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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 23 juin 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 611) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Beckers se plaint d'avoir été remplacé en qualité de conseiller communal de Sippenaeken alors qu'il n'avait pas donné sa démission de ce mandat, demande à être réintégré dans ses fonctions et prie la Chambre de modifier l'article 46 de la loi communale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bayaert, ancien sous-officier congédié pour infirmité contractée au service, demande une pension. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Terwagne prie la Chambre d'accorder aux sieurs Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de l'article 47 de la Constitution. »

« Même demande d'habitants d'Ixelles. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Beveren-lez-Roulers prie la Chambre d'accorder à la compagnie Hoyois la concession d'un chemin de fer de Roulers à Selzaete. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants de Londerzeel prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer secondaires dans la province de Brabant, projetés par l'ingénieur Splingard. »

« Même demande d'habitants de Vollezeele et des membres du conseil communal de Wolverthem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Marie réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement des sommes qui lui sont dues par le gouvernement. »

- Même renvoi.


« M. J. Jouret, retenu par l'indisposition d'un de ses frères demande un congé. »

- Accordé.


« M. Orts, retenu par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi supprimant le timbre sur les avis non destinés à être affichés

Rapport de la section centrale

M. Jamar. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi supprimant le timbre sur les avis non destinés à être affichés.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Proposition de loi relative à l’état et à la position des officiers de l’armée

Développements et prise en considérartion

M. Hayezµ. - Messieurs, les articles 6, 7, 8, 9 et 10 de la loi du 16 juin 1836 sur l'étal et la position des officiers, sont remplacés par les suivants :

« Art. 6. La non activité est la position de l'officier hors cadre et sans emploi.

« Les officiers peuvent être mis en non activité :

« 1° Par suppression d'emploi.

« 2° Par réduction de l'effectif ou licenciement du corps dont ils font partie.

« 3° Par motif de santé et bien dûment constaté.

« 4° Par mesure d'ordre à titre de punition.

« Le traitement de non-activité est fixé comme suit ;

« a. Pour les officiers des trois premières catégories ;

« à la moitié du traitement d'activité pour les officiers généraux, et aux trois cinquièmes de leur traitement d'activité pour tous les officiers, depuis le grade de colonel jusqu'à celui de sous-lieutenant inclus.

« b. Pour les officiers de la quatrième catégorie : aux deux cinquièmes du traitement d'activité pour les officiers généraux et à la moitié du traitement d'activité des officiers d’infanterie pour tous les officiers, depuis le grade de colonel jusqu'à celui de sous-lieutenant inclus, quelle que soit l'arme à laquelle ils appartiennent.

« Art. 7. La réforme est la position de l'officier privé de son emploi à titre de mesure disciplinaire, pour des faits de nature à faire encourir une punition plus sévère que celle de la mise en non activité par mesure d'ordre.

« Le traitement de réforme des officiers de tout grade et de tout emploi est fixé aux deux tiers de celui de la non activité par mesure d'ordre.

« Art. 8. La mise au traitement de non activité pour l'une des trois premières causes énumérées au paragraphe 2 de l'article 6, est prononcée par arrêté royal motivé, sur le rapport du ministre de la guerre.

« Art. 9. La mise en non activité par mesure d'ordre et la mise à la réforme sont prononcées par arrêté royal motivé, sur le rapport du ministre de la guerre et de l'avis conforme d'un conseil d'enquête, composé, d'après les dispositions des articles 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 de la loi du 16 juin 1836, sur la perte des grades, et fonctionnant conformément aux prescriptions des articles 9, 10, 11 et 12 de la même loi.

« L'officier aura trois jours francs pour se pourvoir, devant la cour militaire, contre la décision du conseil d'enquête.

« Art. 10. Les officiers ne pourront être mis en non activité par mesure d'ordre, ou à la réforme, pour plus d'un an. Après l'expiration de ce terme, un conseil d'enquête sera de nouveau convoqué pour examiner si la punition doit être levée ou maintenue, ou si, par suite de la persistance de l'officier dans la conduite qui a motivé sa punition, il n'y a pas lieu de prononcer sa déchéance du rang militaire, d'après les règles énoncées dans la loi sur la perte des grades.

« Art. 11. Cette disposition est applicable aux officiers qui se trouvent actuellement en non activité ou au traitement de réforme.

« Si l'officier en non activité ou à la réforme est jugé digne de pouvoir rentrer en activité, il sera considéré comme en non activité, jusqu'à la première vacance dans son grade et dans son arme. Le rang d'ancienneté sera réglé d'après les dispositions en vigueur.

« Art. 12. Les officiers en disponibilité, en non activité ou à la réforme, restent soumis à la juridiction militaire et aux ordres du ministre de la guerre, qui peut assigner une résidence aux officiers mis en non activité par mesure d'ordre ou mis à la réforme.

« Les autres officiers pourront choisir leur résidence dans le pays, et en changer en faisant connaître leurs intentions au ministre de la guerre, pour information. »

Messieurs, la loi du 16 juin 1836 sur l'état et la position des officiers, loi à laquelle nous avons l'honneur de vous proposer d'apporter des modifications, est une loi de circonstance qui pouvait avoir sa raison d'être lorsqu'elle a été portée. En effet, nous étions alors à une époque voisine de 1830, cette grande commotion politique qui avait changé l'ordre des choses dans le pays ; nous étions en guerre avec la Hollande ; notre armée était composée d'éléments très divers, quelquefois hostiles, et il importait au gouvernement d'avoir entre les mains le pouvoir de combattre, de réprimer immédiatement tous les actes d'hostilité ou même d'opposition qui auraient pu se produire.

A cette époque, la présentation d'une loi exceptionnelle offrait donc, en quelque sorte, un caractère d'opportunité ; et son acceptation par les Chambres est d'autant plus explicable, que, dans l'esprit de ceux qui l'ont rédigée, cette loi ne devait avoir qu'une durée limitée.

Il n'en est plus de même aujourd'hui, messieurs. De longues années de paix ont affermi nos institutions ; tous les esprits sont ralliés au nouvel ordre des choses ; l'armée entière est pleine des sentiments les plus unanimes de dévouement au Roi et à la dynastie, et le pays peut, en toute circonstance, compter sur elle. Sa discipline, parfaitement assurée par les règlements ordinaires, n'a besoin d'aucune loi d'exception pour être maintenue.

Au lieu d'affaiblir cette discipline, comme quelques-uns pourraient le craindre, nous pensons que les modifications, proposées à la loi de 1836 sont de nature à resserrer les liens qui doivent unir la grande famille militaire.

La loi du 16 juin 1836, sur l'état et la position des officiers accorde au (page 612) ministre de la guerre un pouvoir exorbitant, discrétionnaire et tout à fait en désaccord avec nos intitulions, avec notre époque.

Armé de cette loi, le ministre peut, à son gré, disposer de l'état et de la position des officiers, sans avoir de compte à rendre à personne, sans donner d'explication à qui que ce soit ; il peut arrêter dans sa carrière, peut la briser cette carrière et cela sans que la victime ait le droit d'élever la voix pour adresser une simple réclamation.

Cet état de choses peut-il subsister encore aujourd'hui ; pouvons-nous tolérer qu'une classe nombreuse de citoyens dévoués, intelligents et éclairés soit exposée à devoir fléchir plus longtemps la tête sous un joug qui n'a plus aucune raison d'être maintenu aujourd'hui ; pouvons-nous laisser subsister un état de choses qui blesse aussi ouvertement toute justice ?

Nous ne le pensons pas, messieurs, et c'est avec la conviction de faire une œuvre éminemment utile au Roi, au pays, à l'armée, que nous vous proposons de modifier une loi qui n'est pas en harmonie avec les principes consacrés par l'article 124 de la Constitution.

Le but de ces modifications est de :

Sauvegarder la position de l'officier au moins autant que l'est celle des sous- officiers ;

Donner aux officiers des garanties certaines contre l'arbitraire ministériel ;

Préciser avec clarté les cas où la loi pourra être appliquée ;

Faire disparaître cette anomalie qui consiste à voir stipuler les causes pour lesquelles l’officier peut être mis à la réforme, tandis qu'elle ne parle pas de ces causes lorsqu'il s'agit de non activité ;

Fermer la porte aux abus de pouvoir, en mettant le ministre lui-même à l’abri des suggestions perfides de mauvais conseillers, tout en le soustrayant au soupçon même d'agir avec partialité ;

Admettre le principe de réclamations contre une punition avant qu'elle ait été sanctionnée par un arrêté royal ;

Ne pas permettre d'éterniser les peines et faire luire, à celui qui est frappé, l'espoir d'un prompt pardon, stimulant ainsi chez lui les bonnes résolutions.

Rapprocher l’officier du simple citoyen, en introduisant la règle de l'équité et de la justice dans les lois qui concernent son sort et sa position ;

Le relever ainsi à ses propres yeux et répandre de plus en plus, dans les rangs de l'armée, les sentiments de force et de dignité qui s'allient parfaitement bien avec l'intérêt de la discipline ;

Délivrer l'officier de cette torture morale qui, le mettant sans cesse en présence de la non activité par mesure d’ordre, sans motif avoué, et sans explication de la part du ministre, l'oblige constamment à refouler au fond du cœur ses pensées et ses opinions, et porte ainsi atteinte au caractère franc, loyal, sincère et ouvert qui doit distinguer tout spécialement ceux qui professent la carrière militaire, carrière pleine d'abnégation et de dévouement ;

Enfin, faire, à ceux qui sont mis en non activité pour des motifs indépendants de leur volonté, un sort différent de celui qui sera réservé à l'officier placé dans cette position par punition, ainsi que le veut la justice distributive.

Nous croirions, messieurs, abuser des moments de la Chambre en empruntant, à la discussion qui a précédé l'adoption de la loi qui nous occupe, des citations propres à appuyer la thèse que nous soutenons.

Nous nous bornerons à dire que des voix très éloquentes l'ont vivement combattue et que, parmi les noms des opposants, on lit ceux de MM Gendebien et Dumortier dont le patriotisme inaltérable et l'amour intelligent de la liberté ne peuvent être mis en question.

Nous osons espérer, messieurs, que vous accueillerez favorablement le projet de loi que nous avons l'honneur de soumettre à vos délibérations, parce qu'il est dicté par une pensée de justice et de vrai libéralisme ; nous espérons que l'accueil que lui réserve M. le ministre de la guerre ne sera pas moins sympathique, puisque ce projet complète la mesure si équitable, prise par ce haut fonctionnaire, en faveur des sous-officiers de l’armée.

- Personne ne demandant la parole, la discussion sur la prise en considération est close.

La prise en considération est mise aux voix et prononcée.

La proposition sera envoyée à l'examen des sections.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1864

Discussion générale

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, dans le cours de la longue discussion qui s'est terminée samedi dernier, un seul point a été réservé, c'est celui que je me propose de traiter aujourd'hui. J'y ai été provoqué à deux reprises par les observations critiques que m'ont adressées et M, le ministre des finances et M. le ministre de l'intérieur.

A un autre point de vue, si je considère que le projet de loi sur la milice ne sera pas soumis, dans un délai rapproché, aux délibérations de la Chambre, il me paraît également utile de ne pas tarder davantage à faire connaître les dissentiments qui nous séparent sur cette question si grave et agitée depuis tant d'années.

Je ne crois pas me tromper en affirmant que le pays appelle de tous ses vœux la transformation du service militaire, j'allais dire de la servitude militaire, en une carrière sérieuse et honorable, librement acceptée, librement accomplie, en restreignant les dépenses et surtout en allégeant la charge irrationnelle du tirage au sort.

Ces idées généreuses préoccupent depuis longtemps les hommes d'Etat et les publicistes dans tous les pays de l'Europe et surtout en Belgique. Elles ont trouvé, de ce côté de la Chambre, de persévérants et infatigables défenseurs. Elles en revendiquent d'autres non moins honorables, non moins éloquents, sur les bancs de la gauche, dans l'une et l'autre Chambre législative. Au Sénat, l'honorable M. Forgeur, dans cette enceinte, l'honorable M. Guillery réclament à peu près tout ce que je demande, condamnent à peu près tout ce que je repousse ; mais c'est à l'opinion conservatrice que revient incontestablement l'honneur d'avoir la première inscrit dans un programme de gouvernement la solution de ce grand problème et de l'avoir fait en termes clairs et précis.

Voici, messieurs, ce que porte l'un des articles du programme de l'honorable M. Dechamps :

« Modification de la loi sur la milice, ayant pour base un système d'exonération destiné à restreindre les effets du tirage au sort, à alléger les charges militaires pour les familles et le pays et en même temps à améliorer les éléments constitutifs de l'armée en y fortifiant la discipline et l'esprit militaire. »

Je ne crois pas, messieurs, qu'aucune objection sérieuse ait été faite contre cet article du programme. J'ai seulement entendu dire que c'était beau et peut-être trop beau, qu'on promettait beaucoup et qu'en promettant beaucoup, on promettait peut-être trop.

Quant à moi, je crois que ces promesses peuvent être réalisées, qu'il n'y a pas là une vaine illusion, qu'il y a là au contraire le gage d'une amélioration non pas seulement possible, mais probable, mais certaine, non pas seulement éventuelle et future, mais immédiate ou prochaine ; et si aujourd'hui je m'impose la tâche de justifier mon appréciation, j'espère que la Chambre voudra bien m'accorder son indulgente attention dans une discussion difficile où je serais le premier à proclamer mon incompétence, si je ne me sentais soutenu par le sentiment de mon devoir vis-à-vis de mes commettants et vis-à-vis du pays tout entier.

Les quelques lignes dont j'ai eu l'honneur de donner lecture à la Chambre font connaître succinctement ce que nous désirons, ce que nous voulons substituer à ce qui existe, mais pour bien apprécier la situation des choses, il faut d'abord examiner et constater ce qui existe.

L'armée se compose aujourd'hui de trois éléments : les engagés volontaires, les miliciens, les remplaçants et substituants.

Les engagés sont au nombre de 700 à 1,000 chaque année. Ils sont au contingent dans la proportion de 8 ou 9 à 100. Or, si l'on veut déterminer la valeur de cet élément, il suffit de rechercher, comme pierre de touche de cette valeur, quel est le nombre d'engagés volontaires qui deviennent sous-officiers.

Eh bien, les volontaires, qui ne sont que dans la proportion de 9 à 100 dans l'armée, donnent à la cavalerie 28 p. c. de ses sous-officiers, 38 p. c. au génie et à l'artillerie ; 41 p. c. à l'infanterie.

Si maintenant je passe aux remplaçants et substituants, je remarque qu'ils forment 32 p. c. de l'armée. Or, dès la première année, 11 p. c. subissent des condamnations et j'extrais d'une statistique plus détaillée les renseignements suivants :

Sur 200 remplaçants et substituants, dans une seule année on en trouve 2 qui sont expulsés, 5 qui sont envoyés aux compagnies de discipline, 10 qui se rendent coupables de désertion, 21 qui sont condamnés pour d'autres délits.

Enfin sur 100 militaires coupables de désertion ou condamnés à des peines emportant la déchéance du rang militaire, on trouve toujours deux tiers de remplaçants ou de substituants, et comme j'ai eu l'honneur de le dire, les remplaçants et substituants ne forment pas le tiers de l'armée.

Si nous voulons continuer cette recherche en l'appliquant à la base que j'indiquais tout à l'heure, la promotion au grade de sous-officier, je (page 613) remarque que sur 3,150 remplaçants et substituants, ii y en a 15 qui arrivent, chaque année, au grade de sous-officier, c'est-à-dire 5 par mille.

Veuillez, messieurs, tenir compte de ces deux considérations, et l'élément des remplaçants et des substituants sera jugé.

J'arrive aux miliciens. Pour ceux-là il faut se borner à les plaindre en voyant à quels éléments impurs ils sont appelés à s'associer.

Les choses en sont venues à ce point qu'au moment de l'incorporation M. le ministre de la guerre a jugé nécessaire de séparer les remplaçants et les miliciens. Les uns sont envoyés dans les dépôts, les autres sont dirigés vers le camp de Beverloo, mais cela n'est que temporaire et bientôt il faut se rejoindre dans la vie de garnison.

Là les mauvais exemples, les mauvaises leçons recouvrent tout leur empire, et nous comprenons à quelle source remontent la honte et la douleur des familles.

Voilà, messieurs, la statistique morale du système qui règne en Belgique.

Je désire l'examiner aussi au point de vue militaire ; mais dès ce moment je tiens à faire une réserve générale.

Je tiens à déclarer que personne plus que moi n'honore les vertus militaires qui sont propres à nos concitoyens. Je crois que l'on peut répéter ce que disait un vieux Gaulois : qu'il n'y a pas de grandes choses, qu'il n'y a pas de grandes luttes où le courage de nos pères n'ait à revendiquer sa part de gloire.

Ce sentiment militaire qui est propre à nos populations et qui s'est révélé dans tant de mémorables événements, qu'a-t-on fait pour le développer et le maintenir, dans notre système militaire ? Rien, absolument rien !

Nous sommes tous d'accord que l'arme de l'infanterie doit surtout prévaloir en Belgique.

Or, quelle est la durée du service de l'infanterie ? 2 1/2 ans environ.

Il en résulte qu'en moyenne ce service ne représente que quinze mois, et l'on se demande comment se développerait l'esprit militaire, qui est la première force de toute armée, l'esprit militaire qui, par les nécessités mêmes de la situation, ne peut pénétrer dans une armée où le service est renfermé dans d'aussi étroites limites ?

Voilà donc le résumé de la situation militaire. En ce qui touche les remplaçants et les substituants, nous trouvons l'indiscipline ; en ce qui touche les miliciens, dont je suis le premier à faire l'éloge, nous ne pouvons rencontrer que l'inexpérience.

A cet état de choses, quel est le remède ? La raison même l'indique. Il faut développer ce qui est bon et supprimer ce qui est mauvais.

Si vous avez un élément qui donne d'excellents sous-officiers, il faut le développer. Si, à côté de cet élément, vous avez un élément corrupteur qu'on a appelé justement la lèpre de l'armée, c'est celui-là qu'il faut faire disparaître.

Cette opinion, je la crois raisonnable. Je ne sais pas toutefois si en l'exprimant je ne serai pas accusé d'être trop novateur, mais je tiens à faire connaître à la Chambre que, dans plusieurs occasions, le gouvernement a parlé exactement comme moi.

J'ai ici sous les yeux un programme qui a été adressé par le département de l'intérieur au comité chargé de la révision de la loi du recrutement. Ce programme porte la date du 15 mars 1851.

C'était, si je ne me trompe, l'honorable M. Rogier qui à cette époque était ministre de l'intérieur, et voici en quels termes était rédigé ce programme :

« Le comité prendra pour guide cette pensée qu'il est désirable au plus haut degré que l'état militaire devienne pour le simple soldat comme pour l'officier une carrière honorable offrant des garanties d'avenir et des conditions de bien-être, et qu'un service que le milicien appelé sous les drapeaux peut regarder aujourd'hui avec raison comme une charge très onéreuse et entachée d'injustice, soit réparti de la manière la plus équitable, soit sur l'universalité des citoyens, soit sur l'ensemble de ceux qui, chaque année, sont appelés par leur âge au service éventuel de la milice. »

En présence de cette déclaration de M. le ministre de l'intérieur, je vois que, quinze jours après, le comité chargé de la révision de la loi du recrutement décide :

« Qu'il est préférable de formuler un projet de loi nouvelle qui permette d'abroger toute la législation antérieure. »

Je ne referai pas l'histoire de cette commission ni des commissions qui lui ont succédé. L'histoire des commissions est toujours très longue et très confuse.

Je ne chercherai même pas, messieurs, à raconter ce qui s'est passé dans la dernière commission, où l'on a commencé par voter à l'unanimité le principe de l'exonération, pour arriver ensuite à sacrifier toutes les questions de principes à des questions de détails ; mais il est assez intéressant de remarquer que M. le ministre de l'intérieur, qui avait expliqué en si excellents termes quelle devait être la tâche d'un autre comité de recrutement, tint à peu près le même langage au sein de cette commission nouvelle.

En effet le 12 décembre 1859, l'honorable M. Rogier se rend dans cette commission ; il y déclare qu'il est indispensable d'apporter aux lois de milice le plus d'adoucissements possible, que, bien au contraire, le projet rend ces lois plus dures et qu'il ne pourra pas se décider à défendre un projet de loi qui n'aurait pas la moindre chance d'être admis dans le pays.

Il paraît, messieurs, que les choses ont bien changé, car c'est ce même projet que l'honorable M. Vandenpeereboom, dans une de nos dernières séances, a présenté comme méritant d'être accepté avec gratitude et même avec enthousiasme par le pays.

Il y a, messieurs, entre le projet de la commission et celui qui sera porté à l'ordre du jour de la Chambre une seule différence, et je crois devoir la faire connaître, car elle touche à l'un des points sur lesquels a insisté le plus vivement M. le ministre des finances.

La commission proposait de tenir compte du service militaire en accordant une prime de rémunération calculée sur le pied de 100 fr. par année. Cette prime devait être remise au milicien : 9/10 au moment du congé illimité, 1/10 au moment de la libération définitive. A ce projet, on en a substitué un autre qui recule la rémunération jusqu'à l'âge de 55 ans et qui n'accorde rien au milicien lorsqu'il quitte les drapeaux.

Cette question, messieurs, peut être examinée à plusieurs points de vue. Au point de vue du milicien, des objections graves se présentent aussitôt. On peut se demander si tous ceux qui ont loyalement rempli leurs devoirs n'ont pas droit à la même récompense. Reculer la rémunération jusqu'à l'âge de 55 ans, est évidemment une flagrante injustice, car les statistiques du gouvernement lui-même constatent que 6/10 seulement des miliciens arrivent à l'âge de 55 ans, et dès lors l'on ne comprend pas pourquoi tous ceux qui ont loyalement achevé leur service ne seront pas rémunérés de la même manière.

Nous avons déjà aujourd'hui le hasard qui préside à l'entrée au service ; ce serait également le hasard qui présiderait, non plus au service à acquitter, mais au prix du service acquitté.

Voici du reste comment la commission nommée par le gouvernement jugeait ce système :

« Un premier point sur lequel nous avons été unanimes, c'est que la rémunération doit suivre le service d'aussi près que possible. Un avantage, même beaucoup plus grand, mais éloigné et éventuel, par exemple, une rente viagère accordée à l'âge de 55 ans, ne répondrait point au but que nous désirons atteindre. Si l'on veut apporter au système actuel de recrutement un adoucissement qui soit généralement ressenti et goûté par la population, il faut que tous ceux qui ont honorablement servi reçoivent la rémunération qui leur est réservée et qu'il puissent en jouir sans retard ; il faut qu'au service personnel se lie pour chaque milicien une compensation certaine et en quelque sorte immédiate. »

Il y a une autre considération qui a été négligée par la commission et dont cependant il faut tenir compte. A côté du milicien, il y a sa famille. Le départ du milicien est souvent une cause de ruine pour cette famille. Dès lors, n'est-il pas équitable que le milicien qui rentre dans sa famille y apporte une compensation des sacrifices que le service militaire lui a imposés ?

Je crois qu'au point de vue de l'Etat, du milicien et de la famille, la rémunération doit être immédiate ; et cette modification de la loi qui reporte la rémunération à l'âge de 55 ans, au lieu d'être une amélioration, présente une véritable aggravation.

En n'insistant pas davantage sur cette modification, il faut reconnaître que le projet de loi conserve tout ce qui existe, tout ce qu'on trouvait mauvais il y a quelques années, tout ce qu'on avait renoncé à soutenir désormais. En effet, il maintient le remplacement et continue à mettre l'un à côté de l'autre l'engagé volontaire, que son zèle patriotique et sa vocation spéciale appellent dans les rangs de l'armée et ces hommes méprisables et méprisés dans tous les pays, qui se vendent à deniers comptants.

Le projet de loi actuel maintient la même durée de service, cette durée qui n'offre chez les uns aucun élément d'esprit militaire, chez les autres aucune garantie d'instruction.

Dans presque tous les pays de l'Europe, il y a aujourd'hui des exemptions en faveur des jeunes gens qui, à un âge peu avancé, font connaître une aptitude extraordinaire, et dont on peut attendre de précieux (page 614) services dans la carrière des sciences, des lettres et des arts. Une disposition de ce genre n'a pas été introduite dans le projet de loi actuel ; elle existe en France, en Autriche, et ailleurs encore ; on n'a pas songé à en faire profiter la Belgique.

Messieurs, nous sommes en droit de dire que le projet actuel est plus dur que la loi de 1817 qui nous régit aujourd'hui. Que voyons nous dans la loi de 1817 ? L'engagement volontaire placé en première ligne, et à défaut de l'engagement volontaire, le tirage au sort ; dans le projet de loi, au contraire, c'est le tirage au sort qui est placé en première ligne ; et tandis qu'en Hollande, il y a peu d'années, un amendement de l'honorable M. Thorbeke, qui consistait à maintenir l’engagement volontaire en première ligne, a été voté à la presque unanimité par les états généraux, en Belgique on propose de décider que la recrutement par la voie du tirage au sort formera la première base du système militaire.

Il y a bien mieux encore. Alors que dans tous les autres pays, on attache la plus grande importance au recrutement par voie des engagements volontaires, on cherche en Belgique à les décourager et à les supprimer, et l'engagement spontané se trouve formellement exclu du droit à la rémunération.

N'ai-je pas le droit de dire, avec l'honorable M. Forgeur, que le projet de loi actuel n'est qu'un replâtrage de ce que le pays a subi trop longtemps ?

J'ai examiné la situation des choses, et j'ai dit pourquoi nous combattions le projet du gouvernement : il me reste à faire connaître ce que nous voudrions y substituer.

J'indique d'abord, d'une manière générale, mon point de départ. Le principe sur lequel repose mon argumentation, on le retrouvera dans tous les développements auxquels je me livrerai tout à l'heure ; c'est, d'une part, l'amélioration des éléments constitutifs de l'armée ; d'autre part, l'allégement des charges des populations et la diminution des dépenses.

Il y a, messieurs, au point de vue de la constitution de l'armée, une grande réforme à introduire, une réforme féconde et sans danger, déjà réalisée dans la plupart des pays de l'Europe, je veux parler de la division de l'armée en armée active et en armée de réserve.

Napoléon, du haut du rocher de Sainte-Hélène, avait déclaré que peu d'années ne s'écouleraient pas sans que ce système d'organisation fût adopté dans toute l'Europe. Les maréchaux qui avaient survécu aux grandes guerres de l'Empire cherchèrent à l'introduire dans les conseils de la Restauration ; mais ce fut seulement quelques années plus tard, lorsqu'une pléiade de brillants généraux se fut formée sous le ciel brûlant de l'Afrique, que cette question fut reproduite, et de ce jour elle ne fut plus abandonnée.

Le maréchal Bugeaud la porta à la tribune française ; elle fut reprise dans les discussions des chambres et développée par les organes spéciaux de la publicité militaire.

Voici comment une revue qui jouit d'une grande autorité, le Spectateur militaire développait ces considérations : « Une armée n'est pas forte parce qu'elle est nombreuse ; une armée n'est forte que par la nature et la valeur de ses é'lments, par sa discipline et son instruction militaire. La loi de 1832 (la loi française de 1832 reproduisait presque toutes les dispositions de notre législation actuelle, notamment pour la formation de l'armée de réserve, qui se composait également, en France, de soldats congédiés et rappelés au service), la loi de 1852 ruine le pays en lui imposant en temps de paix le poids d'une armée insuffisante au jour du besoin... En jetant dans l'armée une masse de recrues qui y restent si peu, qu'ils ont cessé d'être des soldats avant d'avoir cessé d'être des paysans, cette loi est la ruine de la tradition, de la discipline, de l'esprit militaire... Le problème que chaque nation a à résoudre aujourd'hui, c'est de constituer l'armée de manière que toujours forte, instruite, exercée et surtout toujours disponible en cas de guerre, elle ne soit pas, en temps de paix, trop onéreuse pour le trésor public. L'organisation perfectionnée des réserves peut seule conduire à la solution de cette grave question. »

Je crois, messieurs, que nous sommes tous d'accord sur ces principes, qui conviennent à la Belgique encore mieux qu'à la France.

Ce fut sous l'influence de cette discussion, de cette nécessité reconnue de toutes parts, que fut présentée la loi de 1855, cette loi qui, selon l'exposé des motifs du projet qui vous est soumis, a donné à la France une organisation qui fonctionne si admirablement.

Or, que contenait l'exposé de la loi de 1855 ? Et ici encore nous pouvons revendiquer pour la Belgique les heureuses modifications qu'elle faisait espérer à la France,

« Il importe essentiellement que la législation permette de maintenir sous les drapeaux un noyau de vieux soldats qui puissent servir aux recrues de modèle et de point d'appui, et sans lesquels il ne saurait y avoir ni véritable armée, ni esprit militaire. Cet élément de force, si essentiel pour le temps de guerre, n'aurait pas moins d'importance pour le temps de paix, car il permettrait de satisfaire aux besoins d’économie qui se produisent toujours à ces époques, en entretenant toujours un effectif moindre et en compensant la quantité par la qualité. Ce serait aussi un moyen assuré d'être toujours en mesure de passer rapidement du pied de paix au pied de guerre : car les réserves fussent-elles composées, comme aujourd’hui, de jeunes soldats n’ayant jamais servi, trouveraient au jour de leur incorporation des cadres susceptibles de s’élargir et de s’étendre sans affaiblir la force et la solidité de l’ensemble. On arriverait donc à une solution indirecte peut-être, mais satisfaisante, de la question de la réserve, débattue depuis si longtemps et succombant toujours sous les charges financières qui en ont paru inséparables jusqu’ici. »

Plus loin, après quelques chiffres destinés à établir qu'il n'y avait à cette époque dans l'armée française que 13 p. c de soldats ayant environ sept ans de services, on lit encore :

« Si, à un effectif formé de tels éléments et composé en très grande partie de soldats ayant de 1 à 6 ans de service, on joint la réserve qui ne compte que des jeunes gens n'ayant jamais servi et quelques soldats en congé illimité, on aura une idée de l'ensemble de notre état militaire, tel qu'il résulte du manque de lois constitutives, sans lesquelles il ne peut exister de bonne organisation pour une armée. C'est cette lacune que le projet de loi a eu en vue de combler, en cherchant à développer le rengagement et en le prenant pour base fondamentale du nouveau mode de remplacement qu'il se propose d’établir. Là substitution du rengagement au remplacement aurait ce double avantage de donner à l'armée des remplaçants de moins et des vieux soldats de plus.

« Cette loi met fin à ce trafic honteux que l'opinion publique a stigmatisé du nom de traite des blancs.

« Elle protège les petites fortunes en abaissant le taux du remplacement.

« Elle est favorable aux populations en leur créant de grandes facilités d'exonération, et en donnant la faculté de diminuer, en temps de paix, le nombre des hommes appelés sous les drapeaux.

« Elle fait de l'état militaire une profession : elle constitue la carrière et assure l'avenir du sous-officier et du soldat.

« Elle retient sous les drapeaux un noyau d'anciens soldats, rompus aux fatigues et aux exercices, et constitue, par les avantages qu'elle leur assure, une véritable armée et un véritable esprit militaire.

« Elle facilite la solution de la question, si longtemps débattue, de la réserve et du passage du pied de paix au pied de guerre.

« Elle donne à l'Etat les moyens de récompenser d'une manière plus juste et moins parcimonieuse la vie de privations du sous-officier et du soldat. »

Si je ne me trompe, cet exposé de la loi française de 1855 répond assez exactement à notre programme, et si cette réforme était jugée utile et possible en France, pourquoi ne pourrait-elle pas se réaliser en Belgique ?

Ce système n'est pas seulement appliqué en France ; il a été adopté dans presque toute l'Europe ; il a été imité en Autriche et dans la Confédération germanique ; il fonctionne en Espagne, on ne tardera pas à l'introduire en Prusse ; partout on en a reconnu les avantages, partout on en préconise les bienfaits.

Tout à l'heure, messieurs, le mot « économie » s'est trouvé dans le texte dont j'avais l'honneur de donner lecture à la Chambre. Je tiens, à ce sujet, à rencontrer une observation qui m'a été adressée. M. le ministre des finances a dit que je pouvais apporter de fort belles théories, mais qu'elles coûteraient extrêmement cher au pays, qu'il en résulterait des charges énormes pour le budget ! On oublie que la rémunération, dans mon système, est formée par le produit des exonérations, et j'ai la conviction que les exonérations suffiront pour former la caisse de la rémunération ; mais dans le système de la pension de 55 ans, recommandé par M. le ministre des finances, quel serait le résultat pour le budget ?

La statistique nous apprend que 5 mille miliciens environ auront droit à la pension, et elle serait de 150 francs par année ; la statistique établit également que ia moyenne de la vie à 55 ans est de 17 ans ; si nous multiplions le chiffre de 150 francs par 5 mille miliciens en supposant qu'ils vivent 17 ans, nous arrivons à ce résultat que chaque levée annuelle produit pour le budget une charge de 12 millions 750 mille fr.

Je comprends que pour former longtemps d'avance la caisse de (page 615) rémunération, une somme sera portée chaque année au budget dans cette prévision, parce qu'un laps de temps fort long s'écoulera avant que nos miliciens d'aujourd'hui aient atteint l'âge de 55 ans ; mais je suis d'avis que les capitaux que vous accumulerez ainsi, seraient bien plus féconds, s'ils restaient livrés à l'activité publique que si vous les immobilisiez dans la caisse de l'Etat.

Enfin il faut prévoir ce qui arrivera dans trente ans. Le budget sera alors grevé de près de 13 millions par année, et il y aura là pour les revenus publics une charge redoutable dont M. le ministre des finances n'a peut-être pas apprécié toute l'importance.

Messieurs, le but que je cherche à atteindre est celui-ci : je veux faciliter l'exonération ; je veux que la rémunération encourage le service prolongé et sérieux ; il faut que la rémunération soit le prix des loyaux services de quelques-uns ; il faut que l'exonération soit à la portée de la grande majorité de la nation.

J'ai entendu reprocher au système français de ne favoriser que les grandes fortunes. L'objection est grave et je ne veux pas la repousser ; la France est un grand pays qui a pu promettre très sincèrement les améliorations complètes annoncées en 1855 ; mais il résulte des complications politiques qu'elle ne réalise pas toujours à l'heure indiquée les réformes qu'elle veut introduire. Je tiens, toutefois, à faire remarquer que dans la session de 1863, M. Josseau, rapporteur de la commission du Corps législatif, a reconnu que le but qu'on s'était proposé ne serait pas atteint tant qu'on maintiendrait le chiffre actuel de l'exonération. Voici comment il s'exprimait :

« Nul n'a oublié qu'en présentant cette loi (la loi de 1855), le gouvernement a promis de favoriser les combinaisons financières qui auraient pour objet d'alléger au profit des classes peu aisées le poids de l'exonération. Nous devons ajouter qu'ayant appelé sur ce point la sollicitude de MM. les commissaires du gouvernement, nous avons obtenu d'eux l'assurance qu'il serait, de la part de l'administration, l'objet d'un sérieux examen. »

Plus récemment le gouvernement a annoncé l'intention de se rapprocher des véritables principes de la loi de 1855 qui doit être surtout favorable, comme le portait l'exposé des motifs, aux petites fortunes.

Il convient aussi de ne pas perdre de vue le caractère de la rémunération dans la loi de 1855 et de déterminer le but du gouvernement français qui est non seulement de récompenser les services, mais aussi de multiplier les engagements et les rengagements volontaires.

Il est assez important de remarquer que tandis que le gouvernement belge paraît craindre beaucoup les engagements volontaires, en France, il en est tout autrement.. Dans une discussion à l'assemblée législative, M, de Belleyme s'exprimait en ces termes :

« Comparez maintenant une armée formée avec des hommes qui sont soldats provisoires et en passant, qui n'ont pas avec leurs officiers la solidarité et l'homogénéité de gens appelés pour longtemps au même état et aux mêmes chances ; qui, en exposant leur vie, font un acte de dévouement et d'abnégation d'autant plus héroïque qu'il est stérile pour eux ; comparez une semblable armée à une armée composée d'hommes voués à la carrière des armes, l'ayant embrassée volontairement, en ayant le goût et la vocation, sans esprit de retour dans le foyer et dans le repos de la famille, vivant de la vie militaire, y trouvant une existence et un avenir qui leur conviennent, et acquérant ainsi, par le perfectionnement de chaque soldat et par le perfectionnement d'un ensemble dont toutes les parties sont choisies, cette valeur physique et morale qui constituerait le plus haut degré possible de la force militaire. »

M. le général Allard, organe habituel du gouvernement français, prenant la parole après M. de Belleyme, proclamait « qu'il était de l'intérêt de l'Etat d'avoir un grand nombre d'engagés volontaires et qu'il était naturel qui la loi leur offrît un avantage spécial. »

Il y a quelques semaines à peine, dans la discussion du mois d'avril 1864, M. le général Allard, prenant de nouveau la parole, disait :

« Jamais, je le déclare, jamais armée ne s'est trouvée dans de meilleures conditions de force et de solidité... La loi de 1855 a réalisé complètement de bonnes conditions pour l'armée et a répondu complètement à toutes les exigences et à tous les intérêts des familles. »

Pourquoi, en Belgique, messieurs, serions-nous plus sévères ? Dans toutes les pages de nos annales, c'est l'engagement spontané qui a fait toutes les grandes choses. Depuis nos milices communales qui ont défendu le sol de la patrie jusqu'aux bandes de Charles-Quint, jusqu'aux gardes wallonnes, jusqu'aux régiments autrichiens, c'est partout par l'engagement volontaire qu'ont été formés ces corps d'armées qui ont fait la gloire de notre histoire militaire. Je ne crois pas qu'en Belgique nous ayons le droit de répudier ces souvenirs.

Je ne voudrais pas, messieurs, abuser de l'attention de la Chambrai mais je tiens cependant à mettre sous ses yeux quelques chiffres.

Qu'est-il arrivé en France sous l'empire de la loi de 1855 ?

Quelle est, en 1862, l'organisation de l'armée ? La voici.

En 1862, l'armée française compte :

27 1/2 p. c. de rengagements.

17 1/2 p, c. d'engagements.

10 p. c. de remplacements administratifs.

45 p. c. de miliciens.

De sorte que les miliciens ne forment pas la moitié de l'armée.

Dans la discussion du mois d'avril dernier, à laquelle je faisais allusion tout à l'heure, le général Allard déclarait que dans la situation actuelle des choses le gouvernement pourrait se borner à l'avenir chaque année à un appel de 24,000 hommes par la voie du sort sur 312,000 inscrits, tandis qu'en Belgique il y a 7,000 miliciens qui marchent malgré eux sur 14,500 inscrits.

En France il y en a moins de 8 p. c. et en Belgique plus de 15 p. c, à peu près le double.

Mais quelle n'est pas la différence entre les deux pays ? L'existence de la Belgique repose sur la neutralité. La France, au contraire, est une puissance militaire, à laquelle aucune autre ne se compare dans le monde.

Dites-nous dès lors si en Belgique on ne peut pas faire autant qu'en France pour l'allégement du service militaire !

Dites nous si ces différences si considérables peuvent s'expliquer et se justifier !

Ce que je demande, messieurs, le voici :

Je demande que la Belgique ait une armée permanente formée par le rengagement et par l'engagement contracté pour une période de 8 années, le nombre des rengagés et des engagés étant fixé à 8,000 par la loi annuelle du contingent.

Je demande qu'à côté de l’armée permanente il existe une armée de réserve formée, comme la réserve française, par un système qui n'a rien d'onéreux pour les populations et qui, d'après l'expression du Spectateur français, donne à la réserve de ce pays un aspect formidable. Vous savez, messieurs, que ce système consiste dans une simple instruction militaire d'environ 6 mois répartis en 3 années.

Je demande en second lieu que cette réserve soit soutenue par les gardes civiques mobilisables.

Je veux l'exonération très basse ; je veux la rémunération élevée, je demande l'exonération avant le tirage à 250 francs, et je place en regard la rémunération formée du produit de l'exonération qui offrira 2,000 fr. aux rengagés et aux engagés ; un peu plus aux premiers, un peu moins aux seconds ; et voici comment je justifie ce chiffre. Il y a environ 45,000 inscrits, et parmi ces inscrits se trouvent 4,600 indigents. J'ai la conviction, fondée sur de nombreuses investigations, que sur les 40,000 inscrits non indigents, 32,000 s'exonéreront. 32,000 exonérations à 250 francs produiront annuellement 8 millions, soit 2,000 francs pour 4.000 rengagés et engagés. Je demande de plus qu'en Belgique aussi bien qu'en France et en Autriche, une disposition formelle de la loi assure aux anciens militaires le droit d'être préférés dans l'admission à un grand nombre d'emplois publics.

L'exonération sera payée avant le tirage ; elle sera décuplée après, même pour ceux qui allégueraient des infirmités physiques, à moins qu'ils n'appartinssent aux classes indigentes.

Quant à la rémunération, voici comment je la comprends. Elle produit un intérêt qui servira de haute solde. Une partie peut en être remise dès l'entrée au service, de l'avis des autorités communales, si l'engagé laisse derrière lui au foyer domestique un père ou une mère âgés, des frères ou des sœurs en bas âge.

La rémunération se perd en cas de condamnation, et ici encore, elle servira à maintenir la discipline, à encourager la bonne conduite. A la fin du service, elle sera remise à l'engagé ; mais en certains cas, de l'avis des chefs de corps, elle pourra être convertie, pour un laps d'années plus ou moins long, en une rente annuelle. Ce cas sera toutefois fort rare, et je redoute peu l'hypothèse sur laquelle a insisté M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il nous montrait l'engagé dépensant en quelques heures au cabaret le prix de la rémunération. M. le ministre de l'intérieur n'a pas remarqué qu'il ne faut pas confondre nos miliciens actuels et les soldats qui pendant une vie militaire de huit années se seront pénétrés de tous les sentiments d'ordre et de discipline. En France, on a constaté avec bonheur que pour le soldat qui par un long et loyal service avait protégé les biens de tous, la rémunération était le moyen d'arriver lui-même à la propriété, et le prix du service militaire concourt ainsi au développement de la richesse publique.

(page 616) J'ai entendu, messieurs, faire quelques objections au système que j’expose peut-être trop rapidement, mais je tiens à ne pas abuser des moments de la Chambre,

On m'a dit d'abord : Vous touchez à l'organisation de l'armée quand vous parlez d'armée permanente et de réserve.

A cela je réponds : Une loi a fixé les cadres de l'armée.et je m'enferme strictement dans les limites de cette loi.

Je réponds encore que dans le projet de loi qui nous est soumis on prévoit la formation d'une réserve formée de soldats congédiés.

Mais si je ne veux pas de cet élément, si je crois qu'il ne faut plus arracher du foyer domestique le soldat rendu à ses occupations et rentré dans la vie de la famille, il faut bien que j'y substitue autre chose et que je m'occupe de l'organisation de la réserve. Peut-il toutefois exister là quelque témérité de ma part, et n'a-t-on pas toujours compris que l'organisation de la réserve se liait aux dispositions de la loi sur la milice ?

En effet, en 1851, M. le ministre de la guerre transmit au comité de recrutement la déclaration suivante :

« Considérant que les armées de réserve sont adoptées par toutes les nations de l’Europe, je me rallie, quant à présent, à l’opinion affirmative émise à cet égard, par les généraux réunis en commission, en 1842. »

Il n'y a donc, à cet égard, aucune témérité de ma part.

Mais il y a une objection bien autrement grave et sérieuse. On m'a dit souvent : Où trouverez-vous 4,000 rengagés et engagés, et si vous ne les trouvez pas, que ferez-vous ?

Messieurs, je répondrai par des chiffres.

La rémunération n'existe en France que depuis une période assez courte ; il n'y a pas dix années qu'elle y a été introduite. Mais à une époque où l'engagement ne conduisait pas en France à la rémunération, ou la situation était exactement la même en France et en Belgique, on a fait des relevés statistiques et l'on a constaté que le nombre des engagés volontaires était exactement le même dans les deux pays. Eh bien, nous pouvons en conclure que lorsque la rémunération existera au même titre dans les deux pays, la proportion sera de nouveau la même.

Or, en 1861, il y a eu en France 42,271 rengagés et engagés, et en appliquant ce calcul à la Belgique, nous en trouvons pour notre pays 5,410. Il y en aurait donc un quart de trop ; car je n'en demande que 4,000.

Néanmoins, si l'on persistait dans cette objection, si l'on tenait à me dire : Il vous en manquera 200, 300, 400 peut-être, je répondrai immédiatement que cette difficulté a été prévue par une solution que je revendique et dont je me fais honneur.

Je crois, messieurs, que dans une nouvelle législation sur la milice, il faudrait proclamer un grand principe : c'est que les exemptions légales ne doivent profiter qu'à ceux qui en ont véritablement besoin. L'exemption légale doit toujours reposer sur cette présomption que le fils est le soutien de la famille ; il faut, selon moi, la réserver désormais en entier aux classes indigentes.

Eh bien, s'il arrive que vous demandiez au tirage au sort 200, 300, 400 miliciens pour compléter l'armée permanente, dans ce cas-là encore, il arrivera que sur les 12,000 inscrits qui ne se sont pas exonérés, ce ne seront pas les 6,000 plus pauvres qui souffriront le plus, parce qu'ils seront protégés par le bénéfice des exemptions légales ; ce seront les 6,000 personnes aisées qui n'auront pas voulu recourir à l'exonération.

Mais on me dit encore : S'il y a 40,000 exonérations, que ferez-vous ? Cette objection me touche peu. S'il y avait 40,000 exonérés qui, chaque année, verseraient au trésor une somme de 10 millions, dans ce cas, ce n'est pas 4,000, c'est 6,000 engagés volontaires que nous trouverions parmi les jeunes gens qui aujourd'hui cherchent inutilement une carrière.

Je ne rencontre plus qu'une seule objection et celle-là m'est toute personnelle. M. le ministre des finances assure que je serais probablement très embarrassé, si je devais trouver un ministre de la guerre pour mettre un pareil système à exécution.

Je reconnais moi-même trop volontiers mon incompétence pour ne pas déclarer que j'ai cherché, dans une question aussi difficile, à m'entourer de beaucoup de lumières. J'ai vu beaucoup de généraux. J'ai eu même l'honneur de recueillir les observations d'un ancien ministre de la guerre et pour me justifier complètement, je demande la permission d'en lire quelques lignes à la Chambre :

« 4,000 hommes entrant sous les drapeaux chaque année pour 8 ans produisent un effectif de 32,000 hommes, qu'il faut diminuer de 8 fois le chiffre de la mortalité annuelle ; mais pour avoir, avec ce recrutement, l'effectif exact qu'on obtiendra, il faut ajouter les cadres d'officiers, etc., qui faisant tous beaucoup plus de 8 ans de services sont, dans toutes les armées, comptés en sus de ce que produit le recrutement annuel. Il est certain que le résultat de ce calcul conduira à un effectif entretenu qui dépassera de beaucoup 32,000 hommes.

« L'armée composée de soldats qui font tous huit ans sous le drapeau serait infiniment supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui et donnerait à la Belgique un noyau de première qualité, surtout si l'on avait soin d'y appeler les excellents soldats que la Belgique envoie chaque année en Algérie.

« Il ne reste donc plus à M. Kervyn, pour compléter son remarquable système, qu'à chercher la composition de son armée de réserve...

« Peu importe à mes yeux, au point de vue militaire, le combinaison financière du projet. Le point capital que j'y trouve, c'est de donner à la Belgique un noyau de 28,000 à 30,000 soldats (sans les cadres) et de pouvoir, pour le temps de guerre, jeter dans ce noyau 50,000 conscrits... Cette combinaison, qui découle du projet, aura l'immense avantage politique d'abolir, pour ainsi dire, la conscription. »

Le ministre de la guerre qui me transmettait cette note, c'est celui qui a introduit en France le double principe de l'exonération et de la formation de la réserve. C'est celui qui, voulant comme nous la bonne organisation de l'armée et la réduction des dépenses, disait en 1849, à l'assemblée nationale :

« Il résulte de ce projet, par rapport au budget du gouvernement de juillet, une économie de 20 millions ; sur le budget proposé pour 1849, une réduction de 40 millions ; et sur les dépenses faites en 1848, une diminution de 140 millions... Vous craignez de voir vos finances plier sous le poids des charges de l'Etat. Nous vous offrons le moyen de réduire vos dépenses sans diminuer vos forces. »

Messieurs, il y a des suffrages qui encouragent dans la tâche la plus laborieuse ; je dois compter celui-ci au premier rang.

Ainsi, messieurs, pour me résumer, voici la question telle qu'elle est posée : Voulez-vous le maintien du remplacement ? Evidemment vous ne le voulez pas. Que voulez-vous y substituer ? Voulez-vous une prime pour un service insignifiant de deux ans et demi ? Voulez-vous au contraire une rémunération considérable pour un service prolongé qui sera utile au pays ? Voulez-vous enfin introduire l'exonération ? Mais évidemment vous y serez conduits par la force même des choses. Il n'y a plus en Europe un seul pays où l'exonération n'ait pénétré ou ne pénétrera dans un délai rapproché, et le jour où il faudra l'admettre, voici quel est le dilemme qui se posera inévitablement : Choisissez entre un privilège et une mesure d'utilité à peu près générale, voyez si vous voulez établir l'exonération au profit de la richesse ou en faveur de l'aisance ! Evidemment en Belgique plus qu'ailleurs, dans un pays où nous voulons l'égalité du plus grand nombre devant la loi, c'est au profit de l'aisance et non au profit de la richesse qu'il faudra voter l'exonération.

C'est donc là une question urgente, une question qu'il faut résoudre dans l'intérêt des populations qui réclament si impatiemment cette solution depuis un grand nombre d'années.

Permettez moi donc, messieurs, de persister dans un ordre d'idées que j'ai exposé aujourd'hui trop incomplètement, et que je crois bon pour l'armée et meilleur encore pour le pays. Permettez-moi aussi de penser qu'en le portant à cette tribune, j'ai rempli un devoir.

Cette conviction m'a soutenu dans toutes mes recherches, dans toutes mes paroles. Je sais combien de pleurs le tirage au sort fait couler chaque année dans les familles, et j'ai sans cesse leurs douleurs devant les yeux, lorsque je cherche à les soulager au moins dans l'avenir.

Ce que nous savons moins, mais ce que toutefois il ne faut pas non plus perdre de vue, c'est ce que le tirage au sort coûte chaque année à l'Etat quand il vient rompre tant de carrières utiles et parfois même des carrières qui eussent pu être éclatantes et glorieuses.

Enfin, au-dessus de cette discussion, et je vous le rappelle en terminant, il y a un grand principe qu'il ne faut pas méconnaître, et auquel il faut rendre hommage ; car il appartient à la fois à notre temps et à notre civilisation ; c'est que si, au jour du péril, nous sommes tous tenus de verser notre sang pour le salut de la patrie, en temps de paix, chaque citoyen ne relève que de lui-même, lorsqu'il embrasse une carrière dans le plein exercice de sa raison et de sa liberté.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je ne veux pas entrer dans la discussion que vient de soulever l'honorable M. Kervyn de Lettenhove ; je ne suis pas préparé et je ne pense pas que ce soit le lieu ni l'occasion d'aborder cette discussion. Mais je tiens à constater une chose : l'honorable M. Kervyn a réclamé pour la droite exclusivement les idées qu'il vient de développer. Or, depuis 20 ans et davantage l'école économiste a soutenu les mêmes idées, a soutenu l'idée que les populations ne devaient pas être soumises, forcément à adopter le métier des armes plutôt que tout autre métier, et elle a proposé à différentes reprises des (page 617) systèmes plus ou moins pratiques, plus ou moins acceptables dont la discussion sera opportune, je pense, lorsque nous nous occuperons de la loi proposée par le gouvernement.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, j'ai reconnu que les idées que je soutiens ont trouvé, sur les bancs de la gauche aussi bien que sur les bancs de la droite, d’honorables défenseurs ; j'ai constaté seulement que c'est l'opinion conservatrice qui la première les a fait figurer dans un programme de gouvernement.

MfFOµ. - Tout le monde, assurément, rendra hommage aux sentiments qui inspirent l'honorable M. Kervyn. Chacun doit reconnaître que les modifications qu'il propose d'introduire dans notre système de milice lui sont inspirées par les intentions les plus louables, par le désir d'améliorer une situation qu'il n'est pas le seul à considérer comme défectueuse.

En théorie, chacun s'associera donc à sa pensée. Mats il s'agit de savoir si le système nouveau préconisé par l'honorable membre pourrait conduire aux résultats qu'il s'imagine obtenir.

Or, messieurs, le moment n'est pas venu d'examiner d'une manière approfondie, toutes les questions qui se rattachent à la législation sur la milice ; mais je crois pouvoir démontrer en quelques mots que le système de l'honorable M. Kervyn entraînerait une notable aggravation des charges que la milice fait peser actuellement sur le pays.

L'honorable M. Kervyn a surtout en vue de constituer une armée de volontaires. C'est là le but principal qu'il se propose d'atteindre, et qu'il doit même forcément atteindre pour qu'il puisse faire l'application des idées qu'il a émises dans le projet dont il vient d'entretenir la Chambre.

Ici, messieurs, se présente une question purement militaire, que je suis parfaitement incompétent à traiter. Mais mon honorable collègue de la guerre vous démontrera non seulement que la constitution d’une armée de volontaires est chose absolument impossible en Belgique, mais que le nombre de volontaires nécessaires à la constitution d’une pareille armée fût-il même obtenu, nous n’aurions pas encore une armée telle qu’elle pût suffire à la défense du pays.

Supposons, en effet, messieurs, que nous parvenions à engager 25,000 volontaires, que nous devrions conserver constamment sous les armes ; n'est-il pas évident que ces 25,000 volontaires ne constitueraient pas une armée suffisante pour assurer la défense nationale ?

Il faut donc nécessairement trouver une combinaison qui nous permette d'avoir une armée beaucoup plus considérable, et c'est pour cela que, se présentât-il un nombre de 25,000 volontaires, chiffre qui, d'ailleurs, ne sera jamais atteint, les nécessités de la défense du pays nous obligeraient d'en refuser une grande partie, afin de pouvoir encadrer dans les rangs de l'armée active, sur le pied de paix, les miliciens qui doivent compléter cette armée en cas de guerre.

Dans le système que propose l'honorable M. Kervyn (et je me borne, quant à présent, à signaler quelques-uns des inconvénients qu'il présente), dans ce système, dis-je, il y a une armée active et une armée de réserve. La première se composerait d'engagés et de rengagés, et, en cas d'insuffisance, elle serait complétée par la conscription. C'est bien là, je pense, ce que propose l'honorable M. Kervyn. (Affirmation.) Eh bien, je n'hésite pas à soutenir que c'est la conscription qui dominera dans notre pays, parce que, selon moi, ce serait une grande illusion que de croire que nous pourrions avoir en Belgique un nombre de volontaires proportionnellement aussi considérable qu'en France,

En France, où l'esprit militaire est développé au plus haut point, où l'état militaire est une véritable carrière, où il a de grandes perspectives, des horizons immenses, par suite de guerres et d'expéditions fréquentes qui expliquent bien des illusions, je comprends que, dans de pareilles conditions un nombre assez considérable de volontaires se présentent chaque année pour embraser la carrière des armes. Mais supposer qu'en Belgique, où les conditions sont tout autres, on parviendra à recruter, proportionnellement, autant de volontaires qu'en France et baser tout un système sur une supposition aussi peu rationnelle, je dis, messieurs, que c'est là une véritable utopie.

C'est donc la conscription qui dominera dans notre pays pour constituer et l'armée active et l'armée de réserve. Or, que fait l'honorable M. Kervyn dans son système ? Il crée une armée de réserve qu'il compose d'hommes n'ayant qu'un service extrêmement limité. Mais comment agit-il à l'égard des miliciens qu'il incorpore dans l'armée active ? Pour ceux-là, messieurs, il double, il triple même les charges du service militaire tel qu'il existe aujourd'hui, puisque ces miliciens devront rester sous les armes pendant un terme de huit années consécutives !

Ainsi, messieurs, nous avons eu raison de dire que les charges du service militaire seraient considérablement aggravées par le système de l'honorable M. Kervyn. (Interruption.)

M. Mullerµ. - Le système de l'honorable M. Kervyn offre bien d'autres inconvénients.

MfFOµ. - Oh ! il y a un nombre considérable d'objections à présenter contre ce système. Mais je ne suis pas le moins du monde préparé à cette discussion ; je me borne uniquement à signaler les défectuosités que mes souvenirs me rappellent. J'ai eu soin de méditer aussi la proposition de M. Kervyn ; elle est, je le répète, inspirée par d'excellents sentiments ; nous voudrions pouvoir réaliser ses idées ; mais, malheureusement, nous ne les croyons pas réalisables.

Voilà donc quant aux charges qui pèseraient sur le milicien. Je crois avoir prouvé que ces charges seraient considérablement aggravées, comparativement à ce qu'elles sont aujourd'hui.

Quant aux charges financières, je dis qu'elles seraient énormes. L'honorable M. Kervyn, pas plus qu'aucun de nous, n'a le moyen de trouver des ressources pour payer les indemnités qui seraient le prix du service militaire. Il faut bien que ce soit le pays qui supporte cette charge, entièrement nouvelle. (Interruption.) Que ce soit par l'impôt ou que ce soit par la taxe d'exonération qu'il a indiquée, c'est toujours le pays qui payera. Or, de combien sera cette charge dans le système de l'honorable M. Kervyn ? Mais il l'estime lui-même à 6,400,000 francs ! C'est donc bien une charge plus considérable que celle qui existe aujourd'hui.

M. Coomans. - Les miliciens payent aujourd'hui aussi. Ils payent de leur temps.

MfFOµ. - La question de temps, nous en parlerons une autre fois, quand nous examinerons les divers services qui sont réclamés des miliciens. Là n'est pas la question ; nous parlons de la somme qu'il faudra verser au trésor et qui n'y est pas versée aujourd'hui, somme qui est nécessaire pour satisfaire aux obligations que crée le système de l'honorable M. Kervyn.

M. Coomans. - Il y a aujourd'hui des marchands d'âmes.

MfFOµ. - Cela n'a pas de rapport avec la question que je traite. (Interruption.) Mais permettez donc ! Puis-je tout dire en même temps ?

Je le répète, la question financière est la seule dont je m'occupe pour le moment. L'honorable M. Kervyn dit : « Nous assurons à tous ceux qui serviront dans l'armée active une rémunération nouvelle, qui n'existe pas aujourd'hui ; elle entraînera une dépense de 6.400,000 fr. » Comment l’honorable membre obtient-il cette somme ? il l'obtient au moyen de versements, dont la quotité est déterminée par son projet, à effectuer par ceux qui demanderont à être exonérés du service militaire.

Mais l'honorable M. Kervyn se trompe complètement sur le nombre des personnes qui peuvent payer le prix de l'exonération ; ce nombre est beaucoup moindre que celui qu'il a indiqué ; les bases d'appréciation dont il s'est servi sont erronées. D'où il suit qu'il faudra des impôts pour subvenir à cette charge. (Interruption.) L'honorable M. Kervyn prévoit lui-même cette éventualité dans son projet. Il dit, en effet :

«Si le produit des diverses exonérations ne suffisait pas pour assurer la rémunération due à l'armée active (on ne parle pas de l'armée de réserve), il y serait pourvu par les ressources ordinaires de l'Etat, ou, en cas d'insuffisance, par des centimes additionnels sur les diverses branches de l'impôt. »

M. Kervyn de Lettenhove. - Dans le cas !

MfFOµ. – Sans doute, ce n'est qu'une éventualité, selon vous. Mais je crois, pour ma part, que c'est une certitude. Vous dites que probablement, l'éventualité ne se réalisera qu'à concurrence de quatorze à dix-huit cent mille francs ; vous supposez donc dès à présent une insuffisance assez notable.

M. Kervyn de Lettenhove. - Vous combattez un projet qui a déjà quelques mois de date ; depuis, j'ai réuni de nouveaux documents, et, dans ce moment, j'ai la conviction que le produit sera bien supérieur à celui que j'ai indiqué autrefois.

MfFOµ. - Je discute le projet que vous avez présenté ; il m'est impossible de raisonner sur qui m'est inconnu.

M. Mullerµ. - Le discours de l'honorable M. Kervyn n'a rien de chance au système qu'il a soumis à la section centrale.

MfFOµ. - Je n'ai entendu qu'une partie du discours de l'honorable M. Kervyn ; et je n'y aï rien trouvé qui fût contraire à ce qui est énoncé dans son projet.

(page 618) Il y aura donc a subvenir à une charge nouvelle ; il faudra des impôts pour payer la rémunération. (Interruption.)

Certainement, on aura soin de dire : « Aujourd'hui aussi il y a des charges ; on paye un remplaçant ; c'est une charge que le pays subit ; qu'on fasse disparaître le remplaçant, et qu'on établisse l'exonération, on versera dans les caisses de l’Etat le prix de cette exonération, et l’Etat se chargera de payer les indemnités pour le service militaire. »

Mais les conditions que vous établissez pour qu'on puisse s'exonérer, outre qu'elles sont obligatoires, point très important sur lequel j'appelle l'attention de la Chambre, sont aussi plus dures que les conditions purement facultatives résultant du contrat de remplacement. Vous obligez a payer anticipativement des rémunérations que les particuliers sont exposés à perdre complètement dans une foule d'hypothèses ; et, par conséquent, les charges de ce chef sont encore notablement aggravées pour les particuliers.

L'honorable M. Kervyn prétend que son système d'exonération est plus favorable aux familles que le système d'indemnité que nous avons proposé. Au commencement de son discours, il a surtout insisté sur cette considération.

Eh bien, messieurs, quoique le moment ne soit pas venu d'entrer dans cette discussion, l'honorable membre me paraît apprécier très mal la proposition que nous avons soumise à la Chambre ; il l'apprécie comme l'ont appréciée, je le reconnais, la plupart des membres de la commission qui a examiné le projet de loi.

Que vous dit-on au sujet de notre système d'indemnité ? On dit qu'il est vraiment trop mesquin d'accorder une indemnité seulement aux survivants qui auront atteint l'âge de 55 ans ; qu'il est constaté que les six dixièmes seulement des appelés atteignent cette limite d'âge ; qu'il y aura dès lors un nombre assez considérable d'individus ayant supporté la charge du service militaire, et qui seront tout à fait privés de l'indemnité ; d'où l'on conclut que l'indemnité, pour pouvoir être admise, doit être immédiate, qu'elle doit être payée incontinent aux individus qui ont accompli leur temps de service.

- Eh bien, messieurs, si l'on avait voulu y réfléchir, on aurait vu que l'indemnité est immédiate. Que fait, en effet, le projet de loi ? Il dit à tous les miliciens : Voici le prix du service que vous êtes appelés à rendre au pays ; je vous le remets, sous la condition que vous en ferez le placement à votre profit à la caisse de retraite...

M. Coomans. - Oh !

MfFOµ. - Cela est incontestable ; c'est comme si on leur remettait la somme en écus, et qu'ils se rendissent à la caisse de retraite pour y acheter une rente payable à partir de l’âge de 55 ans.

M. Coomans. - Essayez de payer vos fonctionnaires de cette manière. Je demande la parole.

MfFOµ. - Ce sont là de simples plaisanteries. Evidemment, il faudrait entrer dans la discussion de tout le système pour montrer à l'honorable M. Coomans que la rémunération, avec les indemnités en nature qui sont données par l'Etat, c'est-à-dire avec l'entretien et la nourriture de l'individu, se compose d'une somme bien supérieure à celle qu'indique l'honorable membre. Or, je ne sache pas que nous soyons chargés de rémunérer nos fonctionnaires de cette façon ; nous ne leur donnons ni vêtement, ni nourriture, ni couchage ; il n'y a aucune analogie à établir sous ce rapport.

Je dis donc que c'est exactement comme si une somme était remise à chaque milicien pour acquérir une rente à la caisse de retraite. Cela est évident. Et, par conséquent, l'objection fondée sur ce que la rémunération n'est pas immédiate, n'est nullement admissible.

En réalité, la rémunération est immédiate. Seulement, voici la différence entre les deux systèmes : Vous appelez la rémunération immédiate la remise à un milicien, à un jeune homme, au moment où il entre au service, d'une somme de 200 à 300 francs. Eh bien, cette somme, il la dépensera follement ; il la boira ! Mais que vous importe ? La rémunération sera immédiate, et vous vous écriez : La patrie est sauvée ! Moi, je dis que ce système serait une source de grande démoralisation. (Interruption.) Oui, ce sera de l'argent gaspillé et on l'a si bien compris en France, ce pays dont l'honorable M. Kervyn invoquait tout à l'heure l'exemple, que l'indemnité qui se paye pour l'exonération a reçu une autre application : on ne la paye que tardivement et non plus, comme autrefois, au début du service militaire, précisément parce qu'on a constaté les abus que je voudrais voir éviter.

Du reste, les dissipations que je redoute sont dans la nature humaine ; îl faudrait nier l'évidence pour soutenir que des jeunes gens de 18 à 20 ans, recevant quelques centaines de francs, iraient immédiatement en faire l'application la plus avantageuse pour leurs familles et pour eux-mêmes. L'idée de prévoyance, voilà ce qu'il faut enseigner et favoriser par tous les moyens possibles ; c'est là vraiment qu'est le salut des classes laborieuses. Or, cet enseignement nous le ferons par l'application de notre système ; nous apprendrons ainsi chaque année, à quelques milliers de citoyens, les moyens d'assurer leur existence dans leur vieillesse. Je dis que ce système aurait des résultats sociaux bien autrement considérables et autrement utiles que le projet de rémunération proposé par M. Kervyn, indépendamment de la charge très lourde qu'un pareil système imposerait au pays.

M. Coomans. - Je ne m'attendais pas aujourd'hui à un débat sur la question de la milice. Je n'y suis nullement préparé et je pense que la Chambre presque tout entière est dans la même situation.

Il ne peut donc pas entier dans mes intentions d'exposer un système, d'appuyer ou de rectifier celui de l'honorable M. Kervyn, ni même de réfuter en détail celui de M. le ministre des finances.

Je ne puis cependant m'empêcher de présenter certaines observations que m'inspirent les précautions préventives dont l'honorable ministre a usé pour nous faire accepter n'avance l'inconcevable système qu'il a eu l'audace de soumettre à la Chambre, (interruption) après 33 années d'attente, après 33 années de délai inconstitutionnel... (interruption), oui inconstitutionnel, attendu que c'est bien la Constitution qui, parmi ses prescriptions les plus impérieuses, a inscrit celle de la révision de notre organisation militaire.

Je dis l'audace, - et j'emploie ce mot dans le sens honorable ; il y a des audaces fort honorables et M. le ministre des finances, nous en a quelquefois donné la preuve, - je dis l'audace, car il en faut beaucoup pour présenter au pays, après de longues promesses toujours ajournées et démenties, un système qui n'a obtenu l'approbation de personne, pas même celle du gouvernement ; l'honorable M. Kervyn vient de démontrer que le créateur de la commission de révision de nos lois de milice, l'honorable M. Rogier, avait des idées tout à fait autres que celles de l'honorable M. Frère sur la meilleure réforme à introduire.

MfFOµ. - C'est une erreur.

M. Coomans. - La commission nommée par le gouvernement a rejeté a l'unanimité le projet de M. Frère, déjà condamné par M. Rogier dès 1851.

Il n'y a donc aucune audace de ma part à qualifier d'audacieuse la prétention de M. le ministre des finances d'imposer ses idées militaires au même titre que ses idées financières.

Du reste, quand même ce mot blesserait beaucoup de monde, je le maintiendrais encore, car je me fais fort de démontrer que le système de l'honorable ministre est radicalement injuste, et qu'il ne satisfera personne. Or, il faut avouer que quand on réforme une loi impopulaire, il convient da satisfaire au moins quelques personnes.

Quoi ! M. le ministre des finances vient nous dire, - et c'est pour cela que j'ai pris la parole, - que la rémunération inventée par lui est immédiate, alors que nous savons tous qu'elle ne s'effectuera que 35 ans après l'accomplissement du service, c'est-à-dire lorsque les miliciens auront atteint l'âge de 55 ans ! Et pourquoi la rémunération est-elle immédiate ?

Parce qu'on remet au milicien un morceau de papier sur lequel est inscrite la promesse conditionnelle de 150 francs de rente à l'âge de 55 ans.

J'ai interrompu l'honorable ministre, lorsqu'il prétendait que cette rémunération était excellente, pour lui dire : Essayez donc de rémunérer ainsi les autres fonctionnaires de l'Etat, et vous verrez l'accueil que vous recevrez. A quoi M. le ministre a répliqué que je plaisantais. Mais, non, messieurs, je ne plaisantais pas le moins du monde ; j'ai la prétention de produire ici un argument très sérieux : les militaires sont des fonctionnaires, j'espère ; vos officiers le sont bien certainement ; vos soldats le sont ainsi et ce sont les plus estimables de tous les fonctionnaires belges, car ce sont les fonctionnaires les moins rétribués et ce ne sont pas des fonctionnaires volontaires. (Interruption.)

Pour moi, les premiers, les plus estimables fonctionnaires de l'Etat, ce sont les simples miliciens, les miliciens forcés, les citoyens belges frappés de servitude militaire et d'expropriation de leur liberté, de leur fortune, souvent de toute leur fortune, qui est leur travail.

Mais quoi ! dit M. le ministre, nous donnons à nos soldats des vêtements, le logement, la nourriture, toutes choses que nous ne donnons pas à nos fonctionnaires. Mais, messieurs, n'est-ce pas là un jeu de mots ? Ne les nourrissez-vous pas, ne les vêtez-vous pas, ne les logez-vous pas d'une manière indirecte au moyen du traitement que vous leur allouez ? En réalité donc, vous donnez aux fonctionnaires tout ce que vous prétendez (page 619) donner aux soldats ; mais vous donnez, de plus, aux fonctionnaires civils une somme d'argent mensuelle ou trimestrielle, ce que vous ne faites pas pour les soldats, et là est l'iniquité.

Non, messieurs, il n'y a pas de famille de soldat qui ne se considère comme leurrée par ce projet de loi de M. Frère. Quoi ! le départ forcé d'un jeune homme de 20 ans ruine non seulement son avenir mais sa famille même, le cas se présente des milliers de fois chaque année, et vous ne lui donnez aucune espèce d'indemnité !

Vous dites à cette famille, à ce père, à cette mère, qui ne vivront plus quand l'heure de la pension aura sonné pour leur fils : Soyez tranquilles, nous aurons soin de votre fils quand il sera devenu vieux.

Mais, messieurs, c'est un tort énorme que vous aurez fait à la famille puisque vous lui aurez enlevé son soutien sans aucune compensation ; et quant au jeune homme, la perspective que vous lui offrez sera souvent illusoire.

Je ne nie pas qu'il y ait certains avantages à économiser pour les vieux jours ; mais l'économie est une vertu, une vertu plutôt libérale que chrétienne, et une vertu ne doit pas être imposée par la force ; elle doit être popularisée par la persuasion, par l'enseignement.

Et d'ailleurs si un jeune homme, au lieu de porter à la caisse d'épargne pour ses vieux jours l'argent qu'il a économisé, aime mieux le donner à son père, à sa mère infirme, à ses frères ou sœurs malades, incapables de travailler, ce jeune homme, à mes yeux, est bien plus vertueux que celui qui économise pour son propre compte.

MfFOµ. - Et celui qui le fait ?

M. Coomans. - Ce vertueux jeune homme, je le reconnais, ne sera jamais qu'un très mauvais financier.

Mais ce sera un homme vertueux, il aura soigné les intérêts de sa famille au lieu de songer exclusivement aux siens. Permettez donc au milicien de disposer en faveur de ses parents de l'indemnité à laquelle il a droit.

- Un membre. - Et le cabaret !

M. Coomans. - Nous devons avoir la liberté du cabaret comme toute autre liberté. A vos ouvriers, vous n'interdisez pas le cabaret, essayez donc d'interdire le cabinet... (Interruption.) C'est un lapsus linguae, je sais bien que l'entrée au cabinet est interdite (Interruption) on n'entre pas au cabinet.. (Interruption.) On n'en sort pas non plus... (Interruption.) Voilà mon lapsus linguae expliqué et pardonné.

Es ayez donc, dis-je, d'interdire le cabaret à tous les hommes qui travaillent pour l'Etat, vous verrez le petit nombre qui viendra vous servir.

C'est insulter vos compatriotes que de leur dire : Nous vous devons une certaine somme d'argent, mais nous ne vous la payerons pas, parce, que vous en feriez un mauvais usage.

C'est le système d'Harpagon qui, lui aussi, payait le moins possible, sous ce prétexte-là.

On n'a pas le droit d'invoquer la morale quand on manque aux principes élémentaires de la morale. Vous n'avez pas le droit d'exproprier la liberté, la fortune du citoyen sans une indemnité juste et même préalable.

J'avoue que je ne suis pas partisan sans réserve du système de M. Kervyn de Lettenhove. M. le ministre des finances a fait quelques observations contre le système d'exonération ; ce système, pratiqué en France et dans d'autres pays, présente des inconvénients ; il est loin de réaliser l'idéal de la justice.

En France, l'exonération est de 2,500 fr., somme qu'il faut payer avant le tirage, de sorte que le prix du remplacement est peut-être de 7,000 fr. en réalité, attendu que le citoyen qui s'exonère perd trois bonnes chances sur quatre d'échapper au service militaire ; aujourd'hui il a ces trois bonnes chances, si la mauvaise le frappe, il a la faculté d'acheter un homme pour 1,200 à 1,500 fr. environ.

J'admets donc que le système d'exonération ait des inconvénients, mais le système de M. Kervyn est supérieur à celui qui existe en France et aujourd'hui chez nous. Notre système est abominable, puisqu'il est la négation de toute équité et qu'il met les citoyens à la merci du plus horrible de tous les tyrans, le hasard.

MfFOµ. - M. Kervyn le maintient.

M. Coomans. - C'est là le mauvais côté du système d'exonération. Mais mon honorable ami a fait descendre très bas le prix de l'exonération, c'est ce qui me fait sympathiser avec son système, réserves faites quant au principe.

Lorsqu'il me sera démontré que le prix d'exonération peut descendre à 250 fr., je pense qu'un immense soulagement sera offert aux familles les plus nombreuses et les moins riches auxquelles nous devons particulièrement nous intéresser. J'ai la conviction que le jour où les familles pourront s'exonérer moyennant 250 fr., 30,000 sur 45,000 s'exonéreraient annuellement, trouveraient cette somme de 250 fr. ; car en supposant qu'elles n'eussent pas la somme argent comptant, on verrait se constituer des sociétés particulières qui feraient ces avances moyennant des annuités à rembourser pendant un certain nombre d'années.

Je reconnais qu'une autre difficulté se présente, une difficulté d'une autre nature que celle dont se préoccupe M. le ministre.

D'après lui, le nombre des exonérés serait très restreint ; je crois le contraire, je crois qu'il y en aurait énormément.

Là se présenterait la question de savoir comment se formerait l'armée belge, dans le cas où 30 ou 35 mille familles s'exonéreraient chaque année.

Il me semble impossible qu'une réforme sérieuse de notre législation sur la milice s'opère dans les conditions où l'on veut maintenir l'armée.

Avec une armée de 100,000 hommes, mon système des enrôlements volontaires est impraticable ; c'est cependant le meilleur ; il consiste à laisser tous les Belges libres de disposer de leur fortune et de leur bien, c'est le système d'enrôlements volontaires, suivi en Angleterre et aux Etats-Unis.

Mais ce système est impraticable avec une armée de 100,000 hommes, si vous pensez, - je regrette que vous paraissiez le penser en majorité dans cette enceinte, - si vous pensez qu'une armée de 100,000 hommes soit nécessaire, vous n'arriverez pas à des résultats sérieux dans la réforme du recrutement.

C'est pour cela que conséquent avec mon système, je fais la guerre la plus forte possible à notre organisation militaire. Je crois qu'une armée de 25,000 hommes serait suffisante pour la Belgique. (Interruption.) Je reconnais avec peine que je n'engage pas beaucoup de monde en disant que 25,000 hommes seraient suffisants. Alors vous pourriez la composer de 25,000 volontaires, vous en auriez autant que de gendarmes..

M. Goblet. - On ne trouve pas de gendarmes.

M. Coomans. - Je crois que cela tient à deux causes, d'abord parce qu'on a trop aggravé les conditions d'admission dans la gendarmerie ; - on exige des gendarmes beaucoup plus de connaissances qu'on n'en exige de certains fonctionnaires de l'Etat, - et, en second lieu parce que la paye n'est pas assez élevée.

M. de Moorµ. - On l'a élevée.

M. Coomans. - Pas assez. Mais voyez donc, messieurs, est-il possible de rencontrer un métier plus ingrat que celui de douanier ? Pour 36 raisons que je n'ai pas à indiquer je doute qu'aucun de nous consente à devenir douanier, et cependant je connais plusieurs de mes honorables collègues qui ont des dispositions militaires très prononcées.

Eh bien, les douaniers se trouvent facilement. Je suis persuadé que M. le ministre. des finances n'a que l'embarras d'écarter une foule de solliciteurs.

Vous avez des milliers de douaniers. Pourquoi ? Parce que vous leur donnez 800 fr. par an. Eh bien, lorsque vous voudrez avoir une bonne armée il faudra faire ce que l'on fait dans l'industrie et le commerce, et payer le travail ce qu'il vaut.

M. Goblet. - Il faudra augmenter les dépenses.

M. Coomans. - Il faut préférer la qualité à la quantité, il faut préférer une escouade de bons ouvriers volontaires à 50 fellahs, à 50 esclaves qui ne servent pas à grand-chose.

Je fais toutes mes réserves sur le système de mon honorable ami, sur celui du gouvernement, sur d'autres encore, mais je conclus avec une conviction profonde que la situation actuelle est intolérable, qu'elle est complètement condamnée par la justice, par la Constitution, par nos mœurs, par toutes nos institutions qui, je l'espère, deviendront entièrement libérales, enfin, par mille et une raisons qu'il serait trop long d'exposer ici.

Le maintien, que je ne crois pas involontaire, de cet état de choses est un véritable scandale.

Les remèdes que mon honorable ami, M. Kervyn, veut y apporter peuvent paraître insuffisants, mais ce sont des remèdes, et le gouvernement, qui a tant de foi dans l'excellence de son œuvre, fera bien de hâter la discussion du projet de loi ; ce sera le moment d'examiner à fond les questions nombreuses et très intéressantes qui s'y rattachent.

M. Guillery. - Messieurs, le projet de loi sur la milice n'est pas soumis aux délibérations de la Chambre. La section centrale n'a pas terminé ses travaux, et voici pourquoi : c'est que, se trouvant devant un ministère intérimaire et devant une dissolution prochaine et l'effet de la (page 620) dissolution étant le retrait de droit de tous les projets de lois, elle n'a pas voulu faire une besogne inutile.

Je ne puis donc attribuer l'empressement de plusieurs nombres de la droite à soulever aujourd'hui dans la discussion générale du budget de l'intérieur une discussion sur la milice, qu'au désir de prouver qu'en cette matière, comme en matière électorale et communale, tout le libéralisme est de son côté.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je demande la parole.

M. Guillery. - C'est une erreur ? Mais alors je ne comprends pas pourquoi la discussion surgit dans la discussion générale du budget de l'intérieur.

Nous avons à examiner le budget de l'intérieur, et en même temps, je le reconnais, la politique du ministre de l'intérieur et même celle du cabinet, si l'on veut faire une discussion politique à cette occasion ; mais nous n'avons pas à discuter la loi sur la milice, parce que cette loi n'est pas soumise à la Chambre, et que si nous avions voulu la discuter depuis trois semaines que nous sommes réunis, nous pouvions terminer notre travail en section centrale. Mais personne en section centrale n'a fait cette proposition.

L'honorable M. Kervyn a fait remarquer, c'était son droit, que c'est à la droite que revient l'honneur d'avoir pour la première fois fait figurer l'exonération dans le programme du ministère.

N'est-ce pas là que se trouve tout le secret de la discussion anticipée à laquelle nous nous livrons ?

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu l'a déjà fait remarquer, les idées libérales dont se prévalent certains membres de la droite sont d'origine essentiellement libérale. C'est sur leur système que s'appuie en définitive ce qu'a développé notamment l'honorable M. Coomans.

M. Coomans. - Cela date de 750 ans en Belgique. Ce n'est ni vous ni moi qui l'avons inventé.

M. Guillery. - Il n'y a pas 750 ans qu'on a proposé d'appliquer ces idées à nos sociétés modernes qui se trouvent dans des conditions différentes de la société d'il y a 750 ans.

Heureusement pour nous, l'origine du système est libérale. C'est en définitive l'importation en Belgique du système qui a été adopté en France par une assemblée où ne dominait certainement pas le parti catholique. Ce système a été défendu avec autant de force que d'intelligence, dans la grande commission, par l'un des chefs de l'opinion libérale.

De mon côté, chaque fois que j'en ai eu l'occasion, j'ai défendu le système de l'exonération. Je l'ai défendu dans ma section.

Il n'y a donc rien qui puisse faire attribuer à la droite un droit de propriété sur ce système. S'il se produit devant la Chambre nous aurons à nous livrer à de longues études et à des discussions approfondies, je ne sais pas quel en sera le sort, mais la droite ne peut en aucune manière en revendiquer la propriété.

M. Coomans. - D'accord.

M. Guillery. - C'est de la gauche que sont toujours parties les demandes de réduction du budget de la guerre jusqu'à présent et c'est de la droite qu'est venue la plus grande opposition.

Il y a très peu de temps, on reprochait au ministère actuellement au pouvoir d'avoir un jour émis l'idée qu'il n'était pas impossible qu'après examen on arrivât à réduire le budget de la guerre à 25 millions.

Les réclamations les plus ardentes contre le budget de la guerre, contre le système de défense, contre les dépenses militaires sont venues du côté de la gauche, et l'opposition à ces réclamations est toujours venue du côté de la droite.

Nous ne pouvons donc pas admettre, puisque nous allons nous présenter devant le corps électoral, - je mets les points sur les i, - que la droite s'y présente en disant : Nous sommes les défenseurs de la liberté commerciale, nous sommes les amis du progrès parce que nous demandons la réforme électorale, nous sommes les amis du peuple, parce que nous demandons la révision des lois sur la milice.

Quant à la réforme électorale, on a répondu. On a montré que votre réforme était illibérale. L'honorable M. Van Humbeeck en a proposé une qui consisterait à fixer le cens communal à 15 fr. dans toutes les localités indistinctement.

Quant à la réforme communale, on en a fait justice également.

En ce qui concerne le système de l'exonération, l'honorable M. Coomans vient de le rayer d'un trait de plume du programme du ministère de la droite. Il vient de déclarer que tant que l'on continuerait d'avoir une armée de 100,000 hommes, il était inutile de songer à une réforme sérieuse en matière de milice.

Ces promesses de bienfaits à apporter aux populations, de soulagement à leur donner pour ce qui concerne les charges de la milice sont encore de véritables illusions, comme les bienfaits à retirer des prétendues réformes communale et électorale.

C'est encore une illusion qui tombe devant la déclaration de l'honorable membre.

Ce qu'il y a de certain pour lui, c'est qu'en discutant notre système de milice, nous serons obligés de discuter notre organisation militaire et même notre système de défense. Il est absolument impossible que nous discutions un système de milice, si l'on met en dehors de la discussion tout le système de défense et l'organisation militaire telle qu'elle existe aujourd'hui. Nous n'avons, dans ce cas, rien à dire et nous n'avons qu'à conserver ce qui existe. Il faut que toutes ces questions soient mises en discussion et il faut que le pays ne se fasse pas illusion à cet égard. Quant à moi, je suis grand partisan, je le répète, du système d'exonération ; mais je ne veux pas faire des promesses que je ne puis pas tenir. Je reconnais que la question présente d'immenses difficultés ; je reconnais qu'il y a de longues études à faire.

Nous aurons donc toute la question militaire à examiner dans son ensemble ; et il est possible que nous arrivions de commun accord à formuler un système nouveau.

Mais qu'un ministère futur ait mis dans son programme cette réforme sans avoir étudié complètement la question, sans savoir quelles seront les conséquences de cette réforme sur notre organisation militaire et sur le système de défense du pays, j'appelle cela de la légèreté. Ce n'est pas sérieux ; c'est encore une de ces promesses que l'on peut faire dans l'opposition, mais que l'on ne peut pas tenir lorsqu'on est au pouvoir.

Je ne veux pas, messieurs, insister davantage sur ce point. Je tiens seulement à rétablir la vérité des faits et à rendre à chacun ce qui lui appartient en vertu du droit de propriété.

Puisqu'on a parlé du droit de propriété, comme nous n'avons pas encore été expropriés pour cause d'utilité publique, nous demandons à conserver notre droit de propriété dans cette question.

MpVµ. - La parole est à M. Kervyn de Lettenhove.

M. Kervyn de Lettenhove. - J'y renonce.

M. de Kerchoveµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appeler l'attention de la Chambre et celle de l'honorable ministre de l'intérieur sur l'interprétation donnée par le gouvernement à l'article 23 de la loi du 23 septembre 1842 sur l'instruction primaire. Cet article est ainsi conçu :

« A défaut de fondations, donations ou legs, qui assurent un local et un traitement à l'instituteur, le conseil communal y pourvoira au moyen d'une allocation sur son budget.

« L'intervention de la province, à l'aide de subsides, n'est obligatoire que lorsqu'il est constaté que l'allocation de la commune en faveur de l'instruction primaire égale le produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, sans toutefois que cette allocution puise être inférieure au crédit voté pour cet objet au budget communal de 1842.

« L'intervention de l'Etat, à l'aide de subsides, n'est obligatoire que lorsqu'il est constaté que la commune a satisfait à la disposition précédente, et que l'allocation provinciale en faveur de l'enseignement primaire égale le produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, sans toutefois que ladite allocation puisse être inférieure au crédit voté pour cet objet, au budget provincial de 1842. »

Il est étonnant que la combinaison financière, formulée dans ces dispositions, ait pu donner lieu à la moindre contestation. Du moment que la commune paye pour l'instruction primaire ce qu'elle payait pour cet objet en 1842, ou tout au moins une somme égale à 2 p. c. du principal des contributions directes dont elle est frappée, elle est déchargée de toute obligation de ce chef, le surplus de la dépense requise pour l'instruction primaire tombe à la charge de la province et de l'Etat.

Or, messieurs, cet article est appliqué par le gouvernement en ce sens que les communes ne sont fondées à réclamer l'intervention de la province ou de l'Etat, dans les dépenses ordinaires de l'instruction primaire que pour autant qu'elles-mêmes affectent à ces dépenses une somme au moins égale à 2 p. c. du principal de leurs contributions directes et que de plus, elles justifient de l'impossibilité de pourvoir, sur leurs propres ressources, à tous les besoins du service.

Quand la loi dit : que l'intervention de l'Etat n'est obligatoire que dans le cas qu'elle prévoit, cela signifie grammaticalement que l'Etat est obligé d'intervenir dans ce cas, tandis que hors de ce cas- il n'est pas obligé d'intervenir.

Il est impossible de donner un autre sens à la loi. On voit que le (page 621) législateur a voulu définir exactement les obligations de la commune, de la province et celles de l'Etat, les limites précises où elles cessent pour la commune et la province et où elles commencent pour l'Etat.

Cela devrait suffire pour décider la question, car il est de principe élémentaire que lorsque le texte d'une loi est clair, il n'est pas permis de s'en écarter.

L'esprit de la loi est aussi clair que le texte. M. Alphonse Nothomb, l'auteur de la loi, en a expliqué le sens à plusieurs reprises, dans la séance du 8 août 1842, l'honorable ministre de l'intérieur déclarait en termes formels que le but de l'article en discussion était de préciser le point où l'Etat doit subventionner. Et dans la même séance, en insistant sur e point que l'instruction primaire est d'intérêt général. M. Nothomb ajoutait : « On peut donc dire que ces écoles communales ne sont pas des établissements communaux, dans la stricte acception du mot, que ce sont des établissements mixtes et que le droit de l'intervention du gouvernement dérive de cette circonstance qu'il subventionne ces établissements. »

Dans le cours de la discussion, revenant sur ce point il expliqua que quand la commune a satisfait à l'obligation que lui impose l'article 23, elle a le droit d'exiger que la province, et, après elle, l'État intervienne ; ainsi dans la séance du 19 août 1842, à la lecture de l'article 23 formulé tel qu'il a passé définitivement dans la loi, M. B. Dumortier s'écria : • Vous allez ruiner les communes ! » M. Nothomb répondit : « Vous allez voir que non. » Et voici comment il procédait à sa démonstration.

« Nous avons tout à l'heure fixé, disait-il, le minimum de traitement de l'instituteur, 200 fr. Prenons ce cas : je suppose que le traitement de l'instituteur soit fixé à 200 fr. et que les deux centimes additionnels communaux ne produisent que la somme de 150 fr., alors la commune aura le droit de réclamer l'intervention de la province. Mais rien n'empêche que les provinces interviennent à raison de certaines circonstances. C'est précisément cette faculté d'intervention qui n'existait pas dans l'ancienne réduction.

« A son tour la province a le droit d'exiger que le trésor public intervienne lorsqu'elle prouve que les sacrifices qu'elle fait pour l'enseignement primaire égalent le produit de deux centimes additionnels sur le principal des contributions directes. Je vais, messieurs, éclairer ce système par des faits.

« Je prends les budgets provinciaux de 1842.

« La province de Namur a porté à son budget une somme de 26,000 fr. pour l'instruction primaire.

« Le produit de deux centimes additionnels donnerait une somme de 27,279 fr.

« Vous voyez donc que la province de Namur fait pour l'instruction primaire un sacrifice à peu près égal au produit de deux centimes additionnels.

a II y aura égalité parfaite par le budget nouveau, attendu que cette province va donner un subside pour l'institution d'une caisse de prévoyance. Eh bien, la province de Namur a le droit de demander que l'Etat intervienne.

« Néanmoins, je le répète, quand même cela n'existerait pas, l'Etat pourrait intervenir, ce ne serait plus qu'une faculté. »

Il donnait encore en exemple la province de Liège, qui en 1842 ne portait à son budget en faveur de l'instruction primaire qu'une somme inférieure de 11,000 fr. au produit de deux centimes additionnels sur les contributions directes tandis que les provinces de Namur, de Luxembourg et de Limbourg affectaient à cet objet une somme égale au montant des deux centimes. « La province de Liège, concluait M. Nothomb, n'a donc pas droit, comme les trois premières que je viens de citer, de dire à l'Etat : Vous m'accordez nécessairement l'intervention du trésor public. Néanmoins l'Etat peut accorder cette intervention, tenir compte de certaines circonstances et arriver graduellement à faire élever la somme de sacrifices que cette province fait pour l'instruction. »

Après avoir analysé ainsi la situation de toutes les provinces sans faire jamais de l'allocation des deux centimes additionnels à leur budget une condition sine qua non de l'intervention du gouvernement, M. Nothomb ajoutait qu'il n'avait pas un travail de ce genre pour les communes, mais qu'il pensait que généralement elles faisaient des sacrifices atteignant à peu près le produit de deux centimes stipulés dans l'article en discussion. Ce fut sous l'influence de ces explications catégoriques que la Chambre adopta l'article sans opposition. Au Sénat, cet article ne donna lieu à aucun débat.

Dans une circulaire adressée le 9 avril 1843 aux gouverneurs de province pour exposer à ces hauts fonctionnaires l'esprit de la nouvelle loi, le ministre de l'intérieur, demeurant fidèle aux explications par lui données devant la Chambre des représentants, s'exprimait encore dans les termes suivants :

« Des sacrifices considérables sont demandés, d'abord aux communes, puis aux provinces, et enfin à l'Etat, pour assurer le service de l'instruction primaire.

« Les trois autorités concourent à ce bienfait et l'article 23 pose la limite qui détermine la proportion quant à la quotité de la part de chacune d'elles. »

Quand le texte est clair et que la loi est d'accord avec le texte, il semble qu'il ne devrait plus y avoir de débat ; or, il n'en fut pas ainsi dans le cas présent.

En 1846, l'honorable M. de Theux étant ministre de l'intérieur, le système du gouvernement change et d'une obligation maxima on en fait une minima ; il ne suffit plus, d'après l'interprétation précédemment donnée par le ministre de l'intérieur, que les communes aient satisfait à l'obligation précise que l'article 23 leur impose ; il faut de plus qu'elles justifient de l'impossibilité où elles sont de pourvoir sur leurs ressources à tous les besoins du service.

Mais, messieurs, ce n'est pas là une interprétation, c'est faire une loi nouvelle. Il n'est pas permis à l'interprète d'ajouter une condition à la loi, et cela est d'autant moins permis dans le cas présent que le but du législateur, comme M. Nothomb le disait, a été de préciser les obligations respectives de la commune, de la province et de l'Etat.

Une loi qui établit une obligation est par sa nature même de stricts interprétation. En effet, pour peu qu'on s'écarte du texte, on augmente, on étend les obligations soit de la commune soit de l'Etat ; dès lors la loi est violée.

C'est précisément ce qui résulte de l'interprétation que le gouvernement donne à l'article 23, il étend les obligations de la commune en y ajoutant une condition à la loi. Cela s'appelle bien violer la loi.

Il faut dire plus : l'interprétation que le gouvernement donne à l'article 23 efface cette disposition de la loi. En effet, elle aboutit à ceci, c'est que jamais l'intervention du gouvernement ne sera obligatoire. Il faut avant tout, dit le ministre, que la commune prouve que ses ressources sont insuffisantes. Quand pourra-t-on dire qu'une commune est dans l'impossibilité de pourvoir aux frais de l'instruction primaire au moyen de ses propres ressources ?

Qu'est-ce que c'est que ces ressources ?

Est ce le budget ordinaire des recettes ? et faudra-t-il commencer par retrancher des dépenses toutes celles dites facultatives ? Cela serait une autre impossibilité, et aucune administration communale ne pourrait l'effectuer. Il faut se placer dans la réalité des choses et l'on reconnaîtra que les dépenses facultatives sont aussi inévitables que les dépenses nécessaires ou obligatoires. Impossible donc de retrancher ces dépenses. Si elles doivent être maintenues, que fera le conseil quand son budget ne lui permet point de pourvoir aux frais de l'instruction primaire ? Il pourra créer un nouvel impôt. Est-ce là ce que le gouvernement entend par ressources propres de la commune ?

En ce sens, la commune ne sera jamais sans ressources ; car dans les villes et les communes un peu importantes, il est toujours possible d'augmenter les impôts ; donc les ressources suffiront toujours, et il n'y aura jamais impossibilité pour les communes de pourvoir aux frais de l'instruction primaire ; et s'il n'y a jamais impossibilité pour la commune de pourvoir aux frais de l'instruction primaire, l'Etat ne sera jamais obligé d'intervenir. Voilà où conduit l'interprétation du gouvernement. L'article 23 dit : « L'Etat est obligé dans tel cas d'intervenir. » Le gouvernement dit : Ce cas ne se présentera jamais, donc l'Etat n'est jamais obligé d'intervenir. En définitive, la loi dit : l'Etat est obligé et le gouvernement dit : l'Etat n'est pas obligé. N'est-ce point là, je vous le demande, abolir la loi, l'abroger ?

C'est en vain que pour justifier l'interprétation du gouvernement on allègue que l'article 20 de la même loi du 23 septembre 1842 établit que « les frais de l'instruction primaire sont à la charge des communes. » Cette déclaration générale, qui a été adoptée dans les deux Chambres sans un mot de débat, ne saurait évidemment prévaloir contre un texte précis, détaillé, spécifiant dans quels cas la province et l'Etat doivent aider les communes à supporter la charge qui lui est imposée, texte dont les dispositions ont été longuement et minutieusement débattues. Comme l'ont fait observer, avec raison, plusieurs orateurs, dans les débats qui ont eu lieu à ce sujet dans cette enceinte, l'article 20 est complété, expliqué et limité par l'article 23.

Si donc dans une commune ii est suffisamment pourvu à tous les besoins de l'instruction primaire par des fondations ou des legs, par la rétribution que paye le bureau de bienfaisance pour l'instruction des enfants (page 622) pauvres, et enfin par une allocation inférieure ou égale au montant de deux centimes additionnels sur le montant des contributions directes, tous les frais de l'instruction primaire seront dans cette commune, à moins de circonstances exceptionnelles, une charge purement communale.

Telle est la portée de la loi, tel est le principe que consacre l'article 20 de la loi : c'est à la commune à faire en faveur de l'instruction primaire le premier effort. L'article 23 détermine ensuite jusqu'où cet effort doit aller.

Le seul argument plausible que l'on puisse apposer à l'article 23 de la loi de 1842, c'est la dépense à laquelle l'application de cet article donnerait lieu pour l'Etat, dépense dont le législateur n'a certainement point prévu l'importance et qui, dans un assez grand nombre de cas, aurait effectivement quelque chose de disproportionné ; ainsi à Gand, par exemple, la somme actuellement consacrée au service ordinaire de l'instruction primaire dépasse celle de 200,000 francs, et l'on ne peut dire que cette somme soit suffisante pour y organiser l'instruction primaire. Il y manque encore des locaux d'école, et le personnel enseignant n'y est pas rétribué comme il devrait l'être. Or, le montant de 2 pour cent sur le principal des contributions directes payées à Gand ne dépasse guère 20,000 francs, et la somme que la commune allouait en 1842 au service dont il s'agit n'est que d'environ 35,000 francs. Si l'article 23 de la loi était appliqué à la ville de Gand comme il devrait l'être, c'est à la somme de 35,000 francs que devrait se borner la quote-part de cette ville dans les dépenses de l'instruction primaire et le reste, soit environ 170,000 francs, serait à charge de la province et de l'Etat. Il est certain qu'un tel résultat ne correspond point à ce qu'on est en droit d'exiger d'une ville comme Gand, pour un intérêt aussi vital que celui de l'instruction primaire et que ce résultat serait trop onéreux pour le trésor public.

Mais de ce que le résultat financier de la loi ait trompé les prévisions de ses auteurs, de ce que, comme on l'a dit, l'auteur de la loi a été un mauvais calculateur, s'ensuit-il que pour échapper à une disposition formelle de cette loi, par cela seul que cette disposition est trop onéreuse pour lui, l'Etat puisse se débarrasser vis-à-vis de certaines communes de toute obligation quelle qu'elle soit et faire peser sur elles seules, en violation de la loi, les charges considérables qu'occasionne un enseignement primaire bien organisé ?

Telle est, cependant, à peu de chose près, la position prise par le gouvernement à l'égard des villes et contre laquelle j'ai cru devoir m'élever. Si la part obligatoire des communes, telle qu'elle est fixée dans la loi de 1842, est trop minime, qu'on l'augmente, qu'on la double, qu'on la triple, je ne m'y opposerai pas, mais qu'on détermine cette part d'une manière fixe et de façon à donner, au delà d'une certaine limite, à chaque commune un droit effectif au concours de la province, et, s'il le faut, de l'Etat. C'est, croyons-nous, le seul moyen de rentrer dans la logique et dans la justice. C'est aussi le seul moyen de donner dans toutes les villes du pays une impulsion énergique et féconde à l'instruction populaire.

MpVµ. - Messieurs, je propose de fixer la séance de demain à une heure. Samedi, il n'y aura pas séance, parce que le ministère et une partie du bureau sont invités à la cérémonie du baptême de la princesse Stéphanie.

- La séance est levée à 5 heures.