(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session extraordinaire de 1864)
(Présidence de M. Lange, doyen d’âgeµ.)
M. Jacobs, secrétaire provisoireµ, (page 11) procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. G. de Borchgraveµ donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
MpLangeµ fait connaître que M. Julliot demande un congé par suite de la maladie très grave d'un de ses proches parents.
M. Moncheur, dont les pouvoirs ont été vérifiés dans une séance précédente, prête serment.
M. Kervyn de Lettenhove. - Votre cinquième commission m'a chargé de vous présenter son rapport sur l'élection de Thuin.
Le nombre des votants était de 2,051, et la majorité absolue, par suite a été fixée à 1,026. M. Arthur Warocqué a obtenu 1,151 voix, M. T'Serstevens-Troye 1,113, le prince Joseph de Chimay 915, M. Gustave Wanderpepen 893 voix.
Les deux premiers candidats ayant obtenu plus de la moitié des suffrages ont été proclamés.
Les opérations des bureaux ont été régulières, mais la Chambre a été saisie d'une protestation dont j'aurai l'honneur de donner lecture.
« Messieurs,
« Nous soussignés, tous électeurs pour les Chambres dans l'arrondissement de Thuin, domiciliés à Binche, Hainaut, prenons la respectueuse liberté de protester vis-à-vis de la Chambre des représentants contre l'élection de MM. Arthur Warocqué et T'Serstevens-Troye, à cause des actes nombreux de corruption qui ont précédé le scrutin du 11 août courant.
« Les faits, que nous allons soumettre à votre appréciation, vous prouveront à l'évidence qu'il y a eu en cette occurrence tout un vaste système de captation organisé et cela au vu et au su des candidats, dont le succès doit être considéré comme l'effet de ces manœuvres répréhensibles et attentatoires à la liberté du voit.
< Nous ne citerons que quelques faits notoires et entièrement avérés : ils sont suffisants pour servir de base à une enquête parlementaire, qui démontrera qu'ils ont été généralisés et se sont exercés sur une vaste échelle dans presque toutes les communes de notre district.
« Ainsi, 1° dans le village d'Estinnes-au-Mont, le mardi 9 août, tous les cabaretiers électeurs reçurent, les uns du bourgmestre, M. Canart, les autres du garde champêtre dépêché ad hoc par ce magistrat, des bons pour 5 bouteilles de vin, au compte de MM. Warocqué et T'Serstevens. Ce vin devait être porté à l'auberge du Cheval rouge, sur la Place, chez Augustin Bougard ; c'était là le lieu de la réunion ; ledit garde champêtre y convia tous les électeurs, et MM. Warocqué et T'Serstevens s'y rendirent à l'heure indiquée pour présider aux libations.
« Nous avons pu nous procurer un de ces bons pour livrance de vin, nous en joignons la copie à cette protestation, tenant l'original à la disposition de la Chambre.
« Vous voyez, messieurs, par l'inspection de cette pièce, que la commande est faite au nom et pour comte de MM. Warocqué et T'Serstevens, qu'elle est signée par M. Hubinon, secrétaire communal à Morlanwelz et l'agent reconnu et fondé de pouvoirs du château de Mariemont en matière d'élections ; elle est datée de ce même jour 9 août 1864.
« On nous mande encore de cette même commune d'Estinnes-au-Mont que la nuit du 10 au 11 août on a glissé sous la porte de plusieurs électeurs, dont nous pouvons citer les noms, des billets anonymes, leur enjoignant avec menaces de déposer dans l'urne un bulletin y joint ainsi conçu : « Je vote pour MM. Arthur Warocqué et T'Serstevens-Troye. »
« 2° Mais c'est à Lobbes et à Thuin que se sont surtout produites des orgies scandaleuses qui ont excité le dégoût et la réprobation universelle : chaque cabaret, à peu d'exceptions près, était transformé en une taverne de gloutonnerie et d'ivrognerie.
« Voici pour Lobbes, depuis le 5 jusqu’au 11 août dans la matinée, la série de ces ripailles électorales :
« Le 5 août, réunion chez Joseph Degnelies ; à cause du vendredi, ces messieurs observant scrupuleusement les commandements de l'Eglise, il n'y eut pas de repas, on se borna à une grande consommation de Champagne mousseux.
« Le 6, à six heures du soir, souper chez François Herlin.
« Menu : Jambons et tartes avec 50 à 60 bouteilles de bordeaux : il y avait 28 électeurs et 12 autres individus. L'un des convive», Gaspard Pety, se gorgea tellement de nourriture et de boisson qu'il suffoqua et, comme on le croyait sur le point d'expirer, on manda en toute hâte M. le curé chez ledit cabaretier.
« Le 7 août, à la même heure, souper chez Pierre Herlin.
« Le 8 août, à la même heure, souper chez J. Holoye.
« Le 9 août, à la même heure, souper chez J.-B. Bourgeois.
« Le 10 août, à la même heure, souper chez Pierre André.
« Le 11 août, à 7 heures du matin, déjeuner chez Joseph Dagnelies ; c'était le point de ralliement choisi pour diriger les électeurs en corps vers Thuin ; c'est là que M. le bourgmestre, assisté de ses deux échevins et du notaire André, vint les prendre pour les escorter jusqu'au scrutin.
« C'est ce même bourgmestre qui présidait à chacune de ces ripailles électorales, auxquelles il avait été convier en personne les électeurs à leur domicile ; plusieurs fois le premier magistrat avait ses deux échevins à ses côtés.
« Là où siégeait le collège des bourgmestre et échevins, se tenait, à proprement parler, la réunion officielle, car dans les autres cabarets où les choses ne pouvaient se faire avec le même appareil et la même dignité, ordre était donné de distribuer gratuitement des vins pour une somme de 200 fr., équivalente à celle qui était dépensée au local où M. le bourgmestre de Lobbes tenait ses assises.
« A Thuin, des séances analogues se sont produites au vu et au su de toute la ville ; là également l’orgie a été en permanence pendant 8 jours consécutifs.
« 3° Si, laissant ces scènes dégoûtantes, dont nous demandons pardon d'avoir dû entretenir la Chambre, nous nous transportons à Beaumont, nous sommes témoins d'un autre fait, qui dépasse beaucoup en importance tout ce que nous avons cité jusqu'à présent et vis-à-vis duquel les bons de vins d'Estinnes et les petits soupers de Lobbes et Thuin ne paraîtront que des bagatelles : il s'agit en effet d'une promesse d'un banquet de 250 couverts et de 1,000 bouteilles de vin, soit pour une somme évaluée au minimum de 5,000 fr.
« Ici encore nous pouvons fournir la preuve de ce que nous avançons et entrer dans tous les détails désirables. Le fait est devenu public à Beaumont par suite d'une indiscrétion commise au café Hennecart par M. Lervi, en présence de MM. Rancelet, propriétaire, Dubois, notaire, et Hennecart, secrétaire.
« Il résulte donc de cet entretien que M. Warocqué avait chargé M. Delval, commissaire voyer d'arrondissement, d'écrire à M. Lervi, qu'en cas de réussite, la musique de Mariemont assisterait au festival de Beaumont et qu'on donnerait le banquet monstre dont nous venons de parler.
« Après un acte de corruption de cette nature, il est devenu superflu, messieurs, que nous insistions sur des promesses de charbon faites par les mandataires de M. Waroqué à Sivry, à Bavriane., etc., sur des marchés de bois conclus à Renlies, des jambons à manger et annoncés par affiches à Thirimont, Barbançon et autres localités ; l'enquête que la Chambre ne peut manquer d'ordonner, mettra en lumière toutes ces choses honteuses et révélera de nouveau au pays la situation déplorable où nous a plongé notre défectueux système électoral.
« Il n'y a plus qu'un point sur lequel nous nous permettons d'attirer l'attention de MM. les députés, c'est la pression inouïe exercée par les fonctionnaires de tous les ordres, qui étaient transformés en courtiers électoraux. A l'exemple de M. le gouverneur qui réunissait à un dîner, dans un hôtel de Thuin, tous les bourgmestres de ce canton, on nous cite entre autres, M. Dejardin, bourgmestre d’Haulehin, qui, la veille de l'élection, festoyait les électeurs de sa commune, les menaçant de tous les fléaux, s'ils ne votaient pas pour les candidats de son choix. Bien plus, chose tout à fait neuve dans l'histoire de nos scandales électoraux, on rapporte que M. le juge de paix de Beaumout manda dans son cabinet les bourgmestres du voisinage, leur ordonnant, sous peine de destitution, de voter pour MM. Waroqué et T'Serstevens.
« Vous voyez, messieurs, que nous sommes bien loin des fraudes et séductions qui ont motivé, dans ces derniers temps, la sévérité du parlement et ont donné lieu aux enquêtes de Louvain, Bruges et Bastogne ; (page 12) aussi nous n'avons pas hésité à nous adresser à vous, pour éclairer le pays sur des choses aussi graves et qui compromettent si manifestement nos belles institutions.
« Tous ces faits allégués par nous, nous ont été notifiés par lettres de témoins oculaires, tous électeurs et recommandables par leur position et leur honorabilité ; nous sommes prêts à mettre ces pièces à la disposition des commissaires qui sont nommés par vous.
« Recevez, messieurs, l'assurance de notre haute considération et de tons nos respects. »
(Suivent les signatures.)
Les faits allégués par les pétitionnaires ont donné lieu au sein de la commission à des appréciations différentes ; mais elle a été unanime pour exprimer le regret de voir s'introduire et se développer l'usage des distributions de boissons et des comestibles, qui est aussi contraire à la dignité de l'électeur qu'à la sincérité des institutions parlementaires, et elle forme le vœu qu'une nouvelle législation vienne le plus tôt possible porter un remède à ces abus.
La commission ayant passé au vote, trois voix se sont prononcées contre l'enquête parlementaire ; deux pour. Deux membres se sont abstenus.
La commission a également l'honneur de vous proposer, à la majorité de trois voix contre quatre abstentions, l'admission de MM. Alfred Warocqué et T'Serstevens qui ont justifié de leur éligibilité.
- Les conclusions de ce rapport sont adoptées.
M. T'Serstevens prête serment.
M. Jacobsµ. - Messieurs, la quatrième commission m'a chargé de présenter à la Chambre son rapport sur les opérations électorales du district de Gand.
Premier tour de scrutin :
Votants, 6,486
Billets blancs, 19
Bulletins valables, 6,467.
Majorité absolue, 3,234.
M. Jacquemyns obtient 3,254 suffrages.
M. Debaets, 3,252.
M. Ern. Vandenpeereboom, 3,249.
M. Vanderstichelen, 3,247.
M. De Kerchove, 3,243.
M. Drubbel, 3,223.
M. Kervyn, 3,222.
M. De Bast, 3,221.
M. Lippens, 3,218.
M. Coppens, 3,214.
M. Van Biervliet, 3,204.
M. Della Faille, 3,200.
M. De Maere, 3,200.
M. Velleman, 3,191.
Les cinq premiers, ayant obtenu la majorité absolue, ont été proclamés représentants.
A 6 heures et demie du soir, un ballottage a eu lieu entre MM. Drubbel, Kervyn, de Bast et Lippens.
Votants, 3,559
M. de Bast obtient 3,221 suffrages.
M. Lippens, 35,208.
M. Drubbel, 303.
M. Kervyn, 219.
En conséquence MM. de Bast et Lippens sont proclamés représentants.
Un membre de la quatrième commission a soulevé la question de savoir si l'admission au vote des 73 électeurs gantois, classés depuis 1862 dans la catégorie des cotes irrécouvrables, n'était pas de nature à vicier l'élection.
La commission s'est d'abord demandé si ces électeurs étaient indûment inscrits sur les listes électorales.
Cette question a été résolue affirmativement par 3 voix contre 2 et 1 abstention.
La minorité a motivé son vote négatif dans la forme suivante : Considérant que la question soumise à la Chambre par la majorité de la commission, implique la condamnation d'un arrêt de la cour de cassation,
Considérant qu'en Belgique la séparation du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire est complète et que la Chambre n'a ni compétence ni juridiction pour réformer une sentence judiciaire,
Par ces motifs, la minorité de la commission considère cette résolution comme une usurpation de pouvoir.
La majorité a partagé l'avis de la députation permanente de la Flandre orientale, elle n'a pas admis celui de la cour de cassation et de la députation du Brabant.
Elle s'est appuyée sur les motifs suivants :
« La Chambre des représentants, porte l'article 47 de la Constitution, se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale »
L'article premier de 1a loi électorale du 3 mars 1831 se sert des expressions : « Verser au trésor de l'Etat la quotité voulue de contributions directes. »
Il est vrai que l'article 3 primitif ne mentionne que l'imposition, et que l'article 4 admet comme preuves l'extrait du rôle des contributions et les avertissements du receveur à l'égal des quittances ; mais l'assimilation de ces pièces s’explique par ce double fait : qu'une partie des contributions de l'année courante peut être soldée postérieurement à l'époque de la formation des listes électorales, et que les cotes irrécouvrables de l'année précédente sont arrêtées postérieurement aussi ; quant à l'article 5, sa rédaction a été mise mieux en harmonie avec l'article 47 de la Constitution, par la loi du 1er avril 1843.
Il ne peut donc subsister aucun doute à l'égard de l'obligation du payement effectif. Lorsque, au Congrès national, M. Defacqz proposa d'ajouter à l'article 47 de la Constitution le principe du cens, MM. Forgeur et Lebeau commentèrent sa proposition de la manière suivante sans trouver de contradicteurs.
« La meilleure des garanties à demander aux électeurs, disait M. Forgeur, c'est le payement d'un cens qui représente une fortune, une position sociale, afin qu'ils soient intéressés au bien-être et à la prospérité de la société. »
M. Lehon ajoutait : « A qui appartient-il de constituer les pouvoirs ? A ceux qui sont intéressés à leur maintien, au bon ordre, à la prospérité et à la tranquillité de l'Etat. Personne n'est aussi intéressé à tout cela que celui qui possède une fortune quelconque, et un cens qui la représente…
« C'est la propriété qui est le fondement du cens, c'est le payement du cens qui intéresse à la prospérité du pays ; il faut donc payer le cens pour exercer le droit le plus précieux du citoyen. »
Le cens a donc été établi comme présomption de fortune, comme impliquant deux éléments : la possession des bases et le payement réel ; si la seule imposition peut être admise à titre de présomption suffisante pour l'année courante, si on peut l'admettre pour l'année antérieure, il ne saurait jamais en être ainsi pour l’avant-dernière année, alors que le contribuable se trouve définitivement classé parmi les cotes irrécouvrables ; la présomption de fortune et de payement s'efface, dans ce cas, devant la preuve contraire.
L'opinion de la cour suprême, qui s'est prononcée en sens inverse, ne saurait empêcher la Chambre de se prononcer différemment. Chacun de ces deux corps agit dans la sphère de sa compétence, l'une en statuant sur la formation des listes électorales, l'autre en vérifiant les pouvoirs de ses membres. Chacun agit, sans usurpation de pouvoirs, dans la plénitude de sa souveraineté et de son indépendance ; l'un n'a de règle que la loi, l'autre n'a de guide que la conscience de ses membres.
La majorité de la commission estime que ces 73 électeurs gantois ont été indûment inscrits sur les listes et qu’ils n'ont pas droit de vote ; elle en déduirait comme conséquence l'annulation des élections du 11 août si elle ne se trouvait devant un conflit sans issue.
Les listes électorales sont définitivement closes, elles sont permanentes, l'élection nouvelle aurait lieu d'après ces mêmes listes, rien ne pourrait empêcher les 73 électeurs gantois d'y prendre part ; la majorité de la commission, plutôt que de faire naître un conflit de cette gravité entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, renonce au moyen d'annulation.
Un autre membre a attiré l'attention de la commission sur l'écart énorme qui existe entre les chiffres des électeurs conservateurs qui ont pris part aux deux scrutins. Tandis que les candidats libéraux obtenaient au ballottage chacun 10 voix de moins qu'au premier tour de scrutin, les candidats conservateurs perdaient 3,000 voix et n'en conservaient que 303 et 219.
La commission n'étant saisie d'aucune réclamation, n'a pas cru devoir rechercher d'office les causes de cette disproportion quelque étrange qu'elle soit ; elle se borne à la signaler à la Chambre.
MM. Jacquemyns, Debaets, Vandenpeereboom, Vanderstichelen, de Kerchove et de Bast, ayant déjà fait partie de h Chambre, n'ont plus à justifier des conditions d'éligibilité ; M Lippens a fourni la preuve qu'il les réunit.
En conséquence, la quatrième commission vous propose l'admission des élus de Gand.
MjTµ. - (page 13) Messieurs, je demande la parole pour protester contre la singulière théorie qui vient d'être défendre dans ce rapport et pour protester en même temps entre l'espèce de censure gratuite que ce rapport inflige au premier corps judiciaire du pays.
On vous propose, messieurs, l'admission des membres élus à Gand, mais en même temps, on critique leur élection, on veut l'infirmer dans l'opinion du pays, en déclarant ici que s'ils sont élus, ils le sont en quelque sorte frauduleusement, et que si on les tolère, c'est parce qu'un y est contraint. Telles sont les conclusions du rapport.
Messieurs, j'aurais laisse à d'autres le soin d'apprécier cette singulière manière de procéder, mais je crois, comme ministre de la justice, devoir défendre la magistrature, attaquée sans motifs.
De quel droit la Chambre traduit-elle ainsi à sa barre le pouvoir judiciaire ?
Est-ce que le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif n'ont pas la même origine ? Est-ce que l'un et l'autre ne puisent pas leur existence dans la Constitution ? Est-ce que vous n'êtes pas tenus de maintenir le respect de la chose jugée comme tout citoyen est tenu de maintenir le respect de la loi et si vous ne respectez pas le pouvoir judiciaire, si vous énervez l'autorité de ses décisions, si vous critiquez ses arrêts, ne craignez-vous pas que l'autorité, judiciaire à son tour, ne critique vos lois et ne fasse le procès à la législature ?
M. Jacobs a dit que l'autorité judiciaire a le droit de juger les questions qui surgissent à propos des lois électorales, mais que, de son côté, le pouvoir législatif, vérifiant les pouvoirs de ses membres, a toujours le droit d'examiner s'ils sont ou non élus légalement.
Ceci, messieurs, qu'on me permette de le dire, est une véritable hérésie. J'admets parfaitement, - et en cela je m'écarte d'une théorie peut-être trop absolue de l'honorable comte de Theux que je vous indiquerai tantôt, - j'admets parfaitement bien que les listes électorales ne soient pas permanentes à ce point que la Chambre ne puisse pas examiner si, par erreur, l'on n'y a pas inscrit l'une ou l'autre personne qui ne possède pas les conditions essentielles pour être électeur.
Mais quand une question a été soulevée, quand cette question a été examinée par tous les corps qui, de par la loi, ont la mission de la résoudre, lorsqu'elle a été jugée en dernier ressort par la cour de cassation investie par la loi du droit de prononcer comme pouvoir souverain, je demande si la Chambre peut discuter la décision qui a été prise dans de telles conditions et déclarer que la cour de cassation a mal jugé. Mais ce serait l'anarchie la plus complète.
Encore une fois, j'admets que les listes électorales ne soient pas permanentes au point de nous interdire le droit de rechercher s'il ne s'y est glissé aucune erreur, si elles ne contiennent le nom d'aucune personne qui né réunirait pas les conditions d'âge et de nationalité requises. Mais lorsque la question a été examinée, lorsqu'une contestation relative à certaines inscriptions a été portée devant le collège échevinal d'abord, ensuite devant la députation permanente et enfin devant la cour de cassation ; lorsque la cour suprême a décidé, vous voulez que la Chambre ait encore le droit de refaire les listes électorales !
Qui donc, messieurs, admettra un pareil système ? Qui donc prétendra que nous aurions le droit de réformer, dans de pareilles conditions, les listes électorales arrêtées par le pouvoir judiciaire ? Je le répète, c'est la plus grande hérésie qu'on puisse jamais soutenir devant une Chambre.
Je crois donc qu'il est du devoir de la Chambre d'écarter par la question préalable toute discussion relative à ce point.
M. Dumortier. - Messieurs, j'admire vraiment le talent de versatilité de M. le ministre de la justice et avec quel art et quelle feinte indignation il soutient le pour et le contre. Il y a quelques années, la cour de cassation avait rendu des arrêts contraires à l'opinion qu'il professait sur le sens et la portée de l'article 84 de la loi communale en matière de testaments et des administrateurs spéciaux des établissements de charité ; l’honorable membre est-il venu alors nous prêcher ici toutes les magnifiques doctrines qu'il vient de développer ? Est-il venu parler du respect dû à la chose jugée, déclarer qu'il fallait s'incliner devant la décision de la cour de cassation ? Oh ! non, il s'en est bien gardé ; et bien loin de respecter la décision de la cour de cassation, il est venu proposer de bouleverser de fond en comble une disposition fondamentale de la loi communale. Respectait-il la chose jugée, lorsqu'il venait proposer une loi d'interprétation qui foulait aux pieds les arrêts de cette cour qu'il représente aujourd'hui comme attaquée et méprisée par le simple examen d'une question de droit constitutionnel.
Mais il ne s'est pas borné à cette première preuve de son respect pour les arrêts du pouvoir judiciaire. Il n'y a pas longtemps encore, qu'a-t-il fait dans l'affaire de la fonderie de canons ? Là aussi, le pouvoir judiciaire avait posé un acte devant lequel, aux termes des principes qu'il vient de développer, M. le ministre de la justice eût dû s'incliner. Au lieu de cela, qu'a-t-il fait ? Il n'a pas craint de prétendre que la décision du pouvoir judiciaire qu'il combattait était une violation flagrante de tous les droits ; il a prononcé un long discours pour établir que le gouvernement avait le droit de s'insurger contre les arrêts de justice sans avoir égard à la décision du pouvoir judiciaire et il a eu à rendre compte de sa conduite dans cette Chambre.
M. Braconier. - La cour d'appel de Liége a décidé.
M. Dumortier. - Depuis, mais pas à l'époque dont je m'occupe. Il a commencé par résister à 1 exécution d'un arrêt de justice menaçant d'employer la force contre son exécution.
M. le ministre de la justice a foulé aux pieds dans cette circonstance ce qu'il prétend aujourd'hui inattaquable, c'est-à-dire une décision de l'autorité judiciaire, il a protesté contre les maximes qu'il débite aujourd'hui et en a démontré l'inanité.
Vous vous justifierez, M. le ministre, et vous expliquerez vos variations, vos contradictions, si c'est possible. Ce sera un chapitre à ajouter à l' « Histoire des variations des églises protestantes » de Bossuet, mais votre feinte colère, votre feint respect pour les arrêts de justice sont jugés.
Messieurs, s'agit-il ici de rien de semblable ? L'avis de la majorité de la commission est-il une atteinte portée à la prérogative du pouvoir judiciaire ? Est-il la suppression de la prérogative parlementaire ?
Il n'est ni l'un ni l'autre ; il maintient dans leur entier les attributions du pouvoir judiciaire, il maintient dans leur entier les prérogatives de ce parlement. Voilà le rapport ; rien de plus, rien de moins.
La prérogative du parlement, c'est, messieurs, ce que vous avez de plus sacré à sauvegarder. Qu'est-ce qui constitue votre droit, qu'est-ce qui fait ici votre force ? C'est votre prérogative ; c'est elle que tout corps politique, tout parlement doit, avant tout, conserver intacte. Le jour où il sera porté atteinte à votre prérogative, comme on veut le faire, par esprit de parti et sous le spécieux prétexte de la prérogative d'un autre pouvoir, ce jour-là vous ne serez plus qu'un instrument au service des autres pouvoirs, qui se joueront de vous, parce que vous aurez laissez enfreindre, dans un mesquin intérêt de parti, votre prérogative. Sachons donc respecter la prérogative de la cour de cassation, mais sachons aussi maintenir la nôtre. Telle est la pensée du rapport de votre commission.
M. Bouvierµ. - Pourquoi avez-vous déserté alors ?
M. Dumortier. - Je ne vous suis pas aujourd'hui sur ce terrain. Ce n'est pas le moment. Quand il sera venu, nous nous expliquerons d'une manière complète ; vous ne perdrez rien à attendre.
Messieurs, quelle est la prérogative du pouvoir judiciaire en matière semblable ? C'est d'arrêter définitivement, en vertu de la loi, les listes électorales. Quelle est la prérogative du parlement, prérogative inscrite dans la Constitution, qui est la loi des lois ? C'est de vérifier les pouvoirs de ses membres ; vous devez - ce n'est pas seulement pour vous un droit, c'est pour vous un devoir - vous devez vous assurer si ceux qui se présentent dans cette enceinte, en qualité de mandataires du peuple belge, ont été légitimement élus. C'est votre droit, c'est votre devoir.
Eh bien, qu'arrive-t-il ? Soixante-treize faux électeurs ont été introduits dans la liste électorale de la ville de Gand ; sur ce nombre, 69 ont pris part au vote ; or, si ces 69 faux électeurs, qui ont été portés par les libéraux sur la liste électorale, n'avaient pas voté, aucun candidat de la gauche n'eût été élu, et tous nos amis eussent passé. Voilà le fait.
- Un membre. - Qu'en savez-vous ?
M. Dumortier. - 69 de ces électeurs ont pris part au vote, j'ai vérifié ce fait sur les listes d'appel, et ils n'ont certes pas voté pour nos amis.
- Un membre. - Savez-vous s'ils ont voté pour les candidats libéraux ?
M. Dumortier. - Comment ! Ces 69 électeurs, portés par l'administration libérale de Gand et dont le maintien sur les listes électorales était demandé par les libéraux et combattu par les catholiques, auraient voté pour les catholiques ? C'est par trop fort !
Eh bien, ces 69 électeurs qui depuis trois ans n'ont pas payé un sou de contributions au trésor public, ont été maintenus sur la liste électorale, et sont venus prendre part au vote. Or, défalquez ces 69 voix du nombre des voix obtenues par les candidats libéraux, vous arrivez à cette conséquence que pas un seul de ces candidats n'aurait été élu. (Interruption.)
Le nombre des votants était de 6,478 ; il y avait 11 bulletins blancs, le nombre des bulletins valables était donc de 6,467 ; la majorité absolue était donc de 5,234 ; mais sur les 6,467 bulletins, 69 ont été déposés par (page 14) des électeurs qui n’ont pas payé un centime d'impôt depuis trois ans et dont les cotes sont passées aux non-valeurs. Il est constaté qu'ils n'ont rien payé, puisque leurs cotes sont passées en non-valeurs. Ce fait est reconnu par l'arrêt de cassation.
M. Orts. - Cela n'est pas exact ; il y en avait qui ont payé dans l'intervalle.
M. Dumortier. - Je serais curieux de les connaître. Je les défalquerais à l'instant même. Je les prends au moment de l'arrêt de cassation qui constate qu'ils étaient portés en non-valeur. J'ajoute que quand les comptes sont clos, ils ne peuvent plus payer pour les exercices clos.
M. Orts. - C'est une erreur. (Interruption.)
M. Dumortier. - Ceci n'est pas la question. Avaient-ils payé, oui ou non ? Voilà la question. L'arrêt de la cour de cassation constate qu'ils n'avaient pas payé et étaient tombés en non-valeurs.
M. Lelièvre. - Ils sont obligés de payer. La dette existe.
M. Dumortier. - Nous verrons cela tout à l'heure. Une fois que les cotes sont passées en cotes irrécouvrables, on ne peut plus en poursuivre le payement.
MjTµ. - Mais si !
M. Dumortier. - Défalquez donc ces 69 votants des 6,367 bulletins valables, il en reste 6,298, donnant pour majorité absolue 3,199. Défalquez également ces bulletins aux candidats qui ont triomphé dans la lutte, vous arrivez aux résultats suivants :
L'honorable M. Jacquemyns n'aurait plus que 3,185 suffrages, c'est-à-dire 14 voix de minorité.
L'honorable M. E. Vandenpeereboom 3,180 ou 19 voix de minorité.
L'honorable M. Vanderstichelen 3,178 ou 21 voix de minorité.
L'honorable M. de Kerchove 3,174 ou 25 voix de minorité.
L'honorable M. de Bast 3,152 ou 57 voix de minorité.
L'honorable M. Lippens 3,131 ou 68 voix de minorité.
Et tous nos amis étaient élus au premier scrutin, sauf un, M. Velleman, qui entrait en ballottage avec M. Jacquemyns.
Il en résulte donc qu'aucun des candidats libéraux n'aurait la majorité absolue, si l'on opérait, dans ce cas, comme l'on a opéré dans toutes les élections.
Ces chiffres sont irrécusables, ils sont l'incontestable expression de la vérification des pouvoirs du district de Gand.
Maintenant on dit qu'en faisant ces calculs, nous empiétons sur les attributions du pouvoir judiciaire.
J'ai eu l’honneur de mettre tout à l'heure les paroles de M. le ministre de la justice en opposition avec ses actes. Je vous ai prouvé que quand il parle, il maintient l'autorité du pouvoir judiciaire, mais que quand il agit, il ne la maintient pas.
Quant à moi, je professe en cette matière l'opinion qui a été ici solennellement soutenue par un des hommes les plus considérables du parlement et de l'ordre judiciaire, l’honorable M. François Du Bus, ancien membre de la Chambre, ancien membre du Congrès national, une des gloires dit parlement et aujourd'hui président du tribunal de première instance.
Voici ce qu'il nous disait :
« Certes, si un arrêt de compétence pouvait être considéré comme attentatoire à notre compétence, nous ne serions pas tenus de nous incliner devant en semblable arrêt. Si le pouvoir judiciaire juge de sa compétence nous sommes juges de la nôtre. Nous n'avons pas de loi à recevoir du pouvoir judiciaire. »
Voilà de dignes, de nobles paroles et remarquez qu'elles sont prononcées non pas seulement par un membre de la Chambre, mais par un des membres les plus éminents du pouvoir judiciaire.
Maintenant est-ce que par hasard on oserait soutenir que dans la vérification des pouvoirs il n'est pas de la compétence de la Chambre de voir s'il y a des électeurs indignes qui ont voté ?
Est-ce que, par hasard, l'on oserait soutenir que si une liste électorale était formée de gens non censitaires, nous n'aurions pas le droit ici d'examiner cette question ?
Eh bien, c'est le cas, c'est le fait. Et remarquez-le bien, ce fait est d'une gravité, excessive, 1l faut que l'on sache si l'on peut créer des électeurs qui ne payent pas un centime de contribution. Il faut qu'on sache si ceux qui s'opposent à l'abaissement du cens électoral, si ceux qui repoussent le cens universel, peuvent fabriquer à leur gré des électeurs qui ne payent rien. Voilà quelle est la question, et elle a une grande portée. Comment ! vous combattez et je combattrai avec vous l'abaissement du cens électoral dans les communes...
M. Orts. - Non ! non !
M. Dumortier. - Vous pas peut-être, mais la majorité le combat. L'honorable M. Tesch le combat. Vous combattez l'abaissement du cens dans les communes ; vous combattez l'abaissement du cens pour les élections provinciales ; vous l'avez combattu dans la discussion de juin et vous auriez tous voté contre. Et aujourd'hui vous qui protestez il y a deux mois contre l'abaissement du cens électoral, vous viendriez soutenir qu'on peut faire des électeurs qui ne payent pas un centime d'impôt ! Vous ne voudriez pas de l'abaissement du cens, et vous voudriez l'annulation du cens à votre profit !... Eh bien, je dis que c'est une monstruosité que le pays jugera.
- Plusieurs membres. - Il a jugé.
M. Dumortier. - Le pays a jugé ! Eh bien, ce que le pays juge dans ce moment, je vais vous le dire. C'est que l'élection de Gand est le fait de l'arrêt de la cour de cassation ; c'est que vous êtes les élus de l'arrêt de la cour et non les élus du corps électoral légitime du district de Gand.
M. Bouvierµ. - Nous sommes en bonne compagnie.
M. Dumortier. - Mais examinons les principes de cet arrêt qui a ainsi vicié le corps électoral. Messieurs, l'arrêt de la cour de cassation est-il fondé en droit, oui ou non ? La réponse est aussi simple que courte. La Constitution de laquelle nous, mandataire du peuple, de laquelle tous, électeurs et élus, nous tirons tous nos pouvoirs, est formelle et positive.
Lisez l'article 47 de la Constitution ; que porte-t-il ? « La Chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale. » La Constitution exige donc que l'on ait payé ; et ici l'on vient vous dire qu'il suffit d'être inscrit sur les listes d'impôts et qu'il ne faut pas avoir payé.
Eh bien, supposons, ce qui n'existe pas, qu'il y eût matière à discussion dans le texte des lois. La loi fondamentale, la Constitution, qui est la loi des lois, trancherait toute la question et ne permettrait aucune espèce de doute. Jamais, dans cette Chambre, ni dans le pays depuis trente ans que nous vivons sous le régime de la Constitution, on n'a soupçonné qu'on pût être électeur sans payer d'impôts. Jamais on n'a soupçonné que les cotes passées en non-valeur, c'est-à-dire que les cotes non payées à l'Etat, pussent former un cens électoral.
Que porte la loi électorale ? Pour être électeur, il faut verser au Trésor public. Que porte la loi communale ? Pour être électeur, il faut verser au Trésor public. Dans tous les articles de la loi, il est dit qu'il faut payer.
L'art. 8 de la loi communale porte :
« Les contributions payées par la femme sont comptées au mari ; celles payées par les enfants mineurs sont comptées au père pour parfaire son cens électoral. La veuve payant ce cens pourra le déléguer à l'un de ses fils. »
En un mot, messieurs, partout, dans toutes les lois, vous trouvez toujours que c'est le payement qui est la base du cens électoral, parce que, la Constitution le déclare, il faut payer, ce sont les citoyens payants qui seuls ont le droit de voter, d'être portés sur les listes électorales.
Maintenant, messieurs, il y avait dans la loi électorale de 1831, qui avait été faite d'une manière très rapide, le Congrès étant pressé de terminer ses travaux, il y avait dans cette loi une disposition qui pouvait prêter à de l'antinomie. L'article 3 de la loi électorale portait :
« Les contributions et patentes ne sont comptées à l'électeur que pour autant qu'il a été imposé ou patenté pour l'année antérieure à celle où l'élection a eu lieu. »
Les mots qui se trouvaient dans cette loi : « pour autant qu'il ait été imposé ou patenté », pouvaient paraître en opposition avec les déclarations si formelles de toutes les lois et de la Constitution et favoriser la création de faux électeurs ; qu'est-il arrivé en 1843, lorsque nous fîmes la loi pour empêcher les fraudes électorales ?
Nous modifiâmes la loi de 1831 dans le sens de la Constitution et dans le sens de l'article premier, en nous exprimant de la sorte :
« Art. 2. Les contributions ne sont comptées à l'électeur qu'autant qu'il ait payé le cens en impôt foncier l'année antérieure ou bien en impôts indirects de quelque nature que ce soit, pendant chacune des deux années antérieures. »
(page 15) Ainsi là encore nous avons voulu faire disparaître le doute, nous avons résolu la question, nous avons modifié, amendé dans le cens constitutionnel la loi électoral de 1831 précisément pour faire disparaître le doute s'il existait. Cette loi de 1843 a été faite pour empêcher les fraudes électorales et pour faire disparaître les moyens de les commettre, et que disait à cet égard le rapporteur de la section centrale ? Le rapport de la section centrale, qui est l'interprète le plus clair, le plus manifeste de la loi s'exprimait en ces termes :
« L'article 2 du projet de loi, tout en maintenant l'exception en faveur du possesseur à titre successif, range les impôts directs en deux classes : les uns que l'on peut qualifier d'impôts à taux fixe, ne comptent à l'élection qu'autant qu'il les ait payés pendant l'année antérieure à celle où l'élection a lieu ; les autres dont les bases sont variables ne comptent pour former le cens électoral, qu'autant que l'électeur les ait payés pendant chacune des 2 années antérieures.
Est-il possible de voir un exposé des motifs de la pensée du législateur plus clair ; peut-on voir rien de plus précis que ces expressions : « qu'autant que l'électeur les ait payés pendant les deux années antérieures » ? Eh bien, c'est en violation de ces dispositions sacramentelles, c'est en violation de la Constitution qui veut que l'électeur ait payé l'impôt, c'est en violation de la Constitution que 73 personnes qui n'avaient point payé un centime de leurs contributions depuis 3 ans et dont les cotes étaient passées en non-valeurs, ont été portées sur les listes électorales de la ville de Gand et que 69 d'entre elles sont venues prendre part aux élections de Gand.
Et l'on viendra dire que nous, qui avons le mandat constitutionnel de vérifier les pouvoirs des membres de la Chambre, que nous, qui devons nous assurer si les élus sont réellement et légitimement les représentants de la nation, que nous qui discutons minutieusement la question de savoir si une bouteille de vin ou un dédommagement quelconque a été donné à un électeur la veille de l'élection, que nous ne pourrions dire un seul mot, lorsque nous voyons qu'on a introduit dans les listes électorales 73 personnes qui ne devaient pas y figurer, et lorsqu'il est démontré à toute évidence que si 69 de ces personnes n'avaient pas voté ceux qui ont été élus ne l'auraient pas été !
Pouvons-nous, en présence de pareils faits, garder le silence ? Non, messieurs ; il y a ici une question de la plus haute gravité, c'est de savoir si la Chambre admet la jurisprudence qu'on peut être électeur sans rien payer. Si cela est admis pour vous il faut que ce soit admis également pour nous. Il faut que nous ayons le droit de faire comme vous ; il faut que tous les partis soient égaux, il faut que, dans les grandes batailles électorales, nous puissions combattre à armes égales. Si vous avez le droit de porter sur les listes électorales des personnes qui ne payent pas le cens, qui ne payent pas un sou d'impôt, il faut que nous ayons le même droit. Mais je dis que ni les uns ni les autres, nous ne devons user de pareils moyens ; la Chambre devrait être unanime pour empêcher de semblables abus. Le cens payé est la base de notre édifice constitutionnel et de toutes nos institutions politiques ; si vous le supprimez, vous n'avez plus de gouvernement représentatif. Il n'est pas possible, dans un pays constitutionnel, qu'une majorité puisse ainsi, par des mesures pareilles, se perpétuer au pouvoir, en violation de la Constitution.
Il n'est pas possible d'admettre qu'on reconnaisse le droit de voter à des personnes qui ne sont que des électeurs frauduleux. Si l’arrêt de la cour de cassation doit être respecté comme fait, nous avons le droit de le critiquer comme doctrine alors surtout qu'il touche à l'une de nos plus précieuses attributions, celle de la vérification des pouvoirs de nos membres, et surtout, nous avons le droit de condamner et de flétrir l'administration communale qui a admis ces électeurs.
- Un membre. - Flétrissez la cour de cassation.
M. Dumortier. - Nous avons le droit de critiquer comme doctrine les arrêts de la cour de cassation, ainsi que tout jurisconsulte a le droit de le faire. Les cours sont composées d'hommes qui peuvent errer, et le droit de critiquer leurs arrêts appartient au parlement comme au dernier individu. Cela est tellement vrai, que bien des fois les cours se déjugent elles-mêmes, qu'une cour mieux informée réforme ses propres arrêts.
Je n'attaque point la cour de cassation, j'examine sa jurisprudence à propos de l'élection dont nous vérifions les pouvoirs, et la preuve que nous respectons son arrêt, c'est que nous ne proposons pas l'annulation des élections.
M. Bouvierµ. - Alors pourquoi ces paroles ?
M. Dumortier. - S'il nous était permis d'effacer des listes électorales les 73 électeurs portés dans les cotes irrécouvrables, nous n'hésiterions pas à remplir un devoir, celui de proposer l'annulation des élections ; mais ce pouvoir, nous ne l'avons pas, car ici, cette cour ayant rempli un acte de sa prérogative, je dis avec vous que nous devons respecter la chose jugée. Cependant, messieurs, si nous sommes dans l'impuissance de porter remède à l'abus dont nous nous plaignons, nous avons le droit de le signaler au pays et à la cour de cassation elle-même.
- Un membre. - Ce sont des plaintes stériles.
- Un autre membre. - L'affaire est faite.
M. Dumortier. - Oui, je vous comprends, le tour est joué !
M. Bouvierµ. - Le pays vous a jugés.
M. Dumortier. - La condition du payement de l'impôt formant le cens électoral n'a jamais fait question pour personne dans le pays, et je sais de la manière la plus pertinente que, dans toutes les villes, lors de la formation des listes électorales, on a eu soin de ne pas y porter comme électeurs ceux qui n'ont point payé le cens voulu pendant les deux années antérieures, et qui sont portés sur les cotes irrécouvrables.
La première loi électorale de 1831 n'exigeait la justification du payement que pendant l'année antérieure ; il fallait tout au moins le payement pendant l'année antérieure parce que les contributions de l'année courante étant dues par douzième, ce payement n'avait pas eu lieu lors de l'inscription sur les listes électorales. C'est comme garantie du payement de l'impôt qu'il fallait justifier de ce versement pendant une année, afin que la preuve du payement fût bien établie.
La disposition de l'article 2 de la loi électorale de 1831 n'avait pas d'autre but.
Déjà, dans la loi communale de 1836, nous avions remplacé le mot « imposé » par celui « payé ». Mais plus tard, en faisant la loi sur les fraudes électorales de 1843, on a compris que les cotes irrécouvrables ne pouvant être définitivement considérées comme telles, que dans l'année qui suit celle pour laquelle la contribution est due, il était indispensable d'exiger la preuve du payement du cens voulu, pendant les deux années antérieures à celle de l'inscription. C'est ce que la loi de 1843 a décrété, et c'est pour cela que le mot « imposer » a été remplacé par le mot « payer » et cette substitution seule prouve assez qu'on a voulu imposer la condition du payement et en avoir la garantie afin d'éviter la création des faux électeurs.
C'est bien ainsi, d'ailleurs, que la question a été jugée par le Sénat dans une circonstance où il s'est agi du cens sénatorial.
Je ne nommerai pas la personne, mais si vous voulez recourir aux Annales du Sénat, vous y trouverez qu'un jour en vérifiant les pouvoirs de ses membres le Sénat a constaté qu'un des élus ne payait plus le cens sénatorial ; et que cet élu a dû résigner son mandat. Avec la jurisprudence de la cour de cassation, il aurait pu continuer à siéger.
M. Mullerµ. - Il n'était plus imposé !
M. Dumortier. - Je vous demande pardon ; il a été écarté parce qu'il ne payait plus le cens voulu.
M. Mullerµ. - Parce qu'il n'était plus imposé.
M. Dumortier. - Vous confondez avec un autre membre ; ce n'est pas de celui-là que je parle.
M. de Moorµ. - De qui donc alors ?
M. Dumortier. - Il ne me convient pas de le nommer, je le répète. (Interruption.)
Vous n'avez qu’à recourir aux Annales parlementaires, si vous tenez absolument à savoir à qui je fais allusion.
Comme j'avais l'honneur de le dire tout à l'heure, messieurs, la question de droit électoral est d'une gravité excessive ; et il faut absolument qu'une mesure soit prise pour le trancher.
Il faut que l'on sache une bonne fois, en présence de l'arrêt de la cour de cassation, quelle est, d'une manière incontestable, la jurisprudence à suivre en cette matière.
Nous ne pouvons pas, nous parlement, rester dans une telle incertitude. Toutes les lois que nous avons faites, toutes, nous les avons faites dans le but d'assurer l'existence de la preuve du payement, autant que cette preuve peut être fournie.
Nous n'avons point exigé la preuve du payement pour l'année courante, parce que cette preuve était impossible, le payement des contributions étant dû par douzième.
Nous avons exigé la preuve du payement pendant les deux années antérieures, pour éviter que des personnes puissent être portées sur les listes électorales sans avoir effectué réellement le payement de leurs contributions.
Dans un pareil état de choses, il était de notre devoir de signaler les faits à la Chambre.
La cour de cassation a rendu un arrêt, elle a agi dans la plénitude de sa prérogative, nul de nous ne songe à lui contester le droit dont elle a usé en cette circonstance.
(page 16) Nous vous proposons de valider les élections de Gand ; mais nous voulons aussi faire respecter notre prérogative qui est d'examiner la question au point de vue de la vérification des pouvoirs.
En agissant ainsi, non seulement nous exerçons un droit, mais encore nous remplissons un devoir, car il est de notre droit et de notre devoir de signaler à la Chambre des faits qui, s'ils étaient perpétués, entraîneraient la ruine du régime représentatif qui repose tout entier sur la composition du corps électoral.
M. Pirmez. - L'honorable M. Dumortier me permettra de lui exprimer un double sentiment d'admiration. J'admire combien il a su mettre d'ardeur à traiter la plus simple question de droit ; mais j'admire surtout combien il a su ménager l'intérêt de son discours. Je ne connais rien de plus ennuyeux qu'une œuvre où l'on connaît en commençant ce qu'on va lire à la fin. L'honorable M. Dumortier sait éviter cet écueil : il commence son discours par une chose et il conclut exactement par la chose opposée à celle qu'il nous a dite en commençant.
Dans toute la première partie de son discours l'honorable membre attaque la cour de cassation ; il s'efforce de démontrer que nous avons le droit et le devoir d'annuler les élections de Gand ; dans la seconde partie il nous explique très clairement que nous devons les valider, et il vient lui-même nous proposer de prononcer cette validation.
Messieurs, je ne puis pas laisser l'honorable M. Dumortier se réfuter lui-même. Il a trop attaqué le premier corps judiciaire du pays.
M. Dumortier. - Je proteste contre cette accusation ; je n'ai pas dit un seul mot qui la justifie.
M. Pirmez. - L'honorable M. Dumortier a attaqué, je le répète, une des institutions qui font notre gloire. Je ne crois pas qu'il y ait une autorité plus respectable que le pouvoir judiciaire. Jusqu'à présent, il est demeuré en dehors des partis, et il est également respecté par les deux grandes opinions qui divisent le pays. Et parmi les corps qui forment l'autorité judiciaire, aucun n'est plus digne de respect que la cour de cassation, qui a donné au pays tant de preuves de sa haute impartialité.
Si, récemment, en matière de cimetières, elle s'est prononcée contrairement à certaines prétentions de nos adversaires, dans la question de la charité elle a jugé en faveur de leur thèse. Dans une question où l'un des membres du gouvernement était presque personnellement engagé, dans le débat soulevé par M. le colonel Hayez, la cour de cassation a montré avec quelle indépendance ses arrêts sont rendus.
Malgré le puissant intérêt qu'il y a pour le pays à entourer de respect le pouvoir judiciaire, ce pouvoir essentiellement conservateur, qui fait respecter les lois et régner l'ordre, nous avons entendu aujourd'hui l'honorable M. Dumortier, qui est un des prétendants à la direction du parti qui se dit conservateur, nous l'avons entendu dire comme une flétrissure pour certains de nos collègues, qu'ils seraient les élus de la cour de cassation.
M. Dumortier. - J'ai dit les élus d'un arrêt de la cour de cassation.
- Voix à gauche. - Quelle pitoyable argutie !
M. Pirmez. - Mauvaise défaite, à coup sûr ; car dire qu'ils sont les élus d'un arrêt de la cour de cassation, n'est-ce pas dire qu'ils sont les élus de cette haute magistrature ? Et vous avez appliqué ces paroles à quelques-uns de nos collègues comme un stigmate flétrissant !
Jamais, messieurs, j'ai le droit de le dire, on n'a parlé de la cour de cassation avec autant de mépris que vient de le faire l'honorable membre.
M. Wasseige. - Et quand on a attaqué le premier président de la cour de cassation, vous n'avez pas trouvé un mot de critique.
M. Pirimezµ. - Quand le premier président de la cour de cassation a quitté son siège pour descendre dans l’arène politique, quand il s'est mis à la tête du congrès de Malines, il s'était dépouillé de son caractère de magistrat ; il était homme politique, et il serait vraiment étrange que comme tel il eût eu le droit d'attaquer tout un grand parti, sans que l'on eût pu seulement lui répondre. (Interruption.)
Je constate une chose ; c'est que la réponse faite par l'honorable ministre des finances, a été d'une extrême modération, d'une modération excède peut-être, car la défense n'a pas égalé l'attaque. (Interruption.)
Faut-il même le rappeler ? Dans cet arrêt qui a tant excité les colères de l'honorable M. Dumortier, savez-vous qui a été le rapporteur ? C'est un magistrat qui de nous tous est respecté à gauche, et dont, à droite, vous ne soupçonnez pas l'impartialité ? C'est un ancien membre de cette Chambre, l'honorable M. Bosquet.
Messieurs, on a reproché à M, le ministre de la justice de ne respecter la cour de cassation qu'en paroles, et de diriger ses actes contre les décisions de cette cour.
L’honorable M. Dumortier a été mal inspiré.
Dans l'affaire où il s'agissait de l’article 84 de la loi communale à laquelle il a fait allusion, la cour de cassation a, comme tous les tribunaux le font toujours, statué sur un cas particulier ; et la décision de la cour, dans ce cas particulier, a été pleinement respectée. Elle ne pouvait être et n'a pas été attaquée dans sa force obligatoire qui subsiste.
Mais qui contestera que nous ayons le droit de porter une loi décidant en général le contraire de ce qu'elle a jugé dans ce cas particulier ? Ainsi l'honorable M. Dumortier a parfaitement le droit de nous proposer une loi qui décide exactement le contraire de ce que la cour de cassation a décidé dans le cas qui nous occupe ; s'il présente cette proposition, nous l'examinerons et nous l'adopterons, si nous la trouvons bonne.
Dans l'affaire de la fonderie de canons, avons-nous attaqué le pouvoir judiciaire ? Mais le pouvoir judiciaire a décidé lui-même que ce que le gouvernement avait fait était légal ; le pouvoir judiciaire a donné raison au gouvernement.
M. Wasseige. - Après.
M. Pirmez. - Je suis étonné d'entendre, non pas l'honorable M. Dumortier, mais un jurisconsulte, M. Wasseige, venir dire que le jugement est venu après la contestation ? L'honorable M. Wasseige a-t-il jamais vu que le jugement ait précédé la contestation ?
M. Wasseige. - Il est, très facile de chercher à mystifier un collègue en lui attribuant ce qu'il n'a ni dit ni voulu dire.
M. Pirmez. - Je demande à l'honorable M. Wasseige comment il peut s'appuyer sur ce que l'arrêt qu'il invoque n'a été rendu qu'après le conflit.
M. Wasseige. - Il y avait une ordonnance du juge.
M. Pirmez. - Il y avait une ordonnance de référé ; il s'agissait de savoir par quels moyens on pouvait exécuter l'ordonnance de référé.
On a décidé que le gouvernement avait bien fait de ne pas lui donner l'exécution que l'on réclamait. Mais abordons la discussion !
L'honorable M. Dumortier nous a expliqué quelle est la compétence du pouvoir judiciaire, et quelle est la compétence de la Chambre. Il a été très vrai dans l'exposé de ses théories. Il appartient, nous a-t-il dit, au pouvoir judiciaire d'arrêter définitivement les listes électorales ; il appartient à la Chambre de vérifier les pouvoirs de ses membres.
Après avoir exposé cette maxime très exacte qu'il appartient au pouvoir judiciaire d'arrêter définitivement les listes électorales, l'honorable M. Dumortier est venu nous dire que les électeurs dont l'admission sur les listes électorales a été arrêtée définitivement par le pouvoir judiciaire, sont de faux électeurs, et il a basé tout son discours sur cette déclaration qui est exactement contraire aux principes qu'il avait posés tout au début, car il est évident que s'il appartient au pouvoir judiciaire de porter définitivement un citoyen sur la liste électorale, ce citoyen est alors un véritable électeur en vertu de la base de toute organisation judiciaire : l'autorité de la chose jugée, et il n'appartient à personne de le traiter de faux électeur. (Interruption.)
Jamais dans cette Chambre, lorsqu'il y avait une décision spéciale, formelle, fondée sur un arrêt passé en force de chose jugée ; jamais dans cette Chambre on a décidé que ces électeurs étaient faux.
M. Dumortier. - Cent fois.
M. Pirmez. - Jamais. Et s'il en était ainsi, comment serait-il possible de dire, que les listes ont été définitivement arrêtées ?
Il faut respecter les décisions sur lesquelles reposent ces listes définitivement arrêtées en nous bornant à vérifier les pouvoirs d'après les faits définitivement constatés par l'autorité appelée à déterminer quels sont les véritables électeurs.
Aussi n'ai-je pas, besoin de répondre à ce qu'a dit l'honorable M. Dumortier des cotes irrécouvrables et des exercices clos ? D'après l'honorable membre, parce qu'un électeur n'aurait pas payé la somme à laquelle il est imposé, il ne pourrait plus même la payer, une fois le terme accompli.
Ce principe serait extrêmement dangereux s'il était connu. On chercherait à faire passer le terme du payement, et comme alors, le fisc ne pourrait ni poursuivre, ni même recevoir, on se trouverait à l'abri des contraintes, parce que l'administration serait désarmée, et même à l'abri des inquiétudes de conscience, parce qu'il y aurait impossibilité de payer.
Je ne veux pas m'appesantir sur cette théorie ; ce que je veux seulement faire ressortir, c'est la conséquence qui résulterait de l'adoption du système qui a été développé dans le rapport, tout en déclarant qu'on ne veut pas proposer l'annulation des élections de Gand à la Chambre.
Mais si cette annulation avait lieu, en vertu des principes développés, qu'arriverait-il ? On recommencerait les élections de Gand : les 75 électeurs (page 17) dont il s'agit prendraient part au scrutin ; et comme le résultat serait probablement le même, nous devrions annuler de nouveau les élections, et la Chambre serait privée des sept députés de Gand pendant longtemps peut-être. Il résulterait de là que la minorité de la Chambre, profitant de l'absence forcée de ces sept députés, aurait toujours le pouvoir d'entraver les travaux de l'assemblée. Cela pourrait peut-être faire le compte de l'honorable M. Dumortier ; mais cela ne ferait pas le compte du pays.
M. Jacobs, rapporteurµ. - Messieurs, je n'ajouterai que quelques mots à ce qu'a dit l'honorable M. Dumortier. Je n'aborderai pas le fond de la question ; mais il me semble que, comme rédacteur du rapport, j'ai été mis plus directement en cause que tout autre, et je me dois à moi-même d'opposer une contre-protestation à la protestation de M. le ministre de la justice.
D'après lui, le rapport traîne la cour de cassation à cette barre, il l'attaque, et si j'en crois l'honorable M. Pirmez, la réponse n'a pas égalé l'attaque.
Une lecture assez rapide n'a pas permis sans doute de se rendre bien compte de la pensée du rapport ; j'ai beau m'en remémorer les termes, je n'y trouve ni attaque contre la cour de cassation ni rien qui y ressemble. Je n'y vois que l'examen d'une question de droit sur laquelle la cour de cassation s'était prononcée.
La Chambre pense-t-elle qu'en présence d'un arrêt de cassation, il ne lui reste qu'à s'incliner et à adopter son avis ? Dans ce cas, nous avons eu tort. Croit-elle au contraire qu'une décision judiciaire ne saurait enchaîner notre libre appréciation ? Elle doit nous donner raison.
Ce n'est pas la première fois qu'une question de ce genre se présente, M. Dumortier vous a cité des précédents. Je vous en rappellerai un autre encore, celui des « toelaegen ».
Dans cette affaire il y avait aussi des décisions judiciaires rendues en dernier ressort. La Chambre cependant s'est prononcée contre la cour de cassation. La cour de cassation avait condamné le gouvernement à payer, et la Chambre a refusé de voter les crédits nécessaires pour effectuer le payement.
M. Orts. - Il n'y a pas lieu de s'en vanter.
MjTµ. - C'est tout autre chose.
M. Jacobsµ. - Je ne crois pas qu'à cette époque M. le ministre de la justice ait fait entendre une protestation.
MjTµ. - Je n'étais pas ici.
M. Jacobsµ. - Si M. le ministre de la justice n'y était pas, ses amis y étaient.
MjTµ. - C'était autre chose, Je vous expliquerai cela.
M. Jacobsµ. - J'attendrai l'explication et je reviens au rapport. Nous avons donc, messieurs, fait un simple examen des listes électorales et des questions de droit qui s'y rattachent. M. le ministre de la justice ne nous a pas dénié le droit d'examiner ces listes, mais il a distingué entre tel contrôle et tel autre contrôle ; je me permettrai de lui demander de préciser la distinction, de fixer les limites de nos vérifications, de nous dire jusqu'où elles doivent aller, où elles doivent s'arrêter.
J'emprunte la règle à suivre en cas de conflit entre divers pouvoirs à l'honorable préopinant ; il l'a tracée à propos de l'affaire de la fonderie de canons de Liège. Les pouvoirs, disait-il, sont omnipotents les uns vis-à-vis des autres ; chacun d'eux agit dans sa sphère d'une manière souveraine et indépendante, cette indépendance réciproque est précisément la limite et l'obstacle qui prévient les empiétements.
Qu'avons-nous fait ?
Nous avons agi souverainement comme commission, de même que vous le ferez comme Chambre, dans l'appréciation des droits électoraux de 73 électeurs gantois ; nous ne nous sommes préoccupés que du fait de leur inscription sur les listes électorales et non de l'arrêt de cassation qui les y a maintenus ; j’ai le droit de m'étonner qu'on ait vu dans cet examen d'une question de droit par une commission de vérification de pouvoirs une attaque contre la cour de cassation.
Nous n'avons pas plus à droite qu'à gauche la prétention de régenter ou de censurer les corps judiciaires. Mais nous croyons que lorsque le sort nous investit du mandat de vérifier les pouvoirs de nos collègues, nous ne devons avoir d'autre guide que notre conscience, d'autres juges que nos commettants.
MfFOµ. - Et la loi.
M. Jacobsµ. - Je dis que ce n'est pas un arrêt, même de cassation, qui peut nous arrêter dans notre impartiale interprétation des lois électorales ; et vous n'avez d'autre reproche à faire à la commission que celui d'avoir examiné en âme et conscience si le résultat des scrutins du 11 août est l'émanation vraie et sincère du corps électoral gantois.
M. Dolezµ. - Messieurs, j'avais renoncé à la parole, que j'avais d’abord demandée. Il me semblait en effet, après le discours si décisif de l'honorable M. Pirmez, qu'il y aurait de ma part témérité à vouloir entretenir la Chambre des questions dont elle vient d'être saisie, maïs puisque M. le président veut bien me donner la parole, je demande la permission de dire quelques mots sur ces mêmes questions.
Je n'entends pas examiner le mérite de l'arrêt de la cour de cassation, parce que je suis profondément convaincu qu'il y aurait empiétement de pouvoir de notre part dans un pareil examen, mais il m'importe de protester contre ces prétentions en vertu desquelles, tout en reconnaissant qu'on ne peut aboutir à faire annuler les élections de Gand, on veut d'une manière plus ou moins franche, plus ou moins insidieuse, flétrir les élus, le corps électoral, les autorités qui ont composé les listes électorales, et enfin notre cour suprême qui a apposé à la formation de ces listes le sceau si imposant de sa grave autorité.
Il est, messieurs, dans un pays libre, des choses qu'on ne méprise pas en vain, et je déplore d'avoir à rappeler ces principes à ceux qui se prétendent sans cesse les représentants du parti conservateur. Ils ne conservent rien, ils ébranlent tout, ceux qui donnent au pays les exemples que nos adversaires lui donnent si souvent, les exemples qu'ils lui donnent encore aujourd'hui.
Quel est le régime de notre loi électorale quant à la formation de la liste des électeurs ? Est-ce que par hasard il nous donne la mission de réviser les listes ? Il n'a pas commis une telle imprudence. Ne voit-on pas en effet où conduirait ce système. Ne voit-on pas qu'il livrerait à l'arbitraire des majorités parlementaires toutes les élections qui s'accomplissent dans le pays ?
Du moment qu'une élection déplaisait à la majorité d'une Chambre, il lui suffirait de dire : Je prétends que tel électeur ne peut être inscrit, je prétends que c'est par abus qu'il figure sur la liste, je prétends par suite que c'est par l'emploi d'une liste électorale irrégulièrement, frauduleusement composée que les élections ont amené tel résultat.
Et pour pouvoir produire ces critiques, n'avez-vous pas entendu tout à l'heure l'honorable M. Dumortier faire fi d'un autre principe non moins sacré en matière d'élections, le principe du secret des votes ? Pour lui ce secret n'existe pas. Il prend un certain nombre d'électeurs et il proclame de son autorité privée que ces électeurs ont tous voté pour tel candidat.
Qu'en sait l'honorable M. Dumortier ? Qui lui a dit que ces électeurs ont voté pour les libéraux, qu'ils n'ont pas voté pour les prétendus conservateurs ?
Vous n'avez pas le droit de vous livrer à de pareilles investigations. Le secret du vote vous le défend.
Je vois dans nos lois électorales un système sagement organise pour garantir la sincérité des listes électorales.
C'est d'abord l'autorité communale qui forme les listes ; c'est ensuite la députation permanente qui contrôle. S'il y a recours contre la décision de la députation, c'est la cour de cassation qui prononce et si cette cour annule la décision de la députation, elle renvoie l'affaire à une autre députation provinciale ; si celle-ci se conforme à la décision de la cour, tout est irrévocablement jugé. Le droit est acquis à l'électeur en vertu de la chose jugée que vous ne pouvez méconnaître ni mettre en suspicion.
Je le sais, l'honorable M. Jacobs, rapporteur de la commission, et l’honorable M. Dumortier finissent par reconnaître qu'on ne peut anéantir l'arrêt de la cour de cassation et écarter les électeurs que la doctrine de cette cour a fait maintenir sur la liste électorale.
M. Dumortier. - Ils ne finissent pas par reconnaître, ils reconnaissent.
M. Dolezµ. - J'avais le droit de dire « finissent par reconnaître », parce que dans le commencement de vos observations vous avez énergiquement contesté qu'il en fût ainsi.
M. Dumortier. - Pas du tout : j'ai dit que nous n'avions pas le droit de refaire les listes électorales, mais que nous avons le droit de les examiner. Vous m'avez dit un jour qu'on voyait bien que je n'étais pas avocat et quoi que j'aie affaire à un savant avocat, je vous fais aujourd'hui cette leçon.
M. Dolezµ. - Je sais, en effet, que l'honorable M. Dumortier n'est pas avocat, et il le prouve bien encore aujourd'hui. Il me rappelle même qu'un jour il s'est présenté comme mon adversaire devant l'une de nos cours pour y plaider comme partie, et qu'il y a singulièrement méconnu, qu'il me permette de le lui rappeler, des devoirs que les avocats ne méconnaissent jamais. Je sais donc, à plus d'un titre, M. Dumortier, que vous n'êtes pas avocat.
M, Dumortierµ. - Et moi je sais, à plus d'un titre, que vous l'êtes.
M. Dolezµ. - (page 18) Maintenant, messieurs, il importe, je pense, que la Chambre soit amenée à se prononcer sur le mérite du rapport qui lui est soumis.
La validation des élections de Gand garde sans doute son importance, mais le rapport de la commission a soulevé, suivant moi, une question d'une importance plus grande encore.
Nous avons à maintenir l'indépendance et la dignité du pouvoir judiciaire et il importe que la Chambre, par un vote qui ne permette pas d'équivoque, proteste contre les hérésies, les insinuations et les attaques du rapport que vous avez entendu.
J'ai, messieurs, par une longue carrière qui s'est passée tout entière devant la magistrature, appris à la respecter autant qu'elle mérite de l'être ; aussi quand j'entends diriger contre elle des attaques de ce genre, j'avoue qu'il m'est impossible de répondre sans sortir du cadre que je désire toujours garder, quand j'ai l'honneur de parler devant vous. J’ai l'honneur de proposer à la Chambre de voter sur les conclusions du rapport qui lui a été lu tout à l'heure dans les termes que j'ai l'honneur de lui soumettre :
« La Chambre, écartant une partie des motifs du rapport de la commission, déclare valables les élections de l'arrondissement de Gand. »
II. n'y a pas d'équivoque sur la partie de ce rapport que la Chambre condamnera, j'espère, énergiquement, par le vote que je provoque de sa sagesse et de son patriotisme.
M. de Theuxµ. - Messieurs, l'honorable préopinant a cru devoir commencer son discours par une censure adressée aux membres de la droite. Evidemment, nous avons le droit de contrôler mutuellement nos actions, c'est-à-dire nos votes et nos discours, et quant à moi, je ne me suis pas fait faute, en diverses occasions, de contrôler les actes de la majorité, comme je compte le faire toujours en pleine liberté.
Inutile de dire, après cela, que je n'accepte en aucune espèce de manière la censure de l'honorable M. Dolez, parce que je la considère comme très mal fondée.
Messieurs, les élections de Gand me suggèrent trois observations que je crois de mon devoir de communiquer à la Chambre.
Il n'entre pas dans mes intentions de discuter à fond la question d’interprétation de la Constitution et de la loi électorale. Cela nous mènerait trop loin et ce serait inutile. Mais je ferai remarquer à la Chambre que l'article 47 de la Constitution se sert formellement du mot « payer », que l'article premier de la loi électorale se sert du mot « verser », qui est l'équivalent ; que l'article 3 de la loi électorale modifiée en 1842 se sert de la même expression.
Il est vrai que l'article 4 semble supposer que l'avertissement du receveur des contributions suffit pour justifier l'imposition. Mais, messieurs, c'est une grande question, de savoir si l'article 4 ne doit pas être interprété dans le sens de l'article 47 de la Constitution et des articles 1 et 5, et si la Chambre, en 1842, n'a pas entendu mettre l'article 4 de la loi électorale en harmonie avec l'article 3 qu'elle venait de modifier.
Voilà le terrain de la discussion légale.
Messieurs, je m'étonne que l'on vienne dire dars cette enceinte que c'est porter atteinte à la considération de l'ordre judiciaire, que d’exprimer une opinion différente de l'opinion consacrée par l'arrêt de la cour de cassation. Mais c'est un droit qui appartient à tout le monde, qui appartient à tout écrivain, à tout avocat, quelque mince que soit son mérite, et évidemment à tout membre des Chambres, qui est appelé à faire des lois et à examiner quelle est leur portée pratique.
Ainsi, que tout cela disparaisse. Il n'est entré dans l'intention d'aucun de mes honorables collègues d'attaquer l’honorabilité di tel ou tel membre de la cour de cassation, qui a eu à juger le procès relatif aux inscriptions de la liste de Gand. Telle n'a pas été notre pensée. Il s'est agi uniquement d'une question de droit.
Mais, messieurs, examinons les conséquences pratiques de l'arrêt porté, et si cet arrêt est destiné à faire jurisprudence, demandons-nous s'il n'ouvre pas la poste à de larges fraudes électorales, s'il n'appartient pas au collège des répartiteurs de créer, au moyen de la patente, une quantité d'électeurs sans qu'il en résulte pour eux de charges réelles, puisque le receveur des contributifs déclarera par procès-verbal de carence qu'ils sont insolvables, et ils ne payeront pas. Ils auront cependant le droit attribué à l'électeur qui, évidemment par l'amendement de l'honorable M. Defacqz introduit dans la Constitution, doit être supposé avoir une fortune quelconque, et pouvoir payer sur cette fortune des impositions à l'Etat ; sinon, l'amendement de l'honorable M. Defacqz n'eût été qu'une véritable dérision, qu'un véritable jeu de mots.
La seconde observation que j'ai à présenter est relative aux ballottages.
Vous avez remarqué qu'à Gand, au ballottage, les électeurs d'une partie des candidats avaient disparu. Que résulte-t-il de ce fait examiné en lui-même, en dehors de toute autre circonstance ? Ce fait vient confirmer de nombreux faits de même nature : c'est-à-dire que, quand il y a ballottage, les candidats de la majorité de la ville chef-lieu d'élection obtiennent toujours la majorité. Autant vaudrait-il dire dans la loi que ces candidats sont proclamés d'office ; tellement il est constant qu'au ballottage ils triomphent toujours. Et pourquoi ? parce que le ballottage constate que le succès dépend de quelques voix et qu'il est de notoriété publique qu'un très grand nombre d'électeurs sont obligés de retourner dans leurs foyers et ne peuvent rester jusqu'à l'accomplissement du ballottage. Dès lors, leurs droits électoraux sont anéantis et c'est un privilège unique, et je dirai inique, en faveur du chef-lieu de l'arrondissement.
Un tel état de choses ne peut se perpétuer. Il faut qu'il y soit apporté un remède. Car, avant tout, il faut que la représentation nationale soit l'expression vraie non d'une partie des électeurs, mais de tout le collège électoral.
Une troisième observation que j'ai à présenter, c'est que cette désertion complète d'une fraction d'électeurs a été motivée par des faits de notoriété publique. Ces faits de notoriété publique consistent dans les démonstrations violentes qui ont suivi le premier scrutin. Eh bien, je le demande, le premier droit d'un citoyen belge n'est-il pas d'aller franchement, librement aux élections, sans avoir l'appréhension de violences, d'insultes et d'injures ? L'électeur n'aurait donc plus le premier droit d'un citoyen belge ; il n'en est plus aucun pour lui.
Messieurs, je demande si les moyens de sûreté établis pour protéger la sécurité des citoyens ne sont pas suffisants pour que chaque citoyen, quelle que soit son opinion, quel que soit son caractère, quelles que soient ses convictions, jouisse d'une sûreté absolue pour sa personne et peur ses propriétés.
Or, il s'est passé, de notoriété publique, des faits extrêmement blâmables, les uns antérieurs aux élections, les autres après le premier scrutin, les autres plusieurs jours après les élections. Il est arrivé que dans des endroits où même aucune lutte électorale n'avait eu lieu, c'est-à-dire en dehors du chef-lieu, des manifestations injurieuses ont eu lieu, par exemple des chansons ignobles et profondément immorales ont été chantées devant la demeure d'habitants paisibles.
M. Allard. - Vous autres, vous êtes des agneaux.
M. de Theuxµ. - Dans ces circonstances, l'autorité s'est fait remarquer par son absence, et je le déplore pour l'honneur de mon pays. Je demande qu'à l'avenir celui qui est investi d'un droit quelconque de police, fasse ce qui dépendra de lui pour prévenir ces faits avant qu'ils se produisent, pour les arrêter pendant qu'ils se produisent, et après qu'ils se sont produits pour les faire constater et punir.
M. Bouvierµ. - Les stockslagers !
MjTµ. - Quand j'ai entendu l'honorable comte de Theux demander la parole, j'ai pensé, en me rappelant ses antécédents, que c'était pour appuyer l'opinion que j'ai eu l’honneur de défendre tantôt devant vous. En effet, messieurs, la question qui se produit aujourd'hui n'est pas neuve ; elle a déjà surgi dans cette enceinte, et à cette époque l'honorable comte de Theux a soutenu les principes que j'ai exposés à la Chambre, d'une manière beaucoup plus absolue encore que je ne l'ai fait.
En 1841, l'honorable comte Félix de Mérode était élu, à Nivelles, à une voix de majorité, et il était constaté par les listes électorales qu'un des électeurs qui avait pris part au vote n'avait pas l'âge requis. L'élection fut attaquée de ce chef, on soutint que cet électeur n'avait pas le droit de voter, et qu'en retranchant cette voix du nombre de celles qui avaient été données à l'honorable comte Félix de Mérode, celui-ci n'avait plus la majorité ; que par conséquent l'élection devait être annulée. (Interruption.)
C'est une erreur, il n'avait eu qu'une voix de majorité.
- Un membre. - Une demi-voix.
MjTµ. - Une demi-voix si vous voulez ; il avait une voix de plus que la moitié du nombre des votants.
M. Dumortier. - Si vous décomptiez cette voix, il avait encore la majorité.
MjTµ. - C'est une erreur complète.
L'élection fut attaquée de ce chef.
L'honorable comte de Theux était rapporteur, et voici ce que je lis dans le Moniteur de cette époque :
« Messieurs, je ne pense pas que la Chambre soit omnipotente, en ce sens qu'elle puisse s’arroger des pouvons que ni la Constitution, ni les lois ne lui confèrent, des pouvoirs que la loi électorale attribue à (page 19) d'autres autorités. Lorsque la loi électorale a confié à l'autorité communale le soin de dresser la liste et de juger les réclamations en premier degré ; lorsqu'elle a accordé aux députations permanentes le droit de les juger en second degré, et à la cour de cassation celui de les juger définitivement, je dis que la loi a nettement déterminé les autorités appelées à connaître des listes électorales, et que par cela seul qu'elle n'a pas attribué cette mission aux deux Chambres, elle n'ont pas le droit de se l'arroger.
« Aux termes de l'article 40 de la loi électorale, les Chambres jugent de la validité des opérations des assemblées électorales. Or, l'on sent parfaitement bien que la validité des opérations de l'assemblée électorale est entièrement indépendante de la validité des inscriptions sur les listes électorales.
« En ce qui concerne les opérations électorales, la loi a constitué un seul juge : chaque chambre ; et pour les listes électorales des juges en trois degrés : le conseil communal, la députation permanente du conseil provincial et la cour de cassation. Voilà les attributions de chaque pouvoir nettement déterminées par la loi, et nous ne pouvons, sans excès de pouvoir, attirer à nous une prérogative que la loi a confiée à d'autres. »
Voici encore, messieurs, l'opinion d'un des membres de la droite, que celle-ci ne récusera pas :
« En appliquant ces principes au cas qui nous occupe, il devient évident que les Chambres n'ont pas le droit de toucher aux listes électorales lorsqu'elles ont été régulièrement arrêtées. La loi électorale a confié à d'autres autorités le soin de juger les difficultés qui s'élèvent à ce sujet. Les conseils communaux dressent les listes et jugent les contestations en premier ressort, les députations permanentes jugent en second degré et la cour de cassation en dernier ressort. La loi ayant ainsi nettement indiqué les autorités appelées à connaître des listes électorales, il est évident que les Chambres ne peuvent s'arroger cette mission sans commettre un abus de pouvoir. »
Ce passage est de M. Thonissen.
ML Thonissenµ. - C'est mon avis encore aujourd'hui et personne ne dit le contraire.
MjTµ. - Eh bien, messieurs, si la théorie que l'honorable comte de Theux soutenait à cette époque, et que je trouve trop absolue, est vraie pour le cas où un conseil communal aura porté par erreur sur une liste électorale un individu qui n'a pas l'âge requis ou qui n'a pas la qualité de Belge, alors cette théorie est vraie à bien plus forte raison lorsqu'il s'agit d'une question qui a été soumise aux différentes autorités et décidée in terminis.
Comment pourriez-vous prétendre que la Chambre a le droit de décider contrairement à ce qu'a décidé l'autorité judiciaire et de déclarer que des individus reconnus électeurs par toutes les autorités que la loi a instituées pour décider ces questions sont de faux électeurs ? Mais quand donc ne seront-ils plus de faux électeurs ? Si vous les déclarez tels, alors que toutes les juridictions ont reconnu leur droit, vous pourriez dire de tous les électeurs de Gand que ce sont de faux électeurs, car les droits des 73 électeurs que vous attaquez ne sont pas moins reconnus que ceux de tous les autres.
- Un membre. - Ils le sont plus.
MjTµ. - Ils le sont plus en effet puisque pour ces 73 électeurs la question a été examinée, discutée, et décidée en dernier ressort.
Je dis donc que la Chambre n'a plus le droit d'évoquer cette question, et que quand on vient critiquer l'arrêt de la cour de cassation on fait gratuitement injure au premier corps judiciaire du pays.
On nous dit que chacun a le droit d'examiner les arrêts de la cour de cassation. Chaque individu, en vertu du droit de libre discussion inscrit dans la Constitution peut, évidemment, apprécier les arrêts de la cour de cassation comme les décisions des Chambres, mais ce droit qui appartient aux individus appartient-il aux corps constitués ?
Est-ce que le pouvoir législatif a le droit de critiquer les décisions judiciaires ? Mais alors le pouvoir judiciaire pourra critiquer les actes de la législature, et un procureur général pourra se lever pour faire un réquisitoire contre nos décisions. Vous arriverez ainsi à une véritable anarchie. Autre chose est l'individu, le citoyen discutant les actes des différents pouvoirs, autre chose sont les pouvoirs eux-mêmes qui doivent se respecter les uns les autres, surtout lorsqu'ils agissent dans la plénitude de leurs attributions.
On a cherché, messieurs, à me mettre en contradiction avec moi-même, mais la moindre réflexion aurait dû montrer la différence qu'il y a entre les cas que l'on a cités et celui qui se présente aujourd'hui.
Est-il un de vous qui soutienne que la cour de cassation n'a pas agi dans la plénitude de ses attributions ?
Est-il un seul de vous, messieurs, qui soutienne qu'il n'y a pas dans la loi électorale un article 14 qui attribue à la cour de cassation le droit de juger des pourvois en matière électorale ?
- Voix à droite. - Nous ne contestons pas cela.
MjTµ. - Ah ! vous reconnaissez cela ? Eh bien, en était-il ainsi dans les cas que vous avez cités ? En était-il ainsi dans la circonstance à laquelle se rapportaient les paroles de l'honorable M. Dubus ? Nullement, messieurs ; on contestait à la cour de cassation sa compétence dans une question sur laquelle elle avait prononcé ; on prétendait que la cour de cassation avait empiété sur les droits du pouvoir exécutif.
M. Dumortier. - Du tout ! Du tout ! Il ne s'agissait pas de cela.
MjTµ. - Mais les termes seuls du discours de l'honorable M. Dubus suffisent pour prouver que la discussion portait réellement sur une question de compétence ; puisqu'il a dit que si les tribunaux sont juges de leur compétence, la Chambre l'est également de la sienne. Il s'agissait donc bien d'une question de compétence ; il s'agissait de savoir si un pouvoir n'avait pas empiété sur un autre.
Or, personne ici ne conteste que, dans le cas actuel, la cour de cassation était parfaitement compétente.
On a rappelé aussi l'affaire de la fonderie de canons. Il faut, messieurs, que nos adversaires aient la mémoire bien courte pour venir nous parler de cette affaire à propos du cas qui nous occupe., Que s'est-il passé à cette occasion ? Une ordonnance sur référé avait été rendue par le président ; le président avait autorisé la saisie de certaines bombes ; et qu'a-t-on voulu faire en vertu de cette ordonnance ? On a voulu pénétrer dans un établissement qui était soumis à l'autorité exclusive du gouvernement, et le gouvernement a dit : Cette ordonnance ne vous autorise pas à pénétrer dans un établissement militaire ; et il a refusé l'entrée de cet établissement. L'affaire ayant été portée devant le tribunal présidé par le magistrat même qui avait rendu l'ordonnance, le tribunal a déclaré que le gouvernement avait eu raison de ne point permettre l'entrée de l'établissement confié à sa garde. Le tribunal a complètement et absolument donné gain de cause au gouvernement.
Voilà ce qui s'est passé, et je demande à tout esprit impartial quelle similitude il y a entre ces faits et celui dont nous nous occupons ; je demande s'il y a la moindre contradiction entre ce que je disais alors et ce que je dis aujourd'hui.
Maintenant, messieurs, un mot de réponse à ce qu'a dit l'honorable M. de Theux de certaines voies de fait.
Il devient vraiment de mode d'accuser constamment les libéraux de porter atteinte à la liberté électorale. Mais on oublie donc que jusqu'à présent il n'y a eu de faits graves, de faits réellement attentatoires non seulement à la liberté électorale mais même à la vie que de la part de gens soutenant le parti prétendument conservateur. (Interruption.)
- Une voix à gauche. - A Marche !
M de Moorµ. - A Bastogne, il y a eu meurtre d'un libéral.
MjTµ. - A Marche et à Bastogne, si les journaux disent vrai, on vient de constater de graves attentats et ceux-là n'ont pas été commis, que je sache, par des libéraux.
M. Van Hoordeµ. - Il n'est pas prouvé non plus que ce soit par des catholiques. (Interruption.).
BI. Vleminckxµ. - C'est cela ! Un libéral aurait tué un autre-libéral !
MjTµ. - Je serais assez tenté de croire, messieurs, qu'on veut ici mettre en usage cette vieille pratique qui consiste à crier au voleur au moment où l'on est pris soi-même la main dans le sac.
Nos adversaires crient à la violence ! aux voies de fait ! aux attentats à la liberté ! Et partout où nous en rencontrons, nous constatons que ce sont précisément des gens appartenant à leur opinion qui en sont les auteurs.
- Voix nombreuses. - Aux voix ! aux voix !
M. de Theuxµ. - Je déclare formellement que je continue à professer l'opinion que j'ai émise dans le temps en l'appliquant à l'élection de M. le comte Félix de Mérode. J'ajouterai, pour compléter, que j’ai soutenu la même opinion à propos de l'élection d'Anvers pour l'admission de l’honorable M. Cogels. Je n'ai nullement changé d'avis sur cette question, et je n'ai pas dit un seul mot dans tout mon discours qui puisse faire croire que j'ai l'intention de méconnaître en quoi que ce soit l’arrêt de la cour de cassation ou de chercher directement ou indirectement à la faire annuler par la Chambre.
(page 20) Je sais parfaitement, messieurs, qu'il n'appartient pas aux différents corps constitués de se censurer réciproquement. (Interruption.)
MfFOµ. - Mais c'est toute la question.
M. de Theuxµ. - Cela n'entre certainement pas dans mes intentions. Mais lorsqu'il s'agit d'une loi importante sur le sens de laquelle il y a doute, nous avons certainement le droit d'en rechercher le sens réel et de tâcher de la modifier si elle est défectueuse, de la compléter si elle est insuffisante.
MfFOµ. - Sans doute, mais ce n'est pas ici le cas.
M. de Theuxµ. - Ce droit n'appartient pas seulement à tout Belge mais à tout étranger résidant en Belgique. Je ne demande rien de plus.
Maintenant je ne voterai point l'ordre du jour motivé par l'honorable M. Dolez, parce qu'il est tout à fait contraire aux usages parlementaires. (Interruption.)
Il n'est pas dans nos usages de censurer un rapport présenté au nom d'une commission nommée par nous.
M. le ministre de la justice nous dit qu'il y a eu un cas d'homicide dans le Luxembourg. Je l'ignore, mais un fait isolé de ce genre... (Interruption.)
- Voix à gauche. - Il y en a eu plusieurs !
M. Beeckman. - De la part des libéraux, c'est possible.
M. Bouvierµ. - Je proteste contre une telle insinuation.
M. de Theuxµ. - Mais, messieurs, on oublie donc qu'à l'occasion des précédentes élections de Bastogne, il y a eu plusieurs voies de fait très graves contre des membres du parti conservateur, qui ont donné lieu à des condamnations contre plusieurs perturbateurs. On dit contre 17 individus.
Quant à moi, messieurs, mon observation ne porte pas sur tel ou tel fait spécial ; je parle d'une manière générale et je maintiens que la notoriété publique justifie parfaitement ce que je dis. (Interruption.)
- Voix nombreuses. - Aux voix ! aux voix !
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Dumortier (contre la clôture). - S'il ne s'agissait que de clore la discussion sur le rapport, je déclare que, bien que j'aie été vivement attaqué par plusieurs membres de la gauche qui n'ont pas craint de dénaturer mes paroles et que je puisse, en vertu du règlement, demander la parole pour un fait personnel, je ne revendiquerais pas ce droit, d'autant plus que pas un seul membre de la Chambre, j'aime à le constater, n'a prononcé un mot pour établir qu'on peut être électeur sans justifier le payement de l'impôt formant le cens électoral.
Mais ici de quoi s'agit-il ?
Il s'agit d'imprimer une flétrissure au rapport d'une de vos commissions et d'étendre même en quelque sorte cette flétrissure jusqu'à mon savant et éloquent ami qui en est l'auteur et que l'on ose prétendre avoir attaqué indignement la cour de cassation dans son rapport.
Or, je dois protester de toute l'énergie de mes convictions contre un acte de ce genre. Je vous défie de trouver dans le rapport un seul mot, une seule syllabe qui revête le caractère odieux qu'on veut lui donner.
Comment ! parce qu'un homme se dévoue pour élucider une question aussi grave que celle-ci... (Interruption.) Riez tant que vous voulez, messieurs, mais le pays jugera.
M. Bouvierµ. - C'est ce qu'il vient de faire.
M. Dumortier. - Ce que vous voulez, je vais vous le dire, c'est faire un coup de parti en faveur de l'élection de Gand. La jurisprudence de la cour de cassation que nul de vous n'ose et n'oserait défendre en matière du payement du cens électoral et toute votre feinte indignation en faveur de cette cour, ne sont qu'un prétexte pour servir vos intérêts de parti. Et quel est l'instrument de ce coup de parti, de cette violence contre le rapport de la commission et contre son rapporteur ? Un homme qui se dit l'ami, le père en quelque sorte du jeune et savant orateur qui s'est chargé de la rédaction du rapport. C'est lui qui s'est chargé de formuler la flétrissure qu'on nous demande de prononcer. Cela peut être digne d'un avocat, messieurs, mais cela n'est certes pas digne d'un homme... (Interruption.)
Si le rapport devait être flétri sur les bancs de nos adversaires, je n'aurais jamais pu croire que le coup pût partir d'une telle main.
M. Dolezµ (pour fait personnel). - Messieurs, j'ai vraiment peine à comprendre quelque chose à l'étrange langage que vous venez d'entendre. Pour me l'expliquer, j'ai besoin de me rappeler que ce langage émane d'un homme de la part de qui rien ne doit étonner la Chambre.
M. Dumortier. - Comme rien ne doit l'étonner de votre part.
M. Dolezµ. - Je crois avoir parlé du rapport de la commission avec l'indulgence....
- Des membres. - Oui ! oui !
M. Dolezµ. - Je répète avec l'indulgence que m'inspire la jeunesse de son rapporteur, que m'inspire le souvenir encore vivace pour moi du père de ce jeune orateur, qui n'était pas seulement mon ami du barreau, mais qui l'était encore par une profonde solidarité de sentiments politiques.
J'ai donc, je le répète, parlé avec indulgence de l'œuvre de M. le rapporteur qui, j'en suis convaincu, n'aura pas interprété mes paroles comme vient de le faire l'honorable préopinant. La Chambre tout entière, qui m'a entendu, me rendra la justice que ne me rend pas l'honorable M. Dumortier.
Ai-je flétri le rapport de la commission ? J'ai signalé le danger des doctrines qu'il consacrait, doctrines qui, tout en se déclarant impuissantes à faire annuler les élections de Gand, tendait à flétrir ces élections, les électeurs, les élus et toutes les autorités qui avaient été appelées à constituer la liste électorale. J'avais le droit d'énoncer ces vérités.
L'honorable M. Dumortier abuse trop souvent du droit d'énoncer dans cette enceinte des choses qui n'ont pas ce caractère, pour qu'il lui soit permis de me reprocher de ne pas avoir parlé dans ce débat avec modération et avec impartialité.
Je répète donc que je n'ai nullement flétri le rapport de la commission, mais que je dois maintenir la proposition que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre.
Lorsque des doctrines pareilles ont été émises au nom d'une commission de la Chambre, il importe que nous n'en acceptions pas la solidarité. Les membres de la Chambre qui s'associent aux doctrines du rapport, voteront contre ma proposition ; mais ceux qui pensent comme moi que dans ce rapport on a oublié tous les principes, qu'on n'y respecte pas ce que nous devons tous respecter, ceux-là voteront pour la motion que j'ai eu l'honneur de faire.
M. Jacobs, rapporteurµ. - Messieurs, je tiens à déclarer à la Chambre que je n'ai pas compris, comme mon respectable ami, M. Dumortier, le premier discours de l'honorable M. Dolez.
Les relations d'amitié qui ont existé entre mon père et l'honorable député de Mons me sont un sûr garant que si j'avais eu, ce qu'à Dieu ne plaise, le malheur de poser dans cette Chambre un acte qui, dans l'opinion de mes adversaires, dût être flétri, l'honorable M. Dolez serait le dernier à le flétrir. Je n'avais pas besoin de la déclaration de l'honorable membre pour en être convaincu ; avant qu'il s'en fût défendu, ma pensée l'en avait disculpé.
Un mot de réponse seulement à ses dernières paroles.
Il a jugé le rapport avec l'indulgence que réclame la jeunesse de son auteur.
Nous avons tous, je le crois, besoin d'indulgence, quel que soit notre âge ; nous en avons tous aussi pour les autres ; et c'est une chose si naturelle qu'il est superflu de le déclarer.
L'honorable M. Dolez, en prenant la parole pour un fait personnel, a rappelé les opinions politiques de mon père. J'ignore ce qu'il y a de commun entre elles et le débat qui nous occupe ; je ne puis admettre que ce soit un reproche indirect à mon adresse ; car je suis certain que l'honorable membre me fait l'honneur de croire qu'autant étaient loyales et profondes les convictions politiques de mon père, autant les miennes aussi sont profondes et loyales.
- Des membres. - Aux voix ! aux voix !
- La clôture de la discussion est mise aux voix est prononcée.
M. Dumortier. - Je demande, par motion d'ordre, que M. le président donne lecture du passage du rapport sur lequel on va voter.
MpLangeµ. - Ce sont les conclusions du rapport de la commission que je dois mettre aux voix ; les motifs auxquels on fait allusion, vous les avez entendus, vous les avez appréciés, vous les avez discutés de part et d'autre ; il n'y a donc pas lieu de lire cette partie du rapport.
La commission conclut à la validation des élections de Gand.
M. Dolez propose d'ajouter à la proposition de la commission de vérification des pouvoirs cette réserve-ci : « Tout en écartant une partie des motifs du rapport de la commission... » (Interruption.)
- Des membres. - Laissez lire.
MpLangeµ. - Vous pouvez demander la division ; mais laissez-moi au moins lire les propositions qui sont parvenues au bureau et sur lesquelles vous avez à statuer.
M. Goblet (page 21) - Vous demandez la lecture de la proposition et vous ne laisser pas parler le président.
MpLangeµ. - Je disais donc que la commission concluait à la validation des élections de Gand.
Il y a une autre proposition ainsi conçue :
« La Chambre, écartant une partie des motifs du rapport de la commission, déclare valables les élections de l'arrondissement de Gand. »
- Plusieurs membres. - Aux voix !
- D'autres. - L'appel nominal !
M. Dumortier. - C'est la prérogative du parlement que vous méconnaissez.
M. de Brouckere (sur la position de la question). - Je crois, messieurs, qu'il faut mettre d'abord aux voix par assis et levé, si personne ne s'y oppose, la validation des élections de Gand et ensuite par appel nominaj la proposition de l'honorable M. Dolez.
M. Dolezµ. - Je regrette, messieurs, de ne pouvoir partager la manière de voir de mon honorable ami et collègue M. de Brouckere. Il me paraît impossible de scinder, comme il le fait, la proposition que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre.
Quand la Chambre aura voté la validation des élections de Gand, tout sera fini, et par cela même la considération dont je demande que ce vote soit précédé ne pourrait plus être mise aux voix. Il me paraît donc indispensable de conserver à ma proposition son caractère complexe.
Nous étions en présence d'un rapport qui, en proposant de valider les élections de Gand, donnait au vote de la Chambre une portée que je vous propose de repousser. C'est parce que nous n'admettons pas la portée que la commission veut attribuer au vote de la Chambre que j'ai soumis à l'assemblée une formule qui constate que si nous admettons les conclusions du rapport, nous n'admettons pas la totalité de ses motifs.
On demandait tout à l'heure quels étaient les motifs que nous n'adoptions pas. Il n'y a doute pour personne à cet égard. Si l'on veut, je les indiquerai textuellement, en ajoutant deux mots à ma proposition. Ainsi je dirai : sans adopter les motifs du rapport qui font la critique de la décision de la cour de cassation.
C'est par esprit de modération que je n'avais pas rédigé ainsi ma proposition et je crois qu'elle doit rester telle que je l'ai faite d'abord.
M. Dumortier. - Il n'y a pas l'ombre d'une critique de ce genre. Lisez le rapport.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. de Theuxµ. - Il me semble, messieurs, que la question est très simple. Toute proposition complexe peut se diviser à la demande de la Chambre.
Il est évident que la proposition de l'honorable M. Dolez est complexe. Il demande d'un côté de valider les élections de Gand et d'un autre côté la désapprobation des motifs du rapport.
Eh bien, si l’honorable M. Dolez veut absolument qu'on vote sur les motifs, je demande que la proposition soit divisée. Quant à la validation, je voterai pour et quant à la proposition concernant les motifs, je voterai contre.
M. Dolezµ. - Il n'y a pas la moindre objection à ce qu'il soit procédé, comme le propose l'honorable M. de Theux. Je n'admettais pas tout à l'heure la formule de l'honorable M. de Brouckere parce qu'il faisait commencer par le vote sur la validité des élections. Mais dès l'instant qu'on demande la division comme le fait l'honorable M. de Theux, en ce sens que le considérant sera voté d'abord et que l'on votera ensuite sur la validation, je m'empresse d'adopter cette marche.
M. de Brouckere. - Je me rallie à la dernière proposition de l'honorable M. Dolez. Tout ce que je voulais, c'est la division.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la première partie de la proposition.
103 membres y prennent part.
60 répondent oui.
40 répondent non.
3 s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre adopte.
Ont répondu oui : MM. Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Laubry, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Vleminckx, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Couvreur, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Macar, de Moor, de Rongé, Devroede, de Wandre et Lange.
Ont répondu non : MM. Dumortier, d'Ursel, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Le Bailly de Tilleghem, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Snoy, Tack, Thibaut, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, François de Borchgrave, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq et de Theux.
Se sont abstenus : MM. Van Overloop, Van Renynghe et Debaets.
MpLangeµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Van Overloopµ. - Messieurs, je n'ai pas voté pour la motion de l'honorable M. Dolez parce qu'elle impliquait, selon moi, un blâme immérité pour le travail de la commission. Je crois que la commission a agi de bonne foi, sans la moindre intention malveillante. Par conséquent, vous comprenez parfaitement que je n'ai pas voté pour la motion.
D'un autre côté, je n'ai pas voulu voter contre la motion, parce qu'on aurait pu considérer mon vote comme une approbation des doctrines développées par la minorité de la commission, doctrines que je ne partage pas.
Dans cette situation, j'ai dû m'abstenir.
M. Van Renynghe. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Van Overloop.
M. Debaets. - Je me suis abstenu à cause de la position personnelle qui est faite, dans ce débat, aux députés de Gand.
En outre, je n'ai pas voté pour la motion à raison des termes de la motion et surtout du commentaire qu'on y a ajouté.
Je n'ai pas voté contre parce que je ne puis me rallier complètement aux considérations de droit exposées dans le rapport de la commission de vérification.
- Les conclusions du rapport sont mises aux voix par assis et levé ; elles sont adoptées.
MM. Debaets, Jacquemyns, de Kerchove, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, de Bast et Lippens prêtent serment.
MpLangeµ. - L'objet suivant à l'ordre du jour est la discussion du rapport sur les élections de Nivelles.
Ce rapport a été imprimé et vous a été distribué. Il conclut à l'admission de M. Le Hardy de Beaulieu comme membre de la Chambre des représentants.
- Plusieurs membres. - A demain !
- D'autres membres. - Non ! non ! continuons.
MpLangeµ. - Quelqu'un demande-t-il la parole ?
M. de Theuxµ. - Je la demande.
M. Nothomb. - Je la demande aussi.
M. Wasseige. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Deux orateurs viennent de demander la parole pour discuter le rapport sur les élections de Nivelles. Il est probable que le débat se prolongera. Il est près de cinq heures ; et il est dans les habitudes de la Chambre de ne pas prolonger ses séances au-delà de cette heure. Ce n'est pas parce qu'il plaît à quelques membres de la gauche de crier : Continuons ! que nous devons rester ici. Je m'adresse à M. le président, et je lui demande de bien vouloir lever la séance.
M. Goblet. - Je ne comprends pas l'opposition de l'honorable M. Wasseige à continuer la séance. Quand vous êtes en nombre suffisant pour paralyser notre zèle, nos travaux et notre volonté de faire les affaires du pays, vous décampez. Aujourd'hui que cela ne vous est plus possible, vous voudriez nous faire quitter la Chambre avec vous. Vous pouvez partir, nous resterons.
M. de Theuxµ. - Je rends volontiers hommage au zèle de l'honorable préopinant et je ne sais pas pourquoi, dès le premier jour, nous ne nous sommes pas déclarés en permanence jusqu'à ce que tous les pouvoirs soient vérifiés, comme certains jurys se déclarent en permanence et siègent en permanence jusqu'à ce que le procès soit vidé.
Du reste, je ne m'oppose pas à ce qu'on discute en ce moment, et je vais présenter à la Chambre les observations que l'élection de Nivelles me suggère.
Eh bien, d'après mon opinion, il ne s'agit ici que d'une simple question de bonne foi. Les votes attribués au comte de Meeûs ont-ils été donnés au comte Ferdinand de Meeûs, seul et unique candidat de ce nom ? Peur moi, je ne puis en douter un seul instant. Plusieurs bureaux (page 22) électoraux, les Chambres elles-mêmes, dans certaines circonstances, ont décidé que l'addition du prénom ou d'une autre qualification n'était pas nécessaire pour connaître l'intention des votants. Eh bien, dans cette circonstance, quel est l'homme do bonne foi qui oserait dire : Devant Dieu et devant les hommes, sur mon âme et sur ma conscience, je décide que ces votes ont été donnés à un frère du comte Ferdinand de Meeûs ? Assurément aucun.
Si ces votes n'ont pas été donnes à un frère de M. le comte Ferdinand de Meeûs, ils ont donc été donnés au seul et unique candidat, lequel a été désigné par cette addition : « demeurant à Ohain ».
Le comte Ferdinand de Meeûs était candidat pour la troisième fois. Eh bien, en France, on a toujours décidé que quand un seul membre d'une maison était sur les rangs, c'était celui-là que l'électeur avait voulu désigner par son bulletin.
Dira-t-on que, dans ces sortes de questions, il faut s'en rapporter exclusivement à l’appréciaton des bureaux électoraux ? Je réponds que cela est impossible.
La jurisprudence varie entre les divers bureaux. Les uns croient que la loi exige impérieusement une addition quelconque ; dans d'autres bureaux, l'on décide que cela n'est pas nécessaire. Qu'en résulte-t-il ? C'est qu'il y a souvent des contestations sur la validité ou la non-validité de certains bulletins. Il faut cependant que cela cesse. Il faut qu'il y ait une jurisprudence uniforme à cet égard, et s'il le fallait même, je dirais qu'on devrait ajouter une disposition à la loi pour trancher cette question. Nous ne pouvons laisser indécise cette question qui compromet très souvent des élections et qui amène dans cette Chambre des décisions contradictoires.
Je dis donc qu'ici, comme question de bonne foi, il ne peut y avoir de doute.
Dira-t-on que le bureau électoral de Nivelles avait quelque motif particulier de ne pas attribuer au comte Ferdinand de Meeûs les bulletins portant : « Le comte de Meeûs, propriétaire à Ohain. » Je ne puis imaginer aucune espèce de motif particulier. S'il y avait eu quelque motif particulier de doute, on pourrait tenir compte de l'appréciation du bureau. Mais ici il ne s'agit réellement que d'une question de droit que les tribunaux électoraux décident tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, et quand il y a dans le district un seul candidat du même nom, il faut s'en tenir à la validité du bulletin.
Je sais que l'on m'objectera que nous avons soutenu une opinion contraire lors de l'élection de M. Frison. Je le reconnais très volontiers, mais pourquoi la soutenions-nous ? Parce que la Chambre venait d'annuler l'élection de M. de Wouters, parce que sur certains bulletins il était simplement désigné par son nom de famille. '
MfFOµ. - Non, c'est après.
M. de Theuxµ. - On m'assure que c'est avant. Celle de M. Thibaut a été annulée après. Du reste, peu importe, Nous ne voulions pas de décision contradictoire ; nous voulions une décision uniforme. Eh bien, nous invoquons ici une résolution de la Chambre ; et si nous ne tombons pas d'accord aujourd'hui, je demande que la loi soit modifiée à cet égard, qu'il y ait une règle fixe et invariable pour les bureaux électoraux.
Voici, messieurs, deux opinions qui sont motivées d'une manière simple et lucide, l'une est de M. Vervoort, notre ancien président.
« La loi veut une désignation suffisante, mais elle ne prescrit, à cet égard, aucune formule. Il faut donc, avant tout, consulter l'intention des électeurs. »
M. de Luesemans disait :
« Lorsqu'on considère que c'est l'élu, M. Frison, qui s'est porté, publiquement, comme candidat, que c'est lui qui a été présenté comme tel par tous les partisans de l'opinion libérale, qu'aucun individu du même nom n'a manifesté l'intention de produire une autre candidature, il est évident que l'électeur, par l'indication du nom de Frison (Borggrave), a suffisamment fait connaître son intention de voter pour celui dont nous vérifions actuellement les pouvoirs ; la volonté du votant n'est pas douteuse ; et dès lors le suffrage est valable. »
Je crois, messieurs, que c'est cette jurisprudence qui prévaut le plus généralement dans les bureaux ; je l'ai vu appliquer dans mon arrondissement et on m'a dit qu'elle est à peu près générale.
Nous avons, messieurs, une autre considération, c'est que lorsqu'il s'est agi de l'élection du prince Joseph de Chimay, la Chambre a reconnu que le prince Joseph de Chimay, comme chef de la famille, était suffisamment désigné par la qualification de prince de Chimay.
Cette désignation est d'ailleurs considérée comme suffisante par les tribunaux. Elle est considérée comme suffisante aussi par le Sénat. (Interruption.) Il est possible que ce système ait été combattu ; mais je pense que les tribunaux l'ont admis chaque fois qu'il n'y avait pas de circonstances particulières.
Ainsi, il y a au Sénat deux comtes de Robiano : l'aîné est désigné comme comte de Robiano, l'autre comme comte Maurice de Robiano.
On a objecté que les bureaux sont seuls juges du fait, c'est là une grandissime erreur, la Chambre est aussi bien juge du fait que juge du droit. En matière de vérification de pouvoirs, les droits ne sont pas limités par la Constitution. Chaque Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres. La Chambre remplit, à l'égard des bureaux électoraux, la même mission que les tribunaux supérieurs remplissent à l'égard des décisions des tribunaux inférieurs.
Je sais, messieurs, que l'on pourrait encore dire qu'il faut une réclamation, mais cette réclamation existe, non seulement elle a été formulée lors de l'élection, mais elle a été formulée dans cette enceinte et les réclamations, quant à la vérification des pouvoirs, peuvent s'élever dans chaque Chambre aussi bien que dans les bureaux mêmes.
Cette désignation de comte de Meeûs, propriétaire à Ohain, est-elle suffisante ? Pour moi, messieurs, il m'est impossible de douter de la volonté des électeurs. Aucun des frères de M. le comte de Meeûs n'a combattu sa candidature, c'est donc à lui seul que les électeurs ont accordé leurs suffrages.
M. de Rongé, rapporteur. - Messieurs, l'opinion de l'honorable comte de Theux a une très grande autorité dans cette enceinte et je ne me permettrais pas d'opposer à l'honorable membre ma simple opinion personnelle, mais j'ai à lui opposer celle d'un ancien membre de cette Chambre, qui appartenait à la droite et qui avait également une très grande autorité dans son parti, je veux parler de l'honorable M. Malou. Voici, messieurs, comment s'exprimait l'honorable M. Malou à l'occasion de l'élection de M. le prince de Chimay :
« J'ai prouvé que la désignation de prince ne s'appliquait qu'au prince Joseph et non au prince Alphonse. Je l'ai prouvé par les listes électorales et par tous les documents joints au dossier. Les listes électorales faisaient elles-mêmes la distinction ; elles portaient : Le prince de Chimay, et ensuite le prince Alphonse de Chimay. »
La distinction est bien nette, bien formelle, bien catégorique. J'ai sous les yeux la liste électorale de l'arrondissement de Nivelles, et j'y trouve les noms suivants :
De Meeûs, comte Ferdinand.
De Meeûs, comte Henri.
De Meeûs, comte Julien.
De Meeûs, comte Joseph,
De Meeûs, comte Eugène.
Ces messieurs sont tous propriétaires, tous domiciliés à Ohain et ils portent tous le titre de comte. Si l'honorable M, Malou tenait aux distinctions faites sur les listes électorales, c'était probablement pour que chaque électeur pût apprécier la manière dont il devait désigner le candidat pour lequel il voulait voter.
Tout le monde ne connaît pas les usages à la chambre de l'ordre héraldique et nous n'avons pas à tenir compte de ces usages. Nous devons être catégoriques, nous ne pouvons pas apprécier les élections par à peu près.
Il est d'usage, à Nivelles, d'user de rigueur quant aux désignations insuffisantes et tous les bureaux de cet arrondissement ont annulé beaucoup de bulletins pour ce motif ; on a annulé des bulletins portant les noms de M. Mascart, de M. Le Hardy de Beaulieu sans autre désignation.
- Un membre. - Combien ?
- Un autre membre. - 26.
M. de Rongé, rapporteur. - Je le répète, messieurs, il est de règle que, à Nivelles, chaque fois qu'une désignation est insuffisante on annule le bulletin. Et cela s'explique : à Nivelles, les luttes sont vives, ardentes, les élections se font presque toujours à quelques voix de majorité, et les scrutateurs des bureaux de Nivelles préfèrent annuler des bulletins pour cause de désignation insuffisante plutôt que de s'exposer à l'annulation des élections pour cause d'illégalité.
Voilà, je pense, les motifs qui doivent nous engager à voter les conclusions de la commission.
M. Nothomb. - Si j'ai bien compris l'honorable rapporteur, le seul argument qu'il produise en faveur de ses conclusions consiste à dire que les bureaux électoraux de l'arrondissement de Nivelles ayant statué sur la valeur des bulletins, c'est leur appréciation qu'il faut suivre comme émanée de l'autorité la plus compétente.
(page 23) J'estime, messieurs, qu'une pareille doctrine ne peut pas être soutenue d'une manière absolue ; elle conduirait aux abus les plus graves et serait la suppression virtuelle de la prérogative du parlement ; pas plus que je ne voudrais m'incliner toujours et d'une manière servile, devant les décisions de l'autorité judiciaire, d'accord en cela avec ce qu'a dit tantôt M. le ministre de la justice, pas plus je ne puis admettre qu'il faille toujours et quand même s'incliner devant les décisions d'un bureau électoral.
C'est en cette matière, d'après les circonstances qu'il faut se guider ; il n'y a, quant aux contestations électorales, aucune règle inflexible, et ce sont les faits dans chaque cas particulier, bien plus que les précédents qu'il convient de consulter. La chose essentielle qu'il faille rechercher, c'est l'intention, c'est la volonté du corps électoral.
Nous sommes ici, messieurs, reconnaissons-le, dans la position d'un véritable jury ; nous décidons d'après l'appréciation des faits, des circonstances, et dans notre conscience.
Eh bien, cette question de Nivelles ramenée à ces termes n'est en définitive, comme l'a dit tantôt l'honorable comte de Theux, qu'une simple question de bonne foi et de loyauté politique. Je demande dès lors s'il peut être douteux pour personne que l'intention des 12 ou 15 électeurs qui ont déposé dans l'urne des bulletins portant le nom de M. le comte de Meeûs, propriétaire à Ohain, a été bien formellement de voter pour M. le comte Ferdinand de Meeûs.
Nul homme impartial n'hésitera à dire que telle a été la volonté de ces électeurs, et c'est également ainsi qu'en jugera le pays.
M. Allard. - Ils ont toujours le pays avec eux !
M. Nothomb. - Comment pourrait-il s'agir d'un autre membre de la famille que M. le comte Ferdinand de Meeûs ? Personne autre que lui n'a été sur les rangs ; il l'a été trois fois depuis une année dans l'arrondissement de Nivelles ; lui seul de la famille de Meeûs a toujours été dans cet arrondissement le candidat de l'opinion conservatrice.
- Voix à gauche. - Et les bulletins portant M. Le Hardy de Beaulieu qui ont été annulés ?
M. Nothomb. - J'entends objecter que des bulletins portant Le Hardy de Beaulieu ont été annulés.
M. de Moorµ. - Oui, il y en a eu 25 ou 26.
M. Nothomb. - Pardon, d'après le rapport lui-même, il n'y en aurait que 7 ou 8 ; d'après moi on a eu tort (interruption). Il est évident que les électeurs qui ont déposé ces bulletins dans l'urne n'avaient en vue que l'honorable membre qui siège depuis l'année dernière dans cette enceinte. Cela est manifeste pour moi, comme cela doit l'être pour tout homme impartial.
Personne de la famille de Meeûs, je le répète, autre que M. le comte Ferdinand de Meeûs, n'a jamais été candidat dans l'arrondissement ; jamais aucun bulletin portant le nom de Meeûs n'a été déposé en vue d'une autre personne que lui ; et si l'on pouvait connaître et interpeller ceux des électeurs qui ont déposé les bulletins contestés, il est indubitable que tous affirmeraient, sous la foi du serment, qu'ils ont eu l'intention de voter pour M. le comte Ferdinand de Meeûs.
Maintenant, les précédents parlementaires ont aussi quelque valeur en ces matières lorsqu'ils se produisent dans des circonstances à peu près semblables. On vous a rappelé tantôt ce qui s'est passé lors de la validation de l'élection de M. Frison. L'honorable M. de Theux vous a rappelé à ce propos l'opinion émise par le rapporteur de la commission d'alors, l'honorable M. Vervoort. Permettez-moi d'insister sur ce point : car on n'a jamais mieux précisé les règles qui doivent être suivies dans ces questions délicates.
M. Pirmez. - Vous avez voté contre les conclusions du rapport. (Interruption.)
M. Nothomb. - Je ne faisais point alors partie de la Chambre. (Interruption.)
L'incident relatif à M. Thibaut avait précédé celui de M. Frison (Interruption.)
M. Orts. - C'est le contraire.
M. Nothomb. - On l'affirme à mes côtés, mais peu importe, d'ailleurs ; la question n'est pas là, car elle se résume en une affaire de bonne foi politique et de justice ; et il me semble que lorsque, dans une Chambre, j'invoque ce double sentiment, je devrais, obtenir sinon de l'influence sur vos esprits, au moins quelque attention.
Veuillez me laisser parler. Je tiens à montrer quelles sont les règles à suivre en cette matière et je cite à l'appui l'autorité d'un des vôtres, de l'honorable M. Vervoort. Voici ce qu'il disait à propos de l'élection de M. Frison :
« La loi veut une désignation suffisante, mais elle ne prescrit à cet égard aucune formule. Il faut donc consulter avant tout l'intention des électeurs. »
Or, c'est précisément ce que nous vous demandons pour Nivelles. Nous consultons également ici l'intention des électeurs et nous répondons avec les faits, avec les circonstances, avec notre conscience éclairée par tout ce qui s'est passé dans l'arrondissement de Nivelles, que les électeurs qui ont voté pour M. le comte de Meeûs ont eu l'intention manifeste d'accorder leurs suffrages à M. le comte Ferdinand de Meeûs.
M. de Moorµ. - Et les bulletins portant M. Le Hardy de Beaulieu ?
M. Nothomb. - J'ai déjà répondu qu'il eût fallu les lui attribuer.
M. de Moorµ. - Alors il devait être élu au premier tour de scrutin.
M. Nothomb. - Vous vous trompez, cela n'est pas possible, puisqu'il n'y a eu que 7 ou 8 bulletins portant cette désignation, qui ont été annulés. Cela résulte des pièces officielles.
Au surplus, voyons ce qui se passe dans d'autres arrondissements. Ici à Bruxelles, par exemple, on ne fait aucune difficulté d'accepter des bulletins portant uniquement le nom des candidats, pourvu qu'ils soient notoirement connus. [(Interruption.) Je suis convaincu que l'honorable M. De Fré, qui m'interrompt...
M. De Fré. - Moi ? Je ne dis rien du tout. Je ne pense pas même à vous. (Interruption.)
M. Nothomb. - Je suis persuadé, dis-je, que bien des membres de cette assemblée se sont vu compter des bulletins qui portaient simplement leur nom de famille.
M. Allard. - A Tournai on a dernièrement annulé plus de 25 bulletins portant le nom Allard tout court.
M. Nothomb. - On est donc bien rigoriste à Tournai ! (Interruption.)
Je continue ma lecture, car il m'importe de constater comment l'un de vos amis politiques, un homme que nous estimons tous, a apprécié cette question lorsqu'elle s'est présentée dans des circonstances analogues.
- Voix diverses. - Assez ! assez ! à demain !
M. Nothomb. - Tout à l'heure vous m'avez obligé de parler et maintenant vous ne voulez pas même me laisser lire quelques lignes du rapport de M. Vervoort. Il ne me reste plus qu'à m'arrêter.
- Voix nombreuses. - A demain !
- D'autres voix. - Non ! non ! Continuons.
MpLangeµ. - Vu l'heure avancée et la Chambre paraissant désirer que la suite de la discussion soit renvoyée à demain, je déclare la séance levée.
- La séance est levée à 5 heures et un quart.