(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 501) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants d'Anvers demandent que la loi consacre : 1° la propriété des cimetières aux communes ; 2° le droit pour l'autorité civile compétente d'exercer exclusivement la police et la surveillance des cimetières ; 3° la suppression du monopole des pompes funèbres en faveur des églises ou consistoires. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres de l'administration communale de Soheit-Tinlot prient la Chambre d'accorder à la compagnie Ordener la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Mayence. »
« Même demande des membres de l'administration communale de Strée et d’habitants de Duysbourg. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Des habitants de Bruxelles demandent la révision des articles 47 et 53 de la Constitution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de l'article 47 de la Constitution. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Hougaerde demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »
« Même demande des membres du conseil communal de Buvingen. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Les membres du conseil communal de Suarlée prient la Chambre d'accorder aux sieurs de Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants d'Assche prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer secondaires dans la province de Brabant, projetés par l'ingénieur Splingard. »
« Même demande d'habitants de Vilvorde et Anderlecht. »
M. Van Humbeeck. - Je prierai la Chambre de vouloir ordonner que la commission des pétitions fasse un prompt rapport sur cette pétition comme sur d'autres de même nature qui ont été analysées précédemment.
- Cette proposition est adoptée.
MpVµ. - La parole est à M. De Fré.
M. De Fré. - Messieurs, j'éprouve peu d'attrait à entrer dans un débat où de si grands talents de nos amis se sont fait entendre. Mais je considère les deux partis qui divisent cette assemblée comme deux armées qui luttent l'une et l'autre pour son drapeau.
Quand des coups de feu parlent de la droite, il faut que la gauche riposte par des coups de feu ; et lorsque chacun de nous aura fait son devoir, le pays reconnaîtra les siens. Le pays dira quel est celui des deux partis qui peut le mieux faire régner la liberté et l'ordre. Le pays dira quel est celui des deux partis qui peut le mieux donner satisfaction à la loi du progrès ; le pays dira quel est celui des deux partis qui pourra le mieux maintenir en Europe la bonne renommée de la Belgique.
Cette discussion sur la crise ministérielle et sur le programme de la droite était commandée par les nécessités du gouvernement constitutionnel ; quoi qu'on en ait dit, le programme de la droite est un programme nouveau qui n'est en rapport ni avec ses traditions ni avec ses doctrines. Il fallait donc discuter ce programme, en peser la valeur, en expliquer le but.
Dans un pays où tous les pouvoirs émanent de la nation, dans un pays où ce sont les partis qui gouvernent, il fallait que le pays fût éclairé afin que le pays pût juger ce programme, le condamner ou l'approuver.
Ce programme a été analysé déjà par différents orateurs de la gauche. Après le discours remarquable de mon honorable ami M. Bara, le discours si clair, si complet, si éloquent de l'honorable ministre des finances avait réduit ce programme à sa juste valeur. Je m'attendais à voir le lendemain l'honorable M. Dechamps, qui est le père ou au moins le parrain de ce programme, venir le défendre. Je croyais qu'après le discours de l'honorable M. Dechamps le combat aurait cessé. Mais il n'en a pas été ainsi ; l'honorable M. Dechamps n'est pas venu défendre son programme et il a laissé son enfant adoptif pendant quatre jours sur le champ de bataille, meurtri, criblé de coups. Puis sont venus les autres orateurs de la droite.
Messieurs, nous devons nous exprimer ici avec une entière franchise ; les destinées du pays nous en font un devoir.
Je considère le programme de la droite comme une habile et ingénieuse stratégie.
Depuis 1857 la droite a voté contre toutes les réformes qui ont été proposées par le gouvernement, et que la gauche a défendues et votées ; et aujourd'hui on vient nous accuser de ne pas vouloir de réformes et d'être un parti doctrinaire, stationnaire, réactionnaire !
Depuis 1857 vous avez, à toute occasion et par tous les moyens, cherché à troubler les esprits, à inquiéter les consciences et aujourd'hui vous venez nous dire qu'il faut calmer le pays. Vous avez provoqué l'orage et vous nous accusez de faire gronder la foudre. Et cette politique libérale qui a donné à la Belgique des réformes utiles, qui a respecté toutes les opinions, toutes les croyances et qui a augmenté sa réputation à l'étranger, vous appelez cette politique : implacable, réactionnaire, perturbatrice, provoquant la désaffection dans le pays.
Vous nous dites : Il faut la paix, il faut la concorde ; et pour faire régner la paix et la concorde, il faut à cette politique implacable substituer une politique conservatrice, il faut l'avènement du parti conservateur.
La politique catholique n'est pas une politique conservatrice ; vous n'êtes pas le parti conservateur, et vos derniers discours prouvent que la seule chose que vous conserviez, c'est la violence de votre langage.
L'honorable M. Thonissen nous a parlé de modération et de conciliation dans un discours qui n'était ni modéré, ni conciliant : il est venu accuser la gauche d'avoir pour la droite du dédain et du mépris.
Je ne sais si, en s'exprimant ainsi, l'honorable M. Thonissen a voulu nous donner la mesure de ses sentiments à notre égard ; mais quant à nous, nous poursuivons un but trop grand, trop élevé, trop désintéressé, pour nous laisser absorber par de pareilles passions ; il n'y a que ceux qui sont dominés par des doctrines intolérantes qui puissent se laisser atteindre par elles.
Et quand donc, dans quelles circonstances la gauche a-t-elle montré ce dédain et ce mépris pour la droite ? Combien d’appels à l'union, combien d'appels à votre concours ne sont-ils pas partis des bancs ministériels, non pas quand il s'agissait de lois politiques, car nous ne demandons pas une abdication, mais quand il s'agissait de lois d'intérêts matériels, de progrès matériels, de réformes sociales, de la défense du pays ?
Est-ce qu'en 1848 la gauche a repoussé cette droite dont vous avez dépeint l'attitude ? L'honorable M. Thonissen nous a dit qu'en 1848 la droite était descendue de ses bancs pour venir donner de la force au gouvernement, afin qu'il pût mieux résister aux dangers extérieurs. « Nous ne serons plus dupes » a dit l'honorable M. Thonissen.
Eh bien, messieurs, moi je déclare à l'honorable membre que si un jour il est ministre et si, ce qu'à Dieu ne plaise, un orage venait gronder à nos frontières, menaçant nos libertés et notre indépendance, je serai sa dupe et je serai plus patriote que lui.
L'honorable M. Kervyn de Lettenhove n'a pas été plus équitable envers nous. Dans un discours, mûrement délibéré et que l'honorable membre a lu d'un ton grave et solennel, il est venu accuser mon honorable ami M. Bara, d'avoir englobé dans le même anathème l’Eglise et la propriété. Mon honorable ami n'a pas parlé de la propriété. Je ne sais si cette accusation est de nature à compromettre mon honorable ami près des gens ignorants et crédules ; mais près des hommes intelligents elle est de nature a compromettre la réputation d'historien de l'honorable M. Kervyn.
Je ne comprends pas, messieurs, cette modération de l'honorable membre. Mon honorable ami n'a pas parlé de la propriété ; il a parlé des jésuites, il a parlé des couvents ; mais il n'a lancé d'anathème ni contre la propriété ni contre la famille.
L'honorable M. Jacobs, sauf une expression malheureuse de la fin de son discours, n'a pas suivi ses amis sur le terrain des récriminations passionnées. Il est venu défendre tout le programme de l’honorable (page 512) M. Dechamps, quoiqu'il ait été suffisamment établi que le programme de l'honorable M. Dechamps ne donne pas satisfaction à Anvers.
Je comprends cependant cette défense. L'honorable M. Jacobs a des croyances catholiques sincères, et il aimerait mieux voir s'établir en Belgique la forteresse théocratique que de voir tomber la forteresse du Nord.
Messieurs, l'honorable M. Delaet, l'expression la plus vraie, la plus sincère du mouvement anversois, nous a fait comprendre quelle était la modération des meetings qu'il veut substituer aux coteries des associations.
L'honorable M. Delaet, avec moins de grâce que M. Jacobs, a défendu le programme de M. Dechamps, qui a fait un si beau discours pour Anvers. L'honorable M. Dechamps a fait de si belles promesses ! Le gouvernement libéral n'a jamais voulu faire des promesses.
J'ai confiance en M. Dechamps, dit l'honorable membre ; M. Dechamps a promis, M. Frère n'a jamais promis.
Je me permettrai de dire à l'honorable M. Delaet que la différence entre M. Frère et l'honorable M. Dechamps est celle-ci : L'honorable M. Frère n'a pas promis et n'a rien fait. L'honorable M. Dechamps promet beaucoup et il ne fera pas davantage.
M. Delaetµ. - Qu'est-ce que vous en savez ?
M. De Fré. - Vous verrez. Attendons la fin.
M. Coomans. - On ne le laisse pas faire. (Interruption.)
M. De Fré. - L'honorable M. Dechamps nous dénonce comme des rétrogrades, parce que nous ne voulons pas de sa réforme en matière électorale communale.
J'irai plus loin que lui dans cette voie ; je veux amender son programme et au lieu de réduire le cens de 15 à 10 francs, je demanderai que tout citoyen âgé de 21 ans, sachant lire et écrire, soit électeur communal. Je crois donc pouvoir dire que je suis plus avancé que l'honorable M. Dechamps !
L'honorable M. Orts, dans son remarquable discours, a déjà répondu sur ce point à l'honorable M. Dechamps. Qu'il me soit permis de m'occuper un moment du programme politique de la droite.
L'honorable M. Dechamps, parlant au nom de la droite, nous dit : Mais vous n'êtes pas libéraux ; nous sommes les seuls, les vrais libéraux ; . nous, nous sommes républicains en Amérique et en Suisse ; en Pologne nous sommes patriotes et martyrs ; en Belgique, nous sommes constitutionnels.
En Belgique vous êtes constitutionnels parce que vous ne pouvez pas, parce que vous n'osez pas être autre chose que constitutionnels.
M. Coomans. - Mais c'est un outrage cela ! (Interruption.)
M. Bara. - Vous faites tout ce qui est possible... (Interruption.)
M. De Fré. - Vous êtes des honnêtes gens ; vous avez des doctrines sincères, mais intolérantes, et quand je vois ce que vous faites dans les pays où vous dominez, je suis fondé à dire que vous pratiquez la liberté là où vous ne pouvez pratiquer le despotisme. Vos doctrines intolérantes vous y poussent. (Interruption.)
- Une voix. - A Rome et en Espagne.
M. De Fré. - L'honorable M. Orts disait à l'honorable M. Dechamps : Qu'êtes-vous à Rome ? j'ajouterai : Qu'êtes-vous en Espagne ? Là où vous dominez le pouvoir civil, vous faites condamner aux galères l'homme qui vend des bibles protestantes.
Voilà l'effet de vos doctrines intolérantes.
L'honorable M. Orts vous disait : Qu'êtes-vous à Rome ? Je répéterai la question. Je ne demande pas que M. Dechamps réponde, il n'est pas ici, mais je vais faire répondre à sa place. M. le comte de Montalembert, cet éloquent ami dont l'honorable M. Dechamps devait apporter ici le libéral discours prononcé au congrès de Malines.
Lorsque, en 1849, après le siège de Rome, le président de la République française écrivit à M. Edgar Ney cette lettre par laquelle il demandait que le pape donnât quelques libertés municipales aux Romains, replacés par la France sous sa domination, M. le comte de Montalembert disait à la tribune française, le 19 octobre 1849 :
« Si on voyait Pie IX rétablir, non pas même la liberté de la presse, non pas même la garde civique, mais seulement ce pouvoir parlementaire que le motu proprio refuse, je dis humblement, sincèrement que la confiance, la profonde et filiale confiance que nous avons en lui serait alarmée, je ne dis pas ébranlée, mais alarmée. »
Voilà, messieurs, ce que répondait l'honorable comte de Montalembert.
Pourquoi ne peut-on pas établir le gouvernement parlementaire à Rome ? Parce que le gouvernement parlementaire c'est la discussion et que là où règne une religion exclusive, la discussion est impossible ; là la discussion est réprimée.
En 1856, M. de Montalembert publie presque à la même époque deux écrits : l'un De l'Avenir politique de l'Angleterre, l'autre Pie IX et lord Palmerston.
Dans le premier écrit. lorsqu'il s'agit de l'Angleterre, l'éloquent ami de l'honorable M. Dechamps loue le régime parlementaire, « qui sait, dit-il, tout entendre et n'impose à la critique aucune réticence. » Dans le second lorsqu'il s'agit de Rome, il le condamne !
Et à ceux qui demandaient des réformes à Rome, il s'écrie : « Que prétendez-vous imposer au pape ? Ce n'est pas, sans doute, le gouvernement représentatif tel qu'il l'avait autrefois spontanément constitué. »
Et savez-vous pourquoi l'honorable comte de Montalembert ne veut pas du régime représentatif à Rome ? Parce que, dit-il, ce régime gênerait la liberté du chef de l'Eglise.
La liberté du chef de l'Eglise ! C'est donc la servitude pour les citoyens de Rome.
Ainsi, en Belgique, vous êtes pour un gouvernement libre, vous êtes constitutionnels, vous ne pouvez agir que par la liberté. A Rome vous n'avez pas besoin de la liberté et là vous n'en voulez pas.
M. Veuillot, qui a encore tant de crédit dans certaine presse catholique, disait dans l’Univers du 15 mai 1852 : « Il est impossible de défendre le régime parlementaire moderne au point de vue des doctrines catholiques. »
Et qu'on ne vienne pas nous dire que l’Univers n'a été loué que par le Bien public, car je vais vous répondre par la lecture d'un écrit émanant d'un des hommes les plus honorables de votre parti. L'honorable M. Félix de Mérode écrivait le 9 janvier 1852 à l'éditeur de l'Indépendance belge : « Dans votre numéro du 8 courant, vous publiez un extrait de laGazette de France où on lit : « M. Félix de Mérode, beau-frère de M. de Montalembert, vient d'acheter l'Emancipation de Bruxelles, moyennant 75,000 fr. Ce journal soutiendra, dit-on, les doctrines de l'Univers.
« Seul dans ma famille, je porte le nom de Félix ; c'est donc de moi que parle la Gazette qui me transforme de beau-père en beau-frère de M. de Montalembert. Cette erreur ne vaudrait pas une rectification de ma part ; je désire seulement faire connaître à vos lecteurs que je n'ai point acheté l'Emancipation de Bruxelles, ni appliqué en conséquence à cette acquisition 75,000 fr. ; qu'en outre je ne vois aucun motif d'organiser en cette ville un journal destiné à soutenir les doctrines de l'Univers défendues dans leur ensemble par le Journal de Bruxelles avec beaucoup de talent, de conscience et d e succès. »
Voici, messieurs, comment l’Univers qui a reçu publiquement un pareil certificat jugeait la Constitution belge :
« Ce concordat laïque délivra l'Eglise catholique du collège philosophique et de mille entraves ; il ouvrit le sol de la patrie aux ordres religieux, sans lesquels la religion est mutilée et donna aux enfants de saint Ignace et de saint Alphonse de Liguori, une province fertile en sujets excellents ; il fonda une université où l'enseignement romain sans alliage se fît entendre dans toutes les facultés.
« Voilà l'actif qui parut aussitôt et qui fit crier victoire ; mais le passif se développa peu après et jusqu'aux proportions menaçantes qui arrachent aujourd'hui à M. de Gerlache son cri de détresse, d'indignation et d'alarme. S'il était permis de créer une université catholique à Louvain, d'après les droits da l'homme et les libertés de 89, au nom des mêmes droits et des mêmes libertés, on pouvait ouvrir une université voltairienne. Elle prit son siège à Bruxelles et commença à pervertir les intelligences bourgeoises. Si l'on pouvait établir des journaux religieux, l'équilibre constitutionnel voulait qu'on pût reproduire les journaux modérés ou cyniques, également dangereux, dont les Français réfugiés de 1815 avaient appris aux Belges le métier et la spéculation. Si l'on pouvait faire des congrégations monastiques, la légalité voulait qu'on pût établir des loges maçonniques. Si l'on pouvait imprimer les traités ultramontains de Muzzarelli, le droit commun voulait qu'on pût faire la contrefaçon d'Eugène Sue et de tous les auteurs qui ont pourri la France. Si l'on pouvait donner des missions et y déployer les pompes du culte, la liberté pour tous voulait qu'on pût multiplier les théâtres et appeler de tous les coins de l'Europe, les danseuses et les comédiennes les plus élégamment corruptrices. Si l'on pouvait tenir à Malines un concile provincial, la réciprocité voulait qu'on pût tenir dans l'hôtel de ville de Bruxelles le fameux congrès libéral. Si l'on pouvait introduire dans l'instruction primaire les frères de la doctrine chrétienne, il fallait s'attendre à voir les philanthropes importer nos instituteurs des écoles normales. Nous pourrions allonger indéfiniment cette double colonne du bilan constitutionnel. »
Ainsi, vous le voyez, la liberté constitutionnelle pour les frères de la doctrine chrétienne, mais pas pour les loges maçonniques.
(page 513) La liberté constitutionnelle pour le concile de Malines, mais pas pour le congrès libéral de Bruxelles.
La liberté pour l'université catholique, mais pas pour l'université libre.
Voilà, messieurs, les doctrines traditionnelles. Ces doctrines, elles n'ont pas été professées seulement par des étrangers ; elles ont été professées par un homme qui, dans votre parti, jouit de la plus grande considération. M. de Gerlache s'est exprimé dans les mêmes termes :
« J'ai parlé ailleurs, dit-il dans son Essai sur le mouvement des partis, de l'influence exercée sur le clergé et sur les catholiques par la doctrine de M. de Lamennais. Ses partisans, afin d'échapper au despotisme que les gouvernements faisaient peser sur la religion, proclamèrent le principe de l'entière séparation de l'Eglise et de l'Etat. Ils disaient que le catholicisme devait vivre de sa vie propre, et n'avait rien à redouter de la liberté ; que la religion avait par elle-même un tel ascendant sur les intelligences, que dans les luttes elle devait toujours triompher. Aussi dans les discussions du congrès, les dispositions réputées favorables à toutes sortes de libertés et il faut bien le dire, parfois les plus imprudentes et les plus dangereuses, étaient-elles accueillies par les catholiques avec autant de facilité que par les libéraux. »
Ces catholiques qui, égarés par les doctrines de Lamennais, admettaient la liberté pour leurs adversaires, faisaient une chose dangereuse. Faut-il laisser la liberté aux mains de ses adversaires ? M. de Gerlache les blâme.
L'honorable M. de Gerlache regrette l'ancienne société.
« Le catholicisme était, avant la réforme, la loi fondamentale de toutes les nations. Le pouvoir royal recevait sa sanction des mains de l'Eglise. Tel était le droit de l'époque, droit appuyé sur l'opinion et sur la croyance générale. Le protestantisme, offert aux princes et aux peuples, comme une loi d'affranchissement, a dissous le lien qui unissait les deux puissances ; et en brisant le ressort de l’autorité ecclésiastique, il a aussi brisé l'autorité civile et détruit le respect des peuples pour les rois et pour les vieilles institutions. »
Je vous ai fait connaître l'opinion de M. Veuillot sur notre régime constitutionnel. Voici l'opinion de M. de Gerlache en 1852 :
« Le régime représentatif, dit M. de Gerlache, que nous avons emprunté à nos voisins comme une panacée politique, ne repose que sur des fictions. C'est le système protestant appliqué à l'état civil, système qui détruit l'Etat comme il détruit l'Eglise. »
Nous autres libéraux, nous admettons que la liberté des cultes, par exemple, est de droit naturel, que la Constitution ne l'a pas créé, que la Constitution n'a fait que proclamer un droit que l'homme reçoit de la nature, un droit qui est en rapport, en harmonie avec son organisation morale, et que quand on en viendrait à abolir ce droit, à empêcher les citoyens d'exercer librement leur culte, on porterait l'atteinte la plus grave à un droit naturel.
Eh bien, ce n'est pas là l'opinion de l'honorable abbé de Haerne. L'honorable M. de Haerne n'admet pas que la liberté des cultes soit un droit absolu, un droit naturel. Il admet que c'est un droit qui a été décrété par la Constitution et qu'une Constitution postérieure peut fort bien enlever sans froisser les catholiques, pourvu sans doute qu'il y ait comme en Espagne une religion d'Etat.
Le 24 janvier 1856, M. de Haerne écrivait à l'Observateur une lettre dans laquelle je lis :
« Ce qui prouve clairement que les droits des Belges n'ont pas été proclamés comme absolus et invariables, quelque fût le progrès social dans l'avenir, c'est qui la Constitution prévoit formellement le cas de modifications éventuelles à apporter aux institutions fondamentales. Les formes légales à suivre à cet égard sont prescrites à l'article 131.
« Le pacte fondamental ne fait pas d'exception pour la liberté des cultes pas plus que pour aucune autre liberté. Si mes collègues du congrès national avaient proclamé la liberté de conscience comme un droit absolu, ils n'auraient pu le faire que comme particuliers, ce que je n'admets en aucune manière ; mais il n'en serait pas moins vrai que ce droit n'est que politique et constitutionnel. »
Aucun libéral ne peut admettre qu'il soit possible de demander la révision de la Constitution, pour en effacer la liberté des cultes.
Un autre abbé, également membre du Congrès, déclare à son tour que la liberté des cultes, votée par le Congrès national, ne constitue pas un principe universel, absolu, inaliénable, et il dit pourquoi ; le 20 janvier 1850, il écrit au Messager de Gand :
« Si les catholiques du Congrès avaient admis la liberté des cultes comme un principe universel, absolu et inaliénable, dicté par le droit de nature, ils auraient condamné par là tous les gouvernements passés et présents, qui envisagent et ont envisagé la religion catholique comme le premier besoin du peuple soumis à leur administration ; ils auraient condamné les Etats qui ont cru devoir fonder leur législation sur l'unité des croyants et proclamer la religion la première loi de l'Etat. Or jamais je n'ai entendu la liberté des cultes dans ce sens. C’est cette pernicieuse doctrine qui a été condamnée par l'encyclique de 1832. »
Il y a deux sortes de libéraux ; les vrais libéraux, qui ne permettent pas qu'une liberté soit entravée par un culte quelconque, et les autres libéraux, qui sacrifieraient toutes les libertés au profit d'un culte préféré, au profit de leurs doctrines intolérantes.
Il y a des libéraux qui sont constitutionnels dans tous les pays, à Rome, en Espagne comme en Angleterre, comme en Amérique.
Il y a des libéraux constitutionnels en Belgique, mais qui ne sont pas constitutionnels à Rome, qui ne sont pas constitutionnels en Espagne, parce que ce serait condamner un gouvernement fondé sur l'unité des croyants, c'est-à-dire sur le despotisme théocratique.
Voilà précisément l'abîme qui est entre nous, voilà ce qui nous sépare, c'est que, malgré vous, vous vous trouvez arrêtés par des doctrines exclusives, intolérants, et plus ces doctrines sont sincères, plus elles sont fortes, plus la résistance que vous rencontrez dans votre propre conscience est grande.
Nous, au contraire, nous admettons toutes les doctrines, toutes les croyances qui naissent de la liberté .Toutes doivent avoir la protection de la loi civile. Nous ne voulons pas qu'un protestant arrête un catholique dans la manifestation de sa pensée, dans la manifestation de sa conscience, mais nous ne voulons pas non plus qu'un catholique vienne arrêter un protestant dans ces mêmes manifestations, et nous ne voulons pas surtout qu'au nom d'un culte, au nom d'une croyance quelconque, on arrête les destinées d'un pays.
L'honorable M. Dechamps, qui se déclare libéral, démocrate, est-il aussi largement constitutionnel que nous ? Mais l'honorable M. Dechamps n'a-t il pas, en 1856, soutenu la doctrine des évêques ?
En 1856 il y eut dans le pays une levée de boucliers contre l'enseignement de l'Etat, contre l'enseignement des universités, contre l'enseignement moyen, contre tout enseignement qui n'émanait point des autorités religieuses, au nom d'une doctrine que la Constitution repousse. Voici ce que disait l'évêque de Gand :
« Et ne vous laissez pas séduire, N. T. C. F., par ceux qui prétendent mettre une futile distinction entre l'enseignement philosophique et l'enseignement de la foi, de manière qu'on puisse soutenir comme philosophiquement vrai tout ce qui est contraire à la foi. C'est là une erreur déjà ancienne et formellement condamnée par le concile général de Latran, présidé par Léon X. Ce célèbre concile, après avoir condamné une erreur particulière, porta le décret suivant : Attendu que la vérité ne peut nullement être contraire à la vérité, nous déclarons tout à fait fausse toute assertion qui contredit la vérité de la révélation ; nous défendons sévèrement d'enseigner le contraire, et cous ordonnons et d'éviter de punir tous ceux qui suivent ces doctrines erronées, comme des hommes qui sèment de très funestes hérésies, comme détestables et abominables. »
Le passage que je viens de citer était adressé à l'honorable M. de Decker, qui, un jour, avait admis la distinction condamnée par l'évêque. L'honorable M. de Decker avait admis à côté du domaine de la foi le domaine de la philosophie ; il avait, dans une certaine mesure, défendu la liberté du professeur dans la chaire. L'évêque de Gand réfuta l’honorable M. de Decker avec l'autorité du conseil général de Latran. Les doctrines du mandement furent l'objet d'une discussion solennelle et approfondi dans cette assemblée, et c'est alors que l'honorable M. Dechamps est venu déclarer que l'enseignement ne peut jamais être contraire aux doctrines de l'Eglise.
Répondant à l'honorable M. Dechamps, l'honorable M. Frère disait :
« Et maintenant pour les universités, on vient demander sous quelque nom qu'on déguise cette prétention, que l'enseignement y soit donné conformément aux doctrines de l'Eglise catholique. »
« M. Dechamps, rapporteur. - Pas le moins du monde.
« M. Frère-Orban. - Vous demandez qu.1 l'enseignement supérieur soit donné conformément aux doctrines de l'Eglise catholique.
« M. Dechamps. - Nous demandons qu'il n'y soit pas contraire.
« M. Frère-Orban. - Vous demandez qu'il y soit conforme.
« M. Dechamps. - Il peut être conforme et jamais contraire.
« M. Frère-Orban. - Jamais contraire ! L'enseignement supérieur est impossible dans de pareilles conditions. »
Voilà donc comment vous êtes libéraux. Arrêtés par les doctrines de l'Eglise qui vous empêche de laisser se produire un enseignement qui est contraire à ces doctrines ; et quand vous dites : « Nous sommes constitutionnels », mon Dieu ! vous êtes sincères, vous croyez l'être, vous le dites de bonne foi, mais l'êtes-vous comme nous le sommes, nous qui (page 514° n’invoquons aucune puissance spirituelle ou religieuse pour mettre des bornes à l'esprit humain, Etes-vous bien constitutionnels, lorsque vous venez arrêter la liberté de la pensée ; lorsque vous voulez étouffer le cri de la conscience, entraînés malgré vous par la puissance irrésistible de vos doctrines intolérantes. Et si les doctrines intolérantes sont condamnées par la Constitution, comment pouvez-vous donner au pays la liberté et la sécurité dont il a besoin ?
Vous êtes républicains en Amérique, vous êtes républicains en Suisse ! Mais vous avez été républicains en France ; vous avez glorifié la république dans vos discours ; vous l'avez chantée jusqu'au jour où la république a été jetée par terre. Puis vous avez formé le banc des cardinaux et vous avez béni celui qui avait fait disparaître cette république que vous aimiez tant. Vous étiez des libéraux en 1814, pour combattre la république ; mais vous n'avez plus prêché la liberté lorsque vous aviez eu pour vous le bras du pouvoir.
Aujourd'hui vous ne prêchez plus la liberté, vous n'êtes plus républicains, en France, comme en Suisse et en Amérique, parce que la république ne vous sert pas, tandis que le pouvoir vous sert.
Cette substitution d'un régime que vous aviez béni à un autre régime, ce changement subit de votre république bien aimée à l'empire, vous l'avez justifié, glorifié dans votre presse. Voici ce que disait le Journal de Bruxelles du 1er janvier 1852.
« Nous le demandons aux partisans les plus prononcés de la souveraineté du peuple : s'il y a eu un crime, le 2 décembre, le peuple français tout entier n'est-il pas désormais complice ? Si le peuple est la source légitime de tout droit politique, comme le prétendent les théories libérales, y aura-t-il jamais eu rien de plus légitime que le pouvoir dont Louis-Napoléon Bonaparte se trouve investi ? » Le Journal historique de Liège lui-même disait au mois de février 1852 : « Le peuple français se réjouit d'être dépossédé de sa souveraineté, d'être dépouillé de ce qu'on appelait ses droits les plus précieux... N'en faut-il pas conclure que ces principes sont faux, que ces droits sont chimériques, et que les événements qui ont subitement changé la face des affaires, sont arrivés tout naturellement ? »
Voilà le cas que vous faites des théories publiques. Vous justifiiez le coup d'Etat et vous le faisiez avec d'autant plus d'ardeur, qu'il y a beaucoup plus de bénéfice pour vous à louer le despotisme qui triomphe que la liberté qui lutte.
Je vais vous citer un fait éloquent, éclatant, qui émane de vous et qui prouve que, bien que vous soyez libéraux et même républicains, il arrive bien souvent que lorsque le pays exige de vous un acte nécessaire à sa prospérité, à sa bonne renommée, vous pouvez être arrêtés par ces doctrines intolérantes que je respecte, mais qui, par moments, peuvent être nuisibles au pays.
Quand il s'est agi de la reconnaissance du royaume d'Italie, vous l'avez repoussée. Vous avez dit : « Le pape a été dépossédé d'une partie de son pouvoir temporel, d'une partie de sa souveraineté ; nous qui mettons les doctrines de l’Eglise au-dessus des doctrines libérales et la souveraineté du pape au-dessus de la souveraineté de son peuple, nous condamnons cette reconnaissance du royaume d'Italie qui a porté atteinte à la souveraineté de Pie IX. »
Vous n'avez pas sanctionné cet acte et vous ne pouviez pas le faire. Le pays venait vous dire : « Mon intérêt matériel et mon intérêt moral exigeaient cette reconnaissance. Mon intérêt matériel, parce qu'on empêche, par le refus de reconnaître ce royaume nouveau, l'industrie nationale d'exporter en Italie ses produits variés. »
Vous repoussiez ; vous disiez : « L'intérêt matériel du pays a son importance, mais au-dessus de cet intérêt nous mettons un intérêt beaucoup plus précieux, et nous refusons de sanctionner l'acte qu'on nous présente. » On vous disait : « Cette petite Belgique, sortie d'une révolution et qui pratique la souveraineté populaire, ne va-t-elle pas tendre la main à un pays qui est sorti, comme elle, d'une révolution et qui a conquis sa liberté ? Peut-elle regarder avec indifférence une nation qui a la même origine qu'elle ? »
L'intérêt moral de la Belgique exigeait qu'elle tendît la main à l'Italie. La Belgique, précisément parce qu'elle est petite, a intérêt à voir se multiplier en Europe les gouvernements constitutionnels ; plus il y aura de gouvernements constitutionnels en Europe, plus le gouvernement constitutionnel de la Belgique sera assuré et grandira. Mais vous étiez dominés par des préoccupations d'un autre ordre. Vous avez voté contre la reconnaissance du royaume d'Italie.
Messieurs, je le déclare hautement, je respecte tous ceux qui agissent, non par calcul, non par intrigue, mais par un sentiment sincère et respectable, et je n'incline devant vos votes quand ils sont l'expression de ces sentiments.
Mais un pays peut-il être gouverné par des hommes qui sont forcément et fatalement préoccupés d'autres intérêts que des intérêts de la patrie, que des intérêts moraux et matériels du pays ? Répondez !
Mais, disert les honorables M. Dechamps et M. Royer de Behr, il ne s'agira plus de tout cela ; nous ne mêlerons plus les questions religieuses aux questions politiques. Nous sommes des hommes nouveaux, nous avons fait peau neuve. Il ne s'agit plus de cet ancien drapeau ; nous l'abandonnons ; il effraye ; nous ne voulons plus le déployer devant le pays, parce qu'il agite, parce qu'il trouble le pays.
Messieurs, quand je disais tout à l'heure que votre programme est une stratégie habile et ingénieuse, j'avais, pour m'exprimer ainsi, des faits que je vais vous rappeler.
En 1856 lorsque vous luttiez à Gand au profit de M. Delehaye et autres membres de la députation gantoise, le comité catholique de Gand disait : « La lutte qui va s'engager est une lutte contre les amis de la religion et ses défenseurs ; de l'issue de cette lutte dépend le triomphe de l'Eglise dans notre pays. »
Voilà quel était votre drapeau à Gand en 1856. Vous avez triomphé.
En 1857, lors de la dissolution de la Chambre, vous avez déployé le même drapeau, et vous avez été vaincus ; la députation gantoise, qui est entrée dans cette enceinte en 1857, se composait exclusivement de libéraux.
Mais en 1861 vous avez dit : Nous ne déploierons plus le drapeau catholique ; nous ne savons plus vaincre avec ce drapeau dans l'arrondissement de Gand. Il ne s'agit plus de catholiques et de libéraux ; il s'agit de quoi ? Du triomphe du coton !
- Voix à gauche. - C'est cela !
M. De Fré. - Avec une grande prudence, qu'il faut louer, la presse catholique gantoise s'abstient de défendre l'Eglise ; elle défend le coton. Ses candidats ne sont pas les candidats de l'Eglise, mais du coton.
On fait du traité avec l'Angleterre une arme formidable pour attaquer le gouvernement. On dit aux ouvriers, aux fabricants de Gand : Croyez ce que vous voulez, soyez libéraux, catholiques ou protestants, cela nous est parfaitement égal ; mais pour l'amour de Dieu, sauvons le coton !
Et, messieurs, le coton a été sauvé ! sur sept membres dont se composait la députation de Gand, quatre sont restés sur le terrain. Mais le lendemain de cette lutte qu'avez-vous fait ? Avez-vous dit que c'était le coton qui avait triomphé ? Non ; vous avez dit : C'est l'opinion catholique qui triomphe !
Et, l'année dernière, lorsqu'il s'est agi de l'élection d'Anvers, n'a-t-on pas vu le parti catholique se cacher derrière le meeting, acceptant ses candidats ? Il ne s'agissait plus des intérêts catholiques, non, il s'agissait de faire tomber la forteresse du Nord ; il s'agissait de forcer le gouvernement à donner des indemnités à Anvers.
Puis on est allé à l'urne du scrutin pour faire triompher les intérêts d'Anvers et faire tomber la forteresse du Nord, et c'est la politique de la droite qui a triomphé. Et le lendemain que disait-on ? On disait : C'est l'opinion catholique qui triomphe.
M. Delaetµ. - Pas du tout ! On a dit : C'est Anvers qui triomphe.
MpVµ. - M. Delaet, veuillez ne pas interrompre.
M. Delaetµ. - On m'a si souvent interrompu hier, M. le président, et je n'ai pas réclamé.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je demande à M. De Fré de citer l'article du journal l'Escaut auquel il fait allusion. (Interruption.)
M. Delaetµ. - Je vous ai prouvé avant-hier qu'Anvers triomphe et aura raison de toutes les résistances, même avec le concours involontaire de l'honorable M. Frère.
M. Goblet. - Il n'y a pas de déshonneur à siéger sur les bancs de la droite.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Alors pourquoi n'y siégez-vous pas ?
M. Goblet. - Parce que je suis aussi bien de ce côté que vous du vôtre.
MpVµ. - Messieurs, plus d'interruption, s'il vous plaît ; la parole est continuée à M. De Fré.
M. De Fré. - Je dis que la veille de l'élection la question politique n'a pas été agitée à Anvers ; je dis que le drapeau catholique, qui avait été vaincu en 1857 et en 1859, n'a pas été déployé à Anvers, le 13 juin 1863. On disait : Il ne s'agit plus de ce vieux drapeau catholique, il s'agit de savoir si Anvers sera sauvé.
On a fait l'élection sur ce programme et le lendemain on a dit que c'était l'opinion catholique qui triomphait. Elle a si bien triomphé que le (page 515) cinq représentants d'Anvers sont dans le camp catholique. Ne protestez donc pas quand je dis que l'opinion catholique n'a pas triomphé avec son drapeau, mais avec un drapeau d'emprunt. Aurait-elle triomphé, auriez-vous été élus sans cette habile et ingénieuse stratégie ?
On a substitué au drapeau catholique tantôt l'intérêt comme à Gand, tantôt la peur comme à Anvers. Voilà comment la droite augmente ses bataillons.
Messieurs, à Bruges en 1864 on a parlé beaucoup du drapeau catholique, mais à ce drapeau on en a mêlé un autre, le drapeau flamand ; il vous a donné l'appoint pour la victoire.
Voilà comme vous faites. Si demain le programme de M. Dechamps, ce programme démocratique et libre échangiste, vient à triompher dans le pays, le parti catholique arborera son drapeau et criera aux populations surprises et ébahies : Saluez-le, c'est le drapeau du congrès de Malines qui triomphe ; saluez-le, acclamez-le !
Et, messieurs, admirez ici cette étonnante variété de conception. En 1861, à Gand, vous êtes protectionnistes ; le principe protecteur est un principe de salut pour la société. Aujourd'hui, en 1864, vous attaquez le principe protecteur et vous inscrivez le libre échange dans votre programme, et c'est nous qui avons soutenu contre vous, protecteurs, le libre échange, qui sommes accusés de ne pas vouloir le libre échange !
En 1863, à Anvers, il s'agissait de donner à ces Anversois malheureux, opprimés par un gouvernement libéral, sécurité et indemnité, et le programme de la droite ne promet que beaucoup de bienveillance.
Messieurs, quand la droite vient nous dire : Nous avons abandonné notre drapeau, je dis : Cela n'est pas vrai. Je dis : Vous êtes des gens d'honneur ; vous n'allez pas tromper vos électeurs, vous n'avez pas pu leur dire faussement que vous aviez des convictions catholiques ; et après avoir dit, avec raison, que vous êtes catholiques, vous n'allez pas agir comme des libéraux et trahir le mandat que vous avez reçu. Non ! vous êtes des catholiques, mais des catholiques masqués et pour un moment.
L'honorable M. Dechamps restera toute sa vie ce qu'il a été, il n'abandonnera pas le rêve de toute sa vie, il ne reniera pas tous ses discours, ses actes. Il restera toujours un éloquent orateur, mais un catholique fidèle ; c'est le drapeau catholique à la main, ce drapeau qu'il porte avec tant de grâce et qu'il défend avec un art si prodigieux sur le champ de bataille catholique, qu'il triomphera ou qu'il tombera. Son passé répond de l'avenir.
L'honorable M. Dechamps a prouvé par sa carrière parlementaire que moins que tout autre, il peut abandonner son drapeau ; il y a une circonstance de sa vie parlementaire qui ne doit donner aucune crainte sur la fermeté de ses principes. En 1844,quand M. Dechamps était au pouvoir, le chef du cabinet, M. J.-B. Nothomb, présenta un projet de loi par lequel, à la nomination des jurys d'examen par les Chambres, on substituait la nomination par l'Etat.
Tout le cabinet soutenait cette réforme, mais l'honorable membre aima mieux suivre les inspirations des évêques que les doctrines de ses collègues, qu'il abandonna un moment ; et quand on abandonne son poste, quand on oublie son devoir de ministre pour obéir à ses convictions catholiques, on a donné une preuve éclatante de l'inflexibilité de ses opinions.
Tout le monde sait que quand la loi dont les évêques ne voulaient pas eut été repoussée par les amis de M. Dechamps, et que le ministère, dont M. Dechamps faisait partie, eut été battu, l'honorable M. Dechamps retourna au banc ministériel.
Cette page de l'histoire de M. Dechamps prouve jusqu'à quel point ses opinions sont inflexibles. J'ai donc le droit de dire à l'honorable M Dechamps : Quand vous dites que vous changez votre drapeau, que de catholique vous devenez libéral, et de libéral démocrate, je ne vous crois pas.
Voilà votre passé et voilà votre avenir.
L'honorable M. Dechamps et les hommes qui lui ont donné leur confiance voudraient changer les traditions du parti catholique, qu'ils en seraient empêchés par ceux-là mêmes qui doivent les soutenir, c'est-à-dire par les évêques.
L'honorable M. de Decker s'écartait quelquefois de la politique épiscopale ; il lui est arrivé de ne pas être orthodoxe et, j'en suis certain, les élans démocratiques de l’honorable M. de Decker étaient sincères ; eh bien, au lieu d'être soutenu par ceux qui auraient dû le soutenir, il a été abandonné, attaqué, calomnié, abreuvé de dégoûts.
Voici ce que la presse catholique disait de ce ministère : « Il s'est fait une position telle, qu'il est fatalement condamné à marcher de faiblesse en faiblesse, reculant toujours et cédant devant les démonstrations quelque peu tapageuses du premier goujat libéral venu.
« Ce que devient le gouvernement au milieu de cette interminable série d'humiliations, se devine : le gouvernement ne compte plus dans le pays ; il est effacé, supprimé par l'anarchie morale qui s'infiltre partout, qui fait des ravages toujours croissants, qui énerve et démoralise les plus courageux. »
Voilà ce que disait le Journal de Bruxelles, au mois de novembre 1857.
Et cette presse conservatrice, aigrie de ne pas voir tout son programme politique triompher sur l'heure, s'attaque plus haut que les ministres. L'Indépendant du Luxembourg disait dans son numéro du 21 juin 1857 :
« Ne pouvons-nous pas demander à notre Roi : qu'est devenue cette haute sagesse que toute l'Europe admirait en lui ? Pendant tout le règne de Louis-Philippe, il passa aux yeux de la majorité des hommes pour le souverain le plus habile et le plus sage de toute l'Europe ; une seule nuit a suffi pour faire de toute cette sagesse un chétif néant, et la postérité ne verra dans ce roi rien moins qu'un sage et un habile. La haute sagesse de Léopold n'a-t-elle pas aussi reçu dans ces derniers temps une atteinte mortelle ? »
Voilà à quel dévergondage cette presse conservatrice est poussée lorsque ses amis qui sont au pouvoir ne marchent pas comme elle l'entend.
Ainsi, si vous suivez les traditions de votre vie parlementaire, si vous appliquez ces doctrines qui ont été défendues par tous vos orateurs, par tous vos publicistes, alors vous troublez le pays, vous troublez les esprits, vous inquiétez les consciences ; et si vous ne marchez pas d'après ces traditions, si vous n'appliquez pas ces doctrines, si vous voulez, comme vous l'a dit l'honorable M, Dechamps être libéraux et démocratiques, alors cette presse conservatrice vient vous secouer avec colère, ne s'attaque pas seulement à vous, mais s'attaque à la royauté qu'elle outrage.
Voilà l'alternative qui vous attend.
Messieurs, j'ai dit que la droite demandait l'avénement d'un ministère conservateur. Je crois qu'il peut y avoir utilité à certain moment d'avoir dans un pays un ministère conservateur. Mais ce ministère conservateur, ce n'est pas la droite qui le représente, qui puisse le représenter.
Lorsque vous avez, comme en Angleterre, à côté d'un parti libéral, le parti whig, un parti conservateur, le parti tory qui, sans nier le progrès, en arrête quelquefois la marche, mais qui, arrivé au pouvoir, ne cherche jamais à renverser une législation existante, lorsque vous avez dans un pays un parti conservateur, il peut y avoir utilité pour le pays, à certains moments, de voir un ministère conservateur prendre le pouvoir et gouverner le pays. Mais le parti catholique ne peut pas jouer ce rôle important.
Est-ce avec le programme de l'honorable M. Dechamps que vous voulez jouer le rôle de parti conservateur ? Mais, l'honorable M. Dechamps commence par changer la loi organique la plus importante du pays ; vous la changez dans une de ses dispositions qui n'ont jamais fait l'objet d'une critique. Je ne dis pas d'une critique individuelle ; il y a beaucoup de choses qui sont critiquées, mais d'une discussion contradictoire, d'une discussion utile dont on ait pu recueillir des fruits. Vous êtes le parti conservateur ! Et vous demandez à la royauté d'abdiquer une partie de ses prérogatives.
Mais, messieurs, est-ce de la politique conservatrice que cette théorie du suffrage universel dans la bouche d'un futur ministre de la monarchie belge ? Le suffrage universel pour tous ceux qui savent lire et écrire, je l'admets ; mais tel que l'entend l'honorable M. Royer de Behr, le suffrage universel devient une arme aux mains de la foule ignorante et envieuse contre ce que l'honorable M. Royer de Behr appelle l'aristocratie lettrée, je le repousse comme fatal aux destinées du pays. Dans notre pays, le suffrage universel, tel que l'entend l'honorable M. Royer de Behr, ne peut aboutir qu'au triomphe du despotisme.
Votre idéal, le voici : vous voulez que l'Etat n'enseigne pas, afin que les corporations religieuses absorbent tout l'enseignement.
Il vous faut le prêtre dans l'élection. Et pour couronnement, il faut le suffrage universel, afin que cette génération, instruite par les petits frères, conduite au scrutin par le prêtre, fasse triompher quoi ? Le libéralisme, la démocratie ? Non, le despotisme théocratique ! Il manquait à votre politique le suffrage universel.
(page 516) Voilà comment, sous une forme démocratique, vous arrivez par votre suffrage universel au despotisme le plus odieux, le despotisme clérical. Car celui-là, non seulement il vous prend la bourse, mais il vous prend la conscience, il vous prend l'esprit, il vous prend la pensée. non seulement il veut vous empêcher de marcher, mais il faut pis que cela, il veut vous empêcher de penser.
Mais, messieurs, votre presse fait-elle de la politique conservatrice à l'occasion de ce programme conservateur ?
« Le programme de l'honorable M. Dechamps, qui se renfermait dans des questions purement administratives, qui pouvaient se discuter sans préoccupation de partis, au seul point de vue de l'intérêt public, a été écarté comme trop radical. Le programme de l'honorable M. Frère, c'est à-dire la guerre ouverte à la liberté religieuse et catholique, le recours aux plus détestables traditions de Joseph II et de Guillaume Ier, le programme de M. Frère s'est trouvé suffisamment modéré, et, comme le dit l'Indépendance, indiqué par la situation. » Mais le rapprochement est instructif, le rapprochement entre 1864 et l'époque de Joseph II et de Guillaume Ier. Et puis, comme le Bien Public connaît les sentences sacrées, il ajoute : Et nunc erudimini, cette parole que Bossuet faisait tomber du haut de la chaire catholique sur Louis XIV.
Messieurs, il y a un abîme entre le parti catholique belge et le parti anglais tory ; si le parti tory ne veut pas avancer ou ne veut avancer que lentement, il ne recule jamais. Or, votre politique, votre rêve à vous, membres de la droite, c'est de revenir sur une législation qui existe depuis 60 ans, de revenir sur les principes constitutionnels qui garantissent la liberté des citoyens.
Depuis 60 ans il n'est plus permis aux particuliers de faire des fondations, et vous voulez donner aux particuliers le droit de faire ries fondations.
Depuis 60 ans il n'existe plus de pouvoir religieux dans l'Etat, il n'existe plus d'autorité religieuse dans l'Etat ; il n'existe plus qu'une autorité laïque, une autorité civile ; et à cette autorité laïque, à cette autorité civile vous voulez substituer l'autorité religieuse, vous voulez, par exemple, en matière d'inhumation, que le bourgmestre reçoive des instructions du curé.
Voilà les bouleversements que vous voulez opérer dans une législation qui existe depuis 60 ans, et vous vous dites conservateurs !
Vous empêchez que le professeur n'exprime dans la chaire une pensée qui est le résultat de ses études, de ses recherches et qui froisse vos doctrines, Et vous êtes conservateurs ! Vous ne conservez pas même aux citoyens un droit constitutionnel ; car, je vous ai rappelé tout à l'heure les paroles de l'honorable M. Dechamps qui ne veut pas que l'enseignement soit contraire aux dogmes de l'Eglise !
Non, messieurs, vous n'êtes pas le parti conservateur, parce que vous cherchez toujours à revenir sur des législations existantes, sur des conquêtes établies. Non, vous ne pouvez pas vous comparer aux torys d'Angleterre.
« Quels que soient les partis dominants, dit M. Léon Faucher, quelles que soient les doctrines, les Anglais ne songent jamais à quitter les voies dans lesquelles la nation est entrée. »
Dans un pays où existe la liberté religieuse, dans un pays où il y a plusieurs cultes, vouloir gouverner comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, au nom d'un seul culte, mais ce n'est pas conserver les libertés conquises, ce n'est pas laisser aux libres penseurs, aux protestants, à la conscience humaine, à l'esprit humain, une liberté entière, une liberté complète, qui n'a d'autre limite que la liberté des autres, d'autre limite que le droit d'autrui.
Le parti tory, messieurs, ne mêle jamais aux discussions politiques les discussions religieuses ; il ne vient jamais au nom d'une religion, au nom d'un dogme, attaquer une réforme quelconque, attaquer une législation existante ; car que l'Angleterre a eu cette bonne fortune, pour le développement de ses destinées, d'avoir fait en même temps et sa réforme religieuse et sa réforme politique.
La réforme politique n'y est jamais condamnée au nom d'un dogme qui ne s'est point réformé. Le libre examen, qu'on peut comparer à un arbre fécond, a produit deux rameaux, le rameau de la liberté de conscience ci le rameau de la liberté politique. L'Angleterre s'est affranchie du despotisme de la royauté et de l'autorité papale. Voilà pourquoi il n'y a pas en Angleterre ces contradictions qui existent en Belgique.
Si vous étiez un parti conservateur, l'idée de votre avénement au pouvoir n'agiterait point le pays. Il pourrait être indifférent à certaines classes de la société de voir à ce banc ou l'honorable M. Nothomb ou l'honorable M. Frère.
Mais la politique de l'un diffère de la politique de l'autre ; on n'est pas certain, lorsque l'honorable M. Nothomb est ministre, si l’on est condamné, excommunié par l'Eglise, de ne pas voir l'honorable M. Nothomb ordonner l'exhumation d'un cadavre comme il l'a fait dans l'affaire de Saint-Pierre-Cappelle.
L'honorable M. Nothomb, lorsqu'il ordonne l'exhumation d'un homme condamné par l'Eglise, agit conformément à la doctrine dont son parti demande l'application. Sa conduite est logique. Représentant de son parti au pouvoir, il faut qu'il gouverne d'après le programme de son parti et qu'il aille jusqu'au bout.
Il faut être logique.
Mais, messieurs, est-ce que le citoyen belge n'a pas plus de liberté avec un ministre qui n'ordonne pas des exhumations qu'avec un ministre qui en ordonne ?
Est-ce que les citoyens n'ont pas moins de motifs d'inquiétude quand il y a des ministres libéraux que quand il y a des ministres catholiques qui peuvent ordonner des exhumations, parce que le prêtre l'aura voulu ?
Eh bien, ce qui s'est passé en 1856 se passerait encore si la droite revenait au pouvoir. L'honorable M. Nothomb et tous les membres de la droite appliqueraient de nouveau leurs doctrines, leurs principes, leurs convictions, comme ils les ont appliqués autrefois. Mais que devient alors la société civile ? Que devient, avec un tel pouvoir, l'homme qui agit d'après sa conscience, qui vit et meurt selon sa conscience que la Constitution lui garantit libre, si après avoir agi d'après sa conscience, il est à la fois frappé par l'Eglise et par le pouvoir civil ? Je dis que cette perspective trouble, inquiète la société.
Non, vous n'êtes pas un pouvoir conservateur ! et quand vous venez nous dire sars cesse que nous compromettons le sentiment religieux, que nous cherchons à détruire la religion, je vous réponds, messieurs, que pour la compromettre, vous faites tout ce qu'il faut et que nous n'avons pas besoin de nous en mêler.
Comment ! vous ne cherchez pas même à conserver dans la société le sentiment religieux, le sentiment le plus puissant, le plus consolateur qui existe chez l'homme, qui fait partie de la vie morale de l'homme, comme le sentiment de l'amour, comme le sentiment de l'amitié, comme le sentiment de la famille.
Ce sentiment existe indépendamment de tout culte. Il n'est besoin d'être ni catholique, ni protestant, ni juif pour en sentir l'influence ; mais il y a des hommes qui personnifient le sentiment religieux dans le prêtre ; il y a des citoyens qui ne voient la religion que dans les ministres du culte, et qui, au jour des grandes douleurs, des grandes infortunes, ont besoin de la parole du prêtre.
Mais lorsque vous faites du prêtre un agent électoral, lorsque vous ne le laissez pas pur, lorsque vous le faites promener, une bourse à la main, de cabaret en cabaret, lorsque vous le menez à vos saturnales électorales, vous compromettez le prêtre, et vous tuez, en même temps que le prêtre, le sentiment religieux dans les cœurs de ceux qui personnifient le sentiment religieux dans le prêtre. Voilà ce que vous faites ; et quand vous avez fait cela, vous venez ici et vous attaquez la justice. (Interruption.) A propos des élections de Bruges, on a attaqué la justice. Il ne vous suffit pas de compromettre le sentiment religieux ; il faut encore attaquer le sentiment de la justice, de sorte qu'il ne reste plus rien dans le cœur des masses, pour leur apprendre le devoir, pour arrêter le débordement des mauvaises passions !
Messieurs, la droite n'a pas même conservé les traditions parlementaires. Je l'ai déjà dit : dans les pays libres ce sont les partis qui gouvernent. Quand un parti est dans l'opposition, il lutte contre le parti qui gouverne avec les principes qui composent son programme. Quand il devient pouvoir à son tour, il cherche à réaliser ses principes par des actes administratifs et par des actes législatifs ; alors triomphent les principes pour lesquels il a lutté lorsqu'il était dans l'opposition. Voilà la pratique constitutionnelle.
En 1847, lorsque le premier ministère de MM. Rogier-Frère est arrivé au pouvoir, ils sont arrivés avec un programme connu pour lequel ils avaient lutté longtemps dans l'opposition ; ce programme, ils l'ont présenté, ils ont cherché à le réaliser.
Plus tard, quand l'honorable M. de Decker est arrivé au pouvoir, il a inscrit dans son programme les principes pour lesquels il avait lutté et dans la presse, et à l'Académie où il a prononcé un jour un discours sur la liberté de la charité et dans cette enceinte. L'honorable M. H. de Brouckere avait présenté un projet de loi sur les fondations charitables ; le principe libéral triomphait dans cette loi. Qu'a fait l'honorable M. de Decker ? Il a retiré ce projet, que son programme condamnait.
En 1857, nous voyons se reproduire la même tradition avec le second ministère de MM. Rogier-Frère.
(page 517) Le parti catholique rompt avec ces traditions. Il arme avec du nouveau, de l’inconnu.
Elle fait une chose qui, dam aucun pays, sous aucun gouvernement libre, n'a j'aurais eu lieu. Allez en Angleterre, allez en France ; vous verrez que jamais un ministre n'est arrivé au pouvoir avec un programme qui n'avait pas été discuté pendant qu'il était dans l'opposition. Et savez-vous pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas arriver ou pouvoir avec l'inconnu, avec le hasard. Vous ne pouvez gouverner qu'avec des principes qui ont subi l'épreuve de la discussion et qui sont sortis victorieux de la lutte ; vous ne pouvez pas gouverner avec l'inconnu parce que c'est marcher à l'aventure.
Quand vous voudrez gouverner, vous hommes de la droite, vous ministres futurs de la droite, vous ne pourrez le faire, l'histoire nous l'apprend, qu'avec des moyens connus, qu'avec des principes qui ont été discutés, dont on connaît l'utilité, l'opportunité pratique.
Aujourd'hui, vous arrivez avec l'inconnu, vous arrivez avec le hasard.
M. Coomans. - Mais non, nous n'arrivons pas du tout. (Interruption.)
M. De Fré. - Vous arrivez avec l'inconnu ; vous ne faites donc pas ce que des hommes d'Etat doivent faire.
Pourquoi la droite n'inscrit-elle pas dans son programme les principes pour lesquels elle a lutté depuis sept années ? Ces principes sont les vrais principes de la liberté, de la moralité, de la nationalité et ils ont été méconnus et violés pendant sept années. Quoi ! l'occasion va vous être offerte de faire justice de tous les épouvantables attentats commis par le ministère libéral, et c'est à ce moment que vous reculez et que vous ne faites pas même mention de vos principes.
Que conclure d'une pareille conduite ? Ou bien vous abandonnez votre drapeau, ou bien vous n'osez plus le déployer. Vous-mêmes vous le considérez comme une vieille défroque qu'il faut cacher à tous les regards. Mais, si vous l'abandonnez c'est donc que pendant sept années vous avez manqué de conviction ; et si vous n'avez pas manqué de conviction, vous manquez de courage aujourd'hui.
Le pays se demandera, si le parti qui a refusé la reconnaissance du royaume d'Italie, pourra le mieux conserver nos bonnes relations avec les puissances étrangères ; le pays se demandera si le parti qui a refusé l'abolition de l'octroi pourra le mieux favoriser les intérêts matériels du pays ; le pays se demandera si le parti qui veut rétablir la mainmorte pourra le mieux conserver la paix des familles ; le pays se demandera si le parti de l'intolérance pourra le mieux garantir la liberté des citoyens et le pays prononcera.
Vous nous parlez de démocratie et d'émancipation, mots étranges dans notre bouche ! Vous avez gouverné la société pendant des siècles ; vous aviez le pouvoir religieux et le pouvoir civil ; vous seuls vous moralisiez ; vous aviez le monopole de l'enseignement et de la charité ; et quand, en 1789, la société moderne s'est levée, elle n'a trouvé que des masses ignorantes et appauvries. Voilà le legs que vous avez laissé à la société ; et c'est conte ce legs du passé que nous luttons encore aujourd'hui ; c'est ce legs que le gouvernement libéral est chargé de faire disparaître.
Messieurs, ces hommes qui mendiaient à la porte de vos couvents, 89 euna fait des travailleurs libres et des citoyens éclairés que vos discours démocratiques, croyez-le bien, ne ramèneront pas à la vieille servitude.
M. de Naeyer. - Mon intention, messieurs, est de traiter particulièrement la partie économique et financière du programme. Mais j'espère que la Chambre me permettra d'abord de lui présenter quelques observations sur la situation qui est faite au gouvernement et au parlement et de répondre aussi en partie au discours de l'honorable ministre de l'intérieur.
Au mois de janvier dernier, les ministres ont donné leur démission parce que leur majorité, réduite par les dernières élections de Bruges, leur paraissait insuffisante pour continuera gérer utilement les affaires du pays.
Cependant à cette époque, l'enquête ouverte sur l'élection de Bastogne leur faisait espérer probablement qu'une nouvelle élection ayant lieu, elle pourrait ramener dans la Chambre le membre libéral qui en a été éliminé.
La majorité, au lieu d'être de deux voix, se serait alors élevée à 4 voix. Mais cet espoir a été déçu, et cependant ces ministres ont cru pouvoir continuer à gérer les affaires.
Quelle est maintenant la différence entre les deux positions ? A mon avis, elle peut se résumer eu un seul mot. Au mois de janvier, le ministère n'avait pas le pouvoir de dissoudre la Chambre ; il semblait alors exorbitant qu'un ministère, arrivé au pouvoir par la dissolution, recourût encore à la dissolution pour s'y maintenir.
Evidemment, il fallait un certain laps de temps pour habituer en quelque sorte le pays à cette idée qui, je le répète, paraissait de prime abord exorbitante.
Aujourd'hui, au contraire, que le ministère a retiré sa démission, il nous a dit très catégoriquement, très explicitement et très formellement qu'il est muni du pouvoir de dissoudre les Chambres. Voilà toute la différence entre les deux positions.
Le ministère a aujourd'hui deux voix de majorité « plus la faculté de dissoudre. » Espère-t-il avoir ainsi le moyen de désarmer l'opposition et de renforcer sa majorité ?
Franchement, messieurs, je ne puis pas le croire, car on nous a déclaré à plusieurs reprises que la politique du ministère restait la même et qu'elle ne subirait aucune modification. Comment voulez-vous donc que nous changions, parce que nous sommes menacés d'une dissolution ? N'est-il pas évident que notre dignité seule proteste énergiquement contre une pareille supposition ? N'est-il pas évident que notre concours est aujourd’hui rendu plus impossible que jamais ? Je ne puis donc douter un seul instant que le ministère ne soit convaincu de l'impérieuse nécessité de la dissolution pour remédier à une situation devenue intolérable.
Mais avant de recourir à cette mesure, il a voulu atteindre un double résultat ; d'abord, avoir une grande discussion politique ; secondement, faire voter par le Sénat la loi sur les bourses d'études. C'est ainsi que je crois avoir compris les explications données dans une autre séance. Quant à la discussion politique, je n'ai aucune objection à faire ; vous croyez cette discussion utile, nous également.
- Un membre. - Nous sommes d'accord.
M. de Naeyer. - Nous ne le sommes pas souvent. Nous la croyons bonne surtout parce qu'elle fera ressortir de nouveau le véritable caractère de cette politique que nous combattons, parce qu'il sera prouvé ure fois de plus que cette politique a toujours besoin pour vivre d'engager nos luttes sur le terrain religieux et d'agiter ainsi ces questions irritantes dont le pays est fatigué, car ce n'est pas nous évidemment qui avons imprimé une telle direction au débat actuel.
Quant à l'autre résultat qu'on veut atteindre, l'idée me paraît assez étrange.
En effet, le ministère doit au moins douter si le pays est encore avec lui ; or, dans une pareille situation, est-il bien constitutionnel d'employer l'influence du gouvernement pour faire adopter la loi des bourses d'études, loi qui, particulièrement à raison de ses dispositions rétroactives, rencontre beaucoup d'antipathie dans le pays ? Il importe d'ailleurs de remarquer que l'assemblée qui est appelée à délibérer est aussi menacée de dissolution.
- Un membre. - On n'en a pas l'intention.
M. de Naeyer. - Cela dépendra des circonstances, la faculté de dissoudre étant accordée au ministère sans restriction.
Messieurs, on a beaucoup parlé des hésitations de la droite à accepter le pouvoir et on les a attribuées à des sentiments peu honorables, on est allé jusqu'à dire que nous avions peur d'interroger le pays même sous un ministère de la droite, et cependant aujourd'hui nous demandons instamment la dissolution sous un ministère de la gauche. Mes honorables amis ont fait pleinement justice de toutes ces accusations, j'ajouterai seulement que le passé n'était aucunement de nature à nous inspirer cette frayeur qu'on nous a prêtée si gratuitement.
En effet, depuis 1847 il y a eu neuf élections pour le renouvellement de la Chambre des représentant savoir : en 1848, 1850, 1852, 1854, 1856, 1857, 1859, 1861 et 1863.
Eh bien, toutes ces élections ont été faites sous des ministères pris dans les rangs de la gauche, à l'exception de celle de 1856.
Or, quelle a été la conséquence de cette dernière ? La conséquence a été que le ministère appartenant à la droite eut à la Chambre plus de quinze voix de majorité, et cependant on voudra bien reconnaître que dans les élections de 1856 les fonctionnaires publics n'avaient pas montré trop de zèle pour appuyer les candidats favorables à la politique du gouvernement ; certes cette circonstance, de même que les résultats des dernières élections pour la Chambre et des dernières élections provinciales n'étaient pas de nature à effrayer le parti conservateur ; mais la dissolution était sans précèdent dans le parti conservateur et voilà pourquoi il a fait tout ce qu'il était possible de faire pour éviter cette mesure que son avénement au pouvoir pouvait rendre nécessaire, car si le ministère démissionnaire ne pouvait plus gouverner avec deux voix de majorité, comment un ministère pris dans les rangs de la droite aurait-il pu marcher avec deux voix de minorité ? Il n'y avait véritablement qu'un seul et unique moyen d'échapper à la nécessité d'une dissolution ; ce (page 518) moyen était la formation d'un ministère de trêve, restant neutre entre les deux partis politiques ; de cette manière seulement on aurait pu arriver sans dissolution à l'époque ordinaire des élections de 1865.
Or, la droite s'est montrée constamment disposée à appuyer toutes les combinaisons rentrant dans cet ordre d'idées, elles ont été rendues impossibles par l'attitude prise par l'opinion libérale. Voilà l'explication vraie des hésitations qu'on a reprochées si injustement au parti conservateur ; il est bon que l'attention du pays soit fixée sur ce point, afin de le mettre à même de bien apprécier la situation et d'en reconnaître les véritables auteurs.
Nos honorables adversaires ont été appelés à se prononcer sur le programme présenté par l'honorable M. Dechamps ; ce programme, ils l'ont trouvé mauvais, ils l'ont trouvé entaché d'une foule de défauts - c'est naturel - car enfin le programme n'était pas fait pour être soumis à leur approbation ; toutefois ils ont dû nécessairement se dire qu'après tout il y avait quelqu'un plus compétent qu'eux pour l'apprécier, et ce quelqu'un était le corps électoral, juge suprême en pareille matière ; or, ici nos honorables adversaires se sont montrés d'une complaisance extrême, ils ont débarrassé le parti conservateur du soin de consulter le pays, en acceptant généreusement la mission de faire les élections sous leur direction. Nous croyons que les rôles sont intervertis et, d'après les faits que j'ai cités, on s'explique parfaitement que cette interversion ait été accueillie avec joie dans le camp libéral. Toutefois, cela ne nous empêche pas de réclamer avec de vives instances la dissolution, et nous sommes convaincus que l'inégalité de conditions que je viens de signaler n'échappera pas à l'attention du pays.
M. le ministre de l'intérieur a traité hier une foule de questions, je me bornerai à rencontrer quelques points principaux. La thèse qui domine dans le discours de l'honorable ministre, est celle-ci : le parti libéral est un parti modéré ; le parti conservateur est un parti violent, intraitable. La thèse est assez curieuse et les arguments invoqués à l'appui ne le sont pas moins. D'abord, l'honorable ministre me permettra de faire observer qu'en parlant beaucoup de modération, il n'en a pas toujours donné l'exemple, notamment en ce qui concerne l'interprétation de nos intentions et du but que nous poursuivons. Cependant je dois reconnaître que l'honorable ministre a été relativement modéré, au moins il n'a pas reproduit ce luxe d'épithètes outrageantes dont notre programme a été l'objet au commencement de cette discussion.
Il s'est abstenu d'imiter d'autres orateurs qui sont allés jusqu'à révoquer en doute la loyauté et l'indépendance de nos caractères, la loyauté et l'indépendance de nos opinions. Si ces biens, qui sont ce que nous avons de plus précieux, pouvaient nous être enlevés, nous ne resterions pas plus longtemps sur ces bancs, nous répudierions, je ne dirai pas l'honneur mais le déshonneur de siéger ici.
Suivant l'honorable ministre, nous avons été violents, le parti conservateur a été violent dans la question des cimetières, dans la question des fabriques d'église - je cite les points principaux - dans les luttes électorales et puis encore dans certaines parties de notre programme, enfin presque violents en tout. La modération nous manque complètement, suivant les appréciations de l'honorable ministre.
Nous avons été violents dans la question des cimetières et cependant qu'avons-nous demandé ? Une seule chose : c'est que, sous prétexte de tolérance, on n'érige pas en principe la confusion des croyances et des cultes.
Nous croyons, nous, que la vraie tolérance consiste à respecter les croyances et les convictions religieuses et que la confusion que je signale est en réalité la négation de ce respect.
Il est d'ailleurs à remarquer que du moment que cette question a été soulevée dans cette enceinte, les membres de la droite et notamment l'honorable M. de Theux ont demandé que partout il y eût un lieu de sépulture parfaitement convenable pour ceux qui meurent hors de la foi catholique et qui cependant formant en Belgique une exception.
Jamais nous n'avons nié ce droit de police dont on a parlé et dont les autorités locales sont investies, mais nous avons soutenu et nous soutenons encore que cette attribution de police n'est pas un pouvoir absolu, que ce n'est pas une espèce de permission de tout faire et qu'elle a pour corollaire des devoirs et notamment celui de concilier, dans la mesure du possible, le respect dû aux morts avec le respect dû aux croyances et surtout aux croyances de la grande majorité du pays. (Interruption.)
En général, il s'agit de statuer sur des faits qui sont de notoriété publique et si exceptionnellement il peut y avoir des conflits soulevant certaines difficultés, est-ce un motif suffisant pour adopter comme règle de conduite un principe qui, en réalité, froisse la conscience des populations ?
Voilà, en résumé, nos réclamations en fait de cimetières, et il me semble qu'elles ne portent aucun caractère de violence.
Nous avons été violents dans la question des fabriques d'église ; cependant qu'avons-nous demandé ?
Que le gouvernement se montrât au moins aussi tolérant que l'était le gouvernement du roi Guillaume qu'on n'a jamais soupçonné d'être entaché de cléricalisme. Mais, dit l'honorable ministre, vous vous récriez contre un projet que vous ne connaissez pas, contre un projet qui ne contient que des dispositions très anodines.
Ainsi, il s'agit de savoir notamment si le curé qui jusqu'ici a été assis à la droite du président sera assis désormais tantôt à sa droite et tantôt à sa gauche.
Mais, mon Dieu, fallait-il pour une pareille misère remanier une législation qui se lie si intimement aux croyances ?
Autre disposition anodine ! Quand il s'agira d'ériger une nouvelle fabrique, qu'arrivera-t-il ?
Aujourd'hui l'évêque nomme un membre de plus que le gouverneur, désormais le gouverneur et l'évêque nommeront le même nombre de membres. Et puis, fait remarquer M. le ministre, cette disposition sera bien rarement appliquée, l'application ne devant avoir lieu qu'en cas d'érection d'une nouvelle fabrique d'église, ce qui incontestablement n'arrive pas tous les jours.
Je crois cependant, d'après certains renseignements qui circulent dans le public, que tous les conseils de fabrique devraient être remaniés immédiatement d'après les principes de la nouvelle loi. Je le pense.
M. de Theuxµ. - C'est ainsi.
M. de Naeyer. - De manière donc que sous ce rapport la disposition perd un peu de son caractère anodin.
Mais, messieurs, qu'y a-t-il au fond de ces dispositions en apparence assez anodines ? Il pourrait bien y avoir un changement complet des principes sur lesquels repose la législation actuelle. On est naturellement porté à le croire, d'après les discussions mêmes qui ont eu lieu dans cette enceinte, et voilà ce qui fait naître les inquiétudes.
Aujourd'hui les fabriques d'église sont des personnes morales, reconnues par la loi, comme représentant les intérêts temporels du culte.
Elles forment des êtres distincts, ayant une personnification propre, elles ont un patrimoine qui leur appartient, et composé en grande partie de biens qui leur ont été restitués à la suite du concordat.
Et que veut-on en faire ? On veut en faire des démembrements de l'Etat, qui cesserait d'être tuteur pour devenir le maître.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - On veut un contrôle sérieux.
MfFOµ. – On ne change rien à ce qui existe.
M. de Naeyer. - C'est probablement un changement indirect de principes.
MfFOµ. - C'est une erreur.
M. de Naeyer. - Mais, dans l'ordre d'un contrôle sérieux, les dispositions dont je viens de parler n'ont pas de sens, elles sont insignifiantes ; pourquoi voulez-vous les présenter ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et pourquoi les combattez-vous ?
M. de Naeyer. - Je ne combats que l'idée de changer le véritable caractère des fabriques d'église, que je ne considère pas aujourd'hui comme des démembrements de l'Etat.
MfFOµ. - Il y a vingt-cinq ans qu'on signale des vices et qu'on veut les corriger.
M. de Naeyer. – Il est facile de les corriger sans remanier toute la législation ; car ces vices se résument en l'absence d’un contrôle sérieux, sous ce rapport il était parfaitement inutile, par exemple, de modifier la disposition qui permet à l'évêque, dans des cas tout à fait exceptionnels, de nommer un membre de plus que le gouverneur. Cette disposition, qui a fonctionné depuis longtemps, avait au moins cet avantage que le nombre des membres était impair ; ce qui est une chose utile et presque nécessaire pour une assemblée délibérante.
MfFOµ. - Ce sont des détails.
M. de Naeyer. - Nous aurons probablement d'autres détails révélant la même tendance. Quant à un contrôle plus sérieux, je suis loin de le combattre, je trouve cela de toute justice pour prévenir les insuffisances de ressources qui, d'après la législation actuelle, engagent les finances communales.
- Plusieurs membres à gauche. - C'est cela.
(page 519) Mais ce que je viens de signaler ne conduit pas à ce but.
M. Mullerµ. - Vos collègues ne disaient pas ce que vous dites.
M. de Naeyer. - Maintenant, messieurs, notre violence s'est encore manifestée dans les élections : c'est ici que nous sommes excessivement méchants, paraît-il, et que les libéraux sont des agneaux de douceur, de mansuétude et de bonhomie.
Je pense que nous ne sommes pas placés ici très avantageusement pour bien connaître ce qui se passe dans les élections. Nous avons quelquefois ouvert des enquêtes, et même avec ces enquêtes nous ne sommes pas toujours parvenus à bien apprécier la situation. Ce n'est donc pas avec quelques faits isolés, ni au moyen de quelques allégations assez vagues qu'on peut se faire une idée exacte de la véritable physionomie générale de nos luttes électorales et de la conduite des partis qui se trouvent en présence.
Mais l'honorable ministre de l'intérieur a produit une lettre ou circulaire d'un ancien commissaire d'arrondissement, à laquelle il a attaché une grande importance, parce qu'elle remonte à la lutte électorale de 1847. Or cette pièce contenait une foule de considérations assez mal digérées, mais elle ne renfermait aucune conclusion bien formelle et bien nette, ayant le caractère d'une promesse ou d'une menace.
M. de Theuxµ. - Elle était toute personnelle.
M. de Naeyer. - Mais il paraît que, depuis lors, l'art d'influencer administrativement les élections a fait des progrès.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Prouvez-le !
M. de Naeyer. - Il y a une pièce assez curieuse sous ce rapport au dossier de l'enquête relative à l'élection de Bastogne ; c'est une lettre datée du 4 juin 1863 et écrite aussi par un commissaire d'arrondissement qui, je pense, n'est plus aujourd'hui en fonctions.
J'en tiens ici une copie, elle est conçue en ces termes :
« Monsieur,
« J'apprends avec surprise que, dans le canton de Fauvillers, vous faites des démarches pour que M. Van Hoorde de Bruxelles soit nommé représentant à la Chambre pour notre arrondissement. Ces démarches, je vous l'avoue, je ne les comprends pas ; en effet, notre ancien représentant, je pense, n'a rien laissé à désirer ; mais là, monsieur, n'est pas toute la question qui m'occupe ici. Vous avez toujours été, je crois, de l'opinion politique libérale, et d'un autre côté je puis vous assurer que M. d'Hoffschmidt est depuis longtemps très porté pour vous ; aussi, à sa recommandation, je vous ai présenté comme premier candidat à la place de bourgmestre, à laquelle a renoncé M. Reding, et jusqu'ici rien n'est décidé à cet égard. »
M. Bouvierµ. - Qu'est-ce que cela prouve ?
M. de Naeyer. - Cela ne prouve rien, si ce n'est que rien n'est décidé.
Je continue :
« ... Aussi j'avais tout lieu de croire qu'avant peu ce serait vous qui présideriez l'administration communale de Fauvillers, car l'honorable M. Reding, par suite de ses accidents, ne pourra continuer plus longtemps. Je le répète donc, les démarches qu'on vous attribue m'étonnent, contrarieront M. d'Hoffschmidt qui vous voit volontiers, et devront changer l'état de choses existant aujourd'hui. »
Cela signifie quelque chose : c'est dire en termes assez clairs : Vous ne serez pas nommé. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - C'est de la subtilité.
M. de Naeyer. - Et puis, pour qu'il n'y ait pas de doute, voici ce qu'on ajoute : « Veuillez, monsieur, me donner un mot de réponse. »
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je vous ai cité une circulaire écrite d'autorité.
M. B. Dumortier. - Celui-là n'a pas été nommé bourgmestre ; vous en avez nommé un autre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne sais à quel fait on fait allusion, et je ne sais pas si la personne dont il est question a été nommée bourgmestre.
M. Van Hoordeµ. - Non.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable M. Van Hoorde me dit non. Je n'en sais rien.
Mais je constate qu'il y a une différence entre la circulaire que j'ai lue et la lettre qu'on vient de lire. La circulaire que j'ai citée était une pièce officielle émanant d'un fonctionnaire parlant au nom de l'autorité, invoquant le Roi, invoquant le gouvernement ; tandis que la lettre qu'on vient de lire est une lettre particulière que je ne puis apprécier. Mais, en tout cas, je constate avec plaisir que la personne qu'on a voulu faire nommer bourgmestre ne l'a pas été.
M. de Theuxµ. - Je dois dire que la circulaire qui a été lue hier ne m'a été connue qu'aujourd'hui et que le gouvernement y était complètement étranger.
MfFOµ. - Elle a été imprimée à cette époque.
M. de Naeyer. - Vous ne prouvez pas qu'il y ait eu à cette époque une circulaire de la part du gouvernement, ni même de la part du gouverneur, et vous prétendez que la pièce que vous avez lue hier avait une grande valeur. Je vous produis une lettre écrite dans des circonstances analogues, en l'absence aussi d'une circulaire du gouvernement, cela se peut, car je n'ai pas la preuve qu'il y ait eu une circulaire du gouvernement, et vous prétendez que cette pièce ne prouve rien du tout. Or, la pièce que vous avez lue ne contenait ni menace ni promesse ; et ici évidemment, pour tout homme de bonne foi, il n'y a pas de doute, c'est dire à celui qu'on avait proposé pour la place de bourgmestre, vous ne serez pas nommé si vous n'adoptez pas mon candidat, et je le saurai, car je demande une réponse.
- Plusieurs membres. - C'est clair. Et il n'a pas été nommé.
M. de Naeyer. - Je n'ai produit cette pièce qu'en termes de réponse à l'accusation de l'honorable ministre. C'est involontairement que je suis amené sur ce terrain, parce que, comme je le disais, nous ne sommes pas ici à même de discuter, en pleine connaissance de cause, la conduite des partis politiques dans les élections, les pièces du genre de celle que je viens de lire deviennent rarement publiques. Il y a en outre bien des démarches dont il est impossible de fournir la preuve ; l'on sait parfaitement dans les arrondissements que les abus d'influence administrative ne sont pas rares, et il est bon que l'attention publique soit éveillée à cet égard.
Mais je ne vois pas grande utilité aux reproches vagues qu'on articule dans cette enceinte relativement au plus ou moins de violence dans les luttes électorales. Ces luttes sont nécessairement ardentes. Vous prétendez que, de notre côté, on parle trop de religion. Eh bien, de l'autre côté, on parle de la dîme et d'autres absurdités du même genre, et l'on a recours à ces mauvais moyens pour effrayer nos campagnards.
Ainsi que faisait-on en 1857 ? On avait répandu, dans nos communes rurales des Flandres, ce bruit violemment absurde que, par ordre du gouvernement, un couvent allait être érigé dans chaque village et que tout habitant ayant quelque fortune serait obligé de laisser une partie de son bien au couvent ou au curé.
M. Bara. - Le gouvernement n'était pas l'auteur de ces bruits.
M. de Naeyer. - Soit, mais M. le ministre nous a parlé d'une foule de choses dont nos amis alors au pouvoir n'étaient pas les auteurs ; ainsi quant à la lettre qui a été lue par l'honorable ministre de l'intérieur, l'honorable M. de Theux, dont vous ne suspecterez pas la loyauté et la probité politique, dit formellement que cette lettre a été écrite sans que le gouvernement en ait eu connaissance.
Quant aux exclusions et aux éliminations, vous n'avez non plus aucun reproche à nous faire sous ce rapport. Il y a un fait qui est présent à l'esprit de tout le monde et qui certes, de la part des hommes actuellement aux affaires, n'indique pas un grand caractère de modération.
Lorsque, il y a peu d'années, l'honorable M. Dechamps devait être élu à Charleroi, n'avons-nous pas vu un ministre, déjà membre de cette Chambre, se porter candidat uniquement pour empêcher l'élection de l'honorable M. Dechamps ? Jamais cependant vous ne parviendrez à faire passer l'honorable M. Dechamps pour un homme violent, exagéré, et vous devez reconnaître avec nous que sa présence au parlement fait honneur au pays.
MfFOµ. - M. Devaux aussi faisait honneur au pays.
M. de Naeyer. - Sans doute, mais la circonstance toute spéciale dont je parle ne s'est pas présentée à Bruges.
L'honorable ministre a trouvé dans notre programme un certain caractère de violence.
Ainsi on a voulu, dit-il, dissoudre tout à la fois les Chambres, les conseils provinciaux et les conseils communaux, et en même temps nous voulions encore destituer une masse de fonctionnaires. Quant à ce dernier point, il suffit de lire le programme pour avoir la conviction que l’accusation est d'une exagération incroyable.
Comment l'honorable ministre n'a-t-il pas remarqué qu'en ce qui concerne la dissolution des Chambres et le renouvellement des conseils communaux et provinciaux, ce qui se trouve dans le programme est peu de chose en comparaison de ce qui a été fait en 1848 par ses amis politique.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Comparez-vous les deux époques ?
(page 520) M. de Naeyer. - Je vais faire ressortir toute la différence, et elle prouve que votre accusation est tout à fait injuste.
En 1848, il y a eu, en trois mois de temps, tout à la fois dissolution des Chambres législatives, dissolution des conseils provinciaux et dissolution des conseils communaux, et tout cela avec une réduction considérable du cens électoral et tout cela quand l'Europe était sur un véritable volcan.
- Plusieurs membres. - A cause de cela.
- D'autres membres. - Vous avez approuvé ces mesures.
M. de Naeyer. - J'espère qu'on voudra bien me laisser parler.
MpVµ. - N'interrompez pas. La parole est à M. de Naeyer.
M. de Naeyer. - Voici, messieurs, l'énorme différence qu'il y a entre les deux positions ; aujourd'hui il y aurait eu dissolution des Chambres sans que le cens électoral eût été modifié, et vous savez parfaitement que la nécessité de cette dissolution ne pouvait nous être imputée, que nous avions tout fait pour l'éviter.
Quant au renouvellement des conseils communaux et provinciaux, il ne pouvait être immédiat, la réforme proposée devait être précédée d'une information administrative ; la loi devait être examinée et discutée à la Chambre et au Sénat, et il est assez probable que tout cela nous aurait conduit à l'époque du renouvellement ordinaire des conseils provinciaux.
Vous voyez donc qu'il n'y avait là rien de si violent, et que le reproche de vouloir agiter le pays est parfaitement injuste.
Mais, dit l'honorable ministre, vous infligiez ainsi une espèce d'injure aux conseils provinciaux et communaux actuels ; vous déclariez implicitement qu'ils ne remplissent pas convenablement leur mission, puisque vous vouliez les renouveler.
Mais, messieurs, est-ce que vos amis politiques ont fait injure aux Chambres en 1848, lorsqu'ils ont modifié le cens législatif ? Nous voulons modifier le cens communal et provincial, non point parce que l'état actuel des choses laisse à désirer quant à la composition des conseils provinciaux et communaux, mais parce que nous considérons la loi comme imparfaite en ce qu'elle exclut absolument des comices électorau, une catégorie de citoyens qui, suivant nous, devraient être admis à la vie publique, en prenant part aux élections pour la province et pour la commune, et nous croyons qu'il doit en être ainsi, à raison des progrès réalisés depuis quelques années sous le double rapport de l'éducation politique et de l'instruction publique.
L'honorable ministre a donc méconnu absolument le but de la réforme, et il a interprété nos intentions d'une manière qui est loin d'être modérée. Si un pareil reproche avait le moindre fondement, il est évident qu'il pourrait toujours être fait, et, en définitive, toute réforme quelconque serait rendue impossible.
En faisant usage d'un raisonnement de la même force, on pourrait même soutenir que l'adjonction de nouveaux électeurs est une espèce d'injure pour les électeurs actuels ; on pourrait prétendre qu'ils sont ainsi implicitement reconnus insuffisants pour faire de bons choix ; évidemment ce sont là des arguments sans valeur.
L'honorable ministre a critiqué encore la réforme proposée en ce qui concerne la nomination des échevins. Il s'agit ici, dit-il, d'une prérogative royale à laquelle on veut porter atteinte. Veuillez remarquer d'abord, messieurs, que cette prérogative royale n'est pas dans les principes de la Constitution, c'est exceptionnellement que le Roi a été investi du droit de nommer les chefs des administrations communales.
Suivant le principe de la Constitution, cette nomination appartient aux électeurs communaux.
Ensuite, messieurs, ne faut-il pas reconnaître que cette prérogative perd énormément de sa valeur à cause des détails innombrables qu'elle embrasse ? En effet, il y a à chaque période de trois ans au-delà de 2,500 nominations à faire. Je crois, moi, que fictivement c'est une prérogative royale, mais en réalité une prérogative des commissaires d'arrondissement qui en font bien souvent un instrument politique et surtout un instrument électoral, la lettre dont j'ai donné lecture peut servir sous ce rapport d'éclaircissement, et quand nous soutenons que les abus de ce genre sont fréquents, on aura beau dire qu'il n'en est rien. Je pense que dans les arrondissements en général on répondra qu'il en est quelque chose, et même qu'il en est beaucoup.
L'honorable ministre nous a fait remarquer également que par suite du système proposé il n'y aurait plus d'homogénéité dans le collège échevinal, puisque le président serait nommé par le Roi et les échevins par le conseil communal. Messieurs, si de ce chef il y avait absence d'homogénéité dans le collège échevinal, qu'arriverait-il de la députation permanente dont le président est nommé exclusivement par le Roi, tandis que les autres membres sont le produit de l'élection ?
Il y aura toujours dans le collège échevinal ce lien entre tous les membres résultant de ce que tous auront été nommés par les électeurs pour faire partie du conseil communal, tandis que le président de la députation permanente n'a reçu aucun mandat électif.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). – Il a d'autres attributions.
M. Mullerµ. - Il est seul chargé de l'exécution des lois.
M. de Naeyer. - Eh bien, messieurs, dans l'administration communale le bougmestre est seul chargé de l'exécution des lois de police, des lois intéressant spécialement l'ordre public. C'est à ce point de vu qu'on a maintenu la nomination par le Roi, et je crois que ceci satisfait complètement à toutes les exigences raisonnables.
D'ailleurs, messieurs, je ne comprends pas cette réprobation de l'élément électif quand il s'agit de l'exécution des lois. C'est là une véritable idée de centralisation. Ce n'est pas ainsi que l'on raisonnait en 1830 - et ce raisonnement n'est pas même conforme aux principes de notre législation. Ainsi la garde civique, par exemple, n'est-elle pas exclusivement chargée de veiller à l'exécution des lois ? Et cependant vous devez reconnaître que l'élection joue un très grand rôle dans la formation des cadres de la garde civique. (Interruption.)
C'est une disposition constitutionnelle, si je ne me trompe.
J'ai parlé des députations permanentes ; eh bien, ces collèges électifs délibèrent sur l'exécution des lois et cela en vertu d'une disposition formelle de la loi provinciale. Il n'y a donc là aucune anomalie quelconque.
Messieurs, je terminerai ce que j'ai à dire aujourd'hui, par quelques observations sur la question anversoise que l'honorable ministre de l'intérieur a également traitée.
Je commence par repousser énergiquement le reproche qu'on nous a fait de manquer de sincérité dans cette question.
J'ai voté les fortifications d'Anvers, j'ai même appuyé le projet de loi de ma parole ; mais vous vous rappellerez aussi qu'à cette époque la population anversoise donnait son adhésion pleine et entière au système proposé, tel qu'il était connu alors ; je me souviens toutefois que, dans cette discussion, j'ai insisté particulièrement sur cette considération, que le texte de la loi n'indiquait pas suffisamment l'ensemble des travaux projetés et qu'on avait laissé à cet égard trop de latitude au gouvernement. Si on avait fait droit à cette observation, il est assez probable que nous ne nous trouverions pas devant la situation excessivement regrettable qui se présente aujourd'hui.
Quoiqu'il en soit, je dois déclarer que l'adhésion d'Anvers a exercé une grande influence sur mon vote ; car, je pensais alors comme je pense aujourd'hui que, dans l'intérêt de la bonne défense de la place, la confiance des habitants a son importance, et peut-être une importance plus grande que quelques bastions de plus ou de moins. Or, en 1859, cette confiance existait, puisqu'on était parvenu alors à inspirer aux habitants le sentiment d'une grande sécurité. Aujourd'hui il n'en est plus de même, on doit bien le reconnaître. Nous avons, à cet égard, les déclarations de nos collègues actuels d'Anvers, et nous avons également les déclarations de nos anciens collègues qui sont unanimes, je crois.
Eh bien, c'est là, selon moi, une situation très grave et qui appelle toute la sollicitude du gouvernement, et dans ma manière de voir, cette situation est notamment grave au point de la valeur du système de défense qui a été adopté par les grands pouvoirs de l'Etat. Maintenant qu'avons-nous promis ? Nous avons promis un examen sérieux en témoignant le désir le plus ardent d'arriver à une solution faisant cesser les inquiétudes si regrettables qui existent aujourd'hui, solution qui était loin de nous paraître impossible, notamment d'après les bases qui vous ont été indiquées. On nous a dit : « C'est une mystification, vous n'avez pas de solution. » Nous n'avons pas de solution, mais nous n'avons jamais annoncé que nous avions une solution, et le simple bon sens indique qu'il est impossible d'en produire une dans l'opposition, et cela par deux motifs :
D'abord, cette solution doit être le résultat de négociations. Or, soyons de bonne foi : ces négociations peuvent-elles être conduites d'une manière sérieuse par des mains autres que celles du gouvernement ?
Enauite, ce qui est non moins essentiel dans cette question, c'est que la solution soit appuyée par une autorité militaire qui en assume la responsabilité. Or, encore une fois, ne doit-on pas reconnaître qu'il est tout à fait impossible à une opposition de produire ici une (page 521) autorité de ce genre à l'encontre de celle du ministre de la guerre en fonctions ?
Mais ce qui me paraît certain, c'est qu'avec le ministère actuel il ne peut pas y avoir de solution, parce qu'il paraît avoir opposé un non irrévocable à toutes les réclamations. Je ne sais pas même s'il n'y a pas de sa part une sorte de question de dignité personnelle qui fait obstacle à une solution quelconque.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il y a une solution.
M. de Naeyer. - Mais cette solution ne satisfait pas aux réclamations, et elle ne fait pas disparaître l'immense inconvénient que je signalais tout à l'heure, c'est-à-dire que la confiance des habitants fait aujourd'hui complètement défaut.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Elle reviendra.
M. Wasseige. - A Pâques... ou à la Trinité.
M. de Naeyer. - Messieurs, je me rappelle qu'un homme éminent, particulièrement compétent dans les questions de ce genre, notre ancien collègue l'honorable général Goblet, m'a dit bien souvent que, quand il s'agit de régler le système défensif d'un pays, on a quelquefois le tort de s'en rapporter trop exclusivement aux principes de la science militaire et de ne pas consulter assez les simples notions du bon sens. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble, eu égard à la puissance formidable que les engins de guerre ont acquise depuis quelque années, que la grande force d'Anvers réside dans la première ceinture des forts, appuyée par le camp retranché, c'est-à-dire que les travaux de fortification doivent être combinés de manière à empêcher le siège de la place proprement dite.
S'il en est ainsi, le simple bon sens ne dit-il pas que les travaux intérieurs, plus rapprochés de la ville, ne doivent plus avoir la même importance, et que dès lors il doit y avoir ici une certaine marge pour faire des modifications qui permettraient de calmer les inquiétudes de la population ?
M. le ministre de l'intérieur a soutenu que nous prétendions à tort que, d'après les bases indiquées pour les négociations, de nouveaux sacrifices ne seront pas imposés au trésor public ; il nous dit : « Vous ne ferez pas de sacrifices en argent, mais vous proposerez des sacrifices en terrains. »
D'abord, il est très probable que les sacrifices en terrains auraient été considérablement réduits par suite des négociations ; mais en définitive les terrains occupés aujourd'hui par les travaux militaires et mis ainsi hors de commerce, seraient remplacés par d'autres terrains également occupés par les travaux militaires, toutefois avec cette différence que ceux-ci auraient une valeur plus grande au point de vue de la défense du pays, c'est-à-dire au point de vue de l'intérêt dominant qui est ici en cause. Je vous le demande, messieurs, où est la lésion pour le trésor public ? Pour me servir d'une expression de l'honorable ministre, je dirai que la question n'en est pas une pour le simple bon sens d'un paysan.
Je demande à la Chambre la permission de remettre la suite de mes observations à la prochaine séance. (Oui ! oui !)
- La séance est levée à 4 1/2 heures.