(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 319) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., fait lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« L'administration communale d'Ixelles demande que les communes de l'agglomération bruxelloise, qui ont une population supérieure à 5,000 habitants, soient distraites des attributions du commissaire de l'arrondissement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher la levée de troupes armées sur le sol belge sans l'autorisation du pouvoir législatif. »
- Même renvoi.
« Des marchands de grains, avoines et fourrages se plaignent que les intendants militaires n'emploient pas la voie de l'adjudication publique pour la fourniture de ces marchandises nécessaires au service de l'armée. »
M. Eliasµ. - Messieurs, je propose le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Kupffenchlaeger soumet à la Chambre des dispositions dans le but d'assurer la sincérité des élections. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif aux fraudes électorales.
« Le sieur Jean Wynands, négociant et cabaretier à Mechelcn, né à Breust (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Jean-Hubert Goffin, cultivateur et propriétaire à Merchtem, né à Maestricht, demande la naturalisation, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Beauvais adresse à la Chambre 116 exemplaires de la brochure intitulée : Anvers et M. Brialmont. »
- Distribution aux membres de la Chambre.
« MM. Le Bailly et de Haerne, retenus chez eux par une indisposition, demandent un congé. »
- Accordé,
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le quatrième rapport triennal sur l'état de l'instruction moyenne en Belgique. »
- Impression et distribution aux membres de la Chambre.
M. Sabatier. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission permanente de l'industrie sur les pétitions réclamant la liberté du travail des matières d'or et d'argent.
M. Lesoinne. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente de l'industrie sur la pétition du sieur Wybo, cafetier à Courtrai, demandant des modifications au tarif des douanes, en ce qui concerne le vermout qui a été assimilé aux boissons distillées.
- Ces deux rapports seront imprimés et distribués. La Chambre les met à la suite de l'ordre du jour.
MpVµ. - La Chambre a chargé le bureau de la formation de quelques commissions spéciales. Voici comment ces commissions sont composées :
1° Echange des terrains dépendants de l'école vétérinaire : MM. Le Hardy de Beaulieu, Vleminckx, Jamar, de Naeyer, d'Ursel.
2° Erection de la commune de Tontelange (Luxembourg) : MM. Orban, de Moor, Van Hoorde, Bouvier, Moncheur.
3° Réunion du hameau de Brou à la commune de Bassenge (Limbourg) : MM. Vilain XIIII, de Woelmont, Thonissen, Mouton, de Macar.
4° Erection de la commune de Ramsel (Anvers) : MM. de Mérode, Notelteirs, Jacobs, De Fré, Mascart.
5° Erection de la commune de Viermael-Roodt (Limbourg) : MM. de Theux, Muller, Giroul, de Borchgrave, David.
6° Erection de la commune de Mont (Namur) : MM. Lelièvre, Moncheur, de Baillet, Wasseige et de Liedekerke.
M. J. Jouret. - Messieurs, depuis que j'ai l'honneur de faire partie de cette Chambre, j'ai constamment voté le budget de la guerre. A plusieurs reprises j'ai dit pourquoi, en suivant cette ligne de conduite, je crois remplir un impérieux devoir. Cette année encore, et dans ma manière de voir à plus forte raison que jamais, je voterai les sommes qui nous sont demandées pour le maintien de notre état militaire et, comme les discussions qui se sont élevées au sein de la section centrale nous disent assez que l'utilité de ces dépenses sera plus sérieusement contestée que d'habitude, je me dois à moi-même, je dois à mes collègues et à mes commettants, de dire de nouveau, mais d'une manière très brève, les motifs qui me font persister consciencieusement dans mon opinion.
Messieurs, différentes objections ont été faites contre l'à-propos, la nécessité de nos dépenses militaires.
D'abord, se présente la plus sérieuse de toutes, celle qui a été faite et réfutée vingt fois, que l'on reproduit et qu'on ne cessera pas de reproduire plus tard, celle de la neutralité de la Belgique.
« La Belgique, dit-on, est un pays neutre, parfaitement garanti par les traités. Qu'est-il besoin, dans un pareil pays, dans ce petit pays, d'une armée ruineuse ? Réduisons l'armée, réduisons-la successivement jusqu'au désarmement complet. »
Mais qui ne sait que les traités n'ont de valeur que pendant la paix, que rarement ils ont couvert d'une manière efficace l'indépendance d'une nation, et l'histoire de tous les temps, principalement l'histoire très moderne, ne nous apprend-elle pas que les nations puissantes ne tiennent aucun compte des traités, lorsqu'elles se sentent assez fortes pour les violer impunément à leur profit ?
Messieurs, j'admets et respecte toutes les opinions, et je suis convaincu que ceux de nos collègues qui ne veulent pas d'armée ou qui ne veulent qu'une armée insuffisante et incapable de produire un résultat utile en cas de conflit, ce qui, pour moi, est absolument la même chose ; je suis convaincu, dis-je, que ces honorables collègues puisent leur manière de voir dans des considérations aussi logiques à leur appréciation et à coup sûr aussi patriotiques que celles sur lesquelles j'appuie les miennes.
Mais, il faut bien que je le dise, il m'est, dans cette occasion, absolument impossible de les comprendre.
Nous ne voulons pas d'armée, disent-ils, les grandes puissances, nos voisines, sont personnellement intéressées à sauvegarder notre neutralité, et si jamais elle est violée avec notre indépendance, leur intérêt à elles nous est un sûr garant qu'elles sauront bien la faire respecter. Croisons-nous les bras, dans l'état de prospérité inouïe que nous devons à notre indépendance, gardons-nous de dépenser un sou ; les autres viendront verser dans nos plaines leur sang et leur or pour notre défense.
Si ce rôle était possible, messieurs, serait-il bien honorable ? A la seule idée d'un pareil état de choses, je sens tous mes instincts de patriotisme et d'honneur se révolter en moi. Si, par impossible, le pays et les Chambres se ralliaient à une pareille idée, je ne| pourrais croire que nous serions dignes encore du nom de Belges, dont nous sommes si fiers aujourd'hui.
J'ai dit, dans une autre occasion, ce que devenaient les nations qui n'avaient pas assez d'énergie pour songer à se défendre elles-mêmes dans la limite de leurs forces, à préparer cette défense pour les jours de danger. Je n'insiste pas sur ce point, je veux être bref.
La seconde objection sérieuse aux dépenses militaires et qui s'est fait jour dans les travaux des sections et de la section centrale est celle-ci :
(page 320) « L'organisation actuelle de l'armée, qui date de 1853, a été faite en vue de combinaisons stratégiques qui ont été abandonnées en 1839, elle ne doit donc plus être la même pour une situation, pour un système de défense tout à fait opposés, et par conséquent, il y a lieu d'y apporter des modifications tant sous le rapport du chiffre de l'effectif, selon les uns, que sous celui de la force relative des diverses armes, selon les autres. »
Est-il bien vrai, messieurs, que l'organisation actuelle de l'armée, décrétée en 1853 et qui est le résultat des travaux auxquels s'est livrée en 1851 la commission mixte, émanant du pouvoir législatif, et qui avait pour mission, remarquez-le bien, non seulement d'examiner le dispositif de nos forteresses, mais encore de fixer, au point de vue général, le chiffre de l'armée, est-il bien vrai, dis-je, que cette organisation ait été faite pour un état de choses qui a été abandonné en 1859 ?
Mais il me semble que c'est le contraire qui est vrai, et qu'en manifestant une complète unanimité de vues sur la nécessité de resserrer de plus en plus le dispositif des forteresses et sur l'utilité de créer une grande place de guerre à Anvers, la commission a, en se plaçant à un point de vue plus général que celui du dispositif des forteresses du pays, fixé le chiffre de l'effectif de l'armée pour un état de choses tel que celui que nous possédons aujourd'hui.
Quelles sont, en effet, les conclusions auxquelles la commission mixte s'est arrêtée en 1851 ? Les voici :
« 1° A l'unanimité, qu'il y aurait une grande place de refuge, et que cette place serait Anvers.
« 2° A l'unanimité, qu'on resserrerait le dispositif de nos forteresses, en démolissant les places d'Ypres, Menin, Philippeville, Mariembourg et Bouillon.
« 3° A l'unanimité, qu'il était nécessaire de mettre en bon état de défense les places à conserver et d'exécuter les travaux destinés à améliorer leurs défenses ou à achever leurs dépendances.
« 4° A l'unanimité moins une voix (quinze voix sur seize), que l'armée en campagne devait être au moins de 61 mille hommes ; l'effectif de la réserve de 40,000, dont 30 mille destinés à la défense des places, et 10 mille à l'armée en campagne, ce qui portait l'effectif général à 90 mille homme, et exigeait un budget normal de 32 millions. »
C'est donc avec raison que l'écrivain militaire qui a traité récemment ces questions dans le Journal de l'armée, M. le major Vandevelde affirme, et il est difficile de ne partager entièrement sa manière de voir « que le chiffre de notre armée, de notre effectif de guerre, a été fixé non pas en vue de défendre le pays avec le dispositif des forteresses d'alors, mais en vue d'un dispositif plus simple, plus resserré, analogue à celui que nous possédons aujourd'hui, d'où il suit que cet effectif ne peut être réduit sans compromettre la défense nationale. »
A cela, je le sais, on fait une objection, et elle s'est produite en section centrale où l'on a dit : « La commission mixte de 1851 ne comprenait l'action de l'armée en campagne que moyennant certaines conditions parmi lesquelles se trouvait celle de conserver les forteresses de Mons, Charleroi et Namur, qui ne sont pas comprises, au 2° des conclusions de la commission, parmi les places à démolir. Ces trois forteresses ayant disparu, et ne devant plus occuper une partie de l'armée, son effectif doit pouvoir être considérablement réduit. »
Messieurs, il suffit de réfléchir sérieusement à cette objection pour douter qu'elle puisse être admise. Il est certain que le chiffre de l'armée en campagne a été basé sur des considérations générales de la plus haute importance, complètement indépendantes du dispositif des forteresses, et ces considérations qui reposaient sur notre position exceptionnelle, sur notre juxtaposition avec quelques-unes des grandes puissances militaires en Europe, ont dû exercer et ont réellement exercé sur les résolutions de la commission mixte une influence prépondérante, de telle sorte que l'argument tiré de la démolition des forteresses de Mons, Charleroi et Namur paraît avoir peu de valeur.
De plus, à ceux qui prétendent que les résolutions de la commission forment un ensemble dont on ne peut négliger l'un des termes sans que le chiffre de l'effectif doive être immédiatement modifié, on répond, et c'est avec raison, me paraît-il, que les bastions d'Ypres, Menin, Nieuport, Mons, Charleroi, Namur, etc., sont remplacés par les grands ouvrages de Wilryck, Vieux Dieu, Borsbeek, Deurne, etc., et que, de ce que d’un système précédemment défectueux, la concentration a fait un système efficace pour la défense du pays, il ne s'ensuit pas qu'il soit possible de réduire l'effectif de l'armée sans compromettre cette défense.
Au surplus, je serais extrêmement heureux que, sans rien compromettre, il fût possible de diminuer le chiffre du budget de la guerre ; mais pour savoir si cette possibilité existe, pour nous former définitivement une opinion raisonnée sur l’organisation de l’armée, que devons-nous faire, que doivent faire et ceux qui croient que la démolition des forteresses de Mons, Charleroi et Namur rend une diminution de l'armée possible et indispensable, et ceux qui, sans demander une diminution de l'effectif de l'armée, prétendent qu'il faut apporter des changements sérieux dans son organisation sous le rapport de la force relative des diverses armes, comme l'a fait notre honorable collègue M. Hymans dans le journal où il dépose hebdomadairement sa pensée toujours patriotique.
Il faut, me semble-t-il, accepter, comme la section centrale vous le propose, l'offre faite par le gouvernement de nous soumettre un rapport spécial accompagné de tous les documents nécessaires pour pouvoir approfondir et élucider cette question avant la discussion du budget pour l'exercice 1866.
Je doute pourtant que cet examen approfondi puisse produire le résultat que quelques-uns de nos collègues espèrent et considèrent comme possible. A différentes reprises, au sein de cette Chambre, on a manifesté la ferme volonté de défendre énergiquement le pays partout où il serait attaqué, de ne se replier sur le camp retranché d'Anvers qu'après avoir sérieusement tenté le sort des armes ; on en a imposé, et je suis certain que c'était parfaitement inutile, l'obligation, au gouvernement, qui s'est empressé de faire, à cet égard, les déclarations les plus catégoriques.
Or, messieurs, pour défendre le sol du pays, si l'on tentait de l'envahir, et le cas échéant, je me hâte de dire qu'il faudrait le défendre avec l'énergie du désespoir, il faut avoir une armée capable de tenir la campagne, une armée possédant, dans les rapports indiqués par son effectif général, les éléments divers indispensables à une bonne armée.
Devant cette considération, jointe à celle que je viens de faire valoir, mon bon sens se demande où sont les chances de diminution de nos dépenses militaires, et je vous avoue que j'éprouve le besoin de ne pas me bercer de trop grandes illusions.
Enfin, messieurs, on fait une dernière objection aux dépenses nécessitées par notre état militaire. Ces dépenses sont parfaitement inutiles, elles sont faites à pure perte, nos puissants voisins peuvent attaquer notre armée et notre grande position militaire avec des armées de deux ou trois cent mille hommes, et nous sommes fatalement condamnés à succomber au premier effort.
Il peut arriver que nous succombions en cas d'attaque, il peut arriver que certaines éventualités, sur lesquelles nous comptons, en cas de conflagration générale, nous fassent défaut, est-ce une raison pour ne pas résister à ceux qui, de quelque côté qu'ils viennent, oseront violer le sol de la patrie ? Un peuple qui a les traditions que possède la Belgique peut-il ne pas verser généreusement son sang pour défendre son indépendance et ses libertés ? Messieurs, c'est impossible.
Après tout, n'est-ce rien qu'une armée de 90,000 hommes qui défend sur le sol du pays ce qu'elle a de plus cher au monde, et qui s'appuie sur une position de premier ordre, comme l'est Anvers aujourd'hui ? Et est-il vrai que nous n'ayons à essuyer que d'inévitables désastres ?
L'écrivain militaire dont je citais plus haut le remarquable travail fait observer (et il ne faudrait pas remonter bien haut dans l'histoire pour trouver d'autres exemples aussi concluants), « qu'en 1815, pour combattre les armées de l'Europe concentrées en Belgique, Napoléon est entré dans le pays avec 120,000 hommes, et une partie de son armée lui faisant défaut, il a livré la bataille de Waterloo avec 65,000 hommes. En 1854, la France et l'Angleterre réunies ont ouvert la campagne avec une soixantaine de mille hommes ; en l859, la France est entrée en Italie avec moins de 70,000 hommes, et pendant cette campagne son armée n'a jamais compté 120,000 combattants. »
En présence de ces exemples et de ceux de même nature qu'il serait facile de citer, je me demande encore s'il est vrai qu'avec un armée de 100,000 hommes et une position comme celle d'Anvers, dans les circonstances nécessairement européennes où la Belgique aurait à lutter, s'il est vrai qu'elle n'a rien à attendre que des revers ? Je ne puis le croire pour mon compte.
Et cela fût-il vrai, je l'ai dit dans une autre circonstance et je ne saurais assez le répéter, ces revers, son devoir de nation indépendante et libre serait de les accepter avec fermeté et résignation, parce que si, dans les revers il y a de la dignité et de l'honneur, choses indispensables aux nations qui veulent vivre, il n'y en a pas dans les prostrations inertes qui mènent à la déconsidération, et de la déconsidération à l'asservissement.
Comme je l'ai fait toujours et par les considérations que je viens de faire valoir, je voterai le budget de la guerre.
M. Lelièvre. - A l'occasion du budget on discussion, je crois (page 321) devoir appeler l'attention du gouvernement sur quelques considérations qui me semblent dignes de son attention.
Depuis longtemps le taux des pensions militaires a soulevé de vives réclamations. Les intéressés se sont adressés à la Chambre et au Sénat et se bornent à demander qu'on applique d'une manière générale et uniforme à toutes les pensions militaires les règles suivies pour la collation des pensions civiles.
Ce principe me paraît de toute justice et il est peu équitable d'établir à cet égard une distinction que rien ne justifie.
Je pense qu'après examen M. le ministre de la guerre reconnaîtra le fondement du principe dont je demande la consécration.
Un objet que je recommande aussi à son attention, c'est la position des officiers appelés à faire le service dans les régiments de réserve décrétés par la loi du 4 juillet 1832.
A partir du 1er mai 1840, leur solde fut réduite d'un cinquième en vertu d'un arrêté du 6 décembre 1839.
J'estime qu'il n'était pas possible de faire cette réduction.
La loi assimilait les officiers dont il s'agit à ceux de la ligne et un arrêté royal ne pouvait déroger à une disposition législative.
Des pétitions récentes ont été adressées à la législature.
J'espère que M. le ministre examinera la question avec la justice et l'impartialité qui le caractérisent et fera connaître à la Chambre ses observations.
Lors de la discussion du budget de la justice, j'avais prié le gouvernement de s'occuper de la révision du code pénal militaire.
M. le ministre de la justice a répondu que cet objet concernait son collègue de la guerre.
Je crois donc devoir insister pour que la réforme dont il s'agit soit réalisée le plus tôt possible ; elle est attendue depuis longtemps avec une vive impatience. Il est temps de faire disparaître de notre législature des dispositions qui ne sont plus en harmonie avec nos institutions. Déjà la France nous a devancés sur ce point. La révision de nos lois est d'autant plus urgente en cette matière que nous sommes encore régis par le code hollandais qui date du siècle dernier.
Quant à nos dépenses militaires, j'engage M. le ministre à examiner sérieusement s'il ne serait pas possible de les réduire dans une certaine mesure, sans cela il est certain que l'opposition au budget de la guerre ne manquera pas de grandir et que le gouvernement rencontrera, dans un temps peu éloigné, des difficultés qu'il convient de prévenir.
La section centrale a pris une résolution ainsi conçue :
« La section centrale prend acte de l'offre faite par M. le ministre de la guerre, de soumettre à la Chambre un rapport spécial, accompagné de tous les documents nécessaires, qui permettrait de se former une opinion raisonnée sur l'organisation de l'armée ; elle demande que ce rapport soit déposé avant la discussion du budget de la guerre pour l'exercice 1866, afin que la Chambre soit mise à même de décider s'il y a lieu d'apporter des modifications à l'organisation de l'armée, dans le sens d'une réduction des dépenses. »
Je demande que la Chambre donne son assentiment à cette résolution.
En conséquence, je dépose la proposition suivante :
« La Chambre prend acte de l'offre faite par M. le ministre de la guerre de lui soumettre un rapport spécial accompagné de tous les documents nécessaires qui permettrait de se former une opinion raisonnée sur l'organisation de l'armée.
« Elle demande que ce rapport soit déposé avant le budget de la guerre pour l'exercice 1866, afin qu'elle soit mise à même de décider s'il y a lieu d'apporter des modifications à l'organisation de l'armée dans le sens d'une réduction des dépenses. »
M. Hayezµ. - Messieurs, l'année dernière, j'ai refusé mon vote approbatif au budget de la guerre pour les raisons suivantes :
Notre système de défense n'est pas exécuté comme le veut la loi de 1859 et n'est pas efficace ;
Notre organisation militaire n'est plus en rapport avec le nouveau système de défense, qui exige particulièrement une grande force en artillerie.
Les fonds alloués pour la transformation de notre artillerie sont employés de manière à ne pas obtenir le résultat promis.
La concentration des affaires militaires dans les bureaux du département de la guerre est telle, que tout émane de lui, que les inspections des armes spéciales, le comité d'artillerie, et d'autres services encore sont réduits à n'avoir qu'une influence nulle, ou à peu près, sur les décisions.
Le système de compression exercé sur les officiers nuit au développement de leur instruction, acquise quelquefois à grands frais. La loi sur les pensions n'est pas en rapport avec nos institutions et met nos officiers dans une trop grande dépendance du chef du département de la guerre.
Enfin une partie notable de notre armée est détournée de sa définition.
Ces motifs existent tous aujourd'hui encore, messieurs, et d'autres viennent s'y ajouter.
Mon opposition, notez-le bien, je vous prie, n'est pas contre le budget tel qu'il a été réglé en 1853, car aussi longtemps que la loi qui l'arrêta à cette époque existe, il est difficile de ne pas voter les dépenses qu'elle entraîne avec elle. Mais je m'élève de toute la force de mes convictions contre la manière dont on gère ce grand intérêt du pays.
Pour un pays neutre, qui n'a qu'à pourvoir à sa propre défense, sans être dans l'obligation d'appuyer ses alliances par des forces actives, les sacrifices auxquels le pays s'est soumis sont relativement très considérables et il a le droit d'exiger qu'on en fasse l'emploi le plus judicieux.
Or, selon moi, le ministère actuel a introduit dans la gérance de l'armée un système qui doit nécessairement devenir fatal à cette armée, si l'on parvient à le perpétuer dans le département de la guerre.
Ce système consiste en ceci : que le ministre de la guerre se croit le droit d'imposer à l'armée toutes les innovations que son imagination lui suggère. Il en résulte que si ses successeurs arrivaient au pouvoir avec des idées différentes, à chaque remaniement ministériel, l'armée se trouverait exposée à des fluctuations perpétuelles qui ébranleraient son moral, affaibliraient sa cohésion et détruiraient la hiérarchie sans lesquels il n'y a pas d'armée capable d'un effort sérieux.
Il résulterait de cet affaiblissement de nos forces militaires, que les sommes énormes consacrées par le pays à sa défense, depuis une longue série d'années, auraient été dépensées en pure perte, si, au moment du danger qui ne se présentera peut-être qu'une ou deux fois par siècle, l'instrument dont on doit se servir était affaibli.
Ces sommes, destinées à l'organisation de notre défense, sont en effet très considérables ; car, si le budget actuel accuse un chiffre qui s'approche beaucoup de 35 millions, en l'augmentant de la moyenne de tous les crédits supplémentaires votés depuis nombre d'années, nous arriverons probablement à un total de 45 ou 50 millions.
Messieurs, ce qui constitue la force des armées, c'est la fixité dans les institutions ; la fixité et non pas l'immobilité.
Comme toutes choses, les institutions d'une armée doivent progresser, mais avec prudence ; on n'y doit adopter une amélioration que lorsqu'elle est passée du domaine de la théorie à celui de la pratique ; il faut surtout marcher pas à pas, sans à coups, pour ne jamais s'exposer à faire un pas en arrière, sous peine de voir toute la machine se détraquer et ne produire que des ruines.
Il faut surtout, pour un pays comme le nôtre, qui n'a jamais fait la guerre, se garder de l'orgueilleuse prétention de donner des leçons aux puissances guerrières qui nous entourent. Nous devons au contraire avoir toujours les yeux fixés sur ce qui se passe à l'étranger pour profiter de l'expérience des champs de bataille, afin de ne marcher que sur un terrain solide et parfaitement reconnu.
Ces grandes nations militaires elles-mêmes sont imbues des principes que je viens de développer ; et la France, qu’il faut toujours citer quand il s’agit de l’art de la guerre, se garde bien d’adopter des mesures que l’expérience n’a pas consacrée et d’ouvrir la porte à de fallacieuses théories.
Les ministres de la guerre de cette nation n'oseraient pas imposer à l'armée leur opinion personnelle, et quoi qu'ils fassent et qu'ils pensent, ils ont la sagesse de subir l'opinion de l'armée exprimée par ses comités ; ces comités mêmes ne proposeront une mesure qu'après l'avoir soumise à de longues épreuves dans les différents corps de l'armée française qui se trouve ainsi préalablement et indirectement consultée.
Je vais vous faire voir, messieurs, que c'est exactement le contraire de ce qui se passe en Belgique.
Le département de la guerre ne respecte ni la loi, nt les arrêtés royaux, ni les règlements ; sa volonté est la seule loi que l'on doit suivre, et il a jeté dans les esprits cette hésitation que tous vous pourrez constater, s'il vous plaît d'ouvrir les yeux.
Pour détailler tous les faits que je connais, il me faudrait plusieurs séances : je me contenterai de vous en citer quelques-uns, pour vous prouver la vérité de mes assertions.
Quant à la violation de la loi, je pourrais, si je n'étais en cause moi-même, m'appesantir sur un fait parfaitement connu de vous tous ; mais, dans une cause comme celle-ci, où il s'agit d'intérêts bien autrement importants, ma personnalité est trop peu de chose pour vous en occuper.
(page 322) Voyons comment le département de la guerre respecte les arrêtés royaux.
Lorsque M. le ministre de »a guerre n'était pas au pouvoir, il était complètement imbu des principes que je viens de développer ; il comprenait parfaitement toute l'importance des comités, et pourtant la machine militaire s'avançait alors doucement dans une voie que les ministres de l'époque ne cherchaient pas à quitter. Il représenta tous les dangers d'une situation que l'influence ministérielle pouvait, par une initiative maladroite, rendre à tout instant mauvaise, et il proposa d'instituer un chef de l'état-major général de l'armée sous les ordres et la direction du Roi.
Ce chef d'état-major général se serait ainsi trouvé en dehors des fluctuations de la politique et de l'instabilité ministérielle ; il aurait été chargé, sous sa responsabilité, de l'exécution constante, immuable du système militaire adopté. Mais, comme M. le général Chazal sentait bien, alors, que l'armée elle-même devait être consultée, il demandait la création, pour chaque arme, d'un comité permanent dont les présidents auraient formé un comité général de défense ; ce comité général, sous la présidence du chef d'état-major général, aurait examiné toutes les questions relatives à notre état militaire. Pour appuyer sa proposition, M. le général Chazal ajoutait que, si l'on ne se décidait pas à adopter ces mesures, il avait la conviction sérieuse et triste qu'en cas d'événement nous serions hors d'état de sauvegarder l'honneur national et de défendre notre pays et la monarchie comme notre cœur le désire.
Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer, messieurs, ce que la création d'un chef d'état-major général, avec de pareilles attributions, a d'inconstitutionnel en soi ; je vous demande ce que deviendrait un ministre de la guerre en présence d'un tel chef d'état-major général ; et ce que deviendrait l'initiative de la Chambre elle-même. Aussi, depuis 5 ans, nous n'en avons pas entendu parler.
Il n'en est pas de même du projet relatif à la création des comités. Cette création était un bienfait pour l'armée, aussi le ministère précédent s'empressa d'y donner suite ; un arrêté royal du 2 février 1859 présenté à la signature de S. M. par l'honorable général Berten, nomma un comité consultatif par arme.
A son arrivée au pouvoir, M. le ministre de la guerre actuel voulut encore renforcer cette institution, et le 30 mai 1859, parut un arrêté royal, n°11,347, précisant davantage les attributions des comités ; et, afin qu'ils répondissent parfaitement à ses désirs et quoiqu'ils n'eussent pas encore fonctionné, il changea une partie des membres nommés par le premier arrêté, et il les remplaça par d'autres. Ainsi il avait en mains un instrument complètement façonné par lui-même.
L'institution de ces comités comprenait tous les éléments du progrès ; après les quatre premières années de durée, ils devaient être, tous les deux ans, renouvelés par tiers et, de plus, le ministre se réservait d'y adjoindre, temporairement, les officiers qui, par leurs connaissances spéciales, pouvaient jeter de la lumière dans la discussion.
Enfin l'article 4 de l'arrêté du 30 mai était ainsi conçu : « Les comités seront convoqués ordinairement après les inspections générales ; ils s'assembleront extraordinairement sur une convocation spéciale du ministre de la guerre. »
Jamais, je le pense, prescriptions n'ont été plus formelles. Eh bien, messieurs, vous allez voir quel a été le sort de ces arrêtés qu'on représentait comme devant sauver le pays et l'armée.
Quant aux réunions ordinaires, qui étaient obligatoires, elles n'ont jamais eu lieu, que je sache.
Quant aux réunions extraordinaires, j'ignore si l'on a jamais réuni les comités de l'infanterie, du service de santé, de l'intendance et de l'état-major ; mais nous avons parmi nous un des présidents de ces comités qui pourrait nous éclairer.
Après les quatre premières années d'existence, un tiers des membres aurait dû être renouvelé, c'est-à-dire en 1863. Aucune nomination n'a eu lieu ; bien plus, l'institution, qui figurait en tête de l'Annuaire militaire, n'y est plus mentionnée en 1864. C'est ainsi qu'une création sollicitée par M. le général Chazal lui-même, avant qu'il fût ministre de la guerre, et consacrée par deux arrêtés royaux formels, dont un pris à sa sollicitation, est devenue lettre morte sans qu'un autre arrêté royal vînt régulariser la situation.
Les comités du génie, de l'artillerie et de la cavalerie ont été, à la vérité, réunis extraordinairement. Voyons ce qui s'est passé et vous apprécierez comment ils ont été traités.
En juin 1860, M. le ministre de la guerre crut enfin utile de consulter le comité du génie. Celui-ci examinant le dispositif des fortifications d'Anvers, projeté dans le cabinet même du ministre, chercha à l'améliorer dans toutes ses parties, sans toutefois parvenir à faire disparaître les défauts inhérents au tracé lui-même.
M. le ministre de la guerre communiqua les procès-verbaux au capitaine d'état-major Brialmont, qui rédigea une note en style assez peu mesuré pour combattre les décisions du comité ; et ce dernier fut de nouveau réuni pour examiner une seconde fois, d'après cette note qui a été autographiée, les questions sur lesquelles il avait délibéré. Le comité a maintenu ses décisions ; aussi il n'a plus été ni assemblé ni consulté depuis.
Le comité d'artillerie a eu le même sort, et je dirai même que l'on a eu pour lui moins de considération que pour celui du génie ; il renfermait cependant les officiers les plus capables de l'arme.
La Chambre avait voté 15 millions pour la transformation de l'artillerie ; c'était le moment de consulter ces officiers d'élite sur tout ce qui devait être fait pour que ce grand sacrifice pécuniaire portât les meilleurs fruits. Eh bien, aujourd'hui ils en sont encore à connaître le premier mot de ce qu'on a résolu de faire.
Ils ont été consultés une fois, et individuellement, sur les dispositions intérieures d'un caisson à munitions.
Je sais bien que M le ministre a dit à la Chambre qu'il avait consulté des officiers d'artillerie placés au plus haut de la hiérarchie militaire, mais jamais ces officiers n'ont été réunis pour s'éclairer mutuellement et formuler ensuite l'avis de la majorité.
Le comité de cavalerie a aussi été réuni extraordinairement. La question qu'on lui a posée était celle de savoir s'il y avait lieu de changer l'organisation de la cavalerie et de la transformer.
Le comité a répondu : Non, il est bon de maintenir ce qui est ; et vous savez, messieurs, ce qui est avenu : la cavalerie a été transformée et le comité, bien entendu, n'a plus été consulté. Je crois même que c'est par la publication des arrêtés que les deux généraux commandants de division de cette arme ont été informés du changement.
Voilà, messieurs, ce que l'on fait des arrêtés royaux et de la prérogative royale au département de la guerre.
M. le ministre répondra, sans doute, que ce ne sont que de simples comités consultatifs et que, seul responsable, il lui est bien facultatif de rejeter leurs avis. Mais alors pourquoi les nommer, si l'on traite les officiers qui en font partie avec autant de sans façon ? Pourquoi faire croire au pays que les intérêts des différentes armes ont été débattus par leurs sommités ?
Quel que soit le mérite d'un ministre de la guerre, dont la position est changeante comme celle des majorités, il n'est pas possible de le laisser seul juge de ces grands intérêts auxquels sont attachés notre sécurité et notre honneur.
M. le ministre de la guerre l'a parfaitement senti, du reste, et, au régime des comités nommés par le Roi, il a substitué le régime des commissions nommées par lui, ministre, et dont il dirigeait les délibérations.
C'est là, à mon sens la combinaison la plus dangereuse que l'on puisse inventer. Les comités ont, pour se guider, les travaux de leurs devanciers, la durée des délibérations, la liaison entre toutes les questions, de manière que toutes concourent au bien général.
Les comités agissent avec prudence ; ils ne laissent introduire dans la pratique que les choses basées sur des faits certains et d'une application générale, car l'art de la guerre n'est pas conjectural et, comme l'a fort bien dit Napoléon Ier, la théorie n'est pas la pratique de la guerre.
Les commissions nommées ex abrupto par M. le ministre de la guerre, et réunies dans un but spécial, sont au contraire dangereuses.
Quoi qu'il fasse, le ministre de la guerre sera plutôt porté à accorder sa confiance à ceux qui partagent son opinion ; qu'attendre, par exemple, d'une commission, quels que soient le mérite et la conviction de ses membres, que l'on réunit pendant huit ou quinze jours autour d'un tapis vert et que l'on charge de résoudre instantanément une question des plus importantes, par exemple celle de l'organisation de l'armée et de la défense du pays ; questions immenses qui exigent de longues méditations pour les résoudre avec fruit et qui sont aussi morales que politiques et militaires ? Ce n'est point dans de pareilles réunions que se forment les convictions ; on arrive avec son siège tout fait et l'on n'y change rien.
On a dit, il est vrai, pour justifier cette inconcevable manière d'agir, que les comités étaient rétrogrades, ennemis du progrès et qu'avec eux les améliorations étaient impossibles. Quels sont, messieurs, ceux qui émettent de pareilles opinions ? Les ambitieux sans expérience qui prétendent avoir inventé l'art de la guerre et dont les élucubrations ont été repoussées.
Mais quand on voit les grandes nations militaires du continent honorer et maintenir debout de pareilles institutions, on doit penser qu'elles (page 323) ne méritent pas le dédain avec lequel on les traite, surtout dans un pays comme le nôtre qui n'a encore rien fait. Et lorsque en France, par exemple, nous les voyons fonctionner sous la république et l'empire, nous devons nous dire qu'ils ne peuvent être inutiles. C'est surtout les comités français qu'on attaque, parce qu'ils ont la niaiserie de préférer le système bastionné au système polygonal et les canons se chargeant par la bouche aux canons se chargeant par la culasse.
Mais quelle est donc l'armée qui a employé la première fois, en campagne, les armes à longue portée et les canons rayés ? C'est celle dont les comités arrêtent, dit-on, le progrès. Quelle est l'armée qui, en définitive, bat les autres, et dont les vaincus, à peine relevés de leur défaite, s'empressent d'adopter la constitution et la manière de combattre, ainsi que l'ont fait la Russie après 1856 et l'Autriche après 1859 ? Quelle est cette armée ? C'est celle dont les vieilles culottes de peau des comités enchaînent l'essor. C'est que ces hommes qui tous ont fait la guerre, savent que le progrès ne gît pas dans la complication des engins de guerre, mais dans leur simplification, et qu'une arme n'est réellement bonne qu'autant qu'on puisse la mettre entre les mains d'un conscrit.
Le plus grand danger des commissions, c'est leur peu de durée. Les questions n'y peuvent être approfondies et les améliorations dont on leur propose l'adoption n'ont pas été mises à l'essai assez longtemps pour que ces commissions puissent sainement juger si ces améliorations sont dignes de passer dans la pratique. On s'empresse de formuler un arrêté, de le soumettre au Roi et il n'arrive que trop'souvent que l'inanité des mesures adoptées ne se révèle que par leur emploi.
Nous en avons un exemple dans ce qui s'est passé tout récemment dans la cavalerie. A peine les arrêtés royaux étaient-ils sortis que, si les renseignements que je possède sont bien exacts, il a fallu nommer une nouvelle commission pour juger la valeur du nouvel équipement. Les essais ont suivi et non précédé l'arrêté royal.
C'est encore après la signature d'un de ces arrêtés qu'on s'est aperçu que les prescriptions ordonnées pour les allures étaient complétement inexécutables, dans la majorité des cas, et l'arrêté royal est probablement devenu ce qu'est devenu l'arrêté relatif aux comités.
M. le ministre de la guerre tient même très peu de compte des décisions des commissions qu'il institue et qu'il préside ; témoin ce qui s'est passé dans la fameuse commission des 27. Les révélations qui se sont fait jour nous ont complètement édifiés sur ce point ; dès l'instant que M. le général Chazal a trouvé un obstacle à ses désirs, et cet obstacle s'est révélé quand il s'est agi d'arrêter comment on constituerait les fronts attaquables de la nouvelle enceinte d'Anvers, il a mis fin aux travaux, et on ne s'est plus même donné la peine de rédiger les procès-verbaux des séances.
Il résulte de ces révélations, et c'est un point, messieurs, que je vous prie d'observer, que la question du réduit, à savoir la construction de la citadelle du nord n'a pas été soumise à la commission des 27 et n'a été l'objet ni d'une discussion ni d'un vote.
C'est que, sans doute, ici, M. le ministre de la guerre s'attendait à une opposition formidable et à voir surgir, pour notre métropole commerciale, la combinaison de Napoléon Ier, lequel voulait sauver la ville commerciale et portait la défense à outrance et ce qu'il appelait sa ville militaire sur la rive gauche. Je tiens à constater que la question d'Anvers, puisqu'on l'appelle ainsi, appartient à M. le général Chazal seul et qu'elle n'est due à l'initiative ni d'un comité ni d'une commission.
Ce n'est pas là le seul fait qu'il importe de vous signaler.
La commission des 27, en adoptant, en principe, un changement dans notre système de défense, avait montré une grande prudence en recommandant expressément de ne point détruire l'ancien avant que le nouveau ait été complété.
On n'a tenu aucun compte de cette précaution si utile et à laquelle doivent applaudir ceux mêmes qui ne sont pas familiarisés avec les questions militaires. Que diriez-vous, en effet, d'un homme qui, se faisait construire une nouvelle demeure, et avant qu'elle fût habitable, démolirait la maison qu'il occupe ? C'est cependant le fait que nous avons sous les yeux.
Tout ce qui précède suffit, messieurs, pour vous prouver que M. le ministre de la guerre ne tient pas plus compte de l'avis des commissions que de celui des comités. Il a introduit un principe dangereux, c'est qu'un ministre peut tout dans l'armée et que ses idées seules sont bonnes.
Que deviendra cette armée si, à chaque changement de ministère, elle est soumise à de pareilles fluctuations ? Je laisse, messieurs, à votre sagesse de résoudre la question.
Ce système a produit des conséquences qu'il m'est impossible de passer sous silence et je suis encore obligé, messieurs, de vous parler de l'affaire d'Anvers, non au point de vue où nous l’envisageons d'ordinaire, mais au point de vue de l'exécution.
La législature, en votant 49 millions, a cru s'engager pour un projet complet, « défini, arrêté dans son ensemble et dans ses détails, » pour un travail résultat de longues « et consciencieuses études ». Nous savons maintenant, d'après le Moniteur, qu'il n'en est rien ; nous savons aujourd'hui, d'après le Moniteur lui-même, que les plans et les devis présentés n'étaient que fictifs et ne ressemblent que de très loin à ce qui a été exécuté.
Nous avons, messieurs, un moyen bien simple de nous en assurer : c'est d'exiger le dépôt du plan sur lequel vous avez voté, avec les devis à l’appui et de les comparer avec ce qui a été fait. Vous avez voté 49 millions et le ministre en a usé à sa guise.
Que vous ayez une entière confiance en lui, c'est fort bien, mais que devient l'esprit de notre Constitution fondée sur le contrôle ? La conséquence a été la violation la plus flagrante de la loi de comptabilité. Cette loi exige le forfait, c'est à-dire que l'adjudication se fasse sous la responsabilité de l'entrepreneur et sur des plans parfaitement arrêtés, avec coupes, élévations, ainsi que nous le voyons tous les jours pour les travaux publics et pour les monuments que le pays fait élever. Mais, comme le département de la guerre n'avait rien de définitif, qu'il devait marcher au jour le jour, sans bien se rendre compte lui-même où il pourrait aboutir, des marchés à forfait étaient complètement impossibles et il a mis les travaux d'Anvers en adjudication par bordereau de prix ; l'entrepreneur n'était plus un constructeur responsable. Et le danger pour lui était également de marcher en aveugle sans pouvoir se rendre un compte exact, dès l'origine, de ce qu'on exigerait de lui.
Cette situation fatale a entraîné le procès, aujourd'hui pendant, entre la compagnie du matériel des chemins de fer et le gouvernement, et les difficultés inextricables dans lesquelles cette compagnie se trouve engagée.
On répondra peut-être que dans une entreprise aussi colossale, il est ridicule de penser que l'on puisse, dès l'origine, arrêter d'une manière définitive les plans d'exécution et les devis détaillés de tous les travaux. Ne pouvait-on pas agir comme on le fait ailleurs, c'est-à-dire en procédant par des adjudications séparées pour chacune des parties des travaux définitivement arrêtées ?
Une autre conséquence, c'est qu'aujourd'hui même vous ne savez pas ce que vous aurez pour vos 49 millions. Quand je dis 49 millions, c'est un chiffre aussi fictif que le devis des travaux, car nous en sommes déjà loin ; nous devons y ajouter d'abord, pour mémoire, la valeur des escarpes non exécutées et qui, si le devis avait été vrai, devait rentrer au trésor, puis effectivement les 5 1/2 millions accordés dernièrement ; plus 12 millions au moins tirés du budget de la guerre, pour la paye des soldats ouvriers. Est-ce tout ? Non, nous sommes encore loin du compte.
Je ne parle pas de la rive gauche que l'on se verra forcé de protéger un jour. Malgré les assertions de M. le ministre de la guerre, il est complètement impossible que la citadelle du Nord, si le malheur voulait qu'on la conservât, reste dans l'état actuel ; chacun de vous peut le vérifier, on n'y ferait pas séjourner les troupes vingt-quatre heures.
Il en est de même au sujet des remparts des fronts d'attaque. Chacun de ces fronts doit être obligatoirement muni d'une caserne défensive, cela résulte de tous les projets de fortification type et de toutes les discussions, y compris celles du comité du génie de juin 1860 ; sans caserne défensive le front non seulement est incomplet, mais sur une distance de 4,000 mètres de fronts attaquables, il ne resterait pas d'abris suffisants pour la garnison et la garde de ces fronts, et cette absence ramènerait la place d'Anvers à la situation de Sébastopol, situation que M. le ministre a si bien signalée dans la séance du 23 décembre 1863.
Il faut donc nécessairement, pour la partie attaquable de l'enceinte, six casernes défensives et, dans la séance du 3 septembre 1864 (Annales parlementaires, p. 72), M. le ministre de la guerre nous a déclaré qu'il n'en construirait que deux.
M. le ministre voudra bien nous permettre de ne pas prendre au sérieux l'allégation qu'il nous a présentée à ce sujet, que, faisant les deux casernes plus grandes, il satisfaisait aux conditions de la défense. C'est exactement comme s'il nous disait qu'au lieu de six caponnières il n'en fait que deux, mais qu'il les fait plus vastes.
Quant aux abris voûtés dont il a parlé dans la même séance, comme étant destinés à remplacer les casernes supprimées, ils ont une tout autre destination, attendu qu'ils ne concourent pas à la défense ; tandis que les casernes, non seulement ont une action directe sur les dehors du front, mais encore, elles agissent comme batterie de flanc et de revers sur les troupes d'assaut parvenues sur le haut du rempart ou dans (page 324) de la place et sur les cheminements et les logements de l'ennemi aux saillants des ravelins des fronts collatéraux.
Cette destination, ce n'est pas moi qui l'invente, elle est prescrite par le ministre lui-même, de sorte que la prétendue amélioration qu'il nous a signalée constitue un affaiblissement dangereux qui n'a été inventé que pour les besoins de la cause.
Je ne m'étendrai pas davantage, messieurs, sur la question des fortifications d'Anvers ; il me faudrait plusieurs séances pour relever tous les paradoxes et les contradictions que M. le ministre de h guerre a avancés à ce sujet. Du reste cette question, quoi qu'on fasse, est loin d'être terminée et occupera nécessairement encore la Chambre et le pays. Elle reviendra fatalement, car les hommes au pouvoir ne sont pas éternels, elle reviendra lorsque le successeur du ministre actuel, voulant se rendre compte du bilan de la situation, au lieu d'une place complète n'aura devant lui qu'un squelette de forteresse.
Je me permettrai cependant encore une observation concernant la rive gauche.
Toute l'argumentation à ce sujet était de mise en 1859 lors de l’installation de la commission des 27 et mieux encore, en 1852, lors de la construction du fort de la Tête de Flandre, parce que, à cette époque, la portée utile des plus gros calibres ne dépassait pas 5,000 mètres.
Mais aujourd'hui, et M. le ministre de la guerre vous l'a répété à satiété, on peut lancer des boulets creux à 7,000 mètres, ce qui fait qu'un détachement ennemi pourra, par la rive gauche, et pendant la durée des nuits, venir brûler Anvers, sans avoir besoin d'établir d'épaulement et sans avoir la crainte de perdre ni un homme ni un cheval ; et vos immenses travaux de la rive droite et les défenses du fleuve ne l'en empêcheront pas. Il n'y a qu'un seul moyen d'éviter ce danger, c'est d'établir des forts à la tête des inondations de la rive gauche, car sans eux comment ferez-vous des sorties sur cette rive ?
Veuillez ne pas perdre de vue, messieurs, que le but de la grande enceinte a été d'assurer la sécurité d'Anvers : on a voulu faire de cette ville la capitale du pays en temps de guerre, le lieu où se réuniront !a famille royale, les Chambres, les grandes administrations, le trésor et les archives du pays, du sorte que tout projet qui ne préserve pas de la destruction cette capitale du moment suprême, n'a pas de raison d'être.
Ce qu'on a voulu, ce ne sont pas des fortifications à défendre et une armée à sauver, on a voulu former un refuge assuré au pays légal, et si l'on continue à se traîner dans la même ornière, le refuge que l'on prépare à grands frais sera anéanti sans qu'on ait besoin de tirer un seul coup de canon contre les fortifications.
En un mot, la fameuse phrase de M. le ministre de la guerre qui a entraîné l'adhésion d'Anvers au projet actuel et les démonstrations élogieuses dont il parle toujours, à savoir qui ce projet donnait à la population d'Anvers la garantie que ses propriétés seront complètement soustraites aux éventualités d'un bombardement quels que soient les progrès que réalisent les armes à feu, étaient vraies avec des portées de 5,000 mètres ; mais elles sont fausses, complètement fausses, avec les portées actuelles.
Aujourd'hui, en cas de siège sérieux, la ville est vouée à la destruction, et les grands corps de l'Etat regretteront les casernes défensives et à l'abri de la bombe dans lesquelles ils pourraient se réfugier et que, sous prétexte de progrès on ne construit pas aujourd'hui.
Pour terminer, messieurs, je répète encore que le système que je puis appeler personnel, introduit depuis 5 ans au département de la guerre, doit devenir fatal au pays et à l'armée. En voulez-vous un exemple, le voici : Pour s'assurer si la machine militaire fonctionne bien, si les améliorations qu'on introduit dans l'armée, car il faut améliorer, sous peine de périr, sout faites avec la prudence nécessaire, il faut que cette armée soit toujours en état de faire face instantanément aux événements, c'est-à-dire que ces améliorations, ne peuvent être introduites d'une manière brusque et de façon à compromettre, même momentanément, la force des différentes armes. Prenons pour exemple l'année 1863. Certes les hommes politiques les plus forts n'auraient pu prévoir que les puissances occidentales laisseraient accabler le faible Danemark par la colossale Allemagne ; la guerre générale était dans la prévision de tous.
Quelle était notre situation à cette époque ?
Dans l'infanterie, tous les hommes employés aux travaux d'Anvers, c'est-à-dire, à peu près la moitié des bataillons actifs, ne connaissaient ni leur régiment, ni leur drapeau, ni même leur commandant de compagnie. Les réserves n'avaient jamais été rappelées et ne connaissaient pas un seul mot des nouveaux règlements sur l'infanterie, introduits en 1859 et par lesquels les règlements d'exercice avaient été complétement bouleversés.
Dans la cavalerie il y avait alors une désorganisation complète qui aujourd'hui est loin d'avoir disparu.
Dans l'artillerie tout était confusion ; les officiers ne connaissaient que peu ou point les armes dont ils auraient dû se servir ; ces armes ne leur inspiraient aucune confiance ; les canonniers, inconnus de leurs chefs qui ne les voyaient pas une fois par semaine, étaient transformés en hommes de peine et ignoraient les premiers éléments de leur métier ; et malheureusement cet état de choses existe encore aujourd'hui. Quant au système de défense, l'ancien n'existait plus, et le nouveau n'était pas constitué.
Voilà, messieurs, le critérium du système ; voyez après cela si vous voulez en prendre la responsabilité.
M. le ministre de la guerre, au lieu d'être le contrôleur des affaires de son département, s'est substitué à tous, et le contrôle, c’est dans cette enceinte seulement qu'il peut s'exercer. Si vous consentez à laisser perpétuer un pareil état de choses, il faudrait au moins que ce contrôle devînt efficace, et pour cela il n'y a qu'un moyen, c'est de modifier la loi sur les incompatibilités.
MpVµ. - La parole est à M. Bouvier.
M. Vleminckxµ. - Je demande la permission de donner deux mots d'explications.
Mon intention n'est pas de discuter contradictoirement avec M. le ministre de la guerre le budget de son département ; mais il vient d'être fait appel à une déclaration de ma part et j'y réponds. Je crois en effet que c'est à moi que l’honorable M. Hayez a entendu faire allusion en parlant d'un président de comité qui se trouve actuellement dans cette Chambre.
Il est très vrai que le comité du service de santé, que j'ai eu l’honneur de présider pendant que j'étais inspecteur général, n'a jamais été convoqué. Il n'a été convoqué ni sous le général Berten qui l'avait institué, ni sous le général Chazal qui l'a modifié. Mais comme chacun, dans ce monde, doit prendre la responsabilité de ses actes, je suis obligé de dire que si le comité du service de santé n'a pas été convoqué, c'est parce que son président ne l'a pas voulu. Si le président avait proposé a l'honorable M. Chazal de réunir ce comité, j'affirme que cette convocation aurait eu lieu. Mais à quoi bon réunir un comité alors qu'il n'a rien à discuter et qu'on n'a rien à lui proposer ?
(page 325) M. Bouvierµ. - Messieurs, le budget de la guerre a deux espèces d'adversaires : les économistes d'abord, la députation anversoise ensuite. La première de ces oppositions est sérieuse, et nous la comprenons. Quant à la seconde, c'est une opposition systématique, tracassière, personnelle, ayant pour objectif la destruction de notre pivot de défense nationale, et ce qui est étrange, c'est que ce discours, dont vous venez d'entendre pour la troisième fois la même édition, ne devient une critique que quand l'honorable membre se trouve investi du mandat de représentant. Oui, c'est vraiment une chose étrange que de voir d'anciens officiers généraux, une fois qu'ils ont quitté l'armée qui les a nourris et portés jusqu'aux grades les plus élevés, faire une opposition systématique contre le budget de la guerre, alors surtout que le pays est appelé à des élections générales pour la représentation nationale.
Lorsque ces officiers généraux faisaient partie des comités, nous les voyions être parfaitement d'accord avec leurs collègues dans la discussion de toutes les grandes questions militaires et être en quelque sorte de l'avis général de tous les comités qui ont existé, alors qu'ils auraient dû avoir le courage de donner leur démission pour critiquer ouvertement ce budget de la guerre contre lequel ils s'élèvent aujourd'hui.
Ce n'est que lorsqu'ils sont entretenus aux frais de l'Etat et qu'ils n'ont plus de responsabilité vis-à-vis du pays et du gouvernement, qu'ils élèvent des critiques acerbes contre le budget de la guerre. Eh bien, je dis que c'est là un spectacle étrange, un spectacle inouï et qu'il faut signaler à l'attention du pays parce que cette conduite manque de dignité.
Je n'en dirai pas davantage à l'honorable préopinant ; son siège est fait ; c'est une critique que je viens d'entendre, critique systématique toujours répétée, et ce serait faire perdre un temps précieux à la Chambre que de discuter éternellement les mêmes redites.
Nous avons donc les économistes, et je vous avoue avec une très grande franchise que leur système a des adhérents, et pourquoi, messieurs ? Parce que tout le monde désire (et je suis partisan de ce système), parce que tout le monde désire les dépenses reproductives. Nous sommes tous partisans des consommations productives, hostiles aux dépenses inutiles, sachant comme eux que nous avons encore de grandes choses à faire au point de vue économique, de nombreuses écoles à bâtir, des routes et des chemins de fer à construire, notre voirie vicinale à achever, des tarifs à remanier, le commerce, l'industrie et les arts à encourager, élever le niveau moral de la société, contribuer à l'expansion de ses lumières, de sa richesse et de sa civilisation. Mais tout en tenant compte de ces grands intérêts à satisfaire, il ne faut pas oublier que toute nation qui veut conserver ses libertés et son indépendance a des obligations à remplir, et la première de toutes, c'est celle de sa propre conservation. Ce que les économistes appellent la consommation improductive n'est souvent commandée que par l'honneur national, le sentiment de l'indépendance et l'amour de son pays.
Ah ! je le sais, il y a en Belgique certains hommes qui préconisent la réduction du chiffre du budget de la guerre, qui voudraient même le voir disparaître ; mais il faut résister à ces tendances qui conduiraient directement et fatalement à la ruine de la patrie.
Quand le cri de désarmement général se fera entendre et qu'il s'élèvera partout, oh, alors, j'associerai ma voix à la grande voix de l'opinion publique, et le désarmement se fera en Belgique, car il y aurait alors, de notre part, du don-quichottisme à conserver une armée qui n'aurait plus aucune raison d'être ; mais en présence de la politique générale de l'Europe et de ses périls menaçants, en présence des grands armements des nations qui nous entourent, désarmer ou réduire le chiffre du budget de la guerre ce serait un crime de lèse-nation dont je ne veux pas me rendre complice.
Examinons ce qui se passe chez nos voisins.
Que voyons-nous en France ? Mais la France se présente à nos yeux comme une puissance formidable ; elle a dépensé, depuis l'avènement de l'empire, des sommes considérables pour consolider sa puissance militaire.
La dette publique a augmenté de plus d'un milliard depuis 1852, et pourquoi, messieurs ? Y a-t-il une puissance voisine qui songe à l'attaquer ? Evidemment non. Tout le monde la craint et personne ne songe à l'attaquer. Pourquoi donc reste-t-elle armée ? Si elle n'a pas des intentions hostiles, si elle n'a pas des motifs secrets pour faire ces armements, alors, messieurs, je n'en vois pas la nécessité, surtout en présence du désir manifesté par l'opinion publique, de voir réduire les dépenses militaire !. (Interruption.)
Permettez ; la situation n'est pas la même. Nous avons à sauvegarder notre nationalité.
M. Debaets. - Causons de nos affaires.
M. Bouvierµ. - Nous avons à sauvegarder notre indépendance tandis que la France n'a rien à craindre sous ce rapport.
Elle n'a pas à craindre une attaque extérieure, tandis que, nous, nous devons nous tenir toujours sur nos gardes. Voilà toute hladifférence.
Que se passe-t-il en Angleterre, dans cette grande, noble et puissante Angleterre ? Mais elle arme aussi, elle qui se trouve dans une position géographique exceptionnelle, elle qui se trouve entourée de mers, qui la défendent naturellement. Elle fortifie ses côtes maritimes.
Mais cependant viendra-t-on soutenir que l'Angleterre est partisan du militarisme ? Non. C'est un peuple qui aime l'économie politique, c'est même là que le père de l'économie politique, Adam Smith, est né. (Interruption.)
Je réponds aux économistes. Eh bien, cette grande et forte puissance malgré l'école de Manchester, malgré les Bright et les Cobden, reste armée et s'arme tous les jours davantage. Et pourquoi ? Est-ce qu'elle songe à attaquer quelque autre puissance ? Pas le moins du monde. Mais elle en a le pressentiment.
Elle voit la France, sa puissante rivale, s'armer tous les jours davantage, se créer une puissante marine militaire. Elle veut être prête à toutes les éventualités, elle se prépare pour le moment où elle pourrait subir une invasion ; plus son système de défense sera formidable, moins elle aura à craindre, et voilà pourquoi elle arme.
Voyons ce qui se passe en Italie.
Là une nation se fait. Cette nation s'impose de plus grands sacrifices pour devenir ce que nous sommes, une nation libre et indépendante.
- Une voix. - Et le Danemark ?
M. Bouvierµ. - Nous y arriverons tout à l'heure au Danemark. Un peu de patience, monsieur Coomans.
M. Coomans. - Ce n'est pas moi qui ai prononcé l'interruption.
M. Wasseige. - C'est M. Goblet.
M. Bouvierµ. - Peu m'importe d'où vient l'exclamation, qu'elle vienne de mes amis ou de ceux avec lesquels je suis toujours en hostilité. J'ai mon opinion et je la défends consciencieusement et sérieusement. Du reste les interruptions ne me font pas peur.
L'Italie donc, messieurs, s'impose de grands sacrifices pour devenir ce que nous sommes : une nation s'appartenant à elle-même, une nation libre et indépendante comme notre chère Belgique. Qu'a-t-elle dû faire ? Elle a dû s'imposer des sacrifices énormes pour subvenir à des charges militaires écrasantes, elle paye par anticipation 3/12 de l'impôt sur l'exercice de 1865.
Cette nation, messieurs, a aujourd'hui sous les armes 400,000 combattants et elle les conserve.
- Une voix. - C'est sa faiblesse.
M. Bouvierµ. - C'est sa faiblesse, non ! je prétends que c'est sa force.
Pour devenir une nation il faut le vouloir, il faut savoir s'imposer de grands et nobles sacrifices. Tant que l'Autriche possédera le quadrilatère, l'Italie ne sera pas. Eh. bien, l'Italie deviendra une nation parce qu'elle le veut, parce qu'elle ne marchande pas sa nationalité au prix de quelques poignées d'or, et elle a raison.
- Une voix. - Ce sont des théories.
M. Bouvierµ. - Comment ! des théories ! Vous appelez théories le devoir sacré de la défense de son pays, le plus noble sentiment qui gît dans le cœur de l'homme et qui devient irrésistible lorsqu'il s'empare de toute une nation.
Je plains, pour ma part, l'interrupteur anonyme. Mais l'Autriche s'impose également d'énormes sacrifices pour reconquérir les provinces qu'elle a perdues en Italie. Les finances de l'Autriche sont cependant une espèce de gouffre sans fond et elle persiste dans ses armements.
Voyez ce qui se passe en ce moment en Prusse ! Mais là encore se pratique le système des annexions, c'est un système contagieux pratiqué déjà par la France, mais que celle-ci laisse pratiquer même sous ses yeux. La Prusse joue aujourd'hui l'Autriche avec des protocoles. On la joue, car le roi vient de dire dans son discours, à l'occasion de l'ouverture des chambres, qu'il établira un grand canal entre la mer du Nord et la Baltique, ce qui indique une conquête.
M. Coomans. - Et il envoie promener les Chambres.
M. Bouvierµ. - Il envoie promener les Chambres ! Et vous préconisez une pareille manière d'agir, M. Coomans.
M. Coomans. - Je dis que c'est un mauvais exemple que vous nous recommandez.
(page 326) M. Bouvierµ. - Ah ! vous voudriez bien que les Chambres allassent se promener. Vous leur en avez, du reste, donné récemment le triste exemple. (Interruption.) Vous ne saisissez pas d'ailleurs mon argumentation.
Ah ! je sais fort bien que les libertés modernes pèsent sur quelques consciences.
M. Thonissenµ. - Allez donc !
M. Bouvierµ. - Allez à Rome ! Oh ! de l'encyclique, je n'en parlerai pas, parce qu'elle donnerait lieu à trop de plaisanteries de la part de M. Coomans.
M. Coomans. - Parlez-en !
M. Bouvierµ. - Ce n'est pas le moment, nous y arriverons un jour. Vous voyez que nous avons deux puissances voisines qui pratiquent le système des annexions : la France qui à la vérité veut bien combattre pour des idées lorsqu'elles se traduisent en deux belles provinces, et la Prusse qui vient de combattre une petite nation, non pas à elle seule, mais avec une autre nation, comme pour l'étouffer.
Mais l'opinion publique, et on ne l'étouffé pas, l'opinion publique a maudit un pareil abus de la force contre la faiblesse. (Très bien !)
Eh bien, messieurs, en présence d'une situation semblable que devons-nous faire ? Est-ce que nous devons nous reposer sur les traités qui consacrent notre neutralité, nous reposer sur un chiffon de papier, ou avoir une année pour défendre notre nationalité ?
Devons-nous prêcher dans cette enceinte la lâcheté nationale alors que nous jouissons de ces libertés qui nous sont chères et qui font l'envie de certaines nations, mais qui sont notre juste et consolant orgueil ?
Mais, dit-on, votre armée ne servira à rien ; vous ne pourrez pas l'opposer aux forces des grandes puissances militaires qui nous entourent. Voila l'objection que j'entends faire par MM. les économistes, hommes sérieux et les politiques de cabaret que je méprise.
Une armée belge, en cas d'invasion, pourra-t-elle seulement se mesurer avec l'ennemi, quelque brave, quelque énergique, quelque bien disciplinée qu'elle soit, alors même qu'elle serait bien commandé dans ce moment douloureux pour notre patrie, - moment que je veux même éloigner de ma pensée ? - Voilà l'objection.
Mais tout à l'heure déjà l'honorable M. Jouret a fourni une argumentation très juste puisée dans un ouvrage militaire très recommandable.
Réellement, les économistes qui sont, je le répète, des hommes très sérieux et que j'estime.
- Une voix. - Après avoir parlé de lâcheté.
M. Bouvierµ. - Après avoir parlé de lâcheté, me dit-on ; mais est-ce que la lâcheté est le corollaire de l'économie politique ? On peut être un parfait économiste et en même temps un homme de courage et incapable de préconiser la lâcheté, mais tout économiste qu'on est, on est sujet à l'erreur.
Eh bien, on se trompe généralement sur les forces des puissances voisines, et, je le répète, l'honorable M. Jouret a fourni sur ce point une excellente argumentation, il n'y a qu'un instant. Il vous a parlé de la bataille de Waterloo.
Sait-on, messieurs, le nombre de combattants avec lequel Napoléon Ier, ce grand tacticien, est venu en Belgique ? Il est entré en Belgique avec 120,000 hommes. Et quelle est l'armée en campagne qu'il a opposée aux forces coalisées de la moitié du monde ? 65,000 hommes ; et l'histoire militaire nous apprend que si le corps de Grouchy avait pu arriver à temps sur la ligne de bataille, Napoléon pouvait sortir victorieux de cette lutte gigantesque contre l'Europe coalisée. L'honorable M. Jouret vous a cité... (Interruption.) Messieurs, si vous voulez continuer vos interruptions, faites-les du moins de manière que je puisse les saisir et j'y répondrai ; mais ayez au moins le courage de parler à haute et intelligible voix.
M. Allard. - Non ; il vaut mieux ricaner.
M. Bouvierµ. - C'est plus facile. Je répète donc ma phrase et je dis que l'honorable M. Jouret a rappelé qu'en Crimée les armées réunies de la France et de l'Angleterre ne comptaient pas plus de 70,000 hommes.
M. de Vrièreµ. - Au début de la campagne.
M. Bouvierµ. - Soit, M. de Vrière ; mais jamais le chiffre n'a dépassé 120,000 hommes ; mais il faut tenir compte des maladies, des épidémies et des ravages des boulets de canon.
- Une voix. - Mais vous préconisez la guerre.
M. Bouvierµ. - Mais, mon Dieu ! la guerre est une chose effroyable ; je suis bien loin de la préconiser ; ce que je veux, ce que je désire du fond de mon âme, c'est l'existence de la Belgique, c'est le maintien de notre nationalité ; je veux rester Belge, je veux le rester jusqu'au dernier souille de ma vie. Voilà du patriotisme !
L'honorable M. J. Jouret, si je l'ai bien compris, a dit tout à l'heure que la guerre d'Italie, en 1859, a été faite par Napoléon III avec un corps de 60,000 à 70,000 hommes, et que le chiffre de ses combattants ne s'eût jamais élevé à plus de 120,000 hommes.
Si c'est là ce qu'a dit l'honorable M. J. Jouret (l’honorable membre le confirme par un signe affirmatif)... eh bien, qu'est-ce que ctea prouve ? Cela prouve qu'on se fait une illusion sur les forces de nos ennemis ; on croit que rien n'est plus facile que de faire manœuvre des centaines de milliers d'hommes dans un pays ; tout cela est magnifique sur le papier ; ce sont des politiques de cabaret qui soutiennent et propagent de pareilles idées, et ce sont justement ces idées dangereuses que nous venons combattre.
Si nous avons une armée forte, avec le système défensif actuel, pouvons-nous nous défendre ? Voilà la question posée sur son véritable terrain ; et en effet quand la Belgique pourra-t-elle être envahie ? Il est évident que ce sera dans le cas de guerre générale. Où sera le théâtre de cette guerre ? Evidemment le Rhin ou la Moselle ou bien la Belgique elle-même. Je suppose un moment que la guerre se fasse sur le Rhin, et qu'un des belligérants exécute une pointe en Belgique avec une armée de 80,000 à 100,000 hommes ; c'est une première hypothèse.
Or, messieurs, nous avons notre armée, s'appuyant sur le sentiment national qui sera surexcité ; l'enthousiasme s'emparera de tous les Belges ; vous verrez se lever ces milliers de citoyens qui se seront exercés dans le tir national, dont les dernières statistiques démontrent l'excellence du tir ; vous verrez partout surgir du sol belge des volontaires, vous en trouverez dans nos villes et nos villages, derrière chaque buisson, pour défendre l'intégrité du territoire, pour harceler et attaquer de toutes parts l'armée qui viendra fouler le sol sacré de la patrie.
Eh bien, dans cette occurrence, le général qui commandera notre armée décidera s'il peut avec des chances de succès livrer une bataille. Si le nombre de nos adversaires est trop grand, il se retirera sur le pivot de notre système défensif, sur Anvers ; mais si l'armée qu'on oppose à l'armée belge n'est pas plus forte que la nôtre, la Belge combattra ; le Belge vaut certainement le meilleur militaire de l'Europe ; personne ne saurait le contester. Le Belge vaut son homme ; César, ainsi que l'honorable M. Hymans l'a rappelé dans son histoire, César, il y a plus de dix-huit siècles, a fait l'éloge de la grande bravoure des Belges, et les Belges n'ont jamais perdu cette juste et légitime réputation, non, jamais !
- Des membres à droite. - Très bien !
M. Bouvierµ. - Je suis heureux d'entendre partir des bancs de la droite ces mots : « Très bien ! » Cette bonne fortune ne m'arrive pas souvent de ce côté de la Chambre.
Messieurs, je vais poursuivre mon raisonnement, et puisqu'on dit : « Très bien ! » sur les bancs de la droite, j'espère qu'elle voudra bien me continuer sa bienveillante attention.
- Un membre. - C'est le banc d'Anvers qui a dit « Très bien. »
M. Bouvierµ. - Cela m'étonne profondément. Si le banc d'Anvers dit ici « Très bien », ses journaux disent toujours : très mal. Le banc d'Anvers doit se rappeler que son éternelle question a été définitivement enterrée, il y a peu de mois, dans cette enceinte. Je ne fais pas allusion aux habitants d'Anvers, que je respecte, mais à ceux qui viennent défendre devant la Chambre un système dangereux, un système que j'appelle antinational.
- A gauche. - C'est vrai !
M. Bouvierµ. - Tout le monde à gauche en est si convaincu, qu'elle proclame avec moi que ce n'est que trop vrai. Voilà ma réponse aux compliments du banc anversois.
Quittons Anvers, car la question d'Anvers n'a que trop longtemps occupé le pays.
Je vais donc continuer la thèse que je développais tout à l'heure, c'est à-dire qu'une armée bien exercée, bien disciplinée, et par conséquent forte, peut être opposée à une armée envahissante et que si le chiffre de cette armée est le même que le chiffre de la nôtre, le général belge pourra livrer bataille avec succès, et j'ajoute que le corps d'armée principal étant concentré sur le Rhin ou sur la Moselle, le général ennemi exposera singulièrement cette armée, en en détachant un corps de cette importance ; ce sera une manœuvre très délicate. Tous les militaires instruits sont d'accord sur ce point.
D'ailleurs il ne faut pas avoir fait des études militaires pour comprendre cela ; je ne suis pas militaire ; je n'ai jamais été que dans la garde civique... (Interruption.) Je vous assure que j'estime beaucoup la garde civique qui, en cas d'invasion, rendra d'immenses services au pays ; elle sera d'un grand secours pour l'armée. Elle laissera l'armée entièrement maîtresse dans ses manœuvres en campagne.
(page 327) J'abandonne la première hypothèse ; je suppose un moment qu'au lieu de concentrer ses armées sur le Rhin ou sur la Moselle, l'ennemi entame la Belgique avec une armée formidable. Dans cette hypothèse, qu'arrivera-t il ?
Il est évident que le général belge n'ira pas s'exposer ; il se repliera sur Anvers. Là il sera dans une situation redoutable pour l'ennemi ; il faudra donc que l'armée envahissante fasse le siège d'Anvers.
Eh bien, messieurs, il faut huit mois avant d'entamer Anvers par industrie. Pendant ce temps, qu'arrivera-t-il ? Mais l'autre belligérant, celui qui se défend contre l'agression, sera très heureux de trouver en Belgique une armée solide, une armée forte, une armée bien disciplinée, et alors nous déciderons en quelque sorte des événements militaires et politiques en jetant dans le plateau des destinées humaines notre force militaire.
Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire quant à l'éventualité d'une invasion de l'ennemi.
Mais, objecte-t-on, certaines personnes qui se croient même patriotes, mais qui ne comprennent pas le premier mot de la situation politique, militaire et financière des pays voisins, ces personnes se disent : Il faut une réduction dans les dépenses militaires. Vous avez entendu tout à l'heure l'honorable M. Lelièvre qui demandait aussi une réduction, C'est, messieurs, une véritable maladie chronique.
M. Coomans. - Ah !
M. Bouvierµ. - Oui, c'est une véritable maladie chronique, M. Coomans. Vous dites : « Ah ! » Ecoutez-moi ; vous allez peut-être dire : « Oh ! » tout à l'heure.
Il y a six ans, en 1859, un cri semblable à celui qu'on entend aujourd'hui, le cri d'une réduction faisait entendre. Et qu'a-t-on fait en 1859 ? On a institué une commission qu'on a nommée commission mixte, parce qu'elle se composait de sommités militaires et de membres de la Chambre. ; Cette commission s'est livrée à un examen très approfondi de la question de la défense du pays. Elle savait que le cri général de réduction devait recevoir une réponse, et après avoir examiné la question militaire sous toutes ses faces, quel en a été le résultat ? quelles ont été les conclusions ? Ce résultat, ces conclusions vous ont été indiqués, il y a un moment, si je ne me trompe, par l'honorable M. Jouret. La commission a décidé que le dispositif des forteresses frontières disparaîtrait ; qu'il y aurait un système de concentration, qu'Anvers serait choisi comme grande position stratégique sur laquelle on ferait pivoter notre armée, que celle-ci se composerait d'un chiffre de 90,000 hommes, 60,000 hommes pour les opérations mobiles et 30,000 hommes pour la réserve.
Et savez -vous quel est le chiffre du budget qui a été en quelque sorte un chiffre étriqué, pour satisfaire à ce cri de réduction, auquel s'est arrêtée la commission mixte ? 32 millions. De telle sorte que le système de défense actuel, et j'appuie sur ce mot, le système de défense actuel est la conclusion formelle de la commission que vous avez instituée en 1859.
- Un membre. - En 1851.
M. Bouvierµ. - En 1851 ; je me trompe de date.
M. Allard. - Cela ne change rien à vos arguments.
M. Bouvierµ. - Comme le dit l'honorable M. Allard, cela ne change rien à l'ordre de mes idées et je vais continuer à vous les exposer.
Aujourd'hui, après un court laps de temps, vous entendez de nouveau s'élever ce même cri, et lorsque je disais, il y a un moment, que c'était une véritable maladie chronique, je crois que j'avais raison.
Messieurs, je suppose un moment que nous n'ayons pas d'armée. C'est le système de l'honorable M. Coomans.
M. Coomans. - Parfaitement.
M. Bouvierµ. - Parfaitement ! Je ne vous en fais pas mon compliment. Je vais vous prouver que votre système va à l’encontre de la véritable économie politique. Je vais vous l'établir, malgré votre incrédulité. Je n'espère cependant pas vous convertir ; j'admets que votre conviction est celle d'un excellent patriote qui se trompe ; dans tous les cas vous êtes un économiste un peu trop endurci.
Messieurs, qu'est-ce que l'économie politique ? On nous a appris cela à l'université. C'est une science qui tend au développement des richesses productives, à leur distribution, etc. Maïs plus vous serez riches, plus vous aurez de trésors, plus vous exciterez les convoitises de vos ennemis.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - De sorte qu'il faut être pauvre.
M. Bouvierµ. - Non, il ne faut pas être pauvre, M. Le Hardy de Beaulieu. Mais jamais la convoitise d'un conquérant ne sera excitée par des provinces pauvres, parce qu'elles ne valent pas la peine d'être conquises.
M. Coomans. - Et la Savoie ?
M. Bouvierµ. - Je vais répondre à votre interruption quant à la Savoie.
Quel est le rêve de quelques esprits en France sous Napoléon III ? (Interruption.) Messieurs, je ne critique rien. Je ne critique pas ce qui se passe en France, je constate. Lisez certains papiers publics. Nous ne discutons pas ici les institutions de la France. La France est libre de se donner toutes les institutions qu'il lui plaît. Mais quel est le rêve de ces esprits aventureux ? Ce rêve, M. Coomans, faites-y bien attention, c'est le rétablissement de l'ancienne Gaule romaine, la Gaule romaine qui avait pour limites les Alpes, l'Océan et le Rhin. La Savoie procure déjà à la France le versant méridional des Alpes, c'est une véritable position stratégique pour elle et elle se l'est octroyée. D'ailleurs, dans votre interruption vous négligez, avec intention sans doute, le comté de Nice. Vous vous êtes aperçu d'ailleurs que je n'ai parlé que d'un rêve, dont une partie se trouve cependant accomplie à l'heure actuelle.
Voilà ce que je réponds à votre interruption relativement à la Savoie.
Messieurs, je voulais établir, répondant aux économistes, que l'armée donne la sécurité au pays, et la sécurité, c'est la production, la multiplication de vos richesses. La Belgique a toujours été le théâtre de longues guerres et pourquoi ? Parce que tout le monde voulait se disputer ses richesses et ses plantureuses provinces. L'histoire est là ; je n'ai pas besoin de vous l'apprendre ; vous la connaissez.
Je dis donc, messieurs, que nous avons tous intérêt à conserver notre armée.
Je comprends le système de ceux qui ne veulent point d'armée, mais je ne comprends pas les partisans de la réduction de l'armée. Il faut une armée ou pas d'armée du tout, cela est logique. Mais il ne faut pas, messieurs, en demandant des réductions au budget de la guerre, leurrer en quelque sorte le pays et l'exposer à une défaite certaine avec accompagnement de dépenses qui seraient frustratoires.
Du reste, je suis convaincu que l'honorable ministre de la guerre, dont je connais l'intelligence et le cœur, souscrive jamais à la réduction de l'armée en tant que cette réduction puisse nuire à sa force.
Il la conservera bien constituée, pour que son moral reste au niveau de sa valeur, ou bien il dira : Plus de budget de la guerre ! Voilà ce que le ministre répondra, j'en suis convaincu d'avance, à ceux qui demandent la réduction de l'armée.
De deux choses l'une, messieurs, ou bien vous voulez une patrie ou vous n'en voulez pas. Si vous voulez rester Belges, si vous voulez conserver la jouissance de cette longue prospérité qui date de 1830, si vous voulez ne pas anéantir les traditions historiques, si vous vous rappelez ce que nos ancêtres ont fait pendant des siècles pour arriver à la possession d'une patrie qui s'appartienne, si vous faites un retour sur l'histoire, vous verrez que les Belges ont toujours combattu et avec une rare persévérance pour éloigner l'étranger du sol natal, pour que vous jouissiez de toutes les prospérités, et aujourd'hui que vous les possédez, aujourd'hui que vous avez ces trésors, que vous possédez ces richesses, que vous jouissez de toutes les libertés qui nous sont chères a tous, eh bien, conservez notre armée, sachez faire à cet effet tous les ans un sacrifice et ne vous abandonnez pas au culte du veau d'or, car vous ne mériteriez pas d'être une nation libre, d'être une nation indépendante si vous ne consultiez que les économistes, que je sépare de la science économique, si vous ne consultiez que l'intérêt qui s'attache à ce vil métal qu'on appelle l'or, sans vouloir en détacher quelques parcelles pour conserver le tout. Je dis que vous n'êtes pas dignes d'avoir une patrie, que vous n'êtes pas dignes d'être Belges, si vous reculez devant les dépenses qui sont nécessaires pour sauvegarder la prospérité, l'honneur et la sécurité de la Belgique, ses libertés et son indépendance.
(page 324) - La séance est levée.