Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 23 décembre 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-185)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 283) M. Thienpont procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Van Humbeeck donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« La veuve du sieur Heimburger, ancien chef de musique au 11ème régiment de ligne, demande un secours-pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Ninove demandent que les Annales parlementaires soient publiées en flamand comme en français. »

« Même demande d'habitants de Termonde. »

- Même renvoi.


« Le Sénat informe la Chambre qu'il a voté le projet de loi contenant le budget du ministère de la justice pour l'exercice 1865. »

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Allard dépose le rapport de la section centrale sur le crédit provisoire de 8 millions de francs, à valoir sur le budget de la guerre pour l'exercice 1865.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire d'un million de francs pour construction et ameublement d'écoles

Rapport de la section centrale

M. de Kerchoveµ dépose le rapport de la section centrale sur le crédit extraordinaire d'un million de francs pour construction et ameublement d'écoles.

Projet de loi ouvrant un crédit extraordinaire au budget du ministère des finances

Rapport de la commission

M. Van Humbeeck dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi portant allocation d'un crédit extraordinaire de 49,000 fr. au budget des finances.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1865

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Discussion générale

MpVµ. - La parole est à M. Funck.

M. Julliot (pour une motion d’ordre). – Il y a encore huit à dix membres inscrits sur le chapitre de l'enseignement primaire.

Cette discussion ne peut aboutir, car il n'y a et il n'y aura pas de proposition.

Dans l'intention de la Chambre, nous n'avons plus que deux séances à consacrer à nos travaux, et plusieurs projets qui doivent être votés avant notre séparation, sont à l'ordre du jour.

Je propose donc à la Chambre de clore la discussion ou plutôt de la cesser provisoirement, sauf à la reprendre à l'occasion du projet de loi qui alloue un million pour construction d'écoles ; alors du moins on pourra discuter ce principe dans tous ses détails. Je fais cette proposition dans l'intérêt même de la Chambre.

MpVµ. - J'avais donné déjà la parole à M. Funck ; je mettrai votre proposition aux voix après, le discours de cet honorable membre.

La parole est à M. Funck.

M. Funckµ. - Après les attaques violentes dont une institution récemment créée à Bruxelles a été l'objet, je m'attendais à l'interpellation que l'honorable M. Delcour a adressée à M. le ministre de l'intérieur ; je dois toutefois rendre à l'honorable député de Louvain cette justice, qu'il a mis dans son interpellation une modération à laquelle la presse de son parti ne m'avait point habitué.

Toute innovation, messieurs, a ses partisans et ses détracteurs. Chaque fois qu'une administration publique pose un acte important, elle le soumet au jugement de l'opinion publique, dont les arrêts sont souverains.

C'est ce qui est arrivé à l'administration communale de Bruxelles à propos de la création d'un cours d'éducation pour les jeunes filles, sous la direction de M le Gatti de Gamond. En effet, si l'institution nouvelle a obtenu l'approbation sans réserve de tous les hommes sincèrement dévoués au progrès de l'enseignement ; si la presse libérale tout entière, à l'appui et à l’approbation de laquelle je tiens énormément pour mon compte et que je remercie ici publiquement du loyal concours qu'elle nous a donné, si la presse libérale tout entière nous a donné les encouragements les plus chaleureux, nos adversaires politiques à leur tour n'ont négligé aucun moyen pour combattre une institution destinée à mettre un terme à un abus grave : l'accaparement complet de l'éducation des jeunes fille» par les congrégations religieuses.

Cependant, messieurs, la nécessité de cette institution était si grande, elle était si bien démontrée, que malgré toutes ces attaques, malgré toutes ces clameurs, et je la dis à regret, malgré les calomnies les plus odieuses répandues contre elle, l'école nouvelle a obtenu immédiatement les sympathies du public.

Chose inouïe et sans exemple, quand il s'agit d'institutions de ce genre ! le jour où l'école nouvelle ouvrait ses portes aux enfants de notre bourgeoise, et alors que les ouvriers travaillaient encore à préparer les locaux des classes, 160 mères de famille lui confiaient l'éducation de leurs enfants !

Eu présence d'un pareil résultat, l'administration communale de Bruxelles pouvait dédaigner les attaques dont elle avait été l'objet, et c'est ce qu'elle a fait.

Aujourd'hui que cet esprit d'hostilité a trouvé un éditeur responsable dans le Parlement, je défère bien volontiers à l'invitation qui m'a été adressée par M. le ministre de l'intérieur, et je viens donner à la Chambre quelques explications sur l'institution dont il s'agit.

Je répondrai aux objections qui ont été faites contre elle, et cette réfutation sera la meilleure réponse que je puisse donner aux questions qui ont été posées par l'honorable M. Delcour.

Comme vous le savez, messieurs, l'article 108 de la Constitution belge attribue aux conseils communaux tout ce qui est d’intérêt communal.

L'article 75 de la loi communale porte que les conseils communaux règlent tout ce qui est d'intérêt communal.

Parmi les intérêts communaux que la ville de Bruxelles place en première ligne figure tout ce qui a rapport à l'enseignement public, et cette conviction est pour nous si profonde, que nous considérons l'instruction publique comme une des parties les importantes de notre mission.

Je ne vous parlerai pas des sacrifices que nous faisons pour l'enseignement, en vertu de la loi de 1842 et de celle de 1850, et qui s'élèvent, an budget de cette année, à la somme de 380,000 francs ; je vous rappellerai seulement qu'en dehors de cette allocation figuraient aussi au budget de cette année :

280,000 fr. pour l'université de Bruxelles, plus un subside de 40,000 fr. ;

65,000 fr. pour l'académie des beaux-arts ;

10,000 fr. pour l'école industrielle ;

10,500 fr. pour les cours publics ;

60,000 fr. pour les écoles moyennes. ;

3,000 fr. pour l'école de chant d'ensemble ;

20,000 fr. pour subside et locaux du Conservatoire ;

11,000 fr. pour subside aux écoles gardiennes, israélite et évangélique.

Et probablement plus de 500,000 fr. pour les locaux de l'Académie et de l'école industrielle.

De sorte que nos dépenses pour cette année s'élèveront à 1,500,000 fr. environ !

A tous ces sacrifices, nous en avons ajouté un autre.

On nous disait et avec raison : Vous avez un enseignement public parfaitement organisé, vous avez des écoles primaires pour les enfants des deux sexes ; vous avez des écoles moyennes et un athénée divisé en deux sections pour les jeunes gens appartenant à la classe aisée ; vous donnez des subsides considérables à l'enseignement supérieur ; vous avez une académie des beaux-arts ; vous avez des cours publics ; vous avez une école industrielle ; mais en définitive tout cela est destiné à l'enseignement des garçons, et vous ne faites rien, absolument rien pour les filles.

Le reproche était fondé, et nous nous en sommes émus. Il y avait à Bruxelles une femme qui réunissait toutes les conditions nécessaires pour diriger une école modèle. Cette femme était la fille de Mme Gatti de Gamond, dont le nom est honorablement connu dans l'enseignement et signifie pour tous : dévouement à la jeunesse.

Elle-même avait fait ses premières armes dans l'enseignement, et s'était distinguée par des publications qui, j'ose le dire, révèlent un grand talent et un immense mérite ; elle avait des titres scientifiques appréciables pour tous, et qui valaient bien un diplôme. Nous avons donc, en la nommant, comblé une lacune qui existait dans notre enseignement ; (page 284) avec son concours, nous avons fondé une école. Cette école n'est ni une école primaire, ni une école moyenne, ni un établissement d'enseignement supérieur ; c'est une école spéciale, c'est en quelque sorte une école professionnelle et scientifique.

Son but est de relever le niveau moral de la femme ; de lui permettre de se rendre utile dans la société ; de pouvoir appliquer plus tard, dans le monde, les connaissances qu'elle a acquises sur les bancs de l'école, de lui donner les moyens d'utiliser ses facultés dans le commerce et dans l'industrie. Son but est de créer, non pas la femme libre telle que la rêve l'imagination désordonnée de quelques sacristains en délire, mais la femme émancipée, honorablement émancipée par le travail, par le talent et par la science.

Un coup d'œil jeté sur le programme de cette institution suffira pour démontrer la vérité de ce que j'affirme. On y enseigne la morale, le français, le flamand, l'allemand, l'anglais, la géographie ancienne et moderne, l’histoire ancienne, l'histoire du moyen âge, l'histoire moderne, l'histoire de la Belgique, la littérature comparée des diverses langues, les sciences exactes et naturelles, le dessin artistique et industriel, la tenue des livres, les travaux manuels, la musique, la gymnastique et la danse.

Cette école tombe-t-elle sous l'application d'une loi existante ? Ou bien est-elle une de ces nombreuses institutions d'intérêt communal que le pouvoir communal est libre de créer en vertu du droit qu'il puise dans nos institutions, en vertu du droit qu'il puise dans la loi ?

Telle est, messieurs, la question que nous avons à résoudre. L'article 17 de la Constitution belge, qui décrète la liberté d'enseignement, ajoute que l'instruction publique créée aux frais de l'Etat sera réglée par la loi.

De cette disposition, comme vous le savez, découlant trois lois organiques : la loi de 1835 qui règle l'enseignement supérieur ; la loi de 1850 qui organise l'enseignement moyen ; la loi de 1842 qui établit l'enseignement primaire.

Il ne peut être question de l'application de la loi de 1835. La loi de 1835 crée deux universités ; elle organise l'enseignement supérieur aux frais de l'Etat et n'est pas applicable dans l'espèce.

La loi de 1850 organise l'enseignement moyen des garçons. Tout le texte de la loi, toutes ses dispositions prouvent à la dernière évidence qu'elle s'applique à l'enseignement des garçons et qu'elle n'a aucun rapport avec l'enseignement des filles. Il ne s'agit donc pas de la loi de 1850, cela n'est pas contesté.

Reste la loi de 1842. Or, quel est le but de la loi de 1842 ? Son but, c'est de créer un enseignement primaire et gratuit. En effet, son article premier porte qu'il y aura au moins dans chaque commune une école. Son article 5 ajoute que tous les enfants pauvres, dont les parents en feront la demande, seront admis gratuitement à l'école, et que l'instruction devra leur être donnée aux frais de la commune. Voilà les bases de la loi de 1842. Voilà ses dispositions organiques, si je puis m'exprimer ainsi.

L'institution dont je vous parle peut-elle tomber sous l'application de cette loi ? Je n'ai pas besoin de vous dire que ce n'est pas une école gratuite, et le programme que je viens de lire vous prouve que ce n'est pas une institution d'enseignement primaire. Il établit évidemment que c'est là une école qui ne peut être rangée dans la catégorie des écoles prévues par la loi de 1842.

Mais, nous a-t-on dit, la ville de Bruxelles n'a pas fait ce qu'elle doit faire pour l'enseignement légal. Elle n'a pas accompli toutes les obligations que la loi lui impose relativement à l'enseignement primaire, et avant de créer une école nouvelle, elle devrait accomplir ces obligations. Je dois vous le dire, je suis sensible à ce reproche. La ville de Bruxelles n'a pas fait tout ce qu'elle devait faire pour l'enseignement ! Mais qu'on me cite donc une commune dans tout le pays qui ait fait plus pour l'enseignement primaire.

Nous avons créé des écoles nombreuses ; pendant les exercices 1863 et 1864, 7,180 élèves y étaient admis, plus 2,200 adultes, ce qui fait environ 10,000 personnes qui ont fréquenté nos écoles.

Nous avons complété le programme établi par la loi, nous y avons ajouté plusieurs branches qui n'avaient pas été prévues par le législateur, entre autres le dessin industriel, la musique et la gymnastique. Les enfants y reçoivent un enseignement tellement complet qu'en sortant de là ils figurent avec honneur dans les athénées, et qu'ils y remportent des succès.

La ville de Bruxelles a établi un corps d'instituteurs et d'institutrices qui peut rivaliser avec tout ce qu'il y a de mieux dans le pays et dont la plupart ne seraient pas déplacés dans les établissements d'enseignement moyen. Nous avons construit pour nos écoles des locaux aérés, salubres, confortables, remplissant toutes les conditions nécessaires pour rendre l'école attrayante.

Je vous demande pardon, messieurs, de m'étendre avec une certaine complaisance sur ce point, mais l'administration communale de Bruxelles n'est pas toujours habituée à se voir rendre la justice qu'elle mérite, et à voir apprécier les sacrifices nombreux qu'elle fait pour l'instruction publique ; je puis vous en parler d'autant plus librement que nouveau dans l'administration, je n'ai à revendiquer aucune part dans les succès qu'elle a obtenus jusqu'à prescrit.

Nous avons fait plus : nous savions que des enfants n'étaient pas admis à l'école, nous savions que d'autres enfants, qui ne demandaient pas leur admission, pouvaient cependant recevoir l'enseignement ; nous avons ordonné un recensement général de tous les enfants en âge de fréquenter les écoles. Rien ne nous obligeait à cette démarche.

Ce recensement a été fait dans les meilleures conditions ; il a été fait avec l'intention bien formelle, de la part de l'administration communale, de donner l'enseignement à tous les enfants qui étaient en âge de le recevoir.

Pour vous en convaincre, messieurs, je vais vous donner lecture de la circulaire adressée à nos agents relativement à cet objet :

« L'administration a ordonné le recensement etc.

« Les renseignements devront être recueillis à domicile.

« Les agents chargés de faire le recensement doivent surtout se pénétrer de cette idée : que l'intention du collège est de savoir quel est le nombre d'enfants pauvres ou appartenant à la classe peu aisée qui reçoivent ou qui pourraient recevoir l'instruction primaire à Bruxelles ; que pour atteindre ce but ils ne doivent négliger aucune démarche qui soit de nature à donner à l’administration les renseignements les plus exacts et les plus complets.

« Ils rappelleront, chaque fois que l'occasion s'en présentera, que les classes d'adultes ont lieu de midi à uns heure pour les filles, et le soir pour les garçons, qu'elles sont par conséquent accessibles à ceux qui fréquentent un atelier.

« Je vous prie, monsieur, de veiller à ce que ce travail soit exécuté avec le plus grand soin, et terminé aussitôt qui possible. »

Messieurs, il est résulté de ce recensement que 1,094 enfants ne recevaient pas l'enseignement primaire ; non pas 1,094 enfants qui le demandaient, mais que nous sommes allés chercher à domicile. C'était un mal, c'était un très grand mal. Mais en constatant le mal, nous avions la satisfaction de reconnaître aussi qu'à côté de ce mal se trouvait le remède.

En effet, le jour où nous avons reconnu que 1,094 enfants ne recevaient pas l'enseignement, ce jour-là s'élevait, sur l'emplacement de l'ancienne caserne des pompiers, une école communale qui contiendra 600 enfants. Cette école sera ouverte dans deux mois. Nous agrandissions en même temps une autre école qui contiendra 400 enfants de plus et qui sera ouverte dans un mois. Nous achetions les terrains nécessaires pour la construction d'une neuvième école, qui sera ouverte l'année prochaine, et qui pourra contenir 600 élèves.

De telle sorte, messieurs, qu'avant la fia de l'année qui va commencer l'enseignement primaire sera complètement organisé à Bruxelles, et la porte de nos écoles sera largement ouverte à tous les enfants pauvres qui pourront nous demander l'instruction primaire.

On nous a signalé une autre violation de la loi : on nous a dit : Mais la loi de 1842 prescrit l'enseignement de la religion.

Je vous ai déjà démontré que l'école nouvelle ne tombe pas sous l'application de la loi de 1842. Et qu'il me soit permis de dire ici ma façon de penser sur cette loi.

Nous appliquons la loi de 1842, chaque fois qu'il faut l'appliquer, parce qu'il faut respecter toutes les lois qui existent ; mais nous la considérons comme mauvaise, et nous jugeons qu'il est inutile d'en étendre l'application à des cas qu'elle n'a pas prévus.

L'honorable M. Muller dans le discours qu'il prononçait avant-hier, a parfaitement caractérisé la situation ; il vous a dit que si la loi de 1842 était à refaire, personne de nous ne la voterait plus, et il a raison.

Il peut y avoir des dissidences dans les rangs de la majorité sur la question d'opportunité ; certains d'entre nous pensent, et je suis du nombre, qu'une révision immédiate serait bonne et utile ; d'autres peuvent penser qu'il est nécessaire de retarder cette révision ; mais, quant au principe, nous sommes tous d'accord. Et comment pourrait-il en être autrement ? Comment pourrait-il y avoir des dissentiments entre nous sur ce point ? En 1846 lorsque les libéraux belges réunis en congrès, lorsque les délégués de toutes les provinces, de tous les arrondissement, de tous les cantons du pays ont été appelés à s'expliquer sur cette loi, tous ont été unanimes pour la condamner. Lorsque en 1846 un honorable membre de cette assemblée qui siège encore aujourd'hui parmi nous proposait aux délibérations du Congrès un programme où je lis ces mots :

« L'organisation de l'ensignement public à tous les degrés, sous la direction exclusive de l'autorité civile et en repoussant l'intervention (page 285) des ministres des cultes à titre d'autorité dans l'enseignement organisé par le pouvoir civil. »

Lorsque plusieurs membres de cette assemblée qui, comme moi, faisaient partie du congrès libéral, et moi, nous votions cet article par réclamations et avec enthousiasme, sans qu'aucune voix discordante se fît entendre, n'était-il pas évident que nous étions tous édifiés sur la loi de 1842 ?

M. Wasseige, en faisant un éloge pompeux de cette loi, vantait fort ses résultats. Cet éloge m'est suspect, et je distingue.

Certes une loi quelconque sur l'enseignement primaire qui contient des dispositions comme celles-ci :

« Dans chaque commune il y aura au moins une école primaire. »

« Les enfants pauvres auront droit à l'instruction, etc. », doit nécessairement produire de bons résultats, et à ce point de vue personne n'a jamais attaqué la loi de 1842.

Mais il y a dans la loi de 1842 autre chose ; il y a des principes qui violent la liberté des cultes.

En effet, qu'est-ce que la liberté des cultes ? C'est un mot vide de sens, si elle n'est pas respectée dans l'application, si elle ne pénètre pas dans les lois qui suivent la Constitution.

Or, je le demande, lorsque vous inscrivez dans une loi que le culte de la majorité dominera dans l'école, ne blessez-vous pas, n'opprimez-vous pas les dissidents, et le principe de la liberté des cultes n !cst-il pas inscrit dans la loi précisément pour garantir les droits de la minorité, quelque infime qu'elle soit ?

Ces principes ont d'ailleurs été parfaitement compris par tout le monde. Je vois des dénégations sur les bancs de la droite, mais je dirai à la droite que ses amis politiques eux-mêmes ont pensé comme moi. Certainement ici, dans cette enceinte, je ne trouverai pas parmi vous d'adversaires de la loi de 1842, parce qu'elle sert vos intérêts, parce qu'elle est, pour vous et les vôtres, un instrument de domination ; mais à l'opinion de la droite de cette Chambre, j'opposerai l'opinion des catholiques hollandais.

En Hollande, il y a aussi un parti politique dominant, intolérant par sa nature, le vieux parti protestant. En 1856, il s'est agi en Hollande de réviser la loi sur l'instruction primaire.

Eh bien, quelle attitude les catholiques ont-ils prise alors ? Ils se sont unis avec les progressistes, avec les libéraux, pour combattre l'intervention du clergé dans l'enseignement, pour repousser l'inspection des ministres des cultes, et pour faire triompher cette fameuse maxime : le prêtre dans son église, le ministre dans son temple, et le maître dans l'école.

Voilà ce que les catholiques ont défendu en 1856 et ils avaient raison ; et ce qui vaut mieux encore, ils ont réussi.

On avait compris alors que lorsque le clergé intervient dans l'enseignement, que lorsqu'il exerce son influence sur les prières, sur l'enseignement religieux, sur les livres surtout, lorsque l'inspection des ministres des cultes pèse de tout son poids sur les instituteurs, il n'y a de liberté possible ni pour l'élève, ni pour l'instituteur, il y a froissement de tous les jours et de tous les instants.

Je parle ici d'abus en principe, mais je puis citer des faits à l'appui de ce que j'avance : ainsi à Bruxelles la loi de 1842 est appliquée certes avec une excessive modération et il ne pourrait en être autrement au milieu de notre population essentiellement libérale. Et cependant à Bruxelles nous avons été obligés, ou plutôt les israélites et les protestants ont été obligés d'établir des écoles spéciales.

Voici comment l'administration communale de Bruxelles considère ce fait dans son dernier rapport :

« La situation faite par la loi de 1842 aux écoles primaires oblige tes communautés dissidentes à avoir des écoles spéciales. Il est juste de leur venir en aide, tout en exprimant le regret que l'enseignement primaire public ne soit pas légalement organisé d'une façon telle, que les enfants appartenant à tous les cultes puissent fréquenter les écoles communales sans s'exposer à se voir froisser dans leurs croyances religieuses. »

Et si cela est vrai pour Bruxelles, je vous laisse à penser ce qui se passe ailleurs !

Et ceci n'est pas là l'opinion isolée de l'administration communale de Bruxelles ; j'ai là de nombreuses réclamations de ministres de cultes dissidents qui protestent contre l'organisation des écoles. Je vous le demande, que devient la liberté religieuse, que devient l'égalité des cultes en présence de pareils faits, alors qu'à Bruxelles, en plein XIXème siècle, on est obligé d'établir des écoles juives et protestantes pour les enfants de ces cultes, alors qu'en plein XIXème siècle ces enfants ne peuvent recevoir l'enseignement communal sans être froissés dans leurs sentiment religieux !

Je pense donc, messieurs, avec M. Giroul, et je fais miennes toutes les observations qu'il a produites, je pense. que la loi de 1812 est mauvaise dans plusieurs de ses dispositions, et qu'elle doit être révisée le plus promptement possible. Quint à la question d'opportunité, il ne me convient pas à moi, nouveau venu, de la trancher en ce moment par une proposition formelle ; mais je nourris l'espoir fondé que, dans un temps qui n'est pas éloigné, les libéraux de toutes les nuances se montreront d'accord pour réviser cette loi à laquelle je refuseraî toujours mon approbation et que je considère comme contraire à nos institutions constitutionnelles.

Je reviens à mon école et je dis qu'au point de vue religieux nous sommes donc complètement libres.

On nous dit : Mais pourquoi ne donnez-vous pas l'enseignement religieux ? Pour une raison bien simple, parce que la nouvelle école est ouverte à tous les cultes ; parce que, d'après nos principes constitutionnels, tous les cultes sont égaux devant la loi, parce qu'ils ont tous droit au même respect et que l'un ne peut pas dominer l'autre.

Mais est-ce à dire pour cela que notre enseignement ne soit pas essentiellement moral et religieux ; est-ce à dire pour cela qu'on n'enseigne pas à chaque heure du jour aux enfants à adorer Dieu, à vénérer leur père et leur mère, à aimer leur prochain, à pratiquer le bien, à fuir et à condamner le mal ?

Allez-y donc, vous qui attaquez cette école, et qui la couvrez de vos sarcasmes, nous vous en conjurons, allez-y donc, et vous serez frappés d'admiration et de recueillement, quand vous verrez de quelle façon on y élève la jeunesse ! Allez-y, surtout vous, ses détracteurs anonymes ! qui couvrez de votre fiel ce qu'il y a de plus pur et de plus sacré ; qui n'avez pas même reculé devant la calomnie pour donner un libre cours à vos haines, qui n'avez pas même su respecter dans votre polémique la pudeur des enfants et l'honneur d'une femme !

Maintenant faut-il ajouter que si on laisse les parents complètement libres de diriger l'éducation religieuse des enfants, on ne dit cependant rien dans l'école qui puisse froisser aucun culte, rien qui puisse blesser aucune conscience, rien qui puisse ôter à l'enseignement cette tendance morale et religieuse que tout le monde accepte, que tout le monde doit accepter ?

Voilà, messieurs, réduites à néant, je pense, les accusations dont l'école a été l'objet. Je ne vous parlerai pas des calomnies qui ont été répandues contre elle. J'aurais pu vous en donner un échantillon. A Sparte, on exhibait aux enfants des esclaves ivres pour leur inspirer l'horreur de l'ivresse. J'auras pu, à mon tour, vous montrer un spécimen de la polémique de nos adversaires, pour inspirer à ceux qui m'écoutent l'horreur des calomnies cléricales et pour appeler sur elles la juste réprobation qu'elles méritent.

Mais j'ai pensé, messieurs, qu'une administration qui jouit de l'estime et de la confiance de ses concitoyens dédaigne de pareils outrages et qu'elle leur réserve ou son mépris ou sa pitié.

M. Thonissenµ. - Est-ce à nous que vous dites cela ?

M. Funckµ. - Non, mais à votre presse.

M. Bouvierµ. - A votre sale presse.

M. Funckµ. - Messieurs, je n'ai certes pas la prétention d'avoir ramené à mon opinion, d'avoir convaincu mes adversaires qui ne peuvent penser comme moi, sans renoncer à des principes d'une autre époque qui sont leur seule raison d'être.

Ceux que nous combattons veulent une seule chose : ils veulent accaparer l'enseignement de la jeunesse et surtout des jeunes filles au profit des corporations religieuses ou, bien faire en sorte que l'enseignement organisé par le pouvoir civil tombe complètement dans leur dépendance.

Eh bien, ce but, ils ne l'atteindront pas. Ils ne l'atteindront pas à Bruxelles, au milieu de cette population si libérale et si dévouée au progrès ; ils ne l'atteindront pas non plus dans les provinces, ou le libéralisme étend chaque jour le cercle de son influence, où l'on commence à comprendre un peu tard il est vrai, mais où l'on commence à comprendre la vérité de cette maxime si sage inscrite en principe dans notre pacte fondamental : La séparation complète de l'Eglise et de l'Etat.

MpVµ. - M. Julliot, persistez-vous dans votre proposition ?

M. Julliot. - Oui, M. le président.

MpVµ. - En ce cas, c'est une demande de clôture ; elle doit être régulièrement faite ; est-elle appuyée ?

- Plus de 10 membres l'appuient.

M. Giroulµ (contre la clôture). - Messieurs, j'ai été violemment attaqué par les honorables MM. Wasseige et Delcour. Mes opinions et mes intentions ont été complètement dénaturées. Puisque j'ai été mis (page 286) personnellement en cause, je crois avoir le droit de répondre. Je demande que la clôture ne soit pas prononcée.

M. de Kerchoveµ (contre la clôture). - L'honorable M. Delcour a attaqué le conseil communal de Gand ; il m'a dès lors mis personnellement en cause. Je demande à pouvoir lui répondre.

M. de Theuxµ (sur la clôture). - Si MM. Giroul et de Kerchove obtiennent la parole, il faudra qu'on l'accorde aux autres orateurs qui sont encore inscrits.

M. Giroulµ (contre la clôture). - Il y a une considération à faire valoir en faveur de l'honorable M. de Kerchove et en ma faveur, considération qui n'existe pas pour les autres orateurs inscrits : c'est que nous avons été mis personnellement en cause par l'honorable M. Delcour. Nous devons pouvoir lui répondre.

- La Chambre, consultée, ne prononce pas la clôture.

MpVµ. - La parole est à M. Giroul.

M. Giroulµ. - Messieurs, la Chambre me rendra ce témoignage qu'en apportant parmi vous l'examen d'une question d'une importance toute spéciale, l'examen de la loi organique de 1842, je m'étais appliqué à éviter, dans les considérations que je faisais valoir, tout ce qui pouvait ressembler à de la polémique, à de l'attaque vis-à-vis de mes adversaires politiques, pour rester dans la sphère où j'avais voulu me placer : l'examen, au point de vue des prescriptions de la Constitution, des principes consacrés par la loi de 1842.

Je n'avais pas voulu m'appesantir sur les principes qui nous séparent, sur les questions brûlantes qui peuvent nous passionner ; j'avais voulu me livrer seulement à une appréciation calme et impartiale de l'économie d'une loi organique dont l'importance ne peut être niée par personne dans cette enceinte.

Je dois le dire : l'exemple que j'avais donné n'a guère été suivi ; et j'ai été l'objet de la part de M. Wasseige, d'abord, de la part de M. Delcour ensuite, d'insinuations et d'attaques contre lesquelles je dois protester.

L'honorable M. Wasseige a dit qu'en venant combattre la loi de 1842, qu'en venant exposer devant vous les considérations à l'aide desquelles je crois avoir établi que cette loi était contraire à nos principes constitutionnels, je n'étais qu'une émanation des loges, je n'étais inspiré que par des haines antireligieuses ; que l'opinion dite conservatrice et toutes les autres opinions contraires à la mienne, je le méprisais, je les considérais comme n'existant pas, je les considérais même comme inintelligentes et incapables.

Et bien, messieurs, je fais appel à l'impartialité de cette Chambre : y a-t-il un seul mot dans tout ce que j'ai dit lors de mon premier discours qui autorise des suppositions semblables ?

Je suis une émanation des loges, dit l'honorable M. Wasseige. Je le déclare franchement, messieurs, je n'ai pas l'honneur d'être franc-maçon.

Les loges existent en vertu du droit d'association comme 1,400 ou 1,500 couvents qui pullulent dans notre pays.

Ces loges usent de leur influence. Elles discutent les questions qui leur semblent utiles, mais quant à moi, n'ayant pas l'honneur d'en faire partie, n'ayant aucun rapport avec elles, je ne puis répondre à l'honorable M. Wasseige si, oui ou non, l'examen de la loi de 1842 et la question de la révision ont été agités dans les loges ; et, sous ce rapport, je m'étonne que l'honorable M. Wasseige vienne chercher ses renseignements dans Je sein de la gauche.

Qu'il regarde autour de lui, et il verra, au milieu de la droite, tout autant de membres appartenant aux loges, tout autant de francs-maçons qu'il y en a à gauche.

M. Thonissenµ. - Citez-les.

M. Giroulµ. - L'honorable M. Van Humbeeck vous l'a dit dans le courant de l'été dernier et il n'a pas été contredit.

Y a-t-il, oui ou non, des francs-maçons à droite ?

- Une voix à droite. - Non !

M. Bouvierµ. - S'il n'y en a plus, il y en avait.

M. Giroulµ. - Ainsi donc ce reproche qu'on me fait d'être une émanation des loges, reproche qui ne me touche guère d'ailleurs, n'est pas fondé ; je le répète, je n'ai pas l'honneur de faire partie de ces associations tout aussi licites, tout aussi morales, tout aussi honnêtes, je pense, que les nombreux couvents qui couvrent le sol du pays.

- Une voix à droite. - Elles exploitent beaucoup plus le budget.

M. Giroulµ. - On a dit encore que je considérais l'opinion conservatrice comme inintelligente ou incapable.

Je n'ai pas dit un mot de cela. J'ai trop de respect pour toutes les convictions sincères, pour pouvoir le penser.

Ce que je regrette de trouver, non pas dans l'opinion conservatrice, car vous ne pouvez prétendre à ce rôle, mais dans l'opposition, c'est un esprit de réaction, contraire à nos principes constitutionnels.

J'ai dit l'opposition ; en effet, je vois bien un ensemble s’opposant à la marche de l'opinion libérale, mais je ne vois pas une opposition conservatrice. Je la cherche en vain, je ne la trouve pas. Je ne la trouve pas dans vos convictions, je ne la trouve pas dans les opinions que vous émettez ni dans votre conduite, je la trouve pas surtout dans la manière dont vous vous conduisiez l'année dernière, alors qu'en masse vous avez déserté le Parlement.

Il ne peut donc être question d'opposition conservatrice.

Rétablissons les morts dans leur véritable sers, parlons d'une opposition. Je combats l'opposition parce que je trouve chez elle des idées et des sentiments que je crois contraires à la bonne administration du pays, au développement des idées déposées dans notre pacte fondamental. Ce que je trouve, ce que je constate avec tristesse, c'est que vous représentez les regrets du passé et les ambitions théocratiques.

Vous aurez beau faire et beau dire, vous représentez avant tout les restes et les regrets de l'ancien régime, vous êtes avant tout les adversaires de cette liberté de conscience qui n'a été inscrite dans notre droit positif qu'après des luttes et des infortunes sans nombre, vous êtes avant tout les représentants de l'intolérance.

M. Delcourµ. - Et la Constitution ?

M. Giroulµ. - La Constitution a été acceptée par nécessité. (Interruption.)

Elle a été condamnée en 1832 par l'encyclique de Grégoire XVI. Elle a été condamnée encore dernièrement dans une lettre d'un des membres du sacré collège que vous ne récuserez pas, lettre écrite à un membre influent de votre parti.

Je veux parler de la lettre de M. Mercarelli au comte Duval de Beaulieu.

M. Wasseige. - Vieille rengaine, dirait l'honorable M. Bouvier.

M. Bouvierµ. - Non ! non ! elle n'est pas vieille.

MpVµ. - N'interrompez pas.

M. Bouvierµ. - C'est M. Wasseige qui interrompt.

MpVµ. - Que M. Wasseige, que personne n'interrompe.

M. Giroulµ. - Voilà pourquoi je combats mes adversaires. Voilà pourquoi et en toute occasion je chercherai à m'opposer à leurs doctrines, pourquoi je m'opposerai à leurs projets. Je suis libéral ; je laisserai l'honorable M. Hymans se glorifier d'être doctrinaire. Je me contente d'être franchement libéral. J'entends par là la réalisation complète des deux principes fondamentaux sur lesquels repose toute notre organisation politique, la liberté et l'égalité, conquête de 1789, consacrée en 1830, mais qui remonte à 1789, ne l'oubliez pas ; j'entends par là aussi le principe de la liberté de conscience, que vous avez constamment sur les lèvres, mais qui, dans cette loi de 1842, se trouve vidé à chaque pas, dans la plupart de ses dispositions, je vais le démontrer.

L'honorable M. Delcour, à son tour, a articulé contre moi un grief auquel je veux répondre, avant d'aborder l'examen de la loi. Renchérissant sur l'honorable M. Wasseige, il ne s'est pas borné à dire que je voulais chasser le prêtre de l'école. Il a dit que, dans ma pensée, l'enseignement religieux dégradait la jeunesse.

M. Delcourµ. - Je n'ai pas dit cela.

M. Giroulµ. - Il a dit que ce qui inspirait, ce qui expliquait les attaques contre la loi de 1842...

M. Delcourµ. - Les attaques générales.

M. Giroulµ. - ... c'était cette parole extraite d'un rapport du conseil communal de Gand, dont j'ai demandé la date à l'honorable M. Delcour sans qu'il me l'ait fournie, que l'enseignement religieux dégradait la jeunesse.

M. de Mérode. - Cela y est tout au long.

M. Giroulµ. - J'ignore dans quel sens ces paroles ont été dites, j'ignore de qui elles émanent. Mais quelle que soit la personne qui les ait prononcées, si elles ont été dites dans le sens qu'y attache l'honorable M. Delcour, je suis le premier à la blâmer, et je m'inscris contre elle. Mais il me paraît difficile qu'une administration aussi éclairée que celle de Gand ait consigné dans un rapport des paroles semblables avec le sens que l’honorable M. Delcour y a attaché.

Après avoir épuisé ces faits personnels, j'arrive à l'examen des deux objections qui ont été faites par l’honorable M. Delcour relativement à la constitutionnalité de la loi de 1842.

L'article 6, dit l'honorable M. Delcour, est toute l'objection que j'ai pu lui opposer, plus ce fait que la loi viole le principe de l'admissibilité de tous les Belges aux emplois publics.

L'article 6, dit l'honorable M. Delcour, ne viole en rien la libellé des cultes, car il permet de fonder des écoles pour chaque culte séparé, et dès lors il permet à chaque culte de jouir du droit qui lui appartient d'avoir les garanties qu’il peut désirer.

(page 287) L'honorable M. Delcour n'a probablement pas lu attentivement l'article 6 de la loi. Il n'a surtout pas lu les discussions qui ont amené le vote de cet article 6 ; car ces discussions viennent renverser complètement son argumentation.

L'honorable M. Delcour no sait peut-être pas que, lors du vote de cet article 6, différents amendements ont été proposés. D'abord un amendement a été présenté par l’honoral'e M. Savart. Il consistait à dire que l'enseignement de la religion ne sera pas obligatoire pour les enfants des parents qui ne voudront pas de cet enseignement. Cet amendement a été rejeté.

Mais un autre amendement qui a aussi été rejeté, et c’était une victoire pour l'opinion libérale, c'était un amendement de l'honorable M. de Mérode. Cet amendement peint l'esprit qui animait l'opinion cléricale à cette époque. Il donne la vraie mesure de l'amour que professent nos adversaires pour la I:berté de conscience que l'on invoquait tout à l'heure ct l'esprit de tolérance qui les anime. Cet amendement ne tendait à rien moins qu'à obliger les enfants juifs, les enfants protestants, les enfants appartenant aux communions dissidentes à assister à l’enseignement de la religion catholique romaine; sinon ils étaient exclus de l'école. C'était réaliser en Belgique, dans la mesure du possible, l'idéal de la politique cléricale. C'était le système romain qui consiste à enlever aux mères leurs enfants pour les forcer à devenir catholiques. C'était l'histoire du petit Mortara dans la mesure de ce qui était possible.

Cet amendement fut rejeté. Mais le projet du gouvernement, tel qu'il fut inscrit dans la loi, fut adopté, et il résulte des explications qui ont été échangées, que les enfants appartenant au culte catholique doivent obligatoirement assister à l'enseignement de h religion, que les parents n'ont pas le droit de les en dispenser.

Eh bien, je demande à l'honorable M. Delcour, je demande à tous ceux qui, à droite, veulent sincèrement la liberté de conscience, je leur demande si cette liberté n'est pas violée, à moins qu'on ne prétende que la puissance paternelle ne porte pas sur l'éducation religieuse, que les parents n'ont pas le droit d'élever leurs enfants dans la religion qui leur paraît la meilleure.

Qu'en résulte-t-il ? C'est qu'une catégorie de personnes qui ne se trouvent pas rangées dans les cultes dissidents et n'appartiennent pas à la religion catholique romaine, qui ne professent aucun culte extérieur, que la catégorie des libres-penseurs se trouve complètement exclue de la fréquentation de l'école communale.

Je sais bien qu'on peut les appeler des insensés, des barbares. Maïs ils n'en existent pas moins. Ils sont, de par la Constitution, citoyens belges. Ils ont les mêmes droits que les autres, et je demande si, en vertu de cet article 6, les libres-penseurs auront le droit d'envoyer leurs enfants à l'école, et ne seront pas dans cette alternative ou de devoir priver leurs enfants du bienfait de l'école ou de voir violenter leurs croyances qui, quelque insensées qu'on les proclame, ne sont pas moins respectables au point de vue du droit positif.

Mats cet article 6 a un autre défaut. Il serait possible en France. Il serait possible en France d'élever des enfants dans des écoles séparées, d'avoir des écoles catholiques, des écoles protestantes, des écoles juives. J'admets que la liberté des cultes serait plus ou moins garantie, dans l'argumentation de l'honorable M. Delcour, si nous vivions sous l'esprit de la législation française. Mais en Belgique en est-il de même ? L'honorable M. Delcour a oublié deux principes qui doivent entrer en ligne de compte et dont il n'a pas fait l'application.

D'abord, c'est le principe de la séparation entre l'Eglise et l'Etat, et ensuite le principe en venu duquel la liberté d'enseignement existe en Belgique.

En France, que se passet-t-il ? Il existe un clergé avec lequel l'Etat a des rapports très étroits. En vertu du concordat, l'Etat est le maître du clergé ; il lui impose ses volontés, en un mot il domine sur le clergé.

Il y a protection de l'Etat pour le clergé, et en échange de cette protection de l'Etat, il lui impose des devoirs. En Belgique, en 1830, la séparation de l'Eglise et de 1 Etat a été proclamée, et que veulent nos adversaires ? Ils veulent conserver tous les avantages que leur assurait le concordat, et en même temps ils réclament tous les avantages de la liberté ; mais nous pensons, nous, messieurs, que qui dit : « liberté » dit « charges de la liberté »

Nous disons que la liberté sans l'égalité n'est plus la liberté.

D'un autre côté, en France la liberté de l'enseignement n'existe pas et par conséquent l'Etat peut très bien organiser l’enseignement religieux dans les écoles ; il a le droit d'obliger le prêtre à venir dans l'école ; le prêtre n’y vient pas à titre d’autorité, il y vient en qualité de serviteur de l’Etat.

En Belgique cela n’est pas possible, en Belgique la Constitution a proclamé le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; ce principe constitutionnel est violé par la loi de 1842.

M. Delcour a dit que le principe de l'admissibilité de tous les Belges aux emplois publics n'est pas violé, et pour le prouver il a cité un fuit qui est la contrepartie de celui que j'avais invoqué. J'avais prouvé qu'un protestant ne pouvait pas être instituteur dans une école catholique, parce qu'on ne pouvait pis exiger qu'un instituteur enseigne les dogmes d'une religion contraire à ses croyances.

J'en avais conclu que le principe de l’admissibilité de tous les Belges aux emplois publics est violé.

Pour me prouver le contraire, l'honorable M. Delcour m'a dit qu'un instituteur catholique avait été exclu d'une école protestante à Bruxelles ; par conséquent il m'a paru que M. Delcour abondait dans mon sens et qu'en venant me prouver qu'un catholique avait été exclu d'une école protestante il démontrait par cela même que lorsque vous faites dominer une culte quelconque dans une école, les Belges qui ne professent pas ce culte deviennent complètement incapables d'y remplir les fonctions d'instituteur. Qu'il s'agisse de protestants ou de catholiques, mon argumentation reste la même.

Messieurs, je ne suis mû que par le désir de mettre la législation en harmonie avec la Constitution. Je n'éprouve aucune espèce de haine religieuse ; protestants et catholiques, je les mets sur le pied de l'égalité la plus complète comme le fait la Constitution.

Ainsi, messieurs, les objections de l'honorable M. Delcour me paraissent devoir être écartées, et il reste établi, comme l'honorable M. Funck l'a démontré, que la loi de 1842 est inconstitutionnelle, qu'elle doit être révisée, et, comme lui, je dirai que, dans ma pensée, elle ne peut l'être assez tôt,

L'honorable M. Delcour a traité un autre point, sur lequel je ne dirai que quelques mots en terminant. Il a beaucoup vanté les écoles des corporations religieuses ; il vous a dit que ces écoles l'emportaient de beaucoup, par l'enseignement qu'on y donne, sur les écoles communales ; on lui a fait une objection à laquelle il n'a pas su répondre, c'est que, dans un concours auquel ces écoles subsidiées participaient, l'enseignement de la religion figurait pour un très grand nombre de points et que c'était l'inspecteur ecclésiastique seul qui était appelé à statuer sur le nombre de points obtenus dans cet enseignement.

Eh bien, cette organisation a amené encore de très singuliers résultats à Liège : dans une école primaire, ayant un concours sur le prix de religion, il s'est trouvé que c'est un petit juif qui a le mieux répondu sur le catéchisme et que par conséquent le prix de religion a été accordé à un émule du petit Mortara.

C'est un très beau résultat, mais je doute qu'il produise les fruits que paraît désirer M. Delcour. Ce n'est point là le résultat auquel il veut arriver et pour comparer l’enseignement des écoles subsidiées et celui des écoles communales, on devrait élaguer cette partie du concours et faire porter celui-ci sur l'enseignement primaire. Du reste, si l'argumentation de M. Delcour est exacte, je m'en réjouis ; cela prouve que l'enseignement primaire est en progrès, cela engagera les administrations communales à améliorer encore leurs écoles pour les mettre au niveau des écoles dont M. Delcour a parlé.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs ; la Chambre est pressée d'en finir et je n'aurais pas pris la parole si je n'avais eu à me défendre.

M. Wasseige (pour un fait personnel). - J'ai demandé la parole pour un fait personnel, parce que la discussion ne durera probablement pas jusqu'à ce que mon tour de parole arrive régulièrement ; je tiens cependant à déclarer que je n'ai rien insinué relativement à M. Giroul ; j'ai parlé très ouvertement, mais je n'ai pas dit que mon collègue fût maçon, je n'ai pas l'habitude d'attribuer à personne ce dont je ne suis pas certain ; l'honorable M. Giroul déclare qu'il ne fait pas partie des loges maçonniques, je le crois et je l'en félicite.

Je n'ai pas dit non plus que l'honorable M. Giroul avait été mû par des haines religieuses, lorsqu'il réclamait la révision de la loi de 1842. J'ai dit qu'une fraction importante du parti libéral, celle que M. Giroul paraissait représenter dans cette enceinte, ne veut plus de prêtre dans l'école, et cela je le maintiens, c'est la logique qui en fait découler les conséquences que m'attribue M. Giroul.

J'ai dit enfin que, pour l'honorable M. Giroul, le parti conservateur était considéré comme inintelligent et incapable.

Vous avez entendu, messieurs, la réclamation de l'honorable M. Giroul à ce sujet et je vous laisse à juger si elles n'ont pas plutôt confirmé mes appréciations qu'elles ne les ont détruites. Je m'étonne seulement de la susceptibilité de M. Giroul, nous ne sommes pas accoutumés à pareille délicatesse de la part de ses amis.

(page 288) M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai demandé la parole, dans la séance d'avant-hier, lorsque l'honorable M. Muller s'est occupé des instituions d'aveugles et de sourds-muets ; ma réponse ne sera pas longue, parce que je sais que la Chambre désire voter les projets de loi urgents avant les vacances de Noël.

M. Muller a fait remarquer que le nombre des aveugles et des sourds-muets en Belgique n'est pas considérable, cela est heureusement vrai ; on en compte mille par million d'habitants ; la statistique accuse, dans notre pays, 4,500 aveugles et sourds-muets, dont un dixième est apte à recevoir l'instruction, c'est-à-dire environ 400.

Si l'on érigeait, selon le vœu de M. Muller, une institution aux frais de l'Etat, cela coûterait probablement, 250,000 fr. sans le bâtiment, qui reviendrait à une centaine de mille francs. Je n'exagère pas : à Paris le local pour les aveugles a coûté 1,300,000 fr. et celui des sourds-muets autant.

Je ne pense pas que le gouvernement soit disposé à faire une dépense de trois à quatre cent mille francs.

Dans la séance du 2 décembre, j'ai fait connaître que dans toute l'Europe on admire notre système d'instruire des aveugles et des sourds-muets ainsi que les mesures que nous avons prises pour leur donner l'instruction.

D'après l'amendement que j'ai présenté à la loi communale et qui a été adopté, tout aveugle et sourd-muet pauvre à droit à l'instruction et à l'apprentissage d'un état manuel. Le gouvernement doit intervenir dans la dépense pour un tiers, la province pour uu tiers, la commune pour un tiers.

Je sais que la loi communale pourrait être mieux exécutée qu'elle ne l'est ; il y a des parents qui exploitent l'infirmité de leurs pauvres enfants aveugles en les livrant à la mendicité plutôt que de les envoyer à l'école.

Messieurs, je crois que le gouvernement devrait envoyer des circulaires aux gouverneurs et aux administrations communales pour leur remémorer les dispositions de la loi en faveur de ces deux classes d'infortunés.

Il y a des communes qui pour éviter la dépense négligent de rechercher ces infortunés, et ceux-ci quand on na vient pas les réclamer restent croupir dans l'ignorance et la misère.

Messieurs, on a dit que l'idée d'avoir des institutions officielles provient de ce qu'on n'inspecte pas les établissements existants, qu'il y a eu des abus. Mais, messieurs, on peut inspecter ces institutions. Si je suis bien informé, il y a un délégué du ministère de la justice qui en fait l'inspection. Feu l'inspecteur était même un. compatriote de l'honorable M. Muller, c'était M. Sauveur qui inspectait tout à la fois les établissements de bienfaisance et les maisons d'aliénés.

Il n'y a donc pas de lacune dans la loi, il ne s'agit que de la bien appliquer. M. Muller croit que le trésor peut supporter la dépense d'une institution officielle. Je ne demanderais pas mieux et je crois que les sourds-muets et les aveugles y seraient aussi bien qu'à Paris et à Bordeaux.

Les principales bases de l'enseignement donné en France à ces infortunés sont la morale et la religion ; il est nécessaire qu'il en soit ainsi. Aussi, et je suis en cela de l'opinion de l'honorable M. de Haerne, chaque établissement doit avoir un aumônier spécial.

M. de Conninckµ. - Messieurs, je crois avec l'honorable ministre de l'intérieur qu'il est nécessaire d'encourager la création d'écoles du soir gratuites pour les ouvriers adultes.

Dans les derniers documents statistiques qui nous ont été fournis par le gouvernement, vous avez dû remarquer, messieurs, que sur les 45,000 miliciens inscrits pour la levée de 1862, 14,000, c'est-à-dire à peu près le tiers, ne savaient ni lire ni écrire.

Ce manque d'instruction que nous constatons, surtout chez l'ouvrier, vient bien moins de sa propre faute que de celle de ses parents qui, bien souvent, préfèrent le minime salaire de leurs enfants, quinze et même dix centimes par jour, aux avantages que leur procurerait l'instruction gratuite que le gouvernement et les communes mettent arec tant de libéralité à leur disposition.

Parvenu à l'âge de raison, l'ouvrier est bientôt convaincu par 1'expérience, combien son manque d'instruction lui est désavantageux ; aussi voudrait-il alors vivement s'instruire, mais souvent il n'en a pas l'occasion. Obligé de subvenir à ses besoins par son travail journalier, il lui est impossible de fréquenter les écoles communales pendant le jour ; du reste, cela lui répugnerait, je crois, de s'asseoir sur les bancs de l'école avec des enfants de six et sept ans.

Je sais que M. le ministre de l'intérieur qui a beaucoup fait pour répandre l'instruction parmi toutes les classes de la société, accorde, sur le 30,000 fr. inscrits à son budget par subsides aux salles d'asiles et écoles d’adultes, accorde, dis-je, des suppléments de traitement aux instituteurs qui tiennent une école du soir.

Aussi je ne viens pas demander de nouveaux subsides au gouvernement, je désirerais seulement que M. le ministre de l'intérieur voulût bien engager les administrations communales par circulaire, à encourager la création d'écoles du soir gratuites pour les ouvriers adultes.

Ce moyen de répandre l'instruction a été essayé dans plusieurs communes et a donné d'excellents résultats.

Je n'en citerai qu'un exemple.

Dans la commune de Merchtem, sur une population de 3,000 habitants, 70 ouvriers âgés de 10 à 40 ans fréquentent l'école du soir. Sur ce nombre la moitié ne savait ni lire ni écrire, et un autre quart savait épeler mais ne savart pas lire, savait signer son nom mais ne savait pas écrire. Aujourd'hui tous savent lire, écrire et calculer. Ce sont là des résultats, obtenus en quelques mois, qui ne sont pas à dédaigner.

J'engagerai aussi le gouvernement à encourager davantage la création de bibliothèques populaire, dont M. le ministre de l'intérieur a fait l'éloge dans une de nos dernières séances, à les encourager par des dons d'ouvrages de littérature nationale.

Du moment que l'ouvrier sait lire, il faut lui donner les moyens de profiter de son instruction. Donnez-lui des livres, vous l'arracherez ainsi aux cabarets, il apprendra à connaître nos belles institutions et n'en sera que plus attaché à son pays.

M. Dupontµ. - Le débat auquel nous assistons depuis deux jours a déjà duré assez longtemps et la Chambre paraît désirer en voir la fin. On a, de part et d'autre, examiné la loi de 1842 sous tous les rapports, on en a discuté l'esprit et analysé le texte. Des théories étranges se sont produites sur les bancs de la droite et elles ont trouvé, parmi les membres de l'opinion à laquelle j'appartiens, d'énergiques et éloquents adversaires.

Jo n'ai certes pas la prétention de dire du neuf sur cette question après mes honorables amis M. Funck et Giroul.

Cependant je crois de mon devoir de prendre la parole pour protester, comme je l'ai fait au sein du conseil provincial de Liège, contre la loi de 1842 et déclarer franchement que je suis partisan de sa révision immédiate.

J'ai en effet l'honneur de représenter dans cette Chambre un arrondissement ou cette question est considérée à juste titre comme vitale, comme essentielle pour le libéralisme. Le conseil communal de Liège, le conseil provincial ont à différentes reprises, après des discussions approfondies, émis des vœux dans ce sens auprès de la législature.

Messieurs, je n'entrerai pas, pour ne pas abuser des moments de l'assemblée, dans l'exposé raisonné des motifs de mon opposition à la loi de 1842. Je me réserve d'y revenir plus tard en temps opportun. Je tiens seulement à déclarer que si je demande la révision de cette loi, je ne suis nullement guidé par les raisons qui ont été signalées par l'honorable M. Delcour. Il vous a dit qu'il avait longtemps recherché les motifs pour lesquels l'opinion libérale dirigeait contre la loi de 1842 tant d'attaques passionnées et injustes.

Je suis d'avis que lorsque l’honorable député de Louvain s'est mis à la recherche de ces raisons, son siège était fait d'avance, et qu'il a été heureux de saisir dans le rapport du conseil communal de Gand, dont il nous a parlé, la phrase dont il a fait le point de départ de son argumentation.

A en croire l'honorable membre, il y serait énoncé, en termes exprès, que l'éducation religieuse dégrade la jeunesse. Pour ma part, je proteste contre une semblable doctrine et je ne puis croire que ce passage soit exactement rapporté. Il est possible qu'au conseil communal de Gand (et M. de Kerchove pourra nous donner à cet égard des renseignements plus précis) on ait fait allusion à ces scandales inouïs qui se sont passés dans cette ville, scandales que la plume et la parole se refusent à raconter et dont certains religieux se sont rendus coupables. Il est possible qu'en faisant allusion à des désordres aussi honteux, on ait soutenu que l'enseignement de ces religieux avait dégradé la jeunesse qui leur était confiée ; mais je ne puis admettre que jamais, dans aucune ville du pays, une personne investie d'un mandat politique par ses concitoyens ait osé dire en parlant d'une manière absolue, que l'instruction religieuse était pour la jeunesse belge une cause de démoralisation.

Ce n'est donc pas, comme on l'insinue, par opposition à l'esprit religieux que la gauche libérale demande la révision de la loi de 1842. Si nous insistons pour l'obtenir, c'est dans une toute autre pensée. Pour que l'atmosphère de l'école soit religieuse, il n'est pas nécessaire que l'instituteur y enseigne le dogme, il n'est pas indispensable surtout qu'il soit le serviteur, l'esclave du curé de sa paroisse. Vous avez entendu hier (page 289) une étrange circulaire dont l'honorable ministre de l'intérieur nous a donné lecture, et dans laquelle l’inspecteur ecclésiastique dictait aux instituteurs la réponse qu'ils avaient à faire aux questions du gouvernement. Vous y avez remarqué ces paroles qu'il adressait aux curés : « votre instituteur », comme si ce dernier était en quelque sorte la chose du clergé. Et dans la réalité, messieurs, n'en est-il pas ainsi dans beaucoup de localités puisque M. Delcour nous a appris que tous les instituteurs avaient fait une réponse identique sur le point qui leur était signalé par l'autorité diocésaine ?

Nous ne voulons pas. et c'est là notre grief principal contre la loi de 1842, que le clergé intervienne dans l'école à titre d'autorité.

Notre loi fondamentale a posé le principe absolu de la séparation de l'Eglise et de l'Etat ; elle n'y a admis que deux exceptions, la première est relative à la bénédiction nuptiale qui doit être précédée du mariage civil ; la seconde consacre le payement d'un traitement au profit du clergé. L'Eglise ne doit donc pas intervenir quand il s'agit de l'administration des intérêts publics. Rien n'est plus hostile à l'esprit de notre Constitution que les dispositions contenues dans les articles 6, 7, 9 et 20 de la loi. Il ne peut être admis que le l'ergé exerce une surveillance constante sur l'instituteur primaire, sur les livres employés dans l'enseignement ; il ne peut être admis, qu'avec l'aide d'un gouvernement complaisant, il ait le pouvoir de fermer l'école qui vient à lui déplaire ; il ne peut être admis enfin qu'on établisse en Belgique une véritable religion de la majorité.

Il est contre la loi de 1842 au autre grief, sur lequel je m'arrêterai un instant.

Elle permet aux communes, avec l'approbation du gouvernement, de ne pas avoir d'écoles communales. Je sais bien que M. le ministre de l'intérieur nous a dit, et je prends acte de cette déclaration, que pour lui l'école adoptée serait toujours l'exception que devaient justifier des circonstances toutes spéciales : ce n'est que lorsque la commune n'aura pas de ressources suffisantes, qu'il autorisera l'adoption d'une école privée.

Mais le ministère actuel ne sera pas toujours au pouvoir, et peut-être verrons-nous alors les communes qui veulent abdiquer, qui veulent s'exempter de l'accomplissement de leur devoir le plus sacré, trouver dars le gouvernement lui-même un appui et un encouragement.

Or, avec l'école adoptée nous n'aurons jamais une bonne instruction primaire. M. Delcour a cherché, il est vrai, à prouver que l'enseignement des corporations religieuses était aussi solide que celui donné par les instituteurs communaux et il a invoqué à cet effet les résultats de certains concours.

L'honorable membre a oublié que les écoles qu'il préconise ont toujours eu le dessous dans les concours sérieux, et que s'il en a été quelquefois autrement, ce résultat est dû au mode vicieux qui a été longtemps en vigueur. La religion figurait pour un nombre de points considérable pour l'obtention du prix et c'était le membre du clergé qui seul fixait à cet égard le mérite des concurrents. Le classement de ces derniers dépendait donc de lui en définitive.

Et lorsque l'honorable ministre de l'intérieur a voulu apporter un remède à cet état de choses, lorsque la députation du conseil provincial de Liège, mue par un sentiment de justice, a institué un prix spécial pour la religion, et maintenu un concours séparé pour les autres matières de l'enseignement, lorsqu'elle a fait ainsi une application équitable de l'article de la loi et permis aux dissidents de concourir, qu'est-il arrivé ? C'est que dans la province de Liége si libérale, le clergé n'a pas craint de s'abstenir malgré les termes formels de l'article 30 de la loi. On a parlé de violation de la loi de 1842 : qui donc ici se rendait coupable de cette violation ? Est-ce qu'un délégué da chef du culte de la majorité ne doit pas faire partie du jury d'examen? Est-ce que le clergé ne doit pas son concours au gouvernement? Et parce que la députation, guidée par le respect des prescriptions constitutionnelles et de l'article 6 de la loi, a apporté une dérogation à un règlement préexistant qui violait, le clergé peut-il s'abstenir d'exécuter la loi en ce qui le concerne? Et c'est cependant pour obtenir son intervention qu'on a sacrifié l'indépendance du pouvoir civil !

Enfin, et c'est le troisième motif pour lequel je suis hostile à la loi de 1842, je n'admets pas que la loi charge l’instituteur de l'enseignement religieux. Dans ma pensée, cet enseignement revient exclusivement aux ministres des cultes, et je m'étonne que les membres de la droite, hostiles à l'intervention de l'Etat en matière d'enseignement, préconisent ici l'intervention de l'Etat en matière religieuse ; car dire que l'instituteur donnera l'enseignement religieux, c'est dire que l'Etat, par ses agents, par ses fonctionnaires, sera chargé de l'enseignement religieux à la jeunesse.

C'est contre ce système que je proteste, parce que c'est l'idée-mère de la loi ; parce que c'est de ce principe que découlent tous ses vices. Si vous chargez l'instituteur de donner l'enseignement religieux, on vous dira que vous êtes obligés de le soumettre à l'inspection du clergé ; vous devez également présenter à l'approbation diocésaine les livres dont il fera usage. C'est cette disposition qui est la plus mauvaise de la loi, parce qu'elle donne naissance à toutes les autres dispositions que j'attaque. A mon avis, les instituteurs n'ont charge d'âmes qu'au point de vue moral et intellectuel : ce sont les ministres des cultes qui ont charge d'âmes au point de vue religieux ; c'est là une mission qu'ils doivent avoir à cœur de remplir eux-mêmes, sans chercher à s'en affranchir en l'imposant aux instituteurs.

Je crois donc que si, comme je l'espère, le gouvernement propose, aussitôt que les circonstances le permettront, une révision de la loi de 1842, cette modification doit consister surtout en ceci que l'instituteur n'aura plus le devoir d'enseigner la religion de la majorité des enfants de son école.

Voilà, messieurs, les principaux motifs pour lesquels je suis hostile à la loi de 1842 : d'autres orateurs ont avant moi démontré la nécessité de sa révision. J'ai cru devoir signalera mon tour en quelques mots ses principaux défauts et motiver ainsi brièvement mon opinion défavorable à cette loi et mon désir d'en voir bientôt effectuer la réforme.

M. de Kerchoveµ. - Dans la séance d'avant-hier M. Delcour, prenant la défense de la loi de 1842, a cité une phrase prise, dit-il, dans un document émané du conseil communal de Gand.

Je regrette que l'honorable membre n'ait pas cité cette phrase exactement et je m'étonne qu'il ne l'ait pas fait après la protestation d'impartialité qu'il venait d'émettre.

L'honorable représentant de Louvain a affirmé que dans un document émané de l'administration communale de Gand il est dit que » l'éducation, dite religieuse, dégrade les enfants au lieu de les développer. »

Je vais rétablir la phrase exactement, telle qu'elle se trouve dans la pièce incriminée, je me permettrai de lire tout le paragraphe qui contient cette phrase :

« L'inexécution delà loi de 1842 produit encore un autre mal, tout aussi grand. Nous n'avons pas assez d'écoles pour satisfaire aux besoins de l’enseignement populaire. Chaque année nous devons refuser des centaines d'enfants qui demandent à jouir des bienfaits de l'instruction. De là il arrive qu'une grande partie de notre population croupit dans l'ignorance, quoique nos classes ouvrières soient avides de s'instruire, car à peine une école est-elle fondée, qu'elle est remplie. Il arrive aussi que les parents, las d'attendre que leurs enfants puissent être reçus dans nos écoles, les mettent chez les religieux et chez les religieuses. Nous ne vous dirons pas, messieurs, ce qu'est trop souvent l'enseignement donné par les corporations religieuses : l'état de l'orphelinat des Kulders atteste malheureusement que l'éducation, dite religieuse, y a dégradé les enfants au lieu de les développer. »

Or, je crois que le conseil communal de Gand avait le droit de s'exprimer ainsi. En effet, une enquête minutieuse venait d'être faite sur l'instruction donnée à l'orphelinat des Kulders, orphelinat dirigé par les frères de charité.

Elle avait constaté que l'instruction y était complètement nulle, que des élèves de 14, 15 et 18 ans, qui avaient 7, 8 et 10 années de classes, étaient incapables d'écrire correctement des nombres de 5 ou 6 chiffres ; de calcul mental, pas même de notion : impossible pour quelques-uns d'additionner mentalement 2 nombres de 2 chiffres, plusieurs ne connaissaient pas la table de multiplication ; il semblait qu'ils ignoraient ce dont on voulait parler, et les questions les plus simples les remplissaient d'étonnement et d'ébahissement. Quant à l'écriture, quelques-uns ne paraissaient pas savoir ce qu'est une ligne droite ; ils ne faisaient rien de propre, rien de proportionné, rien de lisible. La traduction du flamand en français était pour beaucoup d'entre eux radicalement inconnue. Des élèves de 12, 14, 15 ans ne savaient pas lire un mot de français ; dans la classe moyenne on ne sait pas traduire des phrases composées de trois et quatre mots, et quand on trouvait un élève qui répondait, c'était un ancien élève des écoles communales.

Quant à l'état moral de l'école des orphelins, je n'en dirai rien ; je devrais entrer dans des détails qu'on ne peut pas donner en public. Je me contenterai de vous renvoyer à la Belgique judiciaire, tome XXII, page 1401, vous y trouverez des renseignements précieux sur l'éducation qu'on donne dans cet établissement ; c'était une école de scandale qui n'a de nom dans aucune langue.

Je maintiens donc que le conseil communal de Gand avait le droit et le devoir de s'exprimer comme il l'a fait.

Messieurs, j'avais l'intention d'énoncer mon opinion sur la loi de 1842 ; mais la Chambre est fatiguée, je m'en abstiendrai ; je me réserve de le faire dans une autre circonstance. Toutefois je tiens à déclarer que partageant les vues de mes honorables amis M. Funck, Giroul et Dupont, je suis partisan de la révision immédiate de la loi de 1842.

(page 290) M. de Theuxµ. - Messieurs, j*ai écouté avec beaucoup d’attention le discours de l’honorable M. Funck ; je dois déclarer à la Chambre qu’il ne m’a convaincu en aucune manière de la légalité de l’école dont il s'est agi dans le débat ; mais comme le gouvernement ne s'est pas encore occupé de l’examen de cette question, je ne veux pas anticiper sur cet examen.

Messieurs, l'honorable membre a déclaré que la loi de 1842 est inconstitutionnelle ; et en justifiant l'école des filles établie à Bruxelles, il a approuvé des faits qui, dans son opinion, devaient être également inconstitutionnels.

En effet, il vous dit que l'enseignement dans cette école est moral et religieux ; on y enseigne à honorer Dieu ; si dans une école on enseigne à honorer Dieu, évidemment on porte atteinte à l'opinion de ceux qui croient qu'il n'y a pas de Dieu, qui pensent et qui disent que la croyance en Dieu est une calamité.

De plus, la Constitution met sur la même ligne la liberté des cultes et la liberté des opinions. Or, peut-on organiser un enseignement public quelconque, soit l'Etat, soit de la province, soit de la commune, sans qu'on y soit amené directement ou indirectement à offenser des croyances religieuses, voire même des opinions politiques ?

Messieurs, que résulte-t-il de la démonstration que l'honorable M. Funck a voulu faire ? C'est que tout l'enseignement public est incompatible avec la Constitution. C'est qu'au lieu d'organiser l'enseignement à tous les degrés nous devons l'abandonner à la liberté et adopter le système anglais qui se borne à répartir les subsides entre les diverses écoles. Il ne faut donc plus que l'autorité publique intervienne à aucun des trois degrés de l'enseignement. Cela est clair comme le jour.

Mais, messieurs, tel n'a pas été l'esprit de la Constitution. En proclamant la liberté des cultes et la liberté de l'enseignement, le Congrès national a voulu tout a la fois supprimer le monopole qui existait sous le gouvernement des Pays-Bas et supprimer un abus de l'autorité politique qui imposait des opinions à la nation entière, il n'a pas voulu que l'influence qui résulte de l'enseignement fût abandonné aux autorités publiques ; le Congrès a voulu que s'il y avait un enseignement public, cet enseignement fût réglé par la loi.

La loi de 1842 est inconstitutionnelle, dit-on. Mais, messieurs, peut-on croire que la Chambre des représentants et le Sénat de 1842, composés d'un grand nombre d'anciens membres du Congrès, qui votaient à une époque assez rapprochée de la promulgation de la Constitution ; peut-on croire qu'ils eussent presque à l'unanimité violé la Constitution en une matière aussi grave ? Cela n'est pas admissible. Cette loi a été discutée à fond et sa parfaite constitutionnalité a été démontrée à la dernière évidence. Si mes souvenirs sont exacts, les trois membres de cette Chambre qui ont voté contre la loi n'ont pas motivé leur vote négatif sur l'inconstitutionnalité de la mesure, mais uniquement sur l'influence religieuse que devait exercer la loi sur les écoles primaires.

Messieurs, on nous a objecté l'exemple de la Hollande. Mais la situation de la Belgique et celle de la Hollande ne peuvent pas être comparées sous ce rapport.

Eu Hollande, il y a beaucoup de catholiques, mais c'est généralement dans les classes inférieures de la société. Or, ces classes n'auraient pas pu, à l'aide de la liberté d'enseignement, subvenir aux besoins de leur instruction. Qu'a-t-on fait alors ? Par esprit de conciliation, comme dans notre loi de 1842, mais en sens inverse, parce qu'une situation différente exigeait une solution différente, les protestants fortunés ont consenti à ce qui l'enseignement religieux ne fût pas donné dans les écoles communales auxquelles les catholiques pauvres devaient avoir accès, à moins de rester privés des bienfaits de l'instruction.

Voilà la situation de la Hollande ; celle de la Belgique est tout à fait différente ; le nombre des dissidents est très peu considérable chez nous, et on a pu adopter le principe de l'organisation d'écoles spéciales destinées aux dissidents.

Maintenant, dans les communes où il n'y avait pas possibilité d'ériger une école spéciale parce que les dissidents y sont en nombre tellement petit qu'il eût été ridicule d'y ériger d'office une école spéciale, on a décidé que les dissidents ne seraient pas obligés d'assister à l'enseignement du culte.

Voilà de quelle manière, en Belgique et en Hollande, on a agi selon les règles de l'équité, selon les règles de la raison, en faveur du bien public, et en faveur de la conservation du sentiment religieux. Car ce sentiment est très précieux, à tel point que le Congrès national a exigé que les divers cultes fussent salariés. Donc il en a reconnu l'utilité publique, et il n'a pas voulu qu'au moyen d'allocations équivalente pour l'instruction, on détruisit d'une main ce qu'on soutenait de l'autre. C’eût été l’acte de gens déraisonnables et le Congrès national n'était pas corn posé de pareilles gens.

On nous a parlé de quelques scandales qui s'étaient produits et que, certes, nous sommes les premiers à blâmer, que nous n'entendons nullement excuser. Mais il faudrait ne pas connaître l’homme, il faudrait ne pas connaître l’histoire, pour penser qu'il y ait des hommes impeccables à quelque ordre qu'ils appartiennent.

Cela n'a jamais été, ne sera jamais. L'homme a le libre arbitre ; il a le choix entre le bien et le mal, sous sa responsabilité personnelle. Malheur à lui s'il ne suit pas la bonne voie ! Mais de quelques faits isolés, on ne peut conclure à la généralité. Bien au contraire, on peut dire que ces faits isolés confirment précisément la haute moralité et la bonne conduite du très grand nombre. Ce n'est pas seulement dans l’ordre religieux, mais c'est surtout dans l'ordre laïque, et dans des proportions infiniment plus grandes, que vous entendez parler d’hommes qui sont atteints de grands vices, principalement dans les grands centres de population.

Faisons donc trêve à ces accusations qui ne peuvent avoir aucune valeur aux yeux d'un homme raisonnable et juste.

Messieurs, on a encore voulu établir une comparaison entre l'enseignement en France et l'enseignement en Belgique, en se fondant sur ce qu'en France, le gouvernement présente les évêques à la nomination du saint-siège.

Messieurs, il n'y a de cela aucune induction à tirer. Le clergé en France est parfaitement libre d'enseigner la religion telle qu'elle est et de la manière la plus orthodoxe, sans que le gouvernement intervienne. Il ne s'agit ici que de la simple présentation de candidats pour éviter les froissements entre la politique et la religion. Mus, je le déclare, ce n'est pas une pensée libérale que celle qui voudrait faire appel à ce qui se pratique en France, en matière de religion, et ce qui s'y est pratiqué avant 1850, en matière d'enseignement. Je ne pense pas qu'aucun libéral voulût introduire ce régime en Belgique, quoique aujourd'hui le parti libéral soit à la tête du gouvernement. Et la raison en est bien simple, c'est que le monopole de l'enseignement et l'intervention du gouvernement en matière de religion sont les deux choses les plus incompatibles avec la liberté d'un peuple.

M. le ministre de l'intérieur nous a donné lecture d'une circulaire qui, à l'époque de l'enquête sur l'instruction primaire, avait été envoyée, je pense, dans un canton de la Flandre occidentale. C'est la deuxième fois que M. le ministre de l'intérieur donne lecture de cette circulaire ; il semble y attacher une grande importance.

Eh bien, je lui dirai qu'il a déjà lui-même anéanti l'effet de cette circulaire. Car, dans son premier discours, il nous a dit que l'enquête sur l'enseignement primaire constatait un état florissant. Il s'ensuit que cette circulaire n'a pas du tout eu pour résultat d'altérer les faits. Car M. le ministre de l'intérieur croit à la sincérité et à la solidité de cette enquête. Du reste, je voudrais que le gouvernement, lorsqu'il produira l'enquête, fît connaître toutes les instructions qui ont été données par les diverses autorités, tant par le ministère que par les autorités d'un degré inférieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - On n*a pas dicté les réponses.

M. de Theuxµ. - C'est juste, mais on a tellement précisé les faits sur lesquels il s'agissait d'enquérir, que je crois qu'on les a renfermés dans des limites assez étroites.

Mais, messieurs, cette circulaire que certes je n'approuve pas, s'explique par un fait tout simple. Depuis longtemps, on nous parle de la révision de la loi sur l'instruction primaire.

L'auteur de cette circulaire a pu croire que l'enquête n'avait d'autre but que de conduire à la modification de la loi et il s'est cru autorisé à prévenir les instituteurs, pour qu'ils ne crussent pas qu'il était nécessaire, pour plaire au gouvernement, de donner des réponses dans un sens libéral, dans un sens opposé à la durée de la loi. (Interruption.)

- Un membre. - C'est trop fort.

M. de Theuxµ. - Ce n'est pas trop fort. Quand une enquête est dirigée au nom d'une administration libérale et quand on a si souvent menacé de changer la loi, les instituteurs pouvaient bien croire qu'ils feraient acte de civisme ministériel en montrant les inconvénients nombreux de la loi. Mais assurément ce résultat n'a pas été obtenu puisque l'enquête a justifié, au contraire, l'existence de la loi, à tel point que M. le ministre de l'intérieur a déclare que lui-même ne contresignerait pas un projet de loi destiné à la changer.

Messieurs, on s'est encore occupé de l'article 6 qui prescrit l'enseignement de la religion et de l'article 20 qui dit que l'école qui n'est pas conforme (page 291) aux dispositions de la Joi ne peut pas recevoir de subsides. M. le ministre de l'intérieur a expliqué les conséquences de ces deux articles d'une manière tellement claire, que je crois impossible de concevoir encore un doute quelconque sur la véritable portée de ces deux dispositions. D'ailleurs, la pratique est continuellement en harmonie avec ce que M. le ministre de l'intérieur a déclaré dans la séance d'hier.

Messieurs, je maintiens aussi que la loi de 1842 a produit de grands et d'importants résultats.

Vous savez qu'avant la révolution de 1830, l'enseignement était uniquement aux mains du gouvernement, qu'il n'y avait pas de liberté. En 1830, le gouvernement provisoire et ensuite le Congrès ont proclamé !a liberté d'enseignement, et le résultat de cette double proclamation a été une réaction énergique contre l'instruction organisée auparavant sous l'autorité du gouvernement. D'autre part, la liberté n'était pas munie de fonds suffisants ni d'un personnel suffisant pour combler le vide et pour donner une impulsion toute nouvelle et suffisante à l'enseignement primaire.

Cependant, en 1842, beaucoup de bien avait déjà été produit, tant par la liberté que par les communes qui s'étaient remises à soutenir l'enseignement.

En 1842, on a fait de nouveaux efforts. Des subsides plus considérâmes ont été consacrés à l'instruction primaire et si, pendant les premières années, les résultats n'ont pas été tels qu'on pouvait les désirer, il n'y a à cela rien d'étonnant, parce qu'il ne suffit pas de voter une loi pour en avoir des effets immédiats ; il faut, pour une loi de cette nature, plusieurs années d'exécution, je dirai même qu'il faut plus d'une génération ; il faut que les parents aient pu profiter de la loi pour qu'ils puissent, à leur tour, en faire profiter leurs enfants et dans une mesure plus large. C'est ce qui arrivera si la loi continue d'exister.

Messieurs, les bienfaits de la loi se sont étendus par suite d'une double circonstance ; on a formé des élèves instituteurs dans les écoles normales que les évêques avaient instituées et dans celles que le gouvernement a organisées ; aujourd'hui il y a la concurrence qui est toujours avantageuse en toutes matières.

Cela pousse les instituteurs de la liberté et ceux du gouvernement à faire toujours au mieux afin d'acquérir la confiance des populations.

Je ne puis laisser en arrière une observation qui a été faite dans une séance précédente : je ne puis admettre que ce soit exécuter dans le sens vrai et loyal la loi de 1842 que d'obliger une commune à créer à ses frais une école lorsqu'il existe une école privée qui accepte l'adoption et qui remplit sa mission d'une manière conforme au vœu des habitants.

Les écoles auxquelles je fais allusion avaient été adoptées par des hommes appartenant à des cultes divers et à des opinions différentes ; c'était donc une mauvaise mesure d'administration que d'obliger ces communes à créer une école à leurs frais. Qu'en est-il résulté ? C'est que l'école ainsi créée d'autorité n'a pas été fréquentée et que l'école adoptée, redevenue libre, a conservé ses élèves.

Les bienfaits de l'instruction primaire sont aujourd'hui acceptés par tout le monde, non seulement par le gouvernement et par les pouvoirs administratifs et politiques, mais aussi par le clergé, qui ne perd jamais une occasion d'encourager la fréquentation de l'école

En effet, messieurs, la religion et la morale ne peuvent que gagner à la diffusion de l'enseignement. Aussi ne voyons-nous plus dans les rues et sur les places publiques des foules d'enfants oisifs, comme on en voyait taux époques antérieures ; aujourd'hui les enfants sont à l'école gardienne ou à l'école primaire, et nous ne voyons plus ces désordres des rues que nous avons vus dans notre jeunesse.

Je termine ici mes observations, messieurs ; je les ai présentées de la manière la plus succincte, tenant compte de l'impatience de la Chambre d'en finir de cette discussion, mais je ne puis me dispenser de dire en terminant que plus on montrera de loyauté dans l'exécution de la loi, plus elle aidera à répandre le bien-être intellectuel, moral et matériel.

Si nous voulons, messieurs, que l'enseignement primaire en général, libre ou officiel, produise tous ses résultats, tâchons de mettre une trêve à des attaques qui ne peuvent que produire la défiance. Et si nous arrivons un jour à la révision de la loi, je dis que cette révision sera funeste à l’instruction populaire, Evidemment ce n'est qu'un jeu de mots quand on dit que le clergé est appelé à titre d'autorité et que cela est inconstitutionnel ; le clergé ne vient pas à titre d'autorité ; si la loi ne l'appelait pas, il ne viendrait pas ; il vient parce que la loi l'appelle. Est-ce que, par hasard, il viendrait moins à titre d'autorité si le gouvernement l'appelait de son propre chef ? Est-ce qu'il viendrait moins à titre d'autorité s'il était appelé par une administration communale ? Il vient en vertu de la loi, et cette loi a été votée en exécution de la disposition constitutionnelle qui exige que l'enseignement donné aux frais de l'Etat, des provinces ou des communes, soit organisé par la loi.

M. Delcourµ. - Je croyais, messieurs, avoir apporté, dans ce débat, une grande modération ; je suis réellement étonné de la violence avec laquelle on m'a répondu.

En examinant la loi de 1842, je vous ai dit, messieurs, que je ne la considérais pas dans ses principes politiques ; que mon honorable ami, M. Wasseige, avait traité cette partie de la question ; je vous ai dit que je me proposais d'étudier la loi dans ses conséquences pratiques et que je suivrais l'exemple que m'avait donné l'honorable ministre de l'intérieur.

J'ai divisé mes observations en deux parties. J'ai présenté d'abord des observations générales, puis quelques observations particulières. Dans mes observations générales, je n'ai pas dit un mot s'adressant directement à l'un ou l'autre de mes honorables collègues, je me suis borné à reproduire le paragraphe du rapport du conseil communal de Gand, sur lequel est revenu tout à l'heure l'honorable M. de Kerchove. Je n'ai pas même, dans cette partie de mon discours, adressé la parole à M. Giroul. (Interruption.)

Comme la Chambre paraît fatiguée et qu'elle désire voir presser ce débat, je serai aussi court que possible, je ne répondrai qu'aux principales objections qui m'ont été faites. Je tâcherai de démontrer en quelques mots que tout ce que j'ai dit reste debout.

M. Guillery. - Pas le rapport de Gand.

M. Bouvierµ. - Le rapport de Gand est tronqué.

M. Delcourµ. - Je vous prie de m'accorder un moment d'attention ; si je ne puis vous convaincre, je vous dirai au moins toute ma pensée.

Si j'avais mal interprété le rapport du conseil communal de Gand, je serais le premier à le reconnaître, mais c'est justement parce que je prétends être dans la vérité, que je ne veux point rectifier une interprétation qui me paraît fondée.

M. Bouvierµ. - Mais le bourgmestre de Gand vient de la rectifier.

M. Delcourµ. - Je ne m'adresse pas à vous ; je vous prie de ne pas m'interrompre, j'ai assez de peine à m'énoncer, car je suis enrhumé.

J'ai dit, messieurs, en étudiant les causes qui ont donné lieu à cette opposition formidable que l'on fait aujourd'hui à la loi de 1842, que la principale de ces causes est, selon moi, l'article 6 de la loi, qui rend l'enseignement de la religion et de la morale obligatoire dans l'école.

C'est justement parce que je rencontre parmi les adversaires de la loi et parmi ses adversaires les plus décidés des hommes qui considèrent la religion comme crétinisant les intelligences, que je tiens aujourd'hui à défendre mon appréciation.

Le mot « crétiniser les intelligences » n'est pas de moi ; il a été prononcé dans une circonstance solennelle et je pense que l'honorable M. de Kerchove a entendu les paroles auxquelles je fais allusion.

J'arrive maintenant au rapport du conseil communal de Gand. Dans ce rapport il y a des choses que j'approuve. Ainsi, j'approuve tout ce que la ville de Gand fait dans l'intérêt de l'enseignement primaire. Je vous l'ai dit dans mon dernier discours, je suis partisan de l'enseignement primaire et dans toutes les circonstances, quelque soit le ministre que je rencontrerai devant moi, je voterai tout ce qui me sera demandé pour l'exécution de la loi de 1842, dans son esprit et dans son texte.

Me voilà donc d'accord sur ce point avec plusieurs de mes honorables collègues.

Le rapport du conseil communal de Gand, après avoir constaté qu'il n'y a pas assez d'écoles pour satisfaire aux besoins de l'enseignement primaire, ajoute que « les parents, las d'attendre que les enfants puissent être reçus dans les écoles communales, les mettent chez les religieux et chez les religieuses. » Il continue en ces termes : « Nous ne vous dirons pas, messieurs, ce qu'est trop souvent l'enseignement donné par les corporations religieuses, » et appliquant immédiatement cette remarque à l'orphelinat des Kulders, il continue en ces termes : «L'état de l'orphelinat des Kulders atteste que l'éducation, dite religieuse, y a dégradé les enfants au lieu de les développer. » C'est donc l'enseignement religieux qui a dégradé les enfants, et, si je comprends bien la pensée intime du rapporteur, là est le motif qui a fait supprimer l'orphelinat.

M. de Kerchoveµ. - Il n'a pas été supprimé.

M. Delcourµ. - Il a été modifié.

M. de Kerchoveµ. - Les frères ont été renvoyés.

M. Delcourµ. - Permettez-moi de continuer.

Je dis donc que le rapport indique comme un des griefs articulés contre l'inexécution de la loi de 1842, que les parents mettent leurs enfanta chez les religieux et chez les religieuses. Appréciant ensuite l'enseignement donné par les corporations religieuses, je ne vous dirai pas (page 292) ajoute-t-il ce qu'est trop souvent cet enseignement, l'état de l’orphelinat des Kukders atteste malheureusement que l'éducation, dite religieuse, y a dégradé les enfants au lien de les développer. C'est donc contre l'enseignement religieux en général, qu'est dirigée l'accusation, et l'orphelinat des Kulders n'a été qu'un prétexte.

M. de Kerchoveµ. - Je l'ai prouvé.

M. Delcourµ. - Je persiste à soutenir que la pensée que j'ai énoncée est au fond du rapport, et que, pour réfuter mon appréciation, l'honorable M. de Kerchove a eu recours à un pur sophisme.

Ces quelques mots suffisent ; ils établissent que mon appréciation a été exacte.

M. Bouvierµ. - Du tout.

M. Delcourµ. - Je n'ai pas la prétention de vous convertir, M. Bouvier. Je sais bien que cette cure morale serait au-dessus de mes forces.

M. Bouvierµ. - Lisez le rapport exactement.

M. Delcourµ. - La Chambre voudra bien me permettre de continuer mes observations. L'honorable M. Giroul m'a reproché d'avoir discuté devant la Chambre les griefs qu'il avait présentés contre la loi de 1842. Quels sont ces griefs ? Je n'entrerai pas dans les détails des diverses dispositions de la loi qui pourraient être modifiées ; ce sont là des questions purement administratives. Pour le moment., il s'agit seulement du système général de la loi, qui se résume en un seul point.

Il y aura un enseignement moral et religieux obligatoire ; cet enseignement sera donné sous la direction des ministres des cultes. Il y aura une inspection ecclésiastique.

Tel est le système de la loi que vous attaquez, système que j'ai défendu en m'attachant surtout aux résultats pratiques que l'exécution de la loi a produits depuis plus de 20 ans.

L'honorable M. Giroul m'a reproché de ne pas avoir lu la discussion de la loi de 1842. Si vous aviez lu, m'a-t-il dit, cette discussion, vous sauriez que le principe fondamental de la liberté des cultes a été violé.

Ce n'est pas aujourd'hui que je lis pour la première fois la discussion de la loi de 1842, je l'ai connue et étudiée probablement avant que l'honorable M. Giroul se soit occupé d'études de droit. Mais je me demande : Qu’a donc fait la loi de 1842 ? Qu'a-t-elle voulu ?

Voilà, messieurs, à quel point de vue j'entends me placer. Je n'entends pas m'engager pour le moment, dans des discussions théoriques. Si un jour nous nous occupons de la révision de la loi de 1842, j'examinerai les théories constitutionnelles qui ont été développées dans cette enceinte ; mais en présence de la déclaration du gouvernement que la loi ne serait point révisée aussi longtemps que M. le ministre de l'intérieur siégera sur les bancs ministériels, je crois inutile d'aborder un débat qui ne peut avoir aucun résultat. (Interruption.)

Je ne suis pas disposé, a-t-il dit...

M. Delcourµ. - Personnellement.

M. Delcour.µ. - Je me trouve devant le budget de l'intérieur ; je dois donc croire que M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il est venu nous dire qu'il ne présenterait pas à la signature du Roi un projet de loi pour modifier la loi de 1842, je dois croire, dis-je, qu'il n'a pas fait cette déclaration importante sans être plus ou moins d'accord avec ses collègues.

Dans tous les cas, si MM. les ministres sont divisés sur cette grave question, il serait bon qu'ils voulussent donner des explications à la Chambre, car nous devons connaître la pensée du gouvernement sur une loi à laquelle se rattachent les intérêts les plus chers du pays.

A mes yeux, la loi de 1842 a été une loi de transaction.

Cette pensée de transaction, qui est au fond de toute la loi, a porté sur deux points. La Constitution proclame la liberté d'enseignement et établit que l'enseignement donné aux frais de l'Etat est réglé par la loi.

Or, en 1842 il n'y avait qu'une voix pour considérer l'enseignement de la religion et de la morale comme devant être la base de l'instruction primaire. La loi de 1842 s'est proposé, en outre, de concilier ces deux principes écris dans l'article 17 de la Constitution, avec le principe de la liberté des cultes, autant que la conciliation pouvait se faire dans un Etat libre.

Pour atteindre ce but, comment le législateur a-t-il procédé ? Il a dit que l'instruction primaire comprend nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale, mais comme il ne peut forcer personne à écouter un enseignement religieux qui n'est pas celui de son culte, le législateur a établi que les enfants appartenant à des communautés religieuses qui ne sont pas en majorité dans l'école, seraient dispensés d'assister à cet enseignement.

Vous le voyez, messieurs, la loi de 1842 est une transaction depuis le commencement jusqu’à la fin, transaction que je supplie h Chambre de ne pas anéantir.

L'honorable M. Giroul s'est récrié aussi au sujet de l'exemple que j'ai rappelé et qui s'était passé dans la banlieue de Bruxelles. Veuillez, messieurs, faire attention à la position que j'avais dans le débat.

L'honorable M. Giroul avait dit à la Chambre que la loi de 1842 blessait le principe de l'égalité des Belges devant la loi ; il vous avait cité comme violant ce principe constitutionnel, l'exemple d'une jeune institutrice protestante dont le conseil communal de Liège n'avait pu utiliser le talent, parce qu'elle était protestante. A mon tour, je vous ai parlé d'un instituteur catholique, qui avait été exclu d'une école protestante, parce qu'il était catholique. Ainsi, sous l'empire de la loi de 1842, il n'y a de monopole pour personne. La loi accorde au culte protestant, au culte juif, tout ce qu'elle accorde au culte catholique.

J'arrive enfin aux dernières objections qui m'ont été faites..

L'honorable ministre de l'intérieur m'a demandé si les écoles dominicales dont j'ai parlé sont subsidiées par l'Etat ; il a même laissé entendre qu'une somme de 50,000 francs était distribuée en subsides aux écoles dominicales et aux écoles d'adultes. Non, messieurs, aucune des écoles comprises dans le tableau que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre, n'est subsidiée par l'Etat. En parlant des écoles dominicales, je n'ai voulu établir qu'une seule chose, c'est que la charité catholique peut, même sans le concours du gouvernement, suffire au développement de l'instruction primaire, parce qu'elle sait, dans toutes les circonstances, s'imposer les plus grands sacrifices dans l'intérêt de l'enseignement du peuple. Tel est notre principe et j'ai voulu le rappeler au pays.

Lorsque j'ai parié de l'enseignement donné par les corporations, de la solidité de cet enseignement, on m'a reproché d'avoir invoqué un fait sans valeur. Mais, messieurs, à quoi devons-nous nous attacher pour juger si l'enseignement donné dans un établissement d'instruction est solide et complet ? Evidemment nous devons tenir compte des concours tels qu'ils sont organisés par les dispositions réglementaires, tels qu'ils sont établis par la loi. Si vous n'aviez pas ce critérium, que deviendraient vos statistiques ? Voyez votre inconséquence, lorsque vous prétendez que l'enseignement donné par les corporations religieux ne répond pas à l'enseignement officiel, sur quoi vous fondez-vous ?

Vous vous basez uniquement sur les mêmes documents statistiques, sur les mêmes dispositions réglementaires. Pour vous, tous ces documents sont infaillibles ; mais si je les invoque en faveur des corporations religieuses, ils n'ont plus d'autorité à vos yeux.

Il me reste, messieurs, une dernière remarque à faire au sujet de l'enseignement primaire donné dans les écoles communales de Bruxelles. J'ai commencé par constater que la ville de Bruxelles s'impose les plus grands sacrifices dans l'intérêt de l'enseignement populaire ; jusque là je ne puis que féliciter l'administration communale ; mais je cesse d'être d'accord avec elle, lorsque je la vois organiser un enseignement en dehors de la loi, un enseignement en opposition avec les principes de la loi de 1842 sur l'instruction primaire et de la loi de 1850 sur l'enseignement moyen.

L'honorable M. Funck a placé la question sur un autre terrain. L'école dirigée par Mademoiselle Gatti de Gammont, dit-il, n'est ni une école primaire ni une école moyenne, c'est une école spéciale ; pour justifier la légalité de l'école, il se base sur l'article 31 de la Constitution et sur l'article 75 de la loi communale.

Personne plus que moi n'est désireux de voir étendre les attributions de la commune, mais je prétends que si des lois organiques ont réglé les conditions de l'enseignement officiel, il n'appartient pas plus à Bruxelles qu'à toute autre ville du royaume de se soustraire à l'application de la loi.

Or, c'est ce qu'a fait le conseil communal de Bruxelles ; il devait observer ou la loi de 1842 sur l'instruction primaire ou la loi de 1850 qui règle l'instruction moyenne.

M. Guillery. - Des garçons.

M. Delcourµ. - Je ne décide pas si l'école est une école primaire ou une école moyenne, mais je demande que l'école, qu'elle soit primaire ou moyenne, soit placée sous le régime légal qui doit la régir.

Je dis au gouvernement qu'il n'a pas fait son devoir dans cette circonstance et qu'il aurait dû veiller à l'exécution de la loi avec plus de fermeté.

Je crois, messieurs, avoir répondu aux principales observations qui m'ont été présentées ; j'aurais désiré pouvoir m'étendre plus longuement et revenir sur la constitutionnalité de la loi de 1842 ; mais la Chambre est pressée d'en finir ; je ne veux pas prolonger le débat ; tous, nous (page 293) sommes impatients de voter, aujourd'hui ou demain au plus tard, le budget du ministère de l'intérieur.

MfFOµ. - Messieurs, je n'entends pas discuter aujourd'hui la question de la révision de la loi sur l'enseignement primaire ; je ne veux pas examiner non plus les observations qui ont été présentées par l'honorable membre et auxquelles d'autres orateurs répondront sans doute. Je me lève uniquement peur faire une rectification que quelques-unes de ses paroles ont provoquée.

Le gouvernement, messieurs, a fait une déclaration, une seule : il a constaté que, dans l’état actuel des partis qui divisent la Chambre, et à cause de certaines divergences d'opilion cette question spéciale au sein de la majorité, il seralt impossible d'aboutir à la révision de la loi de 1842; et en conséquence, qu'il n'était pas opportun de s'en occuper actuellement. Telle a été purement et simplement la déclaration du gouvernement ; il n'y en a pas eu d'autre.

Chacun parmi nous garde d'ailleurs son opinion. La mienne en cette matière est parfaitement connue depuis longtemps ; j'ai eu l'occasion de l'exprimer dans cette Chambre, en faisant connaître à plusieurs reprises que, selon moi, la loi de 1842 n'était pas en harmonie avec nos principes constitutionnels...

M. Dumortier. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Cette opinion, je continue à la professer, et certes, le jour où je croirai qu'il est possible de réviser cette loi dans le sens des idées libérales, je n'hésiterai pas, pour ma part, à m'associer aux efforts qui seront faits dans ce but.

- Voix à gauche. - Très bien !

MfFOµ. - Mais, messieurs, les libéraux ne commettront pas la faute, qui serait impardonnable et irréparable, de troubler la situation et d'ébranler la majorité à propos de cette question ; ils ne commettront pas la faute de se mettre dans l'impossibilité de réaliser le programme sur lequel ils sont d'accord, ce programme qui est aujourd'hui à l'ordre du jour de la Chambre et que je convie la majorité à examiner et à résoudre.

C'est là le point important pour le moment. Quant aux questions qui nous divisent, nous aviserons ultérieurement aux moyens d'en trouver la solution.

- Voix à gauche. - Très bien ! très bien !

M. Bara. - Je m'étais fait inscrire pour prendre la parole au sujet de la loi de 1842. C'est la première fois que j'ai l'occasion dans cette enceinte de m'expliquer sur cette loi et je tiens à faire connaître mon opinion.

Comme vient de le dire l'honorable ministre des finances, cette loi est évidemment contraire aux principes constitutionnels ; j'ajouterai qu'elle est une atteinte à l'indépendance du pouvoir civil, et par ce double motif elle n'a aucune de mes sympathies.

J'ai été, je l'avoue, fort étonné de la tournure qu'a prise le débat.

M. Giroul avait prononcé un discours à titre de protestation et pour qu'il n'y eût pas de prescription contre l'opinion libérale au sujet de la loi de 1842 ; le débat était cependant tombé, aucun orateur de la droite n'était inscrit pour parler sur la loi, quand tout à coup M. Wasseige arrive avec un discours tout à fait politique qui donne à la loi de 1842 un sens qu'elle n'a jamais eue, avec un discours qui serait la meilleure raison pour la réformer le plus vite possible.

Soyez convaincus, messieurs, que de pareils discours font plus avancer la question de la révision de la loi de 1842 que tous les efforts faits par le libéralisme pour atteindre à ce but.

Eh bien, messieurs, la droite, au lieu de se défendre, nous attaque, et vient dire au pays : « La loi de 1842, cette loi de transaction, l'opinion libérale l'a falsifiée par voie administrative. » L'honorable M. de Theux, qui vient de se rasseoir, a ajouté : « Pour moi, la loi de 1842, c'est le subside donné par les communes aux écoles libres. L'école communal c'est l'exception ; l'école libre subsidiée, c'est la règle. »

M. de Theuxµ. - Je n'ai pas dit cela.

M. Bara. - Pardon, vous l'avez dit tout à l'heure, et je crois avoir bien compris vos paroles. Vous êtes du reste, d'accord en cela avec l'honorable M. Dechamps qui a maintes fois soutenu cette opinion ; et si l'ancien et le nouveau chef de la droite ne s'entendent pas, je ne sais ce que deviendra la droite. (Interruption.)

La loi de 1842, selon vous, c'est la désorganisation des écoles communales, c'est l'enseignement abandonné aux corporations religieuses.

Pour nous, nous interprétons la loi de 1842 dans le sens du maintien et de l'extension des écoles communales.

Maintenant, nous sommes, à gauche, en désaccord quant à certains articles de cette loi, et chacun de nous réserve son opinion. Pour ma part,s6i la loi pouvait être révisée demain, j\n voterais de grand cœur la révision immédiate, Mais à l'impossible nul n'en tenu.

Et vous qui cherchez à nous diviser, qui venez prononcer des discours pour faire naître une scission dans la gauche, est-ce que vous êtes d'accord en tous points ? N'êtes-vous pas divisés sur le plus grand nombre de questions ? Est-ce que l'honorable orateur qui va se lever pour me répondre est d'accord avec vous sur vos réformes électorales ? Est-ce que les questions les plus importantes ne sont pas l'objet de dissentiments profonds dans votre parti ? Eh bien, quand nous voyons la bigarrure de votre peau, pourquoi nous signalez-vous quelques taches apparentes sur la peau des autres ? Ne parlez pas de la divergence qui existe dans notre parti quant à l'opportunité de la révision de la loi ; mais, sachez-le, nous sommes d'accord en principe.

Presque toute la gauche, je dirai même toute la gauche condamne la loi de 1842, en tant qu'elle blesse les principes de l'indépendance du pouvoir civil et l'égalité des cultes, et il n'y a dissentiment, je le répète, que sur le moment oh la révision de la loi doit avoir lieu. Nous sommes donc plus près de nous entendre que vous ne le pensez, et si j'ai un conseil à vous donner, c'est de ne pas rapprocher le temps où nous nous entendrons par vos imprudences et vos attaques imméritées.

L'honorable M. Delcour a cherché à discréditer l'enseignement public.

L'honorable membre a semblé faire l'éloge de la loi de 1842 dans son premier discours ; eh bien, ce discours, d'un bout à l'autre, n'a été qu'une insinuation contre l'enseignement public et la glorification de l'enseignement donné par les corporations religieuses ou par le clergé. Qu'a-t-il fait ? Recourant à un de ces stratagèmes habituels à son parti, il a fait intervenir un père de famille libéral. Voilà l'argument auquel, dans toutes les circonstances, la droite est restée fidèle. Chaque fois qu'on veut jeter de la défaveur sur un établissement public, on fait sortir de terre, comme un Deus ex machina, un père de famille libéral qui vient dire : Ne mettez pas vos enfants dans un établissement public, vous allez les corrompre et les perdre.

L'honorable M. Dechamps était bien plus habile dans ce système : il faisait applaudir les orateurs libéraux par des pères de famille libéraux, les fondateurs des couvents. Je pense que l'honorable M. Delcour est encore loin des leçons de son maître. Mais revenons à son père de famille. Que disait le père de famille évoqué par l'honorable M. Delcour ? Il demandait conseil à M. Delcour, disant qu'il mettrait son fils dans un établissement dirigé pat des religieux et ajoutait : « J'ai des devoirs à remplir et je saurai les remplir. »

Et l'honorable M. Delcour, à la sincérité duquel je crois, viendra prétendre que ce père de famille était un père de famille libéral ! Mais je le soupçonne fort d'emprunter l'épithète de libéral, absolument comme les membres du parti clérical le font dans toutes les circonstances ; car l'honorable M. Delcour aurait pu prendre la place du professeur de morale de l'université de Louvain et tenir, à ce père de famille libéral, le langage suivant :

« Comment, monsieur, vous voulez pour votre fils un enseignement autre que l’enseignement public ; vous voulez le mettre dans un établissement dirigé par une corporation religieuse ; vous dites que vos devoirs de père de famille vous obligent à conduire là votre enfant et que vous saurez remplir ces devoirs. Vous prenez pour confident un professeur de l'université de Louvain ; et vous soutenez l'opinion libérale, qui a inscrit en tête de son programme le maintien et l'extension de l'enseignement public ! Allez, vous n'êtes qu'un hypocrite ; vous voulez pour vos enfants ce que vous repoussez pour les autres, vous favorisez un enseignement que vos devoirs de père de famille vous font répudier pour votre fils. »

Voilà ce que l'honorable M. Delcour aurait pu dire à ce père de famille.

Evidemment, je ne comprends pas un père de famille qui ne veut pas envoyer ses enfants dans les établissements publics et qui vient soutenir l'opinion libérale, qui pousse au maintien et à l'extension de ces établissements publics. Il y a là une contradiction monstrueuse qui ne saurait s'expliquer, aussi je n'hésite pas à dire que votre père de famille libéral n'est autre chose qu'un clérical. (Interruption.)

L'honorable M. Delcour vient nous dire : « Qui est-ce qui a prononcé les mots : Crétiniser la jeunesse ? » Il est possible que ces mots aient été souvent répétés ; mais la première fois qu'ils ont été entendus dans cette enceinte, ils sont partis du banc ministériel, alors qu'un cabinet de droite occupait ce banc.

Dans une circonstance solennelle, un des vôtres, l'honorable M. de Decker, alors ministre de l'intérieur, vous disait : « Avec tout votre enseignement, avec tous les livres préconisés par le père Boone, vous voulez faire de la jeunesse une génération de crétins. »

Si quelqu'un a, depuis répété ces paroles, il n'a été que le plagiaire de l'honorable M. de Decker. (Interruption.)

Mais l'honorable M. Delcour est revenu sur un passage du rapport du conseil communal de Gand dont il vient d'être question.

(page 294) L'honorable membre a fait de cela une véritable dissertation sur un texte difficile. Mais il suffit de lire la phrase pour s'apercevoir que le commentaire très savant de l'honorable M. Delcour ne tient pas une minute.

En effet, que dit-on dans le rapport ?

« Nous ne vous dirons pas, messieurs, ce qu'est trop souvent l'enseignement donné par les corporations religieuses : l'état de l'orphelinat des Kulders atteste malheureusement que l'éducation, dite religieuse, y a dégradé les enfants au lieu de les développer. »

Le rapporteur s'occupe de l'éducation dite religieuse qui a dégradé l'enfance dans l'hospice des Kulders.

L'éducation, dite religieuse, c'est-à-dire l'éducation par les corporations religieuses ; mais le rapport ne parle pas de l'enseignement dogmatique, de l'enseignement de la religion chrétienne ; il se garde bien de dire que cet enseignement dégrade la jeunesse ; il fait la distinction entre l'éducation par les laïques et l'éducation par les corporations religieuses, et aussi il prend soin de le dire par les mots : « dite religieuse ». Il ajoute, ce qui est incontesté, que cette instruction donnée par les religieux a corrompu la jeunesse dans l'école des Kulders.

Maintenant, soutiendrez-vous que les scandales qu'on a signalés ne sont pas plus grands et plus fréquents dans les établissements religieux que dans les établissements laïques ? Personne de vous ne le pourrait.

Messieurs, le ministre de l'instruction publique de France a fait la statistique des crimes et délits commis par les instituteurs laïques et les instituteurs religieux, et jec rois que le rapport des instituteurs laïques aux instituteurs religieux, condamnés par les cours d'assises et par les tribunaux correctionnels, est de 5 à 20.

M. Dupontµ. - De 1 à 30.

M. Dumortier ; - Vous ne tenez pas compte des destitutions et des procès étouffés.

M. Bara. - La justice est indépendante, je crois ?

M. de Mérode. - Pas du tout.

M. Bara. - Remarquez, messieurs, que je ne parle pas des mesures administratives, je parla des arrêts judiciaires, et la différence des condamnations entre les instituteurs laïques et les instituteurs religieux est énorme. Cette différence est contre vos établissements.

Voilà donc deux points élucidés.

Mais j'avais surtout demandé la parole pour faire quelques observations à l'honorable ministre de l'intérieur au sujet de la loi de 1842. Elle est en vigueur, et puisque nos honorables adversaires veulent la maintenir, il est évident que nous devons chercher à l'appliquer loyalement, conformément à l'esprit de nos institutions.

L'honorable M. de Theux et M. le ministre de l'intérieur disaient : Signalent les abus ; il n'y a pas d'abus. Messieurs, il ne faut pas chercher bien loin pour en trouver. Je sais fort bien que l'enquête faite chez les instituteurs ne prouvera rien. Nous avons vu que les inspecteurs ecclésiastiques donnaient à l'avance les réponses.

M. Thonissenµ. - Dans un canton.

M. Bara. - Il y a tant d'unité dans votre parti. (Interruption.) Messieurs, je vais me permettre de faire quelques observations au sujet des écoles normales.

D'abord, je ferai remarquer à M. le ministre que, tout au moins dans nos écoles normales, la direction est confiée à des ecclésiastiques. La loi de 1842 a été acceptée par le parti libéral comme une transaction. On a donné au clergé l'inspection ecclésiastique ; ou lui a donné l'intervention à titre d'autorité dans l'école. Mais, messieurs, on n'a pas donné au clergé la direction de l'enseignement. L'honorable comte de Mérode avait voulu introduire dans la loi un amendement par lequel il disait que les directeurs des écoles normales de l'Etat auraient été des ecclésiastiques.

L'honorable M. Nothomb a repoussé cet amendement, et a déclaré qu'il voulait la liberté entière et complète du gouvernement. Il a bien dit, il est vrai, que, pour plaire à la droite, il nommerait des ecclésiastiques, mais il ne parlait que pour lui et la loi laisse toute liberté à ses successeurs.

Je ne crois pas que, eu égard aux progrès de l'opinion libérale dans le pays, ce que M. Nothomb disait en 1842 doit subsister en 1864. La situation n'est évidemment plus la même, et dès qu'il a été admis par la loi de 1842 que les directeurs des écoles normales ne devaient pas être de droit des ecclésiastiques, l'opinion libérale peut réclamer avec raison que des laïques soient ms3 à la tête de nos écoles normales.

Ce point est de la plus haute importance. Qui est-ce qui instruit nos enfants, qui en fait des citoyens belges ? Ce sont les instituteurs. Commençons par faite de bons instituteurs et nous aurons amélioré la loi de 1842. Si l'on met à la tête des écoles normales des directeurs ecclésiastiques, je dis qu'on abandonne toute l'instruction normale au clergé.

En effet, ces directeurs ecclésiastiques dépendent encore de l'épiscopat. Leur nomination doit être acceptée par l’épiscopat, et ils passent de cette position civile qu'ils occupent à des positions ecclésiastiques. C'est ainsi que l'ancien directeur de l'école normale de Lierre a été nommé curé doyen dans cette ville à sa sortie de l'école.

Ils sont donc complément dans les mains de l’épiscopat, qui peut les diriger comme il le veut, dans l'espoir d'un avancement ou dans la crainte d'une disgrâce.

Ensuite, ce sont souvent les directeurs qui donnent des renseignements aux conseils communaux sur les aspirants instituteurs ; c'est encore mettre les instituteurs à la merci du clergé. Je le répète, abandonner la direction des écoles normales au clergé, c'est aggraver la loi de 1842. La loi de 1842 ne donne au clergé que l'inspection et l'intervention à titre d'autorité ; mais elle réserve la direction des écoles à l'élément laïque. Et cela n'est que juste. Le pouvoir civil doit primer dans les écoles d'où doivent sortir des hommes qui vont instruire des enfants appartenant à toutes les religions.

Qu'est-il résulté de cette nomination de directeurs ecclésiastiques ? Je vais vous le dire.

L'honorable ministre de l'intérieur nous disait : Je ne veux pas du cumul dans les fonctions d'instituteurs ; je ne veux pas, par exemple, voir un instituteur être serpent de sa paroisse ou clerc d'église. Or, je demande pourquoi le gouvernement a pris un arrêté par lequel le plain-chant figure au nombre des articles du programme. Vous ne voulez pas du cumul, et pourtant vous enseignez à vos instituteurs le plain-chant, vous en formez des clercs d'église. C'est parfaitement inutile ; le plain-chant n'est pas une connaissance si nécessaire, que tout le monde doive la posséder.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est une vieille histoire.

M. Bara. - Pas du tout. L'arrêté est du 15 décembre 1860 ; il est signé par mon honorable collègue de Tournai, M. le ministre des affaires étrangères.

Vous leur enseignez ensuite la législation des fabriques d'église, pourquoi ? Pour en faire des secrétaires ou des trésoriers de fabrique.

Vous le voyez, vous mettez vos instituteurs à la disposition du clergé. Vous formez l'instituteur de manière que, placé à la tête d'une école, il doit, pour utiliser les connaissances que vous lui avez données, se mettre à la disposition de M. le curé. (Interruption.)

Et qu'en est-il arrivé ? C'est qu'à l'école normale de Lierre, par exemple, les élèves accompagnent la procession en surplis et chantant en plain-chant. (Interruption.)

Je ne crois pas que la loi doive être interprétée de manière que les écoles normales doivent servir à faire des clercs d'église, des sacristains et des bedeaux. Je ne crois pas que les élèves de ces écoles doivent aller en surplis chanter aux processions. Ce n'est pas là l'esprit de la loi.

Mais, messieurs, sous l'influence de cette direction, qu'est-il encore arrivé ? Tous les livres un peu convenables ont été écartés de l'école. Vocei ce qu'on donne comme modèle de littérature aux jeunes gens. M. le ministre de l'intérieur ignore tout cela ; je le sais fort bien, je ne lui en fais pas un reproche ; mais il est bon d'appeler l'attention du pays sur ce point.

La droite veut qu'on respecte la religion catholique ; je le veux tout le premier. Mais la droite doit vouloir aussi qu'on respecte les autres religions. Je crois que c'est ce que vous devez à vos concitoyens qui n'ont pas la même religion que vous. Or, je demande si l'on peut donner comme un modèle du genre à des élèves le passage suivant que je vais vous lire :

« Nous nous installâmes à l'hôtel de la Demi-lune (il s'agit d'un voyage) et quel fut notre étonnement, en entrant dans la salle à manger, d'y voir les murs ornés d'une longue rangée de gravures représentant l'histoire de Luther ! Oui l'archi-hérétique était là le grand patron ! Les principaux traits de sa vie étaient représentés et pendus le long des murs dans de jolis cadres et partout le docteur Luther avait l'aspect d'un saint et d'un homme bienveillant. A côté se trouvaient divers autres tableaux représentant Catherine de Bora qui avait aussi la vertu empreinte sur la figure. Nous qui connaissions le gaillard et qui savions quel sauvage c'était, nous ne pouvions nous empêcher de rire en voyant ce que les soi-disant réformés se laissent persuader. Pauvres protestants ! Un moine ambitieux qui a jeté le froc aux orties et une nonnette qui s'est enfuie sont vos docteurs et vos protecteurs ! etc. »

(page 295) Voilà, messieurs, un extrait d'un livre qu'on donne pour modèle aux élèves instituteurs.

M. Thonissenµ. - Ce qu'il dit est exact.

M. Bara. - Cet extrait est d'un de vos collègues à l'université de Louvain.

M. Thonissenµ. - C'est du chanoine David. Luther n'est-il pas un moine défroqué ?

M. Bara. - Comment ! il paraît, messieurs, que les choses les plus simples ne peuvent être comprises par nos honorables adversaires. Libre à M. Thonissen d'avoir telle ou telle opinion sur les fondateurs de telle ou telle religion, mais est-il dans l'esprit de la loi de 1842 qu'on les décrie dans les institutions normales de l'Etat ? Vous avez dit, et vous devez dire que la loi de 1842 est une loi de transaction, vous avez dit que la loi de 1842 repose sur l'élément religieux ; osez-vous soutenir quo cet élément religieux doit être exclusif des religions autres que le catholicisme ? Oseriez-vous soutenir que les instituteurs doivent être élevés dans la haine des cultes dissidents, qu'on doit, dans les écoles normales, appeler Luther un sauvage et un gaillard ?

M. Thonissenµ. - Je connais son histoire.

M. Bara. - Libre à vous d'émettre sur Luther votre opinion personnelle, de l'apprécier comme vous vous le jugez convenable. Je ne discute pas si ce qu'en dit M. David est vrai ou faux. Mais il s'agit d'enseignement dans les écoles publiques. Si un juif venait dire, dans une école de l'État, que le Christ était un philosophe, vous blâmeriez ce professeur et avec raison, parce qu'il violerait la loi de 1842. Eh bien, ici je vous montre qu'on attaque toute une religion, et vous semblez trouver cela bien. Quelle sera la position de l'instituteur, ainsi formé, devant les enfants qui fréquenteront son école ? Comment respectera-t-il les croyances de ces enfants, croyances que l'enseignement dont il est imbu aura ridiculisées ? Que pensera t-il de Luther, qu'on lui aura dit être un sauvage, un gaillard ! (Interruption.)

Vous prétendez que c'est dans un esprit de transaction que la loi de 1842 a été votée, et vous voudriez en même temps que dans les écoles normales on ait le droit de se livrer à des attaques violentes contre les chefs des autres religions ?

Je dis que cela est contraire à la loi de 1842, et je dis que si l'honorable ministre avait connu l'usage du livre que je lui signale, ce livre ne serait pas resté dans l'école.

MfFOµ. - Assurément.

M. Bara. - Voyez comme vous êtes inconséquents ! Vous avez été, pour l'enseignement supérieur, jusqu'à demander l'élimination d'un professeur à cause d'un livre qu'il avait publié eu dehors de son cours.

Eh bien, je vous montre un livre que l'on met entre les mains de nos instituteurs et dont on dit : Voilà un modèle que vous devez suivre ; je vous prouve que ce livre attaque le sentiment religieux des protestants ; et vous ne vous élevez pas avec moi contre cette atteinte manifeste, incontestable portée à la loi de 1842 dans son esprit et dans son texte. La loi de 1842 doit couvrir toutes les croyances, elle peut être une arme pour ruiner certaines convictions religieuses. (Interruption.)

Messieurs, vous avez voulu qu'un débat s'élève sur la loi de 1842, vous nous avez provoqués ; j'étais inscrit et je m'étais fait rayer, mais je me suis fait inscrire de nouveau après le discours de M. Wasseige.

Puisque vous avez voulu appeler l'attention du pays sur la loi de 1842, puisque vous trouvez que le gouvernement l'applique mai, il est bon de signaler au gouvernement et au pays la manière dont nos instituteurs sont traités dans vos écoles normales. On y mène une véritable vie cloîtrée, on élève les instituteurs pour le couvent bien plus que pour l'école, on les empêche de communiquer avec qui que ce soit, sauf avec leurs proches parents.

Je dis que ce n'est pas ainsi qu'on doit élever des jeunes gens qui, au sortir de l'école, doivent se trouver en contact avec le monde et relever de l'autorité civile qui doit être tolérante. Le ministre a en mains le moyen de changer cet état de choses, sur lequel j'appelle toute son attention, et en le faisant il ne fera qu'exécuter la loi et remplir son devoir. Il est évident que si nous avions de bonnes écoles normales, nous aurions amélioré considérablement la loi de 1842.

J'appelle encore l'attention du gouvernement sur un autre point, c'est l'internat. La loi de 1842 est encore injuste en ce qu'elle empêche un grand nombre de jeunes gens de se destiner aux fonctions d'instituteur. Vous n'avez que deux écoles normales de l'Etat, des écoles de l'épiscopat et des cours annexés aux écoles moyennes, et la loi de 1842 dit qu'il faut avoir fréquenté pendant deux ans une école normale pour pouvoir être instituteur ; on a aggravé cette condition et on a dit qu'il fallait avoir été interne pendant deux ans dans une école normale.

Eh bien, j| faut qu'il puisse y avoir des externes dans les écoles normales ; il n'y a aucun inconvénient à admettre cette réforme et, messieurs, notez bien que cette loi, qui empêche un grand nombre de jeunet gens de se présenter à l'examen d'instituteur, que cette loi n'est pas irréprochable au point de vue constitutionnel.

Pour être instituteur, il faut nécessairement étudier dans certaines écoles ; c'est une violation de la liberté d'enseignement, je dois pouvoir étudier où je veux.

Eh bien, je ne demande pas encore de faire une réforme complète sous ce rapport, mais je demande qu'on permette aux élèves instituteurs de fréquenter les écoles normales de l'Etat comme externes, sauf à conserver l'internat et je suis convaincu que cela aurait les meilleurs résultats.

Je me rassieds en me félicitant plus que jamais de ce que la droite a dit de la loi de 1842 et je suis persuadé que la réforme de la loi a fait un grand pas.

M. Dumortier. - Il est vraiment étonnant de voir d'honorables membres accuser la droite d'avoir suscité ce débat. Quoi ! c'est un des vôtres, l'honorable député de Huy, qui est venu le premier attaquer la loi de 1842, la déclarer inconstitutionnelle, en demander la réforme, c'est un des vôtres qui a levé l'étendard du débat qui nous divise aujourd'hui et vous oserez venir dire que c'est la droite qui cherche à jeter la division parmi vous ?

La division est née dans votre sein ; ce sont les esprits les plus avancés de votre parti qui ont fait naître cette discussion, et nos honorables amis n'ont fait que les suivre.

Je prends ici leur défense et je repousse l'accusation dirigée contre eux.

Oui. ce sont les esprits les plus avancés de votre parti qui sont venus dans cette discussion engager le débat et nous forcer de leur répondre. Leur pensée, messieurs, je la résumerai en deux mots : Exclure le prêtre et l'instruction religieuse de l'école primaire.

Voilà votre pensée et vous n'oseriez la contester. Eh bien, je vous le dis : allez donc dans vos villages fonder vos écoles en dehors de l'instruction religieuse, inscrivez sur le fronton de vos écoles : Ici on ne donne point l'enseignement religieux aux enfants et à l'instant vous les verrez désertées par la population tout entière.

Si je n'envisageais la question qui nous occupe qu'au point de vue de l'esprit de parti, je me réjouirais de la discussion qui s'engage aujourd'hui. . J'aime à voir les positions nettes, j'aime à voir les partis se démasquer ; de cette manière le pays peut comprendre où on veut le mener, mais je dois le dire, il existe daus les rangs de la gauche beaucoup d'hommes honorables, profondément religieux, vous vous en ê'es souvent vantés, et ceux-là ne vous suivront pas dans cette destruction de l'enseignement primaire en Belgique.

Vous vous rappelez, messieurs, qu'il y a une dizaine d'années, M. le ministre des finances avait parlé de la révision de l'enseignement primaire. Quelque temps après, on lui demanda pourquoi il n'avait pas présenté de projet de loi à ce sujet, et il répondit avec une naïveté qui l'honore : Mes amis n'auraient pas voulu me suivre.

MfFOµ. - Quand ai-je répondu cela ?

M. Dumortier. - Il y a au moins dix ans. (Interruption.) Eh bien, votre réponse de tout à l'heure, à travers tous les mots qui l'enveloppent, a tout à fait le même sens.

Je voudrais bien modifier la loi, mais mes amis ne voudraient pas me suivre. Voilà la pensée réelle qui sort de ce débat.

Je félicite le pays de ce que la grande majorité de la gauche ne voudrait point suivre de telles observations, ne voudrait pas entrer dans un système aussi fatal au pays.

Interrogez tous les orateurs qui ont pris part à ce débat dans la discussion de la question religieuse ; et que voyons-nous ? L'instruction religieuse crétinise, elle rend l'homme incapable de remplir ses fonctions civiles. Les couvents qui enseignent ces matières sont détestables et les hommes qui y envoient leurs enfants ne sont point des libéraux, ce sont des cléricaux de la première sorte.

Si j'examine ce qui se passe sur vos bancs, je vous demanderais combien d'entre vous n'ont point envoyé leurs enfants dans ces établissements que vous flétrissez ; je vous demanderais combien d'entre vous n'ont point des sœurs, des filles, des tantes (il y en a un d'entre vous qui m'entend et qui me comprend), qui donnent aux demoiselles une éducation parfaite, une éducation morale et religieuse.

Et ce sont ces établissements qu'on devait tant condamner, auxquels on devait jeter de la boue en plein parlement ?

Eh bien, je dis, messieurs, qu'il suffit que l'opinion publique, comprenne ces paroles pour voir où vous voulez aller.

Vous voulez aller plus loin que le roi Guillaume, vous êtes pires que le gouvernement précédent que nous avons chassé ; car lui du moins il admettait le prêtre dans les écoles et vous voulez l'en expulser, vous feriez une population qui n'aurait ni respect de l'autorité ni sentiment du devoir et cela en présence d'une situation européenne qui renferme les plus grands dangers !

Sont-ce là les faits d'hommes d'Etat, de représentants d'un peuple qui est catholique et qui entend élever ses enfants dans les principes qu'il a reçus lui-même ?

Je dois protester contre ces doctrines. Encore une fois, si je n'étais animé que de l'esprit de parti, je viendrais vous dire : Présentez votre projet de loi, affichez-le en face de la nation afin qu'elle vous comprenne. Mais vous n'oseriez, le faire, parce que l'opinion publique s'écarterait de vous.

Messieurs, je ne veux point prolonger ce débat, mais je vais en donner la couler afin que le pays comprenne. Je désire pour mon compte que ces questions irritantes ne se perpétuent pas dans le parlement.

La Belgique, l'Europe entière sont aujourd'hui dans une situation telle qu'il leur faudrait du calme et du repos. Ce n'est point en divisant les populations en vainqueurs et vaincus, ce n'est pas en constituant la moitié du psys à l'état d'ilotisme, ce n'est pas en attaquant le citoyen dans ce qu'il a le plus à cœur, dans son for intérieur, dans ses sentiments religieux, que vous constituerez une Belgique forte et capable de résister aux prétentions de l'étranger.

Toutes vos lois ne sont qu'une accumulation de mesures pour enlever à la Belgique le sentiment religieux, et votre prétendu domaine du pouvoir civil n'est rien autre chose qu'un masque pour détruire le sentiment religieux dans les masses.

Quant à moi, je ne comprends pas un peuple libre qui n'ait pas un culte aussi développé que sa liberté.

Le jour où vous serez parvenus par vos mesures à affaiblir le sentiment moral dans le peuple belge, c'en sera bientôt fait de sa liberté.

- La discussion est close.

Articles 98 à 101

« Art. 98. Inspection civile de l'enseignement primaire et des établissements qui s'y rattachent. Personnel : fr. 48,200. »

- Adopté.


« Art. 99. Ecoles normales primaires de l'Etat, à Lierre et à Nivelles. Personnel : fr. 63,500. »

- Adopté.


« Art. 100. Traitements de disponibilité pour des professeurs des écoles normales de l'Etat ; charge extraordinaire : fr. 5,170. »

- Adopté.


« Art. 101. Dépenses variables de l'inspection, y compris une indemnité spéciale aux inspecteurs cantonaux civils, du chef des conférences et des concours, ainsi que des tournées extraordinaires et frais d'administration. Commission centrale. Enseignement normal des instituteurs et des institutrices ; dépenses diverses. Service annuel ordinaire de l'instruction primaire communale ; subsides aux communes ; constructions, réparations et ameublement de maisons d'école ; encouragements (subsides et achats de livres pour les bibliothèques des conférences d'instituteurs) ; récompenses en argent ou en livres aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice de leurs fonctions ; achat de livres, d'images, etc., à distribuer par les inspecteurs aux élèves les plus méritants des écoles primaires ; subsides aux caisses provinciales de prévoyance ;. encouragements aux recueils périodiques concernant l'instruction primaire ; subsides pour la publication d'ouvrages destinés à répandre l'instruction primaire ; secours à d'anciens instituteurs (article 54 du règlement du 10 décembre 1832) ; frais des conférences horticoles des instituteurs primaires ; subsides à des établissements spéciaux ; salles d'asile et écoles d'adultes, etc. : fr. 2,711,315 44. »

MpVµ. - M. le ministre de l'intérieur a proposé une modification. Elle consiste à augmenter le chiffre de 194,956 fr.,56 c, de sorte que le chiffre de l'article 101 serait porté à 2,906,272 fr.

- Le chiffre ainsi modifié es» mis aux voix et adopté.

Chapitre XVIII. Lettres et sciences

Article 102

« Art. 102. Subsides et encouragements ; souscriptions, voyages et missions littéraires, scientifiques ou archéologiques ; fouilles et travaux dans l'intérêt de l'archéologie nationale ; sociétés littéraires et scientifiques ; dépenses diverses ; secours à des littérateurs ou savants qui sont dans le besoin ou aux familles de littérateurs ou savants décédés ; subsides aux veuves et aux orphelins délaissés par les littérateurs Van Ryswyck, Vankerckhove, Gaucet, Denis Sotiau et H. Van Peene ; prix quinquennaux fondés par les arrêtés royaux du 1er décembre 1845, du 6 juillet 1851 et du 23 novembre 1859 ; encouragements à la littérature et à l'art dramatique (littéraire et musical) ; publication des Chroniques belges inédites ; table chronologique des chartes, diplômes, lettres patentes et autres actes imprimés, concernant l'histoire de la Belgique ; bureau de paléographie, publications de documents rapportés d'Espagne ; exécution d'une description géographique et historique du royaume de Belgique ; continuation de la publication des actes des états généraux de 1632 ; formation d'un tableau des anciennes assemblées nationales décrétée par l'arrêté royal du 27 décembre 1860 ; indemnités aux fonctionnaires et employés des archives générales du royaume, des archives provinciales et communales, qui ont concouru à la confection de ce travail, frais de publication du tableau des assemblées nationales et de la mise en lumière des actes de ces assemblées : fr. 103,600.

« Charge extraordinaire : fr. 30,380. »

M. Thonissenµ. - Il y a un an, l'honorable ministre de l'intérieur a accordé un subside de 3,000 fr. pour faire opérer des fouilles dans diverses grottes de l'arrondissement de Dinant. Je tiens à l'en féliciter, car ces fouilles ont conduit à des résultats dépassant toutes les prévisions.

Je demande à la Chambre la permission d'en dire quelques mots. Je serai très bref, car je sais que je ne parle pas ici dans une Académie. Des fouilles ont été faites dans trois grottes.

La première à été celle de Furfooz. Dans les couches supérieures, on a découvert quelques médailles romaines et plusieurs ornements celtiques ; plus bas, on a rencontré des couteaux et plusieurs autres instruments en silex, mêlés à des os visiblement travaillés de main d'homme ; plus bas encore, on a trouvé un amas considérable d'ossements fossiles, parmi lesquels figurent des débris de rennes, de cerfs, d'élans et de castors, outre un nombre considérable d'ossements de poissons et d'oiseaux dont la plupart n'existent plus dans nos parages.

Dans une deuxième grotte, celle de Montfat, on a découvert des ossements de lion, de mammouth, de rhinocéros et d'ours des cavernes d'une taille gigantesque.

Dans une troisième grotte voisine de la première, oh a trouvé les éléments de la solution d'un immense problème scientifique qui, depuis cinquante ans, préoccupe tous les cercles scientifiques de l'Europe. Au milieu d'un amas de pierres, violemment secouées par les eaux, dans une couche incontestablement vierge et contemporaine du dernier cataclysme qui a bouleversé la surface du globe, on a mis à nu des ossements humains appartenant à une douzaine d'individus, enfants et adultes, et entre autres deux crânes parfaitement conservés ; de sorte qu'il est prouvé, aujourd'hui, que l'espèce humaine vivait en Europa à l'époque où un dernier cataclysme est venu bouleverser sa surface.

M. Crombez. - Nous ne sommes pas ici une Académie.

M. Thonissenµ. - Je prie la Chambre de vouloir bien me laisser continuer. Les explications que je lui donne, vous le verrez, ont leur utilité.

Je constate donc qu'un simple secours de 3,000 fr. a amené ces magnifiques résultats, et je n'exagère pas en disant que, si le gouvernement voulait, par impossible, se défaire des objets recueillis, il en obtiendrait facilement une somme de 30,000 fr.

Je n'ai pas besoin, messieurs, de vous faire connaître les résultats de ces importantes découvertes. L'ethnographie, la paléontologie, la géologie y sont intéressées au plus haut degré. Il importe que ces fouilles, si bien commencées sous la direction de MM. Van Beneden et Dupont, soient continuées sur une vaste échelle. La Belgique a ici un héritage glorieux, à transmettre, Pour en fournir la (page 297) preuve, il me suffit de vous citer les noms de M. d'Omalius d'Halloy, de Smerling et de Dumont. Il importe que leurs bellles découvertes scientifiques soient complétées et défendues contre les attaques venant du dehors. Les intérêts matériels du pays eux-mêmes se trouvent ici en cause, et M. Crombez comprendra sans doute maintenant que je n'ai pas uniquement parlé comme un académicien ; les intérêts matériels du pays, dis-je, sont en cames. En effet, n'est-il pas évident que nos industries les plus importantes, ont des avautages réels à recueillir de la connaissance des causes qui ont successivement concouru à la formation du sol national ?

En Angleterre et dans l'Amérique du Nord, où l'action du gouvernement se trouve réduite à des proportions aussi étroites que possible, on a cependant créé de grands collèges géologiques subsidiés par le gouvernement. Leur mission consiste précisément à encourager mes fouilles, à examiner les résultats obtenus, et surtout à consigner, jour par jour, tous les faits nouveaux qui se rapportent à la constitution géologique du sol du pays.

Je. ne demande pas qu'en Belgique on établisse des collèges géologiques de ce genre. La classe des sciences de l'Académie royale peut en tenir lieu ; mais à la seule condition que des sommes suffisantes soient mises à la disposition de ceux de ses membres qui s'occupent spécialement de ces belles études.

J'ajouterai même qu'il importe de se hâter, parce qu'en Angleterre une société se forme dans le dessein de venir fouiller, pour son compte et pour la gloire de l'Angleterre, plusieurs cavernes des bords de la Meuse, appartenant malheureusement à des particuliers.

Je voudrais donc savoir si, dans les crédits qui figurent au chapitre XVIII de son budget, l'honorable ministre pourra trouver une somme de 10,000 fr., que je considère comme strictement indispens ble pour continuation de ces importantes recherches.

Il ne faut pas se faire illusion ; de telles recherches sont au-dessus des ressources des particuliers. Smerling avait à peine effleuré le sujet, et il s'y est ruiné.

Je désirerais donc, je le répète, savoir si l'on pourra prélever sur le chapitre XVIII une somme de 10,000 fr. Si l'honorable ministre répondait négativement, je présenterais un amendement destiné à amener ce résultat.

MpVµ. - Il y a un amendement dans ce sens déposé par M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je crois inutile de développer l'amendement que je viens de déposer sur le bureau.

A la fin de l'année dernière, un crédit m'a été demandé pour opérer des fouilles, il y avait quelque responsabilité à l'accorder, car rien ne faisait prévoir que ces fouilles dussent être heureuses ; mais depuis lors il a été constaté par tous les savants et notamment par l'Académie que les résultats obtenus dépasseront toute attente. Je ne suis pas compétent pour juger de la valeur des objets trouvée, mais d'après l'éloge qui en a été fait par l'Académie, je dois croire qu'ils en ont une réelle.

Si un crédit spécial ne figure pas au budget pour la continuation de ces fouilles, c'est parce que, à l'époque où ce budget a été présenté, j'ignorais encore quel pouvait être le résultat de ces recherches. Mais aujourd'hui que ces résultats sont connus et que j'ai même reçu une évaluation des dépenses qui devraient être faites en 1865, tant pour les fouilles que pour l'impression et la publication de documents qui s'y rapportent, j'ai cru devoir déposer sur le bureau de la Chambre un amendement tendant à augmenter de 10,000 fr. le chiffre de l'article 102 du budget. Dans ce chiffre est comprise une part pour accorder une juste rémunération ou des indemnités à ceux qui en méritent.

M. Dumortier. - Je n'ai que deux mots à dire.

Je remercierai d'abord M. le ministre de l'intérieur de l'initiative qu'il a prise ; je ne saurais assez lui en exprimer ma reconnaissance comme ami des sciences, car les découvertes faites dans les environs de Dinant sont, sans conteste, les plus remarquables qui aient été faites depuis un siècle en Europe.

il est indispensable que la Belgique ne laisse pas l'étranger s'emparer de telles richesses, car ces découvertes doivent avoir pour résultat de résoudre une foule de questions qui se rapportent à la première constitution de l'humanité dans nos provinces, et veuillez-le remarquer, la Belgique est le pays le mieux doté sous ce rapport. Nulle part on n'a trouvé rien de comparable soit dans les environs d'Anvers, soit sur les bords de la mer.

Je désire que M. le ministre veuille bien continuer à encourager ces recherches, et notre m'uée national sera le plus remarquable de l'Europe en ce qui concerne le monde antédiluvien,

Je ne doute pas que la Chambre ne s'empresse d'adopter l'amendement présenté par M. le ministre.

M. Hymans. - J'avais demandé la parole pour féliciter également M. le ministre de l'intérieur de l'amendement qu'il a déposé sur le bureau, mais il m'avait semblé qu'il y avait moyen d'accorder des encouragements pour les fouilles à moins de frais en reportant les 6,000 fr. de l'article 110 à l'article 102.

Quant au crédit de 6,000 francs demandé pour la société des Bollandistes, j'en propose formellement la suppression. Je développerai en très peu de mots ma proposition.

MpVµ. - Nous sommes à l'article 102, et voire amendement s'applique à l'article 110.

M. Hymans. - Je demande le transfert du crédit de 6,000 francs de l'article 110 à l'article 102 ; il y a donc lieu de réunir les deux articles dans la discussion ; de même qu'on a discuté l'article Voirie vicinale à propos de l'article Haras. Du reste, nous sommes dans la discussion générale du chapitre des lettres.

MpVµ. - M. Hymans, vous ne proposez pas une diminution sur les 10,000 fr. demandés par M. le minière de l'intérieur ?

M. Hymans. - Non, M. le président.

MpVµ. - Eh bien, laissez voter l'article 102, et si la Chambre vote le transfert que vous proposerez, lorsque nous serons arrivés à l'article 110, le crédit de l'article 102 sera augmenté d'autant.

M. Hymans. - Soit !

- L'article 102, modifié comme le propose M. le ministre de l'intérieur, est mis aux voix et adopté.

Articles 103 à 107

« Art. 103. Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique ; subsides extraordinaires à l'Académie royale de Belgique, afin de la mettre à même d'augmenter le chiffre des prix pour les principales questions portées aux programmes de ses concours ; publication des anciens monuments de la littérature flamande et d'une collection des grands écrivains du pays ; publication d'une biographie nationale ; publication d'un texte explicatif de la carte géologique de la Belgique : fr. 43,963.

« Charge extraordinaire : fr. 19,200. »

- Adopté.


« Art. 104. Observatoire royal ; personnel : fr. 18,540. »

- Adopté.


« Art. 105. Observatoire royal ; matériel et acquisitions : fr. 8,060. »

- Adopté.


« Art. 106. Bibliothèque royale ; personnel. Frais de la fusion des trois fonds de la bibliothèque royale et frais de la rédaction du catalogue général : fr. 41,450. »

- Adopté.


« Art. 107. Bibliothèque royale ; matériel et acquisitions ; dépenses extraordinaires pour l'ameublement des salles où sont conservées les collections d'estampes : fr. 33,320.

« Charge extraordinaire : fr. 5,000. »

- Adopté.

Article 108

« Art. 108. Musée royal d'histoire naturelle ; personnel. 11,255. »

M. Funckµ. - Messieurs, le public en général et les savants en particulier se plaignent de l'état où se trouve le musée d histoire naturelle. J'ai ici une note assez longue qu'on m'a communiquée. Mais comme la Chambre désire en finir, je lui demande l'autorisation de faire insérer cette note aux Annales parlementaires. (Oui ! oui !) Et j'en recommande le contenu à toute la sollicitude de M. le ministre de l'intérieur.

Voici cette note.

« D'après la loi de 1842 les bâtiments de la place du Musée appartenant à la ville ont été cédés à l'Etat ; celui-ci est devenu propriétaire du contenant et du contenu en même temps.

« Les grands musées que la ville de Bruxelles possédait et administrait se trouvent par cette loi changés de possesseur sans que leur existence comme collection publique dans la ville de Bruxelles ait été modifiée ta quoi que ce soit.

« Ces collections n'ont pas seulement une grande valeur scientifique, maïs elles ont une valeur pécuniaire beaucoup plus considérable qu'on ne se l'imagine d'ordinaire.

« Il m'est impossible d'en énumérer d'une manière complète la composition ; mais je peux indiquer :

« 1° La collection de minéralogie dite de la princesse d'Orange, collection presque unique dam son genre et qu'on estimait 100,000 fr.

(page 298) « 2° Une autre collection de minéralogie présentant, par échantillons, toutes les couches géologiques du pays en général et des provinces de Hainaut et de Liège en particulier

« 3° Une collection d'insectes exotiques venant du gouvernement hollandais, très estimée et fort considérable.

« 4e Une collection des insectes du pays provenant, d'un collectionneur du Hainaut, ayant une valeur historique fort grande.

« 5* La collection des papillons exotiques achetée par le gouvernement à la mortuaire de feu Robyns. Cette collection est fort belle et très bien conservée. Cette acquisition a pu s'exécuter dans des conditions favorables parce que les amateurs du pays ont renoncé à faire des offres pour posséder personnellement une collection qu'on projettait de mettre à leur disposition en l'exposant au Musée.

« 6° Une collection d'oiseaux fort remarquable et d'une valeur au moins de 100,000 francs.

« 7° Une collection de squelettes très considérable, aussi bien de mammifères que d'oiseaux.

« 8° Une collection de mammifères édentés, une des plus complètes qui existe et qui contenait des pièces des plus rares et des plus remarquables d'un prix inestimable.

« 9° Une collection de mammifères empaillés.

« 10° Une collection de pièces anté- et circo- diluviennes incomplète, il est vrai, mais contenant des pièces uniques parmi d'autres pièces fort remarquables.

«Voilà, messieurs, en somme de quoi est constitué le musée de Bruxelles.

« Le prix d'acquisition de ces trésors doit avoir dépassé 1,000,000 fr. ; l'Etat, devenant acquéreur, a nommé, pour la conservation de la collection, une commission administrative, un directeur et un conservateur. Leur traitement se trouve indiqué sur le budget depuis vingt ans.

« La commission existe, mais il y a des doutes graves dans le public sur l'existence des collections.

« Depuis dix-huit ans, les objets d'histoire naturelle ont été retirés insensiblement des salles publiques et aujourd'hui on montre une petite collection mal tenue et mal soignée qui fait peu d'honneur à la capitale du pays.

« Si le gouvernement faisait vendre en place publique tout ce qui est xiposé dans ces deux chambres, il n'obtiendrait pas grand-chose pour tout son musée.

« A différentes reprises, des particuliers ont fait des réclamations contre cet état de choses, car en 1852 tout avait à peu près disparu. Enfin, en 1859, des réclamations nouvelles et réitérées ont été faites. Voici la réponse qui a été faite aux réclamants par M. du Bus.

« Bruxelles, 21 janvier 1860.

« Monsieur le président,

« Par vos lettres des 20 octobre et 3 décembre dernier, vous avez bien voulu me demander de permettre aux membres de votre société de visiter les collections entomologiques du musée de l'Etat.

« Quel que soit mon désir de faciliter l'accès de toutes les collections, non seulement aux membres des sociétés savantes, mais aussi à tous les naturalistes, je regrette que, par suite de circonstances indépendantes de ma volonté, il soit impossible, pour le moment, de satisfaire à votre demande.

« Immédiatement après l'achat de la collection Robyns, M. le conservateur Schuermans fut chargé de s'occuper de la fusion des divers fonds dont se composait la collection entomologique du Musée. Malheureusement le décès regrettable de ce zélé fonctionnaire vint interrompre ce travail à peine commencé. Privé alors de toute assistance, mes soins durent se borner à la conservation matérielle de la collection. La nomination récente d'un conservateur a permis de reprendre ce travail et, comptant sur l'activité qu'il apportera dans l'accomplissement de sa mission, j'espère pouvoir bientôt faire droit à votre réclamation Je m'empresserai donc, monsieur le président, de vous prévenir successivement dès que chaque famille aura été groupée, sans attendre même qu'il ait été procédé à une classification définitive.

* Toutefois, je ne puis vous laisser ignorer que l'un des motifs qui ont empêché jusqu'ici de montrer les collections subsiste toujours : je veux parler de l'absence d'un local consacré à cet usage, car la seule petite pièce dont il a été permis de disposer est à peine suffisante pour contenir les boîtes de la collection et l'on ne peut sérieusement songer à y admettre les visiteurs. »

« L'année passée, l'honorable M. Van Humbeeck a bien voulu appeler l'attention du gouvernement sur ce point.

« L'honorable ministre de l'intérieur n'est pas resté sans faire attention à cette réclamation ; nous croyons savoir que des architectes ont été chargés d'inspecter les salles et que leurs conclusions sont telles, qu'il aurait déjà fallu commencer, mettre en ordre les collections et admettre le public, les locaux ayant été trouvés suffisants et en bon état. Quoi qu'il en soit de cette décision, il serait facile d'exposer dans des chambres vides aujourd'hui ; il y en a 7 au second étage du Musée, parfaitement aptes à la conservation des collections, parfaitement abordables à un public scientifique et même à de simples curieux.

« Les frais d'ameublement qui seraient nécessités par ce transport ne pourront jamais excéder la somme de 2,000 francs. La dégradation que subissent les collectious de cette nature par le seul fait de n'être pas exposées, excède tous les ans de beaucoup cette somme.

« Un autre fait qu'on me signale, et regrettable s'il est exact, s'est passé à Anvers.

«Le génie militaire, en faisant établir les fosses de l'enceinte continue, a rencontré un gîte de restes circa diluviens, des ossements de dauphins, de poissons et des coquillages en quantités énormes, et comme on en a rarement rencontré. Cette découverte fut l'objet d'une grande joie pour les amateurs et les savants, mais elle fut aussi l'objet d'un grand étonnement, quand on a su que défense était faite aux officiers de prendre, soit pour eux soit pour des amis, quoi que ce soit des ossements ou des coquillages.

« M. le directeur du Musée a eu seul l'autorisation d'en prendre ; il en a emballé pour lui, une grande quantité, une cinquantaine de charrettes, peut être plus ; mais quand il s'est déclaré satisfaisant, on n'a permis à qui que se soit de s'emparer du reste. L'ordre a été donné de rejeter tout bonnement et de réenterrer ce que M. le directeur du Musée avait méprisé.

« Les miettes de la table du gouvernement n'ont pas même pu être ramassées par les amateurs du pays, et pourtant ce n'est pas là le fait dont il faut se plaindre le plus ; on se plaint surtout de ce que les cinquante charrettes soient bien parties d'Anvers, mais personne ne sait au juste à quelle destination elles sont arrivées ; au Musée on n'en a pas vu trace. Se trouvent-elles à la maison du conservateur ? On ne le sait pas. Mais il est constant que quand un gouvernement prend possession par son autorité de trésors d'histoire naturelle de cette valeur, le gouvernement les doit au public, et si l'on veut attendre que les savants qu'il désigne aient pris le temps de les classer et de les mettre en ordre, on commet un acte préjudiciable à la science lorsqu'on ne les expose pas. Si depuis deux ans ces ossements avaient été exposés de manière que de jeunes savants eussent pu en approcher, non seulement la classification de ces animaux serait faite depuis longtemps, mais le gouvernement n'aurait pas privé de jeunes docteurs en sciences d'une occasion unique, peut-être, de s'instruire. »

Je recommande ces faits qui me sont signalés à toute la sollicitude de M. le ministre de l'intérieur, et je le prie de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un état de choses dont les savants se plaignent à juste titre.

M. Dumortier. - Messieurs je ne connais pas la noie dont l'honorable M. Funck vient de parler ; mais ce que je puis affirmer, c'est que le musée d'histoire naturelle est dans un état complètement satisfaisant et qu'il ne laisse rien à désirer.

- L'article 108 est mis aux voix et adopté.

Article 109

« Art. 109. Musée royal d'histoire naturelle ; matériel et acquisitions : fr. 7,000. »

- Adopté.

Article 110

« Art. 110. Subside à l'association des Bollandistes pour la publication des Acta Sanctorum, charge extraordinaire : fr. 6,000. »

MpVµ. - C'est à l'article 110 que se rattache l'amendement de M. Hymans.

M. Kervyn de Lettenhove. - Ne pourrait-on pas remettre la discussion de cet article à demain ?

M. Hymans. - Messieurs, les développements que j'aurai à donner seront très brefs, et si l'honorable M. Kervyn désire ne me répondre que demain, je ne demande pas mieux que la Chambre l'y autorise.

Messieurs, depuis quelque temps nous sommes entrés dans une voie nouvelle ; la Chambre paraît disposée à supprimer toutes les primes ; nous avons supprimé la chaux que l'on a donnée depuis de longues années, à prix réduit, aux cultivateurs du Luxembourg ; à droite, appuyant cette économie, on a dit que l'élan étant donné pour l'emploi de la chaux il devenait parfaitement inutile que le gouvernement continuât ce mode d'encouragement à l'agriculture ardennaise.

Je dirai de même pour le crédit qui figure à l'article 110 du budget. Je ne m'occuperai pas du mérite de l'œuvre des Bollandistes ; nous avons (page 299) suffisamment discuté cette question, il y a deux ou trois ans. Je me place à un point de vue plus élevé et que la Chambre appréciera mieux.

Je comprends qu'à l'époque où l'on a repris la publication des Acta Sanctorum, on ait pu croire devoir donner un encouragement aux Jésuites chargés de cette publication, qu'en un mot on ait cru devoir faciliter leurs travaux.

Aujourd'hui, comme pour l'emploi de la chaux dans les Ardennes, l'élan est donné, et je crois que l'ordre des jésuites - car en définitive les Bollandistes ne sont pas autre chose que des membres de la compagnie de Jésus - je crois que l'ordre des jésuites peut se passer d'un subside de 6,000 fr. par an. L'ordre des jésuites est assez riche pour payer sa gloire ; il l'est même assez pour ne pas devoir bâtir des églises avec l'argent que le gouvernement lui donne pour faire des livres.

Depuis 1836 le crédit dont il s'agit est inscrit au budget de l'intérieur ; depuis 1836, c'est-à-dire pendant 28 ans, nous avons payé 6,000 fr. tous les ans, aux jésuites, et pour ces 28 fois 6,000 fr., ils nous ont donné deux ou trois volumes ; j'ai prouvé, dans une circonstance précédente, que personne ne les lisait.

J'ai fait connaître à la Chambre qu'on avait remis à la bibliothèque royale deux ou trois fois les mêmes volumes de la réimpression de l'ouvrage, sans que personne s'en fût aperçu. La supercherie était le fait d'un imprimeur, je le reconnais, mais vous ne l'avez pas trouvée moins significative.

Je prévois qu'on va m'opposer des raisons tirées de l'intérêt de la science ; je ne veux rien dire de blessant pour cet intérêt respectable, j'admire de loin l'œuvre des Bollandistes ; je considère leurs livres comme étant de ceux dont un auteur disait qu'on s'incline devant pour ne pas s'incliner dessus.

Je respecte, d'autre part, le zèle pieux qui peut engager des corporations religieuses à ériger des monuments en l'honneur de la foi dont elles se disent les soutiens. Mais il n'est pas du devoir du gouvernement, dans un pays constitutionnel, d'intervenir pécuniairement dans des publications de ce genre. Il n'est pas non plus, selon moi, de notre devoir, ni même de notre droit d'employer les deniers des contribuables à ériger des monuments à la gloire d'un culte.

Messieurs, je n'avais pas l'intention de faire aujourd'hui ma proposition ; si je l'ai présentée à cette heure tardive, c'est à cause des citations que nous a faites tout à l'heure l'honorable M. Bara, et qui m'ont indigné profondément. J'ai fait, à propos de ce livre, cette réflexion toute naturelle : Nous sommes bien loin de nous étonner, après tout, que dans les écoles normales on mette de pareils livres entre les mains de ceux qui seront appelés un jour à donner l'éducation et l'instruction à nos enfants ; alors que le gouvernement paye une association religieuse qui ne fait pas autre chose, qui fait métier de publier de pareilles attaques, de pareilles appréciations de cultes libres dans un pays de tolérance ! Au nom de ce principe de tolérance, je propose de consacrer à un autre usage le crédit de 6,000 fr., porté à l'article 110.

Le budget des lettres n'est pas destiné à subsidier des corporations qui sont plus riches que l'Etat, qui disposent d'un budget plus élevé que le sien. (Interruption.) Cela est parfaitement prouvé. Je n'ai pas besoin d'insister sur ce point. L'opinion du pays est faite à cet égard.

Comme je ne veux pas qu'on puisse m'accuser de mépris pour la science, je propose de maintenir le chiffre au budget, mais de le consacrer à l'achat de livres pour les bibliothèques. Le gouvernement fera de ce fonds l'emploi qu'il jugera convenable ; s'il croit devoir acheter quelques volumes des Acta Sanctorum, il le fera ; mais du moins l'on ne verra plus figurer, au budget d'un pays qui n'a pas de religion d'Etat, un crédit destiné à exalter la gloire d'un culte au détriment de tous les autres.

MpVµ. - C'est un changement de libellé que vous proposez ; veuillez-le faire parvenir au bureau.

M. Hymans. - Je propose le libellé suivant : « Achat de livres pour les bibliothèques publiques. »

M. Thonissenµ. - L'honorable M. Hymans prend vraiment aujourd'hui une attitude singulière.

Dans cette enceinte, il attaque l'œuvre des Bollandistes comme une œuvre dépourvue de mérite, comme une œuvre niaise, remplie d'absurdités, ce sont les termes mêmes dont l'honorable M. Hymans s'est servi. Il ne se contente pas de cela. En dehors de cette enceinte (c'est son droit, je le sais bien), il produit les accusations les plus graves et les plus multipliées contre l'œuvre des Bollandistes. Pendant trois ou quatre années, il lui fait une guerre acharnée ; il la dénigre de toutes les manières, et aujourd'hui, devant la Chambre, devant tout le pays, quand il demande qu'on supprime le subside, que vient-il dire ? Il vient dire qu'il n'attaque pas l'œuvre, qu'il reconnaît même son mérite, mais qu'il demande la suppression du subside parce qu'on a supprimé la distribution de la chaux à prix réduit dans le Luxembourg !

Pendant des années, l'honorable M. Hymans répand des préjugés contre cette œuvre ; il s'efforce de faire croire qu'elle n'a aucune espèce de mérite ; que c'est une œuvre inutile, qui ne peut contribuer en rien à la gloire du pays, qui plutôt l'abaisse.

Et lorsque le public est imbu de cette idée, l'honorable membre vient dire : « Quant au mérite de l'œuvre, je ne le nie pas ; je demande seulement qu'on supprime les 6,000 fr. de subside, parce qu'on a supprimé la distribution de la chaux dans le Luxembourg l »

Eh bien, je ne lui laisserai pas prendre ce rôle, je lui prouverai qu'il est injuste au premier chef envers l'œuvre des Bollandistes. Je ne suis pas préparé à répondre à l'honorable M. Hymans, mais je citerai quelques faits qui vous montreront comment, à l'étranger, on juge cette œuvre qu'à notre honte, en Belgique, on dédaigne devant tout le pays.

Il n'y a pas longtemps, l'honorable M. Hymans, dans cette enceinte, ridiculisait l'œuvre des Bollandistes, il la traitait d'œuvre niaise.

Eh bien, la semaine même où ces mots tombaient de la tribune nationale, M. Renan écrivait à un célèbre professeur de Florence que je pourrais nommer, que tous ceux qui désormais voulaient connaître l’histoire da l'Eglise en Asie, devaient lire et relire les travaux d'un Illustre bollandiste belge. Et qui était ce bollandiste? C'était l'homme que l'honorable M. Hymans accusait de se complaire dans des niaiseries, de ne dire que des absurdités ; c'était le R. O. Carpentier ! Ainsi M. Renan nomme illustre un bollandiste belge; il exalte son travail ; il y voit un des documents les plus précieux pour l'histoire de l'Eglise d'orient ; et tandis que M .Renan, qui ne peut pas être suspect de cléricalisme, tient ce langage, un représentant belge, du haut de la tribune, traite cet homme d'inepte et de niais. Est-ce là de l'équité ? Est-ce là de la science ? Est-ce là du patriotism?

M. Hymans. - Je n'ai pas dit un mot de ce que vous me faites dire.

M. Thonissenµ. - Vous avez dit qu'il écrivait des niaiseries, ou vous vous êtes servi d'un terme équivalent. Ne disputons pas sur les mots.

Qu'avez-vous fait ailleurs ? Vous me permettrez bien d'en dire un mot.

Vous avez dit que les Bollandistes actuels comprennent mal leur mission ; qu'ils n'étaient pas les dignes successeurs de leurs devanciers ; que les Bollandistes anciens n'étaient pas des hommes s'inclinant aveuglément devant les papes, qu'ils ne mettaient pas en tête de leurs volumes la déclaration qu'ils n'étaient que des hommes faillibles, pouvant se tromper et se soumettant en tout au jugement du saint-siège. Eh bien, ouvrez l'œuvre ancienne, et que verrez-vous à la première page ? Absolument la même déclaration que l'honorable M. Hymans critique.

Eh bien, au moment où l'on tenait ce langage en dehors de cette enceinte, un Anglais, un membre libéral du parlement...

M. Hymans. - Rambler.

M. Thonissenµ. - ... Non pas Rambler, mais M. Acton, membre libéral du parlement, dans une revue anglaise hautement estimée, disait ceci aux nouveaux Bollandistes : « Comment ! vous laissez réimprimer l'œuvre de vos devanciers sans la changer ? Ils n'avaient pas la haute critique, ils n'avaient pas les connaissances historiques que vous possédez. Faites la révision de ces volumes ; ne laissez pas réimprimer purement et simplement l'œuvre imparfaite de vos devanciers. » Et pendant nue, dans ce recueil, on rendait ainsi hommage à la science de compatriotes qui portent, il est vrai, l'habit religieux, l'honorable M. Hymans représentait leurs œuvres comme dépourvues de toute critique historique, de tout mérite scientifique.

On a fait de singuliers reproches aux Bollandistes. On les a traités d'ignorants ; on a dit qu'ils ne connaissaient pas les sources historiques. On leur a dit notamment : Vous ne connaissez pas les biographies anonymes publiées en Italie au XVème siècle, vous ne connaissez pas les Comacula publiés en 1478.

M. Voigt, écrivain allemand, que l'honorable M. Hymans croyait être le célèbre historien-auteur de la vie de Grégoire VII, mais qui n'est qu'un critique de troisième ou de quatrième ordre avait écrit : Vous ne connaissez pas la biographie italienne publiée Comacula. Or, Comacula désigne une ville de l'Etat de Ferrare, et l'honorable M. Hymans transforme la ville de Comachio en livre et en fait un recueil historique !

M. Hymans. - Voulez-vous me permettre un mot ? J'ai été mystifié par un moine. (Interruption.)

M. Thonissenµ. - Comment vous, député libéral, vous vous laissez (page 300) mystifier par un moine ? Et c'est en vous appuyant sur une mystification que vous critiquez des hommes honorables, des savants auxquels l'Europe rend hommage !

Je be vous en fais pas mon compliment.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Thonissenµ. - Messieurs, comme vous êtes fatigués, je ne sortirai plus de cette enceinte ; mais permettez-moi de répondre à une observation que vient de faire l'honorable M. Hymans.

L’honorable membre a dit : « Les jésuites ont publié six volumes, et ces six volumes ont coûté 40,000 fr. »

M. Hymans. - Beaucoup plus que cela.

- Un membre. - 140,000 fr.

m. Bouvier.—On aurait fertilisé une province avec cela.

M. Thonissenµ. - L'honorable M. Bouvier doit savoir que, s'il est bon de fertiliser la terre, il est bon aussi de fertiliser les intelligences.

L'honorable M. Hymans a donc dit que l'œuvre des Bollandistes nous a coûté 140,000 fr. et que pour cette somme on nous a fourni 6 volumes.

Mais l'honorable M. Hymans n'a pas songé à la dépense triple et quadruple qu'on a dû faire pour la rédaction de ces six volumes sur lesquels il dit, en termes polis, que l’on s'endort. Eh bien, messieurs, voici ce qu'il a fallu faire pour arriver à ces 6 volumes.

Quand les Bollandistes ont reçu du gouvernement la mission de continuer l'œuvre de leurs devanciers, la. bibliothèque avait complètement disparu ; il n'en restait pas un seul volume.

Il a fallu créer une nouvelle bibliothèque, qui est aujourd'hui la seule de son genre qui existe en Europe. Elle renferme 40,000 à 50,000 volumes, non pas des volumes ordinaires qu'on trouve partout, mais des volumes offrant tous un caractère spécial. Il y en a 3,000 sur l'Allemagne, 3,500 sur l'Italie et davantage encore sur la France. Tous ces volumes sont des monographies, des vies d'hommes célèbres, des histoires de villes, des biographies de saints, des histoires d'évêchés et d'abbayes, etc.

Mais, dit-on, les jésuites sont riches ; je ne sais pas ce qui en est, je ne suis pas dans leurs secrets...

M. Bouvierµ. - 'est le secret de tout le monde.

M. Thonissenµ. - ... mais ce qui est certain, c'est que cinq ou six personnes s'occupent de cette œuvre, et que ce n'est pas une œuvre que les jésuites sont obligés de faire ; c'est une œuvre qui nous honore et qui offre incontestablement un caractère national.

Il y a eu dans l'Europe entière des protestations partant de tous les cercles scientifiques, en Allemagne, en France, en Angleterre, quand l'honorable député de Bruxelles est venu pour la première fois l'attaquer dans cette enceinte.

Voici, messieurs, l'engagement que je prends : Si l'honorable M. Hymans veut reproduire ses accusations une à une, je m'engage à lui répondre sur tous les points et à lui prouver, sans nier sa bonne foi, qu'il a été injuste envers les Bollandistes et envers leur œuvre.

- La clôture est demandée.

M. Kervyn de Lettenhove (contre la clôture). - Je désire démontrer en quelques mots que si le bollandisme est proscrit en Belgique, il trouvera dans un pays voisin un accueil qui sera notre honte.

Je me crois autorisé à répéter ici une déclaration qui vient d'une source des plus élevées et qui serait de nature à faire réfléchir la Chambre.

Je demande à la Chambre.au nom de tous les services que j'ai pu rendre à l'histoire nationale, la permission de plaider devant elles le maintien, la conservation d'un monument qui remonte à près de trois siècles.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

MpVµ. - On n'insiste pas sur la clôture ?

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Kervyn de Lettenhove. - J'abrégerai autant que possible, mais je ne puis cependant supprimer certaines considérations, il m'est impossible de ne pas jeter un coup d'œil en arrière sur l'histoire du bollandisme.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Thibaut (pour une motion d'ordre.) - Je propose à la Chambre de décider qu'il y aura une séance ce soir.

- Cette proposition est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

Rapport sur des pétitions

M. de Rongé, au nom de la commission d'industrie, dépose le rapport sur des pétitions demandant la réduction des péages sur les voies navigables.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et je met à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à 5 heures.