(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 523) M. Thienpont procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Teralphene prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer secondaires dans la province de Brabant, projetés par l'ingénieur Splingard. »
» Même demande de membres de l'administration communale d'Hekelgem et de Meysse. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Les membres du conseil communal de Huccorgne prient la Chambre d'accorder à la compagnie Ordener la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Mayence. »
« Même demande des administrations communales de cantons de Jodoigne et de Sery-Abée. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Les instituteurs du canton d'Etalle se plaignent de n'avoir point encore reçu la part qui leur revient de l'indemnité votée en leur faveur pour les années 1862 et 1863. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Morant, ancien officier de corps francs luxembourgeois, demande une pension. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruges demandent l'intervention de la Chambre pour que le gouvernement fasse cesser l'infection des eaux de Bruges. »
M. Soenensµ. - Messieurs, la pétition dont on vient de faire l'analyse présente un caractère d'urgence extrême.
L'infusion des eaux des canaux de Bruges est aujourd'hui préjudiciable à un éminent degré à la santé publique. Elle porte un préjudice considérable à beaucoup de nos industries. Ainsi les distillateurs, les brasseurs et les blanchisseurs sont hors d'état de se servir de ces eaux ; pour les cultivateurs d'une partie de l'arrondissement, cet état de choses est également grave ; ils ne peuvent faire aux canaux les prises d'eaux qui leur sont nécessaires pour leurs pâtures. Enfin, et surtout, le péril est imminent, comme je l'ai dit, pour la santé publique à Bruges.
Quelles que soient les études déjà faites par le gouvernement, pour créer un remède à ce mal par les grands travaux qu'il faudra faire au point d'intersection du canal de Schipdonck et celui de Gand et Bruges, je crois qu'il y a lieu de prendre d'autres mesures immédiates, et je prie en conséquence la Chambre d'ordonner le prompt rapport sur cette pétition.
M. Van Iseghem. - J'appuie, messieurs, ce que vient de dire l'honorable M. Soenens. La même chose existe à Ostende. Les eaux des canaux et des bassins de cette ville sont tellement empestés, que le poisson meurt.
Cela est très nuisible pour la santé publique et pour l'agriculture, car les canaux des environs d'Ostende présentent en ce moment ces mêmes inconvénients, qui sont excessivement graves.
Des industriels se trouvent arrêtés dans leurs travaux, parce que l'eau du canal est trop mauvaise et ne peut plus être employée.
J'espère donc que la Chambre voudra bien ordonner un prompt rapport.
M. Rodenbach. - On devrait tâcher de faire ce rapport pour demain.
Si l'honorable ministre des travaux publics était ici présent, je lui demanderais une explication.
Si les eaux sont méphitiques et malsaines, il me semble qu'il est de la plus haute urgence par une température de 20 degrés de s'en occuper.
Peut-être M. le ministre des travaux publics, pourrait-il nous donner une explication et nous dire si l'on mettra bientôt la main à l'œuvre pour remédier au mal aussi bien à Bruges qu'à Ostende.
Des travaux prompts valent mieux que de prompts rapports.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Lessieurs, je crois, en effet, qu'on pourrait se passer d'un prompt rapport.
Voici l'état de la question.
La ville de Bruges et la ville d'Ostende se plaignent aujourd'hui d'être empoisonnées par les eaux de la Lys, comme la ville de Gand se plaignait jadis.
La ville de Gand a été délivrée par la construction d'une écluse qui a isolé le bassin de Gand des eaux de la Lys.
Aujourd'hui les villes de Bruges et d'Ostende souffrent, parce que le canal de Bruges se trouve directement alimenté par des eaux corrompues.
Il faut donc faire pour le canal de Bruges ce qu'on a fait pour le bassin de Gand. Il faut isoler le canal de Bruges des eaux de la Lys. On peut le faire en faisant passer ces eaux par un siphon sous le canal de Bruges. C'est un travail que le gouvernement est décidé à entreprendre.
Dans le cours de la semaine, le gouvernement soumettra à la Chambre un projet de loi allouant les crédits nécessaires à cet effet.
Il sera ainsi fait droit, dans le plus court délai possible, aux réclamations qui s'élèvent et dont je reconnais tout le fondement.
J'ai déjà eu l'occasion, il y a plusieurs jours, d'informer officiellement la ville de Bruges du résultat des études que le gouvernement avait ordonnées et d'appeler son attention sur l'efficacité du moyen qui sera employé.
Je crois, messieurs, que ces explications sont de nature a satisfaire les honorables préopinants et les grands intérêts qui sont en jeu.
M. Declercqµ. - Je désirerais savoir si, après avoir obtenu les crédits nécessaires, on mettra encore la main à l'œuvre cette année.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je ne sais s'il sera possible de commencer encore les travaux cette année, mais il sera au moins possible d'adjuger ces travaux de façon à permettre à l'entrepreneur de mettre la main à l'œuvre au début de la campagne prochaine, ayant d'ici là approvisionné tous ses matériaux. C'est là une chose importante, car par suite de la lenteur des approvisionnements, il se passe parfois un temps assez long entre l'adjudication et la mise à exécution.
L'adjudication aurait donc lieu cette année, et peut-être pourrait-on encore mettre la main à l'œuvre. Dans tous les cas le gouvernement ne perdra pas un jour, et je puis affirmer que dans la simple prévision des faits qui se produisent en ce moment, il y a longtemps que le gouvernement a fait procéder aux études qui viennent d'aboutir.
M. Debaets. - Je désire à ce propos faire une simple observation â M. le ministre des travaux publics : dans l'intérêt du commerce de Gand, il est à désirer que les travaux à faire pour écarter de la ville de Bruges les inconvénients du rouissage soient faits à la même époque que les travaux d'entretien, de grosse réparation à exécuter sur le canal de Bruges. Déjà l'année dernière les eaux out été baissées dans ce canal pendant cinq mois. Il en est résulté pour le commerce une interruption de navigation qui a causé un préjudice inappréciable. La Chambre a eu l'occasion d'examiner quelques plaintes qui se sont élevées non seulement à Gand, mais à Bruges. Ainsi, un seul entrepreneur de transports par bateaux à vapeur et par navires à voile réclame une indemnité d'au-delà de 50,000,fr. En supposant qu'il y a une large part à faire à l'exagération possible de cette prétention, il n'en est pas moins vrai que ces interruptions prolongées causent un préjudice considérable. S'il fallait, outre les interruptions ordinaires, avoir des interruptions extraordinaires, la navigation formerait l'exception et le chômage la règle.
Je réclame sur ces considérations l'attention bienveillante de M. le ministre des travaux publics.
M. Van Iseghem. - M. le ministre des travaux publics vient de nous promettre de déposer un projet de loi pour porter remède à l'état de choses dont on se plaint, en demandant le crédit nécessaire pour la construction d'un siphon. Mais il se passera peut-être deux ans avant que ces travaux soient exécutés, et, en attendant, les villes d'Ostende et de Bruges resteront pendant une partie de l'année empoisonnées. Je demanderai donc à M. le ministre de bien vouloir faire examiner s'il n'y aurait pas moyen de porter un remède immédiat au mal, ou au moins de l'amoindrir. J'espère que M. le ministre fera son possible pour que (page 524) les inconvénients contre lesquels on réclame avec raison soient diminués Je plus tôt possible.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions.
« Les membres de l'administration communale de Basse-Bodeux prient la Chambre d'accorder aux sieurs Haulleville et Wergifosse, la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »
« Même demande d'habitants de Saint-Amand. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Lierre demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »
« Même demande d'habitants de Zetrud-Lumay. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Des habitants de Bruxelles demandent la révision des articles 47 et 53 de la Constitution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Blankenberghe proposent d'examiner s'il n'y a pas lieu de réviser l'article 47 de la Constitution. »
« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de cet article. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles demandent la révision des articles 47 et 53 de la Constitution. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruges se plaignent d'abus dans le mode de sépulture et prient la Chambre d'aviser aux mesures nécessaires pour les faire cesser. »
« Même demande d'habitants de Furnes, Avecapelle, Boifsboucke, 's Heer-Willems-Capelle, Bulscamp, Coxyde, Eggewaerts-Capdle, Gyverinchove, Hoogstraete, Houthem, Isenberghe, Nieuport, Leysele, Oostdunkerke, Pervyse, Ramscapelle, Steenkerke, Saint-George, Vinchem, Wulpen, Wulveringhem, Wielsbeke, Oyghem, Vlamertinghe, Anseghem, Coyghem, Gyselbrechtegem, Heestert, Saint-Michel, Marcke, Loo, Pollinchove, Beernem, Saint-Gilles, Machelen, Wonderghem, Nevele, Ottergem, Waerbeke, Tieghem, Vichte, Waermaerde, Alveringhem, Oeren, Ouckene, Courtrai, Westende, Saint-André, Dottignies, Helchin, Rumbeke, Wynkel-Saint-Eloy, Ardoye, Exaerde, Heusden, Cachtem et Emelghem. »
- Même renvoi.
« Il est fait hommage à la Chambre par MM. Hoyois et Cie de 118 exemplaires d'une brochure concernant un chemin de fer de Roulers à Selzaete. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. Grosfils, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau :
1° Un projet de loi tendant à ouvrir au département des travaux publics un crédit extraordinaire de 6 millions pour extension du matériel de traction et de transport ainsi que pour l'exécution de travaux de construction du chemin de fer ;
2° Un projet de loi qui abolit le droit de timbre sur les avis imprimés non destinés à être affichés.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi.
La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.
MpVµ. - La parole est continuée à M. de Naeyer.
M. de Naeyer. - Je commence par remercier la Chambre de la bienveillante attention qu'elle a bien voulu m'accorder dans la dernière séance. Je tâcherai de ne pas abuser de ses moments ; je me renfermerai pour ainsi dire exclusivement dans la partie économique et financière du programme. Je m'abstiens de répondre aux observations de l'honorable ministre de l'intérieur relatives à la question de la milice, parce que mon honorable ami, M. Kervyn de Lettenhove, a demandé la parole pour traiter cette question.
Messieurs, la partie économique du programme se résume en quelque sorte comme suit : faciliter les échanges, qui sont l'élément le plus énergique de la vie industrielle et commerciale des peuples, et faciliter les échanges spécialement par l'extension des réformes douanières et aussi par l'amélioration des moyens de communication intérieurs, notamment par la réduction des péages.
Evidemment ce n'est pas cet article-là du programme qui a fait obstacle à la nomination d'un ministère de droite, car les honorables ministres nous disent que cette partie était empruntée à la politique commerciale qu'ils ont pratiquée étant au pouvoir.
Je crois que le reproche de plagiat ne serait fondé que s'il venait de la part de l'économie politique, mais cette science n'a pas une telle prétention ; elle ne fait pas de ses enseignements le domaine exclusif d'un parti, elle les tient à la disposition de tous ceux qui veulent bien en profiter ; eh bien, c'est là que nous avons puisé nos principes. Je le reconnais volontiers, le ministère actuel a présenté depuis quelques années des mesures favorables et à la liberté commerciale et à la facilité des échanges ; cependant il faut bien reconnaître aussi qu'après avoir proclamé de très beaux principes, on a attendu assez longtemps pour les mettre à exécution.
Ensuite, en ce qui concerne la réduction des péages, la Chambre se rappellera qu'elle a dû quelquefois forcer la main au gouvernement. D'ailleurs, je crois qu'il faut reconnaître aussi que toutes ces mesures dont je parle ont été généralement appuyées par la grande majorité de la droite telle qu'elle est constituée aujourd'hui.
On a dit qu'il y avait là une espèce d'apostasie, que c'était renoncer aux principes de la droite, et à ce propos on a donné lecture de discours prononcés, il y a 10 ou 15 ans, par des membres considérables de notre opinion.
Messieurs, il y a un fait cependant qu'on ne doit pas perdre de vue : pendant bien longtemps, vous le savez, il exista entre le fer, le coton et la houille je ne dirai pas une sainte alliance, mais enfin une alliance pour défendre nos tarifs douaniers, et les hommes qui représentaient ici ces grands intérêts n'étaient pas assis exclusivement sur les bancs de la droite ; ils étaient répartis sur tous les bancs de la Chambre, ce n'était pas là une question politique, une question de parti.
D'ailleurs, il est rare qu'en pareille matière on professe des principes tout à fait absolus ; les opinions peuvent et doivent se modifier par l'expérience, par l'observation des faits et aussi par tout ce qui se passe autour de nous.
Je crois que, aujourd'hui, il y a sur les bancs de la droite très peu de membres dont les antécédents soient contraires à la liberté commerciale, Certainement M. Royer de Behr n'est pas de ce nombre. Je crois que personne ne me reprochera, non plus, d'avoir jamais manqué à la cause de la liberté, pas plus dans l'ordre des intérêts matériels que dans l'ordre des intérêts moraux.
Mais, dit-on, puisqu'il en est ainsi, puisque vous vouliez pratiquer les principes que nous avons pratiqués, pourquoi parler de cela dans votre programme ?
Messieurs, il y a pour cela plusieurs raisons. D'abord, peut-être voulions-nous pratiquer les principes d'une manière un peu plus large. Ensuite, nous avions besoin de faire connaître franchement et loyalement nos intentions au pays, parce que nous savions par expérience que probablement en cette matière, comme en beaucoup d'autres, on se serait avisé de signaler l'avènement de la droite au pouvoir, comme devant amener une foule de mesures réactionnaires, notamment la restauration du régime protecteur, le rétablissement de l'échelle mobile, que sais-je ? le rétablissement d'une foule d'autres entraves paralysant l'essor du commerce et de l'industrie. Il était donc utile d'exprimer nettement notre pensée afin d'empêcher que l'opinion publique ne fût égarée.
Je ne m'arrête pas davantage à la partie économique du programme.
L'article 5 du programme est relative aux mesures financières. Nous disions que nous voulions arrêter la progression des dépenses, notamment en simplifiant les rouages administratifs, en restreignant l'intervention de l'Etat dans le domaine de l'activité privée.
Nous voulions, en outre, affecter en majeure partie les excédants de recettes à corriger les vices du système financier et à réduire aussi les impôts qui pèsent plus particulièrement sur les classes ouvrières.
L'honorable ministre des finances n'a pas trouvé cela très sérieux ; il nous a en quelque sorte porté le défi de faire autrement qu'il n'avait fait.
MfFOµ. - Je ne vous ai porté aucun défi à cet égard.
M. de Naeyer.- Implicitement.
MfFOµ. - Pas du tout ! J'ai dit ce que nous avions fait.
M. de Naeyer. - Vous avez exposé les actes de votre administration : vous nous avez dit : « Tout ce que vous promettez, cela est fait. » C'est-à-dire, en d'autres termes, « je vous défie de faire autrement. » N'équivoquons pas là-dessus.
Je dirai donc que ce défi n'est pas trop généreux. Je l'aurais compris (page 525) si nous avions été au pouvoir. Dans l'opposition, on ne pose pas des actes de ce genre, et cependant les actes sont la vraie réponse aux défis. C'est l'histoire d'un homme à qui on aurait lié bras et jambes et à qui on dirait : « Vous avez prétendu que vous étiez assez bon marcheur, eh bien, je vous défie maintenant de marcher. »
Voyons les arguments qu'on a invoqués.
L'honorable ministre des finances a passé en revue les actes de son administration ; et cette énumération, présentée avec cette parole éloquente qui distingue l'honorable ministre, a été accueillie pas les applaudissements enthousiastes de ses amis politiques. Je n'ai absolument rien à dire là-dessus. C'est fort naturel, évidemment il n'en résulte aucun argument contre notre programme.
Mais puisqu'il s'agit d'une question qui doit éclairer le pays, je me bornerai à faire valoir quelques considérations, dans le but de donner aux actes leur véritable signification.
Or, il y a un fait qui crève tous les yeux : c'est que depuis 12 à 14 ans la richesse publique a fait des progrès énormes dans presque tous les pays de l'Europe. C'est peut-être une chose unique dans l'histoire. Jamais, je crois, la richesse matérielle des nations ne s'est développée dans d'aussi larges proportions. Ce phénomène qui s'est produit en France, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, dans d'autres pays a exercé partout une influence excessivement féconde sur l'accroissement des revenus publics.
Je ne crois pas qu'il entre dans les intentions de personne d'attribuer cela à la politique du ministère belge.
M. Bouvierµ. - Elle y a contribué.
M. de Naeyer. - Je vais vous dire, messieurs, ce qui y a contribué. Je crois, moi, que c'est grâce au génie industriel de nos populations, grâce à leur prodigieuse activité, que la Belgique a participé dans une assez large mesure à ce beau, à ce magnifique mouvement ascensionnel vers le bien-être général. Et ce fait, on ne saurait le contester, s'est manifesté d'une manière éclatante sous tous les ministères qui se sont succédé depuis 12 à 14 ans.
Ainsi, par exemple, c'est pendant les années 1855, 1856 et 1857, appartenant à l'administration de l'honorable M. Mercier, que l'accroissement des revenus provenant du jeu normal des impôts, a été le plus considérable.
La progression des revenus ordinales a été en moyenne, pendant ces trois années, de cinq millions environ d'une année à l'autre ; dans la suite elle a été moins considérable, et si je ne me trompe, elle n'a plus guère dépassé deux millions.
Maintenant, je ne viens pas, moi, attribuer cette coïncidence heureuse à une espèce de pouvoir magique dont mon honorable ami M. Mercier aurait été doué. Mais voulez-vous savoir à quelle somme énorme s'élèvent les recettes que le trésor public a faites du chef de cet accroissement normal des revenus ordinaires ? En prenant pour point de départ et pour terme de comparaison l'année 1854, le montant de ces accroissements de ressources ordinaires, réalisés à la fin de l'exercice 1864, ne sera pas inférieur à 200 millions.
Il est encore à remarquer que le ministère a fait, en vertu de la loi de travaux publics de 1859, un emprunt de 45 millions. Il en résulte donc que, par un concours de circonstances heureuses, il s'est trouvé en possession de ressources énormes. On serait presque tenté de dire qu'il a nagé dans l'or.
Permettez-moi, messieurs, de vous citer à cet égard un seul fait à l'appui de ce que je viens de dire, quant à ces circonstances heureuses. Pendant plusieurs années et jusqu'à la fin de 1857, les denrées alimentaires sont entrées en Belgique sans payer de droits au trésor. Eh bien, à partir du 1er janvier 1858 on a pu faire fonctionner sans interruption la loi du 5 février 1857 qui rétablissait des droits d'entrée sur les denrées alimentaires et cette loi a procuré annuellement au trésor une recette d'environ 1 1/2 million à 2 millions.
Je dirai, en passant, que j'ai voté contre cette loi ; et, à cet égard, j'ai eu l'honneur de me trouver d'accord, si ma mémoire m'est fidèle, avec l'honorable M. Frère-Orban, alors membre de l'opposition. Cela n'a pas empêché toutefois l'honorable M. Frère, devenu ministre, d'y trouver une source assez abondante de revenus pour le trésor, et je crois pouvoir en conclure en passant que l'honorable ministre actuel des finances ne peut, pas plus que tout autre, en arrivant aux affaires, supprimer immédiatement les mesures auxquelles il a refusé son assentiment quand il était dans l'opposition. Je ne lui en fais certainement pas de reproche, parce qu'une conduite contraire est tout bonnement une impossibilité.
En résumé donc, les circonstances heureuses ont permis au gouvernement de disposer de ressources énormes. Eh bien, je l'avoue franchement, ces ressources ne sont pas restées stériles entre ses mains : il a exécuté, ce qui n'et pas énormément difficile quand on a de l'argent, mais enfin il a exécuté d'importants travaux qui exercent et continueront d'exercer une action très féconde sur tous les éléments de la prospérité publique.
Evidemment, il y a lieu de remercier les dieux ou plutôt la divine Providence, mais je ne pense pas qu'il faille monter au Capitole. Je le crois d'autant moins, qu'il y a un petit revers à cette médaille, et ce revers, le voici :
C'est qu'à côté de cet accroissement considérable de ressources, il y a eu aussi un accroissement de dépenses ordinaires assez important. Ainsi, en 1857, les évaluations ordinaires s'élevaient à 135 millions, tandis que pour l'année 1864 les évaluations ordinaires des différents budgets dépasseront 150 millions, donc 15 millions de plus, relativement à l'exercice 1857, et si en prenant cette année 1857 pour point de départ, on calculait ce que la progression continue des dépenses ordinaires a coûté au trésor, on arriverait à une somme ronde qui ne serait pas inférieure à 50 millions.
L'honorable ministre nous a parlé beaucoup de la réduction des impôts ou des charges publiques ; il a cité des chiffres qu'il ne m'a pas été facile de décomposer. La décomposition cependant est le seul moyen de vérification sérieuse. Il aurait fallu recourir à beaucoup de documents administratifs, travail assez ardu quand on doit s'y livrer seul.
MfFOµ. - Je regrette que vous ne m'ayez pas demandé cette décomposition.
M. de Naeyer. - J'ai peut-être eu tort de ne pas vous l'avoir demandée ; vous m'auriez sans doute communiqué tous les documents.
MfFOµ. - Indubitablement !
M. de Naeyer. - Enfin je n'y attachais pas une très grande importance, j'admets les chiffres tels que vous les posez, les trois articles principaux sont les péages, les réductions sur les droits de douane et les réductions sur les droits d'accise. En fait de péages, la réduction relative au canal de Charleroi est de beaucoup la plus importante, et M. le ministre voudra bien reconnaître qu'il l'a acceptée plutôt par force que par amour.
MfFOµ. - Je l'ai proposée.
M. de Naeyer. - Vous avez attendu assez longtemps avant de faire la proposition, et votre projet est sorti des mains de la Chambre après avoir subi des modifications dans le sens des réductions. Cela n'est pas contestable.
Quant aux réductions douanières, je crois que M. le ministre a eu en vue les conséquences de nos derniers traités. Je ferai remarquer qu'en réalité ces réductions n'ont été qu'une justice tardive accordée à des réclamations qui s'étaient élevées depuis longtemps. Depuis que toute protection a été retirée à l'agriculture, on considérait à bon droit comma une injustice et même une révoltante iniquité la protection souvent exorbitante dont les autres industries continuaient de jouir.
Vous vous rappelez qu'un grand mouvement s'est fait dans le pays pour obtenir le redressement de griefs, et le redressement s'est fait attendre longtemps. Cependant ces réductions n'étaient pas de nature à affecter beaucoup les ressources du trésor. Il s'agissait en effet d'ébranler le système protecteur qui de sa nature n'est guère profitable aux finances de l'Etat, car il a pour objet de réserver le marché intérieur aux industries du pays et par conséquent d'éloigner les produits étrangers qui ne peuvent ainsi devenir des matières imposables au profit du trésor belge ; aussi il est à remarquer que les réductions dont a parlé l'honorable ministre, n'ont pas empêché nos recettes douanières de suivre une marche ascendante.
Je ferai remarquer en outre que ces réductions ne rentrent guère dans la catégorie de celles dont il est question dans notre programme et qui sont relatives aux objets consommés par les classes ouvrières. Je crois que les vins étrangers sont pour une large part dans les réductions sur les droits de douane ; nous ne sommes pas arrivés au point que les classes ouvrières puissent consommer beaucoup cette denrée.
Quant aux réductions sur les accises, je crois que M. le ministre a eu en vue l'abolition des octrois.
MfFOµ. - En partie.
M. de Naeyer. - Votre raisonnement est, je pense, celui-ci. Auparavant les octrois, qui étaient des impôts de consommation, rapportaient 13 millions ; aujourd'hui au lieu de ces 13 millions, les impôts qui ont remplacé les octrois ne s'élèvent qu'à 10 1/2 millions.
Donc réduction en matière d'accises de 2 1/2 millions.
Messieurs, l'abolition des octrois est certainement, je ne l'ai jamais contesté, une très grande réforme ; je ne l'ai jamais combattue à ce point (page 526) de vue-là. Au contraire je croîs que l'honorable ministre lui-même me rendra cette justice que je l'ai souvent appelée de mes vœux.
Mais ce que j'ai combattu et ce que je combattrais encore si la question était encore à résoudre, c'est le système qui a été proposé pour remplacer les octrois. Je l'ai trouvé trop favorable aux villes, trop onéreux aux campagnes. Je sais bien qu'on m'a répondu depuis : Mais voyez ces villes que vous prétendez privilégiées, ce sont elles qui ont réclamé le plus énergiquement. Il y a donc là une contradiction.
Non, il n'y a pas là de contradiction, et c'est une chose que j'ai prévue ; je ne sais pas même si je ne l'ai pas prédite.
M. de Mérode. - Oui.
M. de Naeyer. - On a fait de ces grands centres de population ce qu'on appelle, en langage de famille, de petits Benjamins.
Ce sont les exigences de ces êtres d'ailleurs très intéressants qui sont le plus de nature à troubler les ménages.
Messieurs, comment s'y est-on pris à l'égard des campagnes ? On a eu recours à l'impôt indirect afin de les frapper en quelque sorte sans qu'elles le sachent, car voilà la nature de cet impôt indirect, c'est qu'il prend l'argent des contribuables sans que ceux-ci s'en rendent compte, sans qu'ils sachent à qui s'en prendre. Est-ce le vendeur, ou est-ce le fisc ?
C'est très adroit au point de vue financier. C'est en quelque sorte la perfection du genre. C'est plumer la poule sans la faire crier. C'est la perfection de l'adresse fiscale.
Mais au point de vue de la justice, au point de vue de la loyauté et surtout au point de vue des principes constitutionnels, c'est tout autre chose.
Je crois que, dans un pays vraiment libre, il est bon qu'un citoyen sache ce qu'il paye à l'Etat, qu'il se rende parfaitement compte des charges qu'il supporte, parce que l'impôt payé en connaissance de cause est le stimulant le plus énergique pour développer la vie publique, pour éveiller l'attention des citoyens sur les actes du gouvernement ; c’est d'ailleurs le seul frein réellement efficace contre des dépenses plus utiles en apparence qu'en réalité.
Je le sais, l'application immédiate de ces principes n'est guère possible.
Mais quand il s'est agi de cette grande réforme des octrois, j'ai autant que possible combattu afin qu'ils ne fussent pas complètement méconnus. J'ai combattu pour qu'en remplaçant ces impôts de consommation qui existaient dans les villes on n'allât pas faire la faute immense de les étendre à tout le pays.
Maintenant, en définitive quels ont été les résultats de l'abolition des octrois au point de vue de nos impôts d'accises ?
Messieurs, on a aboli, on a supprimé beaucoup de ces impôts dans les 78 communes à octroi, mais comment s'y est-on pris pour combler le vide que cela laissait dans les caisses communales ? On a augmenté considérablement les droits d'accises dans les 2,453 autres communes du pays, c'est-à-dire qu'il y a eu réduction très considérable pour un quart de la population et un accroissement aussi très considérable pour les trois autres quarts.
Voilà quelle a été la réduction des accises en ce qui concerne les octrois. Ainsi vous le savez, pour le genièvre le droit a été augmenté de 63 p. c. et pour la bière, la boisson des ouvriers, la bonne boisson des ouvriers, il y a eu augmentation à peu près de 100 p. c.
Le droit, qui était de 2.06 fr. par cuve matière, a été élevé à 4 fr.
Voilà la réduction des octrois quant aux trois quarts de la population. C'est une faveur pour les villes, mais une charge énorme pour les communes rurales.
M. Bouvierµ. - Est-ce que vous les retireriez ? Dites-le.
M. de Naeyer. - C'est tout à fait une autre question. Mais, nous dit-on, les communes rurales, les communes sans octroi ont eu une compensation. Oui, quand on leur prend 200 francs, on leur restitue 100 fr. à peu près.
Ainsi, par exemple, je crois que depuis 1860 jusqu'à la fin de cette année, le fonds communal aura produit quelque chose comme 68 millions, et sur cette somme les 2,453 communes sans octroi auront reçu à peu près 16 millions.
Le reste sera donné aux villes, tandis que d'après les bases qui ont été proposées par le gouvernement, les communes y ont contribué au moins jour 50 millions.
D'après les bases que j'ai mises en avant et qui n'ont pas été sérieusement attaquées, cette part contributive des communes sans octroi a été de 35 millions environ.
Bruxelles a eu presque autant que toutes les communes rurales du royaume. Bruxelles a eu 12 millions et les communes rurales 16 millions. Voilà le résultat auquel on a abouti.
Messieurs, je crois devoir profiter de cette occasion pour redresser une erreur que j'ai rencontrée déjà plusieurs fois dans les documents administratifs.
On nous dit souvent que le trésor public a abandonné au fonds communal 4 millions, savoir : 1,900,000 fr. sur le droit d'entrée grevant le café, puis 2,100,000 fr. sur le produit des postes.
Cela est vrai, ces deux sommes réunies s'élèvent à quatre millions ; mais ce n'est pas toute la vérité. Ce qu'on ne dit pas, c'est que le gouvernement reprend un peu d'une main ce qu'il donne de l'autre, et je vais vous le prouver.
Ainsi, les droits sur le genièvre ont été augmentés de 63 p. c. Par conséquent, dans le produit actuel, il y a 38 3/4 p. c., provenant de l'augmentation du droit. Or, on n'abandonne au fonds communal que 35 p. c.
Voici comment cela se traduit en chiffres, en prenant pour base le dernier budget des voies et moyens. Je dis cela, parce que j'ai rencontré l'erreur dans plusieurs documents et puisqu'on veut éclairer le pays, il est bon qu'on sache ce qui en est.
D'après le dernier budget des voies et moyens, le produit total de l'accise sur les genièvres est évalué à 9,315,000 fr. ; par conséquent, il y a dans cette somme, du chef de l'augmentation de 38 3/4 p. c., soit : 3,609,562 fr. On n'abandonne au fonds communal que 35 p. c, soit 3,260,000 fr. ; différence, 349,000 fr. au profit du trésor.
Cela n'est pas extrêmement important ; mais vous allez voir que, pour la bière, c'est tout autre chose.
Les droits sur la bière ont été augmentés de 94 p. c. Par conséquent, dans le produit nouveau, il y a 48 1/2 p. c. provenant de l'augmentation des droits.
Le produit total de l'accise sur la bière est évalué pour 1864 à 13,200,000 fr. Par conséquent, il y a dans ce chiffre, du chef de l'augmentation de droits, 6,402,000 fr., tandis qu'on ne cède au fonds communal que 35 p. c., soit 4,620,000 fr., différence, 1,782,000 fr.
Ajoutez à cela la différence résultant du jeu de la loi en ce qui concerne le genièvre, et vous arrivez à une somme totale de 2,131,562 fr., que le gouvernement reprend d'une main, comme je le disais, après avoir cédé de l'autre le produit de la poste et le produit du droit sur le café.
Il y a une légère modification à apporter à ces chiffres, parce que pour le sucre le gouvernement abandonne un peu plus qu'il ne perçoit du chef de l'augmentation. Il abandonne 35 p. c. du produit, tandis que du chef de l'augmentation il ne perçoit que 33 p. c. Cela peut faire une différence d'environ 200,000 fr. Toujours est-il qu'il y a environ deux millions qui restent dans les caisses de l'Etat et qui viennent en déduction de ces quatre millions dont je parlais tout à l'heure et qu'on prétend avoir abandonnés au fonds communal.
L'honorable ministre a trouvé mauvais que, dans le programme, on ait parlé d'engagements qui grèvent l'avenir financier. Il a dit : Il n'y a pas d'engagements. Je crois que c'est un peu une dispute de mots : je vais tâcher de vous le prouver.
Il n'y a pas d'engagements et cependant je lis dans l'Exposé de la situation du trésor au 1er novembre 1863, ce qui suit. L'honorable ministre détermine approximativement le résultat probable de l'exercice 1864 ; il dit qu'il pourra y avoir un boni de 8 millions environ et il ajoute, page 5 : « Si ces prévisions se réalisent en ce qui concerne 1864, ce ne serait plus qu'une somme de 3 à 4 millions qu'il faudrait prélever sur 1865 pour éteindre les dernières charges extraordinaires qui grèvent nos voies et moyens ordinaires. »
Ce sont les mêmes expressions.
MfFOµ. - Du tout.
M. de Naeyer. - Je ne comprends plus alors.
Vous ne parlez pas du présent ni du passé, puisque vous avez liquidé 1864 et que votre phrase se rapporte nécessairement à l'exercice 1865, c'est-à-dire à l'avenir.
Mais ce n'est pas tout.
L'honorable ministre sait aussi bien que moi et mieux que moi qu'il y a toujours une vieille dette de 7 millions, résultant des exercices clos de 1830 à 1857. Il faudra bien payer un jour cet arriéré qui grève l'avenir. Vous savez aussi mieux que moi que les travaux ordonnés qui sont en voie d'exécution aujourd’hui, exigeront encore des ressources considérables et que les crédits alloués jusqu'ici sont absolument insuffisants. Ainsi je citerai les fortifications d'Anvers, la canalisation de la Dendre, le canal de Saint-Job in t'Goor, la Meuse, le palais de justice qu'il faudra bien construire. Tout cela est décrété. Il y aura de ce chef des insuffisances de crédit qu'on doit, je crois, évaluer à plus de trente millions, et (page 527) l'énumération que je viens de faire est probablement loin d'être complète.
Vous ne voulez pas qu'on appelle cela des engagements. Je l'appellerai des sommes à payer, si vous le voulez. Il faut de l'argent pour les payer. Ces nécessités résultent et de l'administration actuelle et des administrations antérieures. Car le déficit de sept millions ne résulte pas exclusivement de la gestion des finances par l'administration actuelle, mais enfin ce sont des engagements auxquels il faudra faire face d'une manière ou d'une autre, et évidemment ce sont là des considérations dont on doit tenir compte dans l'emploi des excédants de recettes.
Mais, dit M. le ministre des finances, on peut recourir à un emprunt. Cela est juste, et l'honorable ministre nous l'a prouvé, lui qui a recouru deux fois à l'emprunt. Mais un emprunt grève aussi l'avenir. Si l'on pouvait emprunter sans intérêt, sans grever l'avenir, cela serait trop commode. Mais cela ne se fait pas ainsi.
Messieurs, je l'ai dit tout d'abord, en me livrant à ces observations, je n'ai voulu autre chose que donner aux actes qui ont été cités leur véritable signification. Mon intention n'a jamais été de soutenir que les finances ont été mal administrées par l'honorable M. Frère, en aucune manière. Il est positif qu'il a déployé dans ses fonctions un immense talent, une prodigieuse activité, une probité de caractère à laquelle tout le monde rend hommage.
Cela ne fait pas de doute, et certes je n'ai jamais ambitionné et je n'ambitionnerai jamais sa succession.
Mais il a dû tenir nos finances au niveau de grands besoins résultant d'un système qui doit coûter beaucoup, parce qu'il veut gouverner trop parce qu'il s'immisce trop dans ce qui est du domaine de l'activité privée, parce qu'il cherche trop à étendre son influence au moyen du budget.
C'est à ce point de vue surtout que nous aurions voulu apporter des modifications à l'état actuel des choses. Nous aurions voulu restreindre les attributions du gouvernement, et en cela nous étions fidèles aux principes de toute notre vie ; nous aurions voulu laisser plus de place à l'action des communes, à l'initiative privée surtout ; nous aurions voulu restreindre successivement le système des subsides qui absorbe des ressources considérable et qui, quoi qu'on en dise, est parfaitement absurde quand on l'examine de près. Car à quoi cela revient-il ? N'est-ce pas à dire au pays : Donnez-moi vos ressources et je commencerai par en absorber une partie considérable par des faux frais de tout genre : frais de perception, frais de contrôle, frais de comptabilité, frais de mouvements de fonds ,frais d'administration pour régler l'emploi des subsides, frais d'imputation, frais d'ordonnancement, frais de payement, que sais-je ? Et tout cela avec un immense appareil d'écritures, et puis quand les cent francs sortis de la poche du contribuable ont subi le frottement de tous ces rouages corrosifs, ils se réduisent peut-être à 60 francs ou moins, et l'on devrait croire que ce restant assez mince est doué d'une vertu magique toute particulière parce qu'il a passé par les mains du gouvernement.
Nous croyons que ce système, servant de base à la centralisation, a fait son temps, et qu'il doit être successivement réduit. Voilà les idées que nous nous serions efforcé de réaliser dans la mesure du possible, et sans jeter la perturbation dans les services, si nous avions été obligés d'arriver aux affaires, c'est ainsi que nous voulions exécuter notre programme, et arrêter la progression des dépenses afin de pouvoir affecter une partie plus considérable des excédants de recettes, à réduire les impôts qui pèsent plus particulièrement sur nos classes ouvrières.
Mais ici, messieurs, nous sommes arrêtés par l'honorable M. Orts. Oui, dit-il c'est votre grand tort de vouloir toujours restreindre les attributions du gouvernement ; vous voulez affaiblir ainsi le pouvoir civil. Eh bien, messieurs, je ne sais pas si la droite a toujours eu ce tort-là, si tort il y a, car je dois le reconnaître, les hommes qui appartiennent à notre opinion se trouvant aux affaires, ont aussi quelquefois été tourmentés de la manie de trop gouverner ; mais ce que je n'admets pas, c'est qu'en restreignant les attributions du gouvernement on l'affaiblisse ; je crois, moi, qu'un gouvernement réellement fort, c'est celui qui se maintient dans les limites de sa véritable mission : faire régner la justice et protéger la liberté qui seule fait de grandes choses.
Un tel gouvernement serait fort, parce que les services qu'il rend sont acceptés par tout le monde, par tous les honnêtes gens bien entendu, il serait fort parce qu'il se présenterait toujours aux populations comme le représentant de la justice ; il n'aurait pas de flatteurs, mais aussi il ne susciterait pas contre lui des mécontentements et souvent des haines. .
Voilà, messieurs, les principes que nous voulions pratiquer, et je crois que de cette manière on ne peut pas nous accuser d'impuissance en ce qui concerne l'exécution de notre programme.
L'honorable ministre des finances nous dit : Mais en arrêtant la progression des dépenses vous auriez méconnu le premier devoir du gouvernement, qui est de procurer l'instruction au peuple.
Messieurs, je dirai d'abord que nous pouvions espérer qu'en pratiquant la politique que je viens d'indiquer nous aurions trouvé le moyen d'opérer des économies dans certaines branches de l'administration et que ces économies auraient permis même d'augmenter au besoin la dotation de l'instruction publique ; mais sur ce point je veux être d'une franchise entière et je vais répondre d'une manière beaucoup plus complète.
L'honorable M. Orts nous disait que le caractère distinctif de nos sociétés modernes c'est leur affranchissement, leur émancipation de la tutelle de l'Eglise appuyée par le pouvoir civil, en d'autres termes appuyée par le bras séculier.
Le fait est incontestable ; mais ce que je n'admets pas., c'est que le pouvoir civil, en cessant d'être l'exécuteur des résolutions de l'Eglise, ait été investi de la mission que l'Eglise remplissait dans le domaine de l'intelligence ; je soutiens moi que l'émancipation dont a parlé l'honorable membre a eu lieu non pas au profit du pouvoir civil, mais au profit de la liberté.
Eh bien, messieurs, cette vérité-là est spécialement applicable en matière d'enseignement, car il s'agit ici, avant tout, du domaine de l'intelligence. Je crois que dans une position normale et suivant les vrais principes, un Etat enseignant et la liberté de l'enseignement sont deux idées qui se heurtent, qui s'excluent. (Interruption.) Je le dis franchement, c'est ainsi que je comprends les choses en principe ; je ne recule pas devant la proclamation de mes principes ; je les crois bons et vrais ; j'ai le courage de les énoncer.
Mais notre Constitution n'a pas proclamé la liberté d'enseignement d'une manière aussi absolue ; elle admet des tempéraments, et elle admet notamment un enseignement aux frais de l'Etat. Je vais plus loin et je dis que dans la situation actuelle l'enseignement officiel est une nécessité sociale.
Mais, messieurs, pourquoi cette nécessité existe-t-elle ? Voilà ce qu'il importe de rechercher.
Eh bien, je crois qu'elle existe parce que la liberté d'enseignement est demeurée stérile entre vos mains. Vous êtes un grand et puissant parti, vous avez à votre disposition des ressources énormes ; oh ! vous savez faire des sacrifices, vous l'avez prouvé en maintes circonstances, notamment quand il s'agit d'élections, quand il s'agit de la presse, quand il s'agit de sociétés secrètes et autres ; et quand il s'agit d'enseignement, vous vous faites pauvres, vous vous contentez du rôle facile de voter des dépenses à charge du pays. Vous dites implicitement : Il nous faut le budget de l'Etat, sans quoi le prêtre nous écrase, et cependant pour lutter, vous avez entre vos mains l'arme toute-puissante de la liberté ; et les ressources ne vous manquent pas, il ne faut pas vous retrancher derrière cette excuse.
On a dit dans cette enceinte qu'on ne saurait faire trop pour l'instruction du peuple ; ce sont là de belles paroles auxquelles je me rallie de tout cœur ; il n'y a pour moi rien de plus grand, de plus noble, de plus sublime qu'une existence vouée tout entière à l'enseignement du peuple : mais je trouve que les libéraux sont loin de faire assez, car enfin où sont vos établissements, c'est-à-dire les établissements créés à vos frais, par vos sacrifices ? Ils sont en bien petit nombre. Evidemment vous ne pouvez pas mettre en avant les établissements officiels, car ce sont les établissements du budget qui n'appartient pas à vous seuls, et qui n'a rien de libéral puisqu'il est le produit de la contrainte.
M. Bouvierµ. - Nous n'avons pas le denier de Saint-Pierre.
M. Delaetµ. - Le denier de Saint-Pierre, nous le payons volontairement.
M. de Naeyer. - Eh bien, créez le denier de l'enseignement.
Cependant, vous accusez les catholiques d'être les ennemis des lumières ; quelquefois on va jusqu'à dire qu'ils n'aiment au fond que la liberté de l'ignorance ; or, les catholiques ont créé à leurs frais de nombreuses écoles, ils ont érigé, sans que l'Etat y intervienne pour une obole, des établissements pour tous les degrés de l'instruction, et ces établissements jouissent en général de la confiance de la grande majorité du pays ; et, si ces institutions, trop nombreuses peut-être au gré de quelques personnes, venaient à disparaître, savez-vous à quelle somme considérable le budget de l'enseignement devrait être porté ? Il y a aujourd'hui, si je ne me trompe, environ six millions au budget de l'intérieur pour faire face aux dépenses de l'enseignement officiel. Eh bien, dans l'hypothèse que je pose, il faudrait probablement 10 à 15 millions ; ajoutez à cela un (page 528) accroissement considérable des dépenses des communes et des provinces et demandez-vous si ce sont là les vœux du pays.
Les catholiques, vous le savez encore, tiennent à transmettre intacte à leurs enfants la foi de leurs pères ; il leur faut des établissements offrant toutes les garanties désirables sous ce rapport, et ils les payent.
Mais croyez-vous qu'il soit juste, qu'il soit raisonnable, qu'il soit loyal de les soumettre en outre sans merci, sans miséricorde, à toutes les dépenses que vous trouverez encore convenable de faire en faveur d'autres établissements dépourvus souvent de ces garanties et qui finiraient par faire une concurrence écrasante aux établissements privés ?
Je crois qu'en continuant à marcher dans cette voie, vous arriveriez à une situation pleine d'injustice et qui ne manquerait pas de révolter le sentiment du pays.
II faut de deux choses l'une : ou bien, il faut que vous appreniez aussi à faire usage de la liberté d'enseignement, ou bien que vous souffriez que d'autres en fassent usage sans leur opposer éternellement la digue du budget...
M. Guillery. - Donne-t-on trop ?
M. de Naeyer. - Je dis que les libéraux ne font pas assez.
M. Guillery. - Je parle du budget ; je vous demande si on donne trop.
M. de Naeyer. - Répondez à ma question : Faites-vous assez ?
M. Guillery. - Il s'agit du budget ; si vous étiez au pouvoir, réduiriez-vous ou augmenteriez-vous les crédits affectés à l'enseignement ?
M. de Naeyer. - J'ai déjà dit que, pour le moment, je ne les réduirais pas.
M. Guillery. - Pour le moment !
M. de Naeyer. - Et si vous voulez toujours rester dans l'inertie, il faudra peut-être augmenter le budget ; mais quand vos concitoyens s'imposent volontairement tant de sacrifices pour l'instruction, il y va de votre honneur de ne pas rester les bras croisés en vous contentant de voter de gros budgets.
En résumé, voici mon opinion, et je crois qu'ici je réponds à l'honorable M. Guillery. Je ne veux aucunement bouleverser la situation actuelle, et certes je ne méconnais aucunement ce grand intérêt de l'instruction publique ; mais pas plus en cette matière que dans toute autre matière, je n'admets pas la progression permanente, constante, des dépenses publiques.
Messieurs, je ne veux pas plus longtemps abuser des moments de la Chambre. Je termine par une seule considération.
Nous avons entendu des dissertations très savantes, des dissertations philosophiques, historiques, et même théologiques, et tout cela, dans quel but ? Dans le but de démontrer que la foi catholique, que l'orthodoxie catholique serait incompatible avec les libertés consacrées par notre pacte fondamental. Nous avons eu beau protester énergiquement, unanimement, sur nos bancs, contre cette prétendue démonstration, nos honorables adversaires ont persisté, et je crois qu'ils persistent encore !
Ils se sont donc posés ici comme les directeurs de nos consciences ; ils ont la prétention de mieux connaître que nous les devoirs que nos convictions religieuses nous imposent.
Maintenant quel est le but qu'on poursuit, en s'obstinant à vouloir faire cette prétendue démonstration que nous repoussons énergiquement ? Eh bien, ce but a été avoué hautement : c'est d'accréditer cette idée que la présence des catholiques au pouvoir serait un danger pour le pays.
On a déjà fait remarquer avec raison la contradiction flagrante qu'il y a entre cette doctrine et les invitations très pressantes qui ont eu lieu il y a quelques mois afin que la droite acceptât le pouvoir. Passons-là dessus. Mais si votre doctrine était vraie au lieu d'être fausse, vous n'allez pas assez loin. Pour être logiques, vous devriez déclarer que tous ceux qui sont franchement attachés aux croyances catholiques doivent être écartés en général des emplois et des fonctions publiques, car ce n'est pas seulement au pouvoir proprement dit qu'il faut des hommes profondément dévoués à nos institutions et à nos libertés, il est de votre devoir d'exiger qu'il en soit de même pour tous, ceux qui occupent des emplois ou fonctions publics.
Et ne faites pas de distinction entre les catholiques religieux et les catholique politiques, car au point de vue où vous vous placez, ce sont précisément les catholiques religieux qui sont les plus dangereux, pourquoi ?
Mais, parce qu'à moins de se couvrir du masque de l'hypocrisie, il est impossible qu'un homme se dise religieusement catholique sans croire à l'infaillibilité de cette foi catholique qui, suivant vos incroyables prétentions, serait incompatible avec notre Constitution.
Donc, pas de distinction à faire.
Eh bien, quel serait le résultat final de ce système ? C'est que, pour être en Belgique un citoyen, dans toute la force du terme, un citoyen jouissant de toutes les prérogatives attachées à ce beau titre, en un mot ce que les Romains appelaient un civis optimo jure, il faudrait nécessairement qu'on appartînt à ce culte nouveau qu'on annonce sous le titre de libre pensée, culte qui a bien aussi son contingent d'ignorants et de fanatiques.
Eh bien, croyez moi, la Belgique n'est pas disposée à se soumettre au joug de cette aristocratie nouvelle.
MfFOµ. - Messieurs, je n’ai pas seulement à répondre au discours que vous venez d'entendre ; je dois aussi quelques mots d'explications aux orateurs de la droite qui ont précédé l'honorable préopinant dans la discussion, et qui ont attaqué l'opinion que j'ai eu l'honneur de défendre devant vous. Je suis exposé, par cela même, à être encore une fois un peu long. Mais je sais ce que je dois à la Chambre ; je sais qu'après un débat aussi approfondi que celui auquel nous nous sommes livrés, le devoir de chacun de nous est de se restreindre aujourd'hui dans des limites aussi étroites que possible. C’est, messieurs, ce que je m'efforcerai de faire. Je négligerai donc une foule d'assertions secondaires qui ont été émises par mes honorables contradicteurs, et je m'en tiendrai à ce qui me paraîtra indispensable pour élucider les faits essentiels qui sont soumis à l'attention de la Chambre et à l'appréciation du pays.
Je dirai tout d'abord que je ne crois plus guère avoir à m'occuper de la question d'Anvers. A quoi bon ? Il y avait une question d'Anvers, il y a quelque temps, lorsque nos honorables amis la défendaient dans cette Chambre. Mais je pense qu'aujourd'hui, après ce que nous avons entendu, après ce que chacun de nous a pu constater, il n'y en a plus. Un des honorables députés d'Anvers, celui qui s'est levé le premier, n'a pas lui-même cru devoir se livrer à une discussion bien sérieuse de cette question. Il s'est borné à vous dire : « L'honorable M. Dechamps vous expliquera l'affaire d'Anvers. »
L'honorable M. Dechamps s'est expliqué, vous savez comment.
Un second député d'Anvers a pris ensuite la parole, et a semblé vous dire, à propos de cette même question : M. Dechamps n'a pas expliqué grand-chose, c'est vrai ! Il y a beaucoup de points à l'égard desquels nous réclamions une solution, et qui se trouvent écartés ; mais j'ai confiance en l'honorable M. Dechamps, j'ai confiance dans la droite !
M. Delaetµ. - Je n'ai pas dit cela.
MfFOµ. - Et, incontinent, ces deux honorables membres, qui, d'après les déclarations faites autrefois, étaient arrivés ici pour représenter exclusivement les intérêts d'Anvers, qui ne voulaient s'allier à aucune fraction de cette Chambre, qui n'étaient ni catholiques, ni libéraux, qui étaient et prétendaient rester Anversois, Anversois avant tout, ces honorables membres se sont immédiatement engagés dans la querelle qui divise la Chambre et le pays depuis trente années ! Si bien que l'on pourrait croire, surtout après leurs derniers discours, qu'ils sont entrés dans cette enceinte uniquement pour renforcer le parti catholique, et pour défendre son programme contre l'opinion libérale.
Ceci, messieurs, éclairera le pays sur la véritable portée, sur le but et sur les conséquences de ce qu'on a appelé le mouvement anversois. Nous savons maintenant ce qu'il est. Nous le soupçonnions bien, nous le disions même ; mais on protestait ! Aujourd'hui tous les voiles sont tombés, et chacun peut se convaincre que ce mouvement, inspiré uniquement, assurait-on, par les intérêts compromis et par la sécurité menacée de la ville d'Anvers-, a été bientôt transformé [et qu'il n'est plus maintenant autre chose qu'une manœuvre exploitée dans l'intérêt du parti clérical. (Interruption.) . Ç’a été un moyen de conquérir des sièges à la commune, à la province, à la Chambre, au Sénat ; ces sièges sont conquis, l'opération est terminée !
M. Delaetµ. - Vous finirez par nous donner gain de cause et même malgré vous.
MfFOµ. - Nos adversaires tous ont dit, dans cette dernière discussion : Les difficultés relatives à Anvers constituaient la plus grave question que vous auriez léguée à votre administration ; elle nous aurait créé un immense embarras ; c'est une faute qui pèsera toujours sur vous !
Eh bien, messieurs, n'en déplaise à ceux qui tiennent un pareil langage avec l'espoir de donner ainsi le change à l'opinion publique, nous n'avons aucun reproche à nous adresser de ce chef. La faute que l'on nous impute a été commise par d’autres, car la situation actuelle résulte uniquement de l'intervention de la droite dans cette affaire, pour l'exploiter à son profit. Quelle est donc la responsabilité qui pourrait nous (page 529) incomber ? Et, d'un autre côté, quelles sont aujourd'hui pour vous les difficultés que vous avez à surmonter ?
On nous sommait autrefois de nous livrer à un examen ayant uniquement pour objet de rechercher si les citadelles étaient nécessaires.
« Ce point, disait-on, est le seul qu'aura à discuter la commission d'enquête. Quant à la disparition des citadelles en tout état de cause, c'est un point que les Anversois veulent voir résolu en leur faveur et qu'ils exigeront, tant que des mesures restrictives et liberticides ne viendront pas leur ravir le droit d'exprimer ouvertement leur opinion. »
Ce programme est celui du meeting ; il contenait en outre « l'obligation pour l'Etat (point sur lequel il n'y a pas à transiger) d'accorder une indemnité complète aux propriétaires frappés de nouvelles servitudes. »
Nous avons résisté à ces prétentions ; nous y avons résisté d'accord avec vous, d'accord avec d'honorables membres de la droite, qui ont ultérieurement changé d'opinion. Et aujourd'hui, que sont devenues ces prétentions ? Aujourd'hui il n'est p'us question dans le programme de la droite de l’indemnité pour les servitudes ; ce point, on ne le conteste pas, est complètement écarté !
M. Delaetµ. - Question générale !
MfFOµ. - Ah ! question générale ! Mais c'était pourtant bien une question spéciale, quand vous formuliez vos prétentions au meeting, quand vous agitiez Anvers, quand vous déclariez que l'adoption du programme anversois était pour vous une condition sine qua non, sur laquelle vous deviez et vous vouliez avoir complète satisfaction ! (Interruption.)
Voilà donc cette question écartée et écartée de votre propre consentement. Vous autorisez la droite à déclarer aujourd'hui qu'elle n'a pas d'indemnités à proposer pour les servitudes militaires. Voilà ce qu'il importe d'apprendre à la ville d'Anvers !
Et quant aux citadelles ? Evidemment il ne s'agit plus là de principe, il ne s'agit plus là de question générale : c'est bien sans doute une question spéciale. Eh bien, sur ce point, vous exigiez jadis que, sur l'heure, on vous déclarât que les citadelles seraient démolies ; vous n'acceptiez ni trêve, ni atermoiement. C'était un point sur lequel toute conciliation était absolument impossible. Voilà quelles étaient autrefois vos prétentions, vos exigences. Mais aujourd'hui, quelle est votre attitude ? Lorsqu'on vous déclare qu'on soumettra cette question ù un examen... sérieux et bienveillant, vous vous inclinez, vous êtes satisfaits ! Lorsque vous soulevez la question da la démolition des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, que, par parenthèse, on peut relever en cinq jours...
M. Delaetµ. - Du tout ! du tout !
MfFOµ. - Deux mile hommes peuvent faire ce travail en cinq jours, et vos dénégations sont sans valeur sur ce point. Lorsque vous parlez des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, qu'on peut, je le répète, relever très promptement, lorsque vous soulevez cette question militaire et politique de premier ordre, on vous répond : Nous ne nous engageons en rien ! Et vous vous déclarez satisfaits, comme je l'avais d'ailleurs parfaitement prévu et prédit !
M. Jacobsµ. - Le jugement ne pouvait pas précéder l'enquête.
MfFOµ. - Est-ce que votre programme n'exprimait pas d'autres prétentions : Ne disait-il pas clairement que la commission n'avait qu'une chose à faire : Réclamer des indemnités pour les servitudes et exiger, exiger entendez-vous ? la démolition des citadelles. Voilà ce que disait ce programme acclamé dans vos meetings, ce programme que vous vous étiez chargés de faire accepter dans cette enceinte, et devant lequel vous reculez aujourd'hui !
Mais, sur ce point, j'ai à signaler, - sans vouloir m'y arrêter cependant, - qu'on a essaye de donner une demi-satisfaction à la ville d'Anvers, par la démolition de la citadelle du Sud, qui est tout à fait en dehors du nouveau système de défense de la place. Plus d'une fois, des projets ont été mis en avant à cet égard, dans l'intérêt du commerce, je ne m'y arrête pas ; ils ne se lient qu'indirectement à la question qui nous occupe. On a essayé de donner une demi-satisfaction aux habitants d'Anvers, en leur faisant entrevoir une sorte d'amélioration de la situation actuelle qui, comme toutes celles qui ont été annoncées précédemment, ne devait occasionner aucune dépense au trésor public.
Eh bien, je veux apprendre à la Chambre et au pays, à la veille de ces élections qu'on provoque, quelles sont les charges nouvelles qu'il s'agit d'imposer aux contribuables pour réaliser cette nouvelle combinaison, et pour donner un semblant de solution à la question d'Anvers.
M. Delaetµ. - Je demande la parole.
MfFOµ. - Il importe de faire bien comprendre ce que coûterait le système que l'honorable M. Dechamps a annoncé l'intention d'appliquer.
M. Delaetµ. - Je ne vous interromprai plus. Je vous répondrai.
- Voix à gauche. - Et vous ferez très bien.
MfFOµ. - Je crois également que cela vaudra mieux, car vous aurez ainsi le temps de réfléchir.
Que vous a dit, messieurs, l'honorable M. Dechamps ? Une grande et puissante compagnie, qui mérite toute confiance, nous a fait des ouvertures ; elle en fera peut-être aussi au cabinet actuel ; il s'agit de démolir la citadelle du Sud, de prolonger l'enceinte sur la rive gauche de l'Escaut, d'y établir trois forts, je pense ; et ainsi, sans bourse délier comme toujours, on donnerait satisfaction à la ville d'Anvers ! Il s'agit, notez-le bien, de la citadelle du Sud seulement.
Cette compagnie, dit l'honorable M. Dechamps, nous a déclaré que, moyennant la cession des terrains de la citadelle du Sud et d'une partie de l'esplanade, moyennant la cession de l'arsenal de construction, de l'école de pyrotechnie, de l'hôpital, des bureaux du génie, on pourrait exécuter ces travaux, qui sont estimés à 15 ou 16 millions de francs.
Pour ne pas compliquer inutilement le débat, je me tiendrai à ce chiffre, quoiqu'il soit complètement inexact : il est certain que, pour exécuter les travaux dont on parle sur la rive gauche de l'Escaut, il faut une somme supérieure à 25 millions, mais soit ! Je veux m'arrêter au chiffre qui a été indiqué par l'honorable M. Dechamps lui-même.
Or, messieurs, l'énoncé que je viens de faire des domaines dont on demande à l'Etat de se dessaisir, vous a sans doute permis de juger déjà des avantages qu'aurait pour le pays la magnifique combinaison que l'on a imaginée ! Ah ! si l'on était venu dire : Voici des terrains qui sont en nature de fortification ; nous nous proposons de les aliéner et de les remplacer par d'autres terrains qui seront, eux aussi, en nature de fortification, j'aurais parfaitement compris une semblable opération. Mais, au lieu d'un pareil échange, que propose-t-on ? On vous demande des domaines de l'Etat, qui ont acquis aujourd'hui une immense valeur, tels que l'arsenal, les ateliers de construction, l'école de pyrotechnie, les bureaux du génie, l'hôpital ; on veut vendre tous ces immeubles, créés à grands frais, et en appliquer le prix à exécuter de nouveaux travaux de fortification sur la rive gauche.
Or, messieurs, je vous le demande, que signifie un pareil marché ? N'est-ce pas absolument comme si l'on puisait dans le trésor des sommes égales à la valeur de tous ces établissements ? Lorsque l'Etat aurait consenti à la cession de ces domaines, ne devrait-il pas, en effet, aller créer ailleurs une école de pyrotechnie, des ateliers de construction, un arsenal, les bureaux du génie, un hôpital ? On n'entend pas sans doute supprimer définitivement tous ces établissements indispensables, et, pour les reconstruire, ne devra-t-on pas demander au pays les sommes considérables, énormes, qui seront nécessitées par ces reconstructions ?
Vous voyez d.me, messieurs, que la combinaison annoncée, que je n'entends pas discuter autrement pour le moment, combinaison qui, comme toutes elles dont on a parlé précédemment devait se réaliser sans bourse délier pour l'Etat, exigerait, au contraire, des dépenses très considérables, pour lesquelles il sérail indispensable d'imposer de nouveaux sacrifices aux contribuables.
J'ai maintenant à rencontrer certaines observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. de Naeyer.
L'honorable membre, s'occupant du programme que ses amis et lui avaient élaboré, s'est défendu tout d'abord centre l'accusation de plagiat qu'on lui aurait adressée, reproche fondé sur ce qu'il y aurait inscrit le libre échange parmi d'autres prétendues réformes, tandis que nous avons-nous-mêmes toujours combattu, contre ses amis, sous la bannière de la liberté commerciale. L’honorable membre est obligé de reconnaître la part que nous avons prise à la réforme douanière, mais il fait remarquer que le cabinet actuel n’a pas été assez loin en ce qui concerne la réduction des péages et qu’il n’a consenti à les réduire dans une notable proportion que par suite de la pression exercée sur le ministère par la Chambre tout entière.
Je dirai tout de suite à l'honorable membre qu'il n'a pu être question de l'accuser de plagiat. L'économie politique n'est le domaine exclusif de personne, et n'appartient pas plus à un parti qu'à un autre. On a le droit d'en préconiser les doctrines et d'en appliquer les principes, à droite comme à gauche, et nous n'avons jamais d'ailleurs prétendu en avoir le monopole. Ce que nous avons dit de cette partie du programme, c'est qu'il était inconcevable qu'on eût tourmenté le pays sous le (page 530) prétexte de sauver la liberté religieuse, pour venir ensuite présenter une réforme économique déjà accomplie par nous, et accomplie contre vos amis.
Voilà ce qui est vraiment inconcevable. Cette promesse de votre programme était tout au moins inutile, car nous avons toujours marché dans la voie des réformes douanières ; c'est nous, je le répète, qui avons fait prévaloir la liberté commerciale, et c'est parmi vos amis que nous avons rencontré nos adversaires les plus décidés, les plus opiniâtres.
Quant à l'honorable M. de Naeyer lui-même, il a toujours été, je le reconnais, un sincère et (le mot ne sera pas de trop dans cette circonstance) un loyal défenseur des principes que nous avons soutenus.
Ainsi l'honorable membre s'est mis à côté de la question. Il s'est attaché à démontrer, ce qui était facile, que nous n'avions pas été seuls à revendiquer la liberté commerciale.
Cela est très vrai ; mais il aurait dû reconnaître, pour être juste, que ses amis n'ont pas le droit de s'attribuer le mérite d'une réforme qu'ils ont combattue jusque dans ces derniers temps avec un véritable acharnement.
Quant aux péages, il est exact de dire qu'en une seule circonstance la Chambre a été au-delà de ce que nous avions proposé.
Mais l'honorable M. de Naeyer sera sans doute charmé d'apprendre, qu'à deux ou trois exceptions près, depuis trente années, toutes les réductions de péage ont été opérées sur notre initiative. Et encore, les deux ou trois exceptions dont je parle s'appliquent-elles à des faits fort insignifiants.
Les opinions des honorables amis de M. de Naeyer, quant aux réformes économiques, sont déjà anciennes. Elles ont pu, et elles ont même dû se modifier en présence des faits incontestables qui sont venus les condamner. Mais l'honorable membre ne reconnaîtra-t-il pas que la grande difficulté en cette matière était de faire admettre l'idée, de faire accepter le principe, de poser le premier acte ? Or, à quelle époque s'élevait-on avec tant d'énergie contre les réformes économiques que nous soumettions à l'assemblée ? C'est quand nous étions à peu près seuls à les défendre, alors qu'on agitait tout le pays pour les faire repousser. D'abord en 1847, car, dès notre avénement, nous avons indiqué nos idées à propos du régime des céréales. Tous les intérêts étaient alors coalisés contre nous ; à cette époque, nous n'étions pas secondés par les associations, les meetings, les sociétés économiques, les journaux économiques qui plus tard se sont constitués pour défendre les réformes dont nous avions pris l'initiative. Nous avons cependant, grâce à des efforts incessants, grâce à des luttes parlementaires courageusement soutenues, grâce surtout à la sincérité et à l'énergie de nos convictions, nous avons, dis-je, fini par triompher et de l'opposition politique et des intérêts privés coalisés contre nous.
Voilà ce que nous avons le droit de revendiquer. Et voilà des actes qui prouvent que nous n'étions pas, comme on l'a si souvent et si injustement prétendu, un ministère de parti, s'occupant exclusivement d'intérêts de parti. Voilà des actes qui démontreront à tout homme impartial que nous savons mettre les intérêts généraux du pays au-dessus des intérêts du parti que nous représentons au pouvoir.
L'honorable membre s'est occupé de la question financière ; il a prétendu qu'on avait porté, à lui et à ses amis, une sorte de défi de rien faire dans la voie d'une réforme de nos finances. Eh bien, messieurs, l'honorable membre se trompe complètement. Il n'est jamais entré dans ma pensée de lui porter pareil défi. C'eût été insensé. En cette matière, pas plus qu'en toute autre, nous n'avons jamais prétendu avoir tout fait. Nous avons fait jusqu'à présent tout ce que nous avons pu, mais il reste assurément beaucoup à faire.
Voyons cependant quelles sont les singulières prétentions que l'honorable membre nous attribue. Selon lui, nous revendiquons des succès qui ne sont pas les nôtres, nous nous prévalons d'une situation que nous n'avons pas faite. Est-ce vous, dit-il, qui avez fait l'abondance des récoltes ? Est-ce vous qui avez déterminé l'accroissement extraordinaire de la richesse publique ? Est-ce vous qui, par vos actes, par les mesures que vous avez fait décréter, avez pu assurer le développement si merveilleux du bien-être matériel que l'on constate aujourd'hui dans le pays ?
Or, ajoute l'honorable membre, c'est grâce à cet heureux concours de circonstances, auxquelles vous êtes complètement étrangers, que vous devez l'augmentation progressive dis ressources qui alimentent le trésor public. Vous voyez donc bien qu'il n'y a pas à vous enorgueillir d'une pareille situation !
Messieurs, l'honorable membre oublie une chose : c'est que je n'ai pas dit un mot des recettes. J'aurais pu cependant citer une mesure prise à certaine époque, malgré une opposition qui s'est produite alors avec une violence inouïe, implacable, qui nous a obligés de faire une dissolution sur une question d'impôt, j'aurais pu citer cet acte qui a contribué à établir une bonne situation financière qui a permis de réparer les fautes d'un passé qui n'était pas le nôtre. Mais j'ai préféré m'en abstenir.
Non sans doute, je n'ai pas fait les bonnes récoltes ! Non, ce n'est pas à moi qu'est dû l'heureux essor de la richesse publique ! Ne me prêtez pas de pareilles énormités. Mais ce que je puis dire avec confiance, parce que les faits sont là pour appuyer mon assertion, c'est que nous avons géré les finances de l'Etat d'une certaine manière qui n'a peut-être pas été sans quelque mérite. Nous n'avons pas hésité à sacrifier, dans bien des circonstances, notre popularité pour maintenir la bonne situation que nous étions parvenus à établir au prix de tant d'efforts.
N'oubliez pas que, pour conserver cette bonne situation de nos finances, il nous a fallu combattre la réforme postale, même contre d'honorables amis, et qu'il nous a fallu vous combattre vous-mêmes lorsque vous vouliez supprimer l'impôt du sel ou même le réduire. Il nous avait également fallu vous combattre lorsque vous vous opposiez à l'accroissement de l'impôt sur la bière, quand il s'est agi de supprimer les octrois. Or, messieurs, si j'avais cédé dans ces circonstances, si, renonçant à combattre des idées très populaires, j'avais consenti à des réductions qui, en elles-mêmes, d'une manière absolue, sont incontestablement bonnes et auxquelles je me serais certainement associé si des intérêts supérieurs ne m'avaient paru s'y opposer, si j'avais cédé, dis-je, nous aurions eu le déficit au lieu d'avoir des excédants. Il nous eût dès lors été impossible de supprimer les octrois, et d'exécuter ces nombreux travaux publics qui ont contribué assurément, dans une large mesure, à donner au pays ce haut degré de prospérité dont on s'applaudit avec tant de raison. (Interruption.)
L'honorable membre a cru devoir s'occuper encore de la réforme des octrois. Il a bien voulu répéter à cette occasion, ce que d'ailleurs, dans d'autres circonstances, il n'avait pas hésité à reconnaître, que c'était une grande, une bonne, une utile réforme. Il applaudit volontiers au principe. Mais le système ! Le système est détestable ! Il en fait l'objet des plus vives critiques.
Or, messieurs, en cette matière, tout est dans le système. Le principe est assurément hors de cause. Quels sont donc ces revenants du passé qui oseraient se dire les partisans de l'octroi ? Qui oserait soutenir que ces barrières, qui existaient autrefois autour de chaque ville, étaient une bonne chose, et qu'il faudrait les rétablir ? Un de vos journaux, un seul, a trouvé que les octrois avaient du bon. Mais aujourd'hui personne assurément ne se hasarderait à soutenir une pareille thèse, et déjà à l'époque de la suppression des octrois, tout le monde était d'accord sur l'utilité de cette suppression. Je le répète donc, le principe est hors de cause. Mais les moyens d'appliquer ce principe, de le faire passer de la théorie dans la pratique ? Là était toute la difficulté.
Le système que j'ai proposé et qui a prévalu, l’honorable membre l'a attaqué comme étant injuste. Il a reproduit tout à l'heure toutes ses objections d'autrefois. Dois-je discuter de nouveau toutes ces questions ? Non, sans doute. Mais je dirai que l'honorable membre me paraît se placer sur un terrain assez périlleux pour un futur ministre des finances.
En effet, qui donc s'opposait à ce que l'honorable membre introduisît ses idées dans le programme que nous discutons ? L'honorable membre n'aurait pas eu plus de difficulté que moi à chercher les moyens de remplacer ce qu'il aurait supprimé. (Interruption.)
Oh ! la critique est très facile. Mais lorsqu'on se trouve directement en présence de difficultés que l'on n'a fait qu'entrevoir à distance, on est parfois fort embarrassé pour remplacer les dispositions que l'on a blâmées.
L'honorable membre s'est donc abstenu de faire mention dans le programme de ses idées quant au système qui a permis de supprimer les octrois. Lui qui était sur le point de prendre le pouvoir, qui était en mesure de réaliser ses idées, qui aurait pu faire cesser ce qu'il appelle une injustice à l'égard des campagnes, il s'abstient ! Que dois-je en conclure ? C'est que, s'il a une foi assez robuste, elle ne l'est pas tellement cependant qu'elle l'oblige à faire des efforts pour faire disparaître une injustice.
Au surplus, messieurs, cette injustice n'existe pas, nous l'avons établi à satiété.
Mais, dit l'honorable membre, qu'avez-vous fait ? Il y avait des impôts indirects dans les villes. Vous les avez supprimés et vous les avez remplacés par d'autres impôts indirects, qui pèsent aussi sur les campagnes. Or, c'est l'impôt direct qu'il faut surtout faire dominer dans notre système financier. L'impôt direct appelle les citoyens à s'occuper des affaires publiques, beaucoup plus que l'impôt indirect, qu'ils payent eu quelque sorte sans s'en douter.
Je ne veux pas contredire sur ce point l'honorable membre. Il y a du (page 531) vrai dans son observation. Maïs je suis persuadé que lorsqu'il aura passé par les affaires, il reconnaîtra que le système d'impôt que nous avons, assez bien équilibré d'ailleurs, présente une quotité suffisante d'impôts directs et d'impôts indirects, et qu'il est prudent de conserver ce système dans ses principes généraux. Mais, pour rester dans le sujet qui nous occupe, voici une remarque qui a complètement échappé à l'honorable membre. Il avouera que s'il y a utilité pour la chose publique à appeler le citoyen à connaître aussi exactement que possible le montant des impôts qu'il supporte, c'est surtout dans les grands centres de population que cela doit exister. Or, quel a été l'effet de la mesure ? Précisément de ne plus permettre que des taxes directes dans toutes les grandes communes du royaume.
M. de Naeyer. - Cela est utile partout.
MfFOµ. - Oui, sans doute ; et cela existe maintenant partout ; mais vous confesserez cependant que la plus grande utilité, au point de vue où vous vous êtes placé, au point de vue pratique, dans le but d'appeler le plus grand nombre possible de citoyens à s'occuper des affaires du pays, cette utilité existe surtout dans les villes, parce qu'en définitive les besoins y sont plus considérables, les charges plus lourdes, et que, par conséquent, le citoyen y est stimulé, plus que dans les campagnes, à s'occuper des affaires publiques. Que ce soit d'une façon générale ou partielle, cela importe peu ; ce qu'il est nécessaire de constater, c'est que le but que vous voulez atteindre se trouve précisément atteint par la mesure que vous critiquez.
L'honorable membre n'a pu méconnaître qu'il y avait eu un dégrèvement de charges considérable, par suite des mesures prises pour assurer l'abolition des octrois. Il n'a pu contester que cette réduction de charges ne fût de 2 1/2 millions, et il n'a pu contester non plus que nous avons appliqué une partie des excédants de nos ressources à la réalisation de cette utile mesure. Nous y avons appliqué plus de 4 1/2 millions de francs.
Mais, dit l’honorable membre, c'est une illusion que vous voulez faire accepter au pays ; le pays ne doit point croire cela ; l'attribution des parties disponibles n'est pas de 4 1/2 millions, elle est de 2 millions au plus.
M. de Naeyer. - De 2 1/2 millions.
MfFOµ. - De 2 1/2 millions, soit.
Comment l'honorable membre fait-il ce calcul ?
Il dit : La taxe sur le genièvre et la taxe sur la bière, qui ont été établies à cette époque, ont produit au trésor une somme supérieure à l'estimation qui avait été faite au moment de l'abandon ; par conséquent le trésor a repris d'une main ce qu'il a donné de l'autre.
Je ne puis admettre un pareil raisonnement ; il est complètement erroné. La mesure ne peut évidemment être appréciée qu'au moment où elle a opérée.
Qu'est-ce que j'abandonnais des revenus du trésor ? Incontestablement une somme de recettes de 4 1/2 millions !
Qu'est-ce que j'établissais pour combler ce déficit ?
Un impôt qui devait normalement, et au moment de sa création, produire la somme que j'indiquais.
L'accroissement de la population et le développement de la richesse publique ont profité à tout le monde et par conséquent aussi au trésor.
M. de Naeyer. - C'est une erreur.
MfFOµ. - Comment ? Mais en poussant votre raisonnement à ses dernières conséquences il faudrait finir par reconnaître que l'ou n'a rien abandonné du tout ! Or, est-ce là ce que vous pourriez considérer comme une discussion sérieuse ? Remarquez-le bien : il faut vous placer au moment où nous faisions l'opération, au moment où le trésor se privait de 4 1/2 millions de ressources qui, appliquées à la suppression des octrois, ne pouvaient s'appliquer à une autre mesure économique. Par conséquent, l'abandon doit être calculé au moment où il a été fait.
M. de Naeyer. - Cela n'est pas exact.
MfFOµ. – C’est, au contraire, incontestable. Il y a une autre observation qui l'on fait près de moi avec beaucoup de raison ; c'est que les impôts supprimés auraient donné d'année en année des produits supérieurs tout aussi bien que les impôts qui les ont remplacés.
M. de Naeyer. - Il s'agit de la différence du tantième résultant de l'augmentation de droit que vous demandez pour le trésor.
MfFOµ. - Vous ne pouvez établir cela exactement. C'est un calcul de fantaisie.
M. de Naeyer. - Mon calcul repose sur des bases exactes ; en l'examinant de plus près, vous le reconnaîtrez.
MfFOµ. - Je ne le pense pas. Cependant, si je commets une erreur, je suis prêt à le reconnaître. Mais mon observation conserve jusqu'à présent toute sa valeur. La mesure a été réalisée par le moyen d'un abandon plus ou moins considérable des revenus de l'Etat. Nous ne calculons pas à un centime près. Je concéderai à l'honorable membre, s'il le veut, que nous n'avons pas abandonné 4 1/2 millions, mais seulement 2 1/2 millions. Cela importe peu, car je suis convaincu que la mesure a eu et conserve l'approbation générale.
Je ne crois pas que ce soient les campagnes, au nom desquelles parle l'honorable M. de Naeyer, qui aient à se plaindre de cette mesure. Elles ne se plaignent pas d'ailleurs, et elles n'auraient aucune raison de le faire, car tous les engagements pris à leur égard ont été tenus.
On leur a dit, lorsque la mesure a été proposée : C'est un leurre ! Jamais vous n'obtiendrez ce qu'on vous promet ; jamais vous n'aurez les ressources que l'on s'engage à vous procurer.
M. de Naeyer. - Je n'ai jamais dit cela.
MfFOµ. - Non ! Je me garde bien de prétendre que l'honorable M. de Naeyer ait tenu un pareil langage. Mais il reconnaîtra qu'on a dit cela aux campagnes et qu'on le leur a répété sur tous les tons. Néanmoins, elles ont obtenu tous les avantages qui leur avaient été assurés, et leur part dans le fonds communal a même suivi une progression très notable. Comme je l'ai dit déjà, il y a quelque temps, et comme je le répète aujourd'hui, elles ont pu, grâce à cette dotation considérable, qui a été de plus de 4 millions de francs en 1863, supprimer 850,000 francs de leurs cotisations personnelles, et appliquer 1,800,000 fr. à l'enseignement primaire et à la voirie vicinale. (Interruption.)
Relèverai-je cet autre calcul auquel s'est livré l'honorable membre, pour arriver à démontrer que le fonds communal a produit 68 millions, sur lesquels les communes rurales n'ont reçu que 16 millions, alors qu'elles auraient dû en recevoir 32 ? Ce calcul ne repose sur rien et ne prouve absolument rien. Nous savons parfaitement que, d'après le système de la loi du 18 juillet 1860 qui a supprimé les octrois, il faut que le fonds communal progresse dans une mesure assez considérable pour qu'il y ait égalité entre la part des villes et celle des campagnes.
M. de Naeyer. - Cela n'arrivera jamais.
MfFOµ. - Vous n'en savez rien ! Vous pouvez, d'ailleurs, hâter le terme, car si vous avez des excédants de ressources, vous pourrez les verser dans le fonds communal. C'est peut-être un placement que vous ferez, quand vous serez au pouvoir. Il n'y a aucune difficulté à cet égard. Mais je dis que vos calculs ne prouvent rien. C'est une traduction en chiffres de ce qui se trouve dans la loi. Nous savons que les communes rurales reçoivent 3 à 4 millions, que les communes à octroi reçoivent 11 à 12 millions par an. En indiquant ce gros chiffre de 68 millions inégalement réparti entre les villes et les campagnes, vous ne faites qu'exprimer l’idée qui est dans la loi, c'est-à-dire qu'il y a une différence entre la part dévolue aux communes à octroi et celle qui est attribuée aux communes sans octroi, et cela jusqu'à ce que le fonds communal ait grandi dans une proportion suffisante pour que cette différence disparaisse.
J'ai dit, messieurs, que pour se dispenser d'annoncer les réductions d'impôts qui avaient été solennellement promises avant la publication du programme, on se retranchât derrière de prétendus engagements. J'ai déclaré qu'il n'y avait pas d'engagements. Mais c'est un jeu de mots ! s'écrie l'honorable M. de Naeyer. J'ouvre la situation du trésor et je constate qu'il y a des charges qui grèvent l'avenir ; vous le déclarez vous-mêmes. Or, des charges qui grèvent l'avenir ou des engagements, n'est-ce pas la même chose ?
Eh bien, non, messieurs, ce n'est pas la même chose ! (Interruption.) En aucune manière.
J'avais compris et tout le monde a compris comme moi, que les honorables auteurs du programme entendaient déclarer que, par suite des engagements qui avaient été pris et qui avaient donné une affectation spéciale aux excédants de ressources, ils avaient les mains liées, qu'ils ne pouvaient plus rien faire, qu'ils étaient obligés d'attendre l'extinction des engagements pour appliquer leurs idées. C’est ce que tout le monde a compris.
J'ai répondu à cette objection en disant : Rien ne vous lie, vous êtes parfaitement libres. Vous entrerez au pouvoir avec la faculté d'employer les excédants comme vous le voudrez. Vous pouvez libérer le trésor des (page 532) charges qui pèsent sur lui, sans y appliquer les excédants. Et c'est là toute la question, elle n'est pas ailleurs.
Sous doute, il y a des charges ; il y en aura toujours. Nous avons décrété en principe certaines dépenses, pour lesquelles des crédits devront être sollicités ultérieurement. Mais l'honorable membre, chargé du ministère des finances se serait dit : Ou bien je vais continuer la marche qui a été suivie par mon prédécesseur, ou je vais changer de système. Si l'honorable membre voulait suivre la marche tracée par moi, il employait les excédants, comme je l'ai fait, à solder les engagements pris ; s'il ne le voulait pas, s'il entendait réaliser les réductions d’impôt qui avaient été promises, il contractait un emprunt, au moyen duquel il acquittait tous les engagements ; et les 7 millions dont il a parlé, et les 10 millions dus par la ville d'Anvers, si elle persiste à ne pas vouloir les payer, et les 20 millions d'avance nécessités par le remboursement du péage de l'Escaut, et d'autres charges encore. Car il y a beaucoup à ajouter à la nomenclature que vous avez donnée. Vous trouveriez facilement, dans ce système, 50, 60, peut-être 80 millions de dépenses auxquelles il y aurait à faire face.
M. de Naeyer. - Non ! non !
MfFOµ. - Je crois que vous vous trompez ; mais enfin nous ne tenons pas encore une fois à un chiffre exact. Il y a là beaucoup à faire. Mais, je vous le répète, vous aviez la faculté de dégager l'avenir à l'aide d'un emprunt, de rendre ainsi vos excédants complètement disponibles, sauf la quotité nécessaire pour payer l'intérêt et l'amortissement, et d'appliquer ces excédants à des réductions d'impôts. Voilà toute la question.
Ce que j'ai combattu contre vous-même, ce sont des réductions d'impôts que je croyais inopportunes, que je croyais dangereuses, et qui ne pouvaient que constituer le trésor en déficit. Telle est cette politique financière dont vous étiez le défenseur ; c'est celle que j'ai combattue, et que vous pouviez inscrire au programme de la droite. Or, je vous le répète, pour échapper aux embarras d'un pareil système, on se retranche aujourd’hui derrière des difficultés qui n'existent pas.
Ce n'était pas assez, d'ailleurs, que ces observations sur la situation financière. L'honorable membre à développé cette idée qu'il fallait arriver aussi à réduire les dépenses. Notre budget est encombré de dépenses de toute nature dont la nécessité est très contestable, de subsides qui nuisent et à l'activité individuelle et à la liberté des communes. li faut que tout cela disparaisse.
Messieurs, rien n'est plus commode pour une discussion de cette nature, que de se renfermer complaisamment dans des abstractions, dans des généralités. Je conviens volontiers avec l'honorable membre qu'il faut user de tons les moyens possibles pour développer l'activité individuelle, et que l'Etat doit éviter de l'absorber, ou même de ralentir ses efforts. Comme lui. je pense qu'il faut dans notre pays laisser beaucoup à faire aux communes ; mais, d'accord sur ces principes généraux, je demande à l'honorable membre, à la veille d'entrer dans un ministère et posant des principes aussi absolus, de vouloir me dire : Voilà telle dépense qu'il faut supprimer, voilà tel subside qu'il faut faire disparaître. Je le prie instamment de vouloir bien préciser ?
Je mets hors de cause le budget de la guerre, puisque la droite est d'accord avec nous sur ce point.
M. Coomans. - Moi pas.
MfFOµ. - Vous êtes d'avis qu'il faut le supprimer ?
M. Coomans. - En partie.
MfFOµ. - Vous avez même été d'avis de tout supprimer.
M. Coomans. - Ce serait trop beau.
MfFOµ. - Je voudrais donc savoir sur quelle dépense l'honorable M. de Naeyer suppose que l'on pourrait opérer une réduction quelque peu notable.
M. de Naeyer. - Nous avons dit que nous arrêterions la progression des dépenses.
MfFOµ. - Si telle est votre intention, je suis autorisé à dire que vous n'avez pas fait ce qu'il fallait faire. Un jour nous avons proposé 6 millions d'augmentation de dépenses, d'augmentation annuelle, permanente, pour accroître les traitements de tous les agents de l'Etat. Pourquoi donc n'êtes-vous pas venu dire à cette occasion : Nous voulons arrêter la progression des dépenses ; nous ne voterons pas ces 6 millions ? C'est ce que vous n'avez pas fait. Vous les avez votés, et non seulement vous avez voté l'augmentation des traitements, mais il a fallu que le gouvernement combattît lui-même contre vous pour arrêter la progression des dépenses ! C'est malgré le cabinet, malgré tous ses efforts, que l'on a porté le traitement des juges de paix au chiffre où il est. (Interruption.) Je parle de ceux qui critiquent la progression des dépenses et qui n'ont pas combattu cette progression.
M. de Naeyer. - Je l’ai combattue.
MfFOµ. - Vous n'avez pas combattu toutes les augmentations de traitement que nous avons proposées, dans un esprit assurément très large et très impartial, pour la magistrature, pour l'armée, pour les fonctionnaires publics, pour le clergé ! On ne s'est pas opposé alors à cette progression des dépenses.
Au surplus, nous avons voté chaque année les budgets ; qu'a-t-on proposé d'en effacer ? Mais c'est le gouvernement qui lutte presque toujours contre les augmentations de dépenses dont des membres de cette Chambre prennent l'initiative. Plus d'une fois j'ai dû combattre des propositions qui auraient eu pour conséquence d'augmenter assez notablement les dépenses de l'Etat.
Est-ce donc sur le budget des travaux publics que l'honorable M. de Naeyer veut faire des réductions ? Je ne parle pas de quelques réformes administratives qui sont toujours possibles, et je suis convaincu que mon honorable collègue a fait tout ce qui pouvait être fait sous ce rapport ; mais je parle des réductions sensibles, appréciables, et j'ose dire à l'honorable membre qu'il n'en fera pas de cette nature ; je crois, au contraire, qu'il proposera de nouvelles dépenses. Ainsi, par exemple, il proposera sans doute un nouveau crédit pour la Dendre, et je ne l'en blâmerai pas.
Je demande si c'est sur le budget de l'intérieur que l'honorable membre fera des économies ? Eh bien, messieurs, je l'ai dit déjà, à part les dépenses de l'enseignement, les autres sont insignifiantes, à moins toutefois que l'honorable membre ne réalise, par exemple, son projet de supprimer tous les commissaires d'arrondissement. Il trouvera là certaine économie, mais elle n'enrichira pas beaucoup l'Etat, car elle sera au moins compensée par une augmentation des dépenses des administrations provinciales, qui sont aussi payées par l'Etat.
Ce ne sera pas non plus sur la voirie vicinale qu'on fera des économies. Personne n'y consentirait. Après cela vous trouverez quelques centaines de mille francs pour les beaux-arts, etc. Hors de là, je le demande, quelles sont les dépenses à supprimer ? Vous pourrez faire quelques réductions insignifiantes, mais des économies notables, sérieuses, telles que l'on en a promis, sont réellement impossibles à obtenir sur le budget de l'intérieur.
Vous n'en pourrez pas trouver davantage dans le budget du département de la justice. Ce budget supporte les traitements des magistrats et ceux du clergé ; il y a ensuite des fonds pour la construction d'églises, fonds considérables, que les libéraux, gens très hostiles à la religion, au clergé en général, ont quadruplés. Ils pouvaient s'en dispenser ; ils l'ont fait cependant, parce qu'ils on reconnu qu'il y avait là un véritable intérêt public ; nous ne disons certainement pas que ce soit une mauvaise dépense ; nous vous demandons seulement, à vous qui voulez faire des réductions, si c'est là que vous comptez les trouver ?
M. de Naeyer. - Nous voulons arrêter la progression des dépenses.
MfFOµ. - Ainsi on ne fera pas de réductions, mais on ne proposera plus de nouveaux crédits. Eh bien, pour une politique nouvelle, je ne crois pas que ce soit assez !
Mais l'enseignement ? Ah ! messieurs, c'est là véritablement qu'il faut arrêter la progression des dépenses, car là elle a été grande, et nous sommes de bien grands coupables en cette matière.
L'enseignement est, à la vérité, une nécessité sociale, nous le reconnaissons, dit l'honorable M. de Naeyer ; mais il faut que les particuliers fassent davantage. Les catholiques l'ont tout, les libéraux ne font rien ; il faut que l'on nous place dans une autre situation.
Messieurs, en matière d'enseignement, surtout d'enseignement primaire, il est impossible que les forces des particuliers, ni même celles des Eglises puissent satisfaire aux besoins de la société. Cela est constaté jusque dans les pays où l'initiative individuelle a le plus d'activité. En Angleterre, l'état de l'instruction est insuffisant, et cependant il n'est pas de pays où les particuliers savent s'imposer plus de sacrifices. Aux Etats-Unis, si l'Etat n'intervenait pas largement dans l'enseignement public, l’instruction populaire n'existerait pas.
Il faut, suivant le pays, considérer les forces qui sont en présence. Ici nous n'avons que deux forces en présence en matière d'enseignement : l'Etat et l'Eglise, et l'Eglise n'a certes pas le droit de dire : Je suis la liberté.
M. de Naeyer. - Pourquoi ?
MfFOµ. - Je vais vous le dire ; Elle n'a pas le droit de dire ; « Je suis la liberté », parce qu'elle (page 533) est rentée et payée par l'Etat. Si vous voulez donner à une autre corporation quelconque une dotation de 4 à 5 millions de francs, sans compter les pensions, elle fera tout autant et peut-être plus que vous pour l'enseignement. (Interruption.)
Pardon, sur les traitements que l'Etat paye aux membres du clergé, on prélève une certaine somme pour l'université catholique ?...
- Un membre. - Quel est le subside que l'université catholique de Louvain obtient ?
MfFOµ. - Je vous le dirais, si elle me soumettait ses comptes.
Mais il est des choses que nous savons, et qui ne peuvent être contestées. Ce sont les évêques, fondateurs de l'université catholique, qui, dans leurs circulaires, ont indiqué quelle était la cotisation qu'ils s'imposaient ; quelle était celle des chanoines, celle des curés primaires et des desservants, indépendamment des collectes qui seraient faites dans les églises, chaque année, à des époques déterminées.
Ainsi, il s'agit bien d'un tantième sur chaque traitement. C'est bien là une taxe imposée sur les traitements, que tous nous payons.
II y a là incontestablement une situation privilégiée, exceptionnelle, qui ne permet pas de raisonner de la liberté, lorsqu'on parle de l'Eglise. L'Eglise dispose de forces que n'ont ni les particuliers, ni d'autres corporations dans l'Etat. Voilà la différence.
Mais je suis très enclin à reconnaître que, du moment qu'il y a un enseignement organisé par la loi, cet enseignement paralyse par cela même, dans une certaine mesure, l'action des particuliers ; il est certain que du moment qu'une loi dit : « L'enseignement est organisé de telle façon ; la commune organisera son école ; les contribuables payeront les frais de cette école, » il est clair que dans cette situation-là, les particuliers, à moins d'y être poussés par le stimulant d'une propagande religieuse, s'abstiennent de s'imposer directement le devoir de subsidier des écoles. Ils font des sacrifices comme contribuables, et cela leur paraît suffisant. Il n'y a que le mobile d'une idée supérieure, très respectable, l'idée d'une propagande religieuse, qui puisse les porter à faire d'autres sacrifices...
M. Moncheur. - Pour instruire.
MfFOµ. - N'entrons pas dans cette discussion ; je crois qu'elle nous conduirait beaucoup trop loin ; je ne combats pas cette idée de propagande religieuse, je ne dis pas qu'elle soit mauvaise. Je dis seulement qu'elle est assez puissante pour porter l'Eglise à faire plus de sacrifices que n'en font les simples particuliers.
Mais n'y eût-il pas la loi organique de l'enseignement primaire, n'y eût-il pas les contributions publiques, qui ont pour effet de supprimer les cotisations volontaires, sauf dans quelques cas exceptionnels, il n'en serait pas moins démontré qu'en l'absence de toute intervention de l'Etat, il n'y aurait pas d'enseignement primaire sérieux dans le pays. Que représentent, en effet, pour la masse des communes, les sacrifices dont vous parlez et que s'imposent les catholiques ? Très peu de chose. Sauf dans quelques grands centres, l'enseignement serait dans un état déplorable, si l'Etat n'intervenait pas. (Interruption.)
Vous vous faites des illusions.
- Un membre. Avant 1842, il y avait beaucoup d'écoles.
MfFOµ. - Avant 1842, sauf ce qui avait été fait par certaines communes, il n'y avait pour ainsi dire rien.
M. de Haerne. - C'est une erreur.
MfFOµ. - Ce n'est pas une erreur. Vous aviez alors des écoles complètement insuffisantes, ou dirigées par des hommes incapables d'instruire, parce que vous êtes trop portés à croire que celui qui appartient à une corporation religieuse est, par là même, en état de donner l'instruction ; que quiconque est revêtu d'un habit religieux doit nécessairement être admis comme instituteur.
M. de Haerne. - Il n'y en avait presque pas à cette époque.
MfFOµ. - Mais n'eût-on pas cette situation, je répète que l'enseignement serait complètement insuffisant, non seulement en Belgique, mais dans l'Europe entière, dans le monde entier. Et pourquoi ? Parce que l'enseignement, et surtout l'enseignement primaire, n'est pas matière à spéculation, ne peut pas devenir, sauf dans quelques grands centres, l'objet d'un commerce et d'une industrie ; parce que c'est une matière éminemment sociale et, si vous voulez, religieuse.
Il faut donc nécessairement l'intervention de l'Etat. Je n'exclus pas l'intervention des Eglises, qui trouvent bon d'avoir leurs écoles à elles pour y faire prédominer plus particulièrement leurs aspirations et leurs idées ; mais, je le répète, l'intervention la plus large de l'Etat est absolument indispensable.
Voilà pourquoi nous différons entièrement d'avis avec l'honorable préopinant. L'honorable membre ne veut pas réduire, pour le moment, les dépenses de l'instruction...
M. de Naeyer. - Je ne veux pas les réduire ; j'ai dit que je m'élevais contre la progression constante cl permanente de ces dépenses ; mais n'ayez pas égard, je vous prie, à ce que j'ai pu répondre à une interruption.
MfFOµ. - Soit ! Je ne veux pas abuser d'une réponse à une interruption ; je n'insiste pas.
Je dis donc que nous différons complètement, l'honorable préopinant et moi, en ce que nous, libéraux, nous voulons la progression des dépenses en matière d'enseignement. Nous croyons qu'il n'a pas été fait assez en cette matière ; nous croyons qu'il reste encore beaucoup à faire, et pour la construction des locaux, et pour la multiplication des écoles, et surtout pour l'organisation des écoles de filles qui n'existent presque pas. (Interruption.)
Nous avons tous, les uns et les autres, fait beaucoup pour l'enseignement public, mais il faut avoir le courage de le proclamer, il reste encore beaucoup à faire. Quant à nous, une des préoccupations les plus constantes de notre politique sera d'augmenter encore les subsides consacrés à l'enseignement public, dans la mesure que comporteront les finances de 1 Etat.
L'heure étant assez avancée, je prie la Chambre de me permettre d'ajourner à demain la suite de mes observations, (Adhésion.)
- La séance est levée à 4 1/2 heures.