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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 30 novembre 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 99) M. Jacobsµ procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Thienpont donne lecture du procès-verbal de la séance-précédente. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Humbeeck présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des ouvriers de Bruxelles demandent une loi qui abroge toute répression de la coalition comme telle et qui punisse simplement la menace et la violence. »

« Même demande d'ouvriers à Gand. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants de Chaumont-Gistoux et de Corroy-le-Grand demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Le sieur Damseaux demande que le prix de l'abonnement au Moniteur officiel soit fixé à 6 francs. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« Le sieur Trauwens, secrétaire du parquet à Hasselt, demande que son traitement soit porté au taux de celui des commis greffiers attachés au même tribunal. »

« Le sieur Ronny fait la même demande pour les secrétaires des parquets des tribunaux de première instance. »

(page 100) Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« Le sieur Pirotte, ancien brigadier de gendarmerie, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Houtain-Saint-Siméon prient la Chambre d'accorder aux sieurs Vander Elst la concession d'un chemin de fer de Mons par Landen sur Tongres vers Aix-la-Chapelle. »

- Même renvoi.


« Le sieur Noël offre, sous dos conditions d'indemnité, de faire connaître un moyen pour découvrir les fraudes dans certains droits indirects. »

- Même renvoi.


« Des ouvriers à Gand demandent que les dispositions du nouveau Code pénal, relatives aux coalitions, qui ont été adoptées par la Chambre, soient rendues obligatoires. »

M. Debaets. - Je propose à la Chambre de renvoyer cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport. »

- Adopté.


« Le bureau de bienfaisance de Vertyrck réclame contre la mesure prise par la conseil communal de Louvain, pour opérer la liquidation du mont-de-piété de cette ville. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M Landeloosµ. - Je demande que la commission soit invitée à présenter un prompt rapport sur cette pétition.

M. Delcourµ. - Je m'associe à la demande de mon honorable collègue M. Landeloos.

- La proposition de M. Landeloos est adoptée.


« M. Le Bailly de Tilleghem, retenu pour affaires importantes, demande un congé, »

- Accordé.

Proposition de loi

Dépôt

MpVµ. - Six membres de l'assemblée ont déposé une proposition de loi ; elle sera immédiatement renvoyée aux sections pour qu'elles examinent si la lecture en sera autorisée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1865

Discussion générale

M. Jacobsµ. - Messieurs, il y a quelques jours j'ai eu l'honneur de développer devant la Chambre ce principe : que tout sacrifice imposé à quelques citoyens dans l'intérêt de tous doit être réparé par la généralité.

J'en faisais l'application aux servitudes militaires ; aujourd'hui, j'en viens réclamer la mise en pratique en ce qui concerne les servitudes judiciaires, la détention préventive*.

Ceux d'entre vous, messieurs, qui faisaient partie de la Chambre au mois de mars 1862 se rappellent, sans doute, le discours prononcé par l'honorable M. Nothomb dans le débat relatif aux demandes d'indemnités des propriétaires voisins d'Anvers.

Ce discours qui est, je me plais à le reconnaître, une des belles pages de nos annales parlementaires, est aussi l'ensemble des objections les plus fortes, les plus sérieuses qu'on puisse formuler contre ces réclamations que je me fais un devoir de soutenir.

L'honorable membre, passant en revue toutes les servitudes sociales, s'arrêtait de préférence à la conscription et à la détention préventive.

Voyez, disait-il, ce qui se passe autour de nous ; la société belge a besoin de cent mille gardiens pour pouvoir dormir tranquille ; chaque année elle en choisit dix mille ; elle leur demande le sacrifice de leur temps, de leur liberté, s'il le faut de leur existence ; et après les avoir usés pendant huit années à son service, elle les congédie, sans position, sans indemnité, sans avenir.

Un crime se commet ; la société est alarmée ; elle s'en prend à un homme, elle lui dit : « Tu es le coupable. » Elle l'arrache à sa famille, elle le traîne en prison, elle le met au secret pendant 3 mois, pendant 6 mois, et lorsqu'elle a constaté son innocence, elle lui dit : « J'ai ébranlé ton crédit, ta fortune, ton honneur, ta considération, ta santé, je t'ai tout pris, je ne te rends rien, nous sommes quittes. »

Aussi longtemps, concluait l'honorable membre, que la société belge ne réparera pas la servitude du sang et la servitude de l'honneur, aussi longtemps je ne m'apitoierai pas sur les servitudes des champs et des maisons.

Messieurs, après avoir lu ce discours, je me suis senti peu porté à abandonner la causa des servitudes militaires ; mais je me suis promis de saisir la première occasion qui se présenterait de prendre en mains, au même titre, la cause de ceux qui ont subi abusivement une détention préventive ; et je n'hésite pas à aller jusque-là : s'il m'était démontré que l'Etat belge n'est pas assez riche pour réparer tous les dommages qu'il cause, je serais prêt à reconnaître que ses obligations vis-à-vis des citoyens qui, par une erreur de la justice, ont été détenus préventivement, sont des dettes plus sacrées encore qui celles qui lui incombent à l'égard de ceux dont il grève les biens de servitudes militaires ; mais je me hâte d'ajouter que l'Etat belge est à même de faire face à toutes ses dettes ; et, en effet, la généralité des Belges n'aurait pas plus de charges à supporter qu'aujourd'hui ; la différence entre le statu quo et la situation que je voudrais voir s'établir ne consisterait qu'en un changement de répartition.

Je profite donc de la discussion du budget de la justice pour signaler à l'attention du gouvernement et de la législature la nécessité d'introduire dans nos lois le droit à l'indemnité en faveur de ceux qui ont subi une détention préventive et dont la poursuite a abouti à un jugement d'acquittement.

Messieurs, le principe que j'ai l'honneur de soutenir n'est pas neuf, et je n'en suis pas le premier interprète ; il a réuni les suffrages des criminalistes les plus distingués ; il a pour lui la consécration de plusieurs législations.

On convient généralement que lorsque l'Etat occasionne à un citoyen innocent un dommage moral, en même temps qu'un dommage matériel, il faut, outre la réparation morale qui est l'acquittement, une réparation matérielle qui ne peut être qu'une indemnité pécuniaire.

Le premier criminaliste qui, à ma connaissance, l'a réclamé , c'est Bentham. Lui le premier s'est posé cette question : « Instituée pour la réparation des torts, la justice voudrait-elle que les siens fussent privilégiés ? » Merlin, Legraverend, Faustin Hélie se la sont posée après lui et tous l'ont résolue dans le sens de la disposition que je voudrais voir introduire dans nos lois.

M. Bonneville, conseiller à la cour impériale de Paris, dans un ouvrage remarquable intitulé : « De l'amélioration de la loi criminelle, » consacre plusieurs chapitres au développement de cette opinion.

Enfin, je rappellerai à ceux d'entre vous, messieurs, qui se trouvaient à Gand, en 1863, au congrès international de l'association pour le progrès des sciences sociales, et spécialement à l'honorable secrétaire général de ce congrès, que la même thèse y a été défendue avec talen1tpar MM. Herold, avocat à la cour de cassation de France, et Floquety avocat à la cour impériale de Paris, et que si elle n'a pas fait l'objet d'une décision de l'assemblée, il est certain qu'elle y a rencontré de nombreuses et chaleureuses sympathies.

Je viens de dire qu'outre le suffrage des criminalistes que j'ai énumérés, l'indemnité en matière de détention préventive avait pour elle la consécration pratique de plusieurs pays. Déjà âu siècle dernier les lois léopoldines de Toscane l'admettaient. Et, chose très curieuse, à la fin du règne de Louis XV1, dans un lit de justice tenu le 8 mai 1788 par le roi devant le parlement assemblé, le garde des sceaux, M. de Lamoignon, s'exprimait de la manière suivante :

« Après avoir déterminé la forme du jugement des coupables, le roi s'est occupé des dédommagements que vous décernez aux innocents lorsqu'ils ont subi, sur de faux indices, les rigueurs d'une poursuite criminelle.

« Sa Majesté a voulu connaître le genre de réparation que la loi devait leur avoir assurer.

« Je dois le déclarer hautement : Sa Majesté a vu avec la plus grande surprise que la législation de son royaume n'avait encore rien statué en leur faveur ; et que, s'il ne se trouvait au procès une partie civile qui put être condamnée aux frais de l'impression et de l'affiche du jugement d'absolution, cette faible indemnité n'était même pas accordée à l'innocence.

« Le roi s'occupe de ces réparations, qu'il regarde comme une dette de la justice. »

J'ajouterai que la plupart des cahiers remis par les bailliages de France à leurs députés aux états généraux contenaient la demande de l'introduction de cette réforme.

Aujourd'hui, en Autriche, dans le royaume des Deux-Siciles avant l'annexion (depuis, j'ignore ce qui s'est fait), dans plusieurs cantons de la Suisse : à Berne, à Bâle, dans le canton de Vaud ; enfin dans le projet de révision du code pénal soumis aux chambres portugaises, ce principe est admis ou proposé.

En Belgique même, sans que la législature ait eu à se prononcer sur ce point, elle a cependant, à l'occasion de la condamnation de deux malheureux, Bonne et Geens, reconnu qu'il était équitable d'allouer des indemnités aux victimes des erreurs judiciaires.

(page 101) Assurément, le cas était plus grave, le préjudice plus considérable ; mais les victimes de la justice en matière de détention préventive méritent, aussi bien qu'en matière d'emprisonnement répressif reconnu plus tard immérité, une équitable réparation.

La plupart des auteurs et des législations que j'ai cités font une distinction que je crois fondée ; ils n'accordent pas indistinctement l'indemnité à tous les détenus dont l'emprisonnement n'aboutit pas à une condamnation. Nous avons différentes espèces d'acquittements : lorsque l'innocence est démontrée, l'indemnité est allouée ; lorsque, au contraire, l'acquittement est le résultat du doute, lorsqu'il est prononcé par suite de ce que les faits ne sont pas suffisamment établis, l'indemnité n'est pas accordée ; elle suppose un droit ; elle exige plus qu'un doute. Et même lorsque l'innocence est proclamée, il y a encore une distinction à établir : si le détenu s'est attiré sa détention préventive en égarant le cours de la justice par des manœuvres, par des réticences, par de fausses déclarations, il n'a qu'à s'en prendre à lui-même de l'emprisonnement qu'il a subi, ce serait une duperie de l'en dédommager.

Dans de telles conditions, il n'y aurait aucun inconvénient, me semble-t-il, à introduire le principe de l'indemnité dans la législation belge ; plusieurs jurisconsultes se sont même demandé jusqu'à quel point nos lois ne suffisaient pas pour l'appliquer dans les cas pour lesquels je la réclame ?

Ils se sont dit que l'article 1382 du Code civil, d'après lequel tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, s'applique à la société comme à l'individu ; ils se sont dit que l'article 358 du Code d'instruction criminelle en vertu duquel, après l'acquittement, la cour d'assises statue sur les dommages-intérêts respectivement réclamés par l'acquitté et par la partie civile, s'applique aussi à la partie publique.

Cette conclusion d'ailleurs se justifie par l'origine historique du droit d'accusation : à Rome, à Athènes, le premier venu pouvait se constituer accusateur à ses risques et périls ; depuis on a substitué la société à l'individu ; et l'on se demande comment le droit de poursuite ne serait pas resté entouré des mêmes garanties, de la même responsabilité en passant des mains de l'individu aux mains du corps social ?

Il serait non seulement plus équitable de réparer le préjudice causé par la société à quelques-uns de ses membres, mais ce système aurait un autre avantage encore ; on se plaint de l'abus de la détention préventive ; il a diminué, il existe encore ; ne serait-il pas près de disparaître s'il avait une sanction pécuniaire ? Les magistrats sont économes des deniers publics, et je les en loue. Les magistrats sont hommes, et comme tous les hommes ils apprécient moins ce dont ils ont la disposition gratuite, fût-ce la liberté de leurs semblables ; c'est une infirmité de notre nature dont il est bon de tenir compte, je n'en fais pas l'objet d'une critique. Les cas de détention préventive, j'en suis convaincu, deviendront moins nombreux, si la garantie de l'indemnité est admise par le législateur en faveur de celui qui en a été la victime.

A côté et comme contrepartie de l'indemnité eu cas d'acquittement, vient se placer, en cas de condamnation, le décompte du temps qu'a duré la détention primitive que l'on soustrait du montant de la condamnation.

Un prévenu encourt une peine de 6 mois d'emprisonnement, il a subi une détention préventive de trois mois, il lui reste trois mois à subir. Ce décompte est admis avec moins de difficulté que l'indemnité, parce que la question financière n'est pas en jeu.

Les tribunaux l'appliquent, mais au lieu de le voir pratiquer d'une manière cachée, subreptice, illégale, je voudrais le voir fonctionner au grand jour, d'une manière ouverte, légale.

Aujourd'hui le public, ignorant des cas de détention préventive, s'étonne de voir des faits identiques punis de peines différentes, des faits différents frappés de peines identiques ; de là grand scandale, et la justice perd son prestige.

Si le décompte était fait officiellement, comme cela a lieu en Autriche, en Bavière, en Sardaigne, cet inconvénient disparaîtrait.

Le projet de révision du code pénal portugais est conçu dans le même sens.

Je signale ce double objet à l'attention du gouvernement ; tous ceux d'entre nous qui font partie du barreau, et il y en a beaucoup dans cette enceinte, savent ce que produit dans un ménage d'honnêtes ouvriers, de petits artisans même, la détention préventive du chef de famille ; privé de son gagne-pain, le peu d'objets de quelque valeur qu'il possède prend le chemin du mont-de-piété, on fait des dettes, il en résulte un arriéré bien difficile à combler.

Ce serait non seulement un acte de justice, mais un acte d'humanité de la part du gouvernement que de réparer à l'aide d'une modique indemnité le mal que cause dans ces cas l'erreur de ses agents judiciaires.

Je l'invite instamment à introduire ces réformes dans nos lois, et s'il n'a pas dès aujourd'hui une opinion arrêtée à cet égard, qu'il se livre au moins à une étude approfondie des questions que je lui soumets.

M. Jamar, rapporteur. - De nombreuses pétitions, messieurs, vous arrivent depuis quelques jours de divers points du pays vous demandant de supprimer ou de réformer les articles du Code pénal relatifs aux coalitions.

Ce ne sont pas seulement des ouvriers qui vous prient de faire disparaître de notre législation des prescriptions qu'ils considèrent comme étant en opposition manifeste avec l'esprit de notre Constitution et le grand principe de la liberté du travail, mais des chefs d'industrie n'ont point hésité à se joindre à eux.

Je tiens à constater que, sans attendre ces manifestations de l'opinion publique, la Chambre s'était préoccupée de cette importante question. Avant qu'aucune pétition vous fût parvenue, la section centrale, que vous aviez chargée de l'examen du budget de la justice, a indiqué au gouvernement la nécessité d'une réforme que la raison conseille et que l'équité commande.

Vous vous rappelez, messieurs, les longs et importants débats auxquels donna lieu la discussion des articles 346 à 348 du nouveau Code pénal.

Dès cette époque et sur tous les bancs de la Chambre, un grand nombre de membres pensaient que le moment était venu de laisser aux ouvriers la liberté la plus large de s'associer pour discuter les conditions du travail et pour résister, même par une abstention concertée, à des prétentions qu'ils trouvaient injustes ou blessantes.

En présence de cette opposition, le projet primitif de la commission dut être modifié.

La majorité se rallia à un terme moyen qui ne mettait à l'exercice de ce droit qu'une restriction, celle d'une notification faite un mois ou quinze jours à l'avance, suivant la nature des industries et les usages en vigueur dans ces industries.

Trente membres toutefois persistèrent à repousser un système qu'ils considéraient comme en contradiction avec nos principes constitutionnel. Ils condamnaient en outre l'intervention de l'Etat dans les rapports entre les maîtres et les ouvriers comme ne pouvant que troubler les lois naturelles qui doivent présider à ces rapports.

Tel qu'il était cependant, il faut le reconnaître, le projet adopté par la Chambre constituait un progrès utile et sérieux, mais quatre années se sont écoulées depuis cette époque sans que votre décision ait porté ses fruits.

Ce sont encore les articles 414 et 415 du Code pénal que le juge applique aux faits de coalition, alors même qu'ils se produisent dans des conditions que vous avez déclarées légitimes et licites.

C'est à cette situation qu'il faut porter remède, sans attendre que la Chambre ait pu terminer la révision du Code pénal.

Il y a donc lieu d'accueillir les vœux des pétitionnaires et de réviser, par une disposition spéciale, les articles 414 et 415 du Code pénal.

Je crois qu'à cet égard il y a unanimité dans cette enceinte et le gouvernement ne pourrait, sans méconnaître des aspirations très légitimes, retarder cette réforme.

Dans quelle mesure se fera-t-elle ?

Se bornera-t-on à mettre en vigueur les articles 546 et 548 tels qu'ils ont été votés par la Chambre ?

Fera-t-on un pas en avant dans la voie où l'on est entré en 1860, en réduisant à huit jours le délai fixé par l'article 346, afin d'indiquer plus nettement que la pensée du législateur est de mettre obstacle seulement à un entraînement irréfléchi ?

Proclamera-t-on, enfin, et c'est là, pour ma part, la solution que je préfère, le droit absolu des ouvriers de s'associer pour délibérer en commun sur les conditions du travail, sans qu'on puisse voir dans ce concert, s'il n'est point d'ailleurs accompagné de menaces ni de violences, les éléments d'un délit ?

C'est ce que la Chambre pourra plus utilement discuter quand le gouvernement, se rendant au vœu que nous lui exprimons, déposera un projet de loi dans ce but.

Toutefois il m'est impossible de ne pas appeler l'attention du gouvernement sur une des faces de cette question qui emprunte une importance nouvelle aux faits économiques qui se sont produits depuis 1860.

Le régime inauguré par le traité franco-belge a réalisé toutes les espérances de ceux qui voyaient dans la liberté l'élément le plus fécond de la grandeur et de la prospérité de notre industrie. A côté du prodigieux développement des intérêts matériels que nos statistiques commerciales (page 102) révèlent, on peut constater des résultats d'un ordre purement moral et qui ont certainement une égale importance à vos yeux.

Ils se rattachent en effet à une de ces rares questions qui ont le privilège de réunir nos esprits et nos cœurs dans une communauté intime de sentiments.

Les questions politiques nous séparent en deux camps ; au sein même de ces deux partis des discussions, des dissidences surgissent ; mais qu'il s'agisse du bien-être et de l'avenir des classes ouvrières, à l'instant nos dissentiments s'effacent, font place à une égale et ardente préoccupation, celle d'assurer cet avenir et d'augmenter ce bien-être.

En cela nous obéissons à deux mobiles différents. Comme hommes, c'est le plus noble de nos sentiments, la fraternité, qui nous inspire. Comme législateurs, nous cherchons à assurer la sécurité de la société moderne en mettant l'ouvrier à même de se soustraire par son travail à la plus dure, à la plus implacable des oppressions, celle de la misère.

Depuis 1860, nous avons fait un grand pas vers la solution de cet important problème, que pouvaient seules résoudre deux forces trop négligées, jusque dans ces dernières années, par les chefs d'industrie, l'instruction des classes ouvrières et le développement de l'esprit d'association parmi ces populations.

La liberté est venue mettre ces forces en lumière.

Sous l'aiguillon de la concurrence, les chefs d'industrie se sont préoccupés des armes dont se servaient avec le plus d'avantage les nations avec lesquelles ils allaient engager ces grandes luttes pacifiques.

Ils n'ont pas tardé à constater que partout les progrès de l'industrie se liaient étroitement, non seulement à la perfection des machines, mais surtout au degré d'intelligence de ceux qui doivent leur donner l’impulsion, en devenir l'âme en quelque sorte.

Ils reconnurent que les sacrifices pour améliorer la condition de l'ouvrier que dictaient déjà à un grand nombre de chefs d'industrie en Belgique les inspirations d'un esprit droit et les élans d'un cœur généreux, étaient une condition de succès pour l'industrie.

Ils comprirent qu'il ne fallait plus chercher dans l'ouvrier une force matérielle, directement et péniblement agissante, à laquelle la concurrence des machines n'assignait qu'un salaire insuffisant, mais qu'il fallait surtout développer cette force sans limites que Dieu a mise dans l'homme, l'intelligence.

C'est à ce but que tendent aujourd'hui tous leurs efforts.

Nous les avions précédés dans cette voie. Ils la trouvèrent préparée par les mesures intelligentes prises depuis longtemps par le gouvernement et par les ressources que la législature n'avait pas hésité à mettre à la disposition des ministres.

Quel a été le résultat de ce concours d'efforts ?

Les rapports des chambres de commerce le constatent.

Il réalise nos plus chères espérances.

Partout le niveau moral et intellectuel des populations ouvrières s'élève ; partout se nouent entre les chefs d'industrie et les ouvriers des relations qui amèneront cette solidarité qui est le premier élément de richesse pour les uns, de bien-être pour les autres.

Eh bien, je n'hésite pas à le dire, si vous voulez que cette confiance s'affermisse, si vous voulez que cette harmonie ne soit jamais troublée, faites disparaître de nos codes cette loi sur les coalitions.

Injuste, inconstitutionnelle aux yeux des travailleurs, elle jette dans leur esprit des germes de défiance qu'il faut faire disparaître.

Aussi, à ce point de vue surtout, toute restriction aura à mes yeux des inconvénients mille fois plus grands que les avantages de la pénalité que vous pourriez édicter en cas d'inexécution de ces restrictions.

Oui, certes, la prison est un frein ; mais c'est un frein que trop souvent l'imprévoyance et l'incurie sociale rendent seules nécessaire.

Ne nous bornons pas à répandre parmi les enfants du peuple quelques notions élémentaires ; appliquons-nous surtout à faire fructifier, au lieu de les laisser se détruire trop souvent, les germes recueillis dans l'école du premier âge.

Ne nous bornons pas à développer chez les travailleurs les notions qui rendront l'ouvrier plus ou moins habile, mais souvenons-nous que tant vaut l'homme intime, tant vaut le travailleur. Efforçons nous de développer chez l'ouvrier le sentiment de sa dignité et de sa responsabilité personnelle, et nous trouverons dans ces sentiments des freins aussi puissants que la prison, mais qui seront en harmonie avec les progrès de la civilisation qui sont l'honneur de notre temps.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, les observations que j’aurai l'honneur de présenter à la Chambre touchent à l'une des questions les plus graves qui se rattachent au budget de la justice. J'ai l'intention d'examiner quelle est aujourd'hui en Belgique l'organisation de la détention pénale, quels en sont les résultats, quels sont les fruit qu'on est en droit d'en attendre.

Je m'efforcerai de le faire en termes concis, en m'appuyant sur des données statistiques dont j'ai puisé la plus grande partie au département même de la justice. Il en est d'autres que j'ai recueillis en visitant .avec une anxieuse attention la plupart des maisons de détention.

Plus j'ai pénétré dans ces réceptacles de hontes et de crimes, d'angoisses et de douleurs, plus il m'a paru que la société, par cela même qu'élite exerce en souveraine le droit de répression, est plus sérieusement tenue d'en peser les obligations et d'en apprécier la responsabilité.

Un principe incontestable domine tonte cette question : c'est qu'en supposant le Code pénal parfait, les résultats qu'il peut produire, bons ou mauvais, fécondes ou stériles, resteront toujours subordonnés aux règles suivies dans l'application des peines.

Deux systèmes, vous le savez, messieurs, sont depuis longtemps en présence, le système de la détention en commun et le système cellulaires.

Comme la plupart d'entre vous, messieurs, je suis hostile au système de la détention en commun, qui encourage et enseigne l'obstination dans la faute, l'orgueil dans le vice, l'effronterie et l'impudence dans le crime.

Comme la plupart d'entre vous, je suis favorable au système cellulaire qui rappelle le coupable à la méditation et par là au repentir et qui à la contagion du mal substitue la leçon religieuse et morale.

Mais, comment se fait-il, messieurs, que depuis peu d'années l'enthousiasme si légitime inspiré par la système cellulaire ait rencontré de nombreux contradicteurs et se soit même trouvé en quelque sorte flétri par des désaveux officiels ? Vous savez, messieurs, qu'en 1853, à la suite d'une longue enquête, le gouvernement français a renoncé complètement au système cellulaire.

En Angleterre, dans cette même année 1853, le système cellulaire a été aussi abandonné puisqu'on en a réduit la durée à neuf mois et qu'on ne l'a guère maintenu que comme frein disciplinaire.

Aux Etats-Unis d'Amérique qui longtemps se sont vantés d'en être le berceau, on a vu plusieurs législatures abroger également le système cellulaire.

Enfin autour de nous le système cellulaire a rencontré de consciencieux adversaires.

A qui, messieurs, faut-il en imputer la faute ?

Est-ce à l'inspection générale des prisons, confiée pendant longtemps à un homme dont l'autorité en ces matières est si légitimement acceptée dans toute l'Europe ?

Est-ce à l'administration de nos maisons de détention et de nos établissements pénitentiaires ? Evidemment non. Tous les membres de la Chambre qui ont visité ces maisons de détention et ces établissements pénitentiaires s'uniront à moi dans ce témoignage qu'il n'est pas d'hommes plus instruits et plus dévoués, et l'hommage que je leur rends ici du haut de la tribune nationale ne peut qu'acquitter une faible partie de la reconnaissance publique.

Où est la faute ? Je suis convaincu, messieurs, qu'elle réside tout entière dans un état de tâtonnements et d'incertitude dont il faut se hâter de sortir. Je crois qu'il faut faire quelque chose de mieux que le règlement du mois de novembre 1855 et que l'expérience de ces dernières années ne doit pas rester stérile.

Il importe, messieurs, d'examiner la situation telle qu'elle s'est modifiée depuis 1855.

En 1855, les prisons de tout genre, jusqu'alors réservées à la détention en commun, pouvaient suffire à une population d'environ 10,500 prisonniers. Depuis 1855, on a créé 2,600 cellules, et, il y a à peine quelques mois, M. le ministre de la justice a demandé et obtenu un crédit d'un demi-million, destiné, si je ne me trompe, à l'établissement de 125 cellules nouvelles.

Que se proposaient, messieurs, le gouvernement et la législature par l'introduction du système cellulaire ?

Vous vouliez diminuer le nombre des détenus ; c'était là, au point de vue des dépenses, une compensation et même une économie qu'on faisait entrevoir dans un prochain avenir.

Ce résultat a été obtenu. De 1859 à 1864 la population des prisons a été notablement réduite. Mais vous vouliez aussi frapper plus efficacement les grands coupables et leur laisser, après l'application de la peine, le salutaire effroi d'un châtiment plus rigoureux et plus sévère.

Qu'est-il arrivé à cet égard ?

Si je m'arrête d'abord à la maison centrale de Louvain, qui excite à si juste titre l'admiration de tous ceux qui la visitent, j'observe que, sur 1051 condamnés aux travaux forcés, la maison de Louvain en a reçu 68 ; que sur 172 condamnés à la réclusion, elle en a reçu 59 ; que sur (page 103) 2,229 condamnés à un emprisonnement de 6 mois et plus, elle en a reçu 183 ; mais on trouve à Louvain 240 détenus militaires qui occupent près de la moitié des cellules.

Si je passe aux autres maisons cellulaires, je remarque qu'elles ne renferment que 9 condamnés aux travaux forcés et 4 condamnés à la réclusion ; mais on y rencontre 509 condamnés à la peine de l'emprisonnement, 23 condamnés à des peines de simple police, 454 militaires, 18 détenus pour amendes et frais de justice, 6 pour dettes, 8 par correction paternelle et 90 accusés et prévenus.

En résumant ces chiffres dans un tableau qui présente l'ensemble des maisons cellulaires, je constate que le 1er janvier 1864, sur 1,051 condamnés aux travaux forcés, le système cellulaire n'était appliqué qu'à 80, moins de 8 p. c ; que sur 172 condamnés à la réclusion, le système cellulaire n'était appliqué qu'à 42, moins du quart, et enfin que sur 5,612 condamnés à un emprisonnement de six mois et plus, il n'en atteignait que 1,944, un peu plus du tiers ; mais, d'autre part, nous y voyons soumis 804 détenus militaires sur 1,557, soit deux tiers, 153 prévenus sur 225, c'est-à-dire plus de la moitié, 47 détenus pour dettes civiles et commerciales sur 64, également plus de la moitié, et de plus 14 mineurs détenus en vertu de l'autorité paternelle.

Est-ce là, messieurs, ce qu'on s'était proposé en établissant à grands frais les rigueurs du système cellulaire ?

Vous vouliez encore, messieurs, faire disparaître après la libération du condamné, ce qui est un grand danger pour la société et aussi la plus grande honte de la législation pénale, je veux parler de la récidive.

Ce résultat a-t-il été obtenu ? Pouvait-il l'être avec l'application du système cellulaire, telle que je viens de l'indiquer ?

De 1850 à 1855, sur 1,217 individus jugés en cour d'assises, je trouve 456 récidiviste, c'est-à-dire un tiers.

En 1855, sur 5,600 détenus il y avait 3,000 récidivistes. En 1860, on ne rencontre plus que 2,350 récidivistes sur 6,400 détenus ; mais cette situation plus favorable ne se soutient guère. En 1862, sur 171 personnes qui comparaissent en cour d'assises, il y a 95 récidivistes, plus de la moitié, et si pendant cette année le nombre des récidivistes est porté en cour d'assises de 88 à 95, il s'accroît devant les tribunaux correctionnels dans une proportion plus effrayante encore, de 1,558 à 1,808.

Faut-il faire retomber la responsabilité de cet état de choses sur l'introduction bien récente du système cellulaire ? A coup sûr, non ; mai il faut en accuser le système de la détention en commun qui continue à fonctionner. C'est ce système qui en 1862 a conduit en France devant la seule juridiction des tribunaux correctionnels 47,500 récidivistes. C’est ce système qui explique comment la maison de Gand compte parmi ses libérés environ deux tiers de récidivistes, et comment en 1860, à Saint-Bernard, il se trouvait 668 récidivistes sur 900 détenus.

Cependant ce n'est pas le système de la détection en commun qu'il faut charger exclusivement du poids de cette situation déplorable. Il faut aussi prendre en considération ce qui se passe à la sortie du coupable de la prison. A ce moment si important pour son avenir, nous rencontrons de mauvaises mesures qu'il faut supprimer, et nous sentons en même temps le besoin de créer quelque chose de nouveau.

Ce qu'il faut supprimer, c'est la peine de la surveillance de la policé réglée par la loi du 31 décembre 1836, et reproduite dans les articles 11 et 44 du nouveau code pénal.

N'imposez pas au condamné cette feuille de route, qui, partout où il passera, révélera sa honte, lors même que sa peine a dû l'expier et l'effacer ; ne le parquez plus dans quelques villes les seules peut-être en l'absence de toute industrie lui rendra impossible de subvenir par le travail à ses besoins ; ne l'obligez pas à se présenter à jour fixe chez un commissaire de police, car il trouvera là d'autres repris de justice qui lui rappelleront ce qu'il eût dû oublier et qui lui offriront l'occasion, à l'entrée même du prétoire de la police, de renouer d'anciennes relations et de former de nouveaux complots. En un mot ne dites plus au condamné : « Pendant toute votre peine, j'ai voulu vous rendre honnête homme, et lorsque votre peine vient d'expirer, je vous défends de le redevenir. » Ne le dites pas, car le jour où cet homme, entraîné malgré lui par la nécessité, reparaîtrait sur les bancs de la cour d'assises, il y aurait deux coupables, lui à un degré inférieur, mais au premier rang la société.

Nous nous trouvons donc devant un système incohérent et contradictoire.

Il faut en faire reposer l'application sur des bases meilleures. Il faut remonter aux principes qui ont présidé au système cellulaire.

Je m'explique :

Il y a deux manières de considérer la peine ; dans ses rapports avec la société ou avec le coupable.

Sous le premier rapport, nous voyons la société qui exerce le droit de défense, la première nécessité sociale.

Sous le second rapport, les opinions se sont bien modifiées.

Pendant longtemps la loi pénale avait l'expiation pour but.

L'expiation ! c'est là le langage des anciens législateurs. Ils avaient d'abord autorisé la vengeance de l'individu contre l'individu. Plus tard, en se réservant le soin de la vindicte publique, ils crurent encore que, pour châtier le forfait d'un furieux, la société devait se faire cruelle et barbare. Aujourd'hui d'autres idées ont prévalu. La société laisse l'expiation au jugement de Dieu ; sa tâche est remplie quand elle assure l'amendement du coupable. Le système cellulaire ne tend qu'à l'amendement du condamné, c'est l'amendement qui doit en régler soit l'organisation et les conditions, soit la durée.

Voici, messieurs, en me plaçant à ce point de vue, les vœux que je forme et sur lesquels j'appelle l'attention du gouvernement et de la Chambre.

D'une part, je demande que tous ceux qui sont condamnés pour la première fois, en commençant, parmi ceux-ci, par ceux qui sont frappés de la peine la plus forte, soient soumis sans exception au système cellulaire.

D'autre part, je suis d'opinion qu'il n'y a pas lieu à l'appliquer aux prévenus. Je comprends fort bien l'emprisonnement séparé pour les prévenus, mais je ne puis admettre que l'accusé, réputé innocent jusqu'à l'heure de sa condamnation, soit enfermé dans une cellule semblable à celle qui reçoit le coupable, ni qu'on lui fasse porter, comme je l'ai vu moi-même, l'ignoble capuchon qui est en quelque sorte la livrée du crime subissant l'isolement et la honte.

Je demande que le système cellulaire ne soit pas appliqué à des condamnés de simple police, et à plus forte raison aux détenus pour dettes. C'est sans doute cette catégorie de détenus qui est la moins dangereuse, et certes en faisant la part du malheur, la rigueur du système cellulaire est ici injustifiable. La même observation s'étend aux détenus pour amendes et frais judiciaires.

A mon avis, le système cellulaire ne doit pas atteindre les soldats frappés de condamnations qui n'entraînent pas la déchéance du rang militaire. L'immobilité de la vie cellulaire convient peu à des soldats destinés à rentrer dans l'armée et qu'il vaut mieux envoyer aux compagnies disciplinaires.

J'exprime le vœu de voir affranchir de la détention cellulaire les jeunes gens incarcérés en vertu de l'autorité paternelle, et même tous les condamnés qui n'auraient pas atteint l'âge de 18 ou de 21 ans. Les jeunes gens de ces catégories devraient être conduits aux établissements agricoles de Ruysselede et de Bernem, où rien ne contrarie le développement des forces et où l'éducation morale est au niveau de l'éducation physique.

Je souhaite que le régime cellulaire n'atteigne pas les hommes âgés de 65 ans et les femmes âgées de 60 ans, et que ces catégories de condamnés soient renvoyées à un établissement agricole.

Je demande qu'un règlement uniforme détermine pour toutes les maisons cellulaires le nombre d'heures de conférences et d'instructions.

Je demande que les comités de surveillance et de patronage soient efficacement réorganisés.

De plus, pour tempérer la rigueur du système cellulaire, je demande que le directeur de la prison, après un an au moins d'incarcération, puisse autoriser, par groupes de 4 à 5 individus au maximum, le travail en commun des détenus dont l'amendement lui parait complet.

D'accord avec la commission du Sénat qui a examiné le Code pénal, je demande que dans le calcul de la durée de la peine, chaque année de détention cellulaire compte pour deux, et que dans tous les cas la durée de la détention cellulaire soit réduite, s'il s'agit de condamnés aux travaux forcés, à huit années, et s'il s'agit d'autres peines, à cinq années, avec réduction d'un quart pour les femmes et les condamnés âgés de 55 ans.

Selon moi, prolonger au delà de ces limites l'emprisonnement cellulaire, ce n'est plus amender, c'est torturer, c'est exagérer une épreuve dont il n'est plus permis d'espérer aucun fruit. Au delà de ces limites, il faudrait, selon moi, que le comité de surveillance attaché à la maison de détention examinât, sur la proposition du directeur et sous la réserve de l'approbation de M. le ministre de la justice, si le condamné offre une nature endurcie et indomptable ; et s'il en était ainsi, il ne resterait qu'à le réintégrer dans une de nos anciennes maisons de force, ou, ce qui serait bien préférable, il faudrait aviser au moyen de rétablir la déportation dans la loi pénale et délivrer la patrie d'un homme dont elle n'a plus rien à attendre, pas même le repentir.

Mais ce cas, je l'espère, sera bien rare, et il n'y aura point de gloire (page 104) plus haute pour nos maisons répressives que de pouvoir constater que, pendant l'incarcération, il ne se trouve aucun détenu inaccessible au remords, et qu'après la libération l'amendement est resté complet et sincère. Si mes informations sont exactes, on n'a pas constaté jusqu'ici de récidivistes parmi le petit nombre de condamnés qui sont sortis de la maison de Louvain, et l'amendement y est si grand, que la détention en commun forme la menace qu'ils redoutent le plus.

J'aime donc à prévoir l'amendement, et pour l'assurer, voici ce que je propose.

Après l'expiration de la moitié de la peine, le détenu qui, pendant l'incarcération cellulaire, aura fait preuve d'amendement, pourra être envoyé dans un établissement agricole spéciale, analogue à notre admirable colonie pénitentiaire de Ruysselede ; si sa conduite y reste satisfaisante pendant une année et s’il s’est ainsi préparé par le travail à rentrer dans la vie active, il obtiendra sa libération provisoire, par application au système du ticket of leave qui, en Angleterre, a produit d’excellents résultats partout ailleurs qu’à Londres.

L'autorité judiciaire pourra, à la première plainte, le réintégrer dans la maison de détention, et tout en supprimant la surveillance de la police, la société restera armée vis-à-vis du condamné, au moment même où, par sa clémence et ta générosité, elle le convie au retour à la vie honnête par la persévérance dans le bien.

Je m'arrêterai ici, messieurs, et peut-être ai-je déjà donné trop de développements à ce discours. Néanmoins plus je considère la question que j'ai traitée, plus je la juge grave et sérieuse n'est-ce pas en effet à cette question de l'amendement du coupable qu'est étroitement liée celle du maintien de la peine de mort ? Je ne veux pas juger la peine de mort en théorie. Elle est juste en droit si en fait elle est nécessaire. C'est, comme l'a dit Montesquieu, le remède violent d'une société malade, ou, comme l'a ajouté Rossi, un remède violent qu'il faudra supprimer aussitôt que cela sera possible ; mais pour démontrer que la peine de mort est juste, qu'elle est nécessaire, il faut établir d'abord que la société fait tout ce qui dépend d'elle pour prévenir le mal, et que ses efforts étant complets mais stériles, l'intimidation sanglante de l'échafaud reste son unique salut.

Pour moi, messieurs, j'aime mieux appeler la société à une œuvre toute différente ; j'aime mieux chercher dans la salutaire influence des vérités religieuses et morales, celte leçon du repentir bien autrement éloquente que la torture d'un malheureux sans défense dans son duel avec le bourreau ; et n'en doutez pas, messieurs, lorsque à l'avenir, dès la première faute, la société fera pour l'amendement du coupable tout ce qu'elle est tenue de faire, vous aurez brisé cet échelon fatal où chaque degré est marqué par un délit nouveau, et le jour où la récidive ne sera qu'un fait exceptionnel, où le crime ne sera qu'un accident isolé sans précédents et sans imitateurs, nous pourrons avec un empressement unanime effacer la peine de mort de nos codes.

M. Lelièvre. - A l'occasion du budget en discussion, je crois devoir recommander au gouvernement certaines réformes sur lesquelles j'appelle son attention.

Depuis longtemps la nécessité de la nomination d'un juge civil à l'effet de présider les tribunaux de commerce est signalée par tous les hommes d'expérience.

Il est indispensable que parmi les magistrats il se trouve un homme capable d'éclairer le siège sur les questions de droit.

On connaît quels heureux résultats a produits une nomination analogue au sein de la cour militaire et dans les conseils de discipline de la garde civique.

L'amélioration dont je parle est l'une des plus heureuses à introduire dans l'administration de la justice consulaire.

Une réforme, qui est également indispensable, concerne la pêche. Nous sommes encore régis, sous ce rapport, par les dispositions de l'ordonnance de 1669 qui n'ont plus rien de commun avec nos institutions et contiennent des pénalités repoussées par les principes en vigueur aujourd'hui.

Nous sommes, en cette matière, devancés par la France qui, dès 1828, a adopté une nouvelle législation.

On croirait à peine que le fait de pêcher en temps de frai est puni, indépendamment de l'amende, d'un emprisonnement d'un mois.

L'ordonnance contient, en un grand nombre de cas, des pénalités réellement excessives.

M. le ministre se rappelle que, lors de la discussion du Code forestier en 1852, il avait annoncé la présentation prochaine d'un projet de loi relatif à la pêche. J'appelle donc sur cet objet toute la sollicitude du gouvernement.

Je m'associe volontiers aux réformes énoncées au rapport de la section centrale en ce qui concerne le Code pénal, militaire et les coalitions, et j'émets le vœu qu'au point de vue des réformes, nous puissions réaliser sans retard les mesures progressives que réclament diverses parties de notre législation.

M. Bouvierµ. - Messieurs, d'après une loi de 1807, les tribunaux de commerce nommaient les agents liquidateurs des faillites. Ces agents étaient nommés pour un temps très peu considérable et ils ne pouvaient être nommés deux fois aux mêmes fonctions, à moins qu'ils ne fussent créanciers.

A l'expiration de ces fonctions, les créanciers étaient appelés à nommer des syndics provisoires, et des syndics définitifs qui administraient la masse créancière.

D'après la loi de 1851, le gouvernement avait la faculté de nommer des liquidateurs assermentés dans les villes où le nombre des affaires est considérable et où les faillites sont importantes.

Jusqu'ici, je ne pense pas que le gouvernement ait fait usage de cette faculté. Ainsi, à Bruxelles, il n'en a pas usé. Le tribunal de commerce de Bruxelles nomme des curateurs, et cependant, comme je viens de le dire, la loi de 1851 veut qu'il y ait des liquidateurs assermentés qui doivent être nommés d'après l'avis des cours d'appel ; et c'est d'après l'avis de ces liquidateurs que les tribunaux consulaires doivent nommer des curateurs.

Aujourd'hui, je le répète, cette loi de 1851 n'est pas observée à Bruxelles ; le tribunal nomme des curateurs et les nomme dans un cercle très étroit, de telle sorte que ce sont toujours les mêmes personnes qui sont appelée à ces fonctions.

Je pense, messieurs, que c'est là un système contraire à la nouvelle loi ; il y est d'autant plus contraire que c'est une juridiction inférieure qui usurpe en quelque sorte les attributions d'une juridiction supérieure, parce que, comme j'ai eu l’honneur de le dire tout à l'heure, ce sont les cours d'appel qui doivent donner leur avis sur les nominations des liquidateurs assermentés.

J'appelle toute l'attention de M. le ministre de la justice sur ce fait. La loi de 1807 a été modifiée parcelle de 1851, et ce n'est point pour que cette dernière restât à l'état de lettre morte ; et, je ne puis assez le répéter, les dispositions de la loi de 1851 ne sont pas suivies à Bruxelles.

M. De Fré. - Messieurs, j'ai entendu parler tout à l'heure de la loi sur la détention préventive, et l'honorable M. Jacobs vous en a fait la critique. Je ne pense pas que la loi soit si mauvaise, mais son application laisse souvent à désirer.

La loi de 1852 sur la détention préventive est évidemment une loi libérale, en ce sens qu'elle crée un état de choses bien meilleur que celui qui avait été créé par le Code d'instruction criminelle.

Aux termes de la loi de 1852, l'emprisonnement préventif, lorsqu'il s'agit de délits, n'existe qu'à l'état d'exception ; mais, je le répète, toute loi devant être appliquée par des hommes, dans son application la loi laisse énormément à désirer, et je crois que les auteurs de la loi ont été très étonnés de voir qu'elle n'ait pas produit de meilleurs fruits.

Mais c'est là une question d'application, et c'est aux magistrats appelés à appliquer cette loi qu'il faut s'en prendre.

Mais, messieurs, je voudrais voir s'introduire quelques modifications dans cette loi.

Je désirerais, par exemple, que, lorsqu'un prévenu est acquitté, il ne fût pas forcé de rester encore en prison préventivement, par suite de l'appel du ministère public.

Il arrive tous les jours qu'un homme est acquitté par un tribunal composé de trois magistrats ; le ministère public interjette immédiatement appel, et il empêche que cette décision rendue après débat par trois magistrats ne soit exécutée. L'homme acquitté reste en prison.

Il existe dans le Code d'instruction criminelle un article 358, qui ordonne au président de la cour d'assises, lorsqu'un accusé est acquitté, de le mettre immédiatement en liberté. Ne pourrait-on pas introduire dans la loi une disposition pareille, lorsqu'il s'agit d'un prévenu acquitté ?

Maintenant une autre observation.

L'article 9 de la loi permet aux juges de subordonner la mise en liberté provisoire à l'obligation de fournir caution. Toutes les personnes qui pratiquent les affaires judiciaires savent que, dans une foule de circonstances, le droit pour le prévenu d'obtenir la liberté provisoire, devient illusoire, à cause du chiffre élevé exigé par le tribunal ou par la cour, à titre de caution.

Je pourrais citer des cas où il a été demandé une somme qu'il était matériellement impossible qu'un homme, même dans l'aisance, fournît immédiatement. Un campagnard acquitté en première instance demande sa liberté provisoire devant la cour, qui la lui accorda moyennant le payement de mille francs. Il n'y avait pas cette somme à la ferme. Le prévenu acquitté resta en prison, et huit jours après la cour l'acquitta.

(page 105) Ne pourrait-on pas introduire dans la loi une modification à cet égard, en décidant que le cautionnement ne serait pas exigé de tous ceux qui auraient une position déterminée ?

Lorsqu'il s'agit de l'arrestation provisoire que la loi permet à un créancier belge de demander contre un étranger, si l'étranger possède des immeubles en Belgique, la loi refuse cette arrestation. Cet immeuble répond de la dette.

Ne pourrait-on pas modifier l'article 9 de la loi sur la détention préventive, de façon à restreindre l'obligation de fournir caution à des cas spéciaux, en combinant les exigences de la liberté individuelle avec les besoins de la sécurité sociale ?

Je soumets ces observations à la bienveillante attention de l'honorable ministre de la justice.

Je dois également appeler son attention sur la nécessité impérieuse d'augmenter le personnel du tribunal de première instance de Bruxelles. Tous ceux qui, par leur profession, suivent les débats judiciaires devant ce tribunal sont convaincus de l'urgence qu'il y a de donner au tribunal de première instance de Bruxelles une chambre de plus.

Depuis quelque temps, indépendamment de l'augmentation des affaires, qui est le résultat naturel de l'accroissement de la population, il y a un nombre considérable d'affaires en expropriation publique et beaucoup plus d'affaires de divorce qu'il n'y en a jamais eu.

Les affaires en expropriation doivent, vous le savez, messieurs, être traitées ayant toutes les autres, et vous auriez une affaire ordinaire au rôle depuis deux ou trois ans, que l'affaire en expropriation ne devrait pas moins passer avant la vôtre.

Tous les avocats, tous les avoués vous diront qu'à moins d'avoir à plaider une affaire qui est considérée comme urgente, il est extrêmement difficile d'obtenir une solution. Les honorables membres de cette Chambre qui exercent la profession d'avocat à Bruxelles pourront confirmer ce que j'avance et vous dire que, par suite de ce grand nombre d'affaires en expropriation forcée et de demandes de divorce, les affaires ordinaires éprouvent les retards les plus fâcheux et les plus préjudiciables aux intérêts des parties en cause.

Il importe que la justice soit rendue d'une manière aussi expéditive que possible. Car il est évident que si l'organisation incomplète de la justice peut avoir pour effet de retarder la solution d'un procès qui doit, par exemple, mettre un citoyen en possession d'un petit capital, dont la possession immédiate pourrait assurer son avenir, tandis que, par l'action lente de la justice, le capital arrivera trop tard.

Mais je m'attends à cette éternelle objection : l'augmentation de dépense.

Evidemment, messieurs, la création d'une nouvelle chambre près le tribunal de première instance de Bruxelles ne pourrait pas être décrétée sans dépense nouvelle ; cela est clair ; mais la question est de savoir si la dépense est justifiée ; il s'agit de savoir si ce qu'on demande correspond à un besoin constaté. Et s'il est démontré qu'il en est ainsi, ce n'est pas une question d'argent qui doit nous empêcher de donner satisfaction à un besoin social ; du moment que l'urgence d'une mesure est reconnue et constatée, ce n'est pas une question d'argent qui doit en suspendre l'exécution.

Mais, messieurs, il importe de ne pas perdre de vue que la justice est productive pour l'Etat : le trésor public, vous le savez, perçoit des droits de greffe, de timbre, d'enregistrement sur chaque affaire, et je crois ne pas exagérer en disant que les affaires dont une chambre de tribunal peut s'occuper dans le cours d'une année sont assez nombreuses pour donner lieu, du chef de ces divers droits, à la perception d'une somme totale de 18,000 à 19,000 fr., de sorte qu'en évaluant à 25,000 fr. la dépense à résulter de la création d'une nouvelle chambre près le tribunal de première instance de Bruxelles, l'excédant de la dépense sur le produit ne serait guère que de 5,000 à 6,000 fr.

Vous voyez, messieurs, qu'on obtiendrait un résultat aussi important que désirable, au moyen d'un sacrifice relativement bien minime.

J'appelle donc sur ce point la bienveillante attention de M. le ministre de la justice et j'exprime le vœu que, dans un délai aussi court que possible, il puisse nous présenter un projet de loi portant augmentation du personnel du tribunal de première instance de Bruxelles.

M. Bara. - Je n'ai que quelques mots à dire à l'appui des observations que vient de présenter mon honorable ami, M. De Fré.

La situation de la justice à Bruxelles est véritablement déplorable : Un homme a une affaire, il intente un procès devant le tribunal de première instance de Bruxelles et, si tout va bien, il peut espérer de plaider dans un ou deux ans.

- Un membre. - C'est la même chosa partout.

M. Bara. - Je ne m'occupe pas de la situation de la justice dans d'autres localités mais s'il est vrai que ce soit la même chose partout, il faut nécessairement qu'une réforme judiciaire mette un terme à cet te situation fâcheuse ; car je prétends qu'il n'est pas conforme à nos institutions que la justice soit rendue aussi tardivement.

Mais je dois dire que je connais des tribunaux qui ce sont pas du tout dans la position de celui de Bruxelles ; et il y aurait lieu d'examiner si ailleurs, les retards qu'éprouve la solution des affaires judiciaires ne doivent pas être attribués à d'autres causes qu'à Bruxelles.

Ici, messieurs, les retards sont dus à diverses causes spéciales, dont quelques-unes vous ont été signalées déjà par l'honorable M. De Fré, et parmi lesquelles il faut citer le grand nombre d'affaires en expropriation par suite du développement considérable qu'ont pris à Bruxelles et dans les faubourgs les travaux de bâtisse. Ensuite viennent les affaires de divorce, qui sont plus nombreuses et plus importantes dans une capitale qu'ailleurs. Je dois signaler eu outre cette jurisprudence nouvelle qui attribue au tribunal de Bruxelles toutes les affaires en matière de travaux publics dans lesquelles l'Etat belge est intéressé.

Autrefois, un grand nombre de ces affaires se plaidaient en province. Maintenant elles sont toutes portées devant le tribunal de Bruxelles et vous savez, messieurs, combien de temps prennent ces affaires : elles prennent quelquefois 7, 8, 10 audiences, elles exigeât un examen très long, le ministère public doit être entendu, et vous comprenez sans peine messieurs, combien des affaires de ce genre doivent absorber les magistrats devant lesquels elles sont portées.

Ce n'est pas tout : le tribunal de Bruxelles, à raison de tribunal de la capitale, a à connaître de toutes les affaires de sociétés : il y a une quantité de sociétés qui ont leur siège à Bruxelles et toutes les contestations qui les concernent se plaident devant le tribunal de cette ville.

Voilà, messieurs, diverses circonstances, particulières à la capitale, qui permettent de juger à quel point le rôle du tribunal doit être encombré.

M. le ministre de la justice rendrait donc un véritable service aux justiciables d'abord et aux avocats ensuite, trop souvent accusés de négligence par leurs clients, s'il voulait consentir à présenter un projet de loi tendant à augmenter le personnel du tribunal de première instance de Bruxelles.

J'appellerai aussi l'attention de l'honorable ministre sur les dispositions du Code d'instruction criminelle relatives à l'organisation des cours d'assises ; et je lui demanderai si, dans l'impossibilité d'avoir de suite la loi de réorganisation judiciaire, il n'y aurait pas moyen d'en détacher, pour la voter le plus tôt possible, la partie relative à l'organisation des cours d'assises.

M. le ministre de la justice connaît parfaitement tous les inconvénients auxquels entraîne actuellement la présence obligée du président et d'un juge du tribunal de première instance aux débats de la cour d'assises.

Voilà deux magistrats qui, pendant trois mois de l'année, doivent aller siéger à la cour d'assises et dont l’absence du tribunal de première instance suspend forcément les affaires portées devant eux. Il en résulte nécessairement un désarroi complet, et les travaux ordinaires du tribunal en sont même entravés.

Enfin, messieurs, je demanderai à l'honorable ministre, cela touche aussi au département des affaires étrangères, si rien n'est fait relativement à la succession des étrangers en Belgique. Mon honorable ami M. de Boe a très éloquemment défendu dans cette Chambre les droits des étrangers ; vous savez que quand la réciprocité n'est pas admise en matière de succession, les enfants ne peuvent pas hériter en Belgique des biens que leur a laissés leur père.

Un Anglais naturalisé en Belgique ne peut pas laisser ses immeubles à ses enfants ; c'est une véritable injustice. On nous a dit que cela dépendait de la législation anglaise qui ne permet pas de changer le régime des successions en matière d'immeubles. Nous devons abandonner cet argument de la réciprocité.

Les Anglais naturalisés ayant vécu longtemps dans le pays, y ayant apporté leurs capitaux, leur industrie, doivent pouvoir laisser leurs biens à leurs enfants. Quoique nous ayons beaucoup d'admiration pour l'Angleterre, nous ne sommes pas obligés de la suivre dans ses institutions féodales, dans ses institutions mauvaises. C'est un devoir pour le gouvernement de faire droit aux idées de justice manifestées à cet égard dans cette Chambre.

M. Debaets. - Messieurs, il y a quelques jours l'honorable M. Hymans vous a proposé de délivrer le poisson de mer de tous droits protecteurs. Je viens me joindre à l'honorable député de Namur, pour demander qu'on débarrasse le poisson de rivière d'au très dispositions protectrices, qui, pour sûr, sont de véritables abus d'un autre âge.

L'honorable M. Lelièvre vous a cité l'édit de 1669 ; je me garderai (page 106) bien de vous lire cette longue loi. Je me bornerai à vous lire un seul article qui s'applique tous les jours.

Cet article est ainsi conçu :

« Les pêcheurs ne pourront pêcher durant le temps de frai, savoir aux rivières où la truite abonde sur tous les autres poissons, depuis le premier février jusqu'à la demi-mars ; et aux autres depuis le premier avril jusqu'au premier de juin : à peine pour la première fois, de vingt livres d'amende et d'un mois de prison ; et du double de l'amende et de deux mois de prison pour la seconde, et du carcan, fouet et bannissement du ressort de la maîtrise pendant cinq années pour la troisième. »

Il est vrai qu'on n'exécute pas les jugements ; quand un individu est condamné le parquet s'empresse de l'informer qu'il doit demander grâce. Cela nuit à la dignité de la justice.

J'ai connu un propriétaire qui avait la passion très peu criminelle de la pêche à la ligne ; un beau jour il se voit arrêté par les gendarmes, auxquels il doit décliner ses nom et prénoms, traduit en police correctionnelle, condamné à un mois de prison ; il ne pouvait prendre sa condamnation au sérieux : il croyait à une mauvaise plaisanterie.

Et remarquez ceci : c'est qu'à la même audience vous pourriez trouver un voleur de poisson condamné à une peine plus légère.

Prendre du poisson dans l'étang clos du voisin, c'est voler. Pour ce fait le tribunal pourra, à raison des circonstances atténuantes, n'appl-quer que des peines de simple police ; mais si vous avez péché à la ligre dans une rivière du 1er février au 1er avril, vous serez condamné à un mois de prison et vingt livres d'amende, au double en cas de récidive, en attendant, pour la troisième, le fouet, le carcan et cinq années de bannissement.

C'est un abus d'un autre âge, nous serons unanimes, je pense, pour en demander la suppression.

Puisque j'ai la parole, je dirai un mot d'un autre objet dont vous a entretenus M. Bouvier. Je n'ai pas à examiner jusqu'à quel point ses observations sont fondées.

J'aime à croire qu'il y a là de l'exagération. A cet égard, un honorable collègue pourra mieux répondre ; l'intelligence dont l'honorable M. Jamar, président du tribunal de commerce de Bruxelles, fait preuve dans celte enceinte, est la garantie du zèle et de l'intelligence qu'il déploie dans l'accomplissement de ses devoirs judiciaires. Il ne serait pas homme à tolérer des abus si graves et si nombreux. J'en crois pouvoir conclure qu'il y a exagération dans les plaintes.

Quoiqu'il en soit, ces abus ne sont pas généraux. Je pense que personne ne contestera que les curateurs du tribunal de commerce de Gand ne donnent lieu à aucune plainte de la part des justiciables ou des magistrats. Au surplus, le moyen qu'indique l'honorable membre ne détruirait pas toutes les objections.

On se plaint de ce que les nominations de curateurs se font dans un cercle trop restreint. Mais si vous n'avez plus que des liquidateurs assermentés, le nombre en sera nécessairement et fatalement restreint, et le tribunal n'aura plus la faculté de sortir de ce cercle.

A mon avis, il faut à cet égard laisser beaucoup de latitude aux tribunaux de commerce qui peuvent juger le mieux des nécessités du service, des exigences spéciales pour des affaires déterminées, des capacités et de l'aptitude des curateurs.

Je ferai maintenant une observation que j'ai présentée à l'occasion de tous les budgets de la justice.

Je réitère à M. le ministre la demande de rendre le courtage entièrement libre ou bien de retirer la circulaire par laquelle il suspend toute poursuite contre ceux qui se rendent coupables d'immixtion dans les fonctions des courtiers.

Le courtage, aux termes des articles 80 et suivants, constitue une profession privilégiée ; ce privilège implique une restriction à la liberté.

Jusqu'à présent les courtiers sont soumis à des pénalités extraordinaires ; s'ils font faillite, ils sont considérés comme ayant fait une banqueroute frauduleuse ; la loi qui leur garantit l'exercice de leur profession est devenue une lettre morte.

Le tribunal de Gand a condamné un individu pour s'être immiscé dans les fonctions de courtier ; appel a été interjeté devant la cour, l'action de la justice a été paralysée par la circulaire du 31 décembre 1858.

Il y a quelques mois, quand je citais ce fait, d'honorables collègues, MM. Pirmez et Bouvier le croyaient impossible.

Cependant il est vrai.

La justice a vu suspendre son cours par une simple circulaire ministérielle ! Au point de vue de nos principes constitutionnels, cela est très grave, et je demande formellement qu'on fasse cesser cet état de choses.

Si l'on juge nécessaire d'empêcher les poursuites contre les courtiers-marrons, ne le faites pas par circulaire. Mieux vaut supprimer immédiatement les articles du code qui concernent le courtage.

Je me borne, pour le moment, à ces observations.

M. de Theuxµ. - Je me suis occupé, à diverses reprises, des frais de justice et des lenteurs énormes qui entraînent pour les plaideurs des dépenses considérables. Le mal n'est pas dans la multiplicité des procès, je crois que ce nombre tend à se réduire en raison des dépenses qui en résultent, mais malheureusement à côté de ces avantages se trouve cet inconvénient que pour les petites fortunes, la justice est en grande partie inaccessible.

Messieurs, parmi les causes de retard dans les jugements de procès civils, on peut en citer plusieurs.

Il y en a qui concernent le barreau : la longueur des plaidoiries, les remises fréquentes qu'exige, en quelque sorte, le monopole des affaires dars les mains de certains jurisconsultes qui ont la faveur de l'opinion publique ; de la part de la magistrature, en laissant égarer les plaidoiries et en accordant trop facilement des remises.

Eh bien ! quant à ces remises qui sont peut-être la plus grande cause de retard qu'éprouve le jugement des affaires, il me semble qu'il ne serait pas du tout injuste d'admettre que le même avocat qui est chargé de diverses causes se présentant devant diverses chambres de justice, soit en première instance, soit en appel, ne pût conserver ce monopole et qu'il fût obligé de se faire remplacer par un confrère, au moins après un certain nombre de remises. Je crois que c'est là une excellente mesure à introduire dans le régime des plaidoiries. Il est une infinité de causes qui peuvent se passer de la célérité de l’avocat, et cependant l’avocat ne s’en dessaisit pas.

Il est certain, messieurs, que depuis un certain nombre d'années on a beaucoup augmenté le personnel des tribunaux ; d'autre part on a augmenté les traitements de la magistrature. Cette augmentation a été considérée comme une nécessité. Mais, quant à l'augmentation du personnel, il faut y prendre garde, car le personnel une fois augmenté, il est très difficile de le réduire.

Je n'en dirai pas davantage sur ce point ; il faudrait mieux connaître les faits que je ne les connais, quant à la situation de la capitale, pour porter un jugement. Je me borne à appeler l'attention de M. le ministre sur quelques considérations. Il serait peut-être encore digne du ministère de la justice d'examiner s'il n'est pas possible de simplifier le code de procédure et par là d'abréger les délais.

Messieurs, j'ai à appeler l'attention du gouvernement sur la loi du domicile de secours. Cette loi est une source d'abus et d'injustices quelquefois criantes. Elle tend à ruiner une quantité de communes rurales et elle donne lieu parmi les administrations communales aux plaintes les plus vives.

Qu'arrive-t-il très fréquemment ? Les meilleurs ouvriers d'une commune rurale désirant gagner un gros salaire quittent la commune, abandonnent leurs vieux parents, abandonnent leur épouse, abandonnent les enfants mineurs Ne croyez pas que tous ces ouvriers, gagnant de fortes journées, envoient l'excédant de leurs ressources à leurs parents, à leur épouse, aident à entretenir leurs enfants. En aucune manière.

A l'aide de ces gros salaires, ils contractent très souvent de mauvaises habitudes, et plus tard, après quelques années de travail dans des centres industriels où ils ont contracté de mauvaises habitudes, ils tombent à la charge de la commune où ils sont nés.

Il arrive aussi qu'ils ont contracté des infirmités ou des maladies dans les localités où ils ont dépensé ainsi le plus de forces et la plus belle partie de leur existence, et ce sont alors les communes où ils sont nés qui doivent les entretenir, à moins que par un séjour continu de 8 années ils n'aient acquis un domicile de secours ailleurs.

En France, messieurs, la législation est tout à fait différente. D'après la loi de vendémiaire an II, l'ouvrier qui se fait inscrire dans la commune où il va travailler acquiert le domicile de secours par une année de résidence et, s'il ne se fait pas inscrire, il l'acquiert par deux années. C'est ce que l'on voit dans le recueil de M. Dalloz.

Ici on laisse aux communes rurales qui souvent ont très peu de ressources, la charge d'entretenir ces ouvriers qui ont passé plusieurs années dans d'autres communes et sur lesquels l'administration communale et les administrations de bienfaisance n'ont pu exercer aucune autorité, aucune surveillance.

Cet abus devient énorme et les plaintes sont on ne peut plus vives ; il rend l'administration des communes pour ainsi dire insupportable pour ceux qui ont le courage de s'en charge. Je désire que M. le ministre de la justice examine le fond de la question. Je conçois qu'il y aurait un inconvénient à mettre exclusivement h la charge de la commune où la (page 107) maladie ou l'infirmité a été contractée, l'intégrité de la dépense, mais il est encore plus injuste de la mettre entièrement a la charge de la commune de naissance.

Cette charge devrait tout au moins être partagée, et il y aurait encore a examiner si dans les centres industriels où le salaire est extrêmement élevé, il n'y aurait pas lieu d'appeler le concours de l'industriel et de l'ouvrier dans cette dépense.

Il existe des caisses de secours mutuels. Ces caisses pourraient contribuer à la dépense lorsque la commune dans l'hôpital de laquelle l'individu a été traité vient réclamer le payement de la dépense à la commune d'origine.

Je crois que les administrations communales ignorent souvent l'existence de telles ressources, et qu'en attendant elles sont condamnées de par la députation permanente, de par le gouvernement, à solder les dépenses contractées dans les hospices de la commune où leurs habitants out contracté des maladies.

Il résulte quelquefois de là qu'un seul individu contracte à charge de la commune une dépense de 600 ou de 800 francs alors qu'il a laissé les parents, sa femme et ses enfants à la charge de la commune. Est-ce là de la justice ?

Il n'est pas possible que cet état de choses se prolonge perpétuellement.

M. Bouvierµ. - Messieurs, je n'ai que quelques mots à répondre à l'honorable M. Debaets. Je ne sais pas ce qui se passe à Gand. J'ignore si les faillites y sont nombreuses ou en petit nombre et si le tribunal concentre ses affections sur un petit nombre de personnes, mais je sais ce qui se passe à Bruxelles.

A Bruxelles, il y a un grand nombre de faillites, et d'après la loi, là où il y a beaucoup de faillites, il y a lieu à la nominations de liquidateurs assermentés. La loi est précise à cet égard. Le gouvernement a la faculté...

M. Bara. - A la faculté !

M. Bouvierµ. - .... de nommer des liquidateurs assermentés.

M. de Naeyer. - Il ne doit pas.

M. Bouvier.µ. - Je viens de le dire. Maintenant, messieurs, que se passe-t-il à Bruxelles ?

Je n'attaque les curateurs ni dans leur honorabilité, ni dans leurs capacités, et encore moins l'honorable président qui est notre collègue estimé. Je n'attaque personne. Je dis seulement que la loi n'est pas exécutée. C'est une juridiction inférieure, le tribunal consulaire qui nomme les curateurs, alors que la loi veut que, facultativement, il est vrai, dans les grands centres de population, où les affaires sont nombreuses, la cour d'appel donne son avis sur la nomination de liquidateurs assermentés.

Mais à Bruxelles ou s'est plaint à plusieurs reprises ; il y a deux ans, un petit ouvrage a paru où l'on a critiqué très vivement la nomination des curateurs, parce que cette nomination se concentrait sur un nombre très limité de personnes, ce qui amène une espèce de monopole et de privilège.

C'est pour éviter une semblable situation, c'est pour éviter ces critiques dans l'intérêt même du tribunal de commerce, dans l'intérêt même du président et des membres du tribunal consulaire, dans l'intérêt de la justice, en un mot, que j'ai appelé l'attention bienveillante de M. le ministre de la justice sur cet état de choses.

Je le répète, je n'ai critiqué personne. J'ai fait appel à la disposition, qui se trouve écrite dans la loi de 1851 et je désire que cette disposition comme je l'ai dit tout à l’heure, ne reste pas une lettre morte.

M. Jamar, rapporteur. - Messieurs, je commence par remercier l’honorable M. Debaets de la bienveillance dont il a fait preuve envers le président du tribunal de commerce de Bruxelles.

Je remercie également l'honorable M. Bouvier du souci qu'il prend de voir le président du tribunal de commerce se mettre à l'abri des méchants propos que pourrait lui valoir le monopole des curateurs. J'espère lui prouver tout à l'heure que c'est là un soin superflu, mais avant de le lui démontrer, je désire répondre quelques mots aux observations présentées par l'honorable M. Lelièvre.

L'honorable membre pense que c'est une réforme que l'on pourrait apporter utilement dans l'organisation des tribunaux de commerce. Il estime que l'adjonction d'un juge civil faisant fonctions de président serait une innovation qui produirait les meilleurs résultats. L'honorable M. Lelièvre n'a appuyé sa proposition d'aucune considération, d'aucun argument que j'eusse pu rencontrer et combattre. Il a ajourné probablement ces développements à la discussion du projet de loi sur l'organisation judiciaire, ou à la révision du code de commerce.

J'attendrai également ce moment pour lui répondre.

Ce que je puis dire dès ce moment à M. le ministre de la justice, c'est que si jamais la réforme indiquée par l'honorable Lelièvre était adoptée, il peut être convaincu qu'il ne se trouverait pas dans le commerce sérieux et honorable des grands centres industriels, des négociants disposés à accepter la portion secondaire qu'on voudrait leur assigner. (Interruption.)

Il n'y a que deux systèmes entre lesquels il faut choisir ; ou il faut supprimer les tribunaux de commerce, ou il faut les maintenir tels qu'ils sont établis.

M. Thonissenµ. - C'est ce qu'on verra. Ce n'est pas une question d'amour-propre, cette question-la. Elle est très importante.

M. Jamar. - Je prie l'honorable M. Thonissen de croire que je ne m'occupe point de questions d'amour-propre. Je suis ici législateur, et la bonne administration de la justice est ma seule préoccupation possible.

Quant à l'honorable M. Bouvier, Il s'est fait l'écho d'une préoccupation qui a fait l'objet de considérations assez étendues dans le rapport fait par l'honorable M. Pirmez, de la section centrale chargée de l'examen du budget de la justice pour 1864.

La presse tout entière s'est empressée et je n'ai pas besoin de vous dire que le tribunal de commerce, justement soucieux des observations émanées de votre section centrale, s'est émue de ces allégations.

Voici, messieurs, la réponse que le tribunal de commerce a cru devoir faire par mon organe, dans l'assemblée annuelle des commerçants notables qui a eu lieu le 15 mars dernier :

« Le système adopté par le tribunal de commerce de Bruxelles pour l'administration des faillites a été l'objet d'observations faites au sein de la section centrale de la Chambre des représentants chargée de l'examen du budget de la justice pour l'année 1864. Ces observations ayant été reproduites par la plupart des journaux de Bruxelles, il me semble utile d'y répondre.

« En restreignant son choix à un certain nombre d'avocats chargés exclusivement de l'administration des faillites, dit le rapport de la section centrale, le tribunal de commerce de Bruxelles a institué de fait les liquidateurs assermentés dont parle la loi, et sans vouloir discuter ici quels sont les avantages ou les inconvénients de cette pratique, elle mérite d'être signalée, parce qu'elle a eu ce résultat incontestable de faire que l'exercice d'un droit est passé d'une autorité à une autre et qu'une juridiction inférieure a seule réalisé ce qui dans l'esprit du législateur ne pouvait arriver que de l'avis conforme de la juridiction supérieure.

« Le tribunal de commerce, messieurs, n'a jamais eu la pensée d'usurper un droit qui ne lui appartenait pas ; il use de celui que lui confère le paragraphe 2 de l'article 456.

« Si dans plusieurs tribunaux consulaires, comme l'indique le rapport de la section centrale, on désigne à tour de rôle pour curateurs tous les membres du barreau que leur moralité et leur capacité rendent dignes de la confiance de la justice, le tribunal de commerce de Bruxelles, en choisissant les liquidateurs des faillites parmi un nombre plus restreint d'avocats, a cru mieux remplir la pensée du législateur.

« Que l'on interroge les nombreux documents parlementaires auxquels la loi de 1851 a donné naissance, les discussions si importantes du Sénat et de la Chambre, on y trouvera cette préoccupation constante de substituer au système vicieux des agents, des syndics provisoires et des syndics définitifs, un mode de liquidation moins onéreux et plus sûr.

« En choisissant les nouveaux liquidateurs dans un cercle plus restreint d'avocats, au lieu de les prendre parmi tous les membres du barreau comme les agents sous l'ancienne loi, le tribunal de commerce, je le répète, a cru mieux atteindre le but du législateur. Il pouvait en effet demander à des hommes, chargés régulièrement et presque exclusivement de travaux de cette nature, de puiser dans cette expérience acquise chaque jour le moyen de faire chaque jour aussi ces liquidations d'une manière plus simple, plus rapide et moins coûteuse.

« S'il pouvait rester quelque doute sur l'étendue de la nature du droit que confère aux tribunaux de commerce le paragraphe 2 de l'article 456, rien n'en indiquerait mieux la portée que le rejet par la commission et la Chambre des représentants d'un amendement de M. Orts à l'article 459, qui soumettait les liquidateurs assermentés à la surveillance des tribunaux de commerce.

« M. Orts proposait d'ajouter « et du parquet ». La commission fut d'avis que par l'action donnée aux tribunaux de commerce sur les curateurs, ces corps devenaient moralement responsables de la bonne gestion des faillites. Cette responsabilité, disait M. Tesch, rapporteur de la commission, cette responsabilité, il faut la leur laisser tout entière.

« Qui ne comprend dès lors qu'en présence de cette responsabilité que l'on fait peser sur les tribunaux de commerce, il importe que ceux-ci puissent librement choisir le mode de liquidation qui leur donne une action directe et sérieuse sur les agents qu'elle emploie. »

(page 108) L'accusation adressée aux tribunaux de commerce de Bruxelles n'est point fondée ; le tribunal a usé du droit que la loi confère et le système mis en pratique depuis la promulgation de la loi nouvelle a réalisé un progrès incontestable sur le système ancien.

Je dois ajouter, messieurs, que depuis deux ans aucune plainte ne s'est élevée sur l'administration des faillites. C'est là le côté pratique de la question, et l'honorable M. Bouvier eût sagement fait d'indiquer en quoi le mode adopté par le tribunal de commerce de Bruxelles avait été onéreux au commerce.

Le tribunal de commerce n'a qu'une préoccupation, l'intérêt des masses créancières. Ce qu'il veut avant tout, c'est de faire administrer l'avoir de ces masses dans les meilleures conditions possibles, c'est le but auquel tendent les efforts des membres du tribunal qui remplissent avec tant de dévouement les fonctions de juge-commissaire aux faillites.

On a parlé, messieurs, des réformes à apporter à l'organisation des tribunaux de commerce.

Il n'y en a qu'une, à mon avis, véritablement sérieuse et que, pour ma part, je voudrais voir décréter le plus promptement possible. Il s'agit du mode d'élection des membres des tribunaux de commerce qui est en opposition manifeste avec les principes d'égalité proclamés par la Constitution.

Je trouve que l'institution des commerçants notables est une institution surannée.

Il n'y a pas de raison de refuser le droit de choisir leurs juges, aux commerçants que vous jugez aptes à envoyer des représentants dans cette enceinte ou à choisir les conseillers provinciaux et communaux.

M. Coomans. - Nous l'avons dit cent fois.

M. Jamar. - C'est là, je le déclare, une réforme à laquelle j'applaudirai de grand cœur, et que j'appelle de tout mes vœux.

M. Thonissenµ. - Et nous aussi.

MjTµ. - Messieurs, l'honorable préopinant vient de demander la réforme du mode d'élection des juges consulaires.

L'honorable M. Bara a demandé la réforme de la composition des cours d'assises.

L'honorable M. Lelièvre a demandé la réforme de l'organisation des tribunaux de commerce.

Ces points sont compris, messieurs, dans le projet de loi sur l'organisation judiciaire, et il dépend de la Chambre d'en hâter la solution.

Ce projet, qui avait été réclamé à différentes reprises, a été déposé il y a près de deux ans ; la Chambre en a été dessaisie dernièrement par la dissolution, et dès sa rentrée je me suis empressé de la lui soumettre de nouveau. Il dépend de la Chambre, je le répète, de faire droit aux différentes demandes que vous avez entendues aujourd'hui. (Interruption.)

Rien n'est changé, si ce n'est que j'ai proposé, pour la nomination des tribunaux de commerce, un système différent de celui qui était dans le projet primitif.

Ce système, je l'avais déjà soumis à la commission, et il consiste à faire nommer les tribunaux de commerce par tous les patentables payant un impôt de....

Puisque je m'occupe en ce moment des tribunaux de commerce, je dirai quelques mots de l'observation faite par M. Bouvier.

M. Bouvier a parlé de la loi de 1807 et de la loi de 1852, qui a complètement modifié le régime des faillites et des banqueroutes. Il a dit que les agents, les syndics provisoires et les syndics définitifs ont été remplacés et qu'une disposition de la loi de 1852 donne au gouvernement le droit de nommer des liquidateurs assermentés. La loi de 1852 donne, en effet, au gouvernement la faculté de nommer des liquidateurs assermentés, mais le gouvernement en user et n'a pas cru devoir créer une nouvelle catégorie de fonctionnaires.

Il a pensé qu'il valait mieux laisser aux tribunaux le soin de choisir ces agents, sauf à intervenir lorsque l'expérience en aurait démontré la nécessité.

Je dois faire remarquer avec l'honorable M. Debaets que le système actuel n'a donné lieu à réclamation dans aucune partie du pays, sauf à Bruxelles. J'ai eu plusieurs fois occasion d'entretenir à ce sujet différents présidents de tribunaux de commerce et ils m'ont toujours affirmé que cette organisation ne donnait lieu à aucune espèce de difficulté et que la liquidation des faillites s'opérait de la manière la plus économique et la plus rapide.

A Bruxelles, il y a eu des réclamations et des réclamations des plus vives ; on a dit que le tribunal nommait toujours les mêmes personnes comme liquidateurs et qu'il n'exerçait pas sur eux une surveillance assez grande ; on a prétendu que la nomination par le tribunal présentait moins de garante que la nomination par le gouvernement, parce que, dans ce dernier cas, les candidats doivent, d'après la loi, être présentés par la cour, et que les liquidateurs nommés sont soumis à une réélection tous les cinq ans.

C'est là une garantie, parce que l'on peut tenir compte de la manière dont le titulaire a rempli ses fonctions ; cette garantie n'existe pas si le tribunal continue à nommer les mêmes curateurs, malgré les réclamations qui surgissent.

En présence de ces plaintes, j'ai soumis à la cour d'appel la question de savoir s'il y avait lieu de nommer des liquidateurs assermentés : c'est sur l'avis de la cour que cette nomination doit être décidée.

Jusqu'à présent aucune réponse ne m’a été faite, mais je crois que si les griefs que l’on a articulés ne se reproduisent plus, il ne sera pas nécessaire de nommer des liquidateurs assermentés ; je ferai remarquer que le gouvernement n’est pas obligé d’en nommer. Le gouvernement, dit la loi, « peut » nommer. C’est donc une faculté, et je crois qu’il vaut mieux que le gouvernement n’en use pas.

L’honorable M. Jamar nous a entretenus de la questions des coalitions.

La Chambre sait que les dispositions qui y sont relatives se trouvent consignées dans le Code pénal ; elles ont été votées par la Chambre, et le Sénat en est saisi en ce moment.

En ce qui me concerne, je désire que cette question reçoive une prompte solution, mais je ne sais pas s'il y a lieu d'en faire l'objet d'une loi spéciale et d'en saisir la Chambre avant que le Sénat ait statué.

On pourrait, peut-être, prier le Sénat de s'occuper d'abord des articles du Code pénal relatifs aux coalitions afin que ces articles pussent être immédiatement convertis en loi.

On donnerait ainsi satisfaction aux réclamations qui se sont élevées à cet égard.

Quant au système à suivre, je crois que celui qui a été adopté par la Chambre peut être conservé, et à moins que l'on ne m'oppose des raisons convaincantes, je soutiendrai ce que la Chambre a déjà sanctionné une première fois de son vote.

Les honorables MM. Jacobs et De Fré se sont occupés de la détention préventive.

L'honorable M. Jacobs a soulevé deux questions graves et importantes à l'égard desquelles je ne puis émettre aujourd'hui une opinion. Ces questions doivent être mûrement étudiées, car elles ne concernent pas seulement les matières judiciaires, elles embrassent tous les cas où un dommage quelconque a été occasionné à un citoyen dans l'intérêt de la société. Tout ce que je puis dire, c'est qu'elles donneront lieu à un sérieux examen.

L'honorable M. De Fré a parlé de la loi de 1852, il a dit que les dispositions en étaient bonnes, mais que l'application laissait à désirer. A plusieurs reprises, il a été question de cette loi, et il a été démontré qu'elle a produit de très bons résultats, et qu'elle a rendu très rare la détention préventive en matière correctionnelle.

Aujourd'hui, il y a en matière correctionnelle très peu de détentions préventives. Je regrette de ne pas avoir les chiffres sous les yeux. Je ne pensais pas que cette question dût être soulevée ; sans cela, j'aurais donné à la Chambre des indications tout à fait exactes.

Du reste, je suis aussi peu partisan que qui que ce soit de la détention préventive, et j'ai toujours donné pour instruction aux parquets d'y recourir le moins possible.

Il est certainement des cas où des retards dans l'arrestation assureraient l'impunité ou favoriseraient même en quelque sorte les récidives.

Mais, je le répète, je désire que, hors ces cas, les parquets circonscrivent la détention préventive dans les limites les plus étroites possibles.

L'honorable M. Kervyn a présenté différentes observations au sujet de notre système pénitentiaire. Je crois que dans ses appréciations l'honorable M. Kervyn n'a pas suffisamment tenu compte de ce que nous sommes encore dans un régime que j'appellerai transitoire.

Les premières prisons cellulaires datent de 1850 ; mais il est à remarquer que c'étaient principalement des maisons d'arrêt et de justice, et que la première prison centrale, la prison de Louvain, n'a été ouverte qu'en 1861. Eh bien, pour les maisons d’arrêt et de justice il n'a jamais été dans les intentions de personne d'y faire subir leur peine aux individus condamnés aux travaux forcés ou à la réclusion ; dès lors il n'y a pas eu pour ces détenus d'expérience assez longue pour qu'on puisse constater un résultat quelconque, et les individus qu'on soumet en ce moment au régime cellulaire, dans la maison centrale, avaient déjà passé par d'autres maisons qui ne sont pas des maisons cellulaires ; de sorte que l'appréciation du régime cellulaire est encore très difficile à l'heure qu'il est.

(page 109) Cependant nous pouvons dire, dès à présent, que le régime de l'emprisonnement cellulaire, tel qu'il est pratiqué, exerce une grande influence sur le nombre des détenus. Depuis 1837, au moins, ce nombre n'a jamais été moindre qu'en ce moment. J'ai sous les yeux la statistique du nombre des détenus, depuis 1831.

A cette époque, ce nombre était de 4,795 ;

en 1840, de 6,981 ;

en 1847, de 9,884 ;

en 1850, de 7,267 ;

en 1860, de 6,383.

Ainsi, malgré l'augmentation de la population depuis 1837 jusqu'aujourd'hui, le nombre des détenus est inférieur à ce qu'il était à cette époque, et il n'est plus que de 5,519.

Je n'attribue pas exclusivement ce résultat au régime cellulaire ; je crois cependant que ce régime y a contribué pour une forte part.

Evidemment, il faut aussi tenir compte du bien-être qui s'est développé, de l'instruction qui s'est répandue partout ; mais il est certain pour moi que le régime cellulaire en empêchant en quelque sorte les mauvais instincts, les mauvais sentiments de se propager, doit amener une réduction dans le nombre des crimes et des délits ; et il permet, d'un autre côté, de diminuer beaucoup la durée de l'emprisonnement.

Quant à la manière dont le recrutement, si je puis m'exprimer ainsi, se fait pour la prison de Louvain, il y a des conditions qui sont indiquées aux procureurs généraux.

Les conditions d'âge et de santé doivent être prises en considération, pour envoyer un condamné dans une maison cellulaire.

J'examinerai au surplus les observations qu'a présentées l'honorable M. Kervyn, et j'aurai soin d'en tenir compte.

L'honorable membre a parlé d'établissements agricoles à former. C'est un point que j'examinerai également, mais sur lequel je ne puis me prononcer en ce moment.

Les honorables MM. Bara et De Fré ont signalé l'insuffisance du nombre des chambres du tribunal de Bruxelles. Une demande à ce sujet a été formulée par le conseil provincial du Brabant dans sa dernière session. Cette demande fait en ce moment l'objet d'une instruction. J'ai fait examiner en même temps si les divers corps judiciaires ne pourraient pas siéger plus souvent qu'ils ne le font actuellement...

M. Thonissenµ. - Comme en France.

MjTµ. - a plupart des corps judiciaires ne siègent aujourd'hui que trois fois par semaine. Ne pourrait-on pas exiger, par exemple, qu'ils siégeassent quatre fois ?

M. Coomans. - Six fois.

M. Bouvierµ. - Ce seraient les travaux forcés pour les magistrats.

MjTµ. - Les magistrats doivent consacrer un certain temps aux recherches, au travail préparatoire, aux délibérations ; ils ne pourraient pas siéger six fois par semaine. Mais je pense que les tribunaux correctionnels, par exemple, pourraient sans difficulté siéger cinq fois, et les tribunaux civils, quatre fois par semaine.

Avec quatre chambres siégeant une fois de plus par semaine, on n'aurait pas besoin de créer une nouvelle chambre.

Je déclare franchement qu'à mon avis les corps judiciaires pourraient siéger plus fréquemment.

Messieurs, il a été un temps où la magistrature était très peu rétribuée, le personnel était nombreux ; c'était comme on dit, l’otium cum dignitate. Le système a changé : aujourd'hui les magistrats sont, sous le rapport des traitements, dans les mêmes conditions que les autres fonctionnaires publics ; je crois qu'il doit en être de même sous le rapport du travail.

Or, je le répète, la magistrature peut travailler davantage, c'est mon opinion. A cet égard, il y a quelque chose à faire. Il ne faut pas se presser d'augmenter le personnel. Il est très facile de demander une chambre de plus et de faire payer les traitements par l’Etat'. Je voudrais, et c'est un sentiment que j'ai très souvent exprimé devant les magistrats, je voudrais que la magistrature ne recourût pas si souvent au gouvernement et tâchât de suffire par elle-même aux besoins du service.

- Un membre. - Il s'agit des justiciables.

MjTµ. - Nous avons avoir s'il n'y a pas des mesures à prendre a cet égard dans le projet de loi sur l'organisation judiciaire. Il y a un article qui dispose que, le cas échéant, le gouvernement déterminera le nombre des audiences.

Je compatis au sort des justiciables ; mais je demande s'il n'y a pas un autre moyen de leur assurer une prompte justice que d'augmenter le personnel de la magistrature ; et je crois que, comme ministre, malgré toute la déférence que je dois à la magistrature, il est cependant de mon devoir d'examiner quelles sont les mesures à prendre pour remédier a l'état de choses actuel sans grever de nouveau le budget.

Les honorables MM. Lelièvre et Debaets ont parlé de la loi sur la pêche. Bien que cette matière ne rentre pas dans mes attributions, je crois cependant pouvoir dire que mon collègue, M. le ministre des finances, s'est occupé de la rédaction d'un projet de loi qui pourra être présenté dans le cours de cette session.

L'honorable comte de Theux a entretenu la Chambre de la loi sur le domicile de secours et des modifications à y introduire. Cette question fait également l'objet des études du département de la justice en ce moment, et j'espère qu'avant la fin de la session la Chambre pourra être saisie d'un projet de loi. Les questions signalées par l'honorable M. de Theux font l'objet du plus sérieux examen. L'honorable membre doit savoir qu'elles sont extrêmement difficiles à résoudre.

La loi de 1818, qui fixait à quatre ans la durée du domicile, a été modifiée et la durée du domicile a été portée de quatre à huit ans, par la loi de 1845 ; faut-il revenir à quatre ans ? Faut-il supprimer tout à fait le domicile de secours ? (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Il y a bien longtemps que cette question est à l'étude.

MjTµ. - Sans doute, mais on reconnaîtra aussi que la solution en est très difficile. Jusqu'en 1845, c'étaient les villes qui se plaignaient des campagnes ; aujourd'hui ce sont les campagnes qui se plaignent, et je ne dis pas que c'est sans raison. Il s'agit de trouver un moyen terme qui concilie autant que possible tous les intérêts.

Enfin, messieurs, l'honorable M. Bara m'a demandé si le gouvernement ne se proposait pas de prendre quelques dispositions qui permissent aux étrangers de recueillir des héritages en Belgique, au même titre que les Belges eux-mêmes et sans que la réciprocité soit établie. Un projet de loi sur cette matière est en ce moment soumis à la signature de Sa Majesté et pourra être déposé très prochainement.

M. Bara. - Je ne puis, messieurs, m'associer à la pensée que M. le ministre de la justice a exprimée au sujet des observations que j'ai présentées pour obtenir une augmentation du personnel du tribunal de première instance de Bruxelles. Les magistrats de ce tribunal siègent actuellement trois jours par semaine de 10 heures du matin à 2 heures et même 2 1/2 de l'après-midi. Ils consacrent deux autres jours de la semaine à faire des enquêtes et des expertises ; eh bien, je dis que vous ne pouvez pas accroître encore leur besogne à moins que vous ne vouliez les abrutir complètement à l'audience.

- Voix diverses. - Oh ! oh !

M. Bara. - Oui, messieurs, si vous forcez les magistrats à écouter constamment des plaidoiries, vous n'obtiendrez plus d'eux les services qu'ils doivent vous rendre. Il faut nécessairement leur laisser quelque temps pour étudier les affaires si nous voulons trouver en eux autre chose que des brasseurs de jugements. En augmentant le nombre des audiences peut-être ferez-vous plaider plus d'affaires mais ce n'est certes pas le moyen de conserver à la magistrature le rôle qu'elle occupe aujourd'hui.

- La discussion générale est close.

La séance est levée à 4 1/2 heures.