront un tiers des emplois de sous-lieutenant disponibles et que les deux autres tiers seront accordés au choix du Roi.

Eh bien, messieurs, on peut voir par les états statistiques, que, dans la dernière période décennale, sur 1,432 emplois de sous-lieutenant vacants dans l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie, etc., les sous-officiers en (page 382) ont obtenu 1,100 au lieu des 478 auxquels ils avaient un droit strict, tandis que les élèves de l'école militaire n'ont eu que 332 emplois.

Vous voyez donc que la part des sous-officiers a été bien large, puisqu'on leur a donné trois à quatre fois autant d'emplois qu'aux élèves de l'école militaire.

M. Coomans. - Ce n'est que juste.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Ce n'est pas votre fait.

M. Coomans. - Ce n'est pas encore assez.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Est-ce que vous voudriez que la partie la plus intelligente de la population ne pût pas trouver place dans l'armée ? J'espère que ce système ne prévaudra pas.

Après les soldats et les sous-officiers, l'honorable M. Coomans a parlé de sa tendresse infinie pour les officiers, qu'il a toujours soutenus et pour lesquels il a une admiration si grande qu'il les croit aptes à remplacer les magistrats, les avocats et même les membres de cette Chambre.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.

- Un membre. - Tirés au sort.

M. Coomans. - Si j'avais eu à tirer au sort dans toutes les classes de la société, j'ai dit que j'aurais préféré les officiers.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Quand j'ai vu cette tendresse de M. Coomans pour les soldats, pour les sous-officiers et pour les officiers, j'avoue que j'ai éprouvé une sensation extrêmement agréable et qu'un moment j'ai cru qu'il arriverait à une conclusion diamétralement opposée à celle qu'il a formulée.

Mais, messieurs, je me suis bientôt rappelé les sentiments que j'avais toujours entendu exprimer par l'honorable M. Coomans ; je me suis rappelé les attaques qu'il a toujours dirigées contre l'armée...

M. Coomans. - Jamais !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - ... et contre les armées en général. Je me suis rappelé non seulement ce que je l'avais entendu dire, mais encore ce que j'avais lu dans ses ouvrages et dans sa publication hebdomadaire.

Je me suis rappelé parfaitement que dans un livre dont il ne nie pas la paternité, je suppose, j'ai vu des passages dans le genre de celui que je vais citer, et qui me rendent son amour pour les armées extrêmement suspect.

M. Coomans. - Je n'ai jamais parlé de mon amour pour les années.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Voici, messieurs, ce que je lis dans ce livre :

« Je ne tiens pas à tuer des gens que je ne connais pas, pour des causes qui ne m'intéressent guère ; je tiens moins encore à être abattu par eux comme une bête de boucherie. Je me moque de la gloriole et je plains les pauvres diables qui se font tuer sans gloriole aucune...

« Il me plaît de vivre pour mon pays plutôt que de mourir pour lui. Un citoyen vivant peut lui rendre plus de services que dix morts.

« D'ailleurs, qu'est-ce que le patriotisme ? C'est un fanatisme mal placé, une intolérance surannée, un préjugé contraire à la grande loi de la fraternité humaine, de la solidarité universelle. »

« (...) Voilà pourquoi il y a des millions d’imbéciles, qui obéissent, sous prétexte de patriotisme et d'honneur militaire, à quelques milliers d'hommes ambitieux, passionnés ou intéressés.

« (...) Revenons au patriotisme, par exemple, à cette vieille exagération de l'égoïsme de famille, à ce préjugé antichrétien et antiphilosophique qui a fait couler inutilement tant de sang et de larmes.

« La religion, la philosophie, l'expérience, l'économie publique le condamnent.....

« La liberté est une sottise. Le droit est ce qui est droit et pas autre chose ; ii n'y a de légitime que ce qui est raisonnable, et la majorité qui n'est, aptes tout, qu'un nombre et une force, ne peut pas imposer ses volontés à la minorité. »

Je lis encore dans le même livre :

« Lorsque les nations civilisées s'entendront pour créer un droit des gens, pour condamner les duels internationaux comme on a supprimé les duels entre individus, pour licencier des troupes coûteuses, pour effacer, peu à peu, toutes les causes de jalousie, de haines et de luttes, causes parmi lesquelles les douanes, le patriotisme et l'esprit militaire entrent en première ligne ...

« Aussi longtemps que le courage guerrier, qui est la vertu la plus commune, la plus stérile, la plus dangereuse, sera considéré et récompensé comme la première vertu, il n'y aura pas à croire au progrès, il n'y aura pas de salut à espérer pour l'Europe. »

M. Bouvierµ. - Quel est le titre de ce charmant ouvrage ?

M. de Moorµ. - L'Académie des fous.

M. Coomans. - Il est de moi ce livre, et j'ajoute que c'est mon meilleur.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'y lis encore ceci :

« A moins que la raison ne soit un mensonge et le progrès une chimère, le temps viendra, il est proche, j'en suis convaincu, ou une réaction salutaire s'opérera contre le culte de l'uniforme et du sabre, contre des monstruosités trop tolérées, trop honorées et où les peuples déniaisés comprenant enfin que la gloriole guerrière les ruine et les tue, regarderont du même œil l'épée et le couperet, le soldat et le bourreau

« (...) L'un et l'autre sont des fonctionnaires publics, agissant au nom des lois avec cette différence, toute à l'avantage du bourreau, que celui-ci ne tue que des coupables, condamnés par la justice, tandis que le premier tue à tort et à travers de loin, en aveugle, des gens honorables, innocents.

« (...) Le discrédit où vit le bourreau, principal personnage de l'Etat, et l'admiration vouée au soldat, rouage coûteux et superflu d'une mécanique sociale bien établie, sont une de ces mille inconséquences que le penseur découvre dans nos institutions et dans nos mœurs... »

Voilà donc, messieurs, de quelle manière l'honorable M. Coomans aime et admire l'armée

M. Coomans. - Ce n'est pas tout à fait exact, mais enfin je demande la parole.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je déclare que j'aime mieux une lutte franche et avouée qu'une amitié pareille.

Messieurs, après avoir fuit cette déclaration d'amour à l'armée, je m'attendais à voir l'honorable M. Coomans défendre les armées permanentes en général ; mais la seconde partie de son discours est une attaque on règle, à fond contre les armées.

M. Coomans. - Les grandes armées.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Les armées permanentes sont inutiles ; elles n'ont jamais produit aucun bien, a dit l'honorable membre, et puis il s'est écrié ; Voyez l'audace du général Chazal de venir nous dire que les armées permanentes ont contribué au progrès et à la civilisation, et qu'elles ont sauvé les peuples et les gouvernements ; c'est une absurdité sans nom.

Voilà ce qu'a dit l'honorable membre, et pour soutenir cette thèse, il a fait une course vagabonde dans le domaine de l'histoire.

Permettez-moi, messieurs, de le suivre et vous verrez que ce sont précisément les faits qu'il a indiqués qui viennent à l'appui de la thèse que je défends.

Dans quelques batailles que M. Coomans vous a citées, les milices communales ont battu les chevaliers, troupe demi-permanente et beaucoup mieux organisée que celle des villes. Mais dans un plus grand nombre de batailles que M. Coomans n'a pas citées, c'est le contraire qui est arrivé.

Rocquancourt observe avec raison que c'est à l'établissement des communes que remonte l'origine de la milice communale Eh bien, voyons quelle était la valeur de cette nouvelle force par rapport à la milice féodale, espèce de troupe permanente, sinon par la durée illimitée du service, au moins par les mœurs et la vie toute militaire des chevaliers.

Le lendemain de la bataille de Crécy, 600 lances et 2,000 archers anglais suffire à prendre ou massacrer plus de 50,000 hommes des communes. A la bataille de Poitiers, 48,000 hommes de même espèce furent mis dans une déroute complète par 600 cavaliers anglais qui débouchèrent au moment où les 300 gendarmes envoyés par le seigneur de Ribaumont périrent dans le défilé par lequel on marchait à l'armée anglaise. Un fait analogue se passa à la bataille d'Azincourt. On avait alors si peu d'estime pour ces bandes d'hommes armés, sans discipline, sans organisation et sans instruction militaire, que les Anglais, à Vironfosse, à Crécy, à Azincourt, et les Français à Poitiers et à Cotherel, firent combattre à pied leurs gendarmes, tant ils étaient sûrs de la victoire. Ces pauvres milices étaient si méprisées, dit le général Lamarque, qu'à la bataille de Bouvines, le comte de Boulogne s'en servit comme d'un rempart, derrière lequel il se retirait pour reprendre haleine après avoir chargé. Brantôme les appelait un tas de marauds et de bélîtres, fainéants, pilleurs et mangeurs de peuples.

Les communes et les troupes féodales (ban et arrière-ban) étaient renvoyées dans leurs foyers après la campagne, et ce licenciement s'opérait en général sans difficulté ; mais on avait quelquefois beaucoup de peine à se débarrasser des corps irréguliers et des régiments (page 383) étrangers auxquels les rois avaient dû recourir, par suite de l'insuffisance des troupes ordinaires. Les uns et les autres se composaient d'aventuriers, de gens sans aveu qui ne pouvaient vivre qu'au moyen de la guerre ou du pillage. Ce fut en partie pour délivrer son royaume de ces brigands que Charles VII institua, en 1445, les premières troupes permanentes modernes. « Peu de temps après cette institution, dit le père Daniel, et grâce à l'excellente discipline des cavaliers d'ordonnance, le commerce refleurit dans le royaume, la sûreté des chemins fut rétablie, et les gens des campagnes commencèrent à labourer et à cultiver les terres, sans craindre qu'on leur enlevât leurs chevaux et leurs autres bestiaux. »

Mais ce ne fut pas seulement pour rétablir l'ordre que Charles VII créa cette milice permanente. Son principal but (et lui-même, dans ses ordonnances, l'indique) était de pourvoir à l'insuffisance des milices communales et de la milice des fiefs, insuffisance démontrée par de nombreuses défaites et rendue plus évidente encore par l'hostilité des grands vassaux et le mauvais vouloir de certaines villes toujours prêtes à lever l'étendard de la révolte.

L'honorable M. Coomans s'est écrié encore : Comment ! les armées permanentes ont contribué à la civilisation ? Est-ce que la civilisation n'existait pas avant les armées permanentes ?

J'ai dit, messieurs, que depuis l'établissement des armées permanentes, ïa civilisation avait fait des progrès constants et continus. C'est un fait qui ne peut être contesté.

Il y a 400 ans que les armées permanentes ont commencé à être organisées, et ce n'est que depuis 400 ans que la civilisation a fuit des progrès constants et continus.

M. Delaetµ. - Elles ont inventé l'imprimerie !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Oui, nos communes avaient une civilisation plus avancée que les autres parties de l'Europe à cette époque.

Mais quand M. Coomans vient nous dire que les milices de nos communes ont repoussé les armées permanentes de l'étranger et qu'il cite la bataille des Eperons d'or, M. Coomans commet une erreur historique. La bataille des Eperons a eu lieu cent ans avant la première idée des armées permanentes. D'ailleurs qu'était-ce que cette chevalerie qui venait lutter contre les milices de nos communes ? Etait-ce une armée permanente ? C'était l'armement individuel de tous les seigneurs qui faisaient marcher quelques vassaux avec eux ; ce n'était pas une armée prise dans les rangs du peuple, et qui obéissait à un sentiment national.

C'est ce qui explique pourquoi la chevalerie n'a pas toujours pu résister aux milices de nos communes.

M. Coomans vous a dit encore : Voyez les crimes qu'ont commis les armées permanentes ! N'est-ce pas une armée permanente qui a présidé au supplice des comtes d'Egmont et de Homes ? Je dis que non et j'ajoute que c'est parce que nous n'avions pas d'armée permanente à cette époque que ces héros ont succombé. Le duc d’Albe est arrivé en Belgique avec 12,000 Italiens et Espagnols, et comme nous n'avions pas d'armée permanente pour résister, nous avons dû subir le joug le plus terrible. Voyez, au contraire, ce qui s'est produit dans les Pays-Bas, à la même époque. La Hollande avait créé une armée, et elle a conquis son indépendance.

Voilà la vérité historique. Ou vous a dit : Mais qu'ont fait pour la défense des Etats les armées permanentes ; qu'ont-elles fait pour la Pologne où tout le monde était à cheval ? Mais en Pologne qu'y avait-il, messieurs ? Etait ce une armée permanente ? Non pas ; c'était une aristocratie à cheval, et des serfs que les seigneurs faisaient marcher. Voilà pourquoi ce pays a succombé. S'il avait eu une véritable armée permanente, une armée nationale, il serait encore debout.

On vous a dit encore que les armées permanentes n'avaient jamais contribué à l'affranchissement d'aucun peuple.

Eh bien, messieurs, il est facile de vous prouver que ce sont les armées permanentes qui ont affranchi toutes les nations. Commençons par l'Amérique, elle aurait été incapable de conquérir son indépendance si une armée française, commandée par Lafayette ct Rochambeau, n'était pas venue à son secours.

Permettez-moi de vous faire encore une citation que j'emprunte à l'historien à la guerre de l'indépendance des Etats-Unis ; vous verrez quelle était la situation de Washington lorsque les troupes françaises sont arrivées.

La campagne de 1781, qui devait avoir de si beaux résultats pour l’Amérique, commença néanmoins sous de mauvais auspices. On lit dans l’Histoire de la guerre de l’indépendance, par Charles Botta :

« Les soldats indigènes, couverts de haillons, à demi-nus, privés de (page 384) de tout secours, imploraient vainement la compassion de la patrie qu'ils défendaient. Les vétérans désertaient, les recrues refusaient de rejoindre leurs drapeaux. Le congrès avait décrété qu'au 1er janvier il devait y avoir 27,000 hommes sous les armes ; à peine en eût-on compté la huitième partie (4,000) au mois de mai. L'on eût dit enfin que c'était au moment de la plus forte crise que l'Amérique allait se manquer à elle-même et ne faire plus désormais que des pas rétrogrades. »

Il s'en faut cependant que la confédération ne fît aucune dépense pour l'armée ; ces ramassis de milices débraillées coûtait plus, à cause du désordre qui régnait dans ses rangs, que n'aurait coûté une armée régulière abondamment pourvue de toute chose et bien administrée.

« Les frais qu'entraînait cette guerre, dit Botta, étaient énormes : ils ne s'élevaient pas à moins de 20 millions de dollars par an, quoique l'armée n'eût en moyenne que 10,000 à 15,000 hommes. »

Au reste, tous les Etats qui ont dû se servir de troupes irrégulières sont arrivés au même résultat.

« Les armées permanentes seules vivent économiquement, parce qu'elles ont de la discipline, de l'ordre, de la régularité et une bonne administration On peut dire, sans crainte d'être démenti, que 50,000 volontaires coûteront plus au trésor et commettront plus de dégâts dans le courant d'une campagne, que 100,000 hommes de vieilles troupes. C'est encore un motif sérieux en faveur du maintien des armées permanentes. Mais poursuivons notre récit.

Washington, après bien des déboires, réussit enfin à cerner les Anglais, sous le commandement de Cornwallis, dans York-Town ; il fut puissamment secondé dans cette opération par l'escadre du comte de Grasse, forte de trente vaisseaux de ligne et d'une multitude de bâtiments légers.

Son armée comptait alors, avec les troupes de Rochambeau et de la Fayette, 20 mille hommes dont 4 de milice seulement. A aucune époque il n'avait eu tant et de si belles troupes sous ses ordres. La position de Cornwallis devint de jour en jour plus mauvaise. Enfin, le 19 octobre 1781, il signa la capitulation et déposa les armes avec tout son corps d'armée.

De ce moment, l'Amérique fut libre ; mais, comme l'observe fort bien le général Lamarque, elle dut ce résultat plus encore à l'expérience de ses anciens guerriers, à l'armée permanente qu'elle forma et aux puissants secours que lui prodigua la France, qu'aux élans passagers d'une population toujours prête à tomber d'une extrême confiance dans un découragement sans bornes.

Vous voyez donc, messieurs, que l'Amérique doit son indépendance à une armée permanente.

L'honorable M. Coomans a demandé ce qu'ont pu faire les armées permanentes en Espagne le jour où elle a voulu se défendre ? Eh bien, voyous ce qui est arrivé en Espagne ? Quand l'empereur Napoléon Ier a envahi ce pays, il avait sur les bras la guerre de l'Allemagne ; il fut obligé de composer l'armée d'Espagne d'hommes pris dans les différents dépôts Cette armée, ainsi composée, a-t elle été arrêtée par le patriotisme, par le courage et par tous les avantages naturels qu'ont les Espagnols pour une guerre défensive ? Pas le moins du monde.

Et cependant s'il est un pays où, avec des troupes irrégulières on peut se défendre, c'est à coup sûr l'Espagne qui est un pays de montagnes, avec des frontières presque invulnérables, de grandes rivières, de vastes plaines presque désertes, et qui possède une population belliqueuse très vigoureuse et très sobre. Eh bien, l'armée française, composée de vieux soldats pour lesquels allait sonner l'heure de la retraite, a traversé l'Espagne, jusqu'à Cadix, et l'empereur Napoléon a placé son frère sur le trône.

Si, plus tard, l'armée française a dû se retirer, c'est parce qu'une armée régulière est venue aider les Espagnols à secouer le joug de la France ; ce n'est donc pas à ses guérillas que l'Espagne a dû sa délivrance, mais bien à l'armée anglaise et au duc de Wellington. Voilà la vérité.

On vous a également cité la Grèce et on vous a dit : Est-ce que l'armée permanente de la Grèce a sauvé le roi Othon ?

Je vous disais dans mon premier discours, messieurs, que les nations d'Orient commencent à sortir de la barbarie ; que depuis quelque temps des armées régulières s'y organisent, mais qu'il s'écoulerait longtemps encore avant que la Grèce eût accompli sa transformation. A l'heure qu'il est, la Grèce ne peut pas dire qu'elle ait une armée régulière. Cela est si vrai qu'elle envoie chaque année de nombreux jeunes gens en France et en Belgique pour y apprendre la science militaire qu'elle n'a pas les moyens de leur enseigner.

Nous avons à l'école militaire plusieurs jeunes gens qui demandent à (page 384 leur sortie de servir dans nos régiments peur y apprendre les notions pratiques du métier des armes. Eh bien, quand la Grèce aura une armée permanente bien organisée, je dis que nous ne verrons plus renaître les révolutions qui l'ont si souvent bouleversée.

Après la Grèce, l'honorable M. Coomans a parlé de son voyage à Naples ; il a été invité à dîner par un ministre du roi qui l'a consulté sur la situation. M. Coomans ainsi interpellé aurait fait cette prophétie : «Vous êtes perdu parce que vous avez une armée. »

M. Coomans. - J'ai dit : Vous n'êtes pas sauvé parce que vous avez une armée.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Soit. Licenciez votre armée, avait dit M. Coomans, et vous serez sauvé.

M. Coomans. - Pardon ! (Interruption.)

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, quand j'entends l'honorable M. Coomans nous annoncer qu'il a une recette pour sauver les Etats en danger, je m'attends à voir une foule d'ambassadeurs lui demander de bien vouloir leur faire connaître son spécifique ; et je m'étonne, par exemple, que l'honorable M. Coomans ne communique pas son système à notre saint-père le pape, et qu'il ne l'engage pas à licencier ses trouves et à renoncer à se faire garder par une armée étrangère.

M. Coomans. - L'armée papale n'est pas un dogme.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Sans doute ; mais je veux établir seulement que l'honorable M. Coomans ne doit pas avoir une confiance absolue dans son système et je dis que le pape a parfaitement raison de conserver auprès de lui une armée régulière.

Revenons à Naples et voyons si l'armée eût pu sauver le roi. Il y avait un grand mouvement national dans toute l'Italie ; une grande effervescence régnait dans tous les esprits. Le roi de Naples était à peu près abandonné à lui-même.

On a favorisé l'expédition de Garibaldi. Ce général est entré en Sicile, d'où le roi avait retiré les troupes pour les concentrer sur Naples.

Garibaldi réussit en Sicile ; des amis complaisants lui font traverser la Calabre ; il marche sur Naples où se trouvait l'armée napolitaine, et là il aurait certainement été battu si l'armée piémontaise n'était venue à son recours. C'est grâce à cette armée que Garibaldi a triomphé. La lutte a eu lieu entre deux armées régulières.

Plus tard, les choses se soin passées autrement. Les soldats de Garibaldi, exaltés par les éloges qu'ils avaient reçus dans le monde entier, tentèrent un petit mouvement dans le royaume de Naples. On s'est borné à envoyer contre eux une brigade qui les a culbutés, et le général Garibaldi, grièvement blessé, a été fait prisonnier.

On a dit encore : Les armées permanentes ont-elles sauvé le roi Guillaume ? Eh bien, messieurs, il ne faut pas craindre de rappeler des faits, qui nous offrent un grand enseignement ; nous pouvons les rappeler sans honte, parce que les désastres qui ont suivi nos victoires de 1830 ont été uniquement le résultat du défaut d'organisation de nos fortes militaires.

Dans le premier moment, l'armée du loi des Pays-Bas, qui laissait beaucoup à désirer, a été évidemment repoussée par nos volontaires ; mais ensuite elle s'est concentrée, elle a pris l'offensive et nous avons été repoussés à notre tour parce que nous n'avions pas à lui opposer une armée bien constituée.

Nous avons été obligés d'appeler une armée étrangère, une armée permanente ; et sans cette armée permanente, peut-être, la restauration dont l'honorable M. Coomans parlait hier, aurait eu lieu.

Messieurs, on a enfin cité les événements de Paris, et l'on a dit : « Est-ce que les armées permanentes ont empêché la lutte de juin 1848...

M. Coomans. - J'ai parlé des événements du 24 février ; c'est autre chose.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Eh bien, je vais répondre à ce fait.

Qu'est-ce que la lutte du 24 février ? Quand un gouvernement ne veut pas se servir de son armée, quand il défend à ses officiers d'agir, voulez-vous rendre l'armée responsable des malheurs qui arrivent ?

Permettez-moi de revenir au fait que je citais tout à l'heure, je veux parler de la lutte de juin 1848. Le gouvernement qui était issu du mouvement du 24 février, avait renvoyé honteusement l'armée de Paris, qu'est-ce qui est arrivé ? C'est que ce même peuple qui avait fait le 24 février, s'est insurgé contre la république et contre l'assemblée nationale.

On a employé tous les moyens pour l'apaiser ; on lui a fait toutes les concessions possibles ; on a vu le vénérable archevêque de Paris se rendre parmi les insurgés et leur prêcher la paix, et pour prix de ce dévouement sublime, il a été massacré sur une barricade,

Alors tout le monde a pu apprécier les déplorables conséquences de l'absence d'une armée régulière à Paris. On a rappelé les troupes et de tous les coins de la France il est accouru des défenseurs pour rétablir l'ordre social qui allait périr.

Les insurgés ont été vaincus, les barricades détruites, la cause de la civilisation a été sauvée en France, et peut-être l'Europe entière a été préservée d'une catastrophe, qui aurait été sans exemple.

Dans la troisième partie de son discours, l'honorable M. Coomans a conclu à la suppression absolue des armées permanentes, en soutenant qu'elles n'étaient bonnes à rien. Il a ensuite déclaré qu'il ne voulait pas d'armée permanente en Belgique, parce qu'il en faudrait une aussi forte que celle des puissances qui pourraient nous attaquer.

Eh bien, messieurs, examinons cette thèse. Elle tient au système de défense que nous avons adopté.

Je suppose une conflagration générale européenne. Qu'arrivera-t-il ? Toutes les puissances indistinctement, l'Angleterre, la France, l'Allemagne nous diront : « Etes-vous en état de défendre votre neutralité ? Pouvez-vous garantir qu'une armée étrangère n'envahira pas votre territoire si elle y trouve de l'avantage pour ses opérations ? »

Pour la France, c'est une question importante, car l'occupation de notre pays l'expose à être prise à revers par les puissances du Nord.

Pour l'Allemagne, c'est également une question des plus intéressantes, car il lui importe d'empêcher qu'une armée française ne puisse, en passant par la Belgique, descendre sur le bas Rhin.

Toutes les puissances auraient donc intérêt à savoir si nous sommes en état de maintenir notre neutralité.

Eh bien, messieurs, en cas de conflagration générale, une grande puissance n'aurait pas seulement à diriger ses armées sur le principal théâtre de la guerre, il faudrait qu'elle eût des corps d'armée sur les points secondaires, et que de plus elle gardât ses propres frontières.

Ces obligations multiples l'obligeraient de diviser ses forces, et il en résulterait que, si cette puissance avait intérêt à occuper la Belgique, ce ne serait jamais qu'une partie de son armée qu'elle enverrait chez nous. J'ai souvint fait ressortir cette vérité, en démontrant que sous l'Empire comme à d'autres époque, rarement une armée sur le champ de bataille avait atteint le chiffre de 60,000 à 80,000 hommes ; qu'à Waterloo même, où il s'agissait de l'existence de l'Empire et du sort de la France, il n'y avait pas plus de 60,000 hemmes en ligne du côté des Français.

Il importe que toutes les puissances soient convaincues qu'en cas de conflagration, nous pouvons mettre 100,000 hommes sous les armes, que nous aurons une armée active de 60,000 hommes occupant le point stratégique le plus favorable à notre défense, et qu'enfin nous aurons dans Anvers une position inexpugnable.

Lorsque ces choses seront évidentes, le pays sera véritablement neutre de droit et de fait, car chacun des belligérants aura intérêt à nous laisser en paix.

Grâce à notre prudence et à notre énergie, nous continuerons de prospérer ; nous aurons peut-être quelques dépenses à faire ; mais nous n'aurons pas de dévastations à essuyer ; le commerce ne sera pas arrêté ; au contraire, il deviendra plus prospère et plus florissant.

Telle est l'heureuse situation relative que nous assure notre armée.

Si cependant, ce qu'à Dieu ne plaise, nous étions fatalement engagés dans la lutte et en face de forces supérieures, nous mobiliserions les gardes civiques et nous ne craindrions pas de faire appel à toutes les forces vives de la nation, étant sûr de pouvoir les bien encadrer et les bien diriger grâce aux éléments réguliers que nous possédons.

L'honorable M. Coomans m'a enfin reproché de ne traiter que des questions de principes et de m'être gardé de répondre aux attaques des hommes compétents, tels que l'honorable M. Hayez et des hommes à moitié compétents, tels que l'honorable M. Van Overloop...

M. Van Overloopµ. - Presque compétent.

M. Coomans. - Je n'ai pas voulu blesser votre modestie.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je n'ai pas répondu aux observations de l'honorable M. Hayez, pour deux motifs : le premier, c'est que j'ai déjà répondu si souvent à la plupart de ses assertions, que je croyais inutile d'y revenir ; le second motif, c'est que, dans ses accusations, il ne s'agit que de moi. C'est moi qui suis attaqué.

Eh bien, je fais très bon marché de ma personnalité. Je puis (page 385) disparaître du jour au lendemain et être remplacé. Mais ce que je tiens ici a défendre, ce sont les grands principes sur lesquels repose la défense du pays. Ce sont ces grands principes que je tiens à faire prévaloir.

Maintenant, je déclare que je suis tout prêt à reprendre une à une les attaques qui ont été dirigées contre moi, si la Chambre le désire. Seulement, je lui demanderai quelques instants de repos.

MpVµ. - Permettez-vous qu'un autre orateur prenne la parole ?

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Certainement.

M. Lesoinne. - Messieurs, je tâcherai d'être le plus bref possible. Je ne dirai que quelques paroles pour expliquer mou vote.

J'ai voté contre le projet de loi de l'organisation de l'armée, parce que, dans mon opinion, je ne trouvais cette organisation conforme, ni aux besoins du pays, ni à l'esprit de nos institutions.

Je ne la trouvais pas conforme aux besoins du pays, parce que cette organisation me paraissait calquée sur celle des grandes puissances de l'Europe qui peuvent se trouver engagées dans des guerres lointaines, tandis que nous ne pouvons avoir à soutenir qu'une guerre défensive.

Je ne la trouvais pas conforme non plus à l'esprit de nos institutions, parce qu'elle ne répartissait pas d'une manière équitable entre tous les citoyens les charges de la défense nationale.

Mais je ne suis pas de ceux qui croient que les traités suffisent pour garantir notre indépendance, et je suis encore moins de ceux qui croient que nous ne pouvons pas nous défendre.

Messieurs, si jamais cette opinion que le pays ne veut pas se défendre venait à prévaloir, je vous le déclare, je ne siégerais pas une heure de plus dans cette assemblée ; je m'en irais et je regretterais d'avoir été un des représentants de ce pays pendant 22 ans.

Je crois au contraire que le pays veut et peut se défendre et que l'on songera d'autant moins à l'attaquer, qu'il sera plus fortement organisé pour se défendre. Seulement, je crois que ce grand devoir n'incombe pas à l'armée seule, je crois qu'il faut y joindre le concours de toutes les forces vives du pays. L'armée remplira d'autant mieux la mission qui lui est confiée qu'elle se sentira soutenue par le pays tout entier.

J'aurais donc désiré que le système adopté fût complet et qu'il pût comprendre tous les éléments qui devaient concourir à la défense nationale. J'ai toujours pensé, messieurs, que chez un peuple dont les institutions sont basées sur le principe de la souveraineté nationale, cet état politique imposait aux citoyens l'obligation de remplir de grands devoirs, démocratie oblige, et parmi ces devoirs je place en première ligne celui de la défense du pays et des institutions qu'il s'est données. Si ce sentiment n'existe pas, la nationalité ne peut être que précaire et elle est exposée à périr à la première commotion politique.

Ce sentiment d'ailleurs n'est pas un sentiment égoïste ; ce n'est pas un sentiment immoral ; au contraire ; je trouve que ce sentiment, qui nous porte à faire jusqu'au sacrifice de notre vie pour défendre notre indépendance et notre liberté, a sa source dans ce que le cœur humain a de plus honorable et de plus généreux. Il exerce sur les mœurs d'une nation la plus salutaire influence ; il rend l'homme meilleur ; le relève dans sa propre estime, et le maintient d'une manière sûre dans les voies du devoir et de l'honneur. Ce sentiment a des racines profondes dans le sol de notre pays et l'honorable M. Coomans, lui-même, a cité des exemples de ce généreux dévouement que nous ont légué nos ancêtres.

Messieurs, ce sentiment est encore vivace aujourd'hui dans la population de notre pays. Je suis certain qu'au jour du danger le concours de tous les citoyens ne lui ferait pas défaut.

Messieurs, je ne partage pas l'opinion de M. le ministre de la guerre quant à ce que l'avenir nous réserve. Je crois qu'à mesure que les populations des autres nations entreront pour une part plus large dans l'administration de leurs propres affaires, les chances de guerre diminueront ; elles comprennent mieux de jour en jour les liens de fraternité qui les rattachent les unes aux autres. Les gouvernements qui ont encore quelquefois des velléités de guerre commencent à rencontrer chez leurs propres administrés une résistance assez prononcée contre l'extension des dépenses militaires. J'espère que ces gouvernements finiront par céder à l'opinion publique.

Mais en attendant, nous voyons qu'on ne recule pas devant l'emploi des moyens violents, même envers les nations faibles. Je ne voudrais donc pas, dans les circonstances actuelles, être cause, par mon vote, du rejet du budget de la guerre, et laisser le gouvernement en position d'être pris au dépourvu. Je donnerai mon vote approbatif au budget, et j'attendrai les explications que nous a promises M. le ministre de la guerre, pour me former une opinion définitive à cet égard.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je vais reprendre une à une les différentes accusations qui ont été dirigées contre mon département et contre moi.

Je ne sais pas vraiment où l'honorable M. Hayez a puisé la plupart des renseignements qu'il vous a donnés. On dirait que l'honorable membre est toujours à côté de chaque général et qu'il se trouve au milieu de tous les comités et de toutes les commissions. Il vous a dit, messieurs, que je ne consultais jamais personne, que je faisais tout par moi-même ; c'est me placer sur un piédestal où je ne veux pas rester, parce que ce serait me faire une position beaucoup trop belle.

« Il y a des comités, a dit M. Hayez, et M. le ministre de la guerre ne les consulte jamais. » La vérité est que je suis, pour ainsi dire, le seul ministre qui ait jamais consulté les comités et par une raison bien simple, c'est qu'avant mou arrivée au pouvoir il n'existait qu'un seul comité, celui du génie, qui ne fonctionnait plus depuis vingt-cinq ans. C'est quelques jours avant mon entrée au ministère que M. le général Berten a institué ces comités sur la demande que j'en avais faite dans le conseil de défense qui a siégé à cette époque.

On a dit, messieurs, que le système de défense adopté pour Anvers est mon œuvre personnelle. Rappelez-vous, messieurs, que quand on débutait cette grande question, j'avais nommé une commission de 27 membres pris dans les diverses armes et composés d'officiers de tous grades qui s'étaient occupés de notre système défensif.

Dans cette commission les question de principe, les seules qu'une pareille réunion fût apte à décider, ont été décidées à une énorme majorité ; cela résulte de tous les procès-verbaux, bien qu'on ait voulu soutenir le contraire, en jouant sur les mots et en créant de misérables équivoques.

La commission de défense a résolu en premier lieu la question suivante :

Quel est le système de défense qu'il convient d'adopter pour la Belgique, ou en d'autres termes : « La défense du pays doit elle être excentrique, c'est-à-dire appuyée sur les anciennes forteresses, qui avaient perdu toute valeur, comme je l'ai expliqué plusieurs fois à la Chambre, ou bien cette défense doit-elle être concentrique, c'est-à-dire appuyée sur un petit nombre de points fortifiés et sur une grande forteresse servant de base d'opération et de pivot de manœuvre à l'armée en campagne ?

Le système de défense concentrée fut adopté à l'unanimité des 26 membres présents.

La commission eut ensuite à se prononcer sur la question suivante : « Quel sera le point central de la défense ? »

Il y avait une grande divergence d'opinions parmi les militaires à cet égard ; les uns avaient proposé Anvers, d'autres Bruxelles, d'autres Namur. Tous ceux qui avaient fait ces différentes propositions étaient en présence ; après une discussion longue et approfondie, le point d'Anvers est adopté par 23 membres, deux seulement se prononcent pour Bruxelles et deux sont absents.

La commission s'est occupée ensuite de la désignation des forteresses qui, en vertu du système de la concentration des forces, devaient être démolies.

Elle a reconnu que la plupart de nos forteresses étaient indéfendables et que pour les mettre en état de faire une bonne résistance, il faudrait des dépensés et une armée beaucoup plus considérables que celles que comportent nos ressources. Ces forteresses, en effet, n'ont pas été faites pour la Belgique indépendante ; leur destination primitive était de défendre la Belgique réunie à la Hollande, avec le concours de la sainte alliance.

C'était, en réalité, un système de défense agressif contre la France. Il est évident, messieurs, que, dans notre état de neutralité, ce système n'était plus admissible, et qu'il fallait le modifier profondément. Tous les militaires se sont trouvés d'accord sur ce point et la commission n'a pas hésité à sacrifier un grand nombre de nos places fortes devenues complètement inutiles et même dangereuses.

Après cette résolution, on a posé la question suivante :

« Quel est le système d'agrandissement qu'il faut adopter pour Anvers ? »

Vous savez, messieurs, qu'il y avait trois systèmes en présence : le petit agrandissement, l'agrandissement au Nord ; puis l’ agrandissement moyen, qui englobait la moitié de Berchem et la moite de Borgerhout, et enfin l’agrandissement général, qui englobait tout Berchem et tout Borgerhout.

Eh bien, messieurs, une majorité de 20 voix contre 6 a décidé qu'il fallait préférer l'agrandissement général.

Puis on a demandé à la commission s'il fallait couvrir Anvers d'un (page 386) camp retranché et cette question a été résolue affirmativement par l'unanimité des 28 membres présents.

Vous voyez donc, messieurs, que les grandes questions de principe ont été décidées à une énorme majorité par la commission de 1859.

J'ajouterai qu'au moment où la commission était réunie, une transformation générale se préparait dans les armées, par l'invention de l'artillerie rayée, dont les premiers effets toutefois n'ont pu être appréciés que plus tard, pendant la campagne d'Italie. Il y avait donc lieu d'examiner en principe si, par suite des modifications apportées aux moyens d'attaque, on ne devait pas introduire de changements dans la fortification.

L'histoire prouve que chaque fois qu'un grand perfectionnement a été apporté aux armes, ce progrès a amené des modifications importantes dans l'organisation des armées et dans les moyens de défense, car tout se tient dans l'art militaire.

Très peu d'officiers, même dans le génie, étaient au courant des progrès qu'avaient faits l'artillerie. On a un très grand tort dans les armées (je dois dire toutefois que ce tort existait moins dans la nôtre et que maintenant il n'y existe plus du tout), c'est que les différentes armes n'ont pas assez de communications entre elles et qu'elles vivent dans des régions séparées, ce qui amène de très mauvais résultats.

Il n'en est plus ainsi chez nous ; le génie et l'artillerie vivent en parfaite intelligence et les officiers des deux armes ont l'occasion de s'éclairer mutuellement sur les perfectionnements qui s'introduisent dans l'une ou l'autre branche du service.

En 1859 les officiers du génie ne connaissaient guère que l'ancien système de fortification, cependant après quelques explications données par les membres qui avaient pu faire des études au-dehors, la commission décida, à la majorité de 20 voix contre 2 et 4 abstentions :

Que le système polygonal serait appliqué aux forts du camp retranché ; A la majorité de dix-neuf voix contre une et six abstentions :

Qu'il serait appliqué aux fronts de l'enceinte couverts par l'inondation.

Quant aux fronts qui ne sont pas couverts par l'inondation, la commission s'est partagée. Treize voix se sont prononcées pour le système bastionné et treize pour le système polygonal.

C'est sur ce fait qu'on s'est appuyé, messieurs, pour soutenir que le « projet de la grande enceinte » avait été rejeté.

Puisque la commission s'était partagée eu deux et qu'elle avait rejeté ainsi la fortification bastionnée aussi bien que la fortification polygonale, je me suis demandé ce qu'il fallait faire. Fallait-il fortifier les deux tiers d'Anvers et laisser l'autre tiers non fortifié ? Evidemment non. J'aurais pu faire prévaloir mon opinion. J'étais un des grands partisans du système polygonal. Et pourquoi ? Parce que, grâce aux missions dont m'avait chargé le gouvernement, j'avais eu l'occasion que n'avaient pas eue mes collègues d'examiner en Russie, en France, en Allemagne et dans d'autres pays, les différents systèmes de fortifications, de me mettre en relation avec des hommes qui avaient étudié cette partie de l’art de la guerre et de discuter avec eux les points sur lesquels il y avait divergence d'opinion parmi nous.

J'aurais donc pu, comme ministre et comme président de la commission, faire prévaloir mon opinion et décider que le système polygonal serait appliqué aux fronts attaquables de l'enceinte aussi bien qu'aux fronts couverts par l'inondation.

Or, qu'ai-je fait ?

J'ai dit : Messieurs, vous avez adopté le système polygonal pour le camp retranché et pour les fronts inondables ; je vais, pour ce qui concerne la partie restante de l'enceinte, nommer une commission composée d'officiers du génie et de l'artillerie. Cette commission ira à l'étranger étudier les places fortes les plus remarquables et elle fera un rapport qui servira de base aux instructions que je donnerai pour la rédaction du projet de la grande enceinte.

Quand cette commission est revenue, j'ai donné à l'inspecteur général du génie l'ordre de faire le plan d'ensemble de l'enceinte ; ce plan, qui porte la date du 25 juin 1859, a servi de base aux estimations qui ont été communiquées à la section centrale chargée de l'examen du projet d'agrandissement général d'Anvers.

Après le vote de la loi, le général Delannoy a été chargé de faire les plans d'exécution des diverses sections de l'enceinte et du camp retranché. Les plus importants parmi ces plans étaient ceux comprenant les travaux d'art des fronts attaquables de la place. Un premier type de ces plans fut soumis à mon département le 5 juin 1860.

Je soumis ce type au comité du génie en même temps qu'un type entièrement différent proposé par le capitaine aujourd'hui lieutenant-colonel Brialmont. Le comité, après avoir consacré sept séances à l'examen de ces deux plans, modifia profondément le premier et écarta le second.

Le général Delannoy fit un nouveau plan, conforme aux décisions du comité dont il était le président, et en même temps l'auteur du plan écarté me pria de l'adjoindre temporairement au comité pour lui permettre de défendre son œuvre.

L'arrêté royal qui institue les comités me permettant d'accéder à cette demande, j'adjoignis au comité du génie le capitaine Brialmont et le lieutenant-colonel d'artillerie Eenens, qui par leurs connaissances spéciales et en qualité de membres de la commission envoyée à l'étranger en 1859 pour l'étude des places fortes étrangères, pouvaient être utilement consultés par le comité du génie.

Le général Delannoy convoqua ce comité le 12 juillet 1860, pour examiner son nouveau plan type et le premier plan présenté par le capitaine Brialmont.

Après trois séances, le comité rejeta les dispositions principales du plan de l'inspecteur général et admit à l'unanimité les dispositions principales du plan de M. Brialmont. Le président lui-même vota dans ce sens.

M. de Moorµ. - Qui était-ce ?

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - M. le général Delannoy.

Voilà, messieurs, cette fameuse affaire dont on a fait tant de bruit et qu'on a dénaturée de la manière la plus étrange. Je suis prêt, du reste, à soumettre les procès verbaux du comité au président et aux membres de la Chambre. Ils pourront constater la rigoureuse exactitude de ce que je viens de dire.

M. Bouvierµ. - Nous vous croyons sur parole.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne demande pas qu'on me croie sur parole.

Je passe maintenant au deuxième grief.

On vous a dit que je ne consultais jamais les comités et l'on a ajouté qu'il faudrait, au contraire, les consulter toujours et ne rien faire sans eux.

Messieurs, c'est la théorie la plus absurde qu'on puisse soutenir. Si elle prévalait, dites-moi ce que deviendrait la responsabilité ministérielle ?

Je prétends qu'un ministre ne doit consulter les comités que lorsqu'il s'agit d'une question qu'il ne peut pas résoudre par lui-même.

On vous a dit, messieurs, qu'en France les plus grands progrès avaient été réalisés grâce à l'intervention constante des comités. N'est-ce pas, s'écrie M. Hayez, à ce pays que l'on doit l'invention des canons rayés et une foule d'autres innovations utiles ?

Permettez-moi, messieurs, de vous faire l'histoire des fusils et des canons rayés en France.

Quand il y a vingt ans, M. Treuil de Beaulieu présenta son système de canon rayé au comité de l'artillerie, celui-ci n'y fit aucune attention et le mit de côté.

Vers 1858, l'empereur Napoléon allant visiter la manufacture d'armes de Saint-Thomas d'Aquin, demanda à M. Treuil de Beaulieu ce qu'il y avait de nouveau dans le domaine de l'artillerie. Celui-ci répondit, assure-t-on, qu'il ne pouvait rien y avoir de nouveau par la raison bien simple que le comité de l'arme était hostile ou indifférent à toutes les idées nouvelles. Il raconta à l'empereur ce qui était arrivé à son mémoire sur les canons rayés, et celui-ci prit dès lors la résolution de s'occuper personnellement de cette importante question. Grâce à ses efforts persévérants, l'armée française fut mise en possession d'une arme redoutable au moment où éclata la guerre d'Italie. Jusque-là le secret de cette grande réforme avait été fort bien gardé. Les régiments partirent avec leur ancienne artillerie, et c'est seulement lorsqu'ils furent arrivés à la frontière qu'ils reçurent la nouvelle artillerie dont aucun officier pour ainsi dire ne connaissait le maniement.

Mais comme le système est très simple et que pour ceux qui sont familiarisés avec l'ancien il ne faut que quelques jours pour le connaître et en tirer parti, les officiers se mirent immédiatement au courant du service de cette artillerie qui a produit de si grands résultats en Italie où elle n'eut a combattre que des canons lisses.

L'invention de la carabine et du fusil rayé ne fut pas mieux accueillie par le comité d'artillerie, et chacun sait qu'il a fallu vingt ans d'efforts à M. Delvigne pour faire accepter son invention, dont nous avons fait une application plusieurs années avant que son propre pays l'eût admise.

Passons maintenant au cuirassement des navires.

Il y a plus de trente ans que le général Paixhans soumit un projet de cuirassement au comité de la marine en France. Le comité ne prit pas ce projet au sérieux et il ne jugea l'invention bonne que lorsque l'Amérique en eut fait une application judicieuse. C'est encore à l'initiative de l'empereur que la France doit ses premières batteries flottantes cuirassées et non au concours ou aux lumières des comités

(page 387) Voilà, messieurs, ce que font les comités quant aux idées nouvelles ! Ils y sont le plus souvent hostiles, et c'est ce qui me fait dire qu'il ne faut les réunir que quand le gouvernement veut avoir un rapport sur une question qu'il ne peut décider lui-même.

Messieurs, on nous a dit que nous devrions imiter la France en toutes choses militaires et ne pas chercher nos exemples ailleurs.

Messieurs, personne n'a plus d'admiration que moi, je l'ai dit plus d'une fois dans cette Chambre, pour l'armée française ; personne ne rend plus que moi justice à toutes ses qualités. Mais je ne suis pas exclusif et je crois que je commettrais une faute en ma qualité de ministre de la guerre, si je ne prenais que ce qui vient de la France en dédaignant ce qui vient des autres puissances.

Malgré ma prédilection pour la France, quand j'ai trouvé quelque chose de bon ailleurs, je me suis empressé de l'introduire en Belgique. En voici la preuve :

Quand j'appris les résultats que la nouvelle artillerie française avait produits en Italie et que je vis tout le monde enthousiaste de cette artillerie, j'avoue que j'ai partagé l'engouement général et que j'ai commencé par faire essayer ces canons si remarquablement supérieurs aux anciennes pièces lisses ; mais bientôt mon attention fut attirée sur un autre système d'artillerie et par un bonheur extraordinaire j'ai pu petit à petit avoir communication de ce système.

J'ai assisté aux diverses expériences qui en ont été faites, et quand j'ai pu juger des avantages de ce système, j'ai obtenu que plusieurs de nos officiers assistassent à des expériences décrives, qui devaient avoir lieu à Juliers et à Tegel.

Ces officiers sont revenus entièrement satisfaits du système prussien.

Dès lors nous n'avons plus hésité, et Dieu merci, nous avons eu la main heureuse, parce qu'aujourd'hui avec une somme presque insignifiante, comparativement à ce que tous les autres Etats ont dépensé, nous sommes en possession d'un système complet et excellent. Presque aucune autre puissance n'est aussi avancée que nous aujourd'hui ; toutes sont encore à l'époque de la transformation. Voyez ce qui se passe en France : on y fait encore des expériences en vue d'arriver à un système définitif. Que s'est-il passé en Autriche ?

L'armée autrichienne ayant pris un canon à Magenta, s'était empressée de faire quelques canons d'après ce système. Mais a-t-elle transformé toute l'artillerie d'après ce système ? Non, elle a adopté le système que nous avons pour la majeure partie de son matériel. Si nous avions transformé notre ancienne artillerie au système primitif adopté en France, nous nous trouverions aujourd'hui obligés de faire de nouvelles dépenses, très considérables, pour changer ce système.

Messieurs, si vous consultiez en ce moment les officiers, les sous-officiers et les soldats de l'artillerie, comme je me suis donné la peine de le faire, vous verriez qu'ils professent un véritable enthousiasme pour notre système de canons, je vais vous en donner la preuve : Aussitôt qu'une batterie était confectionnée, les commandants, officiers, sous-officiers et soldats, sollicitaient cette batterie comme une faveur insigne. Rien ne démontre mieux la bonté de ce système, dont personne, du reste, ne peut plus contester la supériorité, depuis que l'on connaît l'immense réputation qu'il a faite aux officiers d'artillerie qui l'ont créé, et depuis que l'on voit presque toutes les puissances de l'Europe envoyer continuellement des officiers dans notre pays pour assister à nos expériences et obtenir des renseignements sur notre système.

II y a même des puissances qui nous disent : Je ne fais pas ma transformation, j'attends que vous puissiez me la faire.

Cette question, j'ai donc le droit de le dire, a été résolue avec un immense bonheur pour la Belgique.

On vous a parlé, messieurs, des fortifications d'Anvers ; on vous a dit que l'enceinte d'Anvers est un squelette, qu'elle n'a pas de logements et pas d'abris pour les artilleurs. L'honorable M. Hayce qui vous disait cela et qui vous conseillait d'imiter la France ne sait peut-être pas que dans ce squelette nous avons cent fois plus d'abris et de logements que dans l'enceinte de Paris et dans aucune place du monde. Les plus grandes positions fortifiées sont Vérone, Porstmouth, Cracovie, Posen et Paris ; eh bien, messieurs, à Paris l'enceinte ne présente pas une casemate ni un seul abri voûté pour la troupe.

Or, à Anvers, nous avons des casemates et des abris spacieux sur tous les fronts. Savez-vous quelle est la seule observation qu'aient faite les ingénieurs étrangers qui ont visité nos fortifications ? Ils ont dit que l'on avait donné trop de force aux corps de place et trop multiplié les abris. J'ai répondu à cette critique en faisant observer que nous avons des corps inexpérimentés, et qu'on ne peut leur donner trop d'assurance pour défendre le dernier refuge de notre nationalité.

Messieurs, on a critiqué aussi la transformation de notre cavalerie. Eh bien, messieurs, cette transformation est une imitation de la France. Nous avons adopté les perfectionnements introduits par cette puissance dans sa cavalerie. Je ne suis pas exclusif, je le répète, je prends tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ce que je trouve de plus avantageux à introduire en Belgique.

L'honorable M. Van Overloop a amèrement regretté que ces beaux cuirassiers aient disparu, et il vous a dit : Nous n'avons plus de cavalerie de ligne.

Mais, messieurs, les cuirassiers n'ont jamais constitué la cavalerie de ligne, ils ne sont que cavalerie de réserve. Les lanciers qu'il a pris pour de la cavalerie légère, sont précisément de la cavalerie de ligne. Mais pourquoi a-t-on supprimé les cuirassiers ? Je vais vous le dire et vous trouverez qu'on a bien fait. Quand les armes à feu ont été inventées, presque toutes les armées se composaient d'hommes bardés de fer ; peu à peu on les fit disparaître parce qu'ils avaient perdu par cette invention la plupart des avantages que leur donnait leur armure.

Mais les traditions ont un tel empire qu'on eut beaucoup de peine à habituer les hommes d'armes à se dépouiller de leur armure. Les cuirassiers étaient ce qui nous restait de ces temps anciens et on les conservait plus pour les souvenirs qu'ils rappelaient que pour leur utilité. Ils avaient l'inconvénient de coûter très cher et de ne pouvoir rendre de services utiles à la guerre que dans des circonstances exceptionnelles et qui se présentent assez rarement. Que de grandes puissances comme la France qui ont 80,000 à 90,000 hommes de cavalerie aient des cuirassiers, je le comprends ; je comprends qu'elle ait 12,000 à 15,000 cuirassiers qu'elle conserve avec soin comme une réserve d'un grand effet moral, dans un moment donné.

Mais pour qu'ils puissent produire un grand effet sur un champ de bataille, il faut qu'ils puissent agir en grande masse et sur un terrain qui se prête à leur action. Dans beaucoup de guerres, on n'a pas trouvé une seule fois l'occasion de les faire agir et ils sont revenus comme ils étaient partis sans avoir tiré le sabre du fourreau.

Tantôt on n'a pas pu les employer, parce qu'ils ne pouvaient arriver à temps sur le lieu de l'action, tantôt parce que le terrain ne se prêtait pas à leurs mouvements, car ils ne peuvent pas passer partout comme le reste de la cavalerie.

Dans la dernière campagne d'Italie ils n'ont pu être employés une seule fois. Tous les militaires savent d'ailleurs que cette cavalerie ne peut faire qu'un seul service, celui de charger, mais qu'elle ne peut ni faire le service des avant-postes, ni celui d'éclaireurs, ni celui de reconnaissances. Aussi n'y a-t-il plus que les très grandes puissances militaires qui les conservent, et encore plusieurs les transforment-elles en cavalerie de ligne, comme nous l'avons fait. Nous autres, messieurs, nous n'avions que deux petits régiments de quatre escadrons chacun, dont nous ne pouvions nous procurer les chevaux et l'armure que hors du pays et très difficilement.

Ces deux régiments qui formaient huit escadrons, eussent été considérablement diminués en très peu de temps de campagne parce que cette troupe a besoin de soins excessifs et ne peut supporter de grandes fatigues, vu le poids de l'homme et de son armure. En outre, cette armure écrasante pour l'homme et le cheval était difficile à entretenir.

Pourquoi aurions-nous dû conserver cette cavalerie ? Dans quelles circonstances aurait-elle pu agir ? Qu'est-ce que huit escadrons, dans le cas où nous aurions trouvé, un jour de bataille, à les faire agir, auraient pu faire contre l'infanterie et l'artillerie munies de leurs nouvelles armes ? Mais absolument rien, messieurs ; c'était donc une véritable cavalerie de luxe. Ce qu'il fallait, en présence de la transformation des armes à feu, en présence de la grande portée des fusils et de la portée vraiment prodigieuse de l'artillerie ; en présence de la justesse du tir et de la force de pénétration des projectiles, ce qu'il fallait avant tout et par-dessus tout, c'était de rendre la cavalerie plus mobile, plus légère, plus vive, plus alerte.

Il fallait la mettre à même d'agir avec plus de rapidité afin de tomber à l'improviste sur l'ennemi, de le surprendre et de se soustraire précipitamment au feu en cas d'échec.

Eh bien, messieurs, c'est le but qui a été indiqué à la commission qui a été chargée de préparer la transformation de notre cavalerie.

Cette commission, messieurs, a recherché ce qu'on avait fait en France et elle est arrivée aux résultats suivants extrêmement remarquables et avantageux. Ce poids qui portait le cheval a été diminué de 45 livres, ce qui est énorme, on a rendu le mouvement de l'homme beaucoup plus facile en ce sens qu'il n'a plus rien qui paralyse son action, ni cuirasse, ni épaulettes, ni aiguillettes, et qu'il peut s'équiper et s'habiller en quelques minutes.

(page 388) On a pu diminuer aussi la hauteur de la selle, ce qui permet à chaque cavalier de monter à cheval et d'en descendre sans la moindre gêne ; de seller et de desseller sans le secours d'un camarade ; cela a eu pour résultat d'empêcher la selle de tourner, de se déplacer et de fatiguer ou blesser le cheval, ce qui arrivait fréquemment autrefois et ce qui faisait perdre beaucoup de temps.

Je pourrais passer en revue toutes les autres modifications qui ont été adoptées et si quelqu'un a le moindre doute sur l'efficacité de l'une ou l'autre de ces modifications, qu'il le dise, et je suis prêt à lui donner toutes les explicitions désirables, car toutes les mesures prises par la commission ont eu un but indiqué par l'expérience et le bon sens.

On m'a reproché, messieurs, d'avoir fait faire des expériences après la transformation au lieu de les faire avant.

Messieurs, après que la transformation eut été décidée et en partie effectuée, j'ai voulu m'assurer qu'elle était bien faite ; et puis, pour convaincre chacun des avantages du nouveau système, j'ai fait pour la cavalerie ce qu'on faisait jadis pour les cuirassiers. Vous savez, messieurs, que dans certaines armées, pour inspirer aux soldats de cette arme une confiance absolue dans leur cuirasse, on l'éprouvait par un coup de fusil et on laissait l'empreinte de la balle marquée sur cette partie de l'armure qu'elle n'avait pas pu traverser. Les soldats se croyaient dès lors invulnérables et en devenaient plus confiants. Eh bien, pour montrer les avantages des modifications apportées à l'équipement et au harnachement de la cavalerie, voici l'expérience que j'ai fait faire :

J'ai ordonné aux garnisons de Louvain et de Bruxelles, où il y a des régiments de cavalerie et à l'école d'équitation d'Ypres.de former des pelotons dont les hommes et les chevaux seraient équipés et armés d'après l'ancien système, des pelotons d'hommes et de chevaux armés et équipés d'après le nouveau système.

Cela fait, j'ai ordonné que chaque jour pendant une durée d'un mois, on fit partir de Bruxelles pour Louvain et de Louvain pour Bruxelles ces doubles pelotons.

Dans chacune de ces villes il y avait une commission qui, présente à l'arrivée de chaque peloton, constatait comment le voyage s'était effectué.

Cette commission examinait homme par homme, cheval par cheval, et dressait un procès-verbal du résultat de son examen.

Quand l'expérience a été complète, on a réuni les deux commissions, et il est résulté de leurs procès-verbaux les choses les plus intéressantes.

Les épreuves ont duré 30 jours consécutifs. Elles ont été faites pendant la plus mauvaise saison de l'année, par tous les temps, par des chemins de traverse, en exécutant des charges, des passages d'obstacles, des sauts de fossés et de baies. Ces pelotons ont parcouru 860 kilomètres en 104 heures.

Voici, messieurs, quels ont été les résultats de ces épreuves :

Chevaux épuisés par le poids ; ancien système, 18 ; nouveau système, pas un seul ! chevaux blessés : ancien système, 12 ; nouveau système, un seul, et encore celui-ci n'avait-il été blessé qu'à cause d'un petit défaut qui a été constaté à la selle.

Voilà, messieurs, les premiers résultats de ces expériences.

Outre cela, messieurs, le nouveau système occasionne moins de frais que l'ancien et il a débarrassé le soldat d'une foule de choses qui demandaient un entretien excessif. Au nombre des avantages qu'il présente encore on peut ajouter ceux-ci : jadis les soldats avaient un pantalon charivari, c'est-à-dire dont la partie en contact avec le cheval était en cuir qui devait être graissé pour être maintenu en bon état.

La selle était couverte d'une peau de mouton qui nécessitait un entretien et des frais considérables, parce que, noircie et graissée par le charivari, il fallait chaque jour la laver, la blanchir, la dégraisser et la sécher. Dans les marches et les manœuvres, s’il faisait beau elle était un nid à poussière, s'il pleuvait elle était une éponge qui s'imbibait de plusieurs litres d'eau ; le cavalier en éprouvait des inconvénients que tout le monde comprend et le cheval une surcharge considérable. Tout cela, messieurs, est modifié, tous ces inconvénients ont disparu, grâce à l'adoption du nouveau système.

On a prétendu, messieurs, que je ne consultais personne sur l'utilité de ces changements.

Voici les noms des officiers qui faisaient partie de ces commissions et qui ont constaté ces faits :

Les lieutenant généraux Lahure et Abiay ; les généraux-majors Frison et Devilliers ; les colonels Maréchal, Selle et Fivet ; les lieutenants colonels Frantzen, Kessel set de Fauconval ; les majors Nypels et Lecocq ; les capitaines Maclot et Guillaume.

Il suffit, messieurs, de citer ces noms pour prouver qu'il y avait là toute garantie que les expériences seraient faites judicieusement et consciencieusement.

Mais avant ces expériences, j'avais réuni toute la cavalerie au camp de Beverloo et dans une période de manœuvres qui a eu lieu avant la transformation on a encore consulté tous les chefs de corps et les principaux officiers.

Mais, messieurs, on prendrait plus de précautions encore, qu'on ne parviendrait pas à imposer silence à la critique. Ainsi, quant à moi, j'en prends résolument mon parti et je reste convaincu que ce changement a été des plus avantageux pour la cavalerie. Il a eu pour effet de la rendre plus légère et plus propre par conséquent à sa véritable destination, plus apte à tous les services que l'on doit attendre de son énergie et de son dévouement.

Je dirai encore un mot. On demande : A quoi sert la cavalerie dans notre système de défense : aurons-nous encore besoin d'une cavalerie avec la place d'Anvers ?

Mais, messieurs,, quand il s'est agi de décréter le système de défense du pays, quand j'ai proposé à la Chambre les fortifications d'Anvers, on m'a posé cette question et on m'a dit : Vous allez donc abandonner le reste du pays, vous allez vous réfugier sous les murs d'Anvers.

Et que vous ai-je dit à satiété ? Personne dans la commission n'a eu cette idée et n'a songé que la position d'Anvers changerait le rôle de l'armée active, la condamnerait à se renfermer dans Anvers et à soutenir une défense inerte.

Messieurs, avec notre ancien système, il devenait impossible de défendre le pays. Les places fortes qui renfermaient notre matériel et nos dépôts étaient disséminées sur toutes les frontières. En outre, ces places étaient indéfendables, si je puis m'exprimer ainsi.

Je vous l'ai dit souvent, on avait laissé envahir les zones de servitudes de constructions, on avait laissé faire des routes, des chemins de fer, des canaux à travers toutes les frontières, de sorte que les places pouvaient être tournées et ne commandaient plus aucun passage. Aucune d'elles n'était défiée de la nouvelle artillerie et n'avait de logements abrités. Toutes nos richesses militaires étaient donc exposées à être enlevées dès le début de la guerre.

Dès lors, notre armée était privée de tout ce qui lui était nécessaire pour agir, et au bout de quelques jours elle se trouvait dans le dénuement le plus absolu.

Ce système avait été conçu à une époque où la Belgique faisait partie de la Sainte-Alliance, et pouvait compter, pour défendre ces places, sur une armée plus considérable que la nôtre et sur le concours d'une armée de 60,000 hommes que devaient lui fournir les puissances alliées dès que le casus fœderis était déclaré.

Ce système était créé uniquement contre la France, il était plus offensif que défensif et ne convenait plus à notre situation politique et à nos ressources financières et militaires.

Parce que le système de notre défense est modifié, le rôle de l'armée a-t-il changé et n'est-il plus nécessaire d'avoir de la cavalerie ? C'est tout le contraire. Il est incontestable que le rôle de l'armée est aujourd'hui plus facile, plus logique.

. Le général qui commandera l'armée, aura plus de facilité ; un système d'opérations plus clair, plus net, plus précis ; il ne devra pas avoir un grand génie pour commander l'armée ; il aura une base d'opérations unique, invariable ; il pourra disposer de l'armée avec beaucoup plus d'assurance qu'il n'aurait pu le faire jadis ; il ne sera jamais privé de ses ressources militaires, comme il pouvait l'être avec l'ancien système. L'armée ayant toujours Anvers pour base d'opération pourra se porter partout où sa présence sera avantageuse à la défense du pays selon l'ennemi auquel elle aura affaire et selon ses mouvements.

La cavalerie lui sera plus utile que jamais, pour éclairer ses mouvements, reconnaître ceux de l'ennemi, pousser des reconnaissances, faire le service des avant-postes, protéger les convois, occuper les positions éloignées.

Sans cette arme, il n'est pas un seul général qui eût un moment de tranquillité. Une bonne cavalerie dans un pays comme le nôtre, est donc indispensable. Mais il faut que cette cavalerie soit très mobile et par conséquent allégée, afin qu'elle puisse suffire à ce rude et utile service. Si nous étions menacés du moindre danger, vous verriez toute l'armée réclamer de la cavalerie, et à ce moment-là on regretterait amèrement de l'avoir affaiblie, on aurait paralysé et amputé l'armée d'un de ses membres les plus précieux.

M. Bouvierµ. - Etes-vous converti, M. Van Overloop ?

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je suis convaincu que si l'honorable M. Van Overloop trouve mes raisons bonnes, il sera converti, parce que je lui reconnais assez de loyauté pour cela.

(page 389) Messieurs, je ne veux pas laisser passer un seul des griefs qu'on m'a faits. On m'a accusé, et vraiment je n'ai pas compris l'accusation, d'avoir dans une commission secrète, au moment où l'on était menacé d'un grand danger, où la guerre paraissait sur le point d'éclater, proposé la nomination d'un chef d'état-major de l'armée...

M. Van Overloopµ. - Ce n'est pas moi.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Certes, non, ce n’est pas vous. On a dit que c'était une mesure inconstitutionnelle que j'avais osé proposer.

Alors, messieurs, nous avons été inconstitutionnels pendant bien longtemps ; car nous avons eu un chef d'état major pendant dix ans ; nous avons eu d'abord le général Desprez, puis le général Hurel, jusqu'en 1839. Si demain nous étions menacés d'un danger quelconque, il faudrait nommer tout de suite un chef d'état-major et même je crois qu'en tout temps ce serait une bonne mesure.

Messieurs, moi qui ai l'honneur de porter aujourd'hui la parole devant vous, il y a eu un moment où j'ai reçu ma nomination de chef d'état-major ; dans ce moment on craignait la guerre ; comme les événements se sont calmés, je n'ai pas accepté ces fonctions.

Je déclare que si le plus petit danger se présentait pour le pays, je proposerais tout de suite au Roi la nomination d'un chef d'état-major, et si je ne le faisais pas, je commettrais la plus coupable de toutes les absurdités, car je rendrais tout simplement l'action de l'armée impossible.

Messieurs, on m'a accusé, dans cette enceinte, de favoritisme. Ici l'honorable M. Van Overloop est un peu coupable, comme l'honorable M. Hayez et comme l'honorable M. Julliot.

M. Julliot. - Pardon, je n'ai pas parlé de cela.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je croyais que vous étiez aussi un de mes accusateurs et j'apprends le contraire avec plaisir.

Je tiens, messieurs, à vous donner à ce sujet des explications très catégoriques.

Messieurs, d'après la loi, la nomination des officiers se fait de deux manières. Pour les officiers subalternes, la moitié des nominations se fait au choix du Roi, et l'autre moitié à l'ancienneté. Il en est ainsi dans presque tous les armées. Pour les grades d'officiers supérieurs et de capitaine commandant dans les armes spéciales et dans la cavalerie, tout est au choix du Roi, il n'y a plus d'ancienneté. Voilà la législation.

Or, tant que je ne sors pas des termes de la loi, je suis parfaitement dans mon droit ; on n'est pas fondé à me faire des reproches, et je ne serais pas obligé de donner des explications.

Mais je me suis imposé une règle ; je me suis dit : « Un ministre de la guerre est surchargé de tant de détails d'administration que, quelque connaissance qu'il ait de l'armée, bien qu'il ait vécu longtemps avec elle, il ne peut pas la voir et l'apprécier d'une manière infaillible. Par conséquent, je ne proposerai au Roi aucune nomination au choix, usant de ma propre initiative ; je ne soumettrai au Roi que des nominations au choix qui émanent des inspecteurs généraux, et je puis déclarer que je n'ai pas fait à Sa Majesté une seule proposition de ce genre qui n'émanât pas d'un comité d'inspecteurs généraux.

Messieurs, permettez-moi de vous donner une explication sur la manière dont se font les inspections générales.

Tous les ans ou presque tous les ans, mais il est fort rare qu'une inspection n'ait pas lieu chaque année, le Roi désigne un certain nombre de généraux munis de très grands pouvoirs. Ces généraux se rendent dans les différents corps de l'armée, ils ont le droit de faire une investigation sur toutes les parties du service.

Ils sont obligés de faire subir un examen théorique et un examen pratique aux officiers et aux sous-officiers.

Au préalable, les chefs de corps ayant été informés de l'époque à laquelle aura lieu l'inspection générale, sont obligés eux-mêmes de rédiger des notes sur tout le personnel de leur régiment, de signaler les officiers qui se conduisent bien, qui travaillent, qui ont de l'aptitude pour le métier, et ceux qui se conduisent mal, qui n'ont pas un zèle suffisant ; enfin ils doivent faire une biographie de chacun de leurs officiers et sous-officiers.

Le général commandant la brigade doit examiner ce travail des chefs de corps ; il y ajoute ses avis et considérations ; il remet ensuite ce travail préparatoire à l'inspecteur général dès son arrivée au corps. Celui ci examine et contrôle ces documents et met son avis motivé sur chaque note du chef de corps et du général de brigade.

Quand les généraux inspecteurs ont passé dans un régiment le temps nécessaire pour lui faire subir un examen général, portant sur toutes les parties du service, ils sont réunis à Bruxelles, et ils forment ce qu'on appelle le comité des inspecteurs généraux ; là tous les avis sont examinés, et le comité fait ensuite des propositions pour l'avancement.

J« crois que c'est là la plus grande, la plus sérieuse garantie que les officiers puissent avoir. Je ne dis pas que quelquefois on ne se soit pas trompé, car les comités ne sont pas plus infaillibles que les individus, mais je puis dire que c'est bien rarement.

On a dit que le ministre de la guerre avait favorisé la nomination du capitaine Nicaise, attaché à son cabinet. Si j'entre dans ces détails, si je cite cet officier, c'est que je veux lui donner une récompense publique de son zèle, de son dévouement et des services qu'il ne cesse de rendre à son pays.

Je crois en principe que je ne devrais donner aucune explication à ce sujet, et je ne le fais que pour venger cet homme distingué des attaques dirigées contre lui.

Messieurs, quand un ministre attache des officiers à son cabinet, surtout lorsqu'un ministre arrive au pouvoir pour faire des travaux immenses, une modification sans exemple dans l'armée, les choses les plus difficiles et les plus laborieuses, où va-t-il chercher ses aides ? A qui les demande-t-il ? Il s'enquiert des officiers les plus capables, les plus laborieux, et c'est ceux-là qu'il prend pour aides, dont il s'entoure. Eh bien, messieurs, quand j'ai appelé dans le cabinet du ministre M. Brialmont, M. Nicaise, M. Mockel, pourquoi les y ai-je appelés ?

Je ne connaissais pas M. Nicaise ; c'est parce que tous ses chefs me disaient : C'est un homme inappréciable, c'est un homme infatigable au travail, un homme d'une intelligence supérieure. Eh bien, je suis heureux de lui rendre ce témoignage, c'était vrai ! C'est un homme dont toute armée serait fière, un homme qui a rendu les plus grands services et qui, depuis son entrée dans l'armée jusqu'à ce jour, a été signalé comme un officier hors ligne.

Messieurs, bien que les propositions des comités soient une sorte de secret de famille, permettez-moi de vous faire connaître celles dont M. le capitaine Nicaise a été l'objet.

Voici toutes ces propositions ; ce n'est pas seulement les dernières années, c'est tous les ans, qu'il a été proposé au choix hors ligne, par tous ses chefs, par le colonel du régiment auquel il appartenait, par le général de brigade, par le général inspecteur de l'armée, par le général sous les ordres duquel il était placé, au département de la guerre, pour les travaux extraordinaires qu'il avait à faire.

Voilà cet officier sur lequel on a cherché à faire planer des soupçons. Eh bien, je tiens à dire qu'il a bien mérité de son pays, et que tant que j'aurai quelque influence dans l'armée, je tâcherai de pousser des hommes comme celui-là.

M. Hayezµ. - Etait-il le premier sur la liste ? (Interruption.) S'il n'était pas le premier, il n'a pas été nommé légitimement.

MfFOµ. - Vous avez nié qu'il eût été présenté.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, en 1859, cela ne date pas d'aujourd'hui, M. Nicaise est présenté au grand choix.

Eu 1860, il est présenté au grand choix.

En 1861, il n'y eut pas d'inspection générale.

En 1862, il fut nommé capitaine eu second sur la présentation de tous ses chefs.

En 1863, il est présenté de nouveau au choix.

En 1864, il est présenté au grand choix hors ligne.

Permettez-moi de vous lire ces présentations.

Voici ce que disait en 1859 M. le colonel Hippert, que nous venons malheureusement de perdre hier. Il y a ici des représentants de Liège qui connaissent l'honorabilité du colonel Hippert :

« Serviteur zélé, excellent instructeur, manœuvrier habile, soldat énergique, cet officier, d'autant de mérite que d'avenir, commandera une batterie avec beaucoup de distinction. Il est digne d'avancer au grand choix. »

Voici une autre note d'inspection de 1860 :

« Excellent instructeur, manœuvrier habile, cet officier aussi instruit qu'énergique a de grandes chances d'avenir. Il commandera une batterie de campagne avec beaucoup de distinction, et mérite d'avancer au grand choix, car il importe à l’arme qui grisonne trop de créer du bois d'avenir, »

En 1863, avis du général-major Du Pont, inspecteur général permanent de l'arme.

« Très bon officier, apte au service dans les batteries à cheval ou (page 390) montées et aux autres services de l'arme ; a beaucoup d'avenir ; digne d'avancement au choix. »

Inspection générale de 1864. Avis du général-major Soudain de Niederwerth, commandant de brigade. (Vous voyez qui tout le monde est d'accord ?)

« Officier du plus grand avenir, très zélé, très dévoué, fort intelligent et instruit, mérite un avancement hors ligne. »

Extrait d'un rapport du général Donny, directeur de l'artillerie ou ministère de la guerre.

« Le capitaine Nicaise, attaché au cabinet de M. le ministre de la guerre et mis à ma disposition, pour les travaux concernant le nouveau système d'artillerie, a fait preuve de beaucoup d'intelligence et d'instruction, ainsi que d'un zèle infatigable pendant les quatre années écoulées depuis l’introduction des canons rayés en Belgique. Un grand nombre de missions à l'étranger, lui ont été confiées, et il s'en est acquitté avec un succès complet. Il a fait, aussi, partie de toutes les commissions spéciales, qui ont eu pour objet, l'étude des diverses questions se rattachant à l'établissement de la nouvelle artillerie.

« Les services rendus par cet officier dans la position exceptionnelle qu'il occupe, et les qualités qui le distinguent, méritent selon moi, un avancement hors ligne.

« Avis du lieutenant général Du Pont, inspecteur général permanent de l'artillerie.

« Rapport confidentiel.

« Comme il importe de faciliter à des officiers hors ligne l'avancement aux grades supérieurs, j'ai l'honneur d'appeler votre bienveillante attention sur le capitaine en second Nicaise, et sur le lieutenant De Cuyper, qui sont, à juste titre, signalés comme tels. »

Voilà, messieurs, la grande injustice que j'ai commise en nommant cet officier. (Interruption.)

M. Van Overloopµ. - Je déclare, M. le ministre, que je suis complètement satisfait.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'en étais persuadé.

Messieurs, on a soutenu une théorie contre laquelle je dois m'élever. On vous a dit : Mais dans les armes spéciales, il ne devrait pas y avoir d'avancement au choix. Les officiers, pour être nommés, doivent subir un examen ; ils sortent de l'école militaire ; ils sont tous capables, ils ont tous le même mérite.

Messieurs, c'est une véritable hérésie au point de vue militaire, et si elle devait prévaloir, vous n'auriez plus d'armée.

II y a deux catégories d'officiers qui sortent de l'école militaire. II y a des officiers qui savent qu'ils n'ont reçu que les éléments de la science, qu'ils doivent travailler, qu'ils ont reçu un instrument qui doit les aider à devenir de bons officiers pour servir leur pays. Il y a une autre classe d'officiers qui croient, en sortant de l’école, qu'ils ont la science infuse, qu'ils ne doivent plus rien faire pour arriver aux plus hautes positions, et ceux-là se liguent pour empêcher les bons officiers d'avancer. Eh bien ! quoi qu'il puisse arriver, à quelques calomnies que je sois en butte, je soutiendrai les bons officiers et je poursuivrai les mauvais.

- Plusieurs membres. - Très bien ! très bien !

MpVµ. - La parole est à M. Hayez. (Interruption.)

M. Hayez cède son tour de parole à M. Jacobs.

M. Jacobsµ. - Messieurs, lors du vote des crédits provisoires accordés au département de la guerre, j'ai annoncé l'intention d'interpeller le chef de ce département au sujet de la polémique qui s'est engagée entre le général Delannoy et le Moniteur, par rapport aux fortifications d'Anvers.

En voyant M. le ministre se restreindre dans son premier discours à des considérations générales, j'avais pris la résolution d'attendre la discussion des articles pour réclamer la parole. L'incident dont je voulais entretenir la Chambre eût été noyé dans la discussion générale ; je tenais à ce qu'il ne le fût pas.

Aujourd'hui que le général Chazal vient de s'engager dans des considérations de détail et qu'il a le premier abordé cet incident, je le suis sur le terrain où il s'est placé et je m'empresse de lui répondre. Pour le faire sans retard, j'ai prié mon honorable collègue, M. Hayez, de me céder son tour de parole. Je le remercie d'y avoir consenti.

- Plusieurs membres. - C'était cependant le moment de parler.

M. Jacobsµ. - Les éléments du débat dont je parle sont encore présents a vos esprits quoiqu'ils doivent se reporter de quelques mois en arrière. Il ne sera cependant pas inutile de rappeler brièvement les principales allégations émises de part et d'autre.

Voici ce qu'affirme l'ancien inspecteur général de notre corps du génie ;

La commission des 27 officiers, chargée en 1859 de l'examen de toutes les questions se rattachant à la défense nationale, avait admis le principe de concentration ; elle avait choisi Anvers comme pivot de la défense et, enfin, avait adopté l'agrandissement général de cette place.

Passant alors du principe à l'application, elle débattait un projet de grande enceinte conçue suivant le système polygonal, dont le plan lui était soumis ; le général Delannoy combattait ce projet en suivant sur le plan la marche d'une attaque régulière, lorsqu'il fut interrompu par le président de la commission, M. le ministre de la guerre, qui mit aux voix la partie de cette grande enceinte comprenant les fronts attaquables, non couverts par l'inondation ; cette proposition, comme vient de le rappeler M. le ministre de la guerre, fut rejetée par 13 voix contre 13. Voilà pour l'enceinte.

Quant au camp retranché, son tracé ne fut pas soumis à la commission ; l'eût-il été, elle l'eût rejeté. Il a deux défauts capitaux : il pèche par son étendue, trois lieues et demie de longueur, que nos troupes seront impuissantes à défendre, même dans les circonstances les plus favorables ; il pèche encore par ses flancs qui sont ouverts et qui peuvent être aisément forcés.

Le plan qui fut communiqué à la section centrale de la Chambre en 1859 (et dont le général Delannoy décline la paternité), ce plan n'était qu'un mirage et l'estimation détaillée qui l'accompagnait n'était qu'une fiction ; des changements continuels y ont été opérés pendant l'exécution ; des travaux achevés ont été abandonnés ensuite comme inutiles.

La soi-disant citadelle du Nord, qui n'a ni logements ni magasins, constitue un polder inhabitable à 2 1/2 mètres au-dessous du niveau de la marée ; elle ne peut servir à rien du moment que la ville est prise.

Et comme conséquence de ces critiques, le général Delannoy conclut que le gouvernement endort le pays dans une sécurité trompeuse au sujet de l'entreprise dangereuse et ruineuse des fortifications d'Anvers.

A cela, messieurs, que répond le Moniteur ? Peu de chose.

La commission des vingt-sept ne s'est occupée que de principes, elle n'a délibéré ni sur un plan ni sur un projet. Le fameux vote de partage ou de rejet, comme on voudra l'appeler, portait sur l'adoption du système polygonal pour les fronts non inondables de la grande enceinte. Ce système ayant été admis pour les autres parties de la fortification, il était naturel de le généraliser, même malgré ce vote.

Les plans, quoi qu'en dise le général Delannoy, émanent de cet officier, et depuis le jour où ils ont été définitivement arrêtés, environ un an après le vote de la loi, aucun changement n'y a été apporté, à part la suppression de quelques maçonneries reconnues inutiles.

J'ai résumé, messieurs, l'attaque et la défense. Vous pouvez apprécier la gravité de l'une et la faiblesse de l'autre. La réponse ambiguë et incomplète du Moniteur rendait nécessaires des explications complémentaires, et l'honorable général Chazal paraît l'avoir compris ; mais ce qu'il y a ajouté est d'autant plus insuffisant, que je vais avoir l'honneur de lui rappeler quelques déclarations faites par lui à une époque antérieure et qui ne cadrent pas plus avec celles de son organe officiel, le Moniteur, qu'avec celles de son adversaire, le général Delannoy.

Lorsqu'on veut se rendre compte des délibérations de la commission de 1859, on se trouve en présence de trois affirmations diamétralement contraires : d'après le Moniteur, cette commission ne s'est occupée que de principes, du système de concentration, du système polygonal, etc. ; d'après le général Delannoy, elle a délibéré sur un projet, projet d'ensemble seulement il est vrai ; enfin, si l'on en croit le général Chazal, la commission aurait discuté et approuvé tous les détails, toutes les pièces, toutes les parties des travaux qu'on exécute.

Voici, messieurs, quelques très courts passages, et puisque l'on a un peu abusé des citations dans ce débat, vous voudrez bien me permettre d'en faire à mon tour quelques-unes.

Dans l'exposé des motifs du projet de 1859, l'honorable général Chazal écrivait ce qui suit :

« La Chambre comprendra que le gouvernement ne peut livrer à la publicité les documents relatifs aux travaux de la commission instituée par lui. Ces documents assez volumineux, les plans et devis détaillés des ouvrages à construire ainsi que plusieurs mémoires et notes explicatives des décisions prises sont réunis et déposés au département de la guerre. Le chef de ce département et des membres de la commission qu'il a désignés dans ce but seront à la disposition de MM. les membres de la législature qui voudraient prendre communication de ces documents ou qui désireraient recevoir des explications détaillées sur toutes les parties du système de défense et de fortifications soumis à leurs délibérations. »

C'étaient les membres de la commission que l'on chargeait de donner des explications sur tous les points de détail. C'était indiquer d'une (page 391) manière assez claire que les détails mêmes avaient reçu l'approbation de 1a commission.

Aussi M. le ministre de la guerre présenta-t-il son système, sous le patronage de la commission, comme « un système nettement défini, arrêté dans son ensemble et dans ses détails. » Et lors qu'on lui objectait que déjà l'année précédente il s'était abrité derrière une commission, pour repousser cette grande enceinte qu'il accueillait aujourd'hui, que répondait M. le ministre de la guerre ?

« Ce que la commission de l'année dernière condamnait, disait-il, ce n'était pas le système de l'agrandissement général, mais bien le plan qu'on lui avait soumis... La commission de cette année, après avoir exprimé la même opinion, a formulé des principes d'après lesquels le gouvernement a fait exécuter le plan qui vous est soumis. »

S'il n'y avait que cela, le général Chazal et le Moniteur se trouveraient parfaitement d'accord, mais le ministre continue :

« Ce plan ne présente plus aucun des défauts que signalait l'an dernier M. le commissaire du Roi : il est donc tout naturel que la majorité de la commission se soit ralliée à un projet de grande enceinte qui ne laisse plus rien à désirer au point de vue de la défense. »

Ainsi d'après le général Chazal, la commission s'était livrée à une double opération : elle avait commencé par déterminer les principes et le Moniteur déclare qu'elle n'a pas fait autre chose ; ensuite elle se serait livrée à l'examen du plan conçu d'après ces principes et l'aurait approuvé ; c'est ce second travail que le Moniteur a nié.

En 1862, lorsque différents membres de la Chambre réclamèrent le dépôt sur le bureau des procès-verbaux de la commission, pourquoi le général Chazal s'y opposait-il ?

Parce que, disait-il : « Ces documents résument tout notre système de défense et les débats qui ont eu lieu sur chaque pièce de la fortification d'Anvers. »

On a donc discuté à cette époque dans la commission le nombre de forts détachés, le réduit de Merxem, que l'on supprime, le fort sur la rive gauche auquel on renonce, le maintien de la citadelle du Sud, l'établissement de la fameuse citadelle du Nord. Ce qui ne permet de conserver aucun doute à cet égard, c'est que lorsqu'on réclama la démolition de la citadelle du Nord, le général Chazal la dépeignit comme la condition sine qua non de la grande enceinte.

« Lorsqu'on a proposé l'agrandissement général d'Anvers, déclarait-il le 13 mai 1862, il s'est produit une certaine opposition de la part du gouvernement, et si l'on n'avait pas proposé depuis une citadelle au Nord pour flanquer la gorge de la place, nous n'aurions jamais consenti à l'agrandissement général d'Anvers, ou tout au moins nous aurions exigé le maintien de l'enceinte actuelle comme réduit de la position. »

La conséquence nécessaire de ces paroles est que la commission qui, en 1859, adopta la grande enceinte sous la présidence de M. le ministre de la guerre, décréta aussi l'établissement de la citadelle du Nord.

J'ai voulu m'assurer de la réalité de ces diverses déclarations de M. le ministre de la guerre. J'ai pris le moyen le plus simple. Je lui ai demandé communication des procès-verbaux de la commission, communication qu'il semble encore offrir aujourd'hui.

Je savais d'une part qu'il s'était refusé à déposer les procès-verbaux sur le bureau de la Chambre, et, d'autre part, qu'il en avait offert la communication dans son cabinet à plusieurs reprises.

Je l'ai pris au mot. J'ai accepté la communication dans son cabinet.

Que m'a répondu alors M. le ministre de la guerre ? Dès que son offre a été acceptée, elle a été retirée. J'ai offert, m'a-t-il dit, cette communication en 1839, je ne l'offre plus en 1864.

Telle est la réponse que j'ai reçue quelque peu contradictoire, je pense, avec la déclaration que fuit aujourd'hui M. le ministre de la guerre. Je suis heureux de voir qu'il se ravise.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Du tout. Permettez-moi d'expliquer ce que j'ai eu l'honneur de vois répondre.

J'ai fait cette offre à la Chambre dans un moment où l'on discutait la question. Et quand la question a été vidée, il est évident que ces documents n'appartenaient plus au domaine public ; ils font partie maintenant des archives du département de la guerre et ils ne doivent pas être communiqués sans l'autorisation de la Chambre. Si la Chambre l'exige, ils seront communiqués.

M. Jacobsµ. - Je demande pardon à M. le ministre de la guerre d'avoir pris au sérieux l'offre qu'il a faite tantôt à la Chambre. Je pensais que c'était de son propre mouvement et sans y être contraint par un vote de la représentation nationale qu'il communiquerait ces documents.

Je vois maintenant qu'il se retranche derrière la Chambre et qu'il ne fera la communication que s'il y est forcé par un vote de la majorité. Je n'aurai donc pas ces pièces.

Privé des documents officiels, j'ai cherché à me renseigner ailleurs et je crois être à même de déclarer que, contrairement aux allégations de M. le ministre de la guerre, dont les souvenirs ne sont sans doute plus très précis, la commission de 1859 ne s'est pas occupée des détails des fortifications et notamment de la citadelle du Nord ; on serait fort embarrassé de trouver dans ses procès-verbaux une phrase, un mot qui s'y rapporte.

Depuis la publication des lettres du général Delannoy, uns brochure a paru, intitulée : Examen de notre état militaire, par le major Vandevelde, détaché au cabinet de M. le ministre de la guerre, et par conséquent l'un de ces officiers d'élite dont l'honorable ministre parlait tantôt.

Dans cette brochure dont le but est de défendre le général Chazal et d'attaquer le général Delannoy, une nouvelle version voit le jour. La commission de 1859 ne se serait plus occupée ni d'un principe, ni d'un projet d'ensemble, ni d'un projet détaillé, mais d'une formule.

Cette formule, en ce qui concerne la grande enceinte, est ainsi conçue :

« La position d'Anvers sera défendue par une enceinte enveloppant les faubourgs de Borgerhout, de Berchem et de Saint-Laurent ; l'une de ses extrémités appuyée à un fort élevé le long du fleuve à la hauteur d'Austruweel, et l'autre appuyée à l'ancienne citadelle. »

Ici la citadelle du Nord apparaît au moins à l'état embryonnaire. C'est un fort qui termine l'enceinte à l'extrémité nord et qui fait pendant à la citadelle du Sud.

Eh bien, il faut renoncer même à cette apparence de citadelle, car il existe, dans l'exposé des motifs de la loi de 1859, une autre formule, formule officielle, qui reproduit textuellement celle du major Vandevelde, sauf précisément que le fort du Nord ne s'y trouve pas, et que l'enceinte se relie, de ce côté, directement à l'Escaut.

Mais enfin, quoi qu'il en soit, où donc est la vérité au sujet des délibérations et des procès-verbaux de la commission de 1859 ?

Est-ce sur un principe abstrait, sur un projet d'ensemble, sur un projet détaillé, est-ce sur une simple formule que la commission s'est prononcée ?

L'importance de cette recherche est fort grande, car ceux d'entre nous qui faisaient partie de la Chambre à cette époque, se rappelleront que la manière dont les résultats des délibérations de la commission leur ont été présentés, a exercé une influence capitale, décisive sur le vote des 49 millions.

On a présenté le projet comme une œuvre réunissant le suffrage de tous les hommes compétents, produit sans défauts d'un examen définitif, complet, sérieux, libre et impartial,

Rappelant les divergences qui s'étaient produites jusque-là au sujet du système de défense nationale, M. le ministre de la guerre s'en félicitait.

« Elles ont servi, disait-il, à mettre toutes les faces de la question en lumière et à faire cesser les conflits d'opinion qui s'étaient produits parmi les militaires.

« Je savais, ajoutait-il, qu'il serait facile de mettre les hommes compétents d'accord lorsqu'on leur fournirait l'occasion de discuter leurs projets et leurs systèmes, et, en effet, tout me portait à croire qu'ils n'étaient plus séparés que par des divergences d'opinions, des malentendus qui disparaîtraient dès qu'on ferait un appel à leur patriotisme et qu’on donnerait une bonne direction à leurs débats.

« Je pris donc la résolution de soumettre la question de la défense du pays, élucidée depuis longtemps par plusieurs de nos officiers, à un examen définitif basé sur une discussion large, impartiale et complètement libre. Je réunis à cet effet 24 officiers qui à raison de leur position ou de leurs études et même de leurs divergences de vues étaient naturellement désignés pour concourir à cet examen.

« La discussion sur les idées et les systèmes touchait à sa fin et le moment de prendre une conclusion était arrivé. C'est ce que comprit la commission instituée par le Roi. Elle se mit résolument à l'œuvre et tomba bientôt d'accord sur un système de défense qui, j'en ai la conviction, sera approuvé par tous les hommes compétents et même par ceux qui, sans avoir fait d'études spéciales, jugeront les questions avec les simples lumières du bon sens et du patriotisme. »

Aujourd'hui, messieurs, il n’est plus possible de conserver ces illusions.

Malgré les appels de M. le ministre de la guerre au patriotisme des membres de la commission et malgré la bonne direction qu’il a tâché d'imprimer à leurs débats, il n'est pas parvenu à faire cesser les divergences et quoique, en qualité de directeur de ces. débats complétement (page 392) libres, il ait coupé la parole au général Delannoy, il n'en est pas moins certain que la partie sérieuse de l'enceinte, la partie attaquable, celle qui n’est pas couverte par inondations, a été rejetée par la commission, soit en ce qui concerne le principe, comme le dit le Moniteur, soit en ce qui concerne le projet, comme le déclare le général Delannoy.

Un dissentiment radical s'est manifesté dans la commission et ce dissentiment n'a pas disparu depuis. Nous voyons aujourd'hui le général Delannoy maintenir l'opinion qu'il avait alors ; nous voyons, ce n'est pas de moi qu'est la remarque, la plupart des officiers qui sont mis à la retraite, qui, en recevant leur pension, recouvrent leur indépendance se prononcer contre l'entreprise des fortifications d'Anvers telle qu'elle est conçue et exécutée.

Je sais qu'on les a blâmés d'avoir attendu leur mise à la pension pour formuler leur désapprobation d'une façon publique ; on trouve qu'il eût été plus digne, plus noble de se prononcer étant au service, au risque de voir leur avenir brisé ; je ne puis m'associer à ce blâme.

La Chambre n'ignore pas la position dans laquelle se trouvent la plupart de nos officiers ; les jeunes gens de fortune sont en petit nombre dans l'armée ; le plus souvent nos officiers dépendent de leur épée, et si tous ceux qui ont quelques critiques à élever contre les actes du ministre de la guerre devaient donner leur démission pour éclairer le pays sur ces actes, l'armée perdrait tous ceux de ses membres qui pensent, tous ses hommes de principes et de caractère ; il ne lui resterait que les autres. (Interruption.)

Je ne désire pas arriver à ce résultat. J'aime mieux que les hommes indépendants, les hommes qui jugent, qui donnent carrière à leur intelligence dans les champs du libre examen, j'aime mieux les voir rester dans l'armée où ils se rendent utiles, dussent-ils ne critiquer jamais qu'à huis clos ; j'aime encore mieux cela que de voir rayer des cadres les meilleurs serviteurs du pays.

Nos conversations au moins nous permettent de nous assurer que dans les rangs de l'armée active les divergences révélées par le général Delannoy, pour être moins publiques, n'en sont pas moins réelles.

Je ne veux pas faire un grief à M. le ministre de la guerre de ne pas avoir fait connaître aux Chambres, en 1859, les divisions de la commission. Je veux admettre qu'il a cru de bonne foi ne pas devoir tenir compte du vote de partage et adopter pour les fronts attaquables de l'eneinte le système polygonal ; je veux admettre encore qu'il a cru bien faire en traitant la Chambre en mineure, en ne lui révélant pas ce dissentiment ; j'aime tout autant que l'honorable M. Jouret à supposer la plus parfaite bonne oui chez mes adversaires et je leur prête plus volontiers une excuse que je ne leur adresse un reproche.

Mais enfin aujourd'hui que ce dissentiment nous apparaît par suite des révélations de M. le général Delannoy, aujourd'hui que nous ne pouvons plus fermer les jeux, n'y a-t-il pas des mesures à prendre, n'y a-t-il pas lieu de se livrer à un nouvel examen ? (Interruption.)

M. Bouvierµ. - La question a été jugée.

M. Jacobsµ. - Je ferai observer aux interrupteurs que lorsque des faits nouveaux se produisent, ils peuvent avoir des conséquences nouvelles, sauf pour ceux dont le siège est fait. Je crois donc que la Chambre devra ordonner une enquête, tout au moins, et pour commencer, le dépôt des procès-verbaux de la commission sur son bureau, ce que M. le ministre de la guerre est prêt à le faire, pour peu qu'elle en témoigne le désir. Il est nécessaire de s'assurer de la vérité des faits dont je viens de vous entretenir et de la valeur des fortifications d'Anvers...

M. Bouvierµ. - Est-ce que le dépôt fera tomber les fortifications ?

- Une voix à droite. - Il nous permettra d'en apprécier la valeur.

M. Delaetµ. - On nous donnera un peu de lumière.

M. Bouvierµ. - A l'aide de la Lanterne magique.

MpVµ. - Pas d'interruptions.

M. Jacobsµ. - Les critiques du général Delannoy ne se restreignent pas à l’enceinte ; elles s'étendent à plusieurs autres parties des fortifications : je vous ai rappelé celles qu'il a faites du camp retranché, de la citadelle du Nord, Je ne veux pas entrer dans les détails qui se rapportent à l'exécution des travaux ; que certains ouvrages aient été abandonnés comme inutiles, qu'un changement considérable ait été fait à la droite de l’enceinte en 1860, tout cela a son importance au point de vue de la responsabilité et des contribuables, mais l'intérêt de cet examen disparaît en présence de celui qui porte sur la valeur même des fortifications.

M. le ministre de la guerre a pris l’habitude d'attribuer les contradictions qu'il rencontre de la part d'anciens officiers de l'armée, à la rancune, à la jalousie ou à tout autre sentiment mauvais ; je veux lui citer enfin un censeur qui ne lui sera pas suspect ; c'est l'un de ses confidents qui, sans trouver, comme le général Delannoy, les fortifications d'Anvers mauvaises, les juge au moins incomplètes.

Vous vous rappelez, messieurs, que dans notre discussion du mois de septembre dernier au sujet du crédit supplémentaire de 5 1/2 millions, le général Chazal a déclaré, et M. Van Overloop a rappelé ce fait, que moyennant ce dernier crédit, le système de défense serait complètement achevé et qu'on aurait créé une place imprenable. Dans ses réponses aux questions de la section centrale, il affirmait que les deux forts de Merxem et de la rive gauche ne seraient pas construits, parce qu'ils sont inutiles.

Or, dans la brochure du major Vandevelde il est dit que ces deux ouvrages sont supprimés, non pas comme inutiles, mais comme insuffisants, et d'après lui cette insuffisance est connue du général Chazal lui-même. J'avoue que, si le major Vandevelde n'était pas en relations aussi intimes avec le ministre de la guerre, je n'attacherais pas une aussi grande importance à ses paroles. Mais voyant un officier attaché à son cabinet se mettre en contradiction radicale avec lui, j'ai le droit de dire que des explications sont nécessaires.

Voici ce que je lis dans cette brochure :

« Ce n'est pas un réduit que l'on doit élever en avant de Merxem, mais une citadelle complète comme celles du camp retranché, et j’ai la conviction que le ministre le sait aussi bien que qui que ce soit.

« Si l'on n'a pas élevé de fort sur la rive gauche de l'Escaut, c'est, sans aucun doute, parce que le gouvernement, étant résolu d'appliquer à la défense de cette rive le système arrêté en principe par la commission de 1859, aura jugé convenable, avec raison, d'entreprendre tous à la fois les ouvrages nécessaires sur cette rive.

« La commission a décidé en principe que les inondations doivent se défendre comme les défilés en y élevant des forts sur les digues et les chaussées, en arrière ou dans l'inondation même, parce qu'un tel dispositif n'exige que peu de dépenses, ne demande que peu de défenseurs, n'offre guère d'action à l'attaque, et surtout parce qu'il enveloppe celle-ci, au lieu de l'être par elle, comme il le serait s'il consistait en ouvrages élevés en avant de l'inondation.

« Pour garantir la position du côté de la rive gauche, il suffira de développer le fort de Burght et de relever ceux des Espagnols et de la Pipe de tabac. Si l'on tenait à accroître ce dispositif, afin de ne pas être obligé d’inonder le polder de Borgenweert, on n'aurait qu'à élever une digue, formant parapet, reliant entre elles les gorges de ces trois forts. »

C'est à peu près ce qu'on a appelé la solution Dechamps, avec cette double différence toutefois qu'on ne supprima ni les citadelles sur la rive droite ni les inondations sur la rive gauche. Avis à l'honorable M. Van Overloop.

Je crois que l'incident dont j'ai entretenu la Chambré et que la majorité a écouté avec une impatience dont il serait de mauvais goût de se plaindre, je crois, dis-je, que les lettres du général Delannoy aussi bien que la brochure du major Vandevelde méritent quelques instants d'attention et quelques mots de réponse.

J'attends celle que pourra donner M. le ministre de la guerre, je l’attends, sans me dissimuler que le dissentiment qui s'est produit entre l'ancien chef de notre corps du génie et le chef du département de la guerre est de nature à laisser des doutes dans l'esprit des partisans les plus résolus des fortifications d'Anvers.

Votre promesse de rapport pourra vous procurer quelques votes de remise à l'année prochaine, vos discours pourront vous valoir quelques votes d'entraînement, le concours de la majorité pourra vous assurer quelques votes politiques ; ce que vous n'obtiendrez pas, ce sont des votes nés de la conviction et de la certitude que, moyennant les travaux décrétés et votés jusqu'à présent, la défense nationale est assurée. Vous ne les obtiendrez, général, que lorsque à la suite d'un nouvel examen, cette fois véritablement sérieux, définitif, libre et impartial, vous nous apporterez la preuve de cet assentiment, sinon unanime, au moins général des hommes compétents, dont vous vous êtes prévalu si à tort, en 1859, pour emporter le vote de la loi.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice

Dépôt

MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi allouant un crédit supplémentaire de 106,000 fr. au département de la justice pour les exercices 1864 et 1865.

- La Chambre décide que ce projet de loi sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 3/4 heures.