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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 21 décembre 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 259) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 1/4heures ; il fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Wielemans Van Cauter demande l'abolition des droits d'accise sur la bière indigène. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des bateliers demandent : 1° la suppression ou du moins la réduction des péages sur les voies navigables ; 2° la diminution du droit de patente et l'égalité des c'asses ; 3° l'achèvement complet des travaux que nécessite la canalisation de l'Escaut et de la Lys. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Ruysselede prient la Chambre d'accorder au sieur Hoyois la concession d'un chemin de fer de Roulers à Zelzaete avec les extensions qu'il a demandées. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Chaumont-Gistoux demandent que le sieur Latour n'obtienne la concession d'un chemin de fer de Hal à Chokier qu'à la condition de faire passer cette ligne sur le territoire de leur commune. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires et locataires de parties de terre emprises ou qui seront emprises pour la construction des chemins de fer de Hal à Ath et de Braine-le-Comte à Gand, réclament l'intervention de la Chambre pour que les concessionnaires de ces lignes observent, à leur égard, les prescriptions de l'article 11 de la Constitution et celles de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. »

- Même renvoi.


« La dame Hustine, veuve du sieur Vandebavière, décoré de la croix militaire de Guillaume en 1815, demande la pension dont jouissent les veuves des anciens légionnaires. »

- Même renvoi.


« Par message du 20 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté te budget de la dette publique pour 1865. »

- Pris pour notification.


« Il est fait hommage à la Chambre :

« Par la fédération des sociétés horticoles de Belgique, d'un exemplaire du congrès international d'horticulture réuni à Bruxelles en 1864. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Poucet fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires d'une brochure relative au projet de chemin de fer direct de Bruxelles à Aix-la-Chapelle, dont il a demandé la concession. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.

Ordre des travaux de la chabre

M. de Theuxµ. - Messieurs, il est d'usage, lorsqu'il s'agit d'examiner en sections un projet de loi d'une grande importance, d en avertir quelques jours d'avance.

Je crois qu'il y aura lieu d'examiner prochainement la loi sur les fraudes électorales. Ce projet est évidemment d'une grande importance. Je proposerai à la Chambre d'en fixer l'examen en sections au premier mercredi après la rentrée des vacances.

Il est probable qu'après la discussion du budget de l'intérieur, on ne s'occupera plus de choses bien importantes avant la vacance qu'il est dans les usages de la Chambre de prendre à la Noël.

- La proposition de M. de Theux est adoptée.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Mouton, M. Bouvierµ, M. Hymans, M. Bara et M. Thienpont déposent des rapports de la commission des naturalisations sur diverses demandes de naturalisation ordinaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les mets la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi relatif au sens d’éligibilité pour le sénat

Communication du sénat

MpVµ. - J'ai reçu du Sénat la dépêche suivante :

« Bruxelles, le 10 décembre 1864.

« Monsieur le président,

« Nous avons l'honneur de vous faire connaître que dans sa séance du 19 décembre 1855, le Sénat a adopté un projet de loi tendant à modifier la loi électorale relativement au cens d'éligibilité pour le Sénat.

« Ce projet de loi se trouve dans les archives de la Chambre.

« Il a fait l'objet de nos messages du 19 décembre 1855 et 11 novembre 1858.

« Agréez, M. le président, l'assurance de notre haute considération.

« Le président du Sénat,

« Prince de Ligne.

« Les secrétaires, Baron de Rasse, Comte de Looz. »

Ce projet de loi du Sénat, déjà renouvelé à la suite d'une première dissolution de la Chambre, a été renvoyé à l'ancienne section centrale complétée en 1858 par le bureau.

Je propose à la Chambre de renvoyer le projet à la même section centrale qui se trouve complète.

- Cette proposition est adoptée.

MpVµ. - Cette section centrale se compose de MM. Muller, de Naeyer, Nothomb, Julliot, De Fré, Tack et Guillery.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1865

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XI. Instruction publique. Enseignement supérieur

Articles 77 à 83

« Art. 77. Dépenses du conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur : fr. 4,000. »

- Adopté.


« Art. 78. Traitement des fonctionnaires et employés des deux universités de l'Etat : fr. 736 790. »

- Adopté.


« Art. 79. Bourses. Matériel des universités : fr. 142,710.

« Charge extraordinaire : fr. 10,840. »

- Adopté.


« Art. 80. Frais de route et de séjour, indemnités de séance des membres des jurys d'examen pour les grades académiques, pour le titre de gradué en lettres et pour le grade de professeur agrégé de l'enseignement moyen de l'un et de l'autre degré, et pour le diplôme de capacité relatif à l'enseignement de la largue flamande, de la langue allemande et de la langue anglaise, et pour le diplôme de capacité à délivrer aux élèves de la première commerciale et industrielle des athénées ; salaire des huissiers des jurys, et matériel : fr. 175,225. »

- Adopté.


« Art. 81. Dépenses du concours universitaire. Frais de publication et d'impression des Annales des universités de Belgique : fr. 10 000. »

- Adopté.


« Art. 82. Subsides pour encourager la publication des travaux des membres du corps professoral universitaire et pour subvenir aux frais des missions ayant principalement pour objet l'intérêt de cet enseignement : fr. 12 000. »

- Adopté.


« Art. 83. Frais de rédaction du cinquième rapport triennal sur l'enseignement supérieur, fourniture d'exemplaires de ce rapport pour le service de l'administration centrale (article 30 du titre premier de la loi du 15 juillet 1849) ; charge extraordinaire : fr. 7 000. »

- Adopté.

Chapitre XVI. Enseignement moyen

Article 84

« Art. 84. Dépenses du conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen : fr. 5,000. »

M. Giroulµ. - Messieurs, à propos du chapitre de l’enseignement moyen, je viens appeler l'attention de M. le ministre de l’intérieur sur une lacune regrettable qui existe depuis quelques années dans les matières appelées aux concours entre les athénées et collèges. Je veux parler des études historiques. A cet égard je crois que quelques détails rétrospectives ne seront pas déplacées ici et seront de nature à intéresser la Chambre.

Je veux parler des vicissitudes éprouvées par cette matière tant en ce qui concerne le grade d'élève universitaire qu'en ce qui concerne les concours généraux.

Vous savez, messieurs, qu'à la suite du vote da la loi sur l'enseignement moyen, le grade d'élève universitaire fut institué comme couronnement des études moyennes et comme épreuve pour l'admission à l'université.

Parmi les matières obligatoires de l'examen d'élève universitaire se trouvait toute l'histoire, divisée en trois périodes, plus l'histoire de la Belgique.

Vous savez également qu'en 1854, après trois ans d'essais, une réaction s'est opérée contre la réforme introduite en 1851 dans l'enseignement moyen. On trouvait dans le grade d'élève universitaire une entrave à la libre carrière des jeunes gens, on trouvait que ce grade, comme couronnement des études moyennes, empêchait l'accès à l'enseignement supérieur et, sur la proposition de M. Verhaegen, dans le cours de la session 1854-1855, l'assemblée décida un peu ex abrupto la suppression du grade d'élève universitaire.

La situation créée par ce vote ne pouvait durer, et vers 1858 ou 1859 on revint à la situation de 1851, en créant, comme équivalent au grade d'élève universitaire, le grade de gradué en lettres ; mais, en rétablissant cet examen, on fit disparaître des matières sur lesquelles il avait porté tout ce qui concernait les études historiques.

Ainsi, plus d'histoire nationale, plus aucune espèce d'enseignement au point de vue de l'histoire universelle.

On exigea, pour être admis à cet examen, un certificat émanant de l'établissement dans lequel les jeunes gens avaient étudié, certificat constatant qu'on avait fait un cours complet d'humanités, qu'on avait suivi les cours de latin, les cours de grec, les cours de français, mais en matière d'études historiques on n'exigea absolument rien. On n'en dit plus un mot.

Voilà la situation créée pour l'examen d'élève universitaire en ce moment-ci. Pour arriver à un changement en cette matière, je reconnais qu'une loi serait nécessaire et que M. le ministre de l'intérieur ne pourrait, de sa propre initiative, arriver à corriger cet état de choses, qui, selon moi, est excessivement regrettable.

Mais, en matière de concours généraux, la même marche a été suivie, et, sous ce rapport, M. le ministre de l'intérieur peut corriger immédiatement, par sa seule volonté, l'état de choses actuel.

L'honorable M. Rogier, en 1849, je pense, a établi entre les établissements d'enseignement moyen, notamment entre les dix athénées de l'Etat, un concours annuel.

Au nombre des matières faisant l'objet de ce concours figuraient l'histoire de Belgique et une question sur l'histoire universelle. En 1854, sons l'empire des idées qui dominaient alors et qui avaient amené la suppression du grade d'élève universitaire, les matières historiques furent supprimées du concours annuel entre les établissements d'enseignement moyen.

J’en excepte toutefois une question sur l’histoire ancienne, soumise aux élèves de 4ème latine et aux élèves de 3ème professionnelle. Mais l’histoire du moyen âge, l’histoire moderne et l’histoire de Belgique, messieurs, sont complètement supprimées et ne figurent plus dans les matières sur lesquelles les élèves sont appelés à concourir chaque année, quoique ces matières soient enseignées d’une manière complète dans les établissements de l’Etat.

Cette situation a créé pour les études historiques un état d'infériorité excessivement regrettable, d'autant plus que notre loi sur l'enseignement supérieur arrive également dans ce moment à négliger complétement les études historiques. Lors du dernier remaniement des matières des examens de philosophie et des autres examens, les études historiques ont encore été sacrifiées, et de matières obligatoires qu'elles étaient sont devenues de simples matières à certificats.

Dans cette situation voici ce qui peut arriver. Un jeune homme peut arriver à l'université sans connaître absolument rien de l'histoire du moyen âge, rien de l'histoire de Belgique et n'ayant que des notions superficielles en matière d’histoire ancienne, notions superficielles qui se seront arrêtées à ses études de 4ème, qui depuis 3 ans ne l'auront plus occupé et qui n'existeront plus dans son esprit qu'à l'état de souvenir.

Le jeune homme arrivera à l'université sans aucune espèce de connaissances historique, et là au lieu de se fortifier par les études obligatoires, il suivra les cours avec plus ou moins de fruit et il obtiendra ses diplômes sans avoir eu à passer aucune espèce d'examen sur ces matières, parce qu'un simple certificat émanant du professeur d'histoire déclarant qu'il a suivi avec assiduité les cours dont il s'agit suffit pour constater sa capacité en cette matière.

Eh bien, je dis que cette situation est regrettable et que M. le ministre de l'intérieur doit, dans l'intérêt de l'enseignement, user de son autorité pour le faire cesser.

J'ai dit qu'au point de vue du grade d'élève universitaire, son initiative seule ne suffisait pas, que l'intervention de la Chambre était nécessaire. Cette question viendra à son temps ; quant au concours général, M. le ministre de l'intérieur peut, par un simple arrêté ministériel, rétablir ce que M. Rogier avait organisé et exiger que les études historiques fassent chaque année partie du concours général entre les établissements d'enseignement moyen. Il peut rendre ainsi à ces études le rang qu'elles doivent occuper, vu l'importance que tous nous devons y attacher.

Il est profondément regrettable qu'une partie aussi importants des études soit négligée, il est regrettable surtout que l'histoire nationale, l’histoire des vicissitudes par lesquelles nous avons passé avant d'arriver à la période heureuse et prospère dans laquelle nous nous trouvons, échappe complètement à l'enseignement. Il est triste de penser qu'aucune certitude n'existe que cet enseignement soit donné d'une manière fructueuse, en un mot qu'aucune espèce d'encouragement ne lui est accordé.

Je pense que les considérations que je viens de faire valoir suffiront pour obtenir de M. le ministre de l'intérieur, dont tous nous connaissons le zèle pour le développement de l'instruction, pour obtenir, dis-je, de M. le ministre de l'intérieur une réponse satisfaisante.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Comme vient de le dire l'honorable préopinant, le gouvernement ne peut pas modifier la législation sur l'examen de gradué en lettres ni y introduire le changement signalé par l'honorable député de Huy. La loi seul peut modifier la loi dans ce sens.

En ce qui concerne le concours entre les établissement d'enseignement moyen du premier degré, il y a là une question à examiner ; je ne puis prendre une résolution immédiate ; il convient que je consulte d'abord le conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen et que j'examine si le programme des études est en harmonie avec la modification qu'on propose.

Du reste, les observations de l'honorable député de Huy seront soumises au conseil de perfectionnement.

Je dois cependant faire observer que l'étude de l'histoire n'est pas aussi complètement négligée qu'on pourrait le croire : un certain nombre d'heures sont consacrées à l'enseignement de l'histoire dans les athénées et dans les écoles moyennes.

D'ailleurs, je le répète, la question posée sera examinée.

- Adopté.

Articles 85 et 86

« Art. 85. Inspection des établissements d'instruction moyenne. Personnel : fr. 19,000. »

- Adopté.


« Art. 86. Frais de tournées et autres dépenses de l'inspection des établissements d'instruction moyenne : fr. 9,000. »

- Adopté.

Article 87

« Art. 87. Frais et bourses de l'enseignement normal pédagogique, destiné à former des professeurs pour les établissements d'instruction moyenne du degré supérieur et du degré inférieur ; subsides pour aider les élèves les plus distingués de l'enseignement normal du degré supérieur qui ont terminé leurs études, à fréquenter des établissements pédagogiques étrangers ; acquisition, en six années, du local de l'école normale des humanités, deuxième annuité : fr. 86,928.

« Charge extraordinaire : fr. 19,387 80. »

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, les Chambres ont autorisé le gouvernement à faire l'acquisition de l'immeuble occupé, depuis 1860 à titre de bail, par l'école normale des humanités établie dans la ville de Liège ; il avait été stipulé que le prix de 100,000 fr. serait payé au moyen des six annuités égales.

La première annuité (fr. 19,387 80) a été votée dans le budget dé 1864 et elle ne sera exigible que le 8 octobre 1865.

La deuxième annuité, s'élevant à la même somme, est proposée à l'article 87 du budget de 1865.

Dans le système de liquidation que le gouvernement avait adopté, on avait combiné à priori le capital à payer avec le montant des intérêts 4 1/2 p. c., on en avait déduit la somme partielle à liquider annuellement et qui était nécessairement la même pour chacune des six années.

(page 259) Il en résulte que l'Etat aurait dépensé, de ce chef, en six ans une somme de 19,387 fr. 80 c multipliée par 6, c'est-à-dire 116,326 fr. 80 cent.

Toutefois, on n'a pas suivi ce mode de procéder dans l'acte de vente qui a été passé à Liége sous la date du 8 octobre 1864. Voici comment on a procédé : on a dégagé l'intérêt de l'annuité et on a stipulé que le gouvernement payerait, chaque année, le sixième du prix de 100 000 francs, plus l'intérêt à 4 1/2 p. c. de l'annuité échue et des annuités à échoir.

Dans ce système l'Etat doit payer :

Pour la première aunée, 21,166 fr. 67 c.

Pour la deuxième, 20,416 fr. 67 c.

Pour la troisième, 19,666 fr. 67 c.

Pour la quatrième, 18,916 fr. 67 c.

Pour la cinquième, 18,166 fr. 67 c.

Pour la sixième, 17,416 fr. 67 c.

C'est à-dire que l'Etat aura payé en six ans une somme totale de 115,750 fr., tandis que dans le système qui avait été adopté par le gouvernement, il aurait payé, en six ans, 116,526 fr. 80 c, c'est à-dire 576 fr. 80 c. de plus que dans le système de l'acte de vente.

Mais il est à remarquer que pour les trois premières années, le gouvernement aura à liquider une somme supérieure au crédit spécial de 19,587 fr. 80 c. porté de ce chef à l'article 87 du budget de 1865. Ce surplus pourra être prélevé, du moins pour les deux premières années, c'est-à-dire pour les années 1864 et 1865, sur l'ensemble de l'allocation affectée à l'enseignement normal moyen et dont le crédit spécial fait partie. Je ne prévois pas que la cour des comptes fasse la moindre objection à ce mode de procéder ; toutefois il m'a paru prudent de donner, sur ce point à la Chambre, une explication verbale de nature à prévenir toute difficulté.

Je ne demande donc point que le crédit de l'article 87 soit augmenté de ce chef pour l'année 1865. Cet article demeure tel qu'il a été proposé.

C'est une simple déclaration que j'ai cru nécessaire de faire à la Chambre ; elle sera insérée dans les Annales parlementaires, et elle constatera quelles sont les intentions du gouvernement. (Assentiment.)

MpVµ. - Puisqu'il n'y a pas d'objection, il en sera ainsi.

- Personne ne demandant plus la parole, l'article 87 est mis aux voix et adopté.

Articles 88 à 94

« Art. 88. Crédits ordinaires et supplémentaires des athénées royaux ; augmentation de traitement aux professeurs de flamand, d'allemand et d'anglais, dans les athénées royaux, par application des arrêtés royaux du 27 et du 28 janvier 1863 : fr. 442,478. »

- Adopté.


« Art. 89. Part afférente au personnel des athénées royaux dans le crédit voté par la loi du 8 avril 1857, en faveur des employés de l'Etat dont le traitement est inférieur à 1,600 francs : fr. 2,800. »

- Adopté.


« Art. 90. Crédits ordinaires et supplémentaires des écoles moyennes : fr. 330,200. »

- Adopté.


« Art. 91. Part afférente au personnel des écoles moyennes dans le crédit voté par la loi du 8 avril 1857, en faveur des employés de l'Etat dont le traitement est inférieur à 1,600 francs : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 92. Bourses à des élèves des écoles moyennes : fr. 15,000. »

- Adopté.


« Art. 93. Subsides à des établissements communaux ou provinciaux d'instruction moyenne : fr. 170,500. »

- Adopté.


« Art. 94. Frais du concours général entre les établissements d'instruction moyenne : fr. 22,000. »

- Adopté.


« Art. 95. Indemnités aux professeurs de l'enseignement moyen du premier et du deuxième degré qui sont sans emploi ; charge extraordinaire : fr. 11,158. »

M. Bouvierµ. - J'ai l'honneur d'appeler l'attention de l'honorable ministre de l'intérieur sur le chiffre du subside accordé en faveur des professeurs sans emploi.

Je ferai remarquer à l'honorable ministre, qu'il est des professeurs et entre autres qu'il s'en trouve dans mon arrondissement qui pourraient être parfaitement employés et qui jouissent d'un traitement de 800 francs par an, uniquement pour combattre le gouvernement, traitement qui les place dans une situation privilégiée. J’espère que cette simple observation, que je pourrait étendre, s'il ne s'agissait pas d'une question personnelle, aura pour effet de rendre M. le ministre beaucoup plus attentif quant à la distribution de cette allocation, attendu que la personne à laquelle je fais allusion, si elle est inapte à remplir les fonctions de professeur, est non moins capable de remplir celles de surveillant dans un athénée quelconque.

Je n'’en dirai pas davantage ; mais j'appelle toute l'attention de l'honorable ministre sur cette allocation qui ne devrait s'appliquer qu'aux personnes physiquement incapables de rendre des services au pays et de gagner de l'argent par un travail quelconque, argent que les contribuables^, eux, n'amassent qu'à la sueur de leur front.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je pense que le professeur en disponibilité auquel l'honorable M. Bouvier fait allusion, se trouve, comme quelques-uns de ses collègues, dans une position particulière. Lors de la mise à exécution de la loi de 1850, il a été nécessaire de mettre en disponibilité ou plutôt d'écarter de l'enseignement un certain nombre de professeurs soit des collèges communaux, soit des athénées, soit des écoles primaires supérieures. La personne à laquelle l'honorable M. Bouvier fait allusion est, je pense, en disponibilité depuis cette époque.

En règle générale, il y a eu des motifs pour écarter de l'enseignement les personnes alors mises en disponibilité, quelques-unes, je ne dis pas que c'est le cas, pour incapacité, d’autres pout des motifs particuliers.

Le gouvernement jusqu'ici n'a pas exigé que ces professeurs fussent immédiatement replacés en activité, parce qu'il a considéré que le vote du crédit par la Chambre constituait en quelque sorte, je ne dirai pas un droit, mais plaçait ces professeurs dans une position toute spéciale. Les professeurs mis en disponibilité en 1851 ont continué à jouir de ce traitement qui était une espèce d'indemnité. Il restera à examiner aussi si le professeur auquel l'honorable M. Bouvier fait allusion est capable de reprendre ses fonctions.

M. Bouvierµ. - Il peut être surveillant.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'en sais rien. C'est une question à examiner.

M. Thonissenµ. - Eh bien alors, nommez-le !

M. Bouvierµ. - Je ne le nomme pas, pour une très bonne raison.

M. Thonissenµ. - Vous l'avez pourtant dénoncé.

- L'article 95 est mis aux voix et adopté.

Article 96 et 97

« Art. 96. Traitements de disponibilité : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 97. Encouragements pour la publication d'ouvrages classiques ; subsides, souscriptions, achats, etc. : fr. 8,000. »

- Adopté.

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Discussion générale

M. Wasseige. - Messieurs, c’est pour satisfaire au désir manifesté par l'honorable ministre de l'intérieur, que j'ai attendu que la discussion fût ouverte sur le chapitre relatif à l'instruction primaire, pour présenter à la Chambre quelques observations sur cet objet. J'ai deux motifs pour prendre la parole à cette occasion ; j'ai d'abord été nominativement désigné par les honorables MM. Giroul et Elias, j'ai ensuite à appuyer devant vous la requête qui vous a été adressée par la députation permanente du conseil provincial de Namur au sujet du règlement général du 10 janvier 1863.

Je commencerai par ce dernier point. Déjà j'ai critiqué cet arrêté devant la Chambre, et dans un discours que j'ai prononcé le 24 février 1863, je crois en avoir démontré l’illégalité et le mauvais côté politique.

A cette époque, l'honorable ministre répondit fort brièvement aux raisons que j'avais fait valoir, mais il se réserva de répondre plus complètement au mémoire que lui avait adressé la députation permanente de Namur sur le même objet. Une longue polémique s'engagea entre ce collège et l'honorable ministre, j'ai lu attentivement tous ces documents et il en est résulte dans mon esprit une conviction plus profonde que le règlement général du 10 janvier 1863 est illégal, inconstitutionnel, qu’il porte la plus grave atteinte à nos libertés communales et provinciales, et qu'enfin son application serait fatale aux progrès de l'instruction primaire.

Je ne rentrerai pas dans la longue discussion de 1863, je ne rappellerai pas toutes les raisons que j'ai fait valoir à cette époque, ces répétitions seraient fastidieuses pour la Chambre et pour moi ; je me bornerai à résumer aussi succinctement que possible les raisons invoquées par la députation permanente de Namur dans les deux mémoires qu'elle a remis à (page 260) l'honorable ministre de l'intérieur les 19 février et 30 avril 1863 et dont chacun de vous a reçu copie, jointe à la requête qui vous a été adressée le 8 octobre de la même année.

Vous le savez, messieurs, le règlement du 10 janvier contient trois dispositions principales ; la classification des écoles en trois catégories, d'après le nombre d'élèves qui y reçoivent l'instruction ; la fixation d'un maximum de traitement de 600, 700 et 800 francs pour les instituteurs ainsi classés et enfin la fixation d'un minimum de rétribution à payer par tête d'élève en supprimant la subvention globale pour les élèves indigents. C'est-à-dire que ce règlement décide contrairement à la loi sur trois points importants déjà prévus par elle.

Ces dispositions sont-elles légales, constitutionnelles, sont-elles même bonnes, utiles dans la pratique ?

Examinons :

Quelle a été la pensée fondamentale du législateur de 1842 ?

Je crois qu'on peut la résumer ainsi : Mettre, dans la mesure du possible, tous les enfants belges à même de recevoir les bienfaits d'une instruction primaire complète et basée sur la morale et la religion.

Pour atteindre ce but si noble, le législateur a confié l'instruction primaire à la commune, parce que la commune, c'est la famille agrandie, et que c'est surtout au sein de la famille, au foyer domestique, que l'enfant reçoit le mieux cette première éducation morale qui plus tard en fait un honnête homme et un bon citoyen.

Au-dessus de la commune qui règle et organise, la législateur a placé la députation permanente qui contrôle, approuve ou rejette.

En certains cas seulement, il a ouvert la voie à l'intervention gouvernementale par le recours au Roi.

Or, c'est en donnant au recours au Roi une signification qu'il n'a pas, que l'arrêté du 10 janvier renverse tous ces principes. C'est ainsi qu'il empiète sur les attributions communales et provinciales et qu'il viole l'esprit et la lettre de la loi du 25 septembre 1842.

En effet, messieurs, le système du gouvernement est celui-ci : la loi du 23 septembre 1842, dans plusieurs de ces articles, soumet, en certaines occasions, les décisions des députations permanentes au jugement suprême du gouvernement par le recours du Roi ; donc le gouvernement a le droit de disposer par voie de réglementation générale sur toutes les matières contenues dans ces articles.

Jamais raisonnement n'a été moins fondé. Oui, sans doute, le gouvernement peut intervenir dans les cas prévus par les articles 4, 5, 15 et 21 de la loi, et fixer ainsi soit le traitement de l’instituteur, soit le montant de la subvention ou la quotité de la rétribution des élèves indigents ou solvables, mais seulement dans deux hypothèses : lorsque la députation permanente a pris une mesure contraire aux lois ou blessant l'intérêt général (c'est le recours afin d'annulation, article 125 de la loi provinciale ) ou bien lorsqu'il y a désaccord soit entre l'autorité communale et la députation, soit entre l'une de ces autorités et des tiers intéressés, tels que le bureau de bienfaisance ou l'instituteur lui-même.

Alors, mais alors seulement, le gouvernement devient compétent, quand il est saisi du litige par un recours au Roi régulièrement formé par l'une des parties intéressées.

En cherchant à réfuter cette opinion de la députation permanente de Namur, l'honorable ministre de l'intérieur, dans sa lettre du 31 mai 1863, qualifie cette définition du recours au roi de « judaïque ».

Eh bien, au risque d’être aussi taxé de judaïsme, je n'hésite pas à me ranger entièrement à l'avis de la députation.

Quel est, en effet, le sens grammatical de ce mot « recours », sur lequel repose tout le système de l'arrêté du 10 janvier, et au moyen duquel le gouvernement prétend se substituer aux autorités communales et provinciales ?

Le recours, c'est la reprise par voie légale. Pour qu'il y ait recours, il faut qu'il y ait une partie se croyant lésée et poursuivant, auprès de l'autorité supérieure et compétente, le redressement du tort qui lui a été causé.

C'est incontestablement là la signification et le but du recours au Roi tel qu'on le retrouve dans différents articles de la loi de 1842, et la décision du gouvernement tient alors lieu d'un arrêt de cour d'appel en matière juridique.

Voilà la véritable théorie, c'est d'ailleurs celle de M. le ministre lui-même dans sa lettre du 31 mars 1863.

Permettez-moi de vous en citer un passage, il me serait impossible de trouver des arguments plus concluants que ceux que M. le ministre veut bien me fournir lui-même.

Voici sa lettre ;

« La question de savoir si le recours au Roi est accordé afin de mettre le gouvernement à même de réformer les actes des administrations communales et provinciales a été tranchée affirmativement dans le rapport triennal présenté aux Chambres législatives le 20 novembre 1846.

« Après avoir rappelé que le recours au Roi prévu par l'article 125 de la loi provinciale est un recours à fin d'annulation, le rapport poursuit :

« Il en est autrement toutes les fois qu'à l'occasion d'actes abandonnés à la députation permanente, la loi prévoit l'éventualité du recours au Roi ; cette autre espèce de recours attribue toujours au gouvernement le droit de réformation, tout différent de celui d'annulation. Le gouvernement est alors compétent pour statuer au fond sur l'affaire qui lui est déférée par le recours, il fait en ce cas l'office de juge d'appel. »

Ainsi, l'honorable ministre citant le rapport à l'appui de son opinion, le faisant sien, par conséquent, reconnaît explicitement que toutes les fois qu'il s'agit d'actes abandonnés à la décision des députations permanentes, le gouvernement, en cas de recours au Roi, remplit l'office de juge d'appel.

Or, si le recours au Roi joue, en matière administrative le rôle de l'appel en matière judiciaire, le gouvernement n'est compétent que lorsqu'il y a appel de la décision de la députation permanente par une partie qui se croit lésée, comme une cour d'appel n'est compétente que lorsqu'elle a été régulièrement saisie par un appel interjeté par une partie en cause qui se croit lésée par le jugement d'un tribunal de première instance.

C'est précisément ce que soutient la députation permanente de Namur et ce que j'ai toujours soutenu moi-même, à savoir qu'il n'y a lieu à intervention du gouvernement que lorsqu'il y a eu recours au Roi formé par une partie intéressée, attaquant un acte spécial et déterminé d'une députation.

Comment donc M. le ministre peut-il faire découler de là, non seulement le droit absolu de réformation, même lorsqu'il n'y a ni litige ni réclamation, mais encore le droit de déposer par voie de réglementation générale sur toutes les matières qui peuvent donner lieu à des recours au Roi ?

Une pareille prétention est aussi inadmissible que le serait celle d'une cour d'appel revendiquant le droit de juger, sans appel formé, toutes les affaires pendantes devant les tribunaux de son ressort, sous prétexte qu'elle pourrait en être saisie par voie d'appel et réclamant même le droit plus exorbitant encore de les trancher toutes par un arrêt global et anticipatif, ce qui lui est formellement interdit par l'article 5 du Code civil.

Si cette théorie est la seule vraie, tout l'édifice de l'arrêté du 10 janvier 1863 s'écroule, et l'intervention du gouvernement dans les matières qui sont abandonnées par la loi aux administrations communales et provinciales ne peut plus se soutenir ; par conséquent, plus de classification d'école, plus de fixation de maximum de traitement pour les instituteurs plus de fixation de minimum pour la rétribution à payer par les élèves !

Mais, objectera-t-on encore, l'Etat doit suppléer à l'insuffisance des ressources communales et provinciales, il doit donc avoir aussi le droit de réglementer un enseignement aux frais duquel il contribue dans une aussi forte proportion.

Cette intervention pécuniaire de l'Etat, messieurs, n'est pas une générosité bénévole, c'est un devoir strict, une obligation légale à laquelle il ne peut se soustraire et dont l'accomplissement ne lui donne aucun droit d'intervention administrative autre que ceux qui sont clairement déterminés par la loi de 1842.

Comment d'ailleurs soutenir ce système en présence de l'esprit si évident de la loi de 1842, et de son texte même ? Le législateur a fait de l'instruction primaire une affaire essentiellement communale sous le contrôle des députations permanentes ; le système de l'arrêté et de la circulaire qui y est jointe aboutirait à détruire complètement toute l'économie de la loi.

Les autorités communales et provinciales ne seraient plus désormais que d'inutiles rouages, bons tout au plus à faire croire aux plus crédules que la loi de 1842 existe encore. En réalité le gouvernement serait le seul, le souverain maître de l'enseignement primaire et la loi aurait reçu la plus grave atteinte.

Voici, messieurs, sur cette importante question l'opinion exprimée très récemment par un homme dont vous ne récuserez pas le témoignage ; elle vient corroborer celle que je défends, avec toute l'autorité des fonctions que remplit celui qui les a prononcées.

« En effet, le service de l'instruction primaire est un service essentiellement communal. Ainsi l'a voulu la loi. Ce service est donc réglé par les conseils communaux sous l'approbation de la députation permanente.

« Le conseil communal fixe le traitement des instituteurs, comme il (page 261) fixe les traitements de tous les autres fonctionnaires communaux. Mais, lorsque le conseil communal a pris une délibération spéciale pour fixer le traitement de l'instituteur ou pour le modifier, cette délibération doit être soumise à l'approbation de la députation permanente ; ce collège l'approuve ou ne l'approuve pas, mais il n'a pas le droit d'augmenter ou de diminuer le traitement fixé par le conseil communal, ainsi que les Annales rendant compte du discours que j'ai prononcé dans la séance du 23 juin dernier, me l'ont fait dire par erreur ; erreur que je m'empresse de rectifier ; les députations n'ont donc pas le droit d'augmenter ou de diminuer le chiffre des traitements des instituteurs fixé par les conseils communaux ; leur droit se borne à approuver ou à ne pas approuver. Si elles approuvent et que quelqu'un se croie lésé par cette approbation, le recours au Roi lui est ouvert, et un arrêté royal intervient, s'il y a lieu, pour faire droit à la réclamation ; si, au contraire, la députation permanente n'approuve pas, et que la commune, le gouverneur ou l'instituteur ou même un simple particulier réclame contre la décision prise, le recours au Roi leur est encore ouvert ; c'est ainsi que la loi a toujours été interprétée.

« Mais il est à remarquer que ce recours doit être individuel ; il ne peut pas y avoir de recours collectif ; il faut qu'il y ait un recours pour chaque affaire, et ce recours est ouvert à tout le monde. »

L'orateur qui a prononcé ces paroles, celui qui déclare si hautement que le recours au Roi doit être individuel, qui condamne par conséquent le droit de réglementation générale, et par conséquent l'arrêté du 10 janvier, cet orateur, messieurs, c'est l'honorable ministre de l'intérieur lui-même dans le discours prononcé par lui dans la séance du 24 juin 1864, en réponse à une interpellation de M. Van Hoorde.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je la maintiens, mais vous confondez les choses.

M. Wasseige. - Nous verrons, monsieur le ministre. Je serais heureux de vous voir porter la lumière dans un débat où vous n'avez guère été clair jusqu'à ce jour.

Ce n'est pas la première fois, d'ailleurs, ce ne sera pas la dernière que j'aurai à invoquer contre les actes de M. le ministre de l'intérieur les paroles de M. le ministre lui-même. L'honorable M. Vandenpeereboom a en matière d'instruction primaire des opinions fort variées, il en change d'une session à l'autre, d'une dépêche à une autre. Je crois avoir découvert la raison de ces variations, et cette raison la voici :

Il y a dans l'honorable M. Vandenpeereboom deux hommes, ou plutôt deux ministres bien distincts.

L'un est le ministre libéral et décentralisateur en paroles et devant les Chambres.

L'autre est le ministre absolu et centralisateur en faits et dans son cabinet. En voici quelques preuves :

Le 13 février 1863, le ministre libéral et décentralisateur disait à la Chambre en parlant de l'arrêté que je discute en ce moment :

« Par le règlement nouveau le gouvernement a indiqué jusqu'où les communes pouvaient aller. Cette indication est une espèce d'encouragement, de conseil, et à côté de ce conseil il y a une promesse, car le gouvernement s'engage indirectement à venir en aide à la commune quand ses ressources ne lui permettent pas de payer à l'instituteur son traitement. »

Ainsi donc, messieurs, la déclaration est bien formelle, l'arrêté du 10 janvier n’est nullement obligatoire, c'est un encouragement, une indication un simple conseil. A ce dernier titre, je pourrais peut-être engager les députations à l'accepter, sauf à en faire ce que l'on fait souvent des conseils, à ne pas les suivre.

Voyons maintenant ce que le ministre centralisateur et absolu écrit sur le même objet au gouverneur de Namur, sous la date du 20 août 1863 :

« A différentes reprises, je vous ai prié d'assurer l'exécution du règlement général du 10 janvier 1863, concernant les dépenses du service ordinaire de l'instruction primaire et les moyens d'y faire face. Mais, avant de rien prescrire à cet égard, vous attendez, dites-vous, que j'aie répondu au nouveau mémoire de la députation, en date du 30 avril. (B. n°715, 131).

« La députation persiste à considérer le règlement comme illégal. Dans une dépêche du 31 mars, j'ai soutenu l’opinion contraire, et je ne vois pas qu'on l'ait réfutée. Quoi qu’il en soit, mon intention n'est pas de prolonger une discussion qui ne saurait aboutir à aucun résultat.

« C'est aux Chambres qu'il appartient d'apprécier la légalité des actes du gouvernement, et c'est devant les Chambres, qu'au besoin, j aurai à justifier de nouveau la mesure dont il s'agit. Pour ce qui est des observations pratiques présentées par la députation permanente, elles sont rencontrées dans la note ci-jointe, que je vous prie de mettre sous les yeux de ce collège.

« Veuillez, monsieur le gouverneur, m'accuser réception de la présente, et donner suite à mes instructions sans plus de retard. »

Cette fois l'arrêté redevient obligatoire, et l'on doit y donner suite sans retard.

Autre exemple.

Dans une dépêche adressée à la section centrale de la Chambre en 1862, M. le ministre disait ce qui suit :

« La part du crédit afférente à chaque province est déterminée par la loi du 23 septembre 1842, qui consacre les principes ci-après :

« Les dépenses du service ordinaire de l'instruction primaire sont réglées par les conseils communaux, sous l'approbation de la députation permanente, sauf recours au Roi (articles 5, 20 et 21).

« Les communes doivent affecter à cet objet des sommes proportionnées à leurs ressources (articles 5, 15, 20, 22 et 23).

« En cas d'insuffisance des ressources locales, la province est tenue d'accorder aux communes la somme dont elle peut disposer sur les fonds alloués à son budget (2 p. c. additionnels), déduction faite des dépenses que la loi met spécialement à sa charge (art. 23, 24 et 25 ).

« De son côté, l'Etat est obligé d'intervenir lorsque les ressources locales et provinciales sont insuffisantes.

« Le déficit qui, dans ce cas, se produit au budget des écoles, tombe tout entier à la charge du trésor public (article 23).

« Ainsi, quand l'Etat intervient, il ne fait pas une libéralité, mais il remplit une obligation légale. Il paye une dette dont le montant est toujours égal au chiffre du déficit que présentent les budgets scolaire réglés sous l’approbation de la députation permanente.

« Il suit de là, que le taux des subsides à accorder sur le trésor public ne peut guère être le même pour toutes les provinces. Les subsides doivent être plus ou moins élevés, selon que les déficits sont plus ou moins considérables. »

L'honorable ministre reconnaît donc que, sauf le cas de recours au Roi, les décisions des députations permanentes sont souveraines ; que, par conséquent une fois fixés par les députations, les subsides pour les besoins annuels des écoles sont dus par le trésor, après que les provinces ont rempli leurs obligations, et que les subsides ainsi promis ne sont pas de nature à devoir être soumis à aucune décision ministérielle, encore moins au contrôle de l'inspecteur provincial, fonctionnaire hiérarchiquement subordonné aux députation-.

Eh bien, que fait l'autre ministre par son arrêté du 10 janvier ? Il méconnaît tous les principes qu'il a lui-même proclamés ; il fait des distinctions que rien dans la loi ne l'autorise à faire, entre les communes subsidiées et celles qui ne le sont pas ; il détermine d'une manière fixe et permanente le maximum des traitements de certains instituteurs ; il empiète sur les attributions des députations permanentes et il n'admet l'obligation pour l'Etat d'intervenir pécuniairement que pour autant que l'allocation provinciale pour dépenses ordinaires des écoles aura atteins certain minimum arbitrairement fixé par l'arrêté et dont il ne se trouve aucune trace dans la loi elle-même, qui est même contraire au texte de son article 24.

Ce n'est pas d'ailleurs en matière d'enseignement seulement que l'on retrouve ce double caractère de l'honorable ministre.

La loi du 20 mai 1863 sur la voirie vicinale, celle qui est actuellement soumise à vos délibérations sur certaines réformes a la loi communale, d'autres dispositions législatives ou administratives que je n'ai pas à examiner en ce moment, augmentent, sous prétexte de décentralisation et sur des objets d'une importance presque dérisoire, les attributions des conseils communaux et des députations permanentes.

Mais en revanche ces mêmes dispositions laissent subsister, augmentent même une foule de recours au Roi, à l'aide desquels M. le ministre, avec son interprétation, peut reprendre d'une main beaucoup plus qu'il n'a donné de l'autre ; un peu moins de prérogatives aux conseils provinciaux et aux députations, niais un peu plus d'indépendance et de pouvoirs réels eussent été peut-être préférables ; quoi qu'il en soit, il résulte des différentes mesures que je signale que, sous un vernis de décentralisation, M. le ministre augmente au contraire constamment l'action chaque jour plus absorbante et plus envahissante de l'Etat.

Messieurs, j'en ai l'intime conviction, ces tendances centralisatrices vous sont antipathiques comme elles le sont au pays entier. Nos institutions communales si libérales et si fécondes, les attributions légitimes de nos autorités provinciales ont toujours été chères au peuple belge ; je les ai toujours défendues et je continuerai à le faire tant que j'aurai l'honneur de siéger sur ces bancs.

Je crois avoir démontré, messieurs, que l'arrêté du 10 janvier est (page 262) illégal et inconstitutionnel dans son ensemble, qu'il n'est légitimé ni par l'existence d'un recours au Roi dans la loi de 1842, ru par l'intervention pécuniaire de l'Etat en faveur des communes ; il ne l'est pas davantage par l'article 67 de la Constitution qui ne donne jamais le droit au gouvernement de suspendre les lois, de les modifier, de les dénaturer.

C'est là le grand côté de la question, je ne m'arrêterai donc pas aux critiques de détail, je m'en référerai pour cela au discours que j'ai eu l'honneur de prononcer devant vous le 24 février 1863. Je ferai seulement remarquer que l'application de l'arrêté du 10 janvier, dans l'esprit de la circulaire qui l'accompagne, consacrerait dans la province de Namur et probablement dans d'autres provinces également, les plus flagrantes injustices et serait souvent très préjudiciable aux progrès de l'instruction primaire.

En effet les communes et la députation de ma province prenaient toujours en considération pour la fixation du traitement d'un instituteur, non seulement l'importance de son école, mais encore ses capacités, son zèle, son ancienneté et les charges que lui incombaient, s'il était père de famille ; c'était évidemment le mode le plus rationnel, le plus équitable.

Tout cela est changé par le règlement du 10 janvier ; désormais les mérites, le zèle de l'instituteur, son ancienneté n'entrent plus en ligne de compte, il ne peut obtenir qu'un traitement dont le maximum est fixé d'après le nombre d’élèves que l'école contient ou peut contenir !

Eh bien, je déclare que c'est là une souveraine injustice et d'où peuvent découler les conséquences les plus funestes pour les progrès de l'instruction.

Ou bien l'homme intelligent et capable qui se trouvera relégué dans une école de troisième classe se découragera, en ne voyant aucun espoir d'améliorer sa position, ou bien, il fera tous ses efforts pour obtenir, par une mutation, un traitement plus rémunérateur. Dans un cas comme dans l'autre les études en souffriront, car il est reconnu, par toutes les personnes qui se sont occupées de l'enseignement primaire, que les mutations sont toujours funestes aux progrès des élèves.

Le gouvernement l'a tellement bien senti lui-même que, par son arrêté du 21 juillet 1862, il a exigé une résidence de dix années pour qu'un instituteur puisse obtenir une gratification.

Que fera-t-on d'ailleurs des traitements actuellement supérieurs au maximum fixé par le règlement ? Donnera-t-on à ses dispositions un effet rétroactif ? C'est de mode aujourd'hui ; mais cela constituerait une véritable injustice.

Enfin l'article 2 de l'arrêté exige pour chaque élève une place officiellement déterminée. Eh bien, si cet article était exécuté d'après les indications du gouvernement, savez-vous quelle en serait la conséquence pour la seule province de Namur ?

C'est que plus de 7,000 enfants seraient mis hors de l'école.

Sans doute il serait à désirer que les élèves eussent tous plus d'air et plus d'espace dans beaucoup de nos écoles, mais ce résultat ne peut être obtenu que lorsque chacune de nos communes possédera des locaux assez vastes, et nous sommes loin encore de ce moment, malgré tous les sacrifices que le pays s'impose en faveur de l'instruction primaire. Faut-il, en attendant cette époque si lointaine peut-être, priver tant de jeunes enfants des bienfaits de l'instruction ? Je ne le crois pas.

Je vois donc dans l'arrêté royal du 10 janvier 1863 une grave atteinte portée à la loi du 25 septembre 1842. Ce n'est pas la première, ce n'est pas la plus grave !

Messieurs, je dois maintenant donner quelques mots de réponse aux honorables MM. Giroul et Elias qui m'ont mis personnellement on cause lorsqu'il ont félicité M. le ministre pour avoir persisté dans son interprétation des articles de la loi relatifs aux écoles adoptées.

Je ne rentrerai pas dans l'examen approfondi de cette question, j'ai déjà occupé trop longtemps votre attention, et j'ai, d'ailleurs, émis à différentes reprises mon opinion à ce sujet.

Je nie bornerai à affirmer de nouveau que l'interprétation donnée par le gouvernement aux article 2, 3 et 5 de la loi est contraire à son texte, à son esprit, qu'elle n'est pas soutenable en présence des rapports des sections centrales, des discussions qui dans les deux Chambres, ont précédé le vote de la loi et du texte formel de h loi elle-même.

Je maintiens à cet égard mon opinion tout entière, je proteste hautement contre une application de la loi qui n'est qu'un moyen de la réformer administrativement et de faire ainsi d'une manière détournée ce que l'on n'ose pas faire ouvertement, dans la crainte de soulever l'opinion du pays.

Et pourtant l'autre jour, l'honorable M. Giroul prétendait que cette opinion était unanime à réclamer la révision de la loi de 1842. Chaque jour, disait-il, la nation manifeste avec plus d'unanimité, avec plus de persistance, avec plus d'énergie, la volonté d'arriver à la révision de cette partie de notre législation. Singulière unanimité ! Où se manifeste-t-elle ? Quels témoignages M. Giroul en apporte-t-il ?

Je ne lui répondrai pas que le pays ne peut pas être unanime à cet égard, lorsque l'opinion conservatrice tout entière proteste avec la plus grande énergie contre ce funeste dessein.

Cette considération, je le sais, toucherait peu l'honorable M. Giroul, accoutumé déjà à considérer cette grande fraction du pays comme inintelligente et incapable. Pour M. Giroul comme pour beaucoup de ses amis, le pays c'est le libéralisme, le libéralisme seul, représenté par les loges, les associations électorales et les corps constitués émanés de son souffle.

Le reste de la nation ne mérite pas que l'on y fasse attention. Mais le libéralisme même est-il bien unanime sur la question qui nous occupe ?

M. Giroul dit oui, moi je dis non.

En 1861, trois conseils provinciaux, dit mon honorable contradicteur, ceux de Liège, du Hainaut et du Brabant ont émis le vœu de voir réviser la loi de 1842. Je réponds que les six autres se sont abstenus et que leur abstention était évidemment favorable à la loi.

Je crois bien que ceux de Namur et de Limbourg ont peu de poids aux yeux de M. Giroul ; ils étaient, ils sont encore composés en majorité d'éléments conservateurs.

Mais Anvers, les deux Flandres et le Luxembourg qui possédaient en 1861 une forte majorité libérale, pourquoi donc n'en parlez-vous pas, M. Giroul ? C'est parce que leur attitude détruit cette prétendue unanimité que vous invoquez et que vous savez bien ne pas exister.

En effet vous avez contre vous la moitié du pays représentée par l'opinion conservatrice, le parti doctrinaire, plus des trois quarts du pays, et vous osez parler d'unanimité

Osez donc, si vous y croyez, proposer ouvertement, sur-le-champ, la révision de la loi, je vous en défie.

L'honorable M. le ministre de l'intérieur vous l'a dit, le gouvernement lui-même ne vous suivrait pas sur ce terrain brûlant.

L'honorable M. Giroul nous a dit encore que l'esprit qui a présidé à la confection de la loi organique de l'enseignement primaire se révélait par sa date ; 1842, dit-il, c'est l'époque de la réaction triomphante, les évêques étaient tout-puissants ; le gouvernement, les Chambres étaient servilement dévoués à leur influence.

Quelle imprudence, messieurs, ou quel oubli ! La loi fut votée à l'unanimité moins trois voix. Le coup dirigé contre elle va donc frapper en pleine poitrine tous les représentants libéraux d'alors.

Vous voilà transformé en serviteur très humble de l'épiscopat, M. Rogier, et vous aussi, M. Dolez.

MM. Devaux, Lebeau et tant d'autres n'étaient donc que des cléricaux et des cléricaux de la pire époque, de celle où la réaction était triomphante.

M. Giroul, vous n'y aviez pas pensé !

Non, messieurs, la loi du 23 septembre 1842 n'était pas une œuvre de réaction, et ceux qui l'ont votée, libéraux et catholiques, tous peuvent revendiquer avec fierté leur part de coopération.

Cette loi, qui vint relever le niveau de l'enseignement primaire en Belgique, était le fruit d'une noble pensée ; elle était le pacte d'alliance de l'Etat et de la liberté unissant leurs efforts contre un ennemi commun, l'ignorance des masses.

Elle conciliait admirablement la nécessité de l'intervention de l'Etat dans l'enseignement primaire et l'existence de l'enseignement libre.

Elle respectait les droits de la commune et appelait à elle le concours du clergé ; unissant toutes ces forces éparses en un puissant faisceau, elle suppléait à la liberte et ne cherchait point à l'étouffer.

Pourquoi donc la loi de 1842 est-elle l'objet d'une guerre active et incessante ? Pourquoi les uns en réclament-ils hautement, franchement la révision radicale ? pourquoi d'autres moins violents ou moins sincères, plus prudents ou plus sages, si vous le voulez, se bornent-ils à ébranler ce bel édifice par une sorte de travail souterrain ?

Pourquoi, je vais vous le dire.

Parce que les auteurs de la loi ont pensé avec sir Robert Peel, avec lord John Russell, avec MM. Guizot, lord Derby, Villemain, Eugène Rendu, avec MM. Barrau, Cousin, Dechamps, Leclercq et tant d'autres hommes illustres de tous les pays et de toute religion, que l'atmosphère de l'école doit être religieuse, parce qu'ils ont pris le prêtre par la main, l'ont conduit au sein de l'école et lui ont dit : Remplissez la sainte mission que vous a confiée le Christ, allez et enseignez ; faites de ces enfants des chrétiens d'honnêtes gens et de bons citoyens.

Voila, messieurs, je le dis franchement, voila la cause véritable de (page 263) l’animosité à laquelle la loi de 1842 est en butte. Il est incontestable en effet qu'une fraction importante de parti libéral, la fraction la plus avancée, la plus puissante peut-être aujourd'hui, sinon la plus nombreuse, celle que paraissent représenter dans cette enceinte, MM. Elias et Giroul, ne veut plus de prêtre dans l'école.

Le gouvernement résiste, je le veux bien ; il est sincère dans son désir de maintenir la loi, je le veux bien encore ; mais il doit compter avec ses amis chaque jour plus exigeants ; il faut les satisfaire un peu, leur faire prendre patience, et pour cela réaliser une parole célèbre mais peu constitutionnelle.

« Il est inutile de changer la loi, on peut la réformer, l'améliorer administrativement. »

Cette promesse de l'honorable M. Rogier n'a été que trop fidèlement tenue.

Déjà le gouvernement a fait bien du mal ; c'est lui qui a supprimé en fait l'école adoptée qu'il a transformée en simple école subsidiée ; c'est lui qui, contrairement au texte et à l'esprit de la loi, à son application constante pendant huit années, a déclaré que l'école communale était la règle et que l'école adoptée n'était que l'exception ; c'est lui encore qui déclarait, il y a quelques jours, que cette exception devait disparaître.

Ah ! le gouvernement y travaille activement, parfaitement secondé qu'il est par toute l'influence dont il dispose à l'aide de tous ses agents directs.

Oui, si le système qui prévaut aujourd'hui dure quelque temps encore, les écoles adoptées auront bientôt disparu, avec l'assentiment des administrations communales abusées par l'esprit de parti ou en brisant les résistances de celles qui auront le courage de défendre leurs droits.

Ce jour-là, la révision de la loi de 1842 sera bien avancée, mais la liberte communale et la liberté d'enseignement auront reçu une atteinte des plus graves.

Ma parole n'aura pas le pouvoir d'arrêter le gouvernement sur la pente fatale où il glisse de plus en plus, je n'ai pas cette prétention, mais elle sera une énergique protestation que je serai toujours fier d'avoir fait entendre.

Oui, messieurs, je le dis avec une conviction profonde, si les idées préconisées par M. Giroul venaient à triompher, si la loi de 1842 venait à être détruite, si l'éducation du peuple venait à être livrée à l'enseignement rationaliste, ce jour-là serait un jour néfaste pour le peuple belge, funeste pour la liberté.

Quand le sentiment religieux, ce frein plus puissant et plus noble que la force brutale, cet auxiliaire indispensable à la liberté, quand ce sentiment s'éteint chez un peuple, la liberté disparaît bientôt avec lui, pour expirer ensuite sous le poids du despotisme.

Je crois entendre encore sortir des lèvres de l'illustre comte de Montalembert ces paroles magnifiques qu'il empruntait à un autre homme illustre, M. de Tocqueville :

« Plus l'homme veut être libre sur la terre, plus il doit s'enchaîner des liens de la foi ; s'il ne croit pas, il faut qu'il serve ; s'il ne sert pas, il faut qu'il croit. »

Paroles profondément vraies que je livre aux méditations de nos adversaires.

M. Mullerµ. - Messieurs, si l'honorable M. Wasseige était le véridique interprète de l'esprit de la loi de 1842, je n'hésite pas à dire que, sur nos bancs, il y aurait unanimité pour en demander immédiatement la révision.

Voilà la réponse que j'ai à faire, tout d'abord, au discours et à la péroraison quelque peu enflée du député de Namur. (Interruption.)

M. Goblet. - Boursoufflée.

M. Wasseige. - C'est une affaire d'appréciation ; vous pouvez parfaitement trouver cela ; je vous l'accorde bien volontiers.

M. Muller. - J'apprécie ce discours, de même que j'autorise tous les membres de la Chambre à juger de la forme et de la signification de mes paroles.

M. de Borchgraveµ. - Si elle était boursoufflée, elle était au moins polie.

M. Mullerµ. - Je l'ai simplement qualifiée d'enflée.

M. de Borchgraveµ. - Mon observation s'adresse à M. Goblet et non à M. Muller.

M. Mullerµ. - Quoi qu'il en soit, je répète que l'honorable M. Wasseige vient de donner à la loi de 1842 un caractère et des tendances étranges qu'aucun libéral ne peut accepter, sans renoncer à ses principes. Je suis loin, moi, d'être partisan de toutes les dispositions de cette loi, et depuis longtemps je me suis exprimé dans cette enceinte à cet égard. Je suis adversaire, notamment, de l'intervention du clergé dans l'école à titre d'autorité.

Mais si l'on peut différer dans nos rangs, sur la portée et les effets de cette intervention, il est un point sur lequel nous sommes unanimes, c'est qu'il ne faut pas que le clergé dispose souverainement de l'école, qu'il en soit maître absolu. (Interruption.)

M. Thonissenµ. - Nous ne demandons pas cela.

M. Mullerµ. - C'est là où vous voudriez aboutir, et telle est votre pensée. (Nouvelle interruption.) Interrompez ; je n'en maintiendrai pas moins cette vérité qui vous blesse.

Si nous allons au fond de la thèse que s'est efforcé de soutenir l'honorable M. Wasseige, nous pouvons la résumer brièvement ; le grand procès qu'il fait à M. le ministre de l’intérieur sur les instructions qu'il a données par arrêté royal à MM. les gouverneurs n'a qu'une cause : le représentant de Namur n'entend pas que le gouvernement ait une action directe quelconque sur l'école ; il veut que la commune puisse, à son gré, sans souci de la mission qui lui incombe, affecter à l'instruction la somme la plus minime, la plus insuffisante ; il veut enfin que, du moment qu'une députation permanente fermerait les yeux, l'Etat n'ait aucun pouvoir. Eh bien, nous protestons contre ce rôle d'impuissance, nous considérons que, pour l'Etat, c'est une obligation sociale, un devoir impérieux, inaliénable, de pourvoir et de veiller à l'enseignement primaire. Lorsqu'une commune, lorsqu'une députation permanente faillissent à leur mandat, le pouvoir central ne peut rester désarmé.

Dans son procès de tendance, l'honorable M. Wasseige s'est plaint que la loi de 1842 soit réformée par voie administrative. A cet égard, je dirai franchement ma façon de penser sur l'élaboration pénible de cette loi.

Dans son texte, dans les explications et commentaires auxquels elle a donné lieu, il m'est impossible de ne pas reconnaître un caractère général d'élasticité, c'est-à-dire que, quand des voix de la gauche élevaient l'un ou l'autre grief contre telle disposition, qui pouvait avoir des conséquences absurdes au point de vue de l'Etat, par exemple le droit pour le clergé de supprimer l'école communale, on répondait à ces membres qu'il n'en serait pas ainsi, que le gouvernement resterait toujours juge de cette question. D'un autre côté, si un orateur de la droite insistait pour faire au clergé la part la plus large dans la direction de l'école, on lui donnait aussi satisfaction. Voilà comment s'est faite la loi dite de transaction de 1842. Voyons maintenant quelle en a été la première application.

Lorsque vous étiez au pouvoir, avez-vous sérieusement songé à organiser d'autres écoles que les vôtres ? Non, et vous vous êtes avisés de découvrir dans la loi de 1842, vous qui vous dites les défenseurs de la liberté communale, une disposition qu'elle ne renferme pas, et en vertu, de laquelle, pour écarter une concurrence gênante, vous n'avez pas reculé devant la fermeture d'office d'une école normale d'instituteurs, créée par la province et par la ville de Liège.

L'élasticité de l'œuvre de 1842 vous a permis d'atteindre ce but, et nous avons été privés pendant un grand nombre d'années d'instituteurs laïques diplômés ailleurs que dans les établissements épiscopaux qui avaient prudemment été organisés.

En résumé, quant à ce qui a été fait par les ministères que votre opinion dirigeait, nous n'avons qu'à jeter les yeux sur les rapports triennaux de l'enseignement primaire pendant cette période : quels progrès, quels pas avez-vous fait faire à l'organisation de l'enseignement communal ? Quel nombre d'écoles de cette catégorie avez-vous établies ? Quel nombre d'instituteurs avez-vous permis de former dans les deux établissements normaux de l'Etat ?

N'est-il pas vrai que les seuls progrès importants qu'a faits l'enseignement primaire n'ont été réalisés que par les cabinets libéraux sous l'impulsion, je puis le dire à mon tour, de l'opinion publique. L'honorable M. Wasseige a cru mettre dans l'embarras mes honorables collègues, MM. Elias et Giroul, parce qu'ils avaient invoqué l'opinion publique en leur faveur, parce qu'ils ont pensé être les interprètes fidèles des vœux du pays... Mais, au commencement de son discours, l’honorable représentant de Namur a eu la même prétention, lorsqu'il a soutenu la thèse exorbitante (qu'aucun autre membre de la droite ne défend) du droit de la commune de décider définitivement de tout ce qui concerne l'enseignement primaire quand il n'y a pas eu un pourvoi individuel adressé au Rot. C'est bien là une décapitation de l'Etat, et l'orateur auquel je réponds a prétendu étayer son opinion sur le sentiment général du pays qu'il a dit avoir été froissé par les arrêtés royaux qu'il critique amèrement, et qui sont irréprochables. Laissons donc, messieurs, à chacun de nous la conviction, la satisfaction même, de penser qu'il est l'interprète fidèle du sens du pays.

Inscrit, messieurs, pour parler immédiatement après l'honorable M. Wasseige, il m'a été impossible de ne pas commencer par protester, tant en mon nom qu'au nom de l'opinion libérale tout entière, contre la (page 264) thèse qu'il a préconisée, et je n'ai pu m'incliner devant les foudres de son éloquence.

Je ne voulais pourtant m'occuper que de quelques questions spéciales, et j'y arrive. J'avais vu que, dans le projet de budget, la dotation de l'enseignement primaire n'était pas augmentée cette année d'une manière positive. Il était seulement dit dans une note :

« Il est impossible, quant à présent, de dire si au moyen de la somme de 2,093,030 fr. 44 c, on sera à même de pourvoir a l'insuffisance des ressources locales et des allocations provinciales applicables au service ordinaire. On ne saura à quoi s'en tenir à cet égard, que lorsque MM. les gouverneurs auront envoyé les tableaux des ressources et des besoins. »

Depuis l'impression de cette note, M. le ministre de l'intérieur a fait parvenir à la section centrale un amendement qui consiste à élever le chiffre de 194,000 fr. ; mais il reste à savoir si cette augmentation sera suffisante.

Je n'entrerai pas, messieurs, dans l'examen des conditions et des exigences de l'article 23, en ce qui concerne la participation obligatoire du gouvernement dans le service financier de l'enseignement primaire ; je ne discuterai pas le point de savoir si les communes peuvent s'en tenir exclusivement au payement de 2 centimes additionnels et s'il en est de même des provinces.

Je tiens seulement à signaler une anomalie et une inégalité injustifiable de position qui a eu lieu jusqu'ici, et qui remonte aux ministères de la droite : c'est que les grandes villes ont été exclues, en fait, de toute participation aux fonds que l'Etat doit consacrer obligatoirement au service ordinaire de l'enseignement primaire.

Sans examiner si elles dépensaient 2, 4, 6, 8 ou 10 centimes additionnels, on les privait de tout subside ; l'article 23 de la loi n'existait pas pour elles ! C'est évidemment, messieurs, une criante injustice.

En interprétant cet article 23, même dans le sens d'un minimum de dépenses qu'il imposerait aux communes, il est bien évident qu'il n'y a pas lieu d'employer envers elles deux poids et deux mesures, ni de distinguer entre les communes rurales et les communes urbaines. Lorsqu'une ville fait des dépenses notoirement considérables pour son enseignement primaire, elle a droit à ce que la province et l'Etat supportent une partie de la charge, et que ce dernier intervienne, non pas à titre de subside, mais en accomplissement d'une obligation légale.

M. Dumortier. - C'est donc la commune qui votera le budget de l'Etat !

M. Mullerµ. - C'est la commune qui votera le budget de l'Etat ! Mais l'honorable M. Dumortier n'a donc pas lu le texte de la loi, puisqu'il me fait une semblable interruption ? De ce que vous intervenez par des subsides en faveur des chemins vicinaux, en résulte-t-il que c'est la commune qui vote le budget de l'Etat ? Voudriez-vous rayer l'article 23 de la loi sur l'enseignement primaire en ce qu'il consacre le principe de l'intervention obligatoire de l'Etat ? Je vous avertis que vous n'y parviendrez pas, parce que vous ne serez jamais une majorité assez puissante pour faire disparaître le principal élément de vie de l'enseignement primaire communal.

Ce qui me rassure, au surplus, dès maintenant, c'est que j'espère être parfaitement d'accord avec le gouvernement actuel, et que nous obtiendrions la même justice de ceux qui peuvent lui succéder, tant que l'article 23 sera maintenu, et comme je le disais tantôt, je porte le défi de le faire disparaître. Je demande donc à l'honorable ministre de l'intérieur si le chiffre supplétif de 194,000 fr. qu'il vient de proposer par amendement sera suffisant pour rétablir les villes sur le pied d'une égalité commune, s'il a des données assez complètes pour pouvoir dès maintenant en juger. J'attendrai sur ce point une réponse de sa part, et je ne doute pas qu'elle soit satisfaisante.

Une deuxième observation que je désire soumettre à la Chambre est relative à l'enseignement normal des institutrices.

II résulte des investigations auxquelles j'ai pu me livrer ainsi que de la notoriété publique, que l'enseignement pédagogique des institutrices est tout à fait insuffisant quant au nombre de sujets qu'il peut annuellement fournir aux écoles. A cet égard, messieurs, nous n'avons, il faut le reconnaître, aucune organisation officielle et subie.

Des instituts particuliers auxquels le gouvernement accorde des subsides existent, il est vrai, dans différentes provinces mais trop restreinte par suite de la parcimonie de l'Etat. Je puis dire, en connaissance de cause, que la subvention que leur donne le gouvernement est trop faible en ce sens qu'elle ne permet pas d'exiger raisonnablement que ces instituts introduisent à leurs frais toutes les améliorations et les modifications que les inspecteurs provinciaux désirent dans la tenue et le régime des études pédagogiques.

Les rapports des inspecteurs provinciaux doivent, me semble-t-il, avoir averti le gouvernement qu'il y a là un mal auquel il faut porter remède. Mais je vais plus loin pour l'avenir : dans ma conviction, il est indispensable que des écoles normales d'institutrices soient créées par la gouvernement, comme il a créé des écoles normales d'instituteurs.

C'est une lacune très regrettable qui existe jusqu'ici et que l'on peut sans doute combler sans violer la loi, car on ne peut admettre qu'elle ait prétendu interdire la création d'établissements officiels destinés à former des institutrices, dans le but de livrer toute l'instruction des jeunes filles aux corporations religieuses ! Que le droit et la liberté existent pour ces dernières, c'est désirable, mais évidemment il y a là aussi un devoir social à remplir de la part du gouvernement.

Je terminerai, messieurs, par une dernière remarque qui ne se rattache pas directement à un chiffre du budget de l'intérieur, quoiqu'elle ait trait à l'instruction primaire ; je veux parler des jeunes sourds-muets ou aveugles.

Je pense également que, sous ce rapport, livrer tout à la liberté, et se reposer exclusivement sur l'initiative des particuliers, sans que l'autorité civile possède un établissement où les jeunes sourds-muets et aveugles puissent recevoir l'instruction, c'est une imprévoyance et un danger.

Lorsque, dans la loi du 31 mars 1836, on a imposé aux communes l'obligation de pourvoir à l'instruction dis sourds-muets et des aveugles indigents, on devait prévoir, vous gouvernement, et vous législateurs, qu'une institution spéciale et stable était nécessaire pour cet enseignement exceptionnel. Or, elle manque encore aujourd'hui.

Je me borne actuellement à soumettre à l'appréciation de mes collègues et du gouvernement cette considération, que je crois digne d'attirer leur sollicitude.

Encore un mot, cependant. J'ai pu constater avec peine que dans plusieurs communes on dissimulait à l'autorité supérieure l'existence de jeunes enfants pauvres sourds-muets et aveugles. On la dissimulait pour échapper à l'allocation communale, nécessaire à leur instruction, et cependant, messieurs, l'Etat fait un tiers de la dépense, la province un tiers et la commune seulement un autre tiers.

Il y a, fort heureusement, un nombre assez restreint de sourds-muets et d'aveugles en Belgique. Je pense donc qu'il n'y aurait pas danger de contagion, comme pour la mendicité, par exemple, à exonérer les communes de ces frais exceptionnels. Autant il y aurait faute à soustraire complètement les communes aux frais de la mendicité, autant il serait avantageux et humain que l'instruction des sourds muets et des aveugles indigents fût à la charge exclusive de l'Etat, c'est-à-dire, du pays tout entier.

Cette charge serait, au surplus, très faible, et vous n'auriez plus de communes dirigées par des administrateurs peu éclairés, se soustrayant par intérêt à l'accomplissement d'un devoir d'humanité et condamnant au malheur pour toute la vie des enfants qui déjà sont si maltraités par le sort, puisqu'ils sont privés soit de la vue, soit de la parole et de l'ouïe.

M. Hymans. - Messieurs, je ne demande pas la révision immédiate de la loi de 1842, et de cette déclaration il doit résulter pour l'honorable M. Wasseige que je ne suis pas sincère.

L'honorable membre a dit tout à l'heure qu'il n'y avait dans la gauche que deux catégories de députés : des doctrinaires, à qui leurs principes ne permettent pas de demander la révision de la loi, et des hommes peu sincères qui n'osent pas la réclamer.

Quant à moi, j'ai la prétention d'être un doctrinaire, et je crois que c'est afficher un certain orgueil que de prétendre à ce titre.

Les doctrinaires, en définitive, dans le temps où nous vivons, sont les vrais et les seuls libéraux. Les doctrinaires de notre époque (je ne dis pas ceux des temps anciens, où les seuls doctrinaires étaient les catholiques et les cléricaux), ce sont les hommes qui, depuis cinquante ans, dans toutes les situations et sous tous les régimes, ont énergiquement et courageusement défendu toutes les libertés ; ce sont eux qui ont fondé la monarchie constitutionnelle en France ; ce sont eux qui ont défendu la liberté sous la république et sous l'empire ; c'est dans leurs rangs que l’on trouve les citoyens les plus fidèles à leur drapeau, plus fidèles que les radicaux eux-mêmes, et parmi les courtisans de l'empire vous trouverez beaucoup de prétendus libéraux, vous ne trouverez pas un seul doctrinaire.

M. .Thonissenµ. - Cela ne nous regarde pas le moins du monde.

M. Hymans. - Cela regarde tous ceux qui se font honneur d'appartenir à leur école.

Vous n'avez trouvé tantôt d'autre définition pour les libéraux que l'épithète de doctrinaires ; vous n'avez trouvé à côté d'eux que des hommes peu sincères.

(page 265) Les uns donc ne sont sincères que dans leur doctrinarisme, les autres n'ont aucune sincérité.

Moi, j'avoue sincèrement que je suis doctrinaire et j'espère bien le rester toujours.

Je ne sais pas d'ailleurs pourquoi je ne pourrais dire avec sincérité que je ne désire pas la révision immédiate de la loi de 1842, tout en ne professant pas les principes sur lesquels cette loi repose. Cette loi a été faite à une époque bien différente de la nôtre ; elle remonte à un temps où l'on professait d'autres principes politiques qu'aujourd'hui ; c'était une époque où l'on croyait à la vertu d'une politique mixte, d'une politique de transaction, de bascule ; mais on a trop vu depuis que cette politique de transaction n'aboutissant qu'à l'abaissement d'un parti devant les autres, et qu'en matière d'instruction primaire, elle ne servait qu'à livrer l'Etat pieds et poings liés à l'épiscopat.

Cette politique ne triompherait plus dans les Chambres belges, et il est vrai que tous les libéraux à l'unanimité, sauf deux ou trois, ont voté en 1842 la loi sur l'instruction primaire, j'ai la conviction que si elle était à refaire, ils ne la voteraient plus, et que vous-mêmes, catholiques, vous ne la voteriez plus, car j'ai le droit de conclure du discours de M. Wasseige que si administrativement, c'est-à-dire légalement, la loi venait un jour à ne plus donner au clergé les satisfactions d'autrefois, la droite serait peut-être la première à demander la révision en faveur d'une mesure qui lui donnât d'une manière plus expresse le monopole de l'instruction.

Il ne faut pas oublier que la loi de 1842 sur quelques points a été une victoire pour l'opinion libérale. En définitive, lorsque M. Dechamps, qui est resté fidèle à ses principes, venait dire à la Chambre que l'école communale ne devait être qu'un accessoire, qu'il fallait hisser au père de famille pauvre le droit de faire instruire son enfant dans l'école libre, dans l'école du clergé, et lorsque la Chambre a rejeté cette proposition, ce rejet n'a-t-il pas été une victoire pour l'opinion libérale ? Lorsqu'on est venu proposer d'inscrire dans la loi une disposition qui fixait un minimum de traitement pour les instituteurs primaires et que la Chambre a adopté cette disposition, malgré les protestations énergiques de la droite tout entière, n’était-ce pas encore là une victoire pour l’opinion libérale ? Certes le minimum d’alors était trop peu élevé ; nous l’avons successivement augmenté, et j’espère qu’on l’augmentera encore, mais je constate que ce sont deux articles de la loi que nous avons intérêt à ne pas réviser et, qui plus est, à maintenir contre vous.

Resta maintenant l'article 6 sur lequel portent les idées de révision de l'opinion que vous appelez doctrinaire. Je m'admets pas avec M. Wasseige que le fait d'être hostile à cet article 6 fasse de nous des ennemis de la civilisation et du progrès. D'après M. Wasseige, tous les adversaires de la loi de 1842 sont des rationalistes, des hommes qui veulent nous ramener à la barbarie ; encore un peu, il les aurait appelés des insensés. Je proteste pour ma part contre un pareil reproche... Eh mon Dieu ! il y avait des écoles primaires en Belgique avant la loi de 1842, des écoles primaires qui n'étaient pas rationalistes ; j'en ai même connu une, pour ma part, à Anvers, une véritable école modèle, dirigée par des hommes dont, je crois, le père de l’honorable M. Jacobs faisait partie avec le mien, avec des membres de l’opinion catholique politique, avec des membres de l’opinion libérale, une école administrée par des hommes de toutes les opinions, je dirai plus, de toutes les croyances et fréquentée par des enfants de toutes les religions.

Cette école n'était pas rationaliste ; cependant le prêtre n'y intervenait pas à titre d'autorité ; les enfants recevaient l'enseignement religieux chacun dans son église, et tout le monde s'en trouvait bien. Cette école a prospéré jusqu' au vote de la loi de 1842 ; après cela elle est tombée par degrés ; si elle existe encore aujourd'hui, certes, elle n'a plus l'éclat qu'elle avait autrefois. Ce n'est donc pas faire une profession de foi rationaliste que de combattre l'intervention du prêtre, à titre d'autorité, dans l'école primaire, pas plus que ce n'est être rationaliste que de combattre la prétention du clergé d'exercer la police dans les cimetières.

On peut être sincèrement religieux, professer des opinions orthodoxes et résister néanmoins aux prétentions du clergé d'un culte ou de tous les cultes, et je crois qu'il est des citoyens pleins de foi qui raisonnent ainsi ; à mon avis, ce sont les plus sages.

Si je ne suis pas partisan de la révision de la loi de 1842, c'est parce que je ne veux pas apporter une perturbation complète dans un enseignement qui a été si pénible à organiser. Je ne veux pas, alors que nous avons partout besoin d'avoir des écoles, des instituteurs et des élèves, alors que nous travaillons depuis près d'un quart de siècle à les organiser, à les améliorer et à y attirer la foule ; je ne veux pas, dis-je, dans un intérêt purement politique qui n'est pas conforme, je le déclare comme M. le ministre de l'intérieur, à l'opinion de tous les libéraux, il s'en faut de beaucoup, je ne veux pas, pour donner satisfaction à une nuance de mon parti, jeter la perturbation dans l'enseignement primaire, et faire en sorte que le clergé excommunie les écoles communales pour accaparer à son profit leurs élèves et leur popularité. Ce serait nous faire reculer dans le domaine où nous cherchons à lutter, et donner de nouveaux avantages à l'ignorance, que nous combattons de toutes nos forces.

Voilà mon opinion sur la loi de 1842, opinion profondément sincère, et j'aime à croire que M. Wasseige ne m'accusera pas de vouloir ramener la barbarie en Belgique pour l'avoir exprimée. Je crois, d'autre part, qu'il y a des choses plus urgentes à faire qu'à réviser l'article 6 de la loi de 1842, et j'ai demandé la parole pour répondre à ce propos quelques mots à un discours fort intéressant de M. le ministre de l'intérieur. Je ne suis pas aussi optimiste que lui et je ne partage pas complètement son enthousiasme au sujet des résultats qu'a produits la loi.

Le tableau que l'honorable ministre nous a tracé est assurément très souriant ; il nous a indiqué un nombre d'écoles, d'instituteurs et d'élèves très respectable. Mais il s'agit de voir quels sont les progrès que nous avons accomplis. Je me hâte de le dire, je rends un sincère hommage au zèle, aux intentions patriotiques du ministère, et je dirai même des cabinets qui l'ont précédé, en ce qui concerne l'impulsion donnée à l'instruction primaire.

Je crois même que M, le ministre de l'intérieur a eu tort de croire qu'à l'étranger on accuse le gouvernement belge d'avoir agi trop peu Je ne sais quel est le recueil étranger auquel M. le ministre a fait allusion, mais je me rappelle avoir vu, il y a quelque temps, dans un admirable livre consacré à l'enseignement public, dans l'ouvrage de J. Simon, intitulé l'Ecole, un hommage éclatant et légitime rendu aux efforts du gouvernement belge.

M. Jules Simon reconnaît parfaitement que le gouvernement belge est un de ceux qui, depuis vingt ans, ont fait le plus pour l'instruction primaire, et je crois que son témoignage impartial réfute suffisamment les critiques du recueil dont M. le ministre de l'intérieur a parlé sans le nommer.

Et puisque j'ai prononcé le nom de M. Jules Simon, je me permettrai une petite parenthèse.

On est venu, l'année dernière, invoquer dans cette enceinte l'autorité de M. Jules Simon contre le devoir de l'Etat d’intervenir dans l'enseignement. Je me rappelle avoir entendu citer des extraits d'un discours que M. Jules Simon a prononcé au congrès de Gant et dans lequel il disait que le gouvernement ne devait intervenir que dans le cas d'insuffisance de la liberté. On s'était complètement trompé ; on n'avait pas lu ou l'on n'avait pas compris le discours de M. Jules Simon.

M. Jules Simon était venu combattre à Gaud le monopole de l'université de France, mais il professait notre doctrine, il àdmettait que l'Etat devait intervenir dans l'enseignement ; que c'était de sa part un devoir sacré. Le livre dans lequel M. Jules Simon professe et défend la doctrine de l'enseignement obligatoire est une éloquente réponse aux éloges dont cet illustre philosophe a été l'objet dans cette enceinte, de la part des membres les plus éminents de la droite.

Je demande à la Chambre encore quelques instants d'attention. Je tiens à lui communiquer des chiffres qui j'ai puisés dans les rapports triennaux, et qui m'autorisent à dire qu'en fait d'enseignement primaire nous ne sommes pas dans une position aussi satisfaisante que le prétend M. le ministre de l'intérieur.

Ainsi, il est parfaitement vrai, comme l'a avancé M. le ministre, qu'en 1860, nous avions 5,538 écoles communales ; mais il y avait 5,614 écoles en 1816, d'après le premier rapport triennal. (Interruption.)

Oh ! j'ai prévu l'objection ; on me dira que l'on comptait en 1846 plus, d'écoles libres que d'écoles communales ; cela est parfaitement exact mais l'augmentation du nombre des écoles communales n'a pas été très considérable : en 1860, nous n'avions pas 1,000 écoles communales de plus ; et nous avions beaucoup moins d'écoles libres, et ce fait est grave, car il entraîne après lui une conséquence très fâcheuse, la diminution du nombre des élèves.

Ainsi, en 1840, d'après le rapport décennal présenté aux Chambres par l'honorable M. Nothomb en 1842 (et je cite la page pour que vous puissiez contrôler mes chiffres ; c'est à la page 49), il y avait 453,00 élèves dans les écoles sur une population de 4,064,000 habitants ; et en 1860, il y avait 515,812 élèves dans les écoles sur une population de 4,700,000 habitants ; c'est-à-dire qu'en 1840 plus du neuvième de la population fréquentait les écoles primaires, et qu'en 1860 moins du neuvième de la population les fréquentait.

Donc, si le nombre des écoles communales a augmenté, la disparition d'un grand nombre d'écoles libres a diminué le nombre général des élèves fréquentant les écoles.

(page 266) Or, les écoles communales ne m'inspirent pas un assez grand enthousiasme pourque je puisse me déclarer satisfait de l'augmentation constante du nombre de ces élèves, aux dépens de la fréquentation générale des écoles primaires ; je le dis très franchement.

Il doit donc y avoir ici un vice ; je ne l'explique pas, je le signale.

Je crois que si les inspecteurs de l'enseignement primaire veulent dire la vérité tout entière, comme M. le ministre de l'intérieur le leur a demandé dans l'enquête qu'il a ouverte ; s'ils veulent dire la vérité tout entière, comme la vérité a été dite dans l'enquête française et dans l'enquête anglaise, on parviendra à connaître les motifs réels de cette diminution ; j'y tiens beaucoup, pour ma part, afin d'y pouvoir porter remède.

M. Dumortier. - Cela prouve qu'on a tort d'entraver la liberté.

M. Hymans. - Messieurs, en ce qui concerne les instituteurs, et ici l'honorable M. Dumortier ne m'approuve plus, je pense, je constate un autre fait qui prouve que nous avons énormément à faire.

En 1840, il y avait dans le pays 5,320 instituteurs et institutrices. En 1860 nous en comptions 8,389 ; c'est une augmentation énorme en 20 ans. Mais il y a une petite ombre à ce tableau.

Prenons les institutrices. Sur 3,640 institutrices, il n'y en a que 287 diplômées ; et sur 2,273 institutrices religieuses, dont 1,266 donnent un enseignement officiel dans les écoles adoptées ou privées, aux termes de l'article 2 de la loi, il n'y en a que 15 munies d'un diplôme.

Sur 362 instituteurs religieux qui existaient, en 1860, dans le pays, et dont 83 donnaient un enseignement officiel, payé par les autorités constituées, il y en avait deux pourvus d'un diplôme.

Cela est évidemment déplorable !

En résumé, en 1860, sur 8,389 instituteurs et institutrices, moins de 2,000 sont diplômés ; tandis qu'en 1840, sur les 5,320 instituteurs et institutrices que la Belgique comptait alors, il y en avait 1,783 qui étaient munis d'un brevet de capacité.

On me dira peut-être que les brevets de capacité d'alors valaient moins que les diplômes d'instituteur qu'on délivre aujourd'hui ; c'est possible ; mais en tout cas, il est infiniment préférable d'avoir des brevets de capacité douteux que de n'avoir pas de diplôme du tout.

Ici donc encore la proportion est en faveur du passé.

Messieurs, encore deux mots à propos des bâtiments d'école.

Vous savez qu'il y a en Belgique 2,538 communes. Le gouvernement nous apprend dans le dernier rapport triennal, que nous ne possédons que 1,613 bâtiments d'école convenables.

Dans les villes, l’enseignement est admirablement organisé, il faut le reconnaître, et puisqu'on a fait l'éloge de ce que les villes de Gand et de Liège ont fait sous ce rapport, éloge auquel je m'associe de tout cœur, je me permettrai d'en dire autant de l'organisation de l'enseignement primaire à Bruxelles ; c'est un acte de politesse envers un honorable collègue qui, en sa qualité d'échevin de la capitale, a dans ses attributions l'instruction publique ; c'est en même temps un acte de justice dont je suis heureux de prendre l'initiative dans cette enceinte.

Je disais donc que dans les villes l'enseignement primaire est organisé d'une manière convenable. Pour 86 villes, vous avez 96 bâtiments d'école, remplissant les conditions voulues ; malheureusement, pour 2,452 communes rurales, il n'y a que 1,517 bâtiments d'école convenables. Il en manque donc 935.

D'après le premier rapport triennal, il n'en manquait que 1,091. C'est assez dire que les besoins augmentent ; ou bien que nous n'avons pas fait assez.

Aussi, dans un des rapports subséquents on formulait une proposition que je serais heureux de voir reproduire aujourd'hui.

Nous avons dit quelquefois : « Pourquoi ne fait-on pas un emprunt pour doter les communes de bâtiments d'école ? » Le ministre des finances se récriait à ce propos : mais cette idée d'un emprunt, nous la trouvons tout entière dans le troisième rapport triennal. C'est l'honorable M. Rogier qui en a eu l'idée ; et cet emprunt n'aurait rien coûté à l'Etat, car le gouvernement aurait demandé à la Banque nationale des capitaux qu'il aurait avancés aux communes qui en auraient payé les intérêts et l'amortissement.

C’est un projet simple et rationnel que je serais heureux de voir reprendre, d'autant plus que les communes se trouvent aujourd'hui dans une position beaucoup plus favorable qu'à cette époque. L'abolition de l'octroi a doté les communes rurales d'un revenu considérable qui va tous les ans en augmentant, qui, pour quelques-unes, s'est déjà accru dans la proportion de 20 à 30 p. c, depuis que le fonds communal existe. Je crois donc qu'il serait beaucoup plus facile aujourd'hui qu'il y a dix ans, pour les communes, de payer les intérêts et l'amortissement du capital qui leur serait avancé.

Messieurs, une mesure de ce genre me paraît d'autant plus indispensable que les besoins sont énormes. Lisez l'exposé de la situation des différentes provinces, vous verrez que, dans le Brabant, il faut encore trois millions et demi pour compléter l'organisation matérielle de l'enseignement primaire, que dans le Hainaut il faut 4 millions ; dans la province de Liège 3 millions et plus. Enfin, d'après une brochure qui a été publiée par un fonctionnaire du département de l'intérieur, attaché à la division de l'instruction publique, pour organiser l'enseignement dans tout le pays, il faudrait consacrer une somme de 27 millions au moins à la construction de bâtiments d'école. Et notez qu'il ne s'agit nullement ici d'organiser l'enseignement obligatoire qui exigerait 5,000 maisons d'école de plus, lesquelles, à 15,000 fr. par école, feraient une dépense de 75 millions.

Je ne veux pas abuser davantage des moments de la Chambre. J'avais d'autres renseignements intéressants à lui communiquer. Je m'en abstiendrai pour le moment. Les observations et les idées que je comptais vous soumettre, je les émettrai à propos de la discussion du projet de loi allouant un million pour construction de bâtiments d'école. Je m'aperçois que la Chambre est fatiguée. Ce que j'ai à dire nous conduirait à une longue discussion. Comme nous entrons en vacance demain ou après-demain, la discussion serait écourtée. J'aime mieux dire tout ce que j'ai à dire après les vacances et discuter cette question à fond. Je vous fais donc grâce pour aujourd'hui du reste de mon éloquence.

M. Delcourµ. - Je me proposais de justifier devant la Chambre la loi de 1842. Mon honorable ami, M. Wasseige, vous a présenté des considérations toutes politiques. Je veux, messieurs, me placer à un tout autre point de vue. Je veux suivre l'exemple que nous a donné M. le ministre de l'intérieur et considérer la loi de 1842 dans ses résultats pratiques.

Avant d'aborder cette discussion pratique, je tiens cependant à déclarer que j'ai été heureux d'entendre le gouvernement déclarer, par l'organe de M. le ministre de l'intérieur, qu'il n'était pas disposé à apporter des modifications à la loi de 1842.

Je me suis souvent demandé quelle était la cause de cette grande opposition qui se manifeste aujourd'hui contre la loi de 1842. Je ne vois réellement qu'une seule disposition sérieusement attaquée, c'est l'article 6 de la loi qui porte :

« L'instruction primaire comprend nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale. L'enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des élèves de l'école. »

Je me suis demandé en outre quelle pouvait être la cause de cette opposition ; je crois l'avoir trouvée dans un rapport qui a été présenté au conseil communal de Gand.

Dans ce rapport, il est un mot qui caractérise, me paraît-il, tout l'esprit de la discussion actuelle ou plutôt qui caractérise le véritable sentiment de l'opposition.

Voici ce mot :

« L'éducation dite religieuse a dégradé les enfants au lieu de les développer. » (Interruption.)

C'est contre cette parole que je viens protester. Quoi ! l'enseignement religieux, l'enseignement moral aurait dégradé les enfants au lieu de les développer ! (Nouvelles interruptions.)

M. Bouvierµ. - C'est une appréciation personnelle cela.

- Un membre. - De quelle date est ce rapport ?

M. Delcourµ. - Je vous donnerai la date demain, je ne l'ai pas ici.

Je m'explique, dis-je, en présence de ce rapport, l'opposition qui se produit aujourd'hui contre la loi de 1842. Mais je m'explique aussi pourquoi, sur les bancs de la gauche, où siège l'honorable M. Giroul, nous rencontrons plusieurs honorables collègues peu disposés à le suivre dans la voie dans laquelle il veut les entraîner.

Messieurs, l'honorable M. Giroul vous a cité une anecdote, il vous a parlé d'un fait qui se serait présenté au conseil communal de Liège. Permettez-moi de vous citer à mon tour un fait qui est à ma connaissance personnelle et qui vous démontrera jusqu'à quel point nos populations belges sont restées catholiques.

Au mois d'août dernier, j'étais consulté par un père de famille qui se proposait de placer son fils dans une institution religieuse, dans une institution dirigée par les évêques. Ce père de famille appartient à l'opinion libérale, et occupe dans la société une des positions les plus élevées. Sur cette demande, je lui fis instinctivement l'observation que j'étais étonné qu'il me consultât sur un établissement religieux. Savez-vous ce qu'il m'a répondu ? - Je suis père de famille ; comme père de famille, je connais mes devoirs ; je saurai les remplir.

Eh bien, messieurs, aussi longtemps que nous aurons en Belgique des (page 267) pères de famille connaissant leurs devoirs, la loi de 1842 n'aura rien à redouter des attaques dirigées contre elle.

On vous a dit tantôt quel est le véritable esprit de la loi de 1842. On vous a fait comprendre pourquoi le législateur de 1842 avait introduit l’enseignement de la religion et de la morale comme devant être la base essentielle de l'instruction populaire.

On vous a cité des noms qui font autorité dans la science, qui font autorité dans la politique. Je ne veux pas revenir sur tous ces points ; j'abuserais des moments de la Chambre. Mais il y a deux choses que je tiens a rappeler devant vous. La première, c'est l'opinion de l'honorable M. Rogier énoncée dans le projet de loi qu'il a présenté en 1834. C'est lui le premier qui a inscrit dans son projet que l'enseignement de la religion et de la morale devait nécessairement faire partie de l'enseignement primaire.

On a aussi cité un autre nom, un nom belge que nous vénérons tous, un nom auquel vous, comme nous, nous attachons la plus haute estime. Eh bien, voici ce que disait l'honorable M. Leclercq devant la Chambre des représentants en 1841. (Interruption.)

Je sais bien que ces autorités vous déplaisent.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Allard. - On n'a pas voulu de M. Leclercq à Rome comme ambassadeur.

M. Delcourµ. - Vos interruptions ne me déconcerteront pas. Je suis décidé à dire toute ma pensée ; je la dirai jusqu'au bout, et lorsque j'en appelle à l'autorité d'un homme comme M. Leclercq...

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous l'avez renversé.

M. Delcourµ. - Je n'avais pas l'honneur de faire partie de la Chambre à cette époque, M. le ministre. Je ne soulève aucune discussion politique ; je rappelle l'opinion d'une autorité, et cette autorité, vous pouvez l'écouter puisque je crois que vous faisiez partie du cabinet de 1841.

Les paroles prononcées par M. Leclercq ont été prononcées dans la séance de la Chambre du 27 février 1841, au nom du cabinet tout entier. Les voici :

« Je pense et tous mes collègues pensent avec moi, que quand il s'agit de la jeunesse, l'instruction religieuse ne doit pas être séparée de l'éducation ; nous pensons qu'il n'y a pas d'éducation sans qu'on donne une instruction religieuse, sans que l'on inspire des habitudes religieuses à la jeunesse, sans qu'on lui donne une instruction religieuse. Nous pensons que, pour tout ce qui regarde la religion dans l'éducation, il faut faire, par la loi, aux ministres des cultes une part d'intervention proportionnée à l'importance de la religion. » «

Voilà la profession de foi du ministère de 1841, voilà les principes qu'il invoquait. Messieurs, trouvez-vous étonnant qu'en 1842 l'enseignement religieux ait été inscrit dans la loi sur l'enseignement primaire ?

L'honorable M. Giroul a fait deux objections contre la loi de 1842 ; il a dit, d'abord, qu'elle consacre en fait le principe d'une religion d'Etat ; il a dit, en second lieu, qu'elle porte atteinte à l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Voilà je crois les deux grandes objections que l'honorable membre a soulevées contre la loi de 1842. Un mot de réponse à chacune de ces objections.

Non, la loi de 1842 n'a pas consacré le principe d'une religion d'Etat. Qu'est-ce qu'une religion d'Etat ?

C'est une religion jouissant de privilèges, c'est un clergé ayant le droit de participer d'une manière qui lui est propre soit à la confection des lois, soit à l'administration des provinces, des communes ou des établissements publics.

Or, rien de semblable ne se présente sous l'empire de la loi de 1842. Vous avez des écoles primaires destinées aux protestants, des écoles primaires destinées aux israélites, des écoles primaires enfin destinées aux catholiques ; vous le voyez, messieurs, vous avez un système complet, une organisation qui tient compte de la liberté des cultes et du droit que revendique le gouvernement d'intervenir dans l'instruction publique.

Je vous l'ai déjà dit, messieurs, la loi de 1842 a été une transaction entre ces deux principes fondamentaux.

On vous l'a dit, messieurs, c'était en 1842 l'époque de la transaction ; on voulait une politique transactionnelle, c'est-à-dire qu'on voulait appliquer les principes de la Constitution de manière à ne froisser aucune opinion. Voilà, je le répète, ce qu'on voulait en 1842.

M. Giroul a dit aussi que la loi de 1842 viole le principe de l'égalité devant la loi et qu'à l'avenir il faudra être catholique pour être instituteur d'une école primaire. Si l'honorable M. Giroul avait été au courant des faits, il aurait su que, sans sortir de la banlieue ce Bruxelles, un instituteur a été écarté d'une école protestante parce qu'il était catholique.

M. Giroulµ. - C'est très regrettable.

M. Delcourµ. - Voilà le fait, il prouve que votre objection n'est point fondée.

Messieurs, lorsque l'honorable M. Giroul prononçait ces paroles, je me rappelais un fait particulier qui s'est passé dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter à la Chambre. Veuillez, je vous prie, ma prêter un instant d'attention, car je signale un fait sur lequel j'interpelle M. le ministre de l'intérieur, sur lequel je le prie de vouloir bien donner une explication précise.

Un instituteur d'une ville de la province de Brabant donnait, le dimanche, dans un local particulier, dans le local de la société de Saint-Vincent de Paul, l'enseignement aux enfants pauvres, qui ne pouvaient pas fréquenter l'école communale, soit parce qu'ils étaient occupés pendant la semaine aux travaux de l'agriculture, soit parce qu'ils étaient retenus dans les ateliers.

Eh bien, messieurs, cet homme de dévouement, dont il aurait fallu récompenser la conduite exemplaire, a reçu, au mois de juillet dernier, une lettre de l'inspecteur cantonal lui interdisant de continuer cet enseignement sans une autorisation de l'autorité locale.

Ainsi, voilà un instituteur qui use de sa liberté, un instituteur qui va même au-devant du vœu de M. le ministre de l'intérieur et qui est, en quelque sorte, réprimandé, pour avoir fait une bonne action ! Vous n'avez pas oublié, messieurs, que M. le ministre de l'intérieur nous disait, hier, qu'il avait l'intention d'organiser des écoles dominicales ; eh bien, l'instituteur dont je vous parle, au lieu d'être soutenu par l'administration, reçut une lettre peu bienveillante de son chef immédiat.

Ce fait s'est passé à Tirlemont, et la lettre a été adressée à l'instituteur par l'inspecteur cantonal du 4ème ressort de la province de Brabant.

Maintenant, messieurs, permettez-moi de dire un mot de l'inspection ecclésiastique.

Si j'ai bien compris, l'honorable M. Hymans vous a parlé d'une enquête que poursuit, dans ce moment, l'honorable ministre de l'intérieur.

Cette enquête, en effet, a été ordonnée par une circulaire du mois d'août 1863 ; cette circulaire a chargé les inspecteurs de s'informer des résultats qui ont été obtenus par l'exécution de la loi de 1842. Messieurs, les instituteurs ont répondu presque à l'unanimité qu'ils n'avaient qu'à se féliciter de leurs rapports avec le clergé, et tous, presque sans exception encore, ont déclaré que sans l'enseignement de la religion et de la morale, les écoles perdraient la confiance des parents et seraient désertées par les élèves. Je crois ces renseignements très exacts et je prie l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir bien nous dire si ses informations répondent à celles que j'ai recueillies.

Je dis donc, messieurs, que la loi de 1842 a produit de bons effets ; on a consulté les inspecteurs, on a consulté les instituteurs et tous ont reconnu que la loi, dans ses résultats généraux, est des plus satisfaisantes.

Maintenant, messieurs, puisque nous parlons des effets généraux produits par la loi de 1842, permettez-moi de les résumer en quelques mots :

1° Elle a contribué au développement de l'enseignement primaire, tant communal que privé ;

2° Elle a réhabilité la carrière de l'instituteur en rétablissant la confiance des pères de famille par une fusion heureuse de l'éducation et de l'instruction ;

3° L'inspection civile et ecclésiastique, le bienveillant concours des autorités communales et du clergé, les conférences ont imprimé une impulsion nouvelle qui a profité aux instituteurs, aux élèves et même aux écoles libres. Celles-ci rivalisent presque partout avec les écoles communales ;

4° Le nombre des élèves fréquentant les écoles primaires augmente d'année en année, et la civilisation chrétienne pénètre chaque jour davantage dans nos populations ;

5° Enfin, les enfants qui fréquentent régulièrement l'école pendant les années voulues par la loi, peuvent acquérir les connaissances usuelles convenables à tous les états de la société.

Voilà, messieurs, les résultats constatés ; c'est en présence de ces résultats qu'on vient nous demander la révision d'une loi de transaction, la révision d'une loi qui a été votée pour ainsi dire par l'unanimité des Chambres et cela, permettez-moi de le dire, en grande partie parce que la loi consacre l'enseignement de la religion !

Messieurs, en parcourant les documents de la loi de 1842 j'ai été frappé de la remarque suivante.

L'honorable M. Nothomb disait :

« L'Etat ne suffira jamais par lui-même à tous les besoins de l'enseignement primaire ; les administrations publiques doivent aider au maintien et à la formation des institutions privées qui prêtent un concours si (page 258) efficace à la mission civilisatrice du gouvernement. Ce n'est pas trop de tous les efforts réunis et des administrations publiques et de la charité privée pour instruire la classe la plus malheureuse du peuple. »

Ces paroles prononcées en 1842 se vérifient aujourd'hui en tous points.

Voyons ce qui se passe à Bruxelles.

Le dernier rapport sur la situation de la capitale constate que la ville de Bruxelles s'impose une dépense considérable en faveur de l'instruction primaire. Eh bien, malgré ces sacrifices il y a à Bruxelles, à côté des écoles communales, 21 écoles gratuites, et ces 21 écoles donnent l’enseignement à près de 7,000 pauvres.

Messieurs, il n'y a qu'un instant l'honorable M. Hymans vous parlait des corporations religieuses. Il était étonné de rencontrer tant de personnes dévouées à l'enseignement parmi les membres des corporations religieuses. On n'est pas juste, messieurs, envers les corporations religieuses, envers l'enseignement libre.

Les corporations religieuses rendent de grands services à la cause de l'enseignement populaire ; je n'en veux d'autre exemple que ce qui s'est passé à Bruxelles. Mais j'irai plus loin.

On accuse souvent l'enseignement donné par les corporations religieuses de ne pas être aussi solide que l'enseignement laïque donné dans les écoles communales.

J'ai sous la main un fait qui vous donnera la mesure du peu de fondement de ce reproche. Je puis d'autant mieux le produire, qu'il est à ma connaissance personnelle, et qu'il se rattache à une institution religieuse de la ville de Louvain.

Nous avons, à Louvain, les frères des écoles chrétiennes. Ces religieux, malgré les éclatants succès obtenus par leurs élèves dans les divers concours, ont perdu la confiance du conseil communal qui leur a retiré le subside qui leur était alloué pour donner l'instruction aux pauvres de la ville.

Voici la série des succès de l'école des frères de Louvain. Cette école s'est présentée aux trois concours qui ont eu lieu dans la province de Brabant en 1849, en 1855 et en 1861.

La première fois, les élèves de cette école ont obtenu le second prix et plusieurs mentions honorables.

La deuxième fois, ils ont obtenu une médaille d'honneur, un premier prix et une mention honorable.

La troisième fois, une médaille d'honneur, trois premiers prix, un troisième et un quatrième prix et plusieurs montions honorables.

Voilà, messieurs, des résultats certains sur lesquels j'appelle toute l’attention de la Chambre.

M. Bara. - Avec 25 points pour le catéchisme.

M. Delcourµ. - Soyons justes. Ces chiffres sont de la dernière exactitude.

Je dis, moi, que l'établissement qui obtient de tels succès ne laisse rien à désirer sous le rapport de l'enseignement primaire.

Il y a un autre point, messieurs, sur lequel j'insisterai un instant.

L'honorable ministre de l'intérieur vous disait qu'il serait à désirer qu'on formât des écoles dominicales. C'est même une amélioration qu'il vous a annoncée.

Messieurs, les écoles dominicales existent, elles existent en grand nombre.

Voici le bilan de ces écoles dans les provinces de Brabant et d'Anvers, j'aurais désiré le rendre plus complet et étendre mes investigations sur les autres provinces, mais le temps m'a fait défaut. Les renseignements que j'ai l'honneur de vous communiquer sont officiels.

En 1864, il y a, dans la province de Brabant, 130 écoles dominicales, dirigées par le clergé ou par des corporations religieuses. Elles sont fréquentées par 11,685 élèves :

(Suit le tableau détaillé, non repris dans la présente version numérisée)

Vous voyez, messieurs, que nous n'avons rien à demander au gouvernement et que, s'il y a un exemple à prendre quelque part, c'est auprès des catholiques qui s’imposent les plus lourds sacrifices pour donner aux pauvres l’enseignement primaire.

Dans la province d'Anvers, les écoles dominicales sont réparties de la manière suivante :

A Anvers et dans ses faubourgs, toutes les paroisses ont des écoles dominicales. Ces écoles sont au nombre de 25. Chacune d'elles est fréquentée par environ 150 ou 200 élèves.

Les villes de Lierre et de Malines ont ensemble 5 écoles, fréquentées par 800 élèves ; dans les autres cantons il existe environ 65 écoles dirigées par la charité privée et les corporations religieuses.

Voilà ce que nous avons fait pour l'enseignement du peuple sans le budget de l'Etat. Vous voyez que nous n'avons pas besoin de votre concours.

M. Bara. - La loi est si bonne cependant.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Voulez-vous me dire dans quels documents statistiques vous avez puisé vos renseignements ?

M. Delcourµ. - Mes renseignements sont certains, j'affirme les faits.

Je déclare une fois pour toutes que je ne produirai jamais devant la Chambre aucun fait dont je ne serai pas sûr.

- Une voix. - Mais la source ?

M. Delcourµ. - Les renseignements m'ont été communiqués par une personne en qui j'ai pleine confiance. (Interruption.) Je suis étonné de ces interruptions. De quoi s'agit-il ? Je ne viens en définitive qu'appuyer une parole de M. le ministre de l'intérieur. Il vous a dit dans son dernier discours : Je reconnais qu'il y a encore quelque chose à faire dans l'intérêt de l’enseignement du peuple, qu'il y a à créer des écoles dominicales. Je vous dit, moi, que nous avons créé ces écoles dominicales, et vous avez l'air de suspecter ma pensée.

M. Bara. - Sont-elles bonnes vos écoles ?

M. Delcourµ. - Je crois cependant être modéré ; je n'adresse de personnalité à qui que ce soit ; je me borne à constater des faits, et si ces faits ne sont pas vrais, je prie mes honorables adversaires de vouloir les contredire, mais je les défie de le faire...

M. Bouvierµ. - Nous ne disons pas que les faits sont inexacts ; nous demandons à quelle source ils sont puisés.

MpVµ. - Pas d'interruption !

M. Delcourµ. - Je viens de parler de Bruxelles ; je vous ai dit que d'après le rapport sur la situation de la capitale de grandes dépenses y sont faites dans l'intérêt de l'enseignement public. A cette occasion, je veux adresser à M. le ministre de l'intérieur une question. Je lui demanderai si, à Bruxelles, la loi de 1842 reçoit sa pleine et entière exécution.

Voici d'abord un premier fait ; Je vois que beaucoup d'élèves pauvres ne peuvent être admis dans les écoles communales ; ce fait est consigné dans le rapport même sur la situation de la ville de Bruxelles. Cependant, on reçoit dans certaine école communale qui n'est pas assez vaste pour y admettre tous les pauvres, on reçoit, dis-je, des élèves payants. Je désire une explication sur ce point.

Le second fait est celui-ci :

Tout le monde a entendu parler d'un établissement communal érigé depuis peu de temps, dont la direction a été confiée à Mlle Gatti de Gamond.

Je demande si cet établissement a été érigé conformément à la loi. Ou bien l'institution nouvelle est une école primaire, ou bien c'est une école moyenne. Si c'est une école primaire, je désirerais savoir si on y exécute les dispositions suivantes de la loi de 1842. D'abord l'enseignement religieux y est-il donné sous la direction du clergé ou des autres ministres des cultes ? J'ai appris que l'école est fréquentée par des élèves appartenant à divers cultes.

Je ne réclame pas de privilège pour les ministres du culte catholique ; je demande seulement que la loi soit exécutée, qu'il s'agisse d'une école protestante ou d'une école juive. Je demande, en second lieu, si la personne à laquelle est confiée la direction de l'école, est pourvue d'un diplôme, et, dans le cas où elle ce serait pas diplômée, elle ou les autres institutrices, je désire savoir si l'article 10 de la loi, qui oblige les communes à demander l'autorisation du gouvernement, a reçu son exécution.

Ce sont là des dispositions formelles de la loi, et il est de notre devoir de veiller à ce que le gouvernement eu assure l'exécution.

Ou bien l'établissement dont il s'agit est un établissement d'instruction moyenne, et, dans ce cas, il doit être régi par la loi du 1er juin 1850. Je demande : 1° si l'administration communale de Bruxelles a obtenu de (page 269) la députation permanente l'autorisation nécessaire pour créer l'établissement en question ; 2° si l’enseignement de la religion y est donné après avoir invité les ministres du culte à diriger cet enseignement, comme l'exige l'article 6 de la loi. Je demande, enfin, si les institutrices sont munies du diplôme requis par la loi.

Je sais bien, M. le ministre, qu'aucune mesure n'a encore été prise et que les institutrices ne peuvent point obtenir le diplôme spécial requis pour l'enseignement moyen.

Mais je voudrais que pour un établissement de cette importance, les institutrices eussent reçu au moins le diplôme du premier degré de l'enseignement primaire.

M. Bara. - Et les religieuses ?

M. Delcourµ. - Il ne s'agit pas ici de religieuses ; d'ailleurs je ne demande pas d'exception pour les religieuses. Je me trouve en présence d'un fait administratif, et j'interpelle le gouvernement sur le point de savoir si la loi a été exécutée à Bruxelles. Si elle a été exécutée, j'en félicite le gouvernement. Mais si elle a été méconnue, je le supplie de la faire exécuter, car la loi doit être une pour tous.

Un dernier mot, messieurs. M. le ministre a sollicité une augmentation de crédit en faveur de l'instruction primaire. Prenant la parole pour la première fois sur le chapitre du budget relatif à l'instruction publique, je tiens à déclarer que j'appuie la proposition du gouvernement. Personne n'apprécie avec plus de reconnaissance que moi les services que rendent à la société nos bons instituteurs. Je voterai toujours les sommes qui me seront demandées pour assurer l'exécution de la loi de 1842 dans sa lettre et dans son esprit. Le gouvernement, quel qu'il soit et dans ces conditions, peut compter sur mon concours.

Et en agissant ainsi, je réponds aux précédents et aux traditions de mon parti.

J'ai entendu avec bonheur l’honorable ministre de l'intérieur reconnaître cette vérité. Oui, messieurs, je le dis avec la plus grande sincérité, nous pouvons être des adversaires politiques, nous pouvons avoir des convictions différentes, mais lorsqu'il s'agit de l'enseignement du peuple soyez sûrs que, dans les conditions de la loi de 1842, vous rencontrerez toujours sur nos bancs un concours actif et efficace.

- A demain !

- La séance est levée à 5 heures.