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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 19 novembre 1864

(Annales parlementaires de Belgique, Chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 25) M. Hymans procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Reynaertµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

Pièces adressées à la Chambre

M. Hymans présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des commerçants et industriels de la ville de Roulers adressent des observations sur l'application des tarifs des transports par chemin de fer. »

M. Rodenbach. - Messieurs, les pétitionnaires exposent notamment qu'un waggon de 5,000 kilog. de charbon, transporté de Charleroi à Roulers, doit payer 22 francs de plus que le même waggon, expédié de Charleroi à Courtrai, bien que Roulers ne soit qu'à 4 lieues de Courtrai.

Il est indispensable que le gouvernement s'entende avec les compagnies concessionnaires pour faire cesser ces anomalies qui constituent une véritable injustice. Il ne peut y avoir deux poids et deux mesures.

(page 26) Je demande que la commission des pétitions soit priée de faire un prompt rapport sur la pétition.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Destoop, meunier à Zulte, demande la réduction des patentes qui pèsent sur les moulins à vent. »

M. Rodenbach. - Messieurs, l'industrie des meuniers qui font usage du vent, est tout à fait détériorée depuis l'emploi de la vapeur ; il me paraît dès lors qu'il y a lieu de diminuer la patente à laquelle ils sont astreints.

Pour que la pétition ne soit pas mise aux oubliettes, je demande à la Chambre d'ordonner que la commission des pétitions fasse un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Des employés des douanes pensionnés appellent l'attention de la Chambre sur la modicité de leurs pensions. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Mallar, avocat à la cour d'appel de Liège, demande que la position des lieutenants et des sous-lieutenants de la gendarmerie soit améliorée. »

- Même renvoi.


MpVµ. - En suite de la résolution que la Chambre à prise hier, la commission qui sera chargée d'examiner le projet de loi portant révision du Code de commerce est composée ainsi qu'il suit : MM. Sabatier, Van Iseghem, Jamar, Dupont, Van Humbeeck, Pirmez et Vermeire.

Projet de loi portant le budget de la dette publique pour l’exercice 1865

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe aux articles.

Discussion des articles

Chapitre premier. Service de la dette

Articles 1 à 14

« Art. 1er. Arrérages de l'inscription portée au grand-livre des rentes créées sans expression de capital, au nom de la ville de Bruxelles, en vertu de la loi du 4 décembre 1842 : fr. 300.000. »

- Adopté.


« Art. 2. Arrérages de l'inscription portée au même grand-livre, au profit du gouvernement des Pays-Bas, en exécution du paragraphe premier de l'article 63 du traité du 5 novembre 1842 : fr. 846,560. »

- Adopté.


« Art. 3. Intérêts des capitaux inscrits au grand-livre de la dette publique, à 2 1/2 p. c, en exécution des paragraphes 2 à 6 inclus de l'article 63 du même traité : fr. 5,502,640 78. »

- Adopté.


« Art. 4. Intérêts de l'emprunt de 50,850,800 francs, à 3 p. c, autorisé par la loi du 23 mai 1838, et du capital de 7,624,000 francs, à 3 p. c., émis en vertu des lois du 1er mai 1842 et du 24 décembre 1846 (semestres au 1er février et au 1er août 1865) : fr. 1,754,244.

« Dotation de l'amortissement de ces deux dettes, à 1 p. c. du capital (mêmes semestres) : fr. 584,748.

« Ensemble : fr. 2,338,992. »

- Adopté.


« Art. 5. Intérêts de l'emprunt de 30,000,000 de fr., à 4 p. c., autorisé par la loi du 18 juin 1836 : fr. 1,200,000. »

« Dotation de l'amortissement de cet emprunt, à 1 p. c. du capital : fr. 300,000.

« Ensemble : fr. 1,500,000. »

- Adopté.


« Art. 6. Intérêts, à 4 1/2 p.c., sur un capital de 95,442,853 fr. (1ère série), montant des obligations dont l'émission a été autorisée parla loi du 21 mars 1844 (semestres au 1er mai et au 1er novembre 1865) : fr. 4,294,927 44.

« Dotation de l'amortissement de cette dette à 1 p. c. du capital (mêmes semestres) : fr. 954,428 32.

« Sous-total : fr. 5,249,355 76.

« Intérêts de l'emprunt de 84,656,000 fr., à 4 1/2 p. c. (2ème série), autorisé par la loi du 22 mars 1844 (semestres au 1er mai et au 1er novembre 1865) : fr. 3,809,520.

« Dotation de l'amortissement de cet emprunt, à 1/2 p. c. du capital (mêmes semestres) : fr. 423,280.

« Sous-total : fr. 4,232,800.

« Intérêts, à 4 1/2 p. c, sur un capital de 157,615,300 fr. (3ème série), montant des obligations émises en vertu des lois du 1er décembre 1852 et du 14 juin 1853 (semestres au 1er mai et au 1er novembre 1865) : fr. 7,092,688 50.

« Dotation de l'amortissement de cette dette, à 1/2 p. c. du capital (mêmes semestres) : fr. 788,076 50.

« Sous-total : fr. 7,880,765.

« Intérêts, à 4 1/2 p. c., sur un capital de 24,382,000 fr., résultant de la conversion décrétée par la loi du 28 mai 1856, et sur un capital de 45,000,000 de francs, montant de l'emprunt autorisé par la loi du 8 septembre 1859, ensemble 69,382,000 fr. (4ème série) (semestres au 1er mai et au 1er novembre 1865) : fr. 3,122,190.

« Dotation d'amortissement, à 1/2 p. c. du capital (mêmes semestres) : fr. 346,910.

« Sous-total : fr. 3,469,100.

« Ensemble : 20,832,020 76. »

- Adopté.


(page 27) « Art. 7. Frais relatifs à la dette à 2 1/2 p. c. : fr. 1,000. »

« Frais relatifs à la dette à 3 p. c.. : fr. 27,000. »

« Frais relatifs à la dette à 4 p. c. : fr. 1,500.

« Frais relatif aux dettes à 4 1/2 p. c. ; fr. 45,500.

« Ensemble : fr. 75,000. »

- Adopté.


« Art. 8. Rentes viagères, charge extraordinaire : fr. 1,174 63. »

- Adopté.


« Art. 9. Minimum d'intérêt garanti par l'Etat, en vertu de la loi du 20 décembre 1851 et de lois subséquentes. (Ce crédit n'est point limitatif ; les intérêts qu'il est destiné à servir pourront s'élever, s'il y a lieu, jusqu'à concurrence des engagements résultant de ces lois.) : fr. 1,100,000. »

- Adopté.


« Art. 10. Frais de surveillance à exercer sur les compagnies au point de vue de cette garantie, en exécution des conventions : fr. 7,500. »

- Adopté.


« Art. 11. Rente annuelle constituant le prix de cession du chemin de fer de Mons à Manage (loi du 8 juillet 1858) : fr. 675,530. »

- Adopté.


« Art. 12. Intérêts à payer aux anciens concessionnaires de la Sambre canalisée, sur une somme de 10,317 fr. 34 c., charge extraordinaire : fr. 515 87. »

- Adopté.


« Art. 13. Redevance annuelle à payer au gouvernement des Pays-Bas, en vertu des articles 20 et 23 du traité du 5 novembre 1842, pour l'entretien du canal de Terneuzen et de ses dépendances : fr. 105,820 10. »

- Adopté.


« Art. 14. Rachat des droits de fanal mentionnés au paragraphe 2 de l'article 18 du traité du 5 novembre 1842 : fr. 21,164 02. »

- Adopté.

Chapitre II. Rémunération

Article 15

« Art. 15. Pensions ecclésiastiques ci-devant tiercées, charge extraordinaire : fr. 5,000.

« Pensions civiles et autres accordées avant 1830, charge extraordinaire : fr. 29,000.

« Pensions civiques, charge extraordinaire : fr. 68,000.

« Pensions militaires : fr. 3,475,000.

« Pensions de l’Ordre de Léopold : fr. 34,000.

« Marine. Pensions militaires : fr. 23,000.

« Pensions de militaires décorés sous le gouvernement des Pays-Bas, charge extraordinaire : fr. 4,000.

« Secours sur le fonds de Waterloo : fr. 5,000.

« Pensions civiles des divers départements

« Affaires étrangères. Marine : fr. 25,000.

« Affaires étrangères. Affaires étrangères : fr. 72,000.

« Justice : fr. 180,000.

« Intérieur : fr. 240,000.

« Travaux publics : fr. 260,000.

« Guerre : fr. 48,000.

« Finances : fr. 1,640,000.

« Cour des comptes : fr. 15,000.

« Pensions ecclésiastiques : fr. 170,000.

« Arriérés de pensions de toute nature : fr. 6,000. »

« Total charge ordinaire : fr. 6,188,000.

« Total charge extraordinaire : fr. 111,000. »

M. Vleminckxµ. - Messieurs, voici ce que je lis dans la note préliminaire du budget de la dette publique :

« Les crédits portés à ce chapitre présentent sur ceux qui ont été alloués pour l'exercice précédent :

« 1° Sur l'article 16 une augmentation de fr. 98,000

« 2° Sur l'article 17 une diminution de fr. 2,539 68

« Différence en plus pour 1865 fr. 95,460 32.

« La réduction opérée sur l'article 17 résulte de l'extinction, par suite de décès d'un traitement d'attente.

« Quant à la majoration qu'a subie l'article 16 relatif aux pensions, elle provient de différentes causes fortuites ou qui sont la conséquence de mesures législatives. Les principales augmentations portent sur les pensions militaires et sur celles des départements de l'intérieur et des travaux publics ; les augmentations moins importantes des autres départements ministériels prennent leur source dans l'influence que doit nécessairement exercer sur le chiffre des pensions à liquider, l'amélioration des traitements à charge de l'Etat à partir du 1er janvier 1863.

« Lors de l'examen d'un travail de statistique fait par le major Liagre, la Chambre a été mise à même de reconnaître la justesse des conclusions de ce travail démontrant, d'une manière mathématique, l'augmentation nécessaire du nombre des pensions militaires. Quoi qu'il en soit, la réserve apportée par le département de la guerre dans l'octroi des pensions a atténué sensiblement les effets de cet état de choses, car le chiffre des pensions est resté stationnaire pendant plusieurs années. Une augmentation de 24,000 francs a été portée au budget de 1863, et une nouvelle augmentation de 19,000 francs est demandée au projet de budget de 1865. De 1861 à 1865 inclus, c'est-à-dire pendant une période de cinq ane, le chiffre des pensions militaires ne se sera accru que d'une somme totale de 45,000 francs, tandis que l'augmentation des cinq années précédentes avait été de 652.000 francs, ce qui donnait une moyenne annuelle de plus de 130,000 francs. »

Vous voyez, messieurs, que le département de la guerre attribue la diminution du chiffre des pensions militaires à la réserve qu'aurait apportée ce département dans la collation des pensions. Je regrette que M. le ministre de la guerre ne soit pas à son banc, mais je suppose que M. le ministre des finances ou M. le ministre de l'intérieur pourra me faire une courte réponse à l'observation que je vais lui soumettre.

Il y a pour la mise à la pension un arrêté de 1855 que l'on appelle l'arrêté de limite d’âge, c'est-à-dire que tous les officiers qui ont atteint tel âge sont invariablement mis à la pension. Vous vous rappelez, messieurs, combien cet arrêté a été mal accueilli dans cette Chambre, mais ce que vous ne savez pas peut-être, c'est que l'arrêté est mis rigoureusement à exécution. Je ne connais que très peu d'exceptions qui y aient (page 28) été faites et ces exceptions mêmes ont donné lieu à des réclamations.

Si les exceptions avaient été plus nombreuses, il n'y a pas de doute que des réclamations eussent vu le jour, soit dans cette Chambre, soit dans les journaux.

Je me demande donc quelle est l'espèce de réserve que le département de la guerre a pu mettre à la collation des pensions. Tous ceux qui devaient être pensionnés aux termes de l'arrêté de 1855 l'ont été.

Donc si le chiffre des pensions a diminué pendant la période de 1861 à 1865, ce n'est pas parce que le département de la guerre y a mis de la réserve, c'est parce qu'il n'y avait pas de pensions à accorder.

Messieurs, dans la note que je viens de lire, vous avez pu voir également que certaines pensions civiles sont proportionnelles au traitement, de telle façon que les augmentations de pension profitent aux pensions civiles. Il n'en est pas de même pour les pensions militaires qui sont fixées par la loi.

Je demanderai au gouvernement s'il ne serait pas de toute justice d'assimiler à ce point de vue les pensions militaires aux pensions civiles ! Les titres sont égaux.

J'ai une dernière observation à faire en ce qui concerne les pensions en général.

Le rapport de la section centrale a déjà fixé votre attention sur la misère qui règne au sein de plusieurs familles de pensionnés. Il faut par devoir, par profession, pénétrer dans l'intérieur de certaines familles pour voir combien la misère y est grande.

Je sais bien, et au sein de la section centrale l'observation en a été faite, que les intérêts du trésor, que les intérêts des contribuables sont très respectables ; mais encore ne faudrait-il les invoquer que dans une certaine mesure.

Lorsque vous avez augmenté les traitements des fonctionnaires civils et militaires, ces intérêts du trésor et des contribuables ont été également invoqués. Cependant vous avez trouvé la mesure indispensable et par conséquent juste.

Eh bien, je vous affirme, et certainement il y a un grand nombre de membres de cette Chambre qui le savent, qu'un grand nombre de pensionnés sont dans la plus affreuse misère. Il en est, et je le sais, qui ne mangent pas une fois de la viande en quinze jours.

M. Coomans. - Il y a plus d'un million de Belges qui sont dans ce cas-là.

M. Vleminckxµ. - C'est possible ; mais ce million de Belges n'a pas servi l'Etat.

Du reste je n'empêche pas l'honorable M. Coomans d'avoir une opinion contraire à la mienne.

M. Coomans. - Elle n'est pas contraire, mais elle est plus générale.

M. Vleminckxµ. - Je vous prie de ne pas m'interrompre, je prends l'engagement de ne pas vous interrompre, lorsque vous exposerez votre opinion.

Je dis donc qu'il n'est pas digne de cette Chambre de laisser, je ne dirai pas dans la misère, mais dans la plus grande détresse des hommes qui ont servi loyalement l'Etat pendant la plus grande partie de leur existence.

J'appelle encore une fois l'attention sérieuse du gouvernement sur la note de la section centrale relative aux pensions.

M. Hayezµ. - Je dois relever une assertion qui vient d'être émise par l'honorable préopinant sur l'arrêté de 1855. Il a dit que cet arrêté était exécuté dans toute sa rigueur. Je lui répondrai qu'il n'en est rien. Il y a des exceptions.

M. Vleminckxµ. - J'ai dit cela.

M. Hayezµ. - Il y a des exceptions qui ne devraient pas exister. Plusieurs officiers auraient dû être pensionnés en vertu de l'arrêté de 1855 et non seulement ils ont été maintenus en activité, mais même deux ou trois ans après avoir dépassé l'âge, ils ont été promus à un grade supérieur. Je ne veux pas citer des noms ; mais c'est un fait.

Il y en a d'autres qui ont été pensionnés avant l'âge marqué par l'arrêté de 1855.

Je voudrais, comme l'honorable membre, que cet arrêté de 1855 fût exécuté dans toute sa rigueur et que la porte fût fermée à toute faveur.

Un officier arrivé à l'âge désigné dans cet arrêté devrait être mis inexorablement à la pension.

Je vous l'ai déjà dit, je ne crois pas qu'il y ait un homme indispensable et c'est toujours à la faveur de cette qualification d'indispensable qu'on commet des passe-droits.

En favorisant certains officiers qu'on maintient en activité après l'âge, ce maintien fait un tort notable à ceux qui viennent ensuite et qui devraient être l'objet de promotions. Ces officiers ne sont pas tous dans l’abondance tant s’en faut, il en est beaucoup même qui attendent leur promotion, soit pour obtenir un surcroît de bien-être, soit pour acquérir, quand ils seront mis à la retraite, une petite augmentation de la modeste pension dont vient de parler M. Vleminckx.

M. Vleminckxµ. - Je ne crois pas avoir dit que l'arrêté eût été rigoureusement appliqué (interruption), en ce sens que les exceptions ont été peu nombreuses, et je pourrais même citer nominativement ceux qui en ont été l'objet. Je dis comme l'honorable M. Hayez que ces exceptions sont mal vues dans l'armée, mais je soutiens qu'elles n'ont été pour rien dans la diminution du chiffre des pensions, et que, par conséquent, le chiffre peu élevé des pensions ne peut pas être attribué à la réserve apportée dans les mises à la pension.

MfFOµ. - Messieurs, la Chambre se souvient que l'arrêté de 1855 sur la mise à la pension des officiers, a donné lieu à de très vifs débats dans cette enceinte, et que l'opinion généralement exprimée par l'assemblée était peu favorable au principe absolu de la mise à la retraite à l'âge fixé par cet arrêté. Je ne puis dire si, en fait, comme l'affirme l'honorable M. Vleminckx, un peu contredit en ce point par l'honorable M. Hayez, si, dis-je, en fait, on a appliqué rigoureusement les dispositions de l'arrêté dont il s'agit ; mais, si ma mémoire ne me trompe, cet arrêté contient lui-même une disposition qui autorise le ministre à ne pas appliquer la règle dans certains cas exceptionnels. (Interruption.) Alors de quoi vous plaignez-vous ? (Interruption.)

Vous pouvez discuter l'acte même concernant la mise à la retraite de tel ou tel officier, mais vous ne pouvez pas dire que l'arrêté a été violé parce qu'il n'a pas été appliqué dans tel ou tel cas, alors qu'une disposition spéciale de ce même arrêté consacre le principe des exceptions. On a reconnu, en effet, qu'il pouvait être nécessaire, dans des circonstances particulières se rattachant au bien du service, de maintenir un officier en fonctions lorsque la limite d'âge était atteinte. C'est là une question d'appréciation, c'est une question de personnes. Il s'agit de savoir si l'on a bien ou mal fait, dans un cas déterminé, de maintenir tel ou tel officier dans les cadres. Si l'on croit devoir entrer dans une pareille discussion, que l'on précise les faits, auxquels on ne fait qu'une vague allusion, mais que l'on ne vienne pas prétendre que l'arrêté a été violé, parce qu'on y a fait des exceptions que lui-même prévoit et autorise.

Messieurs, il est probable que les exceptions ont été plus nombreuses que ne le suppose l'honorable M. Vleminckx. L'honorable membre n'a sans doute été frappé, comme le public en général, que de ce qui peut s'appliquer à certaines sommités dont la tête dépasse le niveau de la masse ; mais je doute qu'il puisse affirmer que, sauf ces exceptions qu’il suppose si rares, la généralité des officiers ont été mis à la retraite à la stricte limite d'âge fixée par l'arrêté de 1855.

Quoiqu'il en soit, cela ne prouve absolument rien contre le fait qu'il n'y a pas eu, depuis un certain temps, d'accroissement du chiffre des pensions militaires. Mais ce fonds des pensions doit inévitablement s'accroître à l'avenir dans une proportion considérable. A la suite des discussions qui ont eu lieu dans cette Chambre, M. le ministre de la guerre a soumis la question à M. le major Liagre, qui a constaté que, d'ici à 1872, si je ne me trompe, le chiffre des pensions militaires suivra une progression ascendante. Sans doute, il est possible que cette progression ne sera pas constante pour chaque année ; elle peut se ralentir pendant un certain temps pour prendre ensuite un mouvement plus rapide ; mais les calculs de M. Liagre démontrent que, nonobstant ces intermittences, le chiffre s'accroîtra successivement jusque vers l'année 1872.

L'honorable M. Vleminckx a demandé ensuite s'il n'y aurait pas justice à faire profiter les pensions militaires des augmentations de traitement accordées à tous les fonctionnaires de l'Etat. Les employés civils, a-t-il dit, voient s'accroître le chiffre de leurs pensions, proportionnellement à l'augmentation de leurs traitements, tandis qu'il n'en est pas de même des pensionnés militaires. Il y a là, selon l'honorable membre, une inégalité qu'il serait équitable de faire disparaître.

Messieurs, je doute beaucoup qu'il y aurait avantage pour les pensionnés militaires à se voir appliquer les règles que l'on suit pour le calcul des pensions civiles.

Ainsi, par exemple, le maximum des pensions civiles est de cinq mille francs, tandis que celui des pensions militaires est beaucoup peu élevé.

- Un membre. - Exceptionnellement.

MfFOµ. - Soit ; mais cette exception n'existe pas pour les pensions civiles ; le maximum de (page 29) toutes ces pensions est invariablement de cinq mille francs, et il en est autrement pour les pensions militaires. (Interruption.)

Vous voulez qu'elles ne soient pas atteintes par une réduction du maximum actuel, et d'un autre côté vous demandez que l’on fasse jouir les pensionnés militaires des avantages que vous croyez exister en faveur des pensionnés civils. Mais veuillez remarquer qu'une pareille prétention n'était guère équitable. Pour être juste, il faudrait appliquer d'une manière générale et uniforme à toutes les pensions militaires les règles suivies pour la collation des pensions civiles. Il ne faudrait pas que les militaires fussent traités plus favorablement que les fonctionnaires civils, et je ne crois pas que les premiers verraient avec plaisir l'adoption de ce régime d'égalité.

L'honorable membre a, en outre, appelé l'attention du gouvernement sur la situation des militaires pensionnés ; sous ce rapport, messieurs, il n'y a, sans doute, pas de différence à faire entre les pensionnés militaires et les pensionnés civils. (Interruption.) Il s'agirait donc d'augmenter toutes les pensions. Je ne pense pas que les Chambres soient disposées à entrer dans cette voie.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

MfFOµ. - On fait naître chez les pensionnés, et surtout chez les pensionnés militaires, l'espérance de voir leurs pensions révisées et de recevoir un certain accroissement ; on les encourage à persister dans leurs réclamations, et je pense que l'on a tort.

Quant à moi, messieurs, j'ai reçu le comité des pensionnés militaires, et je lui ai déclaré franchement que je ne croyais pas qu'il y eût lieu de proposer une augmentation des pensions.

On dit que la pension est la conséquence d'un contrat entre le gouvernement et ses fonctionnaires ; soit, mais l'Etat remplit ses engagements et il faut bien reconnaître que la jouissance d'une pension constitue une position exceptionnellement favorable. On invoque la situation précaire, fâcheuse même de certains pensionnaires de l'Etat. Mais si l'on considère l'état social de la généralité des citoyens, combien en trouvera-t-on qui ont un revenu assuré égal même à celui des plus modiques pensions ? Assurément, il y eu a très peu.

Ceux qui sont initiés aux souffrances de la vie civile savent combien il est d'ouvriers, de petits artisans, de petits commerçants, qui ont travaillé opiniâtrement pendant toute leur vie, et qui cependant n'ont pu amasser, malgré des privations courageusement supportées, le moindre revenu pour assurer leur existence pendant leurs derniers jours. Ceux-là, messieurs, sont également bien dignes d'intérêt, et ils se trouvent dans une position bien plus pénible encore que les pensionnés dont on parle. Et après tout, qui paye les pensions ? mais c'est la généralité des contribuables ! Il ne faut donc pas exagérer la situation faite aux pensionnés ; elle peut pour certains d'entre eux n'être pas très heureuse, mais elle est infiniment meilleure que celle de la plupart des contribuables.

M. Hayezµ. - Je reconnais avec l'honorable ministre que l'article 2 de l'arrêté royal de 1855 donne au ministre de la guerre la faculté de prolonger un officier dans son emploi, après qu'il a atteint l'âge indiqué dans cet arrêté. Jusque-là c'est parfaitement légal. Mais je demanderai à la Chambre s'il n'y a pas un abus et un abus criant à donner un grade supérieur à celui qu'il occupe, à un officier qui a déjà été prolongé dans son grade deux ou trois ans après l'âge fatal qui le désignait pour être pensionné. Je spécifie la chose.

Uu officier devant être pensionné à 60 ans, a été prolongé dans son grade trois ans de suite ; quand il eut atteint l'âge de 63 ans, il a été promu au grade de général-major. Ce grade, il ne pouvait déjà plus l'occuper à cause de son âge lorsqu'il lui a été confié.

Je demande si dans l'exécution de l'arrêté royal, entendu de cette manière, il n'y a pas eu un abus criant.

Si la disposition de l'article 2 permet de prolonger l'officier, je ne crois pas qu'on puisse interpréter cet arrêté de manière à rendre légitime l'avancement en grade d'un officier auquel on accorde déjà une première faveur, celle d'être maintenu dans son grade bien au-delà du temps marqué pour sa mise à la retraite.

MfFOµ. - Messieurs, je suis convaincu que celui qui arrive immédiatement après l'officier dont on parle, et qui espère arriver à sa place, trouve parfaitement injuste qu'on maintienne le premier en fonctions, et plus injuste encore qu'on lui accorde une promotion. Mais l'honorable M. Hayez se trompe fort, s'il pensa que la simple énonciation du fait dont il parle doive, aux yeux de la Chambre, constituer une injustice et un abus. (Interruption.) Pas le moins du monde. Pourquoi, si l'on a jugé qu'il était nécessaire, utile à la chose publique, de maintenir certain officier en activité de service, pourquoi cet officier serait-il privé du bénéfice de l'avancement ? L'honorable M. Hayez ne voit là qu'une faveur, qu'un avantage pour le particulier ; mais ce qu'il ne voit pas, c'est qu'on a considéré qu'il y avait là un intérêt public. Or, s'il y a intérêt public à maintenir en fonctions un officier, il est parfaitement juste qu'on lui accorde l'avancement auquel il a droit.

La Chambre ne peut d'ailleurs être appelée à discuter les faits tels que les lui dénonce l'honorable M. Hayez. La Chambre a-t-elle les éléments nécessaires pour apprécier si le fait dénoncé par l’honorable membre est même exact ?

M. le ministre de la guerre a eu des motifs pour agir comme il l’a fait. Peut-on venir discuter ces motifs à la Chambre ? Peut-on appeler la Chambre à discuter les cas particuliers dans lesquels M, le ministre de la guerre a usé du droit qui lui est conféré par la loi ou par un arrêté loyal ? Qu'un système d'ensemble soit l'objet d'une discussion dans cette enceinte, rien de mieux ; mais des discussions sur des faits isolés ne me paraissent ni convenables, ni dignes de la Chambre.

M. Vleminckxµ. - Messieurs, je ne demande la parole que pour dire à la Chambre qu'elle doit être persuadée que c'est la cause des plus malheureux que j'ai plaidée devant elle ; et qu'en demandant une augmentation de pension pour eux, je n'ai nullement songé à faire augmenter celles qui auraient été fixées au taux indiqué par l'honorable ministre des finances.

Je répète, messieurs, et je viens vous l'affirmer, qu'il y a parmi les militaires pensionnés des hommes qui, chargés d'une famille, meurent littéralement de faim.

C'est uniquement la cause de ceux-là que je viens de plaider devant vous. Il faut être, comme moi, médecin et pénétrer dans l'intérieur des familles pour voir la misère qui y règne.

- Un membre ; Nous la voyons.

M. Vleminckxµ. - Vous la voyez ; eh bien, confirmez ce que je dis.

Du reste, la Chambre accueillera ou n'accueillera pas favorablement les observations que j'ai eu l'honneur de lui soumettre ; c'est son affaire ; quant à moi, en les lui présentant, je crois avoir rempli un devoir envers les militaires pensionnés et envers l'humanité.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close.

L'article 15 est adopté.

Articles 16 et 17

« Art. 16. Pensions des veuves et orphelins de l'ancienne caisse de retraite (Les sommes disponibles sur ce crédit seront appliquées au service de la caisse des pensions des veuves et orphelins du département des finances), charge extraordinaire : fr. 500,000. »

- Adopté.


« Art. 17. Traitements d'attente (wachtgelden), charge extraordinaire : fr. 3,288 04.

« Traitements ou pensions supplémentaires (toelagen), charge extraordinaire : fr. 4,338,62.

« Secours annuel (jaerlyksche onderstanden), charge extraordinaire : fr. 402 12.

« Total : fr. 8,028 78. »

- Adopté.

Chapitre III. Fonds de dépôts

Articles 18 et 19

(page 30) « Art. 18. Intérêts, à 4 p. c, des cautionnements versés en numéraire dans les caisses du trésor, par les comptables de l'Etat, les receveurs communaux et les receveurs de bureaux de bienfaisance, pour sûreté de leur gestion, et par des contribuables, négociants ou commissionnaires, en garantie du payement de droits de douane, d'accise, etc. : fr. 560,000.

« Intérêts arriérés du même chef, se rapportant à des exercices clos : fr. 3,000.

« Total : fr. 563,000. »

- Adopté.


« Art. 19. Intérêts des consignations (loi du 20 nivôse an XIII), ainsi que des cautionnements assimilés aux consignations par l'article 7 de la loi du 15 novembre 1847 (Les crédits portes au présent chapitre ne sont point limitatifs) : fr. 238,000. »

- Adopté.

Vote de l’article unique et sur vote sur l’ensemble

L'article unique du budget est ainsi conçu :

« Le budget de la dette publique est fixé, pour l'exercice 1865, à la somme de quarante millions neuf cent onze mille sept cent quarante-six francs quatre-vingt-quatorze centimes (40,911,746 fr. 94 c.), conformément au tableau ci-annexé. »

Il est procédé au vote par appel nominal.

Le budget de la dette publique pour 1865 est adopté à l'unanimité des 63 membres présents.

Ce sont : MM. C. de Bast, de Borchgrave, de Conninck, de Decker, De Fré, de Haerne, de Kerchove, Delaet, de Liedekerke, de Mérode, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Terbecq, de Theux, de Vrière, de Woelmont, Dolez, Frère-Orban, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Lange, Laubry, Le Bailly de Tilleghem, Le Hardy de Beaulieu, Lippens, Moreau, Muller, Nothomb, Orban, Pirmez, Reynaert, Rodenbach, Sabatier, Thonissen, T' Serstevens, Valckenaere, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Overloop, Verwilghen, Vleminckx, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Coomans, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour et Ernest Vandenpeereboom.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1865

Discussion générale

MpVµ. - Le second objet à l'ordre du jour est la discussion du budget des voies et moyens.

M. Van Iseghem. - Je demande à la Chambre si elle ne serait pas d'avis de remettre cette discussion à mardi. Plusieurs membres ont déjà quitté la salle.

M. de Naeyer. - J’appuie la proposition de l'honorable M. Van Iseghem. Je remarque que nous n'avons rien à l'ordre du jour de la semaine prochaine.

MpVµ. - Pardonnez-moi ; nous aurons deux budgets à l'ordre du jour de mardi. L'un des rapports sera distribué ce soir.

M. de Naeyer. - Soit ; mais l'objet qu'on veut mettre en discussion est important ; et nous sommes à peine en nombre.

MfFOµ. - L'important me paraît être, dans les circonstances où nous nous trouvons, de voter tous les budgets avant la fin de l'année, avant l'ouverture de l'exercice. Cela est extrêmement désirable, pour que nous rentrions une bonne fois dans la légalité. Nous aurons alors à examiner immédiatement les budgets de 1866, et les discussions pourront se produire utilement à l'occasion de ces budgets. Car ce ne sont pas des propositions de loi qui vont être mises en délibération, et on peut parfaitement ajourner aux budgets prochains les observations que l'on peut avoir à présenter.

Je n'exclus toutefois aucune espèce d'observations sur les budgets actuels. J'indique ce qu'on pourrait faire pour rentrer le plus tôt possible dans la légalité.

- La proposition de remettre la discussion à mardi est mise aux voix ; elle n'tst pas adoptée,

MpVµ. - La discussion générale sur le budget des voies et moyens est ouverte.

M. Rodenbach. - Messieurs, à propos de la discussion du budget des voies et moyens, j'ai élevé la voix depuis un grand nombre d'années pour demander la taxe uniforme de 10 centimes pour l'affranchissement des lettres à l'intérieur du pays.

Je renouvelle aujourd'hui cette demande. Je crains fort qu'il me sera répondu comme par le passé : que le produit des postes n'a pas atteint la somme nette de deux millions ; l'on me dira que ce chiffre représente le produit de la poste et non pas le produit net du transport des lettres ; qu'on doit aussi tenir compte des frais de transport des lettres par chemin de fer.

Il est donc à craindre que nous ne jouirons pas cette année encore de la taxe uniforme. Nous nous disons progressifs en tout et tous sommes plus arriérés que dans plusieurs pays circonvoisins.

Il serait à désirer que, dans l'intérêt du commerce, le gouvernement prît des mesures pour doter le pays du système postal anglais Plusieurs pétitions qui demandent cette réforme nous ont été envoyées de Bruxelles et des principales villes du pays. Jusqu'à présent le gouvernement n'a pas jugé à propos de donner suite à ces justes réclamations.

Il en est de même de la suppression des barrières ; la perception de cet impôt est une entrave à la libre circulation, on en éprouve surtout les inconvénients à la campagne. Cette taxe entraîne à des procès et à des poursuites mal fondées qui impatientent et tourmentent les voyageurs. Il est donc à désirer que le gouvernement supprime cet impôt, dont la perception coûte 25 à 30 p. c. du produit.

En terminant, je crois devoir dire quelques mots de la roulette et des tripots scandaleux de Spa qui font la honte du pays.

L'administration des jeux de Spa vient de clore son bilan de cette année avec un bénéfice de 1,600,000 francs. Le gouvernement perçoit sur ce produit immoral 493,700 francs. Cette recette devrait disparaître de notre budget. Si je suis bien instruit, le gouvernement n'est pas lié avec l'administration des jeux par le contrat existant ; on peut le résilier par la voie de la négociation et surtout par une mesure législative. J'espère que le pays sera délivré au plus tôt de cette plaie honteuse. C'est le vœu que j'ai formé il y a quelques années et que je renouvelle aujourd’hui, d'autant plus qu'on m'a assuré que la passion du jeu a fait, cette année, en Allemagne, 37 victimes ; 37 personnes se sont suicidées par suite des pertes qu'elles avaient essuyées à la fatale roulette.

Je suis convaincu que M. le ministre de l'intérieur aura égard à mes justes observations, d'autant plus que je crois qu'il est l'adversaire déclaré de la roulette et des tripots.

M. Moreau. - Messieurs, l'honorable M. Rodenbach vient de demander la suppression des eaux de Spa parce qu'ils seraient contraires à la morale, qu'ils donneraient lieu à de graves abus et qu'on les aurait fait cesser à Aix la-Chapelle.

Je ne viens pas, messieurs, soutenir d'une manière absolue que des jeux publics, établis dans une ville d'eaux minérales, soient chose excellente ; je ne prétends pas qu'il faille les favoriser, les multiplier en Belgique, et s'ils n'existaient pas à Spa, je ne demanderais pas leur établissement ; telle n'est pas la question que vous avez à examiner. Vous n'avez pas à décider si, en général, les jeux sont une chose bonne ou mauvaise et s'il faut les propager. Ce que vous avez à vous demander aujourd'hui, c'est de savoir s'il est nécessaire, s'il est utile, s'il est opportun de supprimer les jeux qui existent aujourd'hui à Spa.

Je n'hésite pas à dire que défendre la tenue des jeux dans la ville de Spa ce serait porter le plus grand préjudice à cette localité, si pas la ruiner complètement sans motifs légitimes et même bien plausibles.

Ce serait encore porter la perturbation dans la situation financière de (page 31) cette ville et des communes d'Ostende, de Blankenberghe et de Chaudfontaine.

Permettez que je vous fasse en peu de mots l'histoire de l’établissement des jeux à Spa.

Spa possède des jeux depuis 1772. Savez-vous qui les y a établis ? C'est Jean-Théodore de Bavière, prince évêque de Liège et de plus cardinal.

- Plusieurs voix. - Il a très mal fait.

- un membre. - Est-ce parce que ces jeux ont été établis par un évêque qu'ils sont respectables ?

M. Moreau. - Je cite un fait historique, je dis que c'est Jean-Théodore de Bavière qui a autorisé l'ouverture des jeux de Spa. Il l'a fait à la demande des autorités de cette ville qui voulaient faire disparaître des abus scandaleux, des faits d'immoralité qui se passaient dans des tripots clandestins qui pullulaient alors à Spa.

M. Rodenbach. - Il l'a fait pour gagner de l'argent.

M. Moreau. - Moi, je ne le crois pas. Je ne crois pas qu'un prince de l'Eglise aurait établi des jeux pour en tirer profit, pour trafiquer de l'immoralité publique.

M. Bouvierµ. - Il a été excommunié pour cela !

M. Moreau. - Depuis lors, depuis 1772, ces jeux qu'on représente comme étant si peu moraux, comme une chose scandaleuse, ont été maintenus par tous les gouvernements qui se sont succédé. M. de Theux en 1864, comme M. Rogier en 1859, ont renouvelé la concession de ces jeux.

Les princes évêques de Liège attachèrent une si grande importance au maintien de ces jeux que l'histoire vous apprend qu'en 1787, lorsqu'on voulut leur faire concurrence, le chef de la principauté de Liège employa tous les moyens pour maintenir intact le privilège accordé à la société des jeux,

Les choses furent même poussées si loin que ce fut à cette occasion que la révolution liégeoise éclata, car l'on sait que l'agitation commença par les différends et les démêlés qui surgirent entre les sociétaires privilégiés des jeux et des joueurs qui se réunissaient dans la salle nommée Levoz.

En admettant même que les jeux publics soient en général une chose mauvaise, on doit, ce me semble, les regarder comme un mal nécessaire dans les villes d'eaux minérales où affluent un grand nombre d’étrangers.

Et, messieurs, ne doit-on pas fermer les yeux sur l'existence de beaucoup d'établissements qu'on est loin d'approuver, et cela pour éviter de plus grands maux ? Ne se commet-il pas même des méfaits bien graves, des actes très répréhensibles que les lois pénales n'atteignent pas et ne peuvent atteindre ?

Il faut bien le reconnaître, l'homme n'est que trop souvent porté naturellement à livrer quelque chose au hasard.

Y a-t-il, par exemple, un emprunt à primes ne donnant qu'un intérêt très bas, cet emprunt sera coté cependant à la bourse à un taux relativement plus élevé que ceux qui produisent de gros intérêts. Fait-on une loterie pour une œuvre de bienfaisance là où même les deux tiers des mises sont confisqués, on s'arrache les billets. Sans doute il y a des personnes qui, en prenant ces billets, sont guidées par une pensée de bienfaisance, mais consultez les listes et vous verrez qu'un grand nombre de ceux qui y sont inscrits appartiennent à la clause ouvrière et ne prennent part à la loterie que parce qu'ils espèrent y gagner quelque chose.

S'il en était autrement, messieurs, il ne serait pas nécessaire de recourir à des loteries ; des listes de souscriptions devraient suffire pour atteindre le but qu'on se propose.

Et dans les sociétés particulières et à la bourse, n'y joue-t-on pas tous jes jours de très gros jeux ?

Faut-il, parce qu'il y a des inconvénients, des abus, supprimer les emprunts à primes, défendre absolument des loteries de bienfaisance et fermer la bourse ?

Bien des efforts ont été faits, messieurs, depuis très longtemps pour mettre un frein à la passion du jeu, mais toujours ils ont été vains et inefficaces.

En Allemagne, on a eu quelques velléités de supprimer les jeux, et cependant ils sont restés en pleine vigueur à Baden, à Gotha, à Ems, à Wiesbaden, à Hombourg, à Mondorff et dans d'autres villes de l'Allemagne où il existe des eaux minérales.

M. Coomans. - Et à Monaco.

M. Moreau. - Le gouvernement prussien, à la vérité, les a retirés à la ville d'Aix-la-Chapelle, mais je doute fort qu'il ait pris cette mesure dans un but de moralité, puisque, si mes renseignements sont exacts, il a laissé exister à Berlin la loterie, que l'on ne peut pas, non plus, je crois, regarder comme étant une chose très morale.

Ainsi donc, messieurs, dans toutes les localités peu importantes que je viens d'indiquer et qui sont fréquentées par de nombreux étrangers, il y a des jeux publics et on ne s'y effraye pas de leur existence.

Les jeux de Spa, quoiqu'en dise l’honorable M. Rodenbach, n'ont pas, je pense, donné lieu à de graves abus. Je crois que les abus, les scandales, les suicides dont a parlé l'honorable membre, il les a trouvés dans son imagination.

M. Rodenbach. - J'ai dit qu'il y a eu 37 suicides en Allemagne. Il y en a eu aussi à Spa à certaines époques.

M. Moreau. - Quant à moi, je n'ai pas appris que les jeux de Spa aient été la cause d'actes de désespoir et d'accidents fâcheux.

Que se passe-t-il d'ailleurs à Spa ?

Ce sont en général des étrangers oisifs ou riches qui viennent s'y amuser à perdre leur argent. (Interruption.)

Est-ce que le célèbre Fox ne disait pas que le premier plaisir au jeu était de gagner et le second de perdre ?

Supprimer, messieurs, les jeux de Spa, c'est, comme je l'ai dit tantôt, ruiner en quelque sorte cette ville. Les étrangers fuiront Spa pour se rendre dans les petites villes de l'Allemagne qui lui font la concurrence.

Cette dernière, vous le verrez, si la suppression des jeux a lieu, deviendra déserte comme l'est aujourd'hui la ville d'Aix-la-Chapelle.

M. Coomans. - Aix-la-Chapelle n'est pas déserte.

M. Moreau. - On n'y voit plus autant d'étrangers que jadis.

M. Coomans. - Elle a 60,000 habitants.

M. Moreau. - Je parle des étrangers et non pas des habitants. Je dis que si l'on supprime les jeux de Spa, les étrangers n'iront plus dans cette ville comme ils ne se rendent plus en aussi grand nombre à Aix-la-Chapelle ; c'est même parce que les jeux n'existent plus à Aix que le produit de ceux de Spa a augmenté considérablement et que plus d'étrangers affluent dans cette ville.

Enfin vous savez, messieurs, que la part dans le produit net des jeux de Spa est pour le trésor d'environ 500,000 fr. ; que la ville de Spa prélève sur le produit net 20 p. c. et que les villes d'Ostende, de Blankenberghe et de Chaudfontaine se partagent 5 p. c. sans que ce dernier prélèvement puisse s'élever au-delà de 60,000 fr.

M. Coomans. - Cela n'est pas juste du tout.

M. Moreau. - Je me borne à exposer des faits qui sont exacts.

M. Coomans. - C'est inique !

M. Moreau. - Je n'ai pas ici à juger des faits. Or, la ville de Spa et les autres communes que j'ai citées ont pris des engagements, elles ont projeté et commencé à exécuter, au moyen de ces ressources, des travaux d'utilité publique ou d'embellissement que certes elles ne pourront terminer si on leur enlève les recettes dont elles disposent maintenant.

En résumé, messieurs, je crois que pour décider la question qui est soumises en ce moment à vos délibérations, ce ne sont pas des principes de morale trop absolus qui doivent vous servir de guide.

Il importe, ce me semble, avant tout de tenir compte des faits accomplis et des conséquences que la suppression des jeux de Spa entraînerait.

Spa, comme je l'ai dit, possède ces jeux depuis 1772. Ce sont ces jeux qui l'ont faite ce qu’elle est. Ce sont eux qui sont cause qu'elle s'est agrandie de constructions nombreuses qui ont été entreprises par des habitants confiants dans l'état de choses existant aujourd'hui.

Je vous le demande, messieurs, serait-il juste, serait-il équitable de priver la ville de Spa de ce qui fait actuellement sa prospérité et cela, comme je le crois, sans motif bien plausible et bien légitime ?

M. Goblet. - Messieurs, je ne dirai que quelques mots sur la question des jeux. Je serais tout disposé à supprimer les jeux de Spa parce que je crois que les banques ont des avantages trop grands et que le séjour des villes où ces banques existent est excessivement dangereux pour bien des gens.

On a, messieurs, cité des villes où l'on a maintenu les banques. Qu'on examine les faits et l'on verra que les endroits où l'on a supprimé les banques sont beaucoup plus nombreux que ceux où on les a maintenus.

Nous n'avons, du reste, pas à voir si la ville de Spa doit profiter de cette odieuse passion du jeu et des moyens que l'on met en œuvre pour l'exciter à son bénéfice.

Si vous admettez le jeu, vous devez être justes et vous devez accorder les jeux à Ostende et à toutes les autres villes qui les demanderont.

Et pourquoi défendriez-vous aux pauvres de jouer ? pourquoi (page 32) défendriez-vous à l'ouvrier de jouer dans la mesure de ses moyens, si vous ne le défendez pas à tout le monde ?

II y a un article du Code pénal qui dit que, sans autorisation légale, on ne peut jouer à la roulette dans une foire. C'est une injustice.

Si vous êtes partisan du jeu, qui est une des plus funestes passions, dites-le franchement, et accordez la liberté de jouer ; mais les jeux de Spa constituent un monopole.

Je ne sais pas si les faits que l'on a cités sont exacts, mais je me demande comment se fait le contrat des jeux à la banque de Spa. On m'a assuré que c'était un privilège, que ce privilège avait valu d'abord un million à la première main et que la banque qui l'avait acheté en avait encore tiré un grand bénéfice.

De pareilles choses, messieurs, ns peuvent se passer dans ua pays comme le nôtre. Si l'on prohibe les jeux d'une manière générale, il est immoral de les maintenir exceptionnellement comme une ressource pour le trésor, et pour quelques localités favorisées.

Est-ce qu'à Ostende il manque des étrangers ? Si Spa leur offre des agréments, elle les attirera bien sans les jeux. Certes, il y a beaucoup d'étrangers parmi les personnes qui se rendent à Spa, mais il y a aussi beaucoup de personnes du pays et j'en connais un grand nombre.

Il faut donc conclure que si vous voulez admettre le jeu en principe, il faut aussi incrire sans restriction la liberté des jeux au budget ; vous devez les permettre partout, accorder l'autorisation de les établir à tous ceux qui la demandent. J'ai tout lieu de croire que nul d'entre nous n'oserait prendre cette responsabilité sur lui.

M. Sabatier. - Je partage tout à fait l'opinion que vient d'émettre l'honorable M. Goblet sur la question de principe des jeux.

De deux choses l'une, ou les jeux doivent être tolérés ou l'on doit les supprimer. Si on les tolère, évidemment il faut proclamer la liberté du jeu et autoriser l'établissement de ces jeux à Ostende et dans d'autres villes du pays tout aussi bien qu'à Spa.

Mais ce n'est pas précisément la question qui s'agite. La question n'est pas de savoir si l'on répandra les jeux partout ; c'est précisément le contraire. La question est de savoir si l'on supprimera les jeux et quand on les supprimera.

Sur la première question, je crois que nous sommes tous d'accord ; le rapport de la section centrale constate que sur cinq membres présents à la discussion en section centrale, quatre se sont prononcés nettement, énergiquement pour la suppression des jeux. Un seul membre a voté contre cette proposition et le discours qu'a prononcé l'honorable M. Moreau prouve suffisamment à la Chambre que ce membre, c'était lui ; du reste, il ne s'en cache pas.

Il croit que la ville de Spa est engagée dans la question, qu'elle subirait des pertes considérables. Il a dit à cet égard des choses très sérieuses et c'est pour cela que je crois que la suppression des jeux ne peut se faire d'un instant à l'autre. Je comprends que, sur la foi des contrats, la ville de Spa a fait de grandes dépenses ; il ne suffit pas en effet d'avoir une salle de jeu, il faut rendre la ville attrayante. Spa a fait de grandes dépenses et il ne serait pas juste que par un simple vote de la Chambre on vînt décider que, du jour au lendemain, la ville de Spa, non pas sera ruinée, mais verra sa prospérité singulièrement compromise.

La question qui s'agite, quant à la moralité du fait, est tout entière dans ce que le gouvernement partage avec la ville de Spa les dépouilles des joueurs.

Sans doute le jeu peut avoir certains côtés utiles. L'opinion de Fox a été invoquée ; je ne prétends pas qu'il ait tort à tous les points de vue. C'est une passion comme une autre ; je comprends qu'on puisse y donner un libre cours. Je ne dis pas que dans les sociétés, il n'y ait pas de jeux ; je ne dis pas qu'à Berlin l’on n'ait pas maintenu le loto. Mais la morale repousse le maintien des jeux. A cet égard, nous sommes tous d'accord ; il faut les supprimer.

Le contrat passé avec les concessionnaires, avec les fermiers des jeux, porte que lorsque la ville d'Aix-la-Chapelle aura supprimé les jeux, le gouvernement belge aura la faculté de supprimer les jeux de Spa.

- Un membre. - Lorsque les villes d'Allemagne auront supprimé les jeux.

M. Sabatier. - Pardon, il s'agit d'Aix-la-Chapelle. Nous sommes donc dans les termes voulus. A Aix-la-Chapelle les jeux sont supprimés depuis assez longtemps.

- Un membre. - Il s'agit des jeux de toute l'Allemagne.

M. Sabatier. - Toute l'Allemagne, je le veux bien.

M. Rodenbach. - Non ; la Prusse.

M. Sabatier. - Je dis que la question essentielle, au point de vue de la morale, quant au rôle que doit jouer le gouvernement, est dans le fait du partage du produit des jeux.

Evidemment, il y aura des mesures à prendre pour désintéresser quelque peu la ville de Spa. Maintenant il y a un moyen très simple de mettre fin à la discussion ; c'est de savoir ce que le gouvernement pense de la question. Je prierai donc M. le ministre de nous dire quel est le sentiment du gouvernement sur cette question.

MfFOµ. - Je ne suis pas assurément le défenseur des jeux. Mais je crois que la question doit être appréciée en tenant compte des circonstances. Nous avons trouvé un état de choses établi depuis longtemps, comme l'a rappelé l'honorable M. Moreau. Des contrats successifs ont accordé à des compagnies la faculté d'établir des jeux à Spa.

A l'expiration du dernier contrat qui avait été fait, je pense, par l'honorable M. de Theux, mon honorable collègue M. Rogier en a négocié un nouveau et il a stipulé des conditions qui, je crois, sont très favorables, en a sens qu'il n'y a pas de terme fixé pour l'expiration du contrat, puisque toujours, d'après une disposition qui s'y trouve insérée, une mesure législative peut faire disparaître ces jeux. On s'est réservé également le pouvoir de les faire disparaître par une négociation diplomatique. On s'est dit qu'aussi longtemps que des jeux existeraient en quelque sorte aux portes de Spa, il n'y avait guère de motifs péremptoires de les supprimer dans cette dernière ville ; qu'en conséquence on pourrait arriver à conclure une convention internationale pour amener partout la suppression des jeux.

La Chambre est donc libre ; elle peut faire ce que bon lui semble, elle n'est liée en aucune façon. Elle peut supprimer les jeux ; mais je pense qu'elle ne doit le faire qu'en temps opportun, et non pas à propos du budget des voies et moyens. C'est une question qui doit être examinée avant d'être résolue.

Les considérations que vient de faire valoir l'honorable M. Sabatier sont de nature à exercer évidemment une grande influence sur la détermination de la Chambre. La ville de Spa, confiante dans un état de choses qui dure depuis si longtemps, a pris des engagements très considérables qui, si le contrat relatif aux jeux venait à tomber, la placeraient dans une situation désespérée. Elle doit donc nécessairement, si l'on veut arriver à la suppression des jeux, être avertie eu temps utile. Il faut examiner quel délai lui serait nécessaire pour qu'elle pût remplir tous ses engagements à l'aide du produit même des jeux, parce que je n'imagine pas que la Chambre serait disposée à donner des indemnités à la ville de Spa.

M. Coomans. - Elle en a eu assez.

MfFOµ. - Je n'examine pas si elle en a eu assez. Là n'est pas la question. Elle est en possession, depuis un temps pour ainsi dire immémorial, du revenu que lui procurent les jeux. Elle s'est imposé de très grands sacrifices en vue de sa situation particulière, et l'on peut dire qu'elle n'a pas profité directement des jeux ; elle en a appliqué le produit à des embellissements. Dans ces derniers temps, elle a contracté des engagements beaucoup plus considérables encore, et évidemment il ne faut pas lui enlever brusquement les moyens d'y faire face.

J'ai entendu tout à l'heure l'honorable M. Goblet dire que le renouvellement du contrat avait été l'occasion de certains bénéfices pour celui qui avait été le premier concessionnaire de ces jeux. Il aurait ouï dire que celui qui avait obtenu la première concession avait bénéficié d'une somme d'un million, et que successivement d'autres encore avaient réalisé de la même manière des bénéfices très importants. C'est la première fois que j'entends parler de pareille chose. Je crois l'honorable membre mal renseigné.

Je pense que la compagnie qui est actuellement concessionnaire des jeux de Spa est la même compagnie qui en était concessionnaire au temps du prince évêque dont a parlé l'honorable M. Moreau ; je pense que ce sont les représentants des membres de cette famille qui sont aujourd’hui concessionnaires des jeux. Ce sont les propriétaires de certains établissements qui existent dans la localité, de certaine salle qui avait été construite avec les deniers de cette compagnie, qui ont été successivement les concessionnaires des jeux et qui le sont encore. Je ne pense donc pas qu'il y ait eu spéculation ou trafic de ce chef,

J'ajoute un mot, messieurs, en ce qui concerne le revenu du trésor. Je déclare ne pas m'en préoccuper ; je ne veux pas faire état de recettes de cette nature. Evidemment, ce ne serait pas une considération capable d'influencer la décision de la Chambre, qu'une diminution de revenu de 300,000,400,000 ou 500,000 fr. Ce qui doit agir sur la Chambre, ce sont des considérations exclusivement relatives à la ville de Spa et aux engagements qu’elle a contractés.

M. Bara (page 33) Messieurs, il résulte des paroles de l'honorable ministre des finances que le gouvernement, s'il a une opinion, c'est celle de maintenir les jeux de Spa. (Interruption.)

M. Rodenbach. - Il a dit presque le contraire.

M. Bara. - Vous êtes content de ce qu'il a dit, M. Rodenbach ; je ne partage pas votre avis.

M. le ministre des finances a dit : En théorie je ne suis pas partisan des jeux, mais je crois que par les considérations présentées par M. Sabatier et à raison des obligations qu'a contractées la ville de Spa, il faut les maintenir encore. Mais je demande quand cela finira...

La ville de Spa a construit son hôtel des bains avec des ressources tirées de la passion du jeu, car ce n'est pas la ville de Spa qui a payé cet hôtel, ce sont les malheureuses victimes des jeux. Mais quand la ville de Spa aura rempli les engagements qu'elle a contractés pour son hôtel des bains, elle en prendra d'autres et de cette manière les jeux de Spa seront perpétuels, si l'on veut reproduire l'argumentation de l'honorable ministre des finances.

Ce n'est donc pas un engagement sérieux que prend le gouvernement.

Je suis d'avis, avec l'honorable M. Sabatier, qu'il ne faut pas supprimer demain les jeux de Spa, mais je voudrais bien que l'on me dît quand on les supprimera.

L'argumentation des charges qui pèsent sur la ville de Spa peut revenir à chaque budget, car cette ville, par des dépenses nouvelles, mettra le gouvernement à même de s'en servir chaque année.

L'honorable M. Moreau a dit : « C'est un cardinal qui a établi les jeux de Spa » ; mais nous, libéraux, nous avons la prétention de faire mieux que les cardinaux. (Interruption.) Supprimons donc les jeux de Spa ou bien établissons la liberté des jeux, car c'est là la double question qui ressort de cette discussion.

On peut en effet se demander jusqu'à quel point il est utile de supprimer complètement les maisons de jeux.

Je ne me prononce pas, mais on peut contester que vous ayez, vous législateur, le droit de refréner une passion qui ne peut nuire qu'aux individus ? Vous blâmez cette passion dans ses excès, mais il y en a bien d'autres dont l'abus est blâmable et l'action de l'Etat ne va pas jusqu'à diriger l'homme dans toutes les voies de la moralité.

Je conçois que vous fassiez pour les maisons de banque comme pour les cabarets, pour les cafés, pour tous les lieux où le public se réunit, que vous preniez certaines mesures propres à empêcher les délits ; mais la question est de savoir si vous pouvez absolument refréner même un vice lorsque ce vice ne nuit qu'à l'individu.

Vous ne pouvez pas empêcher un homme de s'avilir, de céder à des instincts mauvais dès que le mal qu'il commet ne peut nuire qu'à lui-même. Sous les gouvernements anciens, on établissait une foule de restrictions de toute espèce et certainement les choses n'en allaient pas mieux.

Il reste à savoir si la moralité, au point de vue des jeux, ne gagnerait pas à ce qu'il n'y eût plus comme une espèce de lieu de rendez-vous où l'on réunit à un moment donné tous ceux qui veulent s'exposer à perdre de l'argent. Vous établissez un vaste théâtre où l'on vient perdre sa fortune, où la passion du jeu s'exerce dans toute sa frénésie ; mais si le jeu était libre pendant toute l'année et partout, il reste à savoir s'il ne causerait pas bien moins de ravages. Soyons-en convaincus, c'est une question très douteuse.

Il y a bien d'autres passions qui existent dans l'humanité et qui ont cours permanent ; eh bien, elles n'aboutissent pas aux désordres qu'entraîne la passion du jeu. Aussi n'est-ce pas soutenir une thèse paradoxale que se demander si le gouvernement, lorsqu'il veut réglementer en ces matières, ne se lance pas sur un terrain qui lui est interdit.

Je crois donc, messieurs, que c'est une question très grave que celle de savoir s'il ne faut pas laisser les maisons de jeu entièrement libres sauf la répression des délits. Mais je me hâte d'ajouter que je ne veux donner à cet égard aucun conseil, et que je ne demande aucune expérience.

Mais, messieurs, il existe un autre côté de la question. Il y a en Belgique des villes privilégiées. On permet les jeux dans une seule localité, et trois villes profitent des bénéfices qu'on y réalise.

Je me demande pourquoi la ville d'Ostende, où l'on ne joue pas du tout, jouit de ce privilège.

Elle en a encore un autre dont on parlera sans doute tout à l'heure, en ce qui concerne les huîtres. Voyez cependant si la ville d'Ostende fait tout ce qu'elle devrait faire ; elle n'a pas de locaux de fêtes pour les étrangers qui y séjournent.

Je crois, messieurs, qu'il faut suivre un principe général. Qu'on permette les jeux partout ou qu'on les supprime partout, mais que le gouvernement et les villes ne profitent pas de ces gains qui n'ont pas la moralité de l'impôt. Cela n'est pas digne d'une nation comme la Belgique.

M. Vander Donckt. - L'honorable M. Rodenbach a critiqué plusieurs impôts et notamment le timbre postal, le droit de barrière et les jeux de Spa ; je m'étonne qu'il n'y ait pas joint l'impôt sur la bière et l'impôt sur le sel.

Messieurs, il n'y a rien de plus facile que de critiquer des impôts ; mais la grande question est de savoir ce qu'on mettra à la place. Il faut que tous les ans les budgets soient équilibrés et pour cela il faut bien qu'il y ait des impôts.

Je regrette de n'être pas d'accord avec mon honorable ami sur ce point. De l'aveu de tous, notre système financier est bon ; pourquoi vouloir y amener la perturbation en supprimant une série d'impôts à la légère si on ne propose pas de bons moyens de les remplacer ? Je sais qu'il est très populaire de critiquer certains impôts, mais il ne s'agit pas de critiquer les impôts qui existent quand vous devez les remplacer par d'autres.

Je dis que les impôts existants et qui se perçoivent avec facilité, sont les impôts les mieux assis et que tous les impôts nouveaux que vous tâcheriez d'introduire seront sujets à beaucoup plus de critiques que les impôts qui existent. Tous les ans, on critique tel ou tel impôt ; on critique notamment l'impôt sur les barrières ; mais il a été démontré à la dernière évidence qu'il est impossible de supprimer cet impôt dans l'état actuel des choses.

Quant à la taxe postale, on a prouvé, clair comme le jour, que la réduction que l'on demandait était une faveur aux riches, une faveur pour le haut commerce, mais que la généralité du public y est peu ou point intéressée. Il y a, au contraire, des raisons pour maintenir la taxe au taux où elle est maintenant perçue à cause du fonds communal.

Messieurs, ne songeons pas à remplacer les impôts actuels par d'autres ; ce serait aller de mal en pis.

Bornons-nous à corriger les vices de certaines lois, la loi sur la contribution personnelle si impatiemment attendue et la loi sur les patentes ; corrigeons ces lois en les rendant plus justes et plus équitables, et nous aurons bien mérité de la patrie. Voilà les observations que je voulais soumettre à la Chambre.

M. de Theuxµ. - Messieurs, ce n'est réellement qu'à titre temporaire que les jeux de Spa ont été autorisés par le nouveau contrat. Pourquoi ne les a-t-on pas supprimés ? C'est qu'on a considéré que l'existence de jeux à Aix-la-Chapelle aurait fait perdre tous les avantages qu'on avait en vue par la suppression des jeux de Spa. C'eût été, au contraire, engager les habitants de la Belgique à aller exposer leur argent aux jeux d'Aix-la-Chapelle qui offraient encore moins de garanties que ceux de Spa.

Le gouvernement a même essayé, par voie de négociations avec les Etats de l'Allemagne, d'obtenir la suppression de tous les jeux. Ce résultat n'a pu être obtenu ; il existe encore des jeux : mais du moins ceux qui existent sont éloignés de la Belgique ; il n'y a véritablement que des personnes très riches qui puissent aller chercher la satisfaction de cette passion aux lieux où ces jeux existent encore. La généralité des habitants n'est donc pas exposée à ce danger.

La ville d'Ostende ayant sollicité dans le temps le même avantage que celui dont jouit la ville de Spa, le gouvernement s'y est formellement refusé ; en effet, alors qu'il poursuivait l'abolition des jeux de Spa, il eût été absurde de sa part d'en autoriser de nouveaux à Ostende.

Messieurs, on a dit que si on tolérait l'existence de ces sortes de jeux partout, ce serait peut-être un moyen d'en diminuer la passion. Quant à moi, je pense que ce moyen n'aurait pas du tout le résultat qu'on en espère ; je crois que si on permettait dans tous nos villages l'établissement de jeux de hasard, on aurait beaucoup de malheurs à déplorer ; je prétends que si dans la capitale et dans d'autres villes encore, on établissait de nouveaux jeux, ce serait une véritable calamité pour beaucoup de familles.

Le Code pénal interdit l'institution de ces jeux de hasard ; le législateur a eu de bons motifs pour cela, et ces motifs ont été appréciés dans tous les pays.

C'est uniquement en vue de procurer une distraction aux gens qui se rendent dans les villes d'eaux pour causes de maladies ou pour d'autres raisons, qu'on a toléré l'établissement de jeux dans quelques localités ; mais au fond, ces motifs ne sont pas suffisants.

Il existe d'autres moyens de distractions honnêtes, beaucoup plus utiles et beaucoup plus réels que les jeux.

Ainsi, la ville de Spa, par ses promenades, par les autres agréments (page 34) qu'elle a procurés aux étrangers et surtout par ses bonnes eaux, est bien plus attrayante que par ses jeux ; ce sont là les éléments principaux de la satisfaction que les étrangers goûtent dans cette ville ; les jeux n'y sont que l'accessoire.

Maintenant reste la question des charges que la ville de Spa s'est imposées pour compléter les agréments qu'elle offre aux étrangers. C'est une question à examiner. Je voudrais que le gouvernement fît un rapport sur la question toute spéciale de la suppression des jeux de Spa demandée par la majorité de la section centrale et par plusieurs membres de cette Chambre. A la suite de ce rapport, et suivant les conclusions qui y seraient formulées, la Chambre aurait à voir s'il ne serait pas nécessaire qu'elle se livrât à un examen plus spécial, en instituant elle-même une commission chargée d'élucider ultérieurement la question. Mais j'engage le gouvernement à ne pas trop tarder à saisir la Chambre d'un rapport, de manière qu'elle puisse reprendre cette affaire dans le courant de la présente session.

MfFOµ. - Messieurs, j'ai été assez étonné d'entendre l'honorable M. Bara me représenter en quelque sorte comme le défenseur des jeux de Spa. L'honorable membre m'aura mal compris, comme il a mal compris l'honorable M. Sabatier.

Qu'avons-nous dit ? Nous avons dit que, par suite du contrat qui existe au profit de Spa et qui confère des avantages à cette ville, celle-ci avait contracté des engagements ; que si l'on venait à supprimer immédiatement les jeux de Spa, il en résulterait pour cette localité un préjudice qu'il ne serait pas juste de lui infliger.

Que suppose l'honorable M. Bara ? C'est que j'aurais dit que la ville de Spa pouvait indéfiniment contracter de nouveaux engagements, et que perpétuellement, d'année en année, on viendrait faire valoir ces engagements pour obtenir le maintien des jeux. Rien de semblable n'a été dit, ni par l'honorable M. Sabatier, ni par moi. Nous sommes partis du fait actuel ; nous sommes partis des engagements que la ville a pris à la suite du contrat qui est intervenu pour la concession des jeux.

Mais, messieurs, une chose m'a bien étonné ; c'est qu'après s'être élevé, avec beaucoup de raison, contre l'idée qu'il m'attribuait à tort, l'honorable membre en soit arrivé à conclure au maintien ou à l'établissement de jeux partout.

« Vous ne pouvez pas, a-t-il dit, refréner les passions humaines, vous n'avez pas mission pour cela ; l'Etat étant incompétent pour s'occuper de l'améliorations des hommes sous ce rapport et pour les empêcher de se corrompre, laissez donc les jeux libres partout. »

Mais alors pourquoi ne pas laisser les jeux à Spa ? Ils s'y trouvent maintenant, comme ils s'y trouveraient si les idées de l'honorable M. Bara étaient admises !

- Un membre. - Mais sans le monopole.

MfFOµ. - Que fait la question de monopole ?

M. Goblet. - Vous donnez à Spa un avantage que vous ne donnez pas à d'autres villes.

MfFOµ. - Vous n'attaquez pas les jeux de Spa à raison du monopole, mais à raison de l'immoralité.

M. Goblet. - Aussi à raison du monopole.

MfFOµ. - Vous les attaquez surtout à raison de leur immoralité, puisque vous vous écriez : Quelle horreur ! le gouvernement perçoit un tribut sur cette honteuse passion humaine. Et si vous les attaquez à cause de leur immoralité, comment pouvez-vous proposer de les tolérer partout ?

Je ne suis pas d'avis le moins du monde qu'il faille autoriser les jeux et je dis qu'il est dans le domaine du législateur d'ériger en délits des faits immoraux qui peuvent porter préjudice à la nation. Si le jeu était autorisé partout, il en résulterait les plus grands inconvénients pour la société. Les plus infimes seraient alors portés, au lieu de travailler, à essayer d'obtenir, par un coup du hasard, un sort qu'ils considèrent comme plus heureux. C'est précisément le grand principe démoralisateur des jeux de hasard : il détourne les populations du travail et il faut au contraire prêcher et enseigner toujours la loi si salutaire du travail ; il faut que le législateur fasse en sorte de pénétrer les misères de cette grande vérité, qu'il n'y a de gain légitime que par le travail.

- Plusieurs membres. - Très bien ! très bien !

M. Coomans. - Oui, mais la conclusion.

MfFOµ. - La conclusion ? il me semble que vous pouvez la tirer facilement vous-même des paroles que je viens de prononcer.

Je ne me pose pas en défenseur des jeux. Je vous ai dit dans quelles conditions, selon moi, on serait juste envers la ville de Spa, et je crois que cette conclusion est celle à laquelle arrive l'honorable M. de Theux, avec qui je me rencontre en cette circonstance. Il vous a dit que la question méritait un examen, qu'il y avait un état de fait que personne ne connaissait suffisamment, et des conséquences qu'on ne pouvait apprécier aujourd'hui.

II y a donc lieu à examen. Que cet examen soit fait par le moyen indiqué par l’honorable M. de Theux ou de toute autre manière, peu importe. J'admets volontiers, d'ailleurs, le moyen que l'honorable membre a proposé. Le gouvernement pourra faire un rapport sur la situation, et la Chambre examinera.

M. Van Iseghem. - L'honorable M. Bara a dit que la ville d'Ostende ne faisait rien pour les étrangers, qu'elle n'avait pas même un endroit où ces étrangers pourraient s'amuser ou se réunir.

Depuis quatre ou cinq ans, la ville d'Ostende a fait à peu près pour un million de travaux. Elle a fait des changements à son Casino, entre autres en construisant une salle de bal ou de réunion qui fait l'admiration générale, et qui a coûté au-delà de 100,000 fr. La digue de mer a été élargie et allongée. Sans doute le gouvernement a fait une partie de la défense, mais la ville en a supporté la plus forte part, elle a dû faire entièrement le pavage, autrement dit la promenade ; ailleurs le gouvernement paye ces dépenses.

La ville d'Ostende a eu le courage de faire une expérience très utile au pays ; à la recherche de la bonne eau, elle a fait faire un puits artésien qui lui a occasionné une dépense de 100,000 fr.

Si d'autres villes avaient fait ces travaux d'hygiène, elles auraient eu un subside plus fort que nous. Seulement un subside d'un sixième a été alloué.

Nous avons repavé une grande partie de nos rues ; nous avons construit des trottoirs ; nous avons fait tout ce qui était possible pour améliorer la ville d'Ostende et en rendre le séjour aussi agréable que possible.

Pour prouver que c'est la vérité que j'avance, je dirai que l'affluence des étrangers augmente tous les ans ; c'est une preuve que les étrangers sont satisfaits de leur séjour.

Sous le rapport commercial, la ville n'avait pas d'entrepôt convenable, le gouvernement nous a forcé d'en construire un qui a coûté 300,000 fr. ; cet entrepôt, nécessaire pour certaines éventualités, ne rapporte rien à Ostende, pas un pour cent d'intérêt. Le gouvernement n'a voulu accorder aucun subside.

Mais, pour faire toutes ces dépenses, nous avons compté sur le contrat intervenu entre le gouvernement et les concessionnaires des jeux de Spa. Nous pouvons espérer, de ce chef, une recette annuelle au maximum de 39,000 fr. et sur la foi de cet accord, nous avons entrepris plusieurs travaux qui doivent être payés d'ici à plusieurs années. Si maintenant l'on supprimait les jeux de Spa, notre position financière deviendrait mauvaise.

Déjà nous avons subi une perte considérable par la suppression de l'octroi. Car Ostende est une de ces villes comme Bruxelles, qui, par suite de l'augmentation du nombre des étrangers, voyait le revenu de l'octroi s'accroître constamment. Je ne me suis jamais plaint de la suppression de cet impôt, je l'ai voté et j'en suis très fier ; mais je constate le fait ; nous avons compté que le revenu provenant des jeux de Spa pourrait combler le déficit.

Messieurs, le gouvernement a intérêt à favoriser les villes de bains. Tous les étrangers qui viennent à Ostende prennent le chemin de fer ; c'est une recette pour l'Etat ; ils achètent chez nous des fabricats du pays. Sans Ostende ce grand nombre d'étrangers ne se rendrait jamais peut-être en Belgique. Le pays entier est donc obligé de soutenir les villes de bains.

Les villes qui reçoivent un grand nombre d'étrangers sont astreintes de ce chef à des dépenses considérables. Ainsi la police d'Ostende coûte peut-être le triple de ce que coûte la police d'autres villes de même rang, et jamais elle n'a obtenu, comme d'autres villes, de subside pour sa police.

Ce n'est pas seulement Ostende qui retire un revenu des jeux de Spa ; vous avez la ville de Blankenberghe, qui, proportion gardée, reçois même plus qu'Ostende. Elle a aussi entrepris des travaux considérables, et si elle ne pouvait plus compter sur la somme qu'elle retire annuellement des jeux de Spa, elle se trouverait dans une situation très malheureuse.

Quant à la question en elle-même, je ne viens pas me poser en défenseur des jeux. Mais ceux qui s'occupent de la police locale savent par expérience ce qui se passe dans les villes de bains et je puis vous assurer qu'on y joue clandestinement. J'ai été assez heureux, dans le courant de cette année, de découvrir un endroit où l'on jouait clandestinement où jouaient les étrangers. Cela nous a coûté beaucoup de peine ; il nous a (page 35) fallu plusieurs jours et beaucoup d'habileté pour mettre la main sur ceux qui tenaient cette maison.

M. Coomans. - Il fallait laisser faire.

M. Van Iseghem. - Il fallait laisser faire ! Je ne crois pas que, comme bourgmestre, je pouvais permettre qu'il fût contrevenu à la loi.

M. Coomans. - Messieurs, croyant de plus en plus que la liberté donne la meilleure solution de presque toutes les difficultés sociales, je ne veux pas laisser échapper cette occasion de rendre un nouvel hommage à ce principe.

Si je voulais montrer tons les inconvénients du jeu, toutes les immoralités du jeu de hasard, cela me serait aisé ; je n'aurais qu'à me ressouvenir et à répéter les trivialités philosophiques entassées dans les bibliothèques.

Je m'en abstiens, d'abord parce que je n'ai pas besoin de le faire devant vous, et ensuite parce qu'il me semble qu'on a énormément exagéré dans cette question.

Je le dis très nettement, je crois que l'Etat, que la société permet une foule de choses beaucoup plus immorales que le jeu. Je n'ai pas peur que le préjugé me condamne, car je suis bien sûr que la plupart d'entre nous ont joué à Spa ou ailleurs. J'avoue que j

Jai tondu de ce pré la largeur de ma langue.

Oui, je l'avouerai, vous en ferez autant, au moins in petto et ni vous ni moi nous ne reconnaîtrons que nous avons commis sciemment une immoralité.

Donc je n'admets pas que les jeux sont aussi immoraux qu'on le dit. Ils peuvent l'être par leurs conséquences, ils ne le sont pas en eux-mêmes. Je ne viens pas demander la suppression des jeux de Spa et M. le ministre des finances a parfaitement raison lorsqu'il s'étonne qu'on puisse à la fois demander ou la suppression des jeux de Spa ou la généralisation des jeux.

Je dis avec l'honorable M. Bara, que la société n'a pas le droit de s'immiscer dans tous les vices, dans tous les péchés pour les réprimer et les régler. La société n'a que strictement le droit d'empêcher les actes nuisibles à des concitoyens et à l'ordre public. Mais lorsqu'il plaît à un citoyen de se nuire à lui-même, sans faire tort aux autres, je crois que cette morale scrupuleuse, intolérante et indiscrète qui tend à lui lier les mains mène droit au despotisme. Je n'aime pas l'immoralité, mais je n'aime pas non plus le despotisme et je crois que, dans le doute, et peut se prononcer pour la liberté. Nous sommes ici devant l'éternelle question de savoir jusqu'à quel point le catéchisme ou le code de morale laïque peut être traduit en loi. (Interruption.)

Je suis bien sûr qu'on me reprochera d'être un apologiste, un partisan du jeu, qu'on dira que j'ai défendu, prôné la roulette ! Pourquoi ? Parce que je ne veux pas l'empêcher. De même que, lorsqu'il y a vingt-cinq et trente ans, je demandais déjà la suppression des lois contre l'usure, on me qualifiait de partisan de l'usure, quasi d'usurier.

Messieurs, il n'en est rien, on peut ne pas approuver une chose et en même temps s'interdire, comme législateur, le droit de l'empêcher. La société n'a pas le droit de convertir la morale pure en code ; pas plus que le catholique n'a le droit de convertir le catéchisme en Code, pas plus que les libéraux n'ont le droit de convertir en code des préceptes moraux.

M. Goblet. - C'est très juste.

M. Rodenbach. - Le gouvernement ne peut pas tirer profit d'une vile passion.

M. Coomans. - C'est une autre question. J'insiste sur ce point parce que l'erreur commise à cet égard par les plus honnêtes gens est très facile ; ils disent : « Ceci est bon et juste, il faut que cela soit respecté sous peine de... » On me disait autrefois : « L'usure est un gros péché, et vous voulez la permettre. »

Pourquoi pas ? est-ce que je ne permets pas de faire gras le vendredi, de violer le repos du dimanche, de blasphémer, de transgresser en maintes occasions les lois de l'Eglise ?

Quand il serait prouvé que le jeu est immoral, il y aurait à examiner jusqu'à quel point ce caractère d'immoralité vous autorise à le proscrire par la loi.

Je voudrais avec M. Bara permettre les jeux de hasard dans toutes les villes, à la condition de réprimer les délits commis à l'occasion des jeux. (Interruption.)

L'exemple sera mauvais, me dit M. le comte de Mérode, j'en conviens, mais il y a bien d'autres exemples mauvais que vous permettez et autorisez ; il est plus grave encore d'en profiter dans le budget.

Je crois que l'honorable membre, appuyant la singulière argumentation de M. Moreau, a dit : Il y a la loterie à Rome. L'objection ne porte pas contre moi, Je me déclare partisan des loteries officielles,

Je voudrais que le gouvernement belge eût une loterie productive, que toutes les grandes villes fussent autorisées à user de la liberté d'organiser des loteries ; on en viendra là, ce sera le moyen de les sortir des embarras financiers où elles seront bientôt placées. (Interruption.) La loterie est immorale, je ne sais trop si l'impôt volontaire de celui qui met dans une loterie officielle, n'est pas plus moral que l'impôt obligatoire arraché, comme taxe de consommation, aux pauvres gens. Moi je préfère les loteries libres aux contributions avec gendarmes. Est-ce à dire que j'encouragerais les populations à y mettre ? Non certainement. J'ai voté seul, hélas ! contre la loi sir les loteries que nous avons aujourd'hui ; mais je l'ai fait par respect pour la liberté, sans amour pour les jeux de hasard.

Voyez jusqu'où va l'illogisme ; il va jusqu'à l'iniquité. Vous trouvez immoral qu'un domestique en Italie, en Allemagne, en Hollande, risque un demi-florin par semaine pour se nourrir d'espoir six jours durant (l'espérance est aussi nécessaire à l'homme que le pain), et vous ne trouvez pas le jeu immoral quand il s'agit de la liberté, de la vie de vos semblables ! Vous ne voulez pas qu'on mette quelques sous en loterie, et dans la loterie militaire vous mettez ce que les Belges ont de plus précieux !

Nous faisons de la morale au sujet d'une pièce de cinq francs et quand nous mettons en loterie le bonheur, la liberté, la vie de nos semblables, nous ne trouvons pas que ce soit immoral. Si j'étais ennemi de la loterie, je ne voterais pas, comme on le fait ici, la loterie militaire. (Interruption.)

J'espère qu'on ne se méprendra pas sur mes sentiments. Je suis d'accord avec M. Frère qu'il faut inculquer au peuple cette vérité que le travail est la meilleure source de la richesse, qu'il ne faut pas la chercher dans les jeux de hasard.

C'est une question de théorie pure qui nous sépare, je demande la permission de n'être pas de votre avis.

La ville de Spa, dit-on, a fait de grandes dépenses, elle a pris des engagements en vue du maintien de la roulette et du trente et quarante ; ce serait une injustice que de la mettre hors d'état de faire face à ses engagements ?

Il est facile de répondre à cet argument d'une faiblesse extrême ; quand ces villes ont pris des engagements, elles savaient que nous n'étions pas l*iiés envers elles ; elles les ont pris en connaissance de cause ; à moins que la clause résolutoire insérée dans le contrat avec la banque ne soit qu'une moquerie.

Ensuite, ces villes jouissant d'un privilège, comme on l'a démontré dans la discussion, n'est-il pas étrange qu'on invoque ce privilège pour en demander la continuation ? Si nous le supprimions dès aujourd'hui, nous en aurions le droit au point de vue de la justice absolue ; mais je suis bon prince, je ne demande pas la mort du joueur, mais je désire qu'on ait, au moins demain, le courage d'être logique et juste ; courage malheureusement très rare.

II faut se demander si la loterie est assez immorale pour être réprimée par le glaive de l'Etat. Si oui, qu'on la supprime ; si non, qu'on la tolère partout.

Je reconnais franchement que les gens qui ne seront pas de mon avis sur ce point m'inspireront une estime particulière, car c'est ma raison plus que mon coeur qui me dicte ici mon opinion ; je suis au fond de l'avis de M. de Theux, qu'il serait désirable qu'il n'y eût pas de jeux de hasard. Mais il faut supprimer les jeux partout, ou les permettre partout, ; vous ne pouvez pas sortir de ce dilemme.

Ce que je trouve inique, immoral, c'est que le gouvernement plonge la main dans ce lucre qu'il déclare infâme ; je croyais que Vespasien était mort depuis longtemps.

Je trouve immoral qu'un certain nombre de citoyens choisis profitent de ce lucre. On ne me prouvera pas qu'Ostende, qui a le grand bonheur naturel et ministériel de posséder la mer et M. Van Iseghem, peut se prévaloir de ces avantages pour demander la continuation d'un odieux monopole.

Je ferai la même observation pour Blankenberghe et Chaudfontatne. Tous les villages de la Campine seraient enchantés d'avoir l'avantage de posséder la mer ou des eaux chaudes, et si le gouvernement veut s'engager à introduire ces eaux ou celles de Spa en Campine, je suis persuadé que la Campine renoncera à toute part de profit dans les jeux de Spa.

Spa, Ostende, Blankenberghe, Chaudfontainc sont déjà bien heureux d'être si admirablement dotées par la nature, et ces localités si privilégiées sont vraiment trop exigeantes de venir nous en demander davantage.

Je crains, messieurs, d'en avoir déjà trop dit et je me rassieds.

M. Delaetµ. - Messieurs, je pourrai être d'autant plus bref, que (page 36) l'honorable M. Coamans vient de développer beaucoup plus éloquemment que je ne l'aurais fait...

M. Coomans. - Je ne m'en doutais pas.

M. Delaetµ. - ... les considérations que je voulais vous soumettre.

Il me paraît que dans ce débat il y a deux choses remarquables ; d'abord c'est que, pour la première fois depuis que j'ai l'honneur de faire partie de cette Chambre, j'assiste à une discussion où la gauche et la droite ne sont partagées que par les opinions individuelles de leurs membres et non pas par le nombre ni comme partis ; en second lieu, c'est la déplorable confusion de principe qui a été faite.

Il y a deux choses : d'abord la liberté individuelle. Jusqu'à quel point, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Bara, l'Etat a-t-il le droit de régenter les passions individuelles ? Je voudrais bien savoir où cela s'arrêtera.

Vous aurez à faire des lois contre toutes sortes de passions, même contre les meilleures, parce que les meilleures ont leurs excès et leurs abus.

Ne régentons donc les passions que le moins possible et pour autant qu'elles soient réellement un danger public ; quand elles ne sont qu'un danger individuel, supposons que tout le monde est assez sage et émancipons le plus possible au lieu de mettre en tutelle.

Mais il y a autre chose. On dit : Si vous ne voulez pas défendre le jeu, pourquoi alors voulez-vous priver les villes de Spa, de Chaudfontaine, de Blankenberghe et d'Ostende et l'Etat des bénéfices que leur procurent les jeux ? Mais, messieurs, parce que ce sont ces bénéfices qui sont immoraux.

Il y a d'autres passions non moins honteuses que le jeu que la police tolère et qu'elle surveille, mais jusqu'ici je n'ai pas entendu dire que jamais une commune ou l'Etat ait eu l'idée de mettre en régie certaines maisons et de leur faire rendre leurs comptes par sous et deniers pour savoir quelle était sa part dans le produit de la passion qu'exploitent ces maisons.

On nous a dit, messieurs, et c'est un de mes honorables amis de la droite M. Vander Donckt, quand vous avez le bonheur de posséder un impôt productif, ne le changez pas alors même qu'il serait taxé d'immoralité. Je regrette que cette théorie ait été émise par un homme que nous estimons tous personnellement et qui certes aura obéi dans cette circonstance bien plus à une idée fiscale qu'à une impulsion de sa conscience.

M. Bouvierµ. - Il a pensé aux indemnités que vous réclamez.

M. Delaetµ. - On a cité les convenances locales de la ville d'Ostende

En général, messieurs, j'ai beaucoup de respect pour les convenances locales, mais quand un principe supérieur est en jeu, les convenances locales ne peuvent pas être prises en considération. Si je ne craignais de réveiller une question dont je ne veux pas parler en ce moment-ci, je vous dirais que les convenances locales ne nous permettaient pas à nous, Anversois, de supprimer l'accroissement annuel que nous procurerait l'octroi, alors que nous venions de contracter envers l'Etat une dette qui devait être couverte par cet accroissemmt d'octroi et que nous avons payée le jour où elle devait être payée.

M. Bouvierµ. - Pas sans peine.

M. Delaetµ. - Ainsi, messieurs, ayons très peu égard à nos convenances particulières. Il s'agit ici d'un intérêt économique et non d'un intérêt moral.

Je me rallie tout à fait à l'idée émise par M. le ministre des finances, de faire une enquête sur la question des jeux de Spa, dans l'espérance que l'année prochaine ils pourront être abolis, ou que, s'ils ne sont pas abolis, nous entrerons dans la voie de la liberté, et que le jeu sera autorisé partout sous la sauvegarde des mesures de police qu'il conviendra de prendre à cet effet, mais que ni l'Etat, ni les communes ne viendront plus demander une partie de leurs ressources à cet impôt impur et immoral.

M. Bara. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire, c'est celui-ci :

M. le ministre des finances a dit que nous attaquions les jeux et tout ce qui est relatif aux jeux de Spa à cause de l'immoralité du jeu.

C'est là une erreur de l'honorable ministre. Nous disons ceci : Ou bien proclamez la liberté du jeu, ou bien supprimez-le partout.

Nous avons dit alors que la liberté du jeu est peut-être le moyen d'en éviter les inconvénients.

L'honorable ministre a répliqué : II est du domaine du législateur de défendre le jeu, parce que c'est une immoralité. L'honorable ministre se trompe. Le jeu en lui-même n'est pas immoral. Il n'est pas plus immoral que la boisson ou que les loteries, ou plutôt il n'est pas plus dangereux, car le mot immoral ne se trouve pas ici à sa place. Ce qui est dangereux pour l'individu qui joue, c'est qu'il peut excéder ses moyens.

Qu'un grand seigneur risque au jeu 10,000 fr. dont il n'a pas besoin, quelle immoralité y a-t-il à cela ?

- Une voix. - C'est un mauvais exemple,

M. Bara. - Non ! Qu'un petit bourgeois, un ouvrier ne joue que ce dont il peut disposer, il n'y a pas de mauvais exemple. Vous tolérez du reste le jeu : les jeux de cartes et bien d'autres.

M. Coomans. - Et les courses de chevaux.

M. Bara. - Ce qu'il y a de déplorable, c'est que les individus risquent ce qui est nécessaire à leur subsistance et à celle de leur famille.

Vous confondez les résultats, les inconvénients, les accidents avec la chose en elle-même. Le jeu en lui-même n'est pas immoral, mais bien l'abus qu'on en fait.

La question est de savoir si la liberté ne vaut pas mieux que la prohibition. Si l'on veut supprimer complètement les jeux, j'y applaudis, mais s'il faut attendre jusqu'à ce que Spa ait rempli ses engagements, qu'on s'informe de l'époque où ces engagements seront remplis.

Au surplus je ferai remarquer que ces dépenses sont faites avec l'argent que l'on retire du jeu.

Car la ville de Spa, à ce qu'on m'assure, est une ville privilégiée entre toutes. Ses habitants ne payent pas d'impôts communaux ; ils ne payent absolument rien. Ainsi si la ville de Spa a pris des engagements, c'est sur les bénéfices qu'elle compte réaliser sur les jeux, et je demande s'il est moral qu'elle escompte à l'avance ce qu'elle va gagner à l'aide des jeux.

On me dit que la ville de Spa a entrepris une construction ; je crois que si M. le ministre des finances disait que les jeux seront supprimés lorsque cette construction sera faite, tout débat cesserait dans cette Chambre. Si c'est là l'intention du gouvernement, tout débat devient inutile.

Quant à la ville d'Ostende, l'honorable M. Van Iseghem trouve que je l'ai trop attaquée. Je n'ai pas attaqué Ostende au point de vue de ce qu'elle a fait pour la sûreté des propriétés de ses habitants, j'ai dit qu'Ostende avait fait peu au point de vue de l'agrément de la ville et qu'elle n'avait pas plus de droit qu'une autre ville de prélever un revenu sur les jeux de Spa.

Je n'ai pas prétendu que l'administration de la ville d'Ostende n'avait rien fait pour les habitants et même pour les étrangers. Mais si elle a fait quelque chose, elle en a tiré grand profit. Je ne crois pas qu'Ostende voudrait céder ses avantages contre la dépense qu'elle a faite. Ce sont des dépenses lucratives dans son intérêt et par suite elle n'a pas le droit de prélever, de ce chef, quelque chose sur le produit des jeux de Spa.

Je demande qu'il soit donné suite au moyen indiqué par le gouvernement, et qu'on se livre à une enquête pour arriver à la suppression des jeux de Spa, quand les engagements de cette ville relatifs à la construction de l'hôtel des bains auront été remplis.

M. de Theuxµ. - Je dirai un seul mot.

D'après quelques orateurs, il semblerait que le législateur a excédé ses pouvoirs en établissant des pénalités contre certains jeux de hasard ; je ne crois pas qu'il ait excédé ses pouvoirs en cette matière pas plus qu'en certaines autres sur lesquelles nous sommes tous d'accord. Je citerai, par exemple, l'autorisation donnée aux communes, aux provinces, de faire des règlements sur la fermeture des cabarets à une heure donnée. Assurément il n'y a rien d'immoral à se trouver au cabaret, à boire tranquillement une boisson rafraîchissante à 11 heures pas plus qu'à huit heures. Il n'y a pas plus d'immoralité à se réunir à quelques amis à onze heures qu'à huit heures. Cependant l'utilité publique veut qu'il y ait des règlements fixant l'heure de la fermeture des cabarets, parce que, sans ces règlements, les désordres deviendraient excessivement nombreux sous une infinité de rapports.

Je crois donc qu'il n'est pas du tout difficile de justifier la loi en ce qu'elle défend certains jeux de hasard, pas plus qu'il n'est difficile de justifier les règlements qui défendent l'ouverture des cabarets après une heure déterminée.

M. Hymans. - J'annonce à la Chambre que M. Jacquemyns et moi nous avons l'intention de proposer un amendement à l'article douanes, et comme cet amendement pourra donner lieu à discussion, je demande que la Chambre veuille bien en ordonner l'impression.

- Plusieurs membres. - Lisez cet amendement.

M. Hymans. - Voici cet amendement :

« Nous avons l'honneur de proposer, à l'article douanes, de réduire le chiffre de 13,065,000 fr. à 12,950,000 fr., représentant une réduction de 115,000 fr. auxquels M. le ministre des finances estime le produit probable des droits d'entrée sur les poissons, huîtres et homards. »

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de cet amendement.

La discussion générale du budget des voies et moyens est close.

La séance est levée à quatre heures et quarts.